Cantonales: les barbares sont à nos portes

Tous les dirigeants du Front de Gauche l’avaient dit et répété: Marine Le Pen n’était qu’une création médiatique, les sondages étaient truqués. Non, le front national ne monte pas. Non, les français ne lui accordent pas leur confiance. Pierre Laurent avait même affirmé que le “véritable sondage” seraient les élections cantonales, et que les français rétabliraient à cette occasion la vérité. Et bien, ils l’ont fait: le front national dépasse 15% dans une élection qui lui est traditionnellement particulièrement défavorable. Et l’abstention se monte à un record proche de 60%. Voilà les deux “vérités” qu’il faut considérer de toute urgence (1).

 

Bien sur, il est de tradition après chaque élection de chanter que “tout va très bien, madame la marquise”. C’est presque une nécessité pour maintenir les militants mobilisés. Le Front de Gauche n’a pas failli à cette tradition. Le résultat n’est pas d’ailleurs négligeable: le Front de Gauche est à 9%. Mais il faut raison garder: en 2008 (c’était l’autre série de cantons qui étaient renouvelables) le PCF seul avait fait 8,8%, et en 2004 sur la même série il avait fait 7,8%. Dans un contexte de rejet massif de la droite de gouvernement, on peut difficilement parler de gain (2). Il reste encore à considérer le nombre d’élus: le PCF à lui seul avait 108 sortants, et on verra combien il seront dimanche prochain. En tout cas, l’objectif “stratégique” du PCF proclamé depuis 2008 – la reconquête de la Seine-Saint-Denis – semble avoir été remis aux oubliettes. Et ce n’est guère mieux au PS (qui fait 25%, un peu moins que ses scores de 26% en 2004 et de 28% en 2008…). Le moins qu’on peut dire c’est que l’enthousiasme montré par les dirigeants de la gauche, qu’elle soit “libérale” ou “radicale”, doit plus à la tactique qu’à la réalité.

 

Mais si ce genre d’optimisme de commande est compréhensible, il finit par être particulièrement énervant. On a l’impression que les dirigeants de la gauche sont plus intéressés par les batailles de pourcentages que par le message envoyé par les électeurs . Les barbares sont à nos portes, et la gauche perd son temps à critiquer la présentation que Claude Guéant fait des résultats. Qu’ont-ils à dire sur l’abstention massive ? Qu’ont ils à dire sur la montée du Front National ? Qu’ont-ils à dire pour la désaffection générale des citoyens autant pour la droite que pour la gauche ? Quelle analyse, quel projet proposent-ils ? En lisant le communiqué du Front de Gauche ou les déclarations des dirigeants du PS, on se dit qu’ils n’ont rien appris: l’abstention ? C’est la faute du gouvernement. La montée du FN ? C’est la faute du gouvernement. L’antisarkozysme tient lieu d’analyse.

 

Mais, pourrait se demander un homme rationnel, il fut un temps où le mécontentement envers le gouvernement poussait les électeurs à voter pour l’opposition. Pourquoi aujourd’hui ce n’est pas le cas ? Pourquoi préfèrent-ils  s’abstenir ? Pourquoi le FN joue-t-il aujourd’hui le rôle tribunitien qui était autrefois dévolu au PCF ? Toutes ces questions, la gauche n’arrive pas ou ne veut pas les voir. Celui qui sonne l’alarme en signalant combien l’abstention et le vote FN sont l’expression de l’incapacité de la gauche à proposer un projet crédible se fait immédiatement traiter de défaitisme. Celui qui montre combien sur la carte de l’abstention et de la distribution de l’électorat FN tend à recouper celle de la distribution de l’électorat populaire sera accusé de manipulation.

 

La réalité est que le discours bobo-écolo-sociétal-libéral-libertaire de la gauche – de la gauche en général, parce que de ce point de vue la différence entre socialistes, communistes et gauchistes est subtile – n’a plus aucune crédibilité. On a beau proposer depuis cette perspective une société idéale faite de “care” pour les uns ou de “révolution citoyenne” pour les autres, et ces propositions seront unanimement appréciées… mais la plus grande partie de l’électorat ne croit pas un instant que ces projets soient réalisables. Et ne le croit pas pour d’excellentes raisons: d’abord, celle de l’expérience qui a montré combien la gauche au pouvoir oublie rapidement ses lendemains qui chantent pour faire nolens volens la même politique que la droite dans les domaines qui comptent. Mais aussi parce que la gauche, chaque fois qu’elle a été au pouvoir, a manqué de volonté, de souffle épique. A chaque fois, elle a geré la France en bon père de famille. Ce n’est pas ça que les français demandent à la politique.

 

Le “résultat à deux chiffres” ne servira à rien s’il n’y a pas derrière un véritable projet capable d’emporter l’adhésion de l’électorat populaire, aujourd’hui partagé entre l’abstention et le Front National. Combattre le Front National est une nécessité. Encore faut-il faire un bon diagnostic pour que ce combat ait une chance de succès. La diabolisation du FN est utile pour souder les militants de gauche – et pour leur faire voter Mitterrand hier ou DSK demain – mais n’a rien fait pour réduire l’attrait de cette formation. L’idée de “front républicain” est elle aussi dangereuse. C’est se bercer de douces illusions de croire qu’on peut circonscrire une organisation politique qui représente bon an mal an un élécteur sur six en construisant un “cordon sanitaire” autour de lui. Les socialistes et la droite ont essayé cette stratégie contre le PCF pendant toute la guerre froide, et ça n’a jamais marché. Dans son ghetto, il était intouchable. Pour détruire le PCF, il a fallu – Mitterrand l’avait bien compris – le sortir du ghetto par des stratégies du type “union de la gauche”. Il est difficile de comprendre que les communistes aient pu oublier cette expérience historique. De quel droit peut on refuser une représentation à un sixième de la Nation, disaient ils dans les années 1950 ? Et bien, qu’en pensent-ils aujourd’hui ?

 

Combattre le Front National nécessit d’aller l’attaquer sur son terrain. C’est à dire, de rétablir le contact avec ses électeurs et de leur montrer que les problèmes qui les préoccupent peuvent être pris en compte par la gauche. Ce qui suppose pour celle-ci d’oublier un moment les intérêts des classes moyennes que Delanöe sait si bien flatter et de revenir à un certain nombre de fondamentaux: l’économie, le salaire, l’emploi, le pouvoir d’achat, le cadre de vie, la Nation, les institutions. La gauche a besoin d’un grand parti tribunitien.

 

 

Descartes

 

 

 

(1) L’autre “vérité” de ce scrutin est le demi échec d’Europe Ecologie-les Verts. Compte tenue du mécontentement envers la droite et des retombées médiatiques de l’accident de Fukujima, on ne peut pas dire que 8,3% soit une victoire. D’autant plus que ce score les place derrière le Front de Gauche.

 

(2) Avant d’aller plus loin, faisons un sort aux manipulations douteuses fondées sur l’idée que les résultats ne représentent pas la réalité puisque le Front de Gauche ne présentait pas de candidat dans tous les cantons. En pratique, les circonscriptions sur lesquelles le Front a renoncé à présenter des candidats sont bien évidement – à moins que ses dirigeants soient particulièrement masochistes – celles sur lesquelles le résultat avait toutes les chances d’être très mauvais. En d’autres termes, on peut supposer que même si le Front avait été présent sur toutes les circonscriptions, les voix collectées dans les circonscriptions où il est aujourd’hui absent aurait été négligeable, et le pourcentage global n’aurait pas été changé. Calculer un pourcentage sur les seuls cantons où l’on a été présent et projeter ce chiffre au niveau national revient à supposer que sur les circonscriptions où l’on est absent on aurait pu faire le même résultat en moyenne que sur ceux où l’on est présent. On voit le ridicule de cette hypothèse. L’exercice auquel se livre le PG sur son site pour aboutir à un “résultat à deux chiffres” (ici) est donc une pure manipulation.

 

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11 réponses à Cantonales: les barbares sont à nos portes

  1. Nicolas 70 dit :

    Mon commentaire rapide.

    Le Front National est le parti victorieux et je ne vois pas ce qui dans la situation politique actuelle l’empêchera de devenir le premier parti de France.

    La conférence de presse de dimanche soir d’Aubry, Laurent, Duflot était pathétique.

    Cette gauche ne peut espérer gagner une élection nationale seulement en cas de forte abstention. Elle est idéologiquement minoritaire, au contraire du FN qui dispose d’une majorité relative au
    niveau idéologique.

    Au fait, Mélenchon n’avait pas embarqué dans ce nouvel épisode de la croisière s’amuse ?

    • Descartes dit :

      Je n’ai pas de réponse à ta dernière question: n’était-il pas sur la péniche parce qu’il n’avais pas été invité, ou parce qu’il n’avait pas envie d’aller ?

      Il est clair en tout cas que, comme tu le dis, le “parti victorieux” est le FN, parce que c’est le seul qui semble porté par une dynamique. Si la gauche ne commence pas a sérieusement travailler
      les dossiers, elle risque de se retrouver élue par défaut en 2012 sans projet et avec une opposition ou le FN jouera un rôle majeur. Pour moi, c’est le scénario catastrophe.

  2. argeles39 dit :

    Bonne analyse, avec laquelle je suis en phase (comme souvent…..).
    As-tu un point de vue sur l’intervention Française en Lybie?

    • Descartes dit :

      As-tu un point de vue sur l’intervention Française en Lybie?

      Franchement, ce n’est pas un sujet que je connaisse bien, et écrire sérieusement sur un sujet qu’on ne connait pas, ça prend beaucoup de temps pour se documenter.

      Le seul “point de vue” que je peux exprimer tient plutôt à la politique européenne. Encore une fois, on a vu l’incapacité de l’Europe a faire autre chose que du bureaucratique. L’Europe politique
      est morte, et elle est morte parce que c’est devenue une Europe allemande. Or, l’Allemagne est un pays très “provincial”, qui ne s’est jamais intéressée au vaste monde. Gagner ds sous et dominer
      la “Mitteleuropa” suffit à leurs ambitions. Lorsqu’il s’agit de s’adresser au monde, il n’y a que deux pays pour le faire: la France et les Etats-Unis, les seuls qui se conçoivent comme des
      puissances globales.

  3. Darthé-Payan dit :

    Salut Descartes

    Ton analyse permet à tout à chacun de prendre un peu de recul et d’étudier le scrutin des élections cantonales.

    Pour rien te cacher, je partage ton constat.

    JLM avait annoncé depuis son débat avec Marine LePen sur RMC-BFM TV qu’il avait mis KO la leader du FN et ne cessait d’affirmer que les sondages qui mettait la candidate MLP dans les 20 % étaient
    truqués, manipulés, bidonnés.

    JLM avait annoncé que le Front de Gauche serait en tête de la gauche et que les cantonales servirait à la fois de “vrai”sondage et de “véritable” premier tour de la Présidentielle.

    Tu vas me trouver un peu sarcastique… mais, je ne résiste pas à rappeler tout cela.

    Le score du FDG n’est pas mirobolant. Loin de là ! et s’il n’y avait pas le PCF et bien le PG ferait royalement 1 ou 2% ! Ensuite, on voit que dans de nombreux fiefs communistes, c’est le PS qui
    devance le Front de Gauche. Je ne sais pas combien de pertes de sièges communistes seront occasionnées par le merveilleux score à deux chiffres du FDG ?

    Le PG est quand même mal barré. Dans l’ancien fief essonnien de JLM, les candidats FDG estampillés PG et bien sont à la ramasse ! A Massy même ! Et cruelle cruauté de la chose c’est des candidats
    ex proches de JLM lorsqu’il était au PS qui terrassent ses amis PGistes !

    Je pense que la direction du PG est passée de déclarations fanfaronnantes au déni de la réalité ! Tout semble allait pour le mieux dans le meilleur des mondes ! JLM annonce que la victoire est
    proche pour la présidentielle pour le FDG etc…

    Moi, j’ai dit basta à tout cela…

    Je me félicite par contre pour le bon score d’un ami. Patrick Trannoy (MRC) dans le canton de Brive Centre avec “la république au coeur” qui frôle les 25 % et qui sera au second tour. Ce sera dur
    mais c’est encore jouable pour l’emporter si il y a une meilleure mobilisation et participation dimanche prochain. Egalement, en Midi Pyrénés, je me félicite de la présence de mon père, GF, au
    second tour au titre de gauche républicaine.

    Salut et Fraternité.

    • Descartes dit :

      Tu vas me trouver un peu sarcastique… mais, je ne résiste pas à rappeler tout cela.

      Mais… il le faut, il le faut! Il faut toujours le lendemain rappeler ce que les politiciens ont dit la veille. C’est la meilleure manière de les obliger à se surveiller.

      Ensuite, on voit que dans de nombreux fiefs communistes, c’est le PS qui devance le Front de Gauche. Je ne sais pas combien de pertes de sièges communistes seront occasionnées par le
      merveilleux score à deux chiffres du FDG ?

      Pour moi, c’est la grande inconnue. Je n’ai nulle part réussi à trouver combien de candidats FdG sont encore en lice pour les second tour. J’ai tout de même l’impression que globalement le PCF
      est parti pour conserver l’essentiel de ses élus. Si les pertes sont importantes, par contre, ça pourrait avoir des incidences dévastatrices sur le FdG.

      Et cruelle cruauté de la chose c’est des candidats ex proches de JLM lorsqu’il était au PS qui terrassent ses amis PGistes !

      C’est pas très étonnant. J’imagine que le PS a mis le paquet pour montrer aux amis de JLM (et à ceux qui pourraient être tentés de les imiter) ce que cela coute de changer de crémerie. Tu connais
      l’adage: “on emprisonne ses adversaires, mais les traîtres, on les fusille”.

       

  4. Mon Melon dit :

    La diabolisation du FN est utile pour souder les militants de gauche – et pour leur faire voter Mitterrand hier ou DSK demain – mais n’a rien fait pour réduire l’attrait de cette formation. L’idée
    de “front républicain” est elle aussi dangereuse.

    Analyse très juste. Dans mon canton, le FN est en tête à 30%, suivi par le PS à 29% et le front de gauche à 24%. L’UMP (ou plutôt son prête nom dans le département du Nord, l’UPN) se réduit à
    11%.

    Une analyse, même pas poussée, permet de se rendre compte de la future réélection du candidat PS, le front républicain ayant conduit la candidate FDG à se retirer.

    Or, le seul mot d’ordre aujourd’hui du PS sur le canton est de faire barrage au FN.

    Mais où est le programme ? Où sont les objectifs ? L’espoir ?

    • Descartes dit :

      Or, le seul mot d’ordre aujourd’hui du PS sur le canton est de faire barrage au FN. Mais où est le programme ? Où sont les objectifs ? L’espoir ?

      Tout à fait d’accord. L’anti-FN, comme l’antisarkozysme, ne constitue pas un programme. Pire: dans la tête de beaucoup de militants cela dispense de l’effort de réflechir à un
      programme.

  5. edgar dit :

    encore un effort pour être anti-européen !
    Bien évidemment l’UE est aujourd’hui la principale responsable de la montée du FN ! Que peuvent l’UMP et le PS quand leurs propositions sont contraintes à n’être que des variations sur le thème du
    pacte de stabilité ?

  6. morel dit :

    Il faut savoir raison garder.
    1/ Le FN, tout détestable qu’il est, n’a pas les caractéristiques d’un parti fasciste. Hurler au fascisme est contre productif, de même lui faire de la publicité en appelant à un mythique « front
    républicain »…allant jusqu’à l’appel au vote en faveur de ceux qui détruisent nos retraites, nos derniers services publics ect…
    2/ Oui, le FN a réalisé une percée lors des cantonales mais dans un contexte où
    a) l’abstention est première
    b) aucune proposition alternative sérieuse n’apparaît (ont-ils tort les citoyens qui pensent que la gauche ne ferait pas très différemment que la droite ?).
    c) le FN est loin d’être un parti « cristallisé ». Je m’explique : les crises qu’il a connues ont provoqué une déstructuration de ses cadres, on connaît ses difficultés financières (son siège, ses
    dettes ASSEDIC : dommage que personne n’ait relevé ce non-paiement pour un parti relooké « social »), « doctrine » fluctuante dont le seul repère clair reste l’obsession de l’immigré (au point
    d’attribuer, même ironiquement, un certificat d’adhérent d’honneur à C.Guéant).
    Pour être clair, un projet sérieux et crédible alliant République et revendication sociale pourrait mettre un terme à leurs espoirs.
    Mais ce qui s’appelle la gauche en veut il ?

  7. Dofré dit :

    Darthé-Payan: il est sympathique d’être tenu au courant des candidats “amis” du MRC mais cela a très peu d’importance. Le MRC est devenu une officine du PS et les candidatures MRC-PRG(un autre
    parti croupion)n’ont pas apporté grand chose à gauche si ce n’est de la division et de la confusion pour une partie des électeurs. Sinon je suis quasi exclusivement en accord avec votre analyse
    sauf peut être sur le petit (2), en effet le FG a présenté (et notamment avec des candidatures PG) de nombreux candidats dans des zones ou il a avait récolté moins de 5% lors des régionales et
    européennes. Mais cela n’a pas beaucoup d’importance. En effet les dirigeants du PCF et du PG ne semblent pas vouloir ou pouvoir “affronter” le FN. Un autre élément important pour finir concernant
    le Front de gauche, en dehors de tous les problèmes que vous citez régulièrement sur votre blog, comment cette force politique peut devenir majoritaire alors que ce n’est pas l’objectif du PCF
    (seulement de Mélenchon et du PG)?..

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