Le suicide involontaire de Ségolène Royal

Beaucoup de guerres longues sont le résultat d’une petite erreur de calcul. On y va la fleur au fusil, en croyant que les troupes seront de retour à la maison pour Noël. On se figure que l’ennemi est insignifiant, que devant la puissance de nos armes et de nos soldats, il se rendra à l’évidence. Et voilà que sans y penser, on se trouve engagé dans une guerre longue et meurtrière. Ce genre d’erreur de calcul est d’ailleurs d’autant plus facile à commetre que l’on se sent investi d’une mission divine. Lorsqu’on a Dieu avec soi, on a tendance à se croire invulnérable, et à oublier que – comme le disait Cromwell – Dieu est toujours du côté des plus gros bataillons. On a tous été nourris dans notre enfance de livres et de films ou le bien triomphe toujours à la fin d’un ennemi mille fois plus fort et plus rusé. De là à croire qu’il en est ainsi dans la réalité, il n’y a qu’un pas que certains franchissent à leurs risques et périls.

Ségolène Royal nous donne depuis quelques ,jours un magnifique exemple d’une telle erreur de jugement. Alors qu’elle s’était désintéressée pendant des mois de son ancien courant – elle avait snobé les “ateliers” organisés par Espoir à Gauche à Marseille en août 2009, auxquels elle avait été invitée – elle décide tout à coup de s’y investir. Laissons de côté les raisons de ce soudain intérêt, quoiqu’il y ait beaucoup à dire la-dessus (1) pour nous intéresser à sa stratégie. Les organisateurs de la rencontre de Dijon avaient clairement manifesté leur désir de ne pas voir leurs travaux perturbés par la présence de “présidentiables”. Ségolène n’en tient aucun compte, et se présente à l’entrée avec la cohorte habituelle de journalistes sur le mode “c’est mon courant, et je fais ce que je veux”. Comment interpréter ce geste ?

Ségolène Royal se comporte comme si le caractère sacré de sa “cause” devait lui garantir  la fidélité absolue de ses supporters. Si elle méprise leurs avis, ils doivent s’en accommoder. Si elle choisit de les abandonner, ils doivent l’accepter humblement. Si elle choisit de revenir, ils doivent lui céder la place sans ergoter. Dans ses rapports avec les autres, elle établit une hiérarchie qui lui semble évidente: elle seule est irremplaçable, les autres ne sont  des supplétifs insignifiants, priés d’applaudir et de se taire. Leurs avis, leurs opinions n’ont pas la moindre importance, puisque la candidate sait spontanément ce qui est bon et juste. C’est cette vision “messianique” de son propre rôle qui l’amène de plus en plus à se concevoir plus comme gourou d’une secte, dont le verbe fait loi, que comme dirigeant d’un mouvement politique, tenu à gagner jour après jour l’adhésion consciente de ses partisans.

Ségolène Royal semble croire dur comme fer que son statut d’ancienne candidate à l’élection présidentielle et son aura personnelle la rendent toute-puissante. Elle tient ses partisans  pour quantité négligeable, persuadée qu’elle est que c’est elle qui les a “faits” et qu’elle peut les défaire.  Dans un remake de “qui connait M. Besson”, elle n’a pas un instant anticipé qu’un Vincent Peillon puisse avoir aujourd’hui suffisamment de poids – et de courage – pour la défier (2). Et comme avec Besson hier, elle s’est lourdement trompée.

Il ne faut jamais commencer des guerres qu’on n’est pas sûr de pouvoir gagner. Si elle veut être un jour  président de la République, Ségolène Royal a besoin de se donner une image de rassembleuse. Elle doit montrer qu’elle est en mesure de forger des accords et de travailler en bonne intelligence avec des gens très différents. En défiant publiquement les dirigeants de son propre courant, elle a obtenu l’effet inverse: elle a confirmé publiquement ce que beaucoup répètent depuis longtemps en privé: que la figure de Ségolène Royal et sa personnalité sont des facteurs de division, y compris dans son propre courant; que ses propres soutiens s’accomodent si bien de son absence qu’ils en arrivent à la souhaiter, et qu’elle en est réduite à forcer la porte de ceux qui sont censés être ses partisans. Peut-on véritablement concevoir qu’une telle personnalité puisse regrouper autour d’elle l’ensemble de la gauche et accéder à la première magistrature ? A-t-elle la maturité suffisante pour gérer les conflits qui surgissent nécessairement au sein de n’importe quel gouvernement ? On peut sérieusement en douter. Quelque soit maintenant l’issue du conflit, une bonne partie du mal est fait.

Et le plus grave, c’est que Ségolène Royal, loin de réaliser son erreur, continue sur sa lancée: au lieu de chercher un armistice et limiter les dégats, elle jette de l’huile sur le feu en annonçant sa décision de “confier l’animation de son courant à Jean-Louis Bianco, Nadja Belkacem et Gaëtan Gorce”, comme si “Espoir à Gauche”  était une secte dont le gourou peut “a divinis” nommer et révoquer les dirigeants. Ségolène Royal semble oublier que Vincent Peillon dispose d’une légitimité, ayant été élu aux instances nationales du PS en représentation du courant en question. Contester cette légitimité au nom d’un “droit moral” risque de conduire à une confrontation longue et en dernière instance à l’explosion du courant. Est-ce bien raisonnable de poursuivre sur cette voie ?

Ségolène Royal semble avoir oublié les bonnes vieilles règles de son maître François Mitterrand: pour gagner, il faut d’abord être le rassembleur de son propre camp. Et pour cela, il faut s’embrasser en public et s’étriper en privé. Crêper le chignon au vu et au su de tout le monde ne sert à rien, sauf à perdre toute crédibilité et à se ridiculiser.

Quoi qu’on pense de Vincent Peillon, il a au moins raison sur une chose: Ségolène Royal a prouvé qu’elle ne possède pas les qualités nécessaires pour conduire la gauche à la victoire en 2012. Avec cet épisode grandguignolesque, Ségolène s’est tiré politiquement une balle dans la tête. Les socialistes feraient bien de constater rapidement la mort clinique de la “candidate naturelle”, et de commencer à chercher un autre candidat.

Descartes

Cet article a été publié, sous une forme raccourcie, dans Lemonde.fr

(1) La raison la plus souvent évoqué est la prise de conscience par l’entourage de la Madonne de son isolement croissant, et notamment de l’éloignement progressif de ses anciens lieutenants. Il a aussi la réalisation qu’elle ne peut gagner des “primaires” sans une structure. Mais certaines langues vipérines évoquent aussi un refroidissement des rapports avec Pierre Bergé, grand pourvoyeur de fonds de la cause ségolèniste. Il est en tout cas révélateur qu’un des objectifs de la Madonne en allant à la réunion de Dijon fut… de déjeuner à côté de Pierre Bergé.

(2) On retrouve ici les effets délétères du fonctionnement “sectaire” de l’entourage de Ségolène Royal. Elle fait l’objet d’une telle adulation, d’une telle déification de la part de ses partisans, qu’elle finit par avoir du mal à comprendre que tout le monde ne lui déroule pas le tapis rouge.

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2 réponses à Le suicide involontaire de Ségolène Royal

  1. jg45 dit :

    Bonjour, je suis venu sur ce blog suite à vos articles, sur le blog de Mélenchon,
    Je ne suis plutôt ségoliste, enfin j’étais; centre droit centre gauche, le marais ancien artisan maçon et responsable, régional, administrateur de caisse sociale etc etc, ce n’est pas pour gonflé
    mon égo, mais pour me situer.
    je ne suis pas toujours d’accord avec vous mais j’aime bien vos analyses économiques, et j’ai beaucoup aimé le compte rendu sur votre blog d’une réunion du parti de gauche, ancien adhérent du PS,
    j’entendais aussi la même chose et cela m’a fait rire, exemple les enseignants, pas de concurrence avec l’école privée, mais comme je travaillais pour eux, lis ne se gênait pour comparer plusieurs
    devis, Idéologie et portefeuille on du mal à faire bon ménage????
    Cordialement

    vous avez arrêter de publier sur vôtre blog ?

    • Descartes dit :

      Merci de votre gentillesse. Non, je n’ai pas arrêté de publier, mais pour des raisons professionnelles je n’ai plus le temps, et je n’aime pas publier des trucs faits à la va-vite. J’espère pouvoir
      réprendre en 2010… en tout cas vos commentaires m’encouragent à le faire!

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