Sonate d’automne

Je m’excuse par avance auprès de mes lecteurs fidèles si ce papier vous paraît décousu et déprimant. Mais je dois dire que je l’écris dans un état de profond découragement. Peut-être est-ce l’arrivée de l’automne – il paraît que c’est la saison où l’on se suicide le plus – ou l’arrivée de la feuille d’impôts. Peut-être est-ce la situation économique et sociale, qu’on voit se dégrader chaque jour un peu plus. Mais ce qui au fond m’énerve et me déprime le plus, c’est la manière dont notre sphère politique et médiatique fonctionne.

Pourtant, je ne suis pas du genre à déprimer. Je me souviens de périodes beaucoup plus « dures » dans mon expérience politique. Mais aucune ne donnait ce sentiment si désagréable d’une classe politique inconsciente, inconséquente et surtout incompétente, sans mémoire du passé ni promesse d’avenir.

Prenons Mélenchon par exemple : il tonne contre les « solfériniens » et excommunie par avance ceux qui au PCF songeraient à faire alliance au premier tour avec les socialistes. Mais il semble oublier qu’avant le premier tour de la présidentielle il avait par avance et sans la moindre contrepartie déclaré qu’il appellerait à voter pour François Hollande au deuxième tour. Qu’il a effectivement appelé à le faire sans négociation et sans contrepartie, et qu’au lendemain de la victoire socialiste il s’est déclaré « ayant droit de la victoire ». Aujourd’hui, il déclare « On élit un président de la République social-démocrate et que fait-il? Il démantèle les acquis sociaux du pays (…) Les gens vivent le contraire de ce à quoi ils s'attendaient: pourquoi est-ce qu'on câline sans arrêt les patrons? ». Les gens vivent peut-être le contraire de ce à quoi ils s’attendaient, mais Mélenchon peut difficilement dire la même chose. Après tout, il a soutenu – et même participé comme ministre – à plusieurs gouvernements « social-démocrates » qui ont systématiquement détruit les acquis sociaux et câliné les patrons. Alors, pourquoi s’étonner de ce qui était, pour quiconque connaît la politique française des trente dernières années, totalement prévisible ? Qu’est ce qu’il croyait, Mélenchon, qu’Hollande une fois élu président allait devenir un révolutionnaire ?

Dans le même registre, après les résultats de l’élection cantonale partielle de Brignoles, la planète politique et médiatique semble frappée de stupeur. Les prophètes de malheur ont vite sorti leurs pancartes sur le mode « les barbares sont à nos portes ». Après avoir pendant des semaines dénoncé l’identité idéologique entre le FN et l’UMP, l’ensemble de la gauche – PG excepté – appelle ses ouailles à voter pour la candidate de l’UMP pour faire barrage au FN. Fait-on barrage à l’extrême droite en votant pour un candidat dont on dénonçait jusqu'à hier précisément les acoquinements avec la droite ? Comprenne qui pourra…

En même temps, on est surpris par la modération des réactions. Même pas de grand concert de SOS racisme place de la Concorde pour dénoncer la « peste brune ». Pas de ralliement unanime pour « barrer la route aux fascistes » comme ce fut le cas en 2002. On est sorti de l’ère de la diabolisation, où l’électeur frontiste était par définition un imbécile ou un fasciste pour qui il était hors de question de manifester la moindre compréhension. Il devient même possible d’analyser rationnellement les motivations de celui qui vote FN sans risquer l’excommunication sous l’accusation de banaliser l’extrême droite. Et du coup, on commence à admettre que l’électeur frontiste n’est pas un démon doté d’une queue et de cornes, mais un citoyens qui après avoir voté quelquefois pendant des décennies pour les candidats « républicains » – et souvent à gauche – a changé d’avis non pas sous l’effet d’un envoûtement, mais pour des raisons objectives qui tiennent à l’incapacité du monde politique « civilisé » de proposer de véritables alternatives et de faire fonctionner les institutions.

Cela pourrait être un progrès : on ne combat pas ce qu’on connaît mal. J’ai toujours eu du mal à comprendre ceux qui se proposaient de combattre le Front National sans chercher au minimum à comprendre les causes de sa dynamique. Il est vrai que pendant trente ans pour beaucoup de politicards qui ont bâti leur carrière sur des officines du genre « SOS-Racisme » – n’est ce pas, Harlem ? – le « combat » en question n’était qu’un prétexte pour rabattre des voix vers le candidat socialiste, et Jean-Marie Le Pen un épouvantail bien commode. Un épouvantail qui restait d’ailleurs bien sagement dans son coin, et qu’on ressortait à chaque élection pour emmerder la droite. C’était d’ailleurs de bonne guerre : les gaullistes avaient fait exactement la même chose en laissant au PCF un large espace politique sachant pertinemment que cela affaiblissait la gauche non-communiste, qui était la seule en mesure de leur disputer les manettes. L’erreur capitale du PCF fut de sortir du rôle d’opposition de sa majesté que lui réservait le pacte gaullo-communismte pour mettre Mitterrand au pouvoir. Il paya cette erreur très cher : Il fut broyé. C’est instruit de cette histoire que le FN a choisi la politique inverse. Après tout, quand est-ce que les affaires du FN marchent le mieux ? Sous des gouvernements de gauche. Si la priorité des priorités était d’affaiblir le FN, le vote logique en mai 2012 était Sarkozy, pas Hollande.

Quoi qu’il en soit, nous avons aujourd’hui un FN qui, bon an mal an, est en train de devenir le « premier parti de France ». Bien sur, il faut se méfier des sondages. Mais on ne peut ignorer une tendance réelle qui, de 2002 à aujourd’hui, a mis le FN sur le devant de la scène politique. Et je dis bien « sur le devant de la scène », car c’est la une particularité qu’il faut souligner : alors qu’il n’a pratiquement pas d’élus, qu’il ne contrôle aucun exécutif départemental, régional ou national, que son poids dans les milieux d’influence (haute fonction publique, cadres supérieurs du privé, « think tanks », institutions européennes) est négligeable, il arrive à imposer ses thèmes, ses préoccupations et ses priorités dans le débat public. Cette anomalie est en fait une illusion d’optique. Elle tient à ce que le Front National suit l’électorat plutôt qu’il ne le précède. Ce n’est pas le Front National qui impose ses thématiques, ces thématiques s’imposent parce ce sont elles qui préoccupent les français. Le Front National ne joue qu’un rôle de porte-voix : il ne fait qu’amplifier un message qu’il n’invente pas. Ce n’est pas le FN qui instille la préoccupation sécuritaire ou la méfiance envers l’Euro. C’est la population qui, à partir de son expérience quotidienne, ressent un besoin de sécurité et une méfiance envers l’Europe. Le Front ne fait que relayer ce ressenti, et c’est pour cela que les gens se reconnaissent dans son discours.

Le Front est un véritable parti « populaire », au sens qu’il est à l’écoute des couches populaires. Et si le FN peut jouer ce rôle, c’est parce que le monde politique « institutionnel » est aujourd’hui de plus en plus déconnecté du réel. Gouverner aujourd’hui, ce n’est pas dégager l’intérêt général ou construire une vision d’avenir, c’est chercher à contenter chaque mafia, chaque groupe de pression avec l’espoir qu’il vous retournera l’ascenseur électoralement le moment venu. L’exemple le plus caricatural est sans doute le projet de budget 2014, avec ses marches et contremarches en fonction de la réaction plus ou moins violente de chaque groupe de pression. Où est la cohérence du projet fiscal ? Où est la véritable « réforme fiscale » qui devait redonner une logique et une lisibilité à l’impôt ? Rien de rien. On est prié de croire les déclarations des uns qui nous affirment que c’est « un budget de croissance et d’emploi » ou les déclarations des autres qui nous disent que c’est tout le contraire (et qui, l’alternance aidant, inverseront les rôles à intervalles réguliers). Où sont les choix clairement exprimés entre les différentes alternatives ? Et d’ailleurs, quelles sont les alternatives parmi les quelles le choix est fait ? On nous explique qu’à différence de son prédécesseur, ce gouvernement recrutera plusieurs milliers d’enseignants. Fort bien : mais quelle est la contrepartie ? Quel autre pan de l’action publique a-t-on choisi de sacrifier en échange ? Le fait que la communication politique se concentre autour des bonnes nouvelles et fait l’impasse sur les contreparties finit par donner l’impression que le politique vit dans un monde heureux ou l’on peut créer à l’infini des postes et des subventions sans que cela coûte rien à personne. Un monde qui n’a qu’une ressemblance lointaine avec celui des gens qui prennent le RER tous les matins. Et qui ressemble d’autant moins que, pour déguiser le manque de volonté du politique à s’attaquer aux véritables problèmes, il se met souvent à tourner autour de « marottes » (la « transition écologique », la « révolution citoyenne »…) quand ce n’est pas autour de débats tactiques, toutes choses qui n’intéressent qu’un tout petit noyau militant. Que pensez-vous que le brignolais de base ressent lorsqu’il constate que les élus du peuple siégeant à Paris consacrent leur temps auguste à traiter avec tout le sérieux qu’il ne mérite pas le cas d’un député qui a osé imiter une poule pendant le discours d’une collègue (1)?

Cela touche d’ailleurs tous les partis. Ce n’est pas mieux – ni pire – au PS qu’à l’UMP, au PCF qu’au PG, au NPA que dans les différents groupuscules de la « gauche radicale » ou à EELV. Tous ces gens sont réunis sous le vocatif « demain on rase gratis » qui permet de donner satisfaction à tous sans léser personne. Le travail doctrinal, la définition d’un cadre de pensée propre dans lequel une tactique, une stratégie, un programme, un projet deviennent cohérents n’intéresse personne (2). Le programme ? On le torchera bien en quelques semaines avant l’élection. La stratégie ? On verra bien ce qu’on pourra négocier le moment venu. Et en fin de compte, on aboutit à un système illisible où un ancien président et son ancien premier ministre, qui ont conduit ensemble la politique du pays, découvrent un an après avoir quitté les affaires qu’ils représentent des projets politiques irréconciliables, un système où les différentes organisations à gauche se jettent des noms d’oiseau ou concluent au contraire des alliances selon l’état local des affaires. Et tout cela sous fond d’une profonde crise économique et sociale, de délitement institutionnel et d’affaiblissement des digues qui permettent que le « vivre ensemble » ne dégénère pas en « sauve qui peut ».

Après les législatives partielles de l’Oise et du Lot avant l’été, l’élection de Brignoles confirme une tendance lourde qui est d’ailleurs conforme aux études nationales. Une très forte abstention, une progression du vote frontiste notamment dans les milieux populaires et dans les villes petites et moyennes. Cette tendance tient autant à la stratégie de normalisation et de professionnalisation poursuivie par l’équipe dirigeante du FN qu’à un positionnement idéologique qui de plus en plus en font le porte-voix de ceux qui n’ont pas de voix. Mais cette tendance tient surtout à l’incapacité des élites politiques et médiatiques – issues pour l’essentiel des classes moyennes – d’échapper à la vision étroite de leur classe sociale. Pour légitimer leur position, ces élites ont fabriqué une théorie, celle de « l’incompréhension ». Ces élites, voyez-vous, se sentent incomprises. Alors quelles font tout pour rendre le peuple heureux, celui-ci au lieu de les remercier leur crache à la figure. C’est que le peuple ne peut comprendre combien l’Europe unie est nécessaire, combien l’Euro nous protège, combien le mariage pour tous est indispensable, combien l’immigration est l’avenir de la France. Bien sur, ces gens ont des différences idéologiques entre eux : là où les uns défendent l’austérité libérale, les autres nous bassinent avec la « révolution citoyenne ». Mais tous sont d’accord sur un point : si le peuple ne les suit pas, c’est le peuple qui a tort. Et comme le peuple – ce ramassis d’imbéciles – n’est pas capable de comprendre tout le bien qu’on lui veut, il est parfaitement légitime de le sauver malgré lui. Pour peu, les chevaliers de l’Euro se qualifieraient eux mêmes de dernier rempart contre la barbarie…

Il est d’ailleurs passionnant de constater à quel point le peuple fait aujourd’hui peur à tous les partis « institutionnels », de droite comme de gauche. Et cela est palpable dans la manière dont l’appel aux techniques du « marketing » politique a remplacé la bonne connaissance du terrain par les élus et les militants. A ce propos, il y a un enseignement important à tirer de l’élection de Brignoles : le maire et conseiller général communiste « historique », C. Gillardo, à 80 ans passés, a préféré passer la main pour cette troisième élection depuis 2011 du fait des annulations successives. Candidat en 2011, C. Gilardo faisait 33% au premier tour. En 2012, dans une configuration tout à fait semblable à celle de 2013 et avec un taux d’abstention équivalent, il faisait 39%. Un an plus tard, son remplaçant, un jeune apparatchik, ne fait plus que 13%… Certains concluront que dans beaucoup de villes communistes, c’est la fidélité personnelle beaucoup plus que l’étiquette partisane qui fait l’élection. Mais cette fidélité personnelle n’est pas apparue par l’opération du Saint Esprit : elle s’est construite au fil du temps autour d’élus qui grâce à un réseau de militants bien implanté avaient une connaissance incomparable du terrain et des attentes de leurs électeurs. Avec le remplacement des partis de militants par des partis d’élus, on a fabriqué une classe politique qui vit en apesanteur. Une classe politique qui connaît par cœur les magouilles de soir de congrès et les négociations avec des alliés plus ou moins commodes, mais qui ne connaît l’électeur de base que par les études d’opinion.

Amusons nous un peu : pour son Conseil National du 5 et 6 octobre dernier, la direction du PCF a fait réaliser par l’IFOP une étude intitulée « Etat d’esprit et attentes de l’électorat Front de Gauche à 5 mois des élections municipales » (http://www.pcf.fr/sites/default/files/sondage-ifop-pour-le-pcf-5-oct-2013.pdf). Un document qui me semble très illustratif du rapport entre les élites politiques et le peuple qu’elles sont censées représenter (3).

D’abord, le choix de l’échantillon. Pour étudier « l’électorat du Front de Gauche », quel échantillon prend-t-on ? Les auteurs de l’étude ont constitué trois groupes témoin, dont voici la composition telle qu’elle figure dans l’étude :

« Profil des groupes :

Groupe PARIS – Le cœur de cible: Hommes et femmes, âgés de 25 à 60 ans, classes moyennes basses, électeurs traditionnels du PCF, habitant différentes villes communistes de l’agglomération parisienne (Saint-Denis, Bobigny, Malakoff, Nanterre, Bagneux, Ivry-sur-Seine, Villejuif, etc…)

Groupe MONTPELLIER – Les électeurs de JLM en 2012 : Hommes et femmes, âgés de 25 à 60 ans, classes moyennes, se déclarant à gauche ou très à gauche sur l’échiquier politique, électeurs de JLM en 2012, habitant Montpellier

Groupe AVIGNON – Les électeurs PC face à la menace FN: Hommes et femmes, âgés de 25 à 60 ans, classes moyennes, électeurs traditionnels du PCF, habitant Avignon ».

Rien ne vous frappe dans cette description ? Allez, un petit effort… quel est le point commun à ces trois échantillons, outre la tranche d’âge ? Et bien… ils sont tous trois constitués d’électeurs « classes moyennes ». Même si la définition de cette catégorie sociale utilisée par l’IFOP est certainement plus large que celle que j’ai proposé sur ce blog, n’est il pas révélateur que le PCF, dans un étude qu’il commande, juge que pour connaître « l’état d’esprit et les attentes de l’électorat du front de gauche » il suffit de sonder les « classes moyennes » ?

A partir de cet échantillon, on arrive bien entendu aux conclusions prévisibles, auxquelles n’importe quel militant bien implanté sur le terrain – sur le terrain des « classes moyennes », s’entend – serait arrivé tout seul. Les « défis » ? « Incarner la vraie gauche » et « rassurer sur la crédibilité du politique ». Vaste programme, aurait dit mongénéral. Quant aux « atouts », rien de bien nouveau là encore : « image favorable associée aux élus », « spécificités de la ville communiste » et « légitimité à fédérer les initiatives locales ». Avec en prime une recommandation « bateau » classique dans le marketing politique : « une attention forte portée à la thématique de la jeunesse ».

Mais le principal point d’étonnement, c’est de constater que les partis politiques sont prêts à payer très cher pour connaître l’état d’esprit et les attentes de leur électorat. Car à quoi sert un parti politique, à quoi sert un réseau militant, sinon à connaître l’état d’esprit et les attentes de la population en général et de son électorat en particulier ? Doit on comprendre que les partis politiques sont si coupés de l’électorat, que ses dirigeants ont si peu de contacts avec les militants – et ceux-ci avec le corps électoral – qu’ils ont besoin qu’un institut privé réunisse des « groupes » d’électeurs pour leur demander ce qu’ils en pensent ? Charles de Gaulle a-t-il fait faire des sondages avant de prononcer le discours de Bayeux ? Maurice Thorez s’est-il adressé à l’IFOP avant de déclarer qu’il fallait savoir arrêter une grève ou de désarmer les milices issues de la Résistance communiste ? J’en doute fort. Ils pouvaient par contre l’un et l’autre compter sur des conseillers et des collaborateurs qui avaient eux mêmes des réseaux militants en mesure de prendre la température de l’opinion et relayer ses attentes. Et si ces discours ont tous frappé juste, c’est parce que ces hommes politiques connaissaient profondément – par eux mêmes ou par des militants interposés – le peuple qu’ils représentaient. Tout le contraire d’un Delors ou d’un Monnet pour qui le peuple, sorte d’enfant capricieux incapable de distinguer ce qui est bon pour lui, doit être guidé par une aristocratie qui fera son bonheur malgré lui ; ou d’un Mélenchon qui ne s’adresse qu’à un peuple idéalisé – celui qui se passionne pour les minorités, les sans-papiers et la « planification écologique » – pour mieux ignorer le peuple réel, celui préoccupé essentiellement par la dégradation de la sécurité, de l’emploi, des rapports sociaux.

Oui, ce qui caractérise les élites politiques aujourd’hui, c’est la peur du peuple. Non du peuple comme abstraction, mais du peuple réel. A droite comme à gauche, on préfère de loin s’entendre entre soi ou négocier avec les lobbies que de véritablement soumettre les questions à un débat public avec le peuple pour juge. Il n’y a qu’à voir les discours sur l’Europe : tout le monde propose des réformes, mais personne, absolument personne, ne demande qu’elles soient soumises à référendum. Ont-ils si peu confiance dans leur propre capacité de convaincre le peuple du bien fondé de leurs propositions ?

Le FN, comme bien d’autres partis dits « populistes », n’est que le symptôme de cette déconnexion du politique – et des classes moyennes qui le nourrissent – par rapport à l’idée même de « peuple ». Le politique d’aujourd’hui n’aspire plus à représenter l’ensemble de la Nation. Il se construit au contraire à partir d’une approche marketing de « populations cibles » pour capter un maximum de voix en tenant à chaque catégorie, à chaque communauté le discours qu’elle veut entendre. Et d’ailleurs il ne s’en cache pas : on se souvient du célèbre rapport du « think tank » socialiste « Terra Nova » qui proposait sans ambages au Parti socialiste de se positionner sur le créneau bobo et de laisser à son sort l’électorat populaire. Seulement voilà, si l’on peut dire à chacun ce qu’il veut entendre lorsqu’on est dans l’opposition, il est beaucoup plus difficile de répondre aux expectatives qu’on a ainsi créés lorsqu’on se retrouve aux commandes, particulièrement lorsqu’on gouverne un pays en crise. C’est là le problème : lorsqu’on s’assume comme représentant l’ensemble de la Nation, on est légitime à invoquer l’intérêt général pour mettre des bornes aux intérêts particuliers sans pour autant perdre en représentativité. Lorsqu’on se fait élire en promettant à chacun de faire avancer son intérêt particulier – voire sa marotte – il est difficile ensuite de revenir à l’intérêt général sans mécontenter tout le monde. Le politique se trouve alors obligé de choisir parmi ses promesses lesquelles il compte tenir et celles qu’il décide d’abandonner, et d’apparaître donc non pas comme le représentant de tous, mais comme le représentant des intérêts qu’il a choisi de soutenir. Et à force de répétition, ce processus finit par détruire les fondements de la République.

Si le FN monte ce n’est pas, contrairement à ce que raconte la « gauche radicale », parce que le gouvernement impose l’austérité. En France, les citoyens n’ont jamais refusé de faire des sacrifices lorsque ceux-ci s’inscrivaient dans un projet d’ensemble qui leur donnait un sens. On se souvient d’ailleurs que le gouvernement « austéritaire » de Raymond Barre a réussi à s’imposer lors des élections de 1978 alors que pourtant la gauche avait le vent en poupe. Le FN monte parce que les sacrifices sont imposés dans le plus grand désordre, qu’à l’heure de les imposer le pouvoir recule devant ceux qui gueulent le plus fort, que les arguments utilisées pour les justifier ne sont que des prétextes (4). Et qu’en fin de compte, ces sacrifices ne s’inscrivent pas dans un projet qui prépare un avenir radieux, mais tout au plus dans une logique de punition que nous devrions accepter humblement en signe de contrition pour nos fautes passées. Et le FN monte parce que devant ce désastre organisé par l’alternance PS-UMP, les autres organisations politiques n’arrivent pas à proposer une alternative crédible. Entre la ligne erratique et opportuniste d’EELV, la vision du Front de Gauche qui consiste à nier les problèmes et les chamailleries groupusculaires des souverainistes, personne n’est capable de dire « voici ce que je veux changer et voici comment je vais m’y prendre » et de s’y tenir au risque de mécontenter quelqu’un.

Voilà le contexte dans lequel on prépare des échéances électorales qu’on peut anticiper particulièrement acrimonieuses. Mais je laisse ce sujet pour un autre papier…

Descartes

(1) Les députées de gauche ont sérieusement perturbé la séance de questions au gouvernement avec cette affaire. On se demande d’ailleurs lequel est le plus puéril : le député qui imite la poule, ou la députée qui en fait un incident « sexiste ». Pour avoir assisté à des séances, je peux témoigner que les quolibets qu’on s’échange entre hommes sont souvent bien plus violents que cela. Je me souviens d’ailleurs d’une députée qui, il y a pas si longtemps, avait fait toute une affaire lorsqu’un collègue masculin avait lancé « c’est qui cette nana ? ». Si, pendant l’intervention d’un collègue masculin une députée s’était écriée « c’est qui ce mec ? », cela aurait été là aussi une « attaque sexiste » ? Soyons sérieux : que certaines députées utilisent l’instrument terroriste du « sexisme » pour se poser en victimes, on peut le comprendre. Après tout, le rôle de victime donne un avantage politique non négligeable, et de grandes carrières – n’est ce pas, Ségolène – ont été bâties sur cette technique. Mais Je doute fort qu’elles trouvent beaucoup de sympathie chez nos concitoyens – et concitoyennes – « d’en bas » qui font face à des discriminations bien plus graves et plus évidentes. Voire nos députées faire une crise d’hystérie pour quelques gloussements malencontreux n’aidera pas à convaincre les peuple que ses élus sont à leur écoute.

(2) Et on pourrait ajouter qu’il fait peur. Définir un cadre doctrinal implique qu’on ne peut plus faire n’importe quoi. Un cadre doctrinal oblige à dire « non » à certaines revendications, et donc à mécontenter certains intérêts. Le flou doctrinal permet au contraire de reprendre les « marottes » des uns et des autres sans craindre la contradiction.

(3) Et j’insiste : même si ce document émane du PCF, il est très représentatif de la manière comme les partis « institutionnels » fonctionnent. Vous trouverez des documents semblables dans tous les partis… mais seul le PCF est suffisamment inconscient pour les publier sans se rendre compte de ce qu’ils signifient.

(4) De ce point de vue, il n’est pas inutile de comparer le discours des ministres socialistes aujourd’hui en charge de la réforme des retraites avec ceux de leurs prédécesseurs sous la présidence Sarkozy… la ressemblance est plus que troublante.

Ce contenu a été publié dans Uncategorized. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

62 réponses à Sonate d’automne

  1. dsk dit :

    Pardonnez-moi, Descartes, vous allez sans doute trouver que j’abuse, mais je voudrais profiter de votre blog pour passer une petite annonce personnelle. Voici : je mets en vente mon magnifique appartement parisien en duplex avec terrasse + jardin privatif dans le VIIème arrondissement pour la moitié de son prix, soit un million d’euros (offre strictement réservée à vos lecteurs).
    Sur ce rabais, je vous dois tout de même une explication. Il se trouve que depuis quelques années, nous avons un nouveau syndic, la SCP Libéral & Libertaire, qui a décidé que notre immeuble devait cesser de "se fermer au monde extérieur", et a décidé, en conséquence, de supprimer toutes nos portes. Vous conviendrez que dans ces conditions, il devient quelque peu difficile de trouver le repos, et que l’on n’est jamais vraiment assuré de retrouver ses meubles en se réveillant. Toutefois, je signale aux acheteurs intéressés qu’un nouveau syndic, la SCP Le Pen & Philippot se propose actuellement de reprendre la gestion et de rétablir nos portes. Pour l’instant, la majorité des copropriétaires trouvent encore cette proposition fasciste, mais l’on sent tout de même, ces temps-ci, un certain frémissement d’opinion. Veuillez m’excuser encore pour cette interruption inopinée.

    • Descartes dit :

      Gnark gnark… vous êtes un méchant personnage et vous irez en enfer !

    • dsk dit :

      ["vous êtes un méchant personnage et vous irez en enfer !"]

      Vous savez, ça ne me changera pas vraiment de ce que je vis actuellement : j’ai oublié de vous préciser qu’un camp de roms s’est installé dans mon jardin.

  2. Bonjour,
    Vous écrivez ce que je pense.
    M’autorisez-vous à reproduire votre article sur mon blog en donnant les sources bien sur?
    Merci encore.

    • Descartes dit :

      Tout à fait. Je n’ai pas encore réussi à remettre la mention sur le nouveau format du blog, mais tous mes articles publiés ici sont de libre reproduction à condition d’indiquer l’auteur et la source.

  3. Marcailloux dit :

    En effet, ce billet présente une vision déprimante de l’appareil politique qui dirige le pays. Mais cette déprime est elle justifiée ? Je ne le pense personnellement pas et ce n’est cependant qu’une intuition.
    Vous semblez , Descartes, vivre une crise aiguë de nostalgie du bon vieux temps passé, avec comme modèle exemplaire un PC omniprésent dans une partie importante de la population qu’il était capable d’influencer, d’orienter, de cornaquer même dans le quotidien de l’intimité des gens qui étaient peu ou prou sous sa férule.
    Or, le temps a passé. Les prêtres laïcs se sont mués en épiciers. L’action désintéressée a pratiquement disparue et s’est complètement dévaluée. Le marché des prébendes a explosé et la "starlètisation" des élus est montée à la tête de beaucoup pour qui c’était la seule voie pour accéder à une certaine forme d’élitisme.
    Les couches populaires on trouvé ( ou cru trouver ) leur eldorado dans le sentiment d’accession à la classe moyenne. Elles n’ont eu de cesse que d’éviter à leurs enfants l’infamie de se salir les mains dans un atelier. Résultat, un bon usineur gagne souvent près de 3000€, un bon boulanger idem alors que maints bac plus plus ne dépasse pas de beaucoup le Smic.
    D’un autre coté, les véritables élites, et je ne parle là pas uniquement des prix Nobel , médailles Field ou consorts, mais des innombrables acteurs qui atteignent l’excellence dans leur domaine, restent dans l’anonymat, sans considération de la part de la population.
    Pendant ce temps, une classe d’ambitieux, ce n’est pas péjoratif, d’arrivistes, là ça l’est, émerge, aidée par les média et adulée par la population au même titre que l’étaient les gladiateurs de la Rome antique ou que le sont les footballeurs actuellement. Et tout cela sous les ors de la république qui n’ont rien à envier aux fastes des monarchies les plus vaniteuses et dispendieuses.
    On est encore très loin de la mesure et de la sobriété des politiques de l’Europe du nord. Un test serait intéressant à pratiquer: ce serait de peser les élus en début et en fin de chaque mandat. Le député que vous évoquer dans ce billet ne se serait pas permis cette pitrerie si la bonne chair et les libations n’étaient pas autant présentes dans l’activité politique.
    Parlez nous un peu de la valeur des caves de la nation, du nombre des cuisiniers des ministères aux préfectures, des chauffeurs, des huissiers et autres manifestations du prestige qui accompagne et tourne la tête à nos chers représentants. La dépense est réelle, ce n’est pas un drame national, mais ce qui l’est, c’est la bagarre pour la conquête des places et le maintien, au détriment du travail qui devrait être réalisé.
    Si tout cela persiste, c’est que dans une large mesure, le pays a les moyens de se le permettre, c’est notre danseuse nationale, les uns couchent avec, les autres en rêvent et se contentent d’applaudir ou de siffler selon les favoris qu’il se sont choisit. La grande majorité éprouve un besoin intense d’appartenir à un camp, celui du gagnant présumé et est prêt à en faire payer le prix à tous. C’est notre luxe à nous.
    Somme nous disposés à exiger de nos dirigeants, qui la main sur le cœur se sont déclarés humblement soumis au bien et à l’intérêt général, un comportement et des conditions de vie conformes à leur vocation proclamée à chaque élection?
    Voyez vous, Descartes, plus je vous lis, plus je persévère dans mon vote blanc, à de rares exceptions près.
    Comment pouvez vous écrire – je traduis – "il n’y en a pas un qui vaille la peine de recevoir notre confiance, et ne pas arriver à la même conclusion.
    C’est la meilleure façon peut être d’entretenir le "fonds de commerce" de ce blog !
    Et je me réjouis de voir, parallèlement à la monté du FN, l’accroissement de l’abstention associé à celui du vote blanc aboutissement logique et responsable d’une bonne partie des abstentionnistes.
    Tout n’est pas perdu, réjouissez vous, et le point de rupture n’est pas encore atteint. D’ici là, avec 10 ou 15 % de citoyens qui, par le vote blanc, refusent cette mascarade, l’effet Pygmalion espéré, un grand coup de balai assainira probablement l’atmosphère.

    • Descartes dit :

      @Marcailoux

      [En effet, ce billet présente une vision déprimante de l’appareil politique qui dirige le pays. Mais cette déprime est elle justifiée ? Je ne le pense personnellement pas et ce n’est cependant qu’une intuition].

      La déprime n’est jamais « justifiée », ne serait-ce que pour des raisons méthodologiques. La déprime empêche l’action, alors que nous ne pouvons jamais savoir de quoi l’avenir sera fait. C’est un peu ce que disait Gramsci lorsqu’il disait « préférer l’optimisme de la volonté au pessimisme de la raison ». C’est pourquoi je tends à préférer la position du cynique, qui permet d’agir malgré le pessimisme.

      [Vous semblez , Descartes, vivre une crise aiguë de nostalgie du bon vieux temps passé, avec comme modèle exemplaire un PC omniprésent dans une partie importante de la population qu’il était capable d’influencer, d’orienter, de cornaquer même dans le quotidien de l’intimité des gens qui étaient peu ou prou sous sa férule.]

      Oui, et un parti gaulliste qui pouvait dépasser le réflexe réactionnaire et centriste de la droite. Mais je ne dirais pas « nostalgie ». Le temps passé, pour autant qu’il soit aussi beau que le fait notre mémoire, ne reviendra pas. Mais il peut nous être utile. Je pense toujours que la mission sacrée d’une génération adulte est de transmettre aux jeunes le souvenir et la connaissance des temps qu’ils n’ont pas connus. Et c’est particulièrement vrai aujourd’hui, lorsque l’horizon est bouché et qu’on leur prêche la résignation. Il faut leur raconter que la France n’a pas toujours été dans le corset de Bruxelles, qu’il fut un temps où le président de la République décidait de quitter une organisation internationale intégrée et que la décision était exécutée sans que le ciel nous tombe sur la tête, un temps où l’on pouvait explorer un gisement de gaz en France et l’exploiter au bénéfice de la collectivité dans le respect de l’environnement sans que des groupuscules agissants puissent – ou même tentent – de le saboter. Un temps où l’on a couvert la France de toutes ces infrastructures dont nous sommes aujourd’hui si fiers, où l’on a développé des projets d’avenir – l’aéronautique, les télécom – dans un véritable élan national. Un temps où les gains de productivité étaient systématiquement partagés en trois parts : celle du capital, celle du travail, celle des infrastructures collectives et des services publics. Le fait de rappeler tout ça, ce n’est pas de la nostalgie ou du passéisme, c’est une manière de prouver aux gens qu’il est possible de faire autrement. Que le règne des lobbies, des groupuscules, des minorités n’est pas une fatalité. Que cette idéologie délétère qui veut qu’on ne puisse plus rien faire comme collectivité n’est qu’une idéologie, créée et maintenue au service d’une couche sociale.

      [Or, le temps a passé. Les prêtres laïcs se sont mués en épiciers. L’action désintéressée a pratiquement disparue et s’est complètement dévaluée. Le marché des prébendes a explosé et la "starlètisation" des élus est montée à la tête de beaucoup pour qui c’était la seule voie pour accéder à une certaine forme d’élitisme. ]

      Oui. Et c’est pourquoi il est aussi important de maintenir allumée la flamme qu’une autre politique est possible. Mais comment crédibiliser cette affirmation ? Je pense que pour cela il est essentiel de maintenir la mémoire. On l’a fait, c’est donc possible.

      [Les couches populaires on trouvé (ou cru trouver) leur eldorado dans le sentiment d’accession à la classe moyenne. Elles n’ont eu de cesse que d’éviter à leurs enfants l’infamie de se salir les mains dans un atelier. Résultat, un bon usineur gagne souvent près de 3000€, un bon boulanger idem alors que maints bac plus plus ne dépasse pas de beaucoup le Smic.]

      Je ne crois pas qu’on puisse dire ça. Il est normal que les couches populaires – comme les autres, d’ailleurs – cherchent à soustraire leurs enfants aux conditions de travail les plus difficiles, les plus dures, les plus aliénantes, les moins bien payées. Mais cela étant posé, on ne peut pas dire que les couches populaires aient boudé l’industrie : là où l’industrie est implantée de longue date, il était considéré parfaitement normal et même faisant partie de la dignité ouvrière d’être « fidèle » à son entreprise, où l’on travaillait souvent de père en fils. On le voit encore lorsqu’on discute avec les travailleurs d’une usine en difficulté : ils évoquent souvent le fait que leurs parents y ont travaillé eux aussi, et souvent voient dans la fermeture une double trahison de ce fait. L’enfant ouvrier qui était doué pour les études était encouragé à les prolonger et devenait quelquefois polytechnicien. Mais c’était l’exception, pas la règle.

      Ce ne sont pas les couches populaires qui ont abandonné l’industrie, c’est plutôt l’inverse : la désindustrialisation de la France a persuadé les couches populaires que leur seul salut était d’aller dans le tertiaire. Elles y ont été encouragées par les grands discours sur « la fin de l’industrie », « la société des services » et autres balivernes. C’est pour cela que notre industrie ne trouve pas d’usineurs, de chaudronniers, des soudeurs lorsqu’elle en a besoin : comment persuader un jeune à qui on explique que « l’industrie, c’est fini », à qui on montre quotidiennement le spectacle des usines qui ferment et des travailleurs industriels désespérés de trouver une reconversion d’embrasser un métier industriel ?

      [On est encore très loin de la mesure et de la sobriété des politiques de l’Europe du nord.]

      Je ne partage pas votre engouement pour la « mesure et la sobriété » des politiques d’ailleurs. Le roi-soleil nous a laissé Versailles, ce palais devant lequel les touristes de cette Europe « mesurée et sobre » s’extasient par milliers. Le pouvoir politique a une dimension symbolique qu’on ne peut pas ignorer.

      [Un test serait intéressant à pratiquer: ce serait de peser les élus en début et en fin de chaque mandat. Le député que vous évoquer dans ce billet ne se serait pas permis cette pitrerie si la bonne chair et les libations n’étaient pas autant présentes dans l’activité politique.]

      C’est évident. Si les députés étaient tenus au pain et à l’eau, s’ils devaient siéger assis par terre dans le sous-sol d’un parking et qu’ils étaient fouettés toutes les heures par des fonctionnaires payés à cet effet, ils auraient bien moins envie de faire des plaisanteries, bonnes ou mauvaises. Mais je me demande si le travail législatif y gagnerait…

      [Parlez nous un peu de la valeur des caves de la nation, du nombre des cuisiniers des ministères aux préfectures, des chauffeurs, des huissiers et autres manifestations du prestige qui accompagne et tourne la tête à nos chers représentants.]

      Si vous ne leur donnez pas ça, ils iront dans le privé et il ne restera que les imbéciles ou les incapables pour s’occuper de la chose publique. Ne vous faites pas d’illusions : personne n’est TOTALEMENT désintéressé. Il y a certainement des hommes qui font de la politique pour le bien de la République sans penser à leur bourse, mais même eux ont besoin pour continuer d’une récompense, ne serait-ce que symbolique. Les ors, les huissiers, les chauffeurs, cela fait partie de cette récompense, et nous coûtent au final bien moins que de payer nos dirigeants au prix où sont payés les dirigeants des entreprises privées. Dans ces démocraties nordiques dont vous signalez « la mesure et la sobriété », la confusion d’intérêts est infiniment pire que chez nous. Dites vous bien que si ces sociétés se considèrent obligées de punir si sévèrement l’achat d’une tablette de chocolat avec une carte bleue de service, c’est qu’elles craignent quelque chose…

      [Somme nous disposés à exiger de nos dirigeants, qui la main sur le cœur se sont déclarés humblement soumis au bien et à l’intérêt général, un comportement et des conditions de vie conformes à leur vocation proclamée à chaque élection?]

      Non, et nous faisons bien. Nous avons besoin de gouvernants, pas de saints. Je crois que nous avions discuté déjà cette question. Personnellement, à l’heure de gouverner je préfère infiniment Napoléon à l’Abbé Pierre. Je suis prêt à rémunérer grassement – sur le plan monétaire mais aussi symbolique – un gouvernant qui fait bien son boulot. Que les hommes politiques se sentent obligés de promettre de vivre humblement est pour moi un dévoiement de la démocratie, pas un progrès.

      [Voyez vous, Descartes, plus je vous lis, plus je persévère dans mon vote blanc, à de rares exceptions près. Comment pouvez vous écrire – je traduis – "il n’y en a pas un qui vaille la peine de recevoir notre confiance, et ne pas arriver à la même conclusion].

      Ce n’est certainement pas mon intention de vous encourager à voter blanc. Voter blanc, c’est refuser le choix que nous offre la réalité. Et on ne fait pas de politique en refusant le réel. Je ne vote pas parce que j’ai confiance, je vote parce que parmi les choix possibles c’est le moins mauvais.

      [Et je me réjouis de voir, parallèlement à la monté du FN, l’accroissement de l’abstention associé à celui du vote blanc aboutissement logique et responsable d’une bonne partie des abstentionnistes.]

      Je n’irais pas jusqu’à me « réjouir », mais je vous accorderai qu’aujourd’hui, c’est la seule source de progrès qu’on voit dans le paysage politique. Objectivement, sans cette irruption du FN on continuerait à ronronner dans une fausse alternance entre l’UMP et le PS avec à côté quelques groupuscules qui aboient beaucoup mais ne mordent pas. Un gouvernement FN n’est probablement ni possible ni souhaitable, mais le FN joue un rôle important lorsqu’il oblige de sortir du discours bienpensant et se poser des questions. Peu importe de savoir si le FN joue ce rôle volontairement ou accessoirement. Le fait objectif est qu’aujourd’hui il pousse à une remise en question, alors que le FdG, qui se prétend révolutionnaire, ne fait qu’annoner un discours auquel personne ne croit vraiment.

  4. Brodj dit :

    Cher Descartes,

    On dit souvent que les artistes tourmentés sont ceux qui produisent les plus belles oeuvres. Votre article en est un très bel exemple, votre "découragement" a en effet nourri une très belle analyse politique.

    Toutefois, je crois qu’il y a de multiples raisons d’espérer en cette période politique déprimante. Premièrement, si l’on peut douter de la capacité d’un FN au pouvoir à mettre en oeuvre des solutions efficaces, celui-ci aura eu au moins le mérite de recentrer le débat sur des questions de fond (sécurité, emploi, souveraineté, etc…) et par la même occasion de mettre (provisoirement) à l’écart les thèmes qui, comme vous le dites, n’intéressent pas les gens qui prennent le RER tous les matins (et dont je fais partie). Sans être moi-même électeur du FN, je reconnais que sa montée en puissance est aussi la preuve que la conscience du peuple ne peut pas être endormie indéfiniment par les marchands de sable à la Désir, Duflot et compagnie. L’histoire de notre pays a par ailleurs montré que les périodes de crise donnaient souvent naissance à des secousses salutaires au sein de la société (Révolution(s), Résistance, et plus récemment, la manif pour tous qui n’a pas empêché le passage de la loi mais a eu le mérite de réveiller une France assoupie). Faisons confiance à un peuple qui a prouvé qu’il n’était pas encore totalement lobotomisé par le discours bobo bienpensant, corporatiste et communautaire de certains partis politiques. La différence entre la réalité politique et la réalité du peuple est d’ailleurs selon moi une immense source d’espoir. Imaginez un peu que la vie politique actuelle ne soit ni plus ni moins que le miroir de la société ! Je crois qu’effectivement dans ce cas il y aurait de quoi sombrer dans une profonde dépression. Mais Dieu merci, il n’en est rien.

    Pour rebondir sur la "déconnexion du politique par rapport à l’idée de peuple", je crois que ce phénomène s’explique aussi par l’appauvrissement de l’objet – càd du champs d’action – qu’il reste au politique aujourd’hui, la faute à l’évaporation du pouvoir souverain au contact de l’enfer européen. Je pense en particulier à Arnaud Montebourg qui, dans l’émission "On n’est pas couché" explique qu’il doit aller "défendre les positions du gouvernement à Bruxelles" et que "le ton commence à monter". Il est absolument ahurissant qu’un débat qui devrait avoir lieu en France ait en fait lieu à Bruxelles, entre technocrates européens qui n’ont aucune légitimité vis-à-vis du peuple français. Résultat des courses : le gouvernement n’a aucune possibilité d’incarner un changement de profondeur et doit se contenter de "mesurettes" à la petite semaine (par exemple les contrats d’avenir qui n’ont rien d’avenir d’ailleurs). Mais si la réalité européenne est très difficile à expliquer au grand public car elle inclut des concepts de politiques éco, monétaires et de change qui ne sont pas à la portée du premier venu (et il est toujours plus facile d’expliquer que l’Europe a apporté la paix, LOL), je crois sincèrement que la prochaine grande étape de notre vie politique sera l’éveil du peuple à cette gigantesque arnaque qu’est la construction européenne, ce Léviathan infâme, serviteur de la politique néo-libérale héritée des pères "destructeurs" de l’Europe (Monnet, Schumann, etc)

    Pour conclure, mon cher Descartes, j’espère sincèrement que votre découragement n’est que passager. Sachez en tout cas, que, tant qu’il y aura des consciences alertes, libres et combatives comme la vôtre, il restera de l’espoir.

    • Descartes dit :

      @brodj

      [Premièrement, si l’on peut douter de la capacité d’un FN au pouvoir à mettre en oeuvre des solutions efficaces, celui-ci aura eu au moins le mérite de recentrer le débat sur des questions de fond (sécurité, emploi, souveraineté, etc…) et par la même occasion de mettre (provisoirement) à l’écart les thèmes qui, comme vous le dites, n’intéressent pas les gens qui prennent le RER tous les matins (et dont je fais partie)]

      Je partage votre sentiment. La montée en puissance du FN, aussi lourde de dangers soit elle, peut aider à remettre en cause pas mal de vaches sacrées de la bienpensance qui bloquent toute réflexion depuis trois décennies.

      [Faisons confiance à un peuple qui a prouvé qu’il n’était pas encore totalement lobotomisé par le discours bobo bienpensant, corporatiste et communautaire de certains partis politiques.]

      Personnellement, j’ai toujours fait profondément confiance au peuple français. Et si on regarde notre histoire, aucun homme politique n’a été grand en France sans cette confiance.

      [Pour conclure, mon cher Descartes, j’espère sincèrement que votre découragement n’est que passager.]

      Je l’espère aussi… ! Et vous remercie de vos encouragements.

  5. Marencau dit :

    Bonjour Descartes,

    Je me sens obligé de souscrire à ce déprimant billet…

    Du coup, je m’interroge sur la manière dont tu concilies certains aspects de ta pensée qui peuvent paraître contradictoire à propos "du peuple". Par exemple:

    1) D’un côté tu considères que le peuple est "sage" et vote "pas trop mal" selon ses intérêts…
    2) … mais de l’autre le côté "sagesse populaire et paysanne", "les élites n’y connaissent rien", "fermons l’ENA ! " t’insupporte.

    J’ai un peu de mal à voir comment tu concilies les deux…

    Idem, la place que tu accords à la culture populaire ne me semble pas claire :

    1) D’un côté, tu regrettes qu’il n’y ait plus de place dans les grands partis pour la culture populaire (qui serait définie comment ?)…
    2) … mais de l’autre tu admets "qu’un rap vaut moins qu’un Mozart", et que cette pseudo-équivalence entre les deux est entretenue par les classes moyennes dans des discours relativistes qui servent leurs intérêts (car eux enseignent Mozart et pas du rap à leurs enfants).

    Voilà, c’est tout !

    Bon weekend.

    Marencau

    • Descartes dit :

      @Marencau

      [Je me sens obligé de souscrire à ce déprimant billet…]

      Promis, pour le prochain, j’essaye de faire quelque chose de joyeux…

      [1) D’un côté tu considères que le peuple est "sage" et vote "pas trop mal" selon ses intérêts…
      2) … mais de l’autre le côté "sagesse populaire et paysanne", "les élites n’y connaissent rien", "fermons l’ENA ! " t’insupporte. ]

      Je ne vois pas la contradiction. Ce n’est pas « le peuple » qui demande qu’on ferme l’ENA, qui invoque la « sagesse populaire et paysanne » ou qui tire à boulets rouges sur « les élites » (les vraies, s’entend). Au contraire : je trouve que dans notre beau pays les couches populaires on a au contraire un grand respect pour « celui qui sait », pour celui qui a fait d’études brillantes. Ce ne sont pas les ouvriers qui vont parler de « la France d’en bas » ou de « l’intelligence de la main », c’est un petit bourgeois, ancien d’HEC. Et du temps où le PCF représentait la classe ouvrière, c’était le parti qui portait le plus haut les valeurs de la Raison, de la science, de la compétence, de l’éducation. C’est lorsqu’il est devenu un parti des classes moyennes qu’il a commencé à railler les « sachants » et à mettre sur le même plan la parole informée et la parole ignorante.

      [Idem, la place que tu accords à la culture populaire ne me semble pas claire :
      1) D’un côté, tu regrettes qu’il n’y ait plus de place dans les grands partis pour la culture populaire (qui serait définie comment ?)…
      2) … mais de l’autre tu admets "qu’un rap vaut moins qu’un Mozart", et que cette pseudo-équivalence entre les deux est entretenue par les classes moyennes dans des discours relativistes qui servent leurs intérêts (car eux enseignent Mozart et pas du rap à leurs enfants).]

      Je ne me souviens pas d’avoir « regretté qu’il n’y ait pas plus de place dans les grands partis pour la culture populaire ».

  6. Albert dit :

    Très bon papier, Descartes.

    Et très bon résumé, repris ci-dessous, sur la classe politique (élue, tout de même, par les Français!):
    ["Je me souviens de périodes beaucoup plus « dures » dans mon expérience politique. Mais aucune ne donnait ce sentiment si désagréable d’une classe politique inconsciente, inconséquente et surtout incompétente, sans mémoire du passé ni promesse d’avenir."] .
    Normal: Elle pense être là pour se servir et non pour servir. Et dans cette optique-là, elle n’est ni inconsciente, ni inconséquente, ni incompétente!!!

    Juste un bémol sur un point (secondaire?). Quand vous écrivez, à propos du scrutin de Brignoles:

    ["En même temps, on est surpris par la modération des réactions. Même pas de grand concert de SOS racisme place de la Concorde pour dénoncer la « peste brune ». Pas de ralliement unanime pour « barrer la route aux fascistes » comme ce fut le cas en 2002. On est sorti de l’ère de la diabolisation…"]
    .
    Je n’en suis pas si sûr. La relative modération par rapport à 2002 s’explique assez simplement par la différence d’échelle entre les enjeux. Il en irait probablement autrement si le FN faisait 30% à la présidentielle!
    Le tabou est toujours là à mon avis-et pas seulement contre le parti des Le Pen, mais aussi – par extension- contre toute vélléité de débat ouvert sur les thèmes qu’il "contamine". Et toute la classe politique, à gauche comme à droite, alimente ce tabou qui lui permet de garder le pouvoir, c-à-d ses avantages propres: cf. mon propos ci-dessus.

    • Descartes dit :

      @Albert

      [Le tabou est toujours là à mon avis-et pas seulement contre le parti des Le Pen, mais aussi – par extension- contre toute vélléité de débat ouvert sur les thèmes qu’il "contamine".]
      Tout a fait. C’est d’ailleurs en partie ce qui alimente la montée du FN. Une partie de plus en plus importante de la population se rend compte que certains problèmes qui la touchent particulièrement ne peuvent être abordées que par les dirigeants du FN. Ceux qui au PS, au PCF, et même à l’UMP s’y sont risqués ont été foudroyés par l’appareil politico-médiatique et se taisent prudemment. Et les autres aussi, de peur de subir le même sort. Cette liberté qu’a le FN d’aborder les problèmes dits « sensibles » est une grande force.

  7. Nicolas 70 dit :

    Bonjour Descartes,

    je me rapproche de votre état d’esprit et les signaux que nous adressent nos dirigeants ne peuvent nous laisser que dans une grande perplexité.

    Je vais prendre un peu de champ avec le monde politique et aller sur le champ social et syndical.

    Ce samedi matin, j’adressais un courriel à mon secrétaire général de mon union départemental au sujet de la journée nationale d’action du 15 octobre. Je lui faisais part de ma grande perplexité. Je l’interrogeais, notamment sur le décalage entre les gens et mon syndicat, la CGT. Cet appel à l’action permanente n’est que le contrecoup du désordre idéologique : des mots d’ordre ne fait pas une ligne politique. J’avais échangé avec lui sur mon souhait d’inscrire dans le texte du congrès départemental, texte que, tout comme celui pour le congrès national, j’avais lu, surligné et commenté, la perspective du Socialisme. Sa réponse fut : « je ne pourrai pas soutenir un tel amendement ». Si le dogme du Socialisme comme perspective a été aboli, des nouveaux dogmes sont apparus :le syndicalisme rassemblé (quesako ?) et toutes les avancées sociétales. Il faut s’imaginer voulant émettre un bémol sur le mariage pour tous, la régularisation de tous les sans-papiers (je n’ose dire clandestins), sur la parité… et les chiens ou chiennes de garde sont de sortie !

    Juste un petit détour au niveau politique. La fédération du PCF dans le département où je vis est orthodoxe. Cela n’a pas empêché dans le passé de mener et faire une liste avec des représentants des Verts, des ex-PS ségolinistes ainsi que des personnes de la société civile (soutien notamment de petits artisans) avec un certain succès. Je trouve cela très bien et j’espère qu’il en sera de même en mars 2014. Il faudrait juste qu’il tienne le même discours quand il parle au national au nom de Vive le Parti Communiste Français ! Cela serait plus rassembleur et éviterait les écueils gauchistes dans lesquels ils tombent. Critiquer le réformisme de la direction pour épouser le gauchisme, pauvre France.

  8. Albert dit :

    D’accord, pour être plus rigoureux, je devrais corriger un peu mon propos et dire comme Descartes: il y en a qui sont inconscients, d’autres inconséquents, d’autres incompétents et d’autres enfin (beaucoup d’autres, la grande majorité je pense) ambitieux et/ou carriéristes dans notre classe politique. Sans oublier tous ceux qui cumulent plusieurs de ces brillantes qualités.
    Il y a aussi quelques élu(e)s qui ont des convictions, mais souvent cela ne les empêche pas d’être aussi inconscients ou inconséquents,…etc.(voir liste ci-dessus).

  9. Koko dit :

    Mon Cher Descartes, vous vous trompez complètement quand vous voyez dans la montée du FN un signe de résistance du peuple français. Regardez ce sondage du Monde http://www.lemonde.fr/argent/article/2013/10/14/les-francais-et-l-impot-le-grand-desarroi_3494994_1657007.html qui indique que les électeurs du FN sont ceux qui défendent le plus l’exil fiscal. Ils sont beaux vos patriotes ! La vérité est que les électeurs du FN sont et restent ce qu’ils ont toujours été : des gros beaufs droitards anti-sociaux. La montée du FN n’est donc pas un signe de résistance du peuple français mais le signe de la droitisation de la France, de la montée de l’égoisme en France et un rejet de la solidarité, comme en atteste le "ras-le-bol fiscal" sur lequel surfe le FN (en plus de la haine de l’étranger). En fait je crois que les français ont toujours été foncièrement un peuple très à droite, beaucoup plus que nombre d’autres pays européens. Les français sont de plus profondément incultes en matière de politique et d’économie (là encore beaucoup plus que les citoyens plus éclairés d’autres pays européens), sans compter qu’ils sont toujours négatifs, pessimistes, jamais contents. Bref, vous vous trompez sur toute la ligne. Une chose est certaine, c’est que j’aspire à partir bien vite de ce pays.

    • Descartes dit :

      @Koko

      [Mon Cher Descartes, vous vous trompez complètement quand vous voyez dans la montée du FN un signe de résistance du peuple français. Regardez ce sondage du Monde http://www.lemonde.fr/argent/article/2013/10/14/les-francais-et-l-impot-le-grand-desarroi_3494994_1657007.html qui indique que les électeurs du FN sont ceux qui défendent le plus l’exil fiscal. Ils sont beaux vos patriotes !]

      Il faut être très prudent sur les sondages. Ils sont utiles pour explorer les évolutions de l’opinion, lorsqu’on en fait à intervalles réguliers en posant les mêmes questions. Mais ils sont peu utiles lorsqu’on les fait une seule fois. Pourquoi ? Et bien, parce que les personnes interrogées ont des réflexes qui font qu’en posant la question d’une manière bien choisie on arrive à faire fluctuer les réponses dans le sens souhaité. Certains mots, certaines expressions déclenchent des réponses presque automatiques indépendantes de la question. La question « souhaitez vous que les étrangers en situation irrégulière soient reconduits à la frontière ? » n’obtiendra pas la même réponse que « souhaitez vous que les immigrés clandestins soient expulsés ? ». Et pourtant les deux questions sont équivalentes.

      Pour la question de l’exil fiscal, notez comment la question est posée : « Certains français décident de s’installer à l’étranger afin de payer moins d’impôts. Personnellement, approuvez-vous cette décision ? ». Pourquoi ne leur avoir demandé directement s’ils seraient eux-mêmes, « personnellement », prêts à faire de même ? Pourquoi leur demander plutôt de juger les actes de quelqu’un d’autre ? N’est-ce pas étonnant ? Bien entendu, une question directe ne donnerait pas le même résultat.

      J’ajoute que le mode de sélection de l’échantillon (interviews par internet) privilégie l’électorat « traditionnel » du FN par rapport à l’électorat plus populaire.

      [La vérité est que les électeurs du FN sont et restent ce qu’ils ont toujours été : des gros beaufs droitards anti-sociaux.]

      Vous connaissez « la vérité », vous ? Comme je vous envie…
      Si cela vous rassure de croire que les électeurs du FN sont « des gros beaufs droitards anti-sociaux » – en d’autres termes, tout le contraire de vous – allez-y, continuez… seulement demain votre voisin, votre collègue de travail, votre camarade de sport, l’un de vos amis, des gens qui vous ressemblent et que vous estimez vous diront qu’ils votent FN. Que direz-vous alors ? Que ces gens que vous estimez sont devenus tout à coup des « gros beaufs droitards anti-sociaux » ? Tiens, j’ai envie de vous poser une question : comment expliquez vous que les brignolais, qui depuis 1945 ont voté dans leur grande majorité à gauche – communiste pour être précis – soient devenus tout à coup des « gros beaufs droitards et anti-sociaux » ?

      [La montée du FN n’est donc pas un signe de résistance du peuple français mais le signe de la droitisation de la France, de la montée de l’égoisme en France et un rejet de la solidarité, comme en atteste le "ras-le-bol fiscal" sur lequel surfe le FN (en plus de la haine de l’étranger).]

      J’attire votre attention sur le fait que le journal qui depuis déjà plusieurs semaines souffle sur les braises du « ras-le-bol fiscal », c’est « Le Monde », je journal des classes moyennes qui, quelle coïncidence, sont celles qui ont le moins envie de payer l’impôt. Parce que si le FN proteste contre les impôts, ce n’est pas lui qui pendant trois décennies a baissé continûment l’impôt sur le revenu et celui sur les sociétés…

      [En fait je crois que les français ont toujours été foncièrement un peuple très à droite, beaucoup plus que nombre d’autres pays européens.]

      Et c’est pourtant l’un de ceux qui a les meilleurs services publics, la meilleure protection sociale… faut-il conclure que pour faire ce genre de choses, la droite fait mieux que la gauche ?

      [Les français sont de plus profondément incultes en matière de politique et d’économie (là encore beaucoup plus que les citoyens plus éclairés d’autres pays européens), sans compter qu’ils sont toujours négatifs, pessimistes, jamais contents.]

      Oui, et vous en êtes la preuve vivante…

      [Une chose est certaine, c’est que j’aspire à partir bien vite de ce pays.]

      Personne ne vous retient, que je sache. Partez, allez voir ailleurs. C’est toujours bon pour ceux qui n’ont jamais quitté cette terre bénie d’aller voir si l’herbe est plus verte de l’autre côté de la frontière. Mais un jour vous serez vieux, malade ou tout simplement chômeur. Ce jour-là, reviendrez-vous pour bénéficier de la protection que ce pays accorde à chacun de ses citoyens ? J’ose espérer que non.

    • dsk dit :

      ["Pour la question de l’exil fiscal, notez comment la question est posée : « Certains français décident de s’installer à l’étranger afin de payer moins d’impôts. Personnellement, approuvez-vous cette décision ? ». Pourquoi ne leur avoir demandé directement s’ils seraient eux-mêmes, « personnellement », prêts à faire de même ?"]

      Il faudrait peut-être aussi aller plus loin, en rajoutant une question : pourquoi ? Une telle approbation, en effet, n’est sans doute pas de même nature chez les électeurs FN que chez les électeurs UMP, par exemple. Je crois que chez les premiers, il y a là sans doute plus une protestation sur la manière dont les impôts sont utilisés que sur leur seul niveau. C’est du reste, à mon sens, ce que semble confirmer le sondage, puisque l’article précise : "Politiquement, si le consentement à l’impôt est de 82 % chez les sympathisants du PS, il n’est plus que de 53 % chez ceux de l’UMP et de 39 % chez les proches du FN.". Rien de plus logique, finalement : l’électorat FN n’ayant que deux représentants à l’Assemblée, on ne saurait dire qu’il a vraiment la possibilité de consentir à l’impôt.

    • Marcailloux dit :

      @ Koko
      Ce billet de Descartes, posté en pleine morosité automnale, sous une pluie crasseuse a, en effet de quoi déprimer et pousser à des réactions de rejet général.
      Ce n’est cependant pas une raison suffisante pour se laisser aller vers une position irrationnelle et subjective.
      Avec près de 60% de redistribution de la richesse produite, notre pays applique, depuis des lustres, quelque soit la majorité au pouvoir, une politique socialiste. Démontrez nous le contraire. Et comparez avec des systèmes se présentant comme tel.Je vous invite, moi aussi, à faire un tour dans d’autres pays, pas en touriste, protégé dans une bulle, mais en vous immergeant dans la population et pendant une durée conséquente pour bien ressentir le quotidien de ces citoyens.
      Certes, des tas d’anomalies, de gaspillages, d’abus et d’incohérences nous irritent et nous avons bien raison de ne pas baisser lâchement les bras.
      Camus disait:"Non, l’artiste libre, pas plus que l’homme libre, n’est l’homme du confort."
      Et la liberté dont nous jouissons n’est et ne peut être vécu dans le confort. Elle est la conséquence d’une lutte permanente pour sa préservation. Le fait de s’exprimer librement en faveur du FN est somme toute un progrès récent, qu’il faut considérer comme tel, même si, comme c’est mon cas, je rejette en bloc la perspective d’un gouvernement de la France par les membres du FN tels qu’ils m’apparaissent.
      Le reproche essentiel que l’on peut faire aux deux partis de gouvernement me parait être cet entêtement à entretenir un état de confrontation permanent, avec son pesant de mauvaise foi, au dédain des intérêts supérieurs et permanent du pays, et ceci dans le seul but de maintenir des rentes de situation avec privilèges et prébendes associés. Les néo-électeurs du FN le ressentent et par réaction d’irritation, accordent un peu imprudemment leurs suffrages à un parti qui se charge de faire peur aux dirigeants patentés du PS et de l’UMP. Peut-on le leur reprocher ?. Voteront-il ainsi lorsque le FN sera véritablement aux portes du pouvoir ? Je ne le crois sincèrement pas et je préfère utiliser le vote blanc pour signaler mon refus de choisir entre la peste et le choléra.
      Le FN sert de vaccin, pas de remède.

    • Descartes dit :

      @dsk

      [C’est du reste, à mon sens, ce que semble confirmer le sondage, puisque l’article précise : "Politiquement, si le consentement à l’impôt est de 82 % chez les sympathisants du PS, il n’est plus que de 53 % chez ceux de l’UMP et de 39 % chez les proches du FN."]

      J’attire votre attention sur le fait que le sondage en question identifie le "consentement à l’impôt" avec le fait de considérer que le paiement de l’impôt est un "acte citoyen". C’est une identification très abusive. D’abord parce que ceux qui pensent que le paiement de l’impôt est un "acte citoyen", se trompent. Le paiement de l’impôt est une obligation légale qui s’impose à tous, citoyens et non-citoyens, au même titre que de payer à la caisse du supermarché les marchandises qu’on a prises ou de mettre les pièces dans le parcmètre lorsqu’on gare sa voiture. Le "consentement à l’impôt" est extrêmement difficile à mesurer.

    • Albert dit :

      ["Le FN sert de vaccin, pas de remède."]

      Excellente formule, Marcailloux! Sauf qu’en l’occurrence, le vaccin n’est pas encore efficace. Il existe en pharmacie des remèdes relativement simples et pourquoi pas? potentiellement efficaces, mais leur utilisation est interdite par le "corps médical". Quand les Français comprendront-ils qu’ils leur reste à "braquer" les pharmacies (ou le corps médical)?

    • Descartes dit :

      @Albert

      Votre métaphore est un peu obscure… personnellement, je n’ai rien compris! De quel "remède" parlez vous ?

    • Albert dit :

      ["De quel "remède" parlez vous ?"]

      J’ai juste repris la formule de Marcailloux! La métaphore n’est donc pas de moi. En plus, j’ai dit "remèdes" au pluriel.
      Je m’explique:
      1. Remède au singulier, en alternative au FN qui n’en est pas. A savoir l’offre politique anti-système et anti-extrêmes: il y a au moins DLR. Les Français ne semblent pas en vouloir, même ceux qui récusent à la fois le système et les extrêmes. Ils préfèrent écouter les "bons docteurs"…ou s’abstenir (attitude extrêmement efficace!).
      2. remèdes au pluriel, à défaut d’un ensemble global et cohérent: moult décisions ponctuelles très utiles pourraient être imposées au pouvoir si les Français voulaient bien se mobiliser dans la rue comme ils l’ont fait contre le CPE ou le mariage pour tous. Ca ne paie pas toujours, mais parfois ça paie.
      Seulement, qu’attendre d’un (?) peuple qui laisse bafouer aussi impunément son propre vote référendaire? Du jamais vu dans l’Histoire! Tant qu’il ne sera pas moribond, il ne fera rien. Après il sera trop tard. (mais je m’oublie…)

    • vent2sable dit :

      "Tiens, j’ai envie de vous poser une question : comment expliquez vous que les brignolais, qui depuis 1945 ont voté dans leur grande majorité à gauche – communiste pour être précis – soient devenus tout à coup des « gros beaufs droitards et anti-sociaux » ?

      Ben … c’est peut-être parce qu’ils n’ont jamais cessé d’être les "gros beaufs" en question, même et surtout lorsqu’ils se faisaient manipuler par la grande escroquerie intellectuelle que constituait le PC du siècle dernier.

    • Descartes dit :

      @vent2sable

      [Ben … c’est peut-être parce qu’ils n’ont jamais cessé d’être les "gros beaufs" en question,]

      En d’autres termes, rien de nouveau sous le soleil. Le peuple sera toujours composé de gros beaufs, il est irrécupérable. Il ne reste plus qu’à le dissoudre et d’élire un nouveau, comme disait Brecht. Heureusement pour lui, il y a des gens comme vous qui savent ce qui est bon pour lui…

      [même et surtout lorsqu’ils se faisaient manipuler par la grande escroquerie intellectuelle que constituait le PC du siècle dernier.]

      Mais alors, faut-il maintenir le suffrage universel ? Comment confier le destin de la nation a des gros beaufs qui se laissent manipuler pendant un demi-siècle par une "escroquerie intellectuelle" ?

      Votre discours est l’illustration même des mécanismes qui empêchent la gauche de comprendre le monde tel qu’il est. On ne regarde pas les gens et les choses avec un regard curieux, mais on enlève à leur expression – passée ou présente – toute légitimité par avance. S’ils ne sont pas d’accord avec vous, c’est que ce sont des "gros beaufs manipulés". Pas la peine donc de les écouter. Et après, on s’étonne qu’en retour ils ne vous écoutent pas…

  10. marc malesherbes dit :

    Bonjour,

    un point de vue différent sur le sujet:
    pour moi le gouvernement actuel applique avec constance, la seul ligne possible si on décide de rester dans l’euro, et beaucoup plus efficacement que sous Sarkozy.
    Il le fait en réussissant jusqu’à présent à avancer sur cette voie, sans susciter de mouvement d’opposition actif.
    Le PS n’est donc pas mauvais, et surtout constant, et assez adroit.

    Je m’explique
    1- pour rester dans l’Euro, il n’y a qu’une solution: d’un coté la baisse du "coût salarial global" par tous les moyens possibles et de l’autre, si possible, l’amélioration de notre offre. Un seul exemple: j’entendais Montebourg se féliciter des accords Renault, qui ont consisté à revoir à la baisse la situation des salariés de cette entreprise (il l’a dit explicitement). Et d’autre part il mettait en avant les efforts pour améliorer l’offre de nos produits/services.
    2- l’augmentation des impôts touchent certes les "riches", mais massivement l’ensemble des Français. Mouvement largement plus important que celui opéré sous Sarkozy. C’est une autre manière de diminuer les revenus des ménages. Ceci a un effet positif immédiat sur la balance commerciale (je fais court), car la baisse du pouvoir d’achat entraîne immédiatement la baisse des produits de consommation importés.

    Il réussit à le faire en minimisant le coût politique à son égard:
    1- il provoque la hausse du FN, mais cela ne le dérange pas trop. Tant que le FN prend essentiellement à l’UMP, c’est même tout bénef
    2- mais surtout, et c’est le principal pour lui, il réussit à ne pas faire monter son opposition de gauche. JL Mélenchon et le Front de gauche, les communistes, ne font pas de percée. Ce serait pour lui le danger principal, et par ses mesures adroites, il réussit à éviter ce danger.

    En résumé, je donne un prix d’excellence au PS. Je suis d’autant mieux placé pour le dire que je considère cette politique comme mortifère. Mais cela ne m’empêche pas d’admirer la comédie et les comédiens.

    • Descartes dit :

      @marc malesherbes

      [Le PS n’est donc pas mauvais, et surtout constant, et assez adroit.]

      Je pense que vous confondez léthargie et stratégie. Bien entendu, le PS fait la politique décidée par Bruxelles « mieux que Sarkozy » tout simplement parce qu’il soit la politique du chien crevé au fil de l’eau : suivre la ligne du moindre effort – effort intellectuel, s’entend – qui est de faire ce que disent les maîtres de la Commission. Pour le moment ça marche, mais au prix d’une dégradation très sérieuse des institutions qui à terme posera un gros problèmes. On voit bien d’ailleurs que les eurolâtres commencent à s’inquiéter sérieusement.

      [2- mais surtout, et c’est le principal pour lui, il réussit à ne pas faire monter son opposition de gauche. JL Mélenchon et le Front de gauche, les communistes, ne font pas de percée. Ce serait pour lui le danger principal, et par ses mesures adroites, il réussit à éviter ce danger.]

      Je ne vois rien d’adroit là dedans. Le FdG est cloué au sol non pas par les « mesures adroites » de Hollande, mais par ses propres faiblesses, et en particulier par le fait que sa base sociologique adore parler de révolution mais n’a aucune envie de la faire…

  11. Benjamin dit :

    Bonjour Descartes.   Tout d’abord merci beaucoup pour votre travail, je fréquente assidûment votre blog depuis quelques années et il a beaucoup contribué à ma réflexion personnelle. Plus hélas, je m’en rends compte aujourd’hui non sans amertume, que mon expérience militante au Front de Gauche. Permettez-moi de vous poser une question sur un mode un peu naïf. J’ai la chance d’être encore dans la vingtaine et votre déprime est la mienne.    Ayant pris mes distances avec le microcosme militant depuis l’élection présidentielle, je voudrais me réengager dans un collectif humain oeuvrant sincèrement pour le progrès social et le redressement national mais ne sais littéralement plus à quel saint me vouer. Le Front de Gauche me désespère, le MPEP, DLR ou encore l’UPR sont groupusculaires ou ne me convainquent pas totalement pour diverses raisons,  et votre récent papier sur le Front National n’a fait qu’approfondir ma perplexité. Je me trouve dans l’impasse, je m’enfonce jour après jour dans la détresse politique.

      Ma question se veut directe et je m’attends un peu à ce que vous bottiez en touche : vers quel parti orienterez-vous un jeune de vingt-cinq ans désireux de contribuer au bien public, de sensibilité communiste mais pas antinational pour autant ? Y aurait-il un sens à sauter le pas vers un Front National (et endosser l’habit du renégat, mais c’est un détail si ce choix s’avère payant pour le peuple français…) dont vous écrivez ici qu’il n’est peut-être "ni possible,  ni souhaitable" qu’il gouverne un jour ? Pardonnez la candeur de cette interpellation, seules m’y conduisent un désespoir croissant et l’estime dans laquelle je vous tiens.  

    Encore merci pour vos papiers, je vous souhaite de vous départir bien vite de l’humeur automnale – pourvu qu’elle n’annonce pas de nouvelles années d’hiver.

    • Descartes dit :

      @benjamin

      [Bonjour Descartes. Tout d’abord merci beaucoup pour votre travail, je fréquente assidûment votre blog depuis quelques années et il a beaucoup contribué à ma réflexion personnelle.]

      Merci beaucoup. C’est un beau compliment que vous me faites là.

      [Ma question se veut directe et je m’attends un peu à ce que vous bottiez en touche : vers quel parti orienterez-vous un jeune de vingt-cinq ans désireux de contribuer au bien public, de sensibilité communiste mais pas antinational pour autant ? Y aurait-il un sens à sauter le pas vers un Front National (et endosser l’habit du renégat, mais c’est un détail si ce choix s’avère payant pour le peuple français…) dont vous écrivez ici qu’il n’est peut-être "ni possible, ni souhaitable" qu’il gouverne un jour ? Pardonnez la candeur de cette interpellation, seules m’y conduisent un désespoir croissant et l’estime dans laquelle je vous tiens.]

      La question de « sauter le pas » et d’aller vers le Front National se pose certainement. Cela demande beaucoup de courage pour quelqu’un qui comme vous ou moi avons été militants dans des organisations de gauche. C’est affronter les préjugés, rompre des amitiés… c’est un coût personnel trop grand pour qu’on puisse le recommander à la légère. Pour faire un tel sacrifice il faut que cela vaille vraiment la peine… et je n’en suis pas convaincu que ce soit le cas. En tout cas pas encore. Si j’avais un conseil à vous donner, ce serait celui-ci : à vingt-cinq ans, l’essentiel est de se former, d’apprendre, d’échanger. Et pour cela, il faut être quelque part. Ne rompez pas si vite avec le PCF, intervenez en réunion, cherchez à participer à des groupes de réflexion, organisez la campagne électorale, continuez a discuter avec les gens. C’est cela qui va vous former comme citoyen politique. Et c’est cela qui est l’essentiel.

      Après… je pense que nous sommes dans un moment volatile. Difficile de savoir de quoi l’avenir sera fait. C’est peut-être le moment de se mettre en retrait et d’attendre que le panorama s’éclaircisse.

      Je suis très honoré de votre confiance, mais malheureusement je ne peux pas vraiment vous conseiller. Non pas que je veuille botter en touche, mais si je pouvais vous dire quoi faire, je le ferai moi-même…

      [Encore merci pour vos papiers, je vous souhaite de vous départir bien vite de l’humeur automnale – pourvu qu’elle n’annonce pas de nouvelles années d’hiver.]

      Merci mais rassurez-vous. Chez moi le découragement ne dure jamais bien longtemps.

    • Benjamin dit :

      Merci pour cette réponse qui me paraît très sensée, j’attendrai donc d’y voir plus clair avant de prendre une décision surtout si cela doit s’avérer irréversible.

    • Albert dit :

      Comment expliquez-vous que tant de gens de gauche, comme le lecteur "communiste" qui vous demande conseil, se posent la question, voire passent à l’acte en votant, pour le F.N., et apparemment jamais pour Dupont-Aignan et Debout la République? Dupont-Aignan vient de sortir un livre sur les paradis fiscaux, au terme d’une longue enquête parlementaire menée en binôme avec le député communiste A. Bocquet. Alors?

    • Descartes dit :

      @Albert

      Je crois que pour répondre à votre question il faut se souvenir de ce qu’est une formation politique "communiste". La tendance naturelle du militant communiste – et j’entends ici par "communiste" celui qui se place dans la filiation historique léniniste-stalinienne qui est celle du PCF – est d’aller chercher la "masse". Même ceux qui restent persuadés de l’importance d’une "avant-garde éclairée" se méfient profondément de vision groupusculaire de la politique chère au gauchisme. Une "avant-garde" pour un communiste n’a de sens que si elle précède une armée, car seules "les masses" font l’histoire.

      C’est pourquoi pour un militant communiste qui cherche aujourd’hui le pivot pour appuyer le levier qui doit bouger le monde est naturellement plus attiré par un parti qui montre une réelle capacité d’attirer la masse que par une organisation groupusculaire construite autour d’un leader charismatique, certes intelligent, certes ayant les idées claires, mais qui reste désespérément seul.

      Cette analyse ne diminue en rien le mérite d’un Dupont-Aignan de tenir envers et contre tous – y compris dans son camp idéologique – un discours gaulliste. Mais en politique il ne suffit pas d’avoir raison. Il faut que cette raison soit partagée par beaucoup de monde. Et à mon avis Dupont-Aignan n’a pas véritablement recherché à constituer un véritable parti institutionnalisé, peut-être parce qu’il sait qu’il sait très bien qu’un tel parti cesserait d’être "sa" chose…

    • Albert dit :

      [" Mais en politique il ne suffit pas d’avoir raison. Il faut que cette raison soit partagée par beaucoup de monde."]

      Tout à fait d’accord avec vous, Descartes. Dupont-Aignan croit trop à la force des idées -comme si c’étaient les idées (en soi) qui mènent le monde !!!! A moins qu’il se vive surtout comme une sorte de "lanceur d’alerte", de vigie -ce qui est déjà une bonne chose, mais pas suffisante.

  12. adrien dit :

    Bonjour Descartes,

    Rien à voir avec le sujet de cet article, ni avec notre discussion précédente, mais avec un autre sujet que nous avions évoqué il y a quelques mois, celui de l’intelligence animale : Jean-Claude Ameisen en parle avec beaucoup plus d’éloquence que moi dans une émission récente de Sur les épaules de Darwin : http://www.franceinter.fr/emission-sur-les-epaules-de-darwin-petits-cerveaux-esprits-brillants

    ‘Me suis dit que ça pourrait vous intéresser.

    Bonne écoute,

    Adrien.

    • Descartes dit :

      Merci beaucoup, j’écoute souvent l’émission de Ameisen que j’aime bien même s’il m’arrive de ne pas partager tous les points de vue de l’animateur…

  13. Jo dit :

    Comme toujours, c’est un très bon article, Descartes !
    Sur l’insistance du PCF (dont je suis membre) à n’avoir d’yeux que pour la classe moyenne, je pense que cela vient, comme tu le soulignes, de sa transformation en parti d’élus. Et comme il se vante de devoir la moitié de son budget à ses élus, l’objectif est de conserver ceux qu’on a. Or, précisément, la "banlieue rouge" a changé et, plutôt que de "suivre" la classe ouvrière que l’on en chassait, le PCF s’est arc-bouté à défendre ses mairies, cantons et circonscriptions (avec peu de succès du reste), dont la sociologie avait changé : ce sont désormais les classes moyennes qui y vivent ! Résultat : ces classes moyennes, qui ne votent jamais communistes, votent PS ou MODEM et font perdre au PCF ses "bastions", et le PCF, qui ne défend plus la classe ouvrière uniquement pour ces raisons de boutique, s’affaiblit et tente de sauver les meubles en jouant toutes les cartes, mêmes les plus opportunistes : un coup Mélenchon, un coup le PS.

    • Descartes dit :

      @Jo

      [Or, précisément, la "banlieue rouge" a changé et, plutôt que de "suivre" la classe ouvrière que l’on en chassait, le PCF s’est arc-bouté à défendre ses mairies, cantons et circonscriptions (avec peu de succès du reste), dont la sociologie avait changé : ce sont désormais les classes moyennes qui y vivent !]

      Il y a de ça. Mais cela n’explique pas tout. Je pense que le PCF a commis une grave erreur après 1968 en essayant de sortir du "ghetto". Pour des raisons qui aujourd’hui semblent incompréhensibles – mais qui à l’époque l’étaient moins – le PCF a cru qu’une victoire de la "gauche" pouvait tourner à son avantage. L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 fut un désastre dont le PCF ne se relèvera pas: elle ouvrit la porte au néo-maccarthysme des années 1980 et finalement à la perte d’une grande partie des forces vives au fur et à mesure que le gouvernement "de gauche" a trahi les espoirs de la classe ouvrière. Or, l’affaiblissement militant du PCF a mécaniquement donné le pouvoir aux élus, pouvoir qui trouve sa consécration avec l’abolition du "centralisme démocratique" en 1995.

      Il faut aussi considérer que les années 2000 correspondent à l’arrivée au pouvoir de la génération qui est entrée au PCF après les évènements de 1968…

  14. Jard dit :

    De votre papier, on peut déduire que le fdg a pleinement conscience d’être un parti de classes moyennes et, si j’ai bien compris, il ne cherche même pas à être élu par les classes populaires. Ne sommes-nous pas certains, maintenant, qu’il n’y a rien à attendre de ce parti?

    • Descartes dit :

      Je ne crois pas qu’on puisse déduire que le FdG – ou plutôt ses dirigeants et ses militants, parce que le FdG en tant que tel n’a pas de "conscience" possible – aient conscience de quoi que ce soit. Il y a beaucoup moins de machiavélisme en politique qu’on ne le pense habituellement, et les hommes politiques sont généralement convaincus de contribuer au bien de l’humanité toute entière. Marx l’avait déjà dit: chaque groupe humain, chaque couche sociale fabrique l’idéologie qui justifie ses intérêts étroits en leur donnant le visage de l’intérêt de tous. Et c’est par ce biais qu’il arrive à justifier ses actions au nom de l’intérêt général. Peu de gens ont suffisamment de cran pour assumer consciemment leur égoïsme.

      Je n’ai aucune raison de penser que Mélenchon soit "conscient" que son discours est celui de l’intérêt des classes moyennes. Le connaissant personnellement, je peux d’ailleurs vous jurer du contraire. Il est totalement convaincu qu’en militant pour l’Euro il défend les intérêts des prolétaires européens. Mais au fond, cela n’a aucune importance: le fait est que le FdG est une organisation de défense des intérêts des classes moyennes – ou pour être plus précis, d’un secteur des classes moyennes. Le fait que ses dirigeants en soient conscients ou pas ne change rien à l’affaire. Après tout, le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions. Mais qu’ils soient conscients ou pas, cela restreint sérieusement ce qu’on peut attendre du FdG. On ne peut pas attendre de lui par exemple qu’il prenne position contre l’Euro et l’Europe de Maastricht. On ne peut attendre de lui qu’il défende un vrai programme "républicain" de reprise en main de nos affaires, de rétablissement de l’autorité de l’Etat de la Loi. On ne peut attendre de lui qu’il prône une véritable politique d’assimilation et une école du savoir. Cela ne veut pas dire qu”il n’y ait "rien à attendre", mais devrait limiter sévèrement les attentes…

    • Badaboum dit :

      Jard et Descartes
      il n’y a plus rien à en attendre malheureusement, sauf … attendre !
      C’est ce que propose mon parti, le PG, à tous les niveaux: attendre…
      Un bon exemple se trouve dans le texte d’orientation relatif aux européennes: dans le chapitre où il est question de l’OTAN, on pouvait s’attendre à lire quelque chose du genre "nous sortirons de l’OTAN (ou de son commandement intégré, NDR)", dans la droite ligne du programme de 2012 (que l’on soit pour où contre n’est pas la question ici).
      Or, il faut croire que ce serait trop simple , trop "faisable" par un hypothétique président de la RF élu des rangs du FDG…cette ambition a disparu et les auteurs du texte lui ont préféré carrément "nous militerons pour la dissolution de l’OTAN", objectif plus lointain, plus radical sinon extrême, et qui a l’intérêt de toujours repousser les limites. Et puis "militer", c’est tellement marrant, surtout une fois au pouvoir ! (ironique)
      Tout est à l’avenant: dans ce texte où l’étage "nation" est complètement absent, toutes les initiatives proposées se feraient à l’échelle internationale. On peut croire que c’est parce que le parti est ambitieux et n’a pas peur d’abattre des montagnes. Je pense plutôt que c’est une façon de dire "rêvez tranquilles" et de théoriser l’impuissance…la Société du Spectacle à la mode néogauchiste 😉
      Quant à Pierre Laurent, il a proposé cette semaine à la radio (source: mes oreilles) de créer de véritables réserves indiennes pour les roms (pardon, il a dit "villages d’insertion") en plein Paris…qu’en attendre ?
      Je ne sais pas si Fdg est un parti pour "toute" la classe moyenne, je dirai la classe moyenne bobo et parvenue (pardon pour la caricature) plutôt que la classe moyenne qui en est arrivée là par les sacrifices, le travail et prépare la transmission à ces enfants par les mêmes valeurs "passées de mode". Je me reconnais dans la seconde, pas la première. Et je ne vous raconte pas les couleuvres avalées au PG… mais ce n’est pas important. L’important, c’est que , sauf bouleversement (une claque aux élections ?), ce front est stérile et bavard. Et je le dis, pour encore un peu de temps, de l’intérieur.

    • Descartes dit :

      @badaboum

      [Or, il faut croire que ce serait trop simple , trop "faisable" par un hypothétique président de la RF élu des rangs du FDG…cette ambition a disparu et les auteurs du texte lui ont préféré carrément "nous militerons pour la dissolution de l’OTAN", objectif plus lointain, plus radical sinon extrême, et qui a l’intérêt de toujours repousser les limites.]

      Ce point est intéressant, parce qu’il rappelle la position du PG sur l’euro ou l’UE. Ne pas sortir, mais « militer » pour une modification en profondeur. On peut voir là une sorte de terreur de la solitude, une incroyance radicale dans la capacité du peuple français à faire des choses par lui-même.

      [Quant à Pierre Laurent, il a proposé cette semaine à la radio (source: mes oreilles) de créer de véritables réserves indiennes pour les roms (pardon, il a dit "villages d’insertion") en plein Paris…qu’en attendre ?]

      Là, je vous trouve sévère. Il ne s’agit pas de « réserves » – les roms n’étant pas tenus d’y vivre en isolation – mais de structures d’insertion. La principale critique qu’on peut adresser à ces « villages » ce n’est pas tellement qu’ils soient des « réserves », mais plutôt qu’il s’agit d’une expérience-alibi. Le coût de ces « villages » fait que l’expérience n’est pas généralisable. On se donne donc bonne conscience en étant « gentils » – avec de l’argent public, of course – envers quelques dizaines de roms en laissant de côté les autres. Et en laissant en suspens la question de base : est-ce aux contribuables français d’entretenir une population étrangère sur simple demande ?

      [L’important, c’est que , sauf bouleversement (une claque aux élections ?), ce front est stérile et bavard].

      Oui… et le pire, c’est que rares sont ses dirigeants a avoir conscience du problème…

    • CVT dit :

      @Badaboum,
      juste une question: comment faites-vous pour tenir au PG et être globalement d’accord avec le taulier du blog? Franchement, ayant été adhérent de la première heure au PG fin 2008, j’ai lâché la rampe un an plus tard, soit lorsque le logo du parti est passé du rouge au rouge-vert. L’écologie pour moi n’a rien à voir avec la politique, et de fait, mon intuition s’est avérée exacte: l’arrivée de l’écologie au programme du PG a coïncidé avec le virage gauchiste et khmer-vert imprimé par Martine Billard et Cie… Bref, des préoccupations on ne peut plus "néo-petit-bourgeoise" de gauche…
      Vous comptez tenir longtemps au PG dans cette ambiance mêlée de renoncement et de bisounoursisme? Et dire que j’avais cru que Mélenchon devait reprendre le flambeau de JP Chevenement, être la version de gauche de Nicolas Dupont-Aignan…

    • Descartes dit :

      @CVT

      [Franchement, ayant été adhérent de la première heure au PG fin 2008, j’ai lâché la rampe un an plus tard, soit lorsque le logo du parti est passé du rouge au rouge-vert. L’écologie pour moi n’a rien à voir avec la politique, et de fait, mon intuition s’est avérée exacte: l’arrivée de l’écologie au programme du PG a coïncidé avec le virage gauchiste et khmer-vert imprimé par Martine Billard et Cie… Bref, des préoccupations on ne peut plus "néo-petit-bourgeoise" de gauche…]

      Je pense que nous sommes nombreux sur ce blog à avoir fait plus ou moins ce même parcours intellectuel. Je me souviens avoir fait un papier sur ce blog à ce moment là pour dénoncer une dérive dangereuse du parti-creuset vers le parti-attrape-tout. D’un projet original qui était de faire la synthèse de ce qu’il y a de mieux dans l’histoire de la gauche française on est passé à une logique d’auberge espagnole ou chacun arriverait avec son dogmatisme et l’ajouterait à la pile des dogmatismes prééxistants – au risque d’ailleurs de collisions logiques : comment concilier le jacobinisme de Mélenchon et le régionalisme à peine déguisé de Billard, l’ouvriérisme avec la dénonciation permanente du productivisme ? – ce qui en fin de compte aboutit à un mélange étrange ou les bons sentiments se conjuguent avec une intolérance absolue.

      Aujourd’hui, le discours du PG est intéressant à analyser parce qu’il est une sorte de révélateur de ce qu’a dans la tête une certaine couche sociale. Mais les chances de réaliser le projet original sont aujourd’hui nulles.

      [Et dire que j’avais cru que Mélenchon devait reprendre le flambeau de JP Chevenement, être la version de gauche de Nicolas Dupont-Aignan…]

      Ne regrettons rien. Croire à de grandes choses nous grandit. Même lorsqu’on se trompe.

    • Badaboum dit :

      cher CVT
      c’est justement la question que je me pose depuis un an :-))
      peut être parce que c’est mon premier engagement partisan et que j’ai longtemps cru que les choses s’amélioreraient, peut être aussi parce que j’ai eu et j’ai toujours de (petites) responsabilités et que je n’aime pas faire défaut avant l’échéance, peut être aussi parce que nos "séniors" sont persuasifs, et peut être aussi parce que longtemps le fait de ne pas trouver mieux me suffisait…
      une remarque cependant: il y a eu au PG l’écologie avant et après M. Billard. Avant, précisément, j’aimais qu’on parle de "planification écologique" car c’était une façon d’envisager l’écologie sous un aspect pragmatique: planifier c’est accepter de prendre son temps (pour faire simple: sortir du nucléaire mais quand on aura mieux). Aussi, l’écologie au PG c’était la cause des agriculteurs, des circuits courts, des choses auxquelles j’adhère. C’était aussi dénoncer la taxation du carbone. Tout cela n’avait pas attendu Billard. Désormais, c’est vrai, c’est l’écologie "révélée" que je n’aime pas. Dommage.
      enfin, pour répondre à ta dernière question: non, je ne compte pas tenir longtemps…
      je ne trouve pas beaucoup de bisounoursisme au PG: la plupart des jeunes ou très jeunes qui sont arrivés massivement, comme nombreux de leurs ainés, sont au contraire ravis de l’histoire de guerre civile qu’ils se racontent. Ce ne sont pas des bisounours, ou alors du coté obscur….

    • Badaboum dit :

      @Descartes
      [Il ne s’agit pas de « réserves » – les roms n’étant pas tenus d’y vivre en isolation – mais de structures d’insertion. La principale critique qu’on peut adresser à ces « villages » ce n’est pas tellement qu’ils soient des « réserves », mais plutôt qu’il s’agit d’une expérience-alibi.]
      alors je n’ai pas compris et au temps pour moi. Mais comme j’ai bien entendu Laurent insister pour envisager le village au "Bois de Boulogne, pourquoi pas ?", j’ai imaginé un ghetto et j’ai tiré ma conclusion un peu vite.

      [rares sont ses dirigeants a avoir conscience du problème…]
      si il en existe encore, c’est une bonne nouvelle….

    • Descartes dit :

      @Badaboum

      [la plupart des jeunes ou très jeunes qui sont arrivés massivement, comme nombreux de leurs ainés, sont au contraire ravis de l’histoire de guerre civile qu’ils se racontent. Ce ne sont pas des bisounours, ou alors du coté obscur….]

      C’est à mon sens le côté le plus obscur de l’expérience PG. Même si pour beaucoup cette histoire de guerre civile n’est qu’un conte héroïque qui leur permet de se donner l’illusion qu’ils font l’histoire, l’expérience des maoïstes après 1968 et celle d’Action Directe montrent qu’on peut trouver toujours quelques têtes brûlées pour prendre le conte au sérieux et s’embarquer dans une croisade messianique avec les flingues à la main…

  15. odp dit :

    Bonjour Descartes, je partage quelque peu votre sentiment de découragement face à la situation politique actuelle ; mais, puisque vous abordez à nouveau votre sujet fétiche des classes moyennes, je vais quand même tenter de trouver le ressort de, justement, faire un sort aux développements que vous avez effectué dans un papier récent sur la médiocrité structurelle des classes moyennes, qui, je vous cite, « parlent d’argent, de confort et de bonheur individuel quand les aristocraties pensent honneur, gloire et grandeur ».

    En effet, ceci me semble factuellement inexact, politiquement suicidaire et intellectuellement réactionnaire.

    Factuellement inexact, car l’exemple des Etats-Unis, pays où par définition l’on parle d’argent, de confort et de bonheur individuel, illustre que les classes moyennes sont capables de « grandeur ». On peut penser ce que l’on veut de la politique américaine mais le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle ne manque pas d’ambitions : intervention en Europe au cours de la 1ère guerre mondiale, puis encore plus massivement au cours de la seconde, endiguement puis écrasement du communisme international, conquête de l’espace, guerres impériales diverses et variées après la chute du mur de Berlin, conquête culturelle de l’ensemble de la planète. Aux Etats-Unis en tout cas, les héros de la classe moyenne ne sont pas fatigués ! Dans un autre registre, moins reluisant, je crois vous avoir lu indiquer que fascisme et nazisme étaient également le fait des classes moyennes. Là aussi, si ces entreprises politiques ont indéniablement été monstrueuses et criminelles (particulièrement le nazisme), il est difficile d’estimer qu’elles souffrirent de « médiocrité » ou de « petitesse » bourgeoise ; à moins de penser qu’Attila soit la quintessence de l’esprit bourgeois…

    Politiquement suicidaire car les classes moyennes représentent sur le plan démographique la pierre angulaire de la société contemporaine : aucune politique ne peut se faire sans elles et encore moins contre elles. A en faire la cible de vos attaques incessantes vous vous condamnez à l’impuissance et à n’être qu’un distributeur de mouchoirs… un peu comme les syndicats français face à la désindustrialisation… un exemple qui ne fait d’ailleurs pas vraiment rêver. C’est d’ailleurs me semble-t-il l’aporie de votre position aux confins du marxisme et du patriotisme. Le « patriote » a normalement une vision organiciste de la société qui implique, qu’hors les traitres avérés, il n’y a pas d’ennemis dans son pays (toutes les classes sociales appartiennent à la Nation) ; tandis que le « marxiste », tout obnubilé qu’il est par les rapports de productions pense le corps social comme traversé d’antagonismes irréductibles.

    Enfin, intellectuellement réactionnaire car, et je suis surpris que vous n’en ayez pas conscience, la critique de la médiocrité « bourgeoise » de la République démocratique est un poncif de la littérature réactionnaire, des contre-révolutionnaires aux préfascistes puis aux fascistes. Ayant évoqué ce sujet dans un précédent échange, vous m’aviez demandé de le substantier cette affirmation ; ce que je vais faire à présent en citant Drieu la Rochelle, Edouard Berth et Thierry Maulnier, trois penseurs réactionnaires et fascistes, évoluant entre l’Action Française, le PPF et le Faisceau de Georges Valois.

    Commençons par Drieu le Rochelle, le plus connu des trois, cité par Jean-Louis Loubet del Bayle dans L’illusion politique au 20ème siècle: « c’est avec violence qu’il (Drieu) stigmatise la médiocrité des français de la République radicale qu’il voit ralliés à cette « philosophie de la petite » et dont les conséquences sont le déclin de ce qu’il appelle les « valeurs viriles et la démission devant les dures réalités de la conditions humaine. Cette philosophie de la "petite vie", c’est d’abord une philosophie du bonheur, le refus de la souffrance, une recherche hédoniste du plaisir avant tout, une morale qui se résume dans cette maxime qu’il qualifie "d’absolument idiote" : "Le bonheur à tout prix, tout de suite, tout le temps". Maxime qui, pour beaucoup de Français, revient, selon lui, "à mettre le bifteck aux pommes avant toute autre pensée", en espérant ‘l’apéro assuré tous les jours jusqu’à la mort". Tendu vers ce bonheur promis, espéré, l’homme moderne a perdu la perception du caractère tragique de la vie, le diluant dans une sorte d’optimisme aveugle, douillet et consolant. L’homme du XXe siècle, protégé "dans l’apparente sécurité des villes", ne voit plus, ou ne veut plus voir, que la vie est un combat, que la souffrance et le malheur sont des dimensions inévitables de l’existence humaine. Ce bonheur est aussi un bonheur individualiste, cultivé "dans un isolement mortel", qui habitue les Français à "l’égoïsme, à la ladrerie, à la dérobade". Ayant perdu le sens d’un destin collectif, résolus à se tenir à l’écart des bouleversements de l’histoire, ils sont surtout occupés à poursuivre, "dans leurs pauvres coques mesquines", la réussite de leurs affaires personnelles, la satisfaction de leurs petits et médiocres plaisirs. Ces Français petits bourgeois, repliés "dans leur individualité rechignée et mesquine", Drieu les voit avec mépris sombrer "dans l’obsession du confort et de la tranquillité" ». La petite France… Perte du sens du tragique… Primauté de l’argent, du confort et du bonheur individuel…. Il me semble avoir déjà lu ça quelque part…

    Mais passons maintenant à Thierry Maulnier, collaborateur de l’Action Française et de la revue Réaction et membre du Comité d’honneur de la Nouvelle Droite créée par Alain de Benoist et Dominique Venner. Je citerai là Zeev Sternhell dans Ni droite ni gauche: « nous ne sommes pas moins sévères pour la démocratie libérale, bourgeoise et parlementaire. Démocratie d’esclaves en liberté, désoeuvrés de leur âme et de leur gagne-pain, soumis à la force brutale de l’argent qui a dévié jusqu’à leur révolte même. Quiconque a visité sans parti pris les pays fascistes n’a pas manqué d’être frappé par l’élan qui porte ces hommes arrachés à la décadence bourgeoise et qui retrouvent après des années d’indifférence petite-bourgeoise, le dévouement, le sacrifice, l’amitié virile.» Ou encore: « pour nous la démocratie bourgeoise était devenue synonyme de mensonge, de veulerie, de médiocrité, de compromis, de bassesse. Briand, c’est la démocratie incarnée, la démocratie avec son goût du succès verbal, son optimisme, sa soif de promesse; la démocratie avec son laisser-aller, son allure débonnaire, sa surenchère, sa vénalité; la démocratie avec ses plaisirs bas, ses joies de pacotilles, son oubli ; la démocratie où la grandeur, la force, la lucidité, le génie sont dramatiquement absents, bannis, excommuniés ».

    Terminons enfin par le plus baroque, Edouard Berth, disciple de Georges Sorel et fondateur avec Georges Valois du Cercle Proudhon. Je cite à nouveau Zeev Sternhell mais cette fois dans Naissance de l’idéologie fasciste : « Berth prédit que la jonction entre le syndicalisme et le nationalisme aboutira "à l’éviction du régime de l’or et au triomphe des valeurs héroïques sur cet ignoble matérialisme bourgeois où l’Europe actuelle étouffe. Il faut, en d’autre termes que ce réveil de la Force et du Sang contre l’or s’achève par la déroute définitive de la ploutocratie démocratique". Pour Berth, "le positivisme qui engendre le régime de l’or" livre la France à ce qui constitue l’essence du matérialisme bourgeois, au Juif agioteur et bancocrate. Le mal bourgeois s’est étendu à toutes les classes sociales, tant l’aristocratie que le peuple et il semble en vérité que les français n’aspirent plus qu’à ce bien-être du rentier retiré des affaires, qui se désintéresse complètement de tout ce qui n’est pas mouvement de la rente, qui vit dans la terreur de toute perturbation sociale et internationale et ne demande plus qu’une chose : la paix, une paix stupide et béates, faites des lus médiocres satisfactions matérielles". Pour enrayer les effets de cette décadence, il n’est qu’une solution, aujourd’hui comme hier : la guerre, la guerre qui "assure l’essor de la civilisation et seule pourra sauver le genre humain de l’embourgeoisement universel et de la platitude d’une paix éternelle" ».

    Que faire de tout cela (je pourrais en rajouter des tonnes et des tonnes mais je vous l’épargne) ? Loin de moi, bien évidemment, l’idée de vous assimiler à ces auteurs ou même à vous qualifier de fasciste ou de préfasciste. Vous êtes partisan de l’Etat de droit et opposé à la violence ; et nulle part je n’ai lu chez vous de critique directe de la démocratie – même si votre la critique constante de la classe moyenne (qui constitue le gros de l’électorat de nos sociétés contemporaines) est en creux une critique de la démocratie. En revanche, il me paraît clair que tout un pan de votre pensée est tout bonnement réactionnaire. Ce n’est pas une insulte, les réactionnaires, quand ils ne sont pas délirants ou malfaisants ont leur place dans le débat public. En revanche, armé de tels principes, cela implique que vous cessiez d’en appeler aux « progressistes »…

    • Descartes dit :

      @odp

      [En effet, ceci me semble factuellement inexact, politiquement suicidaire et intellectuellement réactionnaire.]

      Rien que ça ? Vous me mettez l’eau à la bouche…

      [Factuellement inexact, car l’exemple des Etats-Unis, pays où par définition l’on parle d’argent, de confort et de bonheur individuel, illustre que les classes moyennes sont capables de « grandeur ». On peut penser ce que l’on veut de la politique américaine mais le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle ne manque pas d’ambitions (…) ]

      Vous oubliez que la population américaine, et particulièrement les classes moyennes, a toujours été fortement isolationniste. Un isolationnisme qui peut se résumer dans une formule : « les affaires du monde ne sont pas nos affaires ». La politique « impériale » fut celle des élites, d’une aristocratie quasi-héréditaire de « patriciens » qui se passent le pouvoir de père en fils. Les Roosevelt, les Wilson, les Kennedy, les Bush… ce sont eux qui ont conduit la politique « impériale » à laquelle vous faites allusion. Et ils ont d’ailleurs eu beaucoup de mal à entraîner leurs concitoyens : que ce soit pour les guerres mondiales, les les conflits dérivés de la guerre froide ou plus récemment les interventions de la « guerre de civilisations », il fallut des campagnes de bourrage de crâne intensives pour faire taire l’opposition, et l’opinion s’est vite retournée lorsque la guerre s’est prolongée où est devenue difficile.

      Votre exemple apporte de l’eau à mon moulin : la politique « impériale » américaine est celle qu’une élite aristocratique impose à des classes moyennes qui n’aspirent en fait qu’à consommer tranquillement au fond de leurs petites villes du mid-west, et auxquelles il faut un discours quasi-messianique et une propagande intensive pour sortir de cette médiocrité.

      [Dans un autre registre, moins reluisant, je crois vous avoir lu indiquer que fascisme et nazisme étaient également le fait des classes moyennes. Là aussi, si ces entreprises politiques ont indéniablement été monstrueuses et criminelles (particulièrement le nazisme), il est difficile d’estimer qu’elles souffrirent de « médiocrité » ou de « petitesse » bourgeoise ; à moins de penser qu’Attila soit la quintessence de l’esprit bourgeois…]

      Je n’ai jamais dit que le fascisme ou le nazisme fussent « le fait des classes moyennes ». Les classes moyennes ont appuyé le fascisme et le nazisme naissants non pas parce qu’elles appréciaient leur discours de « grandeur », mais parce qu’elles avaient peur. Et non pas peur pour le destin de l’Allemagne ou de l’Italie, mais plus banalement peur du désordre social et de la pauvreté. La « médiocrité » des classes moyennes n’implique pas qu’elles n’aient pas pu ça et là soutenir des politiques ambitieuses. Elle implique qu’elles les aient toujours soutenu pour la même raison : parce qu’elles remplissaient leur portefeuille…

      [Politiquement suicidaire car les classes moyennes représentent sur le plan démographique la pierre angulaire de la société contemporaine : aucune politique ne peut se faire sans elles et encore moins contre elles. A en faire la cible de vos attaques incessantes vous vous condamnez à l’impuissance et à n’être qu’un distributeur de mouchoirs…]

      C’est bien le problème : en affrontant les classes moyennes, on se condamne à l’impuissance, en les épousant on se condamne à sacrifier toute politique progressiste à leurs intérêts. Difficile de choisir, n’est ce pas ? Au fond, votre commentaire repose sous d’autres termes le dilemme que je posais à propos du FN. Faut-il aller du côté ou se trouve le pouvoir, au risque de trahir ses idées, ou faut-il au contraire suivre ses idées et se condamner à l’impuissance ?

      [Le « patriote » a normalement une vision organiciste de la société qui implique, qu’hors les traitres avérés, il n’y a pas d’ennemis dans son pays (toutes les classes sociales appartiennent à la Nation) ; tandis que le « marxiste », tout obnubilé qu’il est par les rapports de productions pense le corps social comme traversé d’antagonismes irréductibles.]

      Pas tout a fait. Un patriote conservateur peut considérer la Nation comme un corps homogène. Ce n’est pas le cas du patriote « marxiste » que je suis. La Nation n’est pas pour moi un corps homogène, c’est un corps traversé de conflits et en particulier d’antagonismes de classe. Si la Nation est pour moi importante, c’est parce que c’est la plus grande collectivité où ces conflits et ces antagonismes peuvent être arbitrés de la manière la plus efficiente et pacifique possible.

      [Enfin, intellectuellement réactionnaire car, et je suis surpris que vous n’en ayez pas conscience, la critique de la médiocrité « bourgeoise » de la République démocratique est un poncif de la littérature réactionnaire, des contre-révolutionnaires aux préfascistes puis aux fascistes.]

      Ce n’est pas parce que les réactionnaires disent qu’il fait jour a midi que le dire serait « intellectuellement réactionnaire ». On peut s’accorder avec les réactionnaires sur un diagnostic sans pour autant devenir « intellectuellement réactionnaire ». Ce qui serait « intellectuellement réactionnaire », ce serait de s’accorder sur les conséquences qu’on tire de ce diagnostic. Je ne pense pas que ce soit mon cas.

      [Ayant évoqué ce sujet dans un précédent échange, vous m’aviez demandé de le substantier cette affirmation ; ce que je vais faire à présent en citant Drieu la Rochelle, Edouard Berth et Thierry Maulnier, trois penseurs réactionnaires et fascistes, évoluant entre l’Action Française, le PPF et le Faisceau de Georges Valois].

      Non, je ne vous avais pas demandé de « substantier cette affirmation ». L’affirmation que je vous avais demandé de « substantier » était toute différente : c’était votre affirmation que « le discours des rapports entre aristocratie et petite bourgeoisie c’était du Drieu La Rochelle et du Maurras dans le texte ». Je constate que non seulement vous changez la question, mais qu’en plus Maurras a curieusement disparu, et qu’a sa place on retrouve Berth et Maulnier. Ce n’est pas très honnête tout ça… maintenant, si vous voulez argumenter un nouveau point, je ne peux que vous encourager. Mais ne faites pas semblant d’avoir justifié une affirmation antérieure pour laquelle vous n’apportez aucun élément.

      [Commençons par Drieu le Rochelle, le plus connu des trois, cité par Jean-Louis Loubet del Bayle dans L’illusion politique au 20ème siècle: « c’est avec violence qu’il (Drieu) stigmatise la médiocrité des français de la République radicale qu’il voit ralliés à cette « philosophie de la petite » et dont les conséquences sont le déclin de ce qu’il appelle les « valeurs viriles et la démission devant les dures réalités de la conditions humaine. Cette philosophie de la "petite vie", c’est d’abord une philosophie du bonheur, le refus de la souffrance, une recherche hédoniste du plaisir avant tout, une morale qui se résume dans cette maxime qu’il qualifie "d’absolument idiote" : "Le bonheur à tout prix, tout de suite, tout le temps". Maxime qui, pour beaucoup de Français, revient, selon lui, "à mettre le bifteck aux pommes avant toute autre pensée", en espérant ‘l’apéro assuré tous les jours jusqu’à la mort". Tendu vers ce bonheur promis, espéré, l’homme moderne a perdu la perception du caractère tragique de la vie, le diluant dans une sorte d’optimisme aveugle, douillet et consolant. L’homme du XXe siècle, protégé "dans l’apparente sécurité des villes", ne voit plus, ou ne veut plus voir, que la vie est un combat, que la souffrance et le malheur sont des dimensions inévitables de l’existence humaine. Ce bonheur est aussi un bonheur individualiste, cultivé "dans un isolement mortel", qui habitue les Français à "l’égoïsme, à la ladrerie, à la dérobade". Ayant perdu le sens d’un destin collectif, résolus à se tenir à l’écart des bouleversements de l’histoire, ils sont surtout occupés à poursuivre, "dans leurs pauvres coques mesquines", la réussite de leurs affaires personnelles, la satisfaction de leurs petits et médiocres plaisirs. Ces Français petits bourgeois, repliés "dans leur individualité rechignée et mesquine", Drieu les voit avec mépris sombrer "dans l’obsession du confort et de la tranquillité" ». La petite France… Perte du sens du tragique… Primauté de l’argent, du confort et du bonheur individuel…. Il me semble avoir déjà lu ça quelque part…]

      Je note que le terme « petit bourgeois » ne figure pas dans le texte de Drieu qui est cité ici. Le diagnostic de Drieu s’applique au français en général, pas aux petits-bourgeois ou aux « classes moyennes » en particulier. J’ajoute que sur ce diagnostic Drieu réjoint, avec un langage certes plus littéraire, le Marx du « manifeste » qui souligne combien la bourgeoisie a remplacé « les élans de l’extase mystique » par la logique du « paiement au comptant ». Cela étant dit, je vous le répète : ce qui fait de Drieu un réactionnaire n’est pas le diagnostic, mais les conséquences qu’il en tire.

      [Pour enrayer les effets de cette décadence, il n’est qu’une solution, aujourd’hui comme hier : la guerre, la guerre qui "assure l’essor de la civilisation et seule pourra sauver le genre humain de l’embourgeoisement universel et de la platitude d’une paix éternelle" ».]

      Ah… nous voilà. Pour une fois, le texte que vous citez ne se contente pas de faire un diagnostic, mais d’en tirer les conséquences. C’est dans ces conséquences que se trouve le caractère « réactionnaire » du texte. Car vous pouvez trouver sans grande difficulté des textes de penseurs de gauche – en 1930 à aujourd’hui, d’ailleurs – qui aboutissent à un diagnostic qui n’est pas très différent, mêlant la dénonciation de l’individualisme bourgeois, du libéralisme et du « régime de l’or », dénonciation du juif en moins. La différence est que les uns voulaient résoudre le problème par « la guerre », les autres par une révolution sociale…

      [Vous êtes partisan de l’Etat de droit et opposé à la violence ; et nulle part je n’ai lu chez vous de critique directe de la démocratie – même si votre la critique constante de la classe moyenne (qui constitue le gros de l’électorat de nos sociétés contemporaines) est en creux une critique de la démocratie.]

      Nullement. D’abord, la classe moyenne ne constitue nullement « le gros de l’électorat ». Tout au plus entre un cinquième et un quart. Il est vrai qu’elle confisque le contrôle du champ politique d’une part parce qu’elle contrôle les usines ou se fabriquent les idéologies, et d’autre part parce qu’elle joue le rôle de « masse de manœuvre » pour la bourgeoisie. Mais comme vous le notez, cela ne dévalue nullement la démocratie à mes yeux, au contraire.

      [En revanche, il me paraît clair que tout un pan de votre pensée est tout bonnement réactionnaire.]

      J’aimerais bien que vous argumentiez cette affirmation. En particulier, que vous expliquiez ce qu’est pour vous un « réactionnaire »…

  16. odp dit :

    Re-bonjour Descartes,

    "Celui qui n’a pas fait d’enquête n’a pas doit à la parole" a dit Mao. Cette formule me plaît bien, et je me propose donc de passer au crible de l’enquête l’un vos thème récurrent qui est que les "classes moyennes", que l’on retrouve massivement au sein des électeurs PS, EELV et FdG refusent l’impôt et la solidarité nationale.

    En effet, il s’avère que, comme l’a noté koko avec un enthousiasme un peu juvénile, IPSOS vient de réaliser un sondage autour du thème du consentement à l’impôt: http://www.ipsos.fr/ipsos-public-affairs/actualites/2013-10-11-impots-trop-chers-francais-repondent.

    Or, celui-ci tend à prouver exactement le contraire de ce que vous affirmez. Ainsi, à la question "estimez-vous que le montant des impôts soit excessif", la réponse des français est OUI à 72% en moyenne, avec un biais plus prononcé chez les CSP- (78%) que chez les CSP+ (69%) et chez les sympathisants du FN et de l’UMP (84% et 79% respectivement) que chez ceux du PS (48%). Encore plus fort: à la question "êtes-vous favorables à l’augmentation des taxes sur les capital?", les français répondent NON à 61% en moyenne, avec une pointe à 78% chez les sympathisants UMP, suivis par les sympathisants FN (72%), puis loin derrière les sympathisants PS (38%) et FdG (30%).

    Alors de deux choses l’une: soit les classes moyennes ne sont pas les moins bien disposées à l’égard de l’impôt soit elles ne constituent pas l’essentiel des sympathisants PS et FdG mais peuplent ceux du FN et de l’UMP.

    • Descartes dit :

      @odp

      Re-bonjour Descartes,

      [Or, celui-ci tend à prouver exactement le contraire de ce que vous affirmez. Ainsi, à la question "estimez-vous que le montant des impôts soit excessif", la réponse des français est OUI à 72% en moyenne, avec un biais plus prononcé chez les CSP- (78%) que chez les CSP+ (69%) et chez les sympathisants du FN et de l’UMP (84% et 79% respectivement) que chez ceux du PS (48%). Encore plus fort: à la question "êtes-vous favorables à l’augmentation des taxes sur les capital?", les français répondent NON à 61% en moyenne, avec une pointe à 78% chez les sympathisants UMP, suivis par les sympathisants FN (72%), puis loin derrière les sympathisants PS (38%) et FdG (30%).]

      Le problème ici est l’interprétation des résultats. En particulier, de savoir si ce que les gens répondent à une enquête reflète la réalité de ce qu’ils pensent ou pas. La question fiscale est une question idéologiquement marquée, et les réponses dépendent donc non seulement de ce qu’on pense vraiment, mais aussi de l’image qu’on veut donner de soi même, voir même de certains automatismes pavloviens qui font que l’on critique plus facilement les impôts lorsqu’on est proche de l’opposition que de la majorité. A cela s’ajoute une question horriblement mal posée : « estimez-vous que le montant des impôts soit excessif ? ». Les impôts de qui ? Quel impôt ? Obtiendrait-on la même réponse si la question était précise, par exemple en remplaçant « les impôts » par « les impôts que vous payez » ou « votre impôt sur le revenu » ?

      [Alors de deux choses l’une: soit les classes moyennes ne sont pas les moins bien disposées à l’égard de l’impôt soit elles ne constituent pas l’essentiel des sympathisants PS et FdG mais peuplent ceux du FN et de l’UMP].

      Il y a une troisième possibilité : que les classes moyennes soient moins prêtes à admettre et à verbaliser leur détestation de l’impôt. A mon sens, il serait plus intéressant de faire la corrélation entre les opinions politiques et la fraude fiscale… c’est là qu’on verrait quels sont les groupes sociales qui consentent véritablement à l’impôt.

  17. CVT dit :

    cher Descartes,
    vous parlez de découragement, et cette semaine, j’ai un sujet en or pour vous: l’expulsion de la jeune Kossovare Léonarda et de sa famille. Comme dans l’affaire Aurore Martin l’an dernier, la gauche dans sa globalité, PS inclus, fait preuve d’irresponsabilité et d’inconséquence en protestant contre une décision de justice, et en réclamant le retour de la jeune étudiante sur notre territoire.
    Je suis découragé, car si Valls venait à céder, cela voudrait dire que nous ne sommes plus dans un état de droit, mais dans le royaume de l’arbitraire…
    A preuve, quand le président de l’Assemblée Nationale ose déclarer que la loi, c’est bien, mais que, au-dessus de la loi, il y a les valeurs républicaines, ça veut dire que nous sommes perdus! Désormais, on trouve légitime que des maires catholiques intégristes peuvent se prévaloir de leur convictions religieuses pour refuser de marier des personnes de même sexe, au nom de la supériorité de la loi divine sur les lois humaines. Idem pour les musulmans qui se prévalent de leur convictions religieuses pour se soustraire à leur obligation de neutralité dans la sphère public…
    Voilà un beau sujet de découragement: aussi difficile que l’application de la loi puisse être, les socialistes au pouvoir sont désormais incapables de faire leur travail de pouvoir exécutif, ou alors, ils le font à tête du client, ce qui est bien pire à mon goût. Ce point est d’ailleurs confirmé par la nouvelle démonstration de lâcheté de Jean-Marc Ayrault, qui laisse entendre qu’il aurait eu une faute commise, alors que tout le monde reconnaît que les règles du droit ont été respectées!
    Oui, désormais, l’affaire Léonarda, si Valls cède, démontera que les socialistes ont mis l’état de droit à terre…

    • Descartes dit :

      Je vais aborder cette question dans mon prochain papier… alors souffrez que je ne vous réponde pas ici !

    • croizat dit :

      Je ne peux que rajouter,brièvement une piste concernant,la tentation du FN chez les patriotes-marxistes..
      Celle des illusions générées par le perronisme en Argentine.
      Là bas aussi certains patriotes-marxistes ont rejoint un mouvement populiste.Pour quels résultats ?..

    • Descartes dit :

      @croizat

      Vous avez raison de signaler le parallèle, mais connaissant un peu l’Argentine je serais prudent dans les conséquences qu’on peut tirer de cette analogie. D’abord, parce que le mots "patriotisme" et "nation" n’ont pas tout à fait la même signification dans un pays jeune où l’essentiel de la population descend d’une immigration européenne, et dans un vieux pays comme la France. Ensuite, parce que le populisme péroniste s’appuie d’abord sur un lumpenprolétariat historiquement marginalisé du processus politique dans un pays où le processus politique était restée fondamentalement aristocratique. Le populisme péroniste se construisait fondamentalement contre la république et ses valeurs (rationalisme, état de droit, droits de l’homme) dénoncés comme "contraires à l’être national". Alors que le populisme du FN se voit obligé, pour réussir, à épouser au contraire les valeurs républicaines.

    • Marcailloux dit :

      Bonjour,
      Impatient de vous lire à ce sujet, nous patienterons pour le débat. Cependant je tiens à témoigner de mon effarement de voir de hauts responsables politiques tenir un discours qui bafoue l’Etat de droit et qui de plus selon un sondage sur RMC s’oppose à 3 Français sur 4.
      "Les héritiers de Dieu sont tombés sur la tête"

    • Descartes dit :

      @Marcailloux

      [un discours qui bafoue l’Etat de droit et qui de plus selon un sondage sur RMC s’oppose à 3 Français sur 4]

      De toute évidence le décalage entre le discours émotionnel de la bienpensance et la réalité telle qu’elle est perçue par les français devient béant. Pour faire plaisir aux classes moyennes boboisées, la classe politique est en train de s’isoler. Cela n’augure rien de bon.

  18. croizat dit :

    Depuis ,2 jours,il est impossible de lire les commentaires sur ‘sonate d’automne’.
    Vous avez été ,peut être, victime d’un piratage,probablement à cause du ton libre de ce blog..

    • Descartes dit :

      j’ai testé avec plusieurs ordinateurs et plusieurs navigateurs, et ça marche… je pense que quelque chose cloche avec votre ordinateur. Pourquoi chercher un complot, alors qu’une simple panne informatique suffit ?

  19. Bannerre dit :

    Bonjour Descartes,

    Ce matin en lisant le 20 minutes dans le métro, j’y ai lu une interview très pertinente du géographe Christophe Guilluy, qui a fait une cartographie sociale de la France, et dont le documentaire "La France d’en face" passe sur France3.
    On retrouve l’interview là http://www.20minutes.fr/societe/1240757-20131023-cartographie-sociale-france-60-gens-retrouvent-a-cote-progres
    et une autre ici http://www.20minutes.fr/paris/1242219-20131027-boboisation-a-paris-probleme-violent

    Ses travaux arrivent à la conclusion que les classes moyennes se sont appropriées le parc immobilier des classes populaires dans les grandes villes, il n’y a pas de hasard si 80 % des immigrés vivent dans les métropoles, quand les classes populaires s’éloignent de plus en plus, si le FN n’a plus qu’à ramasser les voix de ces 60 % de français exclus des zones d’activités, etc.
    Il est salutaire de voir des chercheurs comme Guilly travailler sérieusement à ces questions.

    • Descartes dit :

      @Banette

      Il y a ces derniers temps un regain d’intérêt pour les études démo/géographiques. Je trouve cela très positif, parce que cela permet d’alimenter des analyses de classe, de tester des hypothèses en corrélant le vote avec le statut socio-économique de tel ou tel espace géographique. Le bouquin de Le Bras et Todd, "Le mystère français", donnait déjà des pistes très intéressantes…

    • Bannette dit :

      Oui ces études démographiques et géographiques faites par des gens sérieux comme Todd ou Guilly devraient être enseignées à des militants politiques.

      Ce qui me rend folle de rage, c’est que visiblement le FN (ou les têtes pensantes du FN récemment apparues autour de Marine Le Pen) les lisent et les étudient, et en tirent les conclusions qui s’imposent (après les solutions, ça se discute), mais pas les dirigeants prétendant représenter les classes laborieuses.
      A l’appropriation du parc immobilier par les classes moyennes (parc naguère accessible par les classes populaires), les dirigeants de gôche vous répondront : c’est la faute des méchants spéculateurs immobiliers et des marchands de sommeil ! Et pouf une Loi Duflot idiote (et qui renforce cette appropriation d’ailleurs).
      A la désindustrialisation asséchant les zones d’activités : c’est la faute des méchants qui demandent des dividendes à 2 chiffres et qui sont radins, il faut nationaliser, interdire les licenciements boursiers, créer des scops et donner un droit de préemption aux salariés en cas de vente. Ben voyons… comme si Maastricht et l’euro n’avaient aucun lien avec le libre circulation des capitaux et des marchandises.
      Au fait que 80 % des immigrés se trouvent en métropole, arrivées qui vont en parallèle avec le mouvement inverse d’éloignement des classes populaires : l’immigration c’est une richesse, il faut régulariser tous les sans papiers, il n’y a pas de dumping social, le dumping c’est les méchants patrons radins.

      Le FN a tout en boulevard devant lui pour conquérir ces électeurs mis de côté du progrès.
      Les partis de gauche non seulement sont incapables d’une analyse du réel mais je pense aussi qu’ils ne doivent pas avoir de militants dans toutes ces zones délaissées.

    • Descartes dit :

      @Bannette

      [Les partis de gauche non seulement sont incapables d’une analyse du réel mais je pense aussi qu’ils ne doivent pas avoir de militants dans toutes ces zones délaissées.]

      C’est l’un des problèmes. Le changement sociologique du PCF et du PS a fait perdre progressivement l’ancrage populaire de ces deux grands partis ouvriers. Et c’est particulièrement sensible dans les quartiers populaires. Quand on ne vit pas avec les gens, il devient difficile de savoir quels sont leurs problèmes, leurs angoisses, leurs aspirations. Je me souviens dans ma jeunesse les porte-à-porte dans un grand ensemble de la région parisienne. J’étais accompagné d’un vieux militant connu dans le quartier. A chaque fois, on était invités à boire un coup dans dix, quinze, vingt appartements. Et on apprenait qu’untel était au chômage, que l’enfant d’une telle réussissait à l’école mais n’arrivait pas à avoir une bourse, qu’un troisième risquait de se faire expulser de son logement. Au bout de quelques mois de ce travail, on connaissait notre terrain, on pouvait relayer vers la mairie les problèmes des gens, monter des actions pour bloquer un huissier, écrire un tract qui ne soit pas standardisé mais que les gens avaient envie de lire. Et les gens – même ceux qui n’étaient pas de notre bord – trouvaient que finalement le PCF était utile.

      Aujourd’hui, c’est le FN qui encourage ses militants à faire du porte-à-porte, alors que les partis de gauche expliquent à leurs militants qu’à l’ère de l’Internet cela ne sert plus à rien. Cherchez l’erreur…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *