On l’a appris aujourd’hui: suite à un appel d’offres, le STIF (1) a accordé le marché de la prestation “assistance téléphonique”, aujourd’hui tenue par une entreprise ayant ses centres d’appel en France, à un prestataire qui délocalisera l’activité en Tunisie. Pour se justifier, le STIF affirme qu’accorder le marché à son ancien prestataire n’aurait rien changé: pour faire une offre compétitive, celui-ci prévoyait de délocaliser son activité en Roumanie. Le président de la République a profité de son déplacement chez Valéo pour en dire deux mots. Deux mots qui, on s’en doute, ont été dans le style du “président normal”: il souhaite que les responsables de ces contrats pensent à acheter du “produit en France”, mais toujours dans le “respect des règles”. Des règles européennes de libre-échange, s’entend, puisque “il n’est pas question de tomber dans le protectionnisme”. On est bien avancés.
Cette affaire tombe mal pour Arnaud Montebourg, qui étudiait la possibilité de rapatrier l’activité d’assistance téléphonique des opérateurs de télécommunications. Idée qui avait soulevé des commentaires défavorables de la part des élus et politiques “de gauche”, toujours prompts à défendre les intérêts des classes moyennes. Il faut dire que l’idée du ministre était de reporter les coûts supplémentaires induits par ce rapatriement sur les consommateurs.
Ces affaires montrent bien où se situe le principal mécanisme qui pousse au libre-échange. Ce n’est pas “les riches” ou “le grand Kapital” qui poussent à la globalisation. Ce sont les consommateurs, qui en exigeant les prix les plus bas quel qu’en soit le coût social, poussent les entreprises à aller chercher les bas salaires. C’est d’ailleurs le paradoxe de PSA: sa direction a été patriote, et conservé une proportion de production en France très supérieure à celle de Renault. Conséquence: Renault caracole dans les marchés alors que PSA court à la catastrophe. Il est donc l’heure de se poser à gauche la question qui fâche: sommes nous – et quand je dis nous, je pense essentiellement aux classes moyennes, qui sont celles qui ont le choix à l’heure de consommer – sommes nous prêts, disais-je, à payer plus cher ce que nous achetons pour permettre à ceux qui les fabriquent de bénéficier d’un emploi bien payé ? Ou préférons nous acheter bon marché et payer des chômeurs ?
Pour le moment, les classes moyennes – et les gouvernements qui les représentent – ont toujours choisi la deuxième solution. Le libre-échange “européen” nous a donné des produits bon marché et un chômage de masse. Le discours de la gauche (qu’elle soit sociale-libérale ou “radicale”) sur les méchants “riches” sonne de plus en plus creux: la famille Peugeot a perdu depuis un an plus de trois quarts de sa fortune (2). Ce ne sont pas les “riches” qui constituent le pire obstacle à la mise en place d’un “protectionnisme intelligent”. Car le discours qui prétend que la délocalisation enrichit les capitalistes est fallacieux. Pour le démontrer, prenons un exemple: imaginons un marché automobile où il n’y aurait que deux entreprises A et B. A et B sont en concurrence, et proposent donc des voitures le moins cher possible pour prendre les clients à l’autre. Si le marché fonctionne correctement, le prix de la voiture va s’équilibrer à une valeur voisine du coût de production ( c’est à dire, du niveau suffisant pour rémunérer le capital et le travail investi dans la production).
Maintenant imaginons que l’on ouvre la possibilité pour A et B d’aller produire ailleurs, là où les salaires sont plus bas, et que cela divise par deux le coût de production. Si seul A délocalise, alors il est évident qu’il gagnera beaucoup d’argent, puisqu’il pourra continuer à vendre les voitures à l’ancien prix d’équilibre (B ne peut baisser les prix sans tomber sous le coût de production) mais ses coûts auront baissé de moitié. A première vue, c’est donc bon pour le capital… seulement, si B fait la même chose, alors que se passera-t-il ? Maintenant les deux fabricants vendent au dessus de leur coût de production, et chacun aura la possibilité, tout en rentrant dans ses frais, de baisser le prix pour prendre des clients à l’autre… et l’équilibre sera atteint lorsque le nouveau prix sera proche du coût de production. En d’autres termes, les marges seront toujours les mêmes. Seul le consommateur gagnera, puisqu’il pourra acheter ses voitures à moitié prix.
Arrêtons donc l’hypocrisie: le plein emploi implique de faire accepter par ceux qui consomment le plus de payer plus cher. Le reste, c’est du bavardage.
Descartes
(1) Syndicat des transports de l’Ile de France. Il s’agit d’un organisme public contrôlé par la Région Ile de France dont la mission est l’organisation des transports publics dans la région parisienne.
(2) L’action PSA côtait 27 € il y a un an, elle côte 6 € aujourd’hui.
Bonjour Descartes,
On sent la réaction à chaud ! Un peu agacé par la nullité du débat ?
Comme je l’avais noté en commentaire dans un autre article, Montebourg a cet avantage d’avoir l’air prêt à favoriser le producteur au détriment du consommateur. S’il creuse un peu ses idées, les
épaissit, qu’il garde le cap quitte à “perdre son job” de ministre, il y a quand même un petit espoir pour la suite. De son côté, Hollande est toujours aussi lamentable mais ce n’est pas une
surprise. Bah, après tout c’est comme si Chirac faisait un 3ème mandat…
Et encore une fois, comme pour l’histoire de PSA, ça permet de faire prendre conscience à tout le monde des obstacles réels que constituent les règles de libre-échange pour… eh bien tout
simplement faire de la politique autre que gestionnaire. D’ailleurs je me demande si le marteau bruxellois va tomber pour l’affaire PSA. Si c’est juste des bonus écologiques (ahahah) ça ira,
sinon ce sera retoqué illico. Gros scandale en perspective et début d’un retournement de l’opinion contre l’UE ?
“A et B. A et B sont en concurrence, et proposent donc des voitures le moins cher possible pour prendre les clients à l’autre”
Quand il y a une réelle atomicité, peut-être. L’industrie automobile est particulière, c’est vrai, car les marges ne sont pas énormes par rapport à d’autres secteurs. Mais avec très peu d’acteurs
sur le marché, ils se combattent plus à coup de marketing aggressif qu’en baissant leurs coûts et ça se voit surtout dans d’autres industries. L’entreprise dans laquelle je travaille fonctionne
comme cela et rejoint la critique de Galbraith du nouvel état industriel: elle décide de fixer un prix et l’impose à ses clients. Point. On lance des produits pour regagner des parts de marché
(même des inutiles pour occuper le terrain) et on dépense des fortunes colossales en marketing. Mais d’ajuster le prix pour s’adapter au marché, il en est hors de question. Soit on passe en force
soit on retire le produit en cas d’échec.
“Arrêtons donc l’hypocrisie: le plein emploi implique de faire accepter par ceux qui consomment le plus de payer plus cher.”
Oui ! Importer massivement de l’étranger en nous endettant sur les marchés ce que nos propres chômeurs auraient pu produire… c’est complètement délirant.
Maintenant imaginons que nous reprenions la main sur les instruments adéquats et que nous nationalisions PSA dans un contexte de protectionnisme sur la filière automobile (je sais, c’est
complètement hypothétique à l’heure actuelle). Nous pourrions alors faire une politique de “plein emploi”, c’est à dire embaucher massivement pour produire les voitures que nous achèterions nous
même, sans exiger la rentabilité du privé. On peut même imaginer qu’on ne soit pas complètement socialiste et qu’on ne va pas jusqu’à embaucher des travailleurs qui reçoivent plus qu’ils ne
produisent (via le transfert des plus productifs), c’est à dire en laissant pour le moment de côté les travailleurs les moins productifs.
Dans ce contexte, les classes moyennes payeraient moins d’impôts (allocations chômage en moins)… mais payeraient bien plus cher leurs véhicules et y perdraient au total. De leur côté, les
chômeurs nouvellement employés connaîtront un énorme bon de consommation qu’il faudrait canaliser pour éviter le dérapage des importations (loi de Thirlwall, etc.). Mais si le total de la
consommation augmente avec la production, elle n’est pas répartie de la même manière dans la “pyramide des biens”.
En consommant moins de produits “haut de gamme”, les classes moyennes ne feraient-elles pas ainsi couler les entreprises qui s’occupent de ces produits ? Si des entreprises à forte valeur ajoutée
se font remplacer par des entreprises de biens de consommation courante à faible VA que consomment les nouveaux salariés, finalement n’y perdons y nous pas un peu quelque part ? J’avoue que j’ai
du mal à réfléchir à la question même si je sens que quelque chose m’échappe, tant les problématiques de relance sont complexes… et si tu pouvais m’aider un peu sur cette question ça
serait formidable 😉
On sent la réaction à chaud ! Un peu agacé par la nullité du débat ?
Oui ! Les anglais ont un dicton qui dit “never speak in anger, because you will make the best speech you will ever regret” (jeu de mots difficile à traduire: “ne parlez jamais lorsque vous
êtes en colère, car vous ferez le meilleur discours que vous aurez à regretter”). Mais pour une fois, je me suis accordé ce petit plaisir.
Comme je l’avais noté en commentaire dans un autre article, Montebourg a cet avantage d’avoir l’air prêt à favoriser le producteur au détriment du consommateur.
Au moins, si je crois un ami qui est proche de son cabinet, il a compris le problème. Quant à savoir sidans le contexte actuel il arrivera à en faire quelque chose, j’avoue que j’aurais tendance
à être pessimiste. Cela étant dit, je ne crois pas que les socialistes vont tenir longtemps avec leur discours lénifiant et des cautères sur des jambes en bois.
Quand il y a une réelle atomicité, peut-être. L’industrie automobile est particulière, c’est vrai, car les marges ne sont pas énormes par rapport à d’autres secteurs. Mais avec très peu
d’acteurs sur le marché, ils se combattent plus à coup de marketing aggressif qu’en baissant leurs coûts et ça se voit surtout dans d’autres industries.
C’est précisement le signe qui indique que le marché fonctionne bien. En théorie, dans un marché “pur et parfait” la marge devient nulle.
L’entreprise dans laquelle je travaille fonctionne comme cela et rejoint la critique de Galbraith du nouvel état industriel: elle décide de fixer un prix et l’impose à ses clients.
Point.
Mais cela n’est possible que si elle opère dans un secteur monopolique – soit parce qu’elle est seul fabriquant, soit parce que le produit qu’elle fabrique n’est pas interchangeable – où le
client ne peut aller chercher un meilleur prix ailleurs. Ce n’est pas le cas, loin de là, des fabriquants automobiles.
Maintenant imaginons que nous reprenions la main sur les instruments adéquats et que nous nationalisions PSA dans un contexte de protectionnisme sur la filière automobile (je sais, c’est
complètement hypothétique à l’heure actuelle).
Ne mélangeons pas les problèmes. Pas besoin de “nationaliser” PSA. Un “protectionnisme intelligent” comme je l’avais proposé serait suffisant pour assurer l’équilibre des échanges et
donc que nous produisions exactement autant que nous ne consommons. Et je ne suis pas si pessimiste que toi pour ce qui concerne le protectionnisme. Le fait est qu’il n’y a pas tellement
d’alternatives aujourd’hui. Et comme disait Ben Gourion, “les gouvernements choisissent toujours la solution la plus raisonnable… après avoir essayé toutes les autres”.
Nous pourrions alors faire une politique de “plein emploi”, c’est à dire embaucher massivement pour produire les voitures que nous achèterions nous même, sans exiger la rentabilité du
privé.
Ah… voilà pourquoi vous parliez de “nationalistation”. Mais si, comme vous le dites plus haut, l’industrie automobiles laisse de faibles marges, alors je ne vois pas en quoi “ne pas exiger la
rentabilité du privé” changerait grande chose: cela reviendrait à passer de marges faibles à marges nulles…
Encore une fois, il ne faut pas mélanger les problèmes. On peut proposer des solutions socialistes, mais il faut être conscient que le “grand soir” ce n’est pas pour demain. Il faut donc proposer
des solutions qui puissent être mises en oeuvre dans un cadre capitaliste, du moins si l’on veut être suivi par les couches populaires. Et les “trente glorieuses” ont montré qu’on peut faire des
politiques industrielles avec un fort contenu redistributif sans tout nationaliser. Si tu veux nationaliser, le contrôle du crédit me paraît infiniment plus important que celui de l’industrie
automobile.
En consommant moins de produits “haut de gamme”, les classes moyennes ne feraient-elles pas ainsi couler les entreprises qui s’occupent de ces produits ? Si des entreprises à forte valeur
ajoutée se font remplacer par des entreprises de biens de consommation courante à faible VA que consomment les nouveaux salariés, finalement n’y perdons y nous pas un peu quelque part ?
Le problème ne se pose pas. C’est quoi, les produits “haug de gamme” que consomment nos classes moyennes ? De l’électroménager fait en Malaisie ou en Corée, des voitures allemandes, des écrans
plats made in China. Si les classes moyennes consomment un peu moins, ce ne sont pas les entreprises françaises qui seront les premières à en souffrir… et là, il faut faire un calcul: est ce
que la moindre consommation des classes moyennes serait compensée par le rapatriement des activités ? Je pense que oui: si demain les classes moyennes n’achetaient que des écrans plats faits en
France, même s’ils en achetaient moitié moins qu’aujourd’hui, la filière française y gagnerait!
Par ailleurs, j’insiste sur le fait que pour moi il ne s’agit nullement de réduire les flux d’importation et d’exportation, mais de les équilibrer. Je partage la vision de Ricardo et celle des
“avantages comparatifs”, et je trouve intéressant de pouvoir concentrer la production là où elle est la plus efficiente. Ce serait idiot pour la Hollande de cultiver des oranges en serre chaude
ou pour l’Espagne des asperges en serre réfrigérée. Importer ne me pose pas de problème… à condition qu’on exporte pour la même valeur. J’avais discuté cette question dans mon papier sur le
“protectionnisme intelligent”.
J’avoue que j’ai du mal à réfléchir à la question même si je sens que quelque chose m’échappe, tant les problématiques de relance sont complexes… et si tu pouvais m’aider un peu sur
cette question ça serait formidable 😉
Mais ce serait avec le plus grand plaisir…
Le journal l’Express a trouvé un joli surnom à Hollande, l’hypnotiseur.
Selon la couverture de cette semaine il retarderait les réformes. Je ne dois pas partager les réformes attendues par ce magazine. Mais je partage l’idée que Hollande essaie de gagner du temps.
Il suivra la ligne de moindre résistance.
Je pense à cette citation attribuée à Henri Queille, une des références de F. Hollande :
« Il n’est aucun problème assez urgent en politique qu’une absence de décision ne puisse
résoudre.”
Le journal l’Express a trouvé un joli surnom à Hollande, l’hypnotiseur. Selon la couverture de cette semaine il retarderait les réformes. Je ne dois pas partager les réformes attendues par ce
magazine. Mais je partage l’idée que Hollande essaie de gagner du temps. Il suivra la ligne de moindre résistance.
Oui. Mais il n’y a pas que l’homme, il y a aussi les circonstances. Hollande a beaucoup de défauts, mais il a une qualité: celle de “sentir” les rapports de force et de trouver la “synthèse” qui
empêche les guerres. Sa seule qualité est celle-là: celle de ne pas avoir des idées préconçues, puisqu’il n’a pas d’idées du tout. Je l’imagine plus facilement s’incliner devant la nécessité
qu’un Sarkozy ou un Mitterrand.
Quant à la citation de Queuille, je la connaissais sous une autre forme: “il n’y a pas de problème dont une absence totale de solution n’en finisse pas par venir à bout”. Elle correspond assez
aux premiers pas du président Hollande, avec une autre citation aussi attribuée à Queuille: “la politique ne consiste pas à résoudre les problèmes, mais à faire taire ceux qui les posent”.
Je crois savoir qu’avec le code des marchés publics, au dessus d’un certain montant l’appel d’offre doit
obligatoirement être international (norme imposée par les instances européennes). J’imagine que le STIF n’a pas pu écarter le mieux disant qui était probablement le moins disant.
Le protectionnisme intelligent, avec des échanges commerciaux rationnels et équilibrés, c’est à l’évidence
la seule solution pour sortir du bourbier dans lequel on s’enfonce régulièrement, au final tout les peuples seraient gagnants et la planète aussi.
Mais est-ce que Hollandréou a l’envergure pour impulser ce changement de cap ? Je ne le crois
pas !
Je crois savoir qu’avec le code des marchés publics, au dessus d’un certain montant l’appel d’offre
doit obligatoirement être international (norme imposée par les instances européennes). J’imagine que le STIF n’a pas pu écarter le mieux disant qui était probablement le moins disant.
Bien entendu. Ce n’était pas mon intention de faire le procès du STIF, qui dans l’affaire ne fait
qu’appliquer les règles. Ce sont ces règles – et ce qui les ont faites… – que je voulais critiquer. C’est d’ailleurs le problème avec la gauche: elle déteste les conséquences dont elle chérit
les causes. Quand la directive “marchés publics” est passée à l’UE, ses conséquences étaient prévisibles. Qui a protesté ?
Mais est-ce que Hollandréou a l’envergure pour impulser ce changement de cap ? Je ne le crois
pas !
C’est qui “Hollandréou” ? De grâce, arrêtons avec ce jeu infantile d’inventer des “petits noms” aux
politiques. Ca devient extrêmement fatigant. C’est surtout un petit jeu stupide: Hollande n’a rien àvoir avec Papandréou: ni la situation, ni l’histoire, ni le caractère du personnage ne sont les
mêmes.
Hollande a plus d’envergure qu’on ne le croit. Comme disait le cardinal de Retz, l’homme politique ne
monte jamais aussi haut que lorsqu’il ne sait pas où il va. Hollande a beau ne pas avoir d’idées, il a un talent tactique remarquable. Si la situation l’oblige à agir, on peut lui faire confiance
pour agir avec intelligence. Ou du moins, avec intelligence tactique. Et dans le passé, cela a donné des choses étonnantes…
Au quatrième paragraphe, ce n’est pas la “seconde solution”?
Oui, tout à fait. Et je corrige tout de suite ! Heureusement, que certains lecteurs lisent avec attention… merci encore.
Tu raisonnes un peu simplement… Sans doute que ce n’est pas aussi binaire et que les détournements de fond vers d’autres systèmes plus rentables font bien accepter à Peugeot la baisse de son
action (pour un peu tu nous ferais pleurer sur ces pauvres qui voient leur fortune diminuer de 27€ à 6€ !!!)
Explications :
Les filiales qui composent le Groupe PSA :
Faurecia, le spécialiste en ingénierie et de production d’équipements, dont le chiffre d’affaire a augmenté de 4 milliards en 4 ans.
GEFCO, le groupe de transport et de logistique dont le chiffre d’affaire de 3 milliards aura permis de dégager 223 millions de bénéfices en 2011.
Banque PSA Finance, qui représente 3 % du chiffre d’affaires mais 40 % du résultat opérationnel du groupe PSA en 2011, dont le chiffre d’affaires de 1,8 milliard d’euros a permis de dégager un
résultat opérationnel courant de 507 millions d’euros.
Les sous-filiales d’Assurance de Banque PSA Finance : PSA Services Ltd, PSA Insurance Ltd et PSA Life Insurance Ltd, qui sont domiciliées à Malte, sans aucun rapport bien sûr avec le fait que
Malte soit un paradis fiscal, mais plus simplement parce qu’il y fait souvent un temps superbe et qu’il est fort agréable d’y aller pêcher au large.
Banque PSA Finance a réalisé avec succès une émission obligataire à taux fixe d’un montant de 600 millions d’euros il y a quelques semaines, le 20 juin 2012, opérée avec les banques partenaires
Banca IMI, BNP Paribas, Bank of Tokyo Mitsubishi, HSBC, Unicredit et CM-CIC. Tout semblait aller bien pour Banque PSA Finance, petit poisson courageux parmi les requins de la finance
internationale.
Le PDG Philippe Varin déclarait même dans le document de synthèse en s’auto-congratulant :
« Cette deuxième émission en euros de l’année vient confirmer la capacité de Banque PSA Finance à saisir les opportunités offertes par le marché obligataire et à accéder à la liquidité malgré la
forte volatilité des marchés financiers. »
La famille Peugeot était la première fortune française (4,4 milliards d’euros via une Holding crée en 1929) résidente en Suisse, puisque plusieurs membres s’y étaient installé il y a belle
lurette, non pas pour échapper à l’imposition fiscale française, mais pour la qualité de l’air pur.
Le dirigeant du groupe, Philippe Varin, a été promu officier de la Légion d’honneur le 14 juillet 2011
les salariés les mieux payés du Groupe :
Philippe Varin, Président du Directoire (rémunération 2010 : 3 253 700 €)
Jean-Marc Gales, Direction des marques (rémunération 2010 : 1 266 000 €)
Frédéric Saint-Geours, Direction des Marques (rémunération 2010 : 1 266 000 €)
Guillaume Faury, Directeur Recherche et Développement (rémunération 2010 : 1 266 000 €)
Grégoire Olivier, Directeur Asie (rémunération 2010 : 1 362 820 €)
Aucun de ces salariés hyper-compétents ne sera heureusement impacté par le nettoyage qui va être fait.
Le plan salutaire d’épuration sociale : 1.400 postes vont être supprimés dans la recherche et le développement, ce qui est somme toute logique, et 4400 postes dans la production, ce qui est un
véritable soulagement pour le département « Finances et comment faire du Cash » du Groupe PSA.
Philippe Varin son discours du 15 février 2012 :
« Nous mettons en place un programme soutenu de management du cash : les mesures d’économie de 800 millions d’euros annoncées en octobre dernier sont complétées pour atteindre 1 milliard d’euros.
Par ailleurs, un programme de cessions d’actifs, d’un montant de 1,5 milliard d’euros environ, incluant CITER, est lancé. Il comprend la valorisation d’actifs immobiliers et l’ouverture du
capital de Gefco. Notre situation financière reste robuste et sécurisée. »
Le Groupe PSA continuera à valoriser ses actifs immobiliers, et à ouvrir son capital à d’autres organismes financiers : Groupe NATIXIS AM, Groupe BNP Paribas, Banque Barclays, ou Hedge Fund
Templeton Global Advisors.
C’est la synthèse des résultats financiers 2011 qui nous le dit :
« Banque PSA Finance dispose d’une structure financière solide grâce à un ratio de solvabilité Bâle II supérieur à 14% et d’une sécurité financière, via des lignes de crédit non tirées et une
réserve de liquidité, permettant d’assurer en permanence plus de 6 mois d’activité sans recours à des financements complémentaires ».
Augmenter le taux de rentabilité des actionnaires du Groupe en fabriquant des voitures, je me demande bien qui a pu avoir une idée aussi saugrenue chez PSA.
Tu raisonnes un peu simplement… Sans doute que ce n’est pas aussi binaire et que les détournements de fond vers d’autres systèmes plus rentables font bien accepter à Peugeot la baisse de
son action (pour un peu tu nous ferais pleurer sur ces pauvres qui voient leur fortune diminuer de 27€ à 6€ !!!)
Quand la réalité contredit les préjugés, certains choisissent la réalité, d’autres les préjugés. Quelqu’un avait il y a un an dans la poche des actions qui valaient au cours du marché 27 €. Ce
même quelqu’un a aujourd’hui en poche les mêmes actions, et celles-ci valent 6 €. Ce quelqu’un a donc perdu trois quarts de son patrimoine. L’idée que ce quelqu’un a “détourné desfonds vers
d’autres systèmes plus rentables” n’a ni queue ni tête: comment aurait-il pu “détourner” quoi que ce soit, puisqu’il a toujours l’action en poche ?
Je ne fais “pleurer” sur rien du tout. Je me contente de rappeler un fait qui ne s’accomode pas des explications faciles genre “licenciements boursiers”. Lorsqu’une entreprise licencie et que son
cours s’envole, on déclare que c’est la preuve d’un licenciement boursier. Lorqu’une entreprise licencie et son cours s’effondre… on déduit que le patron a du “détourner des fonds vers d’autres
systèmes plus rentables” et c’est un licenciement boursier quand même. Est-ce que ce raisonnement te paraît rationnel ?
Explications : Les filiales qui composent le Groupe PSA :
On commence mal. Dans un groupe comme l’est PSA, les actionnaires ne possèdent pas les actions des différentes filiales directement. C’est la “holding” – c’est à dire,
de la société-mère, ici PSA – qui, comme son nom l’indique, détient les actions des filiales. La valeur des actions de la “holding” tient donc compte de la valeur des filiales. Certaines filiales
feront de bonnes affaires, et pousseront l’action de la “holding” vers le haut, d’autres feront des pertes et la pousseront vers le bas. Si l’action de la “holding” baisse, les actionnaires
perdent de l’argent, même si telle ou telle filiale fait des résultats mirobolants.
Faurecia, le spécialiste en ingénierie et de production d’équipements, dont le chiffre d’affaire a augmenté de 4 milliards en 4
ans.
GEFCO, le groupe de transport et de logistique dont le chiffre d’affaire de 3 milliards aura permis de dégager 223 millions de bénéfices en 2011.
Banque PSA Finance, qui représente 3 % du chiffre d’affaires mais 40 % du résultat opérationnel du groupe PSA en 2011, dont le chiffre d’affaires de 1,8 milliard d’euros a permis de dégager un
résultat opérationnel courant de 507 millions d’euros.
Et alors ? Quand on consolide tout ça, c’est à dire, quand on ajoute les bénéfices de l’une des filiales et les pertes des autres, cela
donne quoi ? Et bien, cela donne des grosses pertes, et une anticipation de pertes encore plus grosses. C’est pour cela que l’action PSA a perdu trois quarts de sa valeur. C’est pourquoi le fait
que Faurecia ou que Banque PSA fassent des bonnes affaires ne change rien au résultat final.
J’ajoute que tu confonds allègrement dans ton long exposé les augmentations de chiffre d’affaire avec les réslutats opérationnels. Le
fait que Faurecia augmente son chiffre d’affaires n’indique pas nécessairement qu’il soit en bonne santé. Lorsqu’une entreprise a une marge négative, l’augmentation du chiffre d’affaire ne fait
qu’augmenter les pertes…
Les sous-filiales d’Assurance de Banque PSA Finance : PSA Services Ltd, PSA Insurance Ltd et PSA Life Insurance Ltd, qui sont
domiciliées à Malte, sans aucun rapport bien sûr avec le fait que Malte soit un paradis fiscal, mais plus simplement parce qu’il y fait souvent un temps superbe et qu’il est fort agréable d’y
aller pêcher au large.
Quel rapport ? Tu voulais “expliquer” que les Peugeot ont “accepté la baisse de leur action” parce qu’ils ont “détourné des fonds vers
des systèmes plus rentables”. En quoi le fait de domicilier une filiale à Malte “explique” quoi que ce soit dans ce domaine ? Je veux bien admettre que si la filiale était domiciliée en France
les Peugeot auraient perdu encore plus d’argent. Et alors ?
Le PDG Philippe Varin déclarait même dans le document de synthèse en s’auto-congratulant : « Cette deuxième émission en euros de
l’année vient confirmer la capacité de Banque PSA Finance à saisir les opportunités offertes par le marché obligataire et à accéder à la liquidité malgré la forte volatilité des marchés
financiers. »
Et alors ? Je de plus en plus de mal à suivre ton raisonnement. La Banque PSA Finance, filiale du groupe PSA qui se spécialise dans le
crédit à l’automobile (c’est elle qui fournit le crédit aux acheteurs de voitures Peugeot) est en bonne santé. Cela veut dire qu’elle prête à des clients solvables qui payent ponctuellement leurs
traites. Et lorsque la banque va sur les marchés chercher de l’argent, les investisseurs ont confiance dans le fait que la banque prête intelligement et que les clients continueront à payer. Quel
rapport avec l’état de santé global du groupe PSA ou avec la fortune des Peugeot ?
La famille Peugeot était la première fortune française (4,4 milliards d’euros via une Holding crée en 1929)
Si elle “était”, c’est qu’elle a cessé d’être. Précisement mon point. Ou sont donc ces “systèmes plus rentables” censés compenser la perte de valeur de l’action PSA ?
résidente en Suisse, puisque plusieurs membres s’y étaient installé il y a belle lurette, non pas pour échapper à l’imposition
fiscale française, mais pour la qualité de l’air pur.
Oui, on le sait, les Peugeot sont des gens très méchants. En attendant, le fait qu’ils ont perdu les trois quarts de leur fortune en un
an est il vrai ou pas ? C’est sur cela que portait mon commentaire, et non sur la moralité fiscale de la famille Peugeot.
Augmenter le taux de rentabilité des actionnaires du Groupe en fabriquant des voitures, je me demande bien qui a pu avoir une idée
aussi saugrenue chez PSA.
Tu oublies que les activités financières de Peugeot sont
essentiellement liées au crédit à l’automobile. Sans fabrication de voitures, point de bénéfices bancaires. Mais surtout,
il faut se dire que sauf à sortir du capitalisme – et ce n’est pas pour tout de suite – si le capital ne gagne pas de l’argent en fabriquant des voitures en France, on n’en fabriquera plus.
Croire que des détenteurs de capitaux vont investir à perte, c’est se bercer de douces illusions. Alors, qu’est ce qu’on fait ?
Bonjour,
Je comprends bien depuis plusieurs semaines tes arguments contre “les classes moyennes consommatrices au détriment de l’emploi des ouvriers” mais la manière dont tu en parles me semble un peu
trop catégorique. Au regard des données de l’histoire économique des 30 dernières années (et même un peu avant) c’est quand même les élites européennes et en premier lieu
socialistes qui ont impulsé le décloisement , la désintermédiation et la déréglementation au niveau de la finance et ouvert la boîte de Pandore libre-échangiste. La question que je te pose est
quelle responsabilité réelle imputes-tu aux “classes moyennes” ?
Dans une certaine logique il est justement logique que le consommateur cherche le produit le moins cher. Maintenant si je te comprend bien (et dis-moi si je me trompe) tu reproches aux classes
moyennes de voter pour la reproduction de leur bien-être matériel au détriment de l’emploi industriel français et donc la disparition d’emplois. Le raisonnement a du poids mais
es-tu sûr que les classes moyennes ont conscience de ça ? Je veux dire que selon moi ça commence tout juste à émerger. Mais à l’inverse je partage largement ta position, car il suffit
effectivement de voir le résultat qu’a fait Montebourg aux primaires (j’ai voté pour lui), celui de Dupont-Aignan aux présidentielles et comprendre que les électeurs de “gauche” sont ceux étudiés
(et voulus ?) par Terra Nova…On veut l’Ipad et l’Iphone pour pas cher et en même temps voir son pouvoir d’achat monter mais dans un cadre libre-échangiste….
Si ton raisonnement de fond est celui-là alors je le partage entièrement sans pour non plus omettre l’écrasante responsabilité des élites du pays. Il y a une bonne sociologie de la disparition ou
plutôt de la marginalisation de “l’homme d’Etat” celui d’après guerre, de l’économie mixte, de l’intérêt supérieur du pays…C’est un point qu’il ne faut pas mettre de côté car il a autant si ce
n’est plus de poids que celui du raisonnement court-termiste des classes moyennes. Disons que nous avons là un beau marteau et une belle enclume.
A lire Galbraith ou Kindelberger on n’est pas étonné de voir l’effondrement du “monde de la finance” et ceci ne se fait jamais à petit bruit mais systématiquement à grand fracas.
Or les résistances institutionnelles sont là et malgré cinq années de crise, peu de choses avancent…A quand la crise du régime libre-échangisme manufacturier ? D’ailleurs n’est-ce pas déjà un
peu le cas selon toi ?
Au regard des données de l’histoire économique des 30 dernières années (et même un peu avant) c’est quand même les élites européennes et en premier lieu socialistes qui ont
impulsé le décloisement , la désintermédiation et la déréglementation au niveau de la finance et ouvert la boîte de Pandore libre-échangiste. La question que je te pose est quelle responsabilité
réelle imputes-tu aux “classes moyennes” ?
De quelles “élites” parlons nous ? S’il s’agit des élites gouvernantes, elles sont pour une majorité issues des classes moyennes. Ni Mitterrand, ni Delors, ni Beregovoy n’étaient des grands
bourgeois que je sache. Thatcher était fille d’épicier sans fortune personnelle. Mais surtout, ces élites gouvernantes ont été élues au pouvoir par des coalitions dans lesquelles les classes
moyennes jouaient un rôle déterminant. Ce n’est pas pour rien si les élites socialistes et social-démocrates ont joué là dedans un si grand rôle.
Je ne parlerais pas d’une “responsabilité” des classes moyennes au sens où les classes n’ont pas à leur tête un directoire qui prend des décisions et peut être tenu “responsable” de celles-ci.
Mais je pense que les classes moyennes ont défendu leurs intérêts et dans une alliance avec la bourgeoisie pesé d’un poids déterminant pour faire pencher la balance du côté néo-libéral.
Dans une certaine logique il est justement logique que le consommateur cherche le produit le moins cher. Maintenant si je te comprend bien (et dis-moi si je me trompe) tu reproches aux
classes moyennes de voter pour la reproduction de leur bien-être matériel au détriment de l’emploi industriel français et donc la disparition d’emplois. Le raisonnement a du
poids mais es-tu sûr que les classes moyennes ont conscience de ça ?
Tu m’as bien compris. Que le consommateur cherche et achète le produit moins cher, c’est un comportement normal d’homo economicus. Mais qu’il cherche à changer les règles de marché de manière à
ce que les prix soient le plus bas possibles, cela excède le comportement économique et nous fait rentrer dans le champ politique.
Quant à la “conscience” que les classes moyennes peuvent avoir, toute classe génère un discours idéologique qui permet à ses membres de justifier leur action au nom de l’intérêt général. Ce
discours a plusieurs variantes, qui vont du discours économique pure (“c’est la consommation des classes moyennes qui donne du travail aux couches populaires”) au discours écolo-compassionnel de
la “décroissance” et des “restaurants du coeur”. Ce qui n’empêche qu’au niveau individuel on puisse avoir conscience du rôle néfaste de sa propre classe. Après tout, les critiques les plus
implacables du rôle des classes moyennes sont eux aussi issus de ces mêmes couches…
On veut l’Ipad et l’Iphone pour pas cher et en même temps voir son pouvoir d’achat monter mais dans un cadre libre-échangiste….
Exactement. Et pendant trente ans cela a marché parce qu’on a sacrifié les couches populaires pour que le pouvoir d’achat des classes moyennes continue à monter. Aujourd’hui, on atteint les
limites du modèle: on ne peut plus sacrifier les pauvres sans menacer dangereusement la cohésion sociale. Pour reprendre une image que j’avais utilisé dans un papier sur ce blog, les classes
moyennes ont jeté tous les autres au crocodile avec l’espoir d’être mangés en dernier. Maintenant, le crocodile a faim et il n’y a personne à lui jeter…
Si ton raisonnement de fond est celui-là alors je le partage entièrement sans pour non plus omettre l’écrasante responsabilité des élites du pays.
Cela dépend de ce que tu appelles “élites”. Le terme est tellement vague qu’il me semble utile de le préciser. S’agit-il des élites culturelles, des peintres, des écrivains, des artistes ?
S’agit-il des élites administratives, énarques et hauts fonctionnaires ? S’agit-il des élus ? Des détenteurs du capital ? Des universitaires ?
Votre jugement pose une question intéressante (et qui me donne une idée pour un futur papier…): quel est le devoir des élites – et je pense ici surtout aux élites administratives et politiques
? Doivent-elles faire ce que veut le peuple, comme le demanderait une vision plus “démocratique” ? Ou ont elles le devoir de chercher à éduquer le peuple et à le pousser vers les décisions les
plus rationnelles ? Si on se place dans la première hypothèse, on ne peut reprocher aux “élites” d’avoir fait ce que le peuple a voulu – et manifesté lors de plusieurs élections et un référendum.
Pourquoi se seraient-ils opposés à Maastricht, puisque le peuple l’a voulu ? Evidement, j’ai – et je crois que vous aussi, dites moi si je me trompe – une vision plus exigeante de “l’élite”:
celle-ci ne peut justifier ses privilèges si elle ne s’impose aussi des devoirs, et en particulier celui d’éclairer le peuple dans ses décisions.
Il y a une bonne sociologie de la disparition ou plutôt de la marginalisation de “l’homme d’Etat” celui d’après guerre, de l’économie mixte, de l’intérêt supérieur du pays…
Plus que de “l’homme d’Etat”, qui a toujours été rare, nous assistons à la marginalisation du “grand commis de l’Etat”, c’est à dire, du haut fonctionnaire désintéressé qui agissait au nom de la
rationnalité technique et en qui le peuple avait confiance – peut-être plus que dans l’élu – pour résoudre les problèmes de long terme. Lorsqu’on s’intéresse à l’histoire de la construction de
notre pays, on se trouve très vite nez à nez avec des personnages aujourd’hui presque oubliés, qui ont fait preuve de trésors d’ingéniosité et d’un travail acharné pour construire les
infrastructures que nous utilisons tous les jours… et qui n’en ont retiré que la satisfaction morale et une paye de fonctionnaire. Qui se souvient aujord’hui – sans l’aide de wikipédia,
s’entend – de Raoul Dautry, de Paul Delouvrier, de Michel Pecqueur, de Pierre Guillaumat, de Gérard Théry… et de tant d’autres qui ont fait bien plus pour les français – pour une récompense
bien moindre – que beaucoup de personnages qui encombrent nos petits écrans…
A quand la crise du régime libre-échangisme manufacturier ? D’ailleurs n’est-ce pas déjà un peu le cas selon toi ?
Je pense que cette crise a commencé. La reprise en main de la politique européenne par les états, avec un effacement quasi-total de la commission européenne, la montée très visible d’un sentiment
national – et de la nation conçue comme dernier rempart pour protéger les gens – ne sont pas rien. Des “importants” commencent à parler de sortie de l’Euro, de politique industrielle et de
protectionnisme alors que jusqu’à il y a quelques mois ces mots étaient tabous. Sur une question aussi vitale que l’énergie, la commission européenne a marqué ces derniers temps une inflexion
capitale sur la question du “grand marché”. La glace craque, mais elle ne s’est pas encore rompue…
M. Descartes, vous n’avez pas besoin, pour dénoncer la responsabilité évidente des classes moyennes et de leurs représentants dans la désindustrialisation de notre pays, de la leur mettre
entièrement sur le dos. Il est évident que les capitalistes ont, de leur côté, tout avantage à délocaliser dans certaines régions, où le taux d’exploitation de la main d’oeuvre est tout
simplement plus élevé qu’en France. Le MEDEF ne milite-t-il pas d’ailleurs activement pour le libre échange et la mondialisation, au point que sa présidente a jugé bon de se fendre d’un ouvrage
contre le Front National ?
Du reste, je vous signale qu’en l’espèce, l’entreprise A, Renault, a bien délocalisé la première. Or je ne sache pas que le capital de Renault soit détenu par des associations de défense des
consommateurs des classes moyennes…
M. Descartes, vous n’avez pas besoin, pour dénoncer la responsabilité évidente des classes moyennes et de leurs représentants dans la désindustrialisation de notre pays, de la leur mettre
entièrement sur le dos. Il est évident que les capitalistes ont, de leur côté, tout avantage à délocaliser dans certaines régions, où le taux d’exploitation de la main d’oeuvre est tout
simplement plus élevé qu’en France.
Et bien, je pense que cette idée est une idée reçue. Evidemment, dans ses rapports avec ses concurrents, une entreprise a intérêt à aller chercher sa force de travail là où elle est moins chère.
Mais ce raisonnement, pour les raisons que j’ai expliqué, ne se généralise pas aux “capitalistes” comme classe: lorsqu’une entreprise délocalise, elle récupère de la
compétitivité et des marges par rapport à ses concurrents. Mais dès lors que toutes les entreprises font la même chose, l’avantage compétitif s’annule et les marges retombent à
leur valeur initiale.
Les capitalistes – en tant que classe – ont-ils vraiment intérêt à la délocalisation ? C’est très discutable. Après tout, certaines industries non-délocalisables laissent des marges de profit
bien plus importantes que les industries délocalisables, et cela malgré les coûts salariaux et fiscaux supérieurs: c’est le cas par exemple des industries de l’armement…
Ce n’est d’ailleurs pas le seul exemple où l’intérêt individuel du capitaliste s’oppose à l’intérêt collectif du capitalisme comme classe. Au début de la révolution industrielle, les patrons ont
constaté que les travailleurs étaient plus productifs si on leur laissait un jour de repos hebdomadaire. Mais aucun patron n’osait donner ce jour de peur de devenir moins compétitif que ses
concurrents sur le court terme. Il a fallu qu’une institution éxtérieure – l’église protestante – sacralise le dimanche pour que les patrons puissent finalement accorder le dimanche sans crainte
de se faire “tourner” par leurs concurrents. La question du protectionnisme est similaire: si une autorité extérieure imposait des contraintes protectionnistes, les patrons ne seraient pas
forcément contre… à condition qu’elles soient imposées à leurs concurrents en même temps.
Le MEDEF ne milite-t-il pas d’ailleurs activement pour le libre échange et la mondialisation, au point que sa présidente a jugé bon de se fendre d’un ouvrage contre le Front National ?
Certainement. Mais pour une raison différente. Dans les équilibres de pouvoir internes du MEDEF, les industries qui travaillent pour l’export ont un grand poids. Ces entreprises sont vulnérables
parce que les mesures protectionnistes peuvent enclencher des mesures de même nature à l’étranger. Par ailleurs, lorsqu’on travaille essentiellement à l’export les contraintes que le gouvernement
français peut imposer ne s’appliquent pas, sur les marchés tiers, aux concurrents.
Du reste, je vous signale qu’en l’espèce, l’entreprise A, Renault, a bien délocalisé la première. Or je ne sache pas que le capital de Renault soit détenu par des associations de défense des
consommateurs des classes moyennes…
Certes. Mais ce sont les classes moyennes qui achètent les voitures, et elles veulent des voitures bon marché, même si pour cela elles doivent être fabriquées en Roumanie. Les actionnaires sont
bien obligés de suivre le client… et s’ils ne le font pas, il leur arrive ce qui est en train d’arriver à Peugeot. D’une certaine manière, le client a bien plus de pouvoir que les
actionnaires…
Ce sont les consommateurs, qui en exigeant les prix les plus
bas quelqu’en soit le coût social, obligent l’industrie à aller chercher les bas salaires
le cas des centres d’appels ou hotline est très intéressant. Il y a quelques années quand le gouvernement a proposé la gratuité de l’appel au SAV pour tout ce qui concernait la facturation du
service auquel on a souscrit j’était très content. Je me suis dit alors que les entreprises ainsi arrêteraient de traitre les consommateurs, surtout si ceux-ci ont un faible pouvoir
d’achat.
Hélas la gratuité n’existe pas. Soit l’entreprise intègre le coût du centre d’appel téléphonique dans le prix du service soit elle délocalise le centre d’appel pour chercher des coûts encore plus
faibles. D’ailleurs elle peut très bien faire les deux simultanément.
Mais cela n’est possible que si elle opère dans un secteur monopolique – soit parce qu’elle est seul fabriquant, soit parce que le produit qu’elle fabrique n’est pas interchangeable – où le
client ne peut aller chercher un meilleur prix ailleurs. Ce n’est pas le cas, loin de là, des fabriquants automobiles.
Point très important ici, et je crois que je me suis aussi un peu mal exprimé. Je pense que le critère classique d’homogénéité du marché dont tu parles est en fait plutôt réducteur. A mon sens,
j’imagine la chose plutôt comme une courbe “en fuseau”, comme peut l’être un diagramme de phase solide-liquide. C’est à dire que l’homogénéité ne représente pas forcément une réalité
indépendante. Elle est plus ou moins mise en valeur selon le cadre dans laquelle elle s’exerce, et ce cadre dépend du prix du produit en fonction de sa nécessité dans la vie courante.
Je ne vais pas m’étaler sur le sujet aussi je vais tenter de donner deux exemples en parcourant la courbe. Prenons une voiture vu que c’était le sujet. Une voiture est a) nécessaire (évidemment
ce critère est très fluctuant également) et b) possède un prix assez élevé. Dans ce cadre, le marché fonctionne convenablement et, globalement, une Renaut et une Peugeot sont plus ou moins
équivalentes pour le consommateur qui va se tourner vers la moins cher. Si les voitures coûtaient beaucoup moins, l’homogénéité n’existerait plus: vu que les écarts de prix ne représentent pas
plusieurs salaires, autant se tourner vers X et Y qui ne sont plus homogènes. Lorsque le prix devient extrêmement élevé, alors on ne regarde de manière identique plus que les marques qui se
“redifférencient”.
Dans le cadre de mon entreprise, il s’agit de produits qu’on met dans le panier très fréquemment sans même trop y penser. S’ils étaient plus chers, alors le consommateur considérerait tous les
produit du marché comme équivalents. La différenciation de deux articles ne se justifie pas étant donné leur écart de prix relativement à leur utilité. Le critère d’homogénéité pour ce marché
serait satisfait. Encore plus cher et le produit serait abandonné, seuls ceux qui ont les moyens pour acheter le produit le ferait et ne le ferait alors que pour une marque donnée. Vu notre
position sur le secteur, il vaut donc bien mieux dépenser des fortunes délirantes en marketing pour donner l’illusion de la différenciation… et ainsi, nous nous retrouvons dans un “monopole
fictif” dans lequel nous pouvons fixer nos propres prix. Et si ça ne prend pas, on retire le produit. Jamais il n’y a d’ajustement en fonction du marché.
Pas besoin de “nationaliser” PSA. Un “protectionnisme intelligent” comme je l’avais proposé serait suffisant
Je prenais l’exemple de la nationalisation vis à vis de ma question finale, mais tu as raison, le choix n’était pas bon. Cela dit, je ne pense pas que la nationalisation de grandes entreprises
soit si irréaliste que ça. Après tout, Renaut n’est privatisé depuis même pas 20 ans…
Pour le marché auto, l’homogénéité est peut-être réelle. Mais que dire de l’atomicité ? Les frais d’investissements dans l’industrie auto sont colossaux. Peut-être que c’est là que l’Etat doit
jouer. Pour moi, pas de protectionnisme sans stratégie industrielle, ça va “avec” si on va être cohérents et attendre de bons résultats.
Je pense que oui: si demain les classes moyennes n’achetaient que des écrans plats faits en France, même s’ils en achetaient moitié moins qu’aujourd’hui, la filière française y
gagnerait!
Ah, toute ma question était là ! 😉 Je ne sais pas vraiment. Malgré notre grand déficit commercial, nous ne sommes pas une économie complètement ouverte en terme d’intensité des flux. Dans les
faits, une grande partie de ce que nous produisons est consommé sur place. J’imagine que dans le lot il doit bien y avoir quelques entreprises d’électroménager ou d’écrans plats qui feraient
faillite…
Par ailleurs, j’insiste sur le fait que pour moi il ne s’agit nullement de réduire les flux d’importation et d’exportation, mais de les équilibrer
Bien entendu, et les exemples que tu donnes sont pertinents. L’autarcie est évidemment à exclure, en revanche il faut viser l’indépendance. Même avec une balance commerciale à l’équilibre, il
n’est pas souhaitable d’être tributaire de certaines importations. Dans mon commentaire, je précisais simplement que si on produit beaucoup plus, il faut soit exporter beaucoup plus, soit
importer – relativement – beaucoup moins…
Ces entreprises sont vulnérables parce que les mesures protectionnistes peuvent enclencher des mesures de même nature à l’étranger.
Je reprend cette réponse que tu fais à dsk. Je ne suis pas d’accord. Mettons nous à la place du pays étranger: mais quel intérêt aurait-il à fausser sa concurrencer et défavoriser un pays en
fonction des autres par des mesures de rétorsions, le faisant de facto payer plus cher ses importations ? Si un pays prend des mesures protectionnistes globales, ça ne veut pas dire que de pays à
pays on ne pourra plus avoir d’excédents par rapport à lui. Pourquoi aller saboter un marché qui rapporte ? Par pure vengeance ? Non…
D’ailleurs, l’expérience le prouve. Régulièrement les USA prennent des mesures protectionnistes sur des secteurs très particuliers et on ne voit pas poindre le nez de mesures de rétorsions. De
même, dans les années 30 la chute de la production a précédé l’effondrement du commerce international et non pas l’inverse.
Le problème, c’est que si effectivement le protectionnisme peut entraîner des émules chez les pays excédentaires qui veulent conserver leurs excédents, ce serait rapidemment la course à
l’échalotte jusqu’à l’autarcie. Je pense que les pays exécentaires ont le plus à y perdre et donc ne suivraient pas.
C’est à dire que l’homogénéité ne représente pas forcément une réalité indépendante. Elle est plus ou moins mise en valeur selon le cadre dans laquelle elle s’exerce, et ce cadre dépend du
prix du produit en fonction de sa nécessité dans la vie courante.
C’est plutôt l’inverse: c’est lorsque le produit n’est pas “homogène” qu’on peut le vendre bien au delà de son coût de fabrication. Il est vrai qu’on peut “mettre en valeur” un produit – alors
même qu’il est homogène – mais il y a tout de même des limites: on aime porter un “lacoste” ou un “vuitton”, mais les gens portent rarement des pin’s disant “l’ électricité chez Direct Energy,
c’est classe”
Si les voitures coûtaient beaucoup moins, l’homogénéité n’existerait plus: vu que les écarts de prix ne représentent pas plusieurs salaires, autant se tourner vers X et Y qui ne sont plus
homogènes. Lorsque le prix devient extrêmement élevé, alors on ne regarde de manière identique plus que les marques qui se “redifférencient”.
Je ne comprends rien. En quoi le prix joue un rôle sur la question de “l’homogénéité” ? Il y a des produits relativement bon marché qui ne sont pas interchangeables (prenez le cas des produits où
l’on vend “la marque”) alors que certains produits très chers sont parfaitement homogènes (les pierres précieuses). Je crois que vous confondez deux choses différentes: l’homogénéité du produit
et son attractivité. Lorsqu’un produit est homogène, le prix joue le rôle essentiel dans le choix du client. Mais cela n’a rien à voir avec l’homogénéité réelle du produit. L’or ou l’électricité
sont des produits homogènes, bien que l’un soit très cher et l’autre très bon marché.
Cela dit, je ne pense pas que la nationalisation de grandes entreprises soit si irréaliste que ça. Après tout, Renaut n’est privatisé depuis même pas 20 ans…
Certes, mais il a été nationalisée il y a 70 ans. Et dans un contexte très particulier. La dernière grande opération de nationalisation, celle de 1981, fut désastreuse parce qu’elle se fit dans
un contexte complètement contraire à toute politique industrielle. A quoi bon nationaliser si c’est pour faire tourner l’entreprise comme une entreprise privée ?
Pour le marché auto, l’homogénéité est peut-être réelle. Mais que dire de l’atomicité ? Les frais d’investissements dans l’industrie auto sont colossaux.
Là encore, tu confonds deux choses: l’atomicité du marché et l’inexistence des barrières à l’entrée. Si les deux critères sont nécessaires pour qu’un marché soit “pur et parfait”, ils ne se
confondent pas. Etant donné le grand nombre d’intervenants, on peut dire que le marché automobile aujourd’hui est “atomique” même si les barrières à l’entrée sont importantes.
Pour moi, pas de protectionnisme sans stratégie industrielle, ça va “avec” si on va être cohérents et attendre de bons résultats.
Tout à fait. Le protectionnisme est un outil, pas une fin en soi. Et un outil ne sert à rien si l’on ne sait pas ce qu’on veut construire.
J’imagine que dans le lot il doit bien y avoir quelques entreprises d’électroménager ou d’écrans plats qui feraient faillite…
J’en doute fortement. Sur ces domaines, notre commerce extérieur est très largement déficitaire. On ne fabrique pratiquement pas d’écrans plats grand public en France.
L’affaire n’est-elle pas symboliquement considérable sur le plan politique? Un haut dirigeant socialiste délocalise, nos impôts servent à délocalisr…
Nous avions parlé de Montebourg. Refuser un poste de ministre inutile à quarante aurait été faire preuve de lucidité et d’ambition pour l’avenir.
L’affaire n’est-elle pas symboliquement considérable sur le plan politique? Un haut dirigeant socialiste délocalise, nos impôts servent à délocalisr…
Sauf que cet “haut dirigeant socialiste” ne fait qu’appliquer les règles que les gouvernements de gauche comme de droite – y compris celui de Jospin, vous savez, celui où Marie-George Buffet et
Jean-Luc Mélenchon étaient ministres – ont depuis trente ans accepté à Bruxelles. Qu’est ce que vous voudriez ? Que les “hauts dirigenats socialistes” n’appliquent pas les lois votées par le
Parlement ?
Nous avions parlé de Montebourg. Refuser un poste de ministre inutile à quarante aurait été faire preuve de lucidité et d’ambition pour l’avenir.
Personnellement, je prefère ceux qui acceptent un minstère, se battent tant qu’ils peuvent et quand on leur donne tort, démissionnent. Je trouve que c’est nettement plus responsable, d’un point
de vue politique.
Bonjour à vous,
“Pour reprendre une image que j’avais utilisé dans un papier sur ce blog, les classes moyennes ont jeté tous les autres au crocodile avec l’espoir d’être mangés en dernier. Maintenant, le
crocodile a faim et il n’y a personne à lui jeter…” Mais qui est ce crocodile? Peut-être une question naive ou simplement..simplète!
Mais qui est ce crocodile? Peut-être une question naive ou simplement..simplète!
Je sais bien ce que vous aimeriez me voir répondre, petit canaillou… mais non, ce n’est pas le capitalisme, pas plus que ce n’est “la grande bourgeoisie”… en fait, ce n’est pas moi qui a
inventé la formule. Ce fut je crois Churchill, qui l’avait utilisé pour décrire les “munichois”, ceux qui dans l’establishment politique britannique de l’époque étaient favorables à une politique
d’entente avec Hitler. Sa formule exacte est “les munichois sont comme ces gens qui jettent leurs amis au crocodile avec l’espoir d’être mangés en dernier”…
Lorsque j’ai repris l’image, je n’ai pas réflechi pour savoir qui pouvait être le crocodile. Si tu y tiens, je proposerais la pauvrété.
Par élites j’entends les hautes administrations. Des gens qui jadis auraient travailler au Commissariat au Plan et qui maintenant donnent l’impression d’oeuvre pour la Comission européenne… Et
oui, c’est de la marginalisation du commis d’état dont je voulais parler. Preuve en est les noms que tu as cité je ne les connais pas.
Maintenant sur le rôle des élites…Je crois que fondamentalement c’est une question d’ordre philosophique, plus précisément, je pense qu’il ne peut y avoir d’élites s’il n’y a
pas de cynisme. En effet, Nietzche avait bien décrit le problème de la délégation de pouvoir et Max Weber bien problématisé les risques qu’il y a à une excessive professionnalisation des hommes
politiques et ajouterons-nous des corps d’Etat. Pas d’élites sans cynisme car il faut accepter ou non ce principe de délégation et ceci dans diverses circonstances. La direction d’un pays de
soixante millions d’individus peut-elle se faire sans centralisation, délégation, structures sociales pyramidales qui malheureusement ont une dérive quasi endogène à la reproduction ? Un
anarchiste dirait que oui mais il me semble que l’esprit libertaire a un obstacle de poids qu’il critique magnifiquement mais qu’il est de fait incapable de “dépasser” : les structures
mais leur nécessaire présence pour pouvoir mettre en oeuvre une idée, des principes etc etc. Voilà pour moi le premier principe cynique. Qu’une minorité d’hommes qui a priori
n’ont rien de plus que d’autres ait tout de même le pouvoir de gouverner autrui et d’imposer leurs idées. Vient donc la question de la légitimité.
Le problème c’est que “là haut”, c’est la fin justifie les moyens. Rien de répréhensible en soi mais tout de même…la lecture de Bloch sur “L’étrange défaite” est cinglante et ce que font nos
dirigeants depuis 30 ans c’est loin, très loin d’être glorieux.La question est: quand les élites divaguent que peut ou doit faire le peuple ? Je ne sais pas si tu irais aussi loin que moi, mais
nous assistons quand même à toute une série de blocages institutionnels de premier ordre : UMP, centre & PS sont européistes, libre-échangistes, donc à l’Assemblée et au Sénat, excepté de
bons rapports pondus ici et là, ce n’est pas de là que viendra l’impulsion. De même pour les syndicats, CGT et CFDT, strictement incapables de dire un mot sur l’euro, l’union européenne sinon en
appeler à “plus d’Europe”. Les médias n’en parlont pas c’est lamentable et pour être gentil disons qu’il y a tout à jeter de A à W. Alors est-ce l’impasse ? Dans le cas bien précis de la
configuration d’aujourd’hui, j’aurais tendance à penser -et ce sera mon deuxième point cynique- que les déblocages viendront malheureusement soit d’élites marginalisées qui par prise de
conscience des classes moyennes accèderont au pouvoir, ou alors du retournement de veste de gens comme Copé, Cambadélis etc (je les cite au hasard) sous le poids de la situation. Ce sera
peut-être même le PS…mais ne rêvons pas.
Donc premier principe cynique, la nécessaire présence d’élites dirigeantes pour incarner une idée de vie collective mais qui sociologiquement et historiquement ont toujours été minoritaires. Le
second point cynique est que malheureusement quand les élites dirigeantes n’ont plus aucune force de rappel mis à part la situation insurectionnelle, le changement ne peut venir que d’autres
élites. C’est le degré de réalisme auquel je peux m’adjoindre mais sans oublier une chose : d’un point de vue anthropologique, l’espèce humaine a généré beaucoup d’invariants dans la distribution
et l’exercice du pouvoir depuis son apparition mais il ne faut pas également omettre qu’il y a toujours eu des groupes de dissidence, des possibilités d’alternative et que l’on
ne peut pas simplement mépriser des choses complètement inimaginables aujourd’hui comme la Commune de Paris ou la force ouvrière en Catalogne. Il ne sert à rien de les glorifier comme tant de
gauchistes le font mais respecter l’essai et regarder à quel point il est extrêmement difficile à transformer.
Pour ma part j’accorde donc une limite à l’idée d’élites dirigeantes plus à même de guider le peuple vers des décisions plus rationnelles tout simplement parce que les élites peuvent se planter
de manière assez spectaculaire. Je pense qu’il nous faut des élites mais accorder beaucoup plus de place à la critique des élites de manière institutionnelle (et pas seulement
médiatique comme c’est le cas) c’est à dire de contenir au mieux le modus operandi de toute structure sociale: la sclérose de son imagination et son enfermement autistique. Le premier exemple qui
me vient en tête tient justement à l’économie de voir en à peine dix ans comment le conseil d’analyse économique a évolué. Donc dans un certain sens “plus” de démocratie. Mais je ne la vois pas
nécessairement plus participative. cela mérite discussion.
ps : je pense au conseil d’analyse économique car sous les dernières présidences (y compris celle-ci) c’était caricatural. le CAE pourrait-il pondre un aussi bon rapport que celui-ci ?
http://www.cae.gouv.fr/IMG/pdf/050.pdf
Et oui, c’est de la marginalisation du commis d’état dont je voulais parler. Preuve en est les noms que tu as cité je ne les connais pas.
Raoul Dautry fut l’un des bâtisseurs de la SNCF. Ministre de l’armement pendant la “drôle de guerre”, il a fait son possible pour équiper l’armée française. Après la guerre, il sera l’un des
pères du programme nucléaire français et co-fondateur avec Fréderic Jolliot-Curie Commissariat à l’Energie Atomique. Pierre Guillaumat fut l’un des pères de la bombe atomique
française et de son industrie pétrolière avec son complice Michel Pecqueur. Gerard Théry fut le père du “plan télécom” et du Minitel. Paul Delouvrier celui du RER, des “villes nouvelles” et du
TGV.
Que de tels hommes soient aujourd’hui inconnus alors que tout le monde connaît l’oeuvre d’un Coluche ou d’un Badinter est une bonne illustration de l’inversion des valeurs.
Pas d’élites sans cynisme car il faut accepter ou non ce principe de délégation et ceci dans diverses circonstances.
Tout à fait. Je dirais même qu’il serait impossible d’avoir une politique sans cynisme. Tout régime politique sans cynisme devient fatalement une théocratie. Imagine-toi ce que serait un monde ou
les dirigeants ne seraient pas capables de prendre un minimum de distance par rapport à leur rôle…
Je ne sais pas si ta référence au “cynisme” des élites se veut négative, ou si au contraire tu le prends dans le sens d’une simple caractéristique. Personnellement, je dois dire que je tends à
apprécier le cynisme plutôt comme une qualité. Et je préfère de loin le cynique au croyant…
La direction d’un pays de soixante millions d’individus peut-elle se faire sans centralisation, délégation, structures sociales pyramidales qui malheureusement ont une dérive quasi endogène à
la reproduction ?
Pour moi, la question n’est pas seulement de savoir si la direction “peut-elle” se faire différement, mais ausside savoir si on y gagnerait à faire différement. Je pense que les dérives de la
démocratie directe ou “participative” sont bien plus dangereuses que celles d’un régime représentatif et hiérarchisé. Tu devrais lire “La ferme des animaux”, d’Orwell…
Voilà pour moi le premier principe cynique. Qu’une minorité d’hommes qui a priori n’ont rien de plus que d’autres ait tout de même le pouvoir de gouverner autrui et d’imposer leurs
idées.
Quand même: dans une méritocratie, cette “minorité” a quand même le mérite pour elle. Les hauts fonctionnaires français ont un niveau de culture et de formation largement supérieur à la moyenne.
N’est-ce pas “quelque chose de plus que les autres” ?
Vient donc la question de la légitimité.
Tout à fait. Dans une conception républicaine, il n’y a qu’une source de légitimité politique, le vote du peuple. Mais le peuple lui-même respecte la légitimité technique, et pendant de très
longues années a élu des dirigeants dont l’un des talents était précisement de s’entourer des “grands commis de l’Etat”, de leur indiquer la l’objectif et de les laisser plus ou moins maîtres des
détails pratiques.
Le problème c’est que “là haut”, c’est la fin justifie les moyens. Rien de répréhensible en soi mais tout de même…la lecture de Bloch sur “L’étrange défaite” est cinglante et ce que font
nos dirigeants depuis 30 ans c’est loin, très loin d’être glorieux.
La, je ne te comprends plus: d’un côté tu me dis que par “élite” tu entends la haute administration, maintenant tu me parles des élus politiques…
La question est: quand les élites divaguent que peut ou doit faire le peuple ?
Les changer. Et on l’a fait plusieurs fois par le passé. La question à se poser est toute autre, à mon avis: lorsque les élites ont “divagué” ces dernières années, ne faisaient-elles pas ce que
“le peuple” (ou du moins la partie du peuple qui est politiquement représentée…) leur demandait ? Comme je te l’ai dit, je ne me souviens pas qu’il y ait eu des centaines de milliers de
personnes dans la rue pour protester contre les privatisations…
Donc premier principe cynique, la nécessaire présence d’élites dirigeantes pour incarner une idée de vie collective mais qui sociologiquement et historiquement ont toujours été minoritaires.
Le second point cynique est que malheureusement quand les élites dirigeantes n’ont plus aucune force de rappel mis à part la situation insurectionnelle, le changement ne peut venir que d’autres
élites.
En effet. De toute manière, une élite ne change en général que par substitution, et ces substitutions sont possibles seulement lorsqu’une crise profonde se présente et que l’élite en place se
montre incapable de la gérer. Ce fut le cas en 1789, en 1870, en 1940 puis en 1945. Seulement, il faut pour cela produire une “élite de substitution” avec les instruments techniques qui lui
permettraient de prendre les places. Tu comprends maintenant pourquoi je peste contre l’incapacité des partis de la “gauche radicale” de se donner des structures de formation et d’attirer vers
eux des techniciens. Le réflexe anti-technique né en 1968 reste encore très vivace.
Bonjour les amis,
Trois petites réflexions rapides :
– 17 € ou 6 €, qu’une action fluctue à la hausse ou à la baisse, on n’a pas perdu (ni gagné) de capital tant qu’on n’a pas vendu son action. Sa rémunération est une autre question…
– Si les classes moyennes achetaient un écran plat fabriqué en France, au lieu de deux fabriqués au même prix en Chine, l’économie française y gagnerait quand même, dites-vous. Certes, mais il y
a belle lurette qu’on ne fabrique plus de télés en France. Philips vient de fermer la dernière unité de production en Europe. Alors je dis qu’il est plus facile et plus urgent de préserver notre
outil industriel que de reconstruire des filières aujourd’hui disparue. Mais au train où ça va, il n’y aura bientôt plus grand-chose à sauver ! Cela dit, si vous voulez vous lancer dans la
production de chaines hifi, reprenez la marque Teppaz : elle avait une bonne notoriété…
Enfin, moi qui dois appartenir aux “classes moyennes”, j’ai acheté une voiture étrangère : une Skoda Octavia. Elle n’était pas moins chère qu’une voiture française. J’ai choisi ce modèle en bon
consommateur : parce qu’il avait d’excellentes critiques. De fait, depuis 5 ans, je suis ravi de ma bagnole ! Vous pouvez me reprocher un choix peu patriote : c’est un argument que je peux
entendre…
– 17 € ou 6 €, qu’une action fluctue à la hausse ou à la baisse, on n’a pas perdu (ni gagné) de capital tant qu’on n’a pas vendu son action. Sa rémunération est une autre question…
Mais alors, lorsqu’on estime la fortune des Peugeot, comment on fait ? Parce que si tu la calcules en estimant leurs actions au prix du marché, il faudra quand même conclure qu’ils en ont perdu
les trois quarts. Et sinon, comment veux tu l’estimer ?
– Si les classes moyennes achetaient un écran plat fabriqué en France, au lieu de deux fabriqués au même prix en Chine, l’économie française y gagnerait quand même, dites-vous. Certes, mais
il y a belle lurette qu’on ne fabrique plus de télés en France.
Et pourquoi, à votre avis ? Si on créé les conditions pour que les télés fabriquées en France se vendent, alors elles seront fabriquées. C’est la demande qui créé l’offre, et non l’inverse…
Alors je dis qu’il est plus facile et plus urgent de préserver notre outil industriel que de reconstruire des filières aujourd’hui disparue.
En d’autres termes, garder les filières les plus anciennes au lieu de construire de nouvelles usines dans les filières les plus modernes ? Cela me semble suicidaire. Une politique industrielle
qui n’a pour ambition que de “préserver” est condamnée au désastre.
Enfin, moi qui dois appartenir aux “classes moyennes”, j’ai acheté une voiture étrangère : une Skoda Octavia. Elle n’était pas moins chère qu’une voiture française. J’ai choisi ce modèle en
bon consommateur : parce qu’il avait d’excellentes critiques.
Et vous n’avez pas trouvé de voiture française qui aie d’excellentes critiques ? Bien sur qu’il en existe. Mais peut-être pas au prix d’une Octavia…
Vous pouvez me reprocher un choix peu patriote : c’est un argument que je peux entendre…
Je ne vous reproche rien. Une politique économique ne peut se fonder sur le dévouement patriotique individuel de consommateurs qui, mis devant un choix, achèteront des produits plus chers parce
qu’ils sont français. Une telle politique ne peut résulter que d’une décision collective – par le biais de la fiscalité, par exemple.
Mais alors, lorsqu’on estime la fortune des Peugeot, comment on fait ?
D’abord, le capital de la famille, ce n’est pas qu’un portefeuille. Mais vous avez raison : s’ils cèdent tous leurs actifs demain, ils auront perdu une bonne part de leur fortune… Pensez-vous
qu’ils vont le faire ? Bien sûr que non ! En cas de crise grave, les petits porteurs rentiers crèvent, les gros porteurs font le dos ronds. Ils ont les moyens d’attendre des jours meilleurs…
C’est la demande qui créé l’offre, et non l’inverse…
Certes ; mais il y a demande de télés tout court. La demande de télés made in France, ça n’existe pas !
En d’autres termes, garder les filières les plus anciennes au lieu de construire de nouvelles usines dans les filières les plus modernes ?
Diable ! l’aéronautique, la chimie fine et lourde, l’énergie, l’automobile, la transformation agro-alimentaire, ce sont des vieilleries pas modernes ?
Une politique économique ne peut se fonder sur le dévouement patriotique individuel de consommateurs.
Vous avez raison, mais j’aimerais bien connaître le résultat d’un sondage sur “À rapport qualité/prix égal, préférez-vous un produit français ?”
D’abord, le capital de la famille, ce n’est pas qu’un portefeuille.
La fortune des familles industrielles, c’est essentiellement un portefeuille. Pensez-vous vraiment que les Peugeot ont quelques milliards en lingots dans leur coffre ou en billets sous leur
matelas ?
Mais vous avez raison : s’ils cèdent tous leurs actifs demain, ils auront perdu une bonne part de leur fortune…
Vous ne répondez pas à la question: s’il fallait aujourd’hui estimer la fortune des Peugeot, comment vous y prendriez vous pour estimer la valeur des actions qu’ils détiennent dans PSA ?
Pensez-vous qu’ils vont le faire ? Bien sûr que non ! En cas de crise grave, les petits porteurs rentiers crèvent, les gros porteurs font le dos ronds. Ils ont les moyens d’attendre des jours
meilleurs…
Oui, mais pour certains les jours meilleurs n’arrivent jamais. Pensez par exemple à la famille Boussac… ou plus proche de nous, pensez-vous que Doux aura les moyens de “faire le dos rond” ?
Certes ; mais il y a demande de télés tout court. La demande de télés made in France, ça n’existe pas !
Tout à fait. Il y a une demande de télés made in France, et une impossibilité de fabriquer des télés en France au prix que peuvent faire les chinois. Et c’est pour ça qu’on ne fabrique pas de
télé en France. Maintenant, si en utilisant des instruments de politique économique on rendait les télés chinoises plus chères…
Diable ! l’aéronautique, la chimie fine et lourde, l’énergie, l’automobile, la transformation agro-alimentaire, ce sont des vieilleries pas modernes ?
Je ne voudrais pas vous décevoir, mais il ne reste pas grand chose de moderne chez nous dans ces domaines. Dans la chimie, on n’a pas construit d’usine nouvelle depuis de longues années. Dans
l’énergie, on a assassiné notre prototype de “4ème génération” et on peine à construire un réacteur de la 3ème. L’aéronautique ? Il ne vous a pas échappé que les activités d’EADS déménagent
doucement en Allemagne…
Vous avez raison, mais j’aimerais bien connaître le résultat d’un sondage sur “À rapport qualité/prix égal, préférez-vous un produit français ?”
Plus que ce que les gens disent, l’important est ce que les gens font.
Tiens, j’y pense : je viens d’acheter un nouveau fer à repasser.
Ce produit de qualité est tout-à-fait innovant : c’est un fer “sans fil”.
C’est un Calor, produit en France, dont le carton d’emballage arbore un magnifique drapeau bleu-blanc-rouge.
J’ai accepté de le payer plus cher qu’un fer normal. Pourquoi ? Parce qu’il est Français ? Oui, un peu ; mais surtout, parce que c’est un excellent produit !
La fortune des familles industrielles, c’est essentiellement un portefeuille. Pensez-vous vraiment que les Peugeot ont quelques milliards en lingots dans leur coffre ou en billets sous leur
matelas ?
C’est vrai, mais vous savez, posséder quelques toiles de maître, ça vaut parfois un beau portefeuille… C’est d’ailleurs tout aussi difficile à “estimer”…
Vous ne répondez pas à la question: s’il fallait aujourd’hui estimer la fortune des Peugeot, comment vous y prendriez vous pour estimer la valeur des actions qu’ils détiennent dans PSA ?
Comme vous le suggérez : en multipliant leurs valeurs boursières par leur côte au jour le jour. C’est même pour ça qu’on “arrête” les comptes une fois par an. Il est parfaitement vain d’estimer
une fortune pareille aujourd’hui ou demain. D’ailleurs, qui vous dit qu’ils ne détiennent que du “PSA” ?
Je ne voudrais pas vous décevoir, mais il ne reste pas grand chose de moderne chez nous dans ces domaines. Dans la chimie, on n’a pas construit d’usine nouvelle depuis de longues années.
Ah bon ! Créé en 1917, le site Sanofi Pasteur de Marcy l’Etoile (69) est le plus grand centre de recherche, développement et production de vaccins au monde ! La modernité d’une production ne se
mesure pas à l’âge de l’usine : l’usine Renault Trucks de Vénissieux produit des moteurs ultra-modernes dans une usine qui est centenaire. Rappelez-vous : lors de la grande crise de la sidérurgie
à la fin des années soixante-dix, on a fermé des usines neuves !
Dans l’énergie, on a assassiné notre prototype de “4ème génération” et on peine à construire un réacteur de la 3ème.
Croyez bien que je le regrette. Mais admettez que pour superphenix, la raison de l’abandon est davantage politique qu’économique. Quant à l’EPR, il fonctionnera, je l’espère. Le programme Ariane
aussi a eu des débuts difficiles…
Plus que ce que les gens disent, l’important est ce que les gens font.
Ben moi, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, j’ai acheté un superbe fer à repasser !
C’est vrai, mais vous savez, posséder quelques toiles de maître, ça vaut parfois un beau portefeuille… C’est d’ailleurs tout aussi difficile à “estimer”…
Pas vraiment. Aujourd’hui, le record pour une oeuvre d’art vendue aux enchères est detenu par une version du tableau “le cri” de Munch (119 M US$, soit quelque 90 M€). Il en faudrait quand même
un paquet d’oeuvres pour valoir “un beau portefeuille” comme celui détenu par la famille Peugeot. Je pense qu’il y a chez les gens de gauche une méconnaissance fondamentale quant à la composition
des fortunes industrielles – à l’opposé des fortunes financières. Les capitalistes industriels sont relativement “pauvres” dans le sens où leur capital est immobilisé sous forme d’actifs
industriels. Ils ne sont “riches” qu’à travers le revenu de ces actifs.
Comme vous le suggérez : en multipliant leurs valeurs boursières par leur côte au jour le jour.
Parfait. Dans ce cas, vous ne pouvez donc qu’être d’accord avec mon affirmation selon laquelle en un an les Peugeot ont perdu les trois quarts de leur fortune.
“Je ne voudrais pas vous décevoir, mais il ne reste pas grand chose de moderne chez nous dans ces domaines. Dans la chimie, on n’a pas construit d’usine nouvelle depuis de longues années”. Ah
bon ! Créé en 1917, le site Sanofi Pasteur de Marcy l’Etoile (69) est le plus grand centre de recherche, développement et production de vaccins au monde !
Très bien: quel est le dernier grand investissement – construction d’une nouvelle unité de production, par exemple – effectué sur ce site ?
La modernité d’une production ne se mesure pas à l’âge de l’usine : l’usine Renault Trucks de Vénissieux produit des moteurs ultra-modernes dans une usine qui est centenaire.
Je crois que vous confondez un “site centenaire” avec une “usine centenaire”. Une usine qui utilise des bâtiments centenaires, des machines centenaires, des méthodes de production centenaire
pourra difficilement être “moderne”. Bien sûr, on peut toujours bâtir une ligne de production ou une usine “ultra-moderne” dans un site centenaire. La question est: combien de telles usines ont
elles été bâties ces dernières, allez, vingt années ? Et bien, très peu. Dans le raffinage pétrolier, la majorité de nos usines est très vétuste. Le dernier réacteur nucléaire en fonctionnement a
été construit à la fin des années 1980. Aucun investissement lourd dans les industries “de base” depuis les années 1980.
Rappelez-vous : lors de la grande crise de la sidérurgie à la fin des années soixante-dix, on a fermé des usines neuves !
C’est exactement mon point: notre appareil de production, nos infrastructures deviennent vétustes. Une politique industrielle qui se contenterait de les “préserver” nous condamne à moyen terme à
la désindustrialisation. Il nous faut une politique industrielle qui accepte – si nécessaire – de ferme des usines vétustes et qui construit des usines modernes. Nous avons besoin de bâtisseurs,
et non de pompiers ou d’assistantes sociales.
Croyez bien que je le regrette. Mais admettez que pour superphenix, la raison de l’abandon est davantage politique qu’économique. Quant à l’EPR, il fonctionnera, je l’espère. Le programme
Ariane aussi a eu des débuts difficiles…
Je n’ai pas de doute que l’EPR fonctionnera, si les politiciens laissent les techniciens travailler. Je doute qu’il soit aussi rentable que nos anciens réacteurs, parce que l’approche “ceinture
et bretelles” incorporée dans ce réacteur pour faire plaisir aux allemands induit dans certains systèmes une complexité extrême pour un gain de sûreté très faible. Mais bon, il semble que dans la
société stressée qui est la nôtre ce genre de sacrifice aux dieux est nécessaire pour obtenir l’acceptation (!?) du public…
Quant à Superphénix, vous avez raison de dire que l’abandon fut politique. Mais du point de vue de la politique industrielle, ses effets sont dévastateurs quelqu’en soit la raison. On a jeté par
la fenêtre trente ans de travail, de recherches et de connaissances. Une génération d’ingénieurs et de scientifiques est partie à la retraite sans avoir à qui transmettre son savoir, et le
programme Astrid, qui essaye de ressusciter la filière, va probablement refaire toute une série d’erreurs qui auraient pu être évitées.
Ben moi, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, j’ai acheté un superbe fer à repasser !
Comme j’ai eu l’honneur de vous le dire aussi, je n’en fais pas une affaire personnelle ou individuelle. Moi aussi, j’essaye d’acheter français chaque fois que je le peux, quite à payer un peu
plus cher. Mais une politique ne peut se faire par la simple agrégation de volontés ou de sacrifices individuels. Au delà de la satisfaction personnelle que nous pouvons tirer, l’efficacité de
notre petite action est quasi-nulle tant qu’il n’y a pas de décisions collectives pour la généraliser.
“Mais ce raisonnement, pour les raisons que j’ai expliqué, ne se généralise pas aux “capitalistes” comme classe: lorsqu’une entreprise délocalise, elle récupère de la
compétitivité et des marges par rapport à ses concurrents. Mais dès lors que toutes les entreprises font la même chose, l’avantage compétitif s’annule et les marges retombent à
leur valeur initiale.”
En bon marxiste, je ne crois pas que les marges retombent à leur valeur initiale, une fois que toutes les entreprises ont délocalisé.
En effet, si le taux d’exploitation des nouveaux travailleurs, qui consiste en la différence entre le nombre d’heures de travail qui leur sont payées et le nombre d’heures de travail qu’ils
fournissent, est supérieur à celui obtenu des anciens travailleurs, le taux de profit de l’ensemble des capitalistes augmente, sachant que le prix des produits demeure, quant à lui, exclusivement
déterminé par le nombre d’heures de travail nécessaires à leur production.
En bon marxiste, je ne crois pas que les marges retombent à leur valeur initiale, une fois que toutes les entreprises ont délocalisé. En effet, si le taux d’exploitation des nouveaux
travailleurs, qui consiste en la différence entre le nombre d’heures de travail qui leur sont payées et le nombre d’heures de travail qu’ils fournissent, est supérieur à celui obtenu des anciens
travailleurs, le taux de profit de l’ensemble des capitalistes augmente, sachant que le prix des produits demeure, quant à lui, exclusivement déterminé par le nombre d’heures de travail
nécessaires à leur production.
Eh non, justement: si la valeur d’un bien est déterminée pour Marx par la quantité de travail socialement nécessaires à leur production, le prix est lui
déterminé par la confrontationde l’offre et de la demande. Or, lorsque les coûts de production diminuent la courbe d’offre – qui représente la quantité du bien que les producteurs sont prêts à
mettre sur le marché à un prix donné – se déplace. La délocalisation se traduit par deux mécanismes contradictoires: D’une part, le “taux de profit” augmente puisque les travailleurs sont plus
exploités; mais à l’opposé le prix du bien fabriqué sur le marché diminue puisque à un prix donné les producteurs sont capables d’offrir plus. Et un “taux” qui augmente prelevè sur un prix qui
diminue…
Ces deux effets se compensent lorsqu’on est dans un marché qui, sans être “pur et parfait”, est relativement efficient. Dans un tel marché, les marges tendent vers zéro. Et cela dépend peu des
conditions de fabrication du bien.
Rapidement : s’il s’agit d’acheter moins cher, tout le monde applaudit et pas seulement les
« classes moyennes » : du petit salarié au capitaliste, l’un pour la consommation, l’autre pour le profit. A ceci près que le système de concurrence libre et non faussée trouve
vite ses limites : les salariés touchés par la concurrence sur un marché du travail de plus en plus mondialisé en subissent les inconvénients : chômage, baisse du niveau des salaires
particulièrement pour les non qualifiés et assurances sociales dans une lutte inégale ; le capital particulièrement l’industriel est conduit à la délocalisation, l’absorption pour
survivre.
Ce que l’on a appelé « la mondialisation » c’est celle du marché du travail où, y compris la
bourgeoisie nationale a de moins en moins sa place.
Absurdité d’un système débarrassé de toute entrave réglementaire.
Rapidement : s’il s’agit d’acheter moins cher, tout le monde applaudit et pas seulement les « classes moyennes » : du petit salarié au capitaliste, l’un pour la consommation, l’autre pour le
profit.
Tout à fait. Sauf que tout le monde n’a pas les mêmes choix. Le “petit salarié” dépense une partie importante de son salaire dans des “dépenses forcées” pour lesquelles il n’a pas vraiment le
choix. Une fois payé le loyer, l’énergie, le transport public, les soins de santé, le téléphone – toutes dépenses sur lesquelles il n’a pas le choix de la provenance – il lui reste peu à
dépenser. Ce sont les classes moyennes qui achètent massivement des biens au choix.
Ce que l’on a appelé « la mondialisation » c’est celle du marché du travail où, y compris la bourgeoisie nationale a de moins en moins sa place.
Tout à fait. Mais la bourgeoisie – laissons de côté les bourgeoisies traditionnalistes qui s’accrochent à un rôle industriel, comme les Peugeot – souffre moins parce que le capital est plus
mobile que le travail.
Très bien: quel est le dernier grand investissement – construction d’une nouvelle unité de production, par exemple – effectué sur ce site ?
Sanofi a déjà investi 300 millions d’euros dans une nouvelle usine de production de vaccins contre la dengue qui ouvrira en 2013 à Neuville, à proximité du site de Marcy, dont je vous invite à
visiter le site… web : c’est une usine magnifique et flambant neuve, même si l’implantation originelle date de 1917.
Quant à Renault Trucks, il a investi 17 millions d’euros l’année dernière dans sa ligne de production de nouveaux moteurs de moyenne gamme de Vénissieux.
Mais sur le fond, vous avez raison : il faut relancer une politique industrielle audacieuse et novatrice. Et à condition aussi que les politiques ne nous tirent pas une balle dans le pied.
Puisqu’on parle de Peugeot, il perd la vente annuelle de plus de 400 000 voitures à l’Iran, à cause d’un boycott lancé par les américains.
Sanofi a déjà investi 300 millions d’euros dans une nouvelle usine de production de vaccins contre la dengue (…) Quant à Renault Trucks, il a investi 17 millions d’euros (…)
Bien entendu, il y a des gens qui investissent, et heureusement ! Mais une hirondelle ne fait pas le printemps, et les investissements industriels en France ont été ces vingt ou trente dernières
années assez faibles. Entre 1991 et 2008 l’investissement industriel a augmenté seulement de 4%…
Franchement, M. Descartes, je vous le dis cash : je n’ai rien compris à votre réponse à mon commentaire n°17. Si cela ne vous ennuie pas, pouvez-vous tenter de me l’expliciter ?
Pour ma part, il me semble bien qu’un produit nécessitant 10 heures de travail s’échangera toujours contre dix autres produits nécessitant chacun 1 heure de travail, quels que soient par ailleurs
les salaires versés aux travailleurs. A partir de là, je dirais que la réduction de prix qui peut être répercutée aux consommateurs français ne provient pas du taux d’exploitation plus élevé des
travailleurs exotiques, mais uniquement du différentiel d’ordre monétaire qui permet, avec des euros, de se payer l’équivalent de plus d’heures de travail dans un pays dit “émergent” que dans un
pays occidental tel que la France.
Franchement, M. Descartes, je vous le dis cash : je n’ai rien compris à votre réponse à mon commentaire n°17. Si cela ne vous ennuie pas, pouvez-vous tenter de me l’expliciter ?
Cela ne m’ennuie nullement. Le premier point, c’est que vous faites une erreur entre la valeur et le prix d’un bien. La valeur d’un produit est déterminée par la quantité de travail socialement
nécessaire pour le produire. Le prix, lui, est déterminé par le jeu du marché, c’est à dire par la confrontation de l’offre et de la demande. Vous avez donc tort de croire que “un produit
nécessitant 10 heures de travail s’échangera toujours contre dix autres produits nécessitant chacun 1 heure de travail”, affirmation qui de toute évidence contredit l’expérience quotidienne:
la quantité de travail pour produire un barril de pétrole est relativement stable, alors que son prix peut varier du simple au double en quelques semaines…
Ensuite, l’effet qui permet de payer plus d’heures de travail dans un pays “émergent” que dans un pays occidental n’est pas un effet monétaire, mais traduit bien le fait que le salarié du pays
émergent touche moins en valeur pour son travail que le salarié du pays occidental. La meilleure preuve en est que cet effet existe à l’intérieur de l’Europe (et j’ajouterais même à l’intérieur
de certains états européens) qui pourtant ont la même monnaie.
Cela étant dit, il reste la question des marchés. Dans un marché pur et parfait, la confrontation de l’offre et de la demande tend à établir le prix au coût marginal de fabrication, en d’autres
termes, la marge est nulle. Le prix est juste suffisant pour rémunérer les facteurs de production, le capital et le travail, au prix fixé par le marché. C’est pourquoi l’opération de
délocalisation, dès lors qu’elle est ouverte à tous les concurrents, ne modifie nullement la rémunération du capital. Je sais, c’est très difficile d’expliquer tout ça sans faire un petit
dessin…
“La valeur d’un produit est déterminée par la quantité de travail socialement nécessaire pour le produire. Le prix, lui, est déterminé par le jeu du marché, c’est à dire par la confrontation
de l’offre et de la demande.”
Je ne suis pas sûr de bien saisir ce que vous entendez par “valeur”, par opposition au “prix”, mais je dirais pour ma part que le jeu du marché, par la confrontation entre l’offre et la demande,
tend à dégager un prix d’équilibre, qui correspondra à ce que vous appelez la “valeur”, déterminée quant à elle par la quantité de travail socialement nécessaire.
En effet, lorsque la demande est supérieure à l’offre, le prix augmente et devient supérieur à la quantité de travail socialement nécessaire, mais alors les capitalistes, qui voient la bonne
affaire, accroissent l’offre, si bien que le prix baisse. Symétriquement, lorsque l’offre est supérieure à la demande, le prix baisse en dessous de la quantité de travail socialement nécessaire,
les capitalistes les plus faibles mettent alors la clé sous la porte, et l’on retourne pareillement à l’équilibre.
“Vous avez donc tort de croire que “un produit nécessitant 10 heures de travail s’échangera toujours contre dix autres produits nécessitant chacun 1 heure de travail”, affirmation qui de
toute évidence contredit l’expérience quotidienne: la quantité de travail pour produire un barril de pétrole est relativement stable, alors que son prix peut varier du simple au double en
quelques semaines…”
Ceci ne contredit pas la loi que j’ai exposée plus haut. Si le prix du pétrole augmente durablement, les producteurs sont incités à en produire plus, et dès lors les prix baissent.
“Ensuite, l’effet qui permet de payer plus d’heures de travail dans un pays “émergent” que dans un pays occidental n’est pas un effet monétaire, mais traduit bien le fait que le salarié du
pays émergent touche moins en valeur pour son travail que le salarié du pays occidental. La meilleure preuve en est que cet effet existe à l’intérieur de l’Europe (et j’ajouterais même à
l’intérieur de certains états européens) qui pourtant ont la même monnaie.”
Je ne ne suis pas sûr de comprendre. L’effet selon lequel le salarié du pays émergent touche moins en valeur pour son travail que le salarié du pays occidental existerait à l’intérieur de
l’Europe, et même à l’intérieur de certains états européens ? Feriez-vous là allusion aux immigrés ?
“Dans un marché pur et parfait, la confrontation de l’offre et de la demande tend à établir le prix au coût marginal de fabrication, en d’autres termes, la marge est nulle. Le prix est juste
suffisant pour rémunérer les facteurs de production, le capital et le travail”
Si le prix rémunère tout de même le capital et le travail, il me semble que la marge n’est alors pas nulle. Ou bien peut-être n’ai-je pas compris ce que vous entendez par “marge” ?
Je ne suis pas sûr de bien saisir ce que vous entendez par “valeur”, par opposition au “prix”,
Pour faire court et schématique, la “valeur” d’un bien est le prix qu’il aurait dans une société ou tous les marchés seraient purs et parfaits. C’est d’une certaine manière le “juste prix” d’un
bien. Mais dans la réalité, les marchés ne sont pas purs et parfaits, et la formation des prix fait intervenir bien d’autres paramètres que la pure question du travail socialement nécessaire à la
production.
En effet, lorsque la demande est supérieure à l’offre, le prix augmente et devient supérieur à la quantité de travail socialement nécessaire, mais alors les capitalistes, qui voient la bonne
affaire, accroissent l’offre, si bien que le prix baisse.
Mais imaginons que le bien en question soit un monopole légal – par exemple, par le biais d’un brevet, pensez à la photocopie avant que le brevet Xerox tombe dans le domaine public. Dans ce cas,
le capitaliste qui détient le monopole peut trouver plus intéressant de vendre moins d’unités à un prix plus élévé que de “accroître l’offre” au risque de faire baisser le prix…
Votre raisonnement se fonde – sans le dire – sur l’idée que le marché est “pur et parfait”, ici que donc les capitalistes “flairant la bonne affaire” ont toujours la possibilité d’entrer sur le
marché sans “droit d’entrée”, ce qui revient à la condition bien connue de l’inexistence de barrières à l’entrée. Dans le cas d’un marché parfait, le “prix” et la “valeur” se confondent. Mais les
marchés parfaits sont en fait très rares. Et c’est pourquoi le prix et la valeur d’un bien diffèrent.
Ceci ne contredit pas la loi que j’ai exposée plus haut. Si le prix du pétrole augmente durablement, les producteurs sont incités à en produire plus, et dès lors les prix baissent.
Et bien non. Les producteurs ont intérêt à optimiser le produit (quantité x prix). Et pour cela, ils ont quelquefois réduit la production “durablement” en établissant des quotas pour maintenir
des prix élévés. A quoi croyez-vous que sert l’OPEP ? Vous semblez croire que tous les marchés sont “purs et parfaits”. Ce n’est pas le cas.
Je ne ne suis pas sûr de comprendre. L’effet selon lequel le salarié du pays émergent touche moins en valeur pour son travail que le salarié du pays occidental existerait à l’intérieur de
l’Europe, et même à l’intérieur de certains états européens ? Feriez-vous là allusion aux immigrés ?
Pas du tout. Je faisais référence aux disparités salariales entre les différentes régions. Je peux vous assurer que les salaires en basse-saxe, en Allemagne de l’Est, ne sont pas du tout les
mêmes – pour les mêmes tâches – qu’à Francfort ou à Bonn. Et pourtant, la monnaie est la même. Difficile donc de parler d’un phénomène monétaire.
Si le prix rémunère tout de même le capital et le travail, il me semble que la marge n’est alors pas nulle. Ou bien peut-être n’ai-je pas compris ce que vous entendez par “marge” ?
La “marge” est ce qui reste une fois qu’on a rémunéré les facteurs de production. Imaginez que vous êtes un entrepreneur, que vous empruntiez du capital à un certain intérêt (qui est, avec
l’amortissement, la rémunération du capital) et vous employez des gens à un certain salaire (rémunération du travail). La “marge” est la différence entre ce que vous tirez de la vente de votre
production et ce que vous dépensez pour rémunèrer travail et capital.
Vous avez, pour répondre à un de mes précédents messages, écrit que vous aviez longtemps véu au Royaume-Uni. Quel est l’impact de cette période sur votre réflexion sur la France ? Vous êtes-vous
dit que plus de libéralisme ferait du bien à la France ? Ou qu’une synthèse entre interventionnisme d’état et libéralisme était possible ?
Quel est l’impact de cette période sur votre réflexion sur la France ?
Très profonde. Rien de tel qu’un bon séjour à l’étranger pour voir à quel point on est bien chez nous… 😉
Plus sérieusement: c’est en vivant dans d’autres pays qu’on se rend compte à quel point une culture est un tout. Le libéralisme marche bien en Angleterre parce qu’il est profondément installé
dans la culture locale. Il correspond à une vision cohérente de ce que doit être la société et de ses rapports avec l’individu. Et je ne crois pas que “plus de libéralisme ferait bien à la
France” parce que le libéralisme économique à l’anglaise heurte profondément les traditions et les expectatives politiques, sociales et économiques des français. Ils ne sont ni mieux que nous, ni
moins bien: ils sont différents.
Par contre, je pense qu’on devrait instiller dans notre culture un peu plus de cet esprit de responsabilité qui fait la force de la culture protestante. C’est peut-être cela qui m’a le plus
influencé de l’Angleterre. J’avoue que cette tendance à exculper les individus en rejettant sur “la société”, “l’école”, “les institutions” et tutti quanti toute la responsabilité me donne de
l’urticaire.
“Dans un marché pur et parfait, la confrontation de l’offre et de la demande tend à établir le prix au coût marginal de fabrication, en d’autres termes, la marge est nulle.”
Comme je vous l’ai précisé au départ, je suis marxiste. Or pour Marx, la “marge” existe même dans un marché pur et parfait, puisqu’elle ne s’explique pas, en dernière instance, par un surcoût
payé par le consommateur, mais par le taux d’exploitation du travailleur. Avez-vous, du reste, entendu beaucoup de capitalistes se plaindre de l’efficience des marchés ? Nettement moins souvent,
vous en conviendrez, que des “rigidités du droit du travail”…
“Vous semblez croire que tous les marchés sont “purs et parfaits”. Ce n’est pas le cas.”
Là encore, je ne fais que reprendre le raisonnement de Marx. Je cite le Capital (Livre 1er; Section II; Chapitre V: Les contradictions de la formule générale du capital) :
“La transformation de l’argent en capital doit être expliquée en prenant pour base les lois immanentes de la circulation des marchandises, de telle sorte que l’échange d’équivalents serve de
point de départ [24] . Notre possesseur d’argent, qui n’est encore capitaliste qu’à
l’état de chrysalide, doit d’abord acheter des marchandises à leur juste valeur, puis les vendre ce qu’elles valent, et cependant, à la fin, retirer plus de valeur qu’il en avait avancé.
[24] D’après les explications qui précèdent, le lecteur comprend que cela veut
tout simplement dire : la formation du capital doit être possible lors même que le prix des marchandises est égal à leur valeur. Elle ne peut pas être expliquée par une différence, par un écart
entre ces valeurs et ces prix. Si ceux-ci diffèrent de celles-là, il faut les y ramener, c’est-à-dire faire abstraction de cette circonstance comme de quelque chose de purement accidentel, afin
de pouvoir observer le phénomène de la formation du capital dans son intégrité, sur la base de l’échange des marchandises, sans être troublé par des incidents qui se font que compliquer le
problème. On sait du reste que cette réduction n’est pas un procédé purement scientifique.
Les oscillations continuelles des prix du marché, leur baisse et leur hausse se compensent et s’annulent réciproquement et se réduisent d’elles-mêmes au prix moyen comme à leur règle intime.
C’est cette règle qui dirige le marchand ou l’industriel dans toute entreprise qui exige un temps un peu considérable, il sait que si l’on envisage une période assez longue, les marchandises ne
se vendent ni au-dessus ni au-dessous, mais à leur prix moyen. Si donc l’industriel avait intérêt à y voir clair, il devrait se poser le problème de la manière suivante :
Comment le capital peut-il se produire si les prix sont réglés par le prix moyen, c’est-à-dire, en dernière instance, par la valeur des marchandises ? Je dis « en dernière instance », parce
que les prix moyens ne coïncident pas directement avec les valeurs des marchandises, comme le croient A. Smith, Ricardo et d’autres.”
Comme je vous l’ai précisé au départ, je suis marxiste. Or pour Marx, la “marge” existe même dans un marché pur et parfait, puisqu’elle ne s’explique pas, en dernière instance, par un surcoût
payé par le consommateur, mais par le taux d’exploitation du travailleur.
Pourriez-vous m’indiquer précisemet dans quel texte Marx parle d’une “marge” – au sens que donnent les économistes aujourd’hui à ce terme et qui représente la différence entre les coûts de
production d’un bien et son prix ? J’ai l’impression que vous confondez “marge” et “plusvalue”… D’ailleurs, si la “marge” comme vous semblez le croire est indépendante du prix de vente, elle
devrait exister même pour un producteur qui est obligé de vendre son produit en dessous du coût de production. Prenons un exemple d’un boulanger: il vend son pain à 1 €, paye sont ouvrier 0,5 €
et un autre 0,5 € pour l’entretien du four, la farine et autres ingrédients. C’est quoi sa “marge” ?
Avez-vous, du reste, entendu beaucoup de capitalistes se plaindre de l’efficience des marchés ?
Je ne comprends pas la question. Voulez vous dire des capitalistes qui se plaignent que les marchés sont inefficients, ou des capitalistes qui se plaignent que ls marchés soient trop efficients ?
En fait, par chaque que fois qu’un marché est “inefficace”, cela fait parmi les capitalistes des perdants et des gagnants. Imaginons par exemple un marché pour lequel il y a un droit d’entrée
important: cela avantage ceux qui y sont dejà, et désavantage ceux qui n’y sont pas. Et évidement, seuls ceux qui sont désavantagés se plaignent…
Nettement moins souvent, vous en conviendrez, que des “rigidités du droit du travail”…
Sûrement pas. Si vous lisez les publications économiques, vous verrez quotidiennement des capitalistes se plaindre de ce que tel ou tel marché est trop fermé, trop reglementé, que les barrières à
l’entrée sont trop hautes, qu’il y a des oligopoles et des ententes… Si vous voulez un bon exemple, prenez les commentaires des dirigeants de Poweo et de Direct Energy concernant le marché de
l’électricité…
Là encore, je ne fais que reprendre le raisonnement de Marx.
Seulement, le raisonnement de Marx contredit votre affirmation. Vous souteniez que prix et valeur coïncident. Marx dit le contraire: “Je dis « en dernière instance », parce que les
prix moyens ne coïncident pas directement avec les valeurs des marchandises, comme le croient A. Smith, Ricardo et d’autres.”
En fait, dans ce paragraphe Marx indique que dans l’analyse de l’accumulation du capital on peut s’affranchir de la fluctuation des prix en prenant un prix moyen. Rien de plus…
“J’ai l’impression que vous confondez “marge” et “plusvalue”…”
Vous m’avez dit : “Dans un marché pur et parfait, la confrontation de l’offre et de la demande tend à établir le prix au coût marginal de fabrication, en d’autres termes, la marge est
nulle.”. Par ailleurs, vous m’avez ainsi défini la “marge” : “La “marge” est ce qui reste une fois qu’on a rémunéré les facteurs de production. Imaginez que vous êtes un
entrepreneur, que vous empruntiez du capital à un certain intérêt (qui est, avec l’amortissement, la rémunération du capital) et vous employez des gens à un certain salaire (rémunération du
travail). La “marge” est la différence entre ce que vous tirez de la vente de votre production et ce que vous dépensez pour rémunèrer travail et capital.”. J’en déduis que pour vous, dans un
marché pur et parfait, le capitaliste tend à ne retirer de la vente de ses produits que de quoi régler le salaire et les intérêts du capital, et donc à ne réaliser aucun profit.
Or ce que je vous dis, c’est que d’après Marx, même dans un marché pur et parfait, où les marchandises se vendent à leur stricte valeur, le capitaliste réalise tout de même un profit.
A l’appui de cette conception, je vous faisais remarquer que les capitalistes ne se plaignent pas, en général, du caractère “pur et parfait” d’un marché, alors pourtant qu’à vous suivre, leur
marge tendrait, dans un tel cadre, à être nulle.
J’en déduis que pour vous, dans un marché pur et parfait, le capitaliste tend à ne retirer de la vente de ses produits que de quoi régler le salaire et les intérêts du capital, et donc à ne
réaliser aucun profit.
Non. Vous confondez en fait l’entrepreneur et le capitaliste. L’entrepreneur n’a en principe pas de capital: il l’emprunte et le rémunère. Le capitaliste, possède du capital qu’il confie à un
entrepreneur et pour lequel il reçoit une rémunération.
La distinction entre ces deux fonctions – qui peuvent ou non être assurées par les mêmes personnes – est nécessaire si l’on veut comprendre un certain nombre de phénomènes économiques. En
particulier, la rémunération de ces deux fonctions est fixée d’une manière très différente: la rémunération du capitaliste est fixée par le marché des capitaux, celle de l’entrepreneur par la
marge. Il est donc parfaitement possible pour une entreprise de réaliser une marge nulle alors que le capitaliste réalise un “profit”… Mais alors que la rémunération du capital ne tend pas
nécessairement vers zéro dans un marché pur et parfait, celle de l’entrepreneur tend, elle, à s’annuler. C’est l’entrepreneur, et non le capitaliste, qui peut avoir intérêt à ce que les marchés
soient imparfaits.
Maintenant, si l’on revient à la théorie de la valeur telle que Marx l’énonce, la valeur que retire le capitaliste comme celle que retire l’entrepreneur sont toutes deux issues de l’exploitation
du travail, puisque – et en cela Marx reprend la vision de Ricardo – seul le travail peut produire de la valeur.
Or ce que je vous dis, c’est que d’après Marx, même dans un marché pur et parfait, où les marchandises se vendent à leur stricte valeur, le capitaliste réalise tout de même un profit.
Ca, c’est ce que vous dites maintenant. Jusqu’au message précédent, vous affirmiez qu’il faisait une “marge”.
A l’appui de cette conception, je vous faisais remarquer que les capitalistes ne se plaignent pas, en général, du caractère “pur et parfait” d’un marché, alors pourtant qu’à vous suivre, leur
marge tendrait, dans un tel cadre, à être nulle.
La rémunération du capital ne dépend pas du caractère parfait ou imparfait du marché, mais de l’état du marché des capitaux. C’est la rémunération de l’entrepreneur qui change avec le
fonctionnement du marché. Ce n’est donc pas en tant que capitalistes, mais en tant qu’entrepreneurs que l’on aura des plaintes sur la perfection ou l’imperfectin du marché. Et je vous le repète,
ces plaintes sont très, très nombreuses…
“Si vous lisez les publications économiques, vous verrez quotidiennement des capitalistes se plaindre de ce que tel ou tel marché est trop fermé, trop reglementé, que les barrières à l’entrée
sont trop hautes, qu’il y a des oligopoles et des ententes… Si vous voulez un bon exemple, prenez les commentaires des dirigeants de Poweo et de Direct Energy concernant le marché de
l’électricité…”
Ce ne sont là que des plaintes visant l’imperfection du marché, ce qui va complètement dans mon sens. Mais connaissez-vous, en revanche, beaucoup d’exemples de plaintes au sujet de la perfection
du marché ?
Quant à la question particulière du protectionnisme, connaissez-vous des exemples d’entrepreneurs qui le réclameraient, ou du moins, déclareraient ne pas y être hostile ?
Quoi qu’il en soit, mais corrigez-moi si je me trompe, il me semble que vous avez mis quelque eau dans votre vin par rapport à votre affirmation contenue dans votre billet selon laquelle “Ce
ne sont pas les “riches” qui constituent le pire obstacle à la mise en place d’un “protectionnisme intelligent”. Car le discours qui prétend que la délocalisation enrichit les capitalistes est
fallacieux.”, puisque dans votre réponse au commentaire n°6 de LCH, vous déclarez : “Je ne parlerais pas d’une “responsabilité” des classes moyennes au sens où les classes n’ont pas à
leur tête un directoire qui prend des décisions et peut être tenu “responsable” de celles-ci. Mais je pense que les classes moyennes ont défendu leurs intérêts et dans une alliance avec la
bourgeoisie pesé d’un poids déterminant pour faire pencher la balance du côté néo-libéral.”. C’est donc bien que les classes moyennes ne sont pas seules responsables des délocalisations,
sauf à ce que celles-ci n’aient rien à voir avec avec le néo-libéralisme.
Mais connaissez-vous, en revanche, beaucoup d’exemples de plaintes au sujet de la perfection du marché ?
Un très grand nombre. Bien entendu, on ne formule jamais la plainte de cette manière-là, de la même manière qu’on ne dénonce jamais le juge juste qui vous condamne ou le policier intègre qui vous
met une amende. Mais j’entends quotidiennement des plaintes dénonçant tel ou tel concurrent qui “casse les prix” ou bien le fait que “la concurrence est trop dure et on ne gagne pas sa vie” alors
qu’en fait la faible rentabilité et les prix bas sont la conséquence de la perfection du marché…
Quant à la question particulière du protectionnisme, connaissez-vous des exemples d’entrepreneurs qui le réclameraient, ou du moins, déclareraient ne pas y être hostile ?
Un paquet. Pratiquement tous, en fait, dès qu’ils y ont intérêt. Bien sur, ils ne prononcent pas le mot “protectionnisme” – on a ses pudeurs – mais les mesures qu’ils proposent sont profondément
protectionnistes.
C’est donc bien que les classes moyennes ne sont pas seules responsables des délocalisations, sauf à ce que celles-ci n’aient rien à voir avec avec le néo-libéralisme.
Je n’ai jamais dit que les classes moyennes soient “seules responsables”. J’ai écrit que “ce ne sont pas les “riches” qui constituent le pire obstacle à la mise en place d’un protectionnisme
intelligent”. Pour moi, les classes moyennes sont le pire obstacle, mais pas le seul. Et ma position sur ce pont n’a pas changé.
M. Descartes, j’attire votre attention sur un argument très fort et très
troublant, exprimé par M. Jean-Vincent Placé, chef de file des sénateurs écologistes, à l’encontre d’une éventuelle politique protectionniste. Il à de quoi nous faire sérieuseement réfléchir,
tous autant que nous sommes. Ecoutez bien :
“Je ne veux pas jeter la pierre à telle ou telle façon de communiquer de tel ou tel ministre, mais dire aux
industries françaises: restons entre nous, protégeons nous, cela ne va pas marcher”, poursuit
Jean-Vincent Placé, selon qui “les discours des responsables français commencent à avoir une
porosité très forte avec ceux du FN sur les questions d’immigration, mais aussi sur la question d’une forme de protectionnisme national”.
Et oui, “cela ne va pas marcher”. Génial, non ? Que dîtes-vous M. Descartes ? Vous ne comprenez pas où est l’argument de
M. Placé ? Et bien il l’exprime pourtant très clairement : le protectionnisme, en effet, est défendu par le Front National. Comment voulez-vous, dans ces
conditions, que ce soit une bonne idée ?
http://pierrealain.blogs.nouvelobs.com/archive/2012/08/02/place-je-ne-suis-pas-convaincu-par-le-style-de-m-montebourg.html
Et oui, “cela ne va pas marcher”. Génial, non ? Que dîtes-vous M. Descartes ? Vous ne comprenez pas où est
l’argument de M. Placé ? Et bien il l’exprime pourtant très clairement : le protectionnisme, en effet, est défendu par le Front National. Comment voulez-vous, dans ces conditions,
que ce soit une bonne idée ?
Malheureusement, ce mode de raisonnement n’est pas seulement celui de Placé. Le Front de Gauche nous a fait le même
numéro avec la question de la sorti de l’Euro. Accessoirement, il faut corriger à chaque fois ceux qui font l’équivalence entre “protectionnisme” et “rester entre soi”. L’objectif des
protectionnistes – ou du moins des partisans d’un “protectionnisme intelligent” – n’est pas de diminuer les échanges extérieurs, mais
de garantir que ceux-ci sont équilibrés. Il ne faut pas confondre protectionnisme et autarcie, de la même manière qu’il ne faut pas confondre nationalisme et fermeture: “un peu
d’internationalisme éloigne de la Patrie, beaucoup d’internationalisme y ramène” (Jaurès).
Pour répondre à DSK, ce n’est pas parce que le front national dit que le ciel est bleu qu’il faut dire l’inverse c’est à dire que le ciel est pluvieux.
Le protectionnisme n’est pas l’autarcie, le protectionnisme ne signifie en aucun cas que nous resterons entre nous. Et d’ailleurs comment le pourrait-on vu que nous avons besoin du pétrole pour
faire tourner notre économie et qu’il faut bien exporter quelque chose pour payer la facture pétrolière ?
Soyons sérieux un instant. La France a un déficit commercial depuis 2004, celui-ci s’est encore creusé en 2011 à 70 milliards d’euros. Cette situation ne va pas pouvoir durer éternellement. Soit
elle sera résolue à la dure – compression des salaires, défaut de l’état français – soit il faut réfléchir à des solutions “douces”
Face à ce déficit commercial que nous propose EELV ? RIEN.
Pour répondre à DSK, ce n’est pas parce que le front national dit que le ciel est bleu qu’il faut dire l’inverse c’est à dire que le ciel est pluvieux.
Je pense que l’ironie de notre ami DSK t’a échappé…
Pour moi, la question n’est pas seulement de savoir si la direction “peut-elle” se faire différement, mais ausside savoir si on y gagnerait à faire différement. Je
pense que les dérives de la démocratie directe ou “participative” sont bien plus dangereuses que celles d’un régime représentatif et hiérarchisé. Tu devrais lire “La ferme des animaux”,
d’Orwell…
Je suis un Orwellien presque pur et dur (certains de ses points de vue ont une naïveté agacante mais touchante) et c’est pour ça que si
je suis réaliste et franchement sceptique par rapport aux socialismes d’Etat ou libertaires je reste quand même respectueux de celles et ceux qui de manière éphémère ont essayer à réellement
incarner ces idéaux. “Hommage à la Catalogne” est assez formidable pour ça : terriblement beau sur les réussites de la révolution mais aussi terriblement lucide sur le plafond de verre inhérent à
ce genre de mouvements. En bon Orwellien je dirais que la démocratie “bourgeoise” comme le disaient les gauchistes de son époque a bien ses défauts et qu’elle mérite bien d’aménagements
institutionnels (proportionnelle), et pourquoi pas d’une forme (à déterminer) de dé-professionnalisation. Excuse moi mais l’avènement de spin-doctors, de story tellers, des chargés de
communication, de l’ère médiatique et des réseaux sociaux, je trouve ça infantilisant (j’ai à peine 30 ans pourtant…) déréalisant et in fine dépolitisant. C’est un truc épidermique, c’est juste
insupportable. Pour en revenir à la question, je ne saurais définitivement dire s’il est souhaitable ou non que nous choisissions une voie disons décentralisatrice ou centralisatrice. Mon
expérience personnelle et mes lectures me font plutôt penser que les êtres humains sont bien plus enclins (par faiblesse ou volonté propre) à la délégation qu’à prendre et assumer des
responsabilités sans hiérarchie ou autre division de classe. Mais en même temps, à regarder du côté de l’éthologie, quelle espèce mammifère vit sans hiérarchie et subdivisions ? N’est-ce pas une
prédisposition inhérente à tout groupe vivant assurant sa survie ? Je ne saurais répondre à cette question, mais de ce que je lis un peu en neurosciences, en anthropologie ou en éthologie, le
Grand Soir ou l’Homme sera “nouveau” me semble être une dangereuse utopie. Mais en même temps l’histoire a avancé par quêtes de libertés successives (ce qui n’a pas empêché les régressions, cela
s’entend). C’est pour ça que l’Histoire est passionnante.
Quand même: dans une méritocratie, cette “minorité” a quand même le mérite pour elle. Les hauts fonctionnaires français ont un niveau de culture et de formation
largement supérieur à la moyenne. N’est-ce pas “quelque chose de plus que les autres” ?
Certes mais le problème de la méritocratie c’est qu’aujourd’hui elle est assez dévoyée. Je veux dire que les inégalités scolaires sont devenues trop criantes. Il y a beaucoup à dire sur les
difficultés du système scolaire mais de mon point de vue, je ne comprends pas comment moi qui ai appris à lire en seconde année et troisième année de maternelle par l’insistance de ma mère
(émigrée des DOM) avec “Daniel et Valéry” je vois les enfants galérer pour lire et écrire correctement. Je ne suis pourtant pas fait d’un meilleur bois que les autres, mais malgré la très
bonne sociologie de Bourdieu/Passeron ou de Bernard Lahire, je reste assez dubibtatif. Tout se passe comme si l’Etat français bradait son avenir en définissant 80% au bac mais sans exiger et
garantir la probité d’un tel objectif. Quant aux filières universitaires, certaines filières ont un seuil d’entrée trop bas. Mais par rapport à la méritocratie ses obstacles
aujourd’hui sont nombreux : concentration de plus en plus haute des capitaux de reproduction sociale (economique, culturel et social), spécialisation des filières qui jouent le jeu de la
reproduction car les classes populaires s’y engouffrent avec raison, abaissement de l’exigence, problèmes de mixité sociale et influence des grandes écoles et de leur subtiles accointances avec
le monde de l’entreprise ou de la haute administration. Donc oui, objectivement, les hauts fonctionnaires ont plus de connaissances que la moyenne, mais justement pendant que cette moyenne
baisse, le décile supérieur lui se maintient haut et les exemples de consécration du “très bas” vers le “très haut” tendent à se tarir. Il faut donc trouver les solutions pour refaire partir la
machine.
La, je ne te comprends plus: d’un côté tu me dis que par “élite” tu entends la haute administration, maintenant tu me parles des élus politiques..
Oui j’ai un peu dérouté mais pas tant que ça. Car aussi bien les élites administratives, économiques et politiques ont failli a cette époque. Et aujourd’hui rares sont ceux qui à Bercy par
exemple osent prendre la parole publiquement sur les impasses actuelles de l’UE, de l’euro, sur le choix depuis trente ans du chômage et de la stagnation plutôt que la recherche du plein emploi
tout ça par dogmatisme sur la prétendue cancéreuse voir sidaique inflation…Nikonoff l’a fait en son temps, aujourd’hui Asselineau dans un style qu’on dira folklorique pour être poli.
Je ne sais pas si ta référence au “cynisme” des élites se veut négative, ou si au contraire tu le prends dans le sens d’une simple caractéristique. Personnellement,
je dois dire que je tends à apprécier le cynisme plutôt comme une qualité. Et je préfère de loin le cynique au croyant…
Le cynisme est consubstantiel à tout exercie du pouvoir. Il faut aussi bien trancher, ménager le chèvre et le chou, manipuler, avoir le sens du compromis, de l’intérêt compris etc. Et je pense
que l’on peut être croyant et cynique et je crois même que c’est indissociable. Disons que le cynisme me semble difficilement applicable sans une contrepartie positive ou négative. Il y a du
cynisme égoïste tout comme il y en a de l’altruiste. La question est de quel côté penche la balance.
En bon Orwellien je dirais que la démocratie “bourgeoise” comme le disaient les gauchistes de son époque a bien ses défauts et
qu’elle mérite bien d’aménagements institutionnels (proportionnelle), et pourquoi pas d’une forme (à déterminer) de dé-professionnalisation.
Des aménagements institutionnels, purquoi pas. Mais je ne suis pas persuadé que la proportionnelle améliore les choses – je suis même
persuadé du contraire – et je suis très réservé quant à la dé-professionnalisation. Dé-professionnaliser la politique implique que seuls ceux qui ont des rentes ou une profession supérieure avec
de nombreux loisirs pourront se consacrer à la politique. C’est un peu le retour d’une politique aristocratique, qui en dernière instance est une politique d’amateurs. Je ne crois pas que dans un
Etat moderne et complexe comme l’est le notre, on puisse éviter que la professionnalisation aboutisse à devoir choisir entre une technocratie administrative ou bien
l’irrationnalité.
Excuse moi mais l’avènement de spin-doctors, de story tellers, des chargés de communication, de l’ère médiatique et des réseaux
sociaux, je trouve ça infantilisant (j’ai à peine 30 ans pourtant…) déréalisant et in fine dépolitisant.
Je ne saisis pas très bien le rapport. L’essor des spin-doctors et autres communiquants est un effet de la société
d’hyper-communication, et non de la “professionnalisation” de la politique.
Mon expérience personnelle et mes lectures me font plutôt penser que les êtres humains sont bien plus enclins (par faiblesse ou
volonté propre) à la délégation qu’à prendre et assumer des responsabilités sans hiérarchie ou autre division de classe. Mais en même temps, à regarder du côté de l’éthologie, quelle espèce
mammifère vit sans hiérarchie et subdivisions ?
Exactement. La délégation a une justification économique évidente, celle de la division du travail. La hiérarchisation aussi,
puisqu’elle permet une hiérarchisation des problèmes.
Certes mais le problème de la méritocratie c’est qu’aujourd’hui elle est assez dévoyée.
Plus que “dévoyée”, elle est attaquée par les couches sociales – les classes moyennes, pour ne pas les nommer – qui, s’étant taillé une place enviable, sont terrifiées à l’idée que les cartes
puissent être rebattues à chaque génération. Car c’est cela, la méritocratie: puisque les “mérites” ne se transmettent pas, ils ne sont pas héréditaires. Or, la volonté de transmettre son
patrimoine – et dans ce patrimoine, sa position sociale – est un réflexe très puissant.
Je veux dire que les inégalités scolaires sont devenues trop criantes. Il y a beaucoup à dire sur les difficultés du système scolaire mais de mon point de vue, je ne comprends pas comment moi
qui ai appris à lire en seconde année et troisième année de maternelle par l’insistance de ma mère (émigrée des DOM) avec “Daniel et Valéry” je vois les enfants galérer pour lire et écrire
correctement.
Vous voyez bien que cela n’a rien à voir avec les “inégalités scolaires”. Il faut pas reprocher à l’école ce qui revient à la société toute entière. Lorsque les parents des classes populaires
savaient que la promotion sociale était liée aux savoirs scolaires, ils faisaient ce qu’il fallait pour que leurs enfants les acquièrent. Depuis qu’on leur a expliqué – en mai 1968 notamment –
que l’école était une institution aliénante, que les diplômes ne sont que des “peaux d’âne inutiles”, qu’on peut être très heureux sans le bac, et que de toute manière qu’on étudie bien ou pas on
finit au chômage, parents et enfants sont totalement démobilisés.
Et aujourd’hui rares sont ceux qui à Bercy par exemple osent prendre la parole publiquement sur les impasses actuelles de l’UE, de l’euro (…)
Encore heureux! Ce n’est pas le rôle des fonctionnaires de “prendre la parole publiquement”. De quel droit mettraient-ils en question la politique décidée par les élus du peuple, voire par le
peuple lui même en référendum ? Les fonctionnaires sont tenus au contraire au devoir de réserve, puisqu’ils doivent mettre en oeuvre les décisions prises par le politique. C’est la grandeur du
métier de fonctionnaire, comme disait l’un de mes professeurs.
En effet j’ai lu un peu trop vite son intervention. Désolé.
Petit aparté. Ce qui est bien durant cette quinzaine olympique c’est qu’on n’entend pas mais alors pas du tout les mots union européenne. Il y a des médailles pour les Allemands, pour les Grands
bretons – seule compétition sportive où la Grande Bretagne existe – pour les Français mais rien pour les Européens unis.
J’ai surtout regardé hier soir très tard le débat du jour proposé par France 2 sur “Le Français doit-il rester la langue officielle des JO”. J’ai trouvé la question saugrenue parce que la langue
est une “arme” géostratégique alors pourquoi vouloir s’en priver. Oui il y a une perte d’influence de la France, oui à chaque olympiade il faut une mobilisation forte des pays francophones pour
obtenir le respect de la Charte olympique. Est-ce une raison pour tout céder à l’anglais. Cette auto-flagellation de nous Français me surprendra toujours, mais elle n’est peut-être au fond qu’un
contre-poids de notre vantardise.
@ Trubli
Excusez-moi. C’était de l’ironie mal Placé.
Bonjour,
vous écrivez Le libéralisme marche bien en Angleterre
parce qu’il est profondément installé dans la culture locale.
Pourtant je ne trouve pas l’économie anglaise/britannique impressionnante. Une fois que vous
avez enlevé la City – qui n’est qu’un paradis fiscal en plein coeur de Londres en connexion avec des paradis fiscaux exotiques -et le pétrole de la mer du Nord, il n’y a pas de quoi casser trois
pattes à un canard. Sans oublier de dire qu’ils se gênent pas pour venir profiter du système de soins français.
Il ne faut tout de même pas trop éxagérer. L’économie anglaise reste quand même parmi les dix premières économies mondiales. Et l’industrie représente encore une part du PIB britannique qui est
plus importante dans le PIB français. Il est vrai que les services publics britanniques tendent à être indigents, mais c’est ça le libéralisme, et les locaux s’en accomodent.
Il faut reconnaître aux anglais le mérite de la cohérence: ils sont profondément libéraux, et ils en acceptent le prix.
Peu m’importe que leurs services publics soient indigents, c’est leur parasitisme qui me gêne. Critiquer les modèles de société des autres pays pour ensuite venir en profiter a tendance à
m’agacer.
La part de l’industrie dans leur PIB est remontée mais il ne vous aura pas échappé qu’ils n’ont pas l’Euro.
Plus profondément c’est un pays qui ne m’a jamais fais rêvé. Je peux admirer les USA pour leur silicon valley, la Chine pour la manière dont ils mènent leur développement économique, le Japon et
la Corée du Sud pour l’électronique, l’Allemagne pour l’importance qu’ils donnent à l’industrie. Non je pense qu’en France nous avons perdu trop de temps à écouter les salamalecs de
Reagan/Thatcher ou Blair
La part de l’industrie dans leur PIB est remontée mais il ne vous aura pas échappé qu’ils n’ont pas l’Euro.
Cela tendrait à prouver qu’ils sont beaucoup plus rationnels que nous, et qu’ils ont bien moins tendance à se laisser séduire par le mirage europhile.
Plus profondément c’est un pays qui ne m’a jamais fais rêvé.
J’ai eu la chance d’y vivre quelques années, et je m’y suis beaucoup plu. C’est un pays complexe, très différent de nous, passionnant dans ses contradictions. Les anglais sont par certains côtés
exaspérants, par d’autres admirables. J’y retourne toujours avec un grand plaisir. Intellectuellement, je dois dire que la philosophie pragmatique exerce sur moi une grande attraction…
Dé-professionnaliser la politique implique que seuls ceux qui ont des rentes ou une profession supérieure avec de nombreux loisirs pourront se consacrer à la
politique. C’est un peu le retour d’une politique aristocratique, qui en dernière instance est une politique d’amateurs. Je ne crois pas que dans un Etat moderne et complexe comme l’est le notre,
on puisse éviter que la professionnalisation aboutisse à devoir choisir entre une technocratie administrative ou bien l’irrationnalité.
Je n’ai pas d’idée vraiment affinée sur la déprofessionnalisation. Peut-être le mot est mal choisi mais je suis très gêné par la
présence des mêmes têtes, des mêmes circuits de distribution du pouvoir et de l’encroutement quasi général de la chose. Qu’il y ait une technocratie administrative je le conçois aisément mais
pour clarifier ma pensée disons que je pense que nous devrions essayer de trouver les structures institutionnelles qui garantissent à minima les principes suivants : garantie des compétences
techniques (des trucs comme la caisse des dépôts, le nucléaire ou la diplomatie réclament un temps d’ingurgitation intellectuelle et pratique conséquent) et donc maintenir une école comme l’ENA,
obligation à un renouvellement du personnel politique sur une durée déterminée, redistribution des cartes pour les classes populaires (et donc pourquoi pas un quota d’accès à la formation). Je ne
vois pas trop comment éviter les déterminants sociaux de la reproduction sans mesures d’arbitrage.
Je ne saisis pas très bien le rapport. L’essor des spin-doctors et autres communiquants est un effet de la société d’hyper-communication, et non de la
“professionnalisation” de la politique.
Tu remarqueras qu’il n’y a que des gens qui ont une haute conscience de ce qu’est la politique pour ne pas être tombé dans le piège de
cette “hyper-communication” et que la plupart des hommes politiques ne proposent que des choses très très maigres pour contrer les effets réels et dévastateurs qu’on sur les
idées et la démocratie les structures médiatiques aussi bien de production que de réception d’ “informations”. A partir du moment où peu de choses sont entreprises pour effacer la nocivité d’un
tel pouvoir, j’estime que c’est devenu un aspect intégré à la professionalisation du politique. C’est devenu un outil de manipulation linguistique, symbolique et encore une fois, trop de
complicité et d’intérêt bien compris pour toucher quoi que ce soit. Du cynisme à vertu négative.
Plus que “dévoyée”, elle est attaquée par les couches sociales – les classes moyennes, pour ne pas les nommer – qui, s’étant taillé une place enviable, sont
terrifiées à l’idée que les cartes puissent être rebattues à chaque génération. Car c’est cela, la méritocratie: puisque les “mérites” ne se transmettent pas, ils ne sont pas héréditaires. Or, la
volonté de transmettre son patrimoine – et dans ce patrimoine, sa position sociale – est un réflexe très puissant.
Peux-tu clarifier ce point s’il te plaît car comment imagines-tu rabattre les cartes de manière générationnelle sans transmission de position sociale ? Et ce réflexe de reproduction n’a eu cesse
d’être justifié par la nécessité du diplôme, qu’il faut avoir une bonne position. Notre écart générationnel te conduit certainement à trop appuyer sur les dégâts de 1968. Moi on m’a toujours
rabaché à l’école qu’il fallait avoir un diplôme pour trouver un job (chômage, crise etc etc) et avoir une bonne situation. Bon j’ai pas écouté jusqu’au bout le conseil mais
voilà ce qu’on nous rabachait. Pour nous, les filières techniques ou professionnelles ont été sérieusement dévalorisées au cours des années 80-90. Je n’irais pas jusqu’à dire que nos problèmes de
désindustrialisation trouvent une cause ici mais ça peut en être un symbole : en oubliant l’industrie on croit à l’économie de l'”intelligence”, de la “compétence” en pensant qu’un pays peut
produire avec des bac+5. Produire des idées, mais quid de la réalisation ? Voilà la limite de l’idée d’avantage comparatif mal interprétée (sciemment ou non). Il ne peut y avoir un “atelier du
monde” et un “continent de pensée” sans qu’au final la balance des paiements ne se déséquilibre. Enfin, Pour les classes moyennes comment peut-on pointer leur frilosité à l’idée de déclassement
de leurs progénitures ? Quel être humain accepte aisément le retour en arrière ? Personnellement je pense pour ma part depuis longtemps
que c’est un ressort d’inaction collective extrêmement puissant. Je suis définitivement convaincu qu’il y a un confort matériel tellement abouti qu’il en est pernicieux : les classes moyennes ne
comprennent pas la mondialisation comme les classes populaires, la fracture est définitive depuis les années 90 pour moi. Mais elles ne pouvaient pas le comprendre tant que le “progrès” qu’on
leur a promis en échange de travail ne se trouvait pas menacé réellement. Nous en sommes là, et l’image du crocodile que tu utilisais était bonne. Pour ma part elles se saboteront elles-même sous
le poids de leurs propres contradictions. Elles contribuent à la prolifération de la précarité et du déclassement en votant pour des projets qui ne feront qu’accentuer ce qu’elles craignent, tout
ça pour payer un short de bain à Décathlon moins cher. Je suis des classes moyennes (père cadre infirmier, mère aide-soignante) et je travaille avec des gens de classes moyennes. L’impossible
tenue de l’euro sans un abandon de démocratie majeure et à terme forcément conflictuel car issu d’une fédération à marche forcée, la régression sociale inscrite au coeur même des traités de
l’Union, tout ça j’ai beau le dire et le répéter, ça ne percute pas. J’ai beau avoir fait “campagne” contre Hollande, le réflexe primaire et ridicule anti Sarkozy l’a emporté. Ne parlons pas de
l’abandon de l’euro et du protectionnisme : “échec”, “retour en arrière” “drame” etc. J’en suis même à douter qu’un référendum sur la question soit d’ordre à changer les choses. Car prononcez le
mot inflation et c’est 90% du corps électoral des 50-75 ans (de plus en plus nombreux) qui ira se déplacer et voter oui pour le maintien du statut quoi. Voilà notre autre drame, le conflit
intergénérationnel latent.
Depuis qu’on leur a expliqué – en mai 1968 notamment – que l’école était une institution aliénante, que les diplômes ne sont que des “peaux d’âne inutiles”, qu’on
peut être très heureux sans le bac, et que de toute manière qu’on étudie bien ou pas on finit au chômage, parents et enfants sont totalement démobilisés.
Je ne suis pas d’accord avec ça. Du moins les sédiments temporels de cette conception de l’école sont plus diversifiés que ça. Il est
vrai que des ” théories” comme celles d’Ivan Illich par exemple sont fumeuses mais aujourd’hui qui connaît Ivan Illich et accorde à ses idées une résonnance structurelle ? Une dizaine de milliers
d’individus ? L’école comme enjeu de luttes donne lieu à des stratégies beaucoup plus affinées que ça. Si le diplôme n’avait plus de valeur symbolique et efficiente, pourquoi le soutien scolaire
s’est-il développé à ce point ? Tu me diras que c’est le signe quasi pathologique de toutes les classes moyennes qui ont chèrement acquis leur bout de gras mais ne leur a-t-on pas promis le
“progrès” ? L’effet à retardement de 68 je le vois plus dans la “tolérance”, la “compréhension”, l'”aménagement”. Je ne suis pas un insensible mais on sature de relativisme. On psychologise sur
des conneries alors qu’il n’y a qu’à poser son cul sur une chaise et bosser un peu. Quand je parle comme ça on me prend pour un monstre mais un moment faut arrêter d’être à “l’écoute de soi”, et
de constamment réfléchir en termes de “droits”. “J’ai le droit d’écouter et regarder des conneries”. “J’ai le droit d’être pris pour un âne”. Voilà où nous en sommes. On
Je n’ai pas d’idée vraiment affinée sur la déprofessionnalisation. Peut-être le mot est mal choisi mais je suis très gêné par la
présence des mêmes têtes, des mêmes circuits de distribution du pouvoir et de l’encroutement quasi général de la chose.
Mais dans les faits, on assiste plutôt au phénomène inverse: Dans le gouvernement Ayrault, pour ne prendre qu’un exemple, on trouve une
floppée de ministres qui n’avaient jamais exercé auparavant cette fonction. Et c’était la même chose sous le gouvernement Fillon. La question à se poser plutôt est de savoir si une Rachida Dati ou une Cécile Duflot servent mieux la République qu’un “croûton” rompu au travail ministériel. Je n’en suis pas
persuadé.
Je pense que vous raisonnez d’un point de vue symbolique et oubliant que la fonction de la politique n’est pas seulement de gérer les
symboles, mais surtout de gouverner l’Etat. Personne ne critiquerait un grand chirurgien – et lui préfererait un chirurgien tout frais sorti de la faculté – au prétexte qu’il est “dans les
circuits de la médecine”. “L’encroûtement” dont tu parles s’appelle aussi connaissance du milieu, expérience, capacité. Les petits jeunes frais et dynamiques, c’est très joli à regarder, mais en
termes pratiques, quels sont les résultats de leur action ?
garantie des compétences techniques (des trucs comme la caisse des dépôts, le nucléaire ou la diplomatie réclament un temps
d’ingurgitation intellectuelle et pratique conséquent) et donc maintenir une école comme l’ENA,
Totalement d’accord. Et aussi d’écoles comme l’école Polytechnique, les Travaux Publics de l’Etat, l’Ecole Nationale de la Magistrature
et toutes ces institutions méritocratiques qui permettent d’avoir une fonction publique méritocratique, compétente et apolitique – pas dans le sens que ses membres n’ont pas d’opinions, mais dans
le sens qu’elle sert avec la même loyauté quelque soit le gouvernement du jour. Il ne faut pas polariser sur l’ENA, lieu de tous les fantasmes, alors qu’en fait c’est un système complet. Par
contre, je trouve qu’il faudrait surveiller plus sévèrement les passerelles entre haute fonction publique, secteur privé et politique. Même si seule une infime partie des énarques se plonge dans
le bain politique, cela fait mélange des genres.
obligation à un renouvellement du personnel politique sur une durée déterminée
Pourquoi ? Faut il “renouveller le personnel médical sur une durée limitée” en foutant à la porte les médecins expérimentés qui
souhaitent continuer à exercer pour laisser la place aux nouveaux ? Faut il appliquer cette même règle aux ingénieurs, aux professeurs, aux artisans ? Bien sur que non: l’expérience, la
connaissance, la réflexion accumulée sont un capital précieux. C’est d’ailleurs partie du pacte intergénérationnel: les jeunes doivent apprendre à attendre, en sachant que les générations
suivantes attendront à leur tour. La politique “jeuniste” est un énorme gâchis de compétences. D’autant plus qu’il n’y a la moindre évidence que les politiques “jeunes” fassent mieux leur travail
que les “vieux”.
redistribution des cartes pour les classes populaires (et donc pourquoi pas un quota d’accès à la formation).
Cela dépend de ce que tu appelles “accès à la formation”. D’une manière générale, je suis contre toute politique de quota, et pour une
politique strictement méritocratique dans le recrutement. Qu’on fournisse des aides et du soutient supplémentaire à ceux qui ont le moins, tout à fait d’accord. Mais ces aides et ce soutient
doivent avoir pour but de leur permettre d’arriver à l’examen au même niveau que les autres, et non de les en dispenser. Le niveau d’exigence doit être le même pour tous. Même l’idée de “concours
aménagé” est dangereuse. Si nous décidons qu’un médecin doit connaître son anatomie, je ne vois pas au nom de quoi on en dispenserait certains médecins sous prétexte qu’ils sont d’origine
modeste.
la plupart des hommes politiques ne proposent que des choses très très maigres pour contrer les effets réels et
dévastateurs qu’on sur les idées et la démocratie les structures médiatiques aussi bien de production que de réception d’ “informations”.
Personne ne scie la branche sur la quelle il est assis. Mais il ne faut tout de même pas surestimer les “effets dévastateurs” dont tu
parles. Le référendum sur le TCE fut un exemple d’école sur les limites de la propagande. Si le champ des idées est “dévasté”, ce n’est pas seulement par al faute des “structures médiatiques”:
mai 1968 et son idéologie a fait infiniment plus pour cela que tous les empires médiatiques réunis.
Peux-tu clarifier ce point s’il te plaît car comment imagines-tu rabattre les cartes de manière générationnelle sans transmission de position sociale ?
C’est la que réside précisement mon problème ! J’imagine sans peine comment on pourrait le faire sur le plan théorique: un système de concours égalitaire associé à un système éducatif
“inégalitaire” qui donnerait plus à ceux qui en ont moins pour leur permettre d’arriver à l’examen sur un pied d’égalité. Ce système a d’ailleurs existé chaque fois que l’économie française a eu
un besoin massif de cadres et donc que la promotion sociale des gens issus des couches modestes était possible sans léser les classes moyennes. Le problème est politique: jamais au grand jamais
les classes moyennes n’accepteront, dans un contextes de faible croissance, un système qui n’assure pas à leurs rejetons un niveau social équivalent au leur.
Et ce réflexe de reproduction n’a eu cesse d’être justifié par la nécessité du diplôme, qu’il faut avoir une bonne position.
Mais paradoxalement, il a conduit à un affaiblissement des diplômes: en 1950, il n’y avait qu’un moyen d’être polytechnicien: passer le concours. Aujourd’hui, on multiplie des “concours aménagés”
et autres “passerelles avec l’université” que les classes moyennes savent exploiter à merveille, et qui permet à leurs rejetons de ne pas passer par les fourches caudines des concours
égalitaires. Par ailleurs, la quasi disparition du secteur public a elle aussi conduit à un recrutement qui est chaque fois moins lié à une procédure méritocratique.
Notre écart générationnel te conduit certainement à trop appuyer sur les dégâts de 1968. Moi on m’a toujours rabaché à l’école qu’il fallait avoir un diplôme pour trouver un job (chômage,
crise etc etc) et avoir une bonne situation.
Tout à fait. Peut-être parce que tu est allé dans un lycée de classes moyennes. Dans les lycées des quartiers populaires, on explique au contraire que le diplôme ne sert à rien, et que bachelier
ou pas on sera au chômage ou dans un boulot de merde. Il ne faut pas oublier que le discours soixante-huitard est un discours assymétrique: il y a un langage – celui de “ce n’est pas la peine de
passer son bac” ou de “la culture classique est réactionnaire” – pour le bénéfice du vulgus pecum, et un discours “élitiste” pour consommation privée. Les mêmes soixante-huitards qui parlent de
l’école comme d’une “structure représsive de l’Etat” envoient leurs enfants à Louis-le-Grand, Henri IV ou chez les Jésuites.
Je n’irais pas jusqu’à dire que nos problèmes de désindustrialisation trouvent une cause ici mais ça peut en être un symbole : en oubliant l’industrie on croit à l’économie de
l'”intelligence”, de la “compétence” en pensant qu’un pays peut produire avec des bac+5.
Et c’est vrai: l’économie pourrait produire beaucoup avec des vrais bac+5. Le problème, c’est que pour faire rentrer tout le monde à l’Université, on a transformé cette institution en une immense
garderie, où la connaissance n’est plus qu’un accessoire – facultatif – au diplôme. Ce n’est pas le nombre d’années qu’on passe à l’université qui importe, c’est ce qu’on y fait. Et un “bac+5”
aujourd’hui sait faire – et penser – beaucoup moins de choses qu’un “bac+3” d’il y a cinquante ans.
Produire des idées, mais quid de la réalisation ?
Je n’opposerai pas “l’intelligence de la main” à celle du cerveau. Un ouvrier bachelier fait bien mieux son métier d’ouvrier qu’un ouvrier avec un CAP, parce que même un métier ouvrier peut être
fait intelligement. Je t’invite d’ailleurs à faire l’expérience suivante: va a ton supermarché et demande 250g de jambon en tranches à la coupe. Tu verras trois types de comportements: Il y a
l’employé qui fait des aller-retour entre la machine à trancher et la balance à chaque tranche pour vérifier le poids jusqu’à arriver au poids prescrit, il y a celle qui coupe “au hasard” et pèse
de temps en temps, pour t’annoncer “il y a 350g, c’est ok ?”. Et finalement, il y a celle qui coupe une tranche, la pèse… et déduit par règle de trois combien de tranches il faut couper. A ton
avis, lequel est le plus efficient ? Et bien, plus ils ont des études, plus ils auront tendance à choisir la troisième solution.
Pour les classes moyennes comment peut-on pointer leur frilosité à l’idée de déclassement de leurs progénitures ? Quel être humain
accepte aisément le retour en arrière ? Personnellement je pense pour ma part depuis longtemps que c’est un ressort d’inaction collective extrêmement puissant.
Tout à fait. C’est pourquoi la croissance n’est pas seulement une question économique, mais aussi sociale. Lorsque la croissance est
faible ou nulle, la société se fige parce qu’il faut partager un gâteau de taille fixe, et personne n’accepte d’en avoir un peu moins. Lorsque la croissance est importante, comme le gâteau
s’agrandit, on peut en donner plus à certains sans lèser les autres. Cependant, il faut être conscient qu’on ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre: si l’on veut que l’ascenseur social
fonctionne dans un contexte à faible croissance, il faut que des gens montent et d’autres descendent. Si l’on n’est pas prêt à admettre que les cartes soient rebattues, alors ce n’est pas la
peine de se raconter des histoires.
Elles [les classes moyennes] contribuent à la prolifération de la précarité et du déclassement en votant pour des projets qui ne
feront qu’accentuer ce qu’elles craignent, tout ça pour payer un short de bain à Décathlon moins cher.
Comme disait Marx, chaque système engendre les contradictions qui provoqueront sa chute. La question est comment on fait pour que cette
“chute” ne prenne pas la forme d’une catastrophe ou d’une guerre civile.
Ne parlons pas de l’abandon de l’euro et du protectionnisme : “échec”, “retour en arrière” “drame” etc. J’en suis même à douter
qu’un référendum sur la question soit d’ordre à changer les choses. Car prononcez le mot inflation et c’est 90% du corps électoral des 50-75 ans (de plus en plus nombreux) qui ira se déplacer et
voter oui pour le maintien du statut quoi. Voilà notre autre drame, le conflit intergénérationnel latent.
Je suis moins pessimiste que vous. Le référendum sur le TCE a montré les limites de ce raisonnement. Et en particulier, qu’on peut
mobiliser une partie non négligéable des couches populaires pour faire contrepoids aux classes moyennes lorsqu’il s’agit de rejeter un certain nombre de principes ou institutions. Il reste
maintenant à canaliser cette impulsion dans un sens positif, ce qui constitue certes un vaste programme.
Il est vrai que des ” théories” comme celles d’Ivan Illich par exemple sont fumeuses mais aujourd’hui qui connaît Ivan Illich et
accorde à ses idées une résonnance structurelle ?
Beaucoup de monde, et notamment dans le milieu enseignant. En
2010 les oeuvres d’Ivan Illich ont été rééditées, et cela a donné lieu à une collection de papiers dythirambiques dans diverses revues et suppléments littéraires (par exemple ici). Rares furent les voix critiques dans ce concert de
louanges… Par ailleurs, toutes les théories sur “l’élève au centre du système” et la tendance à multiplier à l’école
les “enseignements” qui n’ont absolument rien à voir avec la fonction de transmission de connaissances (formation à la “citoyenneté”, enseignement du “genre”…) ne sont pas très
loin.
Si le diplôme n’avait plus de valeur symbolique et efficiente, pourquoi le soutien scolaire s’est-il développé à ce point
?
Parce que, comme je l’ai expliqué plus haut, le discours soixante-huitard est double. Aux parents modestes on explique que ce n’est pas
la peine de pousser leurs rejetons vers la réussite scolaire et le diplôme. Mais les classes moyennes, elles, tiennent aux “peaux d’âne” comme la prunelle de leurs yeux pour leurs propres
enfants.
L’effet à retardement de 68 je le vois plus dans la “tolérance”, la “compréhension”, l'”aménagement”. Je ne suis pas un insensible
mais on sature de relativisme. On psychologise sur des conneries alors qu’il n’y a qu’à poser son cul sur une chaise et bosser un peu.
Oui. Et surtout, on sape la racine de la méritocratie en transférant toute la responsabilité de ce nos échecs sur “la société”. Car si
celui qui échoue n’est pas responsable, celui qui réussit ne peut le devoir à son mérite.
Quand je parle comme ça on me prend pour un monstre (…)
Bienvenu au club !
Voilà où nous en sommes. On
Désolé, mais ton commentaire m’est parvenu incomplet… pour les commentaires longs, il vaut mieux les scinder en
deux.
Cela tendrait à prouver qu’ils sont beaucoup plus rationnels
que nous, et qu’ils ont bien moins tendance à se laisser séduire par le mirage europhile
Honnêtement ils ont une grande part de responsabilité dans ce mirage europhile.
Avant l’Euro il y eut bien l’Acte Unique d’inspiration anglo-saxonne et tout autant idéologique. Quel bilan
peut-on tirer de l’Acte unique ?
Honnêtement ils ont une grande part de responsabilité
dans ce mirage europhile. Avant l’Euro il y eut bien l’Acte Unique d’inspiration anglo-saxonne et tout autant idéologique. Quel bilan peut-on tirer de l’Acte unique ?
Je pense au contraire que les anglais ont tout fait pour tuer le rêve d’une “Europe-nation” fédérale, en
poussant au contraire pour que l’Europe devienne une vaste zone de libre-échange sans véritables structures politiques. Si “inspiration idéologique” il y eut dans la politique anglaise, c’est
surtout une inspiration libre-échangiste. Mais certainement pas fédérale.
Je pense que vous raisonnez d’un point de vue symbolique et oubliant que la fonction de la politique n’est pas seulement de gérer les symboles, mais surtout de
gouverner l’Etat. Personne ne critiquerait un grand chirurgien – et lui préfererait un chirurgien tout frais sorti de la faculté – au prétexte qu’il est “dans les circuits de la médecine”.
“L’encroûtement” dont tu parles s’appelle aussi connaissance du milieu, expérience, capacité. Les petits jeunes frais et dynamiques, c’est très joli à regarder, mais en termes pratiques, quels
sont les résultats de leur action ? (…) Pourquoi ? Faut il “renouveller le personnel médical sur une durée limitée” en foutant à la porte les médecins expérimentés qui souhaitent continuer à
exercer pour laisser la place aux nouveaux ? Faut il appliquer cette même règle aux ingénieurs, aux professeurs, aux artisans ? Bien sur que non: l’expérience, la connaissance, la réflexion
accumulée sont un capital précieux. C’est d’ailleurs partie du pacte intergénérationnel: les jeunes doivent apprendre à attendre, en sachant que les générations suivantes attendront à leur tour.
La politique “jeuniste” est un énorme gâchis de compétences. D’autant plus qu’il n’y a la moindre évidence que les politiques “jeunes” fassent mieux leur travail que les “vieux”.
Sur le fond je n’ai aucun problème avec ce principe. J’ai découvert et appris moi-même un métier auprès d’anciens et de gens
expérimentés. Simplement, par expérience mais aussi regard objectif sur comment s’est développée la science, la philosophie, les arts, je pense que la phase d’apprentissage et de transmission ne
s’acquiert que pendant un temps. Elle est indispensable car tout vient du passé. Pour qu’il y ait un Galilée il faut un Copernic et un Kepler. De même que pour avoir un Keynes il a fallu un
Ricardo, un Say et un Hayek. Et dans des domaines plus communs je pense que c’est excatement la même chose. Mon problème à moi est qu’il est bien difficile de déterminer un “quand”. Quand les
succédants sont-ils arrivés à maturité ? Quand de vieilles idées peuvent-elles être considérées comme nouvellement mise en oeuvre ? Bien entendu nous n’avons strictement aucune garantie que les
jeunes fassent mieux que les vieux. Mais je pense que la chose politique manque considérablement d’imagination et de dynamique. Il y a la realpolitik de la gestion d’un Etat je l’accorde sans
aucun souci. Mais je me méfie un peu du “trop” de réalisme car il annonce bien des renoncements injustifiés. C’est un débat extrêmement compliqué à démêler mais je suis intimement convaincu que
si le temps et la patience sont indispensables à la politique, il y a un moment où on a fait son temps justement. A titre personnel je suis gêné qu’un député soit élu plus de trois fois
consécutives. N’est-il pas de son “devoir” de se trouver un héritier ? Bon j’accorde que j’exagère un peu, c’est plus facile à dire qu’à faire. Même si l’on fait bien son job, je pense que la
représentation locale et nationale doit un peu plus que les autres trouver un bon équilibre entre renouvellement et continuité.
Par contre, je trouve qu’il faudrait surveiller plus sévèrement les passerelles entre haute fonction publique, secteur
privé et politique. Même si seule une infime partie des énarques se plonge dans le bain politique, cela fait mélange des genres
C’est la tare du moment, qui redonne un vernis de choix à la pire vulgate marxiste. D’ailleurs un tel mélange des genres existait-il
avant les années 80-90 ?
Cela dépend de ce que tu appelles “accès à la formation”. D’une manière générale, je suis contre toute politique de quota, et pour une politique
strictement méritocratique dans le recrutement. Qu’on fournisse des aides et du soutient supplémentaire à ceux qui ont le moins, tout à fait d’accord. Mais ces aides et ce soutient doivent avoir
pour but de leur permettre d’arriver à l’examen au même niveau que les autres, et non de les en dispenser. Le niveau d’exigence doit être le même pour tous
C’est précisément dans ce sens que je le conçois. L’idée n’est pas de niveller par le bas afin de faire beau et gentil pour le prolo,
la “diversité” etc. Il faut simplement atténuer l’handicap de départ et créer des prépas d’excellence avec une meilleure répartition géographique. Pourquoi pas un lycée Henri IV dans un
“quartier” ?
Personne ne scie la branche sur la quelle il est assis. Mais il ne faut tout de même pas surestimer les “effets dévastateurs” dont tu parles. Le référendum sur le
TCE fut un exemple d’école sur les limites de la propagande. Si le champ des idées est “dévasté”, ce n’est pas seulement par al faute des “structures médiatiques”: mai 1968 et son idéologie a
fait infiniment plus pour cela que tous les empires médiatiques réunis.
A ta première phrase je rétorquerais que c’est précisément ce que je reproche. Le manque de hauteur de vue, et le manque de répondant.
Qu’un Dupont Aignan éructe face à Denisot et consorts je trouve ça presque indispensable car l’inversement des valeurs est trop, beaucoup trop déséquilibré. Le lien avec 1968 n’est d’ailleurs pas
inexistant. On ne peut pas tout se permettre avec un homme politique aussi profond soit son désaccord ou le mépris que l’on a pour ses idées. Je ne vois pas où est l’exercice de la liberté de la
presse ou de pensée quand on traite inégalement des élus du peuple. L’UMP et le PS ne feront rien contre, car ils ont intégré le fait qu’avoir de la présence médiatique était plus important que
d’avoir un projet fondé et cohérent. Par effets dévastateurs je n’entends pas nécessairement sur l’efficacité d’influence de la propagande mais sur le cadre général et la qualité
des discussions qui s’y déroulent. Cadre duquel on ne peut déborder. Exemple, les campagnes électorales, dont une majorité de citoyens sont mécontents depuis bien des élections. Qui a
l’intelligence absolument éblouissante de rabacher en boucle des questions sur la viande hallal pendant trois jours consécutifs ? De la réaction à telle ou telle phrase ? De ne plus faire la
différence entre une information et une anecdote ? Oui il y a le TCE, mais le TCE est presque trop parfait. J’en vois le succès autant par une formidable appropriation du texte par le peuple
votant qu’une stratégie de débat inouie d’arrogance et de suffisance de la part des ouiouistes.
Je n’opposerai pas “l’intelligence de la main” à celle du cerveau. Un ouvrier bachelier fait bien mieux son métier d’ouvrier qu’un ouvrier avec un CAP, parce que
même un métier ouvrier peut être fait intelligement.
Là n’était pas mon propos.Mais le discours sur la nouvelle économie et les nouveaux secteurs d’avenir (BFM buisness est fort pour
ça…) ou maintenant l’économie de l’intelligence et de l’innovation font quand même doucement rigoler. Exemple les disques durs : ce sont les pays développés qui en ont conçu la technologie mais
aujourd’hui ils sont produits majoritairement en Thaïlande. Si la Thaïlande a un souci, moins d’alimentation mondiale en disques durs. C’est quand même con de ne pas produire un truc qu’on a
inventé non ? Alors demain je veux bien qu’on fasse des milliards de recherche et développement sur les nanotechnologies, le gaz de schiste etc. Mais si c’est pour faire le tout dans un
libre-échange déloyal et une circulation des capitaux anarchique, quel est l’intérêt ? Il faut de la conception et de la réalisation locale. La théorie des avantages comparatifs a ses limites,
elle ne peut fonctionner à l’échelle globale sans des contraintes car elle est tout simplement vouée à l’échec. Il ne peut y avoir un continent qui produit des idées et des concepts et qui en
confie la réalisation à un autre continent.
Je suis moins pessimiste que vous. Le référend
Mon problème à moi est qu’il est bien difficile de déterminer un “quand”. Quand les succédants sont-ils arrivés à maturité ?
Et bien… quand ils se montrent capables de remplacer les gens en place… Que les “jeunes” se confrontent aux “vieux” et essaient de leur ravir le pouvoir, c’est tout à fait normal. Ce que je
critique, c’est l’idée qu’il faudrait prévoir des mécanismes administratifs – la limitation du nombre des mandats successifs, par exemple – pour faire partir les “vieux” sans tenir compte de
leurs mérites.
Bien entendu nous n’avons strictement aucune garantie que les jeunes fassent mieux que les vieux. Mais je pense que la chose politique manque considérablement d’imagination et de
dynamique.
Et qu’est ce qui vous fait penser qu’en mettant les “jeunes” aux commandes on aurait plus “d’imagination” ou de “dynamisme” ? Vous savez… l’imagination et le dynamisme ne sont pas des question
d’âge, et je connais des jeunes qui sont bien plus bovins que beaucoup d’anciens… Franchement, en 1958 il n’y avait pas beaucoup de jeunes qui avaient plus d’imagination et de dynamisme qu’un
certain général retraité de 68 ans…
Il y a la realpolitik de la gestion d’un Etat je l’accorde sans aucun souci. Mais je me méfie un peu du “trop” de réalisme car il annonce bien des renoncements injustifiés. C’est un débat
extrêmement compliqué à démêler mais je suis intimement convaincu que si le temps et la patience sont indispensables à la politique, il y a un moment où on a fait son temps justement.
Qu’est ce qui vous fait penser que les jeunes seraient moins “réalistes”, moins cyniques que les autres ? Qu’est ce qui vous fait croire qu’à l’heure du “renoncement” les jeunes seraient moins
prompts que les “vieux” ? Mais là encore, vous projetez sur la “jeunesse” un prejugé qui n’a aucun rapport avec la réalité. Pensez aux trafiquants de drogue qui tiennent en coupe reglée certains
quartiers. La plupart d’entre eux n’ont guère plus qu’une vingtaine d’années. Trouvez-vous qu’ils soient moins cyniques, moins “réalpolitik”, plus idéalistes que les quadra ou quinqua ?
L’histoire politique est remplie de “vieux” qui ont défendu à mort leurs convictions, et de “jeunes” carriéristes adeptes de la “réalpolitik” et prêts à tous les abandons. J’aurais même tendance
à dire que les “jeunes” sont pires que les “vieux”, parce qu’ils ont encore à se faire une place. Un “vieux” a sa carrière derrière lui, et peut se permettre d’agir en fonction de ses
convictions. Un jeune a beaucoup plus à perdre…
A titre personnel je suis gêné qu’un député soit élu plus de trois fois consécutives. N’est-il pas de son “devoir” de se trouver un héritier ?
Moi pas. S’il fait bien son boulot de député, pourquoi aurait-il à rougir ? Au nom de quoi faudrait-il le pousser vers la sortie et jeter par la fenêtre sa connaissance des dossiers et son
expérience au prétexte qu’il est là depuis longtemps ? Franchement, si tu as un médécin qui te suit depuis quinze ans, qui te soigne bien et qui te donne toute satisfaction, lui demanderais-tu de
“se trouver un héritier”, changerais-tu de médecin sous le simple prétexte qu’il est là depuis trop longtemps ?
Bon j’accorde que j’exagère un peu, c’est plus facile à dire qu’à faire. Même si l’on fait bien son job, je pense que la représentation locale et nationale doit un peu plus que les autres
trouver un bon équilibre entre renouvellement et continuité.
Oui. Mais c’est aux électeurs de trouver cet équilibre. Il ne peut pas être prescrit par des règles administratives.
C’est la tare du moment, qui redonne un vernis de choix à la pire vulgate marxiste. D’ailleurs un tel mélange des genres existait-il avant les années 80-90 ?
Moins, parce que l’existence d’un vaste secteur public donnait aux “grands commis de l’Etat” plus de débouchés, mais aussi et surtout parce que le prestige et la “rémunération symbolique” des
hauts fonctionnaires rendait le passage dans le privé moins attractif.
A ta première phrase je rétorquerais que c’est précisément ce que je reproche.
Tu ne peux pas reprocher aux gens de ne pas scier la branche sur laquelle ils sont assis. Ils sont humains, après tout… si ton idéal est une société de saints, je crains que tu ne soies
toujours déçu.
Là n’était pas mon propos.Mais le discours sur la nouvelle économie et les nouveaux secteurs d’avenir (BFM buisness est fort pour ça…) ou maintenant l’économie de l’intelligence et de
l’innovation font quand même doucement rigoler. Exemple les disques durs : ce sont les pays développés qui en ont conçu la technologie mais aujourd’hui ils sont produits majoritairement en
Thaïlande. (…) C’est quand même con de ne pas produire un truc qu’on a inventé non ?
Pas forcément. Il y a une logique à ce que chacun se spécialise en ce qu’il sait faire le plus efficacement. En France, nous trouvons normal que les médécins opèrent et que les femmes de ménage
nettoyent la salle d’opérations. Et ce serait un grand gachis d’inverser les rôles. A l’échelle internationale, il y a une logique à appliquer une division du travail similaire. Si la Thailande a
des masses de travailleurs peu qualifiés et que la France a des masses de travailleurs qualifiés, il n’est pas absurde de faire de la conception en France et de la production de masse en
Thaïlande.
La question est tout autre quand, pour des questions de rentabilité du capital, on préfère faire travailler la main d’oeuvre peu qualifiée en Thaïlande et transférer la main d’oeuvre peu
qualifiée française, qui pourrait faire ce même travail, à la solidarité publique.
Votre message est arrivé incomplet. J’insiste: essayez d’utiliser les caractères “nus” de l’éditeur de texte Over-Blog, l’utilisation de polices particulières rend le phénomène plus fréquent. Par
ailleurs, mieux vaut couper les messages longs…
“Dans les lycées des quartiers populaires, on explique au contraire que le diplôme ne sert à rien, que bachelier ou pas, on sera au chômage ou dans un boulot de merde”.
Cette affirmation m’interpelle. Est-il possible de savoir qui est ce “on”? S’il s’agit de l’institution scolaire, pourrait-on connaître les textes officiels, circulaires ministérielles ou notes
de service des rectorats qui invitent les représentants de l’Education nationale à tenir un tel discours?
Cette affirmation m’interpelle. Est-il possible de savoir qui est ce “on”?
Ce “on” est très divers: ce sont les profs dans les lycées des quartiers populaires. Ce sont les militants et dirigeants de gauche dans leurs tracts et leurs discours. Ce sont les documentaires à
la télévision. Ce sont des réalisateurs de films, des acteurs, des sportifs. Ce sont d’éminents intellectuels dans leurs livres. Et cela n’a pas commencé aujourd’hui: te souviens-tu du livre
d’Ivan Illich, “La société sans école” ?
S’il s’agit de l’institution scolaire, pourrait-on connaître les textes officiels, circulaires ministérielles ou notes de service des rectorats qui invitent les représentants de l’Education
nationale à tenir un tel discours?
Si tu crois que les professeurs ont besoin d’une circulaire ou d’un texte officiel pour caler leur discours, tu risques d’être très déçu…bien sûr, me diras tu, seuls les textes valent position
officiel de l’institution. Mais dans la pratique, c’est plus compliqué que cela: chaque professeur qui tient es qualitès ce genre de discours sans être sanctionné apparaît comme représentant
l’institution. Et je peux t’assurer, par expérience personnelle, qu’ils sont nombreux à le tenir.
Je m’étonne que quelqu’un comme toi, qui de toute évidence connait bien l’institution scolaire et les gens qui y travaillent, n’aies pas entendu ce genre de discours. C’est un leitmotiv de la
gauche bienpensante: les jeunes des couches populaires sont “condamnés” par cette méchante société à l’échec, à la précarité, aux petits boulots, et cela quelque soient leurs efforts ou leur
sacrifice personnel. N’as-tu jamais entendu ça ? Moi, je l’entends tous les jours.
La question est tout autre quand, pour des questions de
rentabilité du capital, on préfère faire travailler la main d’oeuvre peu qualifiée en Thaïlande et transférer la main d’oeuvre peu qualifiée française, qui pourrait faire ce même travail, à la
solidarité publique.
Je ne vois pas ce que vous entendez par solidarité publique. S’agit-il de la CSG que nous
devons tous “payer” pour combler les trous de la Sécurité sociale ?
Je ne vois pas ce que vous entendez par solidarité publique. S’agit-il de la CSG que nous devons tous “payer” pour combler les trous de la Sécurité sociale ?
Il s’agit de tous les dispositifs qui prennent en charge les dégâts du chômage et qui ne sont pas de nature purement assurantielle. Lorsque le chômeur touche des indemnités payées par l’ASSEDIC,
il touche une assurance dont les cotisations chômage payées alors qu’il travaillait sont la prime. Par contre, les dispositifs comme le RSA, la CMU, etc. sont couvertes par des ressources
fiscales, et c’est donc de la solidarité publique.
Je n’ai pas lu le livre d’Illich, “la société sans école”, et on ne nous en avait pas parlé à l’IUFM, mais j’ai consulté l’article que tu indiquais en lien lorsque tu as évoqué la réédition de
ses oeuvres. C’est suffisant pour que je me dise que je ne lirai pas ce livre. Il y a tant de choses à lire et à apprendre et la vie est si courte.
Toutefois, vu l’époque à laquelle il écrit, peut-être s’interroge-t-il sur le rôle de l’école qui n’a pas empêché l’installation de régimes totalitaires, dans des pays pourtant relativement
instruits, comme l’Allemagne.
“Si tu crois que les professeurs ont besoin de circulaires”
Je ne crois rien. Je demandai juste des preuves de ton affirmation. Parce que, je ne vois pas bien comment on peut savoir ce que disent précisément les professeurs en classe quand on n’est pas
dans leurs cours. Ce que je sais en revanche, c’est que les élèves n’interprètent pas toujours comme il faut ce qu’on dit et déforment nos paroles lorsqu’ils les répètent à leurs parents.
L’ironie aussi, n’est pas toujours comprise. Quand on dit à un élève qui ne fait rien: “si tu continues comme cela, tu risques d’être au chômage!”, ce n’est pas la même chose que ce que tu
évoques. Je me demande simplement quel échantillon représentatif d’enseignants dans les quartiers populaires tu as interviewvé pour en arriver à cette affirmation. S’interroger sur la méthode,
n’est-ce pas ce que tu incites tes lecteurs à faire?
“quelqu’un comme toi qui connaît l’institution scolaire”
La preuve que je ne la connais pas si bien que cela, du moins pas aussi bien que toi. Je n’ai que quelques années dans le métier, et je ne prétends pas tout savoir sur notre belle maison qu’est
l’Education nationale. Le discours que tu évoques, je ne suis pas surpris que tu l’aies entendu, mais c’est la généralisation qui, je te le dis franchement, me gêne et me paraît très excessive.
“Les profs dans les lycées des quartiers populaires”, je trouve que tu y vas fort. Ce que m’a appris ma modeste expérience, c’est qu’on rencontre des gens très divers dans cette profession, une
profession où la conception même du métier, peut-être plus qu’ailleurs, varie fortement d’un individu à l’autre.
Le discours que tu évoques, je l’ai personnellement peu entendu, directement, mais j’en ai eu des échos, d’autres collègues qui l’avaient entendu. J’enseigne surtout dans les campages, et non
dans des quartiers populaires de grande ville, et plutôt au collège qu’au lycée. Donc je ne m’avancerai pas. Si j’ai entendu parfois ce discours, c’était dans des moments de découragement.
Lorsqu’on bosse, qu’on passe des heures en préparation et que les élèves ne jouent pas le jeu (ça arrive), on est frustré. Mais c’était des paroles échangées à la pause, entre adultes. En
revanche, que des enseignants, en classe, expliquent à leurs élèves que ça ne sert à rien de bosser, parce qu’ils seront chômeurs ou auront un sale boulot, je t’avoue mon scepticisme.
D’abord, je dis toujours à mes élèves qu’il n’y a pas de sot métier. Je doute que beaucoup de collègues se hasardent à tenir le discours dont tu parles en cours. Après, ce qu’ils disent en privé
peut résulter du découragement. Quand on essaie vraiment de transmettre quelque chose et qu’on échoue, ce n’est pas toujours facile à vivre, j’en sais quelque chose.
Mais je constate que ton “on” néglige des acteurs importants: les parents et les élèves des quartiers populaires. Faudrait quand même pas en faire des pauvres victimes de l’idéologie des classes
moyennes. Ce que je peux évoquer, c’est le discours des parents et de leurs rejetons, car j’y suis confronté, y compris dans mes campagnes où la situation économique et sociale est plutôt morose.
Un exemple? Réunion parents-professeurs, on explique l’importance de fournir un travail régulier et si possible rigoureux (et ça, c’est le discours que j’entends quand un collègue se trouve dans
la même salle que moi), on entend “Ah ben, oui, mais il aime pas cette matière, il y arrive pas, ça l’intéresse pas”. On demande alors comment se fait l’apprentissage des leçons. Eh bé, le petit
relit sa leçon devant la télé ou entre deux parties de jeux vidéo. Bon, on fait ce qu’on peut, mais c’est difficile d’apprendre aux parents à élever leurs gosses. On les voit gronder leurs gamins
qui s’en fichent royalement, on nous promet un contrôle qui ne vient jamais… Beaucoup d’entre nous sont de bonnes volonté, mais nous ne sommes pas magiciens, on ne fait pas de miracle. Pour
qu’un ascenceur serve à quelque chose, il ne suffit pas qu’il fonctionne, encore faut-il que certains aient envie de monter. Ceux qui montent, nous arrivons à en faire quelque chose. Mais
beaucoup de gens sont plus prompts à nous reprocher nos échecs qu’à saluer nos (modestes) réussites.
J’ai entendu des élèves me dire: “On s’en fout d’être au chômage” ou “de toute façon, je bosserai dans la boîte de mon père, l’école je m’en moque”. On a des parents aussi qui nous disent: “mais
l’école sert à rien! Je m’en suis sorti, et j’étais mauvais!”. Voilà un discours assez fréquent. Et je ne parle pas des gamins pour lesquels les établissements se décarcassent pour leur trouver
une formation dans la filière de leur choix, dont ils se font virer au bout de deux mois (dans le cas d’une seconde pro ou d’un apprentissage, les gamins virés reviennent faire une 3ème en
collège, en attendant leur 16 ans, j’en vois des cas tous les ans).
Pour finir sur les quartiers populaires, il faut peut-être aussi s’interroger sur notre crédibilité. Quand le grand frère, cancre abominable, vient saluer le petit en décapotable achetée avec
l’argent issu de larcins et trafics divers, le prof qui explique aux gamins qu’il faut travailler pour s’en sortir, disons les choses clairement, il passe pour un con. Et j’entends beaucoup de
collègues, ça c’est vrai, dire qu’ils en ont un peu marre de passer pour des guignols. Travailler demande en effort. Quand, dans la cité, trafic et marché noir offrent de lucratives rémunérations
au vu et au su de tous (la police cherche pas trop, hein, “dans un souci d’apaisement” selon la formule consacrée), pourquoi les jeunes seraient-ils portés sur l’effort, le travail,
l’instruction? Bon, avec le trafic, on risque la prison, c’est vrai, mais d’un autre côté, on n’est pas obligé de se lever tôt le matin, et puis la drogue, ça gagne quand même mieux qu’un
smicard. Et certains des gamins de quartiers populaires se disent que le jeu en vaut la chandelle. Ont-ils tort finalement?
L’institution a sans doute sa part de responsabilité, et les profs aussi. Je ne suis pas aveugle: mai 68 et le gauchisme continuent de faire du mal dans l’enseignement. Mais ton expérience,
désolé de le dire, constitue un argument un peu léger. En d’autres lieux, tu n’aurais pas manqué de le faire remarquer à un contradicteur. C’est pourquoi ton affirmation sur le discours tenu par
les professeurs des lycées de quartiers populaires en général n’est pas sérieusement fondée. C’est ta conviction, et tu as le droit de le penser, mais peux-tu le prouver autrement qu’en disant
“mais je l’entends souvent”? J’entends souvent certains discours (sur l’Europe, l’euro, l’immigration, la diversité, l’écologie…), je n’en déduis pas pour autant que tout le monde partage cette
conviction. Ce que disent en privé quelques enseignants démotivés ne suffit pas à faire une généralisation. De l’intérieur, on constate d’ailleurs chez les enseignants des contradictions
amusantes, tel le gauchiste de service, soixante-huitard convaincu, mais qui arrive en salle des profs en pestant contre ses élèves qui ne foutent rien… Pourtant, il ne devrait pas être choqué
puisqu’il considère que l’école est inutile pour eux. Et pourtant, il est quand même déçu. Etrange, non?
Je n’ai pas lu le livre d’Illich, “la société sans école”, et on ne nous en avait pas parlé à l’IUFM, mais j’ai consulté l’article que tu indiquais en lien lorsque tu as évoqué la réédition
de ses oeuvres. C’est suffisant pour que je me dise que je ne lirai pas ce livre. Il y a tant de choses à lire et à apprendre et la vie est si courte.
Je pense qu’il est intéressant de le lire, pour comprendre comment se sont élaborés les idées et les discours qui ont guidé l’évolution de notre école depuis la fin des années 1960. Tout est là.
Toutefois, vu l’époque à laquelle il écrit, peut-être s’interroge-t-il sur le rôle de l’école qui n’a pas empêché l’installation de régimes totalitaires, dans des pays pourtant relativement
instruits, comme l’Allemagne.
Je n’y crois pas un instant.
Je ne crois rien. Je demandai juste des preuves de ton affirmation. Parce que, je ne vois pas bien comment on peut savoir ce que disent précisément les professeurs en classe quand on n’est
pas dans leurs cours.
Mais… en discutant avec les élèves et avec les étudiants. Et en vérifiant, en tant que parent d’élève, dans un entretien en tête à tête avec l’enseignant. Mais point n’est besoin de faire
systématiquement ce travail de fourmi: l’idée que les élèves des quartiers modestes sont “condamnés par le système à l’échec” se trouve dans de nombreux tracts syndicaux.
Je me demande simplement quel échantillon représentatif d’enseignants dans les quartiers populaires tu as interviewvé pour en arriver à cette affirmation. S’interroger sur la méthode,
n’est-ce pas ce que tu incites tes lecteurs à faire?
Tout à fait. Je me fonde sur l’écoute des jeunes, sur la discussion avec des professeurs, sur ce qui est écrit dans les tracts des syndicats enseignants, sur une discussion avec un inspecteur
d’académie du 93… c’est fragmentaire, je te l’accorde, et je compte sur mes lecteurs pour apporter d’autres témoignages. Et si ces témoignages contredisent mon expérience, et bien je changerai
d’avis.
Quand on essaie vraiment de transmettre quelque chose et qu’on échoue, ce n’est pas toujours facile à vivre, j’en sais quelque chose.
Je ne jette pas forcément la pierre individuellement aux enseignants, même si j’estime que collectivement ils ont scié la branche sur laquelle ils étaient assis en tirant à boulets rouges sur
l’institution scolaire. Aujourd’hui, l’institution est tellement affaiblie qu’elle ne les protège plus, et je comprends que cela puisse être décourageant. Mais je dois avouer que la manière dont
les enseignants réagissent collectivement m’exaspère.
Mais je constate que ton “on” néglige des acteurs importants: les parents et les élèves des quartiers populaires. Faudrait quand même pas en faire des pauvres victimes de l’idéologie des
classes moyennes.
Si les parents – et notamment les parents modestes – étaient en mesure de guider et de pousser leurs enfants, nous n’aurions pas besoin d’une Education Nationale. L’EN est là aussi pour éduquer
les parents.
J’ai entendu des élèves me dire: “On s’en fout d’être au chômage” ou “de toute façon, je bosserai dans la boîte de mon père, l’école je m’en moque”. On a des parents aussi qui nous disent:
“mais l’école sert à rien! Je m’en suis sorti, et j’étais mauvais!”. Voilà un discours assez fréquent.
Bien sur. Il n’y a pas que les enseignants qui sont sensibles au discours ambiant – qui est celui des classes moyennes. Les parents et les enfants aussi intègrent ces clichés.
Et je ne parle pas des gamins pour lesquels les établissements se décarcassent pour leur trouver une formation dans la filière de leur choix, dont ils se font virer au bout de deux mois (dans
le cas d’une seconde pro ou d’un apprentissage, les gamins virés reviennent faire une 3ème en collège, en attendant leur 16 ans, j’en vois des cas tous les ans).
A force de mettre l’élève au centre du système, on arrive à ce genre d’aberration. Les établissements ne sont pas des hotels, et n’ont pas à se “décarcasser” pour que le pauvre cheri qui n’a fait
que se donner la peine d’exprimer un choix puisse l’avoir. Si on laissait les élèves se “décarcasser” eux mêmes un peu plus pour avoir leurs choix, ils auraient peut-être moins tendance à
divaguer comme tu le soulignes entre les différentes formations.
Pour finir sur les quartiers populaires, il faut peut-être aussi s’interroger sur notre crédibilité. Quand le grand frère, cancre abominable, vient saluer le petit en décapotable achetée avec
l’argent issu de larcins et trafics divers, le prof qui explique aux gamins qu’il faut travailler pour s’en sortir, disons les choses clairement, il passe pour un con.
Oui, mais le prof a tort de rentrer dans ce jeu, parce que si la compétition se fait sur le plan du fric, si le but est de “s’en sortir” financièrement, il ne peut que perdre. Par contre, s’il
porte le débat sur le plan de la connaissance, de la compréhension du monde, de l’empathie, de la possibilité de se construire un avenir agréable, d’aimer et d’être aimé, alors là l’école est
imbattable. J-C Brighelli a expliqué cela très bien dans son livre “la fabrique du crétin”.
Ont-ils tort finalement?
Oui, ils ont tort. Mille fois tort. Et je n’échangerais pas ma vie – fort modeste, je te rassure – avec celle qu’ont eu un certain nombre d’amis d’enfance qui ont choisi cette voie là. L’argent,
ce n’est pas mal. Mais une famille stable, la certitude de ne pas être en prison ou se faire flinguer demain, profiter de la beauté du monde et des choses qu’on peut comprendre, cela a une valeur
incomparable. C’est ce discours qu’il faut tenir aux jeunes. Si l’école essaye de leur démontrer qu’on gagne mieux ça vie en étudiant qu’en volant, on va à la catastrophe.
C’est pourquoi ton affirmation sur le discours tenu par les professeurs des lycées de quartiers populaires en général n’est pas sérieusement fondée.
J’admets ta critique. J’essaye ici de lancer le débat, et j’espère que d’autres auront envie d’apporter leur expérience.
Je m’étonne que quelqu’un comme toi, qui de toute évidence
connait bien l’institution scolaire et les gens qui y travaillent, n’aies pas entendu ce genre de discours. C’est un leitmotiv de la gauche bienpensante: les jeunes des couches populaires sont
“condamnés” par cette méchante société à l’échec, à la précarité, aux petits boulots, et cela quelque soient leurs efforts ou leur sacrifice personnel. N’as-tu jamais entendu ça ? Moi, je
l’entends tous les jours.
Ayant grandi dans un quartier populaire, je me rappelle avoir toujours entendu ce
discours.
Cependant c’est le plus souvent un discours intériorisé par les jeunes. Pas besoin qu’un
enseignant le dise. Les jeunes ont l’exemple de parents au chômage ou vivant de petits boulots et n’ont pas confiance dans l’institution scolaire pour leur permettre de sortir de cet
environnement. Il y a également ceux qui usent de cet argument pour justifier leur nonchalance.
Par ailleurs je ne suis pas sûr que les parents soient démobilisés. J’ai vu dans ma vie
beaucoup de parents supplier, implorer, gronder leur enfants à cause de leurs résultats scolaires.
Seulement comment aider ses enfants quand on ne sait soit-même pas lire ? Je pense qu’il
faudrait mettre de l’argent dans des programmes d’instruction pour certains parents. A partir du moment où une personne aspire à rejoindre la communauté nationale, il faut lui en donner les
moyens mais en échange être exigeant. On pourrait décider qu’une des conditions indispensable pour la naturalisation ou l’obtention d’une carte de séjour 10 ans est de savoir lire, écrire et
compter. C’est peut-être dur mais cela ne pourra que les aider pour eux-même et leurs enfants plus tard. Comment surveiller que les devoirs sont faits autrement ? …autrement il ne reste que les
cours du soir…
Mais même lorsque les parents ont été scolarisés et ont un bagage minimum il faut tout de même
parvenir à donner aux enfants l’envie d’étudier. Pour ma part je sais que cette envie n’est pas venue naturellement. Il a fallu passer par quelques coups de martinet vers 6/7 ans et un directeur
d’école exceptionnel qui m’a fait m’intéresser à la culture. Beaucoup ne réalisent que
tardivement l’intérêt de l’école, c’est pourquoi je pense il faut multiplier les outils de seconde chance.
Ayant grandi dans un quartier populaire, je me rappelle avoir toujours entendu ce discours.
Je ne connais pas ton âge, mais ça n’a pas été toujours comme ça. Si je crois mes parents, dans les années de l’après guerre le discours n’était pas du tout celui-là.
Cependant c’est le plus souvent un discours intériorisé par les jeunes. Pas besoin qu’un enseignant le dise.
Il n’y a pas que les enseignants qui tiennent ce discours. Il y a la télévision. Il y a les magazines. Il y a les “personnalités du monde de la culture” qui expliquent en long en large et en
travers combien ils se sont “ennuyés” à l’école et combien leur réussite est liée au rejet de celle-ci. Comment dans ces conditions les jeunes ne finiraient-ils pas par “intérioriser” ce discours
?
Les jeunes ont l’exemple de parents au chômage ou vivant de petits boulots et n’ont pas confiance dans l’institution scolaire pour leur permettre de sortir de cet environnement.
Il faut arrêter avec le misérabilisme. Il y a en France quelque trois millions de chômeurs, pour plus de trente millions d’actifs. Il s’ensuit avec une implacable logique que l’immense majorité
des jeunes n’ont pas de parents au chômage. Il faut arrêter de prendre le 10% le plus précaire pour la généralité. Mais plus profondément, la situation était bien pire pendant les années trente.
Et cela n’a pas porté atteinte au prestige de l’institution scolaire…
Le discours dominant de la bienpensance de gauche comme de droite ces trente dernières années a tout fait pour détruire la confiance dans l’école. D’éminents intellectuels, de Illich à Bourdieu,
ont expliqué jusqu’à la nausée que l’école n’offrait pas aux plus modestes les moyens de l’émancipation, mais au contraire qu’elle ne servait qu’à les confiner, oubliant que ce qui peut être vrai
statistiquement n’est pas nécessairement vrai individuellement. Ce discours a fait d’énormes dégâts. Pas la peine d’aller chercher les “parents chômeurs” pour expliquer pourquoi l’institutions
scolaire a perdu son prestige.
Il y a également ceux qui usent de cet argument pour justifier leur nonchalance.
Comme disait mon grand-père, pour le fainéant il n’y a jamais de bons outils…
Par ailleurs je ne suis pas sûr que les parents soient démobilisés. J’ai vu dans ma vie beaucoup de parents supplier, implorer, gronder leur enfants à cause de leurs résultats scolaires.
Les parents sont certainement mobilisés. Mais ils se mobilisent à mauvais escient et pour de mauvaises raisons. Ce qui les intéresse et les mobilise, ce n’est pas la connaissance, ce n’est pas la
formation de leur enfant, c’est la mirifique “réussite”. Que leur enfant n’aprenne rien, cela ne les gêne pas pourvu qu’ils ait son diplôme, son laissez-passer pour le monde du travail. C’est
toute l’ambiguïté des parents: ils sont prêts à payer – très cher – des petits cours et du soutien scolaire, mais pas de sacrifier leurs week-ends ou un jour de leurs sacro-saintes vacances pour
que l’enfant ait de meilleurs rhytmes et assiste à l’intérgalité des cours. Ils se plaignent du manque d’autorité des maîtres, mais ils sont capables d’aller jusqu’à la violence pour défendre
leurs petits chéris contre l’institution.
Seulement comment aider ses enfants quand on ne sait soit-même pas lire ? Je pense qu’il faudrait mettre de l’argent dans des programmes d’instruction pour certains parents. A partir du
moment où une personne aspire à rejoindre la communauté nationale, il faut lui en donner les moyens mais en échange être exigeant.
Je suis tout à fait d’accord pour la mesure, mais pas pour cette raison-là. Il est illusoire de croire que les parents qui viennent d’un niveau culturel extrêmement bas pourraient “aider” leurs
enfants dans leurs devoirs même avec l’aide d’une instruction à l’âge adulte. Séparons les problèmes: que la République donne à ceux qui veulent devenir citoyens – et même à ceux qui ne veulent
que vivre sur son territoire sans nécessairement devenir membres de la collectivité nationale – les moyens de s’instruire, tout à fait d’accord. D’un autre côté, il y a le problème des enfants.
Et pour eux, la meilleure “aide” qu’un parent peut donner, et qui est à la portée même des analphabètes, est de valoriser l’institution qu’est l’école, d’investir l’enseignant avec sa propre
autorité. Et cela, c’est à la portée de n’importe quel parent. Quand mon père revenait de l’école avec une remarque sur la discipline dans son cahier de correspondence, mon grand-père sortait le
ceinturon. Il ne lui venait même pas à l’idée de mettre en doute la parole de l’instituteur. Lorsqu’un parent se rend à l’école pour discuter une sanction – ou pire, pour agresser un enseignant –
il met par terre l’autorité de l’institution elle même.
On pourrait décider qu’une des conditions indispensable pour la naturalisation ou l’obtention d’une carte de séjour 10 ans est de savoir lire, écrire et compter. C’est peut-être dur mais cela
ne pourra que les aider pour eux-même et leurs enfants plus tard. Comment surveiller que les devoirs sont faits autrement ? …autrement il ne reste que les cours du soir…
Franchement, dans ce pays il existe une foultitude de dispositifs d’aides aux devoirs, depuis l’étude dans les locaux scolaires jusqu’aux initiatives des municipalités ou des associations. Le
problème n’est pas tant d’aider les enfants sur le plan académique, que sur le plan disciplinaire. Et on n’a pas besoin d’être très savant pour débrancher une console de jeux ou d’exiger que
l’enfant s’asseoie dans le calme et consacre du temps à ses études.
Mais même lorsque les parents ont été scolarisés et ont un bagage minimum il faut tout de même parvenir à donner aux enfants l’envie d’étudier.
Tout à fait. Mon point est qu’on ne donnera pas aux jeunes l’envie d’étudier en leur expliquant que ce qu’on leur enseigne leur servira à trouver un travail mal payé dans une usine où ils
trimeront le restant de leur vie active. Ce qui pourtant sera le cas de la plupart d’entre eux. Sur ce point, je suis Brighelli: l’envie d’étudier ne peut venir que du plaisir de la connaissance
elle même. Et pour cela, il faut donner aux élèves le goût des choses difficiles. Brighelli raconte comment, jeune professeur dans une banlieue déshéritée, il avait choisi de donner à ses élèves
non pas des textes “faciles” tirés des journaux ou de romans contemporains, mais la poésie de la renaissance française. Et combien ses élèves ont réagi positivement à cette idée qui pourtant les
obligeait à apprendre un vocabulaire et une syntaxe très éloignée de celle à laquelle ils étaient habitués, mais qui du même coup leur permet d’accèder à un patrimoine qui dans leur imaginaire
est réservé aux “bons” lycées.
Pour ma part je sais que cette envie n’est pas venue naturellement. Il a fallu passer par quelques coups de martinet vers 6/7 ans et un directeur d’école exceptionnel qui m’a fait
m’intéresser à la culture. Beaucoup ne réalisent que tardivement l’intérêt de l’école, c’est pourquoi je pense il faut multiplier les outils de seconde chance.
Pourquoi pas. Mais sans négliger les outils de la première chance. Le martinet parental et les enseignants “exceptionnels” ont un rôle irremplaçable…
Ce discours tenu à l’école n’est-il pas parfaitement cohérent avec le reste de ce que clame la gauche girondine? Quelque chose d’assez compliqué pour une idéologie politique, une
pseudo-gauche raciste, hierarchisante, inégalitaire qui valorise ses victimes.
On fait du chômage, de la pauvreté et on plaint les personnes concernées. On se dit anti-raciste et on ne condamne jamais un policier assassin. On plaint les jeunes de coouleur tout en les
enfermant dans un rôle médiocre. On vomit la France de Vichy pour se coller à l’Allemagne de Hitler. Et ces discours sont très peu contredits ou le sont inefficacement alors que ces gens en sont
à menacer la démocratie.
On fait du chômage, de la pauvreté et on plaint les personnes concernées. On se dit anti-raciste et on ne condamne jamais un policier assassin. On plaint les jeunes de coouleur tout en
les enfermant dans un rôle médiocre.
Pas tout à fait. Au contraire: on condamnera le “policier assassin” – et même le policier qui n’a assassiné personne mais qui fait une erreur – pour se donner bonne conscience, tout en laissant
se créer les conditions par ailleurs pour que cela continue. En d’autres termes, on se donne bonne conscience en traitant les symboles tout en laissant se dégrader le réel.
Bien sur que le discours de l’école est cohérent avec celui tenu à la société. Il serait étonnant qu’il en fut différemment. Après tout, professeurs, principaux, proviseurs, inspecteurs et
ministres sont immergés dans un consensus social. En dehors de certains militants, toujours minoritaires, c’est ce consensus social qui détermine le discours institutionnel.
“L’idée que les élèves des quartiers modestes sont “condamnés à l’échec par le système” se trouve dans de nombreux tracts syndiquaux”
C’est vrai. Je constate que beaucoup de collègues ne lisent même pas les tracts. Je ne dirais pas que beaucoup d’enseignants sont hostiles aux syndicats, mais ils sont indifférents. En tout cas,
ces tracts ne font quasiment jamais l’objet de remarques ou de débat en salle des professeurs. Les rares fois où j’ai pris connaissance des brochures syndicales, ce que j’y ai lu m’a affligé.
Après, un syndicat comme le SNALC tient un discours différent, dénonçant le pédagogisme, réclamant un retour à la transmission et au mérite. Mais il faut bien le dire: ils sont considérés comme
étant “de droite” (presque une insulte dans le corps enseignant), c’est-à-dire des fachos… Mais ils existent. Et eux aussi diffusent des tracts.
Tout ce que je peux dire, c’est que la rhétorique larmoyante sur “les pauvres petits” ne passent pas si bien auprès de certains collègues. Mais je n’ai que trois ou quatre témoignages, qui ne
prétendent pas bien sûr à une représentativité valable.
Je voudrais, si tu le permets, revenir sur la conversation que tu as eu avec un inspecteurs d’académie du 93 (au passage, tu as un sacré carnet d’adresses…). Est-il indiscret de te demander le
discours qu’il t’a tenu précisément? Je suis curieux de connaître les positions de nos supérieurs en dehors des réunions où ils relaient, avec plus ou moins de conviction, le discours officiel
(lutte contre l’échec scolaire, dispositif excellence, croisade contre l’illétrisme et l’innumérisme, j’ai découvert ce dernier terme dans une brochure rectorale).
“même si j’estime qu’ils ont scié la branche sur laquelle ils étaient assis en tirant à boulets rouges sur l’institution scolaire”
Mais certains professeurs critiquent l’EN précisément parce qu’elle a abandonné sa mission fondamentale de transmission des savoirs.
Par ailleurs, je dois dire qu’une chose me gêne dans ce que tu expliques, et cela me turlupine depuis notre échange il y a quelques temps sur le travail des enseignants. Si je comprends bien
l’idée que tu développes, le corps enseignant a sciemment détruit l’ascenseur social, dont il était l’un des principaux rouages, en saccageant l’école républicaine, et ce à une seule et unique
fin: empêcher les enfants des classes moyennes (dont les profs font partie) de se retrouver en concurrence avec ceux des classes populaires. Autrement dit, les profs ont massacré leur propre
métier pour assurer simplement l’avenir de leurs enfants. Par conséquent, plus de 800 000 enseignants dans ce pays accepteraient, consciemment ou non, d’être méprisés, vilipendés, traités de
paresseux, de paraistes et de nuisibles pour la seule satisfaction de maintenir dans l’échec les enfants des classes populaires. Peut-être que de ton point de vue, ce discours est rationnel et
cohérent, pour moi il ne l’est pas. Même si l’EN abrite en effet des brebis galeuses, il serait très étonnant qu’une majorité de profs ne recherche pas au moins un peu de reconnaissance sociale,
une image valorisante de sa profession, la satisfaction personnelle d’être utile. De plus, ton raisonnement poussé au bout signifie que les professeurs qui sont face à des enfants de classe
populaire (c’est mon cas, classes populaires rurales de campagnes désindustrialisées) doivent finalement se réjouir d’obtenir de mauvais résultats, puisqu’au fond, ils sont là pour les faire
échouer. Est-ce bien ce que tu dis? J’avoue avoir un peu de mal avec l’idée que l’intérêt de classe détermine en dernier ressort les comportements des individus.
“Il n’y a pas que les enseignants qui sont sensibles au discours ambiant”
Je suis très attaché à l’idée de responsabilité personnelle. Il appartient à chacun de s’interroger sur le “discours ambiant”. Par ailleurs, je te signale que, sur d’autres thèmes, les classes
populaires ne suivent pas le discours ambiant. En 2005, le “discours ambiant” était favorable au TCE, je n’ai pas le souvenir que les classes populaires aient voté massivement en faveur du
Traité… Pourquoi le sens critique des classes populaires, qui s’exerce sur nombre de questions parfois complexes, ne s’exerce pas dans le domaine de l’éducation?
“L’EN est là aussi pour éduquer les parents”
Pas du tout. L’EN n’a aucune légitimité pour éduquer les parents, et cela ne fait pas partie de ses missions. D’ailleurs, comme le disait mon professeur de philo de terminale, “Education
nationale” est un nom mal choisi: c’est aux parents d’éduquer les enfants, l’école, elle, devrait instruire, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Autrefois, on parlait de “ministère de
l’instruction publique”. Le changement sémantique en dit long sur la dérive de l’école.
Au demeurant, je n’ai pas le souvenir d’avoir croisé des parents réclamant d’être éduqués.
“Si on laissait les élèves se décarcasser eux-mêmes”
Je suis d’accord avec toi. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, c’est le collège qui est sanctionné si tous les élèves n’ont pas une orientation en fin de 3ème… Le principal se fait taper sur les
doigts. Ce que les rectorats veulent, ce sont des chiffres: 90 % de reçus au brevet, 65 % d’orientation en seconde générale. Dans mon collège cette année, le chef d’établissement a mis la
pression aux profs principaux de 3ème pour pousser des élèves à aller en seconde (c’est un collège rural où moins de 50 % des élèves vont en seconde générale, ce qui scandalise le rectorat). Les
profs font ce qu’ils peuvent, mais certains élèves n’ont pas le niveau, d’autres l’ont, mais ont un projet professionnel cohérent et réfléchi qui passe par une autre filière. Et les parents font
parfois de la résistance: lycée trop loin, donc problème de transport ou refus de l’internat, jugé trop coûteux. Par ailleurs, l’enseignement professionnel offre parfois plus de perspectives
qu’un bac médiocre qui conduira le bachelier à user ses fonds de culotte à la fac, en histoire des arts ou en sociologie…
“Oui mais le prof a tort de rentrer dans ce jeu”
Mais il ne faut pas qu’il y rentre, nous sommes bien d’accord. Simplement, je te faisais remarquer qu’il s’expose à une ironie acerbe de la part de jeunes qui vivent souvent pour avoir des
fringues de marque ou le iPhone dernier cri.
Tout ce que tu dis sur la connaissance, la compréhension du monde, l’empathie…, me paraît très juste. Seulement… je sais que quand je tiens ce discours sur l’importance de comprendre le
monde, et de le connaître, il y a autour de cinq élèves sur vingt-cinq qui se sentent interpellés. En général les enfants des classes moyennes, justement. On a quand même le sentiment de prêcher
dans le désert. Beaucoup d’ados ont une vision utilitariste des choses: “à quoi ça me sert?” demandent-ils d’un ton blasé. Il est difficile de leur faire entendre raison.
“Oui, ils ont tort”
Là encore d’accord avec toi, si l’on s’en tient aux objectifs de vie que tu fixes. Mais malheureusement l’argent exerce une fascination étonnante, presque irrationnelle…
C’est vrai. Je constate que beaucoup de collègues ne lisent même pas les tracts.
Normal. Ils les connaissent par coeur. N’importe quel enseignant normalement constitué serait capable de deviner ce que dirait un tract syndical sur quelque question que ce soit sans avoir besoin
de le lire. Mais cela n’implique pas qu’ils soient en désaccord avec eux.
Après, un syndicat comme le SNALC tient un discours différent, dénonçant le pédagogisme, réclamant un retour à la transmission et au mérite. Mais il faut bien le dire: ils sont considérés
comme étant “de droite” (presque une insulte dans le corps enseignant), c’est-à-dire des fachos… Mais ils existent.
Bien entendu. Les enseignants ne sont pas un corps monolytique, pas plus que les policiers ou les énarques. Cela étant dit, les petits groupes militants qui feulent remettre l’éducation sur les
rails sont très minoritaires, et font l’objet d’une stigmatisation sous des accusations de “élitisme”, “droitisme” et autres joyeusetés dignes du McCarthysme. Il n’empêche qu’ils existent, et que
la reconquête de l’éducation nationale ne peut se faire que par eux.
Tout ce que je peux dire, c’est que la rhétorique larmoyante sur “les pauvres petits” ne passent pas si bien auprès de certains collègues.
C’est que les héros sont fatigués. Les professeurs commencent à réaliser que la rhétorique larmoyante finit par se retourner contre eux.
Je voudrais, si tu le permets, revenir sur la conversation que tu as eu avec un inspecteurs d’académie du 93 (au passage, tu as un sacré carnet d’adresses…).
Pas vraiment. Mais je suis très curieux et j’adore bavarder. Du coup, je profite de chaque opportunité, chaque rencontre pour écouter ce que les gens ont à dire. L’inspecteur en question était
une rencontre fortuite sur le TGV Paris-Marseille.
Est-il indiscret de te demander le discours qu’il t’a tenu précisément? Je suis curieux de connaître les positions de nos supérieurs en dehors des réunions où ils relaient, avec plus ou moins
de conviction, le discours officiel (lutte contre l’échec scolaire, dispositif excellence, croisade contre l’illétrisme et l’innumérisme, j’ai découvert ce dernier terme dans une brochure
rectorale).
Il m’est difficile de te restituer son discours “précisement”: c’était une conversation à bâtons rompus et je n’ai bien évidement pas pris des notes. La personne en question m’a paru quelqu’un de
très estimable, très conscient des problèmes de l’institution, pas du tout “langue de bois”, mais en même temps résigné à un pragmatisme du type “il faut faire ce qu’on peut avec ce qu’on a”. Il
était particulièrement négatif sur les jeunes enseignants, ceux qui choisissent le métier “pour la sécurité de l’emploi et les vacances”, tout en reconnaissant qu’avec les salaires que paye
l’Education Nationale et le statut social des enseignants il est difficile d’attirer des gens de bonne qualité.
“même si j’estime qu’ils ont scié la branche sur laquelle ils étaient assis en tirant à boulets rouges sur l’institution scolaire” Mais certains professeurs critiquent l’EN précisément parce
qu’elle a abandonné sa mission fondamentale de transmission des savoirs.
Lorsque je parlais de “tirer a boulets rouges contre l’institutuion scolaire”, je faisais référence non pas à ceux qui critiquent tel ou tel aspect des programmes ou de l’organisation de
l’enseignement, ce qui reste parfaitement légitime, mais à ceux qui critiquent l’institution scolaire en elle même. Par exemple, tous ceux qui ont pris au sérieux l’idée de l’école comme
“structure répressive de l’Etat”.
Si je comprends bien l’idée que tu développes, le corps enseignant a sciemment détruit l’ascenseur social, dont il était l’un des principaux rouages, en saccageant l’école républicaine, et ce
à une seule et unique fin: empêcher les enfants des classes moyennes (dont les profs font partie) de se retrouver en concurrence avec ceux des classes populaires.
Oui, à un mot près qui a son importance. C’est le mot “sciemment”. Non, je ne pense pas qu’il existe un Grand Conseil qui ait décidé la destruction de l’ascenseur social. Les individus d’une
classe n’ont pas besoin de se concerter pour défendre leurs intérêts de classe. Cela fait partie du métabolisme du système. Mais cette position égoiste n’est pas assumée comme telle. Au
contraire: on construit une idéologie qui justifie cette position en la présentant comme l’intérêt général. Les soixante-huitards n’ont pas dit “on va enfoncer les couches populaires”. Au
contraire: ce fut avec le prétexte de “la réussite pour tous” qu’on a cassé le système éducatif.
Autrement dit, les profs ont massacré leur propre métier pour assurer simplement l’avenir de leurs enfants.
Oui. Mais ils ne l’ont pas fait “sciemment”. Avec les meilleures intentions du monde, ils ont massacré leur métier en croyant au contraire le promouvoir. De la même manière que les Michelin sont
intimement convaincus d’être des bienfaiteurs de la classe ouvrière tout en l’exploitant, les enseignants ont détruit l’ascenseur social en étant convaincus au contraire qu’ils le
perfectionnaient…
Par conséquent, plus de 800 000 enseignants dans ce pays accepteraient, consciemment ou non, d’être méprisés, vilipendés, traités de paresseux, de paraistes et de nuisibles pour la seule
satisfaction de maintenir dans l’échec les enfants des classes populaires.
Non. Ils l’ont fait pour assurer la promotion de leurs propres enfants. Pas pour la satisfaction sadique d’enfoncer les enfants des autres. Mais oui, inconsciemment et en étant convaincus de bien
faire, ils ont créé la situation qui les voit méprisés et vilipendés. C’est là leur tragédie. “Quand les dieux veulent nous punir, ils réalisent nos rêves”…
Même si l’EN abrite en effet des brebis galeuses, il serait très étonnant qu’une majorité de profs ne recherche pas au moins un peu de reconnaissance sociale, une image valorisante de sa
profession, la satisfaction personnelle d’être utile.
Je n’en doute pas. Mais la “réconnaissance sociale” et “l’image valorisante”, ils la trouvent non pas dans la transmission de la connaissance, mais dans un rôle ambigu qui mélange l’assistante
sociale et le “rebelle”. J’ai entendu beaucoup d’enseignants se vanter d’avoir protégé un “sans papiers”, trouvé un logement à une famille, évité à un élève une sanction (même lorsqu’il la
méritait amplement), tenu tête au proviseur/principal/inspecteur ou refusé d’appliquer telle ou telle directive. Mais cela fait un bout de temps que je n’en trouve pas un qui se vante d’avoir
ouvert ses élèves à la connaissance ou d’avoir amené un de ses étudiants jusqu’à Polytechnique.
De plus, ton raisonnement poussé au bout signifie que les professeurs qui sont face à des enfants de classe populaire (c’est mon cas, classes populaires rurales de campagnes
désindustrialisées) doivent finalement se réjouir d’obtenir de mauvais résultats, puisqu’au fond, ils sont là pour les faire échouer.
Cela supposerait un degré de conscience et de cynisme qu’on ne trouve que très rarement chez les êtres humains. Nous avons besoin de justifier nos actes prétendant que ce que nous faisons est
pour le bien de tous. Personne n’assumera le fait qu’il est là pour faire échouer.
J’avoue avoir un peu de mal avec l’idée que l’intérêt de classe détermine en dernier ressort les comportements des individus.
Et pourtant, c’est statistiquement vrai. Ce qui ne veut pas dire que ce soit vrai au niveau individuel: les individus restent libres – et responsables – de leurs actes. Mais l’intérêt et
l’idéologie de classe font que, à l’heure de choisir, une majorité choisit de suivre son portefeuille.
Pourquoi le sens critique des classes populaires, qui s’exerce sur nombre de questions parfois complexes, ne s’exerce pas dans le domaine de l’éducation?
Mais… il s’exerce. Seulement les couches populaires n’ont qu’un poids très limité dans l’arène politique. C’est pourquoi ce “sens critique” ne se manifeste guère dans les politiques publiques.
“L’EN est là aussi pour éduquer les parents” Pas du tout. L’EN n’a aucune légitimité pour éduquer les parents, et cela ne fait pas partie de ses missions.
Au dela de ses missions, toute institution à une fonction “éducative”. Les services fiscaux ont pour mission de lever l’impôt, mais ils doivent aussi expliquer au contribuable a quoi sert l’impôt
et pourquoi il faut le payer. L’école doit faire comprendre aux parents quel est leur rôle vis à vis de l’institution éducative.
Au demeurant, je n’ai pas le souvenir d’avoir croisé des parents réclamant d’être éduqués.
Je fais mienne la formule de Cromwell: “not what they want, but what is good for them” (“pas ce qu’ils veulent, mais ce qui est bon pour eux”). 😉
Je suis d’accord avec toi. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, c’est le collège qui est sanctionné si tous les élèves n’ont pas une orientation en fin de 3ème… Le principal se fait taper sur
les doigts.
Je sais. Cela fait partie de l’assistentialisme dans lequel nous a fait tomber l’idéologie compassionnelle. L’enfant n’a que des “droits”, et c’est à l’institution de tout faire autour de lui. Si
l’enfant ne réussit pas, s’il n’a pas son orientation, s’il n’a pas son stage, s’il n’a pas son bac, c’est de la faute de l’institution. Et ensuite, on lâche ces adulescents habitués à ce qu’on
les materne dans le monde réel, ou rien n’est dû et tout est à conquérir. Pas étonnant qu’ils éprouvent un choc.
Simplement, je te faisais remarquer qu’il s’expose à une ironie acerbe de la part de jeunes qui vivent souvent pour avoir des fringues de marque ou le iPhone dernier cri.
C’est aussi une question de cohérence. Un prof qui se plaint en permanence de son salaire misérable s’expose effectivement à l’ironie lorsqu’il prétend soutenir que le plaisir de la connaissance
vaut tous les iPhone du monde. Dans mon lycée de banlieue j’ai eu un prof qui devant cette “ironie” avait répondu: “moi je suis payé des clopinettes, mais je fais le plus beau métier du monde, et
ça, ça n’a pas de prix”. Et je peux t’assurer que l’ironie s’est arrêtée là.
Beaucoup d’ados ont une vision utilitariste des choses: “à quoi ça me sert?” demandent-ils d’un ton blasé. Il est difficile de leur faire entendre raison.
Surtout lorsque beaucoup d’enseignants lui tiennent le même discours… genre “pas la peine de voir tel ou tel sujet, ça ne vous servira à rien de toute façon”.
L’aéronautique ? Il ne vous a pas échappé que les activités d’EADS déménagent doucement en
Allemagne…
Bien évidemment le coût de la main d’œuvre allemande est bien moins cher qu’en France, n’est ce pas !… Ou est
ce une stratégie industrielle hautement économique ?
Bien évidemment le coût de la main d’œuvre allemande est bien moins cher qu’en France,
n’est ce pas !… Ou est ce une stratégie industrielle hautement économique ?
C’est surtout une stratégie industrielle hautement politique.Pendant que les élites françaises
s’occupent de la parité, de la fin de vie, du mariage homosexuel, et de toutes ces question vitalement importantes, les élites allemandes se battent pour garder leurs activités industrielles et
pour en récupérer chez les autres. Quand le conseil d’administration d’Airbus transfère des activités en Allemagne, les partis politiques majorité et opposition confondue – et la gauche radicale
ne vaut pas mieux – ne disent rien. Mais qu’on essaye de construire un aéroport, une centrale nucléaire, une ligne électrique, un canal, un TGV, et ça rapplique comme des mouches sur une tartine
de miel…
On ne peut malheureusement qu’être d’accord avec vous, tout cela est bien lamentable en somme, l’inconsistance de nos élites politiques et des intellectuels de tous bords nous rendent nous les
radicaux de plus en plus écœurés et démunis.
À quand un dictateur éclairé ? Je ne vois, hélas, que cette alternative pour ne pas sombrer dans une déconfiture totale. Mais où ce cache t’il ? Bien évidemment je ne parle aucunement du Front
National et de ses épaves humaines …
On ne peut malheureusement qu’être d’accord avec vous, tout cela est bien lamentable en somme, l’inconsistance de nos élites politiques et des intellectuels de tous bords nous rendent nous
les radicaux de plus en plus écœurés et démunis.
Comment ? Vous avez perdu la foi dans votre idole ? Je vous trouve bien cyclotymique, mon cher: avant la présidentielle vous étiez tout feu tout flamme pour Mélenchon, aujourd’hui vous semblez
désespéré au point de considérer l’hypothèse d’un dictateur éclairé…
Non, je ne partage pas votre pessimisme, et encore moins votre appétit pour une dictature, fusse-t-elle éclairée. Mais je pense que, comme disaient nos anciens, le temps se venge de ce qui se
fait sans lui. Les “radicaux” ont le défaut de vouloir tout, tout de suite. Et dans le monde réel, ça ne marche pas comme ça. Le changement, si changement il y a, se fera petit à petit sur un
temps long. Il sera le fruit d’une action continue, soutenue, tenace, quotidienne. Je sais, c’est moins enthousiasmant que le “grand soir” de la révolution citoyenne, mais je ne vois pas vraiment
d’alternative dans le contexte d’aujourd’hui.
Descartes, arrêtez donc de dire que JL Mélenchon est ou était mon idole, cela n’a jamais été le cas, loin de là, mais parcontre c’est le seul homme assez couillu, et encore pas suffisament à mon
avis, pour avoir pris des positions aussi tranchées, et c’est pour ces prises de positions que j’ai plaidé sa cause et celle du front de gauche ; présentez moi un homme encore plus pertinent et
croyez moi j’aurais la même démarche à son endroit, bien sûr un homme de gauche et humaniste, cela va de soi, et ne me dites pas que je suis velléitaire ou que je ne sais pas ce que je veux, bien
au contraire.
Si l’on suis votre raisonnement, nous ne sommes pas prêt de sortir du merdier actuel, et comme les événements eux ne prennent pas leur temps mais se précipitent, c’est la spirale infernale qui va
nous entraîner dans le fond du fond ; ceci dit, cela me semble cohérent dans la mesure ou la race humaine ne mérite pas vraiment un autre avenir que celui qui se brosse actuellement, noir, très
noir…
Et qui parle de “grand soir” hormis vous ? Pas moi en tous cas, cela n’existe pas, ou alors cela dure quelques années ce “grand soir”, sinon quelques mois quand cela s’emballe.
Si vous avez un peu de temps cet été, lisez ou relisez donc André Gorz, son analyse est séduisante, il est dommage qu’il ne nous ai pas donné le mode d’emploi ou la solution !…
Descartes, arrêtez donc de dire que JL Mélenchon est ou était mon idole, cela n’a jamais été le cas, loin de là, mais parcontre c’est le seul homme assez couillu, et encore pas suffisament à
mon avis, pour avoir pris des positions aussi tranchées, et c’est pour ces prises de positions que j’ai plaidé sa cause et celle du front de gauche
Relisez vos écrits. Tiens, par exemple la couverture du N°3 du “nouveau Combat”. Je cite: (sous une photo de JLM) “la vision de cet homme est notre avenir, celle de l’humain, luttons pour que
cette vision s’impose à tous”. Si ce n’est pas de l’idolatrie, cela y ressemble drôlement. Plus révélateur, lorsque vous critiquez une action de JLM, vous ne lui attribuez jamais la
responsabilité, rejettant la faute sur une tierce personne. Ainsi, par exemple, lorsque vous critiquez (“nouveau Combat” N°5, Editorial) le spectacle donné par la confrontation entre JLM et
Marine Le Pen chez Pujadas, vous écrivez: “Jean-Luc, vous êtes bien mal conseillé par votre spin-doctor, qui est vraiment très, très nul…”. Cela ne vous vient pas à l’idée que ce n’est
peut-être pas le conseil d’un “spin-doctor”, mais sa propre idée que le candidat a suivi ce soir-là ? Non, bien sur. Parce qu’admettre une telle chose reviendrait a reconnaître que l’idole est
faillible. Et une idole faillible n’est plus une idole.
présentez moi un homme encore plus pertinent et croyez moi j’aurais la même démarche à son endroit,
Plus “pertinent” à l’heure de faire quoi ? Plus “pertinent” pour se battre comme un chifonnier – et se faire étriller – par Marine Le Pen ? Plus “pertinent” à l’heure de réunir l’ensemble de
l’extrême gauche derrière un “programme” écolo-bobo ? Plus “pertinent” pour faire perdre au PCF le peu d’élus qui lui restent ?
Désolé, mais le personnage ne m’a pas montré sa “pertinence” dans tous les domaines. C’est certainement un maître tacticien dans les négociations de coulisse, et lorsqu’il s’agit de s’adresser
aux “siens” (c’est à dire, aux gauchistes). Mais un piètre stratège lorsqu’il s’agit d’aller devant le peuple – comme l’affaire Hénin-Beaumont l’a abondamment démontré. De ce point de vue, il ne
vaut pas un Chassaigne ni même un Besancenot. Pour ce qui concerne ses talents analytiques et pédagogiques, il n’arrive pas à la cheville d’un Chèvenement ou d’un Guaino.
bien sûr un homme de gauche et humaniste, cela va de soi
J’aimerais que vous me précisiez ce qu’est à votre avis un “homme de gauche”. Parce que sous votre plume, ce terme semble avoir une géométrie variable. Ainsi, vous aviez écrit (“nouveau Combat”
N°5, couverture) que Hollande “n’est plus de gauche”. Ce qui signifie d’une part qu’il l’a été à une époque et a cessé de l’être, ce qui ne laisse d’être surprenant vu qu’il n’a jamais changé de
position sur le fond; et d’autre part que Jean-Luc Mélenchon a appelé à voter pour un homme de droite.
et ne me dites pas que je suis velléitaire ou que je ne sais pas ce que je veux, bien au contraire.
Franchement, je n’ai pas d’avis sur le sujet. Je ne lit pas vos pensées, je n’ai accès qu’à vos écrits.
Si l’on suis votre raisonnement, nous ne sommes pas prêt de sortir du merdier actuel,
Ca me paraît évident. On a mis 30 ans à y rentrer, on ne sortira pas en dix jours. Croire que d’un coup de baguette magique Mélenchon – ou qui que ce soit d’autre – aurait pu faire couler du miel
dans les fontaines relève de l’infantilité politique.
et comme les événements eux ne prennent pas leur temps mais se précipitent,
Ou ça, “les évènements se précipitent” ? Regardez autour de vous, pour l’amour du ciel ! La crise a cinq ans, l’euro tire la langue, et cela n’empêche pas nos concitoyens – et nos dirigeants – de
partir en vacances. C’est très rigolo de relire maintenant sur les forums et blogs de la “gauche radicale” les messages de ces cinq dernières années. Vous retrouverez un foule d’intervenants qui
prédisaient l’effondrement du système et la fin du monde (capitaliste) pour dans un mois. Cinq ans plus tard, nous y sommes toujours…
L’illusion de la “rupture” est quelque chose de très humain. Mais il faut comprendre que dans l’histoire ces situations sont tout à fait exceptionnelles. Elles se présentent au mieux une fois
tous les vingt, trente, quarante ans.
c’est la spirale infernale qui va nous entraîner dans le fond du fond
Certes. Mais très lentement. Et si on arrivait à la revertir, nous sortirions du fond très lentement aussi. Mais j’avoue que j’ai beaucoup de mal a adhèrer au pessimisme millenariste et au
misérabilisme qui sont aujourd’hui les deux mamelles de la gauche radicale. Une fois qu’on admet que la révolution qui changera tout demain n’est pas pour quelque temps à l’ordre du jour, il nous
reste à faire du mieux qu’on peut avec ce qu’on a. Et il y a de quoi faire !
ceci dit, cela me semble cohérent dans la mesure ou la race humaine ne mérite pas vraiment un autre avenir que celui qui se brosse actuellement, noir, très noir…
Là encore, je ne vois pas trop l’intérêt de se poser des questions sur ce que la race humaine “mérite” ou pas. S’il n’y a pas de dieu, alors la question n’a pas de réponse. Si cela vous console
de vous dire que les gens qui ne vous écoutent pas auront “ce qu’ils méritent”, c’est votre problème. Personnellement, je crois fermement au mérite individuel, mais guère au mérite collectif.
Et qui parle de “grand soir” hormis vous ?
Beaucoup de monde, en fait. Bien entendu, on n’utilise plus la formule “grand soir”, qui sent trop le PCF des années 1950. Aujourd’hui on prefère parler de “révolution citoyenne” ou de
“changement radical”, mais l’idée sous-jacente est la même: celle d’une rupture dans laquelle tout changerait radicalement en un temps court.
Si vous avez un peu de temps cet été, lisez ou relisez donc André Gorz, son analyse est séduisante, il est dommage qu’il ne nous ai pas donné le mode d’emploi ou la solution !…
Je ne vois pas très bien à quelle “analyse” vous faites référence.
” “un peu d’internationalisme éloigne de la Patrie, beaucoup d’internationalisme y ramène”
(Jaurès).”
Je crois que ceci est tout-à-fait fondamental. Souvent, je me demande si les “citoyens du monde” ont déjà voyagé. Car c’est hors de France que l’on se rend compte à quel point l’on est français. Et c’est immergé dans une
autre culture que l’on réalise à quel point la différence est précieuse et enrichissante. Autrement dit,
selon moi, qui ai beaucoup voyagé, comme vous le savez, le “citoyen du monde” n’est rien d’autre qu’un bon “franchouillard” qui s’ignore.
Tout à fait. On balaye souvent la formule de Jaurès comme un simple jeu de mots amusant alors qu’elle a un sens très profond. Oui, nous sommes profondément français, et cela se voit surtout dans
les choses qui pour nous tenons pour acquises. Nous trouvons naturel que les services publics fonctionnent, que les fonctionnaires soient honnêtes, qu’on ne nous refuse pas un service, l’entrée à
un équipement, l’adhésion à une association en fonction de notre religion ou de notre couleur de peau. Qu’on ne nous demande pas notre carte bleue avant de nous admettre à l’hopital, à l’école ou
à l’université. Ces choses nous semblent tellement “naturelles”, que nous avons du mal à croire que ce ne soit pas le cas partout. Et pourtant…
Ainsi-donc
“Descartes ” de retour , en bretteur averti et manifestement fort aguerri ,
se fendant sans jamais rompre vraiment , ici sur son blog cogitans , offrant ses rameaux précocement enflés , on le sent bien , à/par l’ombre d’éclectiques fredaines , disjonctives anacoluthes
pour électives partitions ,voire … frondaisons nauséeuses outrageusement emmielleuses : umplalas vicéro-néo-libéralisants ou post-scripteurs ratiboisant les abonnés désappointés, verts
dosages léonins aux surenchères éoliennes ou autres si à-droites calomnies à l’appui dès que le front sociétal rougit : et de convoquer , au tournant , Du Bellay pour un plus bel effet ” ,
et de sortir même Victor de sa féconde huguenote pour quelque vigoureuse bordée d’envergure appropriée .
Ne sachant comment toquer la porte d’entrée sans fouler ces mises sur pieds et éloquents papiers , restait à trouver la méthode , enfin celle contrariante , rappelant que pour y penser on n’y est
pas forcément alors que de plus pour y être on n’y pense de même pas , bref l’ insu insufflant sa mise au pas !
S’escrimer c’est bien beau , même en vain … Et puis , si ” ni droite ni gauche ” , le ” bas ” n’attirant guère , resteraient les surs(h)auts transversaux ?… Et , Diligentils ,
Diligentilles , si les ” mal-penchants ” y sursoient , la Diligence passe ?…
A VAU – L’ EAU
amer à terre
Attablé dans quelque jardin , un homme du commun ,
dans son bol trempe un bout de pain .
A l’affût , un auguste trader , avec sa sarbanbkane
vise l’oreille du modeste quidam .
” Tiens ! de si bon matin ça re-pique ?… ”
et , de se mettre en quête du vil moustique .
Bredouille , notre homme pense qu’il n’y a rien,
et , de plonger à nouveau son coupe-faim .
” Fluiiit “: rompu le croûton doré ;
il se dresse tout atterré …
” Floooop ” : en pleine cible ;
l’oeil est touché , cet endroit si sensible !
Des larmes coulent en abondance
sur les jouent de l’homme en souffrance .
S’il vacille, … c’est qu’en plein nez
un sale coup lui fut asséné !
” Hé ! ça pullule ! …” finit-il par se convaincre ;
” ça vient des sous-bois , c’est à craindre ! ! “
A cet évidence il se rend , et réalise
bel et bien en avoir plein la valise .
Si ainsi dit : qu’en fut-il fait ,
après ces fols mois sans paix ?…
Cassé , ce jeu de malandrins
qui ne cesse de creuser le drain
de ces mises en cure d’austérité
si allègrement diligentées pour certains de maints côtés ?!…
Rendu gorge , profondément , à ces vauriens
qui osent sans freins
à
l’abri des palindromes politiciens ?!…
Que nenni ! au pain sec
faudra-t’il bien s’y faire le bec ?!…
Pourtant : ” comme cela , sur les gens meurtris
n’exerceraient-ils plus leurs tirs maudits ! “
Alors , jusqu’à quand ce french-cancan anglo-saxonné & européanisant ?…
( inspiré de ” La sarbacane ” ( ” Das Pusterohr ” ) de Wilhelm Bush )
* A propos du CLIMAT REEL : site de Jacques Duran ” pensée-unique.fr ” !!!
* A propos du NUCLEAIRE radiatif dévastateur face au nucléaire A-NEUTRONIQUE : site de Jean-Pierre petit ” jp-petit.org ” !!!
* A propos d’ ” URGENCES SOCIALES ” : blog de Pierre Larrouturou !!! Etc.
Merci à …” Descartes ” , puisque
tout bon débat instruit le … débat !
Faut de tout pour faire un monde…
Certes … surtout pour ” le ” dé-faire , pour ne pas dire plus quand … affinités ?
Lorsque Thanatos cligne de l’oeil , Sysiphos sourire ?
A parte : une krash bancaire pire que celui des subprimes serait en passe d’exploser aux ” States ” , consécutif aux falsifications des dossiers par ces banques avides de s’approprier les biens
de leurs clients , donc à exproprier par trains entiers sans autre forme de … procès ?! Après avoir contribué largement à l’expropriation et au martyr de leurs voisins pauvres “
Latinos ” , aux côtés des nervis militarisés au service de la ” grande bourgeoisie ” foncière locale , s’auto-dévorent-ils , eux-aussi , à souhaits ? …
Bon , ça ne cesse de craindre ; ne rêvons plus ; et , comme l’heure avance , elle : dodo !
Cordiales salutations
Tu me rappelles ces hommes-sandwich qui se promèenent dans les rues aux Etats-Unis pour annoncer que “la fin du monde est proche”. Jusqu’ici, leurs prédictions ne se sont jamais réalisées.
Bon… jour !
Un peu chaud , mais sourions nonobstant … tout de go (-go?) et dans la joie :
merci pour le compliment de confection normalisée , car ne participons-nous pas tous peu ou prou de ces ” Hommes-Sandwichs ” déambulant sur les boulevards des notoriétés (r)avinées,
réduits aux petites annonces et consommables à la sauce car/t/pé/s/d/ienne , c-à-d. croqués plutôt … mécaniquement , la roue crantée de l’èr/e/os/e néo-libérée ( voilà t’y pas que j’me coupe en
tranches désormais ), superbe ” 68 ” ayant précédé comme chacun sait ( ?! ) triste 69 compétitif, transe-année prémonitoire de tous les impaires-mé/tt/ables à venir : ainsi-donc
sommes-nous toujours aussi remplaçables et jettables à merci , faute d’être profitables … ; merci !
En attendant ” mieux “… , car le temps présentement me compresse :
bon appétit !
“Espurgeon-s ” à l’ hameçon :
Pour dive galerie rien de mieux En la mâture que squale-s ambitieux
Mais le seau trop rempli Sur les pieds dégouline à l’envi
On aspire à la belle pioche Qui renâcle à l’empoche
Le parfum est tel que maints becs Goulûment y plongent aussi sec
Avec délices se laisse couler Ce nectar dès la première goulée
Paraît-il si bon qu’on y replonge Le nez telle une éponge
On lève son verre qui inspire Quitte à bramer au pire
Mais quelle impression délicieuse De se sentir plumes délictueuses
Car ça croasse senor / senorita Et tiraille au prorata
D’un plaisir certain De frapper dès demain
Mais l’aire est glissante Et la route vacillante
Chancelle et hante Hante … hante
N.B. Il n’est pas sans me revenir , entre autres … , combien les braves squales en question ( pauvres bêtes ) s’étaient- gaussés PLEIN POT , croyant les micros fermés , des
Irlandais en train de négocier leur dette ! …
( En cette occasion , offerte : enlèverais volontiers ci-dessus ce piteux “e” à la fin d’ ” impairs (-mé(tt)ables ) & rendrais son ” c “envolé à ” W. Busch ; maintes
petites lettres adorant jouer des tours au gros bêta de service .)
Et puis , ne serait-ce point lorsqu’on néglige certaines mises -en -garde , alors qualifiées benoîtement et de façon hautaine de ” prophétiques ” ( ?!) qu’elles se concrétisent
, ainsi qu’il en fut tant et tant de fois dramatiquement le cas : la ” connerie ” serait-elle le seul critère de distinction humaine dont on soit finalement sûr ? Même s’il ne s’agit du tout de
courir comme dératé : SISYPHE SOURIRE ?
De retour de vacances, reprenons !
Mais là encore, vous projetez sur la “jeunesse” un prejugé qui n’a aucun rapport avec la réalité
Ce n’est pas un “préjugé”. Je questionne -peut-être maladroitement mais ça je l’assume à 100% si c’est le cas- ce qui pour moi est
l’une des questions cruciales actuelles, qui est le renouvellement des élites. L’histoire est toujours trop lente pour les gens politisés (au sens sociologique du terme : soit militants, acteurs
de terrain ou citoyens investis dans ces questions par des lectures, des investissements temporels élevés etc) et certainement que j’ai une impatience parce que quand même on tombe, on tombe, la
chute finale n’est pas là mais un peu de lumière ferait du bien. Tes arguments sont pertinents mais trop appuyés sur le crédit accordé à des individus tout à fait exceptionnels dans des
circonstances exceptionnelles. Il n’y a qu’un de Gaulle dans l’histoire de France. L’héritage gaulliste a sédimenté d’excellentes choses mais tu remarqueras qu’elles ne cessent d’être attaquées
et que ça paye petit à petit. Tu devrais être navré de voir comment tournent les choses non ? La sagesse conduirait à attendre et faire confiance à certaines forces de rappel patriotiques (dans
le haut fonctionnariat, le personnel politique, les élites économiques) mais pour ma part je suis très pessimiste sur l’avancée des évènements.
Franchement, si tu as un médécin qui te suit depuis quinze ans, qui te soigne bien et qui te donne toute satisfaction, lui demanderais-tu de “se trouver un
héritier”, changerais-tu de médecin sous le simple prétexte qu’il est là depuis trop longtemps ? (…) Oui. Mais c’est aux électeurs de trouver cet équilibre.
Il ne peut pas être prescrit par des règles administratives
Pour faire un bon produit artisanal ou industriel on transmet des connaissances et des savoir-faire. Je suis bien content d’avoir
goûté du bon miel et du bon fromage au cours de mes vacances, fait par gens pour qui a été transmis la chose (et qui pour certains, regrettent de ne pas pouvoir transmettre à leur tour).
J’aimerais que mon médecin ait une exigence sur celui qui va lui succéder, dans la mesure du possible. De même un maire ou un député doit essayer de laisser une trace de manière de faire de la
politique. Un cadre, une direction. Si une façon de bien faire a fonctionné, il devrait être possible de lui apporter une garantie de pérennité institutionnelle. L’histoire des hommes étant ce
qu’elle est ça me paraît plus que difficile à faire. Mais pas impossible. Pour en revenir à De Gaulle, regarde la différence entre notre cour constitutionnelle et celle de Karlsruhe et comment il
y a coquille par rapport au principe de souveraineté cher au général. Il n’y a rien à faire de ce côté ? Donc je pense qu’à plusieurs niveaux on peut réfléchir à comment garantir -sans réifier ou
graver dans le marbre- le travail réalisé par un homme politique. Je ne sais pas comment mais j’ouvre la discussion, tant pis si c’est nul ou non avenu, au moins tes réponses font
réfléchir.
Tu ne peux pas reprocher aux gens de ne pas scier la branche sur laquelle ils sont assis. Ils sont humains, après tout… si ton idéal est une société de saints, je
crains que tu ne soies toujours déçu.
Pas une société de saints mais les valeurs s’incarnent. Tu parlais de “fictions nécessaires” pour les JO, je pense qu’on a besoin d’exemple vertueux
nécessaires. C’est bien pour la psyché collective qu’il y ait de temps à autre dans l’histoire des grandes femmes et des grands hommes qui incarnent une haute idée : du partage, de la
démocratie, de la lutte contre le racisme, de l’effort sportif bref qu’importe.
ce qui pour moi est l’une des questions cruciales actuelles, qui est le renouvellement des élites.
Il y a une ambiguité dans votre propos. Le “renouvellement” des élites est toujours une question cruciale, parce que chacun de nous
étant mortel, le “renouvellement” est un besoin inévitable. Mais on peut aussi parler de “renouvellement” au sens de changement au sein même d’une génération… ce sont deux choses très
différentes.
Tes arguments sont pertinents mais trop appuyés sur le crédit accordé à des individus tout à fait exceptionnels dans des
circonstances exceptionnelles. Il n’y a qu’un de Gaulle dans l’histoire de France.
En fait, il y en a plusieurs: Bonaparte, Robespierre, Colbert, Richelieu… en fait, des individus “exceptionnels”, il y en a toujours.
Ce qui manque, ce sont les circonstances exceptionnelles qui permettent de les révéler… si De Gaulle avait quarante ans aujourd’hui il serait un colonel certes intelligent et plein de bonnes
idées, mais guère plus…
L’héritage gaulliste a sédimenté d’excellentes choses mais tu remarqueras qu’elles ne cessent d’être attaquées et que ça paye petit
à petit. Tu devrais être navré de voir comment tournent les choses non ?
Tout à fait. Nous vivons une époque très triste…
La sagesse conduirait à attendre et faire confiance à certaines forces de rappel patriotiques (dans le haut fonctionnariat, le
personnel politique, les élites économiques) mais pour ma part je suis très pessimiste sur l’avancée des évènements.
On ne peut se limiter à “attendre et faire confiance”. Il faut – et je crois que c’est le devoir de notre génération – sauvegarder et
transmettre ce patrimoine intellectuel et politique. Il faut se battre, en étant conscient qu’on se bat contre le courant, et qu’il est donc difficile d’avancer vite…
Pour en revenir à De Gaulle, regarde la différence entre notre cour constitutionnelle et celle de Karlsruhe et comment il y a
coquille par rapport au principe de souveraineté cher au général. Il n’y a rien à faire de ce côté ?
Je ne comprends pas très bien ta remarque. Le général n’aurait certainement pas voulu une cour du style Karlsruhe, et considérerait
certainement qu’avec le poids pris par le Conseil constitutionnel on se rapproche dangereusement du “gouvernement des juges”. La seule souveraineté est, en dernière instance, la souveraineté qui
réside dans la Nation. C’est devant elle que le gouvernement répond, et non devant une cour de justice.
Je ne sais pas comment mais j’ouvre la discussion, tant pis si c’est nul ou non avenu, au moins tes réponses font
réfléchir.
Franchement, il semble si difficile de trouver un homme capable d’incarner une politique, que quand on en a un, mieux vaut le garder
!