La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) existe depuis que le parlement a cru bon en juillet 2008 de voter une réforme constitutionnelle modifiant l’article 61-1 de la constitution (et la loi organique du 10 décembre 2009 qui en définit les modalités d’application). Pour faire court, cette disposition permet à un citoyen, à l’occasion d’une procédure devant un tribunal, d’invoquer le fait que la loi qu’on prétend lui appliquer est inconstitutionnelle. Si cette requête est jugée “sérieuse” par les différents filtres (le tribunal concerné d’abord, la Cour de Cassation ou le Conseil d’Etat ensuite), le Conseil constitutionnel sera appelé à se prononcer sur la loi incriminé. Dans le cas où il conclurait à l’inconstitutionnalité, la loi serait considérée comme abrogée à compter de la date de la décision, sauf si le Conseil en fixe une échéance précise. Ne peuvent faire l’objet de ce recours que les lois qui n’ont pas déjà été déclarées conformes à la constitution dans le cadre de la saisine ordinaire du Conseil constitutionnel prévues à l’article 61.
Voilà pour les rappels de circonstance. Maintenant allons au fonds: comment fait le Conseil pour déterminer si une loi est ou non conforme à la constitution ? Les esprits simples diront que le Conseil vérifie que le texte qui lui est soumis ne viole aucune disposition de la constitution. Seulement voilà, cela suppose d’intérpréter ce que la constitution veut dire. Pour donner un exemple, lorsque la constitution proclame par exemple que “la république assure l’égalité des citoyens”, qu’est ce que cela veut dire exactement ? De quelle “égalité” s’agit-il ? D’une égalité juridique uniquement ? De l’égalité des chances ? D’une totale égalité économique ?
Il y a toujours eu deux tendances en droit constitutionnel: La première école, particulièrement importante aux Etats-Unis, tend à donner à la constitution le caractère quasi-sacré d’un texte révélé. Dans sa vision, la Constitution, contient toutes les réponses à condition de l’interpréter correctement (1). La seconde école, dans laquelle s’inscrit la tradition française considère que la constitution, étant un texte rédigé par des êtres humains, ne peut contenir autre chose que ce que ses auteurs y ont mis.
Pour interpréter la constitution, on se fonde donc en France sur une recherche de ce que les constituants ont voulu dire lorsqu’ils ont rédigé et voté la constitution. Ainsi, dans l’exemple ci-dessus, on peut difficilement douter que lorsque la constitution de la Vème a été rédigée et votée, ceux qui l’ont faite n’ont certainement pas voulu imposer un salaire uniforme pour tous les travailleurs. Il est donc raisonnable de penser que la disposition assurant “l’égalité des citoyens” n’exclut pas les inégalités salariales, et qu’une loi permettant de payer différemment les gens selon leur niveau d’études par exemple est conforme à la constitution.
Il est donc inutile de chercher dans la constitution des réponses à des questions que les rédacteurs ne se sont pas posées: lorsqu’un nouveau problème se présente, c’est au législateur de le règler, et non pas au juge de rechercher la solution dans un texte écrit bien avant que le problème ne se pose.
La question du mariage homosexuel entre évidement dans cette catégorie. S’il s’agit de rechercher la volonté du constituant, il ne fait pas de doute que pour les rédacteurs de la Constitution de 1958 le mariage était bien un lien réunissant deux individus de sexe différent, et que par voie de conséquence l’interdiction du mariage homosexuel n’était pas contraire à l’ordre constitutionnel qu’ils mettaient en place. Pour aboutir à une autre conclusion, il faudrait admettre que la constitution a en quelque sorte un “sens caché”, présent dans le texte à l’insu – et même contre l’opinion – de ses rédacteurs.
La tentation est toujours forte pour le juge de se constituer en législateur, et de sortir de son rôle qui consiste à appliquer la loi telle que l’on voulue ses auteurs pour en faire des lois nouvelles sous prétexte d’interpréter les lois anciennes. Il est de ce point de vue très inquiétant que les différents tribunaux jouant le rôle de “filtres” à la QPC aient accepté de soumettre la question de savoir si l’interdiction du mariage homosexuel était contraire à la constitution au Conseil constitutionnel, comme si la réponse à une telle question pouvait se trouver dans un texte rédigé il y a plus de cinquante ans, au temps où les rapports homosexuels étaient encore une infraction pénale.
Il est trivial de dire – et c’est ce que les tribunaux ont jusqu’à aujourd’hui admis – que notre législation civile a été faite dans l’idée que le mariage réunit un homme et une femme. Si cette vision doit être changée, c’est au législateur de le décider, pas au juge constitutionnel. On peut comprendre que nos politiques soient aujourd’hui trop lâches pour assumer le coût d’une telle modification, et qu’ils préfèrent finalement laisser aux juges faire le “sale boulot”. Mais permettre au juge de modifier profondément notre Code civil en faisant de la Constitution une interprétation qui n’a aucun fondement dans la volonté du constituant, c’est ouvrir la porte au gouvernement des juges (2). Le Conseil constitutionnel doit le comprendre, et déclarer le droit actuel conforme à la constitution.
Descartes
(1) Cette vision se trouve à l’extrême chez le mouvement des “Tea Parties”, au point que certains auteurs en dénoncent “l’idolâtrie de la constitution”.
(2) On voit combien cette logique est perverse dans le statut de l’avortement aux Etats-Unis. L’avortement dans ce pays n’a jamais été légalisé par le pouvoir législatif. Il est possible depuis que la Cour Suprême, dans l’arrêt “Roe vs. Wade”, a déclaré inconstitutionnelle la législation qui l’interdisait. Pour ce faire, la Cour Suprême a interprété la constitution pour constituer un “droit à la vie privée” à laquelle elle a rattaché l’avortement. On peut se demander si les grands bourgeois de 1787 qui ont rédigé et voté la constitution américaine auraient été d’accord avec ce jugement.