Budget: l’imagination au pouvoir

“Il faut avoir vécu dans cet isoloir qu’on appelle Assemblée nationale, pour concevoir comment les hommes qui ignorent le plus complètement l’état d’un pays sont presque toujours ceux qui le représentent.” (Pierre-Joseph Proudhon)

Triste spectacle que celui du débat parlementaire sur la loi de finances. Avec un gouvernement faible, hésitant à utiliser les instruments constitutionnels permettant de conserver à la loi de finances un minimum de cohérence, nos élus ont le champ libre. Le problème, c’est qu’ils ne savent pas très bien quoi faire de cette liberté. Les partis politiques, devenus des associations dont le but est de préserver la carrière de leurs dirigeants, ne travaillent plus les sujets au fond. Alors, leurs représentants à l’Assemblée ne disposent pas, à l’heure de formuler des propositions, de véritable colonne vertébrale théorique leur permettant de présenter une vision construite donnant une cohérence à ces propositions. Que ce soit les amendements ou les votes, on prend position en fonction des réflexes ataviques de chacun – “à bas l’impôt” pour les uns, “il faut taxer les riches” pour les autres – ou en fonction de ce que seront les réflexes de sa base électorale. Cela donne un cocktail d’amendements dont la plupart sont proposés sans véritable étude d’impact, et qui s’empilent en fonction des majorités mouvantes dans une assemblée divisée.

Dernier exemple signalé d’improvisation créatrice, la proposition socialiste d’une taxe Zucman « aménagée » dans laquelle, tout en incluant les biens professionnels, on exclurait « l’entreprise familiale ». Cette proposition non seulement n’a plus rien à voir avec la réflexion de Zucman – sa proposition, rappelons-le, consiste à évaluer par un calcul sur le patrimoine le revenu des personnes physiques et non pas à taxer le patrimoine des entreprises – mais elle a de quoi plonger l’analyste dans des abîmes de perplexité. Est-ce que quelqu’un peut m’expliquer quelle est la rationalité derrière cette exclusion ? En quoi le fait que la majorité des parts d’une entreprise soit détenue par les membres de la même famille serait une raison suffisante pour la dispenser de contribuer au redressement des comptes publics (1) ? Au nom de quoi les actionnaires d’Hermès – dont les parts sont détenues en majorité par la famille du même nom – devraient être dispensés alors que ceux de Vuitton – dont B. Arnault ne détient qu’une minorité des parts – seraient taxés ? En quoi l’exploitation « familiale » serait-elle plus douce que celle du capitaliste anonyme ?

Rien dans la proposition socialiste n’explique le pourquoi de cette différence. On ne peut que faire des hypothèses. La mienne, c’est que derrière cet amendement, se profile la vision « provinciale » des socialistes en matière économique. L’entreprise « familiale » évoque l’image d’Epinal de l’ancrage local, du patron paternaliste ; la société anonyme dont les parts sont négociées en bourse au meilleur preneur évoque le requin de Wall Street. Et comme la taxation doit punir le vice et récompenser la vertu, on taxe les uns et pas les autres. Une vision moralisante qui n’a aucun rapport avec les fonctions principales de la taxation, qui est tout de même de financer le service public et de redistribuer la richesse produite.

Non seulement on n’explique pas la logique de cette distinction, mais – et c’est encore pire – les auteurs de la proposition ne fournissent aucune étude des effets budgétaires et économiques d’une telle taxation. Combien rapportera-t-elle ? On ne voit que des estimations au doigt mouillé. Quels effets sur le financement des entreprises ? Pas de réponse.

Et on retrouve ce problème presque à chaque pas. Ainsi, il s’est trouvé une majorité pour voter un doublement de la taxe sur les services numériques, qui vise essentiellement les GAFA. Certains proposaient de la multiplier par cinq, d’autres de ne rien faire, on a finalement coupé la poire en deux pour voter le doublement. C’est donc une négociation de couloir qui décide du taux, et non une étude économique des effets de cette opération. Même si l’on partage l’objectif de ces taxes – c’est-à-dire, de mettre à contribution des entreprises qui utilisent toutes les ressources de l’optimisation fiscale pour échapper à l’impôt – ce qui est mon cas, on peut s’interroger sur les risques de voter des mesures sans véritable réflexion sur leurs conséquences politiques et économiques, et même sur leur faisabilité technique. Outre leurs effets économiques, cette mesure nous conduit à ouvrir un conflit avec les Etats-Unis avec des mesures de rétorsion probables à la clé. Ceux qui ont proposé ces mesures – et ceux qui les ont votées – ont-ils conscience de cela ? Ont-ils fait une analyse poussée du pour et du contre ?

Il y a une denrée qui devient de plus en plus rare dans le débat public, mais aussi dans les rapports sociaux. Cette denrée rare s’appelle l’intelligence. C’est-à-dire, la capacité d’analyser de l’information de manière structurée. En matière politique, c’est aussi la capacité d’échapper au syllogisme administratif : « il faut faire quelque chose ; ça c’est quelque chose ; donc il faut faire ça ». A la place de cette intelligence, c’est ce qu’il faut bien appeler bêtise qui triomphe. Bêtise dans la répétition aberrante des idées reçues. Bêtise dans la recherche permanente de boucs émissaires. Bêtise dans la réduction du monde aux réseaux sociaux, et de la culture à Wikipédia. Bêtise dans la croyance naïve qu’en changeant un texte on change la réalité, attitude déjà dénoncée au XIXème siècle par Engels : « Crétinisme parlementaire, maladie qui emplit ses victimes infortunées de la ferme conviction que le monde entier, son passé et son avenir, sont gouvernés et déterminés par une majorité de voix dans l’Assemblée représentative ». Tout ça est navrant.

Cette bêtise est partout. Y compris dans les médias publics, payés sur deniers publics avec le but de contribuer à l’illustration des citoyens. Témoin de cette vague d’imbécilité, la projection sur France 2 la semaine dernière – en « prime time », s’il vous plait – du film d’Alexandre Castagnetti « l’Ecole est à nous ». L’intrigue du film est assez simple : une nouvelle professeure de mathématiques, normalienne et agrégée, arrive dans un collège. Elle est partisane de méthodes pédagogiques « nouvelles ». Pas de notes, pas de contraintes, bref, comme elle le dit elle-même dans le film : laisser les élèves faire « ce qu’ils veulent » (2). Une grève pendant laquelle elle fait l’accueil des élèves sans leur faire de cours lui permet de mettre en œuvre ses méthodes… malgré l’opposition de ses collègues et la pusillanimité du principal. Le tout, bien entendu, accompagné d’une galerie de personnages caricaturaux et de héros pétris de bonnes intentions. Et c’est, bien entendu, un succès. Les élèves travaillent, s’intéressent, ont de bons résultats…

Mais de quel « succès » pédagogique parle-t-on ? L’enseignante en question n’enseigne jamais rien. Professeur de mathématiques, on ne la voit écrire la moindre équation, la moindre formule au tableau. Son discours se réduit gaver ses élèves de citations d’Einstein censées leur redonner confiance en eux-mêmes et dans leurs capacités. Elle ne transmet aucune connaissance, aucun savoir. Pour le reste, et c’est le personnage qui le dit lui-même, pas la peine d’enseigner quoi que ce soit dans un monde où Google est là, dans chaque téléphone portable – accessoire omniprésent – pour donner la bonne réponse à toutes les questions.

Laissés à eux-mêmes, les élèves font plein de choses. Et curieusement, ils les font bien sans avoir besoin de rien apprendre. Comme si la capacité à faire un potager, à construire une machine, à écrire un poème venaient par génération spontanée. Le comble du ridicule est atteint avec une élève qui devient « inventeur » d’un moyen de produire de l’énergie gratuitement. Voici le cheminement de son idée : ayant noté que les élèves « se fatiguent » en montant les escaliers de l’établissement, elle déduit qu’ils « dépensent de l’énergie », ce qui est vrai, et qu’on peut récupérer cette énergie en équipant les escaliers de marches qui céderaient légèrement sous les pas des élèves, mouvement transformé en électricité, ce qui est faux. Pourquoi c’est faux ? Parce qu’un tel dispositif ne récupère pas l’énergie dépensée pour monter (qui ne dépend en fait que de la différence de hauteur entre le point de départ et le point d’arrivée) mais force l’individu à dépenser PLUS d’énergie, et c’est ce surplus qui est récupéré.

Mais peu importe. L’élève en question – femme et noire, faut ce qu’il faut – développe un prototype dans lequel le fait de monter sur une plaque allume une petite lampe, puis équipe l’escalier d’entrée du collège, et alimente ainsi l’éclairage du bâtiment. Soutenue par son professeur de technologie et par la professeure de mathématiques, elle gagnera grâce à cette invention un « prix des inventeurs », preuve du succès de cette pédagogie.

Seulement, cette affaire tient de la pensée magique. Parce qu’un professeur normalement constitué aurait tout de suite vu que cette idée ne tient pas la route. C’est une question d’ordres de grandeur : les puissances produites par le corps humain et celles nécessaires pour éclairer un bâtiment ne sont pas du tout comparables. Un calcul de coin de table est suffisant pour le démontrer : prenons, comme le propose le film, une marche qui s’enfoncerait d’un centimètre sous le pas d’un homme de 70 kg. Le travail ainsi effectué serait de 7 joules, soit 7 watts.seconde (autrement dit, l’énergie nécessaire pour alimenter une lampe de 7 watts pendant une seconde), soit 0,000002 kWh. A supposer même que l’efficacité de la conversion en électricité soit de 100%, ce n’est même pas suffisant pour allumer la lampe du modèle expérimental pendant plusieurs secondes, comme c’est montré dans le film. Quant à pouvoir éclairer l’ensemble du collège, vous n’y pensez pas : un escalier d’un étage (25 marches) emprunté par mille élèves produirait en tout et pour tout 0,05 kWh. De quoi allumer une lampe de 50 W pendant une heure.

C’est cela l’idéologie délétère de ce film : tout est possible, à condition de le vouloir. La volonté individuelle et la confiance en soi permettent de tout faire, y compris de violer les lois de la physique. Et pour cela, point besoin d’une connaissance transmise : l’élève en question a toute seule l’idée, et elle développe son prototype toute seule. La connaissance, patiemment accumulée par l’espèce humaine pendant des générations, ne sert à rien, surtout depuis que Google est là. La seule personne qui apprécie le savoir et cherche à l’acquérir – la « première de la classe » parmi les élèves – est présentée comme aliénée au désir de son père et coincée, là où ses camarades ignorants et fiers de l’être sont épanouis et créatifs. L’institution est figée et imbécile, et tout ce qui a de la valeur se fait contre le règlement qui, c’est bien connu, ne sert qu’à brimer les gens. Bref, comme le chantait Aristide Bruant :

C’est d’un’ simplicité biblique
D’abord faut pus d’gouvernement,
Pis faut pus non pus d’ République,
Pus d’ Sénat et pus d’ Parlement,
Pus d’ salauds qui vit à sa guise,
Pendant qu’ nous ont un mal de chien…
Pus d’ lois, pus d’armé’, pus d’église,
Faut pus d’ tout ça… faut pus de rien !

Alors c’est nous qui s’ra les maîtres,
C’est nous qui f’ra c’que nous voudrons,
Yaura pus d’ chefs, pus d’ contremaîtres,
Pus d’ directeurs et pus d’ patrons !
Minc’ qu’on pourra tirer sa flemme,
On f’ra tous les jours el’ lundi !
Oui… mais si n’y a pus d’ latronspème,
Qui qui f’ra la paye l’ sam’di ?

Vous me direz que c’est un mauvais film, un de plus, sur l’école. Certes. Mais curieusement ce film eut de très bonnes critiques à sa sortie en 2022, notamment dans les pages du « journal de référence » : « Cette dialectique de l’idéalisme et du réalisme, de l’enchantement et de la désillusion, de la comédie et du drame, droit héritée de Frank Capra, Alexandre Castagnetti la distribue avec talent. C’est elle qui rend son film si plaisant et, en même temps, propice à la réflexion ». Et on comprend pourquoi : ce film est dans la droite ligne des « libéraux-libertaires » qui peuplent nos médias, et des « pédagogies alternatives » qui, sous prétexte de libérer les élèves, les condamnent au contraire à rester ce qu’ils sont. Des pédagogies « constructivistes » qui ignorent une simple réalité : le progrès humain est lié à notre capacité d’accumulation intergénérationnelle de moyens et de connaissances. Chaque génération ne part pas de zéro : grâce à la transmission, elle part avec dans sa besace tout le savoir et les moyens accumulés par ceux qui l’ont précédée. Chaque génération voit plus loin parce que, suivant la formule de Newton, elle est assise sur les épaules de celles qui la précèdent. Cassez la transmission – et l’institution qui en est chargée – et vous obligerez chaque génération à reconstituer l’ensemble de la connaissance humaine ce qui est, de toute évidence, impossible. Sauf à réduire cette connaissance humaine un minimum. C’est à cela que conduit la « réflexion » à laquelle nous invite le film de Castagnetti.

Les députés qui siègent ces jours-ci au Palais-Bourbon sont pour beaucoup les enfants de cette « réflexion ». Les soixante-huitards et leurs enfants, qui peuplent les bancs de l’Assemblée, croient qu’on peut éclairer un collège avec un appareil de leur invention, sans jamais faire un calcul sérieux. Trouvez-vous que j’exagère ? Souvenez-vous de Mélenchon affirmant qu’il est possible de remplacer en France l’énergie nucléaire par la géothermie. A l’époque, personne dans son parti ne l’avait contredit, alors que l’écart dans les ordres de grandeur montre à l’évidence que c’est faux. Là encore, un simple calcul d’ordres de grandeur aurait dû lui mettre la puce à l’oreille. Mais personne n’a moufté, d’une part parce qu’on ne contredit pas le gourou, et d’autre part parce que personne n’a pris la peine de faire le calcul. Et lorsqu’on regarde le triste spectacle du débat budgétaire, on pense irrésistiblement à un film qu’on pourrait intituler « l’Assemblée est à nous ». Dans ce film, des députés « feraient ce qu’ils veulent » : ne connaissant rien aux sujets de fond et fiers de leur ignorance, ils pourraient montrer leur talent en proposant des amendements suivant leur imagination. Qui, par un coup de baguette magique – il suffit de le vouloir – feraient miraculeusement le bonheur des citoyens. Pourquoi faire le moindre calcul d’ordre de grandeur, pourquoi avoir recours à la moindre expertise puisque la volonté peut tout ? Et le pire, c’est que ce film existe déjà. Depuis le début du débat budgétaire, il passe chaque jour dans la chaîne parlementaire.

Seulement, dans le monde réel il ne suffit pas d’une marche d’escalier pour éclairer un collège, pas plus qu’il ne suffit de voter une taxe imaginée à la va vite pour combler les trous dans le financement public. Un système qui ridiculise la transmission et l’institution, et qui parie tout sur la spontanéité et le volontarisme va au désastre, et c’est aussi vrai à l’Ecole qu’à l’Assemblée nationale.

Descartes

(1) Je laisse de côté le fait que cette exclusion est une véritable usine à gaz. Car il faudrait définir clairement ce qu’est une « entreprise familiale ». Jusqu’à quel degré de parentalité on considérera que deux personnes font partie de la même famille ? Comptera-t-on les enfants adoptifs ? Les demi-frères et sœurs ? Les cousins au 9ème degré ? A quel moment sera évaluée la propriété de l’entreprise aux fins de savoir si elle est « familiale » (avec la possibilité de trafic de parts, vendues puis rachetées pour donner à l’entreprise un caractère familial…).

(2) Ce qui donne une scène de comique involontaire lorsqu’un élève répond à l’injonction de « faire ce qu’il veut » en disant qu’il ne « veut rien faire ». Réponse inacceptable pour l’enseignante, qui montre le paradoxe de son raisonnement : les élèves sont libres de faire ce qu’ils veulent, à condition de vouloir ce qui est acceptable pour l’enseignante.

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24 réponses à Budget: l’imagination au pouvoir

  1. Lhaa Francis dit :

         Bah, on s’amuse comme on peut. Giscard, polytechnicien, avec ses avions renifleurs, c’était quand meme plus  ”  poilant  “. Et,  sur le site du Centre International de Recherche sur le Cancer, j’ai degotté une bonne nouvelle  :  d’après la commission ad hoc, composée évidemment de  ”  spécialistes compétents  “, le portable cancérigène est une vaste blague ( site CIRC de septembre 2024 ). Or, c’est ce meme  CIRC qui a  bricolé  ”  l’étude Interphone  “, qui a duré de 2000 à 2010, dite étude de référence, et dont la conclusion a été  ”  circulez y a rien à voir  “. Petit détail, cout de l’operation 19 millions d’euros. Ma mauvaise conscience d’avoir peut-etre, participé, fut-ce à mon corps défendant, à  l’assassinat d’une partie non négligeable de l’èespèce humaine, m’avait conduit au bord du suicide.  Quant à savoir si des organismes publics assurent leur survie par des études bidon, c’est une autre question.

    • Descartes dit :

      @ Lhaa Francis

      [Bah, on s’amuse comme on peut. Giscard, polytechnicien, avec ses avions renifleurs, c’était quand même plus ”poilant“.]

      Là, vous êtes très injuste avec les polytechniciens en général, et avec Giscard en particulier. Parce que dans cette affaire c’est précisément Giscard, avec sa formation scientifique, qui a « senti » que quelque chose ne tournait pas rond lors d’une démonstration du système de détection à laquelle il avait assisté, et c’est de ce fait qu’André Giraud, alors ministre de la défense, mandatera Jules Horowitz, du CEA, pour expertiser le projet. Et c’est Jules Horowitz qui révélera la supercherie, avec une expérience finalement très simple, mais il fallait y penser…

      L’affaire des « avions renifleurs » avait des côtes comiques, mais c’était en fait une escroquerie très bien montée avec l’aide d’anciens du SDECE, assez nombreux parmi les cadres d’ELF. C’est grâce à des informations internes transmis aux escrocs que ceux-ci pouvaient faire des « démonstrations » dans lesquelles ils faisaient semblant de « découvrir » des nappes de pétrole trouvées par les équipes d’ELF, donnant ainsi une grande crédibilité à leur affaire. C’est grâce aux contacts des anciens réseaux du SDECE, mais aussi des réseaux catholiques autour de Pinay, que les escrocs ont pu avoir des contacts dans les hautes sphères de l’Etat. Il faut aussi se souvenir qu’on était alors en plein dans la crise qui a suivi les deux chocs pétroliers, et qu’on pouvait difficilement laisser filer une technique d’exploration pétrolière qui paraissait prometteuse.

      Il ne faut donc pas être trop sévère avec les gens comme Guillaumat ou Chalandon, qui ont accepté de financer les recherches. Il faut ajouter qu’à l’époque en France on n’hésitait pas à financer plein de projets qui pouvaient apparaître « loufoques », en se disant que sur 99% de ces projets ne donneraient rien, mais que le centième serait un succès qui paierait pour tous les autres. C’est la logique même du « capital risque », celle que les Américains suivent jusqu’à aujourd’hui, et que tant de nos dirigeants leur envient… Il n’est donc pas inutile de rappeler que la logique du « canard » – si prisée en France – dans cette affaire est mortifère : si l’on tape trop sur les projets qui ratent, personne ne prendra de risques, et on n’innovera jamais.

      [Et, sur le site du Centre International de Recherche sur le Cancer, j’ai dégotté une bonne nouvelle : d’après la commission ad hoc, composée évidemment de ”spécialistes compétents“, le portable cancérigène est une vaste blague (site CIRC de septembre 2024 ). Or, c’est ce même CIRC qui a bricolé ”l’étude Interphone“, qui a duré de 2000 à 2010, dite étude de référence, et dont la conclusion a été ”circulez y a rien à voir“.]

      Je ne comprends pas très bien votre logique. Si le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer, qui est un organisme dépendant de l’Organisation Mondiale de la Santé) a conclu que les portables n’avaient pas d’effets cancérigènes, le fait que la commission ad hoc (je ne sais pas de quelle commission vous parlez, je n’ai pas trouvé de référence) composé de gens compétents arrive à la même conclusion n’est pas véritablement surprenant. C’est la situation contraire qui devrait nous interroger. D’autant plus que cette conclusion n’est pas une surprise : l’exposition aux ondes électromagnétiques issues d’un téléphone portable est inférieure aux limites proposées par l’ICNIRP (acronyme anglais de la Commission internationale pour la protection contre les rayonnements non-ionisants), proposition basée sur l’ensemble des études épidémiologiques connues sur le sujet. Ces propositions ont été traduites dans la réglementation (décret du 3 mai 2002) qui fixe les expositions limites à 0,08 W/kg pour le corps entier, et 2 W/kg pour la tête et le tronc. Un arrêté du 8 octobre 2003 fixe des restrictions supplémentaires pour les téléphones portables en termes de champ électrique (36 à 61 V/m selon la bande de fréquences). Avec la généralisation du téléphone portable, les données épidémiologiques sur la question sont très importantes… mais elles ne remettent pas en cause ces limites, qui sont certainement très prudentes !

      [Petit détail, cout de l’opération 19 millions d’euros.]

      Pour une étude mondiale, cela ne semble pas excessivement cher.

      [Ma mauvaise conscience d’avoir peut-être, participé, fut-ce à mon corps défendant, à l’assassinat d’une partie non négligeable de l’espèce humaine, m’avait conduit au bord du suicide.]

      Je n’ai rien compris. De quel « assassinat » parlez-vous ?

      [Quant à savoir si des organismes publics assurent leur survie par des études bidon, c’est une autre question.]

      Je ne vois pas très bien quels sont les organismes visés. S’il s’agit du CICR, j’aimerais savoir ce qui vous fait dire que cette étude serait « bidon ». Des faits, des faits !

      • Lhaa Francis dit :

             Autant pour moi en ce qui concerne Giscard. Ca confirme le proverbe  : vaut mieux mourrir le soir que le matin, on en apprend tous les jours. Pour le portable, j’étais technicien aux PTT, Télécoms, France Télécom, et j’ai participé à l’aventure du  ”  plan téléphone  “, ( delta lp pour les initiés ). Ce qui m’a valu de me faire traiter d’assasin. Pour le portable, je vais vous  ”  cuisiner  ” quelque chose d’un petit peu plus argumenté.

      • Lhaa Francis dit :

             Bonjour à tous. La maniaquerie étant ma première vertu cardinale,  je tape l’incruste tant que j ‘ai pas pigé. Au fait merci pour la bonne volonté de dialogue, et si je prends  trop de place, faites moi signe. Pour etre bien sur qu’on parle de la meme chose, dites moi si vous etes d’accord avec mes définitions. Les ondes électromagnetiques sont des particules ( photons, electrons ou positrons et autres ions ),  emises a des fréquences supérieures à 300GHz. Au dessus,  on a  :  infrarouges,rayons X, et gamma, jusqu’à 10 puissance 24 Hz. On est déjà loin des 2,45 gigas du four à  micro-ondes, de la 4G et des 20 et quelques de la 5G. De plus, un portable n’a jamais émis une quelconque particule. Les radio-fréquences ou ondes radio ne sont pas autre chose que la propagation des variations d’un chanp électromagnétique, ( émission et réception ), variations produites par un courant variable dans un circuit. C’est une des milliers d’applications de la découverte par Lenz et Faraday de l’apparition d’un courant induit, dans un circuit soumis aux variations d’un champ magnétique, en, 1831/35, avec Maxwell et Herz, qui sont venus mettre leur  ”  grain de sel  ”  après coup. De ce point de vue, le premier émetteur radio a été le primaire du transfo de Faraday, le récepteur étant le secondaire.  Comme disait Monsieur Prudhomme, c’est mon opinion et je la partage. Ensuite, sont venus la TSF, ( dans les années 20, les   ”  marsouins  ” de la Colo, en Afrique avaient déjà des  ”  portables  ”  ), l’émetteur de la tour Eifel, la première émission télé, réalisée à la Maison de la Radio ( service des PTT ), en 1937, les antennes de Saint Lys Radio, à cote de Toulouse. Un de mes collègues avait construit sa maison, mitoyenne d’une tour hertzienne, dans laquelle il travaillait.  Il avait 38,50 mètres de trajet pour son boulot, et il vivait à 30 mètres sous les antennes. Pour ma part, dans un central téléphonique de 21 000 mètres carrés d’installations et 2 stations dénergie de 10 000 ampères chacune, il devait bien avoir quelques petites ondes qui s’échappaient de temps en temps, mais tant qu’on ne m’oblige pas  à  ”  mourrir du cancer du portable  ”  , je m’obstine à vivre. Non mais ! Si votre patience n’a pas été trop mise à mal, je m’en vais de ce pas préparer ma prochaine  ”  péroraison  “.

        • Descartes dit :

          @ Lhaa Francis

          [Bonjour à tous. La maniaquerie étant ma première vertu cardinale, je tape l’incruste tant que je n‘ai pas pigé. Au fait merci pour la bonne volonté de dialogue, et si je prends trop de place, faites-moi signe.]

          Je n’y manquerai pas, rassurez-vous. Mais il n’y a pas de risque, il y a beaucoup de place ici…

          [Pour être bien sûr qu’on parle de la même chose, dites-moi si vous êtes d’accord avec mes définitions. Les ondes électromagnétiques sont des particules (photons, électrons ou positrons et autres ions ), émises a des fréquences supérieures à 300GHz.]

          Non. Les ondes électromagnétiques sont constituées par des champs magnétiques et électriques variables dans le temps, dont la fréquence peut aller de zéro à l’infini. Pour les fins de cette discussion, c’est-à-dire, les effets des équipements de télécommunications, on parle de fréquences allant de quelques kilohertz à la dizaine de gigahertz.

          Pour expliquer certains phénomènes, on peut modéliser une onde électromagnétique sous la forme d’une particule, le photon. Mais certainement pas électrons, positrons ou n’importe quelle autre particule chargée.

  2. COUVERT Jean-Louis dit :

    Comme aurait pu chanter Johnny Halliday : Taxes, taxes, taxes, de tout côté on n’entends plus que ça… Y a-t-il un élu qui pense “économies” ? Personnellement j’ai quelques idées sur le sujet mais ces « messieurs qu’on nomme grands » ne me demandent pas mon avis…

    • Descartes dit :

      @ COUVERT Jean-Louis

      [Comme aurait pu chanter Johnny Halliday : Taxes, taxes, taxes, de tout côté on n’entends plus que ça… Y a-t-il un élu qui pense “économies” ?]

      Là, vous êtes injuste. Je vous rappelle que la loi de finances est votée en deux parties. On examine d’abord la partie “recettes”, est une fois celles-ci votées on passe à l’examen des “dépenses”. C’est à ce moment-là que la question des économies pourra être discutée. Dans la partie “recettes”, il n’y a que cotisations, impôts, taxes et redevances…

  3. Paul dit :

    Un témoignage sur le pédagogisme. Après avoir mis mes premiers enfants en crèche parentale – quelle corvée, quand on travaille -, la filière “naturelle” était l’école Freinet. Quand tu es post soixante-huitard…  Bilan des courses: celui qui aimait apprendre, pas de souci, le second, sûr de lui, s’est déscolarisé dès l’arrivée au lycée . Pourtant, les instituteurs Freinet, après avoir laissés “libres” les élèves, recadraient en CM2. Peut-être les stat à respecter pour conserver cet espace de liberté ? Bon, auant vous dire que je n’ai pas persévéré !
    Ce que vous décrivez, non, constatez à juste titre, du fonctionnement de cette assemblée, laisse pantois, et dans l’expectative. que va-t-il advenir de ces amendements, faute de 49.3 ? Un catalogue à la Prévert ou un nouveau renoncement ? Nous ne sommes pas sortis de l’auberge…

    • Descartes dit :

      @ Paul

      [Un témoignage sur le pédagogisme. Après avoir mis mes premiers enfants en crèche parentale – quelle corvée, quand on travaille -, la filière “naturelle” était l’école Freinet. Quand tu es post soixante-huitard… Bilan des courses: celui qui aimait apprendre, pas de souci, le second, sûr de lui, s’est déscolarisé dès l’arrivée au lycée . Pourtant, les instituteurs Freinet, après avoir laissés “libres” les élèves, recadraient en CM2. Peut-être les stat à respecter pour conserver cet espace de liberté ? Bon, auant vous dire que je n’ai pas persévéré !]

      Le problème, c’est que souvent on sort une innovation pédagogique de son contexte. Lorsque Freinet propose de donner une certaine liberté aux enfants à l’école, il le fait dans la société des années 1930-50, c’est-à-dire, une société où les enfants étaient soumis à un ensemble de règles familiales et sociales, à une autorité forte à la maison, à la surveillance attentive d’un monde adulte qui partageait un consensus sur ce qui était « bien » et ce qui était « mal ». Dans ce contexte, « destructurer » la classe n’était pas trop grave, parce que les enfants venaient avec des « structures » fortes acquises ailleurs. Mais la pédagogie Freinet fonctionne très différemment lorsqu’elle se trouve devant des enfants qui viennent sans structures, quand l’autorité de l’adulte est dévalorisée, quand le consensus n’existe plus…

      Je ne jette pas la pierre à ceux qui ont défendu les pédagogies « libertaires » dans les années 1940. A l’époque, cela avait permis d’ouvrir des espaces de liberté dans une société très corsetée. Mais je serais beaucoup plus sévère avec ceux qui continuent à les défendre après les années 1970…

      [Ce que vous décrivez, non, constatez à juste titre, du fonctionnement de cette assemblée, laisse pantois, et dans l’expectative. que va-t-il advenir de ces amendements, faute de 49.3 ? Un catalogue à la Prévert ou un nouveau renoncement ? Nous ne sommes pas sortis de l’auberge…]

      Je pense que le résultat sera de produire un « budget Frankenstein » totalement incohérent, qui sera rejeté par l’assemblée. C’est alors le texte original du gouvernement qui ira au Sénat. Le Senat l’amendera, et le gouvernement appellera alors une CMP, d’où sortira – ou pas – un texte négocié.

  4. Bertrand dit :

    Janco, sors de ce blog 😉

  5. Frank dit :

    Ce que vous décrivez est tout simplement une société décadente qui fonce vers sa perte.
     
    L’aspect le plus intéressant dans le film dont vous parlez est de mettre en lumière le fait que des choses qui paraissent totalement ridicules et délirantes à des gens comme vous et moi sont devenues la “norme” du “cercle de la raison” et sont donc présentées comme étant de merveilleux progrès par le journal de “référence” (référence de la bêtise et de la rupture totale avec la réalité, à mon avis).
     
    Je m’étonne un peu que vous sembliez découvrir la chose (enfin, j’ai peut-être eu une fausse impression en vous lisant). Évidemment que toutes les démonstrations soi-disant scientifiques dans ce genre de film, ou dans les médias, ou dans la propagande politique, sont totalement délirantes. Le pire exemple est, à mon avis, la justification que Hollande avait donné pour le choix des 50% de nucléaire dans le mix énergétique. “Il fallait bien mettre un chiffre” a-t-il dit… Et en disant celà, il avait tout dit, en effet. Je me rappelle Mélenchon faire croire, pendant la campagne présidentielle, que si on ne faisait rien tout de suite, dans 20 ans, la Camargue, le marais poitevin, etc., auront disparu sous les eaux. La plupart des écolos et des politiques tout court avale ce genre de chose sans broncher une seconde. Sa théorie du “mouchage” des centrales nucléaires était tout aussi intéressante.
     
    Je suis depuis un mois en Chine. Abassourdi. Sonné par ce que je vois, ce que j’entends, les investissements, la rationalité dans la planification, l’enthousiasme, l’énergie, l’intelligence. Le mélange de chaleur et de respect aussi que je sens chez les gens, envers moi en particulier mais surtout envers ce que représente la science en général dans ce pays.
     
    Un exemple: j’ai l’honneur d’être accueilli dans l’institut de C.N. Yang, éminent physicien chinois, l’un des plus grands théoriciens du XXème siècle, décédé il y a 2 semaines. Ils ont immédiatement ouvert l’institut au public. Ils ont fleuri les lieux avec des centaines de bouquets délicieusement odorants. Ils ont merveilleusement décoré une salle dans laquelle les visiteurs pouvaient se recueillir, sans limite de temps, avec à chaque fois une seule personne à la fois dans la salle. Une file assez impressionnate s’est formée dès les premières heures devant l’entrée de l’institut, et ce pendant une semaine, tous les jours de 9h à 21h. Les médias nationaux en ont parlé constamment pendant plusieurs jours.
     
    Imaginez que demain Jean-Pierre Serre disparaisse (par exemple). Ce sera un entrefilet dans le “journal de référence” et on en fera encore moins que pour Boiteux. Et absolument personne ne sait qui c’est de toute façon.
     
    Non, voyez-vous… je perds totalement espoir, ces derniers temps. On ne va pas se relever, il n’y a plus les leviers nécessaires. Ils ont détruit le socle essentiel du système éducatif et la valeur fondamentale du travail n’est plus appréciée. En tout cas, ça ne se fera pas sans passer par une crise extrêmement violentes et périlleuse.
     
    PS: je me rappelle que vous écriviez il y a quelques temps que les transports publics français étaient bons, et que vous répondiez à l’un des contributeurs du blog qui s’en étonnait qu’il suffisait de voyager un peu pour s’en rendre compte. Je me suis fait la réflexion que vous ne connaissiez décidément pas l’Asie ! Non, les transports publics en France ne sont pas bons, et la SNCF est au mieux très moyenne (c’est en effet pire en Belgique et en Allemagne). Si vous voulez savoir ce que sont des transports de qualité, visitez la Chine, la Corée du Sud et le Japon.

    • Descartes dit :

      @ Franck

      [Ce que vous décrivez est tout simplement une société décadente qui fonce vers sa perte.]

      On peut espérer mieux. Mais il est clair que chaque jour qui passe nous prenons un peu plus de retard. On peut se consoler en disant qu’aucun retard n’est irrattrapable – et le succès des chinois le montre – mais le rattraper aura un coût social d’autant plus important qu’on mettra du temps à se mettre en ordre de marche.

      Quelquefois, je me dis qu’il faudrait faire revivre l’esprit de 1945, c’est-à-dire, constater le fait que notre pays a subi des destructions très importants de son système institutionnel, de son économie, de ses infrastructures, de son système éducatif. Et qu’il faut se retrousser les manches et réorganiser collectivement nos priorités en fonction d’une reconstruction, sans épargner personne.

      Je dois dire que je suis effondré par le débat budgétaire. Le fait est que personne ne veut faire le moindre sacrifice. Même ceux qui tiennent des discours enflammés sur le fait qu’il faut augmenter les recettes ne pensent qu’à augmenter la charge fiscale des autres, alors que les ayatollahs de la réduction de la dépense publique ne pensent qu’à la dépense qui ne les concerne pas. La droite clame qu’il faut réduire les dépenses, mais quand on cherche à réduire la dotation aux collectivités locales – et il faut noter que la fonction publique territoriale est la seule dont les effectifs continuent à augmenter – on voit un Lisnard ou un Larcher qui poussent des cris d’orfraie. Le comble des combles, c’est la dernière proposition de Lecornu : pour consoler les socialistes du rejet de la taxe Zucman, il propose de retirer le projet de gel des retraites. Autrement dit, il remplace une recette par une dépense !

      [L’aspect le plus intéressant dans le film dont vous parlez est de mettre en lumière le fait que des choses qui paraissent totalement ridicules et délirantes à des gens comme vous et moi sont devenues la “norme” du “cercle de la raison” et sont donc présentées comme étant de merveilleux progrès par le journal de “référence” (référence de la bêtise et de la rupture totale avec la réalité, à mon avis).]

      Tout à fait. Le principe de plaisir a remplacé, dans l’idéologie dominante, le principe de réalité. Et c’est étroitement lié à la transformation du citoyen en client. L’école de la République était au service de la nation. L’école de la société de consommation se doit faire plaisir au client-élève. C’est pourquoi elle ne peut que devenir une sorte de parc d’attractions, et que le ludique prend une telle place ; Et le film en question nous parle de cette transformation. L’enseignant a du succès dans la mesure où il caresse l’élève dans le sens du poil, qu’il lui répète qu’il peut tout à condition de le vouloir, et surtout, qu’il ne lui demande aucun effort.

      [Je m’étonne un peu que vous sembliez découvrir la chose (enfin, j’ai peut-être eu une fausse impression en vous lisant).]

      Je vous rassure, ma « découverte » n’est qu’un recours rhétorique pour amener le sujet.

      [Évidemment que toutes les démonstrations soi-disant scientifiques dans ce genre de film, ou dans les médias, ou dans la propagande politique, sont totalement délirantes. Le pire exemple est, à mon avis, la justification que Hollande avait donné pour le choix des 50% de nucléaire dans le mix énergétique. “Il fallait bien mettre un chiffre” a-t-il dit… Et en disant cela, il avait tout dit, en effet. Je me rappelle Mélenchon faire croire, pendant la campagne présidentielle, que si on ne faisait rien tout de suite, dans 20 ans, la Camargue, le marais poitevin, etc., auront disparu sous les eaux. La plupart des écolos et des politiques tout court avale ce genre de chose sans broncher une seconde.]

      Je pense que vous mélangez deux choses. La déclaration d’Hollande a le grand mérite de la franchise. Elle illustre le fait que des décisions lourdes sur le long terme sont prises au doigt mouillé, parce « qu’il faut bien mettre un chiffre ». Les autres exemples, ce sont au contraire des cas où l’on fabrique une « réalité parallèle », auxquelles très souvent on prétend donner une légitimité scientifique, par exemple en faisant dire à des travaux scientifiques des choses qu’ils ne disent pas.

      Le cas cité dans le film est intéressant parce qu’un petit calcul de coin de table montre l’absurdité de la chose (montrer que dans 20 ans le marais poitevin ou la Camargue ne risquent pas d’être submergés est beaucoup plus complexe). Et les réalisateurs du film ne peuvent l’ignorer – ou alors ils sont beaucoup plus bêtes que je ne le pensais. Autrement dit, ils proposent sciemment au spectateur une situation fausse. Mais pourquoi le spectateur gobe ça ? Et même pas la peine de faire le calcul que j’ai fait : il suffit de se dire « tiens, c’est une bonne idée, pourquoi on ne la met pas en œuvre » ? Parce que le fait est qu’on n’équipe pas les lycées avec ce genre d’appareil…

      La question n’est pas tant pourquoi les politiciens peuvent dire des choses absurdes, mais pourquoi le public les gobe. Pourquoi nos concitoyens n’utilisent pas les outils rationnels dont ils disposent – le calcul que j’ai fait sur la situation présentée dans le film est faisable par un élève de première – pour vérifier ces affirmations. Certaines (comme l’inondation de la Camargue ou du Marais poitevin) sont difficiles à vérifier. Mais montrer qu’on ne peut remplacer le nucléaire par la géothermie est très simple : la puissance nucléaire installée est de l’ordre de 80 GW, les gisements géothermiques haute température connus en France ne dépassent pas quelques centaines de MW.

      [Sa théorie du “mouchage” des centrales nucléaires était tout aussi intéressante.]

      J’ai raté celle-là… vous faites référence à quoi ?

      [Je suis depuis un mois en Chine. Abassourdi. Sonné par ce que je vois, ce que j’entends, les investissements, la rationalité dans la planification, l’enthousiasme, l’énergie, l’intelligence. Le mélange de chaleur et de respect aussi que je sens chez les gens, envers moi en particulier mais surtout envers ce que représente la science en général dans ce pays.]

      Je dois dire que chaque fois que j’ai voyagé en Chine j’ai été moi aussi abasourdi. J’y retrouve un peu l’atmosphère qu’ont décrit un certain nombre de témoins de la formidable activité qui a suivi la Libération. Enthousiasme, énergie, intelligence, rationnalité… alors que les conditions étaient véritablement difficiles. Un contraste absolu avec la tendance à s’apitoyer sur soi et à vouloir « tout, tout de suite » qu’on trouve chez nous…

      Nous avons dans notre histoire beaucoup de choses en commun avec la Chine : la construction de la nation autour de l’Etat, la tradition méritocratique, la place donnée à la science. Il faut d’ailleurs se souvenir que pour les fondateurs de la République chinoise, la révolution française était une référence incontournable. Nos grands établissements et entreprises publiques ont d’ailleurs établi depuis des décennies des coopérations de qualité avec la Chine : EDF a construit deux centrales nucléaires en Chine sur le modèle français (Daya Bay, Ling Ao) et les deux premiers EPR a démarrer dans le monde furent ceux de Taishan. Il est d’ailleurs regrettable de voir que dans ce domaine comme dans d’autres on monte dans le bateau américain des sanctions contre la Chine, au lieu de chercher une coopération entre égaux en respectant les spécificités de nos économies respectives. Franchement, je pense qu’on a plus de choses à apprendre des Chinois que des Américains.

      [Un exemple: j’ai l’honneur d’être accueilli dans l’institut de C.N. Yang, éminent physicien chinois, l’un des plus grands théoriciens du XXème siècle, décédé il y a 2 semaines. Ils ont immédiatement ouvert l’institut au public. Ils ont fleuri les lieux avec des centaines de bouquets délicieusement odorants. Ils ont merveilleusement décoré une salle dans laquelle les visiteurs pouvaient se recueillir, sans limite de temps, avec à chaque fois une seule personne à la fois dans la salle. Une file assez impressionnate s’est formée dès les premières heures devant l’entrée de l’institut, et ce pendant une semaine, tous les jours de 9h à 21h. Les médias nationaux en ont parlé constamment pendant plusieurs jours.]

      Hommage d’autant plus remarquable que Yang fit une partie de sa carrière aux Etats-Unis. Ce qui fait un sort aux discours qui fustigent le « sectarisme » idéologique des institutions chinoises. Il est clair que le discours idéologique des institutions chinoises prolonge la tradition méritocratique du pays, alors que chez nous ce serait plutôt le contraire. J’ai pu aussi constater que le statut symbolique des scientifiques, des chercheurs, des ingénieurs est autrement plus haut que chez nous. Quant aux grands projets scientifiques ou techniques, ils sont une fierté nationale. Là encore, on pense à la France des années 1940-60

      [Non, voyez-vous… je perds totalement espoir, ces derniers temps. On ne va pas se relever, il n’y a plus les leviers nécessaires. Ils ont détruit le socle essentiel du système éducatif et la valeur fondamentale du travail n’est plus appréciée. En tout cas, ça ne se fera pas sans passer par une crise extrêmement violentes et périlleuse.]

      Je suis moins pessimiste que vous, justement à cause de la Chine. Oui, on a cassé beaucoup de choses chez nous, et ce n’est pas par hasard si ceux qui ont cassé chez nous étaient autrefois des admirateurs de la « grande révolution culturelle » chinoise. Mais la Chine s’est relevée, et s’ils ont pu le faire, nous aussi on peut. Encore faut-il le vouloir, et surtout, être prêt à payer le prix. Qui sera, je suis d’accord avec vous, très élevé, et d’autant plus élevé qu’on s’y mettra plus tard.

      [PS: je me rappelle que vous écriviez il y a quelques temps que les transports publics français étaient bons, et que vous répondiez à l’un des contributeurs du blog qui s’en étonnait qu’il suffît de voyager un peu pour s’en rendre compte. Je me suis fait la réflexion que vous ne connaissiez décidément pas l’Asie ! Non, les transports publics en France ne sont pas bons, et la SNCF est au mieux très moyenne (c’est en effet pire en Belgique et en Allemagne). Si vous voulez savoir ce que sont des transports de qualité, visitez la Chine, la Corée du Sud et le Japon.]

      J’ai visité. Et je ne suis pas d’accord avec vous. Oui, il y a des transports qui fonctionnent très bien dans ces pays. Mais sortez des lignes principales – les plus rentables – et vous verrez la différence. Franchement, je n’ai pas trouvé dans ces pays des lignes qui fonctionnent aussi bien – et avec la même densité – que le TGV PLM, par exemple…

      • cdg dit :

        Le TGV chinois fonctionne tres bien, je l ai pris plusieurs fois sans probleme (ils ont quand meme eut des problemes au debut https://www.virgule.lu/international/un-tgv-percute-par-l-arriere-43-morts-en-chine/285164.html)
        Pour la densite des TGV c est comme la France : chaque elu veut son TGV et donc ils y a pas mal de lignes (dont certaines sont surement pas rentables)
        Je suis par contre surpris de ce que vous trouvez en chine “Enthousiasme, énergie, intelligence, rationnalité…”. Enthousiasme certes vu leur grand bon en avant (contrairement celui de Mao ;-)) mais j ai l impression que ca touche plus la jeune generation qui a grandi avec un niveau de vie plus eleve et qui subit chomage et declassement.
        En Chine je vois enormement de consumerisme (avoir comme loisir d aller dans des centres commerciaux immenses par ex ou pour les plus jeunes le shopping sur le telephone), de vouloir comparer son statut social avec celui du voisin
        Pour ce qui est la rationalite, le Feng shui ou la medaille de Mao porte bonheur c est quand meme pas ca
         

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [Je suis par contre surpris de ce que vous trouvez en chine “Enthousiasme, énergie, intelligence, rationalité…”. Enthousiasme certes vu leur grand bond en avant (contrairement celui de Mao ;-)) mais j’ai l’impression que ça touche plus la jeune génération qui a grandi avec un niveau de vie plus élevé et qui subit chômage et déclassement.]

          Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris votre phrase. Ne voulez-vous plutôt dire « ça NE touche plus la jeune génération… etc. » ?

          A titre personnel, je ne peux parler de la Chine en général. A chacun de mes déplacement, j’échange essentiellement avec des hauts fonctionnaires, avec des ingénieurs et des techniciens de bon niveau, avec des chercheurs, essentiellement dans le secteur public ou parapublic. Et je retrouve chez mes interlocuteurs l’enthousiasme qu’on trouve chez nous dans les témoignages des acteurs de la reconstruction et des grands programmes des années 1960-80. Mais je n’ai que très peu de contacts dans le secteur privé, ou dans les industries légères, par exemple.

          [En Chine je vois énormément de consumérisme (avoir comme loisir d’aller dans des centres commerciaux immenses par ex ou pour les plus jeunes le shopping sur le téléphone), de vouloir comparer son statut social avec celui du voisin.]

          Jusque-là, rien de très surprenant. On voit mal pourquoi la masse des chinois échapperaient aux mécanismes inhérents au capitalisme avancé.

          [Pour ce qui est la rationalité, le Feng shui ou la médaille de Mao porte bonheur c’est quand même pas ca]

          Franchement, je n’ai pas une seule fois entendu un décideur chinois invoquer le Feng Shui pour approuver ou rejeter les plans d’une usine, ou bien embrasser la médaille de Mao porte bonheur avant de signer un contrat. Et pour cause : le Feng shui est considéré par le Parti comme une « vieillerie féodale », sa pratique commerciale est interdite, et des responsables politiques qui le pratiquent sont régulièrement révoqués. Moins d’un tiers des chinois y croient, et parmi les jeunes la proportion est inférieure à 15%. L’astrologie jouit chez nous d’un statut bien plus enviable…

          • cdg dit :

            ” Ne voulez-vous plutôt dire « ça NE touche plus la jeune génération… etc.”
            tout a fait, j ai oublie le NE
            {On voit mal pourquoi la masse des chinois échapperaient aux mécanismes inhérents au capitalisme avancé.}
            Plein de raisons : 
            – la chine n est pas officiellement un pays capitaliste (si sur le plan politique c est toujours une dictature communiste (cf les purges recentes) sur le plan economique c est plus ambivalent. Il y a un capitalisme debridé mais aussi un reste de communisme (plan quinquenal & entreprises publiques)
            – la chine est sur pas mal de plan encore un pays en developpement. C est sur que c est pas le cas si vous restez a Shenzen ou Shanghai mais allez vous promener dans certaines provinces rurales vous vous retrouvez au XIX (pas de tracteur mais des animaux de trait)
            – la chine a une culture tres differente de la notre (ils se vantent regulierement d avoir 4000 ans d histoire). on pourait esperer qu ils se vautrent pas dans le consumerisme comme un americain
            {superstition}
            Pour la medaille de Mao, je pensais en effet aux chauffeurs de taxi. C est nettement plus rependu que St Christophe chez nous. Apres il y a des superstitions qui sont imperceptible par un europeen. Par ex si vous invitez un chinois a la table 6 ou 8 c est bien mieux qu a la table 3 (le 6 ou 8 sont des chiffres porte bonheur et le 3 malefique). Si vous vendez un produit, il vaut mieux qu il s appelle Machin-6 que Machin-3
             

            • Descartes dit :

              @ cdg

              [« On voit mal pourquoi la masse des chinois échapperaient aux mécanismes inhérents au capitalisme avancé. » Plein de raisons : – la chine n’est pas officiellement un pays capitaliste (si sur le plan politique c’est toujours une dictature communiste (cf les purges récentes) sur le plan économique c’est plus ambivalent. Il y a un capitalisme débridé mais aussi un reste de communisme (plan quinquenal & entreprises publiques)]

              Je dois dire que votre usage du mot « officiellement » m’a fait beaucoup rire. A ma connaissance, la Chine n’est pas « officiellement » une « dictature », du moins aucun document « officiel » à ma connaissance ne la qualifie comme telle. Ainsi, si je comprends bien, à l’heure de déterminer si la Chine est ou non un système capitaliste la parole « officielle » est à prendre en compte, mais lorsqu’il s’agit de qualifier la Chine de « dictature » on laisse la parole « officielle » de côté ?

              Soyons sérieux : la Chine est aujourd’hui un capitalisme d’Etat, dans lequel coexiste un secteur privé « débridé » et un système de planification centralisé qui concerne essentiellement les secteurs jugés stratégique. Un système qui rappelle un peu ce que pouvait être l’économie française des « trente glorieuses ». Diriez-vous que la France de 1945-1970 n’était pas « capitaliste » ?

              [– la chine est sur pas mal de plan encore un pays en développement. C’est sûr que ce n’est pas le cas si vous restez a Shenzen ou Shanghai, mais allez vous promener dans certaines provinces rurales et vous vous retrouvez au XIX (pas de tracteur mais des animaux de trait)]

              Et je ne doute pas que dans ces territoires on échappe encore largement aux mécanismes inhérents du capitalisme avancé. Mais ce genre de systèmes sont en sursis, vous le savez bien.

              [– la chine a une culture très différente de la nôtre (ils se vantent régulièrement d’avoir 4000 ans d’histoire). On pourrait espérer qu’ils ne se vautrent pas dans le consumérisme comme un américain]

              Ils ne se vautreront peut-être pas dans le MEME consumérisme. Il prendra probablement des formes différentes. Le matérialiste que je suis ne peut qu’anticiper le fait qu’en dernière instance ce sont les rapports économiques qui transforment la culture, et non l’inverse. Et le consumérisme est inséparable de la logique du capitalisme mondialisé ;

              [Pour la médaille de Mao, je pensais en effet aux chauffeurs de taxi. C’est nettement plus rependu que St Christophe chez nous.]

              Faudrait faire une statistique… et encore, est-ce que les chauffeurs de taxi accordent à la médaille de Mao un pouvoir magique, ou le font-ils simplement parce que c’est une manière de manifester une identité ? Pour vous donner un exemple, les chauffeurs de bus en Amérique Latine ont l’habitude de suspendre au rétroviseur les premiers escarpins de leur premier bébé. Dans leur portefeuille, beaucoup de gens ont tendance à avoir la photo de leur conjoint ou de leurs enfants. Mais cela n’implique aucune « superstition »…

              [Apres il y a des superstitions qui sont imperceptible par un européen. Par ex si vous invitez un chinois a la table 6 ou 8 c est bien mieux qu’a la table 3 (le 6 ou 8 sont des chiffres porte bonheur et le 3 malefique). Si vous vendez un produit, il vaut mieux qu il s appelle Machin-6 que Machin-3]

              Dans la plupart des hôtels européens, il n’y a pas de chambre portant le numéro 13. Quelle conclusion tirez-vous ?

            • Capac dit :

              [Je dois dire que votre usage du mot « officiellement » m’a fait beaucoup rire. A ma connaissance, la Chine n’est pas « officiellement » une « dictature », du moins aucun document « officiel » à ma connaissance ne la qualifie comme telle.]
              Constitution chinoise, article premier :
              La République populaire de Chine est un État socialiste de dictature démocratique populaire, dirigé par la classe ouvrière et basé sur l’alliance des ouvriers et des paysans
              https://mjp.univ-perp.fr/constit/cn2018.htm
              La Chine est une dictature démocratique 🙂
               

            • Descartes dit :

              @ Capac

              [« Je dois dire que votre usage du mot « officiellement » m’a fait beaucoup rire. A ma connaissance, la Chine n’est pas « officiellement » une « dictature », du moins aucun document « officiel » à ma connaissance ne la qualifie comme telle. » Constitution chinoise, article premier : « La République populaire de Chine est un État socialiste de dictature démocratique populaire, dirigé par la classe ouvrière et basé sur l’alliance des ouvriers et des paysans ». La Chine est une dictature démocratique]

              On parlait dans notre échange de la dictature en tant que régime politique. Or, il ne faut pas confondre la « dictature » dans ce sens avec une « dictature de classe », la bien connue « dictature du prolétariat » théorisée par les penseurs anarchistes d’abord, marxistes ensuite. L’article que vous citez fait de la Chine une « dictature de classe » (l’Etat est dirigé par « la classe ouvrière ») mais une démocratie au sens politique du terme.

              J’ajoute que la plupart des régimes politiques sont des « dictatures de classe ». Chez nous, paraphrasant la constitution chinoise, on est dans une « dictature démocratique populaire, dirigée par la bourgeoisie et basée sur l’alliance des bourgeois et des classes intermédiaires ». Il n’y a qu’à suivre les débats de l’Assemblée nationale pour s’en convaincre.

  6. Phael dit :

    Merci pour vos articles, toujours intéressants. 
    Ce que vous dites est juste. Les principes de bon sens que vous évoquez sont évidents. 
    Alors pourquoi agissent-ils comme ils le font ?
    Bêtise ? Volonté (et volonté de quoi ?) ? Les deux ? 

    • Descartes dit :

      @ Phael

      [Les principes de bon sens que vous évoquez sont évidents. Alors pourquoi agissent-ils comme ils le font ? Bêtise ? Volonté (et volonté de quoi ?) ? Les deux ?]

      L’attribuer à la bêtise serait la solution de facilité. On voit mal pourquoi les hommes d’aujourd’hui seraient plus bêtes que ceux d’hier. Mais il est clair par contre que nos élites aujourd’hui sont nettement moins cultivées et savantes que celles des générations précédentes, peut-être parce qu’elles sont beaucoup plus spécialisées. Un Bompard, un Attal ou un Bardella sont des machines à faire de la politique (au mauvais sens du terme), mais on ne voit pas très bien à quoi ils s’intéressent en dehors de ça. Et lorsqu’on entend leurs discours, on n’y trouve guère de références qui permettent de détecter une passion secrète pour tel auteur, tel instrument de musique, tel moment de notre histoire…

      C’est dans cette spécialisation que se trouve l’explication de la pauvreté du débat politique. Les politiciens ne sont plus des professionnels de la politique, mais des professionnels du marketing politique. Ils ne cherchent pas à faire avancer leurs projets, ils cherchent à vendre un produit (en général, eux-mêmes). Et du coup, le faire est devenu secondaire par rapport au faire savoir. C’est pourquoi la scène politique est devenue une scène de théâtre, chacun jouant le rôle qui peut lui attirer la sympathie de son public. Et c’est pourquoi les amendements au projet de loi de finances sont moins destinés à avoir un effet sur le réel qu’à générer une impression sur l’électorat. A droite, on alimente la paranoïa contre « l’inquisition fiscale », à gauche on joue la grande scène de la « justice sociale ». Mais on sait par expérience qu’une fois arrivés au pouvoir, tout ce beau monde a fait à peu près la même chose…

      Souvenez-vous de l’adage : « je suis leur leader, je dois les suivre ». C’est là l’explication de l’état de notre débat politique…

  7. P2R dit :

    @ Descartes
     
    Je suis tombé l’autre jour sur une interview de Aghion sur une station du service public. Tout auréolé de son Nobel d’économie, il expliquait qu’il avait été affligé par le niveau en économie de certains députés (ce qui est possible), et enchainait par une lourde charge contre les mesures de luttes contre l’optimisation des multinationales, et en particulier celles dont les sièges sociaux sont en Irlande et qui, par le mécanisme des prix de transfet, déclarent un bénéfice ridicule en France par rapport au chiffre d’affaire réel réalisé, et échappent ainsi à l’impôt. Selon cet économiste, prendre des mesures pour que ces boites paient le juste impôt tranformerait la France en “prison fiscale, et donc les gens iront voir ailleurs”…
     
    J’en suis resté complètement atterré. D’abord de qui parle t’on ? en priorité des GAFAM et de grosses chaines de la restauration telles que Starbucks et McDonalds. Autrement dit, des services non délocalisables ! Est-ce que McDo et Starbucks vont fermer des restaurants parce que leurs bénéfices seront taxés à 20% ?? Est-ce qu’ils vont renoncer à en ouvrir de nouveaux ? (si seulement !) Est-ce qu’Amazon va démanteler ses entrepots ? c’est n’importe quoi ! Il n’empêche que cette taxe pose d’autres questions, en particulier en ce qu’elle rouvrirait probablement une guerre commerciale avec Trump, et, j’imagine, qu’elle contreviendrait à des règles de l’UE, mais de cela, pas un mot !
     
    Je me demande si je rate quelque chose dans le raisonnement, ou si la mystification est aussi grosse qu’elle en a l’air…
     
    Ceci étant dit, il faut se rappeler que Bob Dylan et Annie Ernaux ont été Nobels de littérature, et Obama Nobel de la pax, ça permet de remettre le rôle de cette institution à sa place, celle de distribuer des satisfecit à ceux qui restent rigoureusement dans le cadre de l’idéologie dominante, rien de plus.. Mais quand même..

    • Descartes dit :

      @ P2R

      [Je suis tombé l’autre jour sur une interview de Aghion sur une station du service public. Tout auréolé de son Nobel d’économie, il expliquait qu’il avait été affligé par le niveau en économie de certains députés (ce qui est possible),]

      Jusque-là, il a raison. Et le problème n’est pas tant le faible niveau en économie des députés – à qui on ne demande pas d’être des experts de quelque domaine que ce soit – mais plutôt le faible niveau du travail préparatoire qui, normalement, incombe aux partis politiques. Je ne pense pas que les députés d’il y a cinquante ans étaient plus calés en économie. Seulement, pour la préparation de leurs propositions ils faisaient plus appel à une véritable expertise. Celle des services de l’Etat, mais surtout celle de leur propre parti. Le mépris ouvert pour les « sachants » et les « techniciens », qui n’a cessé de se développer depuis les années 1980, nous a conduit là où nous sommes.

      [(…) et enchainait par une lourde charge contre les mesures de luttes contre l’optimisation des multinationales, et en particulier celles dont les sièges sociaux sont en Irlande et qui, par le mécanisme des prix de transfert, déclarent un bénéfice ridicule en France par rapport au chiffre d’affaire réel réalisé, et échappent ainsi à l’impôt. Selon cet économiste, prendre des mesures pour que ces boites paient le juste impôt transformerait la France en “prison fiscale, et donc les gens iront voir ailleurs”…]

      Je ne vois pas ce qui vous étonne. Aghion milite depuis fort longtemps dans les files social-libérales, c’est-à-dire, chez cette frange des classes intermédiaires qui ont parfaitement internalisé leur impuissance à faire contribuer les riches au fonctionnement de la nation. Et c’est logique : pour les faire contribuer, il faudrait remettre en cause les dogmes qui président à la construction européenne (libre circulation des capitaux et des biens, concurrence libre et non faussée). Et ça, c’est la fin des haricots.

      [J’en suis resté complètement atterré. D’abord de qui parle t’on ? en priorité des GAFAM et de grosses chaines de la restauration telles que Starbucks et McDonalds. Autrement dit, des services non délocalisables ! Est-ce que McDo et Starbucks vont fermer des restaurants parce que leurs bénéfices seront taxés à 20% ?? Est-ce qu’ils vont renoncer à en ouvrir de nouveaux ? (si seulement !) Est-ce qu’Amazon va démanteler ses entrepots ? c’est n’importe quoi !]

      Tout à fait. Les adversaires de toute taxation des riches maintiennent d’ailleurs une confusion volontaire entre les taxes SUR LES ENTREPRISES et les taxes SUR LES REVENUS DES ACTIONNAIRES. Or, ce sont deux choses très différentes.

      [Je me demande si je rate quelque chose dans le raisonnement, ou si la mystification est aussi grosse qu’elle en a l’air…]

      Elle est très grosse. Et ce n’est pas nouveau. Il faut relire ce qu’on écrivit lorsque André Tardieu, dans les années 1920, propose la création de l’impôt sur le revenu. C’était à peu près la même chose. Chez les possédants, c’était « on me tue, on m’assassine ». Et finalement, personne n’en est mort. Il est difficile de savoir, dans les cris d’orfraie qu’on entend, quelle est la part de bluff et quelle est la réalité.

  8. MJJB dit :

    Que voulez-vous, à Paris (donc à l’Assemblée nationale), rien de véritablement important, d’authentiquement essentiel pour notre pays ne se décide plus depuis longtemps. Tout se décide ailleurs : dans les couloirs de “Bruxelles” ; dans les conciliabules “corporate” de Wall Street et de Blackrock ; et, depuis peu, à la commission au plan quinquennal du Parti communiste chinois. Autant en profiter, pour profiter de l’assiette au beurre, et pour s’amuser à “faire comme si” qu’on était vraiment des députés pour de vrai… C’est quand même tellement plus confortable, une fois que l’on a si minutieusement organisé sa “sortie de l’histoire”, et que l’on a plus à se préoccuper de vieilleries désagréables, comme de prendre la mesure du Tragique de ladite Histoire, et de prendre des décisions qui engagent votre responsabilité morale (pas seulement “politique”) devant le Peuple, et devant la Nation (peuh ! des vieilleries, tout ça)… Vous avez des états d’âme ? la buvette de l’Assemblée est là pour ça… *hips*
     

    Tout est possible, à condition de le vouloir. La volonté individuelle et la confiance en soi permettent de tout faire, y compris de violer les lois de la physique.

     
    Ceux, qui armés de ce genre de certitude, échouent dans leurs entreprises, ne pourront donc s’en prendre qu’à eux-mêmes ; ils n’auront pas “voulu” assez fort. C’est quand même assez pratique, et assez bien trouvé, quand on y pense…

    • Descartes dit :

      @ MJJB

      [Que voulez-vous, à Paris (donc à l’Assemblée nationale), rien de véritablement important, d’authentiquement essentiel pour notre pays ne se décide plus depuis longtemps. Tout se décide ailleurs : dans les couloirs de “Bruxelles” ; dans les conciliabules “corporate” de Wall Street et de Blackrock ; et, depuis peu, à la commission au plan quinquennal du Parti communiste chinois.]

      Je ne suis pas d’accord avec vous. Il se décide des choses essentielles à Paris : par exemple, de se soumettre à ce qui se décide à Bruxelles et à Wall Street. Il n’y a dans cette soumission aucune fatalité. On pourrait parfaitement faire des choix différents. Pour ne donner qu’un exemple, la Turquie n’a pas choisi de monter dans le train des russophobes, et je ne vois pas les bombes tomber sur Ankara. Les Britanniques ont quitté l’UE – après avoir snobé l’Euro – et je ne vois pas qu’ils soient dans un état bien pire que le nôtre. Encore une fois, il faut arrêter de présenter comme une fatalité ce qui en fait est un choix, et un choix « véritablement important, authentiquement essentiel ». Et ce choix se fait bien à Paris, même s’il se fait par défaut, même si nos décideurs cherchent à nous persuader que c’est la seule option possible.

      [Autant en profiter, pour profiter de l’assiette au beurre, et pour s’amuser à “faire comme si” qu’on était vraiment des députés pour de vrai…]

      En tout cas, le spectacle que donnent nos députés devrait faire réfléchir ceux qui demandent à cor et à cri la fin de la « monarchie présidentielle » et le retour à un régime d’assemblée avec élection proportionnelle. Car qu’est-ce que nous avons aujourd’hui ? Nous avons une assemblée dont la composition épouse assez exactement ce que donnerait une proportionnelle intégrale, comme plusieurs études l’ont montré. Nous avons un gouvernement qui n’a plus la possibilité d’utiliser les instruments du « parlementarisme rationnalisé ». Nous avons un président cantonné à ses pouvoirs constitutionnels, c’est-à-dire au droit de dissolution et de nomination du premier ministre. La démocratie parlementaire peut donc déployer ses ailes… et que constatons nous ? Des débats de posture, des députés qui ne travaillent pas le fond des sujets, des majorités changeantes qui votent n’importe quoi. Bref, tous les vices de la IVème République finissante.

      [Vous avez des états d’âme ? la buvette de l’Assemblée est là pour ça… *hips*]

      Plus pour longtemps… je dois dire que je trouve ce débat – et la manière dont il est lancé et monté en épingle par les médias – non seulement parfaitement indécent, mais surtout révélateur du décalage entre la nation et ses élus. Ce que les citoyens exigent du monde politique – et c’était le cœur du mouvement des Gilets Jaunes – c’est qu’on s’occupe de leurs problèmes, et non qu’on leur donne des « exemples ». Les Français sont profondément rationnels : on s’en fout si nos gouvernants se soulent la gueule, s’ils maltraitent leur femme ou sodomisent leur chien. On se fout même qu’ils aient une voiture avec chauffeur ou qu’ils mangent du homard aux frais du contribuable. On est disposé à passer sur leurs liaisons maffieuses ou vichyssoises. On est prêts à tout leur pardonner à une condition : qu’ils bossent sérieusement, qu’ils s’occupent efficacement de nos problèmes, qu’ils gouvernent le pays dans l’intérêt général. De Pasqua à Balkany, de Médecin à Deferre, de Mitterrand à Joxe, longue est la liste des politiciens qui ont pris des libertés avec la vertu au vu et au su de tout le monde, et qui ont été systématiquement réélus parce qu’ils défendaient efficacement l’intérêt de leurs mandants.

      Aujourd’hui, les politiciens sont dans la veine inverse : ils veulent s’ériger en « exemples » pour faire oublier leur inefficacité, leur amateurisme, leur paresse. Alors on réduit les « privilèges » des élus, on impose la parité, on interdit l’alcool à la buvette… sans se demander un instant si tout ça a le moindre effet sur la qualité du travail législatif et des politiques qui en résultent. A la fin, on se demande si l’Assemblée existe pour légiférer, ou pour servir d’exemple…

      [Ceux, qui armés de ce genre de certitude, échouent dans leurs entreprises, ne pourront donc s’en prendre qu’à eux-mêmes ; ils n’auront pas “voulu” assez fort. C’est quand même assez pratique, et assez bien trouvé, quand on y pense…]

      Tout à fait. La logique volontariste est une logique par essence culpabilisante… et alimente donc la recherche de boucs émissaires, seul moyen d’expliquer nos échecs sans admettre que nous n’avons pas « voulu » assez. Le volontarisme aboutit toujours à la recherche des « traîtres »…

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