Depuis le remaniement gouvernemental de la fin août, les commentateurs – de la droite à l’extrême gauche – nous expliquent que Manuel Valls et François Hollande ont finalement tombés du côté où ils penchaient, c'est-à-dire, du côté « libéral ». La querelle qui a abouti à l’expulsion d’Arnaud Montebourg et – par ricochet – celle de Arélia Filippeti et Benoît Hamon du gouvernement serait en fait un conflit entre deux idéologies, deux visions politiques. Le chef du gouvernement aurait ainsi « clarifié » le sens de son action, en choisissant la voie libérale.
Je dois me lever ici contre toutes ces accusations. Prétendre que Manuel Valls et François Hollande seraient des « libéraux » ou se seraient convertis au « libéralisme », que les socialistes seraient devenus « libéraux » est une accusation digne du milieu du XXème siècle, de cette époque où les partis politiques étaient censés se constituer pour diffuser et mettre en œuvre un système de pensée, et que les hommes politiques devaient – sous peine d’être accusés d’opportunisme – de clarifier le système de pensée dans lequel s’inscrivait leur action. Mais aujourd’hui, nous sommes au XXIème siècle, l’âge du smartphone, de la tablette connectée et de la politique du « moi je veux ». Les partis politiques sont devenus des écuries électorales dans lesquelles la question de savoir comment gagner l’élection et faire main basse sur les postes est la seule qui compte. Les « systèmes de pensée », en tant qu’explication des mécanismes qui régissent le réel et des principes d’action sur lui sont une chose du passé, au même titre que le Minitel.
Finies les soirées ou l’on « discutait politique », ou marxistes et libéraux, existentialistes et anarchistes réglaient leurs comptes à la table du café ou par pamphlets interposés. Finie l’époque ou il fallait « être » quelque chose pour avoir le droit à prendre la parole. Fini le temps ou l’on se sentait obligé de citer les textes canoniques de tel ou tel « système ». Nous sommes dans l’ère du non-système. Et c’est pourquoi il est totalement injuste d’accuser Manuel Valls ou son gouvernement d’être « libéraux ». Croyez vous vraiment que Manuel Valls ait tout à coup décidé de lire les classiques du libéralisme – Smith, Ricardo, Locke, et plus près de nous Aron ou Hayek – et qu’il se soit dit tout à coup « ces gens ont raison, c’est ainsi que fonctionne le monde » ? Bien sur que non. Valls n’est pas plus « libéral » qu’il n’est « marxiste » ou « existentialiste ». Il n’adhère a aucun « système de pensée » tout simplement parce qu’il ne les connaît pas, que cela ne l’intéresse pas, et que de nos jours se sentir lié à un « système de pensée » est un grave handicap pour celui qui souhaite accéder aux plus hautes fonctions.
Car un « système de pensée », c’est une contrainte. Comme le tuteur d’une jeune plante, un « système de pensée » permet de pousser droit et pousser plus haut. Mais il oblige aussi d’aller dans une seule direction. Il ne tolère pas les écarts, ces écarts si utiles pour faire plaisir à droite et à gauche et grappiller des voix, ou tout simplement pour satisfaire quelques penchants et intérêts personnels. Un système de pensée, c’est une ascèse. Et notre société admire l’ascèse sur l’écran mais la déteste en pratique. Les admirateurs des mouvements politiques « d’un nouveau type » – genre les « indignés » espagnols – ont tort sur presque tout, mais ont raison sur un point : le parti politique comme institution portant un « système de pensée » est mort. Il est mort parce que dans le monde libéral-libertaire dans lequel nous vivons, personne n’est prêt à se plier aux contraintes d’un « système ». L’acte d’adhésion impliquant naguère qu’on faisait sien le « système » de l’organisation à laquelle on adhérait. Et si un désaccord trop important surgissait, on était exclu ou on partait aller voir ailleurs. Aujourd’hui, l’adhésion – qui porte mal son nom – à un parti ou à un mouvement a pour moteur moins l’adhésion réelle à un projet que le désir de faire passer ses idées, ses revendications. C’est la doctrine du « parti outil » si bien théorisée au PCF par UbHue et ses partisans. Le citoyen d’aujourd’hui ne supporte pas la contrainte d’une discipline, même choisie. Il n’ira militer que si l’organisation lui laisse faire ce qu’il lui plait quand il lui plait et comme il lui plait. On n’adhère plus au parti dont on partage les idées – quelles idées, d’ailleurs ? – mais au parti où l’on trouve la meilleure place pour soi, ou on se « réalise ». D’où un certain nomadisme de gens qui commencent au PS, vont ensuite chez les Verts, atterrissent un moment au NPA pour finir par se retrouver au Parti de Gauche. Posez-leur la question, et ils vous expliqueront que ce n’est pas eux qui ont changé d’opinion, mais ce sont les différentes organisations qu’ils ont fréquenté qui ne leur donnaient, à eux ou à leurs idées, la place qu’ils estimaient mériter (1).
A la place des « systèmes de pensée » honnis, s’est imposée l’idée du « bon sens », la chose du monde la mieux partagée puisque chacun semble satisfait avec la part qui lui échoit. Pas besoin de grandes constructions intellectuelles prenant en compte les interactions complexes, pas besoin « d’experts » qui ne cherchent qu’à prendre le pouvoir en arguant d’une « compétence » totalement superflue. Non, devant chaque situation, il suffit de mettre un peu de « bon sens », et la solution jaillira, évidente. Le politique ne cherche plus de solutions aux grands problèmes, mais applique des micro-solutions aux différents micro-problèmes qui se présentent à lui, sans jamais les inscrire dans une vision globale. Cela fait le bonheur de toutes sortes de lobbies, qui se présentent au politique en exigeant une solution à leur problème particulier. Comment le politique pourrait leur dire « non » sans un « système » qui donne à ce « non » une cohérence ?
L’exemple de la loi dite « ALUR » est de ce point de vue éclairant. Les associations actives dans le domaine du logement se plaignent que les loyers soient trop élevés. Le « bon sens » commande qu’on impose l’encadrement des loyers, et c’est bien ce que fait le ministre pour faire plaisir au lobby des mal-logés. Mais on découvre alors qu’un tel encadrement a un effet dépresseur sur le BTP, les promoteurs ne voyant pas l’intérêt de construire alors que les loyers « encadrés » risquent de réduire drastiquement la rentabilité de l’opération. Et pour faire plaisir au lobby de la construction, on abroge les dispositions qu’on avait prises quelques mois auparavant.
Mais peut-on dire que ce changement de cap traduit une quelconque « conversion au libéralisme » de la part du gouvernement ? Bien sur que non. La seule chose que cela traduit, c’est une navigation à vue et sans carte qui oblige en permanence à ajuster le cap en fonction des désastres qu’on provoque et des réactions plus ou moins vives de tel ou tel secteur de l’opinion. D’où l’alternance d’actes qu’on peut considérer comme conformes à la doctrine ultra-libérale suivis d’autres qui sentent bon le keynésianisme quand ce n’est pas l’interventionnisme pur et simple (2). D’où aussi les « couacs » permanents, qu’on attribue au « manque d’autorité » du Premier ministre ou du président. A tort : on peut difficilement imaginer que François Rebsamen ou Emmanuel Macron aient cherché à se rebeller contre leur premier ministre lorsqu’ils ont fait leurs sorties sur l’abolition des 35 heures ou le contrôle des chômeurs. Simplement, il est difficile de suivre un cap lorsqu’on n’a pas de carte. Quand on a un « système de pensée », la cohérence vient de soi puisque tous les militants et à fortiori les ministres partagent une grille de lecture de la réalité et un corpus de ce qui est ou non souhaitable. Mais lorsqu’on n’a pas de « système de pensée », maintenir la cohérence de trente ou quarante discours indépendants relève du miracle. Si le Premier ministre peut proclamer son amour des patrons le lundi et son amour des pauvres le mardi, comment Rebsamen ou Macron pourraient savoir dans quelle direction pointera la boussole le mercredi ?
Ce n’est pas que je rejette le pragmatisme. Mais le pragmatisme – le vrai – n’existe qu’en référence aux « systèmes de pensée ». On est « pragmatique » lorsqu’on se permet de violer une règle, de sortir d’une limité imposée par un « système de pensée » parce qu’on estime que la réalité l’exige. Le véritable pragmatique, c’est le conducteur qui brûle les feux rouges pour conduire un blessé à l’hôpital. Pas le chauffard qui brûle les feux rouges parce que c’est son bon plaisir. Le premier connaît le code de la route, dont il ne conteste pas la pertinence, sait le risque qu’il prend, et pèse ce risque en relation à la nécessité de sauver une vie. Le second est un inconscient qui ne considère que l’instant présent sans se soucier des conséquences. Etre pragmatique, c’est reconnaître que tout « système de pensée » est par essence incomplet et ne permet pas de répondre à toutes les situations réelles.
Ce que nous avons devant nous aujourd’hui, ce n’est pas du « pragmatisme ». C’est une totale absence de pensée systémique. Et sans pensée systémique, il est impossible de concevoir une action politique efficace. La logique du « bon sens » non seulement expose le politique à la pression permanente des lobbies sans lui donner les instruments intellectuels pour y résister, mais – et c’est ce que nous voyons quotidiennement – transforme la politique en une course poursuite ou l’on applique des solutions de « bon sens » à des micro-problèmes, puis on se voit obligé de rechercher des solutions de « bon sens » aux micro-problèmes qu’on a créé en résolvant le micro-problème d’origine et ainsi ad indefinitum.
Thatcher était une véritable « libérale ». Qu’une grande entreprise fasse faillite et laisse des milliers de travailleurs sur le carreau ? Ce n’était pas pour elle une raison d’intervenir, de déverser de l’argent public pour l’aider ou même de prévoir un plan social pour les travailleurs licenciés. Non : que des entreprises naissent et meurent, c’est la logique du capitalisme et on ne gagne rien à chercher à la perturber. On peut être d’accord ou pas avec cette vision, mais elle a une cohérence. Elle relève d’un « système de pensée » assumé. On peut dire donc que Thatcher était véritablement « libérale ». Mais peut-on dire la même chose de Valls ou de Hollande ? En fait, des véritables libéraux, on n’en trouve pas beaucoup en France. Même les libéraux les plus autoproclamés parmi les politiques seront les premiers à demander que l’Etat intervienne pour sauver des emplois dans une entreprise de leur circonscription. La tradition française d’un Etat efficace, bienveillant et surtout protecteur du citoyen contre les féodalités locales, qu’elles soient notabiliaires ou patronales, rend très difficile l’implantation d’un véritable « système de pensée » libéral.
Valls et Hollande ne sont pas des libéraux. En les accusant d’avoir trahi un « système de pensée » quelqu’il soit, on fait une erreur capitale d’analyse. On ne peut « trahir » que ce à quoi on a véritablement adhéré. Et ce qui est vrai pour eux, est vrai pour une grosse majorité des élus socialistes. Réfléchissez un moment : si Hollande était aujourd’hui à 60% de popularité, si les dernières élections avaient été pour le PS un succès, croyez-vous un instant que les « frondeurs » envisageraient de ne pas voter la confiance à Valls au prétexte qu’il serait « libéral » ? Allons, soyons sérieux…
Valls et Hollande, pas plus que les élus PS ne sont devenus « libéraux ». Par contre, on peut dire qu’ils se sont convertis – mais cela date maintenant de plus de vingt ans – à la politique du chien crevé au fil de l’eau. Leur logique politique est de suivre la ligne de moindre résistance en cherchant à contenter tout le monde. Quitte à adapter son discours à son auditoire. On dit « amen » aux bonzes dans les réunions à Bruxelles, mais on redevient protectionniste dans le Thalys de retour. On « aime » les entreprises à Jouy en Josas, et on « aime » les socialistes à La Rochelle. On parle d’austérité, mais on continue à subventionner à fonds perdus les énergies renouvelables. A chaque groupe de pression, on dit « oui ». C’est pourquoi il serait vain de voir dans l’affrontement Montebourg-Valls un véritable affrontement idéologique. Sur le fond, leur accord est parfait. Après tout, ont participé pendant deux ans et demi à un gouvernement qui a fait depuis le début la même politique. C’est sur la tactique qu’ils différent : Valls pense pouvoir persuader les allemands de faire une relance européenne en montrant qu’il est le bon élève de la classe européenne. Montebourg pensait pouvoir aboutir au même résultat en affrontant les allemands. Mais au fond, tous deux s’accordent sur le fait que le salut ne peut venir que du dehors, tous deux ont accepté les politiques déflationnistes. Alors, c’est quoi, leur différence, en dehors des déclarations d’amour pour telle ou telle catégorie ?
Le discours « tous les mêmes » fonctionne aujourd’hui à plein parce que, effectivement, ils sont tous les mêmes. Tous les partis ont jeté à la poubelle les « système de pensée » (3), et tous pratiquent la logique du « bon sens » en faisant plaisir à chaque lobby qui se présente. Comment pourraient-ils dans ces conditions aboutir à des projets politiques très différents ? Tous ? Non, pas tout à fait : il reste quelques irréductibles gaulois, mais comme les gaulois naguère, ils sont aujourd’hui marginalisés…
Descartes
(1) Vous l’aurez remarqué sans doute, le militantisme politique est devenu – du moins pour les classes moyennes – un acte thérapeutique. On soigne sa culpabilité ou sa solitude en venant à des réunions pour « communier » avec des gens qui pensent comme soi, ou du moins dont on s’imagine qu’ils pensent comme soi. D’où d’ailleurs les réactions violentes devant les moindres désaccords. Les mouvements du genre « indignados » ne changent rien à la marche du monde, mais font plaisir à ceux qui y participent.
(2) Allez-voir le projet de loi sur la transition énergétique, ou l’on trouve une disposition rendant obligatoires les travaux d’isolation et d’économie d’énergie lors des grands travaux de réfection des bâtiments. Est-ce là une mesure « libérale » ?
(3) A ce point de l’exposé, vous l’aurez compris, « système de pensée » est synonyme du mot « idéologie ». Je n’ai pas utilisé ce dernier mot parce qu’il a aujourd’hui une connotation tellement négative qu’il aurait probablement conduit le lecteur à mal interpréter mon propos…
Je suis assez d’accord sur la fin des idéologies comme principes structurants de l’action politique. Parmi les raisons : la chute du communisme, la mondialisation triomphante, les nouvelles technologies et la dictature de l’instantanéité… Tout ceci à amené à une nouvelle forme de pratique politique et à une "idéologie" New-age dépourvue de fond historique, culturel et politique : ce que tu décris très bien sous le nom de "pragmatisme"’ ou de "bon sens". Les crises économiques, la crise de l’Etat-Providence (et la crise démocratique que les autres crises ont provoqué) ont conduit à une délégitimation du politique et de la politique. Le rôle de l’élu est à tel point déconsidéré qu’il ne peut plus gouverner ou administrer sans faire appel à des subterfuges visant à donner une "légitimité" à sa prise de décision. La puissance des experts empêche ainsi la mise en œuvre d’un système de pensée cohérent politiquement (le seul déterminant étant l’efficacité ou l’efficience face à un "micro-problème") tandis que l’émergence de la "démocratie participative" et le poids des lobbies remplacent l’intérêt général par la somme des intérêts particuliers.
La démocratie a donc muté. Les gouvernants ne se réfèrent plus à une idéologie mais, comme Monsieur Jourdain, ils en font sans le savoir. Sous les traits du fameux "pragmatisme" ou "bon sens", ce sont généralement les valeurs néo-libérales qui s’épanouissent. Le pragmatisme et l’appel permanent aux experts (consultants, bureaux d’études toujours "indépendants" bien sûr) conduisent ainsi à instiller les valeurs de la gestion privée dans l’administration publique, à remettre parfois en cause les fondements de notre pacte républicain (nation, protection sociale, services publics, laïcité, école…) au nom de la sacro-sainte adaptation à la mondialisation.
Par ailleurs, quand tu dis [On dit « amen » aux bonzes dans les réunions à Bruxelles. On « aime » les entreprises à Jouy en Josas, et on « aime » les socialistes à La Rochelle], c’est bien que ces groupes incarnent des idéologies. Et, même si en effet les différences ne sont pas si flagrantes entre Valls et Montebourg, c’est bien un message néo-libéral qui veut être donné avec ce gouvernement (et toutes les propositions économiques vont à peu près dans le même sens).
Enfin, comme tu l’as indiqué [La tradition française d’un Etat efficace, bienveillant et surtout protecteur du citoyen contre les féodalités locales, qu’elles soient notabiliaires ou patronales], la France n’est pas n’importe quel pays : si les idéologies s’y sont estompées comme ailleurs, on reste un pays politique dans lequel l’attachement aux grands idéaux républicains (évoqués plus haut) fait encore consensus. Dès lors, pourquoi exclure qu’un programme politique qui redonnerait corps à ces valeurs, à ce système de pensée puisse émerger ? Ce serait effectivement "un projet politique très différent" de ce qui se fait depuis plus de 30 ans…
@Kadhaffy
[Je suis assez d’accord sur la fin des idéologies comme principes structurants de l’action politique. Parmi les raisons : la chute du communisme, la mondialisation triomphante, les nouvelles technologies et la dictature de l’instantanéité…]
Je pense que vous prenez une corrélation pour une causalité. Oui, la « fin des idéologies » coïncide avec la chute du communisme, le triomphe de la mondialisation, la troisième révolution industrielle et la dictature de l’instantanée… mais je ne crois pas que ces faits soient les « raisons » de la chose. Si les idéologies ont cessé d’être structurantes dans l’action politique, c’est avant tout parce que l’action politique a changé de nature. Hier, la politique était la tragédie qui décidait du destin des peuples, aujourd’hui elle est ravalée à une pure activité de gestion. Avec la fin de la société de pénurie et l’avènement de la société d’abondance, les solidarités collectives – à tous les niveaux – paraissent moins nécessaires et les servitudes qui en sont le corollaire deviennent insupportables. Nous en sommes à une société d’individus-îles incapables de transcender les projets individuels. Même la politique, comme je l’ai décrit dans l’article, devient une juxtaposition de projets individuels qui ne se fondent jamais dans un projet collectif.
[Tout ceci à amené à une nouvelle forme de pratique politique et à une "idéologie" New-age dépourvue de fond historique, culturel et politique : ce que tu décris très bien sous le nom de "pragmatisme"’ ou de "bon sens".]
Et qui en fait dissimulent une justification pour le « chacun fait ce qui lui plait ». C’est d’ailleurs flagrant en politique internationale, ou les raisonnements ad hoc ont remplacé les doctrines. Exemple : il y a quelques années, une coalition d’états est intervenue militairement parce qu’elle a décidé que la région albanophone de Serbie avait le droit de se détacher de ce pays et accéder à l’indépendance. Les mêmes états aujourd’hui trouvent scandaleux qu’un état décide que les régions russophones d’Ukraine ont le droit de se détacher de ce pays et accéder à l’indépendance. Et tout ça sans la moindre explication logique. En Ukraine on défend l’inaliénable souveraineté des états et l’intangibilité des frontières, en Serbie on a piétiné ces deux mêmes principes. Et tout ça au prétexte que la situation était – on ne sait pas pourquoi – « différente ».
[Les crises économiques, la crise de l’Etat-Providence (et la crise démocratique que les autres crises ont provoqué) ont conduit à une délégitimation du politique et de la politique. Le rôle de l’élu est à tel point déconsidéré qu’il ne peut plus gouverner ou administrer sans faire appel à des subterfuges visant à donner une "légitimité" à sa prise de décision.]
Pardon, mais je pense que vous exprimez là un désir plutôt qu’une réalité. En fait, cela peut paraître paradoxal mais la « légitimité » du politique paraît au contraire remarquablement résistante. Lorsque le parlement fait des lois et le gouvernement des décrets, ces normes sont obéies. Les gens payent leurs impôts, demandent des permis de construire, immatriculent leurs voitures et inscrivent leurs enfants à l’école. Il n’y a pas de véritable contestation de la « légitimité » du politique à faire des normes, les mouvements de « désobéisseurs » sont tout à fait marginaux et s’il y a de fait des zones de « non-droit », elles sont somme toute assez limitées et obéissent plus à une logique délinquante que à une véritable rébellion contre les pouvoirs constitués.
[La puissance des experts empêche ainsi la mise en œuvre d’un système de pensée cohérent politiquement (le seul déterminant étant l’efficacité ou l’efficience face à un "micro-problème") tandis que l’émergence de la "démocratie participative" et le poids des lobbies remplacent l’intérêt général par la somme des intérêts particuliers.]
Là encore, je pense que tu colles une description toute faite sur les faits. De quelle « puissance des experts » parles-tu ? Et au fait, de quels « experts » ? Ce qu’on observe, au contraire, c’est que les « experts » – je parle bien entendu des véritables « experts », et non des sommités auto-proclamées que les médias élèvent au rang d’oracles – ont une influence sur les décisions proche de zéro. Quels sont les « experts » qui ont été consultés avant la réforme territoriale ? Croyez-vous que ce soient les « experts » qui ont écrit la loi ALUR ? Crois-tu que si l’on fait une politique énergétique aberrante en développant les renouvelables à tour de bras et en pure perte, c’est parce qu’on suit la recommandation des « experts » ?
[La démocratie a donc muté. Les gouvernants ne se réfèrent plus à une idéologie mais, comme Monsieur Jourdain, ils en font sans le savoir. Sous les traits du fameux "pragmatisme" ou "bon sens", ce sont généralement les valeurs néo-libérales qui s’épanouissent.]
Mais c’est quoi, exactement, « les valeurs néo-libérales » ? Je commence à fatiguer de ces mots-valise qui ne veulent plus rien dire à force de servir de réceptacle pour désigner tout ce qui est négatif. Au moyen âge, tous ceux qui déplaisaient à l’Eglise catholique étaient qualifiés de Sodomites. Eh bien, à l’église du politiquement correct de gauche, on dit « néo-libéral »…
Bien entendu, nos gouvernants ont une idéologie. Il est impossible de ne pas en avoir une. Mais contrairement à ce qui se passait avant, ils ne se « réfèrent » pas à elle. Ils prétendent au contraire qu’elle n’existe pas. Nos politiques prétendent ne pas être guidés par une représentation du réel, mais par le réel lui même. Et cela est vrai à droite comme à gauche. D’ailleurs, qui n’a jamais entendu un homme politique – Robert Hue, au hasard – déclarer que « la réalité tranchera », comme si la réalité était accessible directement, sans passer par une interprétation et donc par un idéologie.
[Le pragmatisme et l’appel permanent aux experts (consultants, bureaux d’études toujours "indépendants" bien sûr) conduisent ainsi à instiller les valeurs de la gestion privée dans l’administration publique, à remettre parfois en cause les fondements de notre pacte républicain (nation, protection sociale, services publics, laïcité, école…) au nom de la sacro-sainte adaptation à la mondialisation.]
Encore une fois, votre vision des « experts » est un fantasme. On a aujourd’hui bien moins recours aux « experts » que par le passé. D’ailleurs, l’un des grands problèmes de notre Etat aujourd’hui c’est bien que l’expertise publique a été ravagée, réduite à la potion congrue. Les grands corps techniques de l’Etat sont en déshérence, leurs membres partent dans le privé dès qu’ils le peuvent vu les non-carrières qu’on leur propose dans le public.
[Par ailleurs, quand tu dis [On dit « amen » aux bonzes dans les réunions à Bruxelles. On « aime » les entreprises à Jouy en Josas, et on « aime » les socialistes à La Rochelle], c’est bien que ces groupes incarnent des idéologies.]
Non. C’est que ces groupes ont du pouvoir. Si Valls déclare son « amour » aux entreprises, aux bonzes ou aux socialistes, c’est parce qu’il a besoin de leur soutien, pas parce qu’il partage leurs idées.
[Et, même si en effet les différences ne sont pas si flagrantes entre Valls et Montebourg, c’est bien un message néo-libéral qui veut être donné avec ce gouvernement (et toutes les propositions économiques vont à peu près dans le même sens).]
Encore du « néo-libéral » ? Faudra m’expliquer en quoi le fait d’obliger les gens à faire des travaux d’isolation thermique ou de subventionner lourdement les énergies renouvelables contre toute logique de marché serait « néo-libéral »…
[on reste un pays politique dans lequel l’attachement aux grands idéaux républicains (évoqués plus haut) fait encore consensus. Dès lors, pourquoi exclure qu’un programme politique qui redonnerait corps à ces valeurs, à ce système de pensée puisse émerger ?]
Je ne l’exclut pas. Mais en même temps, je vois mal comment on arrive à faire émerger un tel programme alors qu’on a contre soi en même temps les classes populaires capitalisées par le FN et les classes moyennes recroquevillées sur leurs privilèges…
[Pardon, mais je pense que vous exprimez là un désir plutôt qu’une réalité. En fait, cela peut paraître paradoxal mais la « légitimité » du politique paraît au contraire remarquablement résistante. Lorsque le parlement fait des lois et le gouvernement des décrets, ces normes sont obéies. Les gens payent leurs impôts, demandent des permis de construire, immatriculent leurs voitures et inscrivent leurs enfants à l’école. Il n’y a pas de véritable contestation de la « légitimité » du politique à faire des normes, les mouvements de « désobéisseurs » sont tout à fait marginaux et s’il y a de fait des zones de « non-droit », elles sont somme toute assez limitées et obéissent plus à une logique délinquante que à une véritable rébellion contre les pouvoirs constitués]
On se sera mal compris. Quand je parle de délégitimation du politique, je ne prétends que les citoyens vont se révolter et devenir des "désobéisseurs". Il s’agit simplement de constater la crise de la démocratie (abstention record, votes protestataires) et surtout la totale absence de confiance des citoyens envers les politiques (le fameux "tous pourris"). C’est tout cela qui conduit à créer des subterfuges à la démocratie représentative.
[Là encore, je pense que tu colles une description toute faite sur les faits. De quelle « puissance des experts » parles-tu ? Et au fait, de quels « experts » ? Ce qu’on observe, au contraire, c’est que les « experts » – je parle bien entendu des véritables « experts », et non des sommités auto-proclamées que les médias élèvent au rang d’oracles – ont une influence sur les décisions proche de zéro]
Il suffit d’avoir mis les pieds dans une collectivité territoriale pour comprendre ce que je veux dire. Aujourd’hui, il n’y a plus aucun projet qui est mis en œuvre par un élu sans une multitude d’études, de dossiers et de rapports réalisés par des bureaux d’études grassement rémunérés alors que la plupart du temps (dans les collectivités un tant soit peu structurées) les services pourraient tout aussi bien les réaliser. Au niveau de l’État c’est la même chose : combien de structures ad hoc, de groupes de réflexion, de rapports… sont créés chaque année sur des sujets quelconques. Hormis le fait de placer quelques amis politiques, ces structures ne visent qu’à "légitimer" la prise de décision.
[Mais c’est quoi, exactement, « les valeurs néo-libérales » ? Je commence à fatiguer de ces mots-valise qui ne veulent plus rien dire à force de servir de réceptacle pour désigner tout ce qui est négatif. Au moyen âge, tous ceux qui déplaisaient à l’Eglise catholique étaient qualifiés de Sodomites. Eh bien, à l’église du politiquement correct de gauche, on dit « néo-libéral »…]
Comme l’a dit Jonathan R. Razorback, le libéralisme a une acception beaucoup plus large que le néo-libéralisme. Ainsi même Keynes en son temps était considéré comme un libéral d’une part parce qu’il défendait sans compromis les libertés individuelles et d’autre part car l’interventionnisme qu’il prônait en matière économique permettait de corriger les maux du marché tout en maintenant le cadre capitaliste.
De même, il est intéressant de lire un des fondateurs du libéralisme, Adam Smith : on s’arrête généralement que sur la fameuse "main invisible du marché" mais Smith avait une vision beaucoup plus nuancée du libéralisme que ce qu’on veut lui faire dire aujourd’hui et il n’écartait pas l’intervention de l’État et la mise en place de mesures protectionnistes lorsque ceci était nécessaire.
Le néo-libéralisme s’est développé avec l’école de Chicago (Hayek, Friedman) qui considère que toute forme d’intervention de l’État est néfaste car elle conduirait à des résultats contraires à ceux escomptés. Ces économistes
défendent le désengagement de l’État, la privatisation et la déréglementation, l’affaiblissement des contraintes qui pèsent sur le marché du travail, telles que l’assurance-chômage et le salaire minimum. Pour la "nouvelle économie classique" (qu’on peut assimiler au néo-libéralisme), tout chômage est volontaire et résulte d’un choix des travailleurs (ce n’est pas ce qu’a laissé entendre Rebsamen ?).
[Si Valls déclare son « amour » aux entreprises, aux bonzes ou aux socialistes, c’est parce qu’il a besoin de leur soutien, pas parce qu’il partage leurs idées].
Ils ont donc des idées mais pas d’idéologie. Je ne comprends pas très bien…
@kadhafy
[On se sera mal compris. Quand je parle de délégitimation du politique, je ne prétends que les citoyens vont se révolter et devenir des "désobéisseurs". Il s’agit simplement de constater la crise de la démocratie (abstention record, votes protestataires) et surtout la totale absence de confiance des citoyens envers les politiques (le fameux "tous pourris"). C’est tout cela qui conduit à créer des subterfuges à la démocratie représentative.]
Mais c’est quoi exactement la « légitimité du politique » ? Le politique est là pour faire des normes. C’est sa raison d’être. Dès lors que les normes que fait le politique sont obéies, peut on parler d’une crise de la « légitimité » ? Je ne le pense pas.
Qu’on pense pis que pendre des hommes politiques est une chose, qu’on les trouve « illégitimes », c’en est une autre. Contrairement à un certain discours moralisant, la « légitimité » n’a rien à voir avec l’honnêteté, la moralité, ni même la compétence. Dans un système démocratique, le politique retire sa « légitimité » de la délégation qu’il détient du souverain. Et le fait que les gens continuent à obéir aux normes que fait le politique montre qu’ils continuent à reconnaître à nos élus cette délégation, quelque soit leur comportement public ou privé, quelque soit le taux d’abstention associé à leur élection.
Si l’on cherche à contourner la démocratie représentative, ce n’est nullement pour cette raison. Il ne vous aura d’ailleurs pas échappé que les « contournements » proviennent à chaque fois des mêmes couches sociales…
[Il suffit d’avoir mis les pieds dans une collectivité territoriale pour comprendre ce que je veux dire. Aujourd’hui, il n’y a plus aucun projet qui est mis en œuvre par un élu sans une multitude d’études, de dossiers et de rapports réalisés par des bureaux d’études grassement rémunérés alors que la plupart du temps (dans les collectivités un tant soit peu structurées) les services pourraient tout aussi bien les réaliser.]
Je ne sais pas quel est l’exemple concret que vous avez en tête, mais en mon expérience, si l’on confie ces rapports à des bureaux d’études extérieurs, c’est bien parce que les services ne peuvent pas les réaliser. Par manque de compétences ou par manque de ressources en temps et en hommes. Et ce n’est pas anormal : il serait irrationnel pour une collectivité qui construit un bâtiment tous les vingt ans de salarier à demeure un bureau d’architectes capable de faire l’étude.
Mais sur le fond, l’exemple que tu donnes démontre exactement le contraire de ce que tu voulais démontrer. Tu parlais du « pouvoir des techniciens », mais finalement tu aboutis à la conclusion que l’on confie des rapports à des cabinets externes que l’on choisit de manière à « légitimer la prise de décision ». Ce sont donc bien les politiques qui prennent les décisions, les « techniciens » étant choisis ad hoc pour légitimer les décisions déjà prises. Où est alors ce « pouvoir des techniciens » que tu trouves exorbitant ?
[Au niveau de l’État c’est la même chose : combien de structures ad hoc, de groupes de réflexion, de rapports… sont créés chaque année sur des sujets quelconques. Hormis le fait de placer quelques amis politiques, ces structures ne visent qu’à "légitimer" la prise de décision.]
Pas seulement. Avec les cures d’amaigrissement successifs, les services de l’Etat en sont réduits à gérer les urgences et les problèmes quotidiens. Ils n’ont ni le temps ni les ressources pour se lancer dans la réflexion prospective. La création de structures ad hoc ou de groupes de réflexion extérieurs aux services répond à ce problème. Par ailleurs, tu ne peux pas soutenir d’une part que ces groupes sont crées avec pour seul but de légitimer des décisions prises par le politique, et d’autre part que les techniciens ont un pouvoir excessif.
[Comme l’a dit Jonathan R. Razorback, le libéralisme a une acception beaucoup plus large que le néo-libéralisme. Ainsi même Keynes en son temps était considéré comme un libéral d’une part parce qu’il défendait sans compromis les libertés individuelles et d’autre part car l’interventionnisme qu’il prônait en matière économique permettait de corriger les maux du marché tout en maintenant le cadre capitaliste.]
Bien entendu. Le libéralisme est un « système de pensée », une idéologie avec un corpus qui lui est propre – et qui d’ailleurs a été largement intégré dans la réflexion de beaucoup de penseurs progressistes. Le « néo-libéralisme », à l’opposé, est une sorte de croquemitaine, un mot-valise devenu pour le « politiquement correct de gauche » le réceptacle de tout ce qui est négatif. On y trouve du coup des choses aussi diverses que l’évaluation des politiques publiques, la sélection à l’université ou le « patriarcat »…
[Le néo-libéralisme s’est développé avec l’école de Chicago (Hayek, Friedman) (…)]
Sans le vouloir, vous donnez peut-être le meilleur exemple de la manière dont le label « néo-libéral » est construit par amalgames. Hayek n’appartient pas à l’ecole de Chicago, mais à l’école de Vienne. Ce n’est pas parce que Friedman et Hayek sont tous deux libéraux, qu’ils sont d’accord. En fait, sur beaucoup de points ils sont farouchement opposés.
[(…) qui considère que toute forme d’intervention de l’État est néfaste car elle conduirait à des résultats contraires à ceux escomptés. Ces économistes défendent le désengagement de l’État, la privatisation et la déréglementation, l’affaiblissement des contraintes qui pèsent sur le marché du travail, telles que l’assurance-chômage et le salaire minimum.]
Oui, mais ils défendent aussi l’affaiblissement des contraintes qui pèsent sur l’individu. A ce titre, ils sont partisans de la liberté de circulation et d’établissement. En bonne logique, on devrait considérer tous les partisans de la régularisation des « sans papiers » comme des « néo-libéraux ».
Vous illustrez parfaitement mon point : on a du mal à trouver aujourd’hui un mouvement politique qui ait un corpus de pensée cohérent. Au contraire, on picore en prenant telle idée chez les marxistes, telle autre chez les néo-libéraux, une troisième chez les keynésiens, une quatrième dans la doctrine sociale de l’Eglise… et au bout du compte, on est dans la contradiction permanente.
[Ils ont donc des idées mais pas d’idéologie. Je ne comprends pas très bien…]
Qu’est ce que vous ne comprenez pas ? On peut avoir des idées sans avoir d’idéologie. Moi, par exemple, je pense qu’il est très mauvais de manger lourd le soir. C’est une idée, ce n’est pas une idéologie…
Bonsoir Descartes,
Tout ce que vous écrivez sonne très juste. Mais (il a toujours un mais, cet éternel empêcheur de penser en rond), on gagnerait peut-être en clarté en désignant les politiques menées comme néolibérales. Je précise mon propos :
Le libéralisme classique, celui de Locke, Montesquieu, Adam Smith et autres (je fais abstraction des divergences internes de ces penseurs), est essentiellement une affirmation de droits individuels contre l’arbitraire royal et du « laissez-faire » contre le colbertisme. Le libéralisme est partisan d’un État régalien limité et de la « liberté d’entreprendre ».
A l’inverse le néolibéralisme (triomphant en France sous Mitterrand) ne s’oppose pas à l’interventionnisme royal mais à l’État-Providence d’après-guerre, dont il détruit les mécanismes de redistribution et de protection sociale, ainsi qu’à la régulation financière et au protectionnisme. Mais dans les faits, et bien qu’antisocial, il ne conduit pas vers un État minimal, il substitue seulement chez les élites polico-administratives un référentiel « gestionnaire » contre le référentiel « bâtisseur/planificateur » qui prédominait pendant les Trente Glorieuses (je précise que cette notion de référentiel n’est pas de moi, mais de Pierre Muller (http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Muller_(universitaire) ).
L’État néolibéral se caractérise également par accroissement de la place de l’évaluation (à tous les niveaux), ce qui génère une hausse de la dépense publique soit par créations d’organismes publics d’évaluation, soit pour payer des organismes privés. Depuis le tournant néolibéral, la bureaucratie d’État n’a pas diminué en effectif ou en puissance, elle a simplement été réorganisée. Les administrateurs de la fonction publique tendent à devenir des managers.
Les néolibéraux sont donc de faux libéraux. L’objectif des premiers était de rompre avec les guerres qu’ils percevaient comme une conséquence du mercantilisme, de développer le commerce international. L’obsession des néolibéraux est l’extension du contrôle (le recours aux sondages n’est que la marque la plus visible d’un fichage généralisé. Et je n’ai pas le temps d’aborder l’inflation carcérale qui est une conséquence de la prolétarisation croissante…).
Parler de politique néolibérale ou de gestionnarisme à courte vue (pléonasme) me semble donc un peu plus précis que de vilipender une « politique du chien crevé au fil de l’eau » -même si la formule sonne encore une fois très juste.
En outre il faudrait montrer en quoi cette politique préserve les intérêts de la bourgeoisie et des classes moyennes (pour peu que l’on admette le rôle qui est celui des classes moyennes dans votre reconceptualisation du conflit de classe). Mais c’est un autre sujet.
@ Jonhathan R. Razorback
[Tout ce que vous écrivez sonne très juste. Mais (il a toujours un mais, cet éternel empêcheur de penser en rond), on gagnerait peut-être en clarté en désignant les politiques menées comme néolibérales.]
Je vous mets au défi de donner une description précise de ce qu’est le corpus « néo-libéral ». Aussi longtemps qu’on n’aura pas cette description, « néo-libéral » restera un mot-valise censé recouvrir tous les maux, un peu comme « sodomite » au XIIème siècle.
[Le libéralisme classique, celui de Locke, Montesquieu, Adam Smith et autres (je fais abstraction des divergences internes de ces penseurs), est essentiellement une affirmation de droits individuels contre l’arbitraire royal et du « laissez-faire » contre le colbertisme. Le libéralisme est partisan d’un État régalien limité et de la « liberté d’entreprendre ».]
C’est une description caricaturale. Le libéralisme ne se contente pas d’une affirmation de « droits individuels ». Il va beaucoup plus loin. Il établit une séparation entre la sphère publique, soumise au contrôle non seulement de « l’arbitraire royal » mais aussi de l’église ou de la société, et une sphère privée dans laquelle chacun est parfaitement libre de faire ce qu’il veut. Et postule que la sphère publique doit se réduire à ce qui doit impérativement être réglé en commun, et que tout le reste doit appartenir à la sphère privée.
[A l’inverse le néolibéralisme (triomphant en France sous Mitterrand) ne s’oppose pas à l’interventionnisme royal mais à l’État-Providence d’après-guerre, dont il détruit les mécanismes de redistribution et de protection sociale, ainsi qu’à la régulation financière et au protectionnisme.]
J’avoue que je ne vois pas la différence en ce qui concerne le corpus idéologique entre le « néo-libéralisme » – que vous vouez aux gémonies – et le « libéralisme » tout court, que vous semblez accepter. Si Locke, Smith ou Montesquieu avaient connu l’état-providence, ils auraient été horrifiés. Le libéralisme, en prônant une sphère publique réduite au minimum et une sphère privée aussi grande que possible, s’oppose aussi à l’Etat-providence, même si pour des raisons évidentes les théoriciens du XVIIIème siècle n’étaient pas en mesure d’en faire la critique.
[L’État néolibéral se caractérise également par accroissement de la place de l’évaluation (à tous les niveaux), ce qui génère une hausse de la dépense publique soit par créations d’organismes publics d’évaluation, soit pour payer des organismes privés.]
Là, vous faites un énorme contresens. L’évaluation n’est nullement une idée « néo-libérale ». En fait, c’est tout le contraire : ce sont les « planistes », inspirés par les idées de planification économique mises en œuvre dans l’Union Soviétique naissante, qui introduisent les premiers l’idée d’évaluation sous sa forme moderne. Et si l’idée est aujourd’hui presque universellement acceptée, c’est parce qu’elle est bonne. J’avoue que j’ai beaucoup de mal à comprendre l’opposition de la gauche à l’idée d’évaluation des politiques publiques. En quoi serait-il déraisonnable de vérifier que l’argent public est dépensé de la manière la plus efficace pour atteindre les objectifs fixés ?
En fait, les libéraux seraient plutôt contre l’évaluation. Pensez par exemple aux notes à l’école. Qui est aujourd’hui pour la suppression des notes ? Les « libéraux-libertaires », justement…
[Depuis le tournant néolibéral, la bureaucratie d’État n’a pas diminué en effectif ou en puissance, elle a simplement été réorganisée. Les administrateurs de la fonction publique tendent à devenir des managers.]
J’aimerais bien que vous m’indiquiez quel est précisément le changement.
[Les néolibéraux sont donc de faux libéraux. L’objectif des premiers était de rompre avec les guerres qu’ils percevaient comme une conséquence du mercantilisme, de développer le commerce international. L’obsession des néolibéraux est l’extension du contrôle (le recours aux sondages n’est que la marque la plus visible d’un fichage généralisé.]
Mais encore une fois, le « fichage généralisé » n’est pas une création des « néo-libéraux ». Là encore, ce sont plutôt les « planistes » qui ont eu cette idée. Exemple : le numéro national d’identification – devenu numéro de sécurité sociale – qui date des années 1930. On dit que lorsqu’on veut noyer son chien on l’accuse de la rage. Dans votre cas, vous voulez noyer cette nébuleuse vague que sont les « néo-libéraux », et alors vous les accusez de tous les maux – ou supposés tels – du monde moderne. Désolé, mais non. Les « néo-libéraux » façon Reagan ou Thatcher n’étaient nullement partisans de « l’extension du contrôle ». Au contraire.
[Et je n’ai pas le temps d’aborder l’inflation carcérale qui est une conséquence de la prolétarisation croissante…).]
Je ne vois pas très bien le rapport entre la population carcérale et la « prolétarisation ».
[Parler de politique néolibérale ou de gestionnarisme à courte vue (pléonasme) me semble donc un peu plus précis (…)]
Ah bon ? On ne sait toujours pas très bien en quoi consiste exactement le « néo-libéralisme », mais cela vous semble « plus clair » ?
Désoler, mais non. Je n’ai pas envie de tomber dans le travers qui consiste à jouer avec les étiquettes. Je n’ai pas besoin d’un croquemitaine pour penser. Le problème aujourd’hui, ce n’est pas que nos hommes politiques adhèrent au « mauvais » système de pensée (appelez le comme vous voulez, cela n’a pas d’importance). C’est qu’ils n’ont plus de système de pensée qui puisse leur servir de référence.
[En outre il faudrait montrer en quoi cette politique préserve les intérêts de la bourgeoisie et des classes moyennes (pour peu que l’on admette le rôle qui est celui des classes moyennes dans votre reconceptualisation du conflit de classe). Mais c’est un autre sujet.]
Là, par contre la réponse est simple : Lorsque le politique suit la ligne de moindre résistance, le pouvoir appartient à ceux qui ont les moyens de faire peur au politique en lui montrant les dents. Et qui sont ces gens-là ? Les bourgeois, qui contrôlent les choses, et les classes moyennes, qui contrôlent les idées.
Pour compléter,mon post précédent qui montrait que la 5ième république peut sécuriser la société contre une politique libérale,voici en quoi les ‘objectifs affichés” du pacte de responsabilité donne un coup de canif au pacte social de la 5ième république.En effet,le pacte que Valls/François Hollande entendent passer avec le patronat vise une triple diminution :celle du « coût du travail » avec l’extinction du financement par les entreprises de la branche
famille de la protection sociale ; de l’impôt sur les sociétés (IS) ; des dépenses de service
public (53 Mds € d’ici à 2017). Pourtant, la politique systématique de baisse des « charges
sociales » appliquée depuis 1992, prétendant inciter les entreprises à créer des emplois
et à ne pas délocaliser, est un véritable fiasco.En réalité, les gestionnaires des entreprises vont utiliser les profits supplémentaires rendus disponibles par le pacte de responsabilité pour payer des intérêts aux créanciers, verser
des dividendes, racheter leurs propres actions, spéculer et, dans le cas de nombre de PME-TPE, redresser leur trésorerie. D’autant que le violent coup de frein prévu sur les dépenses publiques raréfiera la demande intérieure et freinera un peu plus la croissance.Heureusement,ce projet a peu de chances d’être concrétisé.Même Sarkozy n’avait pas pu le mettre en oeuvre.Il s’était contenté d’augmenter de 600 millions d’euros le déficit ce qui a permis à la France de conserver son modèle social collectiviste malgré la crise… 5ième république oblige!…Aucun candidat à l’élection présidentielle ne peut imaginer se représenter s’il a démoli les acquis sociaux des français.Cela devrait permettre à Sarkozy d’annoncer sa candidature..
« En fait, les libéraux seraient plutôt contre l’évaluation. Pensez par exemple aux notes à l’école. Qui est aujourd’hui pour la suppression des notes ? Les « libéraux-libertaires », justement… »
Si j’en juge par les prises de position d’Aristide Renou (blogeur « libéral-conservateur » qui fait comme vous un excellent travail de fond), le rejet des évaluations scolaires n’a rien à voir avec le libéralisme (cf : http://aristideter.blogspot.fr/2014/06/puisquon-vous-dit-quil-faut-po-si-ti-ver.html ).
« Je ne vois pas très bien le rapport entre la population carcérale et la « prolétarisation ».
La seconde tend à augmenter la première, donc les dépenses publiques.
[Si j’en juge par les prises de position d’Aristide Renou (blogeur « libéral-conservateur » qui fait comme vous un excellent travail de fond), le rejet des évaluations scolaires n’a rien à voir avec le libéralisme]
L’article de Renou – en fait un extrait de l’excellent livre de Mara Goyet – ne dit rien de tel. Il ne parle même pas de "libéralisme". Cependant, on peut dire que la méritocratie républicaine est profondément "antilibérale" au sens où elle met des barrières à l’entrée dans les différents segments du marché du travail. Un système sans notes et sans diplômes, ou chacun serait recruté en fonction de ses performances effectives, voilà le rêve libéral.
[« Je ne vois pas très bien le rapport entre la population carcérale et la « prolétarisation ». La seconde tend à augmenter la première, donc les dépenses publiques.]
Mais d’où sortez vous que la prolétarisation "tend à augmenter" la population carcérale ? A ma connaissance, les prolétaires ne sont pas plus "criminels" que les autres. L’essentiel de la population carcérale provient du lumpenprolétariat, et non du prolétariat lui même…
Tout arrive ,même les titres provocateurs .
Or le blog de Descartes me semblait éviter la polémique dans un blog et lui préférer la contreverse .
Comment interpréter,ce titre,’Valls n’est pas libéral’?Eclat de rire métaphorique?invitation à la réflexion?
Mais au fond ,il s’agit de présenter un texte argumenté sur le blog de Descartes et accepter qu’il soit critiqué.
C’est la confrontation des idées qui permet l’émergence d’un discours plus affûté.
En quoi ‘Valls est il libéral ?
Pour l’instant,dans ses rêves.
C’est cela qui est politiquement sensible car M.Valls est le premier ministre de notre république sociale,la 5ième république.
Par conséquent ,il ne peut être libéral que dans ses rêves.Pourquoi?parce que Tout arrive ,même les titres provocateurs .
Or le blog de Descartes me semblait éviter la polémiques dans un blog et lui préférer la contreverse . Comment interpréter,ce titre?’Valls n’est pas libéral’
Mais au fond ,il s’agit de présenter un texte argumenté sur le blog de Descartes et accepter qu’il soit critiquer.C’est la confrontation des idées qui permet l’émergence d’un discours plus affuté.
En quoi Valls est il libéral ?
Pour l’instant,dans ses rêves.Pourquoi,parce que nos institutions rejettent le libéralisme.
C’est cela qui est politquement sensible car M.Valls est le premier ministre de notre république sociale,la 5ième république.
Par conséquent ,il ne peut être libéral que dans ses rêves ou de façon partielle,verbeuse..
Il en fut de même pour Sarkozy,Chirac,Mitterand,Pompidou,De Gaulle.
En effet je rappelle que plus de 57% du PIB français est (heureusement) géré par l’ensemble des collectivités française.
Or M Valls n’a pas le rapport de force,pour que ses rêves libéraux se transforment en politique libérale dans notre république sociale,la 5ième république.,en septembre 2014.Trop tard,ce sera pour la prochaine fois.
En ce sens,je suis d’accord,Valls n’est pas libéral.
Il n’a pas les moyens politiques de l’être même s’il en rêve.
Il est comme Holland,Sarkozy,Chirac,Mitterand,Pompidou,De Gaulle.Car c’est la force de la 5ième républicain,le contrat social non-libéral issu du CNR.
C’est la raison pour laquelle je me méfie de la 6ième république dont Jean Marie Lepen avait demandé l’instauration dès 1997!
Elle ne peut être que libérale au vu du rapport de force actuel.
Là,Oui,dans une sixième république,Valls aurait pu être libéral
Pas dans la cinquième qui protège Holland et notre modèle social.
Il en fut de même pour Sarkozy,Chirac,Mitterrand,Pompidou,De Gaulle.
En effet je rappelle que plus de 57% du PIB français est (heureusement) géré par l’ensemble des collectivités française.
Or M Valls n’a pas le rapport de force,pour que ses rêves libéraux se transforment en politique libérale dans notre république sociale,la 5ième république.,en septembre 2014.
En ce sens,je suis d’accord,Valls n’est pas libéral.
Il n’a pas les moyens politiques de l’être même s’il en rêve.Il est comme Holland,Sarkozy,Chirac,Mitterand,Pompidou,De Gaulle.Car c’est la force de la 5ième républicain,le contrat social non-libéral issu du CNR.
C’est la raison pour laquelle je me méfie de la 6ième république dont Jean Marie Lepen avait demandé l’instauration dès 1997!Elle ne peut être que libérale au vu du rapport de force actuel.Là,Oui,dans une sixième république,Valls aurait pu être libéral.Pas dans la cinquième qui protège Holland et notre modèle social.jusqu’à quand?
@ bovard
[Tout arrive ,même les titres provocateurs.]
De nos jours, faut ça si vous voulez être lu. « Les temps changent, et nous changeons avec les temps »…
[En quoi Valls est il libéral ? Pour l’instant, dans ses rêves.]
Justement, je ne le crois pas. En fait, la culture française étant ce qu’elle est, j’ai croisé très peu d’hommes politiques français qui « rêvent » véritablement d’un France libérale. Vous trouverez bien sûr un Madelin pour déclarer en prenant les rênes du ministère de l’industrie que son rêve était que ce ministère disparaisse. Mais à ma connaissance, c’est un cas unique. Pouvez-vous me donner le nom d’un seul politique français qui, devant la faillite d’une grande entreprise de sa circonscription, ait publiquement déclaré que c’est très bien comme ça, que c’est la dure loi du marché et qu’il faut l’accepter ? Un seul homme politique qui dans cette situation n’ait pas cherché à sauver l’entreprise en question avec de l’argent public ?
Personne, et surtout un homme politique, ne vient vierge au monde. Les hommes politiques sont issus d’une société qui a une histoire, et cette société, cette histoire les marque. La France existe du fait de l’Etat central qui a progressivement agrégé puis façonné des territoires périphériques. Et l’Etat reste, pour nos concitoyens, une entité bienveillante et qui nous protège non seulement des aléas mais aussi de la rapacité des coteries et des communautés. En France, les hommes politiques rêvent de piloter cette entité, pas de l’affaiblir. Si des politiques libérales sont appliquées en France, c’est beaucoup moins parce que nos hommes politiques y croient, mais parce qu’ils n’ont rien d’autre en magasin. En d’autres termes, parce que les « anti-libéraux » ont été incapables de proposer des politiques alternatives qui soient à la fois rationnelles et qui répondent aux intérêts des classes dominant aujourd’hui la politique. La défaite des « anti-libéraux » est une défaite intellectuelle bien avant d’être une défaite politique.
[En ce sens,je suis d’accord,Valls n’est pas libéral. Il n’a pas les moyens politiques de l’être même s’il en rêve.]
Mais vous n’avez toujours pas démontré qu’il « en rêve ». Il ne suffit pas de le dire pour que ce soit vrai. Trouvez-vous vraiment qu’on puisse considérer Valls comme partisan du « laissez-faire, laisser passer » ?
[Il est comme Hollande, Sarkozy, Chirac, Mitterrand, Pompidou, De Gaulle. Car c’est la force de la 5ième république, le contrat social non-libéral issu du CNR.]
C’est bien plus profond que ça. La France s’est construite autour de l’Etat. Et c’est pourquoi nous français nous avons cette tendance à nous retourner vers l’Etat. Notre histoire, nos représentations sont profondément antilibérales. Et cela apparaît dans le comportement de nos leaders qui sont souvent des « malgré nous » du libéralisme. Le cas le plus extrême est celui de Pierre Bérégovoy, que cette dualité à conduit au suicide.
[C’est la raison pour laquelle je me méfie de la 6ième république dont Jean Marie Le Pen avait demandé l’instauration dès 1997! Elle ne peut être que libérale au vu du rapport de force actuel.]
Rassurez-vous, elle ne sera pas. Tous ceux qui parlent de « crise institutionnelle » se foutent le doigt dans l’œil. Ce n’est pas parce que les gens râlent – surtout en France ! – qu’il y a « crise ». Les institutions politiques sont en « crise » lorsqu’elles n’arrivent plus à se faire obéir. En 1958, les institutions étaient en crise parce que le pays ne répondait plus, le gouvernement voyait ses ordres ignorés et son autorité défiée jusqu’au putsch. En 1940 les institutions étaient en crise parce que le territoire national était envahi et son autorité disputée. Mais aujourd’hui, rien de tel. Il n’y a pas d’émeute dans les rues. L’armée, la police, l’administration obéissent à l’autorité politique. Les lois et les décrets sont régulièrement publiés et ils sont appliqués. Alors, ou est la « crise institutionnelle » ?
Bonjour,
billet amusant, mais bien trompeur: l’idéologie de Valls, Hollande … c’est l’idéologie dominante, celles des couches dominantes. Tout pour les profits. Et pour cela du libéralisme (économique) quand cela va, de l’étatisme quand les profits viennent des commandes de l’état, et même du protectionisme quand cela arrange.
Mais j’en profite pour vous demander quelle mouche à piqué JL Mélenchon. Le voila qui, déçu de ne pas avoir du premier coup rallié le PCF à ses vues, veut rassembler autour de lui "le peuple" "les gens" pour une sixième république. Une sorte de Bayrou transcendant les partis, pour un projet qui n’intéressera que la classe politique, et les intellectuels.
Autrement dit il abandonne définitivement et officiellement les préoccupations des ouvriers/ employés (le chômage, les salaires, l’emploi, la santé, l’éducation) pour se lancer dans le projet fumeux d’un changement constitutionnel.
Décidement la constance n’est pas son fort, sauf son orientation à ne pas s’intéresser aux couches populaires, qui trouvent en M le Pen quelqu’un qui leur parle de ce qu’ils ressentent, alors que JL Mélenchon s’égare toujours … ailleurs.
Vous écrivez souvent que JL Mélenchon est quelqu’un de très bien, de très cultivé, qui aurait pour seul défaut d’être mal entouré. Je n’en crois rien à voir son comportement public. Et c’est cela seul qui compte pour un homme politique.
@ marc malesherbes
[billet amusant, mais bien trompeur: l’idéologie de Valls, Hollande … c’est l’idéologie dominante, celles des couches dominantes. Tout pour les profits. Et pour cela du libéralisme (économique) quand cela va, de l’étatisme quand les profits viennent des commandes de l’état, et même du protectionisme quand cela arrange.]
Il n’y a donc dans mon propos rien de « trompeur ». En fait, vous êtes d’accord avec moi : Valls n’est pas plus « libéral » que « étatiste ». Sa politique est moins guidée par une idéologie que par un intérêt. Il peut être libéral, étatiste, libre-échangiste ou protectionniste en fonction de « l’intérêt des couches dominantes ».
[Mais j’en profite pour vous demander quelle mouche à piqué JL Mélenchon. Le voila qui, déçu de ne pas avoir du premier coup rallié le PCF à ses vues, veut rassembler autour de lui "le peuple" "les gens" pour une sixième république. Une sorte de Bayrou transcendant les partis, pour un projet qui n’intéressera que la classe politique, et les intellectuels.]
Honnêtement, je ne sais pas. Je dois dire que j’ai perdu progressivement l’intérêt pour l’expérience Mélenchon, et que si je lisais il y a encore quelques mois avidement tout ce qui était produit de ce côté-là, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Connaissant un peu le personnage, je pense qu’il est au bout du rouleau. L’échec de la stratégie d’OPA sur le PCF est aujourd’hui évident. Et il n’a pas de stratégie de rechange véritablement excitante. Quelles sont les possibilités ? A la tête d’un PG, il a le choix de se résigner à une position de partenaire minoritaire du FdG – quitte à jouer le poil à gratter de temps en temps – ou jouer la stratégie de la rupture du FdG et devenir une sorte de NPA bis. Le PG était le véhicule de la stratégie d’OPA. Cette stratégie ayant échoué, autant passer à autre chose. A son âge, Mélenchon n’a pas envie d’user ses forces à bâtir un véritable parti, tâche qui, si elle devait réussir, ne devrait donner des fruits que dans dix ans. D’autant plus que les rapports à l’intérieur du PG se sont considérablement aigris entre les différentes factions qui le composent.
[Autrement dit il abandonne définitivement et officiellement les préoccupations des ouvriers/ employés (le chômage, les salaires, l’emploi, la santé, l’éducation) pour se lancer dans le projet fumeux d’un changement constitutionnel.]
Mais qui présente l’avantage considérable de pouvoir servir de plus grand commun dénominateur. Parler de chômage, de salaires, d’emploi, de santé ou d’éducation fait immédiatement apparaître les conflits d’intérêts entre les couches sociales. Il n’y a pas de politique de l’emploi, de salaires, de santé ou d’éducation qui fasse plaisir aux bourgeois de Versailles, aux bobos du Marais et aux ouvriers de Vénissieux. Par contre, on peut discuter pendant des heures s’il vaut mieux une assemblée nationale tirée au sort, élue à la proportionnelle ou bien au scrutin majoritaire sans offenser personne. De plus, la VIème République reste une fantasmagorie. En réalité, tous ceux qui déclarent « nous voulons une VIème République » disent en fait « nous ne voulons pas ce qui existe ». Et dans notre bon vieux pays gaulois et râleur, c’est une des rares choses qui permette de faire l’unanimité.
[Vous écrivez souvent que JL Mélenchon est quelqu’un de très bien, de très cultivé, qui aurait pour seul défaut d’être mal entouré.]
Plus que d’être mal entouré, il a le défaut de ne pas savoir s’entourer. Et ce n’est pas son « seul défaut ». Il a aussi celui d’avoir été trotskyste, maladie infantile qui laisse des séquelles chroniques.
[Je n’en crois rien à voir son comportement public. Et c’est cela seul qui compte pour un homme politique.]
Du point de vue du citoyen, c’est certain. Mais pour moi, Mélenchon n’est pas qu’un homme politique…
Bonjour,
[Je dois dire que j’ai perdu progressivement l’intérêt pour l’expérience Mélenchon, et que si je lisais il y a encore quelques mois avidement tout ce qui était produit de ce côté-là, ce n’est plus le cas aujourd’hui].
S’il y a quelque chose qui me subjugue dans le personnage de "Descartes" que vous offrez généreusement à vos lecteurs, c’est bien cette coexistence d’une énorme culture politique que vous déclinez sur de nombreux sujets avec une ingénuité qui caractérise votre rapport à Mélanchon. D’un coté une grande finesse des analyses associée à une logique sans faille, d’un autre coté une candeur stupéfiante quant à la densité politique de votre "protégé". Est ce pour vous une sorte de figure de rhétorique à l’usage de votre blog ou est ce plus authentiquement votre opinion intime?
JLM est-il l’incarnation du leader improbable que vous rêvez de soutenir, voire de conseiller?
Personnellement, ne vous arrivant pas à la cheville dans le domaines des arcanes politiques, je n’ai mis que quelques semaines à laisser tomber le boulet après avoir été séduit par un discours qui me semblait porteur de potentialités fortes. Et je crois que mon cas s’est répété des millions de fois. Est ce simplement de la lucidité et du bon sens rationnel et basique? Et l’on voit que l’esprit de finesse ne protège pas plus des fourvoiements que l’esprit de géométrie!
@marcailloux
[S’il y a quelque chose qui me subjugue dans le personnage de "Descartes" que vous offrez généreusement à vos lecteurs, c’est bien cette coexistence d’une énorme culture politique que vous déclinez sur de nombreux sujets avec une ingénuité qui caractérise votre rapport à Mélanchon.]
Ce n’est pas de « l’ingénuité ». C’est simplement que le Mélenchon que je connais n’est pas tout à fait celui qui paraît en public. Cela vous donne une autre approche du personnage. Je n’ai aucun penchant pour la méchanceté, et j’ai tendance à l’empathie avec les personnes que je connais, ou même avec celles que je trouve intéressantes. Plusieurs fois vous m’avez vu prendre la défense sur ce blog de Nicolas Sarkozy, estimant que le personnage n’est pas, contrairement à la peinture qui est souvent faite, le diable incarné. Et j’ai la même indulgence pour Mélenchon. Cela ne m’aveugle pas pour autant sur les insuffisances et les défauts en termes politiques de l’un et de l’autre.
[JLM est-il l’incarnation du leader improbable que vous rêvez de soutenir, voire de conseiller ?]
Certainement pas. Mais il faut faire avec ce qu’on a, et aucun De Gaulle ne se présente à l’horizon. En 2009, Mélenchon et son projet de « parti creuset » m’ont paru une alternative intéressante. Dans le désert politique dans lequel nous étions, c’était ce qu’on proposait de moins pire. C’est pour cela que je l’ai soutenu. Sans être aveugle – et vous pouvez consulter mes écrits de l’époque – sur le risque, compte tenu du passé de Mélenchon est surtout des gens qui l’entouraient, que ce projet sorte rapidement de ses rails pour reprendre le chemin habituel des groupuscules trotskystes reconvertis. Au fur et à mesure que ce risque se réalisait, au fur et à mesure qu’un retour au « parti creuset » devient de plus en plus théorique, l’expérience a perdu pour moi de son intérêt.
[Personnellement, ne vous arrivant pas à la cheville dans le domaines des arcanes politiques, je n’ai mis que quelques semaines à laisser tomber le boulet après avoir été séduit par un discours qui me semblait porteur de potentialités fortes.]
Contrairement à vous, j’avais été séduit non pas par un discours, mais par un projet. Un projet que j’avais eu l’occasion de discuter avec Mélenchon en personne, et dont je reste persuadé qu’au moins à l’époque c’était un véritable projet assumé, et non une simple tactique politique. C’est peut-être pour cela que j’ai attendu plus longtemps que vous avant de « laisser tomber le boulet ».
[Et je crois que mon cas s’est répété des millions de fois. Est ce simplement de la lucidité et du bon sens rationnel et basique? Et l’on voit que l’esprit de finesse ne protège pas plus des fourvoiements que l’esprit de géométrie!]
Je ne crois pas que ce soit du « bon sens ». Si l’on abandonne un mouvement dès l’apparition des premiers désaccords, on ne fait jamais rien. Il faut, avant d’abandonner, se convaincre qu’on est sur la mauvaise route et qu’on ne peut plus rien faire pour revenir sur la bonne…
Finalement, peut-on résumer le fond de la lutte en "bon sens" contre "sens commun" ?
@Raidaie
[Finalement, peut-on résumer le fond de la lutte en "bon sens" contre "sens commun" ?]
Non. Je pense que « bon sens » et « sens commun » sont presque synonymes. Non, l’opposition en fait est entre le « bon sens » et le savoir formalisé et théorisé.
Article intéressant qui permet de se "décrasser" (hélas pour un moment seulement…) des présupposés journalistiques et des formules creuses tellement répétées qu’elles en deviennent "vraies".
Peut-on faire l’économie de la notion marxiste d’idéologie? Ce n’est pas sûr.
Soyons sûrs que Valls et compagnie n’ont aucune pensée et aucun système de pensée. C’est pour cela qu’ils sont dans "l’idéologie".
L’idéologie, c’est au fond tout ce qui dispense de penser.
Jamais il n’y aura "fin des idéologies", car pour cela il faudrait que nous commencions à penser!
A quoi nous aide cet article utile.
De Gaulle avait-il une idéologie.?Sans doute, mais il pensait avant de lui obéir.
JPV
@ JPV
[Soyons sûrs que Valls et compagnie n’ont aucune pensée et aucun système de pensée. C’est pour cela qu’ils sont dans "l’idéologie". L’idéologie, c’est au fond tout ce qui dispense de penser.]
Non, justement. L’idéologie, c’est ce qui permet de penser. Pour penser – et cela suppose de penser à plusieurs, parce qu’on ne pense jamais tout seul, il faut un cadre de référence, c’est-à-dire, un « système de pensée ». Imaginer qu’on puisse penser le monde sans un « système de pensée », c’est imaginer qu’on puisse penser sans langage. Comment pouvez-vous penser la physique sans avoir admis par avance qu’il existe un monde réel, que celui-ci est causal, et qu’il n’y a pas un dieu là-haut qui s’amuse à en changer les règles en permanence ? Et bien, tous ces principes constituent une « idéologie ».
Vous comprenez maintenant pourquoi j’ai utilisé la formule « système de pensée » plutôt que « idéologie », alors que ce sont des synonymes. Seulement, la vulgate politiquement correcte a décrété que « l’idéologie » c’est le mal, et qu’il faut chercher les solutions dans la capacité des individus à penser en lui même, sans cadre de référence partagé. Mais cette vision nie l’histoire de la pensée. Ceux qui ont pensé, l’ont fait toujours dans un système de référence. Et lorsqu’ils ont trouvé ce système obsolète, ils ont cherché à en bâtir un nouveau système, et à le faire partager.
[Jamais il n’y aura "fin des idéologies", car pour cela il faudrait que nous commencions à penser!]
Au contraire : c’est parce qu’on est à la « fin des idéologies » – assumées comme telles – que nous avons tendance à ne plus penser.
[De Gaulle avait-il une idéologie.?Sans doute, mais il pensait avant de lui obéir.]
Mais on « n’obéit » pas à une idéologie. Une idéologie est une vision du monde, d’où il vient et où il va. De Gaulle avait certainement une idéologie, une idéologie nationaliste ou l’idée que « la France est faite pour la grandeur » était un principe indiscutable. Je ne pense pas que mongénéral ait jamais pensé quelque situation que ce soit autrement que dans le cadre de cette idéologie…
Un exemple particulièrement frappant dans l’état que vous décrivez est ce qu’on pourrait qualifier « d’inflation juridique ». ( vous l’effleurez cependant).
Qu’on me comprenne bien : je ne suis pas de ceux qui, sous prétexte de complexification et d’entraves à l’activité économique demandent en fait une réduction drastique du code du travail ou de l’impôt (dont l’IR, seul impôt proportionnel devrait être l’axe majeur) mais force est de constater que l’absence de « doctrine » conduit à réagir au coup par coup : un problème ? Qu’à cela ne tienne : sous les feux de l’actualité, de l’immédiat, une nouvelle règle est émise à grand renfort d’annonces.
Par contre quelques rares domaines existent où l’idéologie me semble bien rester présente : voyez les procès Baby Loup et autres en matière de laïcité où l’on se garde de légiférer. Cela concerne bien entendu la « gauche » mais tout autant la « droite ».
@morel
[Un exemple particulièrement frappant dans l’état que vous décrivez est ce qu’on pourrait qualifier « d’inflation juridique ». ( vous l’effleurez cependant).]
C’est moins « l’inflation » juridique que l’instabilité juridique que vous visez. Ce n’est pas tant la quantité de normes, mais leur qualité – et leur changement permanent au gré des scandales médiatiques – qui pose problème.
[Qu’on me comprenne bien : je ne suis pas de ceux qui, sous prétexte de complexification et d’entraves à l’activité économique demandent en fait une réduction drastique du code du travail ou de l’impôt (dont l’IR, seul impôt proportionnel devrait être l’axe majeur) mais force est de constater que l’absence de « doctrine » conduit à réagir au coup par coup : un problème ? Qu’à cela ne tienne : sous les feux de l’actualité, de l’immédiat, une nouvelle règle est émise à grand renfort d’annonces.]
Tout à fait. Et c’est souvent une règle rédigée à la va vite, sans réflexion approfondie de ses effets, et qui n’étant pas guidée par une « doctrine » précise obtient souvent des résultats paradoxaux. La loi Jacob interdisant la fracturation hydraulique en France – mais pas la recherche et l’exploitation des gaz de schiste – est un exemple insigne de ce genre de bêtise.
[Par contre quelques rares domaines existent où l’idéologie me semble bien rester présente : voyez les procès Baby Loup et autres en matière de laïcité où l’on se garde de légiférer. Cela concerne bien entendu la « gauche » mais tout autant la « droite ».]
Dès qu’on aborde des problèmes compliqués, les politiques prennent peur et préfèrent se décharger sur l’autorité judiciaire. D’où toute une série de questions de société – le voile, la fin de vie, la gpa – qu’on essaye de refiler aux tribunaux. Heureusement, notre autorité judiciaire – surtout en matière administrative – est assez consciente du danger et renvoie généralement les questions au politique. Mais il arrive qu’il soit obligé de trancher lui-même. L’affaire Baby Loup et les questions qu’elle pose auraient du être débattues au Parlement, et non dans les prétoires. Mais je suis d’accord avec vous : il est difficile de débattre de ce genre de questions sans l’appui d’un « système de pensée » qui donne une cohérence.
Tiens, ça faisait longtemps qu’un secrétaire d’Etat n’avait pas été mouillé dans un scandale.
Alors voici le scandale du jour :
Mercredi 10 septembre 2014 :
Le secrétaire d’État chargé des Anciens combattants et de la Mémoire est soupçonné d’avoir favorisé les sociétés de proches parents, dont son frère, dans l’obtention de contrats en Midi-Pyrénées.
C’est la société AWF, qui s’occupe de l’éclairage et de la sonorisation de cérémonies ou de colloques, et qui est notamment gérée, à en croire Le Canard Enchaîné, par le frère, la belle-soeur, le neveu et le cousin de Kader Arif, qui est ici visée. Au total, il s’agirait de 2 millions d’euros (1.730.000 € selon Le Canard Enchaîné) de contrats que la société AWF aurait engrangé de la Région depuis 2008.
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/09/10/01016-20140910ARTFIG00400-kader-arif-ouverture-d-une-enquete-preliminaire-sur-l-attribution-de-marches-a-des-proches.php
@BA
J’avoue que je ne comprends pas très bien cette digression sur Kader Arif. Franchement, est-il besoin de ressortir encore un scandale pour illustrer les mœurs de notre classe politique ? Annoncer que tel ou tel ministre a profité de son poste pour enrichir quelqu’un – sa famille, un lobby, peu importe – c’est un peu comme annoncer que le soleil s’est levé à l’est ce matin.