Bonne année

Comme le savent mes chers lecteurs et contributeurs de longue date, le premier papier de l’année est traditionnellement consacré au bilan du fonctionnement de ce blog sur l’année écoulée.

Que nous disent les chiffres ? En un an, il y a eu 158.000 visiteurs, qui ont consulté 632.000 pages. Cela fait une moyenne de 430 visiteurs par jour contre 350 en 2018, chacun lisant quatre pages en moyenne, chiffre identique à celui de l’année dernière. La diffusion du blog n’a donc pas souffert du changement d’hébergement en novembre 2018, au contraire. Les 4600 commentaires contre 3100 en 2018 témoignent d’un débat riche mais toujours courtois. Et vous savez combien je suis attaché à ce dernier point : ce n’est que par une vigilance sur ce point qu’on peut empêcher cette dérive qui pollue les échanges sur les réseaux sociaux et qui réduit tout débat aux échanges de noms d’oiseau. Seuls deux contributeurs ont dû être rappelés à l’ordre sur ce blog cette année, dont l’un coutumier du fait.

Si ces chiffres donnent motif de satisfaction, je suis plus nuancé sur les aspects qualitatifs de ce blog. Certes, les échanges sont riches que ce soit sur le plan politique et humain, et je ne répéterai jamais assez combien la confrontation de mes points de vue avec ceux de mes lecteurs est pour moi une nécessité intellectuelle. Ce n’est que par cette confrontation qu’on est « ramené sur terre », qu’on peut voir les insuffisances ou les contradictions de son propre discours, qu’on peut polir une pensée et une argumentation. Comme le disait sagement l’un de mes maîtres, on ne pense jamais seul, et une pensée solitaire est toujours pauvre. Mais si les échanges sont riches, s’ils aboutissent ici à un diagnostic plus ou moins partagé de la dynamique sociale à l’œuvre, nous restons collectivement confrontés à la même difficulté : nous comprenons mieux la maladie, mais aucun remède ne se profile à l’horizon. Il en résulte sur ce blog un discours éminemment pessimiste, à l’opposé de mon caractère, qui tend plutôt vers la confiance dans l’avenir.

Oui, depuis la fin 2018 le peuple – on aurait tendance à dire « les peuples » – semblent se réveiller. L’eurolâtrie béate qui faisait le cœur du discours des partis de gouvernement est devenue une maladie honteuse ou presque. L’euroscepticisme n’est peut-être pas encore majoritaire, mais n’est plus marginal. Et si la sortie de l’Euro est disparue des programmes politiques, cela témoigne plus de la peur des électeurs d’un saut dans l’inconnu que d’une véritable adhésion à la monnaie unique. Le mouvement des « gilets jaunes » – et le temps a justifié mon diagnostic d’un mouvement plus expressif que politique – a mis en évidence par son ampleur et surtout par sa persistance la marginalisation de la « France périphérique », c’est-à-dire, des couches populaires vivant hors des grandes métropoles. La grève en cours, qui touche essentiellement les transports publics mais qui traine derrière toute une série de conflits sociaux plus localisés (dockers, pétroliers, électriciens, enseignants…) montre elle aussi la dégradation du climat social et la révolte contre la logique dominante du « toujours moins » pour les couches populaires, alors que la bourse et les revenus financiers battent tous les records.

Mais, et c’est là le hic, ces mouvements ne trouvent aucune traduction politique. Au contraire : que ce soit sur les conflits sociaux ou sur tout autre sujet, le système politique est muet. Il n’apparaît aucune personnalité, aucune institution capable de tenir un discours crédible qui apporte une réponse aux problèmes posés par les mouvements sociaux ou même de produire une analyse sérieuse des problèmes posés. En fait, personne ne s’intéresse aux problèmes, sauf pour les utiliser comme prétextes pour des « réformes » qui servent toujours les intérêts du bloc dominant. Il faut être très naïf pour imaginer que ce soient les « inégalités » de notre système de retraites qui troublent les nuits de Philippe ou de Macron… mais ce n’est guère mieux ailleurs. Oui, l’accroissement de l’espérance de vie – et de l’espérance de vie en bonne santé – pose des problèmes nouveaux. On aimerait entendre les partis politiques expliquer comment ils conçoivent le fonctionnement d’une société ou les gens peuvent s’attendre à vivre et à pouvoir travailler jusqu’à 65 ans voire 70 ans. Imagine-t-on une société où l’on se formerait pendant un tiers de sa vie, on travaillerait un deuxième tiers et puis on ne ferait plus rien pendant le troisième ? Ou faut-il imaginer une société où l’on continuerait à travailler différemment pendant ce troisième tiers ? Et comment tout cela s’équilibre en termes de production et de consommation ?

Les progressistes ont triomphé des réactionnaires grâce à leur capacité de penser un avenir désirable. C’est parce qu’ils promettaient une société plus riche, plus solidaire, plus fraternelle que les révolutionnaires de 1789 ou les militants du CNR ont pu laisser leur marque dans l’Histoire. Les faux progressistes du genre Macron proposent au contraire un avenir qui ne fait envie qu’à une petite partie de la population, et qui fait peur au reste. Et s’il est au pouvoir, c’est surtout parce que les progressistes, les vrais, sont aux abonnés absents.

Puisse 2020 être l’année du réveil des progressistes. Et aussi une année de paix et de prospérité pour vous tous qui me lisez. Et qui je l’espère continuerez nombreux à participer à la vie de ce forum qui est aussi le vôtre.

Descartes

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153 réponses à Bonne année

  1. Ian Brossage dit :

    @Descartes

    Je vous présente tous mes voeux de bonheur (individuel ou collectif) pour l’année à venir.

    > Et si la sortie de l’Euro est disparue des programmes politiques, cela témoigne plus de la peur des électeurs d’un saut dans l’inconnu que d’une véritable adhésion à la monnaie unique.

    À mon avis, c’est surtout que la sortie de l’euro ne se justifie que si elle est adossée à un programme sérieux qui lui est conditionné (inaugurant un retour fort de l’État dans la sphère économique). Or, on ne voit pas de tel programme chez les formations grandes ou moyennes, donc rien qui puisse pousser à mettre à l’ordre du jour une mesure difficile à expliquer et promouvoir auprès des électeurs.

    C’est probablement ce qui explique l’abandon du sujet par le FN : Marine Le Pen – et la plupart des autres dirigeants du parti – était incapable d’expliquer sérieusement ce qu’elle comptait faire *après* la sortie de l’euro. Alors pourquoi sortir ? On voit bien que seule l’insistance de Philippot maintenait le sujet à l’ordre du jour, et les aléas de la dynamique politique et électorale ont fini par avoir raison de cette anomalie.

    Il reste l’UPR, où l’UE (et en filigrane les États-Unis) est tellement chargée de tous les maux que beaucoup s’imaginent qu’il suffit de reprendre les instruments de notre souveraineté pour régler les principaux problèmes du pays. C’est une vision un peu manichéenne et naïve.

    • Descartes dit :

      @ Ian Brossage

      [À mon avis, c’est surtout que la sortie de l’euro ne se justifie que si elle est adossée à un programme sérieux qui lui est conditionné (inaugurant un retour fort de l’État dans la sphère économique). Or, on ne voit pas de tel programme chez les formations grandes ou moyennes, donc rien qui puisse pousser à mettre à l’ordre du jour une mesure difficile à expliquer et promouvoir auprès des électeurs.]

      Vous avez je pense raison : la sortie de l’Euro aura un coût, et payer ce coût ne se justifie que si en retour on en touche les avantages. Or, pour que la sortie de l’Euro soit rentable il faut effectivement derrière penser une politique qui donne le pas aux activités productives. Et les partis politiques – qui aujourd’hui portent essentiellement la voix des classes intermédiaires – détestent au moins autant l’idée d’une politique de ce type que la sortie de l’Euro.

      [Il reste l’UPR, où l’UE (et en filigrane les États-Unis) est tellement chargée de tous les maux que beaucoup s’imaginent qu’il suffit de reprendre les instruments de notre souveraineté pour régler les principaux problèmes du pays. C’est une vision un peu manichéenne et naïve.]

      Oui. Mais surtout, comme je l’ai expliqué plusieurs fois dans ce forum, l’UPR n’est pas une véritable organisation politique au sens qu’elle ne réfléchit pas vraiment à l’exercice du pouvoir. C’est une secte qui porte les marottes d’un seul homme. Le fait que cette marotte soit une bonne idée ne change rien à la question. Parce que c’est une marotte, il est difficile de construire autour de de cette idée un véritable rassemblement qui permettrait à l’UPR de changer quelque chose dans les faits.

  2. Simon dit :

    Excellente année à vous, et merci pour ce blog d’une grande qualité, ainsi que pour les débats dans l’espace commentaire qui sont passionnants.

    Pour le reste, ne désespérons pas, l’histoire est pleine de surprises et de retournements inattendus qui s’appuient sur des tendances lourdes de long terme. Nous avons la tendance, travaillons et espérons la surprise.

  3. frédérick dit :

    Cher Monsieur merci de vos bons voeux.
    Vous écrivez : ” Au contraire : que ce soit sur les conflits sociaux ou sur tout autre sujet, le système politique est muet. Il n’apparaît aucune personnalité, aucune institution capable de tenir un discours crédible qui apporte une réponse aux problèmes posés par les mouvements sociaux ou même de produire une analyse sérieuse des problèmes posés. ”
    J’ai écouté françois Asselineau sur le sujet qui analyse et propose des solutions, sortie de l’euro et de l’UE…
    Vous écrivez aussi : ” Et si la sortie de l’Euro est disparue des programmes politiques, cela témoigne plus de la peur des électeurs d’un saut dans l’inconnu ….”
    La sortie de l’euro est inscrite dans le programme politique de l’ UPR
    Cordialement

    • Descartes dit :

      @ frédérick

      [J’ai écouté françois Asselineau sur le sujet qui analyse et propose des solutions, sortie de l’euro et de l’UE…]

      J’avais bien écrit « discours crédible » et « analyse sérieuse des problèmes posés ». Pensez-vous que le discours d’Asselineau – avec sa réduction du problème de la sortie de l’Euro à une question juridique – soit « crédible » ? Quant à son analyse des problèmes posés…

      [Vous écrivez aussi : ” Et si la sortie de l’Euro est disparue des programmes politiques, cela témoigne plus de la peur des électeurs d’un saut dans l’inconnu ….” La sortie de l’euro est inscrite dans le programme politique de l’UPR]

      Comme je l’ai écrit ailleurs, j’ai du mal à voir dans l’UPR une organisation « politique », au sens qu’une organisation politique réfléchit dans la perspective de l’exercice du pouvoir…

      • Ernest dit :

        J’ai quant à moi un peu de mal à comprendre de quoi vous parlez. L’UPR ne porterait pas “une analyse sérieuse des problèmes posés” et ne “réfléchirait pas dans la perspective du pouvoir” ? Il y a un malentendu là. Je trouverais éclairant que vous puissiez vous appuyer sur des éléments tangibles (sur le programme présidentiel et législatif pour commencer, par exemple) afin d’adosser votre jugement de valeur à des arguments tangibles.

        https://www.upr.fr/le-programme-des-elections-presidentielles-et-legislatives-de-2017/

        • Descartes dit :

          @ Ernest

          [J’ai quant à moi un peu de mal à comprendre de quoi vous parlez. L’UPR ne porterait pas “une analyse sérieuse des problèmes posés” et ne “réfléchirait pas dans la perspective du pouvoir” ? Il y a un malentendu là. Je trouverais éclairant que vous puissiez vous appuyer sur des éléments tangibles (sur le programme présidentiel et législatif pour commencer, par exemple) afin d’adosser votre jugement de valeur à des arguments tangibles.]

          D’abord, je ne fais aucun « jugement de valeur ». Je constate une absence d’analyse sérieuse, je ne juge pas si une telle absence est un « bien » ou un « mal ».

          Ensuite, j’ai lu comme vous attentivement les programmes législatif et présidentiel. Les deux se présentent comme une liste de mesures. A chaque mesure on consacre une phrase. Pensez-vous qu’on puisse dans ces conditions parler d’une « analyse sérieuse des problèmes posés » ? Personnellement, je ne le pense pas. Vous auriez peut-être des références de documents internes montrant un véritable débat et une analyse des problèmes qui se posent aujourd’hui, mais le renvoi au programme est de toute évidence inopérant.

          Venons-en maintenant à l’exercice du pouvoir. Dans notre longue histoire républicaine, aucun parti, aucune organisation n’a jamais été en situation d’exercer le pouvoir tout seul. L’exercice du pouvoir implique donc la recherche sinon d’alliances, au moins de convergences et d’actions communes avec d’autres organisations. Pouvez-vous me donner un exemple, un seul, de recherche par l’UPR d’une telle convergence ? Personnellement, je n’en vois pas. Au contraire : chaque fois qu’une convergence est possible, j’ai entendu Asselineau tirer à boulets rouges et accuser celui qui pourrait être un allié potentiel de lui avoir volé ses idées.

          Ce dernier élément est d’ailleurs significatif : si le but est de sortir de l’Euro, alors l’UPR devrait se réjouir que les autres reprennent ses idées…

  4. Avant de dire que les progressistes ont disparu, il faudrait peut-être les citer et analyser sérieusement leurs propositions. Ce blog n’a lancé aucun débat initant cela !
    Je trouve les propositions et financement des retraites émis par le PCF et La France insoumise satisfaisants.
    Bonne année.

    • Descartes dit :

      @ Gautier Weinmann

      [Avant de dire que les progressistes ont disparu, il faudrait peut-être les citer et analyser sérieusement leurs propositions. Ce blog n’a lancé aucun débat invitant cela !]

      Je ne me souviens pas d’avoir dit que les progressistes ont disparu. J’ai écrit qu’ils étaient « aux abonnés absents ». Ce qui n’est tout de même pas la même chose.

      Quant à inviter un débat sur les « propositions » du PCF ou de LFI, j’aimerais bien le faire, seulement je n’ai pas vraiment trouvé de « propositions ». Car il faut arrêter de croire qu’une lettre au père Noël constitue une « proposition ». Une « proposition », c’est une mesure dont on a évalué les effets et le coût, et dont on a montré qu’elle était réalisable dans un contexte réaliste. Dire « il suffit de taxer les riches » ne constitue pas une « proposition ».

      [Je trouve les propositions et financement des retraites émis par le PCF et La France insoumise satisfaisants.]

      Pourriez-vous développer ? Vous avez ici l’opportunité de lancer le débat sérieux que vous réclamez : En quoi consistent ces « propositions » concernant le financement de retraites, et en quoi vous les trouvez « satisfaisantes » ?

  5. morel dit :

    Un évènement a fait grand bruit récemment : la promotion de Jean-François Cirelli, actuel patron de la branche française de la multinationale de « gestion d’actifs » BlackRock au rang d’officier de la légion d’honneur, ce qui ne pouvait qu’alimenter les suspicions de collusion entre le gouvernement promoteur de cette « réforme » des retraites et cette entreprise symbolisant le capital financier.

    Au-delà des polémiques et parfois des interprétations un peu trop complotistes (et que l’on ne croie pas que j’ai une quelconque tendresse pour ce type de société financière que je considère comme un parasite vivant sur le système productif), ce qui me frappe dans cette affaire, c’est que personne dans le personnel politico-administratif qui a monté la liste des promotions, ni même le premier ministre signataire n’a songé à l’effet désastreux en plein conflit des retraites, de la promotion d’un tel personnage.

    L’individu est à la tête de BlackRock depuis plus de trois ans, tout de même, société dont le nom a été invoquée par les grévistes.. ça laisse rêveur. Cela en dit long sur le « monde » dans lequel ces gens là vivent : déconnectés de tout ce qui n’est pas leurs pairs, étrangers au reste. Pas une nouveauté mais une confirmation.
    D’ailleurs, : « Il a fait tant pour son pays qu’il mérite cette promotion, ajoute ce même conseiller d’Édouard Philippe. C’est incontestable. » (le Parisien 1/1/20). Et tout le reste vient du démon ?

    Mais s’il suffisait d’un pouvoir aveugle pour triompher..
    Je reviendrai plus avant sur cette question.
    En attendant, je vous prie de bien vouloir accepter mes meilleurs vœux pour l’année qui vient.

    • Descartes dit :

      @ morel

      [Au-delà des polémiques et parfois des interprétations un peu trop complotistes (et que l’on ne croie pas que j’ai une quelconque tendresse pour ce type de société financière que je considère comme un parasite vivant sur le système productif), ce qui me frappe dans cette affaire, c’est que personne dans le personnel politico-administratif qui a monté la liste des promotions, ni même le premier ministre signataire n’a songé à l’effet désastreux en plein conflit des retraites, de la promotion d’un tel personnage.]

      Tout à fait. Ils ne semblent pas se rendre compte que la femme du César non seulement doit être irréprochable, elle doit le paraître. Cette affaire illustre encore une fois combien la classe politique aujourd’hui au pouvoir ne comprend pas qu’on ne dirige pas l’Etat comme on dirige une grande entreprise, que dans l’exercice de l’Etat les aspects symboliques sont souvent aussi importants que le fond des décisions.

      On avait vu déjà avec l’affaire Delevoye et bien avant avec l’affaire Benalla ce syndrome qui mélange un sentiment de toute-puissance – avec l’impunité qui va avec – associée au plus grand amateurisme.

  6. Gautier dit :

    cher Descartes,
    Pour le réveil des progressistes, il faut que ces derniers travaillent plutôt que de se lamenter.
    Exemples : l’arrêt de l’immigration (voire la remigration vers le pays d’origine) , on fait comment, on démarre par quoi ?. Pour ceux qui resteront, c’est quoi le niveau d’exigence à leur égard ?
    Si on décide VRAIMENT de couper la manne céleste de la drogue dans les quartiers, si on arrête de faire semblant de croire que les multiples kebab et coiffeurs low cost sont des vrais commerces (et pas des instruments de blanchiment d’argent sale), si on éradique toute l’économie parallèle et ses liens avec le Maghreb ou l’Afrique noire, on remplace par quoi ?
    Idem si on s’attaque aux versements indus d’allocations ou de retraites au gens décédés.
    Je suis prêt à poser tous ces problèmes et à évoquer les solutions.
    Pour ne pas parler que de l’immigration,
    Les effectifs pléthoriques dans les administrations locales : il est urgent de lancer un audit dans toutes les collectivités locales, un VRAI AUDIT où l’on mettra à plat le nombres d’agents publics et les associations écran où sont dissimulés des personnels concourant au service public, les délégations de service public et autres partenariats public-privé
    Demander aux politiques d’ECRIRE NOIR sur BLANC comment ils voient les choses.
    La position de François Asselineau c’est de dire pour faire simple, que c’est l’Europe qui nous bloque dans quasiment tous les domaines et que ceux qui parlent d’une autre Europe (sans vouloir la quitter) sont des escrocs. Mais lui-même se refuse à vouloir traiter le problème de l’immigration avec des mots qui fâchent renvoyant cette question ô combien compliquée à un referendum organisé après sa victoire à la présidentielle (sans plus) “pour ne pas diviser les français” face à l’objectif essentiel du frexit.
    A l’opposé, Robert Ménard qui, en bon trotskyste qu’il fut a le culte du travail à la base, sur le terrain et pour qui la sortie de l’Europe est un “non-sujet”
    Si l’on passe en revue tous les autres, c’est encore plus lamentable.
    Pour ma part, je rêve de faire partie d’un groupe de travail pour poser à tous les “progressistes” les questions sur tous les sujets, surtout ceux qui fâchent.

    • Descartes dit :

      @ Gautier

      [Pour le réveil des progressistes, il faut que ces derniers travaillent plutôt que de se lamenter. Exemples : (…)]

      De vos exemples, on déduit que ce que vous reprochez aux progressistes, c’est moins de se « lamenter » que leur refus de regarder la réalité en face et d’assumer le coût des mesures qui permettraient de traiter les problèmes.

      Le problème aujourd’hui, c’est que les classes intermédiaires ont horreur du conflit. C’est pourquoi le discours « progressiste » s’est fait unanimiste. De Macron (dont il ne faut pas oublier qu’il a fait sa carrière à gauche) qui pense pouvoir apporter à chaque problème une solution rationnelle acceptable par tout le monde si seulement les gens arrivaient à la comprendre, à Mélenchon qui croit pouvoir servir les intérêts du « 99% », on se trouve dans cette logique : on peut contenter tout le monde (ou presque tout le monde, ce qui revient au même).

      Le fondement de la République ne consiste pas à supprimer les conflits, mais à trouver une façon de vivre avec. Ce sont les régimes anti-républicains – Vichy est un bon exemple – qui ont aspiré à construire des sociétés unanimistes où les conflits d’intérêt auraient été bannis.

      Effectivement, les progressistes ne se réveilleront qu’en acceptant qu’on ne pourra pas faire plaisir à tout le monde. Que la solution des problèmes nécessite de faire des choix entre des intérêts divergents.

      [Pour ma part, je rêve de faire partie d’un groupe de travail pour poser à tous les “progressistes” les questions sur tous les sujets, surtout ceux qui fâchent.]

      Moi aussi. Le problème, c’est que dans le contexte actuel ce groupe ne peut pas exister. Le fanatisme et le poids du politiquement correct font que le débat « sur les sujets qui fâchent » est impossible sans se « fâcher »…

  7. lessart dit :

    J’ai toujours travaillé comme chercheur scientifique. Lorsque l’un de mes chefs me demandait d’effectuer une étude avec un objectif de coût de production, je commençais par faire une étude rapide de sensibilité au divers éléments du coût : si on ne recycle que 99% du catalyseur, le prix de revient augmente de x%. Au chef de décider s’il faut faire l’étude !
    Lorsque M. Delevoye a présenté son projet de réforme des retraites en affirmant qu’il n’y aurait pas de perdants (sinon à la marge), j’ai pensé que ses services avaient effectué une simulation. Mi décembre, j’ai appris que cette simulation serait disponble en début 2020. N’est-ce pas “mettre la charrue devant les bœufs” ?
    Maintenant on apprend, au coup par coup, que telle ou telle profession bénéficiera d’une dérogation…
    Est-ce le remplacement des “régimes spéciaux” par (un peu moins ? ) de “régimes dérogatoires” ?

    • Descartes dit :

      @ lessart

      [Lorsque M. Delevoye a présenté son projet de réforme des retraites en affirmant qu’il n’y aurait pas de perdants (sinon à la marge), j’ai pensé que ses services avaient effectué une simulation. Mi décembre, j’ai appris que cette simulation serait disponble en début 2020. N’est-ce pas “mettre la charrue devant les bœufs” ?]

      Cette affaire illustre combien il est faux de parler de « technocrates » à propos des gens qui nous gouvernent. La démarche que vous décrivez comme étant la vôtre, celle qui consiste à faire des calculs de sensibilité et des simulations chiffrées avant de prendre une décision est une véritable démarche de « technocrate ». La démarche de notre gouvernement est au contraire une démarche « moraliste » : le raisonnement est que le système actuel est injuste, et on va le remplacer par un système juste. Or, comment le triomphe de la justice pourrait-il faire des « perdants » ?

      On fait à tort de Macron un technocrate. En fait, lorsqu’on regarde son parcours il ne s’est jamais trouvé en posture de technicien. La logique macronienne est une logique de morale, et non d’efficacité. Et la réforme des retraites est la parfaite illustration : on va payer la satisfaction de dire « tout le monde est soumis au même régime » par une complexité finalement aussi grande que celle du système précédent.

      [Maintenant on apprend, au coup par coup, que telle ou telle profession bénéficiera d’une dérogation…]

      C’est écrit à l’avance. Les intellectuels adorent concevoir des systèmes unifiés. Mais le praticien sait que le monde est complexe, et que toute la difficulté est d’ajuster le concept du système unique à une réalité forcément diverse. On ne part pas à la retraite de la même façon lorsqu’on est ouvrier métallurgiste, haut fonctionnaire, infirmier ou chef d’orchestre. Et ce sont les règles qui doivent s’adapter au réel, et pas l’inverse.

      [Est-ce le remplacement des “régimes spéciaux” par (un peu moins ?) de “régimes dérogatoires” ?]

      On en prend clairement le chemin. C’est d’ailleurs la seule porte de sortie visible pour le conflit actuel. A la fin, on échangera la fin du régime spécial des cheminots par des règles dérogatoires dans l’octroi des points pour cette profession.

      • Louis dit :

        Bonjour,

        C’est la deuxième fois que je me permets d’écrire ici, moi qui vous lis avec plaisir depuis des années, puisque aussi bien je n’ai rien d’intelligent à vous répondre pour appuyer ou objecter à vos arguments. Comme la dernière fois, je copierais donc seulement un texte que j’aime beaucoup, et qui me paraît proche de ce que vous venez de dire :

        [C’est écrit à l’avance. Les intellectuels adorent concevoir des systèmes unifiés. Mais le praticien sait que le monde est complexe, et que toute la difficulté est d’ajuster le concept du système unique à une réalité forcément diverse. On ne part pas à la retraite de la même façon lorsqu’on est ouvrier métallurgiste, haut fonctionnaire, infirmier ou chef d’orchestre. Et ce sont les règles qui doivent s’adapter au réel, et pas l’inverse.]

        Voici donc le texte de Péguy auquel vous me faites penser, tiré de sa Note sur M. Bergson et la philosophie bergsonienne :

        “C’est un préjugé, mais il est absolument indéracinable, qui veut qu’une raison raide soit plus une raison qu’une raison souple ou plutôt qui veut que de la raison raide soit plus de la raison que de la raison souple. C’est un préjugé qui a cours et qui fleurit sur toute la ligne. Il règne, il est indéracinable dans toutes les disciplines que nous avons échelonnées au commencement de cette note. C’est le même préjugé qui veut qu’une logique raide soit plus une logique qu’une logique souple. Et qu’une méthode scientifique raide soit plus une méthode, et plus scientifique, qu’une méthode scientifique souple. Et surtout qu’une morale raide soit plus une morale et plus de la morale, qu’une morale souple. C’est comme si on disait que les mathématiques de la droite sont plus des mathématiques que les mathématiques de la courbe.

        Il est évident au contraire que ce sont les méthodes souples, les logiques souples, les morales souples qui sont les plus sévères, étant les plus serrées. Les logiques raides sont infiniment moins sévères que les logiques souples, étant infiniment moins serrées. Les morales raides sont infiniment moins sévères que les morales souples, étant infiniment moins serrées. Une logique raide peut laisser échapper des replis de l’erreur. Une méthode raide peut laisser échapper des replis de l’ignorance. Une morale raide peut laisser échapper des replis du péché, dont une morale souple au contraire épousera, dénoncera, poursuivra les sinuosités d’échappements. C’est une logique souple, une méthode souple, une morale souple qui poursuit, qui atteint, qui dessine les sinuosités des fautes et des déficiences. C’est une morale souple qui épuise les sinuosités des défaillances. C’est dans une morale souple que tout apparaît, que tout se dénonce, que tout se poursuit. Dans un compartimentage raide il peut y avoir impunément des manques, des creux, des faux plis. La raideur est essentiellement infidèle et c’est la souplesse qui est fidèle. C’est la souplesse qui dénonce. Contrairement à tout ce que l’on croit, à tout ce que l’on enseigne communément, c’est la raideur qui triche, c’est la raideur qui ment. Et c’est la souplesse non seulement qui ne triche pas, non seulement qui ne ment pas, mais qui ne laisse pas tricher et ne laisse pas mentir. La raideur au contraire permet tout, elle ne signale rien. Dans une malle moderne vous pouvez empiler tous les voiles de lin de la supplication antique. Si ces voiles font des faux plis à l’intérieur de la malle, rien n’en paraît sur le couvercle.”

        Navré que la mise en page dresse un mur de texte sur l’ordinateur, alors que la lecture en est plus agréable sur papier. Merci encore pour votre travail, et bonne journée à tout le monde ici !

  8. tmn dit :

    Très bonne année à vous, et aux différents lecteurs et participants de ce blog. Pour ma part sa lecture ne me rend jamais pessimiste, au contraire.

    • lessart dit :

      {A la fin, on échangera la fin du régime spécial des cheminots par des règles dérogatoires dans l’octroi des points pour cette profession.[
      Mais alors, quelle est l’utilité de cette réforme ?
      J’ignore quelles sont les différences entre les régimes de travail et de retraite des “conducteurs SNCF”, “conducteurs RATP”, “conducteurs des tramways ou bus de Bordeaux, Lyon, Marseille…”, ou autres “conducteurs”, mais n’aurait-il pas été plus simple, au moins dans un premier temps de rapprocher (ou mieux unifier) leurs statuts ? Pareil pour les avocats, huissiers, juges, conseillers juridiques, experts comptables, … On aurait alors réduit le nombre de régimes spéciaux, et trouvé (peut être) un compromis vers un système de retraite plus uniforme ?
      Et dans un deuxième temps

      • Descartes dit :

        @ lessart

        [« A la fin, on échangera la fin du régime spécial des cheminots par des règles dérogatoires dans l’octroi des points pour cette profession. » Mais alors, quelle est l’utilité de cette réforme ?]

        Bonne question. Je pense qu’intellectuellement l’idée de Macron était le système de points à la suédoise, c’est-à-dire, un système dans lequel la valeur de liquidation du point varie de telle façon que la somme des cotisations couvre exactement la somme des pensions payées. Un tel système est structurellement équilibré, puisque les dépenses correspondent toujours aux recettes. C’est une façon élégante de chasser le politique de la gestion des pensions, en le confiant à un mécanisme automatique. Exactement ce qu’on aime chez Macron & Co.

        Ce système présente deux difficultés : la première, c’est que c’est un mécanisme pro-cyclique alors que les retraites à prestations définies, comme celles que nous avons, sont anti-cycliques. En temps de récession, quand la demande est insuffisante, les cotisations diminuent, les pensions se réduisent en conséquence, et cela diminue encore la demande. En période d’expansion, quand la demande est forte, les cotisations augmentent, donc les pensions, et du coup on pousse encore la demande. Alors qu’avec notre système actuel, la dépense des retraités reste constante, et tend donc à maintenir la demande en période de récession sans contribuer en période d’expansion à la surchauffe. Cette question bien entendu n’intéresse pas Mme Michu, mais montre combien les concepteurs de cette réforme s’éloignent de la réflexion keynésienne…

        Le deuxième problème, politiquement beaucoup plus épineux, est que le système à points « à la suédoise » crée une incertitude sur les pensions qui, dans un pays aussi averse au risque que la France, est inacceptable. C’est d’ailleurs pourquoi le Premier ministre n’a fait qu’une concession pour le moment mais elle est de taille : la « règle d’or » qui empêcherait la valeur du point de baisser… or, cette concession vide la belle construction intellectuelle de tout son sens. Avec un point qui ne peut varier qu’à la hausse, le système n’a aucune raison d’être équilibré. Du coup, la réforme ne fera que changer marginalement la répartition des pensions. Tout ça pour ça ?

        [J’ignore quelles sont les différences entre les régimes de travail et de retraite des “conducteurs SNCF”, “conducteurs RATP”, “conducteurs des tramways ou bus de Bordeaux, Lyon, Marseille…”, ou autres “conducteurs”, mais n’aurait-il pas été plus simple, au moins dans un premier temps de rapprocher (ou mieux unifier) leurs statuts ? Pareil pour les avocats, huissiers, juges, conseillers juridiques, experts comptables, … On aurait alors réduit le nombre de régimes spéciaux, et trouvé (peut être) un compromis vers un système de retraite plus uniforme ?]

        L’expérience a montré que ce processus ne fonctionne pas. La raison est que la retraite n’est qu’un élément parmi d’autres du contrat de travail. Ici, les « conducteurs » auront accepté un salaire d’embauche plus faible en échange d’une meilleure retraite. Ailleurs, les salaires seront meilleurs mais on acceptera en échange d’une meilleure retraite des contraintes plus élevées. Uniformiser la retraite implique uniformiser aussi les salaires et les conditions de travail. En tenant compte du fait que pour les gens déjà au travail le contrat a déjà été établi pendant des années…

  9. Ernest dit :

    [Il n’apparaît aucune personnalité, aucune institution capable de tenir un discours crédible qui apporte une réponse aux problèmes posés par les mouvements sociaux ou même de produire une analyse sérieuse des problèmes posés]

    J’ai pour ma part depuis longtemps identifié un parti politique et un candidat qui me semblent porter une analyse et un programme politique de consensus national. Posant en condition préalable et sine qua non la sortie de l’UE, de l’Euro et de l’OTAN, l’UPR se donne à mon avis les moyens de ses ambitions : récupérer notre souveraineté et notre indépendance nationale, renationaliser nos grands services publics, lutter efficacement contre les délocalisations, l’évasion fiscale, la désindustrialisation de la France, … bon, je vais pas vous refaire le programme.

    Je me suis bien aperçu avec le temps que cela n’était pas trop votre tasse de thé, l’UPR – je me demande toujours pourquoi. Serait-ce le zèle militant parfois un peu encombrant de ses zélateurs ? Mais les faits sont là : quoiqu’on pense du personnage de M. Asselineau, ses analyses (très proches des vôtres – c’est d’ailleurs par lui que je vous ai rencontré !) me semblent irréfutables, ses propositions pragmatiques, d’autant que transpartisannes.

    Alors oui : “on ne le voit pas dans les médias”, “c’est monsieur un pourcent”, “il ne pèse rien dans l’échiquier politique”, etc. Mais il faudrait savoir, soit vous voulez une marionnette mise sur le devant de la scène par les think tanks atlantistes mais celle-ci se déballonnera au premier souffle venu; soit vous voulez un véritable mouvement de libération nationale, mais ne vous attendez pas à ce qu’on lui déroule le tapis rouge sur TF1, BFM et CNEWS comme on le fait déjà pour le RN, la FI, DLF, et autres forces de prétendument d’opposition.

    Une excellente année et une longue vie à ce blog qui me rend à chaque publication un petit peu plus intelligent !

    Ernest

    • Descartes dit :

      @ Ernest

      [J’ai pour ma part depuis longtemps identifié un parti politique et un candidat qui me semblent porter une analyse et un programme politique de consensus national. Posant en condition préalable et sine qua non la sortie de l’UE, de l’Euro et de l’OTAN, l’UPR se donne à mon avis les moyens de ses ambitions : récupérer notre souveraineté et notre indépendance nationale, renationaliser nos grands services publics, lutter efficacement contre les délocalisations, l’évasion fiscale, la désindustrialisation de la France, … bon, je vais pas vous refaire le programme.]

      Qu’est-ce qui vous fait penser qu’un tel programme puisse faire « consensus national » ? Au-delà du mérite du programme lui-même, quelque chose doit clocher dans l’analyse de ce « parti politique et candidat » s’ils concluent que les classes intermédiaires pourraient soutenir la sortie de l’UE et de l’Euro… quant à la sortie de l’OTAN, j’avoue que je vois mal quel problème elle est censée résoudre.

      Militer pour la sortie de l’UE et de l’Euro, c’est bien. Mais à quoi cela conduit lorsqu’on est incapable de bâtir autour un projet politique et se donner les moyens de le mettre en œuvre ? Le choix sectaire de l’UMP de repousser tout accord, toute collaboration avec qui que ce soit et de réduire le débat interne à néant ne peut aboutir sur autre chose que la mise en valeur de la figure du Chef.

      [Je me suis bien aperçu avec le temps que cela n’était pas trop votre tasse de thé, l’UPR – je me demande toujours pourquoi. Serait-ce le zèle militant parfois un peu encombrant de ses zélateurs ?]

      Non, pas du tout. Ce qui me rebute, c’est que dans ma conception un parti politique est un intellectuel collectif, et non le porte-voix complaisant d’un individu. Que le fondateur joue un rôle important, c’est logique. Mais il arrive un moment où le parti doit devenir une institution, faire surgir de nouveaux dirigeants et de nouvelles idées. Or, l’UPR reste l’entreprise de relations publiques d’Asselineau, et on ne voit pas le moindre débat interne.

      [Mais les faits sont là : quoiqu’on pense du personnage de M. Asselineau, ses analyses (très proches des vôtres – c’est d’ailleurs par lui que je vous ai rencontré !) me semblent irréfutables, ses propositions pragmatiques, d’autant que transpartisannes.]

      Si vous regardez en détail, vous verrez que les analyses d’Asselineau et les miennes sont en réalité assez éloignées. J’ai eu l’opportunité plusieurs fois de souligner ici ces différences. Pour ne donner qu’un exemple, il a vision « juridique » de la sortie de l’UE qui est à l’opposé de la mienne.

      • Ernest dit :

        Accepteriez-vous de participer à un débat sur la chaîne YouTube de l’UPR (125 000 Abonnés), anonymisé à votre convenance (visage flouté, voix modifiée, …), avec Charles-Henri Gallois par exemple, Vincent Brousseau, ou encore Jerome Yannez, histoire de changer un peu de Francois Asselineau qui semble vous déplaire ? Je pense que, parce que vous vous situez si loin de l’UPR tout en vous tenant si proche de ses préoccupations, une telle confrontation pourrait se révèlerait très intéressante pour votre lectorat, manifestement très intéressé par ce mouvement politique.

        • Descartes dit :

          @ Ernest

          [Accepteriez-vous de participer à un débat sur la chaîne YouTube de l’UPR (125 000 Abonnés), anonymisé à votre convenance (visage flouté, voix modifiée, …), avec Charles-Henri Gallois par exemple, Vincent Brousseau, ou encore Jerome Yannez, histoire de changer un peu de Francois Asselineau qui semble vous déplaire ?]

          Je ne refuse jamais un débat. Par contre, je n’aime pas trop être filmé, et encore moins avec visage et voix modifiés. En audio, pourquoi pas, ou alors encore mieux un débat par écrit !

          J’ajoute que pour ce qui concerne Asselineau, il ne me « déplait » pas plus qu’il ne me plait. Je juge son action politique, pas ses caractéristiques personnelles.

  10. Ian Brossage dit :

    Bonjour Descartes,

    Je serais curieux d’avoir votre avis sur l’analyse suivante :

    Le « garrot d’or » de la dette et de la finance se resserre sur l’État social

    « Le « garrot d’or » de la dette et de la finance se resserre sur l’État social

    En creusant les inégalités sociales via la logique de l’épargne individuelle, la retraite par capitalisation, même partiellement mise en place via le système par points et les « complémentaires » privées, augmenterait le pouvoir politique que détiennent d’ores et déjà les classes épargnantes sur l’État. Leur détention d’obligations du Trésor agit comme un “garrot d’or” sur l’orientation des politiques économiques et sociales. Comment en est-on arrivé là ? »

    • Descartes dit :

      @ Ian Brossage

      [Je serais curieux d’avoir votre avis sur l’analyse suivante : (…) « Le « garrot d’or » de la dette et de la finance se resserre sur l’État social]

      L’article pose des problèmes intéressants, mais je pense que l’analyse doit être nuancée. Le système de socialisation des retraites mis en place en 1945 était un pari sur l’avenir : il supposait que chaque génération ait pour la génération suivante la même bienveillance. Car que se passe-t-il si une génération N s’octroie elle-même des retraites plantureuses payées par la génération N+1 qui, lorsqu’elle arrivera à l’âge de la retraite, trouvera les caisses vides et aura le plus grand mal à obtenir des retraites équivalentes de la génération N+2 ?

      Le système a déraillé en grande partie parce que la génération des baby-boomers, celle des soixante-huitards, s’est accordé à elle-même des conditions de retraite économiquement insoutenables sans se demander les conséquences sur la génération suivante. Le passage de 65 ans à 60 ans en 1981 est un bon exemple d’une réforme dont on n’a pas projeté sur le long terme les conséquences – et qui d’ailleurs à l’époque était perçue plus comme une mesure de lutte contre le chômage qu’autre chose.

      L’avantage des systèmes par capitalisation est précisément celui-là : dès lors qu’il ne repose pas sur la solidarité, il n’est pas conditionné par les conflits d’intérêts entre les générations. Le système par répartition implique une grande discipline du système politique sur le très long terme. Et cette discipline implique une logique mentale de solidarité nationale qui est morte à la fin des années 1960. De plus en plus, il s’agit de se préoccuper de SA situation, en laissant de côté celle de la génération suivante. La réforme du statut de la SNCF – qui est conservé pour les gens en poste mais refusé aux nouveaux embauchés – ou le discours sur la « clause du grand père » et autres « vous ne serez pas touché par la réforme, seuls vos enfants le seront » montre bien cette dérive. On vit dans un monde où la génération N+1 ne peut plus compter sur la génération N pour veiller à ses intérêts, et du coup la génération N ne peut plus compter sur la génération N+1 pour payer. C’est sur ce terrain mental favorable que la capitalisation peut se développer.

      [En creusant les inégalités sociales via la logique de l’épargne individuelle, la retraite par capitalisation, même partiellement mise en place via le système par points et les « complémentaires » privées, augmenterait le pouvoir politique que détiennent d’ores et déjà les classes épargnantes sur l’État. Leur détention d’obligations du Trésor agit comme un “garrot d’or” sur l’orientation des politiques économiques et sociales. Comment en est-on arrivé là ? »]

      Je ne suis pas sûr qu’on en soit arrivé là, justement. Le problème avec les économistes d’aujourd’hui, c’est qu’ils oublient un peu trop que la finance est un monde où l’on s’échange des bouts de papier, alors que l’économie fonctionne sur l’échange de biens et de services. Bien sûr, il y a un rapport entre les deux mondes, mais ce rapport n’est pas aussi étroit que certains le croient. Le « garrot d’or » ne fonctionne que dans la mesure où l’Etat veut bien s’y soumettre. Mais que se passe-t-il lorsque l’Etat décide de ne plus payer ? Dans un tel cas, ce n’est pas l’Etat mais les les « classes épargnantes » qui ont un problème. Comme disait un célèbre ministre d’économie, « si vous devez à votre banquier cent mille euros, vous avez un problème. Si vous lui devez cent milliards, c’est lui qui a un problème ».

      Si les « classes épargnantes » font de tels efforts pour rogner la souveraineté de l’Etat – en poussant au transfert de « compétences » vers des organismes « indépendants », en promouvant le rôle du juge, en imposant des « arbitrages » privés – c’est précisément parce qu’ils savent que tant que l’Etat conserve la souveraineté, il peut changer à sa convenance les règles du jeu. Et en particulier, imposer des taxes sur l’épargne ou tout simplement ne pas payer.

      La dette est en grande partie un tigre en papier.

      • Baruch dit :

        En lisant une phrase comme :”la génération des baby-boomers, celle des soixante-huitards, s’est accordé à elle-même des conditions de retraite économiquement insoutenables sans se demander les conséquences sur la génération suivante.”
        J’ai du mal à la faire correspondre à mon expérience de femme désormais grand-mère mais qui avait 20 ans en 68.
        Je me souviens très bien de la lutte pour la “retraite à 60 ans”, elle était menée essentiellement par les gens qui avaient commencé a travailler à 13 ans juste après le certif,qui avaient fait 36, qui avaient fait la guerre, avaient “pondu” les enfants par tripotées au retour des camps.
        Je dis cela avec tendresse car sous Pompidou (et ils ont continué solidairement sous Giscard) mes parents étaient de toutes ces manifs qui avaient lieu le lundi, comme ils travaillaient le dimanche et que le lundi était leur seul jour de repos j’ai des points de repère précis.
        Ce sont eux ,essentiellement qui ont mené pendant plus d’un septennat,derrière la CGT cette lutte.
        Papa aurait du prendre sa retraite en 1976 mais “grâce” à “l’oeil qu’il avait laissé à Adolphe” comme il disait il a bénéficié d’une avancée sous Giscard concernant les mutilés de guerre et a pu partir fin 1974.
        En 1981 les gens qui atteignaient 65 ans étaient nés en 1916 en pleine guerre, peu nombreux et ils réclamaient leur dû (ils ne faisaient pas de “dette”) car ils avaient vécu les prétendues trente glorieuses (mais pas vécues comme telles dans la vie de tous les jours des classes populaires, même en ascenseur social) non comme des profiteurs mais comme des reconstructeurs, dans des conditions de confort pendant au moins quinze ans que la jeune génération qui se plaint d’avoir à soutenir les vieux inutiles ne supporterait pas un mois durant, et ce même dans les classes intellectuelles.
        La retraite fondée sur les cotisations , le partage de la plus-value pour la repartir sur les générations précédentes était comme l’a dit A. Croizat “la seule création de richesse sans capital,la seule qui ne va pas dans la poche des actionnaires, mais est directement investie pour le bonheur de nos concitoyens. Faire appel aux contribuables serait subordonner l’efficacité de la politique sociale à des considérations purement financières.Ce que nous refusons.”
        C’est cela qui est en train d’être détruit, non pas par le fait de “l’égoisme générationnel de ces foutus soixante huitards qui ont tout accaparé”, mais parce que le capital ne peut accepter une réappropriation de la plus-value qu’il continue à extorquer aux travailleurs (même sous les formes douces de la “participation”, du “vivre ensemble” et de la “modération”).
        La dette est un tigre de papier ,mais le “dû” aux vieux à partir de leur travail,de leurs cotisations est un point nodal de la lutte des classes.
        Ceci dit: tous mes voeux, votre lecture est très roborative.

        • Descartes dit :

          @ Baruch

          [En lisant une phrase comme :”la génération des baby-boomers, celle des soixante-huitards, s’est accordé à elle-même des conditions de retraite économiquement insoutenables sans se demander les conséquences sur la génération suivante.” J’ai du mal à la faire correspondre à mon expérience de femme désormais grand-mère mais qui avait 20 ans en 68.]

          Vous avez raison de me reprendre. Je suis peut-être allé un peu vite en besogne dans mon raisonnement. Je vais donc essayer de clarifier mon point de vue. Ce qui est en cause, c’est moins la « lutte pour la retraite à 60 ans » que le moment où la reforme a été effectuée. Demander la retraite à 60 ans dans les années 1960, quand seulement un ouvrier sur trois atteignait l’âge de 65 ans, c’était une mesure de justice. Avec la retraite à 65 ans, les cotisations ouvrières servaient essentiellement à subventionner la retraite des classes moyennes, puisque peu d’ouvriers vivaient suffisamment pour en bénéficier. Mais en 1980, ce n’était plus du tout la même chose. Les gains sur l’espérance de vie entre la génération qui avait vécu les privations de la guerre et les générations choyées qui l’ont suivi ont été tels que le sens de la revendication a considérablement changé.

          La question n’est pas de savoir si les gens qui ont bénéficié de l’avancement de l’âge de l’a retraite en 1981 méritaient ou non ce « dû » – on peut être d’accord avec vous sur le fait que ce sont les gens qui ont par leur effort reconstruit la France après la guerre dans des conditions difficiles, et qu’à ce titre un départ plus tôt n’était pas immérité – mais des effets à long terme de la mesure. Et à long terme, ce sont les soixante-huitards qui en ont le plus bénéficié, tout simplement parce qu’ils ont pu partir à la retraite à 60 ans, comme ceux nés en 1916, mais ont ensuite joui de leur retraite beaucoup plus longtemps, par le jeu de l’augmentation de l’espérance de vie.

          [La retraite fondée sur les cotisations, le partage de la plus-value pour la repartir sur les générations précédentes était comme l’a dit A. Croizat “la seule création de richesse sans capital, la seule qui ne va pas dans la poche des actionnaires, mais est directement investie pour le bonheur de nos concitoyens. Faire appel aux contribuables serait subordonner l’efficacité de la politique sociale à des considérations purement financières. Ce que nous refusons.”]

          Croizat était un homme généreux, et comme tous les hommes généreux il avait du mal à comprendre que les autres ne le fussent pas. Le problème de la retraite par répartition est que l’équilibre du système – et notamment l’équilibre intergénérationnel – n’est assuré que par la discipline de la génération active. Or, que se passe-t-il si la génération active choisit de s’octroyer une retraite confortable sur le dos de la génération suivante ? Remarquez, le risque n’est pas limité aux retraites : la question de la dette de l’Etat peut être formulée dans les mêmes termes.

          Si la problématique de l’équilibre des retraites – comme celle de la dette – se posent aujourd’hui avec une telle insistance, c’est parce que nous vivons sous l’empire d’une « génération égoïste ». Avec le délitement des mécanismes symboliques et les institutions qui assuraient la solidarité intergénérationnelle – l’appartenance à une lignée, à une famille, à une nation – la jeunesse en est arrivée à se poser des questions fondamentales : pourquoi payer pour la génération précédente, puisqu’il n’y a aucune garantie que la génération suivante consentira le même sacrifice ?

          [C’est cela qui est en train d’être détruit, non pas par le fait de “l’égoisme générationnel de ces foutus soixante huitards qui ont tout accaparé”, mais parce que le capital ne peut accepter une réappropriation de la plus-value qu’il continue à extorquer aux travailleurs (même sous les formes douces de la “participation”, du “vivre ensemble” et de la “modération”).]

          Je n’en suis pas persuadé. Pourquoi le capital « ne peut accepter » aujourd’hui ce qu’il a accepté – et même favorisé – naguère ? Je crois qu’on est ici en présence d’un problème bien plus fondamental. Pour la première fois peut-être dans l’histoire, nous vivons dans une société ou la logique de transmission tend à disparaître, ou seul le « nouveau » compte, ou l’adulte disparaît devant le jeune. Dans un tel fonctionnement, comment gérer une solidarité intergénérationnelle ?

          • Baruch dit :

            Je reste tout de même peu convaincue par le fait de parler en termes de “génération”, je crois que c’est quelque chose qui empêche la clarté de l’analyse et de l’action politiques.
            Bien entendu, en termes de retraites, la question de la temporalité, des “effets retards” des prises de décisions, et des calculs prospectifs sont fondamentaux, et ils doivent être pris en compte.
            Mais opposer “la jeunesse” aux “adultes”, c’est reprendre un poncif, pour le coup issu de l’idéologie dominante.
            Pour repartir sur “la génération 68”, si elle n’a pas donné à la société ce que les deux générations d’avant avait pu procurer comme progrès pour tous, elle est tout de même née et a vécu (avec tickets ) à cette époque de la reconstruction, vous savez celle où l’Abbé Pierre fondait Emmaûs, dans des conditions que l’on ne connait plus, elle était au travail à 14 ans, la tuberculose faisait des ravages encore et si il y avait le P.A.S et le Rémifon antibiotiques actifs et sauveurs, on partait encore pour un an de sana si on avait le malheur comme moi de l’avoir attrapée, nous n’étions que 10% d’enfants d’ouvriers dans les Grandes Ecoles et les Universités en 68, tout le reste de nos camarades d’école primaire étaient au boulot, vendeuses,à l’usine puisqu’il en avait, ou dans des pools de sténo-dactylos. C’est cette génération qui avait trente ans entre 1974 et 1981 qui a pris de plein fouet le chômage, si d’une certaine façon les concours, la réussite aux concours permettaient un passage dans la classe moyenne pour certains,chanceux ou travailleurs, la plupart a été très vite déstabilisée dans la précarisation du travail, toute cette génération est à la retraite depuis dix ans, retraites déjà diminuées par rapport à ce qu’ils attendaient, prises plus tard ,avec plus d’annuités de cotisations dès 2003, 2010. Cette “génération” est aussi celle qui a permis à une grande majorité de la jeunesse de poursuivre des études, d’aller par nombreuses cohortes faire des études supérieures, nous avons “poussé” nos enfants à des études de plus en plus longues, nous les avons “aidé” financièrement et en leur transmettant surtout un capital intellectuel que nous n’avions pas au départ (mais beaucoup avait le capital historique des luttes sociales transmis par le récit des générations précédentes dans la famille ou le parti).
            Je pense donc que si le capital est passé à la phase de liquidation des acquis et des conquêtes, c’est qu’il se sent (et est?) fort, fort de la désaffection des masses, de l’absence de transmission de la conscience de classe, du développement de “concepts” flous aussi, très généraux comme “les femmes”, “les jeunes “, “les soixante huitards”, mais entre M. Kouchner,, Conh-Bendit, tous de cette génération et le professeur qui a enseigné et corrigé dans ses classes de lycée de banlieue, l’ouvrier ou le cheminot, le cuisinier qu’y a-t-il de commun, d’idéologie commune, d’expérience matérielle commune ?
            Vraiment cela me gêne cette globalisation des choses car cela laisse échapper, à mon avis, la “matière”, le noyau dur de l’affrontement qui se passe en ce moment (mais comme toujours “jusqu’à nos jours” disait l’autre…).
            En plus, oui on est vieux, objectivement vieux de nos jours à 70 ans, toujours …!!!

            • Descartes dit :

              @ Baruch

              [Je reste tout de même peu convaincue par le fait de parler en termes de “génération”, je crois que c’est quelque chose qui empêche la clarté de l’analyse et de l’action politiques.]

              Je suis en partie d’accord avec vous que la notion de « génération » doit être utilisée avec une grande précaution, notamment parce que le fait d’appartenir à une même génération n’implique pas une communauté d’intérêts : les intérêts de l’ouvrier de 20 ans sont plus proches de ceux de l’ouvrier de la génération précédente que de ceux du bourgeois de sa même génération. Mais on ne peut ignorer le fait qu’une génération est un groupe d’individus qui ont partagé un certain nombre d’expériences communes. Il est clair qu’entre les gens qui avaient 20 ans en 1940 et ceux qui sont nés cette année-là il y a une différence d’expériences vécues qui peut expliquer certains comportements collectifs.

              [Mais opposer “la jeunesse” aux “adultes”, c’est reprendre un poncif, pour le coup issu de l’idéologie dominante.]

              Il ne s’agit pas « d’opposer », mais de comprendre un problème. Le système par répartition fonctionne sur le principe de la solidarité intergénérationnelle : chaque génération paye pour la génération précédente, le contrat implicite étant que la génération suivante acceptera la même règle. Or, quelle garantie avons-nous qu’après avoir payé pour que nos parents aient une bonne retraite nos enfants accepteront de faire de même ?

              Cette question est fondamentale (peut-être devrais-je faire un papier complet là-dessus pour lancer la discussion). Dans une société ou la lignée, l’honneur, la reconnaissance ont un sens, la réponse est évidente : nous avons une dette envers ceux qui nous ont précédés, et nous payons donc pour leur vieillesse. Et nous élevons nos enfants, qui auront une dette envers nous et la paieront parce que c’est une question d’honneur. Mais dans une société ou la transmission est en panne, où la lignée n’a pas de sens et où chacun à l’impression de s’être fait lui-même contre la société, la conscience d’une dette envers la génération précédente existe-t-elle ?

              Les enquêtes d’opinion nous disent qu’il y a un problème. Lorsqu’on interroge les jeunes, ils sont de moins en moins confiants dans la génération suivante pour payer leurs retraites. Normal : lorsqu’on ne se sent pas une dette envers ses ainés, difficile d’imaginer que nos descendants aient une envers nous…

              [Pour repartir sur “la génération 68”, si elle n’a pas donné à la société ce que les deux générations d’avant avait pu procurer comme progrès pour tous, elle est tout de même née et a vécu (avec tickets ) à cette époque de la reconstruction, vous savez celle où l’Abbé Pierre fondait Emmaûs, dans des conditions que l’on ne connait plus, elle était au travail à 14 ans, la tuberculose faisait des ravages encore (…)]

              Pas tout à fait. La « génération 68 », celle qui avait vingt ans lors des « événements » était née en 1948. Ils n’ont donc guère connu le rationnement, qui a pris fin le 1er décembre 1949. Mais vous savez bien que les effets sociaux de la pauvreté sont relatifs : on ne vit pas de la même manière un état de pauvreté temporaire – après une guerre, par exemple – lorsqu’on sait que la reconstruction est en cours et que l’avenir sera meilleur que le présent qu’un état de pauvreté permanent où la seule perspective est d’avoir le lendemain moins que la veille. La « génération 68 » a vécu dans sa petite enfance la situation difficile de l’après-guerre, mais aussi la puissante dynamique expansive des « trente glorieuses ».

              [C’est cette génération qui avait trente ans entre 1974 et 1981 qui a pris de plein fouet le chômage,]

              Là encore, il faut nuancer. Oui, les ouvriers peu qualifiés de la « génération 68 » ont pris de plein fouet les chocs pétroliers et la montée du chômage de masse. Mais il ne faudrait pas oublier que le chômage à l’époque ne touchait que très peu les ouvriers qualifiés, les employés et encore moins les diplômés. En 1981, il n’y avait si l’on peut dire « que » 1,8 millions de chômeurs, et le chômage de longue durée était relativement rare. Et les services publics, grâce aux investissements effectués pendant les « trente glorieuses », étaient présents sur tout le territoire. Et surtout, les chômeurs de l’époque vivaient la situation comme une crise temporaire, et non comme un état permanent auquel il fallait se résigner.

              Bien sur, il ne faut pas idéaliser les conditions de vie dont a bénéficié la « génération 68 ». Mais il est difficile de contester que, que ce soit du point de vue objectif ou subjectif, c’est une génération privilégiée par rapport à celles qui l’ont précédées (qui ont connu les guerres) comme celles qui l’ont succédées (qui ont connu le chômage de masse comme condition « normale »).

              [Cette “génération” est aussi celle qui a permis à une grande majorité de la jeunesse de poursuivre des études, d’aller par nombreuses cohortes faire des études supérieures, nous avons “poussé” nos enfants à des études de plus en plus longues, nous les avons “aidé” financièrement et en leur transmettant surtout un capital intellectuel que nous n’avions pas au départ (mais beaucoup avait le capital historique des luttes sociales transmis par le récit des générations précédentes dans la famille ou le parti).]

              C’est discutable. La « génération 68 » n’a pas beaucoup transmis, finalement. Oui, elle a poussé ses enfants à faire des études de plus en plus longues, mais avec de moins en moins de contenus. Elle a mis « l’enfant au centre des apprentissages », ce qui est la négation même de la transmission.

              [Je pense donc que si le capital est passé à la phase de liquidation des acquis et des conquêtes, c’est qu’il se sent (et est?) fort, fort de la désaffection des masses, de l’absence de transmission de la conscience de classe, du développement de “concepts” flous aussi, très généraux comme “les femmes”, “les jeunes “, “les soixante huitards”, mais entre M. Kouchner, Conh-Bendit, tous de cette génération et le professeur qui a enseigné et corrigé dans ses classes de lycée de banlieue, l’ouvrier ou le cheminot, le cuisinier qu’y a-t-il de commun, d’idéologie commune, d’expérience matérielle commune ?]

              Il y a l’expérience commune de vivre dans un pays en paix, et notez que la « génération 68 » est la première de notre histoire récente à avoir eu ce privilège. Il y a l’expérience commune d’avoir vécu dans une société en expansion constante pendant trente ans, là encore une expérience unique dans notre histoire. Il y a l’expérience du rejet des institutions qui pendant des siècles ont assuré la transmission des connaissances mais aussi des règles de vie et de sociabilité. Et ces expériences sont communes à Kouchner et à l’humble professeur de lycée de banlieue qui s’est pris à tutoyer ses élèves.

              [En plus, oui on est vieux, objectivement vieux de nos jours à 70 ans, toujours …!!!]

              Peut-être. Mais avant, on était vieux, objectivement vieux, à 50 ans !

      • Yoann dit :

        [et qui d’ailleurs à l’époque était perçue plus comme une mesure de lutte contre le chômage qu’autre chose.]

        Reste à savoir si la question ne se repose pas encore aujourd’hui pour la même raison… On sait déjà que la baisse de l’âge de départ en retraite est l’une des raisons qui fait que nous n’avons pas un taux de chômage de 15-20%. Si tout les chômeurs étaient au travail notre système de retraite (pas en déséquilibre malgré les CICE et autres baisses de cotisations) s’en porterait mieux.

        Et compte tenu de la productivité qui n’a de cesse d’augmenter c’est difficile d’expliquer à des salariés cassés par le boulot qu’ils devront bosser plus (sachant également les difficultés pour se faire employer, etc).

        Pour moi l’idéal serait de pouvoir partir a 55 ans de l’usine, et à 65 ans de la boite d’informatique (et encore, même la il y a des difficultés dépasser 40-45 ans qui apparaissent en terme d’employabilité).

        • Descartes dit :

          @ Yoann

          [« et qui d’ailleurs à l’époque était perçue plus comme une mesure de lutte contre le chômage qu’autre chose. » Reste à savoir si la question ne se repose pas encore aujourd’hui pour la même raison… On sait déjà que la baisse de l’âge de départ en retraite est l’une des raisons qui fait que nous n’avons pas un taux de chômage de 15-20%.]

          Pourriez-vous indiquer l’étude sur laquelle vous vous fondez pour affirmer pareille chose ? Vous noterez que même si comparaison n’est pas raison, on part bien plus tard que chez nous à la retraite en Allemagne et en Grande-Bretagne, et que ces deux pays n’ont pas un taux de chômage à deux chiffres : il y est même inférieur au notre.

          En fait, les liens entre âge de départ à la retraite et chômage sont beaucoup moins clairs que vous ne le dites. Bien sûr, en avançant l’âge de la retraite on réduit cosmétiquement le chômage en transformant une partie des chômeurs en retraités. A la limite en mettant l’âge de la retraite à 16 ans, vous supprimeriez le chômage totalement. Mais vous voyez bien que c’est un tour de passe-passe. Du point de vue social, vous ne changez que l’étiquette : vous rebaptisez le chômeur en retraité, les allocations chômage en retraite.

          L’avancement de l’âge de la retraite a un effet dépressif sur l’économie, puisqu’il s’assimile à une destruction de capital. Envoyer à la retraite un travailleur expérimenté et formé et qui peut encore travailler, c’est comme mettre au rebut une machine qui est encore productive. Et du point de vue économique, cette destruction se traduit aussi par une réduction de la demande : à la place du travailleur expérimenté vous prenez un travailleur jeune, moins payé. Et moins de paye, cela veut dire moins de demande… donc moins de travail.

          [Si tout les chômeurs étaient au travail notre système de retraite (pas en déséquilibre malgré les CICE et autres baisses de cotisations) s’en porterait mieux.]

          Pendant quelque temps. Parce que le jour où ces travailleurs arriveraient à l’âge de départ en retraite, il faudrait leur payer des retraites supérieures puisqu’ils auront travaillé. Lorsqu’on prend le problème avec un point de vue de très long terme, l’équilibre du système de retraite est indépendant du chômage. Si vous mettez plus de gens au travail, c’est plus de cotisations aujourd’hui mais plus de pensions à payer demain. Si le chômage monte, c’est moins de cotisations mais aussi moins de pensions à payer.

          [Et compte tenu de la productivité qui n’a de cesse d’augmenter c’est difficile d’expliquer à des salariés cassés par le boulot qu’ils devront bosser plus (sachant également les difficultés pour se faire employer, etc).]

          « Bosser plus » par rapport à quoi ? Non, en termes relatifs : si la productivité augmente, à égalité de niveau de vie nous pouvons travailler une proportion inférieure de notre espérance de vie. Et c’est d’ailleurs ce qui arrive : nous passons au travail une part toujours plus faible de notre vie. Aujourd’hui, on entre sur le marché du travail vers 21 ans et on en sort à 63 en moyenne. Pour une espérance de vie de 79 ans, on ne travaille finalement que 52% de notre vie. Dans les années 1950, on entrait à 18 ans et on sortait à 65 ans, pour une espérance de vie autour de 68 ans. On travaillait donc 70% de notre vie… et en plus il faudrait pondérer ces chiffres avec les vacances (passées de trois à cinq semaines) et la réduction du temps de travail.

          Mais en termes absolus, c’est une autre histoire. Si la vie s’allonge plus vite que la productivité, alors pour maintenir le niveau de vie il faudra travailler plus d’années (même si en proportion on travaile moins).

          [Pour moi l’idéal serait de pouvoir partir a 55 ans de l’usine, et à 65 ans de la boite d’informatique (et encore, même la il y a des difficultés dépasser 40-45 ans qui apparaissent en terme d’employabilité).]

          Pour moi, l’idéal serait de ne partir jamais. Je pense que l’idée de cessation graduelle d’activité, qui permettrait à la personne de garder un lien avec le monde du travail jusqu’à la fin de sa vie – ou du moins jusqu’à un âge très avancé – serait préférable. Cela nécessite bien entendu un dispositif flexible en fonction de l’activité. Les versement retraite pourraient venir à concurrence du salaire, de manière à rendre l’embauche de ces travailleurs âgés rentable pour l’employeur.

          Cela étant dit, il y a le fameux triangle cotisations-pensions-âge de départ. Si on fixe l’âge de départ très tôt, ou bien on augmente les cotisations ou bien on réduit les pensions (ce qui revient à jouer sur la répartition du niveau de vie entre la période active et la retraite). Il n’y a pas de miracles dans ce bas monde.

    • Ian Brossage dit :

      @Descartes

      > Le passage de 65 ans à 60 ans en 1981 est un bon exemple d’une réforme dont on n’a pas projeté sur le long terme les conséquences – et qui d’ailleurs à l’époque était perçue plus comme une mesure de lutte contre le chômage qu’autre chose.

      À ce sujet, est-ce que cela a donné des résultats positifs ? (sur la lutte contre le chômage)

      > Le « garrot d’or » ne fonctionne que dans la mesure où l’Etat veut bien s’y soumettre. Mais que se passe-t-il lorsque l’Etat décide de ne plus payer ?

      Cela dépend de l’État… un État faible, à la tête d’une économie en ruines comme la Grèce, se retrouve à la merci des créanciers internationaux. Il y a aussi le cas de l’Argentine. Il est vrai qu’en France on n’en est pas là. Mais un défaut semble tout de même une affaire très délicate, non ?

      (quoiqu’en pensent les mélenchonistes qui prétendaient à une époque qu’il suffisait de ne pas payer la dette française soi-disant illégitime…)

      • Descartes dit :

        @ Ian Brossage

        [« Le passage de 65 ans à 60 ans en 1981 est un bon exemple d’une réforme dont on n’a pas projeté sur le long terme les conséquences – et qui d’ailleurs à l’époque était perçue plus comme une mesure de lutte contre le chômage qu’autre chose. » À ce sujet, est-ce que cela a donné des résultats positifs ? (sur la lutte contre le chômage)]

        Très difficile à dire. L’effet mécanique est évidement de réduire le chômage, d’une part parce que tous les chômeurs de la tranche 60-65 ans ont été magiquement transformés en retraités, et d’autre part parce que les départs à la retraite dans cette tranche ont été pour partie remplacés en embauchant des chômeurs. Mais ces effets positifs sont contrés par des effets négatifs : d’une part, on remplace des travailleurs expérimentés par des travailleurs jeunes moins productifs, d’où une perte de productivité et donc de compétitivité. D’autre part, pour payer les retraités supplémentaires il faut augmenter les cotisations, donc le coût du travail, et là encore on perd en compétitivité donc en emplois.

        Aujourd’hui, le consensus des économistes est que l’effet des mesures d’âge sur la retraite ont des effets très faibles sur le chômage, et que ceux-ci sont plutôt négatifs.

        [« Le « garrot d’or » ne fonctionne que dans la mesure où l’Etat veut bien s’y soumettre. Mais que se passe-t-il lorsque l’Etat décide de ne plus payer ? » Cela dépend de l’État… un État faible, à la tête d’une économie en ruines comme la Grèce, se retrouve à la merci des créanciers internationaux. Il y a aussi le cas de l’Argentine. Il est vrai qu’en France on n’en est pas là. Mais un défaut semble tout de même une affaire très délicate, non ?]

        Pour la Grèce, il est difficile de dire si un défaut – suivi d’une sortie de l’Euro – aurait eu des effets économiques plus dévastateurs que les longues années d’austérité et de récession qui ont suivi la décision d’accepter l’accord avec les créanciers. Mais le cas de l’Argentine est intéressant : le défaut de 2001 a provoqué une forte contraction qui n’a duré qu’un an. A partir de 2002 s’ouvre une période de forte croissance et de relative prospérité. Il est vrai que le contexte international était favorable, avec un prix des commodités produites par l’Argentine particulièrement rémunérateur.

        Dans un pays comme la France, avec une administration relativement puissante et efficace et un système fiscal sain, un défaut correctement organisé ne serait pas nécessairement traumatisant. Vous noterez d’ailleurs que pour des économies de cette taille, le défaut est rarement « total » : il se traduit en général par des défauts partiels. Pensez par exemple à la décision de Nixon de mettre fin à la convertibilité du dollar en or : c’est bien un « défaut » au sens que le gouvernement renie une obligation librement assumée auprès de ses créanciers. Le recul de l’âge de la retraite est lui aussi à considérer comme un défaut (on reporte unilatéralement le paiement d’une dette).

        [(quoiqu’en pensent les mélenchonistes qui prétendaient à une époque qu’il suffisait de ne pas payer la dette française soi-disant illégitime…)]

        Bien entendu, ce n’est pas aussi simple. On ne peut dire « on ne paye pas » et s’imaginer que tout continuera comme avant. Dire « on ne paye pas » implique ensuite faire fonctionner l’économie sans apport de capital extérieur…

        • Ian Brossage dit :

          @Descartes

          > Vous noterez d’ailleurs que pour des économies de cette taille, le défaut est rarement « total » : il se traduit en général par des défauts partiels. Pensez par exemple à la décision de Nixon de mettre fin à la convertibilité du dollar en or : c’est bien un « défaut » au sens que le gouvernement renie une obligation librement assumée auprès de ses créanciers. Le recul de l’âge de la retraite est lui aussi à considérer comme un défaut (on reporte unilatéralement le paiement d’une dette).

          Dans ce contexte, le meilleur défaut partiel n’est-il pas simplement le recours à l’inflation ?

          • Descartes dit :

            @ Ian Brossage

            [Dans ce contexte, le meilleur défaut partiel n’est-il pas simplement le recours à l’inflation ?]

            Excellent exemple… seulement pour faire de l’inflation aujourd’hui, il faudrait passer sur le corps de la BCE, ce qui suppose de la tuer d’abord!

  11. NG dit :

    Ces chiffres de fréquentation sont impressionnants s’agissant d’un blog politique. Bravo à vous.

    S’agissant du pessimisme ambiant, peut-être est-il dû au fait que c’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que des sociétés aussi vieilles existent ? Emmanuel Todd a à plusieurs reprises développé ce sujet en rappelant que ce n’est pas dans des sociétés d’un âge moyen de 43 ans (je cite de mémoire) qu’on fait la révolution. Or, de nos jours, toute échappée du libre-échangisme ambiant semble relever d’un ethos révolutionnaire.

    • Descartes dit :

      @ NG

      [S’agissant du pessimisme ambiant, peut-être est-il dû au fait que c’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que des sociétés aussi vieilles existent ? Emmanuel Todd a à plusieurs reprises développé ce sujet en rappelant que ce n’est pas dans des sociétés d’un âge moyen de 43 ans (je cite de mémoire) qu’on fait la révolution.]

      La vieillesse est une notion relative, qui tient à l’état de santé physique et mentale. Il n’y a pas plus de « vieux » aujourd’hui qu’il n’en avait en 1789. Simplement, on devient « vieux » plus tard. Sous l’ancien régime, on devenait un « vieillard » à 50 ans, alors qu’aujourd’hui on le devient à 70. En fait, si quelque chose a changé, c’est plutôt la prolongation de l’adolescence et de la période active, plus que de la vieillesse.

      Par ailleurs, je dois dire que l’idée selon laquelle les jeunes seraient optimistes et les vieux pessimistes ne me parait pas établie. Aujourd’hui, je trouve que les jeunes sont particulièrement pessimistes, bien plus que les vieux.

      Je n’ai pas très bien compris la référence à Todd. Doit-on comprendre que ce sont les sociétés « jeunes » qui font les révolutions ? Ou plutôt le contraire ?

      • Louis dit :

        Je me permets de répondre à la place de NG. Emmanuel Todd soutient que ce sont les sociétés “jeunes” qui font les révolutions. Néanmoins, tout comme vous, je ne crois pas que nous vivions dans une société particulièrement vieille, pour les raisons que vous nous avez données.

        Plutôt que de “jeunesse” ou de “vieillesse” qui nous tomberaient dessus comme des idées absolument toutes faites, il me paraît préférable de rapporter la “jeunesse” ou la “vieillesse” à la place qu’on occupe dans la société. Un “jeune”, c’est quelqu’un qui doit s’établir, après avoir quitté le foyer familial. Il est donc astreint à certains devoirs qui seront modérés, bon an mal an, par son établissement futurs : bûcher pour ses études, se placer auprès des bonnes personnes, trouver (de quoi payer) un logement, éventuellement lorgner sur l’héritage… La liste peut s’étendre, et s’appliquer tout aussi bien aux “vieux”. Seulement, ces derniers peuvent généralement profiter de ce qu’ils ont déjà fait par le passé. Réciproquement, bien des “jeunes” par l’âge sont déjà “vieux” à ce compte-là : les héritiers, pour le dire vite.

        J’ignore si M. Todd l’entend ainsi, mais il me semble logique, et vous me corrigerez si je me trompe, qu’une société dont la plupart des membres se doit de prendre des risques pour s’établir, est plus proche de les prendre collectivement, qu’une société dans laquelle la plupart de ses membres est déjà établie, fût-ce modestement, comme c’est le cas aujourd’hui. Pour le dire autrement : lorsqu’une société compte assez d’héritiers, elle devient routinière, et tant pis pour les clampins mal nés comme nous autres.

        A ce titre, la “jeunesse” n’est pas favorable aux bouleversements, mais elle les accompagne. Ce n’est pas parce qu’ils étaient jeunes que les généraux de Napoléon sont devenus si rapidement maréchaux, mais peut-être bien parce que la carrière s’est ouverte pour une large portion de la société, encrassée jusqu’à la Révolution dans la routine de l’Ancien Régime.

        D’autre part, quitte à parler d’autres intellectuels, j’aime beaucoup M. Debray lorsqu’il fait remarquer que le “jeunisme” est l’apanage des “vieux”, tandis que la vénération des anciens est le propre des jeunes révolutionnaires. Je ne suis pas assez cultivé pour savoir si c’est bien vrai, mais j’aime assez le paradoxe — et puis, “jeune” que je suis, je n’aime pas du tout les ronflements élogieux que j’entends depuis mon enfance, alors que je sais qu’à moins de renverser la table, notre naissance aura toujours plus de poids que notre “jeunesse”. Méchante impression d’être embrassé par celui qui me dérobe.

        • Descartes dit :

          @ Louis

          [Plutôt que de “jeunesse” ou de “vieillesse” qui nous tomberaient dessus comme des idées absolument toutes faites, il me paraît préférable de rapporter la “jeunesse” ou la “vieillesse” à la place qu’on occupe dans la société. Un “jeune”, c’est quelqu’un qui doit s’établir, après avoir quitté le foyer familial. (…) Seulement, ces derniers peuvent généralement profiter de ce qu’ils ont déjà fait par le passé. Réciproquement, bien des “jeunes” par l’âge sont déjà “vieux” à ce compte-là : les héritiers, pour le dire vite.]

          Cette formulation est intéressante. Pour résumer, vous considérez la « jeunesse » comme la période de l’investissement, et la « vieillesse » comme celle où l’on touche la rente de cet investissement. On pourrait donc imaginer que les « vieux » soient plus frileux devant un éventuel bouleversement de la société qui pourrait porter atteinte à leur investissement, alors que les « jeunes », n’ayant encore investi qu’un minimum, soient plus sereins devant la possibilité d’une révolution.

          La difficulté de ce raisonnement est que dans une société aussi complexe et ancienne que la nôtre, les jeunes touchent eux aussi une rente, celle de l’investissement des générations précédentes. Ecole et Université gratuite et ouverte à tous, sécurité sociale, bourses d’études, subventions pour les activités sportives et culturelles… si dans un contexte révolutionnaire les « vieux » peuvent craindre pour leur propriété ou leur retraite, les jeunes eux aussi ont beaucoup à perdre et qui plus est, en sachant qu’ils en profiteront plus longtemps…

          [J’ignore si M. Todd l’entend ainsi, mais il me semble logique, et vous me corrigerez si je me trompe, qu’une société dont la plupart des membres se doit de prendre des risques pour s’établir, est plus proche de les prendre collectivement, qu’une société dans laquelle la plupart de ses membres est déjà établie, fût-ce modestement, comme c’est le cas aujourd’hui. Pour le dire autrement : lorsqu’une société compte assez d’héritiers, elle devient routinière, et tant pis pour les clampins mal nés comme nous autres.]

          Le problème de ce raisonnement, comme je vous l’ai indiqué avant, c’est que dans une société comme la nôtre nous sommes TOUS des héritiers. Votre raisonnement peut fonctionner dans une société ou la protection sociale est inexistante, et où chacun est seul devant son destin et seul auteur de sa vie. Une telle société existe-t-elle ? J’en doute : dans toutes les sociétés chaque génération se construit sur un héritage plus ou moins important. Mais dans nos sociétés développées, l’héritage est énorme, et on commence à le toucher dès le plus jeune âge.

          J’aurais presque tendance à faire le raisonnement contraire : un jeune adulte sait qu’il lui reste de nombreuses années à vivre, et mesure les risques. Un vieux sait qu’il est plus proche de la harpe que de la guitare, et peut se permettre une prise de risque plus importante.

          [A ce titre, la “jeunesse” n’est pas favorable aux bouleversements, mais elle les accompagne. Ce n’est pas parce qu’ils étaient jeunes que les généraux de Napoléon sont devenus si rapidement maréchaux, mais peut-être bien parce que la carrière s’est ouverte pour une large portion de la société, encrassée jusqu’à la Révolution dans la routine de l’Ancien Régime.]

          Tout à fait. Lorsque vous balayez une élite, la place est prise par les éléments les plus jeunes – et donc les plus adaptables – de la classe sociale montante. Cela étant dit, Napoléon et ses généraux n’étaient pas si « jeunes » que ça : Napoléon accède à la magistrature suprême alors qu’il a 35 ans, à peine quatre de moins qu’Emmanuel Macron – et alors que l’espérance de vie est très largement inférieure. Le plus vieux des maréchaux de Napoléon, Kellermann, est fait maréchal à Austerlitz à 69 ans… Sérurier et Berthier à 62 et 51 respectivement. Et le plus jeune, Davout, acquiert ce titre à Austerlitz à 35 ans… Turenne, le général des armées de Louis XIV, l’avait été à 32 ans, ce qui tend à relativiser la jeunesse des généraux de la révolution et de l’empire.

          [D’autre part, quitte à parler d’autres intellectuels, j’aime beaucoup M. Debray lorsqu’il fait remarquer que le “jeunisme” est l’apanage des “vieux”, tandis que la vénération des anciens est le propre des jeunes révolutionnaires.]

          Comme souvent, il n’a pas tort… et cela s’explique facilement. Le « jeunisme » des vieux est une forme de se perpétuer. Car la logique est « il faut donner le pouvoir aux jeunes », pas à n’importe quels jeunes : en contrôlant le transfert, on contrôle sa propre succession. Quant aux jeunes, où peuvent-ils trouver des références, sinon dans le passé ?

          • Louis dit :

            Bonsoir,

            [La difficulté de ce raisonnement est que dans une société aussi complexe et ancienne que la nôtre, les jeunes touchent eux aussi une rente, celle de l’investissement des générations précédentes. Ecole et Université gratuite et ouverte à tous, sécurité sociale, bourses d’études, subventions pour les activités sportives et culturelles… si dans un contexte révolutionnaire les « vieux » peuvent craindre pour leur propriété ou leur retraite, les jeunes eux aussi ont beaucoup à perdre et qui plus est, en sachant qu’ils en profiteront plus longtemps…]

            Vous avez raison. De fait, je ne mènerais pas la vie que je mène si la République n’avait pas pourvu à ce dont ma naissance m’aurait privé. Vous mettez même le doigt sur un ressort que j’avais omis : c’est à proportion de cette rente républicaine (mais pas seulement) qu’on peut estimer si telle ou telle portion de la jeunesse sera prête à encaisser les coups qu’il faudra prendre et rendre pour un meilleur avenir. Force est de constater que c’est justement chez ceux qui font les plus longues études, ou les mieux cotées, que le bât blesse, en fait de prise de risque. Et ça se comprend : quand on s’est choisi la carrière d’un ingénieur, d’un “communicant” ou d’un financier, dans un pays où le privé ronge le public chaque jour un peu plus, pourquoi diable irait-on compromettre son avenir en bouleversant l’ordre établi ?

            C’est, en fait, ce que j’avais à l’esprit en parlant de ces “jeunes” qui sont d’ores et déjà “vieux” : héritiers ou non, la rente leur est un boulet. Moi de même, je l’avoue : j’ai beau vouloir ce qui peut arriver de mieux à mon pays, je traîne des pieds si je songe à ce que j’aurais à perdre si je me retrouvais privé de mon statut, et je me contente d’être fort en parole, à défaut de l’être en acte.

            A mon avis, l’écologisme qui s’empare de la “jeunesse” — mais quelle jeunesse, exactement ? Le fils du couvreur corrézien, ou le fils du psychiatre parisien ? — tient en partie à cela. Tout ou rien : ou bien le monde, dans lequel on se sait une place plus ou moins assurée, continue comme il va, ou bien ce ne peut être que la fin du monde.

            Sans vouloir faire mon obsédé, n’y a-t-il pas quelque chose d’analogue à l’écologisme du national-socialisme, qui a su conserver du côté du grand capital, ceux de la petite bourgeoisie et affiliés, que la crainte du déclassement aurait pu mener vers la révolution ? Götz Aly a bien montré dans Comment Hitler a acheté les Allemands, l’intérêt que les “jeunes rentiers” avaient à souscrire à cette vision apocalyptique de l’histoire, puisqu’elle était le soubassement d’un Etat qui garantirait le statut qu’ils risquaient de perdre, autrement. (Je précise que M. Aly s’intéresse davantage à la politique sociale allemande qu’à l’écologie, mais que j’y vois un lien.)

            [J’aurais presque tendance à faire le raisonnement contraire : un jeune adulte sait qu’il lui reste de nombreuses années à vivre, et mesure les risques. Un vieux sait qu’il est plus proche de la harpe que de la guitare, et peut se permettre une prise de risque plus importante.]

            Paradoxe auquel je réfléchirai, assurément ! Avez-vous cependant des exemples à nous donner ?

            [Cela étant dit, Napoléon et ses généraux n’étaient pas si « jeunes » que ça : […] ce qui tend à relativiser la jeunesse des généraux de la révolution et de l’empire.]

            C’est vrai, mais je pourrais vous rétorquer que l’épopée des premiers Bourbons s’est déroulée elle aussi dans un pays bouleversé de fond en comble par la constitution d’un nouvel Etat : bon an mal an, les forces vives ont finit par se ranger du côté de l’Etat, quelques regrets qu’ils eussent à perdre le statut qui leur fût revenu “de droit”, si rien de Richelieu à Louis XIV ne s’était passé.

            [Quant aux jeunes, où peuvent-ils trouver des références, sinon dans le passé ?]

            Dans un blog tenu par un philosophe revenu d’entre les morts, pardi !

            P.S. : bonne année à vous et à tous ceux qui vous font parler ici !

            • Descartes dit :

              @ Louis

              [C’est, en fait, ce que j’avais à l’esprit en parlant de ces “jeunes” qui sont d’ores et déjà “vieux” : héritiers ou non, la rente leur est un boulet. Moi de même, je l’avoue : j’ai beau vouloir ce qui peut arriver de mieux à mon pays, je traîne des pieds si je songe à ce que j’aurais à perdre si je me retrouvais privé de mon statut, et je me contente d’être fort en parole, à défaut de l’être en acte.]

              Tout à fait. C’est en ce sens que je ne suis pas d’accord avec la vision de Todd. Ce n’est pas l’âge qui compte, mais l’importance de l’investissement – qu’il soit fait par l’individu lui-même ou par la société pour son bénéfice – qui compte. Plus on a de « capital » – matériel ou immatériel – à son nom, et moins on aura intérêt à renverser la table. C’est là le fondement de l’alliance entre la bourgeoisie et les classes intermédiaires. Bien sûr, on peut constater que la carte des sociétés les plus « jeunes » coïncide avec celle des pays ou l’investissement social dont bénéficient les jeunes est le plus faible, ce qui explique peut-être leur activité « révolutionnaire » soulignée par Todd.

              [Sans vouloir faire mon obsédé, n’y a-t-il pas quelque chose d’analogue à l’écologisme du national-socialisme, qui a su conserver du côté du grand capital, ceux de la petite bourgeoisie et affiliés, que la crainte du déclassement aurait pu mener vers la révolution ?]

              La tentation est grande de trouver des points communs entre les différents discours « apocalyptiques », entre le côté wagnérien du nazisme et le « crépuscule des dieux » prédit par les écologistes, surtout compte tenu des affinités entre l’idéologie nazie et la « naturphilosophie » issue du romantisme allemand. Le discours apocalyptique a deux fonctions : la première est de souder le groupe sous le primat de l’urgence – quelle importance peuvent-il avoir les différences d’opinion ou d’analyse alors que « la maison brule » ? La seconde est de préparer les adeptes au sacrifice, car aucun sacrifice n’est excessif quand l’alternative est l’annihilation. Il est bien plus facile d’obtenir de l’argent de quelqu’un persuadé qu’il mourra demain sans descendance que de celui qui pense avoir encore de longues années à vivre.

              [« Paradoxe auquel je réfléchirai, assurément ! Avez-vous cependant des exemples à nous donner ? » Je me souviens de travaux faits par l’armée américaine du temps de la guerre froide sur l’effet de l’âge du commandant en chef sur sa disponibilité pour déclencher l’holocauste nucléaire en cas de nécessité. Ces travaux avaient été ressortis lors de la réélection de Ronald Reagan, parce que l’âge avait été corrélé positivement avec une plus grande prise de risque dans ce genre de situation.

              [« Quant aux jeunes, où peuvent-ils trouver des références, sinon dans le passé ? » Dans un blog tenu par un philosophe revenu d’entre les morts, pardi !]

              Plus « passé » que ça…

      • matérialiste-patriote dit :

        Oui, Todd a évoqué plusieurs fois le fait que le vieillissement de la population française est un obstacle au changement social, comme dans cette interview pour Liberation et qui date de fin 2017: “Des révolutions au sens mélenchoniste dans un pays où l’âge médian de la population atteint les 40 ans, je n’en ai jamais vu. Les peuples qui font des révolutions ont 25 ans d’âge médian. La société française semble dans une impasse.”

        Je vous rejoins sur le pessimisme de la jeunesse, en tous cas celle que je côtoie tous les jours en classe. Ce pessimisme vient en premier lieu de la question écologique: beaucoup sont persuadés qu’on va vers la catastrophe et sont dans une posture de flagellation de l’espèce humaine, coupable de crimes contre la nature! Non seulement tout va mal, mais en plus nous l’avons bien mérité! Je m’efforce de remettre un peu de raison dans tout cela mais la pression sociale est forte, y compris de la part de mes collègues. Le verrou mental “écologiste” est à mon avis un combat intellectuel de premier plan pour cette nouvelle année, tant il inhibe l’action politique. A quoi bon se battre, si nous fonçons dans le mur?
        Dans tous les cas, je souhaite vous dire que votre blog n’est pas si pessimiste qu’il n’y paraît. Au contraire, en dissipant des peurs illusoires (nucléaire, machiavélisme des élites…) et en se concentrant sur les combats essentiels, il augmente la clairvoyance et renforce la détermination. J’y ai trouvé en 2019 autant de raisons de m’inquiéter que des raisons de vouloir me battre. Je vous souhaite le meilleur pour cette nouvelle année, et surtout – un peu égoïstement – de continuer à alimenter régulièrement ce site de vos réflexions, avec votre œil acéré habituel.

        • Descartes dit :

          @ matérialiste-patriote

          [Oui, Todd a évoqué plusieurs fois le fait que le vieillissement de la population française est un obstacle au changement social, comme dans cette interview pour Liberation et qui date de fin 2017: “Des révolutions au sens mélenchoniste dans un pays où l’âge médian de la population atteint les 40 ans, je n’en ai jamais vu. Les peuples qui font des révolutions ont 25 ans d’âge médian. La société française semble dans une impasse.”]

          Le raisonnement de Todd est tautologique. Combien de sociétés, au cours de la longue histoire de l’humanité, ont atteint un âge médian de 40 ans ? Difficile d’en trouver une avant le XXIème siècle (en France, le seuil est atteint depuis 2015 seulement, en Allemagne et au Japon en 2000). Si Todd « n’a jamais vu » de révolution dans un pays dont l’âge médian atteint les 40 ans… c’est tout simplement parce que de tels pays n’existent que depuis une vingtaine d’années, qu’ils se comptent sur les doigts d’une main, et qui plus est, il s’agit de pays riches… avec un échantillon aussi petit et un recul aussi faible, comment tirer une conclusion valable ?

          [Je vous rejoins sur le pessimisme de la jeunesse, en tous cas celle que je côtoie tous les jours en classe. Ce pessimisme vient en premier lieu de la question écologique: beaucoup sont persuadés qu’on va vers la catastrophe et sont dans une posture de flagellation de l’espèce humaine, coupable de crimes contre la nature! Non seulement tout va mal, mais en plus nous l’avons bien mérité!]

          En bon vieux marxiste – on ne se refait pas – mon penchant naturel me conduit à rechercher un lien entre l’idéologie et les rapports matériels. Les idéologies n’apparaissent pas par hasard, et ne deviennent pas dominantes simplement parce qu’elles disent vrai. Une idéologie devient dominante parce qu’elle permet de donner un sens à une structure économique. La question est donc de savoir quels sont les intérêts qui profitent du fait que les gens soient convaincus qu’on va vers la catastrophe et que nous sommes les seuls coupables.

          Vous noterez qu’il y a une remarquable cohérence dans les idéologies dominantes : pendant que l’écologie dominante nous explique qu’il faudra se contenter de peu et qu’il n’y a pas d’alternative, l’économie dominante nous explique qu’il faudra travailler plus et gagner moins pour être compétitifs, et qu’il n’y a pas d’alternative. La « dette écologique » et la « dette économique » apparaissent en même temps comme problème fondamental. Quelle coïncidence, n’est-ce pas ?

          [Dans tous les cas, je souhaite vous dire que votre blog n’est pas si pessimiste qu’il n’y paraît. Au contraire, en dissipant des peurs illusoires (nucléaire, machiavélisme des élites…) et en se concentrant sur les combats essentiels, il augmente la clairvoyance et renforce la détermination. J’y ai trouvé en 2019 autant de raisons de m’inquiéter que des raisons de vouloir me battre.]

          Merci beaucoup, c’est peut-être ce qu’on m’a dit de plus gentil dans cette nouvelle année. J’ai toujours peur d’être trop pessimiste en étant réaliste, et de décourager ainsi les bonnes volontés et les bons combats. Mais peut-être qu’aujourd’hui seule la lucidité peut éviter le découragement ?

  12. Sami dit :

    Meilleurs vœux !
    C’est à chaque fois très enrichissant de vous lire, en ces temps de désespérance (déshérence?) politique (les GJ en sont l’incarnation, puisqu’un tel mouvement, si profond, si authentique, si intéressant, ne trouve justement nul par où … s’incarner ! Ce qui au passage, plonge la caste politique et médiatique dans une certaine consternation dubitative).
    C’est très enrichissant, parce que vous ouvrez à chaque fois de nouvelles perspectives, de nouveaux points de vue, et toujours avec le souci du débat politique authentique, loin de la lassitude des discours ambiants. Et aussi, souvent, vous mettez des mots et de la structure sur des idées qui hantent l’air du temps, mais restent souvent confuses, difficiles à ordonner (puisque rares sont les intellectuels qui font leur “boulot” dans les règles de l’art)
    Bref, continuez donc à tracer la route !

    • Descartes dit :

      @ Sami

      [Bref, continuez donc à tracer la route !]

      Je vous remercie beaucoup, ainsi qu’à tous les intervenants qui m’ont adressé des messages d’encouragement. Bien sur, si je tiens ce blog, c’est que j’y trouve mon compte. Mais c’est une satisfaction de savoir que ce qui m’intéresse intéresse aussi d’autres, et que le travail fait ici est apprécié.

  13. Laurent dit :

    Excellente année à vous !
    2020 sera je l’espère un grand cru politique , la parole se libère avec Zemmour 4 soirs par semaine et personnellement j’attend beaucoup du prochain livre de Patrick Buisson annoncée en début d’année. Bien que je suis loin d’être d’accord sur tout avec ces personnages , je trouve qu’ils ont au moins le mérite de secouer le cocotier médiatique qui ronronnait tranquillement dans sa bien-pensance.
    Et avec en plus le brexit qui s’annonce , j’avoue que je serai déçu de voir l’oligarchie sortir indemne de cette année !

    • Descartes dit :

      @ Laurent

      [2020 sera je l’espère un grand cru politique , la parole se libère avec Zemmour 4 soirs par semaine et personnellement j’attend beaucoup du prochain livre de Patrick Buisson annoncée en début d’année.]

      Je ne partage pas les obsessions de Zemmour, mais dans ses interventions il y a de la culture et de l’intelligence, et cela devient tellement rare… Personnellement, ce qui m’attriste le plus est que les idées viennent de ce côté-là, que ce soit la droite réactionnaire qui défriche le terrain alors que la gauche, qui est censée porter l’étendard du progressisme se disperse dans des faux combats ou se contente de répéter comme un mantra les mêmes choses.

      [Et avec en plus le brexit qui s’annonce, j’avoue que je serai déçu de voir l’oligarchie sortir indemne de cette année !]

      La bataille du Brexit n’est pas encore gagnée, et on peut compter sur le « bloc dominant » pour faire tout son possible pour que cela se passe mal. Une fois le traité voté, il faudra se saisir des manettes de la souveraineté retrouvée et définir une politique pour les utiliser au mieux. Johnson saura-t-il le faire ?

      • Yoann dit :

        (mais dans ses interventions il y a de la culture et de l’intelligence, et cela devient tellement rare]

        C’est indéniable qu’il a une forme d’intelligence. Mais à la différence d’un vrai historien comme Noiriel qu’on invite sur une période de 2 semaines pour un livre qui a demander 5 ans de boulot, Zemmour est présent tout les jours à la télé. Et la société du buzz fait qu’on parle de lui partout…

        Sans parler de ce petit jeu qui consiste a crier à la censure (utiliser la réactance, effet “Streisand”) c’est bien plus efficace que n’importe quelle discussion appuyé sur l’histoire…

        • Descartes dit :

          @ Yoann

          [C’est indéniable qu’il a une forme d’intelligence. Mais à la différence d’un vrai historien comme Noiriel qu’on invite sur une période de 2 semaines pour un livre qui a demandé 5 ans de boulot, Zemmour est présent tous les jours à la télé. Et la société du buzz fait qu’on parle de lui partout…]

          Je ne crois pas que ce soit une question de « société du buzz ». Depuis que le monde est monde, il y a eu des savants qui parlaient à des audiences savantes, et des batteurs d’estrade qui parlaient à la masse. Rares sont les « vrais historiens » et d’une façon générale les vrais savants capables de retenir l’attention de monsieur et madame Michu qui s’installent devant la télé après une journée de travail éreintante. C’est un métier, celui de chroniqueur. Un métier différent de celui d’historien ou de scientifique. Zemmour est un excellent chroniqueur : il est vif, il est intéressant, il est intelligent, il est cultivé et sait transmettre. Ce n’est pas un scientifique, et il ne prétend d’ailleurs pas l’être. Il parle « avec les tripes » ce qui forcément peut le conduire à des inexactitudes ou des excès. Mais s’il parlait avec la pure raison, croyez-vous qu’il serait écouté ?

          [Sans parler de ce petit jeu qui consiste a crier à la censure (utiliser la réactance, effet “Streisand”) c’est bien plus efficace que n’importe quelle discussion appuyé sur l’histoire…]

          Crier à la censure lorsqu’on est effectivement censuré, cela ne me paraît pas déraisonnable. Il faut quand même réaliser que tous les lieux d’expression « sérieux » lui sont fermés. Alors que c’est une personnalité connue et que ses livres se sont très bien vendus, on chercherait en vain une tribune de lui dans « Le Monde », qui pourtant publie n’importe quel « intellectuel » qui vend à 50.000 exemplaires. Aujourd’hui, Zemmour Il ne peut s’exprimer que dans des médias « populaires », et seulement aussi longtemps qu’il alimente son personnage « scandaleux ». Cela l’emprisonne d’ailleurs dans une logique de scandale : il est obligé de jeter de l’huile sur le feu en permanence, sans quoi il serait rapidement mis au placard.

          La gauche a eu en son temps son Zemmour: c’était Coluche, qu’on cite aujourd’hui complaisamment comme si ses saillies étaient l’expression de l’ultime sagesse… et à son propos aussi on parlait de “censure”.

          • Yoann dit :

            [ peut le conduire à des inexactitudes ou des excès]

            Zemmour révolutionne l’histoire (en dix leçons à suivre sur … CNews)

            Oui enfin… C’est ni des excès ni des inexactitude.

            [Il faut quand même réaliser que tous les lieux d’expression « sérieux » lui sont fermés]

            En même temps, d’une part. Et d’autre part est-ce là que ce joue la bataille de l’opinion ? Il vaut mieux écrire dans le monde ou avoir une émission qui fait le buzz à cause des dérapages ?

            [La gauche a eu en son temps son Zemmour: c’était Coluche, qu’on cite aujourd’hui complaisamment comme si ses saillies étaient l’expression de l’ultime sagesse]

            Lui était un bon humoriste au moins, donc je le rapprocherais plus d’un Dieudo (mais qui n’est pas devenu obsédé d’une cause quelconque à la Dieudo)… Mais en effet cette tendance à le prendre au sérieux à fait pas mal de dégâts en effet.

            • Descartes dit :

              @ Yoann

              [« peut le conduire à des inexactitudes ou des excès » (…) Oui enfin… C’est ni des excès ni des inexactitude.]

              Le plus drôle est que dans la référence que vous proposez, ou Noiriel accuse sarcastiquement Zemmour de « révolutionner l’histoire », il se permet des excès et des inexactitudes qui n’ont rien à envier à celles de Zemmour. Ainsi, pour ne donner qu’un exemple, Noiriel fait sienne l’idée que « Voltaire avait mené un combat acharné contre la monarchie absolue, pour défendre la justice et la liberté d’expression ». Ce qui est pour le moins osé. Voltaire n’est pas particulièrement critique de la « monarchie absolue », et son idéal de gouvernement est plus proche d’un despotisme éclairé que d’une démocratie. Il a d’ailleurs entretenu d’excellentes relations avec les despotes éclairés de son temps. Son ennemi était moins la monarchie absolue que le système clérical. Lorsque Voltaire parle de « liberté d’expression », c’est moins contre la censure des princes que contre celle de l’Eglise qu’il se bat. On notera d’ailleurs que la formule « je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites me je me battrai jusqu’à la mort pour que vous puissiez le dire », qu’on attribue à Voltaire, n’est pas de lui : elle apparaît écrite pour la première fois dans le livre « The friends of Voltaire » de la britannique Evelyn Beatrice Hall, publié en 1906.

              Dans ce texte, Noiriel ne fait pas œuvre d’historien, mais de polémiste. Il se met au niveau de Zemmour, et ne fait guère mieux que lui, mélangeant des « inexactitudes » avec des jugements de valeur.

              [« Il faut quand même réaliser que tous les lieux d’expression « sérieux » lui sont fermés » En même temps, d’une part. Et d’autre part est-ce là que ce joue la bataille de l’opinion ? Il vaut mieux écrire dans le monde ou avoir une émission qui fait le buzz à cause des dérapages ?]

              Dans « Le Monde », sans aucun doute. Pourquoi croyez-vous que les intellectuels se battent pour écrire des tribunes dans « Le Monde » plutôt que pour passer dans BFMTV ? Vous parlez de la « bataille de l’opinion » comme s’il n’y avait qu’une seule « opinion ». Mais il y a plusieurs. Il y a « l’opinion » qui lit « Le Parisien » et regarde BFMTV, et « l’opinion » qui lit « Le Monde » et écoute France Culture. Et si la première est plus nombreuse, c’est la seconde qui détient l’essentiel du pouvoir. La possibilité d’influencer cette dernière est bien plus intéressante, parce que ce sont les « buzz » de « Le Monde » qui font tomber les gouvernements.

              [« La gauche a eu en son temps son Zemmour: c’était Coluche, qu’on cite aujourd’hui complaisamment comme si ses saillies étaient l’expression de l’ultime sagesse » Lui était un bon humoriste au moins,]

              Coluche un « bon humoriste » ? Personnellement, je ne l’ai jamais trouvé amusant. Raymond Devos était un grand humoriste, Pierre Desproges était un bon humoriste, Thierry Le Luron était un bon humoriste. Ils avaient des choses intelligentes à dire, et le disaient intelligemment. Mais Coluche ? Franchement ? Où est l’intelligence, la finesse, la tendresse ?
              L’humour de Coluche – si on me pardonne d’utiliser le mot « humour » dans ce contexte – est un humour de débiles. Il a eu du succès parce qu’il correspondait aux attentes d’un public, les soixante-huitards, qui s’imaginaient que parce qu’on disait « merde » ou « con » sur les ondes nationales on avait changé le monde. Et puis Coluche accompagnait aussi la volonté des dits soixante-huitards de dévaluer la figure de l’ouvrier – assimilé au beauf idiot et raciste – pour mettre à sa place le marginal, le taulard, le SDF. Opération qui aboutira au triomphe dans les années 1980 du « charity business » avec les « restos du cœur » (rien à voir avec les méprisables syndicats et organisations de secours ouvriers) sous les applaudissements ébahis de la mitterrandie.

              Le seul intérêt de Coluche, c’est d’être à la fois le symbole et le résumé d’une époque. Il résume à lui seul trois décennies de capitulations intellectuelles.

            • Yoann dit :

              [ Opération qui aboutira au triomphe dans les années 1980 du « charity business » avec les « restos du cœur » (rien à voir avec les méprisables syndicats et organisations de secours ouvriers) sous les applaudissements ébahis de la mitterrandie.]

              Bon la dessus je suis d’accord.

              Disons qu’il incarne en effet une époque : le renoncement massif à l’idée que la politique peut changer les choses. Et qu’il vaut mieux agir soit même directement (association) que de chercher a modifier les choses en profondeur.

              Sinon il me faisait rire gamin. Peut être qu’une réécoute me fera changer d’opinion, surtout que j’ai un peu plus de recule en terme d’idées politiques (et comme je l’ai dis il a fait du mal a dire beaucoup de conneries, mais en même temps ce qu’il dit est présent dans les têtes même des ouvriers qui répète encore des phrases de Coluche comme des vérités).

            • Descartes dit :

              @ Yoann

              [Disons qu’il incarne en effet une époque : le renoncement massif à l’idée que la politique peut changer les choses. Et qu’il vaut mieux agir soit même directement (association) que de chercher à modifier les choses en profondeur.]

              Oui. Mais cet « agir soi-même directement » s’adresse aux symptômes, pas aux causes. On donne à manger aux pauvres, on ne s’interroge plus sur le pourquoi de cette pauvreté. Ce qui permet aux classes intermédiaires triomphantes de se donner une bonne conscience et un visage avenant à faible coût, et accessoirement de culpabiliser les couches populaires, sommées de rendre grâce à dieu de ne pas être SDF. Coluche, Renaud et les autres « faux rebelles » ont été les porte-étendard de cette idéologie.

              [Sinon il me faisait rire gamin.]

              Je ne crois avoir jamais été assez gamin pour avoir ri aux éructations de Coluche. Déjà, je n’ai jamais aimé les comiques qui crient sur scène, et encore moins ceux qui n’ont aucune tendresse pour leurs personnages. Devos est un grand comique, Chaplin est un grand comique, parce que tous deux savent susciter une émotion. Coluche, bof.

              [Peut être qu’une réécoute me fera changer d’opinion, surtout que j’ai un peu plus de recul en terme d’idées politiques (et comme je l’ai dit il a fait du mal à dire beaucoup de conneries, mais en même temps ce qu’il dit est présent dans les têtes même des ouvriers qui répète encore des phrases de Coluche comme des vérités).]

              J’ai beaucoup travaillé sur les chantiers, et je ne me souviens pas d’avoir entendu une fois citer Coluche. Je pense que vous trouverez beaucoup plus du Coluche dans la bouche des enseignants que dans celle des ouvriers…

            • Yoann dit :

              [J’ai beaucoup travaillé sur les chantiers, et je ne me souviens pas d’avoir entendu une fois citer Coluche. Je pense que vous trouverez beaucoup plus du Coluche dans la bouche des enseignants que dans celle des ouvriers…]

              Je voie Coluche en boucle dans le mouvement des gilets jaunes…

            • Descartes dit :

              @ Yoann

              [Je vois Coluche en boucle dans le mouvement des gilets jaunes…]

              Oui, mais en négatif: les Gilets Jaunes sont très représentatifs des “beaufs” sur lesquels Coluche crachait à longueur de journée…

      • BolchoKek dit :

        @ Descartes

        [La bataille du Brexit n’est pas encore gagnée, et on peut compter sur le « bloc dominant » pour faire tout son possible pour que cela se passe mal.]

        Le moins que l’on puisse dire c’est que Johnson a quand même collé une claque fracassante aux obstructeurs aux dernières élections. Depuis le temps que cette affaire patauge, il a quand même beaucoup avancé en peu de temps.
        Je suis surpris d’ailleurs de ne pas avoir vu de commentaire de ta part à ce sujet… C’est quand même particulier, les conservateurs qui gagnent des élections aussi largement, avec un programme franchement social… qui a d’ailleurs fait un tabac auprès du vote populaire du nord qui jusque là s’abstenait ou votait Labour par atavisme. Le pauvre Corbyn fait peine à voir ces jours-ci.

        • Descartes dit :

          @ BolchoKek

          [Le moins que l’on puisse dire c’est que Johnson a quand même collé une claque fracassante aux obstructeurs aux dernières élections.]

          Oui. Et cette claque pose quand même pas mal de questions. On dirait que Johnson a su lire correctement l’état d’esprit du peuple britannique, là où ses adversaires ont fait une campagne centrée sur le yuppie londonien. Etrange, non ? de voir un pur produit du système aristocratique britannique (Eton, Oxford…) comprendre son peuple, alors que les travaillistes, avec leur tradition syndicale et politique, sont à côté de la plaque. Je ne peux ne pas faire le parallèle avec De Gaulle, personnage dont on peut difficilement dire qu’il venait ou qu’il avait des liens étroits avec la France populaire. Et pourtant, il semblerait que ce soit ce genre de personnalités, enracinés dans un « pays profond » plus idéalisé que réel, qui soient les mieux armés pour comprendre charnellement leur pays…

          [Je suis surpris d’ailleurs de ne pas avoir vu de commentaire de ta part à ce sujet…]

          J’étais sur une autre ligne de pensée, essayant plutôt de comprendre la dynamique du mouvement social – j’ai promis un papier sur la question dans ma dernière livraison. Mais t’en fais pas, ça arrivera…

          [C’est quand même particulier, les conservateurs qui gagnent des élections aussi largement, avec un programme franchement social… qui a d’ailleurs fait un tabac auprès du vote populaire du nord qui jusque-là s’abstenait ou votait Labour par atavisme. Le pauvre Corbyn fait peine à voir ces jours-ci.]

          Mais cela correspond un peu à ce qu’on observe partout : la reprise par la droite nationaliste des problématiques sociales laissées en déshérence par la gauche. Ce qui a porté Johnson, c’est qu’il a eu le courage de choisir. Alors que les leaders politiques aujourd’hui pratiquent la logique des « cibles » venue du marketing – on divise la population en catégories, puis on cherche à plaire à chaque catégorie séparément en lui tenant un discours adapté – Johnson a tenu un discours univoque et simple, et prié ceux qui ne partageaient pas cette ligne de se soumettre ou se démettre. Corbyn, à l’inverse, a donné le spectacle d’un leader qui refuse de choisir – Brexit or not Brexit, sionisme or not sionisme – de peur de déplaire à une partie de son électorat. Et à la fin, il a perdu sur tous les tableaux.

          • Ian Brossage dit :

            @Descartes

            > Corbyn, à l’inverse, a donné le spectacle d’un leader qui refuse de choisir – Brexit or not Brexit, sionisme or not sionisme – de peur de déplaire à une partie de son électorat.

            À la décharge de Corbyn, il lui aurait été impossible de prendre une position clairement pro-Brexit, vu la virulence extrême des nombreux Remainers de son parti (il faut voir le traitement du sujet dans the Guardian et the Independent, journaux « de gauche » : ça tient de la caricature, on a l’impression de lire des tracts militants). Il ne pouvait pas non plus prendre une position clairement pro-Remain à moins de renier totalement ses idées. La seule solution honnête aurait été de démissionner, mais il ne voulait probablement pas faire ce cadeau à ses adversaires de l’intérieur.

            Le traitement quasi-haineux réservé à Corbyn par une partie de la gauche ressemble un peu à de l’anti-communisme, je trouve. Par contre, sur la question du sionisme et les accusations d’antisémitisme, il semble bien s’être fourvoyé personnellement.

            Ceci dit, le Labour vient de trouver une nouvelle occasion de se tourner en ridicule en proposant un nouvel amendement pour retarder le Brexit.

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [À la décharge de Corbyn, il lui aurait été impossible de prendre une position clairement pro-Brexit, vu la virulence extrême des nombreux Remainers de son parti (il faut voir le traitement du sujet dans the Guardian et the Independent, journaux « de gauche » : ça tient de la caricature, on a l’impression de lire des tracts militants).]

              Pensez-vous que la « virulence » des « remainers » conservateurs ait été moins grande ? Je ne le crois pas un instant. Plus feutrée peut-être, mais pas moins virulente. Et n’oubliez pas que les milieux économiques et tout particulièrement la City, dont le soutien y compris financier est si important pour le parti conservateur, étaient très largement pro-remain. Pensez aussi à la révolte des députés conservateurs « remain ». Johnson a eu le courage de les défier et même de les exclure du parti conservateur contre l’avis de sa base, pas Corbyn.

              La différence entre Corbyn et Johnson est que Corbyn a fait une campagne en pensant à ses militants, alors que Johnson a fait une campagne pensant aux électeurs. Il faut dire que Johnson partait gagnant, et qu’il savait que la victoire assurerait sa position dans son parti, alors que Corbyn partait perdant, et savait que son maintien à la tête du parti dépendait des militants les plus radicaux…

              [Ceci dit, le Labour vient de trouver une nouvelle occasion de se tourner en ridicule en proposant un nouvel amendement pour retarder le Brexit.]

              Le parti travailliste illustre la dérive de la gauche : que ce soit aux Etats-Unis avec Sanders, en Grande Bretagne avec Corbyn ou en France avec Hamon, les partis socio-démocrates dans ce qui se prétend un coup de barre à gauche reprennent les problématiques qui intéressent essentiellement les classes intermédiaires métropolitaines (politiques de genre, repentances diverses, écologie…) et laissent de côté les couches populaires, qui sont alors récupérées facilement par la droite ou l’extrême droite.

            • Ian Brossage dit :

              @Descartes

              > Pensez-vous que la « virulence » des « remainers » conservateurs ait été moins grande ? Je ne le crois pas un instant.

              Les conservateurs ont toujours été eurosceptiques. Même les Remainers s’y accomodent assez bien d’un Brexit (ils sont simplement effrayés par un Brexit sans accord). Les Remainers « de gauche », eux, voulaient absolument rester dans l’UE et ils ont passé leur temps à exiger un second référendum.

              > Pensez aussi à la révolte des députés conservateurs « remain ». Johnson a eu le courage de les défier et même de les exclure du parti conservateur contre l’avis de sa base, pas Corbyn.

              Il s’agit d’une dizaine de députés. Au Labour, on parle probablement de la majorité des députés. Corbyn n’aurait jamais pu les exclure.

              En fait, si un autre que Corbyn avait été à la tête de Labour, il est probable qu’une orientation pro-Remain aurait été décidée, ce qui aurait éventuellement permis une alliance avec les libéraux-démocrates et mis en danger l’application du Brexit. Quelque part, la présence de Corbyn à la tête du Labour a contribué à sauver le Brexit…

              Je pense qu’en l’occurrence Corbyn a été un personnage tragique. Il n’avait pas de bonne solution à sa portée, mais plutôt que de se défiler (en démissionnant par exemple) il a tenu à jouer son rôle jusqu’au bout.

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [« Pensez-vous que la « virulence » des « remainers » conservateurs ait été moins grande ? Je ne le crois pas un instant. » Les conservateurs ont toujours été eurosceptiques. Même les Remainers s’y accomodent assez bien d’un Brexit (ils sont simplement effrayés par un Brexit sans accord).]

              Les Conservateurs britanniques ont toujours été « sceptiques » vis-à-vis du projet de construction d’une « Europe politique » qui abolirait les nations dans une espèce de super-état, s’inscrivant dans la tradition diplomatique britannique dont l’objectif a toujours été d’empêcher l’apparition d’une puissance continentale dominante. Mais de là à dire qu’ils sont « eurosceptiques » au sens où on l’entend chez nous… non, pas tout à fait. Une partie des Conservateurs est farouchement partisane d’un engagement de la Grande Bretagne dans une Europe qui, certes, ne ressemble guère à ce que les eurolâtres français ou allemands imaginent. Je ne suis nullement convaincu que cette fraction conservatrice « s’accommode assez bien d’un Brexit ». Simplement, je pense qu’ils ont une vision beaucoup plus réaliste des rapports de force, et en bons pragmatiques ils ont compris que dès lors que le peuple britannique s’était clairement exprimé pour le Brexit, il ne servait à rien de s’y opposer frontalement. Avec May, ils ont essayé de faire passer un « Brexit Canada Dry » (« il a le look du Brexit, le goût du Brexit, mais ce n’est pas un Brexit ») laissant le Royaume Uni fortement lié à l’UE.

              [Les Remainers « de gauche », eux, voulaient absolument rester dans l’UE et ils ont passé leur temps à exiger un second référendum.]

              Là où les Conservateurs sont pragmatiques, la gauche a fait étalage de ce qu’il y a de pire dans l’idéalisme paternaliste. Ils n’ont pas compris la puissance implicite dans la procédure référendaire, encore plus grande en Grande Bretagne que chez nous, tout simplement parce qu’elle est exceptionnelle et réservée aux décisions ayant le plus grand poids symbolique. Theresa May, qui pourtant n’était pas une « brexiteuse », l’avait parfaitement résumé : « ignorer le résultat du référendum infligerait des dommages irréparables à la démocratie britannique ». Quand on voit les effets délétères qu’a eu en France la décision du monde politique d’ignorer partiellement le résultat du référendum de 2005 (et si je dis « partiellement », c’est que le traité de Lisbonne ne reprend pas toutes les dispositions du TCE et n’a pas, contrairement au TCE, un statut constitutionnel), on ne peut lui donner tort.

              La gauche a traité les citoyens britanniques comme des enfants capricieux. Elle a attribué le vote aux « mensonges » racontés par le camp du Brexit, comme si les électeurs du XXIème siècle en étaient encore à prendre pour de l’argent comptant les discours des politiques. Elle a cru que le vote état le résultat d’un caprice, et que le peuple allait changer d’avis en quelques semaines ou quelques mois. Il a compté sur le discours de la peur là où les « brexiters » tiennent le discours de l’enthousiasme.

              Ce qui frappe ici c’est la méconnaissance que les travaillistes en particulier et les « remainers » de tout bord en général ont montré de leur propre électorat. Faut-il voir le même effet qu’on peut observer en France et qui a coupé les partis politiques de leurs « racines » électorales à force de tourner en circuit fermé, d’avoir des élus qui se soucient plus de ce qui se passe « en haut » de ce qui se passe « en bas », chez leurs électeurs ?

              [« Pensez aussi à la révolte des députés conservateurs « remain ». Johnson a eu le courage de les défier et même de les exclure du parti conservateur contre l’avis de sa base, pas Corbyn. » Il s’agit d’une dizaine de députés. Au Labour, on parle probablement de la majorité des députés. Corbyn n’aurait jamais pu les exclure.]

              Les rebelles conservateurs n’ont été que qu’une dizaine parce que Johnson a coupé les têtes dès le départ. Aurait-il fait preuve de faiblesse à leur égard qu’ils seraient devenus beaucoup plus nombreux. Corbyn aurait pu faire de même, mais il aurait fallu le faire beaucoup plus tôt, et à partir d’un choix explicite et sans équivoque. En fait, l’erreur a été commise par Corbyn dès 2016, lors du référendum. C’est à ce moment-là qu’il aurait dû faire arbitrer la ligne du parti travailliste – quitte à exclure les dissidents – et s’y tenir ensuite. Johnson a été crédible parce qu’il a soutenu une ligne claire et constante depuis la campagne pour le référendum.

              [En fait, si un autre que Corbyn avait été à la tête de Labour, il est probable qu’une orientation pro-Remain aurait été décidée, ce qui aurait éventuellement permis une alliance avec les libéraux-démocrates et mis en danger l’application du Brexit. Quelque part, la présence de Corbyn à la tête du Labour a contribué à sauver le Brexit…]

              Je ne suis pas convaincu par ce scénario. Le problème des travaillistes, c’est qu’il y a plusieurs partis dans le parti. Il y a le parti des élus, il y a le parti des militants, il y a le parti des syndicalistes. Et leurs marottes, leur lignes rouges et leur poids n’est pas le même. Le parti des élus n’aurait jamais accepté une position « leave », celui des syndicalistes n’aurait jamais pu tenir sur une position « remain ». Le problème aurait été le même avec n’importe quel autre leader.

              [Je pense qu’en l’occurrence Corbyn a été un personnage tragique. Il n’avait pas de bonne solution à sa portée, mais plutôt que de se défiler (en démissionnant par exemple) il a tenu à jouer son rôle jusqu’au bout]

              Un “personnage tragique” ? Il lui manque le composant essentiel de la tragédie qu’est la grandeur. Un drame tout au plus… avec des côtés farce !

            • Ian Brossage dit :

              @Descartes

              > Une partie des Conservateurs est farouchement partisane d’un engagement de la Grande Bretagne dans une Europe qui, certes, ne ressemble guère à ce que les eurolâtres français ou allemands imaginent. Je ne suis nullement convaincu que cette fraction conservatrice « s’accommode assez bien d’un Brexit ».

              Je ne sais pas. Mais ce sont les conservateurs pro-marché commun qui, avec Cameron, avaient lancé d’âpres négociations avec l’UE pour essayer d’obtenir d’autres conditions, précisément par peur de cette dérive fédéraliste. Avec la perspective explicitement annoncée d’un référendum sur la sortie de l’UE, si les négociations devaient échouer (ce qui est arrivé).

              Il y avait donc dès le début l’idée qu’un échec des négociations pouvait mener à une sortie de l’UE. Probablement pas de gaîté de coeur pour les pro-UE (Cameron a tout de même fait campagne pour le « Remain »), mais apparemment cela ne constituait pas une ligne rouge infranchissable.

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [Je ne sais pas. Mais ce sont les conservateurs pro-marché commun qui, avec Cameron, avaient lancé d’âpres négociations avec l’UE pour essayer d’obtenir d’autres conditions, précisément par peur de cette dérive fédéraliste. Avec la perspective explicitement annoncée d’un référendum sur la sortie de l’UE, si les négociations devaient échouer (ce qui est arrivé). Il y avait donc dès le début l’idée qu’un échec des négociations pouvait mener à une sortie de l’UE.]

              Je ne le crois pas. Je pense que les conservateurs pro-UE étaient pris en étau par l’hostilité croissante de l’opinion publique à l’égard de l’Union européenne, dont témoignait la montée de l’UKIP. Je pense qu’ils ont compris que le statu quo allait devenir intenable, et que tôt ou tard cette exaspération allait remettre en cause la place du Royaume-Uni dans l’UE. Pour sauver l’appartenance à l’UE, ils ont cherché à couper l’herbe sous le pied des eurosceptiques en négociant avec l’UE des « exemptions » sur les domaines ou la logique de l’UE heurtait le plus le publique britannique.

              Dans ce contexte, le référendum était le bouton nucléaire. Il était là pour ne pas être utilisé. Les pro-UE britanniques ont cru naïvement que l’UE serait suffisamment effrayée par la perspective d’un Brexit pour faire les concessions demandées, ce qui aurait permis à coup sûr de gagner le référendum – ou de ne pas le faire. Mais le calcul était faux : d’une part, l’UE ce n’est pas la Communauté des années 1980. L’Allemagne n’en est plus à défendre sa réadmission à l’espèce humaine, elle est redevenue une puissance qui n’entend pas tolérer – on l’a vu en Grèce – une rébellion parmi ses vassaux. La France n’en est plus non plus disposée à consentir n’importe quelle capitulation au nom de « l’unité de l’Europe ». Il ne suffit donc plus de taper sur la table en criant « I want my money back » pour partir avec un chèque.

              D’autre part, le niveau intellectuel des élites bruxelloises est très faible et leur curiosité nulle. Dans les palais européens, on jauge fort mal les équilibres politiques des pays membres. De la même façon qu’en 2005 ils avaient donné pour acquis le « oui » français au TCE, l’establishment bruxellois a donc cru jusqu’au bout que le référendum britannique ne pouvait que donner un seul résultat : la victoire du « oui » à l’Europe. Comment le peuple pourrait dire « non » au Beau et au Bien ? Ils ont donc traité par le mépris les menaces britanniques, et n’ont fait aucun effort pour renforcer la main de Cameron.

              Les conservateurs pro-EU se sont donc trouvés dans une situation impossible. Ils ont cru que puisqu’ils étaient pro-UE, l’UE aurait l’intelligence de leur faciliter la tâche, et ils se sont trompés. Je ne pense pas un instant que les pro-UE qui ont lancé ce processus aient cru qu’ils se trouveraient dans une telle situation, que le processus initié par Cameron pouvait conduire à une sortie. Leurs adversaires non plus d’ailleurs, d’où le désarroi qui a suivi le référendum : personne en fait ne s’était préparé à cette issue. Pro-EU et anti-EU ont dans cette affaire un point commun: tous deux ont surestimé l’intelligence politique de l’establishment européen.

            • Gugus69 dit :

              —Pro-EU et anti-EU ont dans cette affaire un point commun: tous deux ont surestimé l’intelligence politique de l’establishment européen.—

              Il semble aussi qu’ils ont gravement sous-estimé le patriotisme économique des classes populaires britanniques.
              Et leur intelligence politique…

  14. Olivier ROGERS dit :

    très belle année à vous et à votre site, cher René !
    Avez-vous lu le bouquin de Jérôme Sainte-Marie, la dynamique du macronisme? Je l’ai trouvé très stimulant.
    Tous mes voeux et encore merci
    Rogers

    • Descartes dit :

      @ Olivier ROGERS

      [très belle année à vous et à votre site, cher René ! Avez-vous lu le bouquin de Jérôme Sainte-Marie, la dynamique du macronisme? Je l’ai trouvé très stimulant.]

      D’une façon générale, je me méfie des livres écrits par les « spin doctors », venus du conseil ou des études d’opinion. Ils ont une certaine tendance à suivre le courant et à enfoncer des portes ouvertes. Mais puisque vous le recommandez je vais essayer de le regarder pour voir ce qu’il dit. Si j’ai bien compris les commentaires, il place le macronisme dans la logique de polarisation « populistes-progressistes » qui semble à l’œuvre dans l’ensemble du monde occidental… je ne conteste pas la constatation, la question est de savoir comment on en est arrivé là, et quel est le rapport de classes que cette idéologie sous-tend.

  15. Luc dit :

    Meilleurs voeux chers Descartes.
    Bravo pour vos expertises entre autre , d’animateur , de ce blog .
    Votre blog constitue une facette importante de ma joie de vivre et je vous en remercie.😏🌈
    Cette période est en effet propice aux émergences imprévus par le bloc dominant .
    La collusion totale de 100% des grands médias au macronisme est devenue incontestable.
    La CGT retrouve un rôle central.
    Bien sûr ce sont des balbutiements.
    Les erreurs commises par Macron , sur ces dossiers retraites , ne constituent elles pas un évènement inattendu pouvant impacter l’avenir ?

    • Descartes dit :

      @ Luc

      [Les erreurs commises par Macron, sur ces dossiers retraites, ne constituent-elles pas un évènement inattendu pouvant impacter l’avenir ?]

      Je ne suis pas sûr qu’il faille parler « d’erreur », ce qui suppose de juger la stratégie choisie plus que le fond de l’affaire. Je trouve plus intéressant de regarder les choix de Macron en essayant de comprendre la vision du monde qui les sous-tend. Il est clair que Macron et les siens ont sous-estimé très largement la difficulté de cette réforme. Je ne parle pas de la difficulté politique pour la faire accepter par tel ou tel groupe qui peut voir ses intérêts menacés, mais de la difficulté de construire un système qui soit à la fois unifié et qui puisse prendre en compte l’extraordinaire diversité du monde du travail. Et de le faire tout en conservant la confiance dans la solidarité intergénérationnelle qui est le fondement du système par répartition.

  16. marc.malesherbes dit :

    une question sur le franc CFA

    j’ai compris qu’on avait décidé de l’abandonner. Très bien.
    Mais j’ai aussi compris que la nouvelle monnaie allait avoir un rapport fixe avec l’euro. Quelle erreur ! Il semble qu’ils n’aient rien appris des errements de l’Argentine qui s’étaient eux arrimés au dollar. Mais après tout c‘est leur problème.
    Mais j’ai compris également que la Banque de France allait être le garant en dernier ressort de cette monnaie. Autrement dit nous allons continuer à renflouer leurs errements qui ne manqueront pas d’arriver, d’autant qu’ils auront cette garantie.

    nb: je ne sais ce que vous pensez de notre interventions au Sahel. Une opération sans avenir. Nous finirons par nous retirer dans la honte.

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [Mais j’ai aussi compris que la nouvelle monnaie allait avoir un rapport fixe avec l’euro. Quelle erreur ! Il semble qu’ils n’aient rien appris des errements de l’Argentine qui s’étaient eux arrimés au dollar. Mais après tout c‘est leur problème. Mais j’ai compris également que la Banque de France allait être le garant en dernier ressort de cette monnaie. Autrement dit nous allons continuer à renflouer leurs errements qui ne manqueront pas d’arriver, d’autant qu’ils auront cette garantie.]

      Les pays africains veulent le beurre et l’argent du beurre. Ils veulent leur monnaie unique gérée par les Africains pour les Africains – ce qui entre nous est parfaitement leur droit – mais ils veulent que le méchant colonisateur garantisse le rapport de cette monnaie avec l’Euro. En autres termes, le pouvoir sans la responsabilité. Classique.

      La question de la convertibilité monétaire ne se pose pas de la même manière en Europe et en Afrique. Les économies européennes sont des économies de grande taille gérées par des institutions stables et prévisibles. Dans ces conditions, les « primes de risque » exigées par les financiers pour souscrire leurs emprunts sont relativement faibles. Les pays africains ont des économies de petite taille, avec des problèmes de stabilité institutionnelle importants, des administrations peu efficaces et leurs statistiques sont souvent incomplètes. Les prêteurs et investisseurs exigent des primes de risque importantes. Le fait d’avoir une monnaie commune à parité garantie est donc un plus important, même si l’exemple argentin montre que cette parité doit être ajustable pour éviter que l’économie soit étranglée par un taux de change irréaliste.

      [nb: je ne sais ce que vous pensez de notre interventions au Sahel. Une opération sans avenir. Nous finirons par nous retirer dans la honte.]

      Je ne crois pas. Au départ, l’opération avait pour objectif d’empêcher l’effondrement de l’Etat malien. Et de ce point de vue, le succès me paraît incontestable. Il faut à mon sens arrêter d’imaginer les opérations militaires comme des expéditions, des batailles qu’on gagne pour ensuite rentrer à la maison. Il faut s’habituer à l’idée que certaines interventions impliquent une présence pendant de longues années – peut-être pour toujours – qui s’apparente plus à une police permanente qu’à une intervention « coup de poing ».

  17. Cahen dit :

    Bonjour Monsieur, et bonne année à votre blog.

    Je ne comprends pas ce qui vous gêne dans le juridisme de l’UPR. Je n’imagine pas qu’une sortie de l’UE puisse se faire sans la rupture du contrat qui unit le pays avec l’Union. Ce n’est peut-être pas excitant à entendre, mais c’est une condition nécessaire. Non?
    De plus, il me semble que la référence à l’article 50 est une manière de rendre le problème de la sortie simple. Au Royaume-Uni, étant donné son fonctionnement parlementaire, cette sortie est complexe (exemple : T. May, chef du gouvernement responsable de cette sortie, était Remaineuse). Je ne minore pas là la puissance de l’oligarchie européiste, je donne un argument en faveur du fait de brandir le drapeau ‘article 50’.

    • Descartes dit :

      @ Cahen

      [Je ne comprends pas ce qui vous gêne dans le juridisme de l’UPR. Je n’imagine pas qu’une sortie de l’UE puisse se faire sans la rupture du contrat qui unit le pays avec l’Union. Ce n’est peut-être pas excitant à entendre, mais c’est une condition nécessaire. Non?]

      Non. Ce qui unit les nations à l’UE n’est pas un CONTRAT, mais un TRAITE. Et la différence est fondamentale : lorsque vous, personne privée, signez un contrat, vous le signez sous l’empire des lois qui régissent les contrats, lois qui s’imposent à vous et que vous ne pouvez pas changer. Mais une nation est souveraine, et de ce fait elle n’est soumise à aucune loi sauf celle qu’elle fait elle-même. Une nation n’est liée par les traités qu’elle a signés que lorsqu’elle le veut bien, et elle peut se retirer à tout moment. Pensez à la décision de Trump de se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien. Quel tribunal, quel juge pourrait imposer à l’Etat américain de respecter sa signature ?

      Ce qui me gêne dans le juridisme de l’UPR, c’est que ce juridisme est la négation même du principe de souveraineté. Dire que la France est « juridiquement » obligée de passer par l’article 50 pour quitter l’UE implique admettre que la France est « juridiquement » soumise aux textes européens, autrement dit, qu’elle n’est pas souveraine. Imaginez que l’article 50 était demain abrogé. Concluriez-vous qu’il n’existe plus aucun moyen de sortir de l’UE ? Si vous suivez la position « juridiste » de l’UPR, vous devriez répondre « oui » : si un traité peut imposer à la France des conditions pour sortir de l’UE, on voit mal pourquoi un traité ne pourrait le lui interdire…

      [De plus, il me semble que la référence à l’article 50 est une manière de rendre le problème de la sortie simple.]

      Pouvez-vous m’expliquer en quoi le fait d’être soumis à une procédure particulière rendrait le problème plus « simple » que le fait de revendiquer une liberté complète de dénoncer le traité où et quand cela nous arrange ?

      • Cahen dit :

        Précisément, il s’agit, via l’article 50 qui existe pour le moment, de se retirer de l’UE. De faire “comme Trump”, moins l’arbitraire du chef.
        Lorsque l’article 50 sera abrogé, on en doute, une autre tactique sera nécessaire. Et effectivement, selon votre conception de la souveraineté, cette tactique pourrait être élaborée dès maintenant.
        Pour un parti qui vise au pouvoir suprême (présidence), et qui fait une critique radicale de l’UE (y compris de sa construction originelle), il ne sert à rien de jouer les gros bras (comme JL Mélanchon) en annonçant une liberté complète “où et quand cela” arrange. Il est plus LISIBLE d’annoncer la sortie, en attendant la suite (le mot “simple” utilisé n’était peut-être pas adéquat, pardon).

        En fait, j’ai l’impression que le mot “sortie” soit pour vous problématique. Pourriez-vous aborder ce problème, en évoquant aussi le Brexit?

        • Descartes dit :

          @ Cahen

          [Précisément, il s’agit, via l’article 50 qui existe pour le moment, de se retirer de l’UE. De faire “comme Trump”, moins l’arbitraire du chef.]

          Je n’ai pas très bien compris votre idée. Si l’on invoque l’article 50, cela veut dire qu’on se reconnaît implicitement soumis aux traités. On ne peut pas le lundi invoquer le traité, et le dénoncer le mardi. Une fois l’article 50 invoqué, on s’engage moralement à sortir par cette procédure-là, et aucune autre. C’est-à-dire, à accorder aux eurolâtres deux années de répit pour leur bataille d’usure.

          [Lorsque l’article 50 sera abrogé, on en doute, une autre tactique sera nécessaire.]

          Faudrait savoir : si vous me dites aujourd’hui qu’on ne peut sortir autrement qu’en obéissant à la lettre du traité, cela implique que si la lettre du traité ne donne aucune possibilité de sortie on est coincés.

          [En fait, j’ai l’impression que le mot “sortie” soit pour vous problématique. Pourriez-vous aborder ce problème, en évoquant aussi le Brexit?]

          Je ne suis pas sûr de bien comprendre la question. Pour moi, le mot « sortie » n’est en rien « problématique ». Il a au contraire un sens très clair : sortir de l’UE, c’est cesser d’être soumis aux décisions des institutions supranationales de l’Union européenne. Cela n’implique nullement qu’on ne puisse pas signer des accords de coopération commerciale ou autre avec l’Union européenne ou avec les états qui en resteraient membres. Mais il s’agirait alors d’accords « de puissance à puissance », qui n’impliquent pas l’existence d’un pouvoir normatif supranational.

          • Cahen dit :

            Pardon, mais cette fois-ci, vous me semblez de mauvaise foi (à ne pas comprendre que l’appartenance à l’UE est un prédicat binaire : on en est, ou on en est pas).

            En effet, je ne dis pas (ou plus, vue votre pertinente remarque du 8 à 11h18) qu’il est nécessaire d’invoquer l’article 50, je dis que c’est lisible, pour l’électorat, de l’annoncer (et simple : on l’applique, on quitte, et on verra après pour les accords ultérieurs avec l’UE restante). Invoquer l’article 50 n’implique en rien que l’on y soit soumis, c’est un élément de l’UE qui permet de sortir (= ne plus en être) de cette union d’Etats à vocation supranationale. L’acte de souveraineté commence avec l’article 50 (sa mise ne action). Et tout le monde comprend, même si il ne s’imagine pas la suite, ce que sortir veut dire.
            Car qu’appelez-vous, en matière politique (étatique et nationale), “cesser d’être SOUMIS aux décisions des institutions supranationales” ? Cesser d’être soumis n’implique pas sortir. Je me permets cette question car en deux réponses vous utilisez 4 fois le mot, et vous semblez l’utiliser dans le style de “La France Insoumise” qui propose parfois, si j’ai bien compris, exactement ce que vous proposez : désobéir aux traités. Je n’en vois pas l’intérêt, sauf à être européiste.
            (à ce propos (ce mot n’est pas reconnu pas le correcteur d’orthographe :?) je trouve non politique le terme d’eurolâtre)

            Elevons le débat : pourquoi la France est-elle (encore) membre de l’UE? C’est bon pour qui? Pourquoi voudriez-vous en être, mais pas “soumis”?

            • Descartes dit :

              @ Cahen

              [Pardon, mais cette fois-ci, vous me semblez de mauvaise foi (à ne pas comprendre que l’appartenance à l’UE est un prédicat binaire : on en est, ou on en est pas).]

              Mais cela veut dire quoi « on est » ou « on n’est pas » ? « Etre » dans l’UE, c’est être soumis aux règles dictées par les institutions supranationales qui gouvernent l’Union. « ne pas en être », c’est ne pas être soumis à ces règles. C’est parfaitement « binaire », en effet. Je ne vois pas en quoi j’aurais contesté ce caractère binaire.

              [Invoquer l’article 50 n’implique en rien que l’on y soit soumis,]

              Pardon. Invoquer une règle, c’est la tenir pour légitime. On ne peut pas dire « j’invoque l’article 50, mais ne me sens pas obligé d’appliquer les règles qu’il énonce ».

              [L’acte de souveraineté commence avec l’article 50 (sa mise ne action). Et tout le monde comprend, même si il ne s’imagine pas la suite, ce que sortir veut dire.]

              Non, justement. La mise en œuvre de l’article d’un traité n’est en rien un « acte de souveraineté » : le fait de respecter les contrats qu’on a signé n’est pas limité aux entités souveraines. C’est au contraire la dénonciation d’un traité (ou le refus d’en appliquer les dispositions) qui est un acte de souveraineté, puisque la possibilité de renier ce qu’on a signé est la marque des entités souveraines.

              [Car qu’appelez-vous, en matière politique (étatique et nationale), “cesser d’être SOUMIS aux décisions des institutions supranationales” ? Cesser d’être soumis n’implique pas sortir.]

              Comment définissez-vous le fait de « sortir de l’UE » ? Pour moi, cesser d’être soumis aux règles de l’UE est la définition même d’une sortie.

              [Je me permets cette question car en deux réponses vous utilisez 4 fois le mot, et vous semblez l’utiliser dans le style de “La France Insoumise” qui propose parfois, si j’ai bien compris, exactement ce que vous proposez : désobéir aux traités. Je n’en vois pas l’intérêt, sauf à être européiste.]

              Absolument pas. La « France Insoumise » parle de désobéir aux dispositions des traités comme moyen pour obtenir la réforme de ceux-ci, en leur conservant leur caractère supranational. En d’autres termes, il ne s’agit pas de cesser d’être soumis à des normes supranationales, c’est d’être soumis à D’AUTRES normes supranationales que celles qui existent aujourd’hui.

              Ce qui me pose problème dans le discours de la France Insoumise, ce n’est pas le fait qu’ils veuillent « désobéir aux traités », c’est l’idée qu’on puisse « désobéir » sur certains points tout en restant soumis aux institutions européennes sur d’autres. Pour ne donner qu’un exemple, LFI nous dit qu’on peut « désobéir aux traités » tout en conservant l’Euro. Or, c’est une absurdité : dès lors qu’on revendique le droit de désobéir aux traités, ceux-ci deviennent caducs puisque la condition d’application des traités est la réciprocité dans leur application.

              [(à ce propos (ce mot n’est pas reconnu pas le correcteur d’orthographe :?) je trouve non politique le terme d’eurolâtre)]

              C’est un néologisme, construit à partir du préfixe « euro », utilisé par les institutions européennes jusqu’à la nausée pour qualifier ses politiques, et du suffixe « âtre » venu du mot grec « latreia », l’adoration. Je ne vois pas en quoi ce mot ne serait pas « politique »…

              [Elevons le débat : pourquoi la France est-elle (encore) membre de l’UE? C’est bon pour qui?]

              Clairement, le bloc dominant, constitué des classes intermédiaires et de la bourgeoisie, en profite largement.

              [Pourquoi voudriez-vous en être, mais pas “soumis”?]

              Je ne comprends pas votre question. J’ai bien dit que pour moi « en être », PAR DEFINITION, c’est être soumis aux règles produites par les institutions supranationales de l’UE. En d’autres termes, il est impossible de « ne pas être soumis » et en même temps « en être »…

  18. Jean-François dit :

    Bonne année Descartes !

    Merci pour tout le temps que vous consacrez à écrire tous ces articles qui poussent autant à la réflexion, et à répondre méthodiquement et de manière si approfondie à chaque message posté sur ce blog.

    Je viens de terminer le dernier livre de Camus de ma pile de livres à lire, et avant de lire les livres que vous m’avez recommandés, j’ai commencé le livre “Sapiens” de Yuval Noah Hariri, qui m’attendait sagement sur une étagère depuis trop longtemps. L’avez-vous lu ? Je pense que non, car il fournit une explication très convaincante sur la difficulté à surmonter l’envie de croire, et il ne me semble pas vous avoir lu reprendre son explication. En deux mots, selon lui, l’homo sapiens a pu devenir le maître du monde non pas grâce à son intelligence, mais grâce à sa capacité à imaginer et à s’unir autour de mythes, à une échelle qui dépasse largement tout ce dont les autres animaux sont capables. Si c’est cette capacité à croire aussi fortement qui nous a permis de dominer toute la planète, ce n’est pas étonnant qu’elle soit si difficile à surmonter quand le sujet du nucléaire ou de l’euro sont évoqués…

    • Descartes dit :

      @ Jean-François

      [j’ai commencé le livre “Sapiens” de Yuval Noah Hariri, qui m’attendait sagement sur une étagère depuis trop longtemps. L’avez-vous lu ?]

      Non, et je ne pense pas le lire. Franchement, ce genre d’intellectuel médiatique postmoderne à la mode qui mélange les problématiques historiques avec ses marottes personnelles suscite chez moi la plus profonde méfiance. Pourquoi pas Werber, puisqu’on y est ?

      [Je pense que non, car il fournit une explication très convaincante sur la difficulté à surmonter l’envie de croire, et il ne me semble pas vous avoir lu reprendre son explication. En deux mots, selon lui, l’homo sapiens a pu devenir le maître du monde non pas grâce à son intelligence, mais grâce à sa capacité à imaginer et à s’unir autour de mythes, à une échelle qui dépasse largement tout ce dont les autres animaux sont capables.]

      Dire que la capacité symbolique soit le propre de l’homme, c’est enfoncer une porte ouverte. C’est cette capacité de symbolisation qui permet de construire des mythes. Mais le mythe et la croyance sont deux choses très différentes. Le mythe est une construction symbolique détaché de la réalité, alors que la croyance est une affirmation de réalité. Sisyphe est un mythe, mais personne ne croit que Sisyphe ait véritablement existé. Croire que la terre est plate – ou bien ronde, c’est la même chose – revient à affirmer une réalité.

      [Si c’est cette capacité à croire aussi fortement qui nous a permis de dominer toute la planète, ce n’est pas étonnant qu’elle soit si difficile à surmonter quand le sujet du nucléaire ou de l’euro sont évoqués…]

      Encore une fois, c’est la « capacité à croire » ou la « capacité à symboliser » qui a fait la différence ? Personnellement, je pencherais pour la seconde. On peut même soutenir que les animaux aussi ont une « capacité à croire ». Lorsque le chien se voit dans un miroir, il « croit » qu’un autre chien le regarde. Lorsqu’il voit son maître décrocher la laisse, il « croit » qu’on va le faire sortir se promener.

      J’ajoute qu’on pourrait soutenir que ce n’est pas la capacité de croire, mais la capacité à douter qui a permis à l’homme de dominer la planète…

      • Jean-François dit :

        [Non, et je ne pense pas le lire. Franchement, ce genre d’intellectuel médiatique postmoderne à la mode qui mélange les problématiques historiques avec ses marottes personnelles suscite chez moi la plus profonde méfiance. Pourquoi pas Werber, puisqu’on y est ?]

        Werber, ce n’était pas si mal à l’époque des fourmis et des thanatonautes… Je me demande ce qui vous a inspiré cette méfiance envers Harari, peut-être l’avez-vous entendu à la radio et vous a-t-il fait mauvaise impression ? Il est vrai que son livre dépasse le cadre de sa spécialité. Je trouve aussi que les exemples qu’il donne pour appuyer certaines de ses idées sont souvent maladroits, mais ses réflexions me paraissent tout de même très intéressantes.

        [Dire que la capacité symbolique soit le propre de l’homme, c’est enfoncer une porte ouverte. C’est cette capacité de symbolisation qui permet de construire des mythes.]

        Pas de l’homme, mais de l’homo sapiens, contrairement à l’homo neanderthalensis par exemple.

        [Mais le mythe et la croyance sont deux choses très différentes. Le mythe est une construction symbolique détaché de la réalité, alors que la croyance est une affirmation de réalité. Sisyphe est un mythe, mais personne ne croit que Sisyphe ait véritablement existé. Croire que la terre est plate – ou bien ronde, c’est la même chose – revient à affirmer une réalité.]

        Je ne suis pas d’accord, voyez par exemple les définitions de l’Académie Française : https://www.cnrtl.fr/definition/academie9/mythe

        On peut croire en un mythe, ou tout au moins avoir envie d’y croire au point de se laisser aller à oublier qu’il contient un sens allégorique, dans le cas où il en contient un.

        [Encore une fois, c’est la « capacité à croire » ou la « capacité à symboliser » qui a fait la différence ?]

        Selon lui, c’est la capacité à partager une croyance en quelque chose de purement imaginaire. De mémoire, il donne comme exemples la religion, la monnaie, les entreprises et la Nation. Les autres espèces d’hommes n’avaient, selon lui, pas cette capacité.

        [J’ajoute qu’on pourrait soutenir que ce n’est pas la capacité de croire, mais la capacité à douter qui a permis à l’homme de dominer la planète…]

        Le doute est à la base de la méthode scientifique, qui a révolutionné notre condition, mais nous avons dominé la planète bien avant l’émergence des sciences. Et le fait que cela ait eu un tel impact est révélateur : notre envie de croire est si forte que nous avons besoin de méthodes contraignantes pour la vaincre.

        • Descartes dit :

          @ Jean-François

          [Werber, ce n’était pas si mal à l’époque des fourmis et des thanatonautes…]

          Bof.

          [Je me demande ce qui vous a inspiré cette méfiance envers Harari, peut-être l’avez-vous entendu à la radio et vous a-t-il fait mauvaise impression ? Il est vrai que son livre dépasse le cadre de sa spécialité. Je trouve aussi que les exemples qu’il donne pour appuyer certaines de ses idées sont souvent maladroits, mais ses réflexions me paraissent tout de même très intéressantes.]

          Ré-bof. Oui, je l’ai entendu à la radio mais j’ai feuilleté son livre – présenté comme « best seller mondial », une autre raison d’être méfiant. Franchement, le mélange entre l’histoire et le véganisme… pas pour moi.

          [« Dire que la capacité symbolique soit le propre de l’homme, c’est enfoncer une porte ouverte. C’est cette capacité de symbolisation qui permet de construire des mythes. » Pas de l’homme, mais de l’homo sapiens, contrairement à l’homo neanderthalensis par exemple.]

          C’est loin d’être évident. Malheureusement, nous conservons trop peu de traces de cette époque et celles que nous conservons sont trop difficiles à interpréter pour pouvoir donner une réponse définitive à cette question.

          [« Mais le mythe et la croyance sont deux choses très différentes. Le mythe est une construction symbolique détaché de la réalité, alors que la croyance est une affirmation de réalité. Sisyphe est un mythe, mais personne ne croit que Sisyphe ait véritablement existé. Croire que la terre est plate – ou bien ronde, c’est la même chose – revient à affirmer une réalité. » Je ne suis pas d’accord, voyez par exemple les définitions de l’Académie Française : (…)]

          Je m’excuse, mais la définition que vous citez reprend presque exactement mon propos. La première signification indiquée par l’Académie est « Récit fabuleux, transmis par les traditions, qui contient en général un sens allégorique. » On est donc bien sur un récit qui ne prétend pas à être réel. Le deuxième sens est « Représentation qu’un ensemble d’individus, en fonction de ses croyances, de ses valeurs, se fait d’une période, d’un fait, d’une idée, d’un personnage. ». Là encore, on est dans le champ de la représentation, et non de la réalité.

          [On peut croire en un mythe, ou tout au moins avoir envie d’y croire au point de se laisser aller à oublier qu’il contient un sens allégorique, dans le cas où il en contient un.]

          On peut croire ou ne pas croire. Mais le fait qu’on n’y croit pas (au sens qu’on n’imagine pas que les faits mythiques soient réels) ne change en rien à l’existence du mythe. En d’autres termes, il n’est point besoin qu’on y croit pour que le mythe existe : ce n’est pas la croyance qui construit le mythe, mais la symbolisation. Et c’est pourquoi je vous disais que le fait de pouvoir se constituer des mythes et la nécessité de croire sont deux choses différentes.

          [« Encore une fois, c’est la « capacité à croire » ou la « capacité à symboliser » qui a fait la différence ? » Selon lui, c’est la capacité à partager une croyance en quelque chose de purement imaginaire. De mémoire, il donne comme exemples la religion, la monnaie, les entreprises et la Nation. Les autres espèces d’hommes n’avaient, selon lui, pas cette capacité.]

          Mais vous voyez qu’il y a là une énorme confusion. Les entreprises, monnaie ou la Nation ne sont en rien « purement imaginaires ». Lorsque je vais chez le commerçant et j’échange un billet de 10 € contre une marchandise, cet échange est REEL. La monnaie EXISTE REELLEMENT, et la question de « croire » ou non en elle ne se pose pas. Dans cet exemple, on confond la « croyance » et la « confiance ». La monnaie repose sur la « confiance » qu’on peut avoir dans le fait que ce morceau de papier sera accepté par le commerçant – et implicitement, dans le fait que l’Etat utilisera éventuellement la violence pour lui faire accepter si ce n’était pas le cas. Mais cette « confiance » n’est pas une croyance : elle est fondée sur l’expérience.

          J’ajoute que la capacité « à croire en quelque chose de purement imaginaire » n’est pas le monopole de l’être humain. Le chien qui regarde le miroir et « croit » que l’image qu’il voit est celle d’un autre chien « croit » quelque chose de parfaitement imaginaire. Si on se contente du « croire » (c’est-à-dire, de tenir pour vrai ce qui est faux), beaucoup d’animaux ont cette possibilité. Ce qu’aucun animal ne peut faire, c’est de symboliser. Risquer sa vie pour sauver un morceau de toile tricolore, aucun animal ne peut le faire.

          [« J’ajoute qu’on pourrait soutenir que ce n’est pas la capacité de croire, mais la capacité à douter qui a permis à l’homme de dominer la planète… » Le doute est à la base de la méthode scientifique, qui a révolutionné notre condition, mais nous avons dominé la planète bien avant l’émergence des sciences.]

          Pas seulement. Le doute est le fondement du changement. Car si vous acceptez que les règles transmises par les anciens sont vraies, vous ne changez jamais rien. Les hommes ont commencé à douter – et donc à remettre en cause l’existant – bien avant l’invention du « doute systématique » qui est le fondement de la méthode scientifique. Si les hommes prenaient pour argent comptant tout ce qu’ils entendent, on n’en serait certainement pas là où on est.

          • [Ré-bof. Oui, je l’ai entendu à la radio mais j’ai feuilleté son livre – présenté comme « best seller mondial », une autre raison d’être méfiant. Franchement, le mélange entre l’histoire et le véganisme… pas pour moi.]

            J’en suis à peu près à la moitié du livre et je n’ai pas vu cela. Ce qui s’en rapproche le plus, c’est le chapitre où il explique en quoi le passage à l’agriculture et à l’élevage a eu des conséquences négatives à la fois pour l’homo sapiens et pour les autres animaux.

            [C’est loin d’être évident. Malheureusement, nous conservons trop peu de traces de cette époque et celles que nous conservons sont trop difficiles à interpréter pour pouvoir donner une réponse définitive à cette question.]

            Oui l’homo neanderthalensis avait probablement une certaine capacité de symbolisation, qui était peut-être même supérieure à celle de l’homo sapiens. Le propos d’Harari, c’est plutôt que l’homo sapiens a eu en plus la capacité de s’unir autour de croyances de manière à dépasser l’échelle de la tribu, qui jusqu’alors semble n’avoir regroupé qu’au maximum quelques centaines de membres. Et c’est une idée que je trouve très intéressante, pour les raisons que j’ai évoquées.

            [Je m’excuse, mais la définition que vous citez reprend presque exactement mon propos. La première signification indiquée par l’Académie est « Récit fabuleux, transmis par les traditions, qui contient en général un sens allégorique. » On est donc bien sur un récit qui ne prétend pas à être réel. Le deuxième sens est « Représentation qu’un ensemble d’individus, en fonction de ses croyances, de ses valeurs, se fait d’une période, d’un fait, d’une idée, d’un personnage. ». Là encore, on est dans le champ de la représentation, et non de la réalité.]

            Dans ce cas je pense que nous en avons la même lecture et que nous sommes d’accord. Il n’en reste pas moins que l’on peut croire en un mythe.

            [Mais vous voyez qu’il y a là une énorme confusion. Les entreprises, monnaie ou la Nation ne sont en rien « purement imaginaires ». Lorsque je vais chez le commerçant et j’échange un billet de 10 € contre une marchandise, cet échange est REEL. La monnaie EXISTE REELLEMENT, et la question de « croire » ou non en elle ne se pose pas.]

            Si les pièces et les billets sont en effet bien réels et tangibles, il reste une part d’imaginaire et de croyance dans la monnaie. Il me semble que vous avez d’ailleurs écrit un article sur le sujet. Pour les entreprises et la Nation, je ne vois pas ce qui pourrait être réel.

            [Dans cet exemple, on confond la « croyance » et la « confiance ».]

            Je dirais plutôt que les deux sont présents : la monnaie est liée à la confiance, mais elle est aussi liée à la croyance. C’est par exemple cette croyance qui mène à formule du 1% qui possède plus que les 99% restant. Et puis, la confiance peut aussi être vue comme une forme particulière de croyance…

            [Pas seulement. Le doute est le fondement du changement. Car si vous acceptez que les règles transmises par les anciens sont vraies, vous ne changez jamais rien. Les hommes ont commencé à douter – et donc à remettre en cause l’existant – bien avant l’invention du « doute systématique » qui est le fondement de la méthode scientifique. Si les hommes prenaient pour argent comptant tout ce qu’ils entendent, on n’en serait certainement pas là où on est.]

            L’homo neanderthalensis pouvait probablement douter lui aussi, peut-être plus que l’homo sapiens, pourtant il n’est pas devenu l’espèce dominante. Le critère déterminant n’était donc peut-être pas celui-là. Quoi qu’il en soit, en général, il me semble que mes semblables ont beaucoup plus de facilité à croire n’importe quoi que de douter de n’importe quoi…

            • Descartes dit :

              @ Jean-François

              [J’en suis à peu près à la moitié du livre et je n’ai pas vu cela. Ce qui s’en rapproche le plus, c’est le chapitre où il explique en quoi le passage à l’agriculture et à l’élevage a eu des conséquences négatives à la fois pour l’homo sapiens et pour les autres animaux.]

              Ce qui, vous me l’accorderez, est une aberration historique puisque sans le passage à l’agriculture et à l’élevage, on serait encore dans les cavernes.

              [Oui l’homo neanderthalensis avait probablement une certaine capacité de symbolisation, qui était peut-être même supérieure à celle de l’homo sapiens. Le propos d’Harari, c’est plutôt que l’homo sapiens a eu en plus la capacité de s’unir autour de croyances de manière à dépasser l’échelle de la tribu, qui jusqu’alors semble n’avoir regroupé qu’au maximum quelques centaines de membres. Et c’est une idée que je trouve très intéressante, pour les raisons que j’ai évoquées.]

              Oui, mais où sont les éléments factuels qui soutiennent cette théorie ? C’est de la pure spéculation. Nous n’avons aucun moyen de savoir si Cro-Magnon était plus ou moins capable de dépasser l’échelle de la tribu. Tout ce que nous savons, c’est que Neandertal a disparu – par extinction ou par assimilation, ce n’est toujours pas tranché – avant de pouvoir dépasser la tribu. Mais est-ce parce qu’il était moins capable, ou parce que d’autres facteurs (changements climatiques, action d’agents infectieux…) ont eu raison d’eux ?

              [Dans ce cas je pense que nous en avons la même lecture et que nous sommes d’accord. Il n’en reste pas moins que l’on peut croire en un mythe.]

              Si on « croit » que la guerre de Troie a eu lieu comme la raconte Homère, alors cela cesse d’être un « mythe » et devient de l’histoire. Lorsqu’on dit que tel fait est « mythique », cela implique clairement qu’on ne croit pas à sa réalité.

              [Si les pièces et les billets sont en effet bien réels et tangibles, il reste une part d’imaginaire et de croyance dans la monnaie. Il me semble que vous avez d’ailleurs écrit un article sur le sujet. Pour les entreprises et la Nation, je ne vois pas ce qui pourrait être réel.]

              J’en arrive à me demander ce qui est le « réel » pour vous. Pour vous, seuls sont « réelles » les entités qu’on peut « toucher » ? La « réalité » d’une entité tient à son caractère efficient. Si Dieu n’est pas réel, c’est parce qu’il n’a aucun effet sur le monde qui nous entoure. Mais si Dieu n’a pas de réalité, la croyance en Dieu, elle, est bien réelle : ses effets sont incontestables.

              [Je dirais plutôt que les deux sont présents : la monnaie est liée à la confiance, mais elle est aussi liée à la croyance. C’est par exemple cette croyance qui mène à formule du 1% qui possède plus que les 99% restant.]

              Ça, ce n’est pas une « croyance », c’est une statistique.

              [Et puis, la confiance peut aussi être vue comme une forme particulière de croyance…]

              Non. Il y a une différence fondamentale entre les deux. La « croyance » est indépendante de toute considération empirique, alors que la confiance s’appuie généralement sur l’expérience. Pour vous, la conviction que le soleil se lèvera demain à l’Est relève de la « croyance » ?

              [L’homo neanderthalensis pouvait probablement douter lui aussi, peut-être plus que l’homo sapiens,]

              On n’en sait absolument rien. J’ai l’impression que vous faites un raisonnement ciculaire…

            • Ian Brossage dit :

              @Descartes

              > Tout ce que nous savons, c’est que Neandertal a disparu – par extinction ou par assimilation, ce n’est toujours pas tranché – avant de pouvoir dépasser la tribu. Mais est-ce parce qu’il était moins capable, ou parce que d’autres facteurs (changements climatiques, action d’agents infectieux…) ont eu raison d’eux ?

              Les humains européens actuels partagent environ 2% de leur génome avec Néandertal. Les humains africains actuels, à peu près 0%. Il y a donc eu de l’hybridation Sapiens-Néandertal en Europe, mais à un niveau très réduit, et l’hypothèse de l’assimilation paraît exclue.

              Quant aux changements climatiques, Néandertal en avait vécu d’autres auparavant (l’estimation actuelle situe l’apparition de Néandertal à au moins 400000 ans).

              > Pour vous, la conviction que le soleil se lèvera demain à l’Est relève de la « croyance » ?

              J’ai l’impression qu’il s’agit ici surtout d’une controverse terminologique. Il me semble qu’il est assez courant d’utiliser le terme « croyance » au sujet de cette « conviction ». Pour vous le terme « croyance » semble se réduire à ce que d’autres appelleraient une « croyance sans preuve » ou « croyance sans raison ».

              > [Je dirais plutôt que les deux sont présents : la monnaie est liée à la confiance, mais elle est aussi liée à la croyance. C’est par exemple cette croyance qui mène à formule du 1% qui possède plus que les 99% restant.]
              > Ça, ce n’est pas une « croyance », c’est une statistique.

              Je pense que ce que voulait dire Jean-François, c’est que cette statistique n’est vraie que si on croit que la détention de monnaie constitue une possession (et non de simples bouts de papiers ou même de simples chiffres dans une base de données, comme vous aimez à le rappeler). Et là, il semble qu’il s’agit en effet d’une croyance, celle en la valeur libératoire de la monnaie, même détenue en très grandes quantités.

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [Quant aux changements climatiques, Néandertal en avait vécu d’autres auparavant (l’estimation actuelle situe l’apparition de Néandertal à au moins 400000 ans).]

              Certes, mais ce n’est pas parce qu’on a survécu à plusieurs changements climatiques qu’on survit au suivant…

              [« Pour vous, la conviction que le soleil se lèvera demain à l’Est relève de la « croyance » ? » J’ai l’impression qu’il s’agit ici surtout d’une controverse terminologique. Il me semble qu’il est assez courant d’utiliser le terme « croyance » au sujet de cette « conviction ». Pour vous le terme « croyance » semble se réduire à ce que d’autres appelleraient une « croyance sans preuve » ou « croyance sans raison ».]

              Pas que « pour moi ». Quand on parle de « respecter toutes les croyances » ou de « liberté de croyance », on n’inclut pas dans les « croyances » en question le fait de « croire » que PI est un nombre transcendant, que la terre est ronde ou que Macron est président de la République. D’ailleurs, vous noterez que la « liberté de croyance » ne s’applique en principe qu’aux « croyances » impossibles de réfuter. Personne ne peut invoquer le droit à « croire » que Jean-Luc Mélenchon a été élu président de la République en 2017. Le concept de « croyance » s’oppose à celui de « savoir ». Personne ne dira « je crois au deuxième principe de la thermodynamique » ou « je crois à la rotondité de la terre ». On parle de « croyance » soit lorsqu’il s’agit d’une assertion impossible de réfuter (comme l’existence de dieu) soit lorsqu’il s’agit d’une assertion déjà réfutée (comme la planéité de la terre).

              Le débat ici n’est pas purement terminologique. Il l’est dans le sens où Harari utilise une confusion terminologique pour faire passer une confusion conceptuelle.

              [Je pense que ce que voulait dire Jean-François, c’est que cette statistique n’est vraie que si on croit que la détention de monnaie constitue une possession (et non de simples bouts de papiers ou même de simples chiffres dans une base de données, comme vous aimez à le rappeler). Et là, il semble qu’il s’agit en effet d’une croyance, celle en la valeur libératoire de la monnaie, même détenue en très grandes quantités.]

              Dans ce sens, oui, on peut dire que lorsqu’on déduit du fait que 1% possède plus de bouts de papier avec des chiffres que le 99% restant que cela peut être projeté au sens du patrimoine réel, on fait jouer un mécanisme de croyance (puisque la valeur libératoire de la monnaie en très grandes quantités est assez facile à réfuter). Mais cela n’implique pas que la monnaie, en elle-même, repose sur un mécanisme de croyance. La confiance dans la valeur libératoire de la monnaie en petite quantité est non seulement conforme à un raisonnement logique, mais repose sur une base empirique impressionnante !

            • Ian Brossage dit :

              @Descartes

              > On parle de « croyance » soit lorsqu’il s’agit d’une assertion impossible de réfuter (comme l’existence de dieu) soit lorsqu’il s’agit d’une assertion déjà réfutée (comme la planéité de la terre).

              Qui est « on » ? Celui qui croit est convaincu que sa croyance est vraie. Le mot « croyance » est utilisé par celui qui pense (ou sait) que cette conviction est soit fausse soit improuvable. La croyance, le plus souvent, on la trouve chez l’autre.

              Un croyant conséquent *sait* que Dieu existe : selon lui, c’est une vérité et non un simple choix personnel. De même, quelqu’un qui croit en l’efficacité de l’homéopathie *sait* que l’homéopathie est efficace.

              Par ailleurs, il n’y a aucune raison de croire à une assertion que l’on sait réfutée, sauf chez les fous. Donc quelqu’un qui croit à une assertion réfutée le fait en étant convaincue qu’elle est vraie : pour lui cette assertion n’a *pas* été réfutée. Soit qu’il ne soit pas au courant de cette réfutation, soit qu’elle ne l’ait pas convaincu, pour une raison ou pour une autre.

              Le problème, c’est que vous confondez la description d’une conviction individuelle avec la sanction collective donnée à cette conviction. C’est collectivement que l’humanité décide qu’une croyance relève d’un savoir établie ou d’une conviction erronée, ou encore d’une affirmation dont la preuve ne pourra jamais être apportée.

              > Quand on parle de « respecter toutes les croyances » ou de « liberté de croyance », on n’inclut pas dans les « croyances » en question le fait de « croire » que PI est un nombre transcendant, que la terre est ronde ou que Macron est président de la République.

              Notez que si on n’inclut pas dans la « liberté de croyance » le fait de croire que la terre est ronde, on n’y inclut pas non plus le fait de croire que la terre est plate ou qu’Asselineau est président de la République. Pourtant, selon vous, la notion de croyance recouvre aussi les choses réfutées…

              En fait, il n’y a simplement aucune raison d’insister sur la liberté de croyance concernant ces convictions, puisque rien ne menace leur existence. De même que quand on parle de « liberté d’opinion », on n’a en général pas en tête les opinions que l’on peut former sur la façon de cuire la poule au pot. Cela ne veut pas dire que les opinions sur la façon de cuire la poule au pot ne sont pas des opinions. Juste qu’elles n’ont jamais posé un problème politique.

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [Celui qui croit est convaincu que sa croyance est vraie. Le mot « croyance » est utilisé par celui qui pense (ou sait) que cette conviction est soit fausse soit improuvable. La croyance, le plus souvent, on la trouve chez l’autre.]

              Vous abordez là un sujet différent, qui est celui du caractère subjectif de la croyance. Cependant, le « credo quia absurdum » vous montre que même chez des croyants militants la « croyance » est associée à l’effort de la foi pour accepter ce qui à priori ne peut être vrai. Même le croyant fait une différence – subtile, je vous l’accorde – entre ce qu’il « croit » vrai et ce qu’il « sait » vrai.

              [Un croyant conséquent *sait* que Dieu existe : selon lui, c’est une vérité et non un simple choix personnel. De même, quelqu’un qui croit en l’efficacité de l’homéopathie *sait* que l’homéopathie est efficace.]

              Eh bien, pas tout à fait. Le croyant en Dieu ne « sait » pas que Dieu existe de la même manière qu’il « sait » que le facteur existe. Il y a grand mérite à croire en l’existence de Dieu justement parce que son existence n’est pas évidente, alors qu’il n’y a le moindre mérite à croire en l’existence du facteur, parce que le facteur se manifeste chaque jour. N’oubliez pas que c’est la foi qui sauve…

              Le cas du « croyant » dans l’efficacité homéopathique se fonde sur une réalité empirique – qui est liée à l’effet placebo. Rares sont les gens qui continuent à prendre un remède homéopathique alors qu’ils n’éprouvent aucune amélioration en le prenant. Alors qu’on peut croire en dieu toute sa vie sans jamais avoir reçu le moindre signe de sa présence…

              [Par ailleurs, il n’y a aucune raison de croire à une assertion que l’on sait réfutée, sauf chez les fous. Donc quelqu’un qui croit à une assertion réfutée le fait en étant convaincue qu’elle est vraie : pour lui cette assertion n’a *pas* été réfutée. Soit qu’il ne soit pas au courant de cette réfutation, soit qu’elle ne l’ait pas convaincu, pour une raison ou pour une autre.]

              Vous vous placez d’un point de vue hyper-rationnel d’un individu qui ne serait que Raison. Mais notre cerveau est multidimensionnel. Vous trouverez des astrophysiciens qui travaillent sur l’origine de l’univers et qui par ailleurs proclament à la synagogue leur croyance en un Dieu qui aurait créé l’univers en sept jours. La capacité à CROIRE en la véracité de quelque chose que l’on SAIT faux est une capacité très humaine… C’est d’ailleurs le mécanisme des « fictions nécessaires » que j’ai plusieurs fois décrit ici !

              [Le problème, c’est que vous confondez la description d’une conviction individuelle avec la sanction collective donnée à cette conviction. C’est collectivement que l’humanité décide qu’une croyance relève d’un savoir établi ou d’une conviction erronée, ou encore d’une affirmation dont la preuve ne pourra jamais être apportée.]

              Je ne vois pas où j’aurais fait une telle « confusion ». La croyance est une question individuelle. La collectivité peut tout au plus prescrire ce que les individus sont censés considérer un savoir établi ou une conviction erronée, mais elles n’ont pas le pouvoir de « sonder les cœurs et les reins » pour vérifier que les individus « croient » effectivement telle ou telle chose. C’est d’ailleurs l’une des grandes difficultés lorsqu’on travaille sur l’histoire des croyances : nous savons ce que les états ou les églises ont prescrit, nous ne savons pas ce que les gens croyaient vraiment.

              [« Notez que si on n’inclut pas dans la « liberté de croyance » le fait de croire que la terre est ronde, on n’y inclut pas non plus le fait de croire que la terre est plate ou qu’Asselineau est président de la République. Pourtant, selon vous, la notion de croyance recouvre aussi les choses réfutées…]

              Bien sûr que si. Si quelqu’un venait demain vous dire qu’Asselineau a été élu en 2017 ou que la terre est plate, vous parleriez de « croyance » (ou de folie pour ce qui concerne Asselineau, car même la foi a des limites).

            • Ian Brossage dit :

              @Descartes

              > Bien sûr que si. Si quelqu’un venait demain vous dire qu’Asselineau a été élu en 2017 ou que la terre est plate, vous parleriez de « croyance » (ou de folie pour ce qui concerne Asselineau, car même la foi a des limites).

              Moi, j’utiliserais ce terme. Mais pas la personne en question… Si par croyance on décrit un processus mental, alors il n’y a pas de différence fondamentale, en termes de processus mental, entre croire une chose vraie et une chose fausse.

              À l’inverse, un créationniste considérera que la théorie de l’évolution des espèces relève de la croyance en une chose erronée…

              > C’est d’ailleurs l’une des grandes difficultés lorsqu’on travaille sur l’histoire des croyances : nous savons ce que les états ou les églises ont prescrit, nous ne savons pas ce que les gens croyaient vraiment.

              C’est vrai. Par contre, l’histoire des croyances ne peut pas réserver le terme « croyances » à ce que nous savons faux ou invérifiable aujourd’hui. D’où le problème de votre définition.

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [Moi, j’utiliserais ce terme. Mais pas la personne en question… Si par croyance on décrit un processus mental, alors il n’y a pas de différence fondamentale, en termes de processus mental, entre croire une chose vraie et une chose fausse.]

              Mais… vous m’avez démontré exactement le contraire. Vous me dites que pour la personne qui croit, ce en quoi elle croit est TOUJOURS perçu comme vrai. Or, c’est chez elle – et non pas chez vous – que le processus mental en question se déroule. Il en résulte donc que le processus mental de la croyance est unique, que la chose crue soit « vraie » ou « fausse » pour un regard extérieur.

              Ma position est un peu différente : il y a une dissociation entre ce qu’on « croit » et ce qu’on « sait ». On peut « croire » en quelque chose qu’on « sait » fausse. Au niveau social, cela donne les « fictions nécessaires ». Au niveau individuel, cela donne une forme de schizophrénie, celle du scientifique qui après avoir donné un cours parfaitement rationnel en chaire va prier à l’église.

              [À l’inverse, un créationniste considérera que la théorie de l’évolution des espèces relève de la croyance en une chose erronée…]

              Sauf que le créationniste « sait » qu’il existe des fossiles datés qui contredisent le créationnisme biblique. Pour garder sa croyance, il est soit obligé de se couper du monde et de nier tout ce qui n’est pas conforme à son idée – ce qui est une forme de folie – soit de s’accommoder de la dissociation dont j’ai parlé plus haut.

              Pour vous donner un autre exemple : vous trouverez des gens pour vous dire qu’ils se remettent à la volonté de dieu. Mais vous en trouverez très peu qui, devant la maladie, vont à l’église plutôt qu’à l’hôpital.

              [C’est vrai. Par contre, l’histoire des croyances ne peut pas réserver le terme « croyances » à ce que nous savons faux ou invérifiable aujourd’hui. D’où le problème de votre définition.]

              On a du mal se comprendre. Pour moi, la « croyance » est indépendante de la véracité de ce qu’on croit. On peut parfaitement croire quelque chose de faux, on peut aussi parfaitement croire quelque chose de vrai. Cela ne cesse d’être une « croyance » que lorsque cela devient un savoir, c’est-à-dire, qu’on arrive à appuyer cette croyance sur une base rationnelle. Ainsi, par exemple au XVème siècle on pouvait « croire » que la quadrature du cercle était possible comme on pouvait « croire » qu’elle était impossible, puisque la question n’était pas rationnellement tranchée. Aujourd’hui, on « sait » qu’une telle opération est impossible. On peut donc « croire » qu’elle est possible, mais dire qu’elle est impossible n’est plus une « croyance », c’est un fait.

            • Un Belge dit :

              @Descartes :

              [Ce qui, vous me l’accorderez, est une aberration historique puisque sans le passage à l’agriculture et à l’élevage, on serait encore dans les cavernes.]

              L’un n’empêche pas l’autre. L’agriculture est considérée par Harari (et beaucoup d’autres) comme négative pour l’individu (perte de diversité dans l’alimentation, travaux pénibles) mais bénéfique pour l’espèce (la sédentarité permettant d’éduquer plus d’enfants simultanément), d’où le fait que les sociétés sédentaires ont fini par dominer

            • Descartes dit :

              @ Un Belge

              [« Ce qui, vous me l’accorderez, est une aberration historique puisque sans le passage à l’agriculture et à l’élevage, on serait encore dans les cavernes. » L’un n’empêche pas l’autre. L’agriculture est considérée par Harari (et beaucoup d’autres) comme négative pour l’individu (perte de diversité dans l’alimentation, travaux pénibles) mais bénéfique pour l’espèce (la sédentarité permettant d’éduquer plus d’enfants simultanément), d’où le fait que les sociétés sédentaires ont fini par dominer.]

              Ce raisonnement est clairement absurde : si le passage de la chasse et la cueillette à l’agriculture et l’élevage est « négative pour les individus », pourquoi les individus s’y sont pliés ? Pourquoi les chasseurs-cueilleurs de la préhistoire ont renoncé à chasser et cueillir pour s’installer comme agriculteurs et éleveurs, alors que cela augmentait la pénibilité et réduisait la qualité de leur alimentation ? Le masochisme était-il si répandu à l’époque ?

              On peut imaginer que la sédentarisation et le passage à l’agriculture et l’élevage ait eu des aspects négatifs « pour les individus ». Mais il faut admettre que les aspects positifs « pour les individus » ont dû être bien plus importants, autrement on comprend mal comment « les individus » auraient privilégié ce choix…

              Le raisonnement d’Harari suppose que les choix de l’homme au temps de la sédentarisation étaient déterminés par son instinct, et non par son intelligence. En d’autres termes, que les différents groupes ont fait des choix aléatoires, et que la sélection naturelle a fait le reste. Mais c’est une vision holistique qui n’a pas de base dans les connaissances anthropologiques que nous avons.

            • Un Belge dit :

              @Descartes :

              [Ce raisonnement est clairement absurde : si le passage de la chasse et la cueillette à l’agriculture et l’élevage est « négative pour les individus », pourquoi les individus s’y sont pliés ? Pourquoi les chasseurs-cueilleurs de la préhistoire ont renoncé à chasser et cueillir pour s’installer comme agriculteurs et éleveurs, alors que cela augmentait la pénibilité et réduisait la qualité de leur alimentation ? Le masochisme était-il si répandu à l’époque ?]

              Je ne suis pas expert en anthropologie, mais si je me souviens bien, la thèse de Harari est que le changement s’est fait très progressivement : des hommes ont commencé à planter sur leur temps libre en restant nomades, pour cueillir l’année suivante, puis de génération en génération, on a investi de plus en plus d’efforts, et le temps de se rendre compte que ce n’était pas forcément optimal, les compétences en chasse avaient fini par disparaître.

              Mais pour ne pas se focaliser sur Harari, il y a un paquet d’explications à l’agriculture qui n’impliquent pas que cette transition ait été positive. Par exemple une baisse des rendements de la chasse (due à la croissance démographique ou au climat).

              Après tout, si la transition était purement bénéfique, pourquoi ne s’est-elle pas faite plus tôt ? Il est fort probable que l’on ait compris que planter une graine donnait naissance à une plante bien avant de se lancer dans l’agriculture

            • Descartes dit :

              @ Un Belge

              [Je ne suis pas expert en anthropologie, mais si je me souviens bien, la thèse de Harari est que le changement s’est fait très progressivement : des hommes ont commencé à planter sur leur temps libre en restant nomades, pour cueillir l’année suivante, puis de génération en génération, on a investi de plus en plus d’efforts, et le temps de se rendre compte que ce n’était pas forcément optimal, les compétences en chasse avaient fini par disparaître.]

              Graduelle ou pas, la question demeure : pourquoi diable les hommes primitifs « de génération en génération » ont investi « de plus en plus d’efforts » à l’agriculture et l’élevage en délaissant la chasse et la cueillette ? Qu’est ce qui les a poussés à ce comportement ? Par ailleurs, il faut signaler que les « compétences » en chasse et cueillette n’ont jamais vraiment « disparu », et qu’il y a eu des chasseurs-cueilleurs bien après la sédentarisation.

              [Mais pour ne pas se focaliser sur Harari, il y a un paquet d’explications à l’agriculture qui n’impliquent pas que cette transition ait été positive. Par exemple une baisse des rendements de la chasse (due à la croissance démographique ou au climat).]

              Mais là encore, si la transition a permis à l’homme de continuer sa croissance démographique ou de survivre au changement climatique, alors on devrait la considérer comme « positive », non ?

              [Après tout, si la transition était purement bénéfique, pourquoi ne s’est-elle pas faite plus tôt ? Il est fort probable que l’on ait compris que planter une graine donnait naissance à une plante bien avant de se lancer dans l’agriculture]

              D’abord, vous noterez qu’il n’y a guère d’animaux – même parmi les primates les plus évolués – qui plantent volontairement des graines. Ce qui tend à prouver que la « compréhension » du phénomène en question n’est pas aussi évidente que vous ne le pensez. Par ailleurs, l’agriculture nécessitait le défrichage, qui là encore n’avait rien d’évident avec les outils disponibles chez Cro-Magnon. Enfin, l’agriculture ne se réduit pas à « planter une graine », elle suppose aussi un soin de la plante jusqu’à la fructification qui n’a rien d’évident, et qui suppose en fait la sédentarité, parce qu’autrement les animaux sauvages risquent de ruiner votre récolte.

            • Ian Brossage dit :

              @Descartes

              > Ce raisonnement est clairement absurde : si le passage de la chasse et la cueillette à l’agriculture et l’élevage est « négative pour les individus », pourquoi les individus s’y sont pliés ? Pourquoi les chasseurs-cueilleurs de la préhistoire ont renoncé à chasser et cueillir pour s’installer comme agriculteurs et éleveurs, alors que cela augmentait la pénibilité et réduisait la qualité de leur alimentation ?

              Ce n’est absurde que si l’on considère que tous les individus étaient chasseurs-cueilleurs. Il se pose la question de savoir si la division du travail a précédé ou suivi le passage à l’agriculture. Si elle l’a précédé, alors il est possible que le passage à l’agriculture ait correspondu aux intérêts d’un groupe dominant (qui aurait eu, par exemple, le monopole des armes et/ou de la religion).

              Un autre point : l’agriculture est certainement très pénible dans des conditions techniques rudimentaires, mais peut-on en dire autant de l’élevage ?

              Cependant, le passage à l’agriculture peut tout aussi bien avoir été provoqué par la pression démographique, *malgré* un éventuel accroissement de la pénibilité et une possible dégradation de la qualité de l’alimentation. Car assurer l’apport calorique prime avant tout.

              Mais il faut surtout insister sur le fait qu’on ne sait guère de choses sur les conditions sociales du passage à l’agriculture (on ne sait à peu près rien de l’organisation des sociétés humaines aux débuts du néolithique, on ne peut que tracer des parallèles risqués avec les sociétés de chasseurs-cueilleurs qui ont été étudiées depuis quelques siècles), et que les penseurs comme Harari ont tendance à présenter comme vraies de simples hypothèses séduisantes.

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [Ce n’est absurde que si l’on considère que tous les individus étaient chasseurs-cueilleurs. Il se pose la question de savoir si la division du travail a précédé ou suivi le passage à l’agriculture. Si elle l’a précédé, alors il est possible que le passage à l’agriculture ait correspondu aux intérêts d’un groupe dominant (qui aurait eu, par exemple, le monopole des armes et/ou de la religion).]

              Vous avez raison. Mais il faut noter que si la division du travail précède le passage à l’agriculture, alors on ne peut plus dire que cette dernière était « négative pour les individus », puisqu’il faut distinguer les « individus » selon la classe à laquelle ils appartiennent. Et on arriverait alors à la conclusion que le passage à l’agriculture a été profitable à une classe – la classe dominante – même s’il a été négatif pour les autres… or, si j’ai bien compris, Harari refuse toute analyse en ces termes.

              [Un autre point : l’agriculture est certainement très pénible dans des conditions techniques rudimentaires, mais peut-on en dire autant de l’élevage ?]

              La chasse et la cueillette étaient certainement aussi « très pénibles » dans des conditions rudimentaires. Et beaucoup plus dangereuses que l’élevage ou l’agriculture. J’ai l’impression que dans cette affaire Harari a une vision irénique des chasseurs-cueilleurs, assez proche de l’idée dominante selon laquelle la nature prodigue ses bienfaits si on sait rester proche d’elle. La réalité est toute autre : sauf dans des environnements privilégiés, les activités de chasse et de cueillette sont dangereuses et peu productives, et laissent donc à l’homme peut de temps à consacrer à autre chose. Or, c’est la conquête du temps – qu’on peut consacrer à l’invention et à l’expression – qui a été le ressort fondamental du développement humain.

              [Cependant, le passage à l’agriculture peut tout aussi bien avoir été provoqué par la pression démographique, *malgré* un éventuel accroissement de la pénibilité et une possible dégradation de la qualité de l’alimentation. Car assurer l’apport calorique prime avant tout.]

              Cela suppose un degré de civilisation suffisamment avancé pour refuser la régulation naturelle de la démographie, ce qui est arrivé bien plus tard – on pourrait même dire à la Renaissance. Jusqu’alors, lorsque la disette arrivait, on ne cherchait pas à changer les méthodes pour « assurer l’apport calorique ». On laissait les plus faibles mourir. C’était la nourriture disponible qui régulait la démographie, et non l’inverse.

              [Mais il faut surtout insister sur le fait qu’on ne sait guère de choses sur les conditions sociales du passage à l’agriculture (on ne sait à peu près rien de l’organisation des sociétés humaines aux débuts du néolithique, on ne peut que tracer des parallèles risqués avec les sociétés de chasseurs-cueilleurs qui ont été étudiées depuis quelques siècles), et que les penseurs comme Harari ont tendance à présenter comme vraies de simples hypothèses séduisantes.]

              Exactement mon point. Mais je vais plus loin : les gens comme Harari ou Rifkin ont développé une technique d’argumentation qui permet de présenter comme « sérieuses » des théories fabriquées pour coller aux intérêts de leur classe. Ces « nouveaux sophistes » construisent l’argument de la manière suivante : d’abord, ils énoncent une hypothèse invérifiable ou même fausse, ensuite ils construisent sur cette hypothèse un raisonnement parfaitement rigoureux et rationnel, et finalement ils énoncent la conclusion naturelle de ce raisonnement. La rigueur du raisonnement sert à occulter la faiblesse de l’hypothèse de départ. Beaucoup de contradicteurs se laissent prendre par cette logique, cherchant à démonter le raisonnement (qui est, lui, parfaitement rigoureux) au lieu de contester l’hypothèse. Pensez par exemple à la critique antilibérale de la régulation par le marché : le raisonnement des libéraux est impeccable, mais il n’est vrai que si les hypothèses d’un marché « pur et parfait » sont réunies, ce qui n’est pratiquement jamais le cas. Et pourtant, les antilibéraux tendent à attaquer le raisonnement, et non l’hypothèse…

          • [Ce qui, vous me l’accorderez, est une aberration historique puisque sans le passage à l’agriculture et à l’élevage, on serait encore dans les cavernes.]

            Ce ne serait une aberration que si Harari disait que le passage à l’agriculture et à l’élevage n’avait eu que des conséquences négatives, ce qu’il ne fait pas. Au contraire, il se montre très nuancé.

            [Oui, mais où sont les éléments factuels qui soutiennent cette théorie ? C’est de la pure spéculation. Nous n’avons aucun moyen de savoir si Cro-Magnon était plus ou moins capable de dépasser l’échelle de la tribu. Tout ce que nous savons, c’est que Neandertal a disparu – par extinction ou par assimilation, ce n’est toujours pas tranché – avant de pouvoir dépasser la tribu. Mais est-ce parce qu’il était moins capable, ou parce que d’autres facteurs (changements climatiques, action d’agents infectieux…) ont eu raison d’eux ?]

            On ne le sait certes pas, et Harari ne prétend pas le contraire. Il pose simplement une hypothèse, que je trouve intéressante quand je vois la difficulté qu’ont mes semblables à vaincre leur envie de croire, et il l’appuie sur tout un raisonnement, sur plusieurs chapitres, sans jamais dériver vers la prétention de détenir la Vérité. Je crois que vous lui faites un procès d’intention…

            [Si on « croit » que la guerre de Troie a eu lieu comme la raconte Homère, alors cela cesse d’être un « mythe » et devient de l’histoire. Lorsqu’on dit que tel fait est « mythique », cela implique clairement qu’on ne croit pas à sa réalité.]

            Je n’ai pas dit que l’on peut croire à n’importe quel mythe, j’ai dit que l’on peut croire en un mythe. J’essaie un autre exemple : on peut croire au mythe du self-made man.

            [J’en arrive à me demander ce qui est le « réel » pour vous. Pour vous, seuls sont « réelles » les entités qu’on peut « toucher » ? La « réalité » d’une entité tient à son caractère efficient. Si Dieu n’est pas réel, c’est parce qu’il n’a aucun effet sur le monde qui nous entoure. Mais si Dieu n’a pas de réalité, la croyance en Dieu, elle, est bien réelle : ses effets sont incontestables.]

            Pour moi, est réel tout ce qui existe en-dehors de l’imagination. La croyance en Dieu ou la croyance en tout autre chose en fait partie, le self-made man non.

            [Non. Il y a une différence fondamentale entre les deux. La « croyance » est indépendante de toute considération empirique, alors que la confiance s’appuie généralement sur l’expérience.]

            Il ne me semble pas que votre définition de la croyance soit exacte. Par exemple, je peux croire qu’il faut que je me prive de chocolat la semaine précédant un match de foot, parce que j’ai fait cela les trois matchs précédents, et que ces trois fois mon équipe a gagné.

            [Pour vous, la conviction que le soleil se lèvera demain à l’Est relève de la « croyance » ?]

            Oui, bien sûr ! On peut prédire que le soleil se lèvera demain, mais comme toutes les prédictions, on ne peut jamais être complètement sûr qu’elle se réalisera. Par exemple, on peut imaginer que des extra-terrestres viendront détruire notre planète justement cette nuit.

            Ma vision des choses, c’est que nous sommes condamnés à choisir des croyances. Partant, l’observation et la méthode scientifique ne sont à mon sens que des outils pour mettre à l’épreuve la fiabilité de nos croyances.

            [On n’en sait absolument rien.]

            Je n’ai pas dit le contraire. Tout ce que je dis, c’est que l’idée d’Harari me paraît intéressante, parce qu’elle me paraît constituer une bonne explication de la grande difficulté que nous avons à vaincre l’envie de croire. Si cela est si difficile et si répandu, il y a probablement une explication liée à l’évolution.

            • Descartes dit :

              @ Jean-François

              [On ne le sait certes pas, et Harari ne prétend pas le contraire. Il pose simplement une hypothèse, que je trouve intéressante quand je vois la difficulté qu’ont mes semblables à vaincre leur envie de croire, et il l’appuie sur tout un raisonnement, sur plusieurs chapitres, sans jamais dériver vers la prétention de détenir la Vérité. Je crois que vous lui faites un procès d’intention…]

              Je lui fais certainement un procès d’intention. Ce type de raisonnement relève de la logique du « pourquoi pas ». Mais on ne vend pas des millions d’exemplaires d’un livre sur la simple base d’un « pourquoi pas ». On vend des livres sur la base d’une Vérité, parce que c’est cela que les lecteurs recherchent. Les gens comme Harari (il n’est pas seul, Rifkin et les autres oracles de son espèce font la même chose) ont du succès parce qu’ils passent subtilement du « pourquoi pas » à la Vérité. Pour cela la technique est simple : on commence par exposer une « hypothèse », et de cette hypothèse on déduit une loi générale. Si c’est fait habilement, on oublie rapidement que la loi en question repose sur une simple hypothèse.

              [J’essaie un autre exemple : on peut croire au mythe du self-made man.]

              Mais encore une fois : si vous « croyez » que n’importe qui peut arriver en haut du fait exclusif de son effort, de son travail et de son génie personnel, alors le self-made man est pour vous une REALITE. Où est alors le « mythe » ?

              [Il ne me semble pas que votre définition de la croyance soit exacte. Par exemple, je peux croire qu’il faut que je me prive de chocolat la semaine précédant un match de foot, parce que j’ai fait cela les trois matchs précédents, et que ces trois fois mon équipe a gagné.]

              Si vous vous privez de chocolat cent fois et les cent fois votre équipe gagne, alors l’acte tiens moins de la « croyance » que de la « confiance ».

              [« Pour vous, la conviction que le soleil se lèvera demain à l’Est relève de la « croyance » ? » Oui, bien sûr ! On peut prédire que le soleil se lèvera demain, mais comme toutes les prédictions, on ne peut jamais être complètement sûr qu’elle se réalisera. Par exemple, on peut imaginer que des extra-terrestres viendront détruire notre planète justement cette nuit.]

              Dans ce cas, tout est croyance. Vous n’avez aucune sécurité que la loi de la gravitation universelle ou la théorie de la relativité seront encore vraies demain matin. Avec une telle vision, tout prédicat sur le futur ne peut être que croyance.

              [Tout ce que je dis, c’est que l’idée d’Harari me paraît intéressante, parce qu’elle me paraît constituer une bonne explication de la grande difficulté que nous avons à vaincre l’envie de croire. Si cela est si difficile et si répandu, il y a probablement une explication liée à l’évolution.]

              En quoi l’idée de Hariri serait une meilleure explication que l’idée que Zeus a planté dans notre cerveau le besoin de croire ? Après tout, les capacités de croire de Cro-Magnon sont à peu-près aussi certaines que l’existence de Zeus et de ses pouvoirs, non ?

              Votre remarque illustre bien le processus de création des « Vérités » de Hariri : à partir d’une hypothèse qui n’a aucun fondement, on construit par un raisonnement logique une conclusion. Cette conclusion nous paraît une « bonne explication » du fait qu’elle est issue d’un raisonnement logique, alors qu’un raisonnement aussi logique soit-il ne donne aucune garantie lorsqu’il est appuyé sur une hypothèse fausse. La qualité du raisonnement déguise en fait le caractère aléatoire de l’hypothèse.

          • [Je lui fais certainement un procès d’intention. Ce type de raisonnement relève de la logique du « pourquoi pas ». Mais on ne vend pas des millions d’exemplaires d’un livre sur la simple base d’un « pourquoi pas ». On vend des livres sur la base d’une Vérité, parce que c’est cela que les lecteurs recherchent. Les gens comme Harari (il n’est pas seul, Rifkin et les autres oracles de son espèce font la même chose) ont du succès parce qu’ils passent subtilement du « pourquoi pas » à la Vérité. Pour cela la technique est simple : on commence par exposer une « hypothèse », et de cette hypothèse on déduit une loi générale. Si c’est fait habilement, on oublie rapidement que la loi en question repose sur une simple hypothèse.]

            Il y a un peu de cela dans son livre, je vous l’accorde. En tout cas, cela me paraît moins prononcé que dans d’autres ouvrages de ce genre. Je me souviens que j’avais été pas mal gêné par cela à la lecture d’ « Après la démocratie » d’Emmanuel Todd par exemple. En comparaison, pour le moment tout au moins (je n’ai pas encore terminé le livre), cela me paraît étonnamment nuancé pour un livre aussi populaire.

            [Mais encore une fois : si vous « croyez » que n’importe qui peut arriver en haut du fait exclusif de son effort, de son travail et de son génie personnel, alors le self-made man est pour vous une REALITE. Où est alors le « mythe » ?]

            Quand une personne croit en un mythe, pour cette personne, ce n’en est évidemment plus un. Pourtant, dans l’absolu, cela reste un mythe.

            [Si vous vous privez de chocolat cent fois et les cent fois votre équipe gagne, alors l’acte tiens moins de la « croyance » que de la « confiance ».]

            Haha ! Ce commentaire m’emplit de joie 🙂 Si cela « tient moins », alors cela « tient ».

            [Dans ce cas, tout est croyance. Vous n’avez aucune sécurité que la loi de la gravitation universelle ou la théorie de la relativité seront encore vraies demain matin. Avec une telle vision, tout prédicat sur le futur ne peut être que croyance.]

            Tout à fait, pour moi, tout est croyance (y compris l’affirmation « tout est croyance »). En revanche, je crois que des outils peuvent être utilisés pour mettre à l’épreuve leur fiabilité (l’observation, la méthode scientifique, le Rasoir d’Ockham, etc.). D’ailleurs, c’est implicite avec le critère de la réfutabilité : en attendant qu’une hypothèse soit réfutée, on peut y croire, mais il faut garder à l’esprit qu’elle peut être réfutée un jour.

            [En quoi l’idée de Hariri serait une meilleure explication que l’idée que Zeus a planté dans notre cerveau le besoin de croire ? Après tout, les capacités de croire de Cro-Magnon sont à peu-près aussi certaines que l’existence de Zeus et de ses pouvoirs, non ?]

            Je ne pense pas que les deux croyances soient comparables. Il est possible de mettre à l’épreuve la fiabilité de la première croyance (en utilisant les informations que nous récoltons sur Cro-Magnon), il n’est pas possible de mettre à l’épreuve la fiabilité de la seconde.

            • Descartes dit :

              @ Jean-François

              [Quand une personne croit en un mythe, pour cette personne, ce n’en est évidemment plus un. Pourtant, dans l’absolu, cela reste un mythe.]

              Mais cela veut dire quoi « dans l’absolu » ? Vous me dites que pour celui qui croit le mythe celui-ci n’en est pas un, et pour celui qui n’y croit pas cela en reste un. Pour pouvoir parler « dans l’absolu », il vous faudrait un juge extérieur qui dise ce qui est vrai et ce qui est faux au-delà des « croyances » des uns et des autres…

              [« Dans ce cas, tout est croyance. Vous n’avez aucune sécurité que la loi de la gravitation universelle ou la théorie de la relativité seront encore vraies demain matin. Avec une telle vision, tout prédicat sur le futur ne peut être que croyance. » Tout à fait, pour moi, tout est croyance (y compris l’affirmation « tout est croyance »).]

              Avec cette position, vous tombez dans le solipsisme. Il n’y a plus de réalité indépendante de vous, puisque tout n’est qu’illusion. La pomme de Newton ne tombe pas. Newton « croit » qu’elle tombe. Et il construit une théorie sur cette « croyance » dont les résultats ne sont considérés comme vrais que parce que nous « croyons » voir des phénomènes qui sont cohérents avec elle.

              Mais dans ma remarque, je me contentais des prédicats sur le futur, et non sur toute affirmation en général. Cependant, vous admettrez que la « croyance » qu’on peut avoir que le soleil se lèvera demain matin à l’Est n’est pas de même nature que la « croyance » qu’on peut avoir en la fin des temps. A votre avis, d’où vient cette différence, et comment la caractérisez-vous dans le langage ?

              [En revanche, je crois que des outils peuvent être utilisés pour mettre à l’épreuve leur fiabilité (l’observation, la méthode scientifique, le Rasoir d’Ockham, etc.).]

              Là, vous allez tomber dans une terrible contradiction. L’observation, la méthode scientifique ou le rasoir d’Ockham ne fonctionnent que si vous supposez que les lois qui régissent l’univers sont immuables (en d’autres termes, que la même expérience effectuée demain donnera le même résultat qu’aujourd’hui). Or, si pour vous tout prédicat sur le futur n’est qu’une « croyance », vous ne pouvez plus assurer cette immutabilité, et tous les outils de réfutation tombent. Une expérience réalisée aujourd’hui peut réfuter une théorie AUJOURD’HUI. Mais qu’est-ce qui vous garantit que la même expérience réalisée demain réfutera toujours la théorie ?

              [D’ailleurs, c’est implicite avec le critère de la réfutabilité : en attendant qu’une hypothèse soit réfutée, on peut y croire, mais il faut garder à l’esprit qu’elle peut être réfutée un jour.]

              Cela dépend de ce que vous entendez par « on peut y croire ». Bien sûr, « on peut croire » qu’il existe des dragons rouges à poids bleus cracheurs de feu. Une telle proposition d’existence est de toute évidence irréfutable, et on peut donc attendre très longtemps qu’elle soit réfutée. Mais tiendriez-vous pour rationnelle une autorité qui déciderait de dépenser de l’argent public pour protéger un tel animal ?

              [« En quoi l’idée de Hariri serait une meilleure explication que l’idée que Zeus a planté dans notre cerveau le besoin de croire ? Après tout, les capacités de croire de Cro-Magnon sont à peu-près aussi certaines que l’existence de Zeus et de ses pouvoirs, non ? » Je ne pense pas que les deux croyances soient comparables. Il est possible de mettre à l’épreuve la fiabilité de la première croyance (en utilisant les informations que nous récoltons sur Cro-Magnon), il n’est pas possible de mettre à l’épreuve la fiabilité de la seconde.]

              Je vois mal quelles informations sur Cro-Magnon pourraient mettre à l’épreuve les considérations sur la capacité de Cro-Magnon à « croire ».

          • Bonjour Descartes,

            Juste un commentaire pour vous dire que j’ai finalement renoncé à terminer ce livre. Plus j’avance dans sa lecture, plus je suis d’accord avec vous : Harari passe son temps à présenter ses opinions (souvent plus que bancales) comme des faits.

            Ceci dit, ce problème est nettement moins marqué dans la première moitié du livre, qui est beaucoup plus prudent et nuancé, et je continue de trouver intéressante la théorie selon laquelle c’est notre capacité à nous unir autour de croyances qui nous a permis de dominer la planète.

            Le livre a tout de même un côté génial : la théorie principale qu’il met en avant est que les homo sapiens ont dominé le monde grâce à leur capacité à s’unir autour de croyances, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il exploite à fond notre envie de croire pour se vendre…

            • Descartes dit :

              @ Jean-François

              [Juste un commentaire pour vous dire que j’ai finalement renoncé à terminer ce livre. Plus j’avance dans sa lecture, plus je suis d’accord avec vous : Harari passe son temps à présenter ses opinions (souvent plus que bancales) comme des faits.]

              Tout à fait. Mais il faut comprendre sa technique – qui vous sera d’ailleurs très utile si vous voulez faire de la politique. Le truc, c’est d’arriver à la conclusion qui vous arrange à partir d’un raisonnement rigoureux. Ce qui est toujours possible en choisissant avec un certain soin les prémisses sur lesquelles le raisonnement est fondé. La plupart des gens se casseront les dents en essayant de démonter le raisonnement, et rares sont ceux qui iront investiguer la prémisse.

              C’est exactement ce qu’on fait les néolibéraux lorsqu’ils ont vendu la régulation par le marché. Le raisonnement qui montre que le marché aboutit à l’allocation optimale est très difficile à contester. Seulement, il s’appuie sur la supposition qu’on peut construire dans la réalité un marché « pur et parfait »… or cela n’est possible que dans quelques secteurs de l’économie. Mais la plupart des antilibéraux ont attaqué le mécanisme de marché – essentiellement avec des arguments moraux – sans voir que l’argument néolibéral repose sur un sophisme interne.

              [je continue de trouver intéressante la théorie selon laquelle c’est notre capacité à nous unir autour de croyances qui nous a permis de dominer la planète.]

              Elle est peut-être « intéressante », mais la vérification empirique manque cruellement. D’abord, il faudrait montrer que nous sommes le seul animal capable d’un tel exploit, ce qui n’a rien d’évident puisque nous savons que les animaux peuvent aussi « croire » (voir l’expérience du miroir) et son capables d’actions coordonnées en fonction de cette « croyance ». En fait, il faudrait d’abord s’entendre sur ce qu’est une « croyance ». L’oiseau « croit » voir un autre oiseau dans son image dans le miroir ? Ce qui est unique chez l’homme, ce n’est pas tant la capacité de s’unir autour de croyances que de SYMBOLISER – c’est-à-dire, de créer des entités abstraites investies de réalité. Et il est clair que cette capacité lui donne à l’être humain un avantage radical, puisqu’il lui permet de se projeter au-delà de sa propre mort.

  19. Tythan dit :

    Cher Descartes, chers commentateurs et lecteurs de ce blogue,

    Je vous adresse à tous mes meilleurs voeux pour 2020.

    Je ne participe que peu, n’ayant pas forcément grand chose d’intéressant à raconter (je suis pour ma part plutôt un militant politique, pour Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan), mais je suis assidûment les débats.

    Cette année de 2020, avec notamment les élections municipales, devrait être l’occasion de riches discussions!

    Bien à vous tous,

    Tythan

  20. Lazeby dit :

    Bonjour Descartes,
    L’opposition que vous faites entre le mythe, symbolisation de la réalité, et la croyance, affirmation de LA réalité, me ramène à Georges Sorel.
    En effet, Sorel confrontait le mythe, transfiguration du réel, et l’utopie, qui relevait de la croyance pure et dont il se méfiait absolument.
    En ce qu’il renvoyait à une réalité collective vécue, le mythe était rassembleur et portait à l’action commune -la prise de la bastille était par exemple un fait historique avéré érigé au rang d’un mythe exemplaire.
    L’utopie était en revanche un mirage lequel, dans sa quête impossible de substitution au réel, finissait par tenter de soumettre à son image tant la réalité que ceux qui la représentait en chair et en os. En cela, l’utopie devenait forcément exclusive et coercitive.
    Sorel en concluait que si la révolution avait besoin de mythes, elle n’avait pas besoin d’utopie.
    Tous ceux qui, depuis des lustres, proclament fièrement qu’ils aspirent à reconstruire le monde « à la mesure de leurs rêves », debout la nuit ou pas, feraient peut-être bien bien de méditer cette réflexion.
    Hors sujet ou en plein dedans, connaissez vous les ouvrages de Grégoire Chamayou, surtout le dernier -La société Ingouvernable, une généalogie du libéralisme autoritaire. ?
    L’enlisement actuel des négociations sur les retraites me fait penser à ce qu’il disait dans cet ouvrage sur la véritable fonction d’une négociation selon Rafael Pagan -un ancien membre du renseignement militaire américain qui avait été recruté par la firme Nestlé pour contrer les menées syndicales dans les années soixante dix du siècle dernier.
    Une négociation ne doit servir qu’à gagner du temps et à discréditer les interlocuteurs syndicaux en noyant le poisson. Elle sert aussi à faire passer les mêmes interlocuteurs pour des irresponsables lorsque ceux-ci viennent à se lasser et rompent les négociations.
    La négociation sert aussi à caractériser les interlocuteurs selon trois types : les idéalistes (à qui l’on peut donner mauvaise conscience), les réalistes (que l’on peut acheter et retourner) , et les radicaux (que l’on rejette durement).
    Il me semble que tout cela est bien incarné et visible dans le conflit actuel.
    Très bonne année à vous.

    • Descartes dit :

      @ Lazeby

      [Tous ceux qui, depuis des lustres, proclament fièrement qu’ils aspirent à reconstruire le monde « à la mesure de leurs rêves », debout la nuit ou pas, feraient peut-être bien bien de méditer cette réflexion.]

      Tout à fait. Il y a quelques années j’avais ici critiqué un leader communiste qui avait dit en substance qu’on avait donné trop de poids au principe de réalité et pas assez au principe de plaisir. Cela va en parallèle avec la valorisation du « rêve » dans des expressions comme « rêve(o)lution » qu’affectait il n’y a pas si longtemps le PCF ou « rêve générale » qui est plutôt l’apanage de l’extrême gauche.

      Qu’est-ce que l’espace du rêve ? Celui où l’on n’est pas contraint par les limites du réel, mais celui où l’on n’a pas à assumer les conséquences « réelles » de ses actes. Personnellement, en bon marxiste je me suis toujours méfier de l’idéalisme bêlant des « utopies », des « rêves » et autres concepts du même genre. Ceux qui veulent reconstruire le monde doivent au contraire avoir les pieds fermement plantés dans le réel qui, selon une très belle formule, « est ce qui est toujours présent même lorsqu’on a cessé d’y croire ».

      [Hors sujet ou en plein dedans, connaissez vous les ouvrages de Grégoire Chamayou, surtout le dernier -La société Ingouvernable, une généalogie du libéralisme autoritaire. ?]

      Non, désolé.

      [Une négociation ne doit servir qu’à gagner du temps et à discréditer les interlocuteurs syndicaux en noyant le poisson. Elle sert aussi à faire passer les mêmes interlocuteurs pour des irresponsables lorsque ceux-ci viennent à se lasser et rompent les négociations. (…) Il me semble que tout cela est bien incarné et visible dans le conflit actuel.]

      Je ne le crois pas. Je pense que vous voyez une stratégie là où en fait il y a plutôt de l’incompétence. Parce qu’il faut être très naïf pour imaginer que les contacts entamés ces derniers temps entre gouvernement et syndicats peuvent être présentés sérieusement comme des « négociations ». La stratégie du gouvernement jusqu’ici a été justement de refuser toute négociation.

  21. luc dit :

    LE DéNOUEMENT EN FAVEUR DU GOUVERNEMENT EST-IL PROCHE ?
    J’ai tendance à penser que Oui…
    En effet Macron a la légitimité républicaine pour gouverner même si le prix politique sera lourd à payer .
    Au final ce renforcement du rôle de l’état ne pourrait il pas être utilisé par un éventuel chef de l’état ,qui dans le futur serait amener par exemple à diriger une possible Frexit , car le pouvoir républicain peut sortir renforcer de ce changement de système qu’est cette ‘réforme’ des retraites ?
    Par aialleurs ,n’est il pas envisageable que le gouvernement utilises les ordonnances pour faire passer ce texte(s imparfait et susceptible d’interminables critiques ravivant à l’infini les contestations) , d’utiliser les ordonnances tel un ‘vulgaire ‘Hollande ?

    • Descartes dit :

      @ luc

      [LE DENOUEMENT EN FAVEUR DU GOUVERNEMENT EST-IL PROCHE ? J’ai tendance à penser que Oui…]

      Il n’y a pas vraiment de « dénouement » en vue.

      [En effet Macron a la légitimité républicaine pour gouverner même si le prix politique sera lourd à payer.]

      C’est discutable. La conception « statique » de la démocratie, fondée sur l’idée que les représentants reçoivent le jour de l’élection un mandat pour gouverner comme ils l’entendent pendant la durée de leur mandat n’est pas historiquement celle qui est majoritaire en France. Au contraire, nos institutions sont construites sur l’idée que si les représentants reçoivent un mandat pour gouverner, ce mandat est précaire, peut être contesté en permanence (par la grève, par la manifestation, par les élections intermédiaires, par la pétition) et que lorsque le conflit apparaît important le mandat doit être confirmé par le peuple.

      [Au final ce renforcement du rôle de l’état ne pourrait-il pas être utilisé par un éventuel chef de l’état, qui dans le futur serait amener par exemple à diriger une possible Frexit, car le pouvoir républicain peut sortir renforcer de ce changement de système qu’est cette ‘réforme’ des retraites ?]

      Le « pouvoir républicain » n’est jamais renforcé en tournant le dos à la souveraineté populaire. Il apparaît clairement aujourd’hui que la réforme proposée ne convainc pas une majorité de nos concitoyens.

      [Par ailleurs, n’est-il pas envisageable que le gouvernement utilise les ordonnances pour faire passer ce texte (imparfait et susceptible d’interminables critiques ravivant à l’infini les contestations), d’utiliser les ordonnances tel un ‘vulgaire ‘Hollande ?]

      C’est le plus probable. La difficulté est que le gouvernement doit être habilité par le Parlement à légiférer par ordonnances, et que cette habilitation n’est pas évidente sur un sujet aussi délicat.

  22. Philippe Dubois dit :

    Bonjour Descartes.

    Je vous souhaite une bonne et heureuse année, pour vous et tous ceux qui vous sont chers

    Merci de permettre à ceux qui ne sont pas d’accord avec vous de s’exprimer sur votre blog : c’est suffisamment rare pour être signalé

    • Descartes dit :

      @ Philippe Dubois

      [Merci de permettre à ceux qui ne sont pas d’accord avec vous de s’exprimer sur votre blog : c’est suffisamment rare pour être signalé]

      C’est la raison d’être de ce blog. Franchement, quel intérêt de tenir un blog si c’est pour échanger avec des gens qui pensent la même chose que moi ? C’est toute la différence entre la masturbation et l’amour…

  23. Capievic Luc dit :

    Bonne année à vous,
    que 2020 vous laisse plus de temps pour votre blog .

  24. bernard dit :

    Bonjour , concernant la réforme des retraites je crois que les organisations syndicales et ceux qui se disent de gauche peuvent manifester tant qu’ils veulent ça ne changera rien , le pays n’est pas en gréve et les salariés du privé participent peu aux mouvements sociaux actuels , et bien qu’ils ne partage pas le projet actuel ils ne font pas plus confiance a ce que raconte d’un coté Mélenchon et consort et d’un autre coté les propositions de FO et de la CGT notamment !!

    • Descartes dit :

      @ bernard

      [Bonjour, concernant la réforme des retraites je crois que les organisations syndicales et ceux qui se disent de gauche peuvent manifester tant qu’ils veulent ça ne changera rien,]

      On peut en discuter. Si par-là vous entendez que cela ne permettra pas d’obtenir le retrait de la réforme, vous avez probablement raison. Mais de là à dire que cela ne changera « rien », il y a un pas qu’il n’est pas évident de franchir. Même lorsqu’ils échouent dans leur objectif avoué, les grands mouvements sociaux servent à rappeler aux gouvernements que les contre-pouvoirs existent, et qu’ils ne peuvent faire n’importe quoi.

      Evaluer l’efficacité des actions syndicales c’est un peu comme évaluer la force de dissuasion nucléaire. On pourrait se dire qu’elle est inutile, puisqu’elle n’a jamais servi, qu’elle n’a jamais permis d’obtenir un avantage sur le champ de bataille. Mais d’un autre côté, il faut aussi regarder les guerres et les destructions que sa simple existence a empêchées. Et de la même façon, on peut se demander si la réforme proposée par le gouvernement n’aurait été dix fois pire pour le monde du travail si la crainte d’un mouvement de grande ampleur n’avait tempéré ses ardeurs.

      Dans le même ordre des choses, on assiste à une imposture traditionnelle chez les syndicats, les « réformistes » affirmant qu’ils défendent mieux le monde du travail que les « intransigeants » puisqu’ils obtiennent des avantages par la négociation alors que les « intransigeants » n’obtiennent jamais rien. Mais ce discours devrait nous pousser à nous demander qu’est ce qui permet aux « réformistes » de négocier en position de force. Si le patronat ne craignait pas les « intransigeants », il ne se sentirait probablement pas poussé à faire des concessions. Les modérés ont toujours vécu grâce à la peur qu’inspirent les extrémistes, selon la formule qui veut qu’on ait toujours intérêt à négocier avec le propriétaire du cirque plutôt qu’avec les lions.

      [le pays n’est pas en grève et les salariés du privé participent peu aux mouvements sociaux actuels,]

      D’abord, les salariés du privé sont en difficulté à l’heure de faire la grève. Ca ne date pas d’aujourd’hui, d’ailleurs. C’est pourquoi dans notre pays les conquêtes sociales ont été d’abord le fait des salariés du public, avant de diffuser dans l’ensemble de la société. Le public a joué depuis 1945 le rôle de « locomotive sociale ». Faut-il le regretter ?

      [et bien qu’ils ne partage pas le projet actuel ils ne font pas plus confiance à ce que raconte d’un côté Mélenchon et consort et d’un autre coté les propositions de FO et de la CGT notamment !!]

      Que ce soit dans le public ou dans le privé, les couches populaires ne font pas confiance « à ce que racontent » les leaders politiques. C’est vrai pour Mélenchon et LFI, mais c’est vrai aussi pour les leaders du PS, du PCF, du NPA, de EELV et de l’autre côté de LR, du Modem ou de LREM. Et ils ont parfaitement raison, parce que tout ce beau monde, lorsqu’il a été aux responsabilités, a soutenu les mêmes politiques. Le fait que le mouvement social en cours ne trouve pas d’exutoire politique est un véritable problème.

  25. Luc dit :

    Les 2 seules bombes nucléaires , lancées à Hiroshima et Nagasaki , le furent par les USA .
    Tout de suite après le Japon capitulait , est ce un oubli de votre texte prècédent , comme je l’imagine ou avez vous un complément ?

    • Descartes dit :

      @ Luc

      [Les 2 seules bombes nucléaires, lancées à Hiroshima et Nagasaki, le furent par les USA. Tout de suite après le Japon capitulait, est ce un oubli de votre texte précédent, comme je l’imagine ou avez vous un complément ?]

      Non, ce n’est pas un oubli. Dans mon commentaire, j’ai parlé non pas de la “bombe nucléaire”, mais de la “dissuasion”. Or, si la bombe nucléaire est aujourd’hui un maillon essentiel de la dissuasion, les deux choses ne se confondent pas. La dissuasion implique non seulement la bombe et les moyens de la délivrer, mais c’est aussi et avant tout une doctrine politique d’emploi, qui délimite les intérêts dont la défense justifierait l’utilisation des armes (sanctuarisation du territoire national, pour aller vite). Au jour d’aujourd’hui, aucun pays n’a actionné sa force de dissuasion. D’où ma remarque sur la difficulté d’évaluer ses résultats. Un raisonnement simpliste pourrait conclure que puisqu’on l’a jamais utilisée, la force de dissuasion ne sert à rien.

      Les bombes lancées sur Hiroshima et Nagasaki ne l’ont pas été dans le cadre d’une logique de “dissuasion”. Elles ont été utilisées comme armes de théâtre, comme n’importe quelle autre bombe lancée d’un avion. On trouve d’ailleurs des bombardements conventionnels qui ont fait des dégâts équivalents à celui des bombes atomiques (pensez par exemple à la destruction de Dresde par l’aviation alliée en 1944).

      • Lazeby dit :

        Permettez-moi d’apporter des précisions sur ce point d’histoire qui m’est cher.
        1)
        Inutile d’évoquer Dresde et autant rester au Japon pour remettre les bombardements Hiroshima et de Nagasaki en perspective.
        Le 10 mars 1945 le seul bombardement conventionnel de Tokyo fit 120 000 victimes. Entre cette date et le 2 août pas moins de 66 villes importantes -dont 26 dans les trois semaines précédant Hiroshima furent anéanties- avec un pourcentage de dégâts variant de 50 % à… 99 % (Toyama) et un nombre de tués s’élevant au moins à trois cent mille personnes.
        Les cibles d’Hiroshima et de Nagasaki ne furent d’ailleurs pas choisies au hasard puisqu’il s’agissait en fait des deux dernières grandes villes japonaises qui étaient encore debout debout août.
        2)
        Vis à vis de ces catastrophes en cascade l’attitude tant des pouvoirs civils et militaires que de l’empereur était une indifférence totale au sort des populations. Exemple cette déclaration du ministre des affaires étrangères Shidehara Kijuro après le bombardement de Tokyo : 
        « Les populations vont progressivement s’habituer à être bombardé quotidiennement. Au fur et à mesure, leur sentiment d’unité et leur résolution ne feront que croître… Même si des centaines de milliers de non-combattant sont tués… Même si des millions d’habitations sont détruites ou incendiées».
        Dans les compte-rendus du conseil suprême du gouvernement il n’est d’ailleurs quasiment jamais fait mention de ces destructions -sauf pour le cas deTokyo.
        3)
        Concernant la chronologie de l’information sur les événements, le rapport détaillé sur l’ampleur du drame d’Hiroshima n’arrive à Tokyo que le 10 août, soit le lendemain du début des pourparlers sur la capitulation, et ceux-ci débutent dans la matinée du 9, soit AVANT d’apprendre vers 14h qu’une deuxième bombe a frappé Nagasaki.
        Par ailleurs il n’y eut pas d’effet de stupeur particulier au niveau des militaires sur ces bombardements puisqu’ils connaissaient eux-mêmes la bombe atomique et avaient leur propre programme de recherche sur la question.

        CONCLUSION.
        Le lien direct entre la capitulation du Japon et les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki est une légende américaine mais qui arrangea bien les japonais.Ceux-ci s’en tiennent toujours à cette version car elle a finalement donné aux pouvoirs nippons de l’époque une touche de scrupule humaniste dont ils étaient absolument dépourvu.
        Leur intention réelle étaient de mener une dernière grande bataille sacrificielle pour amener les américains a négocier, quoi qu’il en coûta, et l’armée nippone avait encore les moyens de leur faire très mal. Il se seraient parallèlement appuyés sur Staline pour servir d’intermédiaire à ces négociations.
        C’est précisément l’entrée en guerre des soviétiques qui ruina ce plan, celle-ci se traduisant immédiatement par la destruction spectaculaire de l’armée du Kwantung en Mandchourie et l’assaut réussi sur l’île de Sakhaline, dernière marche avant d’aborder Hokkaido.
        Maints historiens se demandent d’ailleurs si l’effet dissuasif des bombes d’Hiroshima et de Nagasaki n’était pas plutôt destiné à Staline.

        • Descartes dit :

          @ Lazeby

          [Vis à vis de ces catastrophes en cascade l’attitude tant des pouvoirs civils et militaires que de l’empereur était une indifférence totale au sort des populations. Exemple cette déclaration du ministre des affaires étrangères Shidehara Kijuro après le bombardement de Tokyo :
          « Les populations vont progressivement s’habituer à être bombardé quotidiennement. Au fur et à mesure, leur sentiment d’unité et leur résolution ne feront que croître… Même si des centaines de milliers de non-combattant sont tués… Même si des millions d’habitations sont détruites ou incendiées ». Dans les compte-rendu du conseil suprême du gouvernement il n’est d’ailleurs quasiment jamais fait mention de ces destructions -sauf pour le cas de Tokyo.]

          Pourtant, la destruction d’Hiroshima et de Nagasaki, dont vous dites vous-même que la dimension n’était pas exceptionnelle en comparaison aux destructions par des bombardements conventionnels des autres villes et qui de surcroit n’étaient pas des objectifs militaires d’importance, a provoqué presque immédiatement la demande d’un armistice. Preuve donc que les autorités n’étaient pas aussi insensibles que vous le pensez aux pertes civiles…

          On imaginerait mal le ministre d’un gouvernement de guerre écrire dans une déclaration officielle que les bombardements ennemis ont un effet terrifiant, que la population est décimée et que la situation est désespérée. Le texte que vous citez n’est pas d’ailleurs très différent de ce qu’écrivait Goebbels dans ses mémoires vers la fin de la guerre en Europe, ou le discours tenu par les autorités nazies. Il y a toujours dans ce genre de document un part de volonté de s’auto-convaincre et de minimiser les éléments de la défaite.

          [Le lien direct entre la capitulation du Japon et les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki est une légende américaine mais qui arrangea bien les japonais. Ceux-ci s’en tiennent toujours à cette version car elle a finalement donné aux pouvoirs nippons de l’époque une touche de scrupule humaniste dont ils étaient absolument dépourvus.]

          Je n’en suis pas vraiment convaincu, pour les raisons expliquée ci-dessous :

          [Leur intention réelle était de mener une dernière grande bataille sacrificielle pour amener les américains à négocier, quoi qu’il en coûta, et l’armée nippone avait encore les moyens de leur faire très mal. Il se seraient parallèlement appuyés sur Staline pour servir d’intermédiaire à ces négociations.]

          Mais clairement l’utilisation des deux bombes atomiques a rendu caduque cette stratégie, puisque le Japon n’a finalement rien pu négocier, a capitulé inconditionnellement et a été mis sous un régime de proconsulat. Les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki ont donc bien eu un lien avec la capitulation du Japon. Sans elles, on aurait peut-être assisté à une paix négociée, ou les américains auraient accepté un armistice moins dur en échange de l’arrêt des combats.

          [Maints historiens se demandent d’ailleurs si l’effet dissuasif des bombes d’Hiroshima et de Nagasaki n’était pas plutôt destiné à Staline.]

          C’est une réalité. La documentation montre que le gouvernement américain a pris en compte cet élément dans sa decision.

      • Alain Brachet dit :

        Bonjour,
        A propos de votre réponse à Luc, ci-dessus, qui me convient, je pense néanmoins qu’elle doit être complétée. Pour qu’il y ait dissuasion efficace, il fallait, ce qui a eu lieu, une expérience “en vraie grandeur”. Sans elle la force de dissuasion de l’arme nucléaire n’aurait reposé , au mieux (ou au pire!) que sur des simulations ou des données écrites discutables. Elle avait sans doute sous cette forme, un rôle dissuasif pour les spécialistes militaires, mais beaucoup moins pour les politiques et l’opinion publique. Les USA visaient déjà ce rôle-là pour l’avenir (on dit que la chute du Japon était déjà acquise, avant Hiroshima, dont le besoin, pour le but de capitulation, était donc inutile). Mais la guerre froide (URSS – USA) devenait à l’ordre du jour car la chute de l’URSS n’avait pu résulter en effet de l’attaque nazi, bien au contraire… Les USA voyaient plus loin… et la dissuasion nucléaire n’a trouvé sa pleine efficacité qu’après la guerre mondiale, dans l’antagonisme de la guerre froide. Le Japon a été en somme victime d’une politique encore balbutiante à l’époque. Mais c’était probablement le seul endroit où les USA, alors, pouvaient faire cette “expérience en vraie grandeur”…

        • Descartes dit :

          @ Alain Brachet

          [Pour qu’il y ait dissuasion efficace, il fallait, ce qui a eu lieu, une expérience “en vraie grandeur”. Sans elle la force de dissuasion de l’arme nucléaire n’aurait reposé, au mieux (ou au pire!) que sur des simulations ou des données écrites discutables.]

          Tout à fait. L’arme nucléaire, conçue au départ comme une arme d’emploi, c’est-à-dire, une arme dont on envisageait l’utilisation dans un conflit pour gagner un avantage militaire, est devenue en quelques années une arme de dissuasion, dont on n’envisage pas l’utilisation autrement que dans une logique d’annihilation mutuelle (doctrine MAD) ou celle des « dommages inacceptables » (« dissuasion du faible au fort »). Cette transformation aurait-elle pu se faire sans la mémoire traumatique des deux bombardements américains ? On peut effectivement en douter.

          Mais il ne faut pas oublier quand même qu’au départ il s’agit d’une arme d’emploi, et que cette idée durera assez longtemps : Truman en novembre 1950 déclare que les Etats-Unis pourraient utiliser l’arme atomique pour régler la guerre de Corée, et le général McArthur en tire les conséquences en demandant en mars 1951 de pouvoir déclencher un « D-day atomique », pour lequel une planification avait été effectuée prévoyant le lancement de 34 bombes sur le territoire coréen. Il est vrai que Truman refuse et limogera McArthur peu après, tout en permettant la mise ne service d’armes nucléaires « tactiques » (comme le canon M65 prévu pour tirer un obus atomique) qui sont restées en service jusqu’au début des années 1960… Tout ça pour dire que les Américains n’ont pas dès le départ réduit – à la différence des Français ou des Soviétiques – l’arme atomique à un rôle de dissuasion pure.

          [Elle avait sans doute sous cette forme, un rôle dissuasif pour les spécialistes militaires, mais beaucoup moins pour les politiques et l’opinion publique. Les USA visaient déjà ce rôle-là pour l’avenir (on dit que la chute du Japon était déjà acquise, avant Hiroshima, dont le besoin, pour le but de capitulation, était donc inutile). Mais la guerre froide (URSS – USA) devenait à l’ordre du jour car la chute de l’URSS n’avait pu résulter en effet de l’attaque nazi, bien au contraire… Les USA voyaient plus loin…]

          Je ne suis pas si sûr. Il y avait à Washington des gens qui voyaient dans l’arme nucléaire un moyen de pression sur Staline dans la négociation des « sphères d’influence » de l’après-guerre (ce qui est un début de logique de dissuasion) mais étaient beaucoup plus nombreux ceux qui envisageaient une guerre à court terme contre l’URSS, dans laquelle les armes nucléaires pourraient être effectivement utilisées. Comme je l’ai dit plus haut, ce projet a été même formalisé et officiellement présenté pour la guerre de Corée. Ce n’est qu’avec le développement du programme nucléaire soviétique – le premier essai d’une bombe atomique a lieu en 1949 – et surtout des moyens balistiques – lancement du Sputnik en 1957 – que l’idée d’un « équilibre de la terreur » commence à faire lentement son chemin.

          • Alain Brachet dit :

            Merci pour votre réponse qui m’éclaire sur les différences entre arme nucléaire tactique et stratégique. Je place dans cette dernière catégorie l’arme atomique de destruction massive ou de “dissuasion”. C’est une arme directement “politique” dans la perspective de “faire de la politique par d’autres moyens”. Un obus atomique ” tactique” ne peut occasionner de dégâts que locaux (dimensions bien inférieures à la portée du canon…au risque d’éliminer les canonniers!): ce n’est finalement qu’une arme traditionnelle de la guerre conventionnelle, un peu plus performante. L’arme de destruction massive a une utilité politique énorme qui nécessite son non emploi… mais dont il fallait concrètement montrer la puissance…d’où Hiroshima et Nagasaki.

  26. luc dit :

    @lAZEBY ET @DESCARTES
    Imaginons que l’Iran ait la Bombe nucléaire.
    Cet Iran actuel ,celui de 2020 où un pouvoir clérical despotique réprime violemment son peuple qui n’en peut plus:( + de 1500 manifestants morts tués par les gardiensde la révolution) .
    L’utilisera t il pour la dissuasion ou la lancera til sur Israël ?
    Pour Israël détenteur depuis des décennies de la Bombe nucléaire en a un usage pour l’instant dissuasif mais n’hésiteras pas à l’utiliser si c’est une riposte ..
    De même entre les 2 Corées ou la Russie ou les USA,l’Inde et le pakistan .
    En France une voix surprenante s’exprime en ancien ministre de la défense.
    C’est Paul Quilès .Il est l’une des trop rares personnalités françaises qui se sont engagées en faveur du désarmement nucléaire. Il a été responsable national du Parti socialiste chargé des questions militaires, ministre de la Défense et président de la commission de la défense de l’Assemblée nationale. Sa remise en cause du “consensus nucléaire” n’en a que plus de poids et d’importance.Etes vous d’accord avec lui ?
    https://www.sortirdunucleaire.org/Paul-Quiles-la-dissuasion,28952

    • Descartes dit :

      @ luc

      [Imaginons que l’Iran ait la Bombe nucléaire. Cet Iran actuel, celui de 2020 où un pouvoir clérical despotique réprime violemment son peuple qui n’en peut plus:( + de 1500 manifestants morts tués par les gardiens de la révolution). L’utilisera-t-il pour la dissuasion ou la lancera-t-il sur Israël ?]

      Regardons tous les pays qui aujourd’hui disposent de la bombe atomique – dont plusieurs sont aussi « despotiques » que l’Iran, sans compter ceux qui ont une volonté impériale affichée. Combien d’entre eux – et ils sont une petite vingtaine – ont utilisé la bombe comme instrument de sanctuarisation de leur territoire, et combien l’ont lancée sur un autre pays ?

      Comme le souligné en son temps ce grand théoricien de l’arme nucléaire qu’était le général Gallois, la possession de l’arme nucléaire à la fois oblige et permet les pays à réfléchir avant d’agir. Sachant leur territoire national sanctuarisé, ils ont une approche plus rationnelle des conflits internationaux et sont moins poussés à des actions désespérées par des situations du type « vaincre ou périr ». L’exemple canonique est celui de l’Inde et du Pakistan : depuis que tous deux disposent de l’arme nucléaire, les conflits frontaliers qui à une époque étaient de haute intensité sont devenus bien plus feutrés.

      Pourquoi le gouvernement iranien utiliserait une arme atomique sur Israël, sachant que cela provoquerait sa destruction immédiate ? Quel serait son intérêt à se suicider, alors que son propre territoire est sanctuarisé et qu’il ne craint donc pas sa propre destruction ?

      [Pour Israël détenteur depuis des décennies de la Bombe nucléaire en a un usage pour l’instant dissuasif mais n’hésiteras pas à l’utiliser si c’est une riposte… De même entre les 2 Corées ou la Russie ou les USA, l’Inde et le Pakistan.]

      Mais le fait est qu’aucun de ces pays n’a utilisé la bombe, alors que certains la détiennent depuis plus d’un demi-siècle. La dissuasion nucléaire fonctionne sur le principe que personne n’a intérêt de se suicider sauf lorsqu’il est menacé d’une mort certaine. Et ça a l’air de marcher !

      [En France une voix surprenante s’exprime en ancien ministre de la défense. C’est Paul Quilès.]

      Pourquoi « surprenante » ? L’influence d’un pacifisme idéaliste a toujours été forte dans le courant socialiste en France. C’était déjà le cas dans les années 1930, quand les socialistes brocardaient comme des affreux va-t-en-guerre ceux qui poussaient à un réarmement de la France face à la menace hitlérienne. Outre cet idéalisme tenace les socialistes sont depuis 1945 foncièrement atlantistes. Cela tient à leur anticommunisme, qui les a poussés à épouser les thèses américaines en matière de politique internationale, alors que la force de frappe indépendante visait précisément à pouvoir contester ces thèses. N’oubliez pas que les socialistes se sont d’ailleurs toujours opposés à la force de frappe française, préférant de loin le parapluie américain. Il est vrai que cela nous rend dépendants, mais c’est tellement moins cher…

      [Il est l’une des trop rares personnalités françaises qui se sont engagées en faveur du désarmement nucléaire.]

      Ah bon ? Si vous lisez avec attention l’article dont vous donnez la référence, on ne parle que du désarmement nucléaire DE LA FRANCE. Etonnant, n’est ce pas ? En fait, cela n’a rien de surprenant, surtout si l’on tient compte que sa « contribution » au congrès socialiste a été signée aussi par Michel Rocard. On y retrouve là cette vieille tradition de la gauche atlantiste et anticommuniste qui accepte comme naturelle la vassalisation de la France aux Américains. La même « gauche » qui en 1940 prêchait l’adaptation au « nouvel ordre » européen…

      [Etes-vous d’accord avec lui ?]

      Non, je ne suis pas d’accord avec lui. Et ce n’est pas l’entretien que vous citez qui va me faire changer d’avis.

      • Lazeby dit :

        Pas grand chose à ajouter à la réponse de Descartes.
        La dissuasion nucléaire est pour moi la forme ultime du séculaire « si vis pacem para bellum » et si elle n’a pas mis fin aux guerres elle a au moins prévenu pour l’instant la forme apocalyptique que promettait l’engrenage des deux guerres mondiales du siècle dernier.
        Je crois aussi que la possession de l’arme atomique est le dernier lambeau de l’indépendance non seulement de la France mais aussi du droit à la parole sur les affaires du pays que possède implicitement cette armée que l’on nomme grande muette -et qui ne l’est pas en aparté.
        Pas étonnant que les classiques vautours atlantistes à faux nez (celui du pacifisme) rôdent autour de cette encombrante montagne avec la quadrature du cercle en tête -comment s’en débarrasser ?
        Je pense d’ailleurs que la fameuse et pour l’instant introuvable défense européenne -qui hante semble-t-il les songes de Macron après bien d’autres- serait sur le papier le moyen idéal d’amorcer la noyade du poisson.
        Sur le pacifisme des années trente, j’ai déjà parlé ici du livre de Simon Epstein (Un Paradoxe Français, Antiraciste dans la collaboration, Antisémite dans la résistance) qui le considérait comme le marqueur principal qui allait décider des choix individuels sous la collaboration.
        Quels que soient ses opinions politiques ou ses préjugés sociaux ou raciaux, l’on avait d’autant plus de chances de se retrouver collabo en étant munichois et adepte du slogan « guerre à la guerre » (pour ne pas citer l’infâme « plutôt Hitler que la guerre ») au moment de Munich.
        Il y a d’ailleurs une correspondance gênante entre les milieux pacifistes de l’époque -pêle-mêle les centres et la gauche socialiste, la droite catholique, les milieux syndicaux avec en tête le puissant syndicat national des instituteurs, les jeunes, les féministes du temps, mais aussi le haut patronat- et les partisans béats de « l’Europe de la paix » aujourd’hui.
        Sur la réponse faite à Alain Brachet je crois utile de mentionner quand même le retour en force ces derniers temps -surtout chez les américains- d’une conception non plus seulement dissuasive mais tactique de l’arme nucléaire. Mais cette tactique ne serait-elle pas tout autant dissuasive ?
        Enfin, concernant le spectre iranien -mais qui n’a pas son comptant de cadavres dans la région, sans parler de ceux qui s’invitent à la fête- j’ai toujours été persuadé qu’ils finiront par s’entendre avec les israéliens, et je ne vois pas d’autre solution susceptible d’amener une paix durable dans la région.
        Mais quand je dis ça, je passe généralement pour un fou…

        • Descartes dit :

          @ Lazeby

          [Je crois aussi que la possession de l’arme atomique est le dernier lambeau de l’indépendance non seulement de la France mais aussi du droit à la parole sur les affaires du pays que possède implicitement cette armée que l’on nomme grande muette -et qui ne l’est pas en aparté.]

          Là, permettez-moi d’être en total désaccord. La possession de l’arme atomique réduit au contraire l’influence de l’armée dans les affaires du pays… et c’est très bien comme ça. En effet, aussi longtemps que la défense du territoire dépendait des armées, l’institution militaire avait un rôle essentiel dans la vie de la nation. Depuis que le territoire est « sanctuarisé » par une arme qui n’est pas vraiment sous le contrôle des militaires, le rôle de l’institution a largement périclité.

          [Pas étonnant que les classiques vautours atlantistes à faux nez (celui du pacifisme) rôdent autour de cette encombrante montagne avec la quadrature du cercle en tête -comment s’en débarrasser ?
          Je pense d’ailleurs que la fameuse et pour l’instant introuvable défense européenne -qui hante semble-t-il les songes de Macron après bien d’autres- serait sur le papier le moyen idéal d’amorcer la noyade du poisson.]

          Tout à fait. Il ne faudrait pas oublier que les partisans de l’improbable armée européenne sont les mêmes qui naguère avaient poussé le projet de CED, destiné là aussi à rendre impossible toute politique extérieure autonome. Il n’est pas inutile de rappeler que la CED fut torpillée par l’action combinée des gaullistes et des communistes… les mêmes qu’on trouvera plus tard et après bien de péripéties unis autour de l’idée de la dissuasion.

          [Il y a d’ailleurs une correspondance gênante entre les milieux pacifistes de l’époque -pêle-mêle les centres et la gauche socialiste, la droite catholique, les milieux syndicaux avec en tête le puissant syndicat national des instituteurs, les jeunes, les féministes du temps, mais aussi le haut patronat- et les partisans béats de « l’Europe de la paix » aujourd’hui.]

          Tout à fait. C’est que le pétainisme n’est pas un accident de notre histoire : c’est une idéologie qui vient de très loin. Celle du « ça m’suffit » qui trouve la grandeur trop dispendieuse et qui s’imagine qu’elle peut vivre son petit bonheur en marge des affaires du monde, un peu comme une grande Suisse. C’est la « petite France » que décrit si bien Slama.

          [Sur la réponse faite à Alain Brachet je crois utile de mentionner quand même le retour en force ces derniers temps -surtout chez les américains- d’une conception non plus seulement dissuasive mais tactique de l’arme nucléaire. Mais cette tactique ne serait-elle pas tout autant dissuasive ?]

          La tentation d’une utilisation « tactique » de l’arme nucléaire a toujours été présente chez les Américains, et elle tient un peu à leur histoire. Les Etats-Unis sont à la fois une puissance guerrière – rares sont les périodes pendant lesquelles le pays n’a pas été en guerre quelque part – et en même temps une puissance habituée à faire la guerre chez les autres, très loin de son propre territoire. Il manque donc aux décideurs américains – et à leurs électeurs – l’expérience vécue de la destruction massive, qui fait qu’ils prennent cette éventualité à la légère. Vous noterez d’ailleurs que la littérature et le cinéma américain évoquent fréquemment cette éventualité (pensez à « Independence day » et autres du même genre) dans la fiction, alors que le cinéma ou la littérature européenne s’abstiennent. Chez eux, c’est un sujet de fiction, chez nous elle prendrait un sens bien plus allégorique…

          [Enfin, concernant le spectre iranien -mais qui n’a pas son comptant de cadavres dans la région, sans parler de ceux qui s’invitent à la fête- j’ai toujours été persuadé qu’ils finiront par s’entendre avec les israéliens, et je ne vois pas d’autre solution susceptible d’amener une paix durable dans la région.]

          Cela suppose qu’Israel pourrait vouloir une « paix durable dans la région ». C’est une hypothèse que je trouve très optimiste. Et cela pour une raison simple : la société israélienne est une société atomisée par les conflits internes. C’est le conflit permanent avec ses voisins qui constitue aujourd’hui le ciment qui fait tenir le pays. Etablissez une « paix durable », et vous aurez une guerre civile entre israéliens…

          Les politiciens israéliens l’ont très bien compris : le fonctionnement de l’Etat d’Israel est construit sur le mythe d’une unité du peuple juif. Mais c’est un mythe : les juifs de tradition orientale ont peu de chose en commun avec les juifs venus du monde slave, les juifs orthodoxes de Palestine ont peu de choses à partager avec les juifs laïques venus de France ou d’Allemagne. La seule chose que tous les juifs partagent – et encore… – c’est la paranoïa issue de siècles de persécutions diverses. C’est pourquoi l’existence de l’Etat d’Israel est intimement liée à cette paranoïa. Il ne suffit pas de la constater, il faut la nourrir, la soigner, la faire grandir. C’est ce que tous les gouvernements israéliens, de droite comme de gauche, ont fait. Et le seul qui a dévié de cette ligne, Rabin, a été assassiné.

  27. Gugus69 dit :

    Diable, ami et camarade !
    Voilà qui devrait vous sidérer !

    (ça ne dure que 10 minutes, je sais que vous n’êtes pas amateur de vidéo)

    • Descartes dit :

      @ Gugus69

      [Diable, ami et camarade ! Voilà qui devrait vous sidérer !]

      J’en suis tout à fait sidéré, en effet. J’ai suffisamment critiqué l’esprit sectaire dont a fait preuve jusqu’ici l’UPR, je n’ai pas de raison de ne pas applaudir à une initiative qui rompt résolument avec cette attitude.

      Alors sans état d’âme je dis : Bravo ! Enfin quelqu’un qui convoque publiquement les « hommes de bonne volonté » du camp souverainiste et ses alliés potentiels sans exclusives – j’espère que Philippot, qui n’est pas mentionné dans la vidéo, n’a pas été exclu des personnalités invitées… – et sans anathèmes. Et bien entendu, je ferai un papier sur ce blog pour inviter mes lecteurs à participer à cet événement !

      • Gugus69 dit :

        Je crois que vous vous trompez.
        Dans la vidéo, Floriant Philippot est clairement mentionné parmi les invités.

      • cd dit :

        Philippot est bien cité parmi les invités : “puisqu’il se bat désormais pour le frexit” à 4min31.

      • JMP dit :

        “j’espère que Philippot , qui n’est pas mentionné dans la vidéo , …”
        ben si il est mentionné et très explicitement par Asselineau ( a 4mn30 ) : je propose à Florian Philippot de venir, lui qui se bat désormais pour le frexit.

      • Un Belge dit :

        @Descartes :

        [ j’espère que Philippot, qui n’est pas mentionné dans la vidéo, n’a pas été exclu des personnalités invitées…]

        Vous avez du etre inattentifs, il a été invité. Reste à voir si il viendra

        • Descartes dit :

          @ Un Belge (mais aussi JMP, Gugus69 et cd)

          [Vous avez du etre inattentifs, il a été invité. Reste à voir si il viendra]

          Toutes mes excuses, effectivement, le passage m’avait échappé. Voilà pourquoi je préfère les textes aux vidéos…
          Donc, amende honorable: je peux soutenir l’initiative d’Asselineau sans la moindre réserve… et j’invite tous ceux qui me lisent à faire de même!

      • Ian Brossage dit :

        Je dois dire que je trouve la vidéo surréaliste. Asselineau, qui il y a encore un an crachait publiquement et avec la plus grande violence même sur Philippot ou Dupont-Aignan, se met à inviter Ian Brossat, Nathalie Artaud (décrite simplement en « femme sympathique ») ou Mélenchon… Qui, non seulement font dans l’analyse UPR habituelle partie des « partis-leurres » agités par le système pour détourner les Français de la véritable solution politique, mais n’ont pas vraiment montré de convictions souverainistes.

        Du coup, me voici dubitatif : en sautant d’un extrême à l’autre, du sectarisme chimiquement pur au rassemblisme absurde, Asselineau a-t-il vraiment progressé dans sa vision du champ politique ?

        Quant à Philippot, il semble qu’il organise sa propre petite sauterie, annoncée dans une vidéo au format artisanal :

        • Descartes dit :

          @ Ian Brossage

          [Je dois dire que je trouve la vidéo surréaliste. Asselineau, qui il y a encore un an crachait publiquement et avec la plus grande violence même sur Philippot ou Dupont-Aignan, se met à inviter Ian Brossat, Nathalie Artaud (décrite simplement en « femme sympathique ») ou Mélenchon…]
          Si on critique les gens quand ils sont sectaires, on ne peut les critiquer aussi lorsqu’ils cherchent à rassembler !

          Comme disait Churchill, « si demain Hitler envahissait l’enfer, je ferais l’éloge de Belzebuth à la Chambre des Communes ». On ne peut exclure que ce retournement d’Asselineau soit purement opportuniste, une manière de se mettre au centre en jouant les amphitryons. Cela étant dit, il le fait bien : invitations à tout le monde sans exclusives (même Arthaud, comme si l’on avait oublié qu’on doit en partie à LO la ratification du traité de Maastricht, sans que le mouvement en question ait jamais fait un retour critique sur cette erreur monumentale), affirmation qu’il ne s’agit pas d’une manifestation UPR… je trouve qu’il a ouvert un espace où les autres peuvent aller sans pour cela montrer une quelconque allégeance à l’UPR et son chef. C’est donc une bonne chose.

          [Du coup, me voici dubitatif : en sautant d’un extrême à l’autre, du sectarisme chimiquement pur au rassemblisme absurde, Asselineau a-t-il vraiment progressé dans sa vision du champ politique ?]

          Je ne sais pas. Mais jugeons sur les actes, en attendant de savoir plus sur les intentions.

          [Quant à Philippot, il semble qu’il organise sa propre petite sauterie, annoncée dans une vidéo au format artisanal :]

          Mais là, il s’agit d’une célébration des Patriotes pour les Patriotes, sans aucune volonté de rassemblement. C’est dommage…

          • Ian Brossage dit :

            @Descartes

            > On ne peut exclure que ce retournement d’Asselineau soit purement opportuniste, une manière de se mettre au centre en jouant les amphitryons.

            Ce qui me rend dubitatif n’est pas un éventuel opportunisme (que j’accepterais volontiers), mais le fait que cette invitation s’adresse aussi à des gens avec lesquels Asselineau n’a aucun point commun. Bref, j’ai l’impression que pour Asselineau il y a toujours lui d’un côté, tous les autres de l’autre, et qu’il ne voit pas l’intérêt de faire une différence politique entre Dupont-Aignan, Montebourg, Brossat et Artaud… alors que les deux premiers ont des convictions souverainistes, les deux derniers non.

            > même Arthaud, comme si l’on avait oublié qu’on doit en partie à LO la ratification du traité de Maastricht, sans que le mouvement en question ait jamais fait un retour critique sur cette erreur monumentale

            Sont-ils seulement conscients que c’est une erreur ? Pour un troskyste, l’indépendance nationale est une passion bourgeoise. Si demain un référendum avait lieu sur le Frexit, je ne serais pas étonné que LO appelle de nouveau à l’abstention.

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [Ce qui me rend dubitatif n’est pas un éventuel opportunisme (que j’accepterais volontiers), mais le fait que cette invitation s’adresse aussi à des gens avec lesquels Asselineau n’a aucun point commun. Bref, j’ai l’impression que pour Asselineau il y a toujours lui d’un côté, tous les autres de l’autre, et qu’il ne voit pas l’intérêt de faire une différence politique entre Dupont-Aignan, Montebourg, Brossat et Artaud… alors que les deux premiers ont des convictions souverainistes, les deux derniers non.]

              On peut donner à cet éclectisme une explication – purement hypothétique, je le reconnais. Ce qui caractérise la position d’Asselineau est non seulement un souverainisme sourcilleux, c’est aussi un antiaméricanisme assez primaire. L’inclusion de personnalités comme Arthaud ou Brossat pourrait obéir à cette clé de lecture…

              [Sont-ils seulement conscients que c’est une erreur ? Pour un troskyste, l’indépendance nationale est une passion bourgeoise. Si demain un référendum avait lieu sur le Frexit, je ne serais pas étonné que LO appelle de nouveau à l’abstention.]

              Je ne peux que vous donner raison. Le trotskysme est resté coincé quelque part en 1942…

            • JMP dit :

              @ ian brossage et Descartes
              une explication assez plausible a l’invitation de N Arthaud

              ci dessous le lien vers le No 230 du journal le bolchevik , organe francais de la 4ème internationale

              https://www.icl-fi.org/francais/lebol/230/macron.html

              extrait de l’éditorial :
              À bas l’Union européenne !
              Le gouvernement utilise les « directives européennes », élaborées essentiellement à Berlin et Paris, comme une machine de guerre pour justifier la nécessaire « réforme » de la France afin que celle-ci maintienne son statut comme l’une des quelques puissances dont le capital financier, épaulé par les troupes spéciales, opprime le reste du monde.
              L’UE est une série de traités signés entre les impérialistes, essentiellement allemands (qui en règle générale ont le dernier mot) et français, et leurs victimes, notamment les pays d’Europe du Sud et de l’Est qui sont opprimés grâce à la « liberté de circulation » du grand capital allemand ou français garantie par l’UE. Celle-ci a pour but de maximiser le taux de profit des capitalistes en accroissant au maximum le taux d’exploitation, grâce au cassage des syndicats, aux privatisations tous azimuts, à l’édiction de normes communes qui élargissent le marché accessible aux capitalistes les plus puissants (notamment allemands et français, avec le soutien des États-Unis). À bas l’UE et son instrument monétaire, l’euro !
              Egalement le titre de l’éditorial du No 229 :
              a bas l’union européenne !
              Les trotskystes britanniques disent : Brexit tout de suite !
              Nous reproduisons ci-dessous un article de nos camarades de la Spartacist League/Britain, paru dans leur journal Workers Hammer, été 2019.
              Il semblerai qu’il ne faut désespérer de rien..

            • Descartes dit :

              @ JMP

              [(…) Il semblerait qu’il ne faut désespérer de rien…]

              Il semblerait surtout qu’il faille désespérer des trotskystes, parce que l’argumentation exposée dans ces extraits est pitoyable. En quoi les capitalistes allemands ou français seraient-ils plus rapaces que les capitalistes italiens, polonais ou grecs ? Y aurait-il une hiérarchie entre les exploiteurs en fonction de leur nationalité ?

  28. democ-soc dit :

    A propos du débat sur la raison qui a poussé le Japon a capituler, j’avais trouvé le papier ci dessous tres convainquant
    http://www.slate.fr/story/73421/bombe-atomique-staline-japon-capituler
    En gros, debut aout 45, les gouvernants japonais savent qu’ils ont perdu mais ils esperent arracher autre chose que la capitulation sans conditions :
    les dirigeants civils esperent une mediation de Staline et Molotov (Le Japon et l’URSS ont signé un pacte de non agression qui est toujours en vigueur), et les chefs militaires esperent rejeter les americains a la mer quand ils debarqueront pour les forcer à négocier.
    Dans les 2 cas, la destruction des villes ne compte pas, d’autant qu’elle a déja eu lieu pour l’essentiel : le Japon est en ruine. Le larguage de la bombe A n’est pas decisif du tout car il n’invalide ni les espoirs du clan civil, ni celui des militaires.
    Par contre, l’entree en guerre de l’URSS detruit les 2, car pour la meiation c’est terminé bien sur, et Hokkaido, l’ile la plus au nord, n’est pas defendue et donc a la merci d’un debarquement sovietique dans les 2 semaines suivant la declaration de guerre du 8 aout.

    Minimiser le role de l’URSS et maximiser celui de la bombe rentrait d’ailleurs tres bien dans le cadre de la guerre froide, tout comme le pacte ribentrop – molotov etait bien pratique pour occulter les renoncements et la veulerie des democraties occidentales à Munich ou pendant la guerre d’Espagne.

    Au passage, bonne année et merci beaucoup à la stimulation intellectuelle que tu apportes à tes lecteurs!

    • Descartes dit :

      @ democ-soc

      [A propos du débat sur la raison qui a poussé le Japon a capituler, j’avais trouvé le papier ci-dessous tres convainquant]

      Il est certainement très intéressant. Cependant, je pense qu’il fait fi d’un élément essentiel, qui est l’effet psychologique de la bombe atomique, de l’idée qu’on puisse détruire une ville avec une seule bombe. Nous savons qu’il y eut en Europe comme au Japon des attaques aériennes qui provoquèrent des destructions et des pertes de vies civiles aussi importantes voire plus que les attaques sur Hiroshima et Nagasaki d’aout 1945. Et pourtant, l’arme atomique a acquis un statut symbolique qui échappe très largement à cette comparaison, et qui a de facto interdit son usage pratique.

      Les éléments de calendrier – et notamment la lenteur de la réaction japonaise – présentées dans l’article ne sont pas aussi claires que l’auteur semble le penser. Si le Conseil suprême a mis trois jours à se réunir officiellement, nous ne savons que peu de choses des discussions informelles qui se sont déroulées pendant cette période.

      [Par contre, l’entrée en guerre de l’URSS détruit les 2, car pour la médiation c’est terminé bien sûr, et Hokkaido, l’ile la plus au nord, n’est pas défendue et donc à la merci d’un débarquement soviétique dans les 2 semaines suivant la déclaration de guerre du 8 aout.]

      Je suis un peu surpris par cette analyse. L’URSS à cette époque n’est pas une puissance maritime. Elle a pu débarquer sur l’île de Sakhaline qui est séparée du territoire soviétique par un bras de mer de quelques km de largeur. Mais avait-elle les moyens d’organiser un débarquement à Hokkaido et de ravitailler une armée sur place ? Cela paraît fort douteux. Mais la question ici est moins ce que les soviétiques pouvaient réellement faire que ce que l’état-major japonais les croyait capables de faire. Et sur cela, nous n’avons pas beaucoup d’information.

      [Minimiser le rôle de l’URSS et maximiser celui de la bombe rentrait d’ailleurs très bien dans le cadre de la guerre froide, tout comme le pacte Ribbentrop – Molotov était bien pratique pour occulter les renoncements et la veulerie des démocraties occidentales à Munich ou pendant la guerre d’Espagne.]

      Que l’histoire telle qu’elle a été racontée plus tard soit celle qui arrange Américains et Japonais, c’est très probable. Mais cela n’exclut pas qu’elle puisse ne serait-ce que partiellement vraie. Il me semble difficile à nier que les deux armes nucléaires employées en 1945 ont provoqué partout sur la planète un traumatisme profond, alors que le monde était depuis cinq ans habitué à toutes sortes de destructions et de massacres. Il me semble difficile d’affirmer à partir de là que les deux bombes n’ont eu aucun effet sur les décideurs japonais.

      • BolchoKek dit :

        @ Descartes et democ-soc

        Je pense qu’il faut être très prudent lorsqu’on lit les textes japonais de la période de la guerre. Premièrement, comme le dit Descartes, on n’imagine pas un gouvernement en guerre, à fortiori quand il s’agit d’une dictature militaire, faire à sa population un discours défaitiste.
        Deuxièmement, il ne faut pas oublier que si on peut traduire un texte, il est très difficile de traduire les usages langagiers propres à une culture sans réécrire le texte complètement. En d’autres termes, attendre des Japonais qu’ils soient aussi directs et explicites que des occidentaux est un non-sens, et il faut toujours essayer de lire entre les lignes – ce n’est pas propre aux Japonais d’ailleurs, toute l’Asie est comme ça. Par exemple, dans le discours radiophonique annonçant la capitulation, l’empereur Hirohito ne parlera jamais directement de capitulation, mais utilisera la formule “la situation de guerre n’a pas nécessairement évolué en faveur du Japon”, ce qui, après deux bombes atomiques, l’effondrement de l’armée du Kwantung, les défaites successives en Chine et en Birmanie, la marine impériale aux fonds des mers, et un blocus sous-marin américain quasi-total, est un sacré euphémisme.

        [Je suis un peu surpris par cette analyse. L’URSS à cette époque n’est pas une puissance maritime. Elle a pu débarquer sur l’île de Sakhaline qui est séparée du territoire soviétique par un bras de mer de quelques km de largeur. Mais avait-elle les moyens d’organiser un débarquement à Hokkaido et de ravitailler une armée sur place ? Cela paraît fort douteux.]

        L’URSS n’a pas eu à “débarquer à Sakhaline”, le nord de l’île était resté russe depuis 1905. Ils ont simplement eu à franchir la frontière. Il y a eu des débarquements amphibie, certes, mais qui étaient des manœuvres auxiliaires à l’offensive terrestre.
        En ce qui concerne un possible débarquement à Hokkaido, c’est bien moins improbable techniquement que tu ne le penses. La flotte soviétique du pacifique était assez limitée, mais avait été inutilisée pendant le reste de la guerre et était en parfait état opérationnel, et l’état de la marine japonaise était tel à l’été 1945 que les soviétiques auraient probablement eu les mains libres – il ne faut pas oublier que le Japon en était au point d’envoyer les convois de ravitaillement péniblement produits vers la Chine sans escorte, en espérant qu’ils ne se fassent pas torpiller, les pertes étaient bien entendu colossales. Les soviétiques avaient également une assez sérieuse doctrine d’assaut amphibie, qui avait fait ses preuves notamment dans la prise de Saaremaa. Il faut également se rappeler qu’ils disposaient de corps parachutistes expérimentés – l’URSS avait été pionnière dans le domaine, dès l’époque de Toukhachevski. Ce sont notamment ces parachutistes qui ont capturé l’empereur déchu Puyi en Mandchourie.
        En fait, je pense que si les soviétiques projetaient d’envahir le Japon, ils ont donné bien plus de priorité au continent, et un débarquement à Hokkaido n’a vraisemblablement jamais dépassé le stade de vague projet.

        Il y a je pense un aspect qu’il ne faut pas oublier, qui a à mon avis bien plus influencé l’empressement américain d’obtenir la reddition du Japon au plus vite : plus les jours passaient, plus les troupes japonaises qui se rendaient sur le continent se rendraient aux soviétiques – qui transfèreraient en définitive équipements et occupation des lieux au PCC. Hâter la reddition, c’était s’assurer que les forces japonaises se rendraient en plus grande partie au Kuomintang. Il ne faut pas sous-estimer l’importance stratégique que les américains voyaient dans la Chine lorsqu’ils pensaient à l’après-guerre.

        • Descartes dit :

          @ BolchoKek

          [En ce qui concerne un possible débarquement à Hokkaido, c’est bien moins improbable techniquement que tu ne le penses. La flotte soviétique du pacifique était assez limitée, mais avait été inutilisée pendant le reste de la guerre et était en parfait état opérationnel, et l’état de la marine japonaise était tel à l’été 1945 que les soviétiques auraient probablement eu les mains libres]

          Pas tant que ça : si la marine impériale était très faible, l’aviation japonaise restait assez efficace. Les soviétiques auraient-ils pu s’assurer de la maîtrise du ciel pour un débarquement à Hokkaido, loin de leurs bases ? Auraient-ils pu ravitailler un corps expéditionnaire dans une île fortement peuplée et à la population hostile ? On ne le saura jamais… mais cela me paraît loin d’être évident.

          [En fait, je pense que si les soviétiques projetaient d’envahir le Japon, ils ont donné bien plus de priorité au continent, et un débarquement à Hokkaido n’a vraisemblablement jamais dépassé le stade de vague projet.]

          C’était mon point. La Russie reste avant tout une puissance continentale, et sa vision stratégique se concentre sur les frontières terrestres d’abord.

          [Hâter la reddition, c’était s’assurer que les forces japonaises se rendraient en plus grande partie au Kuomintang. Il ne faut pas sous-estimer l’importance stratégique que les américains voyaient dans la Chine lorsqu’ils pensaient à l’après-guerre.]

          Là encore, je ne suis pas convaincu. Je ne crois pas que les Américains aient cru en 1945 que le Kuomintang pouvait être mis en difficulté par les communistes…

          • BolchoKek dit :

            @ Descartes

            [Pas tant que ça : si la marine impériale était très faible, l’aviation japonaise restait assez efficace.]

            Encore une fois, pas vraiment. Pour commencer, les japonais n’avaient pas d’armée de l’air : l’armée et la marine, en compétition féroce, avaient chacun leur branche aérienne. Et cette séparation n’était nullement cosmétique : chacune avait ses propres obligés au sein des milieux industriels, ses bureaux d’études, ses réseaux, ses infrastructures, et cherchait à saboter les efforts de l’autre par divers moyens. Les missions, en principe dévolue à chaque branche, étaient en pratique bien souvent parallèles. C’était au point que l’armée avait dû se doter de ses propres porte-avions pour escorter ses convois de ravitaillement. Des deux branches, celle de la marine avait la claire faveur du pouvoir impérial, comptant en nombre d’appareils environ le double de l’armée pendant une grande partie de la guerre, et disposant assez clairement des meilleurs pilotes et du meilleur matériel. Or, les forces aériennes de la marine, principalement affectées dans le Pacifique et en Asie du sud-est, avaient été quasi-annihilées par les alliés. La branche aérienne de l’armée, elle, était surtout affectée au théâtre chinois, et disposait avant tout d’appareils d’attaque au sol, et de peu de bombardiers lourds. Et bien qu’en meilleur état en 1945 que l’aviation de la marine, le moins que l’on puisse dire est que ses performances ont été médiocres face aux Chinois, malgré l’absence quasi-totale de défense antiaérienne adéquate de ces derniers.

            [Auraient-ils pu ravitailler un corps expéditionnaire dans une île fortement peuplée et à la population hostile ?]

            Hokkaido n’était pas – et même aujourd’hui toujours pas vraiment- “fortement peuplée”, c’était même plutôt le contraire. La colonisation réelle de l’île par le Japon date seulement de la fin du dix-neuvième siècle. En 1940, pour référence, la population de l’île est de trois millions d’habitants, soit une densité d’environ 35/km². Une grande partie de la population était concentrée dans la péninsule d’Oshima, l’extrémité sud de l’île, seule partie de l’île à avoir été sous contrôle japonais effectif avant la période pré-Meiji.
            En fait, c’est probablement plutôt un facteur qui aurait joué un rôle dissuasif dans la décision soviétique de lancer une invasion du Japon : Hokkaido ne servait à rien à part comme passerelle pour Honshu. C’était un territoire essentiellement pauvre recouvert de forêts, avec quelques faibles activités minières. La perspective de devoir conquérir un territoire inutile en soi par une opération amphibie qui ne serait qu’un préambule à une deuxième opération amphibie n’avait probablement pas de quoi ravir l’état-major soviétique.

            [Je ne crois pas que les Américains aient cru en 1945 que le Kuomintang pouvait être mis en difficulté par les communistes…]

            Ce n’était pas mon point : pour moi, les Américains craignaient que les communistes chinois puissent devenir un problème crédible.

            • Descartes dit :

              @ BolchoKek

              [« Auraient-ils pu ravitailler un corps expéditionnaire dans une île fortement peuplée et à la population hostile ? » Hokkaido n’était pas – et même aujourd’hui toujours pas vraiment- “fortement peuplée”, c’était même plutôt le contraire.]

              Je ne parlais pas dans l’absolu. Je pensais à la comparaison avec Sakhaline. Mais je connais mal la partie japonaise de la guerre, et je me rends donc à vos arguments.

              [« Je ne crois pas que les Américains aient cru en 1945 que le Kuomintang pouvait être mis en difficulté par les communistes… » Ce n’était pas mon point : pour moi, les Américains craignaient que les communistes chinois puissent devenir un problème crédible.]

              Je pense que vous les créditez d’une clairvoyance tout à fait remarquable…

  29. Cherrytree dit :

    Bonjour et meilleurs voeux.
    Je pense que@luc trouve surprenant l’attitude actuelle de Paul Qui les, sachant qu’en 1985 celui-ci assistait aux essais de Mururoa en compagnie de Fabius et Bartolone, puis se faisait photographier se baignant dans le lagon pour démontrer l’innocuité des essais en question et l’absence d’impact sur les populations et l’environnement. Cette photo fut à l’époque diffusée dans la presse.
    Mais vous savez, Paul Quilès… À la même époque il se présenta aux municipales à Paris, avec une affiche touchante: un gros plan sur ses yeux bleus, et pour slogan”Quilès tendresse”. Il prit une veste mémorable, et s’arrangea pour éradiquer plus ou moins cette affiche calamiteuse. Puis il contribua fortement à la privatisation des télécoms et, partant, au déclin du service public de la Poste. Avant d’être à l’origine de Cap Découverte, une usine à gaz dont l’ex bassin minier carmausin paie encore le gouffre financier et la déconfiture. Il faut dire que, parachuté dans le Tarn avec pour tout viatique l’image du grand Jaurès député du Tarn, il emm… copieusement le PS local. Mais bon, au pays de Jaurès, depuis toujours, on présentait un âne socialiste, les gens votaient pour l’âne. Quilès l’anti arme nucléaire qui faisait la propagande de Mururoa, se reconvertir au fin en maire de la petite ville de Cordes, lui permettant de cumuler les indemnités d’un mandat sans histoire, avec sa retraite de parlementaire et de ministre.

    • Descartes dit :

      @ Cherrytree

      [Je pense que @luc trouve surprenant l’attitude actuelle de Paul Qui les, sachant qu’en 1985 celui-ci assistait aux essais de Mururoa en compagnie de Fabius et Bartolone, puis se faisait photographier se baignant dans le lagon pour démontrer l’innocuité des essais en question et l’absence d’impact sur les populations et l’environnement. Cette photo fut à l’époque diffusée dans la presse.]

      Il est vrai que Quilès n’est pas une référence morale très sérieuse. Je me souviens encore, alors qu’il était ministre des PTT, de sa lettre aux organisations syndicales jurant par ses grands dieux que la transformation du statut de France Telecom en société anonyme ne visait pas sa privatisation, et que jamais au grand jamais celle-ci n’aurait lieu. Et on s’étonne aujourd’hui que les Français ne fassent plus confiance aux engagements pris par les politiques…

      Mais au-delà de la personnalité, ce qui était en discussion ici était la position de Quilès sur l’arme atomique. Et de ce point de vue, l’anomalie se trouve dans son comportement de 1985, et non sur son pacifisme tardif. En 1985, Mitterrand était président. Et si l’on peut reprocher beaucoup de choses à Mitterrand, on peut difficilement lui reprocher d’avoir cédé au tropisme pacifiste des socialistes. Sur la dissuasion, il s’était à l’époque pas mal coulé dans les habits de mongénéral, d’autant plus qu’ayant vécu la deuxième guerre mondiale, il était pleinement conscient de l’importance de la sanctuarisation du territoire. Le voyage de 1985 était clairement sur ordre. Mais Mitterrand disparu, Quilès revient au tropisme traditionnel des socialistes : la grandeur c’est trop cher, autant faire confiance au parapluie américain.

  30. Lazeby dit :

    @ Descartes du 18 janvier à 20h20

    1)
    Vos réponses sont toujours stimulantes dans le sens où elles permettent de se rendre compte que ce que l’on avait écrit n’était pas tout à fait ce que l’on voulait dire.
    Je valide votre objection sur les rapports entre les institutions, l’arme atomique et le rôle historique de l’armée en France. Mais je suis aussi issue d’une famille de militaires et je sais que ce grand corps a toujours été très politisé et l’est resté dans une large mesure.
    J’admets volontiers que l’arme atomique a retiré comme vous dites à notre armée son rôle premier dans la vie de la nation et je reconnais finalement que cela peut être une bonne chose si l’on considère -entre autres- l’un des grands classiques de l’histoire moderne du pays, des deux Napoléon à Pétain (De Gaulle était lui plutôt un civil en uniforme ce qui lui a valu d’ailleurs quelques déboires avec ses pairs).
    Mais qu’en sera-t-il précisément si ce verrou saute au bénéfice de l’utopie européenne ? A mon sens la pilule ne passera pas auprès des militaires et pourrait révéler un malaise latent dans une institution qui est aussi le produit d’une tradition frondeuse. C’est plutôt cela que je voulais dire en fait.

    2)
    Quand je lis vos propos -que je valide tout autant- sur l’état d’Israël actuel, je ne peux m’empêcher de les rapprocher de ce que vous disiez plus haut des États-Unis.
    Certes les USA, à l’inverse d’Israël, sont un pays immense et l’on peut difficilement les caractériser de paranoïa collective.
    Mais s’ils n’ont pas fait l’expérience de la destruction, ils ont fait au moins celle de la dislocation avec la guerre de sécession. Expérience particulièrement traumatisante si l’on considère qu’en regard de la population américaine de l’époque elle a été l’un des conflits les plus meurtriers de l’histoire moderne, qui a fait plus de victimes que tous les conflits auxquels les USA ont participé ultérieurement.
    Il s’agissait d’un conflit très complexe dont le catalyseur -la question de l’esclavage- exprimait autant des antagonismes économiques que religieux, mais qui était aussi et peut-être surtout une crise du fédéralisme américain, sur laquelle feraient bien de méditer ceux qui voient dans le fédéralisme une sorte de fin de l’histoire obligée pour l’Europe.
    L’expansionnisme guerrier américain a été aussi depuis cent cinquante ans une manière de mettre en veilleuse toutes les forces centrifuges qui s’étaient déchaînées durant ce conflit, et j’ai l’impression que tous les comptes qui n’y ont pas été soldés resurgiront à la faveur d’un coup d’arrêt à cet expansionnisme.
    Je me demande en outre si la l’obsession de l’anéantissement DES AUTRES et ce phantasme technologique bizarre de la « guerre zéro mort » (pour eux) ne viennent pas de ce traumatisme originel ?

    @ Demo-soc du 17 janvier à 11h06

    Je pense que le papier que vous mentionnez est le même que celui à partir duquel j’avais rédigé mon commentaire et qui est tiré du site Slate.
    Je n’en avais pas donné le lien comme il est assez long et que l’aubergiste n’aime pas vérifier trop de renvois surtout s’ils sont copieux…
    Je me souviens d’un article de la revue Hérodote qui défendait à peu près la même position mais je ne peux vous en donner le lien car je ne suis plus abonné chez eux et je n’ai plus accès à leur base de données.

    @ Gugus 69 du 16 janvier à 23h00

    Fabuleux, en effet ! Et Dieu sait si je n’ai jamais trop apprécié Asselineau, non pas pour ce qu’il est mais précisément pour l’indispensable qu’il aurait pu être dans un front véritablement national regroupant sans préjugé des gens de tout horizon.
    A ce sujet, Descartes a mal visionné la vidéo car Philippot y est bien convié, ce qui rajoute au côté notable de l’événement.
    En soi, je trouve formidable l’idée de marquer la sortie de la GB par des festivités politiquement œcuméniques, car, pour une fois « faire la fête », aurait un sens et une utilité.
    Voilà une initiative qui devrait d’ailleurs être généralisée à tout le pays par les réseaux sociaux et que je pourrais qualifier de provocation utilement tranquille.

    • Descartes dit :

      @ Lazeby

      [Mais je suis aussi issue d’une famille de militaires et je sais que ce grand corps a toujours été très politisé et l’est resté dans une large mesure.]

      Oui, mais souvent pour le pire. Clemenceau remarquait déjà que la guerre était une affaire trop sérieuse pour être confiée aux militaires, et De Gaulle était bien plus lapidaire avec son « l’armée ne s’engage que pour des conneries ». Et je ne parle même pas de l’affaire Dreyfus…

      L’armée en France a une histoire particulière. Après que la Révolution puis le combat anticlérical aient jeté la suspicion sur tout ce qui portait une particule, les forces armées sont restés le dernier réduit ou s’est réfugiée l’aristocratie la plus obscurantiste et la plus réactionnaire. Une aristocratie qui n’a jamais tout à fait renoncé à reprendre le pouvoir. C’est pourquoi la République s’en est – à juste titre – méfiée, et a tenu en toute circonstance à marquer la primauté absolue de l’autorité civile sur l’autorité militaire.

      La menace extérieure a très bien servi la caste militaire. Après la guerre de 1870, l’armée s’est constituée une sorte de forteresse politique, devenant presque autonome. C’est un militaire qui dirige le ministère de la Guerre, ce sont les militaires qui imposent leurs nominations, et tout politicien qui voudrait mettre le nez dans ces affaires est immédiatement accusé de vouloir affaiblir le pays devant la menace allemande. L’affaire Dreyfus ne serait pas devenue l’affaire si l’armée avait été mieux contrôlée, si elle ne s’était pas conçue comme un corps autonome. Il faudra la grande baffe de la défaite de 1940 et de la collaboration puis celle des guerres coloniales pour rabattre le caquet des généraux…

      [J’admets volontiers que l’arme atomique a retiré comme vous dites à notre armée son rôle premier dans la vie de la nation et je reconnais finalement que cela peut être une bonne chose si l’on considère -entre autres- l’un des grands classiques de l’histoire moderne du pays, des deux Napoléon à Pétain (De Gaulle était lui plutôt un civil en uniforme ce qui lui a valu d’ailleurs quelques déboires avec ses pairs).]

      Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous sur la figure des deux Napoléon. Ce fut certainement un militaire de génie, mais l’essentiel de son œuvre – et cela selon sa propre évaluation – se situait plutôt dans le domaine civil, avec les « masses de granit » que sont les Codes civil et pénal ou l’institution des préfets. On peut difficilement dire que Bonaparte fut un grand partisan de l’institution militaire, au contraire : il fit entrer dans celle-ci des gens venant de l’extérieur, au grand scandale des familles aristocratiques qui faisaient du métier des armes leur monopole. Quant à Napoléon III, il n’avait rien d’un soldat, et ne devait rien à l’institution militaire. Ses campagnes militaires n’ont d’ailleurs pas été des triomphes…

      Si l’affaiblissement de l’institution militaire en tant qu’acteur politique est une « bonne chose », c’est surtout pour la raison que j’ai expliqué plus haut : l’armée a été en France le refuge des courants les plus obscurantistes, les plus cléricaux, les plus réactionnaires. Il a fallu presque deux siècles pour que les marins acceptent qu’il n’y a plus de roi, que leur corps n’est plus « royal » mais « national ». Encore aujourd’hui, on trouve parmi les généraux des particules à foison, et on regarde de travers celui qui n’irait pas à la messe, même si on commence – le temps passe pour tout le monde – à recevoir à sa table la deuxième femme d’un général divorcé.

      [Mais qu’en sera-t-il précisément si ce verrou saute au bénéfice de l’utopie européenne ? A mon sens la pilule ne passera pas auprès des militaires et pourrait révéler un malaise latent dans une institution qui est aussi le produit d’une tradition frondeuse.]

      Je suis moins convaincu que vous. Souvenez-vous que lorsque De Gaulle a sorti la France du commandement intégré de l’OTAN et chassé les troupes américaines de notre territoire, les militaires n’ont pas été particulièrement enthousiastes, au contraire. Pourquoi pensez-vous que les militaires refuseraient à l’UE ce qu’ils ont accordé de bon cœur à l’OTAN ?

      [Certes les USA, à l’inverse d’Israël, sont un pays immense et l’on peut difficilement les caractériser de paranoïa collective.]

      Pardon, mais on peut. Les américains vivent dans un état de paranoïa permanente. Il leur faut toujours être en guerre avec un ennemi dont ils exagèrent la puissance jusqu’à l’absurde pour alimenter leurs délires de persécution. Le général maccarthyste qui voit dans la fluoration de l’eau un complot communiste pour affaiblir la jeunesse américaine brillamment dépeint dans « Dr Folamour » de Kubrick n’est en rien une exagération.

      Les Américains vivent dans la conviction d’être entourés de complots. A ceux des ennemis de l’Amérique (le communisme, le terrorisme, la pornographie, l’alcool…) s’ajoutent la conviction que leur propre gouvernement agit en secret contre les citoyens : on ne compte plus les films fondés sur les « complots gouvernementaux » tentaculaires pour cacher aux citoyens des choses (pensez à l’affaire de l’aire 51), pour assassiner le président…

      Les Américains vivent mentalement comme pionniers entourés de dangers. Le monde est rempli d’étrangers hostiles, le pays d’institutions hostiles – y compris leur propre gouvernement. On ne peut compter que sur sa famille et sur sa communauté, c’est-à-dire, les gens qu’on connaît personnellement et qui vous ressemblent. Pourquoi croyez-vous que les Américains tiennent tellement à leur droit de porter une arme ?

      [Mais s’ils n’ont pas fait l’expérience de la destruction, ils ont fait au moins celle de la dislocation avec la guerre de sécession. Expérience particulièrement traumatisante si l’on considère qu’en regard de la population américaine de l’époque elle a été l’un des conflits les plus meurtriers de l’histoire moderne, qui a fait plus de victimes que tous les conflits auxquels les USA ont participé ultérieurement.]

      Oui, mais c’était il y a 150 ans. Même si le conflit a laissé des traces profondes, je doute que ce conflit fasse partie de l’expérience vitale des américains d’aujourd’hui. D’autant plus qu’une grande partie des américains descendent d’immigrants arrivés bien après cette date.

      Il faut d’ailleurs noter que l’armée joue aux Etats-Unis le rôle que joue l’école chez nous, celui du creuset assimilateur. C’est cela qui explique le culte quasi-religieux dont font objet les militaires, et le traumatisme que fut la défaite du Vietnam.

      [Je n’en avais pas donné le lien comme il est assez long et que l’aubergiste n’aime pas vérifier trop de renvois surtout s’ils sont copieux…]

      « L’aubergiste », comme vous dites, n’a aucun inconvénient à ce que vous mettiez des renvois, même longs, sur des textes. Ce qui me pose problème, ce sont les vidéos !

    • democ-soc dit :

      Bien sur qu’il faut donner le renvoi sur cet article de Slate!
      Je n’ai jamais été un gros fanatique des remises en cause historiques à 180° :
      il y a eu un temps en Histoire où la mode était de prendre artificiellement le contrepied d’une idée établie pour en établir le contraire. Genre “Non le Moyen Age n’a pas été obscurantiste”.
      Où “Non, la Wermacht n’a pas été une armée spécialement moderne”. Ca foisonnait à une époque dans les hebdomadaires.

      Mais là pour le coup, je trouve vraiment que l’argumentaire est bien mené, meme si effectivement, il fait l’impasse sur le cote psychologique de l’arme nucléaire (certains dirigeants japonais ont peut etre eu des problemes pour dormir les jours suivants le 6 aout..).

      Par contre, pour ce qui est d’une invasion de l’archipel nippon par les sovietiques une fois arrivés à la pointe sud de Sakhaline, ca semble au minimum plausible. Il y a 40 kms entre Sakhaline et Hokkaido (soit la distance entre Calais et Douvres), Hokkaido est faiblement peuplée et urbanisée, et il n’y a plus de marine japonaise.

      Une attaque posait sans doute quelques problemes logistiques, mais bon, l’armée rouge a bien pu débarquer sur plusieurs iles des Kouriles.
      Et de l’autre coté que dire de la préparation d’une défense à partir de rien, par une armée postée plusieurs centaines de km plus au Sud et alors que la marine américaine en est à bombarder les cotes du Japon en toute impunité?

      • Descartes dit :

        @ democ-soc

        [Je n’ai jamais été un gros fanatique des remises en cause historiques à 180° : il y a eu un temps en Histoire où la mode était de prendre artificiellement le contrepied d’une idée établie pour en établir le contraire. Genre “Non le Moyen Age n’a pas été obscurantiste” (…)]

        Ce n’est pas seulement une « mode ». C’est un courant idéologique que l’on appelle « révisionnisme », et qui vient de la main du postmodernisme et des théories de déconstruction. L’idée est que l’histoire (mais aussi la sociologie, la physique ou les mathématiques) a été falsifiée par les dominants (au choix, les bourgeois, les mâles, les blancs, les valides…) pour occulter leur domination (au choix, des prolétaires, des femmes, des noirs, des handicapés…). Il est donc indispensable de « déconstruire » le discours accepté dans toutes les disciplines. Cela peut donner les exemples que vous citez, mais cela peut aller bien plus loin jusqu’au ridicule des « mathématiques féministes » et autres délires du même genre.

        [Par contre, pour ce qui est d’une invasion de l’archipel nippon par les sovietiques une fois arrivés à la pointe sud de Sakhaline, ca semble au minimum plausible. Il y a 40 kms entre Sakhaline et Hokkaido (soit la distance entre Calais et Douvres), Hokkaido est faiblement peuplée et urbanisée, et il n’y a plus de marine japonaise.]

        Vous noterez que pour traverser les 40 km entre Calais et Douvres, il a fallu des mois de préparation et une concentration de moyens aéronavals sans équivalent dans l’histoire. L’Union soviétique avait-elle en 1945 les moyens d’engager une telle opération dans le bout perdu de son territoire, loin de ses centres de production et de ses lignes de communications, alors que la menace américaine en Europe était tout sauf théorique ? Voilà la question.

  31. Lazeby dit :

    Je reconnais que tous vos arguments sont solides et remettent en cause certaines de mes certitudes. J’aurai toutefois des objections à faire sur votre raisonnement concernant les États-Unis.
    L’hypothèse de la paranoïa due à l’esprit pionnier est séduisante et je l’ai déjà lue ou entendue formulée à peu près ainsi : après l’avoir déchaînée contre les populations natives du pays -les tribus amérindiennes- les USA l’auraient extériorisée contre le reste du monde.
    La chronologie correspond bien à cette hypothèse puisque le massacre des Sioux à Wounded Knee, quasiment l’épilogue des guerres indiennes (même si la très marginale guérilla de Géronimo s’achève un peu plus tard), est quasiment contemporain de la guerre éclair contre l’Espagne à propos de Cuba -le premier saut de puce américain à l’assaut de la planète au delà des mers.
    Mais je persiste à penser que la guerre de sécession a joué un rôle considérable dans cette conversion, au moins sur la forme de la guerre, puisque tout le monde s’accorde à reconnaître qu’elle a constitué un saut technologique dans l’histoire militaire, surtout par l’utilisation massive et ravageuse des armes à répétition et à canon rayé, ce qui multipliait par quatre ou cinq leur portée « utile ».
    Les pertes très lourdes (et inconnues jusqu’alors en regard des effectifs engagés) de Gettysburg ou de la Spotsylvania et l’illusion de la puissance que donnaient ces nouvelles armes terrifiantes allaient forcément déterminer la forme qu’allait prendre la conquête des américains du reste du monde -tout annihiler à distance parce que moins coûteux pour ses propres troupes.
    Maintenant, si les nouveaux arrivants sont d’après vous moins concernés par le traumatisme de cette guerre, cela n’explique pas pourquoi la paranoïa collective -toujours dans votre hypothèse- les a gagnés avec la même force que les populations de souches plus anciennes.
    Il existerait alors un « substrat paranoïaque américainS » pour reprendre la terminologie chère à Emmanuel Todd ?
    Pour que cette hypothèse soit juste, il faudrait faire intervenir le concept de religion majoritaire qui affecterait les classes dominantes américaines et qui renverrait alors au puritanisme originel des premiers arrivants européens (celui d’Oliver Cromwell en Angleterre), lequel aurait propagé le concept d’élection divine à travers les siècles et fait germer l’idée d’un exceptionnalisme américain à tous les entrants ?
    Mais le fait que l’immigration aux USA est largement dominée par des mexicains catholiques pose quand même un problème puisque cette immigration est plus ancienne et a commencé -de 1835 à 1848- par l’annexion pure et simple de provinces jusqu’alors sous le contrôle du Mexique.
    Même si je prends en considération le fait que l’évangélisme -héritier de l’anabaptisme puritain- se répand aussi rapidement parmi les populations latino.
    Mais cela n’expliquerait pas non plus pourquoi le courant pacifiste en général -lequel se confondait souvent avec l’isolationnisme- a toujours été très prégnant aux États-Unis, et l’on peut même penser qu’il fut majoritaire à l’aube des deux guerres mondiales ?
    Reconnaissez au moins que tout ceci n’est pas simple !
    Je me contenterai tout de même d’observer qu’il y aurait alors un parallèle à faire entre la paranoïa israélienne et la paranoïa américaine et qui puiserait à la même matrice, puisque le sionisme trouve ses sources autant dans le puritanisme protestant que dans le judaïsme -en particulier l’idée que le messie ne pourrait revenir qu’après la construction du troisième temple à Jérusalem.
    (On peut aussi se demander ce que les prétendus théoriciens juifs du sionisme originel -je pense surtout à Bernard Lazare- penseraient de l’état d’Israël aujourd’hui ?).
    Si mes interrogations vous paraissent étranges ou confuses, tout recadrage même sans fioriture sera bien sûr le bienvenu.

    Plus clairement et sur un autre sujet, vous dites que l’armée joue le même rôle de creuset assimilateur aux USA que l’école républicaine en France.
    Est-ce que vous n’oubliez pas ici que l’armée français a été elle aussi un puissant creuset de populations d’origines très diverses mais aussi de toutes les classes sociales ?
    Souvenez-vous, dans La Grande Illusion, des récriminations de Von Rauffenstein à de Boëldieu sur l’armée nationale française et ses cohortes d’officiers roturiers à la Maréchal / Jean Gabin.

    (PS : « aubergiste » n’était pas péjoratif. Je pensais plutôt aux « pères aubergistes » des auberges de jeunesse, que j’ai beaucoup fréquentées durant ma jeunesse itinérante et qui étaient aussi des lieux d’échange. J’ai enlevé le mot père car il m’est devenu difficile de me réclamer maintenant des auberges de jeunesse compte tenu de mon âge).

    • Descartes dit :

      @ Lazeby

      [L’hypothèse de la paranoïa due à l’esprit pionnier est séduisante et je l’ai déjà lue ou entendue formulée à peu près ainsi : après l’avoir déchaînée contre les populations natives du pays -les tribus amérindiennes- les USA l’auraient extériorisée contre le reste du monde.]

      Ce n’est pas ma théorie. Je ne crois pas avoir évoqué les « tribus amérindiennes » dans mon raisonnement. Lorsque je parle « d’esprit pionnier », je ne pense pas au conflit avec les populations natives, mais à la logique d’installation en communautés isolées, ne pouvant donc compter que sur elles-mêmes non seulement pour leur subsistance, mais aussi pour maintenir l’ordre public. Cet isolement dans un environnement hostile se conjugue aussi avec un deuxième facteur : les immigrants qui ont « fait l’Amérique » sont en grande partie des gens en conflit avec leur Etat d’origine et souvent persécutés par lui, que ce soit les puritains arrivés au XVIIème siècle ou les juifs d’Europe Centrale arrivés au XXème.

      C’est cette double histoire qui explique la paranoïa si particulière des Américains, à la fois vis-à-vis du reste du monde et vis-à-vis de leurs propres concitoyens – dès lors qu’ils n’appartiennent pas à la même « communauté » – et de leur propre Etat. Et cela vient de bien plus loin que la guerre de sécession ou des guerres indiennes.

      [Maintenant, si les nouveaux arrivants sont d’après vous moins concernés par le traumatisme de cette guerre, cela n’explique pas pourquoi la paranoïa collective -toujours dans votre hypothèse- les a gagnés avec la même force que les populations de souches plus anciennes.]

      J’ai répondu à cette question plus haut. Les nouveaux arrivés se vivaient eux aussi comme des « persécutés ». Et ils ont trouvé aux Etats-Unis un terreau favorable pour cultiver cette logique. De là le paradoxe que les Américains, citoyens du pays le plus riche et puissant du monde, se vivent comme « victimes ».

      [Pour que cette hypothèse soit juste, il faudrait faire intervenir le concept de religion majoritaire qui affecterait les classes dominantes américaines et qui renverrait alors au puritanisme originel des premiers arrivants européens (celui d’Oliver Cromwell en Angleterre), lequel aurait propagé le concept d’élection divine à travers les siècles et fait germer l’idée d’un exceptionnalisme américain à tous les entrants ?]

      Tout à fait. Si ces puritains ont émigré aux Amériques, c’est aussi parce qu’ils ont été persécutés dans leur propre pays et par leur propre Etat. La caractérisation des Etats-Unis comme « le refuge des persécutés » est une constante du roman national étatsunien.

      [Mais le fait que l’immigration aux USA est largement dominée par des mexicains catholiques pose quand même un problème puisque cette immigration est plus ancienne et a commencé -de 1835 à 1848- par l’annexion pure et simple de provinces jusqu’alors sous le contrôle du Mexique.]

      « Largement dominée » ? Vous exagérez…

      [Mais cela n’expliquerait pas non plus pourquoi le courant pacifiste en général -lequel se confondait souvent avec l’isolationnisme- a toujours été très prégnant aux États-Unis, et l’on peut même penser qu’il fut majoritaire à l’aube des deux guerres mondiales ?]

      Le courant isolationniste a toujours été fort aux Etats-Unis, et probablement majoritaire à l’aube de la deuxième guerre mondiale, les Américains estimant ne pas avoir touché leur dû après la première guerre mondiale (je vous conseille la comédie musicale « Of thee I sing » de George Gershwin, dont le thème tourne autour des dettes de guerre impayées…). Mais le courant pacifiste n’a jamais été très fort, particulièrement lorsqu’il s’agit d’interventions militaires dans les Amériques.

      [Reconnaissez au moins que tout ceci n’est pas simple !]

      Je ne crois pas avoir dit le contraire…

      [Je me contenterai tout de même d’observer qu’il y aurait alors un parallèle à faire entre la paranoïa israélienne et la paranoïa américaine et qui puiserait à la même matrice, puisque le sionisme trouve ses sources autant dans le puritanisme protestant que dans le judaïsme -en particulier l’idée que le messie ne pourrait revenir qu’après la construction du troisième temple à Jérusalem.]

      Vous remarquerez que ma théorie implique beaucoup d’autres ressemblances. Tout comme les Etats-Unis, Israel se conçoit lui-même comme un refuge pour les (juifs) persécutés, et sa population est constituée d’immigrés se voyant comme victimes de persécutions, notamment religieuses.

      [(On peut aussi se demander ce que les prétendus théoriciens juifs du sionisme originel -je pense surtout à Bernard Lazare- penseraient de l’état d’Israël aujourd’hui ?).]

      Ils en seraient probablement horrifiés.

      [Plus clairement et sur un autre sujet, vous dites que l’armée joue le même rôle de creuset assimilateur aux USA que l’école républicaine en France. Est-ce que vous n’oubliez pas ici que l’armée français a été elle aussi un puissant creuset de populations d’origines très diverses mais aussi de toutes les classes sociales ? Souvenez-vous, dans La Grande Illusion, des récriminations de Von Rauffenstein à de Boëldieu sur l’armée nationale française et ses cohortes d’officiers roturiers à la Maréchal / Jean Gabin.]

      Je pense que vous faites erreur. En France le service militaire a été un formidable creuset social. Mais l’armée est restée une citadelle aristocratique, comme le montre magistralement « la grande illusion ». Pour arriver à général, il fallait être catholique et de préférence de bonne naissance. Les exceptions sont rares : je n’ai pas pu trouver un seul général d’origine ouvrière ou juif, par exemple… Rauffenstein et de Boeldieu échangent d’ailleurs sur le fait que la première guerre mondiale pourrait être la fin de cette domination aristocratique…

      [(PS : « aubergiste » n’était pas péjoratif.]

      Je vous rassure, je n’ai pas trouvé le terme dégradant, au contraire, je l’ai vu comme un compliment !

  32. François dit :

    Bonsoir Descartes,

    Tout d’abord je tenais à vous souhaiter mes meilleurs vœux pour cette année 2020. J’en profite également pour vous remercier pour la tenue de votre blog, d’une qualité que j’estime inégalée et ce malgré les nombreux désaccords que nous avons (je n’estime pas nécessaire de brosser en permanence dans le sens du poil ceci dit…).

    Pour le reste, je ne vois aucun motif de satisfaction. Contre toute rationalité Fessenheim va fermer et on connaît la liste des prochains réacteurs à monter sur l’échafaud, l’avant projet d’ASTRID vient d’être jeté aux chiottes et EDF va bientôt être démantelé. De plus l’atomisation couplé à une tiers-mondisation de la société française continue son chemin et les barbus cachent de moins en moins leur jeu, tout comme les délires post-modernes sont de plus en plus bruyants. À part une mise en sourdine de l’idéologie européiste, je ne vois aucun reflux de son côté si ça n’est pour être remplacé par le délire apocalyptique. Je ne suis pas sûr que l’on y gagne au change.

    Quant aux Français, à part gueuler, ils sont incapables de se prendre en main. On le voit bien avec l’échec de la pétition contre la privatisation d’ADP à atteindre le quorum de signatures nécessaire pour la tenue d’un référendum à ce sujet. Or il paraîtrait que les Français sont mécontents de la disparition des services publics. Pour revenir en arrière, les Français ont élu avec une écrasante majorité un candidat qui incarne tout ce qu’ils sont censés détester, pour ensuite se plaindre parce-qu’il applique son programme électoral. Il est vrai ceci dit que c’était soi ça, soi une terrible dépression économique couplée au retour du nazisme.
    Aussi, vous estimez que la crise que nous traversons actuellement vient d’un problème d’offre politique, moi j’estime qu’elle vient d’un problème de demande politique.

    À part ça, je n’ai rien trouvé de mieux que de signer demain mon contrat de travail pour (enfin) intégrer le service public de l’électricité.

    • Descartes dit :

      @ François

      [Tout d’abord je tenais à vous souhaiter mes meilleurs vœux pour cette année 2020. J’en profite également pour vous remercier pour la tenue de votre blog, d’une qualité que j’estime inégalée et ce malgré les nombreux désaccords que nous avons (je n’estime pas nécessaire de brosser en permanence dans le sens du poil ceci dit…).]

      J’espère bien ! Je vous remercie de vos encouragements, mais si je tiens ce blog c’est justement avec l’espoir de lancer des débats. Si tout le monde s’amuse à me caresser dans le sens du poil, le débat n’aura pas beaucoup d’intérêt.

      [Pour le reste, je ne vois aucun motif de satisfaction. Contre toute rationalité Fessenheim va fermer et on connaît la liste des prochains réacteurs à monter sur l’échafaud, l’avant-projet d’ASTRID vient d’être jeté aux chiottes et EDF va bientôt être démantelée.]

      Les motifs de pessimisme ne manquent pas, surtout pour ceux qui s’intéressent à l’industrie, à l’éducation et à la recherche. Le saccage de la construction collective issue de la Libération continue. On peut se consoler en se disant que ce n’est pas la première fois dans notre histoire que cela arrive.

      [De plus l’atomisation couplé à une tiers-mondisation de la société française continue son chemin et les barbus cachent de moins en moins leur jeu, tout comme les délires post-modernes sont de plus en plus bruyants. À part une mise en sourdine de l’idéologie européiste, je ne vois aucun reflux de son côté si ça n’est pour être remplacé par le délire apocalyptique. Je ne suis pas sûr que l’on y gagne au change.]

      En fait on assiste à un retournement extraordinaire. Du discours « libéral-libertaire », hédoniste et confiant de la génération 68, on est passé à un discours répressif, puritain et apocalyptique. Hier, le plaisir sexuel était une bénédiction dont même les enfants devaient profiter, et on nous appelait à la libération des désirs et l’amour libre. Aujourd’hui, c’est devenu une malédiction dont il faut protéger tout le monde, et il faut un notaire dans la chambre à coucher pour vérifier que le consentement est libre à chaque étape de l’acte. La génération qui avait vécu la guerre n’avait peur de rien, parce que le pire était déjà arrivé. La génération suivante, élevée dans du coton, à peur de tout.

      [Quant aux Français, à part gueuler, ils sont incapables de se prendre en main. On le voit bien avec l’échec de la pétition contre la privatisation d’ADP à atteindre le quorum de signatures nécessaire pour la tenue d’un référendum à ce sujet.]

      Il ne faut pas sous-estimer les dégâts que le discours de l’impuissance et de la peur ont faits dans le corps social français. N’oubliez pas que pour signer pour le référendum contre la privatisation d’ADP il faut laisser son identité, et que celle-ci est rendue publique. La plupart des gens « ne veut pas d’ennuis ». Et puis, cela ne vaut pas la peine : les gens sont tellement habitués au fait qu’on passe outre leur avis, qu’ils ne sont pas prêts à prendre des risques pour rien. Dans le cas d’espèce, le référendum n’aurait lieu que si l’assemblée nationale ne délibère pas sur l’affaire dans le délai de six mois. Vous voyez qu’il suffit d’un vote à l’Assemblée pour que la proposition soit enterrée…

      [Or il paraîtrait que les Français sont mécontents de la disparition des services publics. Pour revenir en arrière, les Français ont élu avec une écrasante majorité un candidat qui incarne tout ce qu’ils sont censés détester, pour ensuite se plaindre parce qu’il applique son programme électoral. Il est vrai ceci dit que c’était soi ça, soi une terrible dépression économique couplée au retour du nazisme.
      Aussi, vous estimez que la crise que nous traversons actuellement vient d’un problème d’offre politique, moi j’estime qu’elle vient d’un problème de demande politique.]

      Je ne crois pas que la crise vienne d’un problème d’offre politique ni d’ailleurs de demande. Je pense qu’il vient de l’hégémonie idéologique d’un bloc dominant, hégémonie qui ne fait que refléter un rapport de forces économique. Il n’y a pas d’alternative parce que la classe qui fabrique les idées est fermement unie derrière l’idéologie qui justifie ses privilèges. C’est ce rapport de forces qui alimente le « à-quoi-bonnisme » ambiant. Les gens ont voté à droite, les gens ont voté à gauche, et à chaque fois ils se sont retrouvés avec les mêmes politiques. Les gens ont voté contre le TCE, et ils ont pu constater que la construction européenne continuait comme si de rien n’était. Comment voulez-vous qu’ils restent mobilisés ?

      [À part ça, je n’ai rien trouvé de mieux que de signer demain mon contrat de travail pour (enfin) intégrer le service public de l’électricité.]

      Bravo !

      • François dit :

        @ Descartes,

        [[Pour le reste, je ne vois aucun motif de satisfaction. (…)]
        Les motifs de pessimisme ne manquent pas, surtout pour ceux qui s’intéressent à l’industrie, à l’éducation et à la recherche. Le saccage de la construction collective issue de la Libération continue. On peut se consoler en se disant que ce n’est pas la première fois dans notre histoire que cela arrive.]

        À vrai dire pour moi la débâcle industrielle que nous vivons actuellement est inédite dans l’histoire de France. Même durant l’Occupation, les nazis avaient trouvé un intérêt à ce que les usines françaises continuent à tourner, ce qui fut source de problèmes pour quelques patrons à la Libération…

        [[De plus (…) . À part une mise en sourdine de l’idéologie européiste, je ne vois aucun reflux de son côté si ça n’est pour être remplacé par le délire apocalyptique. Je ne suis pas sûr que l’on y gagne au change.]
        En fait on assiste à un retournement extraordinaire. Du discours « libéral-libertaire », hédoniste et confiant de la génération 68, on est passé à un discours répressif, puritain et apocalyptique. Hier, le plaisir sexuel était une bénédiction dont même les enfants devaient profiter, et on nous appelait à la libération des désirs et l’amour libre]

        Personnellement je n’y vois rien d’extraordinaire. Après toute effervescence révolutionnaire vient un retour conservateur. Dans le cas présent, le prix de la liberté a été très cher à payer et c’est pour cela que le retour de balancier fût particulièrement violent. Ceci dit entre la période post-68 et maintenant, il y a toujours un invariant : abattre l’homme blanc cis-hétérosexuel, porteur de la civilisation occidentale, et responsable de tous les maux de l’humanité. On le voit bien avec la différence de traitement entre Roman Polanski et Ladj Ly.

        [[(…). On le voit bien avec l’échec de la pétition contre la privatisation d’ADP à atteindre le quorum de signatures nécessaire pour la tenue d’un référendum à ce sujet.]
        Il ne faut pas sous-estimer les dégâts que le discours de l’impuissance et de la peur ont faits dans le corps social français. N’oubliez pas que pour signer pour le référendum contre la privatisation d’ADP il faut laisser son identité, et que celle-ci est rendue publique. La plupart des gens « ne veut pas d’ennuis ».]

        Enfin il ne faudrait pas exagérer non plus. À moins de travailler pour Vinci, je ne vois pas à quoi on s’expose auprès de son entourage personnel et professionnel à signer cette pétition. Il ne s’agit pas non plus de signer une pétition pour la tenue d’un référendum sur l’appartenance à l’UE et la zone Euro, ou horresco referens, un référendum sur la politique migratoire et identitaire de la France. Même les conséquences de la signature de ce genre de pétition ne sont que quantité négligeable à côté des risques pris par certains pour défendre leurs idéaux…

        [Et puis, cela ne vaut pas la peine : les gens sont tellement habitués au fait qu’on passe outre leur avis (…)]

        Eh bien j’estime que les quinze minutes à tout casser pour signer la pétition en vaillent largement la peine. Qui ne tente rien n’a rien ! Enfin, si le respect du résultat du référendum de 2005 tenait tant aux Français, rien ne les obligeait à élire président de la République Nicolas Sarkozy, qui a explicitement dit dans son programme électoral qu’il comptait s’asseoir sur le verdict des urnes de 2005.

        [[Aussi, vous estimez que la crise que nous traversons actuellement vient d’un problème d’offre politique, moi j’estime qu’elle vient d’un problème de demande politique.]
        (…) C’est ce rapport de forces qui alimente le « à-quoi-bonnisme » ambiant. Les gens ont voté à droite, les gens ont voté à gauche, et à chaque fois ils se sont retrouvés avec les mêmes politiques.]

        Non, les Français ont voté pour le RPR/UMP ou le PS/LREM, mais à côté de cela il y a une offre diverse et variée dans le paysage politique français, parmi laquelle on trouve des partis politiques qui proposent la sortie de l’UE et de la zone Euro. En attendant les Français ont humilié Jean-Pierre Chevènement en 2002, puis largement élu Emmanuel Macron face à Marine Le Pen, alors que leurs deux projets politiques sont largement antagonistes, d’un côté une France communautarisée, transformée en économie de services sous protectorat bruxellois, bref une « start-up nation », de l’autre une France indivisible, forte de sa puissance industrielle et souveraine, bref « gaullienne ».

        [[À part ça, je n’ai rien trouvé de mieux que de signer demain mon contrat de travail pour (enfin) intégrer le service public de l’électricité.]
        Bravo !]

        Merci ! Je ne prenais pas trop de risques en annonçant cette nouvelle sur votre blog 🙂

        • Descartes dit :

          @ François

          [Enfin il ne faudrait pas exagérer non plus. À moins de travailler pour Vinci, je ne vois pas à quoi on s’expose auprès de son entourage personnel et professionnel à signer cette pétition.]

          Chez les fonctionnaires, c’est un véritable frein, d’autant plus que le devoir de réserve est fortement internalisé. Mais une peur peut être parfaitement irrationnelle. Même si pour un agent privé le risque est très limité, « on ne sait jamais ».

          [Enfin, si le respect du résultat du référendum de 2005 tenait tant aux Français, rien ne les obligeait à élire président de la République Nicolas Sarkozy, qui a explicitement dit dans son programme électoral qu’il comptait s’asseoir sur le verdict des urnes de 2005.]

          Je ne me souviens que dans le programme de Sarkozy ait figuré son intention de s’asseoir sur le résultat du référendum. Pourriez-vous être plus précis ?

          [Non, les Français ont voté pour le RPR/UMP ou le PS/LREM, mais à côté de cela il y a une offre diverse et variée dans le paysage politique français,]

          Pas seulement. Les gens ont voté PCF, MRC ou Ecologiste se sont trouvés à soutenir un gouvernement de « gauche plurielle » qui a privatisé à tour de bras. Il n’y a pas que le PS/LREM et l’UMP/RPR qui aient gouverné ce pays. Toutes les organisations politiques – je laisse les sectes de côté – ont participé ou soutenu le gouvernement à un moment ou un autre, sauf le FN/RN.

          [parmi laquelle on trouve des partis politiques qui proposent la sortie de l’UE et de la zone Euro.]

          Lesquels ? Je connais des sectes qui font ces propositions. Mais guère de « partis politiques ».

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