Portrait de Valls en Saint Laurent

Il n’y a pas que les discours de Mélenchon dans la vie. Ce week-end, on pouvait écouter des discours autrement plus intéressants pour qui veut observer la vie politique française. Je veux parler, bien entendu, des discours prononcés par Arnaud Montebourg et Benoît Hamon à la « Fete de la Rose » de Frangy-sur-Bresse. Il faut dire que notre ministre de l’économie et du redressement productif national (je sais qu’il tient à ce titre) a su, au cours des années, faire de cette fête à priori provinciale un événement national qui lui offre une tribune de rentrée privilégiée. Comme quoi, cela paye en politique d’établir des rituels et des continuités plutôt que de faire du « neuf » et de « l’inédit » en permanence.

Je dois avouer que je n’ai pas supporté l’écoute du discours de Benoît Hamon. Je n’arrive d’ailleurs pas à comprendre comment un personnage aussi falot, aussi dépourvu de toute idée personnelle, sans le moindre charisme, peut occuper une place aussi importante dans les équilibres internes du PS et dans la politique nationale. Mais vous m’accorderez qu’ayant écouté le même dimanche une heure dix de Mélenchon puis quarante-cinq minutes de Montebourg, je peux estimer avoir fait mon devoir de citoyen.

Je ne commenterai pas ici en détail le discours de Montebourg. Disons qu’il comptait deux parties différentes. Une partie pour mettre en valeur l’action de l’auteur – c’est humain – en soulignant tout ce qui a été accompli dans le domaine du « patriotisme économique » ou dans le dossier Alstom, et pour annoncer l’action future du ministre qui semble croire qu’on peut redonner du pouvoir d’achat aux français et relancer l’économie en supprimant le monopole des notaires ou celui des banques. Mais la partie la plus notable, c’était bien évidement l’attaque à boulets rouges contre les institutions européennes autant que sur les têtes de l’exécutif français, accusés de suivre une politique imbécile d’austérité à tout crin qui tue la croissance et l’emploi. Avec une conclusion qui ne laissait pas d’ambiguïté : il faut changer de politique.

Cette sortie ne devrait surprendre personne par son contenu. Montebourg a fait, depuis de longues années, son fond de commerce à partir d’une contestation des politiques orthodoxes. Il faut d’ailleurs lui reconnaître, mérite rare entre les socialistes, d’avoir montré un certain courage en 1992 en votant contre la ratification du traité de Maastricht. Tout le monde sait qu’il ronge depuis deux ans son frein en participant à un gouvernement dont la politique économique, c’est le moins qu’on puisse dire, est à l’opposé des conceptions qu’il défend. Dans sa gestion de son ministère, il s’est entouré d’une équipe militante qui s’agite en permanence – pas toujours à bon escient, malheureusement – pour infléchir la politique du gouvernement dans un sens plus keynésien, quitte à se faire « recadrer » de temps en temps par le Premier ministre ou le président. Mais jusqu’ici, Montebourg a toujours maintenu publiquement une ligne stricte d’adhésion à la solidarité gouvernementale, et de soumission au président et – avec quelques accrocs – au Premier ministre. Le discours de dimanche dernier rompt avec cette ligne, en attaquant frontalement la politique économique du pays, et donc par élévation – car elles n’ont pas été explicitement nommées – les deux têtes de l’exécutif qui sont responsables du choix et de la conduite de la politique en question.

Mais en politique, tout est dans le timing. A rien ne sert d’avoir raison, encore faut-il avoir raison au bon moment. Pourquoi Montebourg – comme Duflot, d’ailleurs – passent tout à coup à l’offensive ? Cela fait déjà deux ans que le gouvernement socialiste est en place, et sa politique économique n’a pas varié d’un iota. Il n’a pas fallu deux mois pour qu’il devienne évident que les rodomontades du candidat Hollande sur une « rénégociation du TSCG » et sur une « politique de croissance » seraient rangées dans le placard aux accessoires électoraux sans autre forme de procès. Dès le départ, on a fait de la réduction de la dépense publique et des déficits en suivant les lignes directrices de la Commission européenne l’alpha et l’oméga de la politique économique. La priorité à la politique de l’offre a été affirmée par le président de la République de la manière la plus solennelle qui soit. Et l’arrivée de Valls à Matignon n’a de ce point de vue absolument rien changé. Alors, comment expliquer qu’après des mois de silence prudent, Montebourg prononce un tel discours aujourd’hui ?

Et le plus notable, c’est que Montebourg n’est pas seul. Partout, des dirigeants politiques qui s’étaient bien gardés de critiquer le président de la République sortent du bois. Cécile Duflot – qui, tout le monde le sait, n’agit que pour des idées sans que jamais les considérations de carrière entrent enligne de compte – commet un livre au vitriol. Benoît Hamon rejoint Montebourg dans ses critiques. Même Cambadélis s’y met. Tout cela sent la fin de règne. Comme disait un personnage britannique, « quand on est premier ministre, la loyauté d’un ministre, c’est le fait que sa peur de perdre son poste est un peu supérieure à son espoir de piquer le mien ». Montebourg, Hamon ou Duflot ont été des ministres parfaitement loyaux aussi longtemps que l’échec des politiques qu’ils condamnent aujourd’hui n’était pas évident. Si par un miracle l’austérité avait réussi à relancer la machine et redorer dans les sondages le blason des deux chefs de l’exécutif, ils auraient continué dans un parfait esprit de loyauté. En politique, cela ne paye pas de jouer les Cassandres : si vous prédictions catastrophiques se réalisent, personne ne s’en souviendra ou, pire, on vous reprochera de les avoir provoquées. Si elles ne se réalisent pas, vous aurez l’air d’un con. Mieux vaut continuer à faire comme si tout allait bien, madame la Marquise, et attendre les résultats.

Dans cette attitude qu’on voit à quel point les politiques aujourd’hui naviguent à vue, à quel point ils ne croient pas eux-mêmes dans la pertinence de leurs propres analyses. Il fut un temps où un homme politique pouvait quitter son poste parce qu’il était convaincu que les décisions prises ne pouvaient que conduire au désastre. Et il était considéré contraire à l’éthique de rester ministre pour mettre en œuvre une politique qui allait dans le mur. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, pour une génération de politiques qui conçoivent leur activité comme une profession. Aujourd’hui, l’art de la politique consiste à jouer sur les deux tableaux : rester dans le train du pouvoir aussi longtemps que possible, même si l’on est convaincu qu’il va dans le mur, et sauter juste avant la catastrophe pour ensuite critiquer le conducteur. Lorsque Duflot et Canfin sont descendus du train, beaucoup de commentateurs ont glosé sur les « désaccords politiques » supposés avoir entraîné ce départ. Mais très peu de gens ont remarqué que ces désaccords existaient dès juin 2012. Que le remplacement d’Ayrault par Valls n’a absolument rien changé à la politique économique et sociale du gouvernement. Alors, pourquoi être restés aussi longtemps, pourquoi partir alors ? Réponse : parce que Duflot et Canfin, qui voyaient les choses de l’intérieur, sont arrivés à la conclusion qu’il n’y avait plus rien à gagner à rester dans le train, sauf le fait de s’écraser contre le mur avec les autres. Qu’il était plus intéressant d’aller aux élections municipales en portant l’habit de celui qui a sacrifié les postes aux convictions, plutôt que l’inverse. Il fallait un « casus belli » pour rendre ce départ crédible, et on l’a trouvé : il paraît que EELV ne peut avoir des ministres dans un gouvernement dirigé par un monsieur qui dit des méchantes choses sur les Roms. Le chômage, l’austérité, c’est acceptable, la méchanceté avec les Roms, non. De toute évidence, c’est prétexte, et si Hollande avait été au faite de sa popularité, EELV serait resté, Roms ou pas Roms. Mais le rideau de fumée a parfaitement marché : même Mélenchon s’est laissé prendre, en voyant dans ce départ l’amorce d’un virage à gauche des égologistes.

Si aujourd’hui Montebourg et Hamon se préparent à sauter du train – ou à se faire éjecter, ce qui est encore plus intéressant politiquement – c’est parce qu’ils sont, eux aussi convaincus, que le mur est proche et qu’il n’y a plus rien à gagner à rester dans la cabine de pilotage. Car dans une logique normale, le gouvernement Valls est condamné. Un ministre ne peut attaquer la politique du gouvernement et rester ministre. Autrement, l’autorité du Premier ministre n’existe plus. Valls a donc maintenant le choix : soit il renvoie Montebourg de son propre chef, en protégeant le président de la République, soit il présente lui-même sa démission, obligeant Hollande à trancher le conflit entre lui et Montebourg.

Et, oh miracle du temps réel, j’apprends juste en tapant cet article – dans le train qui me conduit au boulot, et oui, les vacances sont finies – que Manuel Valls a présenté au président de la République la démission de son gouvernement… et qu’il a été chargé d’en former un nouveau. Le sens de l’arbitrage semble donc clair, et on voit mal comment Montebourg et Hamon pourraient rester dans le train. La formation du nouveau gouvernement risque d’être compliquée : après avoir perdu les egologistes, on perd l’aile gauche du PS. L’ouverture au centre ? Il faudra trouver des candidats au suicide, prêts à monter dans le train alors que celui-ci s’approche à toute vitesse du mur…

Si seulement il y avait quelque part un parti progressiste ayant un projet crédible à proposer au pays… aujourd’hui, il ferait un tabac.

Descartes

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34 réponses à Portrait de Valls en Saint Laurent

  1. santo dit :

    Quelle leçon tirer de la trahison de Montebourg mon commentaire ici http://contre-regard.com/la-trahison-de-montebourg/

    • Descartes dit :

      @ santo

      [Quelle leçon tirer de la trahison de Montebourg (…)]

      D’abord, il faudrait démontrer qu’il y a eu « trahison ». Je dois dire que je ne partage pas le diagnostic que vous faites dans votre article. Je ne crois pas un instant que les alternatives proposées par Montebourg – schématiquement, sa politique des « trois tiers » et en général l’idée de relance par la consommation en économie ouverte – constituent une alternative rationnelle aux politiques d’austérité. Mais de là à dire que les propositions de Montebourg « ne différent pas, au fond, de celles du couple Hollande-Valls », il y a un pas que vous franchissez à mon avis un peu vite. Il y a bien deux lignes politiques au Parti socialiste, et ces deux lignes étaient présentes jusqu’à lundi dernier, au gouvernement. Aucune des deux ne veut sortir de l’UE ou de l’Euro. Touts les deux acceptent peu ou prou ses disciplines. Toutes les deux voient dans un changement de la politique allemande la clé du problème. La différence est dans la tactique à adopter. Pour Hollande-Valls, il faut jouer les bons élèves, montrer qu’on est prêt à se serrer la ceinture et à se couper les deux bras s’il le faut pour gagner la bienveillance allemande. Pour Montebourg et les « frondeurs », il faut au contraire aller à la confrontation pour forcer l’Allemagne à se tourner vers une autre politique.

      Je ne partage pas du tout d’ailleurs l’idée que l’Allemagne – et Bruxelles dans son sillage – seraient prêts à s’engager dans une quelconque « relance », fut-ce en échange d’on ne sait quelles mirifiques « réformes ». Qu’est ce que l’Allemagne à a gagner d’une France plus compétitive ? Croyez-vous vraiment que l’Allemagne se soucie de notre bonheur ?

      Cela ne veut pas dire, bien entendu, que le coup d’éclat de Montebourg soit exclusivement motivé par des désaccords idéologiques. La conviction qu’on va dans le mur et que la collision n’est pas loin a sans doute pesé dans sa prise de risque. Mais il faut lui reconnaître une chose : sa posture critique par rapport aux politiques déflationnistes de François Hollande est publique et connue depuis longtemps. Le Président et son Premier ministre ne pouvaient pas être surpris qu’elle s’exprime avec de plus en plus de force au fur et à mesure que le désastre devient apparent.

  2. Ifig dit :

    Ta conclusion est intéressante, Descartes: "Si seulement il y avait quelque part un parti progressiste ayant un projet crédible à proposer au pays… aujourd’hui, il ferait un tabac."
    Si cet objet n’existe pas, c’est à mon humble avis parce qu’il ne peut pas exister: autrement dit, il n’y a pas d’alternative progressiste à la politique de Hollande. Les alternatives sont ou bien une politique de droite, c’est-à-dire un retour beaucoup plus brutal à l’équilibre financier, ou bien le repli nationaliste proposé par le FN. Tu peux éventuellement discuter sur un rythme un peu plus lent de réduction des déficits, mais une politique progressiste qui sortirait de l’UE ou plus généralement essaierait un développement purement national, en dehors de la globalisation, ce qui serait ta politique de choix, je n’y crois pas. Notre société est trop développée, trop interconnectée avec l’extérieur, pour se permettre d’envoyer balader les relations avec l’extérieur si facilement. Et aussi notre société est trop riche pour supporter une inflation généralisée. Quels exemples progressistes, de rupture avec la globalisation, peux-tu trouver? Argentine, Venezuela? Tu sais bien que leur politique ne mène nulle part (et eux ils ont la chance de disposer de ressources d’exportation garanties).
    Au plaisir de te lire toujours, en tout cas.

    • bovard dit :

      Ce n’est pas en suivant le lien proposé par Michel Santo que j’ai trouvé sa conclusion suivante.Elle pose une facette du problème;je cite Michel Santo :’En réalité, ce coup d’éclat de Montebourg anticipe une crise politique grave et une défaite programmée du PS aux prochaines présidentielles et législatives. Il fait le constat que rien ne fera changer l’opinion sur la politique menée par Hollande et se place donc dans l’hypothèse d’une sortie du gouvernement – par une démission assumée ou rapidement viré par Hollande et Valls – pour se poser en leader d’une gauche recomposée autour de sa personne. Question subsidiaire: ira-t-il à La Rochelle, à l’Université d’été du PS, pour y « vendre » son plan de carrière et sa trahison?’.
      Oui,il ira à La Rochelle.Non seulement le PS va redevenir un grand club de discussion impuissant mais n’oublions pas qu’il a rassemblé plus de 17% aux primaires contre 5% à Valls.
      Il a essayé de proposer une offre protectionniste qui est la seule qui pourra freiner le FN.
      Quant à Mélenchon qui prédit une insurrection en sa faveur pour 2017,il se trompe à moitié:l’insurrection aura lieu mais se fera en faveur du FN comme aux européennes de 2017..Les mêmes causes produiront les mêmes effets.

    • Descartes dit :

      @Ifig

      [Si cet objet n’existe pas, c’est à mon humble avis parce qu’il ne peut pas exister: autrement dit, il n’y a pas d’alternative progressiste à la politique de Hollande. Les alternatives sont ou bien une politique de droite, c’est-à-dire un retour beaucoup plus brutal à l’équilibre financier, ou bien le repli nationaliste proposé par le FN.]

      La langue française laisse toujours une ambiguïté à l’expression « il n’y a pas ». Lorsque vous dites « il n’y a pas d’alternative progressiste à la politique de Hollande », voulez vous dire qu’il est intellectuellement impossible d’en construire une, ou qu’une telle alternative ne peut réunir les conditions politiques de sa mise en œuvre ?

      Si c’est le deuxième sens que vous privilégiez, je partage jusqu’à un certain point votre diagnostic. Les classes moyennes sont acquises – dans les faits sinon dans le discours – à la doxa néo-libérale qui convient parfaitement à la préservation de ses intérêts, et les couches populaires n’ont aucune représentation politique en dehors du FN. Il n’y a donc pas de base sociologique aujourd’hui pour faire une « autre politique ».

      Je ne suis pas, par contre, persuadé qu’on ne puisse pas construire intellectuellement une alternative réaliste à cette politique. Je pense au contraire que c’est la tâche prioritaire. Je vois mal comment on pourrait détourner l’électorat populaire du FN sauf à pouvoir lui offrir une telle alternative.

      [Tu peux éventuellement discuter sur un rythme un peu plus lent de réduction des déficits, mais une politique progressiste qui sortirait de l’UE ou plus généralement essaierait un développement purement national, en dehors de la globalisation, ce qui serait ta politique de choix, je n’y crois pas.]

      Mais encore une fois, vous n’y croyez pas parce que cela vous semble théoriquement impossible, ou parce que la conjoncture socio-politique ne le permet pas ?

      [Notre société est trop développée, trop interconnectée avec l’extérieur, pour se permettre d’envoyer balader les relations avec l’extérieur si facilement.]

      Trouvez-vous que les USA aient « envoyé balader les relations avec l’extérieur » ? Pourtant ils ont toujours fait et font toujours du protectionnisme, et sans se cacher. Trouvez-vous que nos cousins de Grande Bretagne soient moins « interconnectés » que nous ? Pourtant, ils n’ont pas adhéré à la monnaie unique. Ils laissent flotter leur monnaie et ont une croissance supérieure à 2%. Il ne s’agit pas de se couper du monde, il s’agit de réguler nos rapports avec le monde au lieu de les subir.

      [Et aussi notre société est trop riche pour supporter une inflation généralisée.]

      Ca devrait s’arranger : donne quelques années aux socialistes, et nous serons suffisamment pauvres pour nous offrir l’inflation de nos rêves… 😉
      Plus sérieusement : il ne s’agit pas de « supporter une inflation généralisée », mais de maintenir une inflation raisonnable et contrôlée. Même les économistes les plus « orthodoxes » sont d’accord aujourd’hui pour déclarer qu’une inflation autour de 2% l’an est souhaitable pour éviter les risques d’hyperinflation et donner toute son efficacité à la régulation monétaire.

      [Quels exemples progressistes, de rupture avec la globalisation, peux-tu trouver? Argentine, Venezuela? Tu sais bien que leur politique ne mène nulle part (et eux ils ont la chance de disposer de ressources d’exportation garanties).]

      Certainement pas. Je pense avoir suffisamment critique les « illusions latino-américaines » de la gauche radicale pour qu’on puisse me reprocher ce genre d’illusion. En dehors du fait que ces pays sont horriblement mal gérés, ce sont des économies de rente. Ce n’est pas le cas de la France.

      Vous me demandez des exemples. J’en ai pas. Mais en économie, c’est très souvent le cas. Imaginez vous qu’on ait eu cette discussion en 1945. Vous me demanderiez un exemple de pays capitaliste ayant rompu avec la « doxa » libérale en créant une planification économique d’Etat, nationalisé le crédit et les services publics essentiels, redistribue une part importante de la richesse nationale à travers la sécurité sociale et la retraite. Qu’aurais-je pu vous répondre ? Et pourtant, cela a marché et nous a donné les « trente glorieuses », avec une croissance beaucoup plus ferme et plus rapide que celle de nos cousins britanniques qui, eux, sont restés plus libéraux… Tout au plus, on peut regarder des exemples partiels. Les USA pratiquent un protectionnisme avoué, et cela ne les empêche pas de croître. Les britanniques conservent le contrôle de leur monnaie, et outre-manche la croissance repart alors qu’elle est nulle en zone euro.

    • Ifig dit :

      " voulez vous dire qu’il est intellectuellement impossible d’en construire une, ou qu’une telle alternative ne peut réunir les conditions politiques de sa mise en œuvre ?"
      Un peu des deux. Je pense qu’une rupture avec la mondialisation impliquerait une perte de niveau de vie et donc du niveau de protection sociale dont bénéficie nos sociétés, et donc ne serait pas progressiste. Et je pense aussi que cette réalité est connue, même si inconsciemment, des citoyens, et donc empêche les conditions politiques de sa mise en oeuvre. (Je ne rentre pas dans tes distinctions classes moyennes/électorat populaire. Si les classes moyennes sont très nombreuses, elles ne forment pas une grosse partie du peuple?)

    • Ifig dit :

      Je t’avais fait une première réponse que tu n’as peut-être pas eu le temps de valider, alors quelques autres points plus détaillés. Qu’est-ce que pourrait être une alternative progressiste crédible à la politique actuelle?

      Je note d’abord que tu reconnais très honnêtement ne pas disposer de modèle. Tu parles ensuite des USA et du Royaume-Uni comme exemples partiels. Bon, d’accord ils indiquent qu’une politique un peu protectionniste fait sens et qu’une politique monétaire accommodante n’est pas synonyme de catastrophe inflationniste, mais quid de leur marché du travail? Quid de leur absence de services publics? Tu ne peux pas argumenter sérieusement qu’UK et USA ne sont pas insérés dans la mondialisation même si sur des modalités différentes des autres pays de l’UE ou que le Japon, ou bien sont un exemple progressiste.

      Les critiques "de gauche" de la politique actuelle qu’on entend souvent peuvent être classées à peu près comme suit:
      * il faut une transition écologique ou la décroissance: tu en penses autant de mal que moi (et si Duflot, Laurent, Mélenchon et Montebourg veulent se mettre d’accord sur un programme présidentiel en 2017, je veux voir la rubrique gaz de schiste/nucléaire)
      * il faut sortir de l’UE/de la mondialisation: je pense que tu irais vers là. Mais concrètement, est-ce que cela n’implique pas que nos multinationales se retrouvent évincées de leur positions extérieures? Comment on finance le déficit du commerce extérieur? Et qui prêtera pour combler le déficit du budget, qui malheureusement ne sert pas à des investissements mais à payer des dépenses de fonctionnement? Ou alors tu penses effectivement qu’une rupture avec la mondialisation impliquera aussi une mise à niveau de ses déficits de gré ou de force, et donc tu prévois une diminution beaucoup plus dure des dépenses de l’état? (C’est peut-être cohérent avec tes idées sur les classes moyennes: si tu avais été en responsabilité, je pense que tu n’aurais pas prioritairement embauché 60000 enseignants par exemple.) A noter que si la France disposait d’un budget et d’un commerce extérieur à l’équilibre, ce qui impliquerait des sacrifices forts sur le marché du travail, elle serait beaucoup plus à l’aise pour mener une politique protectionniste ou de refus de la dette.
      * il faut rester dans le cadre actuel mais réorienter l’Europe/assumer la confrontation avec l’Europe etc: la ligne Montebourg en gros. Je suis assez d’accord avec ton premier commentaire à santo: ce n’est pas une différence fondamentale entre Montebourg et Hollande, mais plus tactique. Je pense que Hollande a raison de refuser la confrontation pour une raison très simple: un gouvernement français "responsable" (issu d’un parti "de gouvernement") n’ira jamais au bout de cette logique, c’est-à-dire être prêt à effectivement quitter la zone euro. Quand on est pas prêt à mettre en oeuvre une menace, et que c’est évident, cela ne sert à rien de l’agiter. Sur le pourquoi et la pertinence de cette situation, à laquelle Chevènement s’est heurtée en 1983 par exemple, on peut discuter. Je dirais que depuis 56 et Suez, les gouvernements français ont compris que s’assurer une place mondiale impliquait une alliance sans faille avec l’Allemagne. Même de Gaulle était sur cette ligne. On peut ensuite discuter des modalités de l’alliance, et de Gaulle n’aurait pas voulu aller plus loin que sa politique, bien sûr, mais tout retour en arrière impliquerait une rupture, et personne aux responsabilités ne souhaitera voir son nom associer à une telle rupture.

    • Descartes dit :

      @ Ifig

      [Je pense qu’une rupture avec la mondialisation impliquerait une perte de niveau de vie et donc du niveau de protection sociale dont bénéficie nos sociétés, et donc ne serait pas progressiste.]

      Une perte de niveau de vie pour qui ? C’est là toute la question.
      Prenons la situation des couches populaires en France. La mondialisation a entraîné pour elles une perte de niveau de vie importante en termes relatifs. Pensez-vous qu’une rupture intelligente – je ne parle pas des délires d’une certaine « gauche radicale », mais d’un « protectionnisme intelligent » comme je l’avais décrit dans un papier sur ce blog – avec la mondialisation entraînerait pour eux une perte de niveau de vie plus importante ? Je ne le pense pas. Pour ne donner qu’un exemple, les USA font du protectionnisme et on n’a pas l’impression que cela les ait considérablement appauvris.

      [Et je pense aussi que cette réalité est connue, même si inconsciemment, des citoyens, et donc empêche les conditions politiques de sa mise en oeuvre. (Je ne rentre pas dans tes distinctions classes moyennes/électorat populaire. Si les classes moyennes sont très nombreuses, elles ne forment pas une grosse partie du peuple?)]

      Vous ne pouvez pas éviter de rentrer dans les distinctions de classe, puisque ce sont les conflits d’intérêt entre les classes qui structurent la société. Les classes moyennes ne sont pas si nombreuses que ça, mais elles ont un poids politique disproportionné par rapport à leur poids numérique, en particulier parce qu’elles dominent le champ des idées. De ce point de vue, on peut dire qu’elles « ne forment pas une grosse partie du peuple » – au sens que donne à ce terme la gauche radicale – elles SONT le « peuple », puisqu’elles ont le monopole de la définition de ce qu’est le « peuple », et le définissent à leur image.

    • Descartes dit :

      @ Ifig

      [Je note d’abord que tu reconnais très honnêtement ne pas disposer de modèle.]

      J’irais plus loin : il ne peut exister de « modèle ». Chaque nation a son histoire, et son fonctionnement est tributaire de cette histoire. Des solutions qui fonctionnent en Grande Bretagne n’ont pas marché en Allemagne, et ce qui marche en Allemagne ne marcherait pas chez nous. Chacun doit inventer sa voie, et le fait qu’une solution ait marché – ou n’ait pas marché – ailleurs n’est aucune garantie que ce sera de même chez nous. Il faut arrêter de raisonner en terme de « modèle », en croyant naïvement qu’on peut emprunter le système éducatif des finlandais ou l’organisation économique de l’Allemagne, et réfléchir à ce qu’on peut inventer dans le cadre de notre histoire, de notre imaginaire, de nos forces et faiblesses.

      [Tu parles ensuite des USA et du Royaume-Uni comme exemples partiels. Bon, d’accord ils indiquent qu’une politique un peu protectionniste fait sens et qu’une politique monétaire accommodante n’est pas synonyme de catastrophe inflationniste, mais quid de leur marché du travail?]

      Encore une fois, je ne les donne pas comme « modèles ». Ce sont des exemples pour montrer que ceux qui disent que le protectionnisme conduit TOUJOURS à une catastrophe, ou bien qu’une politique monétaire autonome dans une puissance de second rang est IMPOSSIBLE ont tort. Mais cela n’implique nullement que de telles politiques donneraient de bons résultats en France. Au risque de me répéter : il nous faut concevoir des politiques à partir d’une analyse de notre situation, de notre histoire, de notre imaginaire. Les modes du milieu des entreprises ces dernières années ont fait du « benchmarking » l’alpha et l’oméga du raisonnement managérial. Mais en pratique, ces démarches ont donné des résultats désastreux chaque fois qu’elles ont été appliquées jusqu’au bout.

      [Tu ne peux pas argumenter sérieusement qu’UK et USA ne sont pas insérés dans la mondialisation même si sur des modalités différentes des autres pays de l’UE ou que le Japon, ou bien sont un exemple progressiste.]

      Mais je n’ai jamais « argumenté » qu’il faille sortir la France de la « mondialisation ». Au contraire. Je te renvoie à mon papier sur le « protectionnisme intelligent ». Je n’imagine pas une France vivant en autarcie. J’imagine au contraire une France échangeant avec le reste du monde, mais dans des termes équilibrés. Et pour pouvoir équilibrer ces échanges, il nous faut un protectionnisme intelligent et le contrôle des instruments monétaires.

      [* il faut sortir de l’UE/de la mondialisation: je pense que tu irais vers là. Mais concrètement, est-ce que cela n’implique pas que nos multinationales se retrouvent évincées de leur positions extérieures? Comment on finance le déficit du commerce extérieur?]

      Je pense que tu ne m’as pas compris. Je n’ai jamais dit qu’il faille « sortir de la mondialisation ». C’est là un de mes sujets de désaccord avec la « gauche radicale ». Je pense au contraire que la théorie des avantages comparatifs doit être prise en considération, et que le commerce international permet d’optimiser les économies. L’objectif de mon « protectionnisme intelligent » n’est pas de fermer les frontières au commerce, mais de créer un mécanisme qui assure l’équilibre de nos échanges extérieurs. C’est pourquoi je n’ai pas besoin de réfléchir à un moyen de financer le déficit du commerce extérieur : le « protectionnisme intelligent » est pensé pour annuler ce déficit. Et nos entreprises ne seront pas « évincées de leurs positions extérieures » puisque de par la logique du « protectionnisme intelligent » ces positions sont la contrepartie des positions des entreprises étrangères en France…

      [Et qui prêtera pour combler le déficit du budget, qui malheureusement ne sert pas à des investissements mais à payer des dépenses de fonctionnement?]

      Personne. Je pense qu’on doit équilibrer le budget de fonctionnement à partir de deux sources de revenu : l’impôt ordinaire et l’impôt inflationnaire. J’attire votre attention qu’avec une inflation de 3-4% notre budget serait équilibré… :

      [Ou alors tu penses effectivement qu’une rupture avec la mondialisation impliquera aussi une mise à niveau de ses déficits de gré ou de force, et donc tu prévois une diminution beaucoup plus dure des dépenses de l’état?]

      Je ne crois pas qu’il faille raisonner de cette manière. Les dépenses publiques et les dépenses privées ne sont pas des compartiments étanches. Lorsque l’Etat subventionne les restaurants universitaires, c’est une dépense publique. Si la subvention était supprimée, le prix du ticket augmenterait et cela deviendrait une dépense privée. Il faut donc raisonner sur la dépense globale, avant de répartir la dépense entre la dépense publique et la dépense privée.

      Il y a dans notre société des couches sociales qui consomment bien plus qu’elles ne produisent. Il serait souhaitable de réduire la dépense de ces couches sociales-là. D’un autre côté, certaines couches sociales consomment moins qu’elles ne produisent. Il serait donc injuste de réduire leurs dépenses. Or, la dépense privée a comme caractéristique le fait qu’elle est dépensée au profit de celui qui l’effectue, alors que la dépense publique permet de transférer de la richesse d’une couche à une autre. Réduire la dépense publique, c’est réduire ces transferts. Cela vous explique pourquoi la bourgeoisie et les classes moyennes sont si sensibles au discours de la réduction de la dépense publique…

      [(C’est peut-être cohérent avec tes idées sur les classes moyennes: si tu avais été en responsabilité, je pense que tu n’aurais pas prioritairement embauché 60000 enseignants par exemple.)]

      Je ne raisonne pas comme ça. La question que je me serais posé est celle des priorités de l’action de l’Etat et des besoins en personnel en fonction de ces priorités. Cela étant dit, je ne suis pas persuadé que le problème de notre système éducatif soit le manque de personnel.

      [A noter que si la France disposait d’un budget et d’un commerce extérieur à l’équilibre, ce qui impliquerait des sacrifices forts sur le marché du travail, elle serait beaucoup plus à l’aise pour mener une politique protectionniste ou de refus de la dette.]

      Je ne comprends pas en quoi un budget équilibré – au sens global du terme, c’est-à-dire, en comptant l’inflation – et un commerce extérieur à l’équilibre impliqueraient « des sacrifices forts sur le marché du travail ». Au contraire !

      [Je pense que Hollande a raison de refuser la confrontation pour une raison très simple: un gouvernement français "responsable" (issu d’un parti "de gouvernement") n’ira jamais au bout de cette logique, c’est-à-dire être prêt à effectivement quitter la zone euro.]

      Effectivement, il ne faut pas commencer une guerre si on n’est pas prêt à se donner les moyens de la gagner. Cela étant dit, je n’irais pas jusqu’à dire que « Hollande a raison ». Je dirais plutôt qu’une fois posé comme principe qu’il ne faut rien casser, on aboutit logiquement à cette politique.

      [Je dirais que depuis 56 et Suez, les gouvernements français ont compris que s’assurer une place mondiale impliquait une alliance sans faille avec l’Allemagne.]

      Je ne vois pas le rapport entre 56 et Suez et l’alliance avec l’Allemagne. La formation du couple franco-allemand obéit à une logique tout à fait différente, qui obéit chez les allemands au besoin d’obtenir leur réadmission dans l’espèce humaine, et aux français de rompre l’isolement résultant d’un choix politique résolument autonome par rapport aux américains après 1958. On peut discuter si cette conception du couple franco-allemand était encore pertinente dans les années 1980, alors que le que l’Allemagne redevenait une puissance sans complexes. De ce point de vue, Chevènement a été un visionnaire et les faits lui ont donné raison contre Mitterrand. Mais ce qui est sûr, c’est qu’elle est totalement périmée aujourd’hui. L’Allemagne est redevenue une puissance, pratiquant une politique de puissance dominante en Europe, et nouant des alliances au gré de ses intérêts, et non d’une « amitié » fantasmatique avec tel ou tel pays.

    • Marcailloux dit :

      Bonjour,
      [Or, la dépense privée a comme caractéristique le fait qu’elle est dépensée au profit de celui qui l’effectue, alors que la dépense publique permet de transférer de la richesse d’une couche à une autre. Réduire la dépense publique, c’est réduire ces transferts. Cela vous explique pourquoi la bourgeoisie et les classes moyennes sont si sensibles au discours de la réduction de la dépense publique…]

      Même si je crois comprendre ce que vous voulez dire, je ne saisi pas très bien les finesse de ce paragraphe. Pouvez vous l’expliciter plus précisément?

    • Descartes dit :

      @ Marcailloux

      [« Or, la dépense privée a comme caractéristique le fait qu’elle est dépensée au profit de celui qui l’effectue, alors que la dépense publique permet de transférer de la richesse d’une couche à une autre. Réduire la dépense publique, c’est réduire ces transferts. Cela vous explique pourquoi la bourgeoisie et les classes moyennes sont si sensibles au discours de la réduction de la dépense publique… ». Même si je crois comprendre ce que vous voulez dire, je ne saisi pas très bien les finesse de ce paragraphe. Pouvez vous l’expliciter plus précisément?]

      Bien sur. La différence entre la dépense publique et la dépense privée est que la dépense privée est faite d’un ensemble d’acteurs, mais dont chacun choisit individuellement comment dépenser son argent. Elle résulte donc de l’agrégation d’intérêts individuels, agrégation qui se fait d’ailleurs à proportion de l’argent que chaque individu dispose. C’est un peu « un euro, un vote ».

      La dépense publique, elle, est le résultat d’une délibération démocratique. Elle ne résulte pas de l’agrégation d’intérêts particuliers mais bien, en principe du moins, de la définition d’un intérêt général. Et comme cet intérêt général ne coïncide en général pas avec l’agrégation d’intérêts particuliers, prélever de l’argent qui aurait pu aller à la dépense privée pour le consacrer à la dépense publique revient à transférer l’argent.

      Prenons le cas de l’éducation. A une époque – et cela reste toujours dans certains pays, du moins partiellement – l’éducation était financée par la dépense privée. Ces systèmes n’ont jamais réussi à mettre en place une éducation de masse. Tout simplement parce que seuls les parents qui ont des enfants à scolariser ont intérêt à faire une telle dépense, et que cette base de financement est trop étroite. Financer l’éducation par la dépense publique permet de mettre à contribution l’ensemble des contribuables, y compris ceux qui n’ont pas d’enfants, ou dont les enfants sont déjà sortis du système scolaire, ce qui constitue une base bien plus large. Tous ces contribuables sans enfants à éduquer voient donc une partie de l’argent qu’ils auraient pu dépenser de manière privée transféré par le biais de l’impôt vers une dépense qu’ils n’auraient jamais assumée s’ils avaient eu à décider individuellement.

    • Marcailloux dit :

      Bonjour,
      Merci pour l’éclaircissement, cependant admettez-vous qu’au-delà d’un certain seuil –que je ne saurais pas quantifier par ailleurs- et qu’à défaut d’un autoritarisme d’état propice à tous les excès, vous allez constater une perte globale de productivité par le simple fait que le plus grand nombre peut satisfaire l’essentiel de ses besoins par la simple opération du Saint Esprit. Constituée par la communautarisation des ressources elle n’exige rien en retour de l’allocation d’un bien ou d’un service et en tous cas sans véritable contrepartie immédiate.
      D’où une tendance générale – bien humaine – à exiger de plus en plus en produisant de moins en moins.
      Cela se traduit par l’accroissement de la dette collective, doublée dans certains cas du même accroissement de la dette privée et la perspective de la faillite, à terme, du pays. Avec l’euro qui nous contraint et nous insupporte, nous jouissons d’une relative protection, mais jusqu’à quand? Seuls, sans contraintes que celles de l’économie de marché, à quel prix devrons nous payer nos importations, dans 10 ou 20 ans?
      En effet, un protectionnisme "intelligent" pourrait limiter le dérapage, mais ne nous dispenserait pas pour autant d’un effort sur la productivité nationale.
      Avez-vous à proposer un principe régulateur et équitable pour le plus grand nombre et à long terme ?

    • Descartes dit :

      @ Marcailloux

      [Merci pour l’éclaircissement, cependant admettez-vous qu’au-delà d’un certain seuil –que je ne saurais pas quantifier par ailleurs- et qu’à défaut d’un autoritarisme d’état propice à tous les excès, vous allez constater une perte globale de productivité par le simple fait que le plus grand nombre peut satisfaire l’essentiel de ses besoins par la simple opération du Saint Esprit.]

      Bien entendu. C’est ce que montrent toutes les expériences « communautaires », celles des kibboutz israéliens mais aussi celles des « communautés » soixante-huitardes. Si la collectivité prend en charge la totalité des dépenses des individus sans faire le lien avec la productivité de chacun, la productivité baisse et finit par sombrer. Personnellement, je n’ai jamais été partisan d’un « communisme communautaire », étant trop attaché à l’idée républicaine de séparation entre la sphère publique et la sphère privée. L’objectif n’est pas d’éliminer la dépense privée, mais de mutualiser les dépenses là où cela est plus efficace.

      [Seuls, sans contraintes que celles de l’économie de marché, à quel prix devrons nous payer nos importations, dans 10 ou 20 ans?]

      Plus cher qu’aujourd’hui, certainement. Et du coup, nous importerions beaucoup moins. Votre raisonnement est révélateur : en quoi l’augmentation du prix des importations serait-elle une catastrophe ? Pourquoi le but serait-il de pouvoir importer à tout crin bon marché ?

      [En effet, un protectionnisme "intelligent" pourrait limiter le dérapage, mais ne nous dispenserait pas pour autant d’un effort sur la productivité nationale.]

      Mais le but du « protectionnisme intelligent » n’est certainement pas de nous « dispenser d’un effort de productivité », au contraire. Le but du « protectionnisme intelligent » est précisément de créer un stimulus à la productivité, puisque de par sa construction l’augmentation de la productivité devient le seul moyen d’améliorer le niveau de vie…

      [Avez-vous à proposer un principe régulateur et équitable pour le plus grand nombre et à long terme ?]

      Bien entendu. Si l’on part de l’hypothèse que le but des gens dans la vie est de vivre le mieux possible au moindre effort, le « principe régulateur » consiste à rattacher effort et niveau de vie, de manière à obliger chaque individu à choisir l’équilibre qu’il préfère. Dans la sphère publique, le lien entre effort et niveau de vie se fait au niveau collectif, et le choix résulte d’une délibération. Dans le domaine privé, chacun est libre de son choix et n’a de comptes à rendre à personne.

  3. Marcailloux dit :

    Bonjour,
    …….et bon retour au turbin!
    Après toute cette "psychoscopie" hélas hyper réaliste, pouvez vous me donner une bonne raison de donner ma voix (électorale) à l’un ou l’autre de ces clampins à bretelles? Tant qu’aucune tête (bien faite) ne dépassera de ce marigot de turpitudes, je m’en tiendrai au vote blanc. Contrairement au cochon, tout est à jeter. Quelle désolation!

    • Descartes dit :

      @ Marcailloux

      [Après toute cette "psychoscopie" hélas hyper réaliste, pouvez vous me donner une bonne raison de donner ma voix (électorale) à l’un ou l’autre de ces clampins à bretelles?]

      Non, pas vraiment. Il y a bien entendu des hommes intelligents dans notre espace politique, mais ils sont soit trop isolés et trop fatigués – cas Chevènement – soit trop marginaux – cas Guaino. La génération des « quadras » est imbuvable : elle fait carrière dans la politique comme on fait carrière dans la direction marketing d’une grande multinationale : aujourd’hui on vend du lait pour bébés, demain du shampooing. Et sans que les qualités intrinsèques du produit qu’on vend entrent en ligne de compte. Ils n’ont pas la moindre vision, le moindre projet. Ils ne se disent jamais « je suis entré en politique pour faire ça » (et son corollaire évident : « si je ne peux pas faire ça, alors ce n’est pas la peine de rester ministre »). Ils vont chaque matin faire de la politique comme un employé va à son bureau. Parce que qu’il faut bien gagner sa croûte.

  4. Descartes dit :

    A tous mes lecteurs:

    Désolé, mais une fausse manip a provoqué l’effacement de tous les commentaires sur cet article à l’exception de ceux qui sont ci-dessus… toutes mes excuses au commentateurs concernés… mais je n’ai aucun moyen de les rétablir. Pour ceux auxquels j’avais répondu, je reposte mes réponses…

  5. Descartes dit :

    @ bovard

    [Montebourg a récupéré le parti-pris chevénementiste et les faits semblent lui donnent raison.]

    Je ne vois pas très bien en quoi. Le « parti-pris chevénementiste » n’a jamais consisté à faire de la relance par la consommation.

    [Car il ne le sait pas mais Hollande est sorti de l’ambiguïté en assumant depuis 2 ans une politique libéro-financiérite éhontée de son nouveau mentor Moscovici (selon les dires de celui ci) que Valls (4%aux primaires) veut continuer coûte que coûte..]

    On ne peut pas dire que Hollande « assume » une véritable politique libérale. Hollande – pas plus que Moscovici – ne sont ni Madelin, ni Thatcher. Au contraire, Hollande pratique une politique « libérale » tout en prétendant dans chacun de ces discours le contraire. Même lorsqu’il a assumé une « politique de l’offre », il l’a fait au nom de la sauvegarde de notre système social et d’une vision social-démocrate. C’est là le véritable paradoxe.

    Hollande n’est pas un libéral. C’est un incapable. Il ne fait pas, comme Thatcher, une politique libérale parce qu’il pense que c’est la chose à faire. Il fait la politique du chien crevé au fil de l’eau, en regardant jusqu’où il peut ruser avec Bruxelles sans se faire engueuler, jusqu’où il peut augmenter les impôts sans se faire crucifier, jusqu’où il peut faire des cadeaux à divers lobbies pour attirer leur bienveillance. Tout ça donne un gloubi-boulga qui n’est pas franchement libéral, qui n’est pas franchement keynésien, qui n’est franchement rien du tout. Mais comme les rapports de force sont aujourd’hui globalement en faveur du capital, le fil de l’eau conduit le chien crevé vers des politiques libérales.

    [Evidemment, 2017 sera probablement une insurrection mais lepéniste pas mélenchonienne]

    Et pourtant, si la gauche radicale était capable d’élaborer une alternative crédible, elle aurait un boulevard devant elle. Mais sa base sociologique est tellement inconsciente de la gravité de la situation qu’il est pratiquement impossible d’aller dans ce sens. Alors que l’industrie française coule et que le chômage explose, on discute sur les forums de la gauche radicale s’il faut ou non un « référendum révocatoire », ou si les députés élus ne devraient pas être remplacés par des représentants tirés au sort. On dirait l’orchestre du Titanic.

  6. Descartes dit :

    @ Kadhaffy

    [Avec la démission du gouvernement, la fin de règne est officialisée. Le gouvernement va encore plus se recroqueviller sur les dogmatiques de l’austérité. Dès lors, trouvera-t-il une majorité pour le soutenir ? Rien n’est moins sur car avec le renvoi de Montebourg (et peut-être quelques autres : Hamon, Taubira… ?), Valls prend le risque de se créer un (des) opposant(s) de gauche d’envergure. Dès lors, avec un gouvernement totalement impopulaire et des têtes d’affiche dans leur rang, les frondeurs devraient prendre du poil de la bête et réclamer (enfin) un changement de cap.]

    En théorie, oui. Mais en pratique, on arrive à une impasse, tout simplement parce que « il n’y a pas d’alternative ». Non pas que l’alternative soit impossible. Rassurez-vous, TINA n’est pas ma tasse de thé, mais parce que ces « frondeurs » n’ont au fond rien à proposer. C’est d’ailleurs le point faible de Montebourg : on peut partager son analyse sur les dégâts de la politique d’austérité, mais sa proposition d’en sortir par une politique de relance de la consommation – tout en gardant l’Euro – est absurde. On sait, depuis 1981, qu’il est pratiquement impossible de faire de la relance par la consommation en économie ouverte sans dévaluer massivement au préalable. Autrement, l’argent injecté sous la forme de pouvoir d’achat creuse le déficit extérieur puisqu’il est dépensé en produits étrangers.

    On ne peut relancer l’économie sans relancer la demande, c’est vrai. Mais notre problème n’est pas un défaut de demande au sens keynésien du terme. La demande est là… mais elle est satisfaite par des produits importés qui déplacent les productions françaises. Montebourg, comme le reste des « frondeurs », comme d’ailleurs une bonne partie de la « gauche radicale » sont enfermés dans cette contradiction. Ils comprennent bien que dans le réseau de contraintes issu de notre appartenance à l’UE et à la monnaie unique nos marges de manœuvre sont nulles, et que cette politique nous conduit dans le mur. Mais en même temps, ils ne veulent rien casser et s’imaginent qu’en brutalisant l’Allemagne on arrivera peut-être à l’obliger à relancer l’économie européenne. Au fonds, ces analyses ne sont pas trop lointaines de celles du couple Valls-Hollande, sauf que de ce côté là il s’agit de cajoler l’Allemagne plutôt que de la brutaliser.

    [Dommage que cette clarification n’est pas eu lieu plus tôt et que ces socialistes aient préféré manger à la soupe gouvernementale ou parlementaire plutôt que de défendre réellement leurs idées.]

    Ah bon ? Ils ont des idées ? Allons… tout ce beau monde n’a aucune « idée ». Ils ont simplement cru à la « théorie des cycles ». Ils s’imaginaient qu’après les années de crise 2008-2011, la reprise allait tirer tout le monde vers le haut et sortir l’Europe de l’ornière. C’était le pari de Hollande pour réussir son quinquennat. Hélas, toutes les économies sont reparties, avec des taux de croissance supérieures à 2% pour les USA et l’Angleterre… sauf celles de la zone Euro. Même en Allemagne, la croissance est en berne. Quelle coïncidence, n’est ce pas ? Les socialistes commencent à réaliser que si rien ne change, la croissance mondiale qui repart ne leur servira à rien. C’est pourquoi aujourd’hui les rats quittent le navire…

    [De cette nouvelle donne, espérons qu’une alternative de gauche puisse émerger à côté de cette masse néo-libérale informe qui sévit au gouvernement. C’est simplement ce que Mélenchon essaie de faire depuis plus de deux ans.]

    Désolé, mais non. Mélenchon et ses amis ne font rien, absolument rien, pour « qu’une alternative de gauche puisse émerger ». Ce qui manque à gauche, ce n’est pas des gens qui vous racontent des utopies et construisent des paradis imaginaires. Ce qui manque, c’est un PROJET CREDIBLE. C’est à dire, la description pragmatique de la société qu’on veut construire mais aussi de moyens réalistes pour y parvenir. Une liste de revendications sans la moindre estimation de leur coût et la moindre explication de comment on les finance – en dehors du mantra « les riches payeront » – ne constitue pas une « alternative ».

    Si Mélenchon et ses amis voulaient « faire émerger une alternative », ils arrêteraient de faire campagne sur des images creuses style « la VIème République » ou « écosocialisme » et de chercher des alliances tactiques pour consacrer leur temps à constituer les enceintes de réflexion capables de produire un projet crédible. Or, c’est exactement le contraire qu’on observe. Le « parti creuset », qui devait permettre la confrontation d’idées, est devenue une secte ou l’on risque l’exclusion pour avoir bu un coup avec un politique de droite.

  7. Bruno dit :

    Bonjour Descartes,

    Vous faites le constat qu’il n’y a à l’heure actuelle aucune alternative possible à la politique menée, notamment du fait de l’adhésion des classes moyennes à la doxa. Je partage cet avis.
    Étudiant au sein d’une "fameuse" institution parisienne, peuplée en partie de classes moyennes, et qui a connu dans ses rangs bon nombre de ministres et de présidents, je constate depuis bien longtemps que règne en son sein une forme de consensus mou autour des grands sujets, que ce soit l’économie ou l’Union européenne.
    On a le droit de débattre, mais uniquement dans le cadre qui a été préétabli par les étudiants et les professeurs, autrement, ce n’est même pas la peine d’essayer. Qui plus est, on y passe le plus clair de notre temps à discuter de sujets qui m’apparaissent davantage comme des dérivatifs, secondaires, comme les questions "sociétales" ou la place de la femme. Je vous laisse imaginer la "liberté" de ton sur ces thèmes. On a l’impression que ça compte plus que tout le reste.

    Avec un peu de recul, (la lecture de vos papiers m’a aidé à en prendre), j’en suis arrivé à la conclusion que la plupart des étudiants militant au sein des sections de leur parti affiliées à notre établissement ne sont que des arrivistes aspirant à récupérer un poste.
    Ceux du MJS ou des Verts la jouent parfois "gauche", mais ils n’obtiennent rien de concret, si ce n’est des places et la ferment une fois qu’ils l’ont obtenu. C’est d’ailleurs peut-être parce qu’ils ne peuvent influer sur les "vrais" sujets qu’ils n’ont de cesse de nous bassiner avec le "sociétal".
    J’ai débattu avec beaucoup, la plupart n’ont jamais lu les classiques et j’aime à taquiner bon nombre de militants de "gauche" qui ne savent même pas qui est Jules Guesde, pour ne citer que lui. Il faut dire qu’à l’école on n’étudie plus beaucoup les auteurs socialistes. Résultat, nos "futurs", peu curieux, risquent bien souvent d’être d’une ignorance crasse.

    Je ne sais pas s’il en a toujours été ainsi, je ne puis parler que du temps qui est le mien, mais je m’inquiète beaucoup quand je vois ça. On parle souvent d’un nécessaire renouvellement, mais quand j’écoute ces jeunes de 20-25 ans, carriéristes et sans idées en propre, je me dis qu’ils ne seront pas meilleurs que ceux que nous avons actuellement. Il y aura plus de femmes et de membres de la "diversité" peut-être, mais certainement pas de fils d’ouvriers ou d’agriculteurs. Il n’y en a pas à l’école de toute façon, beaucoup de fils de profs surtout.

    Par ailleurs, concernant les autres étudiants, ceux qui ne militent pas, mais ne manquent jamais de lire Le Monde ou le Libé que l’on nous distribue gracieusement, j’ai mis du temps à comprendre leur soutien sans faille à la politique menée par le gouvernement. Aujourd’hui je pense pouvoir l’expliquer. Presque tous mes camarades, à la suite des européennes, ont poussé des cris d’orfraies, conspuant les "français" (comme si nous faisions bande à part…), "trop cons", qui votaient "mal". Heureusement, Paris avait "bien" voté.
    C’est alors que j’ai commencé à saisir que mes compères, tout en se faisant juges d’une situation, en étaient également parties prenantes. Ils critiquaient un vote qui allait clairement à l’encontre de leurs intérêts. De fait, qui, plus que nous, parisiens, classes moyennes ou dirigeantes et diplômés, ont intérêt au statuquo. Le système, la doxa, tout cela nous est profitable.
    La critique simplette du vote FN, davantage social qu’idéologique, j’en suis désormais convaincu, cache, outre le dégoût primaire et rarement argumenté, pour un parti qu’on se vante de détester à l’école (il faut dire que l’on est conditionné à ça), le conservatisme farouche des étudiants qui se disent pourtant unanimement progressistes. Rien ne doit changer, dans les fondamentaux socio-économiques tout du moins.

    Face à cela que faire Descartes? Comment créer une alternative politique crédible? Comment obtenir le soutien des classes moyennes?
    Le mode de scrutin actuel ne permettra jamais de faire émerger des forces dissidentes. Faut-il donc tenter l’entrisme au risque de finir juste avec une bonne soupe sans rien avoir changé?

    Je n’ai que 23 ans et je dois avouer que je suis déjà un peu désabusé.

    Bruno

    • Marius dit :

      Bonjour Bruno

      Votre témoignage m’interpelle car je fais également le même constat. Je suis à la fac dans une grande ville de l’est de la France, où les enfants des classes moyennes des petites villes de la région se retrouvent. La réaction de la majorité d’entre eux après les européennes était unanime: le succès du FN était une honte etc etc. Mais la lecture de ce blog m’a bien fait comprendre les causes de ce phénomène: quand on peut partir un an en Erasmus grâce aux revenus familiaux et aux aides de l’UE, pourquoi changer les choses ?

      Bon courage pour la suite, j’ai également 23 ans et je pense que nous en aurons bien besoin.

    • Descartes dit :

      @ Bruno

      [Bonjour Descartes,]

      Bonjour et bienvenu sur ce blog, puisque je crois que c’est votre première intervention. Que j’ai trouvé par ailleurs très intéressante !

      [Étudiant au sein d’une "fameuse" institution parisienne, peuplée en partie de classes moyennes, et qui a connu dans ses rangs bon nombre de ministres et de présidents, je constate depuis bien longtemps que règne en son sein une forme de consensus mou autour des grands sujets, que ce soit l’économie ou l’Union européenne.]

      Je vois très bien à quelle institution vous faites allusion, institution que je connais bien. Et je partage tout à fait votre diagnostic. L’institution dont vous parlez n’exécute pas les dissidents, mais elle les fusille symboliquement. Si vous n’adhérez pas à la « doxa », vous ne serez pas considéré comme « sérieux », avec les conséquences qu’on peut imaginer dans un milieu ou les « réseaux » font les carrières. J’avais eu l’opportunité de faire un cours dans cette vénérable institution, et de discuter avec les étudiants. Et si j’ai un conseil à vous donner, c’est de faire ce que font tous les résistants dans les régimes totalitaires : faire semblant. Pas la peine d’argumenter, vous ne convaincrez personne.

      [Avec un peu de recul, (la lecture de vos papiers m’a aidé à en prendre), j’en suis arrivé à la conclusion que la plupart des étudiants militant au sein des sections de leur parti affiliées à notre établissement ne sont que des arrivistes aspirant à récupérer un poste.]

      C’est très souvent le cas, en effet. La politique, pour beaucoup de gens de cette vénérable institution, c’est une carrière comme le marketing ou la communication. On en fait avec l’espoir de décrocher un emploi d’attaché parlementaire, puis de directeur de cabinet d’un élu, et avec un peu de chance de se faire élire soi même. Et on va vers le parti qui est le mieux à même de vous proposer ces sucreries… Les idées ? Ce n’est guère important… d’ailleurs sur beaucoup de questions, la différence entre l’UMP et le PS, au fond, est négligeable. Quelqu’un qui aime les patrons et l’Europe se retrouvera aussi bien dans les discours de Valls que ceux de Juppé.

      [J’ai débattu avec beaucoup, la plupart n’ont jamais lu les classiques et j’aime à taquiner bon nombre de militants de "gauche" qui ne savent même pas qui est Jules Guesde, pour ne citer que lui. Il faut dire qu’à l’école on n’étudie plus beaucoup les auteurs socialistes. Résultat, nos "futurs", peu curieux, risquent bien souvent d’être d’une ignorance crasse.]

      Rassurez-vous, à droite non plus on ne lit pas les classiques…

      [Je ne sais pas s’il en a toujours été ainsi, je ne puis parler que du temps qui est le mien, mais je m’inquiète beaucoup quand je vois ça. On parle souvent d’un nécessaire renouvellement, mais quand j’écoute ces jeunes de 20-25 ans, carriéristes et sans idées en propre, je me dis qu’ils ne seront pas meilleurs que ceux que nous avons actuellement. Il y aura plus de femmes et de membres de la "diversité" peut-être, mais certainement pas de fils d’ouvriers ou d’agriculteurs. Il n’y en a pas à l’école de toute façon, beaucoup de fils de profs surtout.]

      Oui, il fut un temps ou les élites politiques avaient une véritable culture. Et pas seulement chez les bourgeois : un syndicaliste comme Henri Krasucki, qui n’avait qu’un CAP d’ajusteur, était un connaisseur de musique classique – surtout l’Opéra – et de poésie française. Georges Pompidou pouvait répondre à la question improvisée d’un journaliste par une citation fort longue de Paul Eluard. Tous ces gens connaissaient bien l’histoire de leur pays et cette connaissance guidait leur action. Aujourd’hui Henri Guaino, un des rares hommes politiques qui soit encore capable d’inclure une citation littéraire dans un discours, fait figure de dinosaure. Non, il n’a pas toujours été ainsi. Je ne vous le dis pas pour dire « c’était mieux avant », mais pour vous montrer qu’il n’y a pas de fatalité.

      [C’est alors que j’ai commencé à saisir que mes compères, tout en se faisant juges d’une situation, en étaient également parties prenantes. Ils critiquaient un vote qui allait clairement à l’encontre de leurs intérêts. De fait, qui, plus que nous, parisiens, classes moyennes ou dirigeantes et diplômés, ont intérêt au statuquo. Le système, la doxa, tout cela nous est profitable.]

      Tout a fait. Il faut se défaire de la conception idéaliste qui imagine que les idées surgissent pures et sans attaches du génie de tel ou tel penseur. En fait, si les idées libérales apparaissent au XVIII et pas avant, ce n’est certainement pas parce que personne n’avait eu la brillante idée avant. C’est parce que l’expansion des connaissances et les inventions nécessitaient une nouvelle forme d’organisation sociale, et qu’il fallait un discours qui légitime et justifie cette nouvelle organisation. Et si l’on nous rabat les oreilles avec le discours de la « diversité » ou avec la « doxa » libérale, si on pousse des cris d’orfraie dans certains quartiers lorsque les français votent « mal », c’est que cela sert certains intérêts.

      [Face à cela que faire Descartes? Comment créer une alternative politique crédible? Comment obtenir le soutien des classes moyennes?]

      D’abord, comme disait un saint célèbre, il faut avoir la ténacité pour changer ce qui peut être changé, la patience pour supporter ce qui ne peut être changé, et la sagesse pour faire la différence. Imaginer qu’on puisse obtenir, dans le contexte actuel, le soutien des classes moyennes pour une politique progressiste relève de l’illusion.

      Que faire ? D’abord, réfléchir. Nous qui avons eu le privilège d’avoir accès au savoir, nous avons la responsabilité d’utiliser ce que nous avons acquis pour fourbir les instruments intellectuels qui permettront ce construire du neuf le jour où les rapports de force s’inverseront. Il nous faut penser, écrire, argumenter, expliquer, essayer de remonter le niveau de la réflexion, tout en sachant que ce travail ne donnera ses fruits que le jour où les conditions objectives d’une révolution seront réunies. Oui, je sais, ce n’est pas très sexy, surtout lorsqu’on a 25 ans. Mais j’ai du mal à proposer mieux.

      [Le mode de scrutin actuel ne permettra jamais de faire émerger des forces dissidentes. Faut-il donc tenter l’entrisme au risque de finir juste avec une bonne soupe sans rien avoir changé?]

      Oui, je le pense, à condition de se souvenir pourquoi on est là. Sauf à avoir la chance de vivre une situation révolutionnaire – et cela est imprévisible – il faut se fixer des objectifs atteignables. Le maire d’une petite ville qui arrive par son action à améliorer et embellir la vie des gens apporte une petite pierre à l’édifice. Bien sur, c’est une petite pierre, mais c’est mieux que rien.

      [Je n’ai que 23 ans et je dois avouer que je suis déjà un peu désabusé.]

      Il ne faut pas. L’un de mes chefs m’avait dit au début de ma carrière « pour faire ce métier, il faut aimer les gens ». Je pense que c’est là que réside le secret. Lorsqu’on aime les gens, qu’on soit patron, syndicaliste, politique ou haut fonctionnaire, fait avancer les choses. C’est lorsqu’on commence à mépriser, à instrumentaliser – ou a haïr, cela s’est vu – les gens que cela devient dangereux.

    • CVT dit :

      @Descartes,

      Bravo, cher camarade, vous amenez de plus en plus jeunes adultes à réfléchir, alors même qu’ils n’ont pas connu le monde "d’avant", celui du Mur de Berlin…
      Je suis admiratif de ces gens jeunes gens, car au même âge, il y a 20 ans, j’étais aussi étudiant et beaucoup plus naïf qu’eux, car l’époque, après l’effondrement du "socialisme réel", l’Europe était notre avenir.
      Apparemment, la propagande sur les bienfaits de l’UE et de la mondialisation (le terme venait juste d’apparaître à l’époque…) restent inchangés dans le milieu universitaire, alors qu’une génération a passé, et qu’on a désormais un retour d’expérience!
      Je suis consterné, car avec le recul, ayant voté "oui" à Maastricht, même du bout des ongles (le traité me déplaisait, j’exécrais les socialistes mais malgré tout cela, je ne voulais pas voter avec les fachos du FN…), je me sens quelque peu coupable d’avoir été complice de ceux qui désormais obèrent l’avenir de ces jeunes gens: si j’avais eu la moitié de leur sens critique, et d’autres avec moi, on aurait pu éviter la catastrophe, un peu à l’instar du retrait de la CED en 1954.
      On ne va pas refaire l’histoire, simplement, il faut que ces jeunes adultes interrogent leurs aînés sur ce qui se passait à une époque pas si lointaine (soit, avant le fameux tournant de la rigueur de 83 décidé par Delors et consort…), où les Français décidaient de la politique et de la marche de leur pays, en gros, l’époque où la France agissait de manière SOUVERAINE, pour le meilleur et pour le pire, et dans l’intérêt de la Nation (oui, la Nation) et de ses citoyens.
      p.s: oui, je connais votre objection: nous sommes toujours souverains. Mais croyez-vous sincèrement que notre gouvernement agit de manière souveraine? Non, il agit comme si nous avions abdiqué, aliéné notre souveraineté. Nous agissons en peuple colonisé, pas en peuple libre et responsable de ses décisions.

    • BolchoKek dit :

      Décidément, nous sommes nombreux à avoir vingt-trois ans par ici… Et je comprends parfaitement ce que disent Marius et Bruno, je l’ai connu. J’ai été à la fac dans une ville de province, j’ai de nombreux amis qui suivent les cours de cette vénérable institution parisienne. Puis, j’ai travaillé, j’ai milité, et je me suis rendu compte du gouffre qui sépare, au sein même de notre génération, les étudiants du reste de la population. Ça n’a l’air de rien, mais j’ai été assez marqué. Je n’ai évidemment pas d’éléments empiriques pour juger des générations précédentes, mais il me semble, de ce que j’ai entendu de bouches appartenant à des gens très divers, que ces différences dans les attentes et la vision du monde étaient bien moindres avant. J’ai le souvenir du milieu estudiantin comme d’un monde à part et très hermétique. Quand on est dedans, on ne s’imagine pas qu’il y a des jeunes en dehors.

    • Descartes dit :

      @CVT

      [Bravo, cher camarade, vous amenez de plus en plus jeunes adultes à réfléchir, alors même qu’ils n’ont pas connu le monde "d’avant", celui du Mur de Berlin…]

      Comme quoi, on n’est pas obligé de se résigner à ce discours « jeuniste » qu’on nous rabâche en permanence. Nous, les vieux – je m’assume – nous avons un rôle particulier à jouer, je dirais même un devoir sacré : celui de transmettre aux générations qui nous suivent le souvenir d’époques et de faits qu’ils n’ont pas connu. C’est la seule flatteurs séducteurs qui expliquent aux « djeunes » qu’ils vivent une époque inédite, sans précédent dans l’histoire et qu’il est donc inutile d’apprendre du passé. Ces flatteurs, comme disait La Fontaine, vivent aux dépens de ceux qui les écoutent. Aucune époque n’est inédite, toutes ont une histoire, et cette histoire suit certaines règles qu’on ne peut dégager que par un retour en arrière. Ce retour n’est possible que si la génération des « vieux » prend son rôle de transmission au sérieux.

      [Je suis admiratif de ces gens jeunes gens, car au même âge, il y a 20 ans, j’étais aussi étudiant et beaucoup plus naïf qu’eux, car l’époque, après l’effondrement du "socialisme réel", l’Europe était notre avenir.]

      Chacun son expérience. Né d’un père qui fut un déçu du stalinisme, j’ai suivi très tôt les pas de mon grand père, grand cynique devant l’éternel. Je ne peux pas dire que j’ai été déçu parce que je n’ai jamais vraiment cru.

      [Apparemment, la propagande sur les bienfaits de l’UE et de la mondialisation (le terme venait juste d’apparaître à l’époque…) restent inchangés dans le milieu universitaire, alors qu’une génération a passé, et qu’on a désormais un retour d’expérience!]

      Mais vous devriez savoir que le dogme est imperméable à l’expérience. C’est d’ailleurs à cela qu’on le reconnaît. Une théorie scientifique a pour fonction d’expliquer le fonctionnement du monde réel, et c’est pourquoi elle cesse d’être dès lors qu’elle est contredite par l’expérience. Mais un dogme remplit une fonction différente. Il ne vise pas a expliquer, mais à donner un sens à ce qui nous entoure. Le discours eurolâtre est une profession de foi – au sens stricte du terme – et non une explication rationnelle. L’Europe est un « bien », et tous ceux qui admettent cette vérité seront un jour sauvés. Il n’y a pas dans ce discours la moindre place pour le doute, l’examen, le retour d’expérience.

      [Je suis consterné, car avec le recul, ayant voté "oui" à Maastricht, (…) je me sens quelque peu coupable d’avoir été complice de ceux qui désormais obèrent l’avenir de ces jeunes gens: si j’avais eu la moitié de leur sens critique, et d’autres avec moi, on aurait pu éviter la catastrophe, un peu à l’instar du retrait de la CED en 1954.]

      Faute avouée à demi pardonnée. Mais à demi seulement. Oui, les jeunes générations ont le droit de juger sévèrement le manque de clairvoyance de ceux qui ont fait l’Europe de Maastricth.

      [Mais croyez-vous sincèrement que notre gouvernement agit de manière souveraine? Non, il agit comme si nous avions abdiqué, aliéné notre souveraineté. Nous agissons en peuple colonisé, pas en peuple libre et responsable de ses décisions.]

      Tout à fait d’accord. Que nos gouvernements « agissent en colonisé » aujourd’hui n’implique pas, comme le disent certains, que la souveraineté française ait disparue. La souveraineté ne se « délègue » pas, elle ne « s’aliène » pas. Le peuple peut déléguer des pouvoirs ou des compétences, mais la souveraineté est intrinsèquement liée à sa nature. Il ne peut s’en défaire sans disparaître. Si le peuple français s’était fondu dans un « peuple européen », alors on pourrait parler de disparition de la « souveraineté du peuple français ». Mais aussi longtemps qu’il existe un « peuple français » distinct, celui-ci est par essence souverain.

      Le peuple, par la voie du référendum, a décidé par exemple de céder le pouvoir de battre monnaie à une organisation supranationale. Mais ce qu’un référendum peut faire, un autre peut défaire. Si demain le peuple français défaisait le traité de Maastricht, aucune règle de droit ne s’y opposerait. C’est précisément cela qui caractérise la souveraineté : le fait de n’être soumise qu’aux règles qu’on fait soi même.

    • Descartes dit :

      @ BolchoKek

      [Décidément, nous sommes nombreux à avoir vingt-trois ans par ici…]

      Le bel âge… n’en déplaise à Paul Nizan !

      [Et je comprends parfaitement ce que disent Marius et Bruno, je l’ai connu. J’ai été à la fac dans une ville de province, j’ai de nombreux amis qui suivent les cours de cette vénérable institution parisienne. Puis, j’ai travaillé, j’ai milité, et je me suis rendu compte du gouffre qui sépare, au sein même de notre génération, les étudiants du reste de la population.]

      Je dirais plutôt qu’il y a un double phénomène. D’un côté, la société française est de plus en plus marquée par une ségrégation sociale et géographique. Non seulement les inégalités se creusent, mais surtout les institutions et l’aménagement du territoire qui assuraient un certain brassage des populations ne le font plus. Il faut remonter très loin dans l’histoire pour trouver une situation où l’expérience vitale des différentes couches sociales soit aussi différente et que ces couches sociales se mélangent aussi peu.

      D’un autre côté, il y a un problème dans le rapport entre les âges. Dans le temps, la jeunesse – et le statut d’étudiant pour ceux qui avaient le privilège de suivre des études – était une parenthèse, une passerelle entre l’enfance et l’âge adulte. Le statut du « jeune » et le rapport qu’il avait avec ses aînés était conçu en fonction de l’adulte qu’il était censé devenir. Nous vivons aujourd’hui au contraire dans une société ou le discours « jeuniste » fait que personne n’a envie de devenir adulte. Tout le discours sur « les droits des jeunes » ou « les droits des étudiants » reflète cette vision.

      Ces deux processus tendent à diviser les populations en compartiments étanches. Du coup, il ne faut pas s’étonner si chaque compartiment est décalé par rapport aux autres…

      [Ça n’a l’air de rien, mais j’ai été assez marqué. Je n’ai évidemment pas d’éléments empiriques pour juger des générations précédentes, mais il me semble, de ce que j’ai entendu de bouches appartenant à des gens très divers, que ces différences dans les attentes et la vision du monde étaient bien moindres avant.]

      Tout à fait. Le brassage des populations imposé par l’Etat jacobin avait pas mal réussi à créer un « socle commun » de valeurs, d’aspirations et de croyances communes. On revient toujours à ce « roman national »…

    • Dell Conagher dit :

      BolchoKeK écrivait :
      [Décidément, nous sommes nombreux à avoir vingt-trois ans par ici…]

      Et il y en a d’autres ! Je ne peux que rejoindre les constats faits précédemment. Fraîchement débarqué dans une des versions provinciales de la "fameuse institution", je suis très inquiété par ce que j’y vois. Tout le monde sait percevoir la "violence symbolique" dans les pratiques d’enseignement, chacun prend fermement position pour le "mariage pour tous", les "droits des femmes" et la "lutte contre les discriminations", en revanche il devient bien plus dur de discerner des points positifs dans la politique de Vladimir Poutine ou dans la restriction de l’immigration. Nos futures élites ont bien le droit d’avoir leurs opinions, cependant je ne vois pas ce qu’il pourrait sortir de bon d’une vision si manichéenne du monde une fois que ces gens auront atteint les 40 ans et seront aux manettes. Formons-nous dans nos établissements du supérieur l’équivalent des néoconservateurs américains, une future classe dirigeante persuadée d’incarner le Bien face au Mal ? Vous me direz qu’avec nos dirigeants actuels nous n’en sommes déjà plus si loin…

      Vous regrettez en fin d’article, Descartes, qu’un parti progressiste avec un projet politique solide n’existe pas. Moi aussi. Mais qu’Est-ce qui empêche son émergence ? Le "parti creuset" de Mélenchon a failli, mais cela devait beaucoup à la stratégie choisie par Mélenchon lui-même : eût-il voulu construire un mouvement travaillant sur le fond et pris la peine de maintenir les militants gauchistes hors des postes clés plutôt que de les y placer personnellement, le résultat aurait été différent. Y a t-il aujourd’hui quelque chose qui empêcherait la constitution d’un parti tel que vous l’appelez de vos vœux pour peu qu’il se trouve des gens de bonne volonté prêts à s’y atteler ? Bien sûr, je ne parle pas d’un mouvement qui obtiendrait des succès politiques rapides – je vous rejoins sur le fait qu’il faudrait attendre longtemps avant qu’il puisse produire ses premiers effets. Mais constituer un parti digne de ce nom qui chercherait à produire une véritable réflexion ne me semble pas relever de l’impossible aujourd’hui.

      Vous notez par ailleurs que le rapport de forces est à ce point en faveur des classes moyennes qu’il empêche pour un temps encore toute politique progressiste. A première vue, je suis d’accord. Mais le rapport de forces électoral n’est-il pas autre ? J’ai le sentiment, peut être trompeur, peut être par pessimisme, que le Front National n’est plus si loin d’accéder au pouvoir, parce qu’il peut tirer parti du vaste réservoir électoral que forment les classes populaires. Et s’il ne porte pas une politique progressiste, je ne crois pas non plus qu’il porte une politique si favorable aux classes moyennes, en tout cas par rapport à celle appliquée aujourd’hui.

    • Descartes dit :

      @ Dell Conagher

      [Nos futures élites ont bien le droit d’avoir leurs opinions, cependant je ne vois pas ce qu’il pourrait sortir de bon d’une vision si manichéenne du monde une fois que ces gens auront atteint les 40 ans et seront aux manettes. Formons-nous dans nos établissements du supérieur l’équivalent des néoconservateurs américains, une future classe dirigeante persuadée d’incarner le Bien face au Mal ? Vous me direz qu’avec nos dirigeants actuels nous n’en sommes déjà plus si loin…]

      Ce que vous racontez ici n’est pas nouveau. Ce manichéisme date de la fin des années 1960, avec la prise de pouvoir des classes moyennes. Si vous vous replongez dans les textes de 1968, vous retrouverez cette façon de concevoir la politique comme une lutte entre le Bien et le Mal. En France, la puissance du Parti communiste et la vision gaullienne ont permis d’atténuer jusqu’à un certain point les dérives du McCarthysme et de la guerre froide. L’affaiblissement tant des gaullistes que des communistes après 1968 a marqué l’entrée en scène de messianismes de toute sorte, certains gauchistes, d’autres plutôt à droite.

      [Vous regrettez en fin d’article, Descartes, qu’un parti progressiste avec un projet politique solide n’existe pas. Moi aussi. Mais qu’est-ce qui empêche son émergence ?]

      Bonne question. Le problème, je pense, est que ce sont les classes moyennes qui ont aujourd’hui les moyens intellectuels et matériels pour produire une idéologie et la diffuser. Mais ces mêmes classes moyennes sont tellement terrorisées à l’idée de perdre leurs privilèges qu’elles tendent à jeter les autres couches sociales au crocodile avec l’espoir que celui-ci ne les mange pas. Et pour justifier cette attitude, elles fabriquent l’idéologie qui va bien. Dans ces conditions, difficile de construire un projet progressiste, parce que tout progrès ne peut se faire qu’au détriment des classes moyennes.

      [Le "parti creuset" de Mélenchon a failli, mais cela devait beaucoup à la stratégie choisie par Mélenchon lui-même : eût-il voulu construire un mouvement travaillant sur le fond et pris la peine de maintenir les militants gauchistes hors des postes clés plutôt que de les y placer personnellement, le résultat aurait été différent.]

      Je ne sais pas. On peut se demander quelle était la marge de manœuvre de Mélenchon en tant que personne. S’il avait écarté les militants gauchistes et qu’il avait travaillé sur le fond à un projet véritablement progressiste, il aurait probablement été abandonné par les troupes qui l’ont porté lors de l’élection présidentielle. Aurait-il réussi à compenser cet abandon en recrutant dans les couches populaires ? Difficile à dire.

      [Y a t-il aujourd’hui quelque chose qui empêcherait la constitution d’un parti tel que vous l’appelez de vos vœux pour peu qu’il se trouve des gens de bonne volonté prêts à s’y atteler ?]

      Un parti, ce n’est pas seulement « des gens de bonne volonté ». C’est aussi une base sociologique, qui vous soutient parce qu’elle estime que vous défendez leurs intérêts…

      [Bien sûr, je ne parle pas d’un mouvement qui obtiendrait des succès politiques rapides – je vous rejoins sur le fait qu’il faudrait attendre longtemps avant qu’il puisse produire ses premiers effets. Mais constituer un parti digne de ce nom qui chercherait à produire une véritable réflexion ne me semble pas relever de l’impossible aujourd’hui.]

      Impossible non, mais très, très difficile. Ou allez vous trouver des cadres jeunes, dynamiques et capables qui seront prêts à sacrifier leur carrière sur le long terme alors que les autres leur proposent des postes et du pouvoir tout de suite ? Où allez vous trouver des financements, alors que vous construisez un projet qui va contre les intérêts des classes moyennes et de la bourgeoisie ?

      [Vous notez par ailleurs que le rapport de forces est à ce point en faveur des classes moyennes qu’il empêche pour un temps encore toute politique progressiste. A première vue, je suis d’accord. Mais le rapport de forces électoral n’est-il pas autre ?]

      Oui et non. Oui, parce qu’en termes de voix les couches populaires pèsent bien plus lourd que toutes les autres réunies. Non, parce que pour mobiliser le vote il faut une idéologie, et qu’aujourd’hui ce sont les classes moyennes qui ont l’hégémonie dans le champ idéologique.

      [J’ai le sentiment, peut être trompeur, peut être par pessimisme, que le Front National n’est plus si loin d’accéder au pouvoir, parce qu’il peut tirer parti du vaste réservoir électoral que forment les classes populaires. Et s’il ne porte pas une politique progressiste, je ne crois pas non plus qu’il porte une politique si favorable aux classes moyennes, en tout cas par rapport à celle appliquée aujourd’hui.]

      Le Front National « renouvelé » porte un discours très syncrétique. Selon qui parle, on retrouve les relents de la vieille extrême droite française pétainiste et/ou intégriste et/ou Algérie Française, à côté d’un discours économique et social qui ressemble ou l’on retrouve le PCF des années 1960, des éléments de chévenèmentisme ou de séguinisme. Il est impossible de savoir aujourd’hui quelle serait la politique que ferait l’équipe MLP-Philippot si elle était au pouvoir.

      Ce qui pour moi rend le FN intéressant, c’est le fait qu’il est le seul mouvement politique qui échappe aujourd’hui à la domination des classes moyennes, et qui accepte même de se définir en opposition avec elles. C’est cela qui lui permet de tenir un discours « différent » et attractif pour les couches populaires.

  8. v2s dit :

    Et si l’option centriste-européiste-atlantiste-libréchangiste-multiculturaliste-libero-libertaire, étiqueté par vous « pensée unique » était la bonne ?
    Comme personnalité, je n’aime pas trop Valls.
    Mais bon, Valls croit (et moi aussi) que les sympathisants PS sont beaucoup plus centristes, beaucoup moins sectaires et dogmatiques, que les militants et surtout que les élus PS.
    Quand il dit, « Ce sont les entreprises qui créent des emplois … il n’y a pas d’emplois sans employeurs.», à part quelques marxistes égarés dans ce début de XXIème siècle, je suppose qu’en France, on ne doit pas être très loin de 80% à penser la même chose que lui.
    A titre personnel, n’ayant aucune envie d’une expérience Marine Le Pen, je suis prêt à soutenir un Valls qui tenterait de nous faire avancer sur une voie Blaire / Schröder.
    Je ne crois pas à la dé-mondialisation, parce que la mondialisation elle est là. Nous pourrions nous en exclure volontairement mais nous ne pouvons pas la nier et encore moins la défaire.
    Quand, aujourd’hui, les pays du golf vendent des hydrocarbures aux Chinois, Quand ces mêmes Chinois achètent des minerais au Brésil et en Indonésie ou des produits agricoles en Afrique, quand le Brésil vend des trains aux Indiens et aux Chinois, qui leur achètent des avions, quand les Indiens fabriquent leurs propres voitures low cost et les vendent un peu partout en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud … alors, si on est vraiment masochistes, on peut regarder passer le train en spectateur, mais on n’a pas le pouvoir d’arrêter la mondialisation.

    Je ne crois pas non plus à la sortie de l’Europe. Mais, par contre, il n’est désormais pas impossible que l’Europe mette entre parenthèse ses chimères fédéralistes pour se recentrer sur des objectifs d’efficacité, d’abord économique.
    Économiquement, la France recule et pourrait reculer encore de quelques places dans le classement mondial. Mais c’est moins du à notre propre déclin, qu’à la monté en puissance du reste du monde.

    Pour mon anniversaire, on m’a offert l’Atlas de l’Asie du Sud-est, dans la collection autrement. C’est mon livre de chevet du moment.
    Quand on voit à quelle vitesse, en un peu plus d’un demi-siècle, cette région est passée du statut de colonie des occidentaux à celui de nouveau centre du monde, on se dit qu’on devrait peut-être s’habituer à être une ancienne grande puissance.
    Après tout, il y a quelques siècles, le Portugal et la Hollande ont été aussi de très grandes puissances mondiales. Et puis la roue a tourné et ça ne les empêche pas de continuer d’exister.
    Oh bien sûr, on n’est pas obligé de se résigner, on pourrait peut-être essayer de réactiver la politique de la canonnière, déclarer la guerre à l’Indonésie, au Qatar ou au Venezuela pour tenter de s’approprier leur sous sol ? Je ne crois pas que ce serait une très bonne idée.

    Quant à la venue d’un grand homme, d’un De Gaulle, bien sûr que je ne suis pas contre.
    Parce que la médiocrité politique ambiante ne me réjouit pas non plus.
    Mais, même De Gaulle, ne transformerait pas le plomb en or, ni les grandes idées en pétrole, en gaz ou terres rares.

    J’appartiens à la majorité silencieuse, qui va de l’aile non sectaire du PS, jusqu’à la droite modérée, en passant par les centristes, majorité silencieuse qui souhaite que Valls et Macron prennent les mesures économiques qui nous permettraient de faire rentrer de l’argent dans les caisses et surtout de faire baisser le chômage et, que les autres ministres mettent en œuvre des politiques plus égalitaires, pour désamorcer la monté du FN.

    Descartes, vous devez trouver mon point de vue extrêmement « pensée unique », mais je crois que ça peut marcher et que la France peut se tirer de son mauvais pas par cette politique.

    • v2s =>
      « Ce sont les entreprises qui créent des emplois … il n’y a pas d’emplois sans employeurs. »

      Désolé de vous décevoir, mais ces « évidences » que vous partagez avec notre bien-aimé Premier Ministre sont tout simplement fausses.

      Premièrement parce qu’elle suppose une société où 100% des travailleurs sont salariés. Et deuxièmement parce que les entreprises ne « créent » pas d’emplois (ce qui convoi une représentation de toute-puissance et de crainte vis-à-vis de ces forces mystérieuses qui peuvent décider de notre sort), elles ne font qu’embaucher pour répondre à une demande sinon effective, du moins censée se manifester à court terme.

      Ce n’est pas faire du marxisme de constater cela, ni même du keynésianisme. C’est un fait.

      « J’appartiens à la majorité silencieuse, qui va de l’aile non sectaire du PS, jusqu’à la droite modérée. »

      La droite complexée et la droite décomplexée, donc. Sauf qu’on ne peut pas déduire des scores électoraux l’existence d’une « majorité silencieuse » de droite.

      Aller lire ça tiens : http://hydre-les-cahiers.blogspot.fr/2014/08/ceux-qui-changent-le-cours-des-choses.html

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [Et si l’option centriste-européiste-atlantiste-libréchangiste-multiculturaliste-libero-libertaire, étiqueté par vous « pensée unique » était la bonne ?]

      Et si l’option racistes-suprémaciste-identitaire défendue par le Ku-Klux-Klan était la bonne ? Avec des « si » on mettrait Paris en bouteille.

      [Mais bon, Valls croit (et moi aussi) que les sympathisants PS sont beaucoup plus centristes, beaucoup moins sectaires et dogmatiques, que les militants et surtout que les élus PS.]

      Je trouve très drôle votre commentaire. Pour vous, on est « sectaire et dogmatique » lorsqu’on ne partage pas vos idées. En quoi la position « j’aime les entreprises » est par essence moins « sectaire et dogmatique » que la position « je déteste les entreprises » ? Valls n’est pas moins « dogmatique » que Montebourg. Ce sont deux « dogmes » différents, voilà tout. Quant aux sympathisants PS… il n’est pas inutile de rappeler que lorsque Valls s’est présenté devant eux avec ses idées, il a fait 5%. Le 95% des voix est allé à des candidats qui ont fait campagne sur des positions très proches du discours de gauche traditionnel. Alors, Valls est peut-être convaincu que les sympathisants PS sont « centristes », mais sa conviction ne s’appuie guère sur des faits.

      [Quand il dit, « Ce sont les entreprises qui créent des emplois … il n’y a pas d’emplois sans employeurs.», à part quelques marxistes égarés dans ce début de XXIème siècle, je suppose qu’en France, on ne doit pas être très loin de 80% à penser la même chose que lui.]

      Je ne crois pas. Je pense qu’aujourd’hui le 80% des citoyens pense que « ce sont les entreprises qui suppriment des emplois ». Ce qui d’ailleurs est plus conforme aux chiffres publiés par l’INSEE. Par ailleurs, je ne vois pas de quels « marxistes égarés » vous parlez. Le marxisme a toujours soutenu que c’est le capital qui crée les emplois. Il soutient même que le capitalisme se caractérise précisément par le fait que c’est le bourgeois, détenteur du capital, qui achète la force du travail du prolétaire. Au lieu de fantasmer sur le « marxisme » ou de répéter des poncifs sur une théorie que de toute évidence vous ne connaissez pas, vous feriez mieux de l’étudier. Dites-vous bien que si le « marxisme » était une théorie aussi caricaturale que vous le dites, elle n’aurait pas eu l’influence intellectuelle qu’elle a eu et qu’elle a toujours.

      [A titre personnel, n’ayant aucune envie d’une expérience Marine Le Pen, je suis prêt à soutenir un Valls qui tenterait de nous faire avancer sur une voie Blaire / Schröder.]

      C’est parfaitement logique. C’est votre intérêt qui parle.

      [Je ne crois pas à la dé-mondialisation, parce que la mondialisation elle est là.]

      Si c’est une question de foi, alors la discussion s’arrête là. Mais s’il s’agit d’une pensée rationnelle, j’attire votre attention sur le fait qu’en 1789 ceux qui ne croyaient pas à la République parce que la monarchie était là se sont fourrés le doigt dans l’œil.

      [Nous pourrions nous en exclure volontairement mais nous ne pouvons pas la nier et encore moins la défaire.]

      Je retrouve dans cette affirmation votre tendance à appeler à la résignation. Le monde est tel qu’il est, et nous ne pouvons rien y changer, il ne nous reste qu’à nous adapter à l’inévitable. Comme vous le savez, je ne partage pas ce défaitisme. Nous pourrions refuser la mondialisation si tel était notre intérêt. Contrairement à une partie de la gauche radicale, je pense que nous avons tout intérêt à participer dans la mondialisation, mais contrairement à vous je pense que nous pouvons choisir la manière dont nous voulons nous insérer.

      [Je ne crois pas non plus à la sortie de l’Europe. Mais, par contre, il n’est désormais pas impossible que l’Europe mette entre parenthèse ses chimères fédéralistes pour se recentrer sur des objectifs d’efficacité, d’abord économique. Économiquement, la France recule et pourrait reculer encore de quelques places dans le classement mondial. Mais c’est moins du à notre propre déclin, qu’à la monté en puissance du reste du monde.]

      Personnellement, j’en ai rien à foutre de la « place dans le classement mondial » que nous occupons. Mon objectif en politique est qu’on vive le mieux possible en France, pas de remporter des médailles dans une compétition quelconque. Quant à l’Europe, les « chimères fédéralistes » n’ont jamais été qu’un rideau de fumée. Depuis trente ans l’Europe s’est recentré sur des « objectifs d’efficacité économique ». Et elle a tout à fait réussi : en trente ans, la part du PIB qui va aux salariés s’est réduite, celle allant à la rémunération du capital a beaucoup augmenté, les profits des grandes entreprises ont explosé. Ce n’est pas ça, « l’efficacité économique » ?

      [Quand on voit à quelle vitesse, en un peu plus d’un demi-siècle, cette région est passée du statut de colonie des occidentaux à celui de nouveau centre du monde, on se dit qu’on devrait peut-être s’habituer à être une ancienne grande puissance.]

      Encore un appel à la résignation… Je ne vais pas faire de la psychanalyse de comptoir, mais il serait intéressant de connaître d’où vous vient cette tendance mélancolique. Rappelez-vous que les seuls combats qu’on est sur de perdre sont ceux qu’on se refuse à engager…

      [Après tout, il y a quelques siècles, le Portugal et la Hollande ont été aussi de très grandes puissances mondiales.]

      Et avant encore il y eut l’Egypte, Babylone, Assur… mais il y eut aussi la Chine, qui après avoir été une grande puissance connut une période d’effacement… pour redevenir une grande puissance aujourd’hui. Comme quoi, on ne peut jamais savoir si la décadence dans laquelle vous vous complaisez est définitive ou pas.

      [Oh bien sûr, on n’est pas obligé de se résigner, on pourrait peut-être essayer de réactiver la politique de la canonnière, déclarer la guerre à l’Indonésie, au Qatar ou au Venezuela pour tenter de s’approprier leur sous sol ? Je ne crois pas que ce serait une très bonne idée.]

      La Chine est devenue une grande puissance, et je ne me souviens pas qu’elle ait déclaré la guerre à l’Indonésie, le Quatar ou le Venezuela. Ca a du m’échapper. L’Allemagne, elle aussi, revient sur la scène avec une politique de puissance, et elle non plus n’a pas l’air de vouloir envoyer des canonnières…

      [Quant à la venue d’un grand homme, d’un De Gaulle, bien sûr que je ne suis pas contre. Parce que la médiocrité politique ambiante ne me réjouit pas non plus.]

      Je ne comprends pas. A quoi pourrait servir un « grand homme » puisque nous sommes condamnés à devenir dans le meilleur des cas une sorte de Suisse, dans le pire une sorte d’Albanie ?

      [J’appartiens à la majorité silencieuse, qui va de l’aile non sectaire du PS,]

      Par « aile non sectaire », j’imagine que vous entendez l’aile droite. Encore une fois, je ne peux que constater que l’adhésion à la pensée unique n’est pas pour vous un signe de sectarisme, alors que sa contestation l’est… Curieux, non ?

      [(…) jusqu’à la droite modérée, en passant par les centristes, majorité silencieuse qui souhaite que Valls et Macron prennent les mesures économiques qui nous permettraient de faire rentrer de l’argent dans les caisses et surtout de faire baisser le chômage et, que les autres ministres mettent en œuvre des politiques plus égalitaires, pour désamorcer la monté du FN.]

      Là, je ne vous suis plus. Vous ne pouvez pas en même temps « appartenir à la majorité silencieuse qui va de l’aile non sectaire du PS à la droite modérée » et en même temps vouloir qu’on prenne « les mesures économiques qui nous permettraient de faire baisser le chômage ». C’est une contradiction dans les termes. Le « marais centriste » que vous désignez est le même qui, en France mais aussi en Europe, a soutenu avec enthousiasme les politiques qui ont installé le chômage de masse. Imaginer que Valls et Macron puissent demain faire baisser le chômage c’est un peu comme imaginer qu’Herodes ait reçu un premier prix de puériculture.

      [Descartes, vous devez trouver mon point de vue extrêmement « pensée unique »,]

      Ce n’est pas moi qui la caractérise ainsi, mais vous même: vous n’admettez qu’on puisse avoir une autre pensée sans pour autant être « sectaire ». En d’autres termes, votre pensée est la seule, l’unique pensée digne de ce nom. C’est bien ce qui caractérise la « pensée unique », non ?

      [mais je crois que ça peut marcher et que la France peut se tirer de son mauvais pas par cette politique.]

      Comme je vous l’ai dit plusieurs fois, la foi ne se discute pas.

    • Descartes dit :

      @Jonhathan R. Razorback

      [Premièrement parce qu’elle suppose une société où 100% des travailleurs sont salariés. Et deuxièmement parce que les entreprises ne « créent » pas d’emplois (ce qui convoi une représentation de toute-puissance et de crainte vis-à-vis de ces forces mystérieuses qui peuvent décider de notre sort), elles ne font qu’embaucher pour répondre à une demande sinon effective, du moins censée se manifester à court terme.]

      Tout a fait d’accord. Dire que « les entreprises créent des emplois », c’est comme dire que la maffia « protège les commerçants ». Dans les deux cas, on présente un effet collatéral et accessoire comme si c’était un objectif poursuivi. L’entreprise n’a pas pour but de créer des emplois, pas plus que la maffia ne s’est constituée pour protéger les commerçants. Le patron « embauche » et le maffieux « protège » lorsque c’est son intérêt. L’un comme l’autre sont guidés non pas par la recherche du plus haut niveau d’emploi ou de sécurité, mais par la recherche du profit maximum. Si ce profit passe par la création d’emplois, on embauche. S’il passe par la destruction d’emplois, on licencie.

      [La droite complexée et la droite décomplexée, donc. Sauf qu’on ne peut pas déduire des scores électoraux l’existence d’une « majorité silencieuse » de droite.]

      D’ailleurs, il faut toujours se demander pourquoi certaines soi-disant « majorités » persistent à rester « silencieuses »… Peut-être parce qu’elles n’ont pas besoin d’ouvrir la bouche pour que leurs intérêts soient bien défendus ?

  9. morel dit :

    Quelques réflexions rapides à propos de deux lieux communs :

    « Les entreprises créent l’emploi » : une infrastructure même économique ne saurait créer quoique ce soit. Elle est créée et s’inscrit dans un environnement politique, social, juridique et économique dont elle dépend. Et si l’on veut créer des emplois c’est sur cet environnement qu’il faut tenter d’agir.

    « Mondialisation/dé-mondialisation » : Faux débat. Depuis l’aube de l’humanité, la « mondialisation » est en marche. Les fouilles archéologiques nous exposent des produits parfois venus de fort loin pour l’époque. De tous temps l’humanité échange dans tous les domaines possibles. Le problème est ici encore ce que j’ai qualifié d’environnement et sur lequel me semble-t-il il faut agir.

    Descartes, auriez-vous la bonté de dire à mon patron que les vacances étaient trop courtes ? D’avance, je vous en remercie.

    • bovard dit :

      Qu’un responsable soigne sa popularité en affichant de l’empathie pour une structure sociale (entreprise,famille,commune,région,Nation,confédération de Nations….) me semble être un minimum.
      En ce sens la déclaration de Valls:’j’aime l’entreprise’ ne me choque pas;c’est l’autre phrase,jamais mise exergue que je trouve inacceptable.
      ‘J’aime les entrepreneurs’.
      Non,M.Valls,ce n’est pas reponsable.
      Surtout que les entrepreneurs ont des rémunérations pour certains directement proportionnelles à leur degré d’incivisme cupide.L’épisode des +30% pour les dividendes en France,en est une nouvelle illustration.
      Ces péripéties m’amènent à évoquer les rivaux maladroits de Valls à sa gauche:le PCF et ses affidés.
      Comment le fdg n’a t il pas compris que sa distantation gauchiste de la Nation lui nuit considérablement ?
      MGB et consorts ont oublié que la nation française fut le lieu de la plus belle expression démocratique en Europe et dans le monde de l’action communiste?
      Le deal électoral Jospin/Hue n’explique pas tout.
      Une certaine tradition bolchevique voue aux gémonies tout sentimentalisme et complaisance avec les structures étatiques bourgeoises..Justement,100 ans,après la parution du despotique ‘l’état et la révolution’ ,il serait légitime d’entendre P.Laurent ou MGB dire:’j’aime la France’,’j’aime les habitant(e)s de la France’.
      Après tout,les électeurs préfèrent ceux qui les aiment plutôt que ceux qui semblent ‘les snober’…

    • Descartes dit :

      @ bovard

      [Qu’un responsable soigne sa popularité en affichant de l’empathie pour une structure sociale (…) me semble être un minimum. En ce sens la déclaration de Valls: « j’aime l’entreprise » ne me choque pas.]

      Moi, je trouve au contraire que cela fait partie de cette vague de sentimentalisme larmoyant qui menace de submerger notre espace public. Nous avions déjà des ministres qui ont banni de leur vocabulaire les mots « mère » et « père » pour leur substituer « maman » et « papa ». Maintenant, nous sommes obligés d’entendre nos ministres faire des déclarations d’amour es qualités. Bientôt, on verra un ministre pleurer en direct à la tribune de l’Assemblée…

      Les ministres ne sont pas là pour « aimer » telle ou telle catégorie. Ils sont là pour gouverner. Marre des dirigeants qui transforment la République en « telenovela » en étalant leurs sentiments à tout bout de champ. Si Valls « aime les entrepreneurs », alors il n’a qu’a en épouser un. En toute discrétion.

      [(…) c’est l’autre phrase,jamais mise exergue que je trouve inacceptable. « J’aime les entrepreneurs ». Non, M.Valls,ce n’est pas responsable. Surtout que les entrepreneurs ont des rémunérations pour certains directement proportionnelles à leur degré d’incivisme cupide.]

      Et alors ? L’amour est aveugle. Et il n’y a pas lieu de parler de « responsabilité » lorsqu’on aime. On peut aimer un escroc, un salaud, et même un génocide. Je suis sur qu’Eva Braun ne me contredirait pas.

      [Ces péripéties m’amènent à évoquer les rivaux maladroits de Valls à sa gauche:le PCF et ses affidés. Comment le fdg n’a t il pas compris que sa distanciation gauchiste de la Nation lui nuit considérablement ?]

      Lui « nuit » auprès de qui ? Ne croyez pas que la « nation » soit un concept populaire dans tous les quartiers. Pour les couches sociales où le FdG puisse ses militants et ses électeurs, la « nation » n’a pas bonne presse. N’oubliez pas que si pour les couches populaires l’ouverture des frontières est synonyme de délocalisation des emplois, de chômage, de concurrence exacerbée, de baisse des salaires ; pour les classes moyennes l’internationalisation des échanges c’est l’accès à des produits importés bon marché, les vacances à l’étranger, les carrières internationales…

      Reprendre l’idée « nationale » permettrait au FdG de mieux s’adresser aux couches populaires, mais lui « nuirait considérablement » auprès de ses propres militants.

      [Une certaine tradition bolchevique voue aux gémonies tout sentimentalisme et complaisance avec les structures étatiques bourgeoises. Justement, 100 ans, après la parution du despotique ‘l’état et la révolution’, il serait légitime d’entendre P.Laurent ou MGB dire: ‘j’aime la France’, ‘j’aime les habitant(e)s de la France’.]

      Le PCF n’a pas attendu 100 ans pour se réconcilier avec la « nation ». Si l’internationale communiste fut à ses débuts fortement critique de l’idée et du fait national, cette ligne avait été assez largement battue vers la fin des années 1930. Le conflit entre la « gauche » – Trotski, Boukharine – du Parti Bolchévique et sa « droite » – Staline portait en grande partie sur cette question, et la victoire des staliniens a marqué un changement complet de la réflexion sur ces questions. Les débats dans le mouvement communiste international se sont bien entendu ressentis au PCF, et ont vu s’affronter un courant pacifiste-internationaliste et un courant plus jacobin. C’est ce dernier qui s’est imposé, aidé en cela par les conséquences de la défaite de 1940. A partir de 1945, le PCF se positionne clairement comme un parti « national », républicain et jacobin. Quand Aragon – poète « officiel » du Parti – écrit « mon parti m’a rendu les couleurs de la France », tout est dit, et bien mieux que dans les « déclarations d’amour » qu’on entend aujourd’hui.

      A partir des années 1990, avec la transformation du PCF en secte gauchiste dominée par les classes moyennes – oui, je sais, c’est un pléonasme – cette position républicaine et jacobine a été progressivement abandonnée. Très progressivement, pour ne pas heurter une base militante « ancienne » qui reste en partie attachée à ses racines, mais l’abandon est incontestable. Petit à petit, le PCF s’est fait le défenseur de la « construction européenne », de la monnaie unique, de la décentralisation, des langues régionales et de toutes sortes de communautarismes.

      [Après tout,les électeurs préfèrent ceux qui les aiment plutôt que ceux qui semblent ‘les snober’…]

      Pas forcément. Les français sont très ambigus à ce sujet. Nos « grands hommes », de Clemenceau à De Gaulle, ont souvent été des personnalités revêches, peu enclines à manifester leur « amour » pour quiconque dans la sphère publique. Les flans larmoyants qui font profession « d’aimer les français » à tout bout de champ sont souvent des personnalités de deuxième rang.

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