Pourquoi il faut croire en l’homme

M’en voudriez vous beaucoup, cher lecteur, si pour une fois je ne vous parlais pas de politique ? Et bien, je vais aujourd’hui laisser les Macron, Le Pen et Mélenchon et tous les autres à leurs petites affaires, et je vais vous raconter une petite histoire optimiste.

Le lieu ? Un chemin de campagne dans le sud de la France, à peine carrossable, que j’empruntais pour aller rendre visite à un ami qui, après une longue carrière de préfet a décidé de se mettre au vert quelque part dans la campagne gardoise. Le temps ? Samedi soir, à l’heure où les chiens deviennent loups, lorsque le soleil tombe et que la nuit s’annonce. Et vous savez comment sont ces petits chemins : pas de signalisation, adresses approximatives… conséquence : ayant pris le mauvais embranchement, j’ai dû rebrousser chemin et donc faire marche arrière, et j’ai réussi à coincer ma vieille voiture dans une ornière, en fait, un sillon assez profond, creusé pour faire passer la fibre optique. Plus question d’avancer et de reculer, avec deux roues sur le sillon et la caisse de la voiture appuyée sur le sol, aucun espoir de la dégager par mes propres moyens.

J’étais en train de contempler le désastre et de faire défiler les étapes suivantes – soirée gâchée, appel à la dépanneuse, peut-être même devoir dormir dans la voiture… lorsque le portail d’une maison situé en contrebas s’ouvre, et que de ce portail sort un homme d’une quarantaine d’années qui se dirige vers moi et qui me demande quel est mon problème. Je le lui explique, il se penche avec une lampe de poche pour constater la position du véhicule, et me propose d’amener son camion pour tirer ma voiture hors de sa triste position. Et sans autre forme de procès, il retourne chez lui et revient, cinq minutes plus tard, avec sa camionnette.

Mais remorquer une voiture, ce n’est pas aussi simple que cela paraît. Dans l’obscurité descendante, on a cherché désespérément l’anneau de remorquage de ma voiture qu’on n’a pas trouvé – en fait, on a découvert que sur ce type de voiture il s’agit d’un anneau qui se vise dans le logement prévu à cet effet, anneau probablement perdu dans les nombreuses tribulations que ma fidèle voiture a subi depuis les vingt ans qu’elle est avec moi. On a fini par passer une sangle autour du pont arrière, qu’on a attaché à la boule de remorquage de la camionnette… et avec un bon coup de traction la voiture est sortie de la tranchée. On a démonté la sangle, j’ai remercié mon sauveur, et nous nous sommes séparés, lui pour rentrer chez lui, moi pour poursuivre ma route vers la maison de mon ami, ou je suis arrivé finalement avec une heure de retard et quelques sueurs froides.

Cette histoire, je dois le dire, m’a fait beaucoup réfléchir. Qu’est ce qui fait qu’un homme quitte spontanément la sécurité et la tranquillité de sa maison, qu’il prend des risques, qu’il consacre son temps et son effort pour aider un autre homme qu’il ne connait pas, qu’il ne reverra probablement jamais, autrement dit sans le moindre espoir de contrepartie ? Car depuis que dieu est mort, comment penser qu’il pourra récompenser le solidaire et punir l’égoïste ? Quel sens à la formule millénaire « dieu vous le rendra » quand il n’y a plus de dieux dans le ciel ?

Si l’homme est un animal social, c’est parce qu’il a naturellement la capacité d’empathie, cette possibilité de nous mettre à la place de l’autre, de sentir comme propres les malheurs qui nous sont extérieurs. Mais si cette capacité est en nous, elle ne se développe pas spontanément. Elle a besoin d’un cadre. Contrairement à ce que pensent certains rousseauistes bêlants, l’enfant est naturellement égoïste. Il ne partage spontanément ni ses jouets, ni sa nourriture, ni son espace. C’est la société qui lui transmet l’idée de générosité, souvent à coups de frustrations. Et cette générosité est sélective. Il y a des sociétés où la solidarité est réservée aux membres du clan ou de la communauté, et toute personne inconnue, extérieure, est vue comme soit comme un voleur ou un assassin en puissance, soit comme une proie qu’il est permis attaquer et dévaliser.

En France, nous partageons une idéologie qui nous vient de nos racines judéo-chrétiennes qui institue un « surmoi » solidaire universel. Et cette idéologie a une base matérielle solide. Le comportement de mon sauveur, économiquement absurde si on le prend au niveau individuel, devient rationnel dès qu’on le regarde socialement. Une société où chacun peut faire confiance aux autres et les aide de manière apparemment désintéressée est globalement plus efficace qu’une société où chacun exige des garanties et ne s’occupe gratuitement que de soi ou de sa communauté, tout le reste étant tarifé.

Mais pour que cela fonctionne, encore faut-il que la société sacralise la notion de dette sociale, autrement dit, l’idée que chaque individu a une dette envers la société toute entière, dette qui ne peut être soldée que par des actes de solidarité. Ce qui suppose de marteler dans la tête des enfants et des jeunes cette idée simple : nous sommes le produit d’une histoire, d’une collectivité, d’une nation, et nous lui devons donc ce que nous sommes. Quand je paye mes impôts, quand j’aide un concitoyen, quand je laisse le passage à une voiture de pompiers ou à l’ambulance, quand j’accomplis n’importe quel acte de solidarité sociale, je suis en train à la fois de m’acquitter de cette dette, et de créer une créance qui me permettra, demain, de bénéficier de la solidarité inconditionnelle des autres.

Depuis l’antiquité, le banquier qui administre la dette sociale, c’est Dieu. C’est lui qui voit les bonnes et les mauvaises actions, et qui récompense ceux qui aident leur prochain et punit ceux qui ne le font pas. Avec la sécularisation, ce rôle est assumé par la Nation et son bras armé, l’Etat. La confiance réciproque ne peut plus être fondée sur la conviction que « Dieu vous le rendra » où sur la crainte d’un châtiment divin. Elle ne repose plus que sur un « surmoi » social. Un surmoi qu’il faut former depuis le plus jeune âge. De la même manière que les Eglises faisaient reposer l’ordre social sur la notion de péché originel, qu’il fallait expier toute sa vie par ses œuvres, la nation moderne se construit sur la notion de dette originelle, que chaque individu doit régler pendant toute sa vie, et qui fonde la logique de solidarité inconditionnelle.

Car il faut insister lourdement sur ce point : la notion même de solidarité inconditionnelle et impersonnelle est intimement liée à l’idée de nation. Avant elle, les solidarités étaient essentiellement personnelles et conditionnelles. Dans les différentes cultures on devait secours à l’autre… à condition que l’autre fut de votre religion, de votre tribu, de votre communauté. Même l’universalisme chrétien refuse cette solidarité aux juifs et aux infidèles – sauf s’ils acceptent de se convertir. C’est avec l’avènement de l’Etat-nation que pour la première fois on conçoit la solidarité entre des « citoyens » abstraits, indépendamment de leurs croyances, leur couleur, leurs pratiques. C’est pourquoi, si nous voulons continuer à vivre dans une société de confiance et d’entraide, une société qui produit des histoires comme celle que j’ai raconté plus haut, il est indispensable de défendre le cadre national qui la rend possible.

Quant à mon gentil sauveur, je ne connais pas son nom et il ne connaît pas le mien. Nous n’avons échangé ni nos adresses, ni nos téléphones. Il m’est donc impossible de le remercier de son geste autrement qu’en écrivant cet article, en payant mes impôts, en aidant le voyageur égaré à trouver son chemin, en prenant en charge l’enfant égaré, en m’arrêtant au bord de la route pour aider l’automobiliste en détresse. On n’est pas citoyen que dans le bureau de vote.

Descartes

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51 réponses à Pourquoi il faut croire en l’homme

  1. Gugus69 dit :

    Et vous, vous annoncez que vous n’allez pas parler de politique… Et vous en parlez mieux que jamais.
    J’ajouterais une idée (moins politique celle-là) à votre propos : il m’est arrivé évidemment de rendre service à de parfaits inconnus. Et j’adore ça ! Je me sens meilleur, je suis fier de moi. En fait, ça me fait plaisir et ça me valorise à mes propres yeux. Très concrètement, rendre service à autrui est excellent pour l’ego ! Alors pourquoi s’en priver ?

    • Descartes dit :

      @ Gugus69

      [Et vous, vous annoncez que vous n’allez pas parler de politique… Et vous en parlez mieux que jamais.]

      Je ne me souviens pas comment s’appelle cette formule de rhétorique, qui consiste à prétendre ne pas aborder un sujet pour l’aborder.

      [J’ajouterais une idée (moins politique celle-là) à votre propos : il m’est arrivé évidemment de rendre service à de parfaits inconnus. Et j’adore ça ! Je me sens meilleur, je suis fier de moi. En fait, ça me fait plaisir et ça me valorise à mes propres yeux. Très concrètement, rendre service à autrui est excellent pour l’ego !]

      Mais vous êtes-vous demandé pourquoi rendre service à autrui vous valorise, vous procure un plaisir ? Et accessoirement, vous êtes-vous demandé si ce plaisir, cette valorisation est universelle ?

      Il y a une partie de notre pscyhé qu’on appelle le “surmoi”. Alors que le “moi” condense ce que nous sommes, le “surmoi” condense ce que nous aimerions être (ou ce que nous pensons devoir être). Et ce “surmoi” n’est pas naturel, il est social. Il se forme au contact de nos parents, de nos maîtres, dans la confrontation avec la société. Si vous éprouvez un plaisir à rendre service à autrui, c’est parce que l’idée qu’on “doit” servir autrui est implantée dans votre “surmoi”. Mais encore une fois, cela n’a rien de “naturel”. Je me sentirais très mal si je devais dérober un portefeuille dans le métro, parce que l’interdiction du vol est profondément inscrite dans mon surmoi. Mais les petites filles aux longues tresses qui détroussent les touristes chinois dans certaines stations de métro n’éprouvent, je peux vous l’assurer, le moindre sentiment de culpabilité ou de remords – alors qu’elles l’éprouveraient probablement s’il s’agissait de voler un membre de leur communauté.

      C’est l’existence de ce “surmoi” qui rend possible la vie en société. S’il fallait mettre un policier derrière chacun d’entre nous pour vérifier qu’on respecte certaines règles – et un policier derrière le policier pour vérifier que lui les respecte aussi – le monde deviendrait invivable. Mais grâce au “surmoi”, non seulement nous obéissons à certaines règles, mais nous éprouvons un plaisir à le faire…

      • maleyss dit :

        [Je ne me souviens pas comment s’appelle cette formule de rhétorique, qui consiste à prétendre ne pas aborder un sujet pour l’aborder.]
        La prétérition.

  2. Luc dit :

    @Nationaliste Ethniciste
    Texte qui m’inspire ,l’évidence que dès que le politique s’éloigne,le calme et le ravissement nous enchantent..
    En effet,cette hisoire d’une générosité spontanée constitue un bienfait .Merci de nous le transmettre.
    Pensez vous qu’en Politique ,milieu hyper compétitif,ces gestes simples et solidaires trouvent un écho universellement favorable ? Nonbien sûr.Au mieux, d’aucuns y verront du populisme,d’autres  de la démagogie et certains du complotisme.
    Pourtant,naïvement peut être mais pour moi,Oui,vous avez raison.L’humain est empathique,simplement.
    Alors pourquoi y introduire’ nos racines judéo-chrétiennes qui institue un « surmoi » solidaire universel’? Vous le savez comme moi,un boudhiste aurait fait de même.Un polythéiste,aussi.Un indien de la terre de feu de même,ainsi qu’un Touareg polygamme ou un Innuit.Même peut être un canibale aux  racines judéo-chrétiennes instituant un « surmoi » solidaire universe,s’il est rassasié.
    Ne pensez vous pas que’ nos racines judéo-chrétiennes qui institue un « surmoi » solidaire universel’,a pour conséquence que des gens civilisés puissent sans honte s’affubler de positions rétrogrades tendance ‘Nationalistes Ethniciste’?
    N’est ce pas la Raison,la Laîcité et le progrès qui émancipent l’humanité en appliquant à la société l’organisation d’une empathie sociale universelle et rationnelle ?
    Là où le Nationaliste ethiniste (qui oeuvre actuellement en Ukraine ) organise l’assassinat,la discorde et la haine?
    ‘ nos racines judéo-chrétiennes qui institue un « surmoi » solidaire universel’,constituent elles réellement l’exclusivité de l’empathie humaine?

    • Descartes dit :

      @ Luc

      [@Nationaliste Ethniciste]

      Je n’ai pas compris cette adresse. Pourquoi vous adresser à N-E, alors que vous commentez un texte de ma plume ?

      [Pensez-vous qu’en Politique, milieu hyper compétitif, ces gestes simples et solidaires trouvent un écho universellement favorable ? Non, bien sûr. Au mieux, d’aucuns y verront du populisme, d’autres de la démagogie et certains du complotisme.]

      Je n’ai pas très bien compris. Je pense que ce type de gestes trouvent presque toujours un écho massivement favorable, tant ils correspondent au « surmoi » social. Les gens qui osent défendre publiquement une vision purement égoïste ne sont pas finalement si nombreux que ça…

      [Alors pourquoi y introduire’ nos racines judéo-chrétiennes qui institue un « surmoi » solidaire universel’?]

      Parce qu’il faut accorder au christianisme cette particularité remarquable de se vouloir universel. L’idée que les commandements de dieu s’appliquent potentiellement à tous les hommes – et pas seulement à un peuple donné – n’est pas une idée très courante parmi les religieux…

      [Vous le savez comme moi, un boudhiste aurait fait de même. Un polythéiste, aussi.]

      Non, je ne le sais pas. Je ne connais pas assez bien les règles du boudhisme pour savoir si elles contiennent une injonction à la solidarité universelle. Pour les polythéismes, ce n’est certainement pas le cas général. Les dieux grecs ou romains ne sont pas des dieux moraux, qui feraient injonction aux mortels de tenir telle ou telle conduite. Vous noterez d’ailleurs que chez les hindouistes, par exemple, un tel acte de solidarité tel que je l’ai décrit ne serait possible qu’entre certaines castes.

      [Ne pensez-vous pas que ’nos racines judéo-chrétiennes qui institue un « surmoi » solidaire universel’, a pour conséquence que des gens civilisés puissent sans honte s’affubler de positions rétrogrades tendance ‘Nationalistes Ethniciste’?]

      Je ne vois pas le rapport. Vous noterez d’ailleurs que vous jugez les positions de N-E « retrogrades » en vous plaçant d’un point de vue judéo-chrétien. Car si vous vous placez d’un point de vue du polythéiste auteur de la loi des Douze Tables ou celui du polythéiste Ciceron, « le salut du peuple est la loi suprême » (et il s’agit là non pas de n’importe quel peuple, mais du peuple d’une cité donnée) et le discours de N-E est parfaitement admissible… Vous ne pouvez pas rejeter l’héritage judéo-chrétien, et en même temps revendiquer ce qui est essentiel dans cet héritage, à savoir, l’universalisme.

      [N’est-ce pas la Raison, la Laîcité et le progrès qui émancipent l’humanité en appliquant à la société l’organisation d’une empathie sociale universelle et rationnelle ?]

      Oui. Mais ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi la Raison, la Laïcité et le progrès sont des idées nées dans un occident de culture gréco-latine et de tradition judéo-chrétienne ? L’idée même de séparation du civil et du religieux n’a rien de trivial. Elle est même incompréhensible dans beaucoup de cultures, ou l’autorité civile et l’autorité religieuse se confondent, et où les lois de la cité sont censées avoir été données par dieu lui-même. C’est en cela que la Grèce et encore plus Rome se distinguent de pratiquement toutes les civilisations antiques : les lois romaines sont, sans ambiguïté, œuvre humaine et non divine. Elles sont l’œuvre d’un homme législateur, et non d’un dieu législateur. Et la tradition judéo-chrétienne, parce qu’elle est née à l’ombre de l’Empire romain, a incorporé cette contrainte.

      Les Lumières se sont faites contre le pouvoir de l’Eglise, c’est un fait. Mais elles se situent dans la continuité d’un héritage : Elles auraient été impossibles sans le socle judéo-chrétien et gréco-latin.

      [Là où le Nationaliste ethiniste (qui oeuvre actuellement en Ukraine ) organise l’assassinat, la discorde et la haine?]

      Je ne vois pas l’intérêt de cette agression gratuite contre un autre commentateur. Je vous rappelle aux règles de courtoisie en vigueur sur ce blog.

      [‘nos racines judéo-chrétiennes qui institue un « surmoi » solidaire universel’, constituent elles réellement l’exclusivité de l’empathie humaine?]

      Elles constituent en tout cas une rareté. L’empathie est encouragée sous diverses formes dans les différentes cultures. Mais le fait d’en faire un principe UNIVERSEL distingue la tradition judéo-chrétienne par rapport aux autres.

    • @ Luc,
       
      Tiens, je pensais que vous ne vouliez pas échanger avec moi. Mais je profite de l’occasion pour vous dire que moi aussi je vous apprécie beaucoup.
       
      [Ne pensez vous pas que’ nos racines judéo-chrétiennes qui institue un « surmoi » solidaire universel’,a pour conséquence que des gens civilisés puissent sans honte s’affubler de positions rétrogrades tendance ‘Nationalistes Ethniciste’?]
      Ne pensez-vous pas que nos racines judéo-chrétiennes qui instituent un “surmoi” solidaire universel ont pour conséquence que des gens civilisés “de gauche” puissent sans honte défiler avec des musulmans communautaristes et anti-universalistes dont les positions font presque passer celles de “Nationaliste Ethniciste” pour progressistes?
       
      [Là où le Nationaliste ethiniste (qui oeuvre actuellement en Ukraine ) organise l’assassinat,la discorde et la haine?]
      Votre doigt a fourché, je pense que vous vouliez écrire “Nationalisme ethniciste”. Je signale que je n’ai jamais mis les pieds en Ukraine et n’ai nulle envie d’y aller par les temps qui courent. Maintenant, est-ce que le nationalisme ethniciste est en oeuvre dans ce conflit russo-ukrainien? Je n’en suis pas convaincu. Contrairement à Descartes, je pense qu’il y a un peuple ukrainien et que ce peuple est en phase de construction nationale (et la guerre participe à ce processus). Mais Ukrainiens et Russes sont issus de la même matrice historique et culturelle. La haine qui peut exister entre eux ne me paraît pas de nature “ethnique” comme ça peut être le cas dans d’autres situations (entre Russes et Polonais peut-être).
       
      Habituellement, on attribue plutôt au “nationalisme ethniciste” les tueries commises par Breivik en Norvège, celles de Christchurch ou plus récemment de Buffalo. Mais ce qui se passe en Ukraine? Non, ce sont des règlements de compte territoriaux entre états issus de l’URSS, c’est autre chose.

  3. La solidarité s’exerce aussi naturellement envers tout être humain. Imaginons la même mésaventure avec un conducteur britannique. Il me semble évident que le riverain l’aurait secouru aussi.

    • Descartes dit :

      @ Gautier Weinmann

      [La solidarité s’exerce aussi naturellement envers tout être humain. Imaginons la même mésaventure avec un conducteur britannique. Il me semble évident que le riverain l’aurait secouru aussi.]

      Mais… est-ce si « évident » que ça ? La solidarité est-elle quelque chose d’aussi « naturel » que vous le dites ? Personnellement, je pense que notre expérience quotidienne montre exactement le contraire. La solidarité n’a rien de « naturel » : Qui d’entre nous n’a pas déjà vu une personne avoir un malaise dans le métro parisien sans qu’aucun passager ne réagisse ? Qui ne s’est pas trouvé en difficulté sur le bord de la route et a essayé vainement d’arrêter une voiture ?

      Chacun de nous a une hiérarchie des solidarités. Nous sommes plus ou moins attentifs au malheur de l’autre en fonction de nos affinités familiales, religieuses, ethniques, nationales… Et cette hiérarchie n’est en rien innée ou naturelle, elle nous est transmise par une éducation. Vous noterez d’ailleurs qu’il y a une différence très marquée en termes d’empathie entre les générations les plus jeunes et les générations les plus anciennes…

      • Philippe Dubois dit :

        Bonsoir
        Une aventure similaire m’est arrivée il y a 34 ans en Nouvelle Zélande.
         
        J’étais perdu et je m’étais arrêté sur le bord de la route pour lire la carte.
         
        Un automobiliste s’arrête et me demande ce qu’il m’arrive.Je lui explique, dans mon Anglais très approximatif, et lui indique où je souhaitais aller.
        Il m’explique donc le chemin et, devant mon air très dubitatif me dit : “OK, follow me”
        Il m’a donc guidé jusqu’à ma destination.
        J’ai eu l’occasion plus tard de rendre le même service à un touriste belge complètement perdu, en me souvenant de ce très sympathique Néo-Zélandais
         
         
         

      • Aroise dit :

        @Descartes
        [Vous noterez d’ailleurs qu’il y a une différence très marquée en termes d’empathie entre les générations les plus jeunes et les générations les plus anciennes…]
        Cette phrase m’a interpellée. Les jeunes seraient moins empathique que les anciens ? Ou l’inverse ? Ou alors vous parlez d’une empathie réservée aux gens de son propre âge ?

        • Descartes dit :

          @ Aroise

          [Cette phrase m’a interpellée. Les jeunes seraient moins empathique que les anciens ? Ou l’inverse ? Ou alors vous parlez d’une empathie réservée aux gens de son propre âge ?]

          Je ne sais pas. Je ne peux que rapporter des observations personnelles: quand je vois quelqu’un céder son siège dans le métro ou le bus, c’est souvent une personne de plus de trente ans. Quand je vois des gens jouer à fond le son de leur téléphone portable dans un lieu public, c’est souvent des jeunes. Je ne me souviens pas que, quand j’avais leur âge, d’avoir manqué de céder mon siège à une personne âgée ou m’être permis de “privatiser” l’espace public de cette façon. Quand j’étais jeune, je me souviens qu’on avait “peur de déranger” l’adulte. Je ne suis pas persuadé que ce soit le cas aujourd’hui.

          On parle beaucoup de “l’ensauvagement de la société”. Si ce diagnostic est juste, alors il est logique de penser que l’ensauvagement en question commencera par les jeunes. Après tout, on ne change pas ses réflexes et ses habitudes à 50 ans…

  4. Vincent dit :

    [Contrairement à ce que pensent certains rousseauistes bêlants, l’enfant est naturellement égoïste. Il ne partage spontanément ni ses jouets, ni sa nourriture, ni son espace. C’est la société qui lui transmet l’idée de générosité, souvent à coups de frustrations.]

    Est-il acceptable de créer des frustrations chez nos enfants ?
    https://news.konbini.com/societe/je-pense-quaucun-adulte-naimerait-quon-le-force-a-finir-son-assiette-fanny-vella-se-bat-contre-les-violences-educatives-ordinaires/
     
    En écoutant cette courte interview, il y a quelques semaines, je me suis fait à peu près le même type de réflexion que celle que vous exposez. En partant exactement du sens inverse. Cette dame essaye d’expliquer qu’il faut enseigner dès le plus jeune âge aux enfants l’individualisme strict, le refus de toute obligation sociale, etc.
     
    Pas étonnant, avec ce type d’idéologies en vogue, que la société évolue comme elle évolue…
     

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [Est-il acceptable de créer des frustrations chez nos enfants ?]

      Non seulement c’est « acceptable », mais c’est absolument inévitable, sauf à élever des petits monstres. Parce que toute éducation implique, à un moment où un autre, de mettre une limite à la toute-puissance individuelle, de refuser la satisfaction d’un désir. Et cela génère inévitablement une frustration.

      J’avoue qu’en lisant l’article en question, les bras m’en tombent. Parce que cette femme énonce comme des vérités d’évidence des choses qui n’ont rien d’évident. Ainsi, par exemple, lorsqu’elle explique que « [en écoutant son enfant] on va, au contraire, créer une forme d’empathie chez lui, parce qu’en fait, à se sentir écouté, il aura peut-être plus la disponibilité d’écouter la personne en face de lui ». Vous apprécierez le « peut-être » prudent. Une prudence bien placée, parce qu’il n’y a aucune raison, mais alors absolument aucune, pour penser que le fait d’écouter une personne lui donnera envie de vous écouter, vous….

      De même, il est curieux d’entendre que « il est primordial d’accepter le “non” d’un enfant pour “lui apprendre que, plus tard, si son ‘non’ n’est pas accepté, il n’est pas entendu, eh bien, ce n’est pas normal” ». Soit. Mais l’enfant, lui, doit-il apprendre à entendre le « non » de l’adulte ? Parce que, dans le raisonnement de cette dame, l’enfant a le droit de dire « non » à l’adulte et doit être entendu, mais l’adulte n’a pas le droit de dire « non » à l’enfant…

      [En écoutant cette courte interview, il y a quelques semaines, je me suis fait à peu près le même type de réflexion que celle que vous exposez. En partant exactement du sens inverse. Cette dame essaye d’expliquer qu’il faut enseigner dès le plus jeune âge aux enfants l’individualisme strict, le refus de toute obligation sociale, etc.]

      Oui, parce que cette dame part de l’hypothèse que l’empathie est spontanée, autrement dit, qu’un enfant à qui on montre de l’empathie rendra cette empathie à son tour. Mais c’est faux, et n’importe quel éducateur vous le dira. L’incapacité de l’adulte à dire « non » fabrique des enfants-rois monstrueux.

      [Pas étonnant, avec ce type d’idéologies en vogue, que la société évolue comme elle évolue…]

      En effet !

  5. G chaze dit :

    Bonjour,
    Merci pour ce beau message en forme de “pas de côté”.
    Sur l universalisme chrétien qui exclut…  avez vous entendu parler du bon samaritain ? Il me semble que le message du Christ est clair. Par contre, je conviens que les églises et leurs fidèles ont été très loin de l appliquer.

    • Descartes dit :

      @ G chase

      [Sur l’universalisme chrétien qui exclut… avez-vous entendu parler du bon samaritain ? Il me semble que le message du Christ est clair. Par contre, je conviens que les églises et leurs fidèles ont été très loin de l’appliquer.]

      Pas si clair que cela, en fait. Oui, l’universalisme chrétien proclame « aime ton prochain comme toi-même », et la parabole du bon Samaritain, qui se trouve dans l’évangile de Luc, illustre ce principe. La difficulté se trouve dans la définition du terme « aimer ». N’est-ce pas « aimer » que de vouloir le mieux pour son prochain ? N’est-ce pas « aimer » l’hérétique que l’obliger à renier son hérésie puis de le purifier par le feu pour sauver son âme immortelle qui, autrement, serait promise à l’enfer ? N’est-ce pas « aimer » le juif que le forcer à se convertir à la « vraie » religion, lui ouvrant ainsi les portes du paradis qui lui resteraient fermées s’il persistait dans l’erreur ? A ces questions, la Sainte Inquisition a répondu positivement depuis le moyen-âge, et jusque à une période assez récente…

      La question n’est donc pas d’une « bonne » doctrine qui serait « mal » mise en œuvre par les églises ou les fidèles, mais du contenu de la doctrine elle-même. Personne ne sait ce qu’avait en tête l’auteur du texte biblique, mais l’interprétation qui en a été faite – et cela d’une façon constante – par les églises chrétiennes n’est guère universaliste en matière de solidarité… du moins au sens moderne de ce dernier terme.

  6. Astyanax dit :

    Vous dites que Dieu est mort et que votre “sauveur” ne peut donc en attendre de récompense : c’est votre opinion, parfaitement respectable, mais qu’est-ce qui vous fait croire qu’elle est partagée par l’homme venu à votre aide ? C’est étonnant, cette tendance que nous avons tous plus ou moins à étendre aux autres nos convictions sans autre forme de procès…

    • Descartes dit :

      @ Astyanax

      [Vous dites que Dieu est mort et que votre “sauveur” ne peut donc en attendre de récompense : c’est votre opinion, parfaitement respectable, mais qu’est-ce qui vous fait croire qu’elle est partagée par l’homme venu à votre aide ?]

      Les statistiques. Je me souviens avoir lu il n’y a pas longtemps un sondage – étais-ce dans La Croix – qui montrait que la grande majorité des chrétiens français ne croient pas à la rétribution, c’est-à-dire, à un dieu qui récompense ou punit nos actions. Peut-être que mon bon samaritain était l’exception et non la règle, c’est toujours possible… mais en toute probabilité, il ne l’était pas.

      [C’est étonnant, cette tendance que nous avons tous plus ou moins à étendre aux autres nos convictions sans autre forme de procès…]

      J’ai presque envie de vous poser la question : croyez-vous, vous-même, à la rétribution ?

  7. Magpoul dit :

    Merci pour ce papier. Comme remarqué par Gugus69, je pense aussi que votre texte est profondément politique, je pense même qu’il aborde l’essence de ce qu’est la politique (l’art de vivre en société), un sens qui semble se perdre malheureusement. Votre texte m’a donné le sourire. On voit ces actes partout et tous les jours, de la personne qui aide à transporter poussettes et valise dans les escaliers du métro, à celle qui aide un étranger à trouver sa direction. 
    Cette “dette” que vous décrivez, je l’accompagne avec moi car j’ai été sauvé par l’hôpital publique, ayant  de graves problèmes à ma naissance. Et comment oublier tous ces professeurs qui m’ont marqué, ces conducteurs de train et de bus qui m’ont inlassablement transporté vers mes études? Je suis en doctorat en Allemagne et mon retour en France me semble inéluctable une fois que j’en aurai fini (je vise une titularisation au CNRS, et le professorat si j’en suis capable). 
    Bonne fin de semaine !

    • Descartes dit :

      @ Magpoul

      [Votre texte m’a donné le sourire. On voit ces actes partout et tous les jours, de la personne qui aide à transporter poussettes et valise dans les escaliers du métro, à celle qui aide un étranger à trouver sa direction.]

      Bien sûr. Même en plein ensauvagement, notre société conserve une forme de sociabilité solidaire. Je remarque tout de même qu’à l’heure d’aider à transporter poussettes et valises, on voit rarement ces gestes chez les moins de trente ans, et pratiquement pas chez les moins de vingt… c’est patent lorsqu’on regarde qui cède son siège dans les transports. Cela nous dit peut-être quelque chose sur l’évolution de l’éducation, tant au niveau de la famille que de l’école…

  8. cherrytree dit :

    @Descartes
    La figure de style qui consiste à parler d’un sujet après avoir dit qu’on ne l’aborderait pas est la préterition, ” je ne dirai pas que.., mais…”
     
    Vous savez, aider autrui pour rendre service au groupe n’est pas l’apanage des humains. Témoins les fourmis qui se sacrifient pour permettre aux autres de former un pont sur leur corps afin de franchir un obstacle liquide, style pontoniers de la Bérézina. Nulle empathie là-dedans, mais la nécessité vitale. On peut citer aussi le cas d’animaux adoptant ou allaitant un animal d’une autre espèce, comme une chienne allaitant un chaton, le cas est moins rare que l’on peut le penser; difficile d’évoquer l’éducation ou le surmoi. Peut-être le mot de pitié peut convenir, car l’animal peut l’éprouver en voyant un être plus petit et démuni, auquel il s’assimile , ou dans lequel il voit un de ses propres  petits. Je n’en sais rien, les animaux ne parlent pas. Et il est vrai qu’à l’inverse une chienne peut parfaitement croquer le chaton.
    Vous partez du présupposé que les enfants  sont spontanément égoïstes. N’importe quel intervenant de crèche ou de maternelle vous dira que, du moins les enfants tout petits ne sont ni racistes, ni  hostiles à ce qui signale une différence (un handicap, une difformité par exemple). C’est après que les choses se gâtent: quand ils convoitent ce que l’autre a, que ce soit l’affection ou l’attention d’un parent ou d’une assistante de crèche, que ce soit une friandise ou un jouet qu’il s’agit de conquérir ou de conserver. Et là, en effet, on défend son bout de gras, comme on défend son territoire, et lorsqu’on a des amis , on crée des alliances  pour s’emparer ou pour défendre. Ainsi naissent les clans. Et je ne vous raconte pas comment, via l’éducation parentale ou la socialisation, l’enfant intègre la notion de différence, de beau ou de moche, de fréquentable ou pas, d’utile à soi-même ou d’intéressant, voire nuisible.
    En fait, l’empathie ou la solidarité est d’abord un égoïsme: je me mets à la place d’autrui, et je me rassure quelque part en rétablissant une situation qui pourrait être la mienne, inconsciemment.
    Après, oui, tout dépend de notre éducation. Religion, morale, civisme, certes. Mais allez voir un peu en temps de péril ou de disette si les bonnes âmes courent les rues, ou même les chemins de campagne. Vous trouverez bien plus de repli sur soi (les résistants n’ont jamais été majoritaires et les camps de rétention pour les “indésirables”, dès 1939, n’ont pas vraiment suscité l’indignation des populations voisines. Expliquez-moi en quoi un réfugié Syrien ot Afghan est plus digne de solidarité qu’un habitant de Kiev. La guerre en Ukraine suscite des élans de solidarité, et dans le même temps c’est la ruée irrationnelle sur l’huile de tournesol, où l’on a vu les braves gens stocker le précieux liquide par dizaines de litres sans se soucier des besoins d’autrui, créant ainsi une mémorable pénurie, et puis la moutarde, et puis le papier toilette…
    Vous écrivez que l’État nation s’est substitué au divin pour ce qui est de la solidarité. Mais le bon Samaritain était un homme de l’Antiquité, et par-dessus le marché il était particulièrement remarquable, parce qu’entre les Galiléens et les Samaritains, ce n’était pas le grand amour, et l’État-nation n’a rien à voir dans cette affaire.
    Pensez un instant au passage de la génération “touche pas à mon pote”, à celle où l’on refuse de saluer la mémoire de victimes d’attentats islamistes, il s’est passé quoi, 30 ans? C’est UNE génération, et dans les mêmes quartiers.
    Descartes, vous êtes tombé sur un bon Samaritain. Sur quelqu’un qui a un principe d’humanité, ou de gentillesse. Et puis c’était la campagne. Que votre auto se soit trouvée en panne dans une banlieue glauque, on vous aurait dépouillé de votre portable, direct, dès qu’on vous aurait vu appelant un dépanneur.

    J’aime à voir que vous êtes encore confiant dans un modèle de socialisation. Je suis loin de partager cet optimisme, car il y a belle lurette que l’Avoir a pris le dessus sur l’Être, et l’individu sur la société.
    Permettez-moi de vous suggérer la lecture de “L’arbre des possibles” de Weber, si vous ne connaissez pas, c’est sinistrement hilarant. “Sa majesté des mouches”, je crois que vous connaissez , mais je recommande à ceux qui ne l’auraient pas lu. On peut voir ce que devient la solidarité  dans un groupe, en principe éduqué dans la même école et selon les mêmes principes, obéissant aux mêmes règles, quand l’instinct de survie reprend le dessus. Eh bien notre monde, c’est très exactement cela, et il faut bien se dire que la bonté, la solidarité, ne sont pas les valeurs dominantes de notre civilisation, ne sont pas forcément récompensées, et qu’il faut, outre l’empathie, une bonne dose d’abnégation, denrée qui se fait rare. L’abnégation des soignants et des enseignants ne fait plus recette, voyez les démissions et les difficultés de recrutement. C’étaient pourtant les métiers pour lesquels on parlait de “vocation”, et de “,piliers de la société”. Et puis j’aime bien me rappeler “Les pauvres gens”, de Victor Hugo, qui a inspiré le film “Les neiges du Kilimandjaro”, que j’ai analyses renseignés en classe. Mais ça, c’était avant…

    • Descartes dit :

      @ cherrytree

      [Vous savez, aider autrui pour rendre service au groupe n’est pas l’apanage des humains. Témoins les fourmis qui se sacrifient pour permettre aux autres de former un pont sur leur corps afin de franchir un obstacle liquide, style pontoniers de la Bérézina. Nulle empathie là-dedans, mais la nécessité vitale.]

      Même pas. Ce à quoi vous faites allusion est un acte instinctif, résultat de la sélection naturelle. Je doute qu’on puisse comparer aux comportements humains.

      [On peut citer aussi le cas d’animaux adoptant ou allaitant un animal d’une autre espèce, comme une chienne allaitant un chaton, le cas est moins rare que l’on peut le penser ; difficile d’évoquer l’éducation ou le surmoi. Peut-être le mot de pitié peut convenir, car l’animal peut l’éprouver en voyant un être plus petit et démuni, auquel il s’assimile, ou dans lequel il voit un de ses propres petits. Je n’en sais rien, les animaux ne parlent pas. Et il est vrai qu’à l’inverse une chienne peut parfaitement croquer le chaton.]

      Le cas est déjà rare parmi les animaux domestiques, il est rarissime parmi les animaux sauvages. La sélection naturelle est passée par là : un animal qui allaiterait le petit d’un autre dépenserait son énergie en pure perte, puisque cet acte ne lui permet pas de mieux transmettre son patrimoine génétique.

      [Vous partez du présupposé que les enfants sont spontanément égoïstes. N’importe quel intervenant de crèche ou de maternelle vous dira que, du moins les enfants tout petits ne sont ni racistes, ni hostiles à ce qui signale une différence (un handicap, une difformité par exemple).]

      Quel rapport ? Je n’ai pas parlé de « racisme » ni de « hostilité à ce qui signale une différence ». J’ai parlé d’égoïsme. Les enfants sont spontanément égoïstes : quand ils voient de la nourriture, ils la mangent même si ce faisant ils en privent un autre enfant, quand ils voient un jouet ils le saisissent sans penser qu’un autre enfant peut le vouloir aussi. Ce qui caractérise le petit enfant, c’est précisément son incapacité à se mettre à la place de l’autre. Cela vient avec l’éducation.

      [En fait, l’empathie ou la solidarité est d’abord un égoïsme: je me mets à la place d’autrui, et je me rassure quelque part en rétablissant une situation qui pourrait être la mienne, inconsciemment.]

      Non. L’empathie et la solidarité sont bâties sur l’idée que l’autre a lui aussi des sentiments, des droits, des envies, des préférences qui comptent autant que les miennes. L’égoïsme, c’est précisément la négation de cette idée, la position qui consiste à penser que seuls MES sentiments, MES droits, MES envies, MES préférences comptent.

      [Après, oui, tout dépend de notre éducation. Religion, morale, civisme, certes. Mais allez voir un peu en temps de péril ou de disette si les bonnes âmes courent les rues, ou même les chemins de campagne. Vous trouverez bien plus de repli sur soi (les résistants n’ont jamais été majoritaires et les camps de rétention pour les “indésirables”, dès 1939, n’ont pas vraiment suscité l’indignation des populations voisines.]

      Ce n’est pas évident. Les situations extrêmes produisent des réponses extrêmes. En temps de disette ou de guerre, vous trouverez des actes de générosité extrêmes à côt
      é d’actes d’égoïsme tout aussi extrêmes. Mais lorsqu’on fait la moyenne, je ne sais pas si on trouverait qu’il y a plus d’égoïsme ou de générosité qu’en temps normal…

      [Expliquez-moi en quoi un réfugié Syrien ot Afghan est plus digne de solidarité qu’un habitant de Kiev.]

      Je ne peux pas vous « expliquer » quelque chose que je tiens pour faux !

      [La guerre en Ukraine suscite des élans de solidarité,]

      A voir. Ceux qui ont suggéré qu’on pouvait quand même accepter de passer un hiver sans chauffage pour priver les Russes des revenus du gaz n’ont pas eu beaucoup de succès. Il est vrai quel es occidentaux sont prêts à se battre jusqu’au dernier ukrainien, mais je n’appelle pas cela de la « solidarité ». C’est leur intérêt que les élites européennes servent, pas celui des ukrainiens…

      [Vous écrivez que l’État nation s’est substitué au divin pour ce qui est de la solidarité. Mais le bon Samaritain était un homme de l’Antiquité, et par-dessus le marché il était particulièrement remarquable, parce qu’entre les Galiléens et les Samaritains, ce n’était pas le grand amour, et l’État-nation n’a rien à voir dans cette affaire.]

      Quant on est un personnage imaginaire, il est facile d’être « remarquable »…

      [Pensez un instant au passage de la génération “touche pas à mon pote”, à celle où l’on refuse de saluer la mémoire de victimes d’attentats islamistes, il s’est passé quoi, 30 ans? C’est UNE génération, et dans les mêmes quartiers.]

      Je ne comprends pas très bien votre raisonnement. En quoi la génération « touche pas à mon pote » était-elle plus « solidaire » que celle qui refuse de saluer la mémoire des victimes d’attentats islamistes ? « Touche pas à mon pote » était une manière de se donner bonne conscience à bas coût. Porter une petite main à la boutonnière, c’est beaucoup moins cher que de payer les impôts nécessaires pour assurer aux « potes » une éducation de qualité et un travail… Vous savez, entre SE DIRE solidaire et ETRE solidaire, il y a un grand pas…

      [Descartes, vous êtes tombé sur un bon Samaritain. Sur quelqu’un qui a un principe d’humanité, ou de gentillesse. Et puis c’était la campagne. Que votre auto se soit trouvée en panne dans une banlieue glauque, on vous aurait dépouillé de votre portable, direct, dès qu’on vous aurait vu appelant un dépanneur.]

      Qu’est ce qui ferait que les « gens de la campagne » seraient plus humains et plus gentils que les gens de la ville ? Serait-il vrai que « la terre, elle, ne ment pas » ? Non, je pourrais vous donner je pense des exemples de solidarité en ville aussi.

      [“Sa majesté des mouches”, je crois que vous connaissez, mais je recommande à ceux qui ne l’auraient pas lu. On peut voir ce que devient la solidarité dans un groupe, en principe éduqué dans la même école et selon les mêmes principes, obéissant aux mêmes règles, quand l’instinct de survie reprend le dessus.]

      C’est un livre que j’adore. Mais vous en faites une lecture très simpliste, je trouve. Le livre de Golding veut montrer combien la civilisation dépend d’institutions, et combien lorsque les institutions ne sont pas là pour nous contenir, on retombe dans la barbarie. C’est une réflexion sur l’état de nature, et non sur la solidarité.

      [Eh bien notre monde, c’est très exactement cela, et il faut bien se dire que la bonté, la solidarité, ne sont pas les valeurs dominantes de notre civilisation, ne sont pas forcément récompensées, et qu’il faut, outre l’empathie, une bonne dose d’abnégation, denrée qui se fait rare.]

      La question est de comprendre pourquoi… l’abnégation n’est pas un don purement gratuit. L’abnégation implique une transcendance, la conviction que vous contribuez à quelque chose qui vous dépasse, et la récompense est en ce dépassement. Mais sans le dieu qui permet la transcendance religieuse, sans la nation qui est la seule forme de transcendance civique…

  9. Aroise dit :

    De la même manière que les Eglises faisaient reposer l’ordre social sur la notion de péché originel, qu’il fallait expier toute sa vie par ses œuvres,
    Le péché originel est effacé par le baptême depuis le sacrifice du Christ.
    Les œuvres sont la manifestation concrète de la charité.
     
    Même l’universalisme chrétien refuse cette solidarité aux juifs et aux infidèles – sauf s’ils acceptent de se convertir.
    Archifaux. Si cela s’est produit, c’est en contradiction avec la doctrine de l’Eglise catholique (Soignez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens).Cf le bon Samaritain.
     

    • Descartes dit :

      @ Aroise

      [Le péché originel est effacé par le baptême depuis le sacrifice du Christ.]

      Sur cette intéressante question, tous les chrétiens ne sont pas tout à fait d’accord…

      [Même l’universalisme chrétien refuse cette solidarité aux juifs et aux infidèles – sauf s’ils acceptent de se convertir. Archifaux. Si cela s’est produit, c’est en contradiction avec la doctrine de l’Eglise catholique (Soignez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens).Cf le bon Samaritain.]

      Je vous renvoie à la politique pratiquée par l’Eglise catholique en Espagne, de la Reconquista jusqu’au Franquisme. Je veux bien que la pratique ne soit pas conforme à la doctrine, mais lorsque cette non-conformité s’étend sur cinq siècles, on peut légitimement considérer que la doctrine en question n’est autre chose qu’un cache-sexe. Par ailleurs, la référence au “bon samaritain” est sans effet dans ce débat: dans l’évangile selon Saint Luc, qui est la seule source de la parabole, la religion de l’homme que le Samaritain secours n’est pas indiquée. Nous ne savons donc pas si le Samaritain a secouru un coreligionnaire, ou s’il aurait secouru quelqu’un d’une religion différente à la sienne. La parabole illustre l’énoncé “aime ton prochain comme toi-même”, censé être le second commandement de Dieu. Mais cette formule s’est toujours heurtée à la question de la définition du “prochain”. Est-ce que l’infidèle est un “prochain” ? Se pose aussi le problème de ce que veut dire “aimer”. Celui qui torture un juif pour l’obliger à se convertir – et donc à sauver son âme éternelle en embrassant la “vraie” religion – n’accomplit-il un acte d’amour ? La Sainte Inquisition donnaît une réponse très claire à cette question…

      • xc dit :

        @Descartes
        On n’est pas dans le récit d’un fait réel, mais dans une parabole visant à illustrer la notion de “prochain”. Les relations entre Juifs et Samaritains étaient exécrables, mais le Samaritain de la parabole ne cherche pas à savoir à quelle communauté appartient le blessé. Il vient à son secours sans se préoccuper de savoir quelle aurait été son attitude envers lui dans d’autres circonstances.

        • Descartes dit :

          @ xc

          [Il vient à son secours sans se préoccuper de savoir quelle aurait été son attitude envers lui dans d’autres circonstances.]

          Pas plus que le Lévite ou le Prêtre. C’est bien là mon point.

          • xc dit :

            L’action de la parabole se passe sur la route de Jérusalem à Jéricho, c’est à dire en Judée. Le Samaritain était donc “en territoire hostile”. Que le blessé soit autre que Samaritain était le plus probable.
            Quant au prêtre et au Lévite, comme je l’explique plus bas, ce qui emporte probablement leur décision et l’emporterait probablement quelles que soient l’origine, la religion, ou le statut social du blessé est que son contact les aurait mis hors d’état d’exercer leur ministère.

            • Descartes dit :

              @ xc

              [L’action de la parabole se passe sur la route de Jérusalem à Jéricho, c’est à dire en Judée. Le Samaritain était donc “en territoire hostile”. Que le blessé soit autre que Samaritain était le plus probable.]

              Peut-être. Mais l’évangéliste n’a pas cru nécessaire de préciser ni son origine, ni sa religion, ni sa classe sociale. Alors qu’il a précisé celle de ceux qui se sont – ou ne se sont pas – portés à son secours. N’est-ce pas là un élément à prendre en compte ? Pourquoi l’évangéliste trouve utile de préciser qu’il s’agit d’un Samaritain ?

  10. cherrytree dit :

    @Descartes
    Puisque nous évoquons la parabole du Bon Samaritain, il faut quand même rappeler qu’ elle illustré le commandement principal : aimez-vous les uns les autres, qui est une des conditions sine qu’à non pour accéder à la vie éternelle .” Fais cela et tu vivras”. C’est aussi ce qu’enseigne Saint Paul, ” sans l’amour je ne suis rien”.
    Ce qui illustre mon propos du post précédent, la bonté, la solidarité répond aussi bien à la nécessité de la survie d’un groupe qu’à la sienne propre, au moins spirituellement. Ensuite, il faut mesurer la nuance entre empathie, solidarité, bonté, dévouement. 
    On a beaucoup rigolé à propos de la BA des scouts, mais la prière des scouts ne dit pas autre chose “sans attendre d’autre récompense que celle de savoir que nous faisons Votre sainte volonté”. La rétribution dans ce cas n’est pas matérielle, mais purement spirituelle. l’État-nation est absent jusqu’au de cette considération. Et notre Bon Samaritain illustre le fait que la solidarité, le dévouement, l’amour , etc, doit s’exercer sans indistinctement. Un Samaritain était impur et pas considéré comme Juif, les Juifs fuyaient leur contact. On ne sait pas l’appartenance de l’infortuné voyageur, mais ce sont des Juifs orthodoxes, lévites, qui ne lui prêtent pas assistance, ce qui rendrait à montrer qu’il ne devait pas appartenir à une élite.
     

    • Descartes dit :

      @ cherrytree

      [Puisque nous évoquons la parabole du Bon Samaritain, il faut quand même rappeler qu’ elle illustré le commandement principal : aimez-vous les uns les autres, qui est une des conditions sine qu’à non pour accéder à la vie éternelle .” Fais cela et tu vivras”. C’est aussi ce qu’enseigne Saint Paul, ” sans l’amour je ne suis rien”.]

      Pas tout à fait. La parabole en question apparaît dans l’évangile selon Saint Luc pour illustrer le précepte « aime ton prochain comme toi-même », et non pas « aimez-vous les uns les autres ». Vous noterez que la première formule est asymétrique (car elle ne demande rien au « prochain » en retour) alors que la seconde est symétrique.

      Mais le problème est surtout dans le mot « aimer », dont l’évangile ne donne pas une définition très précise. Ainsi, par exemple, qui « aime » plus son enfant, celui qui le corrige pour lui éviter l’erreur, ou celui qui le laisse se fourvoyer ? Qui « aime » plus l’hérétique ou l’infidèle, celui qui le laisse pratiquer librement son erreur – et se damner pour l’éternité – ou celui qui, quitte à utiliser la violence, les met dans le chemin de la « vraie » religion et leur permet par là de gagner la vie éternelle ?

      Vous voyez que les choses ne sont pas aussi simples qu’elles ne paraissent : Jesus ne dit jamais « soyez gentils avec le prochain », il dit « aimez votre prochain », et ce n’est pas du tout la même chose. Car Jesus peut avoir l’amour vache : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison » (Matthieu, 10 :35). L’amour au sens biblique n’est jamais loin du « qui aime bien châtie bien ».

      [Ce qui illustre mon propos du post précédent, la bonté, la solidarité répond aussi bien à la nécessité de la survie d’un groupe qu’à la sienne propre, au moins spirituellement. Ensuite, il faut mesurer la nuance entre empathie, solidarité, bonté, dévouement.]

      La solidarité, certainement. Mais vous noterez que l’essence de la solidarité – et cela est inscrit dans l’étymologie même du mot est la RECIPROCITE. Or, où est la réciprocité dans mon histoire – ou dans la parabole du Bon Samaritain, si vous préférez ? Ni l’homme qui m’a aidé à sortir ma voiture de l’ornière, ni le Bon Samaritain ne reçoivent en apparence un retour pour le prix de leurs efforts. Mais cette réciprocité existe pourtant. Dans le premier cas, elle est sociale : la société cherche à construire chez chacun d’entre nous un « surmoi » qui nous pousse à aider l’autre, et mon sauveur du jour non seulement aura retiré un plaisir de m’avoir aidé, mais sera sauvé un autre jour par ce mécanisme. Dans le second, la réciprocité est assurée par la divinité, et le Bon Samaritain aura gagné une place au paradis.

      [On a beaucoup rigolé à propos de la BA des scouts, mais la prière des scouts ne dit pas autre chose “sans attendre d’autre récompense que celle de savoir que nous faisons Votre sainte volonté”. La rétribution dans ce cas n’est pas matérielle, mais purement spirituelle.]

      N’exagérons rien : faire « votre sainte volonté » entraîne en principe quelques petites compensations dans l’au-delà qui ne sont pas purement « spirituelles » – même si elles sont immatérielles.

      [l’État-nation est absent jusqu’au de cette considération.]

      Tout à fait : mais cela ne marche que si vous croyez qu’il y a une « sainte volonté » qui connaît vos actions et qui les punit ou les récompense. Mais qu’est-ce qui se passe quand on n’y croit plus ? C’était là bien mon point : quand la transcendance religieuse disparaît, la seule entité capable de fournir une transcendance de secours qui rend les actes de dévouement possible est la nation. Quelle autre institution peut fonder une solidarité inconditionnelle et impersonnelle ?

      [Et notre Bon Samaritain illustre le fait que la solidarité, le dévouement, l’amour, etc, doit s’exercer sans indistinctement.]

      Oui, mais encore une fois, pour que ce « doit » se transforme en réalité, il faut une structure idéologique qui elle-même s’appuie sur une réalité matérielle. Dire « je dois aider les gens sans attendre rien en retour », cela ne convaincra personne. D’ailleurs, pourquoi devrais-je le faire ? Pourquoi devrais-je consacrer mon argent durement gagné et mon temps si court sur cette terre à aider des gens qui ne me seront même pas reconnaissants ? Même à l’époque de Jesus, il fallait promettre la vie éternelle à ceux qui auraient un tel comportement pour que cela marche. Aujourd’hui, on ne peut plus promettre la vie éternelle – personne n’y croit – mais on peut promettre de vivre dans une société plus agréable, plus efficace, plus pacifique… et cela grâce à l’institution qui organise la solidarité inconditionnelle et impersonnelle, c’est-à-dire, la nation. Parce que c’est cette solidarité inconditionnelle et impersonnelle qui assure un « retour » à nos bonnes actions – ce qui pose d’ailleurs le problème du « passager clandestin », mais c’est une autre affaire.

      [Un Samaritain était impur et pas considéré comme Juif, les Juifs fuyaient leur contact. On ne sait pas l’appartenance de l’infortuné voyageur, mais ce sont des Juifs orthodoxes, lévites, qui ne lui prêtent pas assistance, ce qui rendrait à montrer qu’il ne devait pas appartenir à une élite.]

      Vous avez mal lu la parabole. « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Il tomba entre les mains de brigands qui le dépouillèrent, le rouèrent de coups et s’en allèrent en le laissant à moitié mort. Un prêtre qui, par hasard, descendait par le même chemin vit cet homme et passa à distance. De même aussi un Lévite arriva à cet endroit; il le vit et passa à distance. Mais un Samaritain qui voyageait arriva près de lui et fut rempli de compassion lorsqu’il le vit. Il s’approcha et banda ses plaies en y versant de l’huile et du vin; puis il le mit sur sa propre monture, le conduisit dans une auberge et prit soin de lui » (Luc, 10:28). Comme vous pouvez le constater, ce n’est pas le Samaritain que le Lévite et le Prêtre évitent, mais un « homme » dont le texte ne nous dit rien d’autre que le fait qu’il ait été attaqué par des brigands. Nous ne connaissons ni son origine, ni sa profession, ni son niveau social. L’idée que le Lévite ou le Prêtre ne lui prêtent assistance « parce qu’il n’appartenait pas à l’élite » est une interprétation assez osée, vu que tous deux « passent à distance » d’un homme qui a été « dépouillé » (on peut supposer donc qu’il a été délesté de tous les objets précieux qui auraient pu l’identifier comme « appartenant à l’élite »). Comment le Prêtre et le Lévite pouvaient-ils, à la distance, connaître son statut social ?

      Nous ne connaissons d’ailleurs même pas les motivations du Samaritain. Peut-être que dans son for intérieur il espérait que l’étranger qu’il avait ainsi aidé allait le payer en retour une fois sa fortune rétablie ? Nous n’en savons rien. Tout ce que nous savons, c’est que le Samaritain n’espérait pas de rétribution IMMEDIATE, que l’homme qu’il a secouru était incapable de fournir. Mais tout le reste est ouvert a conjecture.

      • xc dit :

        Les prêtres étaient les célébrants du culte, et les Lévites, ses auxiliaires. L’explication la plus souvent avancée pour expliquer leur attitude est que le contact avec un cadavre (ou le sang, je ne sais plus) les aurait mis en état d’impureté leur interdisant d’exercer leur ministère sans avoir préalablement accompli un rituel de purification. Pourquoi était-il plus important à leurs yeux de rester en état de pureté que d’aider quelqu’un dans la détresse ? La question reste ouverte. Il faut probablement lire dans ce texte une critique des hommes de culte. Toujours est-il que le prêtre et le Lévite font un détour, ils ne s’approchent pas du blessé pour se faire une idée de son statut social.

  11. cherrytree dit :

    @Descartes
     
    En tout cas je trouve cette discussion fort enrichissante et je pense que vous avez eu une bonne idée de nous proposer cette réflexion. Et de laisser momentanément de côté ce qui agite le marigot en ce moment. Nouveau gouvernement, tricotages pour les législatives… alors qu’il est patent que pour l’heure les enjeux dépassent de loin une vision à courte échéance.
    Je ne suis pas forcément d’accord avec vous, mais c’est toujours intéressant d’y confronter les points de vue. Merci

  12. Paul dit :

    Bien que d’accord avec vous sur la place de Dieu dorénavant occupée par la nation et sa solidarité inconditionnelle et impersonnelle, je crains pourtant une remise en cause de ce principe directeur essentiel par la disparition de ce qui fait tiers reconnu.
    Un “surmoi collectif” ne peut être que la conjuguaison de “surmois personnels”, qui en viennent par des constats collectifs à des constructions principielles, Dieu ou Nation…
    Le père avait dans la république athénienne la fonction de relais de la structure sociale dans la cellule familiale, mais il était avant tout celui qui permettait à l’enfant l’acquisition des processus de respect et de reconnaissance de l’autre, et lui permettait ainsi de sortir d’un narcissisme et d’une toute-puissance (je suis le seul être aimé de Maman) destructrice.
    Qu’en est-il du père à ce jour, et qu’en est-il dès lors de l’institution, de la place de chacun dans cette institution, du sujet donc ? J’insiste sur cette dimension du sujet, qui n’est pas réductible à l’individu. Le sujet, divisé par ses pulsions et la Loi, que le Surmoi permet de structurer, d’apaiser. De le rendre social, sociable, empathique, soucieux de l’autre car reconnaissant sa propre altérité.
    Je m’autorise cette digression car je pense qu’il nous faut ne pas ignorer la dimension subjective de chaque être dans une construction sociale, quelle que soit sa place.

    • Descartes dit :

      @ Paul

      [Un “surmoi collectif” ne peut être que la conjuguaison de “surmois personnels”, qui en viennent par des constats collectifs à des constructions principielles, Dieu ou Nation…]

      Je pense que le terme « surmoi collectif » est un abus de langage. La collectivité n’a pas de psyché. Mais si la collectivité n’a pas de « surmoi », elle contribue à façonner le « surmoi personnel » de ses membres. C’est cela qu’on peut appeler le « surmoi collectif » : l’ensemble des éléments que la collectivité injecte dans le « surmoi » de chacun de ses membres.

      [Le père avait dans la république athénienne la fonction de relais de la structure sociale dans la cellule familiale, mais il était avant tout celui qui permettait à l’enfant l’acquisition des processus de respect et de reconnaissance de l’autre, et lui permettait ainsi de sortir d’un narcissisme et d’une toute-puissance (je suis le seul être aimé de Maman) destructrice.]

      C’est la même chose dans la tradition juive, et je pense que c’est une constante dans presque toutes les grandes civilisations humaines. « La mère est immanence, le père est transcendance ». L’une régnait sur l’enfant dans l’espace domestique, l’autre dans l’espace civique.

      [Qu’en est-il du père à ce jour, et qu’en est-il dès lors de l’institution, de la place de chacun dans cette institution, du sujet donc ? J’insiste sur cette dimension du sujet, qui n’est pas réductible à l’individu.]

      Je partage votre questionnement. Ce n’est pas un hasard si l’on voit dans notre société s’étioler la capacité à institutionnaliser en même temps que s’efface la figure du père.

  13. cdg dit :

    Il m est arrive a peut pret la meme chose. J ai fait une marche arriere et mit une roue arriere dans une orniere ce qui faisait qu une roue avant ne touchait plus le sol. autrement dit sur une traction, tout le couple va sur cette roue et vous ne bougez plus
    Il y a une petite nuance avec vous, j ai du marcher pour aller demander du secours (personne n avait de telephone portable a l epoque) et la personne m a tiré avec son tracteur. Elle n a pas voulu que je la paie ce qui aurait ete la moindre des choses
    C etait vers le lac de constance et mon sauveur etait allemand (et vu mon niveau d allemand et mon accent il a tout de suite compris que j etais francais). Autrement dit, je ne crois pas que le cadre national soit le bon. Je pense au contraire que l homme est naturellement altruiste, c est comme ca que s explique les histoires de personne qui se sacrifient pour des gens qu elle ne connaissent pas (par ex dans un naufrage on va pas demander la nationalite).
    Je pense meme que c est une des conditions qui a permit a l homme de survivre a l epoque prehistorique: s il n y avait que rivalite (comme vous l ecrivez c est soit une proie soit un danger) l espece humaine aurait disparu et les progres technologique de l epoque ne se seraient jamais propagé
    Ce qui ne veut pas dire qu il faut etre naif et penser que 100 % des hommes sont naturellement bon. disons que 90 % le sont mais que les 10 % autres font qu on doit etre mefiant de temps en temps

    • Descartes dit :

      @ cdg

      [C’était vers le lac de constance et mon sauveur était allemand (et vu mon niveau d’allemand et mon accent il a tout de suite compris que j’étais français). Autrement dit, je ne crois pas que le cadre national soit le bon.]

      Je me suis mal fait comprendre. Je n’ai jamais dit que la solidarité ne fonctionne qu’envers les membres d’une même nation. Ce que j’ai dit, c’est que la nation est la seule institution capable de faire accepter chez les citoyens un « surmoi » solidaire – que ce soit envers leurs concitoyens, vers les étrangers qui visitent le pays, ou même des pays étrangers. Mon point, c’est que ces actes en apparence désintéressés sont liés en fait à une idée de rétribution, et qu’il faut donc une institution – l’église, la nation – qui régule cette rétribution. « Dieu vous le rendra » est remplacé par « la nation vous le rendra ». Et l’allemand qui vous a secouru aura peut-être aussi été motivé par l’envie de donner une bonne image de l’Allemagne…

      [Je pense au contraire que l’homme est naturellement altruiste, c’est comme ça que s explique les histoires de personne qui se sacrifient pour des gens qu’elles ne connaissent pas (par ex dans un naufrage on va pas demander la nationalite).]

      Mais d’où vient cet altruisme ? Si cet altruisme est « naturel », alors soit il a été implanté par un Dieu créateur, soit il trouve son origine que dans la sélection naturelle. Personnellement, je ne crois pas en Dieu, ce qui laisse la sélection. Or, on voit mal en quoi l’altruisme augmenterait les chances d’un individu à propager ses gamètes, au contraire !

      [Je pense même que c’est une des conditions qui a permis à l’homme de survivre à l’époque préhistorique : s’il n’y avait que rivalité (comme vous l’écrivez c’est soit une proie soit un danger) l’espèce humaine aurait disparu et les progrès technologique de l’époque ne se seraient jamais propagé]

      Vous raisonnez comme s’il n’y avait d’autre option que l’altruisme d’un côté et la rivalité de l’autre. Mais il y a un troisième choix : celui de l’échange intéressé. C’est celui-ci, plus que l’altruisme, qui a permis aux hommes préhistoriques de survivre : quand ils se mettaient ensemble pour tuer un mammouth, chacun avait sa part. Personne n’aidait les autres à chasser et revenait chez lui bredouille. Pour que l’altruisme soit possible, il faut des institutions qui assurent la rétribution, et cela arrive bien plus tard…

      • Un Belge dit :

        @Descartes
         
        [Mais d’où vient cet altruisme ? Si cet altruisme est « naturel », alors soit il a été implanté par un Dieu créateur, soit il trouve son origine que dans la sélection naturelle. Personnellement, je ne crois pas en Dieu, ce qui laisse la sélection. Or, on voit mal en quoi l’altruisme augmenterait les chances d’un individu à propager ses gamètes, au contraire !]
        L’altruisme n’est pas positif pour la transmission des gènes de l’intéressé, mais positif pour l’espèce humaine en générale. Un homme altruiste entouré d’égoistes (génétiquement parlant) ne transmettra pas son gène facilement, mais si il y a d’un coté une tribu d’altruistes et de l’autre coté une tribu d’égoistes, la première sera probablement plus prospère que l’autre. (A minima tant qu’elle est isolée…)
         

        • Descartes dit :

          @ Un Belge

          [L’altruisme n’est pas positif pour la transmission des gènes de l’intéressé, mais positif pour l’espèce humaine en générale. Un homme altruiste entouré d’égoistes (génétiquement parlant) ne transmettra pas son gène facilement, mais s’il y a d’un côté une tribu d’altruistes et de l’autre côté une tribu d’égoïstes, la première sera probablement plus prospère que l’autre. (A minima tant qu’elle est isolée…)]

          Oui, sauf que… dans votre tribu d’altruistes, un égoïste aura un avantage considérable pour propager ses gènes, alors que dans la tribu égoïste, l’altruiste n’aura aucun avantage. Le caractère « altruiste » ne peut donc qu’être substitué, dans le jeu de la sélection, par le gène « egoïste ». Sauf si la tribu « altruiste » se donne des institutions capables de transformer l’altruisme en un comportement quasi obligatoire et donc empêcher l’égoïste de transmettre. Mais là, on échappe à la pure sélection naturelle pour entrer dans le domaine du social et de l’institutionnel… et dans ce domaine, on voit rapidement apparaître les églises puis la nation…

          C’est là le cœur de ma théorie. Si l’homme a pu développer certaines caractéristiques qui sont, comme vous le dites socialement avantageuses mais individuellement pénalisantes, c’est parce qu’il est capable de créer des institutions, de s’auto-sélectionner en quelque sorte. De la même manière que les paysans ont depuis des siècles sélectionné les vaches en fonction de la qualité et la quantité de la viande ou du lait qu’elles fournissent, les sociétés humaines sélectionnent certains comportements sociaux qui peuvent désavantager l’individu qui les pratique mais avantagent l’ensemble de la société. D’où ma conclusion: l’empathie, la solidarité ne sont en rien “naturels”, mais le résultat d’une sélection et d’une transmission institutionnelle.

  14. alexis dit :

    La première phrase me rappelle une belle chanson. Aujourd’hui, ma fille et ses camarades de classe ont chanté une autre belle chanson du même auteur à la fête de leur école: ‘La paix sur terre’. Votre texte est bien écrit mais vous ne pouvez pas nier qu’il y a eu un élan de solidarité pour les ukrainiens parce qu’on n’a pas coupé le chauffage: on a envoyé du fric, des vêtements, accueilli les réfugiés, y compris les gens qui n’ont pas beaucoup de fric en Roumanie ou en Pologne. De même, quand il y a une grosse catastrophe par ex. en Haïti, il y a un élan de solidarité international. Etes-vous certain que votre bon samaritain vous aurait hébergé?
    On peut supposer que l’homme est souvent empathique, parce que ça semble un avantage évolutif. Quand on naît à 9 mois, le développement du cerveau n’est pas fini, beaucoup moins que chez les autres singes. Donc un petit humain est autonome bien plus tard qu’un autre singe et on a besoin de l’aide du groupe pour survivre.L’intelligence a été sélectionné en même temps que l’empathie. On pourrait parler des neurones miroirs, qui ont à mon avis plus de réalité que le surmoi. (un jour j’ai demandé à un psyK où c’était le surmoi, sa réponse m’a fait arrêté de le voir).
    Les gens qui arrivent aux positions de pouvoir politiques ou économiques sont peut-être moins empathiques que la majorité de la population. Si vous discutez avec des gens qui fréquentent les financiers, ils sont persuadés que l’humanité entière est pourrie (alors qu’il suffit de lire le blog de Descartes pour s’assurer du contraire ;-))
    Ce texte de feu David Graeber est intéressant sur ce sujet:

    Caring too much: That’s the curse of the working classes


    J’aimerais bien pouvoir être d’accord avec votre raisonnement, mais la nation ne peut pas résoudre les grands problèmes d’environnement qui nous emmènent vers l’abîme, raison pour laquelle pas mal de souverainistes sont climatosceptiques par ex, ou au moins évitent de parler du problème qui devrait mobiliser les intelligences comme la vôtre. 
    En prenant en compte ce qui précède, on devrait défendre une institutions mondiale, plutôt que le nation. Ou parler de nation humaine, si vous voulez, peu importe le terme. 
    A mon avis vous surestimez la construction sociale de l’empathie, et sous-estimez la construction sociale de la nation. 
    Mais c’est toujours un plaisir de vous lire et c’est ça le plus important!
    PS: Sur l’empathie inter-espèce, vous pouvez regardé l’histoire des gorilles Binti Jua ou Jambo, et lire Frans de Waal, c’est très rigolo
     
    Amica
     
     
     

    • Descartes dit :

      @ Alexis

      [La première phrase me rappelle une belle chanson. Aujourd’hui, ma fille et ses camarades de classe ont chanté une autre belle chanson du même auteur à la fête de leur école : ‘La paix sur terre’.]

      Je suis ravi qu’un de mes lecteurs au moins ait vu la référence… et la chanson dont vous parlez est, il est, vrai, magnifique, même si je ne partage pas la vision de son auteur. Mais il est vrai que la vision du poète n’est pas toujours celle du praticien…

      [Votre texte est bien écrit mais vous ne pouvez pas nier qu’il y a eu un élan de solidarité pour les ukrainiens parce qu’on n’a pas coupé le chauffage : on a envoyé du fric, des vêtements, accueilli les réfugiés, y compris les gens qui n’ont pas beaucoup de fric en Roumanie ou en Pologne.]

      Je ne peux que constater que si tout le monde verse de chaudes larmes sur les ukrainiens, personne n’est prêt à faire le moindre sacrifice pour eux. Ne parlons même pas du gaz : expliquez aux français qu’il faut accepter de payer plus cher le gaz ou l’électricité, le pain et l’huile parce que c’est le prix du soutien à l’Ukraine, et vous verrez le succès que vous aurez. Les gens sont ravis qu’on aide les réfugiés ukrainiens ou qu’on envoie des armes en Ukraine… aussi longtemps qu’ils n’ont rien à payer de leur poche. Mais dès qu’il apparaît que cela va nous couter de l’argent – ou notre confort, comme c’est le cas du gaz – la solidarité s’arrête.

      [De même, quand il y a une grosse catastrophe par ex. en Haïti, il y a un élan de solidarité international.]

      Je vous invite à comparer les promesses de dons dans ce genre de catastrophe, et le montant des dons effectivement réalisés. J’ajoute que cette « solidarité » n’est pas gratuite : cette aide est surtout motivée par des considérations politiques. Eviter une déstabilisation qui peut nous coûter cher, une vague migratoire qui pourrait submerger nos frontières, établir ou consolider une influence politique dans la région… on peut difficilement parler d’aide désintéressée.

      [Etes-vous certain que votre bon samaritain vous aurait hébergé?]

      Non. Mais je ne vois pas le sens de cette question.

      [On peut supposer que l’homme est souvent empathique, parce que ça semble un avantage évolutif. Quand on naît à 9 mois, le développement du cerveau n’est pas fini, beaucoup moins que chez les autres singes. Donc un petit humain est autonome bien plus tard qu’un autre singe et on a besoin de l’aide du groupe pour survivre.]

      Cela peut expliquer des formes de solidarité a l’intérieur du groupe… mais dès lors qu’il s’applique à des individus d’autres groupes, l’avantage devient un désavantage, puisqu’elle permet la propagation du patrimoine génétique extérieur au groupe. C’est d’ailleurs ce qu’on observe dans la nature : la solidarité existe entre membres d’un même groupe d’animaux ayant des ancêtres communs, mais rarement entre membres d’une même espèce en général.

      [Ce texte de feu David Graeber est intéressant sur ce sujet:]

      Il revient a une idée très ancienne, celle de la supériorité morale des pauvres. On trouve cette idée dans les évangiles (« Je vous le dis encore, il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu » Mattieu, 19 :4). Mais l’expérience ne confirme nullement cette thèse.

      [J’aimerais bien pouvoir être d’accord avec votre raisonnement, mais la nation ne peut pas résoudre les grands problèmes d’environnement qui nous emmènent vers l’abîme,]

      Je ne vois pas quelle institution serait mieux armée que la nation pour résoudre ce problème. Vous noterez que pour le moment tous les instruments pour lutter contre la pollution ou le réchauffement climatique sont issus soit de la législation nationale, soit d’accords entre les nations. Je ne connais aucune instance supranationale qui ait fait mieux…

      [En prenant en compte ce qui précède, on devrait défendre une institutions mondiale, plutôt que le nation. Ou parler de nation humaine, si vous voulez, peu importe le terme.]

      Et quelle langue parlera cette « nation humaine » ? Quelle sera la structure de son droit ? A quelle tradition se rattacheraient ses institutions politiques ? Comment un débat démocratique serait-il possible entre les citoyens de cette « nation humaine », qui ne partageraient ni une langue, ni une culture, ni une tradition, ni une sociabilité commune ?

      La question de savoir s’il faut une « nation humaine » ou des « nations multiples » n’est pas une question de principe, mais de réalité. La nation repose sur la solidarité inconditionnelle et impersonnelle entre ses membres. Et cette solidarité n’est possible que parce que ces membres partagent une sociabilité, un cadre de référence, une langue qui leur permet de communiquer entre eux et de voir chez l’autre un autre soi-même. Je ne rejette pas votre proposition parce qu’elle me semble indésirable – quoi que – mais parce qu’elle est impossible.

      [Mais c’est toujours un plaisir de vous lire et c’est ça le plus important!]

      Je vous remercie, et vous retourne le compliment.

      [PS: Sur l’empathie inter-espèce, vous pouvez regardé l’histoire des gorilles Binti Jua ou Jambo,]

      Vous noterez que tous ces exemples concernent des animaux nés en captivité et ayant vécu toute leur vie en contact avec des êtres humains, et non des animaux sauvages…

  15. maleyss dit :

    Je pense qu’aucune de nos actions n’est totalement désintéressée. Celui qui agit en attend nécessairement une rétribution, qui bien entendu n’est pas forcément matérielle : il put s’agir de soulager sa conscience, de gagner son paradis, voire, pour certains, de flatter son égo, ou de mettre en scène la pûreté de son âme. Ce qui n’empêche pas, bien sûr, qu’il est préférable de bien se comporter envers son prochain toutes les fois où cela est possible. Ce qui n’enlève rien, non plus, au volet “politique”, lato sensu, de vos propos, que l’on ne peut qu’approuver.

    • cdg dit :

      je crois au contraire que l homme est altruiste. Sinon comment expliquer que des gens peuvent risquer leur vie pour des inconnus ? c est pas une question d ego ou de place au paradis (ca a pu jouer au XVIII sciele mais au XXI ?)
      A mon avis, l altruisme a ete un avantage qui a permit a l espece humaine de survivre a l epoque ou nous etions des primates pas tres costaud et plutot du gibier pour des predateurs de type loups, ours …
      A l inverse on constate que dans nos societes “civilisées” l altruisme a tendance a disparaitre a tel point qu on doit faire des lois pour criminaliser certains comportements (non assistance a personne en danger par ex)

      • Descartes dit :

        @ cdg

        [je crois au contraire que l homme est altruiste.]

        Logique… vous êtes à la fois un libéral et un moraliste. Or, dans une société de marché, le seul espoir de conserver une morale est de supposer que l’homme aura à cœur le bien de ses semblables « naturellement », sans qu’aucun mécanisme de régulation le pousse à le faire…

        Personnellement, je me pose toujours la même question. Si l’homme est « naturellement » altruiste, alors il faudrait expliquer en quoi l’altruisme favorise la propagation du patrimoine génétique des individus que la pratiquent – ou du moins est associé avec un autre caractère qui ait cette propriété. Car on voit mal comment un caractère qui n’a pas cette propriété pourrait être sélectionné par le mécanisme de sélection naturelle…

        Si un tel mécanisme existait, on trouverait beaucoup de cas d’altruisme dans le monde animal. Or, l’altruisme animal est un phénomène rarissime. On voit bien de la solidarité entre individus de même lignée – solidarité qui leur permet de propager plus efficacement leur patrimoine génétique. Mais la solidarité entre individus de lignée différente est rare. Même parmi les primates : quand un individu isolé essaye de rejoindre un groupe qui n’est pas son groupe d’origine, en général, ça se passe mal.

        [Sinon comment expliquer que des gens peuvent risquer leur vie pour des inconnus ? c est pas une question d ego ou de place au paradis (ca a pu jouer au XVIII sciele mais au XXI ?)]

        Parce que l’être humain a une capacité d’empathie, et que la société développe cette capacité pour faire accomplir aux individus des gestes qui sont inutiles – et même néfastes – pour eux mais utiles à la collectivité. Et outre les récompenses sonnantes et trébuchantes, il existe un instrument psychique qui permet de récompenser ces gestes qui est le « surmoi » de chacun d’entre nous… Mais tous cela n’a rien de « naturel ». C’est une construction sociale.

        [A mon avis, l’altruisme a été un avantage qui a permis à l’espèce humaine de survivre à l’époque ou nous étions des primates pas très costaud et plutôt du gibier pour des predateurs de type loups, ours …]

        Je vois mal le mécanisme. La capacité d’établir des rapports mutuellement avantageux, je peux comprendre. Mais l’altruisme ?

        [A l’inverse on constate que dans nos sociétés “civilisées” l’altruisme a tendance à disparaitre à tel point qu’on doit faire des lois pour criminaliser certains comportements (non-assistance à personne en danger par ex)]

        Je ne suis pas persuadé que l’altruisme soit plus répandu dans les sociétés primitives. Vous noterez que dans nos sociétés « civilisées » – pour reprendre votre formule – beaucoup de citoyens paient plus d’impôts qu’ils ne reçoivent de bénéfices en retour. Si ce n’est pas de « l’altruisme », ça…

      • maleyss dit :

        [ l altruisme a ete un avantage qui a permit a l espece humaine de survivre a l epoque ou nous etions des primates pas tres costaud et plutot du gibier pour des predateurs de type loups, ours …]
        Vous voyez qu’il ne s’agit pas d’altruisme, mais d’une action plus ou moins calculée : je viens à ton aide parce que je sais que je pourrais éventuellement avoir besoin de la tienne.

    • Paul dit :

      Je crois que ce que vous soulevez dans votre commentaire, c’est ce que Freud appelle “l’idéal du Moi”, dont la naissance est contemporaine du Surmoi. Il peut constituer une ligne directrice à sa vie, lui donner un sens. cela suppose qu’il y ait un sens à la vie, ce qui n’est pas en soi une évidence. Cet Idéal du Moi, même si l’on peut le considérer comme une instance nécessaire, peut devenir une instance dévastatrice du sujet, l’amenant à nier son désir propre. Je résume bien entendu à outrance !
      Sur le plan collectif, c’est à cette instance que peuvent venir faire appel des régimes autoritaires, réduisant le sujet désirant en objets manipulables. Cf le régime nazi… C’est ce que l’on peut retrouver également dans les sectarismes religieux. L’islamisme radical en est un exemple malheureux.

  16. François dit :

    Bonsoir Descartes,
    Bernard Bigot, un préfet, vous en connaissez du beau monde !
     
    Moi aussi, m’étant retrouvé dans une situation similaire, j’ai été secouru par un habitant du coin. Probablement que l’on ne mesure pas assez que ce qui nous paraît naturel ne l’est pas forcément.
    Je vais faire mon rousseauiste, aussi je me demande au final si homo sapiens n’est pas mieux « adapté » pour vivre en petites communautés, plutôt que dans des métropoles, petites communautés où l’on se connaît plus facilement et donc où l’on peut se faire confiance plus rapidement, y compris a priori, par rapport aux secondes (attention, je ne dis pas que les sociétés primitives sont moralement supérieures).
     
    Ainsi, contrairement à ce que vous semblez estimer, je considère au contraire que l’altruisme est une donnée biologique, et donc le résultat d’un processus de sélection naturelle. Bien entendu, cette donnée n’est pas absolue et est variable d’un individu à l’autre et dans le temps.
    Je considère que c’est un processus de sélection naturelle, car dans le cas des animaux sociaux, une violence intracommunautaire nuit à la survie du groupe et donc nuit individuellement dans la transmission ses gènes.
    Ne pas sauver à court terme un congénère permet d’économiser des ressources, mais potentiellement à long terme cela élimine un allié pour une menace à laquelle on ne peut faire face qu’à plusieurs. Tout comme la sélection naturelle a retenu des comportements honnêtes interspécifiques, comme  l’aposématisme (qui consiste pour une espèce venimeuse d’avoir des couleurs voyantes pour avertir ses prédateurs), même si le mimétisme batésien (une espèce non venimeuse prend les mêmes couleurs qu’une espèce qui l’est) est apparu.
    C’est comme le syndrome du passager clandestin : tant qu’il y en a un, la société de transport est capable d’encaisser le coup, mais s’il y en a trop, alors la société fait faillite. Ainsi la sélection naturelle marche de la même façon : un équilibre s’installe entre les individus ayant un comportement collaboratif et ceux qui ne l’ont pas. S’il y a trop d’espèces faisant du mimétisme batésien, alors l’aposématisme devient inopérant.
    Par ailleurs, concernant l’espèce homo sapiens, on a trouvé des squelettes d’individus avec des traces de fracture consolidées, consolidations qui n’auraient pas été possible si les individus avaient été livrés à eux même.
     
    De plus, on a testé expérimentalement que les animaux ont de l’empathie : on enferme un rat dans une cage exigüe qui ne peut être ouverte de l’intérieur. Les souris qui sont à côté l’ouvrent afin de libérer leur congénère. En revanche, mises sous anxiolytiques, elles deviennent complètement indifférentes à son sort : https://www.youtube.com/watch?v=pXEBtTees7A
    L’empathie est donc contrôlée hormonalement, et voir un congénère qui souffre nous stresse. L’empathie n’est pas quelque chose de « moral », mais une réaction physiologique.
     
    Si l’empathie est une donnée innée, elle est également une donnée acquise, en particulier dans la petite enfance. Voici ce que dit le pédopsychiatre Maurice Berger, spécialisé dans la prise en charge d’adolescents ultraviolents :

    « Dans la plupart des familles des mineurs violents existe un fonctionnement patriarcal, avec une inégalité homme-femme d’origine culturelle sous la forme de mariages précoces, forcés, et surtout de violences conjugales: 80 % des mineurs que j’ai reçus ont été exposés à de telles scènes pendant les premières années de leur vie et l’image du père violent s’est imprimée dans leur esprit, prête à resurgir. »

    https://www.lefigaro.fr/vox/societe/maurice-berger-la-democratie-c-est-eviter-que-le-plus-fort-agresse-le-plus-faible-20210611
    Cela tend à prouver selon moi, que plus que l’absence de discours « moralisateur », c’est l’accoutumance à la violence qui rend violent. Après tout, dans nos sociétés individualistes, où il y a de nombreux enfants rois/tyrans parmi les classes moyennes/supérieures, ceux-ci ne sont pas surreprésentés dans les statistiques de la criminalité.
    Ce qui m’amène cependant à penser si notre ensauvagement n’est pas également le résultat d’une perversion de la nature humaine, surtout quand on a en tête l’expérience de l’Univers 25, dans laquelle des souris soumises à une forte croissance démographique en milieu clos (mais sans limite de nourriture), se sont mises à devenir plus violentes :

    «Phase C – stagnation – a period of equilibrium (315-559 days)
    […]
    4. At this time, some unusual behavior became noticeable. Violence became prevalent. Excess males strived for acceptance, were rejected and withdrew. Social disorder became visible – a WM would attack a passive WM, who in turn would attack another WM. Certain individuals became targets of repeated attacks. These individuals would have badly chewed and scarred tails. »

    https://calhounexperiment.wordpress.com/
    La violence gratuite (parmi d’autres déviances) a donc pour cause l’évolution dans un environnement auquel on n’est pas adapté.
     
    Et pour finir :
    https://www.youtube.com/watch?v=4woPg0-xyAA

    • Descartes dit :

      @ François

      [Bernard Bigot, un préfet, vous en connaissez du beau monde !]

      Voyez-vous, je ne suis pas quelqu’un de remarquable, mais mes tribulations professionnelles et personnelles m’ont donné la chance de pouvoir connaître et discuter avec des gens qui le sont. Et j’ai chaque fois que l’occasion s’est présentée, pris le temps de les observer, de les faire parler, de discuter avec eux. Il faut pour cela une certaine curiosité… et aussi une certaine modestie. Parce que ces gens-là sont véritablement « remarquables », au sens qu’ils ont quelque chose que moi, vous, le commun des mortels, n’a pas. Certains se disent « si j’avais été à sa place, j’aurais fait aussi bien ». Pas moi.

      [Moi aussi, m’étant retrouvé dans une situation similaire, j’ai été secouru par un habitant du coin. Probablement que l’on ne mesure pas assez que ce qui nous paraît naturel ne l’est pas forcément.]

      Tout à fait. Et mon militantisme s’alimente beaucoup de cette idée que ce qui nous paraît naturel ne l’est pas, que le monde est vivable grâce à une œuvre de civilisation qui s’étend sur des générations sans nombre. Nous avons une dette envers eux qui ne peut être payée qu’en préservant et en transmettant ce patrimoine.

      Dans certains pays, le juge corrompu, le fonctionnaire malhonnête sont la règle, et non l’exception. Chez nous, non. Et ce n’est pas que les hommes soient intrinsèquement meilleurs chez nous qu’ailleurs. C’est que nous héritons et transmettons une culture de la chose publique qui nous est propre, qu’il a fallu des siècles pour construire, et que nous devrions protéger comme la prunelle de nos yeux. Plus que les voies ferrées ou les usines, c’est là notre véritable patrimoine. Je donne toujours un exemple qui me paraît révélateur : en 1945, l’Allemagne est un pays détruit. Ses infrastructures, ses usines sont rayées de la carte, sa population est décimée par les pertes sur les différents fronts. Mais une génération plus tard, l’Allemagne est redevenue une puissance industrielle et économique, dépassant très largement beaucoup de pays d’Afrique, d’Amérique Latine qui étaient objectivement bien plus riches qu’elle en 1945. Pourquoi cette différence ?

      [Je vais faire mon rousseauiste, aussi je me demande au final si homo sapiens n’est pas mieux « adapté » pour vivre en petites communautés, plutôt que dans des métropoles, petites communautés où l’on se connaît plus facilement et donc où l’on peut se faire confiance plus rapidement, y compris a priori, par rapport aux secondes (attention, je ne dis pas que les sociétés primitives sont moralement supérieures).]

      Il est clair que la solidarité impersonnelle demande une forme supérieure de socialisation, bien plus exigeante que la solidarité personnelle. Mais il faut aussi noter qu’elle est bien plus productive. Vos « petites communautés » sont peut-être plus solidaires, mais elles sont aussi beaucoup plus pauvres. J’ajoute que, contrairement à ce que vous suggérez, ce n’est pas parce qu’on se connaît mieux qu’on se fait plus confiance… souvenez-vous du dicton : « comme on connaît ses saints, on les honore » !

      [Ainsi, contrairement à ce que vous semblez estimer, je considère au contraire que l’altruisme est une donnée biologique, et donc le résultat d’un processus de sélection naturelle. Bien entendu, cette donnée n’est pas absolue et est variable d’un individu à l’autre et dans le temps.]

      Mais encore une fois, si l’altruisme est une donnée biologique, résultat du processus de sélection naturelle, alors il doit impérativement donner un avantage à celui qui le pratique en termes de propagation de son patrimoine génétique – ou du moins, être associé à un caractère qui donne un tel avantage. Or, on voit mal où serait cet avantage. Celui qui saute dans un canal pour sauver un congénère augmente les chances de ce congénère de procréer, et réduit les siennes…

      [Je considère que c’est un processus de sélection naturelle, car dans le cas des animaux sociaux, une violence intracommunautaire nuit à la survie du groupe et donc nuit individuellement dans la transmission ses gènes.]

      Oui, mais cela pointe plutôt à la création d’alliances mutuellement avantageuses, et non vers l’altruisme, qui suppose au contraire un don de soi sans compensation. Encore une fois, il faut distinguer ce qui relève de la solidarité, qui est un mécanisme réciproque, et ce qui relève de l’altruisme, qui est un mécanisme à sens unique.

      [Ne pas sauver à court terme un congénère permet d’économiser des ressources, mais potentiellement à long terme cela élimine un allié pour une menace à laquelle on ne peut faire face qu’à plusieurs.]

      Là, vous parlez de solidarité, pas d’altruisme. Ici, vous parlez d’échange : vous m’aidez à survivre, je vous aide à combattre une menace. Il n’y a rien « d’altruiste » là-dedans. On pourrait formaliser même cet échange sous forme monétaire : je paye pour que vous ayez des allocs, votre fils ira combattre pour défendre mes biens.

      [Tout comme la sélection naturelle a retenu des comportements honnêtes interspécifiques, comme l’aposématisme (qui consiste pour une espèce venimeuse d’avoir des couleurs voyantes pour avertir ses prédateurs), même si le mimétisme batésien (une espèce non venimeuse prend les mêmes couleurs qu’une espèce qui l’est) est apparu.]

      Je pense que vous tombez dans le péché d’anthropomorphisme. L’aposématisme est un phénomène d’intérêt mutuel : l’espèce aposématique gagne à réduire le risque de prédation, l’éventuel prédateur gagne à éviter l’empoisonnement. Mais parler de « honnêteté » dans ce contexte est calquer une vision morale dans ce qui n’est qu’un processus de sélection. De même, le mimétisme batésien est sélectionné parce qu’il permet à une espèce de décourager ses prédateurs, mais là encore parler de « malhonnêteté » est absurde. Un commerçant qui place une fausse caméra pour faire croire aux voleurs que son commerce est surveillé est-il « malhonnête » ? Un commerçant qui place un écriteau pour prévenir que son local est sous surveillance est-il « honnête » ? Non, dans un cas comme dans l’autre, la question de « l’honnêteté » ne se pose pas. Le commerçant adopte ces comportements parce qu’ils sont efficaces. Et la sélection naturelle – comme celle des commerçants – ne prend en compte que ce critère.

      [Par ailleurs, concernant l’espèce homo sapiens, on a trouvé des squelettes d’individus avec des traces de fracture consolidées, consolidations qui n’auraient pas été possible si les individus avaient été livrés à eux même.]

      On a de très nombreux exemples de solidarité chez les animaux sociaux. Mais dans la plupart des cas – du moins c’est ce que j’ai lu, je ne suis pas spécialiste du domaine – on constate que cette solidarité s’étend exclusivement aux membres du groupe – c’est-à-dire, à ceux qui ont et propagent le même patrimoine génétique. Les cas où cette solidarité s’étend à tous les membres de l’espèce sont, je crois, très rares.

      [De plus, on a testé expérimentalement que les animaux ont de l’empathie : on enferme un rat dans une cage exigüe qui ne peut être ouverte de l’intérieur. Les souris qui sont à côté l’ouvrent afin de libérer leur congénère.]

      Sur ce point, je suis d’accord. La capacité à l’empathie est, elle, un mécanisme biologique. Mais cette capacité ne se développe pas de la même façon selon le contexte. Un animal élevé en captivité, par exemple, n’a pas la même forme d’empathie qu’un animal élevé dans le milieu naturel. Il serait intéressant d’ailleurs de voir si les souris de l’expérience que vous citez ont le même comportement selon leur histoire…

      [Cela tend à prouver selon moi, que plus que l’absence de discours « moralisateur », c’est l’accoutumance à la violence qui rend violent.]

      C’est très discutable. On ne conteste pas que la génération qui avait vingt ans en 1945 ou en 1918 a été exposée à des violences presque inimaginables pour celle qui a 20 ans en 1968 ou en 2022. Et pourtant, non ne voit pas de flambées de violence après les deux guerres mondiales, au contraire. Plus que l’exposition à la violence, c’est la « naturalisation » de la violence qui a mon sens rend violent. Et cette « naturalisation » arrive lorsque la société permet/excuse certaines formes de violence. Ce n’est pas tant « l’absence du discours moralisateur » que la présence d’un discours banalisateur qui est en cause : lorsque des personnalités politiques de premier plan estiment « normal » qu’une infirmière lance des pavés sur les forces de l’ordre ou qu’une personne résiste à son arrestation, la banalisation est en marche. Sans compter avec la violence symbolique : pensez à un Damien Abad, qui se voit trainé dans la boue sur la base de deux témoignages, dont l’un est anonyme et l’autre a été par deux fois désestimé par la justice.

      [Après tout, dans nos sociétés individualistes, où il y a de nombreux enfants rois/tyrans parmi les classes moyennes/supérieures, ceux-ci ne sont pas surreprésentés dans les statistiques de la criminalité.]

      Je ne sais pas si l’enfant roi/tyran est plus courant parmi les classes moyennes/supérieures que chez les autres. Mais il faut aussi tenir compte que le Code pénal est construit pour préserver une forme d’ordre social dont les premiers bénéficiaires sont les classes privilégiées. Autrement dit, un certain nombre de formes de violence exercées par les classes dominantes sont parfaitement légales ou tolérées, alors que leur contrepartie chez les classes dominées est criminalisée. Vous savez, le patron qui ne paye pas les heures supplémentaires sous la menace d’un licenciement, ce n’est pas rare…

      [Ce qui m’amène cependant à penser si notre ensauvagement n’est pas également le résultat d’une perversion de la nature humaine, surtout quand on a en tête l’expérience de l’Univers 25, dans laquelle des souris soumises à une forte croissance démographique en milieu clos (mais sans limite de nourriture), se sont mises à devenir plus violentes :]

      Contrairement à ce qu’on croit, la ville n’est pas plus criminogène que la campagne… les meurtres, par exemple, sont proportionnellement plus fréquents – et plus sordides souvent – dans les petites villes que dans les grandes agglomérations. Le parallèle avec les souris me paraît ici trompeur : si la population des villes est plus concentrée, elle a accès aussi à plus de services, plus de possibilités, et est soumise à un contrôle social plus étroit.

      Accessoirement, l’expérience de Calhoun à laquelle vous faites référence est ambigue. Certains remarquent que ce n’est pas la concentration de la population qui provoque le désordre social, mais l’excès de sécurité et l’abondance, c’est à dire, le fait que la nourriture est librement distribuée et qu’il n’y a pas la menace d’un prédateur. Autrement dit, sa thèse est que ce qui construit l’ordre social est le besoin matériel et la menace extérieure, conclusion largement validée par l’histoire humaine. En fait, lorsque je défends l’idée qu’il faut donner à notre jeunesse des défis, je ne dis pas autre chose… l’abondance sans effort et le manque de défis, voilà les véritables menaces sur l’équilibre social.

      Il me semble trivial de dire qu’une ville régie par la loi du plus fort – ce qui est le cas chez les rats – serait invivable. Mais si les villes humaines sont vivables, c’est justement parce que nous avons une capacité à réguler les interactions que n’ont pas les souris.

      [La violence gratuite (parmi d’autres déviances) a donc pour cause l’évolution dans un environnement auquel on n’est pas adapté.]

      Pardon, mais dans le cas de l’homme, quel serait l’environnement « auquel on est adapté » ? Vous savez, même dans la campagne le vandalisme a toujours existé…

      [Et pour finir : (…)]

      Si le film est excellent, il faut relire le livre de Burgess qui est encore meilleur.

  17. Luc dit :

    Si Nagasaki et Hiroshima,permirent aux USA de s’imposer, comment expliquer l’attitude de non utilisation des armes atomiques ces jours ci en Ukraine ? Est ce parce-que ils veulent sauvegarder un capital de sympathie ?
    Est ce par sur estimation de l’aposemitisme ?

    • Descartes dit :

      @ Luc

      [Si Nagasaki et Hiroshima,permirent aux USA de s’imposer, comment expliquer l’attitude de non utilisation des armes atomiques ces jours ci en Ukraine ? Est ce parce-que ils veulent sauvegarder un capital de sympathie ?]

      Vous oubliez qu’en 1945, quand les Américains utilisent les bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, ils étaient les seuls à l’avoir… cela fait tout de même une grosse différence, non ?

  18. Renard dit :

    J’ai pensé à vous, et à cet article cet après-midi.
    J’ai eu une conversation avec des amis au sujet des Velib / Velov, ces vélos en libre service à Paris et à Lyon. Ils me racontaient les déboires des concessionnaires successifs à Paris, et me demandaient si, à Lyon, nous avions les même problèmes : vols, dégradation, etc… Je lui disais que, de ce que j’ai pu voir, ce service fonctionne raisonnablement bien, et nous avons échangé sur les différences entre les services des deux villes.
     
    A vrai dire, peu importe la raison qui conduit le Velov Lyonnais à mieux fonctionner que le Velib parisien, mon anecdote a eu lieu un peu plus tard dans l’après midi, quand j’ai vu, sur une station pleine, proche de la mairie de Villeurbanne, deux vélos posés contre la borne. Des utilisateurs n’avaient pas trouvé de plot libre, et se sont dit que, plutôt que d’aller chercher ailleurs des places dans une autre station -ce que j’ai d’ailleurs fait, parce que je suis d’un naturel prudent- ils allaient laisser leurs vélos sans les arrimer.
    Le système prévoit une pénalité financière lorsque le vélo n’est pas réarrimé au delà de 30 minutes, pénalité qui peut être relativement importante. J’en conclu que les deux personnes ayant ainsi laissé leur vélo (offrant possiblement une course gratuite à un éventuel utilisateur sans abonnement) ont supposé que leurs concitoyens n’en abuseront pas, et que l’utilisateur chanceux qui en profitera à leur frais laissera le vélo à une borne après ce trajet offert.
     
    Et c’est pour cette raison que je me suis rappelé votre article. Il y a encore des gens prêt à parier de l’argent sur le civisme de leurs concitoyens.
    Quelque part, j’ai eu un peu honte de ne pas partager leur confiance…

    • Descartes dit :

      @ Renard

      [Le système prévoit une pénalité financière lorsque le vélo n’est pas réarrimé au delà de 30 minutes, pénalité qui peut être relativement importante. J’en conclu que les deux personnes ayant ainsi laissé leur vélo (offrant possiblement une course gratuite à un éventuel utilisateur sans abonnement) ont supposé que leurs concitoyens n’en abuseront pas, et que l’utilisateur chanceux qui en profitera à leur frais laissera le vélo à une borne après ce trajet offert.]

      Je crains que votre interprétation ne soit erronée. Je ne sais pas comment cela se passe à Lyon, mais à Paris il est des petits malins qui arrivent à débloquer les vélos sans abonnement, et donc de façon tout à fait anonyme. Ces vélos, vous les retrouvez souvent sur les trottoirs un peu n’importe où, et d’autres usagers les récupèrent et les déposent aux stations prévues à cet effet… en les laissant en surnombre s’ils ne trouvent pas un plot libre. Je doute qu’il se trouve beaucoup d’usagers pour offrir, comme vous dites, une course gratuite à leurs risques et périls à un inconnu…

  19. Renard dit :

    Je ne pense pas. J’utilise ces régulièrement ces vélos, il est extrêmement difficile de débloquer ces vélos sans enregistrer une carte bancaire. On trouve assez rarement des vélos abandonnés à Lyon.
    Et, dans le cas d’hier après-midi, les vélos n’étaient d’ailleurs pas abandonnés : ils étaient intacts, et déposés devant la station pleine. Les utilisateurs n’étaient pas altruistes : ils n’ont pas trouvé de place, et ont laissé leur vélo là pour éviter de passer 10 minutes à chercher une place dans une autre station. Ils ont donc bien “offert” une course au passant, en espérant dudit passant un service (ranger le vélo sur une station libre).

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