Le grand bavardage

“tu causes, tu causes, c’est tout ce que tu sais faire” (Raymond Quéneau, “Zazie dans le métro”)

François Bayrou n’est pas Philippe de France, comte de Poitiers. Contrairement à celui qui devint roi de France sous le vocatif de Philippe V en 1316, notre premier ministre n’a pas osé murer les partenaires sociaux dans une chapelle au pain et à l’eau, et avec la menace d’en enlever le toit s’ils n’arrivaient pas à un accord présentable dans le délai indiqué. Les cardinaux, réunis en concile à Lyon ont obligé Philippe en élisant rapidement son candidat, Jacques Duèze, devenu Jean XXII. Les partenaires sociaux, réunis en « conclave », ont désobligé le premier ministre en se séparant, après quatre mois de réunions acrimonieuses, sans qu’aucune proposition consensuelle n’en sorte.

Que l’exercice fut vain, c’était prévisible dès le départ pour qui connaît le principe fondamental de toute négociation. Pour que les parties s’entendent, il faut qu’elles aient toutes quelque chose à gagner à le faire, ou bien quelque chose à perdre si la négociation n’aboutit pas. En annonçant par avance que tout ce qui tenait à cœur le MEDEF était intouchable, il a enlevé au patronat tout intérêt à faire la moindre concession. FO et la CGT l’ont très bien compris, et ont quitté la table des négociations plutôt que de cautionner ce qui n’était plus qu’un exercice pour gagner du temps. La CFDT, elle, est restée. Pourquoi ? Parce que certaines sirènes leur ont susurré à l’oreille que le gouvernement serait prêt à faire pression sur le patronat pour récompenser la position conciliante du syndicat et ainsi conserver un interlocuteur bienveillant parmi les partenaires sociaux. C’est pourquoi, jusqu’à la dernière minute, les connaisseurs s’attendaient à un accord qui ferait à la CFDT ne serait-ce qu’une concession symbolique. Un petit prix de consolation sur la carrière des femmes tenait la corde. Hélas, c’était ne pas tenir compte des « durs » du MEDEF, qui n’ont aucune envie de mettre de l’argent dans la caisse, et surtout de prendre le risque d’un débat parlementaire qui, dans le contexte actuel, peut produire à peu près n’importe quoi.

Outre la CFDT, ce sont les socialistes qui sortent ridiculisés de cet exercice. On se souvient que le « conclave » fut le prix payé par Bayrou aux socialistes pour faire passer à l’Assemblée sa loi de finances sans risquer la censure. Quatre mois plus tard, les socialistes réalisent qu’ils ont lâché la proie pour l’ombre. Ils auraient pu obtenir des concessions substantielles sur le budget à l’époque, car Bayrou était aux abois et prêt à tout pour rester en poste. Aujourd’hui, ils vont essayer de cacher leur bêtise derrière une motion de censure parfaitement inutile. Pourquoi inutile ? Parce qu’à supposer même qu’elle soit adoptée, elle n’aura aucun effet sur la vie des Français. Renverser le gouvernement ne changera rien à la réforme, qui continuera à s’appliquer sans modification. Cette motion de censure n’est qu’une pure vengeance, et en politique les vengeances ne servent à rien. A supposer qu’elle soit votée, elle ne ferait que bordéliser un peu plus le système sans rien apporter aux Français. Et le Rassemblement national ne s’est pas trompé en décidant de ne pas la soutenir, quitte à se faire accuser de « soutenir Macron ».

Cette lamentable affaire n’est que l’illustration d’une dégradation générale. Une dégradation qui ne touche pas que la France, mais qui est celle de toute l’Europe. Nous sommes gouvernés par des gens dont le seul objectif est de durer. Que ce soit du côté du premier ministre ou celui du parti socialiste, ce « conclave » était un dispositif inventé pour sortir d’un mauvais pas. Les socialistes avaient besoin d’un prétexte pour ne pas voter la censure lors du budget pour faire plaisir à leur électorat modéré, Bayrou avait besoin de leurs voix pour rester à Matignon. Alors ils sont tombés d’accord sur le « conclave » sans que personne ne réfléchisse vraiment à l’après. « On verra quand on y sera » semble être le crédo de nos dirigeants, tout juste capables de naviguer à vue.

Mais cette affaire illustre aussi le fait que la politique est devenue en Europe un genre théâtral. Nos dirigeants montent sur la scène et parlent, parlent, parlent, sans attendre de tous ces discours le moindre effet sur le monde réel. Sur les chaînes dites d’information, des pseudo-experts commentent leurs propos à l’infini, quitte à défoncer des portes ouvertes ou dire le lendemain le contraire de ce qu’ils ont dit la veille. Tout cela rajoute à un système où le bavardage est roi, et où le citoyen, qui est plus intelligent qu’on ne le pense généralement, cesse d’écouter.

Prendre des décisions, les mettre en oeuvre ? Vous n’y pensez pas. C’est comme ça qu’on se fait des ennemis. Décider, c’est dangereux, parce qu’une décision « c’est l’annulation de tous les possibles sauf un », et que derrière chacun de ces possibles il y a quelqu’un qui, forcément, ne sera pas content. Alors on retarde, on procrastine, on invente des comités consultatifs, des grands débats et des conclaves qui permettent de gagner – ou plutôt de perdre – des mois quand ce n’est pas des années. Et lorsque la décision est finalement prise, pas de panique : on a prévu des recours, réexamens et autres « clauses de revoyure » permettant de bloquer ou ralentir sa mise en œuvre à l’infini.

Et pour justifier le fait que tout le monde cause mais rien n’est fait, les politiciens et les médiacrates se sont trouvés le coupable idéal. Si rien ne se fait, nous dit-on, c’est la faute à « L’Etat profond », à tous ces fonctionnaires qui bloquent nos belles réformes. Tout ça n’est, bien entendu, qu’une invention. Ce n’est pas la faute de « l’Etat profond » si deux ans après l’annonce de la construction de six réacteurs EPR aucune décision n’est prise, si les « classes de niveau » ne sont pas mises en œuvre ou si l’aéroport de Notre Dame des Landes, dont la construction a été décidée dans les années 1960, n’est toujours pas là. C’est une question de volonté politique : lorsque la volonté existe – prenez par exemple le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu – « l’Etat profond » non seulement n’empêche rien, mais au contraire, fait ce qu’on lui dit et le fait bien. Mais l’Etat profond est comme un navire : il va où on lui dit d’aller. Et si le capitaine se confond entre ordres et contre-ordres, il faut pas s’étonner si on finit dans les cailloux.

La politique internationale est peut-être le domaine où cela est le plus évident. On a longtemps discuté si la France était encore une grande puissance, ou bien si elle s’alignait parmi les puissances moyennes. Nous savons maintenant que dans les affaires du monde nous ne pesons plus rien du tout. Les guerres commencent et s’arrêtent sans que la France soit, je ne dis pas consultée, mais au moins informée. Que les Etats-Unis exercent une influence prédominante, on peut le comprendre compte tenu de leur poids démographique, économique et militaire. Mais comment se fait-il qu’un petit pays comme Israël devienne plus significatif en termes d’influence internationale qu’une puissance comme la France ? Comment se fait-il que la Russie, dont le PIB est équivalent à celui de l’Allemagne, arrive à tenir tête à l’ensemble du monde occidental ? Eh bien, la réponse est simple : parce que ces pays-là, lorsque leurs intérêts sont menacés, ne se contentent pas de bavardages. Ils agissent. Leurs dirigeants préparent – souvent très à l’avance – leurs actions, et lorsqu’ils prennent une décision, ils la mettent en œuvre. Poutine estime que la menace vitale que serait l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN risque de se réaliser ? Il donne l’ordre à ses troupes de traverser la frontière, et la décision est effective dans les jours qui suivent. Trump estime que les intérêts de son pays exigent des barrières douanières ? La décision est prise en quelques semaines, et quelques jours plus tard la décision s’applique. Et comment cela se passe chez nous ? Rien n’est préparé, aucun plan n’est tracé, et lorsqu’on est finalement au pied du mur, on réagit dans l’urgence et on se contente de bavarder. On savait en Europe depuis des années que l’élection de Trump était une possibilité, et on connaissait ses positions sur les droits de douane ou sur l’Ukraine. A-t-on réfléchi à une riposte, préparé un plan pour réagir rapidement le jour venu ? Rien du tout. Résultat : sur l’Ukraine, les leaders européens tournent comme des poulets sans tête, les barrières douanières américaines sont là depuis plus d’un mois, l’Union européenne n’a toujours pris aucune décision. « Tu causes, tu causes, c’est tout ce que tu sais faire », selon le mot de Laverdure chez Queneau.

Trump méprise les européens, et il a parfaitement raison. Il les méprise parce qu’il a pris la pleine mesure de leurs limitations. Et les européens font tout pour justifier ce mépris. Il n’y a qu’à lire le message de Mark Rutte la veille du sommet de l’OTAN, un message dont la flagornerie est digne d’un courtisan du temps de Louis XIV. Le voici en version intégrale : « Félicitations et remerciements pour votre action décisive en Iran, c’était vraiment extraordinaire, et quelque chose que personne d’autre n’osait faire. Cela nous rassure tous. Vous volez maintenant vers un autre grand succès à La Hague ce soir. Ce n’était pas facile, mais nous avons réussi à les faire signer pour le 5%. Donald, vous nous avez conduit à un moment vraiment, vraiment important pour l’Amérique et l’Europe, et pour le monde. Vous allez accomplir quelque chose que AUCUN président américain depuis des décennies n’a réussi. L’Europe va passer à la caisse EN MASSE, comme c’est leur devoir, et ce sera votre victoire. » (soulignés de l’auteur). Et Rutte n’est pas n’importe qui : c’est un politicien chevronné, ancien premier ministre de son pays. Si une telle personnalité s’abaisse à lécher les bottes de Trump par écrit, pourquoi attendre que celui-ci le respecte, et respecte cette « Europe » qu’il représente ? Mais surtout, comment ne pas comprendre que derrière cette flagornerie se cache un réel désarroi, parce que les européens n’ont pas pensé un « plan B » à mettre en œuvre ?

Et ce n’est pas seulement Trump. Ni Xi ni Poutine n’ont l’Europe en grande considération. Même un Netanyahu, pourtant dirigeant d’un petit pays qui a désespérément besoin d’amis, se permet de railler les européens. Le seul qui n’a toujours pas compris est Zelenski, et même lui commence à se demander si, en cherchant des relations étroites avec l’UE, il a parié sur le bon cheval. Et si on nous méprise, nous n’avons que nous-mêmes à blâmer. L’autosatisfaction permanente de la Commission, que ni le rapport Letta, ni le rapport Draghi – pourtant tous deux accablants pour les politiques mises en œuvre par l’establishment européen – n’ont réussi à ébranler, devient pathétique. Alors que la position de l’UE dans le monde recule sur les plans économique, politique, militaire et culturel, difficile de trouver un seul papier de la Commission, un seul compte rendu de séance du Conseil européen qui ne soit farci de paragraphes d’autocongratulation. Comme le bon docteur Coué le recommandait, les institutions bruxelloises expliquent à chaque communication que tout va de mieux en mieux. Ce décalage entre les réalités et le discours finit par se voir. Et ce décalage devient de plus en plus voyant, parce que le monde change de plus en plus vite, et les institutions européennes sont incapables de changer, congelées par les dogmes maastrichiens.  

Il faut regarder en face le désastre. Le problème n’est pas d’avoir une armée européenne. On en aurait une qu’on ne saurait pas quoi en faire avec. Si elle existait, les européens attendraient que les  américains nous pointent la direction où il faut l’envoyer, comme en Ukraine. Il n’y a qu’à voir l’usage qui est fait – ou plutôt qui n’est pas fait – des instruments économiques à la main de la Commission à l’heure de riposter aux droits de douane américains. Et c’est logique : il n’existe pas « d’intérêt européen » fondé sur une solidarité inconditionnelle entre citoyens européens. Dans ces conditions, impossible de définir une politique commune qui ne soit pas le résultat d’une négociation de marchand de tapis. Et on ne peut pas faire dépendre une politique étrangère ou le commandement d’une armée de ce genre de négociation. Pour pouvoir prendre des décisions fondamentalement tragiques, il faut avoir le peuple derrière soi. Et il n’y a pas de « peuple européen ».

La construction européenne n’a pas fabriqué une nouvelle nation, mais a émasculé les nations existantes. En diluant les responsabilités, en transformant chaque décision en une négociation interminable, en confiant le véritable pouvoir à des organismes bureaucratiques ou à des lobbies, elle a vidé la politique de son sens. Et cela a transformé les classes politiques nationales. La fonction du politicien n’est plus de définir une vision et de la mettre en œuvre, mais d’expliquer au peuple des décisions prises ailleurs. Ce n’est plus de « rendre possible ce qui est nécessaire », pour reprendre la formule de Richelieu, mais d’expliquer pourquoi ce qui est nécessaire est rendu impossible. Et c’est pourquoi le profil du politicien change : ce n’est plus un visionnaire, ou bien un champion de la mise en œuvre, mais un communicateur, souvent plus intéressé par l’explication de son action que par l’action elle-même. Souvenez-vous d’Emmanuel Macron pendant le « grand débat », pérorant en manches de chemise pendant des heures devant son audience, lui qui est incapable de se concentrer pendant la même durée sur un dossier de fond. Et il n’est pas le seul : des ministres qui peinent à consacrer trente minutes à l’analyse d’un dossier passent des heures à préparer une conférence de presse.

C’est au Parlement que cette dérive fait le plus de dégâts. A l’Assemblée, le véritable travail législatif est devenu marginal dans un hémicycle où l’obsession de chacun est de se faire remarquer. Drapeaux, t-shirts et pancartes sont devenus les outils d’un travail parlementaire devenu spectacle. C’est en cela que l’Assemblée ressemble de plus en plus à une assemblée universitaire : tout est dans le symbole, dans l’apparence, dans la communication. La réalité, on s’en fout. Prenez par exemple les « niches » parlementaires dont on faisait, lorsqu’elles ont été instaurées, le symbole du retour en force du Parlement. En pratique, elles ne servent à rien, si ce n’est à faire de l’affichage. La plupart des groupes y place des textes dont il sait qu’ils ne seront pas votés, mais qui lui permettent de briller dans les médias. Ce petit jeu a lassé tout le monde : la dernière s’est arrêtée après que le rapporteur ait renoncé à soutenir son texte, constatant qu’il n’avait aucune chance d’être examiné sérieusement.

Dans cette logique de bavardage, l’obstruction est devenue le mode naturel de fonctionnement du Parlement. Fut un temps où les textes législatifs faisaient l’objet de quelques dizaines, voire quelques centaines d’amendements sérieusement pensés et considérés, qu’on prenait vraiment le temps d’examiner. Le dépôt de milliers d’amendements pour ralentir le débat était une tactique réservée à quelques textes considérés comme particulièrement sensibles. A titre d’illustration, la loi Veil de 1974, pourtant touchant un sujet complexe, a fait l’objet d’une centaine d’amendements – dont une proportion importante retirés en séance. Maintenant, le moindre texte fait l’objet de centaines sinon de milliers d’amendements. La qualité du débat s’en ressent, d’autant plus que les quatre cinquièmes – et encore, je suis gentil – des amendements déposés en séance ne se proposent pas d’améliorer le texte, mais ont pour but de permettre à leur auteur de communiquer vis-à-vis de ses électeurs. Et peu importe s’ils rendent la loi plus obscure ou inapplicable, voire ont l’effet contraire à celui voulu par leurs auteurs – et les cas sont nombreux (2).

A cela s’ajoute une véritable culture de l’empêchement. De plus en plus, on rentre dans l’activité politique par le biais d’un militantisme négatif, dont le but n’est pas de faire, mais d’empêcher. C’est particulièrement flagrant dans les mouvements écologistes, où l’on présente comme médaille d’honneur le fait d’avoir participé au fauchage d’un champ d’OGM ou à une manifestation contre tel ou tel projet. La diffusion de l’écologisme dans l’ensemble des partis politiques, notamment à gauche, a transporté une culture où ceux qui « font » sont diabolisés et ceux qui « empêchent de faire » portés aux nues. On en arrive à une situation où les hommes politiques hésitent à mettre en valeur les réalisations – pensez à l’EPR de Flamanville, couplé au réseau sans un seul ministre présent pour marquer l’occasion… faire, c’est dangereux, ça vous fait des ennemis, alors que ne rien faire fait tout au plus des mécontents.

Le système de sélection des élites donne une telle prime au communicant que nous nous trouvons avec des gens qui savent vendre ce qu’ils font, mais ne savent rien faire – et au fond, faire ne les intéresse même pas. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant si de plus en plus nos hommes et femmes politiques viennent de formations proches de la communication, comme Sciences-Po ou les écoles de commerce. C’est très grave, parce que cette dérive donne au secteur privé – qui, ne l’oublions pas, agit en fonction des intérêts de ceux qui possèdent le capital – le monopole de l’action. Puisque l’Etat ne fait plus que bavarder, c’est l’activisme du secteur privé qui s’impose. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si la construction européenne, qui a servi à organiser l’impuissance du politique, a toujours été soutenue avec enthousiasme par les détenteurs du capital.

Tous ceux qui prétendent revitaliser la démocratie à grands renforts de réformes constitutionnelles manquent le point essentiel. Ce qui dévitalise la démocratie, c’est la perception – justifiée par les faits – que ce qui se dit sur la scène n’a aucun effet sur la réalité. Que ce bavardage général rapproche l’action politique du café du commerce. Si l’on veut revitaliser la démocratie, il faut finir avec le bavardage, exiger que les hommes politiques fassent ce qu’ils disent, et assument les résultats.

Descartes

(1) « Congratulations and thank you for your decisive action in Iran, that was truly extraordinary, and something no one else dared to do. It makes us all safer. You are flying into another big success in La Hague this evening. It was not easy but we’ve got them all signed onto 5%. Donald, you have driven us to a really, really important moment for America and Europe, and the world. You will achieve something NO american president in decades could get done. Europe is going to pay in a BIG way, as they should, and it will be your win. (…) »

(2) pour ne donner qu’un exemple, lors du vote de la loi dite « Gremillet », la gauche et le Rassemblement national votent un premier amendement pour inscrire à l’article L 100-1 du code de l’énergie le monopole réservant à EDF l’exploitation des réacteurs nucléaires, pour ensuite voter un second amendement qui, en réécrivant l’article concerné, élimine du même coup le premier amendement…

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69 réponses à Le grand bavardage

  1. Thomas dit :

    Bonjour Descartes,
    Un constat accablant qui a bien peur de chance de changer en bien tant que la population continuera à s’en foutre et n’exigera pas la fermeture du cirque hélas.
     
    Vous avez confondu Philippe V dit le long avec le grand Philippe II ”auguste” dans votre référence historique.

    • Descartes dit :

      @ Thomas

      [Vous avez confondu Philippe V dit le long avec le grand Philippe II ”auguste” dans votre référence historique.]

      C’est vrai. Je peux dire à ma décharge que l’erreur vient du fait que Philippe régna en France sous le vocatif de Philippe V, mais fut aussi roi de Navarre sous celui de Philippe II… J’ai corrigé dans le papier.

  2. tmn dit :

    Le “On verra quand on y sera” n’est pas un credo seulement chez nos dirigeants politiques : c’est aussi quelque chose qu’on entend ailleurs, par exemple dans les entreprises ou les administrations. Là aussi la communication et le court terme ont pris le dessus. Dans beaucoup de métiers essayer de voir à plus de six mois est au mieux vu comme une lubie ! Ce que je ne m’explique pas trop c’est : pourquoi en France et en Europe, et moins en Russie ou aux USA ? L’union européenne n’est pas non plus responsable de ce court-termisme dans tous les secteurs je pense…Sur la négociation sur les retraites, cet “échec” a au moins le mérite de clouer le bec aux tenants du discours “les partenaires sociaux savent mieux gérer que l’Etat, on va vous montrer…”.

    • Descartes dit :

      @ tmn

      [Le “On verra quand on y sera” n’est pas un credo seulement chez nos dirigeants politiques : c’est aussi quelque chose qu’on entend ailleurs, par exemple dans les entreprises ou les administrations. Là aussi la communication et le court terme ont pris le dessus. Dans beaucoup de métiers essayer de voir à plus de six mois est au mieux vu comme une lubie !]

      C’est quelque chose que je perçois aussi. Mais je m’interroge sur le mécanisme qui provoque cette transformation. Est-ce là aussi une conséquence d’une vision hyperindividualiste qui fait que chaque acteur ne pense qu’en fonction de son propre horizon temporel ? Est-ce parce que la logique généralisée du « marché libre et non faussé » impose la « myopie des marchés » dans l’ensemble des activités économiques ?

      [Ce que je ne m’explique pas trop c’est : pourquoi en France et en Europe, et moins en Russie ou aux USA ? L’union européenne n’est pas non plus responsable de ce court-termisme dans tous les secteurs je pense…]

      C’est peut-être parce que nulle part ailleurs la logique de la « concurrence libre et non faussée » est poussée aussi loin. Aux Etats-Unis, ce sont les oligopoles qui dominent l’économie, et l’Etat n’hésite pas à restreindre la concurrence pour protéger une entreprise jugée stratégique. En Russie comme en Chine, la « concurrence libre et non faussée » n’est certainement pas un objectif en soi. Il n’y a qu’en Europe qu’on flingue nos propres entreprises de peur qu’elles aient une position dominante, qu’on démantèle des entreprises qui marchent pour créer artificiellement de la concurrence. Et la concurrence entraine un rapprochement de l’horizon temporel. Prenez par exemple l’électricité : avant l’ouverture à la concurrence, un industriel qui s’installait en France pouvait négocier avec EDF un contrat sur dix ou vingt ans. A l’ouverture de la concurrence, la Commission européenne a jugé de tels contrats « anticoncurrentiels » et exigé une remise en concurrence tous les trois ans maximum… Qui va construire une usine – ou une centrale électrique d’ailleurs – à amortir sur vingt ans ou plus alors que le prix de l’électricité peut fluctuer tous les trois ans ?

      [Sur la négociation sur les retraites, cet “échec” a au moins le mérite de clouer le bec aux tenants du discours “les partenaires sociaux savent mieux gérer que l’Etat, on va vous montrer…”.]

      Tout à fait. Ma crainte venait de la CFDT. Je me suis dit que la direction serait prête, pour ne pas perdre la face, à accepter n’importe quoi, suivant l’adage qui veut que « si demain le MEDEF proposait de rétablir l’esclavage, la CFDT négocierait le poids des chaînes ». Le fait qu’ils ne l’aient pas fait me paraît indiquer un niveau d’exaspération de leur base particulièrement fort…

      • tmn dit :

        @Descartes

        [C’est quelque chose que je perçois aussi. Mais je m’interroge sur le mécanisme qui provoque cette transformation. Est-ce là aussi une conséquence d’une vision hyperindividualiste qui fait que chaque acteur ne pense qu’en fonction de son propre horizon temporel ? Est-ce parce que la logique généralisée du « marché libre et non faussé » impose la « myopie des marchés » dans l’ensemble des activités économiques ? ]
        Je n’ai pas trop d’idée sur la réponse, mais c’est quelque chose dont j’ai déjà parlé avec quelques personnes, et même celles qui travaillent dans des secteurs où la concurrence est absente constatent le même “court-termisme”. Donc je dirais que la “myopie des marchés” n’est pas le seul facteur.
         

        • Descartes dit :

          @ tmn

          [« C’est quelque chose que je perçois aussi. Mais je m’interroge sur le mécanisme qui provoque cette transformation. Est-ce là aussi une conséquence d’une vision hyperindividualiste qui fait que chaque acteur ne pense qu’en fonction de son propre horizon temporel ? Est-ce parce que la logique généralisée du « marché libre et non faussé » impose la « myopie des marchés » dans l’ensemble des activités économiques ? » Je n’ai pas trop d’idée sur la réponse, mais c’est quelque chose dont j’ai déjà parlé avec quelques personnes, et même celles qui travaillent dans des secteurs où la concurrence est absente constatent le même “court-termisme”. Donc je dirais que la “myopie des marchés” n’est pas le seul facteur.]

          Je pense qu’en exonérant « la myopie des marchés », vous allez un peu vite en besogne. Même si l’on ne travaille pas dans un secteur soumis à la concurrence, nous vivons, n’en déplaise à Lionel Jospin, dans une « société de marché ». Et le marché est omniprésent dans nos vies, quand bien même notre activité y échapperait. Prenons un exemple : vous êtes directeur départemental des routes. A priori, vous êtes en situation de monopole, et votre activité n’est pas soumise à la concurrence. Mais les travaux d’entretien sont réalisés par des entreprises prestataires qui, elles, sont remises en concurrence tous les trois ans – c’est la règle européenne, on n’y peut rien. Et comme ces entreprises savent qu’elles n’ont aucune garantie de conserver leurs contrats, leurs priorités, leur équipement, la formation de leur personnel sont déterminées par « la myopie des marchés ». Et comme vos résultats dépendent de leur activité, vous y êtes affecté quand bien même votre activité n’est pas directement soumise à la concurrence…

          Dans nos sociétés capitalistes avancées, il reste quelques ilots de stabilité, mais la plus grande partie de notre environnement est fixé par des marchés. Et de plus en plus. Dans les années 1970, des éléments aussi divers que l’électricité, la baguette, l’éducation, le crédit bancaire échappaient au marché. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Vous êtes donc soumis à la « myopie des marchés » dans votre environnement quotidien. Est-ce déraisonnable de voir dans ce fait une explication possible du « court-termisme » ambiant ?

          • tmn dit :

            @Descartes
             
            Dans votre exemple, je comprends bien que les entreprises prestataires (qui au final font le travail) puissent avoir le court terme comme priorité. Mais le donneur d’ordres (le directeur départemental) n’a lui aucune raison valable de ne pas voir les choses à long terme (en tout cas pas plus qu’il y a 20 ans).
             
            Or c’est bien ça que j’ai constaté : des responsables qui privilégient le court-terme sur tout le reste, que ce soit dans le public ou ailleurs. C’est cela qui m’interroge beaucoup. Sans trop rentrer dans les détails, j’ai travaillé comme prestataire informatique (*) pendant de nombreuses années, et aujourd’hui on a du mal à différencier un manager d’équipe d’une banque de celui d’un organisme de protection sociale ou même d’un ministère…
             
            (*) au passage d’ailleurs le recours à la prestation externe dans l’informatique est aussi un domaine où les choses sont devenues totalement aberrantes, public ou privé tout le monde utilise au-delà de toute mesure des « consultants » qui ne sont que des salariés déguisés, le droit du travail ne semble pas gêner grand monde.
             
             
             
             

            • Descartes dit :

              @ tmn

              [Dans votre exemple, je comprends bien que les entreprises prestataires (qui au final font le travail) puissent avoir le court terme comme priorité. Mais le donneur d’ordres (le directeur départemental) n’a lui aucune raison valable de ne pas voir les choses à long terme (en tout cas pas plus qu’il y a 20 ans).]

              Bien sur que si. Il y a vingt ans, le directeur départemental avait des équipes de maintenance, des parcs de machines et de matériels à sa main. C’était lui qui organisait l’entretien des routes et le service aux usagers. Aujourd’hui, il ne peut intervenir dans l’organisation. C’est l’entreprise prestataire qui s’organise comme elle veut, et la DIR ne fait que contrôler que les résultats prévus au contrat sont atteints.

              [Or c’est bien ça que j’ai constaté : des responsables qui privilégient le court-terme sur tout le reste, que ce soit dans le public ou ailleurs. C’est cela qui m’interroge beaucoup. Sans trop rentrer dans les détails, j’ai travaillé comme prestataire informatique (*) pendant de nombreuses années, et aujourd’hui on a du mal à différencier un manager d’équipe d’une banque de celui d’un organisme de protection sociale ou même d’un ministère…]

              Oui, parce que la logique de marché – et donc sa myopie – s’est insinuée partout. Même dans les métiers et les fonctions qui traditionnellement y échappaient.

              [(*) au passage d’ailleurs le recours à la prestation externe dans l’informatique est aussi un domaine où les choses sont devenues totalement aberrantes, public ou privé tout le monde utilise au-delà de toute mesure des « consultants » qui ne sont que des salariés déguisés, le droit du travail ne semble pas gêner grand monde.]

              En principe, ces « consultants » ne sont pas des « salariés déguisés ». Il sont soumis à l’autorité de leur employeur, le cabinet de conseil, et non celle du donneur d’ordres. Et – du moins dans le secteur public – ils sont beaucoup mieux payés !

  3. Cyril Vailly dit :

    Bonjour,
    J’ai entre autres une activité de correspondant local de presse (ce qui, en passant, me permet d’échanger et discuter avec beaucoup de gens sur leur ressenti). Et en plaisantant, j’ai l’habitude de dire : ” L’important, ce pas le savoir-faire mais le faire-savoir “.
    Cordialement (et en passant petite nuance amicale : Louis Ier était roi de Navarre avant de devenir Louis X le Hutin roi de France. Il était le fils ainé de Philippe IV le Bel, qui lui non plus n’attendait pas pour agir)
    est roi de Navarre et comte de Champagne de 1305 à 1316 sous le nom de Louis Ier et roi de France de 1314 à 1316,

    • Descartes dit :

      @ Cyril Vailly

      [J’ai entre autres une activité de correspondant local de presse (ce qui, en passant, me permet d’échanger et discuter avec beaucoup de gens sur leur ressenti). Et en plaisantant, j’ai l’habitude de dire : ” L’important, ce pas le savoir-faire mais le faire-savoir “.]

      Malheureusement, c’est devenu presque la devise de la République. Dans les couloirs du pouvoir, on trouve de plus en plus des gens qui n’ont jamais rien fait de leur vie, mais qui sont là du fait de leur qualité de communicateurs. Qu’un personnage comme Gabriel Attal ait accédé à Matignon est une triste illustration de ce phénomène. En début de carrière, j’avais eu un chef qui, chaque fois qu’on discutait d’une nomination ou d’un recrutement, posait la question « lui, qu’est ce qu’il a construit dans sa vie ? ». Pour lui, il n’était pas question de donner des responsabilités à des gens qui n’avaient jamais rien fait…

  4. Snell2025 dit :

    Pendant ce temps là, en Chine:
     
    – guerre des prix en interne, “involution”: les entreprises se tournent vers l’export
    – yuan au plus bas depuis au moins 10 ans
    – montée en gamme suite a plus de 15 ans d’investissements/subventions (pdt que l’Europe/Allemagne demandaient aux pays du Sud de faire des passeports dorés, de vendre des iles, des infrastructures portuaires aux Chinois).
    – bulle du logement qui se degonfle de maniere controllée, l’économie est stimulée avec des projets industrielles plutot que du logement ou infrastructure de transport.
     
    La Chine n’est pas un modele et certains secteurs comme les paneaux solaires ou la voiture electrique commencent a voir pointer des symptomes de surrendettement/surinvestissement mais ce modele a de quoi finir de desindustrialiser ce qui reste de l’Europe (la France a plus a perdre de maniere indirecte via l’Allemagne que directe), le temps que ce modele se stabilise (a la japonaise ?).
     
    L’Europe a un sommet le mois prochain avec la Chine. Ce sujet se fait discret dans les médias fr (mais un article récent du NYT mentionne la redirection des exports chinois vers l’Europe, un autre mentionne l’apparition de generations chinoises desillusionnées face au travail et l’ascension sociale dans un pays de piston et nepotisme, un autre article parle du fait que les entreprises chinoises se zombifient car le gouv central craint le chomage et l’instabilité sociale). La Chine est peu couverte avec nuances et empathie pour les travailleurs chinois dans les médias fr alors que c’est le tiers des capacités industrielles du monde. Pour autant, ce qui se passe la-bas aura plus d’impacts que les discours/decisions de Macron ou autres politiques francais sur nos situations professionelle et materielle.

    • Descartes dit :

      @ Snell2025

      [Pendant ce temps là, en Chine:
      – guerre des prix en interne, “involution”: les entreprises se tournent vers l’export
      – yuan au plus bas depuis au moins 10 ans
      – montée en gamme suite a plus de 15 ans d’investissements/subventions (pdt que l’Europe/Allemagne demandaient aux pays du Sud de faire des passeports dorés, de vendre des iles, des infrastructures portuaires aux Chinois).
      – bulle du logement qui se degonfle de maniere controllée, l’économie est stimulée avec des projets industrielles plutot que du logement ou infrastructure de transport.]

      S’il existait une organisation économique qui marche dans toutes les situations, sans a coups et sans qu’il soit besoin d’intervenir pour corriger les dérives, ça se saurait. Le modèle économique chinois a ses atouts et ses problèmes. Certains sont conjoncturels, comme ceux que vous soulignez, d’autres sont structurels, et je pense en particulier au problème des excédents commerciaux. En effet, l’excédent des uns fabrique nécessairement un déficit chez les autres, et donc de l’endettement… Mais si l’on peut reconnaître une force au modèle chinois, c’est le fait qu’il s’agit d’un modèle piloté, autrement dit, qu’il existe une autorité qui veille sur les indicateurs, qui cherche à prévoir les dérives et de les corriger. La montée en gamme ou le dégonflement de la bulle immobilière sont le résultat de politiques pensées, et non de l’action aveugle du marché.

      La Chine ne fait autre chose que ce que nous avons fait chez nous après 1945 : contrôle du crédit, politique monétaire au service de l’activité, intervention massive de l’Etat dans les domaines stratégiques sans pour autant brider l’initiative privée. Bref, ce qu’on peut appeler un « capitalisme d’Etat ». Il est d’ailleurs drôle de constater qu’en France ce système connut son apogée sous le « gaullo-communisme », alors qu’en Chine il fonctionne sur la base d’une alliance entre la couche entrepreneuriale et le Parti communiste…

      [La Chine n’est pas un modèle et certains secteurs comme les panneaux solaires ou la voiture électrique commencent a voir pointer des symptômes de surendettement/surinvestissement]

      Comme j’ai dit, il n’y a pas de système économique parfait. Dans tout système les acteurs prennent des décisions en fonction d’anticipations. Et quelque soient les instruments qu’on utilise pour élaborer ces anticipations, des fois on se trompe. Et le résultat peut être le surinvestissement comme le sous-investissement. Dans le premier cas on détruit du capital, dans l’autre on perd les fruits qu’on aurait pu cueillir. C’est là quelque chose de parfaitement normal. L’important, c’est qu’il existe un pilotage qui, lorsque les indicateurs montrent qu’on s’est trompé, puisse redresser les choses. A mon sens, c’est là la force du modèle chinois…

      [(…) mais ce modèle a de quoi finir de désindustrialiser ce qui reste de l’Europe (la France a plus a perdre de manière indirecte via l’Allemagne que directe), le temps que ce modèle se stabilise (a la japonaise ?).]

      Cela dépend ce que vous appelez « se stabiliser ». La croissance chinoise est une croissance de rattrapage. Partant d’une productivité très faible, on peut augmenter le PIB par l’adoption des technologies les plus modernes. Mais on sait que ces modèles s’épuisent une fois le rattrapage terminé. Par ailleurs, un modèle reposant sur les excédents d’exportation est par essence instable, pour les raisons développées par Keynes lors de la discussion de la Charte de La Havane : l’excédent des uns fait le déficit des autres, et ce déficit rend de plus en plus difficile à l’autre de continuer à acheter.

      Cela étant dit, l’histoire enseigne que les modes de production les plus efficaces finissent par s’imposer partout. Peut-être qu’en affrontant la concurrence chinoise, les européens finiront par comprendre que le modèle qu’ils ont cassé au nom de la révolution néolibérale était finalement socialement beaucoup plus efficient, et que par ce biais on reviendra à une forme de capitalisme régulé ? On peut toujours rêver…

      [L’Europe a un sommet le mois prochain avec la Chine. Ce sujet se fait discret dans les médias fr (mais un article récent du NYT mentionne la redirection des exports chinois vers l’Europe, un autre mentionne l’apparition de générations chinoises désillusionnées face au travail et l’ascension sociale dans un pays de piston et népotisme, un autre article parle du fait que les entreprises chinoises se zombifient car le gouv central craint le chômage et l’instabilité sociale).]

      Il faut se méfier, surtout lorsqu’il s’agit de plaquer sur les autres nos propres problèmes. Quand je lis les problématiques que vous listez dans vos lectures (désillusionnement face au travail et l’ascension sociale, piston et népotisme, « zombification » des entreprises par la crainte du chômage) je me dis qu’on parle de la France, pas de la Chine…

      En fait, nous connaissons l’avenir de la Chine parce que nous sommes passés par là. Des parents qui ont travaillé dur pour s’élever socialement dans un contexte qui – malgré le népotisme et le piston – reste très fortement méritocratique produiront une génération d’héritiers. Pour cette génération, la consommation prendra le pas sur la production. Et lorsque la fin du “rattrapage” arrivera, et que la croissance ne permettra plus la promotion sociale sans déclassement, les classes intermédiaires réclameront leur part de pouvoir, et feront alliance avec le capital pour mettre à bas la « tyrannie » du Parti et la remplacer par la leur. Le tout est de savoir quand.

      • Carloman dit :

        Bonsoir Descartes,
         
        Je vais vous poser une question sans doute un peu bête, et je m’en excuse.
         
        Nous avons donc d’un côté la Chine, grande puissance industrielle, dont la croissance est tirée par d’importantes exportations, notamment à destination de l’Europe, d’où un colossal excédent commercial chinois. Ai-je bon?
         
        De l’autre côté, les pays de l’UE, de plus en plus désindustrialisés, moins productifs, mais toujours habités par une soif de consumérisme, que viennent satisfaire les importations chinoises. Et pour continuer à se payer les produits de Chine, l’Europe s’endette de plus en plus puisque ce qu’elle produit ne suffit plus à couvrir le coût de ses importations, elle se trouve donc en déficit commercial. Ai-je compris?
         
        Maintenant, j’en viens à ma question toute bête: puisque la Chine a intérêt à vendre à l’Europe, et puisque les pays d’Europe sont contraints d’emprunter pour acheter à la Chine, pourquoi ne pas faire un deal? Pourquoi ne pas transformer l’excédent commercial chinois en crédits qu’on accorde aux Européens pour continuer à acheter chinois? Vous me direz que cet argent ne sera jamais remboursé… mais, au fond, quelle importance? Si, d’une certaine manière, la Chine finance la consommation européenne, c’est-à-dire une demande de produits, qui lui permet de faire tourner ses usines, de donner de l’emploi à sa population et d’assurer la stabilité d’un état de 1,4 milliard d’habitants, est-ce un si mauvais calcul? La Chine prête au fond de l’argent qui lui revient… J’en arrive à ma question: pourquoi ce système serait-il condamné à se casser la figure? Ou, tout du moins, ne pourrait-on pas imaginer que ce système dure un temps très très long, pendant lequel, chacun y trouvant son compte, tout le monde accepte cette sorte de “subvention à la consommation” accordée par le producteur à son client? La Chine prête à ses clients pour que ces derniers continuent à lui acheter parce que ça l’arrange. Et cette position de créancier lui donne la possibilité d’acheter ou de contrôler les grandes infrastructures (le port du Pirée, la principale autoroute au Monténégro par exemple) et peut-être de s’assurer des droits de douane minimaux pour ses produits. Qu’est-ce qui pourrait pousser la Chine à cesser d’alimenter une machine qui, somme toute, marche pour son plus grand profit?    

        • Descartes dit :

          @ Carloman

          [Je vais vous poser une question sans doute un peu bête, et je m’en excuse.]

          Comme disait mon instituteur, les questions ne sont jamais bêtes, ce sont les réponses qui le sont.

          [Nous avons donc d’un côté la Chine, grande puissance industrielle, dont la croissance est tirée par d’importantes exportations, notamment à destination de l’Europe, d’où un colossal excédent commercial chinois. Ai-je bon?
          De l’autre côté, les pays de l’UE, de plus en plus désindustrialisés, moins productifs, mais toujours habités par une soif de consumérisme, que viennent satisfaire les importations chinoises. Et pour continuer à se payer les produits de Chine, l’Europe s’endette de plus en plus puisque ce qu’elle produit ne suffit plus à couvrir le coût de ses importations, elle se trouve donc en déficit commercial. Ai-je compris?]

          Tout à fait.

          [Maintenant, j’en viens à ma question toute bête: puisque la Chine a intérêt à vendre à l’Europe, et puisque les pays d’Europe sont contraints d’emprunter pour acheter à la Chine, pourquoi ne pas faire un deal? Pourquoi ne pas transformer l’excédent commercial chinois en crédits qu’on accorde aux Européens pour continuer à acheter chinois?]

          Mais… c’est exactement ce qu’ils font. Qui croyez-vous que sont les gens qui nous prêtent de l’argent ? Et bien, ce sont les gens qui nous vendent des choses. D’où tireraient-ils autrement l’argent pour prêter ? Pendant longtemps, ce sont ceux qui nous vendaient du pétrole qui ensuite utilisaient leurs « pétrodollars » pour acheter notre dette. Maintenant, ce sont de plus en plus des fonds chinois qui font la même chose…

          [Vous me direz que cet argent ne sera jamais remboursé… mais, au fond, quelle importance? Si, d’une certaine manière, la Chine finance la consommation européenne, c’est-à-dire une demande de produits, qui lui permet de faire tourner ses usines, de donner de l’emploi à sa population et d’assurer la stabilité d’un état de 1,4 milliard d’habitants, est-ce un si mauvais calcul? La Chine prête au fond de l’argent qui lui revient… J’en arrive à ma question: pourquoi ce système serait-il condamné à se casser la figure?

          Le problème, c’est que certains chinois vont finir par se dire « au lieu de trimer pour nos bas salaires et donner nos produits aux européens pour leur permettre de maintenir leur niveau de vie – parce que les vendre à crédit alors qu’on sait que le crédit ne sera jamais payé, c’est donner – on pourrait augmenter les salaires, ce qui revient à donner ces produits aux travailleurs chinois ». Tant que l’illusion que la dette sera payée un jour, on peut expliquer aux chinois qu’un jour ils toucheront les dividendes de l’exportation. Mais le jour où les gens finiront par admettre que de cet argent ils ne verront pas la couleur…

          [Ou, tout du moins, ne pourrait-on pas imaginer que ce système dure un temps très très long, pendant lequel, chacun y trouvant son compte, tout le monde accepte cette sorte de “subvention à la consommation” accordée par le producteur à son client?]

          Cela dépend de ce que vous appelez « un temps très très long ». C’est un système instable, mais qui peut durer aussi longtemps que les classes dominantes – à Paris comme à Beijing – ont intérêt à maintenir la fiction, et aussi longtemps que celle-ci reste vraisemblable. C’est pourquoi nos politiques sont obligés de faire semblant d’avoir la dette sous contrôle…

          [La Chine prête à ses clients pour que ces derniers continuent à lui acheter parce que ça l’arrange. Et cette position de créancier lui donne la possibilité d’acheter ou de contrôler les grandes infrastructures (le port du Pirée, la principale autoroute au Monténégro par exemple) et peut-être de s’assurer des droits de douane minimaux pour ses produits.]

          Tant qu’il y a des biens réels à acheter, aucune raison d’arrêter le processus. Mais vous voyez bien qu’un jour on n’aura plus rien à vendre…

          • Carloman dit :

            @ Descartes,
             
            [Mais vous voyez bien qu’un jour on n’aura plus rien à vendre…]
            Mais que pensez-vous de l’hypothèse qui ferait de l’Europe une sorte de parc d’attraction, de destination touristique où les riches Chinois (et Indiens demain) viendraient dépenser une partie de leur argent? La ressource “touristique” est quasi-inépuisable… On ne vendra plus de produit, mais on vendra le décor et le souvenir d’une civilisation qui domina le monde…

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [Mais que pensez-vous de l’hypothèse qui ferait de l’Europe une sorte de parc d’attraction, de destination touristique où les riches Chinois (et Indiens demain) viendraient dépenser une partie de leur argent? La ressource “touristique” est quasi-inépuisable… On ne vendra plus de produit, mais on vendra le décor et le souvenir d’une civilisation qui domina le monde…]

              La question que vous posez ici est différente de celle qui avait motivé l’échange que vous commentez, qui portait plutôt sur les gages qui garantissent la dette. Mais je suis d’accord avec vous sur le risque qu’il y a à transformer la France – et plus largement l’Europe – en une sorte de “musée d’antiquailles”, qui vivrait de la “rente” tirée d’un passé glorieux et des restes qu’il nous a laissés. Un passé qui d’ailleurs serait progressivement réécrit, “disneylandisé” pour correspondre au mieux à l’attente de nos visiteurs.

              Ce risque existe, et d’une certaine manière a toujours existé. Vous connaissez mon analyse: la France oscille toujours entre une “petite France”, attaché au terroir, aux traditions, à un monde qu’elle ne veut pas voir changer, et une “grande France” universaliste et moderniste. Il ne s’agit pas de verser dans le manichéisme: ces deux pôles sont nécessaires, et c’est de la dialectique entre les deux qu’est faite la France que nous aimons, celle qui a les pieds dans sont terroir mais regarde l’universel. La vision d’une France “touristique” est d’une certaine façon la manifestation contemporaine de la “petite France”, un moyen de s’insérer dans une économie moderne tout en ne changeant rien à notre environnement. Mais c’est à mon avis un leurre: l’effet de “disneylandisation” fait que, sous prétexte de préserver un patrimoine, on le fait évoluer et dans un sens choisi par d’autres.

  5. Simon dit :

    Cher Descartes, Merci pour ce billet.
     
    Un ami historien me faisait remarquer que de plus en plus, nos dirigeants politiques sont issus du conseil et de la finance, dans lequel l’horizon est au mieux de 6 mois, et qu’ils gèrent le pays avec un tel horizon. Et que cela expliquerait, au moins partiellement, la nullité de la politique étrangère, pour ne pas dire son absence (ou, comme vous dites tous deux, la politique du chien crevé au fil de l’eau)

    • Descartes dit :

      @ Simon

      [Un ami historien me faisait remarquer que de plus en plus, nos dirigeants politiques sont issus du conseil et de la finance, dans lequel l’horizon est au mieux de 6 mois, et qu’ils gèrent le pays avec un tel horizon. Et que cela expliquerait, au moins partiellement, la nullité de la politique étrangère, pour ne pas dire son absence (ou, comme vous dites tous deux, la politique du chien crevé au fil de l’eau)]

      Tout à fait. Je trouve d’ailleurs qu’il faudrait se pencher sérieusement sur ce qu’il faut bien appeler la « fièvre du conseil ». Que ce soit dans le public ou dans le privé, les organisations ne conçoivent pas de conduire une réorganisation, de lancer un nouveau produit ou service, de changer leurs procédures internes et même de recruter des collaborateurs de haut niveau sans se faire « conseiller » par un cabinet extérieur. C’est comme si les organisations sous-traitaient la partie la plus noble de leur travail, la réflexion et la recherche, à des organismes extérieurs. C’est flagrant pour ce qui concerne les services de l’Etat : depuis des années, la réduction permanente des effectifs et des moyens met le système dans une logique de gestion de l’urgence, qui interdit toute réflexion prospective de qualité. Mais cela commence à se voir aussi dans beaucoup d’entreprises.

      Le problème est que, comme les « conseillers » sont mercenaires, leurs conseils sont pesés en fonction des intérêts du cabinet de conseil auquel ils appartiennent, et non de l’organisation qu’ils conseillent. Le système s’autoalimente donc : les « conseillers » conseillent des politiques… qui auront besoin de plus de conseil. La boucle est bouclée…

  6. Cording1 dit :

    Le constitutionnaliste Benjamin Morel a fait remarquer qu’à chaque grand bouleversement politique le niveau de la classe politique baissait ce qui fût le cas lorsque Macron a été élu président une grande quantité de nouveaux  parlementaires ont été élus en méconnaissance complète de la culture parlementaire voire de culture politique. Et c’est encore plus vrai avec la jeune garde des jeunes mélenchoniens qui bordélisent à dessein la vie parlementaire. 
    Quant à l’Otan la culture de la servilité depuis 1949 a été plus forte que jamais. Peut-être ses membres pensent-ils laisser passer “l’orage” Trump jusqu’aux mid-terms où ils espèrent le voir suffisamment affaiblis pour en revenir au “business as usual”. Quant à l’UE cette structure bureaucratique est totalement incapable de s’adapter à la nouvelle donne. 

    • Descartes dit :

      @ Cording1

      [Le constitutionnaliste Benjamin Morel a fait remarquer qu’à chaque grand bouleversement politique le niveau de la classe politique baissait ce qui fût le cas lorsque Macron a été élu président une grande quantité de nouveaux parlementaires ont été élus en méconnaissance complète de la culture parlementaire voire de culture politique. Et c’est encore plus vrai avec la jeune garde des jeunes mélenchoniens qui bordélisent à dessein la vie parlementaire.]

      Morel ferait bien de se cantonner au droit constitutionnel, qui est son sujet d’expertise. Parce qu’en matière historique… pas la peine de chercher très loin un contre-exemple : en 1945, le « bouleversement politique » a balayé une bonne partie du personnel politique de la IIIème République, et amené au premier plan des personnalités nouvelles, dont beaucoup souffraient d’une méconnaissance à peu près complète des usages parlementaires et politiques. Et pourtant, on peut difficilement parler à leur propos d’une « baisse du niveau de la classe politique »…

      Je pense que la règle dont vous vous faites l’écho est fausse. Les « bouleversements » ont souvent au contraire amené une amélioration du niveau des acteurs politiques, parce qu’ils ont balayé des castes politiques confites dans leurs avantages pour les remplacer par des nouveaux venus qui avaient des idées et des projets. Ce fut le cas avec la Révolution et l’Empire, ce fut le cas en 1830, en 1848, en 1871, en 1945. En fait, si le niveau de notre classe politique baisse, c’est plutôt parce qu’il n’y a pas eu, depuis longtemps, de véritable « bouleversement ». Lorsque Macron arrive au pouvoir, c’est au contraire dans la plus parfaite continuité avec François Hollande. S’il est vrai qu’on voit un renouvellement relativement important parmi les députés, quand on regarde plus finement qui occupe les postes importants (présidence, vice-présidence, présidences des groupes et des commissions) sans compter avec les ministres et secrétaires d’Etat, on retrouve en fait des vieux routiers de la politique. Qu’ils viennent de la droite ou de la gauche d’ailleurs…

      [Quant à l’Otan la culture de la servilité depuis 1949 a été plus forte que jamais.]

      A ce point ? Franchement, je ne me souviens pas d’un secrétaire général de l’OTAN qui ait fait preuve d’une telle flagornerie dans toute l’histoire de l’organisation. Même pour Kennedy, qui pourtant était une vedette médiatique. Certes, on faisait ce que les Américains ordonnaient, mais au moins on gardait certaines formes.

      [Peut-être ses membres pensent-ils laisser passer “l’orage” Trump jusqu’aux mid-terms où ils espèrent le voir suffisamment affaiblis pour en revenir au “business as usual”.]

      Possible. Ou plus bêtement, ils réagissent comme le lapin proverbial devant les feux de la voiture…

      [Quant à l’UE cette structure bureaucratique est totalement incapable de s’adapter à la nouvelle donne.]

      Je me souviens toujours de la remarque de Jean-Louis Bourlanges que j’ai pu entendre de sa bouche il y a vingt-cinq ans : la construction européenne a déraillé le jour où elle a commencé à toucher aux questions de souveraineté. Les fondateurs de la Communauté économique européenne (CEE) en 1957, instruits par l’échec de la CED, avaient eu la prudence de se cantonner aux questions économiques. Leur but était de créer un marché unique, et de ce point de vue on ne peut contester l’efficacité des institutions européennes, quoi qu’on pense de l’objectif en question. Mais la structure pensée pour unifier la taille des concombres ou les normes concernant les prises électriques n’est pas adaptée dès lors qu’il s’agit à faire face à des questions qui concernent la vie et la mort des nations. On veut gérer l’immigration ou la défense avec des instruments faits pour gérer l’étiquetage des produits alimentaires…

      • Cording1 dit :

        J’aurais du être plus précis à propos de Benjamin Morel qui évoque aussi les précédents de 1945 notamment où le niveau culturel des nouveaux élus était supérieur à ceux d’aujourd’hui. Il y a bien une singularité actuelle, hélas. Il est l’auteur d’une histoire du Parlement en France bien fouillée. 
        Quant à Jean-Louis Bourlange l’ex-député macronien s’est très bien accommodé du déraillement qu’il dénonçait à l’époque, et même il en est devenu plus que favorable, même pour l’accentuer.  

        • Descartes dit :

          @ Cording1

          [J’aurais du être plus précis à propos de Benjamin Morel qui évoque aussi les précédents de 1945 notamment où le niveau culturel des nouveaux élus était supérieur à ceux d’aujourd’hui. Il y a bien une singularité actuelle, hélas.]

          Je vais faire plaisir à mes lecteurs libéraux… mais il y a une forme de darwinisme social dans la formation des élites. Une élite sociale installée, dont les enfants héritent la position des parents, qui a une place acquise sans avoir rien à prouver, ne peut que décevoir. Ce sont les élites nouvelles, qui ont besoin de conquérir leur place et donc de prouver leur légitimité à occuper les places qui produisent les grands hommes. C’est pourquoi les révolutions – et les post-révolutions – sont des périodes parsemées de figures de premier plan. Ceux qui leur succèdent sont souvent des nains en comparaison. C’est toute la problématique des « générations d’héritiers » qui suivent les « générations des fondateurs ».

          Dans l’analyse de Morel telle que vous la rapportez il y a je pense une erreur, qui est de considérer l’arrivée au pouvoir de Macron comme une « révolution », alors qu’elle s’inscrit dans une grande continuité, dans la perpétuation au pouvoir des mêmes « élites » qui nous gouvernent grosso modo depuis la prise du pouvoir par les classes intermédiaires au début des années 1970. Le relatif renouvellement des personnalités qui siégeaient au Palais Bourbon ne doit pas faire illusion. Même s’il s’agissait de « bleus », ceux-ci sont issus de la même classe que leurs prédécesseurs, ont les mêmes intérêts et les mêmes préjugés. Macron a réussi ce tour de force de se donner une image de “rupture” tout en assurant une parfaite continuité.

          Ce qu’il faut comprendre, c’est que si le niveau intellectuel de nos élites politiques est faible, c’est parce qu’ils appartiennent à une élite installée, dont la position n’est pas remise en cause par une autre qu’il lui faudrait combattre. Les combats d’un Attal, d’un Bayrou ou d’un Philippe se réduisent à des affrontements tactiques pour obtenir tel ou tel poste, mais sur le fond leurs désaccords sont minimes. Même Mélenchon et les siens, qui tiennent un langage de radicalité lorsqu’ils sont dans l’opposition, redeviennent des dignes représentants de leur classe dès qu’ils ont une parcelle de pouvoir – souvenez-vous de Maastricht.

          [Quant à Jean-Louis Bourlange l’ex-député macronien s’est très bien accommodé du déraillement qu’il dénonçait à l’époque, et même il en est devenu plus que favorable, même pour l’accentuer.]

          Je ne pense pas que Bourlanges ait « dénoncé » le déraillement en question. Je ne l’ai entendu formuler ces critiques que dans une réunion fermée, devant une promotion de l’ENA en visite à Bruxelles. Je pense qu’il était lui-même tiraillé entre son attachement « sentimental » à la construction européenne maastrichtienne et un analyse rationnelle qui lui en montrait les limites. On peut désirer de toutes ses forces le succès d’une entreprise, faire tout son possible pour le provoquer, tout en constatant rationnellement que celui-ci est impossible.

          • Cording1 dit :

            Cependant Macron a publié un livre “Révolution” exprimant une volonté de rompre avec un système politique où de fausses alternances entre la gauche et la droite prévalait, économique où il s’agit de libérer l’individu de tout ce qui l’empêche d’exercer une plus totale liberté économique et des moeurs. Economique pour prolonger la rupture d’avec le compromis économique et social hérité du programme du CNR, et des moeurs en accomplissant des réformes sociétales tel le droit à mourir. En cela Macron est selon Michéa profondément un homme de gauche parce qu’à l’origine la gauche issue de la Révolution française était foncièrement libérale en tous domaines malgré la commune et le mouvement des Sans-culottes et autres mouvements plus populaires.  

            • Descartes dit :

              @ Cording1

              [Cependant Macron a publié un livre “Révolution” exprimant une volonté de rompre avec un système politique où de fausses alternances entre la gauche et la droite prévalait, économique où il s’agit de libérer l’individu de tout ce qui l’empêche d’exercer une plus totale liberté économique et des mœurs.]

              Certes mais… où est la « révolution » ? L’idée d’en finir avec les « fausses alternances », cela figure déjà dans les écrits de Giscard (« Deux Français sur trois », « Démocratie française »), qui revait d’un gouvernement regroupant le centre droit et le centre gauche. Mitterrand, après sa période « changer la vie », est allé dans la même direction avec l’entrée des ministres de droite dans le gouvernement Rocard en 1988. Mais à l’époque, droite et gauche faisaient encore de la politique, et pensaient encore pouvoir faire des politiques différentes. C’est la convergence du centre droit et du centre gauche vers une forme de « social-libéralisme » qui a permis finalement à Macron de réaliser le rêve de ses ancêtres…

              Le social-libéralisme dont Macron chante les louanges dans son bouquin, c’est la continuité de ce que les gouvernements qui se sont succédés depuis 1983 ont mis en œuvre. Macron aurait du intituler son livre « Continuité », c’aurait été moins vendeur, mais plus conforme à la réalité.

              [Economique pour prolonger la rupture d’avec le compromis économique et social hérité du programme du CNR, et des moeurs en accomplissant des réformes sociétales tel le droit à mourir.]

              En quoi est-il si différent d’un Jospin, d’un Hollande ou pire, d’un Chirac ?

              [En cela Macron est selon Michéa profondément un homme de gauche parce qu’à l’origine la gauche issue de la Révolution française était foncièrement libérale en tous domaines malgré la commune et le mouvement des Sans-culottes et autres mouvements plus populaires.]

              Macron est certainement un homme de gauche – et les difficultés électorales de la gauche tiennent aussi en partie à ce fait. Mais il ne résume pas toute la gauche. Il y a en France deux axes perpendiculaires qui font la partition du champ politique. L’axe « droite/gauche » est l’un, l’axe « girondins/jacobins » est l’autre. Dire que la gauche issue de la Révolution était « foncièrement libérale » me paraît une exagération. Oui, la révolution française est ancrée dans les idées des Lumières, qui donne naissance au libéralisme classique. Mais le libéralisme des jacobins – prolongé par Napoléon – n’est pas tout à fait celui des girondins. De ce point de vue, la Déclaration de 1789, qui proclame des droits puis leur apporte des restrictions chaque fois que l’intérêt général le commande, est un modèle d’ambigüité.

            • CVT dit :

              @Descartes,

              [Il y a en France deux axes perpendiculaires qui font la partition du champ politique. L’axe « droite/gauche » est l’un, l’axe « girondins/jacobins » est l’autre. Dire que la gauche issue de la Révolution était « foncièrement libérale » me paraît une exagération. Oui, la révolution française est ancrée dans les idées des Lumières, qui donne naissance au libéralisme classique. Mais le libéralisme des jacobins – prolongé par Napoléon – n’est pas tout à fait celui des girondins.]

               
              Pour ma part, j’aurais également ajouté dans le mix, le découpage de l’historien René Rémond de la droite française en trois: bonapartiste, orléanistes et légitimiste.
               
              Certes, c’est une répartition datant du début de la IIIè République, qui exclut d’office le Parti radical, mais selon moi, conserve sa pertinence parce que la source idéologique de ces courants remonte au début du XIXè siècle, et elle a de nombreux points communs avec le clivage jacobin/girondin.
               
              En effet, les bonapartistes sont généralement perçus comme des jacobins (historiquement, Napoléon était issu de leurs rangs, et l’organisation du pays qu’il a laissé reflète parfaitement leur vision); quant aux orléanistes, bien que monarchistes, ils avaient une vision politico-économique très libérale, bourgeoise, et parfaitement en phase avec celle des girondins (pour mémoire, Louis-Philippe était le fils de Philippe Egalité, qui vota la mort de son cousin Louis XVI…).
              Enfin les légitimistes échappent un peu à ce recouvrement car ils sont restés les représentants des idéaux monarchistes contre-révolutionnaires, là où les girondins et les jacobins reflètent la division idéologique des révolutionnaires en 1792 (plutôt qu’en 1789).
               
              Un avatar connu du  jacobino-bonapartisme au XXè siècle a été l’alliance objective gaullo-communiste, sachant que De Gaulle a toujours été perçu comme un bonapartiste (c’était un militaire), là où les communistes ont été les dignes représentants d’une gauche centralisatrice souvent qualifiée de… jacobine.
              En revanche, l’orléano-girondisme s’est illustré dans la “construction européenne”, qui a été depuis ses débuts, cimentée par l’alliance entre les socialistes (ou plutôt les socio-démocrates), descendants quasi-directs des girondins, et les centristes, fils spirituels des orléanistes.
              Le dernier fruit pourri de cette sinistre alliance (j’hésite à parler d’association de malfaiteurs…)  aura été le macronisme, souvent désigné sous le vocable d’extrême-centre…

            • Descartes dit :

              @ CVT

              [Pour ma part, j’aurais également ajouté dans le mix, le découpage de l’historien René Rémond de la droite française en trois: bonapartiste, orléanistes et légitimiste.]

              La vision de Réné Rémond est intéressante pour celui qui s’intéresse à l’histoire des droites en France. Mais du point de vue politique, la droite légitimiste est aujourd’hui ultra-marginale, et n’a pas de poids politique. Et comme vous le signalez, la division « bonapartistes/orléanistes » exprime en langage de droite ce que la gauche désigne sous les termes « jacobins/girondins ».

              [Un avatar connu du jacobino-bonapartisme au XXè siècle a été l’alliance objective gaullo-communiste, sachant que De Gaulle a toujours été perçu comme un bonapartiste (c’était un militaire), là où les communistes ont été les dignes représentants d’une gauche centralisatrice souvent qualifiée de… jacobine.]

              Tout à fait. A mon sens, c’est cet exemple qui illustre à la perfection la pertinence d’un schéma à deux axes. Cette alliance objective est incompréhensible si l’on se limite à une analyse en termes de « droite/gauche », puisque sur cet axe communistes et gaullistes apparaissent très éloignés. Mais sur l’axe « jacobins/girondins », ils étaient très proches, et c’est cette proximité qui a rendu possible cette alliance.

  7. bernard dit :

    Bonjour 
    Concernant le regime des retraites la CFDT faisait quand meme une proposition basée sur les années de cotisations sans notion age comme l’avait déja proposé Henri Guaino lors de debats telévisés 
    pour la CGT c’est retour a 60 ans 

    • Descartes dit :

      @ bernard

      [Concernant le régime des retraites la CFDT faisait quand même une proposition basée sur les années de cotisations sans notion d’âge comme l’avait déjà proposé Henri Guaino lors de débats télévisés. Pour la CGT c’est retour a 60 ans]

      Il faut toujours chercher à comprendre pourquoi les gens défendent ce qu’ils défendent. Le système proposé par la CFDT est en fait le système à points. On prend sa retraite quand on veut, et on a une pension calculée sur le nombre de points qu’on a accumulés. Cela permet donc aux gens qui ont commencé à travailler très tôt de partir plus tôt en ayant la même retraite que des gens qui auraient commencé plus tard et qui partiront plus tard. Les avantages du système sont nombreux : plus grande prévisibilité, possibilité de choisir l’âge de départ en fonction des choix de vie…

      Mais comme souvent, le diable se cache dans les détails. Et ici, le gros détail c’est la manière dont les points sont acquis. Sont-ils proportionnels à la cotisation versée ? Le niveau de cotisation est-il fixé par règlement ou volontaire ? Prend-t-on en compte les heures travaillées ? Quid des plafonnements ? Prévoit-on des bonifications pour les métiers difficiles, pénibles ou dangereux ? Selon la réponse qu’on donne à ces différentes questions, on aboutit à un système plus ou moins redistributif, plus ou moins injuste…

      Le problème du système à points, c’est qu’en absence de correction il privilégie considérablement les hauts salaires. Prenons par exemple le système le plus simples : les cotisations seraient proportionnelles au salaire, sans plafonnement, et les points accordés proportionnellement aux cotisations. Monsieur X, travailleur au SMIC, travaille quarante ans et prend sa retraite à 60 ans pour toucher 1500€ par mois. Monsieur Y, ingénieur payé quatre fois le SMIC, pourra accumuler le même nombre de points en 10 ans. Même s’il fait des études plus longues, il pourra donc partir avec 1500€ par mois à l’âge de 35 ans. A supposer qu’ils aient la même espérance de vie (ce qui est une hypothèse minorante) de 70 ans, monsieur X touchera sa pension pendant dix ans, alors que monsieur Y la touchera pendant 35 ans. Autrement dit, pour le même montant cotisé, l’un touchera au total trois fois et demie plus que l’autre…

      Vous me direz que le système à limite d’âge favorisé par la CGT aboutit un peu au même résultat en termes monétaires. Monsieur X et Monsieur Y commenceront à toucher leur pension au même âge, mais l’un touchera quatre fois plus que l’autre. Et vous aurez raison. Seulement, du point de vue macroéconomique, l’effet n’est pas du tout le même. Le système à points favorise une retraite d’autant plus anticipée que votre revenu est élevé, et donc la sortie du marché du travail des gens les mieux payés – et donc les plus productifs. Le système à limite d’âge tend au contraire à maintenir au travail les gens les mieux payés, et a donc un effet positif sur la productivité.

      Personnellement, je favoriserai un système mixte. Une limite MINIMALE d’âge fixée autour de 60 ans, puis un système de points au-delà.

      • Bob dit :

        @ Descartes
         
        [Personnellement, je favoriserai un système mixte. Une limite MINIMALE d’âge fixée autour de 60 ans, puis un système de points au-delà.]
         
        Présenté comme ça, c’est simple et compréhensible par tous et semble cumuler le meilleur des deux. Or, il me semble n’avoir jamais entendu cette proposition. J’ai raté quelque chose ?

        • Descartes dit :

          @ Bob

          [Présenté comme ça, c’est simple et compréhensible par tous et semble cumuler le meilleur des deux. Or, il me semble n’avoir jamais entendu cette proposition. J’ai raté quelque chose ?]

          Je vous avoue que je ne sais pas répondre à votre question. Je ne me souviens pas non plus avoir entendu cette proposition, mais je ne serais pas étonné d’apprendre qu’elle a déjà été proposée. Après tout, ce n’est pas une idée très originale, dès lors qu’on essaye de concilier deux objectifs qui pour moi sont essentiels. Le premier est de permettre à ceux qui ne peuvent plus physiquement ou mentalement travailler dans des conditions acceptables – je pense là à ceux dont le corps ou l’esprit est usé par des travaux insalubres, difficiles, dangereux ou pénibles. Et l’autre, tout aussi important, est de maintenir au travail aussi longtemps que possible ceux qui peuvent travailler, et surtout ceux à qui la collectivité a payé des formations longues et couteuses, et dont elle a le droit d’attendre un effort supplémentaire.

          Je ne suis pas, vous l’aurez compris, de ceux qui pensent que la retraite c’est des vacances. Au plan personnel, je vis la perspective du départ à la retraite comme une déchéance, et je fais tout ce qui est dans mon pouvoir pour retarder l’échéance. Vous me direz que j’ai l’immense privilège de faire un travail que j’aime, et vous aurez raison. C’est pourquoi je ne prétends pas garder les gens au travail jusqu’à leur mort. Mais je pense que la soixantaine est aujourd’hui un bon compromis… cela étant dit, il y a un choix à faire: on ne peut pas à la fois entrer dans le monde du travail de plus en plus tard, en sortir de plus en plus tôt, et avoir des pensions de plus en plus importantes. Il y a là un compromis à trouver.

          • Goupil dit :

            @Descartes
             
            Il me semble, de ce que vous écrivez et de ce que vous aviez déjà expliqué dans d’autres papiers antérieurs, que cela peut un peu ressembler à la proposition du député PS Philippe Brun :
             
            https://www.jean-jaures.org/publication/une-retraite-a-55-ans-pour-les-ouvriers-et-employes-est-possible/ 
             
            C’est-à-dire l’idée d’un âge minimum de retraite de 60 ans (progressivement abaissé à 55 ans) et d’années supplémentaires à travailler pour ceux qui n’auraient pas cumulé les annuités nécessaires.

            • Descartes dit :

              @ Goupil

              [Il me semble, de ce que vous écrivez et de ce que vous aviez déjà expliqué dans d’autres papiers antérieurs, que cela peut un peu ressembler à la proposition du député PS Philippe Brun : (…)]

              Si vous pensez cela, c’est que je me suis fait très mal comprendre !!! 😉

              La proposition de Brun et la mienne sont orthogonales, parce qu’elles reposent sur une conception très différente de la fonction de la retraite. Ainsi, Brun écrit, pour s’en féliciter, que « la réforme de 1982 a changé la conception de l’âge de la retraite qui prévalait depuis le début du siècle. Dès lors, l’assurance vieillesse n’a plus pour but unique d’assurer des ressources minimales aux personnes qui ne pouvaient plus subvenir à leurs besoins du fait de leur âge, mais d’ouvrir une période de temps libre pour tous les travailleurs à l’issue de décennies de travail, renouant ainsi avec la logique qui présidait aux réformes du Front populaire en 1936 ».

              Personnellement, je rejette totalement cette conception. Si le but est de donner aux travailleurs « une période de temps libre », alors plutôt que d’avancer l’âge de la retraite il serait plus opportun de donner plus de congés tout au long de la vie. Pourquoi attendre soixante ans pour profiter du « temps libre » ? Je reste persuadé personnellement que le travail c’est la vie, et que l’idéal est de continuer à travailler aussi longtemps que cela est physiquement et intellectuellement possible. Je préfère investir les gains de productivité à réduire l’intensité du travail tout au long de la vie plutôt qu’à avancer l’âge de la retraite.

              Brun fait d’ailleurs un contresens historique. La réforme de 1982 ne renouait nullement avec « la logique qui présidait aux reformes du Front Populaire. Elle était surtout motivée par la problématique du chômage de masse. 1982 voit non seulement l’âge de la retraite avancé à 60 ans, mais aussi le développement de toute une panoplie de dispositifs de pré-retraite généreusement financés par l’Etat. L’idée étant qu’un départ massif des retraités allait libérer massivement des postes pour les plus jeunes.

              [C’est-à-dire l’idée d’un âge minimum de retraite de 60 ans (progressivement abaissé à 55 ans) et d’années supplémentaires à travailler pour ceux qui n’auraient pas cumulé les annuités nécessaires.]

              Mais… ce n’est pas du tout ce que moi je propose ! Mon idée est justement d’en finir avec l’idée de « annuités nécessaires ». J’adhère à la logique du système « à points » : votre retraite, quand vous choisissez de la prendre, est calculée sur le nombre de points que vous avez accumulé, sans qu’il y ait un « seuil » et des pénalités associées. Et pour éviter la distorsion que j’expliquais dans mon commentaire précédent, fixer une limite d’âge autour de 60 ans pour empêcher ceux qui ont des salaires très élevés de pouvoir partir trop tôt.

              Je ne suis pas contre l’idée proposée par Brun de moduler l’âge minimum en fonction des métiers, puisque mon objectif est bien de garder au travail les gens capables de travailler, et tout particulièrement ceux qui ont bénéficié de l’éducation et la formation la plus coûteuse aux frais de la collectivité. Mais il n’est pas question pour moi d’abaisser encore l’âge de départ, sauf lorsque la pénibilité du métier le rend nécessaire. Le dispositif proposé par Brun, fondé sur la distinction « cadre/non cadre » me paraît difficile à mettre en œuvre en pratique. Quid de ceux qui ont la moitié de leur carrière en tant qu’ouvriers, et qui passent cadre par la suite ? Et que fait-on des professions libérales ? On pourrait se demander si un dispositif fondé sur le salaire ne serait plus pertinent, mais là encore les métiers les plus pénibles ne sont pas forcément les moins bien payés.

              En tout cas, dans le papier de Brun on trouve deux curiosités amusantes. La première, c’est qu’il souligne le différentiel de l’espérance de vie entre ouvriers et cadres, et tire la conclusion que la solution juste ferait partir les premiers à un âge inférieur aux seconds. Mais le graphique qu’il utilise pour sa démonstration montre un décalage tout aussi grand entre les hommes et les femmes… en bonne logique, il devrait conclure qu’il faudrait faire partir les femmes à un âge plus tardif que les hommes, ce qui, bien entendu, il s’abstient de faire. Pourtant, la question est réelle : une femme touche en moyenne sa retraite entre cinq et dix ans plus longtemps qu’un homme. Faudrait-il ajuster les cotisations en conséquence ?

              La seconde curiosité est l’inévitable citation de François Mitterrand. Ici, Brun lui fait dire « après moi il n’y aura plus que des financiers et des comptables ». Mitterrand n’avait pas beaucoup de mérite à faire cette prédiction : pendant quatorze ans, il a tout fait pour qu’elle se réalise.

  8. Luc Laforets dit :

    Vous dites <<Tous ceux qui prétendent revitaliser la démocratie à grands renforts de réformes constitutionnelles manquent le point essentiel. Ce qui dévitalise la démocratie, c’est la perception – justifiée par les faits – que ce qui se dit sur la scène n’a aucun effet sur la réalité. Que ce bavardage général rapproche l’action politique du café du commerce. Si l’on veut revitaliser la démocratie, il faut finir avec le bavardage, exiger que les hommes politiques fassent ce qu’ils disent, et assument les résultats.>>
    Permettez moi de vous faire remarquer que la “réforme” proposée par “Une Perspective – la 6ème République” est tout sauf cosmétique. Alors, votre “tous” est de trop, “beaucoup” aurait été plus approprié.
    Deux exemples : 
    – Le bilan de contrôle à la fin de chaque mandat électif (C2-T6-F10 Rapports d’audit de mandat).
    – La mise en place de l’ILEP, seul organe habilité au débat politique (Annexe – A12 – Propagande et campagne).
     

    • Descartes dit :

      @ Luc Laforets

      [<> Permettez moi de vous faire remarquer que la “réforme” proposée par “Une Perspective – la 6ème République” est tout sauf cosmétique. Alors, votre “tous” est de trop, “beaucoup” aurait été plus approprié.]

      Pardonnez-moi, mais je maintiens le « tous ». Le problème ne se trouve pas dans la plus ou moins grande qualité des propositions de réforme constitutionnelle, mais dans la croyance qu’une reforme du droit suffirait à modifier les faits. Pourtant, d’éminents professeurs de droit nous mettaient déjà en garde contre cette croyance naïve, en expliquant que l’évolution du droit prend acte d’un comportement, et non l’inverse.

      Maintenant, j’ai regardé le texte que vous citez. Je passe sur le « préambule », qui est franchement effarant. L’idée de consacrer séparément les « besoins du corps » et les « besoins de l’âme » ou de donner à ces « besoins » une hiérarchie constitutionnelle nous ramène des siècles en arrière. Par ailleurs, la définition de certains de ces besoins est comique. Ainsi, la « vérité » est définie comme « le consensus d’opinions initialement divergentes dans l’établissement des faits et de l’analyse de leurs conséquences ». Si l’on suit cette définition, le fait que Napoléon soit mort n’est pas une « vérité ». S’il y a effectivement « consensus » sur la question, il n’y a jamais eu sur cette affaire des « opinions divergentes ».

      Mais laissons ce point et regardons le « corps » normatif. En quoi celui-ci permet d’assurer que les dirigeants du pays arrêtent de bavarder et commencent à agir ? Pour cela, le mieux est de regarder comment fonctionne le pouvoir exécutif. Le texte établit un gouvernement dont le chef est « élu par l’assemblée à la majorité absolue » (C2-T4-C1). Le texte ne dit pas ce qui se passe si aucun nom ne réunit sur lui une « majorité absolue » (comme c’est le cas aujourd’hui). Mais surtout, le problème est que les compétences du gouvernement se retrouvent en contradiction avec celle d’autres organes. Par exemple, il existe une « chambre des forces productives » (qui rappelle furieusement l’idéologie « corporative » qui a connu ses plus belles heures sous Vichy) dont les missions incluent en particulier de « Définir et METTRE EN OEUVRE la vision et la stratégie de production de biens et de services dans une optique citoyenne » (c’est moi qui souligne). Comment concilier cette mission avec le fait que le gouvernement « détermine et conduit la politique de la nation » ?

      J’insiste sur ce point, parce qu’il est important : ON NE PEUT ETRE TENU RESPONSABLE DE CE QU’ON NE CONTROLE PAS. Diluer les pouvoirs de décision, c’est diluer les responsabilités. Concentrer les pouvoirs, au contraire, c’est concentrer la responsabilité. Les systèmes ou tout un chacun peut bloquer les décisions paraissent plus « démocratiques », mais c’est tout le contraire.

      Vous singularisez deux mesures, qui, pensez-vous, pourraient finir avec le bavardage et obliger les hommes politiques à faire ce qu’ils disent. Il s’agit de « [– Le bilan de contrôle à la fin de chaque mandat électif (C2-T6-F10 Rapports d’audit de mandat) » et de « – La mise en place de l’ILEP, seul organe habilité au débat politique ».

      Pour ce qui concerne le premier point, qui prescrit d’établir un « un audit comparatif entre le programme des listes candidates élues à une élection et l’activité et les résultats de leurs actions » en fin de mandat, on devine dans cette mesure la tentation d’un mandat impératif. Mais on voit mal comment cela pourrait fonctionner en pratique. Prenez par exemple l’assemblée nationale d’aujourd’hui. Les candidats NUPES, ou ceux du RN, ont été élus sur un « programme ». Comment feriez-vous aujourd’hui un « audit comparatif » entre ce programme et « les résultats de leurs actions » ?

      On revient toujours au même problème : on ne peut être tenu responsable de ce qu’on ne contrôle pas. Et c’est pourquoi les membres d’un corps législatif sont, à titre individuel, irresponsables. La seule responsabilité qui peut être mise en jeu, c’est celle du monsieur qui a les manettes…

      Quant à l’ILEP… l’idée est bonne mais inapplicable. Le problème est bien connu : si vous accordez « dans une stricte égalité » l’accès à « tous les groupes politiques qui en font la demande », vous aurez une cacophonie de petits groupuscules et personnalités qui ne demanderont l’accès que pour se faire mousser sans compter les délirants divers, et qui noieront l’expression sérieuse. On l’a bien vu dans les réseaux sociaux… quant à la possibilité de fixer constitutionnellement des « prescriptions d’éthique »…

      Je me permets d’insister lourdement: si l’on veut une démocratie vivante, il faut CONCENTRER LE POUVOIR, parce que c’est le seul moyen de rendre les décideurs responsables. Cela ne veut pas dire qu’il faille renoncer à des contre-pouvoirs forts. Un gouvernement fort qu’on peut contester dans la rue est infiniment plus “démocratique” qu’un gouvernement impuissant.

      • Luc Laforets dit :

        Bonjour.
        Je vous remercie de votre réponse détaillée à mon commentaire.
        Toutefois, celle-ci ouvre un grand nombre de sujets dont chacun mériterait un débat spécifique.
        C’est pourquoi j’hésite à vous répondre dans la zone de commentaires de votre blog, car ce format se prête mal à ce type de discussions.
        Soyez assuré que je souhaite ardemment un échange plus profond avec vous sur chacun de ces points.
        Quel format de dialogue pourriez-vous me proposer ?
        Cordialement.
        Luc Laforets
        Luc_Laforets@1P6R.org

        • Descartes dit :

          @ Luc Laforets

          [Je vous remercie de votre réponse détaillée à mon commentaire.]

          Ne me remerciez pas, tout le plaisir est pour moi. Pour pouvoir vous répondre, je suis obligé de lire le texte que vous proposez et d’y réfléchir, et c’est là tout l’intérêt du débat.

          [Toutefois, celle-ci ouvre un grand nombre de sujets dont chacun mériterait un débat spécifique. C’est pourquoi j’hésite à vous répondre dans la zone de commentaires de votre blog, car ce format se prête mal à ce type de discussions.]

          Je ne le pense pas. Je pense au contraire que c’est le format qui s’y prête le mieux: le fait que le débat soit public non seulement permet à d’autres de réagir éventuellement et apporter leur pierre à l’édifice, mais surtout oblige à une certaine rigueur dans l’expression, à construire un texte compréhensible par tous, et donc à remettre en cause les prémisses, même lorsqu’elles sont partagées. Alors, lancez-vous. Et ne soyons pas ambitieux: on ne réglera pas ici tous les points en discussion, alors prenons ceux que vous estimez être les plus importants, et concentrons-nous sur eux.

          Pour lancer la discussion, je pense que la différence qui m’oppose a beaucoup de ceux qui proposent une “VIème République”, c’est que nous ne hiérarchisons pas de la même manière les buts d’une organisation politique. Très souvent, les réformateurs mettent l’accent sur le contrôle, leur grande crainte étant que ceux à qui on délègue le pouvoir de nous gouverner trahissent ou excèdent leur mandat. D’où une multiplication d’instances de contrôle, des méthodes de désignation et de révocation, des possibilités de véto et d’appel au peuple qui, in fine, réduisent à néant l’efficacité de l’action politique. Ma vision est au contraire plus centrée sur l’efficacité de l’action, parce que je pense comme Stevenson que rien ne corrompt autant les institutions politiques que l’impuissance. Je préfère donc prendre le risque de l’abus que celui de l’impuissance.

          Pour schématiser, je dirais que les “réformateurs” ressemblent un peu à ces instituteurs qui ont tellement peur que leurs élèves se blessent qu’à l’heure de faire des travaux manuels leur donnent des ciseaux qui ne coupent pas. On évite les blessures certes, mais on ne peut rien faire avec. Mon idée, c’est qu’il faut donner des ciseaux qui coupent. Il y aura certes des accidents, mais les élèves apprendront à se servir d’un instrument, et le résultat sera tout autre.
          Soyez assuré que je souhaite ardemment un échange plus profond avec vous sur chacun de ces points.
          Quel format de dialogue pourriez-vous me proposer ?
          Cordialement.
          Luc Laforets

          • Luc Laforets dit :

            Bonjour.
            Bon comme vous voulez. Toutefois, il m’apparaît souhaitable de structurer la discussion compte tenu du nombre et de la diversité des sujets ouverts, de même que j’aimerais bien capitaliser sur cette discussion chronophage. C’est pourquoi je vous propose :
            1/ De créer un billet de blog dédié à ce sujet constitutionnel au sein duquel vous pourriez exposer vos réflexions ci-dessus et les critiques sur la constitution que nous proposons.
            2/ Dupliquer les échanges par thème sur les pages spécifiques correspondantes du site de 1P6R.
            Êtes-vous d’accord avec cette démarche de travail ?
            Cordialement.
            Luc Laforets
             

            • Descartes dit :

              @ Luc Laforêts

              [1/ De créer un billet de blog dédié à ce sujet constitutionnel au sein duquel vous pourriez exposer vos réflexions ci-dessus et les critiques sur la constitution que nous proposons.]

              Pourquoi pas. Mais vous l’aurez compris, je ne suis pas intéressé par un débat sur le détail de chaque disposition constitutionnelle. C’est plutôt l’esprit du texte qui m’intéresse. Je veux bien écrire un papier sur cette question, pour vous permettre de répondre à mes arguments avec les idées qui structurent votre projet. Mais je crains que notre différence réside à la racine du sujet, à savoir, sur la question de savoir ce qu’est une « constitution ». Pourquoi a-t-on besoin d’une constitution ? Parce que, dans un système démocratique, le « souverain » est muet. Lorsque la souveraineté était déposée dans un homme, on n’avait point besoin d’une constitution, puisque cet homme pouvait faire connaître sa volonté sans ambiguïté. Mais dès lors que la souveraineté réside dans la nation, il devient nécessaire de préciser sous quelle forme le souverain s’exprime, de quelle manière il délègue à des institutions les différents pouvoirs pour qu’elles l’exercent en son nom, et quelle est la limite mise dans ces pouvoirs, limites qui définissent en négatif les droits des individus.

              Votre conception des fonctions d’une constitution est très différente. Pour vous, le texte doit définir et hiérarchiser les « besoins » des êtres humains, « besoins » que la collectivité se doit de satisfaire. Autrement dit, là où d’autres attendent de la constitution qu’elle organise les mécanismes par lesquels la société détermine des objectifs et règle les moyens de les atteindre, vous lui accordez une fonction téléologique, celle de prescrire elle-même les buts de l’organisation sociale. Mais vous allez plus loin : alors que dans ma vision la constitution est une expression de la volonté du souverain, pour vous elle dérive d’un « droit naturel » qui est, par conséquence, au-dessus du souverain. Pour le dire autrement, vous contestez l’existence de la souveraineté elle-même, puisque par définition une entité souveraine est celle qui n’est soumise à aucune loi autre que celle qu’elle fait elle-même.

              De ce désaccord fondamental dérive un autre, qui porte sur la fonction performative d’un texte constitutionnel. Pour moi, la constitution organise les institutions, mais cette organisation résulte d’une dialectique entre le texte et la société. Autrement dit, le texte constitutionnel matérialise des rapports de force et de classe dans la société, et on voit bien d’ailleurs que l’interprétation qui est faite du texte constitutionnel – même inchangé – dépend de ces rapports de force. Pour le dire autrement, ce n’est pas la Constitution de 1958 qui a créé un exécutif fort, c’est parce que la société avait besoin d’un pouvoir fort qu’on a fait la Constitution de 1958. Et aujourd’hui l’exécutif est devenu faible, sans que pour cela la constitution ait été radicalement changée.

              Autrement dit, un texte constitutionnel n’a pas le pouvoir que vous semblez lui accorder – du moins si je lis bien ce qui est écrit dans le site 1P6R.org – de changer la société. La question à se poser vis-à-vis de votre projet constitutionnel est celle de savoir si ce projet correspond aujourd’hui à la société dans laquelle nous vivons, à l’état des forces productives et des rapports de classe. Si ce n’est pas le cas, il reste au niveau de la spéculation intellectuelle, fort intéressante par ailleurs, mais sans aucune chance de devenir une réalité.

              [2/ Dupliquer les échanges par thème sur les pages spécifiques correspondantes du site de 1P6R.
              Êtes-vous d’accord avec cette démarche de travail ?]

              Comme je le dis toujours, les matériels disponibles dans ce blog sont de libre disponibilité à condition d’en indiquer la source. Si vous souhaitez enrichir le site 1P6R en y reproduisant les échanges qui ont lieu ici, je n’y vois pas d’inconvénient.

            • Luc Laforets dit :

              Reponse à Descartes 4 juillet 2025 à 7 h 41 min
              (le bouton réponse n’apparait pas sous votre dernier texte).
              Bonjour.
              Je constate avec plaisir d’abord que vous avez fait l’effort de découvrir plus avant nos travaux et d’appréhender plusieurs éléments de son architecture ; et d’autre part que vous accueillez favorablement une discussion approfondie et plus structurée avec un billet dédié. Je vous en remercie et je suis sûr que les participants à 1P6R seront ravis de l’apprendre lors de notre prochaine réunion de lundi soir prochain.
              Peut-être, avant de poster votre billet, serait-il utile que vous lisiez, si ce n’est pas déjà fait, la proclamation de la 4eme Voie, car elle synthétise la démarche et l’inscrit dans l’histoire.
              Cordialement.
              Luc Laforets

            • Descartes dit :

              @ Luc Laforêts

              [(le bouton réponse n’apparait pas sous votre dernier texte).]

              C’est normal. WordPress, qui est le logiciel qui fait tourner le site, n’accepte pas qu’on dépasse un certain nombre de niveaux de commentaires. Quand ce niveau est atteint, il faut recommencer à la racine…

              [Je constate avec plaisir d’abord que vous avez fait l’effort de découvrir plus avant nos travaux et d’appréhender plusieurs éléments de son architecture ; et d’autre part que vous accueillez favorablement une discussion approfondie et plus structurée avec un billet dédié.]

              Cela ne devrait pas vous surprendre: je lis toujours les documents qu’on me signale, et j’aime bien les discussions approfondies…

              [Peut-être, avant de poster votre billet, serait-il utile que vous lisiez, si ce n’est pas déjà fait, la proclamation de la 4eme Voie, car elle synthétise la démarche et l’inscrit dans l’histoire.]

              Je l’ai lue, bien entendu. Et le moins que je puis dire, c’est que je ne suis pas impressionné. En fait, c’est une reprise du vieux fantasme du christianisme social: Les problèmes de la société ne tiennent pas à ce que certains exploitent le travail des autres, mais aux excès de cette exploitation: supprimons “l’extrême indigence” et “l’extrême richesse”, et tout ira bien et pour cela, on invoque le “Droit Naturel” (majuscules dans le texte).

              Mais les contradictions arrivent vite. Les auteurs du texte veulent marier ce “droit naturel” avec la souveraineté populaire (“l’arbitrage suprême du peuple pour trancher les litiges entre forces sociales”. Or, ce mariage est impossible: si l’on fait du “droit naturel” un principe “inviolable”, alors le peuple est contraint par ce droit, et il ne peut donc pas être “arbitre suprême”.

              Il faut aussi être sérieux lorsqu’on regarde l’histoire. Voir une “convergence” entre les expériences russe, chinoise, celle de la France gaullienne ou l’Argentine de Peron est déjà osé, mais les faire “converger” vers “un modèle à deux classes en synergie” dont la “supériorité économique” viendrait du “dynamisme du réseau des petites entreprises” est une absurdité. On voit mal où est le “réseau des petites entreprises” en Russie, et la “supériorité économique” du modèle péroniste en l’Argentine, qui n’a pu fonctionner que grâce à la rente et s’est effondré dès que la rente a diminué, mérite d’être nuancée.

              Je passe sur l’idée qu’un modèle politique puisse correspondre à “l’essence même de l’être humain”, ce qui supposerait qu’il existe un modèle universel, qui serait optimal quelque soit l’histoire ou le degré d’avancement d’une civilisation… et cette idée est encore accentuée par l’idée que cette “4ème voie” serait “inéluctable car c’est le sens de la vie”, comme si la “vie” avait un “sens”. Il y a là une forme de spiritualisme qui nous ramène au romantisme allemand…

              Je vais faire le papier que vous m’avez demandé, mais il faut me donner un peu de temps…

  9. Bob dit :

    @ Descartes
     
    [Au plan personnel, je vis la perspective du départ à la retraite comme une déchéance, et je fais tout ce qui est dans mon pouvoir pour retarder l’échéance]
     
    Je trouve votre vision de la retraite particulièrement négative (et un peu extrême). On peut aimer son travail et tout ce qu’il apporte sans pour autant voir l’heure de la retraite comme “la fin des haricots”. C’est une nouvelle étape de la vie qui commence, avec son temps libre et les libertés associées. D’autant que de nos jours, on l’entame souvent en bonne santé, ce qui permet de vivre “une autre vie” (la 3e je dirais), qu’elle soit culturelle, sportive, faite de voyages, etc. Il faut en profiter !
     
    [je pense que la soixantaine est aujourd’hui un bon compromis]
     
    Je suis d’accord.

    • Descartes dit :

      @ Bob

      [Je trouve votre vision de la retraite particulièrement négative (et un peu extrême). On peut aimer son travail et tout ce qu’il apporte sans pour autant voir l’heure de la retraite comme “la fin des haricots”. C’est une nouvelle étape de la vie qui commence, avec son temps libre et les libertés associées.]

      Pour le dire très directement, je ne crois pas à l’idée même de « temps libre » opposé à un « temps contraint » qui serait celui du travail. Tant qu’on travaille, on agit sur le monde. Quand on cesse de travailler, on n’agit plus que sur soi. Tant qu’on travaille, on est utile ou nécessaire à quelqu’un. Quand on cesse de travailler, on n’est plus utile qu’à soi-même. Pour moi, c’est impensable. Et je viens d’une longue lignée : mes parents n’ont jamais arrêté de travailler, pas plus que mes grands parents…

  10. Glarrious dit :

    [Souvenez-vous d’Emmanuel Macron pendant le « grand débat », pérorant en manches de chemise pendant des heures devant son audience, lui qui est incapable de se concentrer pendant la même durée sur un dossier de fond. Et il n’est pas le seul : des ministres qui peinent à consacrer trente minutes à l’analyse d’un dossier passent des heures à préparer une conférence de presse.]
     
    Le “lui” désigne j’imagine Macron ? C’est bizarre le travail d’un énarque n’est pas justement de passer beaucoup de temps à travailler sur les dossiers.
    Concernant les ministres, je me demandais si vous saviez c’est quoi la journée-type d’un ministre et dans cette journée, combien de temps consacrent-ils sur les dossiers parce-que “trente minutes” c’est une façon de parler pour dire que c’est des branleurs ?
     
    Vous savez je garde en tête l’image de ministres dévoués dans leurs travails à l’image de la caricature de Charlie Hebdo (n°105) sur Michel Debré, une sorte de bête de travail même si ce n’est pas le sens que vous donnez l’auteur de cette caricature. Ou bien des tableaux des grandes figures de l’Histoire de France comme Napoléon étudiant ses cartes. Mais à vous lire il semble que nous sommes tombés dans la déchéance.

    • Descartes dit :

      @ Glarrious

      [Le “lui” désigne j’imagine Macron ? C’est bizarre le travail d’un énarque n’est pas justement de passer beaucoup de temps à travailler sur les dossiers.]

      Pas forcément. Il n’y a pas UN énarque mais DES énarques. L’énarque qui exerce ses talents au Conseil d’Etat passe le plus clair de son temps à travailler sur des dossiers, et le reste à débattre les dossiers qu’il a travaillé. Mais un énarque nommé dans la préfectorale passera beaucoup de temps en déplacement ou en réunion, et relativement peu à travailler sur dossier.

      [Concernant les ministres, je me demandais si vous saviez c’est quoi la journée-type d’un ministre et dans cette journée, combien de temps consacrent-ils sur les dossiers parce-que “trente minutes” c’est une façon de parler pour dire que c’est des branleurs ?]

      Certainement pas. Les ministres sont au contraire de gros bosseurs, sauf rares exceptions. Il est difficile de parler d’une « journée type », parce que selon le ministère et la personnalité du ministre ça peut être très différent. Bien sûr, il y a des figures imposées : conseil des ministres, activités parlementaires, conseils européens… mais en dehors de ça, les ministres ont une large liberté. Certains aiment bien les déplacements et sont souvent en vadrouille, d’autres aiment le contact avec les médias ou les parties prenantes. Certains préfèrent travailler avec leur cabinet alors que d’autres veulent le contact avec leurs administrations. J’ai connu des ministres qui réservaient une matinée pour se faire briefer sur un sujet de fond dans leur bureau par leurs directeurs, et d’autres qui, dans les rares réunions de travail qu’ils organisaient, sautent du coq à l’âne et sont incapables de se concentrer sur un sujet plus de vingt minutes… Sans compter sur ceux qui ne s’intéressent qu’à la communication et à leur image…

      Le problème n’est donc pas tant le volume de travail qu’ils fournissent que leur choix de priorités entre les différentes activités. Certains s’intéressent vraiment aux sujets de leur ministère, et ont même une vision personnelle. D’autres se contentent d’esquiver les problèmes en attendant le prochain poste…

      [Vous savez je garde en tête l’image de ministres dévoués dans leurs travails à l’image de la caricature de Charlie Hebdo (n°105) sur Michel Debré, une sorte de bête de travail même si ce n’est pas le sens que vous donnez l’auteur de cette caricature.]

      Je suis beaucoup trop jeune pour l’avoir connu, mais les grands anciens qui ont travaillé avec lui parlent d’un homme totalement concentré sur la tâche de gouverner et ayant finalement fort peu d’intérêt pour la communication ou les magouilles politiciennes. Il faut dire qu’il a probablement reçu une éducation ou le dévouement professionnel était une valeur importante. Son père était le père de la pédiatrie française, Robert Debré, et sa mère l’une des premières femmes à réussir l’internat de médecine et l’agrégation.

      [Ou bien des tableaux des grandes figures de l’Histoire de France comme Napoléon étudiant ses cartes. Mais à vous lire il semble que nous sommes tombés dans la déchéance.]

      C’est bien le problème. « Hier nous étions gouvernés par des énarques, maintenant nous sommes gouvernés par ceux qui ont raté le concours de l’ENA ». Je ne sais plus de qui est la formule, mais elle est révélatrice. Rares sont aujourd’hui les hommes politiques qui sont de grands lecteurs…

  11. P2R dit :

    Bonjour  Descartes 
    Je me permets une question qui n’a rien à voir avec le sujet.
    Je suis relativement lassé des médias traditionnels, y compris (voire surtout) des émissions de France Culture, où la plupart du temps le consensus des intervenants empêche d’approfondir les sujets abordés.
    Avez vous des références de revues dans lesquelles on peut trouver un vrai débat contradictoire, ou à défaut des prises de positions diverses et étayées ?
     

    • Descartes dit :

      @ P2R

      [Je me permets une question qui n’a rien à voir avec le sujet.]

      Au risque de me répéter, les hors sujet sont ici les bienvenus.

      [Je suis relativement lassé des médias traditionnels, y compris (voire surtout) des émissions de France Culture, où la plupart du temps le consensus des intervenants empêche d’approfondir les sujets abordés. Avez vous des références de revues dans lesquelles on peut trouver un vrai débat contradictoire, ou à défaut des prises de positions diverses et étayées ?]

      Il y a quelques publications marginales – je pense par exemple à « Causeur » dont la devise, « surtout si vous n’êtes pas d’accord », est tout un programme. « Marianne », même si je n’aime pas son style, héberge des débats intéressants. Mais pour le reste, c’est morne plaine. Et c’est assez logique : une publication ne vit que par son lectorat, et les lectorats qui aiment lire des choses qui contredisent ne serait-ce que marginalement leurs préjugés, cela devient très rare. Les lecteurs exigent de leur publication favorite qu’elle aille dans leur sens. On le voit bien d’ailleurs : quand les lecteurs sont en désaccord avec un article, leur menace la plus courante est « je ne vous lirai plus » ou bien « je vais me désabonner » (je suis bien placé pour le dire, j’ai des réactions de ce type couramment sur mon blog…). Ce comportement tend à pousser les publications à choisir une ligne, et à s’y tenir en excluant tout ce qui peut aller dans un sens différent.

      Vous ne trouverez donc pas de lieu de débat, si ce n’est que marginalement. Le mieux qu’on puisse faire, c’est de panacher ses sources. Il faut lire « Le Monde » mais aussi « Le Figaro », regarder les informations sur France 2, mais aussi sur CNEWS… et puis refaire le débat dans sa tête. Ou bien sur ce blog !

      • Bob dit :

        Je suis du même avis que P2R.
        La question que je me pose est la suivante : quel est l’intérêt de lire un journal qui ne fait que conforter ses propres biais et idées ? (finalement, on n’y apprend rien…) et, d’un point de vue un peu sociologique, pourquoi une grande partie des gens sont dans ce cas de figure ?
        Je lisais souvent Le Monde il y a quelques années, surtout parce que j’étais le plus souvent en désaccord avec leur ligne, mais leurs arguments m’intéressaient. Je dois dire que j’ai cessé de le lire, leur côté bienpensance et donneur de leçons, je ne supporte plus.
         
        [Ou bien sur ce blog !]
         
        Tout à fait. Me concernant, je suis la plupart du temps en accord avec Descartes (malheureusement 😉 ), mais c’est bien quand un lecteur ne l’est pas que les échanges prennent tout leur sel.
         

        • Descartes dit :

          @ Bob

          [La question que je me pose est la suivante : quel est l’intérêt de lire un journal qui ne fait que conforter ses propres biais et idées ? (finalement, on n’y apprend rien…) et, d’un point de vue un peu sociologique, pourquoi une grande partie des gens sont dans ce cas de figure ?]

          Quel est l’intérêt ? Mais… à se faire plaisir, bien entendu. Quel plaisir peut être plus grand que de constater que des gens très intelligents, très importants, très connus, sont d’accord avec vous ? Pour l’égo, c’est l’équivalent d’un shoot de cocaïne ! Et à peu près aussi addictif.

          Ne vous trompez pas : nous sommes dans une société fondamentalement hédoniste. On ne lit plus – pas plus que l’on ne va à l’école, à l’université, au cinéma, au spectacle – pour apprendre des choses. On y va pour se faire plaisir. C’est pourquoi l’école ou l’université cherchent de plus en plus des méthodes « ludiques », quitte à ressembler plus à un parc d’attractions ou une garderie qu’à un lieu d’études. Pourquoi voulez-vous que les médias fonctionnent différemment ?

          [Je lisais souvent Le Monde il y a quelques années, surtout parce que j’étais le plus souvent en désaccord avec leur ligne, mais leurs arguments m’intéressaient. Je dois dire que j’ai cessé de le lire, leur côté bienpensance et donneur de leçons, je ne supporte plus.]

          Je le supporte difficilement, mais je le lis toujours parce que c’est le journal représentatif de ce que pensent les élites, et qu’il est toujours intéressant – et dans mon métier, indispensable – d’avoir cette information. Mais vous le comprendrez, c’est une lecture distancée : je le lis comme on lit une fiction.

          [Tout à fait. Me concernant, je suis la plupart du temps en accord avec Descartes (malheureusement 😉 ), mais c’est bien quand un lecteur ne l’est pas que les échanges prennent tout leur sel.]

          C’est pour cela que je ne cherche jamais à convaincre mes amis. Si j’y arrivais, la conversation perdrait une grande partie de son intérêt…

        • Goupil dit :

          @Bob et @Descartes,
           
          Si je peux m’insérer dans la conversation,
           
          [quel est l’intérêt de lire un journal qui ne fait que conforter ses propres biais et idées ? (finalement, on n’y apprend rien…) et, d’un point de vue un peu sociologique, pourquoi une grande partie des gens sont dans ce cas de figure ?]
           
          Je crois que Descartes, dans sa réponse à votre question, semble associer cette volonté de se faire plaisir en lisant un journal qui ne fait que conforter ses propres biais à un caractère fondamentalement contemporain en écrivant “Ne vous trompez pas : nous sommes dans une société fondamentalement hédoniste”.
           
          Or, il me semble que cela a toujours été le cas. Je me rappelle avoir lu le témoignage d’un fils de militant communiste (mais je vous avoue que je ne sais plus trop où) qui expliquait que son père achetait L’Humanité pour les nouvelles et France Soir pour les résultats sportifs…Mais je ne sais pas si les ouvriers communistes étaient de grands lecteurs du Figaro ou du Monde ?
           
          Je me rappelle aussi avoir lu (dans je ne sais plus quel manuel universitaire d’histoire de la presse française, mais ça ce sera plus facile à retrouver) que le patron du Petit Parisien, qui à l’époque (dans les années 1930) était le quotidien le plus lu de France, expliquait que son journal devait être “assez de droite” pour être lu par les femmes d’ouvriers et “pas trop de droite” pour que leur mari communiste ne les empêchent pas de le lire. Dès les années 1930 et pour s’adresser à des ouvriers, le principal patron de presse avait compris qu’il fallait chercher à confirmer les biais et les idées de ses lecteurs – ou du moins éviter de prendre ces derniers à rebrousse-poils. 
           
          D’ailleurs, tout le monde fait pareil. Dans un autre commentaire, Descartes dit qu’il aime bien Causeur ou Marianne. Soit. Mais reconnaissez que, vous aussi, vous cherchez à confirmer vos propres préjugés en lisant ces magazines. Sinon, vous liriez des magazines qui vont franchement contre vos propres opinions, non ? Vous seriez lecteur régulier d’un magazine ultralibéral et d’un magazine décolonial…
           
          Ensuite, je remarque que tout le monde ne lit et ne regarde pas que ce qui confirme leurs préjugés. Je ne compte plus les militants de gauche qui sont tous d’excellents connaisseurs de la grille des programmes de CNews et qui semblent ne regarder que cela tant ils connaissent le déroulé minute par minute de chaque séquence. Il me semble qu’un certain nombre de personnes regardent ou lisent des médias avec lesquels ils sont en désaccord radical justement parce que cela confirme leurs préjugés que les autres sont des idiots car ils ne pensent pas comme eux. 
           
          Paul Lazarsfeld a travaillé dans les années 1950 sur la réception de la télé et de la radio en période de campagne électorale aux Etats-Unis. 
           
          Ses travaux ont surtout montré que le pouvoir des médias pour faire changer d’opinion les spectateurs, lecteurs ou auditeurs est en fait très faible.
           
          Mais ils ont aussi montré que les gens consomment des médias en y appliquant une série de filtres. Déjà, ils sélectionnent les médias qu’ils consultent en fonction de s’ils partagent leurs opinion fondamentales. Ensuite, quand ils écoutent la télé ou la radio (mais aussi quand ils lisent le journal), ils n’accordent pas la même attention à tout : ils sont plus attentifs aux moments qui confirment leurs préjugés qu’aux autres – et, plus intéressant encore, quand on les interrogent sur ce qu’ils ont retenu de séances où on les forçait à regarder la télé ou écouter la radio attentivement, ils retenaient mieux et plus longtemps les informations qui confirmaient leurs préjugés que celles qui allaient à leur encontre. Enfin, il s’avère que les cobayes avaient tendance à interpréter activement les informations pour les faire correspondre de façon plus ou moins forcée avec leurs préjugés et allaient même jusqu’à se remémorer de faux souvenirs (en faisant dire à une information l’inverse de ce qu’était son contenu réel). 
           
          En fait, les études de psychologie montrent que le cerveau humain souffre en permanence d’un biais de confirmation qui fait qu’il cherche en priorité à confirmer ses préjugés – ce qui correspond aux conclusions de Lazarsfeld.

          • Descartes dit :

            @ Goupil

            [« Je crois que Descartes, dans sa réponse à votre question, semble associer cette volonté de se faire plaisir en lisant un journal qui ne fait que conforter ses propres biais à un caractère fondamentalement contemporain en écrivant “Ne vous trompez pas : nous sommes dans une société fondamentalement hédoniste”. » Or, il me semble que cela a toujours été le cas. Je me rappelle avoir lu le témoignage d’un fils de militant communiste (mais je vous avoue que je ne sais plus trop où) qui expliquait que son père achetait L’Humanité pour les nouvelles et France Soir pour les résultats sportifs…]

            Ici, il faut séparer deux choses. Oui, il y a toujours eu une certaine tendance à « se faire plaisir » en lisant ceux qui confirment vos préjugés. Mais à côté de cette tendance, il y avait un discours institutionnel qui valorisait le débat avec ceux qui ne les partageaient pas, et l’effort de s’ouvrir à des idées différentes. Le PCF, puisque vous le citez, donnait une large place dans ses publications aux « compagnons de route », personnalités qui sans être d’accord avec le PCF acceptaient, à une époque où les communistes étaient enfermés dans un « ghetto » politique, de faire un bout de chemin avec lui.

            [Mais je ne sais pas si les ouvriers communistes étaient de grands lecteurs du Figaro ou du Monde ?]

            Probablement pas, mais pas seulement pour une question d’idéologie. Le langage, les sujets, les centres d’intérêt des lecteurs du Figaro ou du Monde n’étaient pas ceux des ouvriers communistes. Madame de la Haute expliquant comment meubler un château, un article de six colonnes sur les rapports Sino-Mongols, cela ne faisait pas battre le cœur de Billancourt. Il ne faut pas non plus oublier que ces publications – on peut y ajouter Libération – ne se contentaient pas de soutenir des idées différentes de celles des militants ou sympathisants communistes, mais faisaient campagne contre eux, y compris avec des injures et les méthodes les plus basses (souvenez-vous de l’affaire du « bulldozer de Vitry). Je lis sans difficulté des textes de gens qui sont en désaccord avec moi, j’ai plus de mal avec les gens qui m’insultent.

            [Je me rappelle aussi avoir lu (dans je ne sais plus quel manuel universitaire d’histoire de la presse française, mais ça ce sera plus facile à retrouver) que le patron du Petit Parisien, qui à l’époque (dans les années 1930) était le quotidien le plus lu de France, expliquait que son journal devait être “assez de droite” pour être lu par les femmes d’ouvriers et “pas trop de droite” pour que leur mari communiste ne les empêche pas de le lire. Dès les années 1930 et pour s’adresser à des ouvriers, le principal patron de presse avait compris qu’il fallait chercher à confirmer les biais et les idées de ses lecteurs – ou du moins éviter de prendre ces derniers à rebrousse-poils.]

            Vous parlez d’une époque de très forte polarisation. A l’époque, « être de droite » c’était faire campagne contre la gauche, et vice-versa. Dans ce contexte, la remarque que vous citez peut être interprétée comme une injonction à éviter de heurter les lecteurs plutôt qu’a confirmer leurs biais idéologiques.

            [D’ailleurs, tout le monde fait pareil. Dans un autre commentaire, Descartes dit qu’il aime bien Causeur ou Marianne. Soit. Mais reconnaissez que, vous aussi, vous cherchez à confirmer vos propres préjugés en lisant ces magazines.]

            Pas vraiment ! Chez « Causeur », par exemple, vous trouvez des articles pro-israéliens qui ne vont certainement pas dans le sens de mes préjugés. Sans compter sur certains biais « complotistes » chez quelques-uns des collaborateurs de cette publication. Non, je la lis parce qu’elle soulève des questions intéressantes, que je trouve des points de vue auxquels je n’aurais pas pensé, et – et c’est pour moi quelque chose d’essentiel – parce que le sens de l’humour fait partie de la ligne éditoriale ! Quant à Marianne, je peux vous dire qu’il y a des collaborateurs que j’aime bien et d’autres dont je déteste les articles. J’ai du mal à supporter par exemple Jack Dion, ancien journaliste à l’Humanité et thuriféraire à ce titre de Robert Hue.

            [Sinon, vous liriez des magazines qui vont franchement contre vos propres opinions, non ? Vous seriez lecteur régulier d’un magazine ultralibéral et d’un magazine décolonial…]

            Je lis très régulièrement « The Economist », magazine qu’on peut raisonnablement qualifier de « ultralibéral ». Je n’ai pas trouvé un magazine « décolonial » de qualité, mais si j’en trouvais un, je le lirais certainement. Je dois dire que je lis un peu tout ce qui me tombe sous la main quand j’ai l’opportunité. Mais je ne pousse pas le masochisme jusqu’à lire régulièrement des publications idiotes.

            [Ensuite, je remarque que tout le monde ne lit et ne regarde pas que ce qui confirme leurs préjugés. Je ne compte plus les militants de gauche qui sont tous d’excellents connaisseurs de la grille des programmes de CNews et qui semblent ne regarder que cela tant ils connaissent le déroulé minute par minute de chaque séquence. Il me semble qu’un certain nombre de personnes regardent ou lisent des médias avec lesquels ils sont en désaccord radical justement parce que cela confirme leurs préjugés que les autres sont des idiots car ils ne pensent pas comme eux.]

            Franchement, je ne connais pas beaucoup de militants de gauche qui regardent régulièrement CNews. Ceux que je fréquente connaissent les présentateurs ou la grille des programmes par ouï-dire, parce que les uns et les autres sont régulièrement traînés dans la boue sur les réseaux sociaux. Mais je connais pas beaucoup de militants qui regardent eux-mêmes ces programmes.

            [Paul Lazarsfeld a travaillé dans les années 1950 sur la réception de la télé et de la radio en période de campagne électorale aux Etats-Unis. Ses travaux ont surtout montré que le pouvoir des médias pour faire changer d’opinion les spectateurs, lecteurs ou auditeurs est en fait très faible.]

            Cela dépend des opinions SUR QUOI. Les travaux de Lazarsfeld et d’autres montrent que le pouvoir des médias pour changer les choix électoraux sont relativement limités. Mais il y a d’autres « opinions » qui ne se structurent pas de la même manière. Sur les questions scientifiques ou techniques, par exemple, l’influence des médias est bien plus grande, comme on peut le constater sur les questions comme la vaccination.

            [Mais ils ont aussi montré que les gens consomment des médias en y appliquant une série de filtres. Déjà, ils sélectionnent les médias qu’ils consultent en fonction de s’ils partagent leurs opinions fondamentales.]

            Il y a là une question complexe. Ces « opinions fondamentales », c’est aussi un cadre de référence, un langage. Le même mot utilisé par un journaliste de l’Humanité (du moins du temps ou c’était un journal communiste) et par un journaliste du Monde n’a pas le même sens : lorsque l’un parlait de « pays frères », c’était au sens strict, alors que chez l’autre ce ne pouvait être qu’ironique. Il est clair que les gens vont vers les médias qui parlent le langage qu’ils comprennent. Le catholique pratiquant trouvera dans « la Croix » des références qui seront naturelles pour lui, mais incompréhensibles pour un lecteur qui n’aurait pas cette culture. Alors, quand les gens sélectionnent le média dont ils partagent « les opinions fondamentales », le font-ils parce qu’ils en comprennent plus aisément le langage, ou est-ce un choix idéologique ?

            [Ensuite, quand ils écoutent la télé ou la radio (mais aussi quand ils lisent le journal), ils n’accordent pas la même attention à tout : ils sont plus attentifs aux moments qui confirment leurs préjugés qu’aux autres – et, plus intéressant encore, quand on les interrogent sur ce qu’ils ont retenu de séances où on les forçait à regarder la télé ou écouter la radio attentivement, ils retenaient mieux et plus longtemps les informations qui confirmaient leurs préjugés que celles qui allaient à leur encontre. Enfin, il s’avère que les cobayes avaient tendance à interpréter activement les informations pour les faire correspondre de façon plus ou moins forcée avec leurs préjugés et allaient même jusqu’à se remémorer de faux souvenirs (en faisant dire à une information l’inverse de ce qu’était son contenu réel).]

            Tout à fait. Cela était déjà connu du temps de Pascal : « L’esprit humain est ainsi fait qu’il retient préférentiellement les faits qui vont dans le sens des thèses qu’il entend défendre ».

            [En fait, les études de psychologie montrent que le cerveau humain souffre en permanence d’un biais de confirmation qui fait qu’il cherche en priorité à confirmer ses préjugés – ce qui correspond aux conclusions de Lazarsfeld.]

            Tout à fait. Mais ce que Lazarsfeld détecte est une tendance, pas une fatalité. On peut contrer cette tendance de différentes manières, par exemple par l’éducation. Stimuler la curiosité, encourager le goût du paradoxe (qui est, lui aussi, très humain), initier aux plaisirs de la rhétorique et de l’argumentation, tout cela contribue à combattre ce biais.

      • P2R dit :

        Je pensais plus à des conseils sur des revues de type Esprits, Le Grand Continent, la Revue des Deux Mondes… qu’on ne trouve pas forcément en kiosque par chez moi. Je n’ai pas trop de visibilité sur cet univers des revues plus “élitistes” en terme d’approche.
         
         

        • Descartes dit :

          @ P2R

          J’aimais beaucoup “Le Débat”, la revue fondée par Pierre Nora et Marcel Gauchet, mais elle a cessé de paraître en 2020. “Esprit” m’énerve par son idéalisme béat. La “revue des deux mondes” est libérale et plutôt de droite, mais ses articles sont souvent intelligents et il y a une certaine variété des points de vue. Malheureusement, beaucoup de revues “de qualité” de ce type ont disparu ces dernières années…

          • P2R dit :

            @ Descartes
             
            [La “revue des deux mondes” est libérale et plutôt de droite, mais ses articles sont souvent intelligents et il y a une certaine variété des points de vue.]
             
            Pourquoi “mais” et pas “donc”  ?  
            😉

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [Pourquoi “mais” et pas “donc” ?]

              “Mais” est le mot juste. Les publications “libérales et plutôt de droite” sont en général remplies d’articles bêtes répétant la doxa, et ne laissent guère place à une diversité des points de vue. Une lecture régulière du “Point” vous le confirmera. Vous savez, le sectarisme, ce n’est pas l’apanage de la gauche…

            • P2R dit :

              @ Descartes
               
              [“Mais” est le mot juste. Les publications “libérales et plutôt de droite” sont en général remplies d’articles bêtes répétant la doxa, et ne laissent guère place à une diversité des points de vue.]
              Je voulais surtout vous taquiner, mais admettez que comparativement, les médias de droite sont quand même beaucoup plus ouvertes aux points de vue alternatifs.
               
               [Vous savez, le sectarisme, ce n’est pas l’apanage de la gauche…]
              Il y a certes des publis de droite qui sont sectaires, mais je ne connais pas une seule publi “de gauche” ou “libérale-démocrate” qui ne le soit pas .
               

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [Je voulais surtout vous taquiner, mais admettez que comparativement, les médias de droite sont quand même beaucoup plus ouvertes aux points de vue alternatifs.]

              Je n’admets rien de tel. Ca dépend beaucoup du média. Je n’ai pas remarqué une grande ouverture sur les points de vue antilibéraux ou anti-euro chez “Le Point”, “Chalenges”, “Valeurs actuelles” ou même “Les Echos”. Certains, comme par exemple “Le Figaro”, sont plus ouverts. Mais là encore, cette ouverture est relative. “Le Figaro” est ouvert par exemple aux idées souverainistes, parce qu’elles sont aussi le patrimoine d’une partie de la droite. Mais je ne me souviens pas d’avoir vu dans ses pages une tribune d’un intellectuel “woke”.

              Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la droite porte les intérêts de la bourgeoisie, c’est à dire la classe dominante “installée”, qui en ce moment n’a peur de rien parce qu’il n’y a pas dans la société de mouvement capable de contester sa suprématie. Elle peut donc se permettre de tout laisser dire. La gauche bienpensante, elle, porte les intérêts des classes intermédiaires, dont la position dominante est relativement récente et structurellement précaire. Elle ne peut donc pas se permettre de laisser des idéologies susceptibles de remettre en cause ses privilèges se développer. C’est cela peut-être qui explique le relatif sectarisme de la gauche bienpensante…

            • P2R dit :

              @ Descartes
               
              [ Je n’ai pas remarqué une grande ouverture sur les points de vue antilibéraux ou anti-euro chez “Le Point”, “Chalenges”, “Valeurs actuelles” ou même “Les Echos”.]
               
              ça fait un moment que je n’ai pas lu Valeurs Actuelles mais il me semble bien que la ligne souverainiste et anti UE y tienne une position non négligeable. Mais globalement vous avez raison, surtout en ce que cette ouverture est relative. Je suis d’accord avec vous
               
              Cependant la question sous jacente était de montrer si comparativement, les médias “de droite” étaient plus ou moins sectaires que ceux “de gauche”. Pas de juger de leur degré d’ouverture dans l’absolu.
               
              Et ce qui est intéressant, c’est que bien que vous “n’admettiez rien de tel” que cette différence d’ouverture entre médias de droite et de gauche, vous l’expliquez parfaitement dans votre dernier paragraphe: la droite issue de la bourgeoisie, n’étant pas en danger, peut se payer le luxe d’aller flâner en dehors du champ de l’idéologie dominante. Alors que les médias des classes intermédiaires est trop fragile pour risque l’ouverture. CQFD.

  12. Rogers dit :

    Bonjour René, 
    Pierre Vermeren, sur les gilets jaunes et la desindustrialisation, c est intéressant?
    Bien cordialement 

    • Descartes dit :

      @ Rogers

      [Pierre Vermeren, sur les gilets jaunes et la desindustrialisation, c est intéressant?]

      Je me méfie toujours des intellectuels qui écrivent en dehors de leur champ d’expertise. Vermeren est un historien, expert du monde arabe et du Maghreb. Qu’est-ce qu’il y connaît à la question de désindustrialisation ou des gilets jaunes ? Sur ces questions, son opinion vaut autant que la mienne ou la votre…

      • P2R dit :

        @ Descartes & Rogers
         
        Guilluy est controversé mais je le trouve assez pertinent;
         
        Les ouvrages de Fourquet (à prendre pour ce qu’ils sont) restent une excellente manière de saisir la mutation du peuple français ces 10 dernières années.
         
        [Je me méfie toujours des intellectuels qui écrivent en dehors de leur champ d’expertise.]
        une parole d’or. 
         

  13. Rogers dit :

    Re bonjour René, 
    Et Laurent Izard, c est intéressant également?

  14. P2R dit :

    Bonjour Descartes,
     
    Que pensez vous de la création de l’Institut Valmy ?
    Ne serait-ce là enfin une organisation centralisant les “souverainistes éclairés” de tous horizons ? On peut l’espérer, à lire la liste de leurs membres.. (de Guaino à Kuzmanovic en passant par Aubert, Chevènement, ..)
    N’auriez-vous pas votre place dans ce genre de projet ?
     
    Cordialement
     

    • Descartes dit :

      @ P2R

      [Que pensez vous de la création de l’Institut Valmy ?]

      Je pense que c’est une excellente initiative. Je crains qu’il soit un peu trop marqué “à droite”, non par la faute de ses fondateurs qui sont des gens plutôt ouvert, mais par celle d’un certain nombre de souverainistes de gauche qui hésitent à franchir le pas.

      [N’auriez-vous pas votre place dans ce genre de projet ?]

      Certainement. J’ai déjà participé à certaines de leurs initiatives, même si le devoir de réserve m’oblige à une certaine discrétion…

      • P2R dit :

        @ Descartes
        [Je pense que c’est une excellente initiative. Je crains qu’il soit un peu trop marqué “à droite”, non par la faute de ses fondateurs qui sont des gens plutôt ouvert, mais par celle d’un certain nombre de souverainistes de gauche qui hésitent à franchir le pas.]
         
        A qui pensez vous ? Montebourg par exemple ?
         
        [Certainement. J’ai déjà participé à certaines de leurs initiatives, même si le devoir de réserve m’oblige à une certaine discrétion…]
         
        C’est entendu.
        Sauriez-vous me dire à qui s’adresse l’adhésion ? je lis qu’elle se fait par cooptation, est-ce une simple précaution pour éviter l’entrisme d’hurluberlus, ou une volonté de restreindre l’adhésion à une “élite” ?
         

        • Descartes dit :

          @ P2R

          [A qui pensez vous ? Montebourg par exemple ?]

          Par exemple. Mais en fait je pensais moins à des personnalités de premier plan qu’à des militants ou anciens militants un peu comme moi, qui viennent de la gauche et qui ont du mal à surmonter une forme de rejet naturel devant quelqu’un qui parle le langage de la droite, même pour dire des choses intelligentes. Vous savez, pour beaucoup de militants de gauche, le langage de la droite – et le cadre de référence qui s’y rattache – est presque comme une langue étrangère… et vice-versa. C’est là un obstacle important à la convergence des “souverainistes de droite” et des “souverainistes de gauche”. Si j’avais un conseil à donner à des gens comme Aubert, c’est d’éviter dans leur expression d’utiliser des expressions qui appartiennent par exemple au combat anticommuniste. Condamner par principe la grève ou parler des “méthodes de la CGT”, cela n’aide pas.

          [auriez-vous me dire à qui s’adresse l’adhésion ? je lis qu’elle se fait par cooptation, est-ce une simple précaution pour éviter l’entrisme d’hurluberlus, ou une volonté de restreindre l’adhésion à une “élite” ?]

          La personne à contacter est Julien Aubert, je pense. La cooptation est un moyen logique de garder un contrôle sur les adhésions et éviter l’entrisme politique ou tout simplement la venue d’hurluberlus et d’illuminés divers. Je ne pense pas que l’objectif soit de réserver l’adhésion à des énarques ou des polytechniciens, si je comprends bien votre question, mais en même temps, je vois mal quelle pourrait être la contribution de quelqu’un qui n’a pas l’habitude de penser et d’écrire. Je n’ai pas l’impression qu’il s’agisse d’une institution dont le but soit l’éducation populaire, mais plutôt une instance de dialogue et de travail programmatique.

          • P2R dit :

            @ Descartes
             
            [je pensais moins à des personnalités de premier plan qu’à des militants ou anciens militants un peu comme moi, qui viennent de la gauche et qui ont du mal à surmonter une forme de rejet naturel devant quelqu’un qui parle le langage de la droite, même pour dire des choses intelligentes (…) Condamner par principe la grève ou parler des “méthodes de la CGT”, cela n’aide pas.]
             
            Je me ferai l’avocat du diable en vous disant que pour la génération des Aubert (et la mienne), qui ont eu 18 ans dans les années 90, et même pour de plus vieux que lui, la gauche n’a jamais été incarnée que par le socialisme mitterrandien, le PC et la CGT sont indissociables de leur tournant sociétal, et la grève bien souvent liée à la défense de ce que De Gaulle appelait des féodalités. 
             
            Avec mes excuses et le respect que je vous dois, votre vision de la gauche est celle d’un dinosaure. Ce qui s’appelle officiellement “la gauche” depuis 40 ans ne mérite à mes yeux aucun égard. Et d’ailleurs, tous les gens “de gauche” qui ont essayé de faire revivre l’idée de la vieille et respectable gauche “pré-mitterandienne” se sont fait excommunier par la gauche d’aujourd’hui. N’y allons pas par 4 chemins: pour la “gauche”, Roussel, Montebourg, Kuzmanovic et consort sont des fachos de droite, rien de moins.
             
            [Je ne pense pas que l’objectif soit de réserver l’adhésion à des énarques ou des polytechniciens, si je comprends bien votre question, mais en même temps, je vois mal quelle pourrait être la contribution de quelqu’un qui n’a pas l’habitude de penser et d’écrire. Je n’ai pas l’impression qu’il s’agisse d’une institution dont le but soit l’éducation populaire, mais plutôt une instance de dialogue et de travail programmatique.]
             
            Je ne pensais pas à moi mais à une connaissance proche qui a les pieds dans le milieu agricole à un assez haut niveau de responsabilité de terrain depuis 50 ans, et qui serait peut être intéressé pour alimenter une réflexion sur le sujet en partant d’une connaissance extrêmement pragmatique et réaliste de toute la chaine, de la production jusqu’aux questions de marchés internationaux. Bref. a suivre.

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [Je me ferai l’avocat du diable en vous disant que pour la génération des Aubert (et la mienne), qui ont eu 18 ans dans les années 90, et même pour de plus vieux que lui, la gauche n’a jamais été incarnée que par le socialisme mitterrandien, le PC et la CGT sont indissociables de leur tournant sociétal, et la grève bien souvent liée à la défense de ce que De Gaulle appelait des féodalités.]

              Ne croyez pas ça. Je suis toujours étonné d’entendre des personnalités de droite parler du « communisme » avec terreur comme si Thorez ou Marchais étaient vivants et dirigeaient toujours le PCF. Je ne sais plus qui disait que le PCF est comme une étoile morte. Elle a beau avoir disparu, sa lumière continue à nous parvenir et nous donne l’illusion qu’elle est là. Je ne pense pas que Aubert, lorsqu’il parle du PCF ou de la CGT, parle des organisations d’aujourd’hui. Il continue à répéter un discours cristallisé dans les années de la guerre froide, quand le PCF et la CGT faisaient encore peur à quelqu’un.

              [Avec mes excuses et le respect que je vous dois, votre vision de la gauche est celle d’un dinosaure.]

              Je sais, je suis un dinosaure et je l’assume. Mais je suis un dinosaure beaucoup plus conscient de son statut zoologique que vous ne le pensez.

              [Ce qui s’appelle officiellement “la gauche” depuis 40 ans ne mérite à mes yeux aucun égard. Et d’ailleurs, tous les gens “de gauche” qui ont essayé de faire revivre l’idée de la vieille et respectable gauche “pré-mitterandienne” se sont fait excommunier par la gauche d’aujourd’hui. N’y allons pas par 4 chemins: pour la “gauche”, Roussel, Montebourg, Kuzmanovic et consort sont des fachos de droite, rien de moins.]

              Ayant été excommunié avant eux comme hérétique du temps de la « mutation » huesque – une période que l’establishment communiste préfère aujourd’hui oublier, et vous noterez d’ailleurs qu’aucune publication sur cette période, aucune étude critique, aucun bilan n’a été publié – j’aurais du mal à vous contredire. Vous noterez que le dinosaure qui vous parle n’a guère d’égards pour la gauche. Je garde un lien qu’on pourrait qualifier de sentimental, parce que c’est ma famille d’origine dans laquelle je me suis formé politiquement, et qu’on ne choisit pas sa famille. Mais je n’ai guère d’illusions sur sa capacité aujourd’hui à changer quoi que ce soit pour le mieux.

              [Je ne pensais pas à moi mais à une connaissance proche qui a les pieds dans le milieu agricole à un assez haut niveau de responsabilité de terrain depuis 50 ans, et qui serait peut être intéressé pour alimenter une réflexion sur le sujet en partant d’une connaissance extrêmement pragmatique et réaliste de toute la chaine, de la production jusqu’aux questions de marchés internationaux. Bref. a suivre.]

              Le mieux est peut-être qu’elle écrive à Julien Aubert. Vous savez, comme on dit à FDJ, “100% des gagnants ont joué”.

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