La lutte des classes reste, quoi qu’on en dise, le moteur de l’histoire. Et les résultats du scrutin législatif d’hier soir en ont donné une épreuve éclatante. Avec 143 députés, le Rassemblement national capitalise certes son excellent résultat du premier tour – qui lui-même confirme le vote des élections européennes – mais ne réussit même pas à réunir un nombre de députés proportionnel au nombre de voix obtenues au premier tour. Avec un tiers des voix, il aura tout au plus le quart des députés. Alors qu’il est le premier parti par le nombre de voix récoltées, il n’aura que le troisième groupe parlementaire.
Pourtant, pendant une semaine les pseudo-experts qui pérorent à longueur de journée dans les chaines d’information continue nous avaient expliqué que le RN aurait la majorité relative, et qu’il avait même des chances de décrocher une majorité absolue. Les pages des journaux bienpensants se sont couvertes d’articles et de tribunes évoquant la peur de diverses catégories devant une éventuelle prise de pouvoir par le Rassemblement national : intellectuels, artistes, scientifiques, enseignants, hauts fonctionnaires… même les ratons laveurs y sont allés de leur angoisses. On alla même jusqu’à discuter des limites du devoir d’obéissance hiérarchique des fonctionnaires. Curieusement, les ouvriers et employés n’ont pas fait connaître leurs états d’âme. On se demande bien pourquoi.
La grande peur a tout balayé sur son passage. On croyait que sept ans de brutalité macroniste avait creusé un fossé infranchissable avec la gauche. Que jamais les candidats de gauche ne se désisteraient, que jamais les électeurs de gauche ne voteraient pour ceux qui avaient porté au Parlement la loi « immigration » ou la réforme des retraites. Et réciproquement, que jamais les électeurs macronistes n’iraient voter pour ceux qu’ils avaient qualifié d’antisémites et de suppôts de la guerre civile. On avait tort : les candidats macronistes comme ceux du NFP (y compris ceux présentés par LFI) ont fait le plein des voix, après que leurs concurrents arrivés en troisième position se soient dûment désistés. Les électeurs de gauche n’ont nullement tenu rigueur à Elisabeth Borne d’avoir fait voter – à coups de 49.3 – la réforme des retraites dont ils exigent la révocation pure et simple, les électeurs macronistes n’ont guère eu peur des « partageux » de LFI. Et on se retrouve avec ce paradoxe qui fait qu’alors que la France penche, nous dit-on, nettement à droite, on se retrouve avec une majorité relative… pour la gauche.
Inexplicable ? Pas du tout. Il suffit de revenir aux fondamentaux, et tout devient absolument transparent. Et les fondamentaux c’est, bien entendu, l’analyse en termes de classes sociales. Le fait est que 57% des ouvriers ont voté pour un candidat RN au premier tour, et que c’est dans les vieilles régions ouvrières, frappées par la désindustrialisation et la relégation économique que le RN fait ses meilleurs scores. A l’inverse, c’est dans les métropoles boboïsées et tercerisées, là où les classes intermédiaires, les bourgeois et le lumpenprolétariat se concentrent, que ses adversaires font leurs meilleurs résultats. Au-delà des programmes – dont on sait ce qu’ils deviennent le lendemain de l’élection – et les arrières pensés de ses dirigeants, il faut se rendre à l’évidence : le RN est aujourd’hui le parti « plébéien », celui qui occupe la fonction tribunitienne. Et dès que le parti tribunitien se fait menaçant, dès qu’il s’approche du pouvoir, il est logique de voir en face les dominants laisser de côté leurs différences pour barrer la route à tout ce qui peut remettre en cause leurs privilèges, ne serait-ce que marginalement.
J’avais écrit avant le deuxième tour que tout continuerait comme avant. Et je ne me suis pas trompé : le soir du 30 juin les couches dominantes – bourgeoisie et classes intermédiaires confondues – ont eu peur. Peur du « fascisme » ? Bien sûr que non. On se souviendra que ce « fascisme », la gauche s’en est fort bien accommodée dans les années 1980 et 90, quand c’était un instrument utilisé par Mitterrand pour diviser la droite. La « peur du fascisme », c’est le prétexte développé à longueur d’articles dans les médias complaisants. Leur vraie peur, c’est qu’un nouveau venu – qui plus est dépendant du vote des couches populaires – vienne perturber le « passe-moi la rhubarbe et je te passerai le séné » qui caractérise depuis quatre décennies ces alternances qui changent les têtes mais jamais les politiques. C’est cette peur qui a accompli le miracle. En quelques heures, les bobos de gauche ont appelé à voter pour Darmanin ou Borne, porteurs respectivement de la loi « immigration » ou la réforme des retraites, deux mesures qu’ils qualifiaient quelques heures auparavant d’iniques. En quelques heures, le centre et la droite dite modérée ont appelé à voter pour les partisans du SMIC à 1600 €, de l’abrogation de la réforme des retraites, qu’ils qualifiaient quelques jours auparavant d’antisémites. Et leurs électeurs les ont largement suivis.
Cette peur s’est dissipée en quelques minutes le soir du 7 juillet, à l’annonce des résultats. Et que vit-on alors ? L’électorat populaire s’est subitement évaporé. Sur les plateaux de télévision, personne – en dehors bien entendu des représentants du RN – ne s’est adressé aux 33% de votants qui ont soutenu le Rassemblement national. Personne ou presque ne s’est interrogé sur le pourquoi de ce soutien, et des politiques à mettre en œuvre pour que le RN ne fasse pas encore mieux la prochaine fois. Dans nos étranges lucarnes, on ne discutait plus que des « combinazione » disponibles pour former une majorité entre gens « comme il faut », laissant de côté sans même le dire un tiers de l’électorat. En quelques minutes, tout est redevenu comme avant. Jusqu’à la prochaine élection.
Et maintenant ? L’élection a fabriqué une Assemblée où aucun parti, aucun bloc n’a une majorité. Vu du bloc dominant, l’essentiel a été sauvé. Le Nouveau Front Populaire arrive en tête ? Au pire, on aura une réédition de la « gauche plurielle », et on sait que le bloc dominant n’a rien à craindre de cela. Au mieux, une alliance entre Ensemble et certains éléments de la gauche, avec peut-être une pincée de Républicains, qui fera à peu près la même chose. De toute façon, on ne discute plus projet, on discute postes, comme au bon vieux temps de la IVème république. Et les problèmes du pays ? On s’en occupera plus tard, quand on aura le temps… Au passage, on laisse de côté plus d’un tiers de l’électorat, et plus largement les couches populaires. Des députés NFP proposent même qu’aucun poste dans la gouvernance de l’Assemblée nationale – vice-présidence, questure, présidence de commission – ne soit confié à un député RN. Est-ce que ces gens-là réalisent à quel point une telle position – qui, ne l’oublions pas, fut aussi brandie contre le PCF pendant de longues années – est une négation du vote populaire ?
Le monde politique illustre tristement sa déconnexion par rapport aux citoyens, mais aussi son amateurisme. On en est au point où deux groupes parlementaires – le groupe socialiste et le groupe LFI – essayent de racoler des députés avec l’espoir de devenir le premier groupe de la gauche, pour légitimer leur prétention à désigner le premier ministre. Des tactiques dignes d’un congrès du PS ou d’une assemblée générale de Paris VIII, mais qui nous ramène aux périodes les plus noires de la IVème République (1). LFI essaye de faire croire que sans majorité on appliquera « tout le programme » du NFP, un programme dont il apparait de l’aveu même de ses négociateurs qu’il avait été écrit vite fait sur un coin de table pour des raisons électorales, sans que les signataires aient imaginé un moment être en conditions de le mettre en œuvre. Le NFP joue à la guerre civile en mettant en demeure le président de nommer l’un d’eux à Matignon – une absurdité alors que la gauche n’arrive pas à se mettre d’accord sur un candidat – et certains dirigeants LFI jouent à la prise du Palais d’Hiver avec l’idée d’une « grande marche populaire » sur Matignon, pendant qu’à LFI les « dissidents » excommuniés par le Gourou œuvrent en coulisse pour créer un groupe dissident, et que les écologistes s’imaginent que Marine Tondellier pourrait être premier ministre… pauvre de nous.
Descartes
(1) Certains en arrivent même à rappeler que finalement la IVème République, ce n’était pas si mal que ça, que beaucoup de bonnes choses ont été faites pendant cette période. C’est vrai, mais il ne faut pas oublier que derrière les ministres qui changeaient tous les six mois, il y avait une haute fonction publique de grande qualité qui assurait la continuité des politiques et qui, de fait, gouvernait le pays. Et s’agissant des affaires politiques, qui dépassaient la capacité des fonctionnaires et nécessitaient des arbitrages politiques, telles que les guerres coloniales, cela s’est très mal terminé.
Bonjour Descartes
Des tas de chose à dire, mais encore une fois, vos « classes intermédiaires » constituent-elles 63% des votants de dimanche dernier ?
Enfin bref, c’est triste que le RN se fasse contrer une énième fois par les castors mais au fond, il vaut mieux ça pour eux que de devoir s’occuper de l’accueil prochain du FMI.
@ François
[Des tas de chose à dire, mais encore une fois, vos « classes intermédiaires » constituent-elles 63% des votants de dimanche dernier ?]
Encore une fois, non, je les estime entre 20% et 30%. Mais vous négligez ce processus qui fait que les classes dominantes en termes économiques produisent une idéologie que les classes dominées assimilent, et a adopter cette idéologie comme propre, alors même que cette idéologie justifie la domination qu’ils subissent. C’est le processus que Marx appelle « l’aliénation ». Vous noterez que le suffrage universel a été institué en 1848, et que depuis cette date ce sont les partis bourgeois qui ont emporté la majorité, alors même que la bourgeoisie était ultra-minoritaire…
@Descartes
Je vais être méchant, mais quand je vous entends parler « d’aliénation » pour expliquer que le vote RN ne soit pas majoritaire dans le pays, j’ai l’impression d’entendre le même discours que les européistes après les référendums français et néerlandais de 2005, puis celui britannique de 2016 (et généralement après chaque élection voyant monter les « populistes »), où ils disaient que les électeurs auraient cédé aux sirènes de démagogues qui auraient joué sur leurs passions tristes. En somme, vous comme eux, considérez le peuple comme une masse manipulable, sans volonté propre. Alors de ces deux discours, pourquoi le votre serait le vrai ?
@ François
[Je vais être méchant, mais quand je vous entends parler « d’aliénation » pour expliquer que le vote RN ne soit pas majoritaire dans le pays, j’ai l’impression d’entendre le même discours que les européistes après les référendums français et néerlandais de 2005, puis celui britannique de 2016 (et généralement après chaque élection voyant monter les « populistes »), où ils disaient que les électeurs auraient cédé aux sirènes de démagogues qui auraient joué sur leurs passions tristes.]
Comparaison n’est pas raison. Le fait est que, depuis que le suffrage universel existe, les couches populaires sont ultra-majoritaires dans la population, et pourtant le vote a donné systématiquement le pouvoir aux partis bourgeois. Comment expliquez-vous ce phénomène, qui n’est d’ailleurs pas exclusif à la France mais se retrouve dans l’ensemble des démocraties ? Le phénomène est un peu trop global pour l’attribuer à la qualité de tel ou tel démagogue, à tel ou tel système électoral, à tel ou tel outil de propagande.
La comparaison ne tient pas parce que, contrairement aux européistes, je ne parle pas de « céder aux sirènes » de tel ou tel propagandiste. L’aliénation ne dépend pas du talent d’un démagogue ou des « passions tristes ». Le phénomène d’aliénation tient au fait que c’est à partir de la domination économique qu’une classe dominante peut générer une idéologie qui devient elle-même dominante.
[En somme, vous comme eux, considérez le peuple comme une masse manipulable, sans volonté propre. Alors de ces deux discours, pourquoi le votre serait le vrai ?]
Non. Il ne s’agit pas de « manipulation », mais de « domination ». Le mérite de Marx est justement d’avoir montré que la domination économique ne s’appuie pas seulement – ni même majoritairement – sur l’exercice pur de la force, mais qu’il repose sur des instruments idéologiques. L’équilibre de la société capitaliste dépend aussi du fait que les prolétaires admettent l’exploitation capitaliste comme légitime. La lutte politique des partis ouvriers, c’est surtout une lutte pour faire prendre conscience aux exploités des rapports réels, occultés par l’idéologie dominante.
@Descartes
[Comment expliquez-vous ce phénomène, qui n’est d’ailleurs pas exclusif à la France mais se retrouve dans l’ensemble des démocraties ?]
Ben tout simplement que dans leur ensemble, en leur âme et conscience, les électeurs adhèrent au projet politique proposé par les « bourgeois ».
@ François
[“Comment expliquez-vous ce phénomène, qui n’est d’ailleurs pas exclusif à la France mais se retrouve dans l’ensemble des démocraties ?” Ben tout simplement que dans leur ensemble, en leur âme et conscience, les électeurs adhèrent au projet politique proposé par les « bourgeois ».]
Autrement dit, vous pensez que “en leur âme et conscience” les gens peuvent adhérer, et cela pendant des décennies et dans tous les pays, à un “projet politique” qui est totalement contraire à leurs intérêts ? Comment expliquez-vous une telle situation ? Vous m’accusiez de penser que les prolétaires étaient “manipulables”, mais vous même avez l’air de croire qu’ils sont idiots…
@ François
[“Comment expliquez-vous ce phénomène, qui n’est d’ailleurs pas exclusif à la France mais se retrouve dans l’ensemble des démocraties ?” Ben tout simplement que dans leur ensemble, en leur âme et conscience, les électeurs adhèrent au projet politique proposé par les « bourgeois ».]
Autrement dit, vous pensez que “en leur âme et conscience” les gens peuvent adhérer, et cela pendant des décennies et dans tous les pays, à un “projet politique” qui est totalement contraire à leurs intérêts ? Comment expliquez-vous une telle situation ? Vous m’accusiez de penser que les prolétaires étaient “manipulables”, mais vous même avez l’air de croire qu’ils sont idiots…
@descartes
[Autrement dit, vous pensez que “en leur âme et conscience” les gens peuvent adhérer, et cela pendant des décennies et dans tous les pays, à un “projet politique” qui est totalement contraire à leurs intérêts ? Comment expliquez-vous une telle situation ? Vous m’accusiez de penser que les prolétaires étaient “manipulables”, mais vous même avez l’air de croire qu’ils sont idiots…]
Les proletaires pas plus que les autres ne sont idiots. L electeur fait la difference entre ce qu on lui promet et ce qu il aura en realité si le parti en question accede au pouvoir. Par ex les gens ont pu voter PCF quand l URSS affichait une apparence positive mais qui va voter pour aller vivre dans un pays ou regnent les penuries, ou un mot de travers (ou meme un soupson de mot de travers) vous envoie au goulag …
Si le RN a perdu c est aussi car il n a pas su expliquer ce qu il allait faire de facon credible (les reculades sur l IR au moins de 30 ans ou la retraite a 60 ans etaient probablement fondees car infinancable mais ca laisse une impression d amateurisme)
@ cdg
[« Autrement dit, vous pensez que “en leur âme et conscience” les gens peuvent adhérer, et cela pendant des décennies et dans tous les pays, à un “projet politique” qui est totalement contraire à leurs intérêts ? Comment expliquez-vous une telle situation ? Vous m’accusiez de penser que les prolétaires étaient “manipulables”, mais vous même avez l’air de croire qu’ils sont idiots… » Les prolétaires pas plus que les autres ne sont idiots. L’électeur fait la différence entre ce qu’on lui promet et ce qu il aura en réalité si le parti en question accède au pouvoir. Par ex les gens ont pu voter PCF quand l’URSS affichait une apparence positive mais qui va voter pour aller vivre dans un pays ou règnent les pénuries, ou un mot de travers (ou même un soupçon de mot de travers) vous envoie au goulag …]
Vous croyez vraiment, la main sur le cœur, que si Marchais était arrivé au pouvoir en 1978 il aurait fait de la France une nouvelle Union soviétique, instauré un parti unique et envoyé les opposants politiques au goulag ? Vraiment ? Allons, soyons sérieux…
Mais surtout, vous ne répondez pas à la question. D’abord, parce qu’il y avait d’autres partis politiques « ouvriers » en dehors des communistes. Pourquoi les ouvriers n’ont pas voté massivement pour eux non plus ? Pourquoi ont-ils au contraire préféré des partis « bourgeois », alors qu’ils étaient majoritaires dans le corps électoral ? Sans avoir recours à la théorie de l’aliénation, vous aurez du mal à expliquer ce phénomène – c’est d’ailleurs précisément pour cette raison que la théorie de l’aliénation a été inventée…
@Descartes
[Autrement dit, vous pensez que “en leur âme et conscience” les gens peuvent adhérer, et cela pendant des décennies et dans tous les pays, à un “projet politique” qui est totalement contraire à leurs intérêts ?]
Qu’appelez-vous « contraire à leurs intérêts » ? Et par quel mécanisme psychologique, on les persuade d’agir à l’encontre de leurs « intérêts ».
[Vous m’accusiez de penser que les prolétaires étaient “manipulables”, mais vous même avez l’air de croire qu’ils sont idiots…]
Je ne sais pas s’ils sont manipulables, idiots. Mais je sais qu’ils ont une insatisfaction chronique à l’égard des politiques au pouvoir, qu’ils expriment régulièrement cette insatisfaction de façon bruyante, mais qu’in fine, ils vont toujours dans la même crèmerie alors qu’il y en a une nouvelle qui n’attend que de les accueillir à bras ouvert.
Pire, alors qu’ils ont une insatisfaction concernant les politiques migratoires et sécuritaires, ils placent en tête des élections une coterie dont certains de ses membres (à commencer par son leader minimo), appellent à mots à peine couverts, à leur extermination…
@ François
[« Autrement dit, vous pensez que “en leur âme et conscience” les gens peuvent adhérer, et cela pendant des décennies et dans tous les pays, à un “projet politique” qui est totalement contraire à leurs intérêts ? » Qu’appelez-vous « contraire à leurs intérêts » ? Et par quel mécanisme psychologique, on les persuade d’agir à l’encontre de leurs « intérêts ».]
Qu’est ce que j’appelle « contraire à ses intérêts » ? Disons que le prolétaire vit dans un système dans lequel une partie de la valeur qu’il produit est prélevée par quelqu’un qui ne produit rien. Son intérêt serait de récupérer l’intégralité de la valeur produite. Donc, voter pour des gens qui veulent maintenir ce prélèvement, voire l’augmenter, c’est « contraire à ses intérêts ».
Le mécanisme de l’aliénation est bien plus qu’un « mécanisme psychologique ». L’exploitation fait que le travailleur cesse de se reconnaître dans le produit de son travail, autrement dit, que ce produit lui est étranger. Et du coup, il n’a plus conscience de son rôle dans la production. C’est là une description très schématique d’une question complexe à laquelle Marx a consacré des chapitres entiers du « Capital ».
@ Descartes
[Autrement dit, vous pensez que “en leur âme et conscience” les gens peuvent adhérer, et cela pendant des décennies et dans tous les pays, à un “projet politique” qui est totalement contraire à leurs intérêts ? Comment expliquez-vous une telle situation ? ]
Je crois que le problème est un peu plus complexe que ça. La politique menée par le bloc bourgeois, en particulier le libre échange, a quand même permis une augmentation sans précédent de la consommation auprès de l’ensemble des classes sociales, qui s’est manifestée bien avant l’apparition des symptômes néfastes de la mondialisation. On peut leur reprocher un manque de vision, mais cette politique a au moins un temps été dans l’intérêt des classe populaires.
Par ailleurs, sur cette question d’aliénation, je ne pense pas qu’elle soit strictement liée à une question de domination, terme qui laisse imaginer une emprise oppressive limite complotiste, mais simplement au “régime en cours”. On sait que quitter une situation existante pour une autre nécessite soit de l’audace, soit une détresse rendant ce mouvement impératif poru la survie. Je crois que le peuple français dans son immense majorité n’est pas dominé par le sentiment que le néolibéralisme est un bienfait pour l’humanité, mais qu’il n’ose pas briser le confort relatif, mais confort quand même d’un monde routinier pour un système où l’herbe est peut-être plus verte, mais un tient valant deux tu l’auras…
Je pense également qu’il y a une question de confiance dans l’être humain qui entre en jeu. L’idéal communiste reposait sur l’idée qu’une idéologie pouvait transcender la nature humaine elle-même. Une idéologie totalitariste certes mais pour le plus grand bien de l’humanité (peut-on imaginer un vers plus totalitariste que “l’internationale sera le genre humain” ?). Il me semble que le XXe siècle a mis un terme à ce type de grandes ambitions dans nos sociétés occidentales. Le raisonnement des classes populaire pourrait dès lors être formulé ainsi: certes le prélèvement par le capital d’une plus-value sur la richesse produite par le travailleur est en défaveur de celui-ci, et ce prélèvement, ainsi que les mouvements de capitaux internationaux, doit être régulé par la loi, mais le fondement même du capitalisme, si tant est qu’il soit encadré et pondéré par la souveraineté populaire, est préférable à tout autre en ce qu’il ne fait pas un pari sur une mutation de la nature humaine et sur ses vices.
@ P2R
[Je crois que le problème est un peu plus complexe que ça. La politique menée par le bloc bourgeois, en particulier le libre-échange, a quand même permis une augmentation sans précédent de la consommation auprès de l’ensemble des classes sociales, qui s’est manifestée bien avant l’apparition des symptômes néfastes de la mondialisation. On peut leur reprocher un manque de vision, mais cette politique a au moins un temps été dans l’intérêt des classe populaires.]
Admettons. Mais les classes populaires ont maintenu au pouvoir des partis bourgeois depuis 1848… et même pendant les épisodes économiques les plus noirs, comme la crise de 1929. Ce n’est donc pas lié à une conjoncture particulière. Par ailleurs, vous noterez que même si le libre-échange a permis une augmentation générale du niveau de vie, si les travailleurs n’avaient pas eu à supporter l’exploitation de leur travail, l’augmentation aurait été encore plus importante !
[Par ailleurs, sur cette question d’aliénation, je ne pense pas qu’elle soit strictement liée à une question de domination, terme qui laisse imaginer une emprise oppressive limite complotiste, mais simplement au “régime en cours”.]
Le terme « domination » s’entend ici dans le sens économique. La bourgeoisie exerce une domination économique qui lui permet d’extraire la plusvalue, et cette domination trouve sa traduction idéologique dans une idéologie qui devient dominante par le biais de l’aliénation.
[On sait que quitter une situation existante pour une autre nécessite soit de l’audace, soit une détresse rendant ce mouvement impératif pour la survie. Je crois que le peuple français dans son immense majorité n’est pas dominé par le sentiment que le néolibéralisme est un bienfait pour l’humanité, mais qu’il n’ose pas briser le confort relatif, mais confort quand même d’un monde routinier pour un système où l’herbe est peut-être plus verte, mais un tient valant deux tu l’auras…]
Oui et non. Qu’il y ait une certaine « inertie de l’existant », c’est une évidence. Mais le phénomène d’aliénation va beaucoup plus loin que ça. Le propre de l’idéologie dominante, c’est de diffuser des principes qui deviennent des « vérités » incontestables. Prenez par exemple l’idée selon laquelle le travail n’est pas la seule source de valeur, que le capital produit lui aussi de la valeur, et qu’il est donc juste que celui qui l’apporte soit rémunéré. Combien de gens autour de vous réinterrogent cette idée ? Or, accepter ces postulats – ceux de l’idéologie dominante – guide la manière dont nous pensons le monde et donc des alternatives concevables au monde tel qu’il est.
[Je pense également qu’il y a une question de confiance dans l’être humain qui entre en jeu. L’idéal communiste reposait sur l’idée qu’une idéologie pouvait transcender la nature humaine elle-même. Une idéologie totalitariste certes mais pour le plus grand bien de l’humanité (peut-on imaginer un vers plus totalitariste que “l’internationale sera le genre humain” ?).]
Je ne suis pas sûr de comprendre ce que vous appelez « totalitariste ». L’idéologie communiste telle qu’elle a été théorisée par Lénine et Staline en URSS était « totalitaire » au sens qu’elle effaçait en grande partie la frontière entre sphère publique et sphère privée, qu’elle permettait l’intromission de l’Etat dans la « totalité » de la vie des gens. Mais le vers que vous citez est plutôt un exemple d’universalisme que de totalitarisme.
Le terme de « communisme » désigne une multitude d’idéologies, qui vont de l’idéalisme le plus extrême au matérialisme le plus cynique. De Baboeuf à Staline, il y a d’infinies nuances. Il est donc dangereux de parler de « l’idéal communiste » sans préciser le contexte précis. L’idéalisme communiste des débuts de la révolution soviétique reposaient sur une vision rousseauiste de l’homme. La question n’était pas de « transcender la nature humaine », mais au contraire de la libérer. Pour les révolutionnaires, l’homme était naturellement « bon » et une société injuste le rendait mauvais. Rendons la société juste, et l’homme reprendra sa vraie nature.
[Il me semble que le XXe siècle a mis un terme à ce type de grandes ambitions dans nos sociétés occidentales.]
Du tout. Pensez à l’idéologie européiste selon laquelle une Europe « juste » créera un nouvel « homme européen » qui ne fera plus la guerre…
[Le raisonnement des classes populaire pourrait dès lors être formulé ainsi: certes le prélèvement par le capital d’une plus-value sur la richesse produite par le travailleur est en défaveur de celui-ci, et ce prélèvement, ainsi que les mouvements de capitaux internationaux, doit être régulé par la loi, mais le fondement même du capitalisme, si tant est qu’il soit encadré et pondéré par la souveraineté populaire, est préférable à tout autre en ce qu’il ne fait pas un pari sur une mutation de la nature humaine et sur ses vices.]
J’ai l’impression que vous négligez l’aspect le plus important d’une idéologie. Une idéologie, ce n’est pas tant une boite à outils qui nous dit que faire, mais un prisme à travers lequel nous donnons une certaine cohérence à ce que nous observons. Pensez-vous vraiment que les classes populaires soient conscients que la rémunération du capital est un pur prélèvement sur le travail produit par le travailleur, et qu’il est donc foncièrement illégitime ? Bien sur que non : lorsque vous discutez avec les gens, vous voyez très vite que quelque soit leur classe ils communient dans l’idée que le capital produit de la valeur par lui-même, et qu’il est donc « juste » que le capitaliste soit rémunéré. On peut se rebeller lorsque cette rémunération paraît disproportionnée ou excessive, mais son principe n’est que très rarement remise en question, y compris chez les communistes ! Vous voyez là la puissance de l’idéologie dominante…
@ Descartes
[même si le libre-échange a permis une augmentation générale du niveau de vie, si les travailleurs n’avaient pas eu à supporter l’exploitation de leur travail, l’augmentation aurait été encore plus importante !]
Je n’en suis pas si sûr. Je pense que pour un travailleur français, le gain en pouvoir d’achat a été supérieur à la plus value extraite par le capital sur son travail. Le libre-échange étant conditionné à la prédominance mondiale de l’économie capitaliste, le travailleur français a immédiatement perçu un avantage de ce système.
[Le terme « domination » s’entend ici dans le sens économique. La bourgeoisie exerce une domination économique qui lui permet d’extraire la plusvalue, et cette domination trouve sa traduction idéologique dans une idéologie qui devient dominante par le biais de l’aliénation.]
Je ne peux pas m’empêcher de penser que la rémunération du capital est un faux-nez qui masque la question de la transmission, et donc de l’héritage. Je vous soumet une expérience de pensée pour s’abstraire de ce facteur: imaginez deux familles de naufragés sur une île déserte. L’une d’elle construit une barque qui lui permet d’aller pêcher dans des eaux poissonneuses. Est-ce un effet de l’aliénation de penser qu’il n’y a rien d’immoral à ce que la deuxième famille naufragée, en échange de la mise à disposition de la barque, s’engage à donner un pourcentage de sa pêche au premier ? Je ne le pense pas. Il s’agit pourtant bel et bien de la rémunération du capital au sens strict, seulement ce capital est légitimement acquis: le premier pécheur a travaillé pour le constituer.
Poursuivons l’expérience: une génération plus tard, le fils de la première famille hérite de la barque. Pour cela il ne s’est donné que la peine de naître. Est-il toujours légitime qu’il perçoive un pourcentage de la pêche des autres utilisateurs de la barque ? La réponse est pour moi négative.
La question n’est donc pas pour moi celle de la rémunération du capital, ni même celle de la propriété privée, mais de sa transmission. Et là nous nous trouvons face au dilemme fatal de l’héritage: dans une société structurée par les liens familiaux, il est légitime pour une personne de pouvoir transmettre le fruit de son travail à sa progéniture, ou à qui que ce soit d’ailleurs, si l’on admet qu’il en est propriétaire. En revanche, celui qui ne s’est donné que la peine de recevoir n’a aucune légitimité à être mieux pourvu que son prochain.
De cette équation, si nous voulons changer de paradigme pour une société plus juste, il ressort deux alternatives:
Soit il faut abolir la propriété privée et ainsi ôter au travailleur la pleine jouissance du fruit de son travail pour la répartir équitablement entre tous les membres de la société. Le constructeur de la barque s’en voit dépossédé 50% du temps au profit de l’autre famille. Cette option induit au passage un risque de voir apparaître des “passagers clandestins” qui ne se donneront que la peine de percevoir une part de la valeur produite par autrui, sans participer à la production.
L’autre option est d’abolir le principe de la transmission familiale, de manière à rebattre les cartes à chaque génération, et à ce que chaque nouvel individu reparte à égalité avec les autres. Cette option est, au passage, compatible avec un système économique capitaliste. Il s’agit en réalité du même phénomène que le précédent, mais différé, ce qui laisse à l’individu le temps de jouir de son travail, et de facto augmente sa motivation naturelle à produire. Le problème se corse quand on aborde le capital immatériel.
Que l’on puisse pondérer le capitalisme par ces deux mécanismes, ce que l’on fait largement via l’impôt et les taxes d’une part, les droits de succession et l’éducation nationale d’autre part, est assurément une bonne chose, mais cela n’empêche que ce système, bien qu’imparfait, reste relativement simple, et surtout ne remet pas en question des principes sociaux bien antérieurs au capitalisme lui-même (la filiation, la propriété privée). Mais lui substituer en tant que toile de fond l’un ou l’autre de ces autres paradigmes (abolition de la propriété privée ou de la filiation) implique fatalement la création d’une entité toute puissante au point de pouvoir pénétrer au plus profond de la sphère privée et de contraindre les membres de la société à le respecter. C’est en celà que selon moi l’idéal communiste est intrinsèquement totalitaire, et c’est pour celà que dans l’expression “L’Internationale sera le genre humain”, je pense que l’on a tort de voir un simple universalisme: il est question de “modifier” le genre humain pour l’adapter à l’Internationale, soit en lui confisquant le droit de jouir pleinement du fruit de son travail,y compris de son travail domestique, tant qu’une entité supérieure ne lui en aura pas rétrocédé une partie, et/ou en abolissant la transmission familiale matérielle et immatérielle. Et autant l’on peut pondérer le capitalisme par les deux méthodes exprimées ci-dessus, autant rien ne saurait pondérer une matrice communiste sans en saper irrémédiablement les fondements, son acceptation sociale ne pouvant qu’être intrinsèquement liée à son caractère exclusif. Renoncer volontairement à la jouissance de son travail et à l’octroi d’avantages à sa descendance ne peut se justifier qu’avec une traque extrêment sévère des passagers clandestins et des passes-droits (autrement dit, militarisation du travail et effacement de la sphère privée).
[Prenez par exemple l’idée selon laquelle le travail n’est pas la seule source de valeur, que le capital produit lui aussi de la valeur, et qu’il est donc juste que celui qui l’apporte soit rémunéré.]
Je pense qu’il ne faut pas confondre “production de valeur” et “rémunération”. On peut tout à fait défendre qu’un capital seul ne produit pas de valeur, mais que sa mise à disposition puisse être rémunérée parce qu’elle optimise la production de valeur de celui qui s’en sert. Voyez l’exemple de la barque..
[L’idéalisme communiste des débuts de la révolution soviétique reposaient sur une vision rousseauiste de l’homme. La question n’était pas de « transcender la nature humaine », mais au contraire de la libérer. Pour les révolutionnaires, l’homme était naturellement « bon » et une société injuste le rendait mauvais. Rendons la société juste, et l’homme reprendra sa vraie nature.]
Vu sous cet angle, d’accord. Au lieu d’entendre une volonté totalitaire dans ce vers, il faut donc davantage y voir une stupidité crasse. Soit. Je crois que je préférais la version totalitaire, je n’étais pas d’accord avec mais elle avant quand même plus de gueule.
[Du tout. Pensez à l’idéologie européiste selon laquelle une Europe « juste » créera un nouvel « homme européen » qui ne fera plus la guerre…]
Je parlais de rompre avec le système économique capitaliste.
[Pensez-vous vraiment que les classes populaires soient conscients que la rémunération du capital est un pur prélèvement sur le travail produit par le travailleur, et qu’il est donc foncièrement illégitime ?]
Encore une fois, en revenant à l’exemple de la barque, je suis en total désaccord avec cette pétition de principe. La rémunération du capital peut se discuter, mais elle n’est en rien “foncièrement illégitime”, contrairement au fait d’hériter d’un capital.
Croyez-vous que je sois victime d’aliénation ? C’est fort possible. Mais il va falloir me convaincre 🙂
@ P2R
[« même si le libre-échange a permis une augmentation générale du niveau de vie, si les travailleurs n’avaient pas eu à supporter l’exploitation de leur travail, l’augmentation aurait été encore plus importante ! » Je n’en suis pas si sûr. Je pense que pour un travailleur français, le gain en pouvoir d’achat a été supérieur à la plus value extraite par le capital sur son travail.]
Et alors ? Si en plus il avait reçu la plus-value extraite sur son travail, son gain aurait été encore plus important. Par ailleurs, j’attends toujours qu’on m’explique en quoi le libre-échange a augmente globalement le niveau de vie des travailleurs français.
[Je ne peux pas m’empêcher de penser que la rémunération du capital est un faux-nez qui masque la question de la transmission, et donc de l’héritage. Je vous soumet une expérience de pensée pour s’abstraire de ce facteur: imaginez deux familles de naufragés sur une île déserte. L’une d’elle construit une barque qui lui permet d’aller pêcher dans des eaux poissonneuses. Est-ce un effet de l’aliénation de penser qu’il n’y a rien d’immoral à ce que la deuxième famille naufragée, en échange de la mise à disposition de la barque, s’engage à donner un pourcentage de sa pêche au premier ?]
D’abord, il faudrait se demander pourquoi la deuxième famille choisit de laisser un pourcentage de sa pêche plutôt que de construire elle aussi une barque. Mais plus fondamentalement, cela dépend du pourcentage. Parce que la barque, c’est de la valeur produite par du travail, et il est normal que ce travail soit rémunéré. Autrement dit, s’il a pris à un homme cent heures de travail de fabriquer la barque, il est « moral » qu’il reçoive, de ceux qui l’utilisent pour pêcher, l’équivalent de cent heures passées à pêcher. Mais pourquoi serait-il « moral » de recevoir plus ?
[Je ne le pense pas. Il s’agit pourtant bel et bien de la rémunération du capital au sens strict, seulement ce capital est légitimement acquis : le premier pécheur a travaillé pour le constituer.]
Pas tout à fait. La barque est le produit du travail, et il n’est pas anormal que ce travail soit rémunéré. Mais lorsque la rémunération pour l’usage de la barque dépasse le travail contenu en elle, alors on passe à la rémunération du capital.
[Poursuivons l’expérience: une génération plus tard, le fils de la première famille hérite de la barque. Pour cela il ne s’est donné que la peine de naître. Est-il toujours légitime qu’il perçoive un pourcentage de la pêche des autres utilisateurs de la barque ? La réponse est pour moi négative.]
Mais pourquoi limitez-vous la question au capital ? En quoi est-il légitime que je bénéficie de l’argent épargné par mon père, de la maison construite par mon père, de la voiture achetée par mon père ? Seulement parce que je me suis donné la peine de naître ? Votre raisonnement conduit à contester la légitimité de l’héritage EN GENERAL, et pas seulement celle du capital. Et pas seulement l’héritage : c’est la transmission en son ensemble qui est en jeu.
[La question n’est donc pas pour moi celle de la rémunération du capital, ni même celle de la propriété privée, mais de sa transmission.]
Vous admettez donc le droit du capitaliste à exploiter le travail humain pourvu qu’il ait accumulé le capital lui-même. C’est déjà la moitié de l’idéologie dominante lol…
[Et là nous nous trouvons face au dilemme fatal de l’héritage: dans une société structurée par les liens familiaux, il est légitime pour une personne de pouvoir transmettre le fruit de son travail à sa progéniture, ou à qui que ce soit d’ailleurs, si l’on admet qu’il en est propriétaire. En revanche, celui qui ne s’est donné que la peine de recevoir n’a aucune légitimité à être mieux pourvu que son prochain.]
Vous voyez bien qu’il y a là une contradiction. S’il est légitime de pouvoir transmettre son patrimoine à ses enfants, il est par conséquent légitime pour les enfants de recevoir ce patrimoine. Vous ne pouvez pas avoir la légitimité d’un côté et pas de l’autre. En fait, la question de la légitimité ne se pose pas d’un côté ou de l’autre, c’est la légitimité du processus de transmission qu’il vous faut examiner.
Or, le processus de transmission a une légitimité anthropologique incontestable. A quoi bon avoir des enfants, si nous ne pouvons rien leur transmettre ?
[De cette équation, si nous voulons changer de paradigme pour une société plus juste, il ressort deux alternatives : Soit il faut abolir la propriété privée et ainsi ôter au travailleur la pleine jouissance du fruit de son travail pour la répartir équitablement entre tous les membres de la société. Le constructeur de la barque s’en voit dépossédé 50% du temps au profit de l’autre famille.]
Il est drôle que vous considériez la question seulement du côté du constructeur de la barque, et non du côté du pêcheur tenu à lui payer un « loyer » pour pouvoir l’utiliser… Non, la question n’est pas « d’abolir la propriété privée », mais au contraire, de la rétablir, en posant comme principe que tout travailleur est propriétaire de l’intégralité de la valeur que son travail produit. Autrement dit, le travailleur qui construit la barque mérite de voir son travail – et seulement son travail – rémunéré de la valeur qu’il a produit, et le pêcheur qui utilise la barque mérite de voir son travail rémunéré à hauteur de la valeur produite.
[L’autre option est d’abolir le principe de la transmission familiale, de manière à rebattre les cartes à chaque génération, et à ce que chaque nouvel individu reparte à égalité avec les autres. Cette option est, au passage, compatible avec un système économique capitaliste.]
Non. Cette solution est incompatible avec ce qui nous constitue comme être humain. Car sans transmission entre les générations, il n’y a pas de civilisation humaine qui tienne. Or, votre raisonnement conduit à abolir toute transmission. Les enfants qui ont des parents cultivés et passent leur enfance parmi les livres sont privilégiés par rapport à ceux qui ont des parents analphabètes. Comment faites-vous pour « rebattre les cartes » ?
[Mais lui substituer en tant que toile de fond l’un ou l’autre de ces autres paradigmes (abolition de la propriété privée ou de la filiation) implique fatalement la création d’une entité toute puissante au point de pouvoir pénétrer au plus profond de la sphère privée et de contraindre les membres de la société à le respecter.]
Mais encore une fois, le communisme n’implique nullement l’abolition de la propriété privée, au contraire… il s’agit de mettre fin au mécanisme par lequel le capitaliste porte atteinte à la propriété du travailleur sur la valeur produite… Marx ne parle jamais « d’abolir la propriété privée », mais « d’abolir la propriété privée des moyens de production et d’échange ». Ce n’est pas du tout la même chose. Pour cela, point n’est besoin d’une entité toute puissance qui se mêle de la sphère privée.
[« Prenez par exemple l’idée selon laquelle le travail n’est pas la seule source de valeur, que le capital produit lui aussi de la valeur, et qu’il est donc juste que celui qui l’apporte soit rémunéré. » Je pense qu’il ne faut pas confondre “production de valeur” et “rémunération”. On peut tout à fait défendre qu’un capital seul ne produit pas de valeur, mais que sa mise à disposition puisse être rémunérée parce qu’elle optimise la production de valeur de celui qui s’en sert. Voyez l’exemple de la barque…]
Je vous ai répondu plus haut sur cet exemple. Et je vous rappelle que la valeur d’un bien est le temps de travail socialement nécessaire à sa production. Le capital « n’optimise » en rien la production de valeur. Il permet de produire les biens en plus grande quantité, mais ne change pas la valeur produite.
Mais à supposer même que le capital permette « d’optimiser la production de valeur », en quoi cela justifierait qu’il soit rémunéré ?
[L’idéalisme communiste des débuts de la révolution soviétique reposaient sur une vision rousseauiste de l’homme. La question n’était pas de « transcender la nature humaine », mais au contraire de la libérer. Pour les révolutionnaires, l’homme était naturellement « bon » et une société injuste le rendait mauvais. Rendons la société juste, et l’homme reprendra sa vraie nature.]
Vu sous cet angle, d’accord. Au lieu d’entendre une volonté totalitaire dans ce vers, il faut donc davantage y voir une stupidité crasse. Soit. Je crois que je préférais la version totalitaire, je n’étais pas d’accord avec mais elle avant quand même plus de gueule.
[« Pensez-vous vraiment que les classes populaires soient conscients que la rémunération du capital est un pur prélèvement sur le travail produit par le travailleur, et qu’il est donc foncièrement illégitime ? » Encore une fois, en revenant à l’exemple de la barque, je suis en total désaccord avec cette pétition de principe. La rémunération du capital peut se discuter, mais elle n’est en rien “foncièrement illégitime”, contrairement au fait d’hériter d’un capital. Croyez-vous que je sois victime d’aliénation ?]
Certainement pas, puisque vous appartenez à une classe qui a tout intérêt à soutenir cette idéologie… 😉
Revenons à l’exemple de la barque. Quelle serait la rémunération « légitime » ? Serait-il normal que celui qui a investi disons cent heures de travail pour construire la barque soit rémunéré à vie d’une partie des prises des pêcheurs qui l’utilisent ? Qu’il reçoive in fine le produit de milliers d’heures de pêche ? Non, bien sur que non. Donc, on revient au fait qu’il est légitime que le constructeur de la barque soit payé pour son TRAVAIL, mais PAS pour la soi-disant « optimisation » que la barque apporterait…
Texte parfait. Merci pour la clarté de l’exposé.
Des députés NFP proposent même qu’aucun poste dans la gouvernance de l’Assemblée nationale – vice-présidence, questure, présidence de commission – ne soit confié à un député RN.
C’est pourtant une coutume qui fait partie de notre fonctionnement démocratique et c’est marrant de voir les mêmes qui hurlent à la mort pour exiger le respect d’une coutume (nomination du premier ministre chez le bloc majoritaire) être prêts à les envoyer bouler (respect des triangulaires, ces coutumes des postes) quand leur conséquence ne les arrange pas. ce que je trouve et là c’est mon avis qui accepte totalement la discussion 😉 assez totalitaire…
@ kaiser hans
[« Des députés NFP proposent même qu’aucun poste dans la gouvernance de l’Assemblée nationale – vice-présidence, questure, présidence de commission – ne soit confié à un député RN. » C’est pourtant une coutume qui fait partie de notre fonctionnement démocratique]
C’est même plus : c’est un geste de respect envers les électeurs. On oublie un peu vite que derrière des députés il y a des citoyens qui les ont élus. Peut-on dire au tiers de l’électorat « vous ne pèserez rien dans la gestion de l’Assemblée » ? Et quel message on transmet lorsqu’on propose pareille chose ?
“Peut-on dire au tiers de l’électorat « vous ne pèserez rien dans la gestion de l’Assemblée » ? Et quel message on transmet lorsqu’on propose pareille chose ?”
Entièrement d’accord mais je crois que LFI avait déjà fait le même coup en 2022 pour la Commission des Finances donc je pense que ce message leur va très bien
en tout cas bravo pour vos articles, je joue parfois le chieur mais j’apprécie réellement 🙂
@ kaiser hans
[en tout cas bravo pour vos articles, je joue parfois le chieur mais j’apprécie réellement]
Merci, les encouragements sont toujours appréciés. Et merci pour vos interventions!
“Entièrement d’accord mais je crois que LFI avait déjà fait le même coup en 2022 pour la Commission des Finances donc je pense que ce message leur va très bien”
ils sont en train de le prouver avec brio lors du cirque de l’élection du président de l’assemblée à comparer avec l’embrassade de Manon Aubry avec Ursula Von der Leyen (quand même accusée de corruption et mise en danger de la vie d’autrui)
@ kaiser hans
[ils sont en train de le prouver avec brio lors du cirque de l’élection du président de l’assemblée à comparer avec l’embrassade de Manon Aubry avec Ursula Von der Leyen (quand même accusée de corruption et mise en danger de la vie d’autrui)]
C’est encore un élément qui montre combien pour nos élites politico-médiatiques, la politique est devenue un jeu…
Sur un réseau social, je lis ceci de Jean Bricmont :
“Ce qui a été surréaliste dans cette campagne électorale c’est que tous les camps, même le RN, font comme si la France était une île, qu’elle faisait ce qu’elle voulait, alors qu’elle n’a ni monnaie, ni frontières, ni lois (faites par l’UE), ni justice, qui est devenue supranationale.”
En parlant de l’UE : la France a été mise sous surveillance par l’UE pour déficit excessif. Pour moi, il s’agit là d’un fait politique autrement plus important pour l’avenir du pays, y compris son avenir immédiat, que la farce soi-disant “électorale” que nous sommes en train de subir. Quelle que soit la nature exacte du prochain gouvernement (soit coalition nécessairement contre-nature ; soit gouvernement frauduleusement qualifié de “technique”, comme si un gouvernement pouvait être “technique”, mais passons), nous savons désormais que la France va passer à la casserole de la même manière que la Grèce l’a été à partir de 2015.
Profitons bien des Jeux Olympiques (pour ceux qui aiment ce genre de spectacle). En septembre, ce sera la soupe à la grimace – et ce ne sera pas beau à voir.
Étant donné les conséquences prévisibles sur l’électorat du RN de la politique qui va être menée, on ne peut que souhaiter à ce parti d’être absolument et rigoureusement exclu de *tous* les postes de décision quels qu’ils soient, y compris de ceux qui ne relèvent que de la mécanique interne de l’Assemblée Nationale.
@ MJJB
[Sur un réseau social, je lis ceci de Jean Bricmont : « Ce qui a été surréaliste dans cette campagne électorale c’est que tous les camps, même le RN, font comme si la France était une île, qu’elle faisait ce qu’elle voulait, alors qu’elle n’a ni monnaie, ni frontières, ni lois (faites par l’UE), ni justice, qui est devenue supranationale. »]
J’aime beaucoup Bricmont, mais ce commentaire me rappelle ceux qui à Londres reprochaient à mongénéral d’agir comme si la France n’était pas battue. Je récuse ce raisonnement : la souveraineté réside essentiellement dans la nation, et par conséquence oui, la France « fait ce qu’elle veut ». Bien sûr, cela a un coût. Mais si on est prêt à le payer, ton peut faire ce qu’on veut. On peut battre monnaie, contrôler nos frontières, dénoncer les traités qui nous soumettent à l’UE ou à la CEDH. Si on ne le fait pas, ce n’est pas parce qu’on ne PEUT pas, mais parce qu’on ne VEUT pas. Ou plutôt, parce que nos classes dominantes n’en veulent pas.
Par ailleurs, je ne partage pas la lecture de Bricmont. La plupart des « camps » ont au contraire lourdement insisté sur les conséquences d’un « mauvais » résultat sur les marchés financiers, ou bien de l’impossibilité mettre en œuvre certaines propositions parce que contraires au droit européen. Et personnellement, je suis toujours excédé d’entendre nos hommes politiques s’auto-émasculer de cette manière.
[En parlant de l’UE : la France a été mise sous surveillance par l’UE pour déficit excessif. Pour moi, il s’agit là d’un fait politique autrement plus important pour l’avenir du pays, y compris son avenir immédiat, que la farce soi-disant “électorale” que nous sommes en train de subir.]
Le fait que la procédure ait été engagée est moins « important » à mon sens que la réponse qui sera faite par le gouvernement…
[nous savons désormais que la France va passer à la casserole de la même manière que la Grèce l’a été à partir de 2015.]
Pas tout à fait. D’abord, parce que la France n’a pas véritablement de difficulté à emprunter, du fait que l’Etat est perçu comme efficace, notamment pour faire rentrer les impôts. Et ensuite, parce que la France est « too big to fail ». Les Allemands pouvaient menacer la Grèce de la pousser hors de l’Euro, c’est plus difficile avec la France.
[Pas tout à fait. D’abord, parce que la France n’a pas véritablement de difficulté à emprunter, du fait que l’Etat est perçu comme efficace, notamment pour faire rentrer les impôts. Et ensuite, parce que la France est « too big to fail ». Les Allemands pouvaient menacer la Grèce de la pousser hors de l’Euro, c’est plus difficile avec la France.]
La France a pas de mal a emprunter car pour l instant il y a peu d emprunteurs qui offrent autant de garantie (la RFA emprunte peu). L etat sait en effet tres bien faire rentrer l impot mais pour l instant l etat depense quasiment 40 % de plus que ce qu il gagne. Bon courage pour augmenter les impots de 40 % (meme si ca ne fait pas peur a Sandrine Rousseau qui preconisait de se servir dans les assurance vie des francais. ceci marchera la premiere annee mais l annee suivante curieusement il n y aura plus rien a taxer alors que les deficits seront toujours la)
En ce qui concerne le fait que la RFA paiera, je pense que vous vous faites des illusions:
– renflouer la france coutera trop cher meme pour la RFA
– si les allemands ancienne generation (disons plus de 50-60 ans) sont plutot francophile c est plus le cas des jeunes generations. Renflouer l ex RDA a deja ete peu populaire apres l euphorie initiale, alors imaginez renflouer autre pays, bien plus grand avec des gens qui en plus vous font la lecon
– si renflouement il y a, ca n ira pas sans contrepartie. je suis pas persuadé que les francais les acceptent
@ cdg
[La France a pas de mal a emprunter car pour l’instant il y a peu d’emprunteurs qui offrent autant de garantie (la RFA emprunte peu).]
Mais les Etats-Unis empruntent beaucoup…
[L’Etat sait en effet très bien faire rentrer l’impôt mais pour l’instant l’Etat dépense quasiment 40 % de plus que ce qu’il gagne. Bon courage pour augmenter les impôts de 40 %]
Pourquoi voulez-vous pas augmenter les impôts de 40 % ? Les prêteurs se foutent éperdument que les finances publiques soient ou non en équilibre. Leur problème, c’est de savoir si les emprunts seront remboursés, et dans quelles conditions.
[En ce qui concerne le fait que la RFA paiera, je pense que vous vous faites des illusions:
– renflouer la France coutera trop cher même pour la RFA]
Pas besoin de la « renflouer ». Il suffit d’injecter suffisamment d’argent pour maintenir vivante l’illusion monétaire.
[– si les allemands ancienne generation (disons plus de 50-60 ans) sont plutot francophile c est plus le cas des jeunes generations. Renflouer l ex RDA a deja ete peu populaire apres l euphorie initiale, alors imaginez renflouer autre pays, bien plus grand avec des gens qui en plus vous font la lecon]
Ce n’est pas je pense une question de francophilie, mais d’intérêt : si la France coule, l’Euro coule avec elle. Or, l’Allemagne tire des avantages très importants de l’existence de la zone Euro. Des avantages économiques, bien sûr, mais aussi des avantages politiques, comme la possibilité d’imposer sa politique monétaire à tous les autres. Est-ce que le coût de soutenir la France serait supérieur à ces avantages ? Le jour où la réponse sera « oui », je ne donne pas cher de l’Euro…
[– si renflouement il y a, ca n ira pas sans contrepartie. je suis pas persuadé que les francais les acceptent]
On ne leur demandera pas leur avis. Les « contreparties », vous pouvez les voir partout : la sortie du nucléaire, la désindustrialisation…
La peur du RN avec tout ce qu’il charrie d’inconscient collectif a été plus forte que tout dans l’oubli des fortes divergences dans le bloc d’opposition au RN de la droite parlementaire à l’extrême gauche façon Philippe Poutou ou l’anti-fasciste Raphaël Arnault en Avgnon.
En fin de compte, n’est-il pas comme le Parti communiste au moins pendant toute la IVè République ? Sa fonction tribunitienne d’opposant au système sans pouvoir accéder au pouvoir ? Le RN ne servira-t-il pas à fédérer le bloc bourgeois contre le bloc populaire pour faire élire tout sauf lui ? Il ne lui sera rien pardonné notamment son amateurisme, son choix de certains candidats encore douteux, le manque de cadres, de gens formés et prêts à l’exercice du pouvoir malgré la formation de son campus Hemera de Jérôme Sainte-Marie au parcours étonnant. Même le président du RN, Jordan Bardella, le trop jeune, sans aucune formation ni expérience politique. Enfin son programme économique n’est pas favorable aux catégories sociales qu’il représente.
@ Cording1
[La peur du RN avec tout ce qu’il charrie d’inconscient collectif a été plus forte que tout dans l’oubli des fortes divergences dans le bloc d’opposition au RN de la droite parlementaire à l’extrême gauche façon Philippe Poutou ou l’anti-fasciste Raphaël Arnault en Avgnon.]
Il serait intéressant d’analyser ce que recouvre la « peur du RN » exactement. De quoi on a peur ? De voir les chemises brunes déferler dans la rue pour casser les boutiques juives ou, pour se mettre plus au goût du jour, les kebabs et les boucheries halal ? Le RN n’est pas, de très loin, un parti de masse capable de troubler l’ordre public dans la rue. Alors, la « peur du RN » c’est la peur de quoi, exactement ?
[En fin de compte, n’est-il pas comme le Parti communiste au moins pendant toute la IVè République ? Sa fonction tribunitienne d’opposant au système sans pouvoir accéder au pouvoir ?]
La ressemblance avec le PCF « ghettoïsé » après 1947 est en effet troublante. Les reproches à tous ceux « élus avec les voix du RN » rappellent la décision de Mendes-France de décompter les voix communistes lors de son vote d’investiture. Tout accord électoral ou parlementaire avec d’autres partis est impensable. Même les accusations de « racisme » rappellent des évènements comme l’affaire du « bulldozer de Vitry » ou les reproches adressées au PCF de ne pas soutenir suffisamment le FLN.
Cela étant dit, si le PCF n’a jamais été au gouvernement entre 1947 et 1981, son influence sur la politique française a été considérable. Sur le plan intellectuel, le débat tournait souvent autour du marxisme, et les penseur se définissaient un peu pour ou contre lui. Sur le plan social, le poids de la CGT a permis une distribution du revenu particulièrement favorable aux couches populaires. Et dans beaucoup d’entreprises publiques une forme de cogestion était de mise.
[Enfin son programme économique n’est pas favorable aux catégories sociales qu’il représente.]
Pourriez-vous élaborer ?
Les Etats-Unis empruntent beaucoup mais ils ont un avantage majeur que nous n’avons pas du tout : leur monnaie est la monnaie de réserve internationale même si ce rôle est de plus en plus contesté il perdure.
@ Cording1
[Les Etats-Unis empruntent beaucoup mais ils ont un avantage majeur que nous n’avons pas du tout : leur monnaie est la monnaie de réserve internationale]
C’est vrai, mais sans rapport avec le point qui faisait l’objet de l’échange. Cdg avait affirmé qu’une des raisons pour lesquelles la France n’avait que peu de difficultés à emprunter était qu’il n’y avait pas beaucoup de gros emprunteurs sur le marché, et qu’ils n’avaient donc pas beaucoup de choix pour placer leurs capitaux. J’ai indiqué qu’ils avaient bien le choix, puisque les Américains continuaient à emprunter massivement…
En effet et comme en 1997-2002 il y aura au sein d’un bien éventuel gouvernement NFP des gens comme Dominique Voynet qui à l’époque a trahi les instructions de son gouvernement au niveau européen pour contribuer à la liquidation du nucléaire. Les Verts comme bien d’autres composantes du NFP ne sont jamais que l’expression de la petite bourgeoisie intellectuelle des métropoles. Donc jamais un vote pour ces gens-là.
D’autre part n’est-il pas, en fin de compte, nécessaire comme une étape obligée du processus de décomposition du système politique, en prélude à sa recomposition, voir accéder aux responsabilités le RN qui montrera son incapacité à résoudre les problèmes du pays et même ceux dont il a fait son fonds de commerce ?
@ Cording1
[En effet et comme en 1997-2002 il y aura au sein d’un bien éventuel gouvernement NFP des gens comme Dominique Voynet qui à l’époque a trahi les instructions de son gouvernement au niveau européen pour contribuer à la liquidation du nucléaire.]
Pourriez-vous être plus précis ? Quelles étaient les « instructions de son gouvernement », et en quoi Voynet les a-t-elles « trahies » ?
[D’autre part n’est-il pas, en fin de compte, nécessaire comme une étape obligée du processus de décomposition du système politique, en prélude à sa recomposition, voir accéder aux responsabilités le RN qui montrera son incapacité à résoudre les problèmes du pays et même ceux dont il a fait son fonds de commerce ?]
Je ne crois pas que ce soit la bonne façon d’analyser la situation. La politique n’est pas là pour « résoudre des problèmes », mais pour servir des intérêts. Le RN au pouvoir ne résoudra peut-être pas les « problèmes », mais servirait-il mieux les intérêts de son électorat que ne le font les autres partis ? Si la réponse est « oui », alors la démonstration de son « incapacité » sera toute relative…
Il y a des « problèmes » qu’aucun « système politique » ne peut résoudre, parce qu’elles sont inhérentes au capitalisme et qu’on peut difficilement demander à un « système politique » issu du capitalisme d’en finir avec celui-ci. Je ne vois aucune raison à priori pour penser que le RN arrivé au pouvoir gouvernerait moins bien que ses concurrents… Ils sont inexpérimentés ? Oui, mais ce sont les gens les plus expérimentes et compétents qu’on puisse imaginer qui ont fait Maastricht…
Là n’est pas le propos. Si l’on part du principe, comme vous le semblez le faire, que ce n’est ni Bruxelles ni l’Allemagne qui ont le dernier mot en France, mais bel et bien les classes dirigeantes françaises, alors force est de constater que l’Union Européenne n’est que l’instrument de leur domination de classe.
L’ordre du jour de cette domination de classe, il est connu, feu M. Kessler du Medef l’avait opportunément rappelé il y a quelques années ; et qu’il en soit d’ailleurs remercié, une telle franchise étant plutôt inhabituelle chez les gens de sa caste, lesquels (attention ! alerte au Grand Komplot !) sont plutôt accoutumés à agir masqués :
Si donc la mise en œuvre de ce programme devait entraîner la France dans une situation identique à celle de la Grèce, voire encore pire (comme c’est malheureusement prévisible, et comme cela est, d’ores et déjà, en train de commencer à se produire), hé bien, il n’y aura pas de “too big too fail” qui tienne.
Comment des classes dirigeantes, qui, afin de persévérer dans leur existence, c’est-à-dire, en termes plus crus, afin de ne pas finir comme l’aristocratie d’Ancien Régime, ont accepté sans broncher : la désindustrialisation de leur pays ; la liquidation de son programme nucléaire ; la fin de sa souveraineté et de son indépendance, voire même de son intégrité territoriale (sur ce dernier point, lire les livres de Françoise Morvan et de Benjamin Morel), par une intégration toujours plus poussée dans un ensemble euro-atlantique soi-disant “occidental” ; et tout cela sans mentionner ce qui s’est passé entre 1940 et 1944, ce qui serait par trop malséant, voire “complotiste” ; comment ces gens-là, donc, se sentiraient-ils particulièrement intimidés par le fait que la France serait dotée d’un statut “too big to fail” ?
@ MJJB
[Là n’est pas le propos. Si l’on part du principe, comme vous le semblez le faire, que ce n’est ni Bruxelles ni l’Allemagne qui ont le dernier mot en France, mais bel et bien les classes dirigeantes françaises, alors force est de constater que l’Union Européenne n’est que l’instrument de leur domination de classe.]
Sauf qu’il y a d’autres bourgeoisies en Europe, et que leurs intérêts ne sont pas forcément les mêmes.
[Si donc la mise en œuvre de ce programme devait entraîner la France dans une situation identique à celle de la Grèce, voire encore pire (comme c’est malheureusement prévisible, et comme cela est, d’ores et déjà, en train de commencer à se produire), hé bien, il n’y aura pas de “too big too fail” qui tienne.]
Si, en fait. Parce que si la bourgeoisie française peut avoir quelque chose à gagner à voir le pays mis en faillite, elle a beaucoup plus à perdre. Pensez-vous que la bourgeoisie grecque ait beaucoup gagné avec la crise grecque ? Permettez-moi d’en douter : la compression brutale de la demande et du crédit a mis toute l’économie grecque en difficulté. Vous écrivez comme si l’objectif de la bourgeoisie c’était d’appauvrir la classe ouvrière. Cette vision « victimiste » est inexacte : l’objectif de la bourgeoisie est de gagner le plus possible d’argent. Appauvrir la classe ouvrière n’est qu’une conséquence, pas un but en soi. Que Kessler veuille revenir sur les conquêtes du CNR, c’est certain. Mais si pour obtenir ce résultat il lui faut se suicider, il est peu probable qu’il y consente.
Bonjour Descartes
Comment dix millions d’électeurs disparurent en quelques minutes
Dès le 8 juillet 2024 au matin les millions d’électeurs n’existaient plus ils étaient remplacés par 577 députés à l’affût qui n’attendaient que ce moment pour jouir des bienfaits que leur offre leur siège…enfin ils vont pouvoir vivre leur vie loin des contingences matérielles et des obligations de présence que ce soit au foyer ou au travail.
J’ai toujours pensé que nos politiciens n’étaient que des escrocs (promettre ce que l’on ne pourra pas réaliser en échange du pouvoir) et ils viennent une fois de plus de nous le démontrer.
Quant à Macron ce n’est qu’un psychopathe pervers narcissique mis en place par Attali et Rothschild ce que tout le monde sait aujourd’hui.
Voilà où nous en sommes : envahis, surendettés, dénaturés et rien ne se passe !
Pour sortir de ce chaos seul un chaos plus important pourra le réaliser.
@ Electron libre
[Dès le 8 juillet 2024 au matin les millions d’électeurs n’existaient plus ils étaient remplacés par 577 députés à l’affût qui n’attendaient que ce moment pour jouir des bienfaits que leur offre leur siège…enfin ils vont pouvoir vivre leur vie loin des contingences matérielles et des obligations de présence que ce soit au foyer ou au travail.]
Député, ce n’est pas une sinécure quand on fait le boulot sérieusement. Et beaucoup de députés – sur tous les bancs – font le boulot. J’ai envie de vous demander combien de députés vous connaissez, combien en avez-vous vu travailler ?
[Quant à Macron ce n’est qu’un psychopathe pervers narcissique mis en place par Attali et Rothschild ce que tout le monde sait aujourd’hui.]
Je crois me souvenir qu’il a obtenu plus de deux voix…
En 2017 on nous a expliqué que E.Macron, au vu de son cv chez Rothschild, était un Mozart de la finance… C’est possible (même si à mon sens ce n’est pas évident), mais de toute évidence ce n’est pas un Mozart de la politique… A l’entame de l’été et à quelques jours des JO, par son comportement immature, il nous a mis dans un sacré marasme.
Le RN ce n’est pas mon camp, mais je dois dire que la façon dont toutes les forces politiques et médiatiques se sont liguées pour l’abattre, c’est quelque chose de dégueulasse.
Descartes le dit dans son article, cela rappelle le traitement qui était réservé au PCF lorsque celui-ci représentait un risque pour les classes dominantes. Mais à mon sens il y a une différence, au PCF les cadres et les militants c’était du solide, alors qu’au RN il y a manifestement beaucoup d’amateurisme et un manque de formation des militants et candidats (et dans les médias cela ne pardonne pas…).
@ Manchego
[En 2017 on nous a expliqué que E.Macron, au vu de son cv chez Rothschild, était un Mozart de la finance… C’est possible (même si à mon sens ce n’est pas évident), mais de toute évidence ce n’est pas un Mozart de la politique… A l’entame de l’été et à quelques jours des JO, par son comportement immature, il nous a mis dans un sacré marasme.]
Oui. Macron est ce qu’il a toujours été, c’est-à-dire, un acteur raté qui joue au président. Un illusionniste qui a su séduire les seconds couteaux de la droite et de la gauche en leur promettant postes et prébendes. Et surtout, un bon tacticien capable de jouer des « coups » à l’intuition. Il a compris avant les autres combien la gauche et la droite de gouvernement étaient usées après une série d’alternances, et a profité pour se faire élire. Il me fait penser au personnage de Hitler tel qu’il ressort de la biographie que lui a consacré Ian Kershaw : un tempérament de « joueur », une capacité hors pair de juger sa main… mais à force de monter les enchères finit par aller trop loin dans le bluff.
[Descartes le dit dans son article, cela rappelle le traitement qui était réservé au PCF lorsque celui-ci représentait un risque pour les classes dominantes. Mais à mon sens il y a une différence, au PCF les cadres et les militants c’était du solide, alors qu’au RN il y a manifestement beaucoup d’amateurisme et un manque de formation des militants et candidats (et dans les médias cela ne pardonne pas…).]
Vous avez tout à fait raison de le signaler. Le PCF était un parti ouvrier dès sa fondation, et s’inscrivait dans la tradition de l’organisation léniniste. Le RN est à l’origine un parti petit-bourgeois, qui représente aujourd’hui les couches populaires simplement parce que tous les autres les ont abandonnées, et que cet électorat était vacant.
Bonjour,
Tout d’abord, je vous prie de bien vouloir excuser le manque de régularité dont je fais preuve quant à ma participation sur ce blog, bien que je le consulte assez souvent.
Je voudrais revenir, si vous le permettez, sur votre critique du comportement des électeurs NFP qui ont voté Renaissance et réciproquement. Il me semble déjà qu’on aurait pu faire la même critique en 1936…
On aurait alors pu critiquer les communistes qui du jour au lendemain appellent à faire barrage au fascisme en votant pour des socialistes qu’ils dénonçaient quelques mois auparavant comme étant des « sociaux-traîtres », des « sociaux-flics » voire des « sociaux-fascistes »…et qui vont même plus loin non seulement en appelant à voter pour des radicaux, qui ne partagent ni leur programme ni leur base sociale, mais plus encore en acceptant d’adapter leur plateforme électorale aux desiderata de ces mêmes radicaux. Je suis sûr qu’en regardant les résultats précis, on trouverait de nombreux cas où les candidats PCF ou SFIO se sont obligeamment désisté au second tour en faveur d’un ancien ministre radical qui a participé à un quelconque gouvernement d’union nationale et y a pris moult mesures antisociales… Donc comment reprocher à LFI et ses électeurs de voter pour les porteurs de la loi « immigration » ou la réforme des retraites, si l’on n’adresse pas le même reproche aux communistes de 1936 ?
On aurait pu inversement critiquer les radicaux (et même, il me semble avoir lu que localement ce ne sont pas seulement des radicaux mais des candidats de l’Alliance démocratique et des démocrates-chrétiens) qui ont appelé à voter voir se sont désistés en faveur de candidats collectivistes alors qu’ils non jamais été véritablement critiques du capitalisme et que, globalement, ils étaient un parti modéré de gouvernement. Plus généralement, les critiques anticommunistes de nombre de cadres SFIO ou rad-soc ne les ont pas empêchés de se ranger loyalement derrières les candidats communistes, alors qu’elles étaient tout aussi virulentes que les accusations d’antisémitisme portées contre LFI par le gouvernement. Par honnêteté intellectuelle, je vous accorde que ce fut surtout vrai entre PCF et SFIO et que la discipline de second tour a moins bien fonctionné avec les radicaux, mais globalement il n’y a pas eu de couacs majeurs. Donc comment reprocher à Renaissance et ses électeurs de voter pour les suppôts de guerre civile de LFI, si l’on n’adresse pas le même reproche aux radicaux de 1936 ?
Je suis parfaitement d’accord avec vous pour dire que parler de « menace fasciste » aujourd’hui avec le RN est idiot. Mais les historiens s’accordent à dire que cette menace fasciste était tout aussi fantasmatique en 1936. Il y avait certes eu le 6 février 1934, mais aujourd’hui on peut sans trop d’efforts citer l’augmentation d’agressions racistes sur une période récente, l’activité croissante des groupuscules ouvertement fascistes, les appels au meurtre récents contre des députés ou figures de gauche ou même des cas étrangers…Je vous accorde cela dit qu’une série de petits évènements crée plus une ambiance alors qu’un évènement-choc comme le 6 février provoque un bouleversement plus marqué. On peut donc dire à la gauche actuelle que le fascisme n’est pas à nos portes, mais on pouvait le dire aussi à la gauche de 1936. Et oui, en effet, le RN a lui-même peu de choses à voir avec les évènements que j’ai cités, mais les partis de droite en 1936 (et en particulier la Fédération républicaine) avaient peu de choses à voir avec le 6 février.
Vous considérez que si le « front républicain » a si bien fonctionné entre LFI et Renaissance, c’est parce que, dans le fond, l’électorat des deux blocs partage au global les mêmes intérêts de classe. Si je pense honnêtement que vous avez en grande partie raison, il me semble que l’on peut se faire l’avocat du diable. Avec ce type de raisonnement, il faudrait dire que les ouvriers qui votaient PCF, ceux qui votaient SFIO et les petits bourgeois/classes moyennes qui votaient radical avaient les mêmes intérêts de classe, non ? Or, l’histoire du Front populaire après 1936 a montré que ce n’était pas le cas et que le Parti radical, largement poussé par sa base, a grandement saboté l’action gouvernementale parce que les intérêts de son électorat étaient incompatibles avec ceux des ouvriers qui votaient pour les partis collectivistes. Et pourtant, sur le plan électoral, la coalition a bien fonctionné et les reports de voix ont été réussis. Pourquoi ? Qu’est-ce qui vous dit qu’il ne se passera pas la même chose en cas de gouvernement NFP-Renaissance ?
Ensuite, je trouve que vous exagérez (un peu) quand vous écrivez : « L’électorat populaire s’est subitement évaporé ». Le soir même de l’élection, François Ruffin disait ceci : « Je dis aussi attention aux illusions. En deux ans, l’extrême-droite s’installe dans les terres ouvrières. Et perdre les ouvriers, ce n’est pas perdre des électeurs. Perdre les ouvriers, pour la gauche, c’est perdre son âme. » Il me semble que certains sont donc conscients du problème dans la coalition dorénavant majoritaire. Ruffin a gagné sur le fil mais a gagné quand même, de même que d’autres députés LFI sur sa ligne, et d’autres pro-Ruffin n’ont perdu qu’à quelques voix près. Il reste un espoir et des voix dans la nouvelle majorité qui peuvent relayer les intérêts ouvriers. Après, j’entends ce que vous dites. Quand j’ai défendu auprès d’amis et collègues de gauche l’idée que l’heure n’était pas du tout à la réjouissance mais plutôt à élaborer une stratégie efficace pour rallier les classes populaires, on m’a juste répondu que j’étais « rabat-joie »…et j’ai été fort déçu (bien que je m’y attendais) de l’attitude de certains de mes amis (qu’ils soient plutôt pro-PS ou pro-LFI d’ailleurs) qui, en gros, espéraient ouvertement la défaite de Ruffin dans sa circo (« Après Roussel, Ruffin… »).
J’ai pensé à vous aussi : j’ai pu constater que quand j’évoquais le fait qu’une victoire de l’attelage baroque NFP ou même une coalition NFP-Renaissance (dont tout le monde me disait qu’elle n’adviendrait jamais bien sûr…) conduirait à mener la même politique que celle qui a été menée jusque là depuis les années 1970-80 et que, forcément, cette politique continuerait d’alimenter le vote RN, la réaction majoritaire a été d’ouvrir des yeux gros comme des poêles à frire…le simple fait que j’essaie de me projeter dans un futur somme toute proche était à la fois malvenu, incompréhensible et incongru pour mes interlocuteurs. Je trouve que cela fait écho à l’un de vos billets où vous expliquiez que l’on vit de plus en plus dans le présent et que l’on a de plus en plus de mal à se projeter dans l’avenir.
@ Goupil
[Tout d’abord, je vous prie de bien vouloir excuser le manque de régularité dont je fais preuve quant à ma participation sur ce blog, bien que je le consulte assez souvent.]
Pas grave… l’important est que vous reveniez de temps en temps…
[Je voudrais revenir, si vous le permettez, sur votre critique du comportement des électeurs NFP qui ont voté Renaissance et réciproquement. Il me semble déjà qu’on aurait pu faire la même critique en 1936… On aurait alors pu critiquer les communistes qui du jour au lendemain appellent à faire barrage au fascisme en votant pour des socialistes qu’ils dénonçaient quelques mois auparavant comme étant des « sociaux-traîtres », des « sociaux-flics » voire des « sociaux-fascistes »…et qui vont même plus loin non seulement en appelant à voter pour des radicaux, qui ne partagent ni leur programme ni leur base sociale, mais plus encore en acceptant d’adapter leur plateforme électorale aux desiderata de ces mêmes radicaux.]
Il y a entre les deux situations une différence fondamentale. En 1936, les désistéments réciproques entre socialistes, communistes et radicaux se font sur la base d’un programme de gouvernement agrée entre les trois forces. Les électeurs qui ont mis un bulletin communiste, socialiste ou radical savaient qu’au cas où les trois partis auraient ensemble une majorité, ils gouverneraient ensemble et mettraient en œuvre un programme précis.
En 2024, les électeurs NFP ont voté pour des candidats d’Ensemble et ceux d’Ensemble ont voté pour des candidats NFP alors qu’aucun accord programmatique n’a été conclu, et sans aucun engagement de gouverner ensemble – tout au contraire – au cas où les deux groupes auraient ensemble la majorité. Autrement dit, les électeurs de 1936 ont voté POUR un programme, les électeurs de 2024 ont voté CONTRE. En 1936, socialistes et radicaux ont constitué un gouvernement et les communistes les ont soutenu, conformément aux engagements pris devant les électeurs. En 2024, Ensemble et le NFP ensemble ont la majorité absolue. Imaginez-vous un gouvernement d’union ?
[Donc comment reprocher à LFI et ses électeurs de voter pour les porteurs de la loi « immigration » ou la réforme des retraites, si l’on n’adresse pas le même reproche aux communistes de 1936 ?]
En notant, comme je l’ai fait plus haut, que ces électeurs ont voté pour des candidats avec lesquels ils ne sont pas prêts à gouverner. Ce n’est pas tout à fait la même chose que de voter pour des gens avec qui on a des désaccords dans le cadre d’un accord politique, que de voter pour des gens qu’on déteste dans un vote purement négatif, au risque de bloquer les institutions.
[Je suis parfaitement d’accord avec vous pour dire que parler de « menace fasciste » aujourd’hui avec le RN est idiot. Mais les historiens s’accordent à dire que cette menace fasciste était tout aussi fantasmatique en 1936.]
Oui et non. La menace fasciste le 6 février 1934 était fantasmatique, celle que représentait Hitler, au pouvoir depuis 1933, ne l’était pas. Or, si le Front Populaire a été possible, c’est parce que l’arrivée au pouvoir de Hitler et de Moussolini a poussé l’Internationale communiste à abandonner la ligne trotskyste « classe contre classe ».
[On peut donc dire à la gauche actuelle que le fascisme n’est pas à nos portes, mais on pouvait le dire aussi à la gauche de 1936.]
J’insiste : il était de l’autre côté du Rhin…
[Vous considérez que si le « front républicain » a si bien fonctionné entre LFI et Renaissance, c’est parce que, dans le fond, l’électorat des deux blocs partage au global les mêmes intérêts de classe. Si je pense honnêtement que vous avez en grande partie raison, il me semble que l’on peut se faire l’avocat du diable.]
Faites, faites…
[Avec ce type de raisonnement, il faudrait dire que les ouvriers qui votaient PCF, ceux qui votaient SFIO et les petits bourgeois/classes moyennes qui votaient radical avaient les mêmes intérêts de classe, non ?]
Non, pas du tout. Le Front Populaire était un accord politique entre des forces qui assumaient parfaitement leurs différences. Au risque de me répéter, ce qui fait la différence entre 1936 et 2024 est qu’en 1936 il y eut un accord politique jugé mutuellement avantageux, au point de justifier qu’on gouverne ensemble, et qu’en 2024 on s’est désisté sans qu’il y ait la moindre intention de conduire ensemble une politique.
[Or, l’histoire du Front populaire après 1936 a montré que ce n’était pas le cas et que le Parti radical, largement poussé par sa base, a grandement saboté l’action gouvernementale parce que les intérêts de son électorat étaient incompatibles avec ceux des ouvriers qui votaient pour les partis collectivistes.]
Pas tout à fait. Les radicaux ont loyalement appliqué l’accord de Front Populaire. Seulement, la victoire de 1936 a provoqué un mouvement à la base qui a poussé le gouvernement Blum vers des politiques bien plus radicales que celles prévues dans l’accord en question. C’est là que les radicaux ont pris peur et ont bloqué le processus.
[Ensuite, je trouve que vous exagérez (un peu) quand vous écrivez : « L’électorat populaire s’est subitement évaporé ». Le soir même de l’élection, François Ruffin disait ceci : « Je dis aussi attention aux illusions. En deux ans, l’extrême-droite s’installe dans les terres ouvrières. Et perdre les ouvriers, ce n’est pas perdre des électeurs. Perdre les ouvriers, pour la gauche, c’est perdre son âme. » Il me semble que certains sont donc conscients du problème dans la coalition dorénavant majoritaire.]
Tout à fait. C’est pourquoi dans mon texte j’ai laissé la place pour des exceptions. Mais qui a écouté Ruffin ? Qui a repris son raisonnement ? Qui sur les plateaux de télévision a poussé la réflexion dans cette direction ?
[Ruffin a gagné sur le fil mais a gagné quand même, de même que d’autres députés LFI sur sa ligne, et d’autres pro-Ruffin n’ont perdu qu’à quelques voix près. Il reste un espoir et des voix dans la nouvelle majorité qui peuvent relayer les intérêts ouvriers.]
N’allons pas trop loin. Ruffin et certains de ses amis sont conscients que pour la gauche « perdre les ouvriers, c’est perdre son âme ». Mais est-il pour autant prêt à se battre pour les politiques qui permettraient à la gauche de renouer avec les ouvriers, ce qui suppose d’affronter les classes intermédiaires ? Est-il prêt à soutenir une école exigeante ? La sélection à l’Université ? Le nucléaire ? Une politique industrielle qui tourne le dos à l’UE ? Une politique d’immigration restrictive ? Une exigence d’assimilation ? Ça, je n’en suis pas convaincu.
[Après, j’entends ce que vous dites. Quand j’ai défendu auprès d’amis et collègues de gauche l’idée
que l’heure n’était pas du tout à la réjouissance mais plutôt à élaborer une stratégie efficace pour rallier les classes populaires, on m’a juste répondu que j’étais « rabat-joie »…et j’ai été fort déçu (bien que je m’y attendais) de l’attitude de certains de mes amis (qu’ils soient plutôt pro-PS ou pro-LFI d’ailleurs) qui, en gros, espéraient ouvertement la défaite de Ruffin dans sa circo (« Après Roussel, Ruffin… »).]
Là encore, le réflexe de classe…
[J’ai pensé à vous aussi : j’ai pu constater que quand j’évoquais le fait qu’une victoire de l’attelage baroque NFP ou même une coalition NFP-Renaissance (dont tout le monde me disait qu’elle n’adviendrait jamais bien sûr…) conduirait à mener la même politique que celle qui a été menée jusque là depuis les années 1970-80 et que, forcément, cette politique continuerait d’alimenter le vote RN, la réaction majoritaire a été d’ouvrir des yeux gros comme des poêles à frire…le simple fait que j’essaie de me projeter dans un futur somme toute proche était à la fois malvenu, incompréhensible et incongru pour mes interlocuteurs.]
Exactement. Et nous voilà revenus à la différence entre 1936 et 2024. En 1936, le désistément était motivé par un projet de gouvernement. En 2024, c’est un mouvement d’humeur qui ne prépare aucun avenir. C’est du vote négatif à l’état pur.
[Je trouve que cela fait écho à l’un de vos billets où vous expliquiez que l’on vit de plus en plus dans le présent et que l’on a de plus en plus de mal à se projeter dans l’avenir.]
En partie seulement. Le problème est que le désistement en 2024 n’a de sens que s’il prépare une coalition NFP-Ensemble, puisque c’est la seule possibilité de monter un gouvernement. Mais la gauche n’est pas prête à admettre cette évidence…
@Descartes
Bien. J’entends la distinction que vous faites entre 2024 et 1936. Je n’avais pas prix en compte ces éléments.
[En 2024, Ensemble et le NFP ensemble ont la majorité absolue. Imaginez-vous un gouvernement d’union ?]
Je ne sais pas s’il s’agit d’une question rhétorique, mais oui : autant il paraît vraisemblable que LFI soit tenue à l’écart dudit gouvernement, autant ça ne me paraîtrait pas incongru de voir apparaître un gouvernement allant du PS et d’EELV jusqu’à Renaissance…et j’avais même dit à nombre de mes connaissances que c’était là l’option la plus probable quels que soient les résultats du NFP.
[En notant, comme je l’ai fait plus haut, que ces électeurs ont voté pour des candidats avec lesquels ils ne sont pas prêts à gouverner.]
Et pourtant, cela s’est fait à de nombreuses reprises dans l’histoire de la République. Au moins sous la Troisième République, radicaux et socialistes pratiquaient plus ou moins systématiquement le « front républicain » avec les républicains modérés tout en formant, une fois les élections passées, des groupes d’opposition et donc sans avoir l’intention de gouverner avec eux. Pourtant, il ne me semble pas que la période avant 1914, malgré la valse des ministères, ait été la moins riche en réalisations gouvernementales et en progrès sociaux – et cela alors même que la haute fonction publique était loin d’être aussi bien installée qu’elle ne le sera sous la Quatrième. Je souhaiterais également ajouter que nombre de candidats ayant eu contre eux un « front républicain » étaient loin d’êtres des antirépublicains forcenés, puisqu’il s’agissait principalement de candidats de la Fédération républicaine (et on pourra débattre sur le républicanisme de l’Alliance libérale populaire).
[J’insiste : il était de l’autre côté du Rhin…]
Et aujourd’hui, la gauche vous répond (j’en ai fait l’expérience) que cette menace existe à l’étranger : Poutine en Russie, Orban en Hongrie, Kaczynski en Pologne, Fico en Slovaquie, Meloni en Italie, Trump aux Etats-Unis, Modi en Inde…Et que tous alimentent le vote RN : un ami m’a défendu mordicus que la montée de l’extrême-droite en Europe de l’Ouest était directement liée aux financement de ces partis par « Poutine » et au rôle de TikTok, outil d’influence de Xi Jinping (pensez donc…comme par hasard, Jordan Bardella doit sa popularité aux jeunes qui le trouvent trop beau et trop classe grâce à ses vidéos TikTok…)
[la ligne trotskyste « classe contre classe »]
Pardon mais cette affirmation est fausse. Trotsky et les trotskystes sont hostiles à la ligne « classe contre classe » que Trotsky qualifie de « troisième période d’erreurs de l’Internationale communiste ». Les trotskystes français, regroupés dans la Ligue communiste depuis 1930, défendent la ligne du « front unique », c’est-à-dire une ligne d’alliance entre le PCF et la SFIO, critiquant à la fois la ligne « classe contre classe » de la direction du PCF et l’anticommunisme de celle de la SFIO, considérés comme des obstacles à ce rassemblement. Ils participent dès le 8 février 1934 à des meetings aux côtés des unitaires du PCF (les partisans de Doriot, ceux de la revue Que Faire) et de la Fédération de la Seine de la SFIO (Zyromski, Pivert, Farinet). Vous confondez deux choses je crois : la ligne « classe contre classe » du PCF consistait à dire que tous les partis autres que le PCF étaient des partis bourgeois, y compris la SFIO représentant le « social-fascisme », et que la radicalisation naturelle de la lutte de classe pousserait spontanément les ouvriers abusés par les socialistes dans les bras des communistes, ce qui justifiait des attaques contre la SFIO dont il fallait montrer aux ouvriers qu’elle n’était qu’une organisation bourgeoise comme les autres. La ligne de « front unique » de Trotsky est plutôt que le PCF devrait tendre la main à la SFIO, caractérisée comme parti ouvrier à direction petite-bourgeoise afin de provoquer sa décantation interne : en gros, cette politique d’alliance pousserait à l’éclatement de la SFIO entre sa base ouvrière et sa direction petite-bourgeoise, forcée soit de se rallier au PCF soit de dévoiler son alignement total sur la bourgeoisie, en particulier en forçant la SFIO à prendre les rênes du gouvernement et donc à faire des choix.
Vous confondez je pense avec l’évolution de ces lignes après 1934. Là où le PCF passe sur la ligne de « front populaire » qui consiste à proposer un programme très pâle afin de permettre le ralliement des classes moyennes radicales et de leur parti, Trotsky maintient sa ligne de « font unique » rassemblant les partis ouvriers à l’exclusion des radicaux : typiquement, il propose à ses partisans de défendre le mot d’ordre de « gouvernement socialo-communiste » ou de « ministère Blum-Cachin ». Je pense que c’est cela que vous appelez « classe contre classe », ce qui ne correspond pas au fond de la ligne qui était désignée comme telle par le PCF. Le conflit entre Trotsky et Staline sur la question française tient donc plutôt à la place du Parti radical.
[Mais est-il pour autant prêt à se battre pour les politiques qui permettraient à la gauche de renouer avec les ouvriers, ce qui suppose d’affronter les classes intermédiaires ?]
Je pense que, partiellement, oui. Sur la question scolaire, je ne sais pas. Sur le nucléaire, j’ai cru comprendre qu’il existe à LFI et au NPA, surtout parmi les jeunes générations, des partisans de l’énergie nucléaire, et Jean-Marc Jancovici dispose d’un certain capital sympathie dans la jeunesse de gauche – or, de mémoire, il y avait eu un conflit entre Mélenchon et la commission énergie de LFI, donc ces derniers trouveraient je pense une oreille plus attentive parmi les dissidents de LFI, surtout s’ils se rapprochent du PCF. Sur la politique industrielle, cela fait quand même parti des « dadas » de Ruffin. Et sur l’immigration, j’ai sous les yeux un rapport de la Fondation Jean-Jaurès qui prend appui sur les positions de Ruffin et qui écrit qu’il faut « faire pièce au sans-frontiérisme habituel de la gauche »…produit par Bassem Asseh, adjoint PS à la maire de Nantes. Après, je vous trouve très exigent alors que tout est à reconstruire quasiment à partir de zéro. Il faut être stratégique et définir des priorités : bien sûr, tous les sujets que vous évoquez sont importants, mais il me semble que la priorité absolue doit être de faire admettre à gauche le « social et économique d’abord » et de mettre au rancart tous le fatras des questions sociétales et culturelles qui encombre le discours de la gauche et ne sert à rien à part diviser les classes populaires.
@ Goupil
[« En 2024, Ensemble et le NFP ensemble ont la majorité absolue. Imaginez-vous un gouvernement d’union ? » Je ne sais pas s’il s’agit d’une question rhétorique, mais oui : autant il paraît vraisemblable que LFI soit tenue à l’écart dudit gouvernement,]
Si LFI est « tenu a l’écart », alors on ne peut parler d’un gouvernement commun Ensemble-NFP. C’est un peu comme si en 1936, après les élections, les socialistes et les radicaux avaient décidé finalement de « tenir à l’écart » les communistes et gouverner avec le centre droit.
[autant ça ne me paraîtrait pas incongru de voir apparaître un gouvernement allant du PS et d’EELV jusqu’à Renaissance…et j’avais même dit à nombre de mes connaissances que c’était là l’option la plus probable quels que soient les résultats du NFP.]
C’est la solution la plus probable… mais ce n’est pas ça un gouvernement Ensemble-NFP. Si vous me demandiez de parier sur une solution, je vous dirait que pour moi la plus probable est celle d’un gouvernement qui ira des socialistes jusqu’à Ensemble, avec l’abstention de LFI (suffisante pour ne pas craindre la motion de censure), qui se fera ensuite un plaisir de tout « bordéliser » en jouant la surenchère à l’Assemblée.
[« En notant, comme je l’ai fait plus haut, que ces électeurs ont voté pour des candidats avec lesquels ils ne sont pas prêts à gouverner. » Et pourtant, cela s’est fait à de nombreuses reprises dans l’histoire de la République. Au moins sous la Troisième République, radicaux et socialistes pratiquaient plus ou moins systématiquement le « front républicain » avec les républicains modérés tout en formant, une fois les élections passées, des groupes d’opposition et donc sans avoir l’intention de gouverner avec eux.]
Je ne crois pas qu’on puisse dire que socialistes et radicaux « n’étaient pas prêts à gouverner » avec les républicains modérés. Plusieurs présidents du conseil radicaux ou républicains ont gouverné avec le soutien de la SFIO (ex. Edouard Herriot).
[Pourtant, il ne me semble pas que la période avant 1914, malgré la valse des ministères, ait été la moins riche en réalisations gouvernementales et en progrès sociaux – et cela alors même que la haute fonction publique était loin d’être aussi bien installée qu’elle ne le sera sous la Quatrième.]
Elle était déjà très bien installée. Les secrétaires généraux des ministères étaient des véritables ministres-bis, et leu permanence, alors que les ministres valsaient, leur donnait un énorme pouvoir. L’exemple le plus connu est celui d’Alexis Léger, au Quai d’Orsay. A l’éducation nationale, l’impulsion était certes donnée par les ministres, mais la mise en œuvre était laissée aux techniciens. Mais surtout, il ne faut pas oublier qu’avant 1914, l’Etat était beaucoup plus petit. La défense, l’ordre public, l’éducation… et c’est tout. L’électricité, les chemins de fer, la santé, même la monnaie était gérée par le privé.
Cela étant dit, pourriez-vous donner un deux exemples de « réalisations gouvernementales » de cette époque ?
[« J’insiste : il était de l’autre côté du Rhin… » Et aujourd’hui, la gauche vous répond (j’en ai fait l’expérience) que cette menace existe à l’étranger : Poutine en Russie, Orban en Hongrie, Kaczynski en Pologne, Fico en Slovaquie, Meloni en Italie, Trump aux Etats-Unis, Modi en Inde…]
Qui à gauche croit vraiment que les troupes hongroises, polonaises, slovaques, italiennes, américaines, indiennes pourraient demain franchir la frontière française et occuper notre pays ? Je sais que la gauche peut être délirante, mais à ce point…
[Et que tous alimentent le vote RN : un ami m’a défendu mordicus que la montée de l’extrême-droite en Europe de l’Ouest était directement liée aux financement de ces partis par « Poutine » et au rôle de TikTok, outil d’influence de Xi Jinping (pensez donc…comme par hasard, Jordan Bardella doit sa popularité aux jeunes qui le trouvent trop beau et trop classe grâce à ses vidéos TikTok…)]
Mais encore une fois, Hitler était une menace REELLE. Vous trouverez toujours des gens qui se montent le bourrichon avec des explications farfelues. Mais au fond, lorsque vous creusez un peu, vous voyez qu’ils n’y croient pas vraiment.
[Vous confondez je pense avec l’évolution de ces lignes après 1934. Là où le PCF passe sur la ligne de « front populaire » qui consiste à proposer un programme très pâle afin de permettre le ralliement des classes moyennes radicales et de leur parti, Trotsky maintient sa ligne de « font unique » rassemblant les partis ouvriers à l’exclusion des radicaux : typiquement, il propose à ses partisans de défendre le mot d’ordre de « gouvernement socialo-communiste » ou de « ministère Blum-Cachin ». Je pense que c’est cela que vous appelez « classe contre classe », ce qui ne correspond pas au fond de la ligne qui était désignée comme telle par le PCF. Le conflit entre Trotsky et Staline sur la question française tient donc plutôt à la place du Parti radical.]
Vous avez tout à fait raison. J’ai confondu les deux lignes. Merci de votre attention.
[« Mais est-il pour autant prêt à se battre pour les politiques qui permettraient à la gauche de renouer avec les ouvriers, ce qui suppose d’affronter les classes intermédiaires ? » Je pense que, partiellement, oui. Sur la question scolaire, je ne sais pas.]
C’est pourtant une question absolument vitale.
[Sur le nucléaire, j’ai cru comprendre qu’il existe à LFI et au NPA, surtout parmi les jeunes générations, des partisans de l’énergie nucléaire,]
Je serais très intéressé de savoir de quelle source vous tirez cette idée. Vous avez peut-être raison, mais je n’ai pas une seule fois croisé quelqu’un qui à LFI ou au NPA se soit sur ce point éloigné d’un pouce de la ligne officielle antinucléaire de Mélenchon & Co.
[or, de mémoire, il y avait eu un conflit entre Mélenchon et la commission énergie de LFI,]
Je n’ai ni trace ni souvenir d’un tel « conflit ». Si vous avez des références plus précises, je suis intéressé.
[Sur la politique industrielle, cela fait quand même parti des « dadas » de Ruffin.]
De ce que j’ai lu, Ruffin voit surtout dans l’industrie une source d’emplois. Pour lui, la « politique industrielle » se réduit à se battre contre les fermetures d’usine ou les délocalisations. C’est un peu maigre.
[Après, je vous trouve très exigent alors que tout est à reconstruire quasiment à partir de zéro.]
Qui aime bien châtie bien, dit-on. Si je suis « exigeant » vis-à-vis de Ruffin, c’est justement parce que je trouve ses positions plutôt positives, et que je crains de le voir tourner en rond par manque de rigueur ou de courage.
[Il faut être stratégique et définir des priorités : bien sûr, tous les sujets que vous évoquez sont importants, mais il me semble que la priorité absolue doit être de faire admettre à gauche le « social et économique d’abord » et de mettre au rancart tous le fatras des questions sociétales et culturelles qui encombre le discours de la gauche et ne sert à rien à part diviser les classes populaires.]
Le social, l’économique mais aussi le régalien d’abord. Je suis tout à fait d’accord avec ces priorités. Je veux bien reconnaître à Ruffin au moins une conscience de la nécessité de mettre ces éléments en haut de l’agenda. Mais aura-t-il la constance et le courage de le faire ? That is the question… j’attends par exemple de voir comment il se positionnera à l’Assemblée nationale.
Bonjour tous les deux,
Comme vous semblez, avec beaucoup d’intelligence, aimer vous appuyer sur l’histoire pour analyser le présent, je vous propose un lien (sur un site très social-libéral) vers une semblable démarche :
https://www.telos-eu.com/fr/olivier-faure-est-dans-la-droite-ligne-du-socialis.html
Bien à vous.
@ Claustaire
[ je vous propose un lien (sur un site très social-libéral) vers une semblable démarche :(…)]
L’article est amusant comme exemple d’argumentation ad hoc… parce que l’auteur part d’une thèse, et ne retient ensuite dans l’histoire que ce qui va dans son sens, mais oubliant tout ce qui la contredit. D’abord, parce qu’il oublie toute la période de la “troisième force”, pendant laquelle la SFIO gouverné régulièrement avec le centre et le centre droit, tournant le dos à la gauche communiste. Ensuite, parce qu’il projette cette histoire sur l’actualité, comme si le conflit entre la SFIO et le PCF avait été de même nature que le conflit actuel entre SFIO et LFI…
@Descartes
[C’est un peu comme si en 1936, après les élections, les socialistes et les radicaux avaient décidé finalement de « tenir à l’écart » les communistes et gouverner avec le centre droit. […] avec l’abstention de LFI (suffisante pour ne pas craindre la motion de censure), qui se fera ensuite un plaisir de tout « bordéliser » en jouant la surenchère à l’Assemblée.]
Certes radicaux et socialistes ne font pas le choix de gouverner avec les modérés, mais les communistes sont bien tenus « à l’écart ». Certes, avec leur accord et dans le cadre d’un soutien sans participation, mais le fait est qu’il n’y a pas de communistes au gouvernement (exception faite d’Irène Joliot-Curie qui est parfois considérée comme « compagnon de route »). Donc il s’agit bien de la même situation si un gouvernement PS-Renaissance espère une abstention bienveillante de la part de LFI.
[Je ne crois pas qu’on puisse dire que socialistes et radicaux « n’étaient pas prêts à gouverner » avec les républicains modérés. Plusieurs présidents du conseil radicaux ou républicains ont gouverné avec le soutien de la SFIO (ex. Edouard Herriot).]
Pour les radicaux, je pensais à la période de 1893 à 1899 où les républicains modérés, principalement derrière Jules Méline, constituent une série de gouvernements penchant nettement à droite et dont les radicaux sont exclus, renvoyés de fait dans l’opposition en raison de désaccords sur la politique anticléricale.
Dans l’entre-deux-guerres, il y a certes des expériences de « soutien sans participation » de la part de la SFIO, mais elles sont brèves et finissent toujours par buter sur l’incompatibilité entre le programme économique des socialistes et celui des radicaux, et les socialistes ont toujours refusé de rentrer au gouvernement s’ils n’avaient pas d’influence sur ce qui comptait vraiment (le ministère des Finances). Il me semble bien que cela signifie que, non, les socialistes ne sont pas prêts à gouverner avec les radicaux – mais, à la rigueur, à les soutenir comme la corde soutient le pendu afin d’éviter quelque chose de pire, donc un peu la même logique qu’aujourd’hui.
Les socialistes (du moins les unifiés) n’ont participé au gouvernement que dans des cas exceptionnels : de tête, je ne vois que le gouvernement de Défense républicaine de 1899, le gouvernement d’union nationale entre 1914 et 1916 et le Front populaire. On ne peut pas véritablement dire que cela leur donne un profil de parti de gouvernement.
[Cela étant dit, pourriez-vous donner un deux exemples de « réalisations gouvernementales » de cette époque ?]
Eh bien, la construction d’une Instruction publique solide : les lois scolaires des années 1880, loi sur l’enseignement supérieur de 1896, réforme de l’enseignement secondaire de 1902, construction de l’enseignement primaire supérieur…
On pourrait aussi penser aux lois libérales des années 1880 ou à celle de 1901, qui ont survécu sans grand changement jusqu’à aujourd’hui, à la loi sur les retraites ouvrières et paysannes de 1910 qui servira de base aux lois de protection sociale de 1930 et 1931 et ultérieurement à la Sécurité sociale, ou encore les lois Bérenger sur le sursis, la justice des mineurs ou la libération conditionnelle. Sur le plan institutionnel, il me semble que l’on peut y joindre l’action de Georges Clemenceau et Célestin Hennion à l’Intérieur, que ce soit la réforme de la préfecture de police ou la restructuration et le développement de la Sûreté en une véritable police judiciaire.
[Qui à gauche croit vraiment que les troupes hongroises, polonaises, slovaques, italiennes, américaines, indiennes pourraient demain franchir la frontière française et occuper notre pays ? Je sais que la gauche peut être délirante, mais à ce point…]
Oui, à ce point…je vous assure avoir rencontré des gens qui m’expliquaient très sérieusement que, quand il aurait conquis l’Ukraine, Poutine s’attaquerait à la Pologne, puis à l’Allemagne et ainsi de suite.
De toutes manières, je n’avais compris votre remarque de cette façon. Quand vous disiez « J’insiste, il était de l’autre côté du Rhin… », je croyais que vous vouliez dire que la gauche avait l’exemple du fascisme/nazisme de l’autre côté du Rhin et que, pour éviter qu’il ne passe la même chose en France, elle avait fait le choix du Front populaire. Mais en fait, si je comprends bien cette fois-ci, vous vouliez dire que c’est la menace d’Hitler et donc de l’Allemagne qui a poussé à cette union ?
Auquel cas, je comprends qu’il soit absurde de se dire qu’Orban fera la même chose qu’Hitler.
Cela dit, je pense, dans ce cas, que vous avez tort. En 1936, les partis de gauche ne sont pas d’accord sur leur ligne de politique étrangère. Le PCF est déjà favorable à la résistance contre Hitler mais le Parti radical et la SFIO sont divisés en interne. Donc, en 1936, l’idée que la peur d’une invasion allemande aurait pu motiver la gauche à s’unir me paraît absurde. Ce qui pousse à cette union est au contraire la peur que ce qui s’est passé en Allemagne (la prise de pouvoir du NSDAP) ne se passe aussi en France. Et donc cela invalide votre contre-argument : ce qui fait peur aux militants de gauche actuels, du moins aux plus raisonnables, ce n’est pas que Poutine ou Orban envahissent la France, c’est que Le Pen installe en France un gouvernement du même type que celui de Poutine ou d’Orban.
[Je serais très intéressé de savoir de quelle source vous tirez cette idée.]
Pour le NPA, de ce texte, prétendument écrit par « un collectif de militants et ex-militants du NPA » dont je n’ai aucune raison de douter que ce soit le cas car je ne vois pas quelle serait leur raison de mentir : https://docs.google.com/document/d/1o3vCTcZf5ESLtodTsjELjO_oenamBggURfcDT82N7jE/edit?fbclid=IwAR0WbaJA0G2jBsaBkMC5sgZ7HIg-kPgu9STAZ490mJqYFlT0Hj5tNyNUF3Q#heading=h.p4wku7u8gezh
Pour le LFI, je me réfère à la note de blog de Sylvestre Huet Nucléaire : Rififi à LFI (27/03/23). Il y interroge Philippe Velten, candidat LFI aux municipales et aux cantonales à Caen et physicien au CERN. Ce dernier, favorable à l’énergie nucléaire, explique que plusieurs purges ont été menées dans les groupes Planification écologique et Energie de LFI pour éliminer les militants les plus critiques de la ligne antinucléaire. Huet cite d’ailleurs aussi un sondage qui nous apprend que plus de 40% des électeurs LFI et EELV sont favorables au nucléaire.
[je crains de le voir tourner en rond par manque de rigueur ou de courage.]
Je crois que le manque de rigueur ou de courage n’est pas le principal problème. Le pire défaut de Ruffin sur le plan stratégique, c’est son incapacité de rompre avec l’égopolitique. Son « Picardie debout » est une version localiste de LFI en termes de fonctionnement. Or, je suis convaincu que la première chose à faire est de chercher à reconstruire un parti de masse, nécessaire pour faire contrepoids à l’ambiance parlementaire et à l’idéologie dominante dans les milieux de gauche. On ne peut pas demander à des individus isolés de faire preuve de courage seuls contre tous, et quelle que soit l’autodiscipline que l’on s’impose, il n’y a pas de rigueur possible sans soumettre régulièrement ses positions à la critique des autres. Après tout, c’est dans le parti qu’on devient communiste 😉
[j’attends par exemple de voir comment il se positionnera à l’Assemblée nationale.]
Je trouve que c’est déjà une bonne chose de ne pas l’avoir vu à la conférence de lancement de L’Après…J’ai l’espoir qu’il siège dans un groupe comprenant les députés PCF, mais je suis mitigé sur l’appel qu’il a lancé et qui s’adressait aussi aux ou à des « écologistes ».
[le régalien d’abord]
Qu’est-ce que, précisément, vous appelez « le régalien » ? Parce que j’ai peur qu’à vouloir tout rendre prioritaire, il n’y ait justement plus de véritable priorité…Je pense qu’il faut se fixer des objectifs atteignables à court terme en fonction de la situation et de l’état des forces et ne pas se disperser.
@ Goupil
[« C’est un peu comme si en 1936, après les élections, les socialistes et les radicaux avaient décidé finalement de « tenir à l’écart » les communistes et gouverner avec le centre droit. » Certes radicaux et socialistes ne font pas le choix de gouverner avec les modérés, mais les communistes sont bien tenus « à l’écart ». Certes, avec leur accord et dans le cadre d’un soutien sans participation, mais le fait est qu’il n’y a pas de communistes au gouvernement (exception faite d’Irène Joliot-Curie qui est parfois considérée comme « compagnon de route »). Donc il s’agit bien de la même situation si un gouvernement PS-Renaissance espère une abstention bienveillante de la part de LFI.]
Pas du tout. En 1936, le PCF savait que l’exigence de ministres communistes aurait rendu très difficile la formation d’un gouvernement, et tenait tellement à la réussite de l’expérience qu’il était prêt à soutenir sans participer. En 2024, LFI tient absolument à participer au gouvernement – et même à le diriger – et n’est prêt à faire aucun sacrifice pour que l’expérience réussisse. La chose pourrait aboutir à la même configuration qu’en 1936 – un gouvernement des socialistes et des centristes avec un soutien sans participation de la gauche radicale – mais pas du tout pour les mêmes raisons.
[« Cela étant dit, pourriez-vous donner un deux exemples de « réalisations gouvernementales » de cette époque ? » Eh bien, la construction d’une Instruction publique solide : les lois scolaires des années 1880, loi sur l’enseignement supérieur de 1896, réforme de l’enseignement secondaire de 1902, construction de l’enseignement primaire supérieur…]
Je vous rappelle que le point en discussion était que le fait d’avoir constitué des majorités grâce au « front républicain » entre des gens qui n’avaient aucune intention de gouverner ensemble n’avait pas empêché les « réalisations gouvernementales ». Or, je n’ai pas trouvé de traces d’une telle situation avant 1914. Pourriez-vous donner un exemple ?
[De toutes manières, je n’avais compris votre remarque de cette façon. Quand vous disiez « J’insiste, il était de l’autre côté du Rhin… », je croyais que vous vouliez dire que la gauche avait l’exemple du fascisme/nazisme de l’autre côté du Rhin et que, pour éviter qu’il ne passe la même chose en France, elle avait fait le choix du Front populaire. Mais en fait, si je comprends bien cette fois-ci, vous vouliez dire que c’est la menace d’Hitler et donc de l’Allemagne qui a poussé à cette union ?]
Je ne pense pas que les la menace que représentait Hitler au niveau international ait été sans effet sur le changement de position de l’Internationale communiste. Or, le moteur de l’union en 1936, c’est bien le PCF.
[Donc, en 1936, l’idée que la peur d’une invasion allemande aurait pu motiver la gauche à s’unir me paraît absurde.]
Ce n’est pas ça que j’ai dit. En fait, ni la SFIO ni les Radicaux n’était pressés de s’unir « contre le fascisme ». C’est le PCF qui a bâti l’union, a instances de l’IC.
[« Je serais très intéressé de savoir de quelle source vous tirez cette idée. » Pour le NPA, de ce texte, prétendument écrit par « un collectif de militants et ex-militants du NPA » dont je n’ai aucune raison de douter que ce soit le cas car je ne vois pas quelle serait leur raison de mentir : (…)]
Merci beaucoup de ce texte, que je ne connaissais pas. Effectivement, on n’a aucune raison de douter qu’il vienne de militants du NPA. Effectivement, il semblerait que même au NPA, des gens commencent à réfléchir… en tout cas, c’est la première fois depuis longtemps que j’ai quelque chose de positif à dire des trotskystes…
[Pour le LFI, je me réfère à la note de blog de Sylvestre Huet Nucléaire : Rififi à LFI (27/03/23). Il y interroge Philippe Velten, candidat LFI aux municipales et aux cantonales à Caen et physicien au CERN. Ce dernier, favorable à l’énergie nucléaire, explique que plusieurs purges ont été menées dans les groupes Planification écologique et Energie de LFI pour éliminer les militants les plus critiques de la ligne antinucléaire. Huet cite d’ailleurs aussi un sondage qui nous apprend que plus de 40% des électeurs LFI et EELV sont favorables au nucléaire.]
Merci là encore de cette information, qui m’était passée sous les radars.
[Je crois que le manque de rigueur ou de courage n’est pas le principal problème. Le pire défaut de Ruffin sur le plan stratégique, c’est son incapacité de rompre avec l’égopolitique. Son « Picardie debout » est une version localiste de LFI en termes de fonctionnement. Or, je suis convaincu que la première chose à faire est de chercher à reconstruire un parti de masse, nécessaire pour faire contrepoids à l’ambiance parlementaire et à l’idéologie dominante dans les milieux de gauche. On ne peut pas demander à des individus isolés de faire preuve de courage seuls contre tous, et quelle que soit l’autodiscipline que l’on s’impose, il n’y a pas de rigueur possible sans soumettre régulièrement ses positions à la critique des autres. Après tout, c’est dans le parti qu’on devient communiste 😉]
Je vois que nous nous comprenons. Quand je parlais d’énergie et de courage, je pensais en particulier au courage qu’il faut pour rompre avec l’égopolitique. Ce n’est pas la peine de rompre avec LFI si c’est pour faire la même chose ailleurs.
[Je trouve que c’est déjà une bonne chose de ne pas l’avoir vu à la conférence de lancement de L’Après…J’ai l’espoir qu’il siège dans un groupe comprenant les députés PCF, mais je suis mitigé sur l’appel qu’il a lancé et qui s’adressait aussi aux ou à des « écologistes ».]
L’idée d’un groupe réunissant communistes, écologistes, ultramarins et « dissidents » de tous poils m’effraie. Comment garder une ligne claire dans ce contexte ?
[« le régalien d’abord » Qu’est-ce que, précisément, vous appelez « le régalien » ? Parce que j’ai peur qu’à vouloir tout rendre prioritaire, il n’y ait justement plus de véritable priorité…]
Par régalien je pense aux domaines indispensables à l’exercice de l’Etat : sécurité et ordre public, justice, défense, diplomatie.
[Je pense qu’il faut se fixer des objectifs atteignables à court terme en fonction de la situation et de l’état des forces et ne pas se disperser.]
Je suis tout à fait d’accord. A vouloir tout faire (ou plutôt faire plaisir à tout le monde)…
[On croyait que sept ans de brutalité macroniste avait creusé un fossé infranchissable avec la gauche. Que jamais les candidats de gauche ne se désisteraient, que jamais les électeurs de gauche ne voteraient pour ceux qui avaient porté au Parlement la loi « immigration » ou la réforme des retraites. Et réciproquement, que jamais les électeurs macronistes n’iraient voter pour ceux qu’ils avaient qualifié d’antisémites et de suppôts de la guerre civile. On avait tort.]
Je l’avoue, je me suis planté dans les grandes largeurs. Je suis sidéré par l’ampleur des reports de voix, quasi parfaits. Dans de nombreuses circonscriptions, des candidats RN qui font autour de 40% au premier tour, voire davantage, ne sont pas élus. Je crois que ce phénomène est inédit dans l’histoire de la Ve République. Je pensais au moins que l’abstention ou le vote blanc au deuxième tour seraient élevés : las, la participation a été encore plus importante qu’au premier tour, et le pourcentage de votes blancs ou nuls est historiquement faible. Moi qui ai tendance à me proclamer marxiste, je viens de prendre une belle leçon d’analyse de classe appliquée.
[Peur du « fascisme » ? Bien sûr que non.]
Je pense qu’il y a tout de même une analyse à faire en termes d’inconscients de classe. Ce qui a gagné dimanche dernier, avec la “victoire” du NFP, c’est le principe de plaisir : on va distribuer de l’argent à tout le monde, on va moins travailler, on ne va pas s’occuper des sujets régaliens… Les classes intermédiaires consuméristes ont un comportement fondamentalement adolescent, et je pense qu’il y a une vraie peur du “fascisme” dans le sens, pourrait-on dire, du “retour du père” : davantage de contraintes, de règles, de sérieux… Bien sûr, cela est congruent avec leur intérêt de classe, mais c’est tout de même intéressant à étudier. Cela dit, je me demande comment ces classes réagiraient en cas de choc important sur l’économie et la société. Car si les adolescents s’opposent au père, c’est qu’en réalité ils en ont encore bien besoin. Dans une situation de perte de contrôle de l’État sur le fonctionnement régulier de la société bourgeoise, ces classes intermédiaires ne seraient-elles pas les premières à demander un régime autoritaire ?
[Et maintenant ? L’élection a fabriqué une Assemblée où aucun parti, aucun bloc n’a une majorité. Vu du bloc dominant, l’essentiel a été sauvé.]
Macron doit jubiler. Lui qui se targuait d’avoir envoyé une “grenade dégoupillée” dans les jambes de ses adversaires, il se retrouve de nouveau en position de force malgré son extrême impopularité. Il réussit à sauver plus d’une centaine de députés (soit le 2e groupe à l’Assemblée après celui du RN), le bloc central reste à plus de 150 députés, ce qui est inespéré compte tenu de la conjoncture politique, notamment suite à la déroute des européennes. Ce n’est sûrement pas autant qu’il l’espérait au moment de la dissolution, mais rester maître du chaos doit lui procurer une certaine jouissance.
Du côté du NFP, la situation est assez comique : se retrouver avec le pouvoir à portée de main sans l’avoir prévu, ni même espéré, voilà qui est cocasse ! Et puis, si jamais ce Front de bric et de broc arrive à former un gouvernement, j’ai hâte de voir comment ils vont justifier leurs renoncements à l’automne face à Bruxelles et aux marchés financiers. Si le RN joue bien le coup, ils peuvent encore gagner quelques points.
Dans tout ce marasme, j’ai tout de même lu une bonne nouvelle (allez, deux avec le démarrage de l’EPR de Flamanville) : les autonomistes corses sont désespérés par la mise à l’arrêt du processus d’autonomie suite aux élections. Sans compter que dans une des circonscriptions de l’île, un candidat nationaliste a été défait de manière imprévue par son opposant de droite. Et que le RN, opposé à l’autonomie, est arrivé au 2nd tour dans les 4 circonscriptions. Signe d’un début de retournement du processus ?
@ Patriote Albert
[Je l’avoue, je me suis planté dans les grandes largeurs. Je suis sidéré par l’ampleur des reports de voix, quasi parfaits. Dans de nombreuses circonscriptions, des candidats RN qui font autour de 40% au premier tour, voire davantage, ne sont pas élus. Je crois que ce phénomène est inédit dans l’histoire de la Ve République.]
Inédite, non. On trouvait le même phénomène quand le PCF était encore « le parti de la classe ouvrière ». A l’époque, socialistes et écologistes qui pouvaient se maintenir au second tour contre un candidat communiste pouvaient être confiants du report massif des voix de la droite sur leur nom. Le cas de Noël Mamère, qui avait bénéficié des voix de droite pour conquérir la mairie de Bègles sous le règne de Mitterrand est un exemple particulièrement intéressant. Je dirais que c’est une constante qui traverse les républiques : le parti perçu – à tort ou à raison – comme représentant le vote populaire trouve contre lui d’étranges alliances… même les gaullistes, qui avaient en leur temps une présence non négligeable dans le vote populaire, en ont été victimes pendant la période de la « troisième force »…
[« Peur du « fascisme » ? Bien sûr que non. » Je pense qu’il y a tout de même une analyse à faire en termes d’inconscients de classe. Ce qui a gagné dimanche dernier, avec la “victoire” du NFP, c’est le principe de plaisir : on va distribuer de l’argent à tout le monde, on va moins travailler, on ne va pas s’occuper des sujets régaliens… Les classes intermédiaires consuméristes ont un comportement fondamentalement adolescent, et je pense qu’il y a une vraie peur du “fascisme” dans le sens, pourrait-on dire, du “retour du père” : davantage de contraintes, de règles, de sérieux…]
C’est une analyse intéressante. C’est d’ailleurs amusant de voir combien l’idéologie tient sa forme des représentations mentales de la classe qui la porte. Le programme du NFP – qui en fait a été très largement influencé par LFI – est, comme vous le dites, un programme « adolescent ». Et lorsqu’on essaye d’approfondir avec des électeurs « de gauche » les raisons pour lesquelles on craint le « fascisme » du RN, on arrive assez vite à retrouver le « retour du père ». C’est flagrant par exemple dans les dizaines d’articles qu’un grand quotidien du soir a consacré à décrire les états d’âme de différentes catégories des classes intermédiaires face au risque d’une arrivée au pouvoir du RN.
[Bien sûr, cela est congruent avec leur intérêt de classe, mais c’est tout de même intéressant à étudier. Cela dit, je me demande comment ces classes réagiraient en cas de choc important sur l’économie et la société. Car si les adolescents s’opposent au père, c’est qu’en réalité ils en ont encore bien besoin. Dans une situation de perte de contrôle de l’État sur le fonctionnement régulier de la société bourgeoise, ces classes intermédiaires ne seraient-elles pas les premières à demander un régime autoritaire ?]
Intéressante question. Peut-être faudrait-il renverser votre raisonnement et regarder comment les adolescents réagissent à une situation de crise, pour déduire quel serait le comportement des « classes adolescentes ». Je ne suis pas spécialiste, mais de ce que j’ai lu il y a chez l’adolescent une dialectique fondamentale, entre la rébellion et la demande d’autorité. Ne serait-ce que parce que la rébellion n’est possible que parce qu’il y a une autorité. Comme disait Lacan, « là où tout est permis, rien n’est subversif ». LFI est largement prisonnier de cette contradiction. On l’a vu dans son comportement à l’Assemblée : plutôt que de chercher à peser sur la réalité, à nouer des alliances pour faire passer des textes, il a préféré le désordre. Son but était de « bordéliser », pas gouverner. Seulement, pour pouvoir « bordéliser », il faut qu’il y ait un ordre.
[Macron doit jubiler. Lui qui se targuait d’avoir envoyé une “grenade dégoupillée” dans les jambes de ses adversaires, il se retrouve de nouveau en position de force malgré son extrême impopularité. Il réussit à sauver plus d’une centaine de députés (soit le 2e groupe à l’Assemblée après celui du RN), le bloc central reste à plus de 150 députés, ce qui est inespéré compte tenu de la conjoncture politique, notamment suite à la déroute des européennes.]
N’exagérons rien. Macron sort de cette affaire totalement isolée. Oui, le « groupe central » a sauvé une centaine de députés. Mais c’est un groupe qui pense ne plus rien devoir au président, et dont plusieurs membres lui gardent une rancune tenace. Même les « macronistes » se sont affranchis de Macron, et vont agir en fonction de leurs propres intérêts. Pas de quoi pavoiser.
[Du côté du NFP, la situation est assez comique : se retrouver avec le pouvoir à portée de main sans l’avoir prévu, ni même espéré, voilà qui est cocasse ! Et puis, si jamais ce Front de bric et de broc arrive à former un gouvernement, j’ai hâte de voir comment ils vont justifier leurs renoncements à l’automne face à Bruxelles et aux marchés financiers. Si le RN joue bien le coup, ils peuvent encore gagner quelques points.]
Oui. Le RN tire largement son épingle du jeu. Il garde une dynamique positive, sans se trouver en position de devoir exercer le pouvoir alors que de toute évidence il n’est pas encore prêt à le faire. Quant au NFP, je pense qu’à part l’objectif commun de sauver les meubles, on peut difficilement le considérer comme un bloc homogène. Du côté socialiste, on veut les postes et les voitures à gyrophare, quitte à gouverner avec le centre et la droite modérée. Côté LFI, je suis de plus en plus persuadé que du côté de LFI on ne veut pas exercer le pouvoir, mais qu’on veut surtout empêcher les autres de gouverner. Mélenchon est convaincu je pense que sa « révolution citoyenne » nécessite une rupture institutionnelle, et que pour pousser une telle rupture il faut rendre le pays ingouvernable, un peu comme en 1958. Peut-être songe-t-il à la chute de la IVème République, et il s’imagine qu’on ira le chercher à Colombey.
[Dans tout ce marasme, j’ai tout de même lu une bonne nouvelle (allez, deux avec le démarrage de l’EPR de Flamanville) : les autonomistes corses sont désespérés par la mise à l’arrêt du processus d’autonomie suite aux élections.]
Pour Flamanville, le champagne est au frais. Pour l’interruption du processus d’autnomie… je crains le pire, c’est-à-dire, un gouvernement faible qui achètera la paix sociale quitte à se déculotter. Par contre, l’implantation croissante du RN, parti national venu de l’extérieur, dans l’île montre peut-être qu’une majorité silencieuse qui craint qu’à force de jouer avec le feu on finisse par distendre les liens avec la métropole commence à se manifester.
Le ‘ fascisme’ comme retour du père dans des classes sociales adolescentes…
C’est très intéressant comme approche. Pas sûr qu’on puisse filer trop longtemps la métaphore, mais ça fait partie des petites fulgurances qui font de ce blog une lecture essentielle !
[Je dirais que c’est une constante qui traverse les républiques : le parti perçu – à tort ou à raison – comme représentant le vote populaire trouve contre lui d’étranges alliances…]
Oui, mais le parti des classes populaires a rarement eu 30% des voix à l’échelle nationale. Je me suis mal exprimé : ce qui est inédit, c’est qu’un seul parti soit en mesure d’avoir une majorité à l’AN, et trouve face à lui tous les autres, et leurs électorats avec.
[je suis de plus en plus persuadé que du côté de LFI on ne veut pas exercer le pouvoir, mais qu’on veut surtout empêcher les autres de gouverner.]
Et du côté du PS, on veut bien gouverner… mais sans LFI manifestement, vu le flop qu’a fait la candidature potentielle d’Huguette Bello. J’ai l’impression que personne n’a réellement envie de mettre en place un gouvernement NFP… pour éviter que les Français ne découvrent que le Roi est nu ?
Heureusement que la séquence se passe en début de période estivale, et qu’il n’y a pas d’urgence à traiter. Les JO arrivent, les Français peuvent se changer un peu les idées, mais si rien ne bouge, la rentrée risque d’être agitée !
Tiens, en parlant de Front populaire, j’ai écouté récemment la série que France Inter a consacrée à Léon Blum : “Une vie héroïque”. Il est vrai qu’il a un parcours assez méconnu, mais d’une densité exceptionnelle, et qu’il a parcouru avec une vraie grandeur politique et morale, de l’affaire Dreyfus à l’opposition à Pétain, en passant bien sûr par la Présidence du Conseil en 1936. Même si l’émission semble trop dithyrambique pour être parfaitement honnête, je me demandais si vous reteniez ce nom comme une grande figure du XXe siècle ? Je ne crois pas vous avoir jamais entendu le citer comme référence. Mais s’il y a un socialiste à sauver, ne serait-ce pas celui-là ?
@ Patriote Albert
[« Je dirais que c’est une constante qui traverse les républiques : le parti perçu – à tort ou à raison – comme représentant le vote populaire trouve contre lui d’étranges alliances… » Oui, mais le parti des classes populaires a rarement eu 30% des voix à l’échelle nationale. Je me suis mal exprimé : ce qui est inédit, c’est qu’un seul parti soit en mesure d’avoir une majorité à l’AN, et trouve face à lui tous les autres, et leurs électorats avec.]
Ok.
[« je suis de plus en plus persuadé que du côté de LFI on ne veut pas exercer le pouvoir, mais qu’on veut surtout empêcher les autres de gouverner. » Et du côté du PS, on veut bien gouverner… mais sans LFI manifestement, vu le flop qu’a fait la candidature potentielle d’Huguette Bello. J’ai l’impression que personne n’a réellement envie de mettre en place un gouvernement NFP… pour éviter que les Français ne découvrent que le Roi est nu ?]
Je ne suis pas sûr. Je pense que les socialistes veulent gouverner, mais sont conscients que le candidat à Matignon proposé par le NFP doit être acceptable pour les macronistes s’ils veulent avoir ne serait-ce qu’une chance minime d’obtenir une majorité ou à minima un nihil obstat. C’est pourquoi ils jouent une partie difficile : ils savent qu’un candidat lié à Mélenchon – et c’est le cas de Bello – n’a aucune chance. LFI, c’est chaque jour plus évident, ne cherche pas à trouver un accord, mais à bordéliser le système pour rendre tout accord impossible.
[Heureusement que la séquence se passe en début de période estivale, et qu’il n’y a pas d’urgence à traiter. Les JO arrivent, les Français peuvent se changer un peu les idées, mais si rien ne bouge, la rentrée risque d’être agitée !]
Le problème va se poser bien avant, parce qu’il faut absolument finir la préparation de la loi de finances. Sans budget, un gouvernement qui arriverait à la rentrée serait dans une situation très difficile, celle de défendre au Parlement puis d’exécuter un budget qu’il n’aurait pas préparé…
[Même si l’émission semble trop dithyrambique pour être parfaitement honnête, je me demandais si vous reteniez ce nom comme une grande figure du XXe siècle ?]
Non, pas vraiment. J’ai du mal à oublier le Blum anticommuniste, qui se réjouit de l’interdiction du PCF, qui soutient le décret Sérol…
[Je ne crois pas vous avoir jamais entendu le citer comme référence. Mais s’il y a un socialiste à sauver, ne serait-ce pas celui-là ?]
Non. J’ai plus de respect pour un Marx Dormoy…
@ Descartes
***Non, pas vraiment. J’ai du mal à oublier le Blum anticommuniste, qui se réjouit de l’interdiction du PCF, qui soutient le décret Sérol…***
Ne pas oublier non plus son comportement peu glorieux en 1936-1939, vis a vis des républicains Espagnols. Mais je crois avoir lu quelque part que lui-même en convenait au soir de sa vie…
Du point de vu du RN, le resultat actuel est plutot une bonne chose.
Deja pendant longtemps, le parti avait des problemes financier (d ou les magouilles avecles deputes europeens) maintenant c est fini. Mieux encore, le RN va apparaitre pour un parti ou on peu faire carriere (etre depute voire ministre). vous allez attirer des gens qui avaient vos idees mais n osaient pas franchir le pas et etre candidat car le prix a payer etait elevé (ostraciser) et le gain nul (aucune perspective de victoire electorale). Vous allez meme attirer des ambitieux pret a tout
Donc vous n aurez plus besoin de presenter des candidats sous curatelle ou incapable de faire une interview sans bourde majeure
Autre point positif, en cas de victoire, soit le RN aurait decu (et donc probleme pour 2027) soit en cas de succes Bardella aurait voulu l elysee. La tout le monde reste a sa place et pas de guerre fratricide
Ma grosse surprise a ete les LR. J ai ete surpris qu un grand nombre ne suive pas Ciotti pour sauver leur siege (a l epoque personne ne donnait cher de leur peau). comme quoi il y a dans ce parti des gens qui semblent avoir des convictions
@ cdg
[Du point de vu du RN, le resultat actuel est plutot une bonne chose.]
C’est certain. Le financement public – calculé, il faut le rappeler, sur le premier tour des législatives – permettra au RN de payer ses dettes et, ce qui est plus important, de financer des véritables permanents, condition sine qua non pour « professionnaliser » l’organisation, si l’on croit Lénine. Je suis moins positif sur votre idée que cela va faire du RN « un parti où l’on peut faire carrière ». Oui, on peut maintenant devenir député, mais pas encore ministre…
Mais surtout, le RN évite de se confronter au devoir de gouverner, alors qu’il n’est de toute évidence pas encore prêt.
[Ma grosse surprise a été les LR. J’ai été surpris qu’un grand nombre ne suive pas Ciotti pour sauver leur siège (à l’époque personne ne donnait cher de leur peau). Comme quoi il y a dans ce parti des gens qui semblent avoir des convictions]
Ou bien des gens qui connaissent leurs électeurs sur le terrain mieux que les commentateurs parisiens…
À Descartes
[En quelques heures, le centre et la droite dite modérée ont appelé à voter pour les partisans du SMIC à 1600 €, de l’abrogation de la réforme des retraites, qu’ils qualifiaient quelques jours auparavant d’antisémites. Et leurs électeurs les ont largement suivis.]
Mais ils ont été beaucoup moins obéis que la gauche appelant à voter pour cette droite.
https://elucid.media/analyse-graphique/legislatives-2024-la-farce-democratique-continue?mc_ts=crises
“Concernant les reports de voix au second tour, on observe que la gauche s’est largement reportée sur des candidats de droite, à plus de 70 %. En revanche, les électeurs macronistes se sont bien plus souvent repliés vers l’abstention, voire le vote RN (environ 20 %). Il faut noter qu’environ 50 % ont néanmoins voté à gauche. En revanche, les électeurs LR, s’ils préfèrent Ensemble au RN, ont clairement fait barrage à la gauche, 35 % préférant le RN, contre 25 % à 30 % préférant la gauche.”
le “bloc dominant” n’est pas si homogène.
@ Geo
[Mais ils ont été beaucoup moins obéis que la gauche appelant à voter pour cette droite.]
Les reports de voix ne sont jamais parfaits. Il faut les comparer avec les reports de voix “ordinaires”. Qui déjà montrent cette anomalie. Ainsi, les voix communistes se reportaient historiquement vers les candidats socialistes en bien plus grande proportion que l’inverse.
@Descartes
[La chose pourrait aboutir à la même configuration qu’en 1936 – un gouvernement des socialistes et des centristes avec un soutien sans participation de la gauche radicale – mais pas du tout pour les mêmes raisons.]
La même configuration ? Je trouve cela un peu audacieux d’assimiler LFI au PCF sous le vocable « gauche radicale » ou les socialistes de 1936 à ceux de 2024…
En effet, ce ne serait pas pour les mêmes raisons, mais l’important est ici que le résultat final soit le même puisque vous affirmiez « Si LFI est « tenu à l’écart », alors on ne peut parler d’un gouvernement commun Ensemble-NFP ». Eh bien, il me semble que l’on peut parler d’un gouvernement Front populaire même si le PCF est tenu à l’écart, et donc on pourra parler de gouvernement NFP-Renaissance même si LFI est tenu à l’écart du moment qu’elle accorde son abstention.
J’admet que je me fais l’avocat du diable car je conçois bien ce que vous expliquiez, à savoir que l’attitude actuelle de LFI est très distincte, opposée même à celle du PCF de l’époque. Donc si l’attitude de l’élément le plus extrémiste de la coalition change (d’autant plus que dans les deux cas, il s’agit de l’élément initiateur de ladite coalition), cela change la configuration finale.
[Or, je n’ai pas trouvé de traces d’une telle situation avant 1914. Pourriez-vous donner un exemple ?]
Je crois bien m’être trompé. Il y a effectivement « front républicain » entre des partis qui n’ont aucunement l’intention de gouverner ensemble : par exemple, en 1898, les socialistes révolutionnaires de Guesde et Vaillant soutiennent les socialistes réformistes, les radicaux voire les modérés au 2d tour mais se placent dans l’opposition une fois l’élection passée. Cela dit, cela n’empêche jamais une majorité de se former avec des partis ayant l’intention de gouverner ensemble : quasiment toutes les élections donnent une majorité à la seule coalition des radicaux et de l’Alliance démocratique, et, dans le cas qui de mémoire me semblait le mieux correspondre à ce que j’évoquais (la période 1894-1898), les modérés ont bien constitué une majorité à eux tous seuls sans avoir besoin d’alliés plus à gauche. Dont acte, j’ai raconté n’importe quoi…
De toutes manières, je me suis rendu compte, après relecture de la liste que je vous avais soumise, que presque aucune de ces créations ne sont d’initiative gouvernementale mais plus souvent de parlementaires.
[Ce n’est pas ça que j’ai dit. En fait, ni la SFIO ni les Radicaux n’était pressés de s’unir « contre le fascisme ». C’est le PCF qui a bâti l’union, a instances de l’IC.]
Oui, je suis aussi convaincu que la victoire d’Hitler et la menace qu’il s’est mis à représenter en Europe, en particulier à l’encontre de l’URSS, a constitué l’élément central qui a fait changer la ligne de l’IC et du PCF, lequel est effectivement l’élément moteur.
Mais cela n’explique pas pourquoi les radicaux et les socialistes ont mis au rancart l’anticommunisme de la majorité de leur appareil pour accepter cette alliance. Je ne connais pas suffisamment bien l’histoire du Parti radical, mais dans la SFIO les partisans de l’unité avec le PCF avant 1934 ne représentaient qu’au mieux un quart ou un tiers du parti et n’ont jamais pu obtenir de concession du secrétariat général sur ce point. Pourquoi les paul-fauristes du secrétariat général ont-ils changé leur fusil d’épaule du jour au lendemain ? On dit qu’ils étaient sous la pression des unitaires (La Bataille socialiste) qui menaçait de voir ses effectifs exploser…mais pourquoi les unitaires ont-ils attiré autant de socialistes du jour au lendemain ? Vu que cette tendance unitaire a éclaté en 1938 entre « pacifistes » et « bellicistes », je ne pense pas que ce soit la menace hitlérienne qui est en cause. Il me semble vraisemblable de penser que c’est la crainte fantasmée d’un coup d’Etat fasciste en France (donc que ne se reproduise en France ce qui s’était produit en Allemagne) qui a motivé la base des socialistes et des radicaux à se rallier à une position unitaire.
[en tout cas, c’est la première fois depuis longtemps que j’ai quelque chose de positif à dire des trotskystes…]
Sur le point du nucléaire, j’ai toujours connu les militants LO plutôt favorables à l’énergie nucléaire.
Si vous voulez encore dire des choses positives sur eux, je pense que vous pouvez vous intéresser au seul député trotskyste de France, le député POI Jérôme Legavre, qui est, je crois, sur une position qui devrait vous convenir au sujet de l’Ukraine et de la Russie.
Et puis, jamais rien de positif sur les trotskystes ? Je suis pourtant persuadé d’avoir lu des éloges de Kuzmanovic de votre part, or « trotskyste un jour, trotskyste toujours » n’est-ce pas ?
[L’idée d’un groupe réunissant communistes, écologistes, ultramarins et « dissidents » de tous poils m’effraie. Comment garder une ligne claire dans ce contexte ?]
Il y a un intérêt stratégique à avoir un groupe parlementaire qu’on ne peut pas négliger et qui peut justifier certaines concessions. Ici, la ligne rouge me semble être la participation des écologistes : s’il s’agit de l’ensemble des députés EELV et non de certains écologistes en particulier, alors cela noierait complètement les autres éléments dans le groupe qui perdraient tout l’avantage qu’il y a à avoir un groupe autonome. Les dissidents LFI sont moins nombreux et certains, comme Ruffin ou Bex, défendent une ligne qui peut être proche de celle du PCF, donc il serait plus facile pour les députés communistes d’assurer un certain équilibre s’ils se coalisent uniquement avec les « dissidents ». De plus, l’intérêt de ce groupe autonome serait aussi de créer un point d’appui pour les députés LFI qui voudraient développer des positions critiques à l’encontre de la ligne Mélenchon, et il me semble justement que le groupe LFI risque s’annoncer fort instable…
@ Goupil
[« La chose pourrait aboutir à la même configuration qu’en 1936 – un gouvernement des socialistes et des centristes avec un soutien sans participation de la gauche radicale – mais pas du tout pour les mêmes raisons. » La même configuration ? Je trouve cela un peu audacieux d’assimiler LFI au PCF sous le vocable « gauche radicale » ou les socialistes de 1936 à ceux de 2024…]
Vous avez raison de me reprendre. Je pensais à la « même configuration » en termes formels. Ni LFI ne ressemble au PCF, ni le PS n’est la SFIO. En 1936, le PCF et la SFIO se partageaient la représentation de la classe ouvrière, alors que le parti radical représentait plutôt la France des notables ruraux et des classes intermédiaires. Aujourd’hui, l’ensemble des partis qui constituent la NFP représentent essentiellement les classes intermédiaires… On notera aussi qu’en 1936 le PCF était prêt à mettre de l’eau dans son vin pour que l’expérience réussisse, alors qu’en 2024 LFI est dans une logique « tout ou rien ».
[Mais cela n’explique pas pourquoi les radicaux et les socialistes ont mis au rancart l’anticommunisme de la majorité de leur appareil pour accepter cette alliance.]
Peut-être parce que cela leur offrait le pouvoir sans pour autant accorder au PCF un quelconque pouvoir formel, puisqu’il ne participait pas au gouvernement.
[Je ne connais pas suffisamment bien l’histoire du Parti radical, mais dans la SFIO les partisans de l’unité avec le PCF avant 1934 ne représentaient qu’au mieux un quart ou un tiers du parti et n’ont jamais pu obtenir de concession du secrétariat général sur ce point. Pourquoi les paul-fauristes du secrétariat général ont-ils changé leur fusil d’épaule du jour au lendemain ? On dit qu’ils étaient sous la pression des unitaires (La Bataille socialiste) qui menaçait de voir ses effectifs exploser…mais pourquoi les unitaires ont-ils attiré autant de socialistes du jour au lendemain ? Vu que cette tendance unitaire a éclaté en 1938 entre « pacifistes » et « bellicistes », je ne pense pas que ce soit la menace hitlérienne qui est en cause. Il me semble vraisemblable de penser que c’est la crainte fantasmée d’un coup d’Etat fasciste en France (donc que ne se reproduise en France ce qui s’était produit en Allemagne) qui a motivé la base des socialistes et des radicaux à se rallier à une position unitaire.]
Je ne suis qu’à moitié convaincu. Je pense plutôt que c’était l’attrait d’une alliance qui permettait aux socialistes d’arriver au gouvernement – pour la première fois de leur histoire – sans pour autan faire quelque concession que ce soit au PCF. Quant aux radicaux, le PCF avait œuvré pour que le programme de Front Populaire soit assez peu « révolutionnaire » pour pouvoir être acceptable pour eux. Car il faut rappeler que le programme du Front était relativement inoffensif, et qu’un grand nombre de conquêtes ont été accordées sous pression de la rue, et ne figuraient pas dans ce programme.
[Si vous voulez encore dire des choses positives sur eux, je pense que vous pouvez vous intéresser au seul député trotskyste de France, le député POI Jérôme Legavre, qui est, je crois, sur une position qui devrait vous convenir au sujet de l’Ukraine et de la Russie.]
Pas vraiment. Certes, comme moi il refuse la vision victimiste d’une Ukraine attaquée sans raison par des méchants Russes. Mais son refus de l’aide à l’Ukraine s’appuie sur l’idée que Zelensky est “comme Poutine” et ne représente pas “la démocratie et la liberté”, ayant “suspendu les élections et promulgué l’état d’urgence suspendant les libertés publiques”. Ce n’est pas du tout là ma position.
Et puis, jamais rien de positif sur les trotskystes ? Je suis pourtant persuadé d’avoir lu des éloges de Kuzmanovic de votre part, or « trotskyste un jour, trotskyste toujours » n’est-ce pas ?
[« L’idée d’un groupe réunissant communistes, écologistes, ultramarins et « dissidents » de tous poils m’effraie. Comment garder une ligne claire dans ce contexte ? » Il y a un intérêt stratégique à avoir un groupe parlementaire qu’on ne peut pas négliger et qui peut justifier certaines concessions.]
Dans ce cas, on forme un « groupe technique », en laissant bien clair dès le départ qu’il y aura liberté de vote pour ses membres, que chaque « sous-groupe » aura une co-présidence, et que les fonctions seront distribuées par consensus.
[Ici, la ligne rouge me semble être la participation des écologistes : s’il s’agit de l’ensemble des députés EELV et non de certains écologistes en particulier, alors cela noierait complètement les autres éléments dans le groupe qui perdraient tout l’avantage qu’il y a à avoir un groupe autonome.]
Exact.
[Les dissidents LFI sont moins nombreux et certains, comme Ruffin ou Bex, défendent une ligne qui peut être proche de celle du PCF, donc il serait plus facile pour les députés communistes d’assurer un certain équilibre s’ils se coalisent uniquement avec les « dissidents ».]
Oui, mais accepter ces députés ce serait créer un « casus belli » avec LFI… le PCF peut-il se le permettre alors que les municipales s’annoncent ?
@ Descartes
[Mais son refus de l’aide à l’Ukraine s’appuie sur l’idée que Zelensky est “comme Poutine” et ne représente pas “la démocratie et la liberté”, ayant “suspendu les élections et promulgué l’état d’urgence suspendant les libertés publiques”. Ce n’est pas du tout là ma position.]
Pourriez-vous nous rappeler votre position sur ce sujet ?
@ Bob
[Pourriez-vous nous rappeler votre position sur ce sujet ?]
Ma position ? Je pense que la guerre en Ukraine est le résultat d’une stratégie américaine d’encerclement de la Russie, avec l’adhésion successivement de tous les pays voisins de la Russie au système OTAN/UE, par la force si nécessaire. Devant cette stratégie, la Russie avait depuis longtemps tracé ses “lignes rouges”, et en particulier le fait que l’adhésion de l’Ukraine serait un “casus belli”. Le système OTAN/UE a franchi la “ligne rouge”, la Russie ne pouvait que faire la guerre, sous peine de perdre toute crédibilité.
A partir de là, la stratégie de la France doit être guidée par ses intérêts. Il n’est pas de notre intérêt d’avoir un monde unipolaire dominé par les Américains. Nous avons au contraire intérêt à un monde multipolaire, qui nous permettrait à nous, puissance intermédiaire, de jouer notre jeu. Il est donc de notre intérêt que la Russie ne perde pas la guerre, et que le conflit se termine par la neutralisation de l’Ukraine. C’est à ce résultat qu’il nous faudrait travailler.
Bonjour
[La grande peur a tout balayé sur son passage. On croyait que sept ans de brutalité macroniste avait creusé un fossé infranchissable avec la gauche. Que jamais les candidats de gauche ne se désisteraient, que jamais les électeurs de gauche ne voteraient … ]
Mais justement, électeurs comme candidats avaient anticipé que leurs partis, unis contre le RN, ne s’entendraient pas ensuite. Les gens de gauche ont voté “tout sauf RN”, et pas pour Macron. Les macronistes et autres gens de droite ont voté “tout sauf RN”, et pas pour le NFP. Les électeurs n’ont donc pas été si contradictoires que ça, et n’ont pas forcément laissé leur convictions au vestiaire.
Ce qui est aberrant il me semble c’est d’une part de s’allier sans souhaiter ensuite gouverner ensemble. Et d’autre part que les différents partis considèrent les députés élus comme « les leurs ». Tout cela me semble un détournement du système électoral. Le désistement entre les deux tous devrait entraîner l’appartenance à une même majorité, mais je vois mal comment aboutir à ce résultat…
Peut-être ce blocage va-t-il entraîner une remise en cause du mode de scrutin ? Par exemple vers un système à l’anglaise, dans lequel, si je comprends bien, « the winner takes all » ? Mais comme ça reviendrait à donner les clés d’un prochain gouvernement au RN…
@ tmn
[Mais justement, électeurs comme candidats avaient anticipé que leurs partis, unis contre le RN, ne s’entendraient pas ensuite. Les gens de gauche ont voté “tout sauf RN”, et pas pour Macron. Les macronistes et autres gens de droite ont voté “tout sauf RN”, et pas pour le NFP. Les électeurs n’ont donc pas été si contradictoires que ça, et n’ont pas forcément laissé leur convictions au vestiaire.]
Faut savoir. Si la conviction des électeurs est « tout sauf le RN » dans les urnes, cette conviction devrait se refléter dans le comportement des élus dans l’Assemblée, qui devraient soutenir un gouvernement « tout sauf le RN » sous peine d’être sanctionnés par l’opinion. Or, il est clair que les élus ne sont nullement disposés à composer un gouvernement comprenant toutes les composantes élues grâce au « tout sauf le RN », et on ne voit aucune sanction pointer à l’horizon…
[Ce qui est aberrant il me semble c’est d’une part de s’allier sans souhaiter ensuite gouverner ensemble.]
C’était exactement mon point.
[Peut-être ce blocage va-t-il entraîner une remise en cause du mode de scrutin ? Par exemple vers un système à l’anglaise, dans lequel, si je comprends bien, « the winner takes all » ? Mais comme ça reviendrait à donner les clés d’un prochain gouvernement au RN…]
Je pense que c’est une illusion de croire que le système électoral ou la reforme constitutionnelle pourrait résoudre un problème qui est fondamentalement politique, celui de la scission entre le bloc dominant et les couches populaires. Le système anglais n’aurait pas forcément arrangé les choses : le système « first pass the post » (scrutin uninominal de circonscription à un tour) pousse irrésistiblement au bipartisme, et donc au fait que les différences politiques au sein de la gauche ou de la droite ne se résolvent pas dans les urnes, mais dans les luttes d’appareil. Pensez aux luttes entre les pro- et anti-Brexit au sein du parti conservateur, ou bien entre les gauchistes de Corbyn et les centristes de Starmer chez les travaillistes…
“Résoudre un problème qui est fondamentalement politique, celui de la scission entre le bloc dominant et les couches populaires“C’est à mon avis, ce qui fait que le nouveau front populaire n’a rien à voir avec le Front populaire de 36.Une anecdote familiale du 14 Juillet 1936 :
Deux villages distants d’un kilomètre, une seule gare à 25 bornes au Nord de Paris.Deux usines une de tréfilerie, une d’orfèvrerie produisant les couverts en métal argenté, alors très répandus.
Des ouvriers en grève en Juin, occupation de l’usine (j’ai la photo) augmentations, congés de quinze jours un soulagement, une joie, la fête au village :bal, manège, bistrot sur la place. Tout le monde à la tombée de la nuit part en cortège quittant la fête poings levés et va tourner autour du château du Comte qui était en 35 toujours le maire et a “une chapelle privilégiée au nom de sa famille dans l’église du village, mais qui est remplacé par un gars de l’usine .
Le slogan : “Blum, Blum, Blum” tout du long, en rythme ternaire jusqu’à la mi-nuit et retour pour danser.Il y avait l’arrière grand-mère née en Bretagne en 1855, la grand- mère veuve avec trois enfants, née en 1878, ma mère de dix-huit ans les neveux de trois ans et celui de quelques mois dans le landau.
Pas un slogan “politique”, pas de discussion sur le premier ministre, mais un son, un martelage de syllabes “Blum, Blum, Blum” ,ce que vous appeliez ici une fois un “réflexe” populaire. Tout le village, toutes les usines. Dans la joie, la rigolade, le pied de nez aux “élites” et aux privilèges. Vous parliez l’autre jour du chant “Ma blonde entends-tu dans la ville”… Cet espoir était très politique, les Partis étaient respectés, finalement le “Blum, Blum, Blum” était très politique et subversif.Le nouveau front populaire ne produit aucun “réflexe”, une passivité, aucun mouvement pour défendre quoique ce soit sauf des postes.
Les gens se sont mobilisés dans le vote.Maintenant on discute ,on freine, on cherche des concepts …Un qui est à la mode: Transfuge de classe . J’en suis une si être agrégée de l’université veut dire cela, mais je continue à avoir des “réflexes” “ouvriéristes” et je ne m’y reconnais plus.
@ Baruch
[“Résoudre un problème qui est fondamentalement politique, celui de la scission entre le bloc dominant et les couches populaires“ C’est à mon avis, ce qui fait que le nouveau front populaire n’a rien à voir avec le Front populaire de 36.]
Exactement mon point. En 1936, le Front Populaire représentait une large coalition des couches populaires et des classes intermédiaires. En 2024, il y a une scission entre ces deux groupes, et les classes intermédiaires sont plutôt en coalition avec la bourgeoisie.
[Pas un slogan “politique”, pas de discussion sur le premier ministre, mais un son, un martelage de syllabes “Blum, Blum, Blum” ,ce que vous appeliez ici une fois un “réflexe” populaire. Tout le village, toutes les usines. Dans la joie, la rigolade, le pied de nez aux “élites” et aux privilèges.]
Pas aux « élites », justement. Le mouvement de 1936 n’est pas « anti-élites », il reste au contraire méritocratique. Ce qu’il rejette, ce sont les « élites de naissance », personnifiées par le Comte dans votre souvenir familial. Mais il n’y a aucune animosité contre les élites légitimées par le mérite. Je ne sais pas si vous avez regardé ce film de Jean Renoir, « La vie est à nous », film de propagande commandé par le PCF. Parmi les « opprimés » qu’il met en scène et qui ont tout à gagner en votant pour le Front Populaire, on trouve… un ingénieur Supéléc !
[Vous parliez l’autre jour du chant “Ma blonde entends-tu dans la ville”… Cet espoir était très politique, les Partis étaient respectés, finalement le “Blum, Blum, Blum” était très politique et subversif. Le nouveau front populaire ne produit aucun “réflexe”, une passivité, aucun mouvement pour défendre quoique ce soit sauf des postes.]
Tout à fait : c’est un mouvement très politique sans pour autant être politicard. L’important n’est pas tant la répartition des postes et des carrières, mais de « changer la vie ». C’est particulièrement manifeste pour le PCF, qui compte sur ses militants plus que sur des ministres pour faire avancer ses revendications.
[Maintenant on discute, on freine, on cherche des concepts …Un qui est à la mode: Transfuge de classe . J’en suis une si être agrégée de l’université veut dire cela, mais je continue à avoir des “réflexes” “ouvriéristes” et je ne m’y reconnais plus.]
Je ne sais pas si on parle encore aujourd’hui de « traître de classe ». Le terme de « classe » est devenu tabou à gauche. Certains – je pense même à LFI – ont théorisé la disparition de la lutte des classes, remplacé par la confrontation « peuple vs. oligarchie ». Mais il est tristement apparent que le débat à gauche et un débat pour des postes, et non sur des projets. Les socialistes veulent Faure premier ministre, LFI voudrait Bompard, Panot ou pourquoi pas Mélenchon. Le NFP s’étripe sur ça, sans qu’on se pose la question du « pour quoi faire »…
(En réponse @Descartes @Cording1)
[Pourriez-vous être plus précis ? Quelles étaient les « instructions de son gouvernement », et en quoi Voynet les a-t-elles « trahies » ?]
Je pense que Cording1 fait référence à ceci:
https://www.liberation.fr/checknews/dominique-voynet-a-t-elle-avoue-avoir-saborde-le-nucleaire-francais-lors-dune-negociation-a-bruxelles-en-2000-20221215_ZHH4VFKNFBC6PKQZPZ4QU4FE6Y/
Extrait choisi (suivi d’une longue recontextualisation par Libé pour minimiser la chose):
Dominique Voynet raconte, sourire aux lèvres : «Au moment où nous définissions pour la première fois les technologies qui pourraient être utilisées dans le cadre des mécanismes du développement propre, j’avais reçu mandat de tout faire pour que le nucléaire ne soit pas exclu de cette liste. J’étais donc partie à Bruxelles en traînant un peu les pieds et je rencontre mon homologue anglais qui me dit avoir le même mandat. Le tour de table commence et on était les deux seuls Etats à ne pas pouvoir se rallier à une position fermement antinucléaire. Suspension de séance… Nous avons convenu d’appeler nos gouvernements à Londres et à Paris. J’appelle Paris et j’explique à Matignon que je suis désolée mais que le Britannique est en train de lâcher et que je vais me retrouver isolée, ce que déteste la France : être isolée en Europe, c’est impossible… On est revenus hilares l’un et l’autre, avec un grand soulagement, car nous avons eu la consigne de tout faire pour ne pas être isolés et nous avons pu annoncer que finalement nous pouvions nous rallier à la position commune. Je suis rentrée à Paris très contente que le nucléaire ne fasse pas partie des technologies retenues au titre des mécanismes du développement propre. Et le Premier ministre ne m’a pas fait de compliments particuliers sur ce coup-là, c’est sûr.»
@ Un Belge
[“Pourriez-vous être plus précis ? Quelles étaient les « instructions de son gouvernement », et en quoi Voynet les a-t-elles « trahies » ?” Je pense que Cording1 fait référence à ceci: (…)]
Ah ok. Je pense que dans cette affaire Voynet s’invente un rôle de “rebelle” qui ne correspond que de très loin à la réalité. Je ne pense pas que Jospin ait eu un instant le projet d’aller au clash avec les Allemands sur la question nucléaire, et à partir de là les jeux étaient faits. Voynet s’invente à mon avis des directives qui n’ont jamais existé.
@ Descartes
(je poursuis ici notre conversation faute de pouvoir répondre dans le fil de discussion)
[Et alors ? Si en plus il avait reçu la plus-value extraite sur son travail, son gain aurait été encore plus important.]
Le libre échange (et la libre circulation des capitaux) n’étant pas compatible avec un mode de production communiste nationalisé, c’est fromage ou dessert: ou le travailleur touche la plus value extraite de son travail, ou il touche les bénéfices de la délocalisation par l’intermédiaire de son impact sur les prix dans la consommation. Si pour une majorité des prolétaires, la baisse de prix des biens consommables est supérieure au montant de la plus-value prélevée sur leur travail, alors le libre-échange devient attractif (à court terme) pour cette classe sociale.
Je pense d’ailleurs que c’est précisément ce phénomène qui a entraîné la disparition de la conscience de classe chez les travailleurs, entre ceux dont l’emploi n’est pas délocalisable, et ceux qui vivent avec l’épée de Damoclès de la délocalisation au-dessus de la tête.
[Par ailleurs, j’attends toujours qu’on m’explique en quoi le libre-échange a augmente globalement le niveau de vie des travailleurs français.]
Globalement, sûrement pas, mais il suffit qu’il ait augmenté le niveau de vie d’une majorité des travailleurs français pendant un temps donné pour que le vote des travailleurs en faveur du libre-échange puisse être interprété autrement que par l’aliénation. Attention, je ne dis pas que c’est un bon calcul, ni que je le cautionne, mais il me semble que cette hypothèse est très probable.
[D’abord, il faudrait se demander pourquoi la deuxième famille choisit de laisser un pourcentage de sa pêche plutôt que de construire elle aussi une barque]
Il peut y avoir des explications multiples: manque de savoir-faire, choix d’investir sa force de travail dans d’autres réalisations, doutes sur la pertinence du projet..
[Mais plus fondamentalement, cela dépend du pourcentage. Parce que la barque, c’est de la valeur produite par du travail, et il est normal que ce travail soit rémunéré. Autrement dit, s’il a pris à un homme cent heures de travail de fabriquer la barque, il est « moral » qu’il reçoive, de ceux qui l’utilisent pour pêcher, l’équivalent de cent heures passées à pêcher. Mais pourquoi serait-il « moral » de recevoir plus ?]
Avant de répondre, j’ai besoin de vous demander une précision pour comprendre votre raisonnement: quel sera le statut de la barque une fois que ceux qui l’utilisent ont donné “100h de travail*” à son constructeur et actuel propriétaire ?
En aparté, l’estimation de la valeur-travail me semble très délicate: par exemple, dans la fabrication d’une barque par un menuisier, il n’y a pas que le temps passé à la confection de la barque. Il y a le temps passé à étudier, à apprendre le métier et les gestes, l’expérience acquise lors de précédentes réalisations, qui représentent également de nombreuses heures de travail sans lesquelles la barque n’aurait pas vu le jour sous cette forme. C’est d’ailleurs ce qui fait qu’une barque de menuisier aura une “valeur-travail” intrinsèque bien plus élevée qu’un rafiot bricolé par un novice, quand bien même ce dernier aurait passé le même nombre d’heures à la confection proprement dite. Sans prendre en compte cet aspect, le concept de valeur-travail me semble absurde.
Le problème c’est que du fait de la difficulté à estimer la “valeur-travail”, il est impossible d’utiliser ce concept dans le cadre de l’économie concrète, pour donner un prix aux choses. On n’achète pas des biens avec de la “valeur-travail”, on échange contre d’autres biens ou contre la possibilité d’acheter d’autres biens.
[Mais pourquoi limitez-vous la question au capital ? En quoi est-il légitime que je bénéficie de l’argent épargné par mon père, de la maison construite par mon père, de la voiture achetée par mon père ? Seulement parce que je me suis donné la peine de naître ? Votre raisonnement conduit à contester la légitimité de l’héritage EN GENERAL, et pas seulement celle du capital. Et pas seulement l’héritage : c’est la transmission en son ensemble qui est en jeu.]
Vous avez raison, et je ne limite en rien la question au capital. Cependant je dois préciser que c’est uniquement la transmission privée qui est en jeu. Ce qui n’empêche nullement que l’Etat assure la transmission du capital culturel et matériel à ses citoyens.
[Vous admettez donc le droit du capitaliste à exploiter le travail humain pourvu qu’il ait accumulé le capital lui-même. C’est déjà la moitié de l’idéologie dominante lol…]
Tout à fait. Pourquoi Lol ?
[Vous voyez bien qu’il y a là une contradiction. S’il est légitime de pouvoir transmettre son patrimoine à ses enfants, il est par conséquent légitime pour les enfants de recevoir ce patrimoine. Vous ne pouvez pas avoir la légitimité d’un côté et pas de l’autre. En fait, la question de la légitimité ne se pose pas d’un côté ou de l’autre, c’est la légitimité du processus de transmission qu’il vous faut examiner.]
Évidemment il y a contradiction. “Antigone a raison mais Créon n’a pas tort”. En tant que père, il est naturel de se sentir obligé envers ses enfants, en particulier obligé de leur transmettre de quoi traverser la vie dans les meilleures conditions possibles. En tant que fils adulte, autonome et installé, est-il légitime de recevoir en héritage à la mort de ses parents un patrimoine du seul fait de sa naissance il y a plusieurs décennies de cela ?
[Or, le processus de transmission a une légitimité anthropologique incontestable. A quoi bon avoir des enfants, si nous ne pouvons rien leur transmettre ?]
Il y a d’autres modes de transmission que la transmission privée. Par ailleurs vous noterez que dans les périodes où l’école républicaine rebattait les cartes de la transmission du capital immatériel bien plus largement qu’aujourd’hui, où la république combattait les traditions rétrogrades à bras raccourci, la natalité ne s’est pas effondrée du fait que la transmission culturelle privée était entravée, au contraire. En revanche, aujourd’hui, dans les couches sociales où l’on se bat corps et âme contre le partage du capital matériel et immatériel avec le reste de la population, la natalité s’effondre…
[Il est drôle que vous considériez la question seulement du côté du constructeur de la barque, et non du côté du pêcheur tenu à lui payer un « loyer » pour pouvoir l’utiliser… ]
Et bien, le pêcheur a pour lui d’autres alternatives: il peut choisir de construire sa propre barque, ou de pêcher à pied, ou de proposer au propriétaire de la barque de la lui racheter, en négociant son prix non pas en fonction de la valeur-travail de la barque, mais en fonction d’un rapport de force: si le détenteur du capital barque ne sait pas pêcher et que le poisson est sa seule nourriture, l’affaire sera vite entendue, et je n’y vois rien de mal.
[Non, la question n’est pas « d’abolir la propriété privée », mais au contraire, de la rétablir, en posant comme principe que tout travailleur est propriétaire de l’intégralité de la valeur que son travail produit. Autrement dit, le travailleur qui construit la barque mérite de voir son travail – et seulement son travail – rémunéré de la valeur qu’il a produit, et le pêcheur qui utilise la barque mérite de voir son travail rémunéré à hauteur de la valeur produite.]
Je ne suis pas d’accord.
Notre point de désaccord tient en ce que pour vous “la valeur que son travail produit” se mesure en termes de valeur-travail, alors que pour moi cette notion n’a pas de sens économique.
Prenez deux pêcheurs qui partent 24 heures en mer. L’un ramène une tonne de poissons, l’autre essuie un grain, perd son filet dans les récifs et revient avec une sardine. Selon le concept de valeur-travail, il y a équivalence de valeur entre la tonne de poissons et la sardine du pêcheur malheureux.
La seule manière de résoudre ce paradoxe absurde est de raisonner par moyenne: 48h de travail ont permis de pêcher une tonne de poisson et une sardine. Pour rester cohérent, il faut en plus établir que l’ensemble de la pêche doit être répartie entre les pêcheurs au pro-rata du temps de travail, ce qui implique un renoncement du premier pêcheur à la pleine propriété du fruit de son travail.
Appliquer la notion de valeur-travail à l’économie réelle implique donc forcément une mise en commun de la production, et donc un renoncement du premier pêcheur à toucher l’intégralité du fruit CONCRET de son travail.
[Les enfants qui ont des parents cultivés et passent leur enfance parmi les livres sont privilégiés par rapport à ceux qui ont des parents analphabètes. Comment faites-vous pour « rebattre les cartes » ?]
Par l’école. Et on l’a déjà fait. Péguy, Camus..
[Mais encore une fois, le communisme n’implique nullement l’abolition de la propriété privée, au contraire… il s’agit de mettre fin au mécanisme par lequel le capitaliste porte atteinte à la propriété du travailleur sur la valeur produite… Marx ne parle jamais « d’abolir la propriété privée », mais « d’abolir la propriété privée des moyens de production et d’échange ». Ce n’est pas du tout la même chose. Pour cela, point n’est besoin d’une entité toute puissance qui se mêle de la sphère privée.]
Vous n’avez peut-être rien contre l’agrégation du patrimoine et de la culture entre les mains d’une oligarchie (c’est déjà la moitié de l’idéologie dominante, lol) mais elle me dérange largement plus que la propriété privée des moyens de production et d’échange, si celle-ci est suffisamment régulée par l’Etat.
[Mais à supposer même que le capital permette « d’optimiser la production de valeur », en quoi cela justifierait qu’il soit rémunéré ?]
Dans un système où les moyens de productions sont privés, c’est une évidence: imaginons que je possède une barque. Et que vous soyez pêcheur. Si ce capital n’a plus à être rémunéré, quel est mon intérêt à le mettre à votre disposition ? Aucun. Qu’est-ce qui justifierait que je ne la laisse pourrir au port ? Pour pérenniser le capital, il faudra que vous me le rachetiez. Pour une barque, ça va, c’est assez simple. Pour une acierie en revanche.. Mais nous rentrons là dans un autre rapport de force: sans ma barque, vous ne travaillez plus. Sans vos bras, ma barque perd sa valeur d’usage. Dans ce cas, la pénurie des moyens de production joue en ma faveur, puisqu’elle renchérit la valeur d’échange de la barque.
[Quelle serait la rémunération « légitime » ? Serait-il normal que celui qui a investi disons cent heures de travail pour construire la barque soit rémunéré à vie d’une partie des prises des pêcheurs qui l’utilisent ? Qu’il reçoive in fine le produit de milliers d’heures de pêche ? Non, bien sur que non. Donc, on revient au fait qu’il est légitime que le constructeur de la barque soit payé pour son TRAVAIL, mais PAS pour la soi-disant « optimisation » que la barque apporterait]
Je ne vois pas le problème à partir du moment où le “loyer” est librement consenti, et où chacun est libre de construire sa barque, ou de faire autre chose. Autrement dit dans un système où le salarié n’est pas écrasé dans le rapport de force face au capital. L’alternative étant que l’ouvrier soit propriétaire de son outil de travail, ou que l’Etat en soit propriétaire.. Dans la première hypothèse, encore une fois pour une barque ça va, mais pour des montants de capitaux de type industriel qui se chiffrent très vite à plusieurs millions par poste de travail, ça pose évidemment un problème. Et pour la deuxième hypothèse, je n’ai rien contre les nationalisations, mais je trouverais idiot que l’état ne prélève pas une plusvalue pour financer d’autres projets. Autrement dit, je ne pense pas que nationalisation et capitalisme soient antagonistes.
@ P2R
[« Et alors ? Si en plus il avait reçu la plus-value extraite sur son travail, son gain aurait été encore plus important. » Le libre-échange (et la libre circulation des capitaux) n’étant pas compatible avec un mode de production communiste nationalisé,]
D’abord, un mode de production « communiste » n’implique nullement une « nationalisation » de l’ensemble du capital. Le mode de production communiste repose sur la « SOCIALISATION des grands moyens de production et d’échange », mais il y a d’autres modes de « socialisation » qui ne passent pas par la nationalisation (pensez, pour ne donner qu’un exemple, au coopérativisme). Ensuite, le « libre-échange » est parfaitement possible avec des entreprises nationalisées. Ainsi, par exemple, on échangeait de l’électricité entre les producteurs européens nationalisés bien avant l’ouverture du marché de l’électricité. ELF Aquitaine exportait son capital et pratiquait le libre-échange bien avant sa nationalisation…
[c’est fromage ou dessert: ou le travailleur touche la plus-value extraite de son travail, ou il touche les bénéfices de la délocalisation par l’intermédiaire de son impact sur les prix dans la consommation.]
Cette affirmation demande à minima une démonstration… parce que, franchement, je ne vois pas le pourquoi. Imaginons un système où toute entreprise est une coopérative. Le libre échange entre ces coopératives feront baisser les prix (car le principe des avantage comparatifs ne fait nullement intervenir le statut des entreprises productrices) et les travailleurs touchent l’intégralité de la valeur produite…
[« D’abord, il faudrait se demander pourquoi la deuxième famille choisit de laisser un pourcentage de sa pêche plutôt que de construire elle aussi une barque » Il peut y avoir des explications multiples: manque de savoir-faire, choix d’investir sa force de travail dans d’autres réalisations, doutes sur la pertinence du projet..]
Pardon, mais si vous supposez un « manque de savoir-faire », alors vous faites référence à un capital préexistant, dont dispose une des familles et pas l’autre. Il n’y a donc plus symétrie entre les deux, et la rémunération de la barque revient à une rémunération de ce capital préexistant.
[« Mais plus fondamentalement, cela dépend du pourcentage. Parce que la barque, c’est de la valeur produite par du travail, et il est normal que ce travail soit rémunéré. Autrement dit, s’il a pris à un homme cent heures de travail de fabriquer la barque, il est « moral » qu’il reçoive, de ceux qui l’utilisent pour pêcher, l’équivalent de cent heures passées à pêcher. Mais pourquoi serait-il « moral » de recevoir plus ? » Avant de répondre, j’ai besoin de vous demander une précision pour comprendre votre raisonnement : quel sera le statut de la barque une fois que ceux qui l’utilisent ont donné “100h de travail*” à son constructeur et actuel propriétaire ?]
Cela dépend du mode de production. Si vous êtes dans un mode de production capitaliste, la barque reste la propriété privée de la famille qui l’a construite, et rapportera de la plus-value ad indefinitum. Si vous êtes dans un mode de production communiste, la barque deviendra une propriété sociale (soit d’une coopérative, soit de l’Etat, soit…) et tous pourront l’utiliser pour pêcher sans avoir à céder une partie de la pêche à qui que ce soit (sauf, bien entendu, pour payer l’entretien de la barque).
[En aparté, l’estimation de la valeur-travail me semble très délicate: par exemple, dans la fabrication d’une barque par un menuisier, il n’y a pas que le temps passé à la confection de la barque (…)]
Possible. Mais au-delà de la question quantitative de la mesure de la valeur, sommes nous d’accord sur la vision qualitative que je viens de vous exposer ?
[Il y a le temps passé à étudier, à apprendre le métier et les gestes, l’expérience acquise lors de précédentes réalisations, qui représentent également de nombreuses heures de travail sans lesquelles la barque n’aurait pas vu le jour sous cette forme. C’est d’ailleurs ce qui fait qu’une barque de menuisier aura une “valeur-travail” intrinsèque bien plus élevée qu’un rafiot bricolé par un novice, quand bien même ce dernier aurait passé le même nombre d’heures à la confection proprement dite. Sans prendre en compte cet aspect, le concept de valeur-travail me semble absurde.]
Je vous rappelle que pour Marx la valeur d’un bien n’est pas le temps EFFECTIVEMENT passée à sa fabrication, mais le temps SOCIALEMENT NECESSAIRE – autrement dit, le temps nécessaire pour un travailleur de valeur moyenne utilisant les technologies disponibles dans une société donnée – à sa production. C’est cette idée qui permet de résoudre le problème que vous citez dans la théorie de la valeur travail classique.
[Le problème c’est que du fait de la difficulté à estimer la “valeur-travail”, il est impossible d’utiliser ce concept dans le cadre de l’économie concrète, pour donner un prix aux choses. On n’achète pas des biens avec de la “valeur-travail”, on échange contre d’autres biens ou contre la possibilité d’acheter d’autres biens.]
N’exagérons rien. Ce n’est pas parce qu’il est difficile de mesurer EXACTEMENT la « valeur travail » qu’on ne peut en donner une estimation approximative, largement suffisante pour les « application pratiques ». Mais surtout, la théorie de la valeur-travail dans sa vision marxiste permet de comprendre au moins qualitativement un certain nombre de processus, comme celui – stylisé – que vous avec choisi comme exemple.
[« Vous admettez donc le droit du capitaliste à exploiter le travail humain pourvu qu’il ait accumulé le capital lui-même. C’est déjà la moitié de l’idéologie dominante lol… » Tout à fait. Pourquoi Lol ?]
Parce que vous aviez suggéré en ouverture que vous étiez vacciné contre l’aliénation…
[Évidemment il y a contradiction. “Antigone a raison mais Créon n’a pas tort”.]
Il ne s’agit pas ici d’une conflit entre deux visions, mais d’une contradiction logique.
[En tant que père, il est naturel de se sentir obligé envers ses enfants, en particulier obligé de leur transmettre de quoi traverser la vie dans les meilleures conditions possibles. En tant que fils adulte, autonome et installé, est-il légitime de recevoir en héritage à la mort de ses parents un patrimoine du seul fait de sa naissance il y a plusieurs décennies de cela ?]
Quand j’entends la formule « il est naturel », ma méfiance naturelle prend le dessus. En quoi est-il « naturel » de vouloir transmettre à ses enfants ses biens ? En quoi est-ce plus « naturel » que de recevoir le patrimoine de ses parents ? Si vous regardez de plus près, vous verrez qu’il n’y a là rien de « naturel ». Il y a des cultures où il n’y a pas de transmission du patrimoine, pour la simple raison qu’il n’y a pas de propriété privée… Une fois de plus, vous noterez combien l’idéologie dominante aboutit à une « naturalisation » qui dispense de toute remise en cause.
[« Or, le processus de transmission a une légitimité anthropologique incontestable. A quoi bon avoir des enfants, si nous ne pouvons rien leur transmettre ? » Il y a d’autres modes de transmission que la transmission privée. Par ailleurs vous noterez que dans les périodes où l’école républicaine rebattait les cartes de la transmission du capital immatériel bien plus largement qu’aujourd’hui,]
Pas vraiment. L’école permettait de conduire des vils d’ouvrier à Polytechnique, mais n’a jamais fait des fils des polytechniciens des ouvriers. Le « rebattage des cartes » se faisait dans un seul sens, et cela était possible parce que la société était en croissance, et que la Révolution puis l’Empire avaient « raccourci » les anciennes élites. Mais l’école républicaine n’a jamais empêché la transmission patrimoniale entre enfants et parents, que ce soit le patrimoine matériel ou immatériel.
[où la république combattait les traditions rétrogrades à bras raccourci, la natalité ne s’est pas effondrée du fait que la transmission culturelle privée était entravée, au contraire.]
La République n’a jamais empêché la transmission culturelle privée. Les parents qui souhaitaient voire leurs enfants maintenir leurs pratiques religieuses ou maintenir leurs traditions rétrogrades dans la sphère privée n’étaient nullement entravés.
[« Il est drôle que vous considériez la question seulement du côté du constructeur de la barque, et non du côté du pêcheur tenu à lui payer un « loyer » pour pouvoir l’utiliser… » Et bien, le pêcheur a pour lui d’autres alternatives: il peut choisir de construire sa propre barque, ou de pêcher à pied, ou de proposer au propriétaire de la barque de la lui racheter, en négociant son prix non pas en fonction de la valeur-travail de la barque, mais en fonction d’un rapport de force: si le détenteur du capital barque ne sait pas pêcher et que le poisson est sa seule nourriture, l’affaire sera vite entendue, et je n’y vois rien de mal.]
Bien sur que non. Même si le détenteur du capital ne sait pas pêcher, le pécheur n’est pas tout seul, il est en concurrence avec d’autres pécheurs. Et le capitaliste peut louer sa barque à celui qui lui offrira la partie de sa pêche la plus importante. Je peux vous assurer que la plupart des capitalistes ne sait pas utiliser une fraiseuses ou un tour, et pourtant les tourneurs-fraiseurs ont beaucoup de mal à imposer leurs revendications salariales.
[« Non, la question n’est pas « d’abolir la propriété privée », mais au contraire, de la rétablir, en posant comme principe que tout travailleur est propriétaire de l’intégralité de la valeur que son travail produit. Autrement dit, le travailleur qui construit la barque mérite de voir son travail – et seulement son travail – rémunéré de la valeur qu’il a produit, et le pêcheur qui utilise la barque mérite de voir son travail rémunéré à hauteur de la valeur produite. » Je ne suis pas d’accord.]
Vous pouvez ne pas être d’accord avec la proposition, mais sommes-nous d’accord sur le fait que l’objectif « communiste » n’est pas « d’abolir la propriété privée » ?
[Notre point de désaccord tient en ce que pour vous “la valeur que son travail produit” se mesure en termes de valeur-travail, alors que pour moi cette notion n’a pas de sens économique.]
Mais alors, comment mesurez-vous la valeur d’un bien ? Ou pour poser la question d’une façon différente, à partir de quel moment la rémunération du travail ou du capital devient « excessive » ou « insuffisante » ?
[Prenez deux pêcheurs qui partent 24 heures en mer. L’un ramène une tonne de poissons, l’autre essuie un grain, perd son filet dans les récifs et revient avec une sardine. Selon le concept de valeur-travail, il y a équivalence de valeur entre la tonne de poissons et la sardine du pêcheur malheureux.]
Non. Je vous rappelle que la valeur n’est pas déterminée par le travail EFFECTIF, mais par le travail SOCIALEMENT NECESSAIRE. Et il est clair que le travail socialement nécessaire pour extraire une tonne de poisson ou une sardine n’est pas le même.
[« Les enfants qui ont des parents cultivés et passent leur enfance parmi les livres sont privilégiés par rapport à ceux qui ont des parents analphabètes. Comment faites-vous pour « rebattre les cartes » ? » Par l’école. Et on l’a déjà fait. Péguy, Camus…]
Pas vraiment. Quel est le fils de milliardaire qui grâce à l’école s’est trouvé manœuvre ? L’école ne « rebattait les cartes » que dans un sens. L’enfant du pauvre pouvait monter de classe, mais l’enfant du riche n’en descendait jamais…
[Vous n’avez peut-être rien contre l’agrégation du patrimoine et de la culture entre les mains d’une oligarchie (c’est déjà la moitié de l’idéologie dominante, lol) mais elle me dérange largement plus que la propriété privée des moyens de production et d’échange, si celle-ci est suffisamment régulée par l’Etat.]
La différence entre nous, c’est que je vois la première comme conséquence de la seconde.
[« Mais à supposer même que le capital permette « d’optimiser la production de valeur », en quoi cela justifierait qu’il soit rémunéré ? » Dans un système où les moyens de productions sont privés, c’est une évidence : imaginons que je possède une barque. Et que vous soyez pêcheur. Si ce capital n’a plus à être rémunéré, quel est mon intérêt à le mettre à votre disposition ? Aucun.]
Vous ne répondez pas à la question. Qu’on décide de rémunérer le capital pour pousser les capitalistes à mettre leur capital à disposition des travailleurs c’est une chose. Que cela JUSTIFIE qu’il soit rémunéré, c’en est une autre. Certaines communes ont décidé de donner de l’argent aux lycéens qui ont leur bac avec mention pour encourager les jeunes à étudier. Pensez-vous que du coup payer les mentions soit « justifié » au sens moral du terme ?
[Qu’est-ce qui justifierait que je ne la laisse pourrir au port ? Pour pérenniser le capital, il faudra que vous me le rachetiez.]
Pas du tout, il me suffit de socialiser votre barque, de considérer que dès lors que votre travail pour la fabriquer a été payé, elle appartient à la collectivité.
[« Quelle serait la rémunération « légitime » ? Serait-il normal que celui qui a investi disons cent heures de travail pour construire la barque soit rémunéré à vie d’une partie des prises des pêcheurs qui l’utilisent ? Qu’il reçoive in fine le produit de milliers d’heures de pêche ? Non, bien sur que non. Donc, on revient au fait qu’il est légitime que le constructeur de la barque soit payé pour son TRAVAIL, mais PAS pour la soi-disant « optimisation » que la barque apporterait » Je ne vois pas le problème à partir du moment où le “loyer” est librement consenti, et où chacun est libre de construire sa barque, ou de faire autre chose.]
Je vais vous étonner, mais je suis d’accord avec vous. Tout simplement parce que si « chacun est libre de construire sa barque » (ce qui, je suppose, inclut le fait d’avoir les moyens pour le faire), chaque pêcheur verra à l’évidence qu’entre investir 100 heures de travail pour construire une barque, ou de devoir payer l’équivalent de milliers d’heures de pêche pour utiliser la barque d’autrui, on a intérêt à construire sa barque. Le pêcheur n’aura intérêt à utiliser la barque du capitaliste que si la part de sa pêche qu’il doit lui céder est inférieure ou égale, mesurée en heures de travail, aux 100 heures nécessaires pour fabriquer une barque… et du coup le capital ne sera plus rémunéré.
Seulement voilà : le capitalisme repose précisément sur le fait que les travailleurs ne sont PAS « libres de construire leur barque », et qu’ils sont donc forcés de conclure un contrat avec le propriétaire de la barque au prix imposé par celui-ci.
[Et pour la deuxième hypothèse, je n’ai rien contre les nationalisations, mais je trouverais idiot que l’état ne prélève pas une plusvalue pour financer d’autres projets. Autrement dit, je ne pense pas que nationalisation et capitalisme soient antagonistes.]
L’Etat ne peut « prélèver de la plusvalue » parce que l’Etat ne consomme pas. Autrement dit, l’Etat n’est qu’une abstraction de la collectivité. L’argent que l’Etat prélève sur la valeur produite par ses agents revient à l’ensemble de la collectivité. Et dans une société socialiste, les deux ensembles se confondent.
@ Descartes et P2R
Très intéressants vos échanges, merci.
Je me permets une petite digression qui n’apporte rien à ce débat : Dans la pêche artisanale, la répartition de la valeur est assez singulière.
Le produit de la pêche est divisé en parts, il y a toujours une part pour le bateau (il faut payer la maintenance du bateau, le carburant, les appâts, la glace, les droits de port… Et ce sont des frais fixes qu’il faut payer même lorsque la pêche est mauvaise), il y a une part pour le propriétaire du bateau (il est souvent le capitaine qui a des compétences et responsabilités en terme de navigation, et il doit rembourser un emprunt pour le bateau, ou bien approvisionner de quoi renouveler le bateau …), et puis une part pour chaque matelot en fonction de son expérience et compétences.
Chaque part est définie à l’avance et reste immuable quelque soit le produit de la pêche. Evidemment, lorsque la pêche est bonne tout l’équipage gagne bien sa vie, mais lorsqu’elle est mauvaise c’est dur pour tout l’équipage, y compris le patron.
Sur le long terme, c’est bien sur le propriétaire du bateau qui gagne plus que les autres membres de l’équipage (mais il prend tout les risques et peu tout perdre), mais je trouve que c’est un système “relativement juste” et c’est un métier qui a beaucoup de noblesse.
@ Manchego
[Le produit de la pêche est divisé en parts, il y a toujours une part pour le bateau (il faut payer la maintenance du bateau, le carburant, les appâts, la glace, les droits de port… Et ce sont des frais fixes qu’il faut payer même lorsque la pêche est mauvaise), il y a une part pour le propriétaire du bateau (il est souvent le capitaine qui a des compétences et responsabilités en terme de navigation, et il doit rembourser un emprunt pour le bateau, ou bien approvisionner de quoi renouveler le bateau …), et puis une part pour chaque matelot en fonction de son expérience et compétences.]
Pardon… mais quand vous parlez de « rembourser l’emprunt pour le bateau », emprunt qui bien entendu rapporte au prêteur un intérêt, vous passez un peu vite. Parce que c’est là que le capital prélève sur le travail la plusvalue…
[Chaque part est définie à l’avance et reste immuable quelque soit le produit de la pêche. Evidemment, lorsque la pêche est bonne tout l’équipage gagne bien sa vie, mais lorsqu’elle est mauvaise c’est dur pour tout l’équipage, y compris le patron.]
Mais pas pour le prêteur, parce que « l’emprunt pour le bateau » doit être remboursé et les intérêts payés, que la pêche soit bonne ou mauvaise…
[Sur le long terme, c’est bien sur le propriétaire du bateau qui gagne plus que les autres membres de l’équipage (mais il prend tout les risques et peu tout perdre), mais je trouve que c’est un système “relativement juste” et c’est un métier qui a beaucoup de noblesse.]
Ici, le « propriétaire du bateau » n’est pas vraiment le « patron », mais le prêteur dont le crédit a permis son achat….
@ Descartes
Je ne suis pas en désaccord avec vos remarques (j’avais d’ailleurs mis des guillemets en qualifiant le système de “relativement juste”).
Le prêteur retire effectivement un revenu sans travailler, c’est lui qui dispose du capital de départ et il investit pour tirer un revenu de son capital. On peut même ajouter que lorsque le bateau est payé il est souvent obsolète et nécessite de lourds travaux de rénovation, voir sa mise à la casse. Si le patron pêcheur a eu de la chance (si il a été régulier sur les bonnes pêches) il a pu constituer un capital qui lui permet de s’affranchir du prêteur (paiement anticipé de son emprunt et/ou approvisionnements pour rénovation ou remplacement du bateau). On peut aussi dire que le patron pêcheur exploite son équipage, car si on met de côté la part du bateau, le reste n’est pas répartit équitablement, c’est lui qui se taille la part du lion.
On peut déplorer que les rapports humains soient régis par le capitalisme, ce qui est mon cas, mais en sortir pour adopter un système communiste est-ce possible?
Personnellement j’ai longtemps cru que c’était possible et necessaire, (dans les années 80 j’ai milité au PCF, à petit niveau, j’ai collé des affiches, distribué des tracts sur les marchés, vendu le muguet du 1er Mai…), mais en prenant de l’âge je suis beaucoup moins optimiste. Je n’ai pas changé, au contraire j’ai maintenant tendance à penser que c’est peut-être la survie de l’espèce qui passe par une sortie du capitalisme, mais à l’évidence ce n’est pas le point de vue le plus partagé.
@ Manchego
[Le prêteur retire effectivement un revenu sans travailler, c’est lui qui dispose du capital de départ et il investit pour tirer un revenu de son capital. On peut même ajouter que lorsque le bateau est payé il est souvent obsolète et nécessite de lourds travaux de rénovation, voir sa mise à la casse. Si le patron pêcheur a eu de la chance (si il a été régulier sur les bonnes pêches) il a pu constituer un capital qui lui permet de s’affranchir du prêteur (paiement anticipé de son emprunt et/ou approvisionnements pour rénovation ou remplacement du bateau). On peut aussi dire que le patron pêcheur exploite son équipage, car si on met de côté la part du bateau, le reste n’est pas répartit équitablement, c’est lui qui se taille la part du lion.]
Je ne sais pas. Une fois qu’il a payé le crédit du bateau, le matériel, le fuel, etc. que reste-t-il au patron du bateau ? Est-ce qu’il touche en moyenne beaucoup plus que les matelots de même expérience ? Je n’en suis pas sûr. Je ne connais pas beaucoup de patrons pêcheurs, mais je n’ai pas eu l’impression qu’ils aient un niveau de vie très supérieur à celui de leurs marins.
[On peut déplorer que les rapports humains soient régis par le capitalisme, ce qui est mon cas, mais en sortir pour adopter un système communiste est-ce possible ?]
Personnellement, j’en suis convaincu. Pas tout de suite, bien sur. Il faudra des étapes permettant de socialiser les moyens de production progressivement, et permettant de roder des nouvelles institutions adaptées. Mais je reste convaincu que c’est possible, ne serait-ce que pour des raisons de méthodologie…
[Personnellement j’ai longtemps cru que c’était possible et nécessaire, (dans les années 80 j’ai milité au PCF, à petit niveau, j’ai collé des affiches, distribué des tracts sur les marchés, vendu le muguet du 1er Mai…), mais en prenant de l’âge je suis beaucoup moins optimiste. Je n’ai pas changé, au contraire j’ai maintenant tendance à penser que c’est peut-être la survie de l’espèce qui passe par une sortie du capitalisme, mais à l’évidence ce n’est pas le point de vue le plus partagé.]
J’aimerais comprendre pourquoi. Qu’est ce qui vous fait penser aujourd’hui qu’un mode de production qui ne soit pas fondé sur le prélèvement de plus-value sur le travail n’est pas viable ? Je suis né trop cynique pour avoir cru à la vision idéalisé du communisme, celle qui pensait que dans une société communiste « il n’y aurait plus de peines de cœur » et autres visions du même genre. Celle-là n’est pas viable, et repose sur une vision totalitaire qui n’est pas la mienne.
@ Descartes
[ou le travailleur touche la plus-value extraite de son travail, ou il touche les bénéfices de la délocalisation // Cette affirmation demande à minima une démonstration… Imaginons un système où toute entreprise est une coopérative. Le libre échange entre ces coopératives feront baisser les prix ]
Ce qui implique que le marché mondial soit socialisé.. On est plus dans la théorie, c’est de la fiction. Dans le monde réel nos entreprises socialisées seraient en compétition avec des entreprises capitalistes implantées dans des pays à protection sociale zéro. Comme voulez-vous être compétitif sans être hautement protectionniste ?
[Pardon, mais si vous supposez un « manque de savoir-faire », alors vous faites référence à un capital préexistant, dont dispose une des familles et pas l’autre. Il n’y a donc plus symétrie entre les deux, et la rémunération de la barque revient à une rémunération de ce capital préexistant.]
Deux points: je note que vous mettez de côté les autres suppositions, j’en déduis qu’elles vous semblent recevables.
D’autre part, la formation professionnelle et l’expérience sont-elles à considérer comme un capital ? C’est ce que je comprend de votre remarque. Si oui, comment ce capital, constitué par le travail d’un individu, lui est-il “payé” par la société ? En d’autres termes, par quel mécanisme aboutit-on à une rémunération du neuro-chirurgien, qui a donné 15 ans de sa vie à étudier son art, qui soit supérieure à celle du balayeur de rue ? Comment réintègre-t’on ce capital immatériel, qui ne souffre pas d’usure, mais au contraire qui s’enrichit d’année en année, dans le Temps de Travail Socialement Nécessaire compris dans une opération du cerveau ?
[ s’il a pris à un homme cent heures de travail de fabriquer la barque, il est « moral » qu’il reçoive, de ceux qui l’utilisent pour pêcher, l’équivalent de cent heures passées à pêcher. // quel sera le statut de la barque une fois que ceux qui l’utilisent ont donné “100h de travail*” à son constructeur et actuel propriétaire ? // Si vous êtes dans un mode de production communiste, la barque deviendra une propriété sociale (soit d’une coopérative, soit de l’Etat, soit…) et tous pourront l’utiliser pour pêcher ]
Je ne comprends pas. Si le pêcheur “paye” 100h de travail au menuisier qui a au préalable investi 100h de travail dans la confection de la barque, il devrait en devenir propriétaire, puisque son solde net d’heures travaillées sera de 100h, alors que le solde du menuisier sera nul (100h “dépensées” dans la confection et 100h “gagnées” via le loyer versé par le pêcheur). Pourquoi 100h et pas 50h ?
[Au-delà de la question quantitative de la mesure de la valeur, sommes-nous d’accord sur la vision qualitative que je viens de vous exposer ?]
Je suis d’accord sur la philosophie du concept de Temps de Travail Socialement Nécessaire (disons TTNS). Mais il me pose un problème pratique en ce qu’il me semble incapable de réguler “naturellement” les déséquiibres d’offre et de demande. Exemple: si une baguette de pain “coûte”, disons, 10 minutes de TTSN, mais que suite à une mauvaise récolte de blé un pénurie s’installe, son “coût” en TTSN restera constant, mais le produit étant rare, il provoquera fatalement une ruée accentuant la pénurie (et un probable marché noir), là où la loi de l’offre et de la demande, certes renchérirat le prix du pain, mais n’accentuera pas la pénurie. Comment contourner ce cas d’espèce sans avoir recours au rationnement ?
Par ailleurs reste l’éternelle question: qui détermine le “temps de travail socialement nécessaire” pour la production de chaque bien ? Si dans l’industrie, ce calcul peut s’appuyer de manière fiable sur le rendement moyen des machines, il y a des secteurs où raisonner par moyenne est beaucoup plus compliqué (dans l’agriculture où par exemple les rendements “horaire” peuvent varier de 1 à 5 d’un an sur l’autre rien qu’en fonction de la météo). Ce mode de production peut-il se passer d’une administration centrale de la valeur de chaque bien ?
[Évidemment il y a contradiction. “Antigone a raison mais Créon n’a pas tort” // Il ne s’agit pas ici d’un conflit entre deux visions, mais d’une contradiction logique.]
Formulons différemment: il y a (pour moi) un conflit entre la vision de la transmission familiale anthropologique et la vision de la justice sociale qui exigerait que chaque être humain parte dans la vie avec les mêmes armes. C’est ce conflit que je souhaitais matérialiser, peut-être maladroitement, en disant que l’héritage me semblait justifiable du point de vue du donateur (dans le cadre de la vision anthropologique -transmettre, c’est aussi transcender l’idée de sa propre fin-), et injustifiable du côté du receveur, car fondamentalement porteur d’injustice.
[Il y a des cultures où il n’y a pas de transmission du patrimoine, pour la simple raison qu’il n’y a pas de propriété privée… Une fois de plus, vous noterez combien l’idéologie dominante aboutit à une « naturalisation » qui dispense de toute remise en cause.]
Je ne le pense pas. La transmission ne se limite pas au patrimoine. Et il ne peut par définition exister de cultures pérennes où l’on ne transmette rien aux nouvelles générations.
[Par ailleurs vous noterez que dans les périodes où l’école républicaine rebattait les cartes de la transmission du capital immatériel bien plus largement qu’aujourd’hui. // Pas vraiment. L’école permettait de conduire des vils d’ouvrier à Polytechnique, mais n’a jamais fait des fils des polytechniciens des ouvriers.]
Ouvrier, non, mais que des petits branleurs fils de polytechnicien ou de familles aristos aient cramé le patrimoine de leurs parents en quelques années et finit dans la dèche, à une époque où les concours d’entrée des grandes écoles ne souffraient aucune passerelle ou piston.. Évidemment, ce genre de trajectoire se finit plus souvent avec une overdose ou le canon du flingue dans la bouche qu’à bosser à l’usine.
[La République n’a jamais empêché la transmission culturelle privée. Les parents qui souhaitaient voir leurs enfants maintenir leurs pratiques religieuses ou maintenir leurs traditions rétrogrades dans la sphère privée n’étaient nullement entravés.]
De facto, si. Quand à l’école Républicaine vous enseignez Darwin ou la Révolution Française, vous entravez directement la transmission héréditaire de cultures et de traditions.
[Je peux vous assurer que la plupart des capitalistes ne sait pas utiliser une fraiseuses ou un tour, et pourtant les tourneurs-fraiseurs ont beaucoup de mal à imposer leurs revendications salariales.]
C’est une question d’offre et de demande, ça n’a rien à voir avec le mode de production. Dans un contexte de pénurie de travailleurs qualifiés, associé à un système de protection sociale efficace, le rapport de force est en faveur de l’ouvrier. Aujourd’hui un chaudronnier ou un frigoriste est en position de force au moment de l’embauche.
[Sommes-nous d’accord sur le fait que l’objectif « communiste » n’est pas « d’abolir la propriété privée » ?]
Je pense que comme vous le disiez, il y a 50 nuances de communisme. Que le changement du mode de production n’implique pas fatalement la fin de la propriété privée en dehors du champ du capital, soit. Mais je ne suis pas sûr que le mécanisme que vous décrivez, où seuls les moyens de production sont socialisés, alors que la propriété du fruit du travail reste individualisée (je vous cite: “tout travailleur est propriétaire de l’intégralité de la valeur que son travail produit.”) corresponde à ce que l’on appelle communément “communisme”.
Je m’explique en reprenant l’exemple du pêcheur malheureux et du pêcheur chanceux.
Mettons que la valeur-travail de 500kg de poisson soit de 20 heures de TTSN. Selon ce que je comprends de votre vision, le pêcheur chanceux qui a pêché une tonne en 20h de travail EFFECTIF, gagne donc la valeur de 40h de TTSN. Tandis que le pêcheur malchanceux n’est propriétaire de rien malgré un temps de travail effectif équivalent. Comment résoudre cette injustice sans porter atteinte à la propriété privée du premier pêcheur ?
En fait, vous proposez de passer d’une socialisation des richesses produites, qui est la matrice de l’idéologie redistributive française (qui certes bat de l’aile mais reste l’un des systèmes les plus redistributif au monde, et qui porte très largement atteinte à la propriété privée de la valeur produite, pour le coup), à une socialisation des capitaux sans socialisation des richesses produites. J’ai bien compris ?
[ Mais alors, comment mesurez-vous la valeur d’un bien ? Ou pour poser la question d’une façon différente, à partir de quel moment la rémunération du travail ou du capital devient « excessive » ou « insuffisante » ?]
La valeur d’un bien est constituée du TTSN, je n’ai rien à redire là-dessus. En revanche, c’est l’assimilation de la valeur-travail à une valeur d’échange qui me pose problème, en ce que la valeur d’échange doit forcément, selon moi, être pondérée par le rapport offre/demande pour pouvoir réguler ou stimuler la production de manière naturelle (sans administration).
[La différence entre nous, c’est que je vois la première comme conséquence de la seconde.]
En quoi la pleine propriété du travailleur sur la valeur produite est-elle susceptible de rompre la transmission des inégalités culturelles et patrimoniales hors capital productif ?
[Qu’on décide de rémunérer le capital pour pousser les capitalistes à mettre leur capital à disposition des travailleurs c’est une chose. Que cela JUSTIFIE qu’il soit rémunéré, c’en est une autre.]
Moralement, rien. Mais cette considération n’est pas très utile. Moralement, rien ne justifie d’hériter du fruit du labeur de ses parents, mais comme vous l’avez souligné, il n’empêche que l’héritage a une fonction sociale. La vraie question est de savoir si la rémunération du capital a une fonction sociale: si le capital n’est plus rémunéré, qu’est-ce qui va pousser les personnes privées à dépenser leur pécule ou à s’endetter pour créer qui un commerce, qui un atelier, qui une usine, si le seul espoir qu’ils ont est de simplement récupérer leur mise ? Je peux concevoir qu’en des temps passés, et pas si lointains, on ait pû “rémunérer” l’inventeur, l’entrepreneur audacieux, le créateur inspiré uniquement avec des médailles, le passage à la postérité et une rue à leur nom dans leur village de naissance, mais finalement, mêmes ces reconnaissances honorifiques ne sont-elles pas une rémunération du capital ?
Cette question vaut en particulier pour les investissements hautement capitalistiques. Qui prendra la peine (sans même parler du risque) d’investir plusieurs dizaines voire centaines de millions d’euros dans une usine pour une perspective de profit nulle ? Ne restera que la force publique pour mener de gros investissements et faire des paris sur de nouvelles technologies. Or je suis persuadé qu’une économie a besoin d’investisseurs publics et privés pour provoquer une émulation, sous peine de se scléroser.
J’ajoute que la socialisation des outils de production pose également un vrai problème en termes de direction de l’entreprise et de responsabilité. Pour les entreprises nationalisées, le problème est moindre car l’Etat peut prendre des directions audacieuses ou des décisions douloureuses avec autorité. Et de part son statut institutionnel, prendre ses responsabilités sans pour autant craindre de se faire haïr par quelques centaines de travailleurs dont on aura décidé de fermer l’usine. Mais dans une usine montée en coopérative, où tout devra se négocier avec l’ensemble des travailleurs ? Vous connaissez je suppose la formule anglaise: un chameau, c’est un cheval dessiné sur la base de compromis. Comment éviter que vos entreprises socialisées en coopératives ne soient toutes des chameaux, comme bon nombre d’associations aujourd’hui d’ailleurs ?
[Certaines communes ont décidé de donner de l’argent aux lycéens qui ont leur bac avec mention pour encourager les jeunes à étudier. Pensez-vous que du coup payer les mentions soit « justifié » au sens moral du terme ?]
Non, je ne le pense pas. Parce que dans le monde idéal, le “capital” de connaissances acquises lors du lycée devrait être rémunéré via l’accès privilégié à des études désirables, celles-ci ouvrant également la voie à des rémunérations numéraires et ou symboliques attrayantes. Mais vu qu’aujourd’hui une mention au bac ne vous garantit absolument rien sur le long terme sur ce point, alors on file des primes pour “motiver” les élèves.. ce qui n’aurait pas lieu d’être si la perpétuation générationnelle des avantages permettait au bon élève d’origine modeste d’accéder à de bons emplois. Mais est-ce que ce blocage de l’ascenseur social est un fait du mode de production capitaliste ? Je n’en crois rien. Les différentes expériences communistes ont largement montré que la toute puissance administrative amenait tout autant à la constitution de castes puissantes naturellement peu enclines à céder leur place..
[Le capitalisme repose précisément sur le fait que les travailleurs ne sont PAS « libres de construire leur barque », et qu’ils sont donc forcés de conclure un contrat avec le propriétaire de la barque au prix imposé par celui-ci.]
Ah bon ? Qu’est-ce qui les en empêche ? Le fait que la construction d’une entreprise nécessite une mise de départ qui peut rendre l’opération inaccessible au travailleur lambda n’a rien à voir avec le mode de production capitaliste. Alors quoi ?
@ P2R
[« Cette affirmation demande à minima une démonstration… Imaginons un système où toute entreprise est une coopérative. Le libre-échange entre ces coopératives feront baisser les prix » Ce qui implique que le marché mondial soit socialisé…]
Oui. Et alors ? Le libre-échange capitaliste suppose qu’un marché mondial capitaliste. Est-ce irréaliste pour autant ? Non. Aussi longtemps qu’il y a eu des états qui ne s’étaient pas encore capitalistes, on a échangé avec eux un « libre-échange » aménagé. Il faut bien commencer par quelque chose…
[Dans le monde réel nos entreprises socialisées seraient en compétition avec des entreprises capitalistes implantées dans des pays à protection sociale zéro. Comme voulez-vous être compétitif sans être hautement protectionniste ?]
Une recette est de conditionner la libre circulation du capital au niveau de protection sociale, ce qui permettrait aux états développés de garder un avantage productif, et aux états en voie de développement de développer une protection sociale de haut niveau…
[« Pardon, mais si vous supposez un « manque de savoir-faire », alors vous faites référence à un capital préexistant, dont dispose une des familles et pas l’autre. Il n’y a donc plus symétrie entre les deux, et la rémunération de la barque revient à une rémunération de ce capital préexistant. » Deux points: je note que vous mettez de côté les autres suppositions, j’en déduis qu’elles vous semblent recevables.]
A tort, je vous l’assure. Mais je trouve la première supposition la plus intéressante, et c’est pourquoi j’ouvre la discussion en me concentrant sur elle. Je pourrais le faire pour les autres, mais je les trouve moins intéressantes, et nos échanges sont déjà dangereusement longs…
[D’autre part, la formation professionnelle et l’expérience sont-elles à considérer comme un capital ?]
C’est là le fondement de ma théorie des classes intermédiaires. Je pense qu’il y a là une idée qui permet d’expliquer dans le cadre marxiste la différentiation des salaires sans pour autant remettre en cause la théorie marxienne de la valeur travail. La formation, les connaissances, l’expérience sont un capital d’autant plus important qu’elles sont rares et donc non substituables.
[comment ce capital, constitué par le travail d’un individu, lui est-il “payé” par la société ?]
Il n’est pas tout a fait « constitué par le travail de l’individu ». L’individu travaille, certes, mais une partie de ses compétences et de ses connaissances lui sont transmises par ses parents, par ses maîtres, par des institutions. Comme pour le capital matériel, il y a un élément de transmission dans le capital immatériel. Il est vrai que ce dernier doit être « reconstitué » à chaque génération, mais dans cette « reconstitution » on ne part pas de zéro.
Ma théorie est justement que dans le salaire des individus il y a deux éléments : la rémunération de leur travail et la rémunération de ce capital qu’il met à la disposition de son employeur. Autrement dit, le salarié est à la fois un statut de travailleur et un statut d’associé. Plus ses compétences sont importantes et rares, plus l’aspect « associé » s’impose sur l’aspect « travailleur »…
[En d’autres termes, par quel mécanisme aboutit-on à une rémunération du neuro-chirurgien, qui a donné 15 ans de sa vie à étudier son art, qui soit supérieure à celle du balayeur de rue ? Comment réintègre-t’on ce capital immatériel, qui ne souffre pas d’usure, mais au contraire qui s’enrichit d’année en année, dans le Temps de Travail Socialement Nécessaire compris dans une opération du cerveau ?]
Justement. Si l’on s’en tient à la théorie de la valeur travail, une opération du cerveau qui dure huit heures – accomplie par un chirurgien de compétence moyenne utilisant les techniques disponibles dans une société donnée – ne créé pas plus de « valeur » que le balayeur de rue qui travaille huit heures. Pourquoi est-il plus rémunéré ? Parce qu’il faut rémunérer le « capital immatériel » que le chirurgien apporte.
[Je ne comprends pas. Si le pêcheur “paye” 100h de travail au menuisier qui a au préalable investi 100h de travail dans la confection de la barque, il devrait en devenir propriétaire, puisque son solde net d’heures travaillées sera de 100h, alors que le solde du menuisier sera nul (100h “dépensées” dans la confection et 100h “gagnées” via le loyer versé par le pêcheur).]
La question est que le pêcheur « paye » au menuisier 100h de travail sur l’ensemble de la durée de vie de la barque. Je ne rentre pas dans le détail juridique de ce paiement. On pourrait imaginer qu’il paye au départ, devient propriétaire, puis se rembourse sur le poisson péché pendant la vie utile de la barque. Ou on peut imaginer qu’il reste locataire, et paye un loyer qui, sur la durée de vie de la barque, atteint la valeur actualisée de 100h. L’important n’est pas le mode juridique, mais l’équivalence : le seul montant « légitime » est celui qui compense la « valeur » de l’objet. Tout autre montant représente une spoliation du travail de l’un ou de l’autre.
[Pourquoi 100h et pas 50h ?]
J’ai supposé que la construction nécessitait un « temps de travail socialement nécessaire » de 100h. Si cela ne prend que 50h, alors le pêcheur devrait en toute justice payer avec le produit de 50h de son travail (socialement nécessaire, s’entend).
[Je suis d’accord sur la philosophie du concept de Temps de Travail Socialement Nécessaire (disons TTNS).]
Dont acte.
[Mais il me pose un problème pratique en ce qu’il me semble incapable de réguler “naturellement” les déséquilibres d’offre et de demande. Exemple : si une baguette de pain “coûte”, disons, 10 minutes de TTSN, mais que suite à une mauvaise récolte de blé une pénurie s’installe, son “coût” en TTSN restera constant, mais le produit étant rare, il provoquera fatalement une ruée accentuant la pénurie (et un probable marché noir), là où la loi de l’offre et de la demande, certes renchérirait le prix du pain, mais n’accentuera pas la pénurie. Comment contourner ce cas d’espèce sans avoir recours au rationnement ?]
Quand vous dites que cela « n’accentuera la pénurie », vous ne voyez qu’un côté du problème. La logique de prix fixe oblige au rationnement… mais la logique de marché instaure un rationnement de fait. La seule différence est que dans le premier cas, c’est l’administration qui décide qui aura quelle quantité de pain, tandis que dans la seconde ce sont ceux qui ont le moins d’argent qui n’en auront pas, parce qu’ils ne pourront pas se le payer.
Mais revenons à la régulation. Si vous avez un marché « pur et parfait », le prix tendra vers la valeur, autrement dit, vous irez naturellement vers un prix qui reflète le TTSN. Ce sont les imperfections de marché qui vous éloignent de cet équilibre. Maintenant, est-il « juste » que des gens gagnent beaucoup d’argent simplement parce qu’un accident climatique a rendu le bien qu’ils produisent rare ?
[Par ailleurs reste l’éternelle question: qui détermine le “temps de travail socialement nécessaire” pour la production de chaque bien ? Si dans l’industrie, ce calcul peut s’appuyer de manière fiable sur le rendement moyen des machines, il y a des secteurs où raisonner par moyenne est beaucoup plus compliqué (dans l’agriculture où par exemple les rendements “horaire” peuvent varier de 1 à 5 d’un an sur l’autre rien qu’en fonction de la météo).]
Mais en quoi cela vous gêne que le TTSN dans l’agriculture puisse varier d’une année sur l’autre ?
[Ce mode de production peut-il se passer d’une administration centrale de la valeur de chaque bien ?]
Je vais peut-être vous surprendre, mais je vais défendre ici le mécanisme de marché. Là où les marchés sont « purs et parfaits », ou s’approchent de cette situation, le prix tend vers le TTSN, et vous n’avez rien à faire. Là où les marchés sont très imparfaits… il faut une intervention de l’Etat, avec une estimation du TTSN, estimation qui, comme toute œuvre humaine, sera forcément imparfaite…
[Formulons différemment: il y a (pour moi) un conflit entre la vision de la transmission familiale anthropologique et la vision de la justice sociale qui exigerait que chaque être humain parte dans la vie avec les mêmes armes. C’est ce conflit que je souhaitais matérialiser, peut-être maladroitement, en disant que l’héritage me semblait justifiable du point de vue du donateur (dans le cadre de la vision anthropologique -transmettre, c’est aussi transcender l’idée de sa propre fin-), et injustifiable du côté du receveur, car fondamentalement porteur d’injustice.]
Ok, mais ce qui me gêne est qu’il est difficile de parler d’une situation « injuste » alors qu’il n’y a pas d’alternative. C’est un peu de dire qu’il est « injuste » que nous soyons mortels. Le problème est que le « receveur » n’a pas de voix au chapitre. Dès que nous naissons, nous commençons à toucher notre héritage. Sauf à enlever les enfants à leurs parents dès leur naissance pour s’assurer qu’ils soient tous éduqués à l’identique, dans les mêmes conditions de vie, il est impossible de « faire partir chaque être humain dans la vie avec les mêmes armes ». Et dès lors que c’est impossible, peut-on dire que c’est « injuste » ?
[« Il y a des cultures où il n’y a pas de transmission du patrimoine, pour la simple raison qu’il n’y a pas de propriété privée… Une fois de plus, vous noterez combien l’idéologie dominante aboutit à une « naturalisation » qui dispense de toute remise en cause. » Je ne le pense pas. La transmission ne se limite pas au patrimoine. Et il ne peut par définition exister de cultures pérennes où l’on ne transmette rien aux nouvelles générations.]
La transmission ne se limite pas au patrimoine, mais c’est de cela qu’on parlait, non ?
[Ouvrier, non, mais que des petits branleurs fils de polytechnicien ou de familles aristos aient cramé le patrimoine de leurs parents en quelques années et finit dans la dèche, à une époque où les concours d’entrée des grandes écoles ne souffraient aucune passerelle ou piston.. Évidemment, ce genre de trajectoire se finit plus souvent avec une overdose ou le canon du flingue dans la bouche qu’à bosser à l’usine.]
Ce genre de trajectoire est surtout très, très rare. Le branleurs fils de polytechniciens ou de familles aristos qui ont vécu avec un effort minimal et qui ont pu conserver leur niveau de vie grâce au patrimoine – matériel et immatériel – accumulé par leurs parents sont infiniment plus nombreux. N’idéalisons pas le passé : la méritocratie républicaine rebattait les cartes bien mieux que maintenant, mais elle les rebattait surtout vers le haut, beaucoup moins vers le bas. C’est pour cela d’ailleurs qu’elle a duré longtemps, que les classes intermédiaires n’ont pas vu l’intérêt d’arrêter l’ascenseur sociale. Ce n’est qu’à la fin des années 1960 que la croissance s’arrêtant, les classes intermédiaires ont compris que pour que les uns montent il faut que les autres descendent. Et que garder une sélection méritocratique c’était prendre le risque du déclassement.
Si la sélection méritocratique avait « rebattu les cartes », comment expliquez-vous que pendant longtemps ceux qui avaient tout intérêt à ce que les cartes ne soient pas rebattues aient mis si longtemps à commencer à la combattre ?
[« La République n’a jamais empêché la transmission culturelle privée. Les parents qui souhaitaient voir leurs enfants maintenir leurs pratiques religieuses ou maintenir leurs traditions rétrogrades dans la sphère privée n’étaient nullement entravés. » De facto, si. Quand à l’école Républicaine vous enseignez Darwin ou la Révolution Française, vous entravez directement la transmission héréditaire de cultures et de traditions.]
Je ne vois pas très bien en quoi. Que l’école républicaine enseigne Darwin ou la Révolution n’implique nullement que vous soyez obligé de la croire. Et cela ne vous empêche pas de faire faire la communion à vos enfants ou de célébrer le sabbat chez vous.
[« Je peux vous assurer que la plupart des capitalistes ne sait pas utiliser une fraiseuses ou un tour, et pourtant les tourneurs-fraiseurs ont beaucoup de mal à imposer leurs revendications salariales. » C’est une question d’offre et de demande, ça n’a rien à voir avec le mode de production.]
Même en admettant que ce soit « une question d’offre et de demande », cela ne dépend nullement de la capacité du capitaliste à se mettre lui-même à la machine. Et c’était là votre point. Et cela a tout à voir avec le « mode de production », parce que pour qu’il y ait question « d’offre et de demande », il faut qu’il y ait un marché, autrement dit, que la force de travail soit vendue sur le marché comme une marchandise. Le problème ne se posait pas dans les modes de production féodal ou antique.
[Je pense que comme vous le disiez, il y a 50 nuances de communisme. Que le changement du mode de production n’implique pas fatalement la fin de la propriété privée en dehors du champ du capital, soit. Mais je ne suis pas sûr que le mécanisme que vous décrivez, où seuls les moyens de production sont socialisés, alors que la propriété du fruit du travail reste individualisée (je vous cite: “tout travailleur est propriétaire de l’intégralité de la valeur que son travail produit.”) corresponde à ce que l’on appelle communément “communisme”.]
Pourtant, vous noterez qu’aucun des pays du bloc socialiste n’a aboli la propriété privée en général. Même la révolution russe, pendant sa période la plus « idéaliste », n’a rien essayé dans ce sens. La disparition de la propriété privée, comme le dépérissement de l’Etat, font partie des rêves de certains philosophes « communistes », mais ca n’a jamais été formulé en termes d’objectif politique.
[Je m’explique en reprenant l’exemple du pêcheur malheureux et du pêcheur chanceux.
Mettons que la valeur-travail de 500kg de poisson soit de 20 heures de TTSN. Selon ce que je comprends de votre vision, le pêcheur chanceux qui a pêché une tonne en 20h de travail EFFECTIF, gagne donc la valeur de 40h de TTSN. Tandis que le pêcheur malchanceux n’est propriétaire de rien malgré un temps de travail effectif équivalent. Comment résoudre cette injustice sans porter atteinte à la propriété privée du premier pêcheur ?]
Comme c’est un phénomène aléatoire et répétitif, on peut compter sur la théorie des grands nombres, le pêcheur malchanceux aujourd’hui sera heureux demain, et vice-versa. S’il s’agissait d’un phénomène rare, la justice peut se rétablir avec un mécanisme assurantiel. Tous les pêcheurs payent une cotisation proportionnelle aux prises, qui sert à indemniser ceux qui seraient « moins chanceux »…
[En fait, vous proposez de passer d’une socialisation des richesses produites, qui est la matrice de l’idéologie redistributive française (qui certes bat de l’aile mais reste l’un des systèmes les plus redistributif au monde, et qui porte très largement atteinte à la propriété privée de la valeur produite, pour le coup), à une socialisation des capitaux sans socialisation des richesses produites. J’ai bien compris ?]
Vous avez très bien compris. Pour moi, la redistribution se justifie en régime capitaliste parce qu’elle permet aux travailleurs de récupérer une partie de la plus-value cédée. Dans un régime socialiste, je ne vois pas de justification à la redistribution en dehors de la question assurantielle (autrement dit, un transfert de « ceux qui ont de la chance » vers « ceux qui n’en ont pas » (ex. le handicap).
[La valeur d’un bien est constituée du TTSN, je n’ai rien à redire là-dessus. En revanche, c’est l’assimilation de la valeur-travail à une valeur d’échange qui me pose problème, en ce que la valeur d’échange doit forcément, selon moi, être pondérée par le rapport offre/demande pour pouvoir réguler ou stimuler la production de manière naturelle (sans administration).]
Je suis tout à fait d’accord… à condition que le rapport « offre/demande » joue dans un marché proche d’un « marché pur et parfait » – ce qui garantit automatiquement son efficacité. Dès lors qu’on se trouve dans un domaine où un tel marché est impossible (ex. l’électricité) l’intervention d’une administration pour réguler est indispensable.
[« La différence entre nous, c’est que je vois la première comme conséquence de la seconde. » En quoi la pleine propriété du travailleur sur la valeur produite est-elle susceptible de rompre la transmission des inégalités culturelles et patrimoniales hors capital productif ?]
Parce que dès lors que le capital est socialisé, et que le travailleur récupère la totalité de la valeur produite, nous sommes tous égaux (au sens « tous au même niveau économique »)… et il n’y a plus « d’inégalités » à transmettre, tout au plus des différences.
[La vraie question est de savoir si la rémunération du capital a une fonction sociale: si le capital n’est plus rémunéré, qu’est-ce qui va pousser les personnes privées à dépenser leur pécule ou à s’endetter pour créer qui un commerce, qui un atelier, qui une usine, si le seul espoir qu’ils ont est de simplement récupérer leur mise ?]
Tout à fait. La rémunération du capital a une fonction sociale. Mais elle a une fonction sociale DANS UNE SOCIETE CAPITALISTE, où des individus peuvent disposer librement de leur capital. Dès lors qu’on leur donne accorde cette liberté, on est de toute évidence obligé de trouver un mécanisme qui les encourage à transformer leurs biens en capital. Mais dans une société où cette liberté n’existe pas – par exemple, parce que le capital est socialisé – est-ce toujours le cas ? Pensez-vous que des hommes comme Marcel Paul ou Marcel Boiteux étaient motivés par la perspective de « récupérer plus que leur mise » quand ils ont créé et développé EDF ?
Accessoirement, celui qui « s’endette pour créer un commerce, un atelier, une usine » n’est pas un capitaliste : le capitaliste, c’est le prêteur.
[Je peux concevoir qu’en des temps passés, et pas si lointains, on ait pû “rémunérer” l’inventeur, l’entrepreneur audacieux, le créateur inspiré uniquement avec des médailles, le passage à la postérité et une rue à leur nom dans leur village de naissance, mais finalement, mêmes ces reconnaissances honorifiques ne sont-elles pas une rémunération du capital ?]
Non, puisqu’elles n’impliquent aucun transfert de valeur. Donner le nom de Boiteux à une rue ne couterait rien à la collectivité qui le déciderait… Et là encore, je note que vous « naturalisez » le capitalisme. Vous parlez de cette situation comme si elle était « naturelle ». Or, pendant des SIECLES on a « rémunéré » les gens avec des rues, des médailles, la reconnaissance de la postérité. Pourquoi cela ne marche plus aujourd’hui ? Ce changement n’aurait pas quelque chose à voir avec le développement du capitalisme, et le fait que celui-ci transforme tous les rapports sociaux en rapports monétaires ?
[Cette question vaut en particulier pour les investissements hautement capitalistiques. Qui prendra la peine (sans même parler du risque) d’investir plusieurs dizaines voire centaines de millions d’euros dans une usine pour une perspective de profit nulle ?]
Qui a pris la peine d’investir plusieurs centaines de milliards dans une école gratuite, publique, laïque et obligatoire ? Qui a pris la peine d’investir une centaine de milliards dans un parc nucléaire ? Pensez-vous que Boiteux ou Ferry étaient guidés par une perspective de profit personnel ? Vous me direz qu’ils n’investissaient pas LEUR patrimoine, mais le patrimoine socialisé…
[Ne restera que la force publique pour mener de gros investissements et faire des paris sur de nouvelles technologies. Or je suis persuadé qu’une économie a besoin d’investisseurs publics et privés pour provoquer une émulation, sous peine de se scléroser.]
J’aimerais savoir sur quoi se fonde votre conviction. Personnellement, je ne suis pas convaincu.
[J’ajoute que la socialisation des outils de production pose également un vrai problème en termes de direction de l’entreprise et de responsabilité. Pour les entreprises nationalisées, le problème est moindre car l’Etat peut prendre des directions audacieuses ou des décisions douloureuses avec autorité. Et de part son statut institutionnel, prendre ses responsabilités sans pour autant craindre de se faire haïr par quelques centaines de travailleurs dont on aura décidé de fermer l’usine. Mais dans une usine montée en coopérative, où tout devra se négocier avec l’ensemble des travailleurs ? Vous connaissez je suppose la formule anglaise: un chameau, c’est un cheval dessiné sur la base de compromis. Comment éviter que vos entreprises socialisées en coopératives ne soient toutes des chameaux, comme bon nombre d’associations aujourd’hui d’ailleurs ?]
Pour les raisons que vous énoncez, j’ai tendance à considérer que le modèle coopératif n’est viable que dans certains domaines (par exemple, lorsqu’il s’agit de mettre en commun des outillages entre des coopérateurs qui conservent le contrôle de leur affaire, comme c’est le cas dans l’agriculture). Pour les grands investissements, je préfère l’idée que ce soit l’Etat qui agisse. Et je pense que pour les petits investissements, il faudra conserver un secteur privé, parce que l’avantage de le socialiser ne compense pas les coûts de régulation. Pour le dire autrement, de la même manière qu’un modèle capitaliste « pur » est impossible (pensez à l’éducation ou l’électricité), un modèle socialiste « pur » me semble tout aussi inatteignable. Le réalisme implique de s’assurer du contrôle « des grands moyens de production et d’échange », et de laisser les autres au privé.
[Mais est-ce que ce blocage de l’ascenseur social est un fait du mode de production capitaliste ? Je n’en crois rien. Les différentes expériences communistes ont largement montré que la toute puissance administrative amenait tout autant à la constitution de castes puissantes naturellement peu enclines à céder leur place…]
Votre observation me semble très intéressante. Non, la tendance au blocage de l’ascenseur social devrait se présenter partout où une couche sociale craint de voir « rebattre les cartes ». La société soviétique a connu un développement qui n’est pas très différent de celui d’une société capitaliste : la période de grande croissance a généré une « couche intermédiaire » qui a été instrumentale dans la chute du régime. Mais cette couche n’est dangereuse que lorsqu’il y a une « bourgeoisie » sur laquelle elle peut prendre appui. Les « classes intermédiaires » soviétiques ont pris appui sur la bourgeoisie occidentale, trop contente d’avoir une « cinquième colonne ». Et il faut se souvenir des promesses qu’on avait fait aux « classes intermédiaires » soviétiques à la fin des années 1980…
[« Le capitalisme repose précisément sur le fait que les travailleurs ne sont PAS « libres de construire leur barque », et qu’ils sont donc forcés de conclure un contrat avec le propriétaire de la barque au prix imposé par celui-ci. » Ah bon ? Qu’est-ce qui les en empêche ?]
A votre avis ? Qu’est ce qui empêche les ouvriers de la sidérurgie de construire leur propre haut fourneau ?
[Le fait que la construction d’une entreprise nécessite une mise de départ qui peut rendre l’opération inaccessible au travailleur lambda n’a rien à voir avec le mode de production capitaliste.]
Bien sûr que si. Prenez un homme comme Marcel Boiteux. Il a pu construire un programme nucléaire d’une centaine de milliards parce qu’il avait le soutien du capital socialisé. Maintenant, s’il avait du recourir au capital privé, pensez-vous qu’il aurait réussi ? Que quelqu’un ayant du capital lui aurait fait confiance ? Autrement dit, en économie socialisée un homme sans “mise au départ” peut réaliser de grandes choses. En économie capitaliste pure… non.
Mais j’aimerais connaître votre explication. Pourquoi, à votre avis, les ouvriers ne deviennent pas tous capitalistes ?
@ Descartes
[nos échanges sont déjà dangereusement longs…]
C’est vrai, je vous prie de m’en excuser. je vais tâcher de focaliser sur les points qui me tiennent le plus à coeur, mais même ceux-ci sont nombreux ! Dans tous les cas merci du temps investi dans ces réponses.
[Une recette est de conditionner la libre circulation du capital au niveau de protection sociale]
Vous admettrez donc qu’on s’écarte largement du concept de libre-échange tel qu’il a pû faire chuter les prix des biens de consommation courante, ce qui était le point de départ de la discussion.
[ Je pense qu’il y a là une idée qui permet d’expliquer dans le cadre marxiste la différenciation des salaires sans pour autant remettre en cause la théorie marxienne de la valeur travail. La formation, les connaissances, l’expérience sont un capital d’autant plus important qu’elles sont rares et donc non substituables. (…) Ma théorie est justement que dans le salaire des individus il y a deux éléments : la rémunération de leur travail et la rémunération de ce capital qu’il met à la disposition de son employeur]
Attendez, attendez, vous veniez de m’expliquer que rien ne justifiait qu’un capital soit rémunéré au-delà du TTSN nécessaire à sa constitution. Et là vous me parlez de rémunération du capital (je vous cite: “rémunérer le « capital immatériel » que le chirurgien apporte.”) Ce qui vaut pour le capital matériel ne vaudrait pas pour le capital immatériel ? Pourquoi ? Qu’est-ce qui justifie à vos yeux, si il est injuste que le capital soit rémunéré au delà du coût de sa constitution, qu’un travailleur hyper-qualifié soit payé davantage qu’un balayeur une fois que les heures de travail investies dans la construction de sa qualification lui ont été “remboursées” ?
[La question est que le pêcheur « paye » au menuisier 100h de travail sur l’ensemble de la durée de vie de la barque.]
Je dois être stupide, je ne comprends pas votre raisonnement.
Selon vous:
Monsieur A passe 100h à construire une barque qui représente 100 unités de valeur-travail (UVT) – si on admet qu’1h de travail = 1 unité de VT.
Monsieur B (pêcheur) paye à Monsieur A 100 unités de UVT sous forme du produit de sa pêche.
Au terme de cet échange, selon vous, la barque peut être socialisée, autrement dit sa valeur de 100 UVT est également répartie entre A et B.
Faisons les comptes
“A” a travaillé 100h, et a été rémunéré pour son travail de 100 UVT (payés par “B”) et garde l’équivalent de 50 UVT sous la forme de la propriété partagée de la barque.
“A” est donc propriétaire au terme de l’opération de 150UVT pour 100h travaillées.
“B” quant à lui a travaillé 100h pour produire les 100UVT qui ont été reversées à “A”, et perçoit l’équivalent de 50UVT sou la forme de la propriété partagée de la barque.
“B” est donc propriétaire au terme de l’opération de seulement 50 UVT pour 100h travaillées
Qu’est-ce que je n’ai pas compris ?
[La logique de prix fixe oblige au rationnement… mais la logique de marché instaure un rationnement de fait. La seule différence est que dans le premier cas, c’est l’administration qui décide qui aura quelle quantité de pain, tandis que dans la seconde ce sont ceux qui ont le moins d’argent qui n’en auront pas, parce qu’ils ne pourront pas se le payer.]
Je vous en pris, allons au bout du raisonnement: la suite logique de votre conclusion c’est que dans la logique de marché, ceux qui ne peuvent pas accéder à un bien rare sont incités à produire de la valeur pour pouvoir payer ce bien, alors que dans le cas d’un rationnement administré, ils sont incités à “plaire” à l’administrateur ou à le corrompre (car s’il n’existe pas de marché “pur et parfait”, il existe encore moins d’administrateur “pur et parfait”).
En d’autres termes, dans le monde réel, la logique de marché pousse naturellement à la production, quand celle du rationnement administré pousse au clientélisme, au contrôle des opinions, à la soumission du peuple et à la corruption.
[Est-il « juste » que des gens gagnent beaucoup d’argent simplement parce qu’un accident climatique a rendu le bien qu’ils produisent rare ?]
Je vais vous rejoindre sur un point évoqué par ailleurs: certaines choses sont injustes mais elles sont indépassables. Dans un système de marché il est injuste que “des gens gagnent beaucoup d’argent simplement parce qu’un accident climatique -ou d’autre nature- a rendu le bien qu’ils produisent rare” et que les gens qui ne puissent pas se le payer crèvent de faim (cf les famines irlandaises), et dans un système administré, il est injuste que des gens soient privés d’une ressource parce qu’ils se sont mis en froid avec l’émetteur des tickets de rationnement et crèvent de faim (cf Holodomor). Dans une situation de crise, ou “il n’y en a pas pour tout le monde”, il y aura toujours des injustices, mais ce qui compte, c’est de déterminer quel est le système qui permet de sortir le plus vite de la crise. Et comme je vous le disais ci-dessus, la logique de marché pousse à la production, celle du rationnement pousse au clientélisme et à la corruption.
[Il est difficile de parler d’une situation « injuste » alors qu’il n’y a pas d’alternative. C’est un peu de dire qu’il est « injuste » que nous soyons mortels (…) il est impossible de « faire partir chaque être humain dans la vie avec les mêmes armes ». Et dès lors que c’est impossible, peut-on dire que c’est « injuste » ?]
Ne faites pas l’innocent: quand je parle d’injustice, je parle bien sûr d’inégalité entre les Hommes, pas de Caliméro. Consécutivement il n’y a aucune injustice à ce que nous soyons mortels. Et le fait qu’éliminer totalement une injustice soit impossible ne doit pas empêcher de constater cette injustice, sinon comme justifier de mettre en œuvre des moyens à même de l’atténuer, faute de mieux ?
[Si la sélection méritocratique avait « rebattu les cartes », comment expliquez-vous que pendant longtemps ceux qui avaient tout intérêt à ce que les cartes ne soient pas rebattues aient mis si longtemps à commencer à la combattre ?]
On peut renverser la question: Si la sélection méritocratique était incapable de rebattre les cartes, comment expliquer les efforts des classes sociales élevées pour mettre à bas ce système maintenant maintenant que l’expansion du nombre de places disponibles en haut de l’échelle s’est arrêtée ?
[S’il s’agissait d’un phénomène rare, la justice peut se rétablir avec un mécanisme assurantiel.]
Ok pour la situation aléatoire, mais quid des différences structurelles ? Entre deux ouvriers sur un même poste de chantier, il peut y avoir une différence de productivité allant du simple au double. La rémunération varie également d’individu à individu en fonction des performances personnelles ?
[Pensez-vous que des hommes comme Marcel Paul ou Marcel Boiteux étaient motivés par la perspective de « récupérer plus que leur mise » quand ils ont créé et développé EDF ?]
Je ne sache pas qu’ils aient investi leur patrimoine personnel dans ce projet. Leur investissement me semble davantage comparable à celui du violoniste qui donne sa vie à son instrument.
[Accessoirement, celui qui « s’endette pour créer un commerce, un atelier, une usine » n’est pas un capitaliste : le capitaliste, c’est le prêteur.]
Point intéressant. Comment fonctionne l’emprunt par une personne privée) dans votre système ?
[je suis persuadé qu’une économie a besoin d’investisseurs publics et privés pour provoquer une émulation, sous peine de se scléroser. // J’aimerais savoir sur quoi se fonde votre conviction.]
Sur plusieurs points, mais surtout, je me méfie d’un Etat tout-puissant, qui serait le seul habilité à mener des politiques industrielles lourdes, car l’Etat reste soumis au politique, pour le meilleur certes mais aussi pour le pire.
EDF, que vous citez à tout bout de champ comme l’exemple suprême de la réussite d’une politique industrielle d’Etat, est aussi le parfait exemple du mal que l’idéologie politique et le clientélisme électoral peuvent produire au niveau économique. Car si l’Etat a produit un parc nucléaire formidable, c’est le même État qui est responsable du saccage d’un outil industriel magnifique et de milliards d’investissements en R&D au nom d’accords électoraux de coin de table, ne l’oublions pas. C’est aussi ça, l’économie administrée.
Faire de l’Etat l’alpha et l’omega de la politique industrielle, à mon sens, pose un problème qui va au-delà de l’économie. C’est carrément un problème démocratique si toute activité fortement capitalistique doit être soumise à l’approbation d’un comité central.
Par ailleurs, et je pense que vous me contesterez ce point, mais il em semble que la productivité du privé est supérieure à celle du public. Garder un secteur privé permet de stimuler en retour la productivité du public.
[Je pense que pour les petits investissements, il faudra conserver un secteur privé, parce que l’avantage de le socialiser ne compense pas les coûts de régulation.]
Et du coup d’autoriser la rémunération du capital quand celui-ci reste en deça d’un certain seuil ? (ce qui permettrait du même coup de régler la question de la rémunération du capital immatériel du travailleur qualifié)
[Les différentes expériences communistes ont largement montré que la toute puissance administrative amenait tout autant à la constitution de castes puissantes naturellement peu enclines à céder leur place… // Les « classes intermédiaires » soviétiques ont pris appui sur la bourgeoisie occidentale, trop contente d’avoir une « cinquième colonne »]
Je ne parle pas ici des classes intermédiaires mais des employés de la haute bureaucratie, qui eu n’avaient pas intérêt à voir le régime chuter, mais qui pour autant formaient un oligarchie vampirisante.
[Le fait que la construction d’une entreprise nécessite une mise de départ qui peut rendre l’opération inaccessible au travailleur lambda n’a rien à voir avec le mode de production capitaliste. // Bien sûr que si. Prenez un homme comme Marcel Boiteux. Il a pu construire un programme nucléaire d’une centaine de milliards parce qu’il avait le soutien du capital socialisé. Maintenant, s’il avait du recourir au capital privé, pensez-vous qu’il aurait réussi ? Que quelqu’un ayant du capital lui aurait fait confiance ? Autrement dit, en économie socialisée un homme sans “mise au départ” peut réaliser de grandes choses. En économie capitaliste pure… non.]
En 2008, Gwynne Shotwell, ingénieur en aérospatial, est embauchée par E.Musk, capitaliste s’il en est, pour conduire un projet à plusieurs centaines de milliards de dollars nommé SpaceX. 15 ans plus tard, SpaceX est le premier lanceur de satellites commerciaux (et de très loin) et ravitaille la SSI.
Les ouvriers ne deviennent pas tous capitalistes parce qu’il faut un capital pour devenir capitaliste. ça n’a rien à voir avec le mode de production.
@ P2R
[Dans tous les cas merci du temps investi dans ces réponses.]
Ne me remerciez pas, je prends autant plaisir que vous à réfléchir ensemble à ces questions.
[« Une recette est de conditionner la libre circulation du capital au niveau de protection sociale » Vous admettrez donc qu’on s’écarte largement du concept de libre-échange tel qu’il a pû faire chuter les prix des biens de consommation courante, ce qui était le point de départ de la discussion.]
Pas tout à fait. Le libre-échange « ricardien » faisait baisser le prix des biens sans transfert de capital. La théorie des avantages comparatifs repose sur l’idée que l’économie bénéficie globalement du fait que chaque pays se spécialise dans ce qu’il peut produire le plus efficacement. Ainsi, il est plus rationnel de cultiver des oranges en Espagne et de la betterave à sucre en Belgique et d’échanger ces productions, plutôt que de chercher à faire pousser des oranges et de la betterave partout. Mais ce modèle n’inclut nullement la « libre circulation des capitaux ». Il n’est nullement évident que la libre circulation du capital ait bénéficié a quiconque sauf aux capitalistes.
[« Je pense qu’il y a là une idée qui permet d’expliquer dans le cadre marxiste la différenciation des salaires sans pour autant remettre en cause la théorie marxienne de la valeur travail. La formation, les connaissances, l’expérience sont un capital d’autant plus important qu’elles sont rares et donc non substituables. (…) Ma théorie est justement que dans le salaire des individus il y a deux éléments : la rémunération de leur travail et la rémunération de ce capital qu’il met à la disposition de son employeur » Attendez, attendez, vous veniez de m’expliquer que rien ne justifiait qu’un capital soit rémunéré au-delà du TTSN nécessaire à sa constitution. Et là vous me parlez de rémunération du capital (je vous cite: “rémunérer le « capital immatériel » que le chirurgien apporte.”) Ce qui vaut pour le capital matériel ne vaudrait pas pour le capital immatériel ?]
Bien sur que si. Vous confondez ici un raisonnement explicatif et un raisonnement normatif. Je ne prétends pas qu’il soit « juste » ou « légitime » de rémunérer le capital au delà du TTSN nécessaire à sa constitution. Je vous dis que c’est ce qui arrive dans une société capitaliste. Dans une société capitaliste, le travail est une marchandise et elle est rémunérée en fonction d’un rapport de marché, comme n’importe quel autre bien. Si les chirurgiens sont rares, ils sont payés bien au-delà du TTSN nécessaire pour les former. S’ils sont nombreux, leur salaire diminue. Et lorsque celui-ci tombe en dessous d’un seul tel qu’il y a d’autres choix de carrière qui, au même coût de formation, sont plus rentables, et bien le nombre de chirurgiens baisse – c’est ce à quoi on assiste d’ailleurs aujourd’hui. C’est la même chose qu’avec une autre marchandise : si son prix de marché tombe en dessous d’un seuil où il est plus rentable de produire autre chose avec le même capital, les usines ferment…
Par ailleurs, même si l’on s’en tient à rémunérer le capital au TTSN nécessaire à sa constitution, il serait logique que le chirurgien soit rémunéré plus cher que l’éboueur pour le même temps de travail, puisqu’il faut rémunérer non seulement le travail de chirurgien, mais le travail effectué pour acquérir la compétence.
[Pourquoi ? Qu’est-ce qui justifie à vos yeux, si il est injuste que le capital soit rémunéré au delà du coût de sa constitution, qu’un travailleur hyper-qualifié soit payé davantage qu’un balayeur une fois que les heures de travail investies dans la construction de sa qualification lui ont été “remboursées” ?]
Rien ne « justifie » à mes yeux que la différence entre le salaire d’un travailleur hyper-qualifié et le salaire d’un balayeur soit en valeur cumulée supérieure à au TTSP nécessaire à la constitution de cette qualification. Mais je ne peux que constater que dans la société capitaliste où nous sommes, ce n’est pas le cas. Parce que dans la société capitaliste dans laquelle nous sommes, on ne se contente pas de rémunérer le capital au coût de sa reconstitution, on le rémunère bien plus, grâce à la plusvalue extraite.
[Je dois être stupide, je ne comprends pas votre raisonnement.]
Vous n’êtes pas stupide. Je préfère penser que c’est moi qui ai mal expliqué mon point de vue…
[Selon vous: Monsieur A passe 100h à construire une barque qui représente 100 unités de valeur-travail (UVT) – si on admet qu’1h de travail = 1 unité de VT.]
Correct.
[Monsieur B (pêcheur) paye à Monsieur A 100 unités de UVT sous forme du produit de sa pêche.
Au terme de cet échange, selon vous, la barque peut être socialisée, autrement dit sa valeur de 100 UVT est également répartie entre A et B.]
Non. Monsieur B paye à Monsieur A 100 unités de UVT sous forme du produit de sa pêche SUR L’ENSEMBLE DE LA VIE UTILE DE LA BARQUE. Autrement dit, lorsque les 100 unités auront été complètement payées, la barque n’aura plus aucune valeur d’usage. Ce rapport économique peut se traduire juridiquement de différentes manières. A peut conserver formellement la « propriété » et louer la barque à B pour un loyer qui, SUR L’ENSEMBLE DE LA VIE UTILE DE LA BARQUE, représente ces 100 unités. Ou bien, A peut vendre la barque à B (s’il a une réserve pour l’acheter, ou bien en souscrivant un prêt auprès de C) et B reconstituera cette réserve en prélevant sur sa pêche tout au long de la vie utile de la barque, ce qui aboutit à cette échéance au même résultat. Ou encore, troisième solution, la barque est « socialisée » : l’Etat achète la barque à A en lui payant 100 unités pour son travail, et loue la barque à B pour un loyer qui, cumulé sur la durée de vie de la barque, équivaut à ces 100 unités. Toutes ces solutions juridiques aboutissent au même résultat en termes économiques : A récupère la totalité de la valeur qu’il a produit, B aussi puisque grâce à la barque sa productivité a augmenté au-delà des 100 unités qu’il a payé pour la barque. Et tout ça sans qu’un capitaliste intervienne.
[Faisons les comptes
“A” a travaillé 100h, et a été rémunéré pour son travail de 100 UVT (payés par “B”) et garde l’équivalent de 50 UVT sous la forme de la propriété partagée de la barque.
“A” est donc propriétaire au terme de l’opération de 150UVT pour 100h travaillées.
“B” quant à lui a travaillé 100h pour produire les 100UVT qui ont été reversées à “A”, et perçoit l’équivalent de 50UVT sou la forme de la propriété partagée de la barque.
“B” est donc propriétaire au terme de l’opération de seulement 50 UVT pour 100h travaillées
Qu’est-ce que je n’ai pas compris ?]
Je n’ai pas compris d’où vous tirez vos « 50 UVT ». A travaille 100h et reçoit la valeur de 100h de pêche SUR L’ENSEMBLE DE LA VIE UTILE DE LA BARQUE. Et à la fin de l’histoire, il n’est plus « propriétaire » de rien, puisque la barque, ayant fini sa vie utile, n’a plus aucune valeur… Je crois que ce que vous oubliez dans votre raisonnement, c’est le fait que la barque a une vie utile finie, autrement dit, que sa « valeur » s’épuise avec le temps. Il y a des biens de capital qui sont – au moins en première approximation – « inépuisables ». C’est le cas de la terre, par exemple, et cela a posé pas mal de problèmes aux économistes comme Ricardo ou Marx, parce que l’équivalence entre capital et travail nécessaire à le constituer ne fonctionne pas.
[« La logique de prix fixe oblige au rationnement… mais la logique de marché instaure un rationnement de fait. La seule différence est que dans le premier cas, c’est l’administration qui décide qui aura quelle quantité de pain, tandis que dans la seconde ce sont ceux qui ont le moins d’argent qui n’en auront pas, parce qu’ils ne pourront pas se le payer. » Je vous en prie, allons au bout du raisonnement : la suite logique de votre conclusion c’est que dans la logique de marché, ceux qui ne peuvent pas accéder à un bien rare sont incités à produire de la valeur pour pouvoir payer ce bien, alors que dans le cas d’un rationnement administré, ils sont incités à “plaire” à l’administrateur ou à le corrompre (car s’il n’existe pas de marché “pur et parfait”, il existe encore moins d’administrateur “pur et parfait”).]
Votre raisonnement n’est pas faux, mais allons au bout du raisonnement : oui, ceux qui ne peuvent pas accéder à un bien rare sont incités à produire de la valeur pour pouvoir payer ce bien. Mais ensuite ? Si le bien est « rare », le fait de produire de la valeur ne change rien : s’il n’y en a pas pour tout le monde, augmenter le pouvoir d’achat ne fait que provoquer une augmentation de prix, et on revient à la situation précédente. Si j’ai une ration de pain, et qu’il y a deux personnes qui le veulent, il n’y a qu’une seule qui l’aura, et cela quelque soit l’effort que l’autre fasse pour « produire de la valeur ». Dans une société capitaliste, c’est la plus riche qui l’emportera, et l’autre partira le ventre vide. Dans une société socialiste, l’Etat aura la possibilité de couper la ration en deux et donner à chacun la moitié.
Maintenant, vous me direz que si les gens sont « incités à produire de la valeur », il y aura plus de pain et la limitation disparaîtra. C’est vrai en situation de concurrence pure et parfaite. Mais dès lors que la concurrence est imparfaite, ce n’est plus vrai. Certains biens sont structurellement limités en quantité, quel que soit l’effort des acteurs pour en produire (pensez par exemple aux tableaux de Picasso). D’autres peuvent être produites en grande quantité en théorie mais les barrières à l’entrée sont telles qu’en pratique « l’incitation à produire » ne suffit pas (pensez aux produits sous licence, comme les sacs Vuitton ou les IPhone).
Maintenant, sur la question du raisonnement. Les administrateurs « purs et parfaits » sont rares, mais pas aussi rares que les marchés « purs et parfaits ». L’observation empirique montre que lorsqu’un marché est très imparfait, l’administrateur même imparfait est plus efficace. Prenez les situations de guerre : le rationnement a donné lieu à beaucoup de cas de corruption et de marché noir, et pourtant, tous les gouvernements – quelque soit leur signe politique – y ont eu recours. Pourquoi ? Parce que le rationnement, même administré par un « administrateur imparfait », est beaucoup plus efficace qu’un « marché imparfait ». Et sans aller à un cas aussi extrême, pensez à l’électricité : qui a été chez nous plus efficace, le monopole EDF ou la concurrence imparfaite ?
[En d’autres termes, dans le monde réel, la logique de marché pousse naturellement à la production, quand celle du rationnement administré pousse au clientélisme, au contrôle des opinions, à la soumission du peuple et à la corruption.]
Bien sur que non. La logique de marché pousse à la production seulement lorsque le marché est « pur et parfait ». Lorsqu’il est imparfait, ce n’est pas le cas. Pensez par exemple le marché du luxe, ou les producteurs ont intérêt à maintenir des barrières à l’entrée et à limiter la quantité pour maintenir le prix. Pensez au marché de l’électricité, où les producteurs privés ont tout intérêt à organiser la pénurie – l’exemple californien est admis même par les économistes libéraux, c’est dire. Pensez aux différents exemples de « cartellisation », notamment dans l’industrie pétrolière. A l’inverse, le domaine de l’électricité vous montre qu’on peut avoir un rationnement administré sans clientélisme, contrôle des opinions, soumission du peuple ou corruption.
[Je vais vous rejoindre sur un point évoqué par ailleurs: certaines choses sont injustes mais elles sont indépassables. Dans un système de marché il est injuste que “des gens gagnent beaucoup d’argent simplement parce qu’un accident climatique -ou d’autre nature- a rendu le bien qu’ils produisent rare” et que les gens qui ne puissent pas se le payer crèvent de faim (cf les famines irlandaises),]
Encore un exemple de « naturalisation » de l’idéologie dominante. Certaines injustices, comme vous dites, sont « indépassables »… mais cette « indépassabilité » est-elle universelle, ou ne vaut que pour un système donné ? Tel que vous le formulez, on penserait qu’elle est universelle… Mais curieusement, vous commencez la phrase suivante par « dans un système de marché », ce qui laisse supposer que cette « injustice » ne vaut que pour ce sistème-là…
[et dans un système administré, il est injuste que des gens soient privés d’une ressource parce qu’ils se sont mis en froid avec l’émetteur des tickets de rationnement et crèvent de faim (cf Holodomor).]
Je pense que réduire l’Holodomor à un conflit avec l’émetteur de tickets de raisonnement est un travesti de l’histoire. Pour faire vite, l’Holodomor est le résultat d’un choix politique, celui d’assurer le ravitaillement des villes à tout prix. On peut critiquer ce choix, mais le choix inverse – qui aurait préservé les paysans propriétaires mais aurait provoqué la famine dans les villes – l’aurait été aussi. Quand il n’y a pas assez de nourriture pour tout le monde, il faut faire des choix tragiques. Maintenant j’aimerais avoir votre opinion : si au lieu d’appliquer un rationnement de fer, les bolchéviques de l’époque s’étaient contentés de laisser jouer la loi du marché, que serait-il arrivé, à votre avis ?
[Dans une situation de crise, ou “il n’y en a pas pour tout le monde”, il y aura toujours des injustices,]
Certes, mais certains systèmes de répartition aboutissent à des injustices plus importantes que d’autres. Je suis, je dois dire, étonné par votre foi dans le mécanisme de marché. Après tout, s’il est possible de démontrer qu’un marché « pur et parfait » conduit à l’allocation optimale des ressources, cette démonstration est impossible dès lors qu’on s’éloigne des hypothèses de pureté et de perfection. Considérer qu’un marche imparfait reste un régulateur optimal relève donc de l’acte de foi.
[mais ce qui compte, c’est de déterminer quel est le système qui permet de sortir le plus vite de la crise.]
Si le critère est la possibilité de sortir le plus vite de la crise, les exemples sont innombrables de cas où le « laisser faire » a conduit à la catastrophe. La crise de 1929 est le cas le plus éclatant : les pays qui sont sortis le plus vite de la récession sont ceux où l’Etat et intervenu contre les marchés – comme ce fut le cas avec le New Deal américain – alors que ceux qui sont restés rivés à la doctrine libérale de non intervention ont trainé la crise pendant des années.
[Et comme je vous le disais ci-dessus, la logique de marché pousse à la production, celle du rationnement pousse au clientélisme et à la corruption.]
Encore une fois, la logique de marché ne pousse à la production que si le marché est « pur et parfait ». Dans un marché cartellisé, par exemple, ce n’est pas le cas.
[On peut renverser la question: Si la sélection méritocratique était incapable de rebattre les cartes, comment expliquer les efforts des classes sociales élevées pour mettre à bas ce système maintenant que l’expansion du nombre de places disponibles en haut de l’échelle s’est arrêtée ?]
Je n’ai pas dit que la « sélection méritocratique soit incapable de rebattre les cartes ». J’ai dit que pendant très longtemps elle n’a « rebattu les cartes » que vers le haut, et cela était possible parce que la société était en expansion, et que les classes intermédiaires pouvaient donc accommoder des nouveaux venus sans que cela remette en cause leur propre avenir. Dès lors que l’expansion s’arrête, il n’est plus possible de « rebattre les cartes » dans une seule direction. Permettre à ceux d’en bas de de monter n’est possible que si on accepte de voir ceux d’en haut descendre. Et c’est pour cela que « maintenant » – en fait, depuis la fin des années 1960 et le début des années 1970 les classes dominantes font ce qu’elles peuvent pour casser l’ascenseur social.
[Ok pour la situation aléatoire, mais quid des différences structurelles ? Entre deux ouvriers sur un même poste de chantier, il peut y avoir une différence de productivité allant du simple au double. La rémunération varie également d’individu à individu en fonction des performances personnelles ?]
Non. On revient à la question du TTSN. C’est lui qui donne la valeur des biens produits, et non la productivité effective du travailleur. Après, la société peut avoir un intérêt à stimuler la productivité en récompensant les plus productifs, mais c’est là un acte politique, pas la rémunération d’un travail.
[« Pensez-vous que des hommes comme Marcel Paul ou Marcel Boiteux étaient motivés par la perspective de « récupérer plus que leur mise » quand ils ont créé et développé EDF ? » Je ne sache pas qu’ils aient investi leur patrimoine personnel dans ce projet. Leur investissement me semble davantage comparable à celui du violoniste qui donne sa vie à son instrument.]
Je rappelle votre question : « qui va pousser les personnes privées à dépenser leur pécule ou à s’endetter pour créer qui un commerce, qui un atelier, qui une usine, si le seul espoir qu’ils ont est de simplement récupérer leur mise ? ». On peut discuter le fait que Boiteux ou Paul aient mis leur « pécule » dans EDF – c’est la question de savoir si le « capital immatériel » compte ou non – mais en tant que dirigeants d’une entreprise (certes publique) ils se sont bien « endettés » comme l’aurait fait n’importe quel entrepreneur privé. Le programme nucléaire n’a pas été construit avec de l’argent de l’Etat, mais avec de la dette souscrite auprès de banques.
[« Accessoirement, celui qui « s’endette pour créer un commerce, un atelier, une usine » n’est pas un capitaliste : le capitaliste, c’est le prêteur. » Point intéressant. Comment fonctionne l’emprunt par une personne privée dans votre système ?]
J’imagine que par « mon système » vous entendez une économie socialisée. Dans ce cas, l’emprunt peut revêtir deux formes. L’une est le prêt à la consommation – autrement dit, la possibilité de jouir d’un bien avant d’avoir accumulé les moyens de l’acheter. L’autre est de constituer le capital dans une activité qui ne soit pas socialisée (dans l’hypothèse ou l’on ne socialise que « les grands moyens de production et d’échange »). Dans le premier cas, le taux d’intérêt doit être celui du « coût de renonciation à consommer », c’est-à-dire, le taux qui serait servi à quelqu’un qui au lieu de consommer immédiatement préférerait mettre l’argent à la banque. On arrive ainsi à un taux faible. Dans le deuxième cas, le taux est la rémunération du capital, mais le prêteur doit TOUJOURS être public.
[« je suis persuadé qu’une économie a besoin d’investisseurs publics et privés pour provoquer une émulation, sous peine de se scléroser. // J’aimerais savoir sur quoi se fonde votre conviction. » Sur plusieurs points, mais surtout, je me méfie d’un Etat tout-puissant, qui serait le seul habilité à mener des politiques industrielles lourdes, car l’Etat reste soumis au politique, pour le meilleur certes mais aussi pour le pire.]
Curieusement, vous craignez l’Etat parce qu’il est « soumis au politique », mais vous ne craignez pas le capitaliste privé alors que celui-ci est « soumis à ses intérêts égoïstes ». Autrement dit, vous craignez plus les excès du politique plutôt que les excès de l’égoïsme privé. J’aimerais bien savoir sur quoi se fonde cette méfiance en l’un, confiance en l’autre.
L’incapacité du privé à conduire des « politiques industrielles lourdes » est bien documentée. Si les chemins de fer ou l’électricité ont été nationalisées sous des formes différentes par presque tous les pays, ce n’est pas par hasard : c’est parce que le secteur privé s’est révélé incapable de constituer le système intégré dont les capitalistes eux-mêmes avaient besoin.
[EDF, que vous citez à tout bout de champ comme l’exemple suprême de la réussite d’une politique industrielle d’Etat, est aussi le parfait exemple du mal que l’idéologie politique et le clientélisme électoral peuvent produire au niveau économique. Car si l’Etat a produit un parc nucléaire formidable, c’est le même État qui est responsable du saccage d’un outil industriel magnifique et de milliards d’investissements en R&D au nom d’accords électoraux de coin de table, ne l’oublions pas.]
Pardon, mais vous travestissez légèrement les choses. Le saccage de l’outil n’est pas venu de l’Etat, mais de l’Union européenne. Et il est venu dans les valises d’une révolution néolibérale poussée par le capital privé. Les « accords électoraux de coin de table » ont pu faire du mal localement, mais ce n’est rien comparé aux dégâts générés par l’ouverture à la concurrence.
Mais admettons que ce soit le cas. Je n’aurais pas de difficulté à vous citer des grandes entreprises qui ont périclité parce que leurs actionnaires ont fait le choix de servir leurs intérêts privés plutôt que ceux de l’entreprise… Alstom, sans aller plus loin !
[Faire de l’Etat l’alpha et l’omega de la politique industrielle, à mon sens, pose un problème qui va au-delà de l’économie. C’est carrément un problème démocratique si toute activité fortement capitalistique doit être soumise à l’approbation d’un comité central.]
Je ne dis pas que cela marche à tous les coups. Mais je préfère que toute activité fortement capitalistique soit soumise à l’approbation d’un comité central plutôt qu’à l’approbation de quelques milliardaires qui poursuivront leur intérêt individuel.
[Par ailleurs, et je pense que vous me contesterez ce point, mais il me semble que la productivité du privé est supérieure à celle du public. Garder un secteur privé permet de stimuler en retour la productivité du public.]
Cela dépend de ce que vous appelez « productivité ». S’agit-il de la valeur produite par travailleur ? Par heure travaillée ? Par euro de capital investi ? Notez aussi qu’il y a une difficulté à comparer la productivité dans des activités qui sont par nature très différentes. A quoi voudriez-vous comparer la productivité de la SNCF, par exemple ?
Cela étant dit, on peut faire quelques comparaisons. Ainsi, par exemple, la privatisation des chemins de fer britanniques s’est traduite par une baisse de la productivité globale et une dégradation massive du service et une augmentation non moins massive des accidents. Pourquoi ? Parce que les actionnaires ont préféré se payer de généreux dividendes tout de suite en réduisant massivement les investissements, quitte à laisser l’outil de production se dégrader. Même chose avec EDF : l’ouverture du capital s’est traduite par des coupes drastiques dans la maintenance des centrales… qu’on paye aujourd’hui : le taux de disponibilité du parc, qui était de 84% en 2003 (avant l’ouverture du capital) est tombé à 72% en dix ans.
Il faut aussi savoir que les tendances de la gestion privée et de la gestion publique ne sont pas les mêmes. La gestion privée tend à privilégier la rentabilité, là où la gestion publique tend à privilégier la sécurité. Autrement dit, un électricien privé cherche à adapter son parc de production à la demande, de manière qu’aucune installation ne reste inutilisée, quitte à couper le courant les jours de très forte consommation avec le coût social que cela implique – mais que l’entreprise ne supporte pas. L’électricien public tend au contraire à se mettre en situation de ne jamais couper, quitte à avoir des installations de production qui ne sont utilisées que quelques jours par an, ce qui réduit la rentabilité de l’ensemble. La gestion publique est donc supérieure à la gestion privée dans les domaines ou la sécurité et la continuité du service ont une grande valeur sociale. La rentabilité inférieure au niveau de l’entreprise se retrouve dans une rentabilité supérieure au niveau de la société toute entière.
[« Je pense que pour les petits investissements, il faudra conserver un secteur privé, parce que l’avantage de le socialiser ne compense pas les coûts de régulation. » Et du coup d’autoriser la rémunération du capital quand celui-ci reste en deça d’un certain seuil ? (ce qui permettrait du même coup de régler la question de la rémunération du capital immatériel du travailleur qualifié)]
Oui. Ce n’est pas « propre » du point de vue de la pureté révolutionnaire, mais c’est rationnel d’un point de vue économique. S’il faut nationaliser les restaurants et les bistrots, on ne s’en sort pas. C’est un peu ce qu’avait cherché à faire Lénine lorsqu’il met en route la NEP.
[Je ne parle pas ici des classes intermédiaires mais des employés de la haute bureaucratie, qui eu n’avaient pas intérêt à voir le régime chuter, mais qui pour autant formaient un oligarchie vampirisante.]
Ils ont fini par avoir intérêt à voir le système chuter… pour pouvoir racheter les restes et devenir des vrais capitalistes. Vous n’avez qu’à regarder ce que sont devenus une partie des « employés de la haute bureaucratie » : ils sont devenus des oligarques, petits ou gros. Le vampirisme, ça peut être intéressant, mais pourquoi partager le magot alors qu’on peut l’avoir tout pour soi ?
[En 2008, Gwynne Shotwell, ingénieur en aérospatial, est embauchée par E.Musk, capitaliste s’il en est, pour conduire un projet à plusieurs centaines de milliards de dollars nommé SpaceX. 15 ans plus tard, SpaceX est le premier lanceur de satellites commerciaux (et de très loin) et ravitaille la SSI.]
Et qui touche les bénéfices ? Pas Gwinne Shotwell, et pas la collectivité – comme ce fut le cas pour l’activité de Boiteux – mais Elon Musk. Quant on fait des « grandes choses » dans un contexte capitaliste, c’est pour le plus grand bénéfice de son patron. C’est ça la différence…
[Les ouvriers ne deviennent pas tous capitalistes parce qu’il faut un capital pour devenir capitaliste. ça n’a rien à voir avec le mode de production.]
Bien sur que si. Un mode de production qui repose sur le fait qu’une partie de la population détient le capital et s’enrichit en prélevant une partie de la valeur produite par les travailleurs a besoin de travailleurs à exploiter. Si tous les travailleurs pouvaient accumuler du capital, alors aucun n’accepterait de céder une partie de la valeur produite et le système s’arrête. C’est d’ailleurs une idée qui a été théorisée par les socialistes coopérativisâtes : pour eux, le développement des coopératives, qui permettaient aux prolétaires d’accumuler du capital et donc de ne plus dépendre du capitaliste pour travailler, pouvait en finir avec le capitalisme en asséchant la bourgeoisie de ses prolétaires. Si la bourgeoisie ne trouvait plus de prolétaires, c’en était fini de la plusvalue…
Pourquoi cela n’a pas marché ? Parce que le mode de production ne permet pas structurellement aux travailleurs d’accumuler le capital qui les mettrait en position de ne pas avoir à vendre leur force de travail au capitaliste. C’est bien une question de mode de production, et non de choix individuel.
@ Descartes
***J’aimerais comprendre pourquoi. Qu’est ce qui vous fait penser aujourd’hui qu’un mode de production qui ne soit pas fondé sur le prélèvement de plus-value sur le travail n’est pas viable ?***
Je ne pense pas que ce ne soit pas viable, bien au contraire je pense que ce serait plus rationnel et plus efficace. Pour moi le collectif est forcement supérieur à l’individu.
Mais il y a plusieurs facteurs qui me rendent pessimiste :
– Dans la classe politique, à gauche il n’y a plus de débat sur cette question, j’ai l’impression qu’ils ont tous admis qu’il n’y a pas d’alternative au capitalisme (Il y a bien le NPA, mais c’est un groupuscule gauchiste que je considère aussi nocif que LFI). C’est aussi un constat que je fait sur le plan international.
– L’influence du PCF s’est effondrée et le rapport de forces est de plus en plus favorable à l’ordre établi
– Je sais que vous ne partagez pas ce point de vue, mais il me semble tellement évident : – sur un plan anthropologique le communisme ne me semble pas être la tendance naturelle d’Homo Sapiens.
@ Manchego
[– Dans la classe politique, à gauche il n’y a plus de débat sur cette question, j’ai l’impression qu’ils ont tous admis qu’il n’y a pas d’alternative au capitalisme]
Normal, ils sont tous issus des classes intermédiaires, que le capitalisme arrange beaucoup. Vous ne vous attendez tout de même pas à ce que ces classes scient la branche sur laquelle elles sont assises en envisageant une alternative au capitalisme, ni même en suggérant qu’une alternative est possible…
[Je sais que vous ne partagez pas ce point de vue, mais il me semble tellement évident : – sur un plan anthropologique le communisme ne me semble pas être la tendance naturelle d’Homo Sapiens.]
Non, je ne le partage pas. Mais j’aimerais savoir sur quels élément s’appuie votre opinion. “Anthropologiquement”, il existe beaucoup de civilisations qui ne connaissant pas la propriété privée, alors la propriété privée du capital… et puis, le capitalisme n’existe que depuis quelques siècles, l’essentiel de l’histoire humaine est fait de sociétés non-capitalistes. Il me semble difficile dans ces conditions de s’appuyer sur un argument “anthropologique”…
vous avez le mérite de formuler clairement votre position sur l’Ukraine.
1- la guerre en Ukraine est le résultat d’une stratégie américaine d’encerclement de la Russie, avec l’adhésion successivement de tous les pays voisins de la Russie au système OTAN/UE, par la force si nécessaire. Devant cette stratégie, la Russie avait depuis longtemps tracé ses “lignes rouges”, et en particulier le fait que l’adhésion de l’Ukraine serait un “casus belli”. Le système OTAN/UE a franchi la “ligne rouge”, la Russie ne pouvait que faire la guerre, sous peine de perdre toute crédibilité.
Vous justifiez implicitement l’agression russe en disant « la Russie ne pouvait que faire la guerre » Mais toute la question est de savoir si cette ligne rouge était justifiée. Or cette ligne rouge était le déni du libre choix du peuple ukrainien de choisir librement ses alliances. Si on admet que n’importe quel pays peut définir arbitrairement, sans que cela soit contesté, ses lignes rouges, c’est la justification de toutes les guerres. Les américains de toutes leurs guerres depuis 1945.
2-A partir de là, la stratégie de la France doit être guidée par ses intérêts. Il n’est pas de notre intérêt d’avoir un monde unipolaire dominé par les Américains. Nous avons au contraire intérêt à un monde multipolaire, qui nous permettrait à nous, puissance intermédiaire, de jouer notre jeu. Il est donc de notre intérêt que la Russie ne perde pas la guerre, et que le conflit se termine par la neutralisation de l’Ukraine. C’est à ce résultat qu’il nous faudrait travailler.
Je ne suis pas sûr de comprendre le « A partir de là, la stratégie de la France doit être guidée par ses intérêts ». C’est un truisme … dans tous les cas la position de la France doit être justifiée par ses intérêts.… mais passons, ce n’est pas l’essentiel.
« Nous avons au contraire intérêt à un monde multipolaire, qui nous permettrait à nous, puissance intermédiaire, de jouer notre jeu. » Certes, mais comme toujours dans chaque situation il faut peser les plus et les moins.
En cherchant à ce que la Russie perde, et que l’Ukraine ne soit pas neutralisée (je prends l’opposé de votre position) nous ne limiterions pas beaucoup l’aspect multipolaire de ce monde. Il resterait deux grandes puissance, la Chine et les USA, et deux puissances importantes, l’Inde et la Russie. Sans parler des multiples puissances moyennes (Allemagne, Japon …) En contrepartie, la Russie, puissance voisine qui nous est hostile, qui nous mène une guerre idéologique avec ses « petits hommes verts des réseaux sociaux », ses attaques informatiques contre nos entreprises publiques et privées, serait affaiblie et nous gagnerions un allié de poids, bien armé, l’Ukraine.
L’un dans l’autre il me semble que ce serait notre intérêt.
@ marc.malesherbes
[vous avez le mérite de formuler clairement votre position sur l’Ukraine.]
Merci, j’essaye…
[« 1- la guerre en Ukraine est le résultat d’une stratégie américaine d’encerclement de la Russie, avec l’adhésion successivement de tous les pays voisins de la Russie au système OTAN/UE, par la force si nécessaire. Devant cette stratégie, la Russie avait depuis longtemps tracé ses “lignes rouges”, et en particulier le fait que l’adhésion de l’Ukraine serait un “casus belli”. Le système OTAN/UE a franchi la “ligne rouge”, la Russie ne pouvait que faire la guerre, sous peine de perdre toute crédibilité. » Vous justifiez implicitement l’agression russe en disant « la Russie ne pouvait que faire la guerre »]
Je ne « justifie » rien du tout. J’explique ce qui à mon avis est le raisonnement de la Russie. A partir du moment où l’on fixe une « ligne rouge », si quelqu’un croise cette ligne on a le choix entre perdre toute crédibilité ou faire la guerre. Il n’y a aucune considération morale là-dedans.
[Mais toute la question est de savoir si cette ligne rouge était justifiée. Or cette ligne rouge était le déni du libre choix du peuple ukrainien de choisir librement ses alliances.]
Oui. Un peu comme la position américaine lors de la crise des missiles était « le déni du libre choix du peuple cubain des armes à installer sur son territoire ». Lorsqu’un état estime sa sécurité ou ses intérêts vitaux menacés, il utilise tous les moyens à sa disposition, quitte à violer le droit. Que pensez-vous qu’arriverait si le Mexique ou le Canada entraient dans une alliance militaire avec la Chine ?
« Salus populo suprema lex esto ». Vous ne pouvez pas raisonnablement demander à un Etat de laisser s’installer une menace pour sa sécurité ou ses intérêts vitaux sans réagir. Approuveriez-vous un gouvernement français qui laisserait notre pays sous une menace étrangère au prétexte de respecter le droit international ?
[Si on admet que n’importe quel pays peut définir arbitrairement, sans que cela soit contesté, ses lignes rouges, c’est la justification de toutes les guerres. Les américains de toutes leurs guerres depuis 1945.]
Je ne me souviens pas qu’on ait pris la moindre mesure de rétorsion lorsque les Américains ont contesté le droit de Cuba à installer sur sont territoire des missiles nucléaires, ni même qu’on ait condamné la position de Kennedy. Je ne me souviens pas qu’on ait sanctionné ou condamné les Américains lorsqu’ils ont envahi l’Irak. Plus près de nous, les athlètes russes sont interdits de jeux, sauf ceux qui auraient officiellement renié leur gouvernement, et encore, sous drapeau neutre. Les athlètes israéliens seront présents aux jeux olympiques de Paris sous leur drapeau, alors que leur pays occupe illégalement – la CIJ l’a rappelé pas plus loin que cette semaine – le territoire palestinien, et qu’ils bombardent la bande de Gaza. Et on ne leur a pas demandé de renier Netaniahu. A votre avis, pourquoi ce « deux poids deux mesures » ? Pourquoi « admet-on » que les alliés des Américains fixent leurs « lignes rouges » arbitrairement et agissent en conséquence, et on pousse des cris d’orfraie lorsque la Russie fait de même ?
[« 2-A partir de là, la stratégie de la France doit être guidée par ses intérêts. Il n’est pas de notre intérêt d’avoir un monde unipolaire dominé par les Américains. Nous avons au contraire intérêt à un monde multipolaire, qui nous permettrait à nous, puissance intermédiaire, de jouer notre jeu. Il est donc de notre intérêt que la Russie ne perde pas la guerre, et que le conflit se termine par la neutralisation de l’Ukraine. C’est à ce résultat qu’il nous faudrait travailler. » Je ne suis pas sûr de comprendre le « A partir de là, la stratégie de la France doit être guidée par ses intérêts ». C’est un truisme … dans tous les cas la position de la France doit être justifiée par ses intérêts… mais passons, ce n’est pas l’essentiel.]
Pardon, c’est tout à fait essentiel. Je dirais même, c’est capital. Parce que la « doxa » aujourd’hui est que la politique de la France doit être gouvernée par des « principes », et non des « intérêts ». Ceux qui appellent à soutenir l’Ukraine ne nous parlent jamais ou presque des « intérêts de la France ». Ils nous parlent beaucoup d’une guerre du Bien contre le Mal, et lorsqu’ils évoquent des intérêts, ce sont ceux « de l’Europe » ou « du monde libre ». Aujourd’hui, défendre une politique sur la base d’intérêts nationaux, cela fait « mesquin », « rance » et – insulte suprême – « nationaliste ». Vous savez, dans les milieux politiques et administratifs insinuer qu’il faut définir nos politiques en fonction des l’intérêt national, ça demande pas mal de courage… parce que cela peut vous couter cher.
[« Nous avons au contraire intérêt à un monde multipolaire, qui nous permettrait à nous, puissance intermédiaire, de jouer notre jeu. » Certes, mais comme toujours dans chaque situation il faut peser les plus et les moins.]
Pesons, pesons…
[En cherchant à ce que la Russie perde, et que l’Ukraine ne soit pas neutralisée (je prends l’opposé de votre position) nous ne limiterions pas beaucoup l’aspect multipolaire de ce monde. Il resterait deux grandes puissances, la Chine et les USA, et deux puissances importantes, l’Inde et la Russie.]
Si la Russie perdait cette guerre, je doute qu’on puisse la compter au rang des « puissances » pendant longtemps. Elle perdrait pendant longtemps la capacité à fixer des « lignes rouges » – quelle crédibilité aurait-elle, après avoir fixé une en Ukraine et s’être montrée incapable à la faire respecter ? Or, un pays qui n’a plus la capacité à fixer des limites à ses adversaires, de protéger sa sécurité et ses intérêts vitaux, ne mérite plus le nom de « puissance ». L’Inde est une puissance économique de premier plan, mais ne compte guère dans les rapports internationaux de puissance. Reste la Chine. Mais la Chine est loin, et ne tourne sa puissance politique que vers ses environs immédiats. Imaginer qu’elle puisse faire contrepoids en Europe à la puissance américaine c’est se bercer de douces illusions. Non, sur notre continent, le seul contrepoids possible au pouvoir américain est en Russie, surtout depuis que la France et l’Angleterre ont abdiqué de toute velléité dans ce domaine…
[Sans parler des multiples puissances moyennes (Allemagne, Japon …)]
L’Allemagne et le Japon sont des économies puissantes, mais ne sont guère des « puissances » et n’ont aucune volonté de jouer les contrepoids. D’autant plus qu’elles sont, en matière de défense, totalement dépendantes des Américains. Il n’y a qu’à voir la réaction allemande à la destruction des gazoducs Nordstream… vous vous imaginez Berlin s’opposant en quoi que ce soit à Washington ?
[En contrepartie, la Russie, puissance voisine qui nous est hostile, qui nous mène une guerre idéologique avec ses « petits hommes verts des réseaux sociaux », ses attaques informatiques contre nos entreprises publiques et privées, serait affaiblie et nous gagnerions un allié de poids, bien armé, l’Ukraine.]
D’abord, je ne vois pas ce qui vous permet de dire que la Russie « nous est hostile » par « nous » j’imagine que vous entendez « les français ». Ce serait plutôt l’inverse : c’est la France qui a enchaîné, depuis trente ans, des actes hostiles envers la Russie. C’est la France qui est revenue dans le commandement intégré de l’OTAN. C’est la France qui a approuvé l’extension continue de l’OTAN qui s’est traduite par un encerclement de la Russie. C’est la France qui a soutenu le coup d’Etat de « maïdan », qui aboutit au renversement d’un gouvernement ukrainien qui a eu l’outrecuidance de refuser l’intégration dans le système UE/OTAN. On ne peut pas traiter un pays en ennemi, et ensuite s’étonner qu’il nous rende cette hostilité.
Ensuite, ce n’est pas nous qui gagnerons « un allié de poids, bien armé », ce sont les Américains. Parce que si l’Ukraine gagne cette guerre, elle aura une dette de reconnaissance massive non envers les européens, mais envers les Américains. Si un jour les Américains trouvent qu’un gouvernement français est décidément trop indépendant, et qu’il faut le mettre au pas y compris militairement, de quel côté à votre avis seront les Ukrainiens ? Du notre, ou de celui de Washington ? Et la question vaut aussi pour les Allemands, ce pays que vous considérez une puissance d’équilibre par rapport aux Américains…
[L’un dans l’autre il me semble que ce serait notre intérêt.]
Je ne vois toujours pas ce qu’on a à gagner.
Bon bah avec la nouvelle composition du bureau de l’Assemblée Nationale on est certain que les députés du NFP-ENS-LR n’ont plus rien à faire des règles et le pire je pense c’est que certains français approuvent cela notamment ce qui ont voté pour eux.
@ Glarrious
[Bon bah avec la nouvelle composition du bureau de l’Assemblée Nationale on est certain que les députés du NFP-ENS-LR n’ont plus rien à faire des règles et le pire je pense c’est que certains français approuvent cela notamment ce qui ont voté pour eux.]
Certains français, oui. Mais la grande majorité, je ne le pense pas. Il y a, notamment chez l’électorat populaire, une grande demande d’ordre. Si la “stratégie de la cravate” réussit au RN, c’est parce qu’elle satisfait cette demande. Et si LFI stagne au profit du PS, c’est parce que la stratégie de la “bordélisation” a finit par provoquer le rejet et la méfiance de l’électorat. Oui, les astuces pour contourner les règles et des pratiques consacrées amusent les “libéraux-libertaires”, mais je ne suis pas persuadé que ce soit approuvé par les autres.
Ayant discuté la question avec des copains qui sont à LFI, je me suis vu opposer l’argument “s’ils étaient au pouvoir, ils feraient la même chose que nous”. Peut-être, mais si nous faisons la même chose qu’eux, où est la différence ? Si chaque fois qu’on a l’opportunité on fait comme eux, comment convaincre les citoyens qu’une fois au pouvoir nous agirions différemment ?
@ Descartes
Je voudrais préciser en préambule que je ne suis pas, mais pas du tout un tenant du libéralisme pur et dur. Le modèle qui me semble faire référence à ce jour est le modèle français des 30 glorieuses, un Etat fort, interventionniste et stratège, voire protectionniste, mais dans un paradigme économique capitaliste faisant place à l’initiative privée.
Le but de la discussion n’est pas pour moi de démontrer que le couple capitalisme/libéralisme illimité est un idéal (car je ne le crois pas), mais de sonder votre proposition, celle d’un mode de production socialiste comportant certaines exceptions capitalistes (sous quelle forme, dans quelles limites, ce serait intéressant d’avoir les détails de votre vision) pour le comparer à celui d’un mode de production capitaliste comportant des exceptions socialistes, tel qu’a pû être le modèle Gaullien.
[Rien ne « justifie » à mes yeux que la différence entre le salaire d’un travailleur hyper-qualifié et le salaire d’un balayeur soit en valeur cumulée supérieure à au TTSP nécessaire à la constitution de cette qualification.]
Donc pour vous, le conducteur de TGV, le responsable de la centrale nucléaire, l’architecte du viaduc de Millau, HORMIS le remboursement du TTNS à la constitution de leur capital immatériel,doivent être rémunérés au même niveau qu’un guichetier ou qu’un livreur de pizzas.
J’avoue que je ne peux pas adhérer à cette vision. Le risque professionnel, y compris pénal, encouru par le contrôleur aérien distrait ou le chirurgien dépressif sont tout autres que celui encouru par le professeur de piano alcoolique. Vous ne pouvez pas évacuer la question du poids des responsabilités. Afin de gratifier davantage certains travailleurs sans faire appel à la rémunération du capital, on pourrait réfléchir à l’établissement d’un barème selon le principe suivant: quelle est la “valeur-travail” qu’un travailleur peut réduire à néant par sa négligence ? Sachant qu’une vie humaine doit tout à fait être chiffrable en termes de TTSN.
[Je crois que ce que vous oubliez dans votre raisonnement, c’est le fait que la barque a une vie utile finie, autrement dit, que sa « valeur » s’épuise avec le temps. ]
Effectivement. Ce qui au passage “borne” également la durée pendant laquelle le capitaliste perçoit une rente, sans pour autant la justifier moralement.
[Votre raisonnement n’est pas faux, mais allons au bout du raisonnement : oui, ceux qui ne peuvent pas accéder à un bien rare sont incités à produire de la valeur pour pouvoir payer ce bien. Mais ensuite ? Si le bien est « rare », le fait de produire de la valeur ne change rien : s’il n’y en a pas pour tout le monde, augmenter le pouvoir d’achat ne fait que provoquer une augmentation de prix, et on revient à la situation précédente.]
Faux. On revient à la situation précédente concernant le bien “rare”. Mais entretemps on a incité à une compétition où chacun s’est efforcé de produire de la valeur pour accéder à ce bien. Et c’est cet effet collatéral, générateur de valeur, qu’on a pas dans le cadre d’une répartition administrative du bien en question. Le pain n’est peut-être pas l’exemple idéal pour démontrer mon point puisque je suis d’accord avec vous concernant l’interventionnisme d’Etat concernant les ressources critiques, mais l’idée est là: dans un système de marché même imparfait, une offre inférieure à la demande stimule GLOBALEMENT la production de valeur.
[Maintenant, vous me direz que si les gens sont « incités à produire de la valeur », il y aura plus de pain et la limitation disparaîtra. C’est vrai en situation de concurrence pure et parfaite. Mais dès lors que la concurrence est imparfaite, ce n’est plus vrai. Certains biens sont structurellement limités en quantité, quel que soit l’effort des acteurs pour en produire (pensez par exemple aux tableaux de Picasso)]
L’idée n’est pas d’inciter les acteurs à faire des efforts pour produire des Picasso ou des Iphones, afin de contourner cette rareté ou cette license, mais de les inciter à produire de la valeur pour se le payer. Ça ne change pas le nombre de Picasso en circulation, mais au niveau de la société, ça stimule la production de valeur, et ce même en cas de concurrence imparfaite. C’est là mon point.
[Les administrateurs « purs et parfaits » sont rares, mais pas aussi rares que les marchés « purs et parfaits ». L’observation empirique montre que lorsqu’un marché est très imparfait, l’administrateur même imparfait est plus efficace. ]
Evidemment. Mais sur un marché “moyennement imparfait”, ça reste à démontrer. Je pense pour ma part que la “bascule” est progressive: plus le marché est parfait, plus une administration centrale sera néfaste au fonctionnement de l’économie, et vice versa. Ce pourquoi je suis tout à fait favorable à une administration centrale pour les marchés ou les situations de marchés très imparfaites.
Le fond du problème, c’est que je perçois parfaitement comment on peut imposer une gestion administrative de certains marchés lorsque c’est nécessaire dans un cadre de production capitaliste, en revanche, j’ai le plus grand mal à percevoir comment on peut créer des “enclaves capitalistes” dans un cadre de production socialiste sans mettre tout le système en péril, autrement dit sans aboutir à une révolution bourgeoise.
[Et sans aller à un cas aussi extrême, pensez à l’électricité : qui a été chez nous plus efficace, le monopole EDF ou la concurrence imparfaite ? (…) Le domaine de l’électricité vous montre qu’on peut avoir un rationnement administré sans clientélisme, contrôle des opinions, soumission du peuple ou corruption.]
Je vais être provocateur, mais je crois que si ”EDF est la seule entreprise communsite qui ait réussi”, c’est justement parce que cette entreprise “socialiste” s’est développée au sein d’une économie capitaliste, autrement dit dans un monde où elle n’a attiré que les personnes intéressées par le bien commun, le sens du service public, le défi technologique ou les discrets honneurs et la reconnaissance des pairs. Car d’une certaine manière, l’existence d’une économie capitaliste privée “purge” le service public de tous les rapaces, les avides de pouvoir personnel. Mettez EDF dans un cadre communiste global, autrement dit, faites des grands groupes publics l’unique voie dans la société pour récolter du pouvoir et des avantages, et voyez si les gens dévoués ne sont pas balayés par les pires arrivistes… Et voyez si n’arrivent pas au galop clientélisme et corruption.
[Encore un exemple de « naturalisation » de l’idéologie dominante. Certaines injustices, comme vous dites, sont « indépassables »… mais cette « indépassabilité » est-elle universelle, ou ne vaut que pour un système donné ? ]
Sauf votre respect, si vous lisiez les paragraphes en entier avant de répondre ,vous auriez la réponse à votre question, puisque je détaille ensuite comment se traduit cette injustice dans un système de marché versus dans un système socialiste. Ceci dit je ne peux pas vous en vouloir, d’ailleurs je ne sais pas comment vous faites pour répondre aussi vite à autant de messages. Il me faut 3 jours pour taper mes réponses (un jour pour lire votre réponse et laisser décanter, un jour pour jeter mes idées sur le papier, un jour pour mettre en forme).
[Je pense que réduire l’Holodomor à un conflit avec l’émetteur de tickets de raisonnement est un travesti de l’histoire. Pour faire vite, l’Holodomor est le résultat d’un choix politique, celui d’assurer le ravitaillement des villes à tout prix.]
Selon vous, ce choix n’a rien à voir avec le fait que les villes étaient favorables au régime bolchévique alors que les campagnes étaient bien plus réticentes ? Ravitailler les villes a permis la survie du régime, les laisser mourir de faim aurait à coup sûr provoqué sa chute. Ai-je tort ? Après, qu’à “nombre de morts égal”, le régime ait préféré sa survie et la mort de ses contempteurs, c’est tout à fait compréhensible, je ne juge pas la morale. Mais ne dites pas que le choix de laisser mourir les ukrainiens n’a rien à voir avec un “conflit avec l’émetteur des tickets de rationnement”…
[Maintenant j’aimerais avoir votre opinion : si au lieu d’appliquer un rationnement de fer, les bolchéviques de l’époque s’étaient contentés de laisser jouer la loi du marché, que serait-il arrivé, à votre avis ?]
Il faut savoir que les plaines d’Ukraines sont les plus fertiles d’Europe et que le seul facteur limitant dans leur exploitation, c’est la main-d’œuvre. Difficile de réécrire l’histoire, mais en suivant la logique des intérêts, on peut penser que dans un système capitaliste, l’intérêt des exploitants face à la mauvaise récolte de 1931, aurait été de préserver la main-d’oeuvre pour garantir la pérennité de l’exploitation de leur capital, là où le système bolchévique dès 1931 a provoqué un affaiblissement de la quantité de main d’oeuvre disponible, par les réquisitions entraînant disette et par les déportations, ce qui a compromis les récoltes suivantes et abouti au désastre de l’Holodomor.
Avec la loi du marché, la disette aurait probablement sévi dans les villes en 1931, mais la main-d’œuvre paysanne aurait été préservée, permettant un retour à la normale dès la récolte de 1932.
[S’il est possible de démontrer qu’un marché « pur et parfait » conduit à l’allocation optimale des ressources, cette démonstration est impossible dès lors qu’on s’éloigne des hypothèses de pureté et de perfection.]
Pour vous, “dès” que le marché n’est plus “pur et parfait”, l’administration devient immédiatement préférable à la régulation du marché, alors que pour moi, il s’agit d’un gradient: AU FUR ET À MESURE que le marché s’éloigne de la pureté et de la perfection, l’administration devient une solution de plus en plus avantageuse par rapport au marché dans l’allocation optimale des ressources. Là est notre point de désaccord, et je ne crois pas qu’il s’agisse de foi. Agiter cet argument dans une discussion argumentée n’est pas très productif, sauf votre respect.
[La crise de 1929 est le cas le plus éclatant : les pays qui sont sortis le plus vite de la récession sont ceux où l’Etat et intervenu contre les marchés – comme ce fut le cas avec le New Deal américain – alors que ceux qui sont restés rivés à la doctrine libérale de non intervention ont trainé la crise pendant des années.]
Mon point est que le système de production capitaliste tolère des parenthèses socialistes via l’intervention de l’État sans provoquer de révolution, ce que prouvent des politiques comme le New Deal. En celà le capitalisme me semble infiniment plus flexible que le communisme, qui, dès lors qu’il laisse place à une parenthèse “capitaliste”, se retrouve très vite dans une situation critique, en tant que système. Et que cette flexibilité du capitalisme, cette capacité à tolérer des parenthèses administrées sans pour autant mener à une guerre civile, permet d’affronter les crises de manière plus efficace que le communisme tel qu’on l’a connu jusqu’ici.
[Entre deux ouvriers sur un même poste de chantier, il peut y avoir une différence de productivité allant du simple au double. La rémunération varie-t-elle d’individu à individu en fonction des performances personnelles ? // Non. On revient à la question du TTSN. C’est lui qui donne la valeur des biens produits, et non la productivité effective du travailleur.]
Désolé, encore une fois, je ne pige pas.
Imaginons que le TTSN pour monter 4 mètres de mur par un maçon “normal” soit de 1 heure. Une heure de TTSN est rémunérée par une “Unité Valeur-Travail” UVT.
Soit un maçon A surperformant qui, en une heure, monte 6 mètres de mur
Soit un maçon B tire-au-flanc qui, en une heure, monte 2 mètres de mur
Soit un maçon C “normal” qui, en une heure, monte 4 mètres de mur.
Selon ce que vous m’aviez expliqué, et que j’avais crû comprendre, le TTNS n’est pas relatif à un temps de travail effectif, c’est une mesure de la valeur intrinsèque d’un bien réel. Selon cette définition, la valeur intrinsèque de 4m de mur est de 1 UVT, quel que soit le temps EFFECTIF qui ait été mis à monter ces 4 mètres de mur.
Partant de là, si la valeur en TTNS de 4m de mur est FIXE est non relative au temps EFFECTIF que met un maçon à l’édifier, ce que vous m’aviez expliqué plus haut, il y a deux modèles de rémunération du travail possible:
Soit le maçon A est rémunéré pour la valeur produite personnellement (donc de 1,5 UVT, correspondant à la production de biens réels d’une valeur intrinsèque de 1h30 de TTNS) et le maçon B de 0,5 UVT.
Soit A et B sont rémunérés de 1 UVT chacun, ce qui suppose une socialisation des biens produits, et un paiement “à l’heure”, qui contredit donc l’idée que chaque travailleur est propriétaire de l’intégralité de la valeur que son travail produit.
Dire que A et B ont tous les deux produit la même quantité de valeur au terme d’une heure de travail implique que le bien réel produit a une valeur intrinsèque RELATIVE, ce qui n’est économiquement pas viable. De ce que je comprends de la thèse de Ricardo, le TTNS sert uniquement à déterminer la valeur intrinsèque d’un bien, mais en aucune façon à déterminer la quantité de valeur produite par un travailleur donné.
[Comment fonctionne l’emprunt par une personne privée dans votre système ? //L’une est le prêt à la consommation /où/ le taux d’intérêt doit être celui du « coût de renonciation à consommer », c’est-à-dire, le taux qui serait servi à quelqu’un qui au lieu de consommer immédiatement préférerait mettre l’argent à la banque.]
Pardon, mais l’argent à la banque est rémunéré dans un système communiste ? Sur quel fondement ?
[Dans le deuxième cas, le taux est la rémunération du capital, mais le prêteur doit TOUJOURS être public.]
Encore une fois, quel extraordinaire moyen de soumission..
[Curieusement, vous craignez l’Etat parce qu’il est « soumis au politique », mais vous ne craignez pas le capitaliste privé alors que celui-ci est « soumis à ses intérêts égoïstes ». Autrement dit, vous craignez plus les excès du politique plutôt que les excès de l’égoïsme privé. J’aimerais bien savoir sur quoi se fonde cette méfiance en l’un, confiance en l’autre.]
Ce n’est pas tant que je ne craigne davantage l’Etat parce qu’il est “soumis au politique”, je le crains davantage parce qu’il serait l’acteur UNIQUE, qui peut s’entêter dans des impasses sans être “challengé” par une initiative concurrente, alors que les capitalistes, aussi “soumis à leurs intérêts égoïstes” soient-ils, sont multiples, avec des visions multiples, des opinions multiples, des choix multiples, ce qui, de mon point de vue, participe du jeu démocratique. Certes, ces options seront toutes “bloc-dominant-compatible”, à charge du secteur public de proposer PARALLÈLEMENT une offre concurrente. Cependant, sii nous basculions dans un système communiste, toutes les options proposées par le prêteur public seraient également “bloc-dominant-compatible”, à n’en point douter.
Au moment de parler de foi, je dois dire que je n’ai pas plus confiance dans la “dictature du prolétariat”, qui devient toujours très vite la “dictature de la bureaucratie”, qu’en la “dictature du capital”.
[Le saccage de l’outil n’est pas venu de l’Etat, mais de l’Union européenne. Et il est venu dans les valises d’une révolution néolibérale poussée par le capital privé. Les « accords électoraux de coin de table » ont pu faire du mal localement, mais ce n’est rien comparé aux dégâts générés par l’ouverture à la concurrence.]
Ici revient le débat sur le lien entre capitalisme, qui est un mode de production, et le néolibéralisme, qui est une profession de foi pilotée non pas par les capitalistes, mais par les USA, en tant qu’Etat, dans le but de rendre l’Europe impuissance sur la scène mondiale. Je pense que la guerre contre les monopoles de Bruxelles est bien davantage le fait d’un aveuglement idéologique que d’intérêts capitalistes. Tous comptes faits, pensez-vous que les capitalistes européens, et particulièrement allemands, gros consommateurs d’énergie, aient globalement eu intérêt à la destruction de la filière nucléaire ?
Mais il y a d’autres exemples de sabotage idéologique qui savent tout à fait se passer de l’hypothèse du complot capitaliste, comme le saccage de l’agriculture soviétique par Lyssenko.
[Par ailleurs, et je pense que vous me contesterez ce point, mais il me semble que la productivité du privé est supérieure à celle du public. // Cela dépend de ce que vous appelez « productivité » (…) Notez aussi qu’il y a une difficulté à comparer la productivité dans des activités qui sont par nature très différentes.]
A vrai dire je pense surtout aux conséquences qu’auraient la nationalisation d’activités appartenant aujourd’hui à la sphère des PME. De mon point de vue, un dirigisme d’État se justifie sur les secteurs d’envergure nationale, parce que par définition ceux-ci s’accommodent bien d’une gouvernance centralisée, et la protections des acteurs par un statut est justifiée, car comme vous l’avez justement souligné, la sécurité est prioritaire sur la productivité. Mais pour l’activité locale ou régionale de production de biens de consommation courante, l’administration devrait être décentralisée afin de garder un rapport étroit aux spécificités territoriales, ce qui implique la créations d’échelons décisionnels qui sont toujours un handicap et un frein à l’activité.
[Autoriser la rémunération du capital quand celui-ci reste en deça d’un certain seuil ? // Oui. Ce n’est pas « propre » du point de vue de la pureté révolutionnaire, mais c’est rationnel d’un point de vue économique. S’il faut nationaliser les restaurants et les bistrots, on ne s’en sort pas. C’est un peu ce qu’avait cherché à faire Lénine lorsqu’il met en route la NEP.]
Mais la NEP n’a-t’elle pas été abolie par Staline parce qu’elle déstabilisait l’ensemble du système communiste ?
Plus pragmatiquement, à quel montant de capital (juste un ordre de grandeur) borneriez-vous le champ de “tolérance capitaliste” ?
Et comment éviter l’émergence d’une “nouvelle bourgeoisie” ?
[Ils ont fini par avoir intérêt à voir le système chuter… pour pouvoir racheter les restes et devenir des vrais capitalistes.]
En quoi le chemin serait-il différent si nous revenions à une matrice communiste ?
[Et qui touche les bénéfices ? Pas Gwinne Shotwell, et pas la collectivité – comme ce fut le cas pour l’activité de Boiteux – mais Elon Musk. Quant on fait des « grandes choses » dans un contexte capitaliste, c’est pour le plus grand bénéfice de son patron. C’est ça la différence…]
Ce n’était pas la question. Vous me disiez qu’un homme (ou une femme en l’occurence) ne pouvait pas, sans “capital socialisé”, mener une grande aventure industrielle. Je vous démontre l’inverse. La question du bien commun ne faisait pas partie de votre assertion.
Je n’ai pas de sympathie pour E.Musk, mais il reste la démonstration de ce que le privé peut, parce qu’il n’engage pas (ou qu’il ne DEVRAIT pas engager) l’argent de la collectivité. S’il s’était pointé à la NASA avec son projet de lanceur réutilisable, Musk se serait fait envoyer bouler en 3 minutes chrono, et à raison: personne ne pensait alors que l’idée était viable. Le fait d’engager son capital privé lui a permis de passer outre: s’il s’était planté, ça ne coûtait rien à la société, juste sa fortune à E.Musk.
@ P2R
[Je voudrais préciser en préambule que je ne suis pas, mais pas du tout un tenant du libéralisme pur et dur. Le modèle qui me semble faire référence à ce jour est le modèle français des 30 glorieuses, un Etat fort, interventionniste et stratège, voire protectionniste, mais dans un paradigme économique capitaliste faisant place à l’initiative privée.]
J’avais bien compris votre positionnement, soyez rassuré. Je comprends aussi qu’ayant assumé dans cet échange la position « étatiste », je vous pousse par la logique même à présenter des arguments plutôt libéraux…
[Le but de la discussion n’est pas pour moi de démontrer que le couple capitalisme/libéralisme illimité est un idéal (car je ne le crois pas), mais de sonder votre proposition, celle d’un mode de production socialiste comportant certaines exceptions capitalistes (sous quelle forme, dans quelles limites, ce serait intéressant d’avoir les détails de votre vision) pour le comparer à celui d’un mode de production capitaliste comportant des exceptions socialistes, tel qu’a pû être le modèle Gaullien.]
C’est bien ainsi que je l’avais compris.
[« Rien ne « justifie » à mes yeux que la différence entre le salaire d’un travailleur hyper-qualifié et le salaire d’un balayeur soit en valeur cumulée supérieure à au TTSP nécessaire à la constitution de cette qualification.] » Donc pour vous, le conducteur de TGV, le responsable de la centrale nucléaire, l’architecte du viaduc de Millau, HORMIS le remboursement du TTNS à la constitution de leur capital immatériel, doivent être rémunérés au même niveau qu’un guichetier ou qu’un livreur de pizzas.]
Si l’on devait calculer les salaires en termes de « justice », oui, sans aucun doute. Mais attention, le fait que la « justice » aboutisse à une solution donnée n’implique pas que celle-ci soit optimale en termes de fonctionnement de la société. La solution « juste » marcherait si les hommes étaient vertueux et faisaient leurs choix en pensant à l’intérêt général. Or, ils ne le sont pas. Donc, par-dessus ce salaire « juste », il faut quelquefois leur payer un « sursalaire » pour les inciter à certains comportements.
Prenons le cas des « déserts médicaux ». Prenons le médecin qui s’installe dans une petite ville, voire un village, et qui fait exactement le même travail qu’un autre médecin qui exerce à Paris, avec la même attention pour ses patients, la même qualité de soins et les mêmes horaires. Il serait « juste » qu’ils soient rémunérés au même niveau. Mais voilà qu’aucun médecin ne souhaite s’installer dans les petites villes… alors pourquoi pas donner une « prime » à ceux qui le font ? Cette prime n’est pas « juste », au sens qu’elle ne rémunère aucun travail supplémentaire, mais elle est cependant socialement utile, parce qu’elle permet de maintenir l’universalité du service public.
[J’avoue que je ne peux pas adhérer à cette vision. Le risque professionnel, y compris pénal, encouru par le contrôleur aérien distrait ou le chirurgien dépressif sont tout autres que celui encouru par le professeur de piano alcoolique. Vous ne pouvez pas évacuer la question du poids des responsabilités.]
Bien sur que je peux. Voici encore l’un des dogmes de l’idéologie dominante : celui qui veut qu’il est juste de payer plus ceux qui ont plus de « responsabilité ». Mais examinons de plus près cette affirmation. Pouvez-vous m’expliquer POURQUOI une telle différence serait-elle « juste » ?
Là encore, il ne faut pas confondre la question de la « justice » dans la fixation des rémunérations avec celle, pragmatique, qui fait qu’on puisse donner une « prime » pour des raisons d’utilité sociale. La société a intérêt à ce que les meilleurs, les plus formés, les plus efficaces postulent aux emplois où l’inattention ou l’incompétence peuvent faire des gros dégâts. Il y a donc un intérêt social à offrir pour ces postes des rémunérations attractives – et donc supérieures à ce que la « justice » demanderait – pour avoir le choix des meilleurs candidats. Mais cela n’a rien à voir avec ce que serait une « juste » rémunération.
J’ajoute que la rémunération n’est pas le seul levier. Pendant très longtemps, le service public a pu attirer les meilleurs alors qu’il payait des salaires inférieurs au privé, et attirer les meilleurs candidats vers les postes à responsabilité par la simple logique aristocratique de la reconnaissance sociale et celle des pairs. Pendant longtemps, la rémunération des fonctionnaires a été calculée à l’ancienneté, et était donc la même que vous preniez ou non des responsabilités. Ce n’est que depuis les années 1980 que la logique aristocratique a été progressivement remplacée par la logique capitaliste, et que la rémunération est devenue un levier pour inciter « les meilleurs » à prendre des responsabilités. Et les effets ont été plutôt délétères…
[Afin de gratifier davantage certains travailleurs sans faire appel à la rémunération du capital, on pourrait réfléchir à l’établissement d’un barème selon le principe suivant: quelle est la “valeur-travail” qu’un travailleur peut réduire à néant par sa négligence ? Sachant qu’une vie humaine doit tout à fait être chiffrable en termes de TTSN.]
A supposer même qu’on puisse chiffrer la valeur de la vie humaine – ce que je pense très difficile – vous vous trouveriez vite devant des aberrations. Un chauffeur de bus devrait être rémunéré bien plus que n’importe quel PDG… mais surtout, votre « barème » n’aurait en fait aucun rapport avec la valeur effectivement produite par le travail, autrement dit, il n’y a plus aucun lien entre la production et la rémunération.
[« Je crois que ce que vous oubliez dans votre raisonnement, c’est le fait que la barque a une vie utile finie, autrement dit, que sa « valeur » s’épuise avec le temps. » Effectivement. Ce qui au passage “borne” également la durée pendant laquelle le capitaliste perçoit une rente, sans pour autant la justifier moralement.]
Tout à fait. Et cela vous montre que le « capital immatériel » et le « capital matériel » ne sont pas très différents en substance. Les deux ont besoin d’être « reconstitués » par le travail accumulé.
[« Votre raisonnement n’est pas faux, mais allons au bout du raisonnement : oui, ceux qui ne peuvent pas accéder à un bien rare sont incités à produire de la valeur pour pouvoir payer ce bien. Mais ensuite ? Si le bien est « rare », le fait de produire de la valeur ne change rien : s’il n’y en a pas pour tout le monde, augmenter le pouvoir d’achat ne fait que provoquer une augmentation de prix, et on revient à la situation précédente. » Faux. On revient à la situation précédente concernant le bien “rare”. Mais entretemps on a incité à une compétition où chacun s’est efforcé de produire de la valeur pour accéder à ce bien. Et c’est cet effet collatéral, générateur de valeur, qu’on a pas dans le cadre d’une répartition administrative du bien en question.]
C’est bien ce que j’ai écrit plus bas. Mais ici, l’échange portait sur le « bien rare » en question. Autrement dit, vous admettez que si cette incitation à produire a un effet bénéfique dans d’autres domaines de l’économie, elle ne change rien pour ce qui concerne le « bien rare » en question. Or, que se passe-t-il quand ce « bien rare » est essentiel, par exemple ? Dans le système de régulation par le marché, les plus pauvres en seront privés ET CELA QUELQUE SOIT L’EFFORT QU’ILS FASSENT POUR PRODUIRE PAR AILLEURS. Et c’état là mon point.
[Le pain n’est peut-être pas l’exemple idéal pour démontrer mon point puisque je suis d’accord avec vous concernant l’interventionnisme d’Etat concernant les ressources critiques, mais l’idée est là: dans un système de marché même imparfait, une offre inférieure à la demande stimule GLOBALEMENT la production de valeur.]
Nous sommes d’accord. Mais nous sommes aussi d’accord sur le fait que cela ne résout pas le problème de l’offre du bien concerné par ce « marché imparfait ». Et que se passe-t-il quand ce bien est un bien essentiel ? Votre raisonnement vous conduit à la conclusion que je proposais depuis le début : lorsqu’un bien jugé essentiel se trouve régulé par un marché imparfait, l’Etat doit intervenir pour permettre à tous d’en bénéficier.
[« Maintenant, vous me direz que si les gens sont « incités à produire de la valeur », il y aura plus de pain et la limitation disparaîtra. C’est vrai en situation de concurrence pure et parfaite. Mais dès lors que la concurrence est imparfaite, ce n’est plus vrai. Certains biens sont structurellement limités en quantité, quel que soit l’effort des acteurs pour en produire (pensez par exemple aux tableaux de Picasso) » L’idée n’est pas d’inciter les acteurs à faire des efforts pour produire des Picasso ou des Iphones, afin de contourner cette rareté ou cette license, mais de les inciter à produire de la valeur pour se le payer. Ça ne change pas le nombre de Picasso en circulation, mais au niveau de la société, ça stimule la production de valeur, et ce même en cas de concurrence imparfaite. C’est là mon point.]
Votre raisonnement me fait penser à l’âne qu’on amène à marcher plus vite en suspendant une carotte attachée au bout d’une canne. L’âne marche plus vite sans pour autant atteindre la carotte. Mais les hommes ne sont pas des ânes, et au bout de quelques essais ils comprendront qu’il est inutile de « produire de la valeur pour se payer » un Picasso ou un Iphone, puisque les prix augmentent au fur et à mesure qu’on a plus d’argent pour les acheter. Je ne suis pas persuadé que l’incitation dont vous parlez puisse marcher longtemps : rapidement les gens aboutiront à la conclusion que certaines choses leurs sont inaccessibles, et le mécanisme d’incitation deviendra inefficace.
[« Les administrateurs « purs et parfaits » sont rares, mais pas aussi rares que les marchés « purs et parfaits ». L’observation empirique montre que lorsqu’un marché est très imparfait, l’administrateur même imparfait est plus efficace. » Evidemment. Mais sur un marché “moyennement imparfait”, ça reste à démontrer.]
C’est pourquoi le débat que nous avons est en grande partie un débat d’où placer le curseur. Je pense comme vous qu’une économie totalement régulée par voie administrative ne serait pas efficace, parce que la régulation administrative, lorsqu’elle est bien faite, est relativement coûteuse et qu’il y a beaucoup de domaines où le marché peut bien fonctionner. Et de la même manière une économie totalement régulée par le marché serait inefficace, parce qu’il y a des domaines où les marchés sont structurellement imparfaits, et que la régulation administrative est bien plus efficiente. La question est donc de bien placer le curseur. On peut quand même donner quelques règles. Ainsi, par exemple, les « monopoles naturels » (c’est-à-dire, les domaines où l’efficacité d’une entreprise augmente avec la taille) devraient tous être régulés administrativement. Même chose pour les domaines où les barrières à l’entrée sont très importantes (par exemple, lorsqu’il existe un brevet qui empêche la concurrence).
[Le fond du problème, c’est que je perçois parfaitement comment on peut imposer une gestion administrative de certains marchés lorsque c’est nécessaire dans un cadre de production capitaliste, en revanche, j’ai le plus grand mal à percevoir comment on peut créer des “enclaves capitalistes” dans un cadre de production socialiste sans mettre tout le système en péril, autrement dit sans aboutir à une révolution bourgeoise.]
Personnellement, je ne vois pas la difficulté. Votre « révolution bourgeoise » impliquerait que la bourgeoisie agissant dans ces « enclaves capitalistes » – entendues non pas au sens géographique mais en tant que domaines d’activité – puisse accumuler suffisamment de capital pour devenir une menace. Or, si le mode de production capitaliste est restreint aux domaines ou les marchés sont quasi « purs et parfaits », cela ne peut arriver parce que dans un marché « pur et parfait » le profit tend vers zéro.
Il faut bien comprendre que le profit n’est possible que parce que les marchés sont imparfaits. Imaginez un marché « pur et parfait » laissant une marge de rémunération du capital de X. Tout investisseur disposant de capital aura donc intérêt à rentrer sur ce marché (puisqu’il n’y a ni barrière à l’entrée, ni barrière à la sortie), augmentant donc l’offre et provoquant une baisse des prix (car dans un marché pur et parfait, pas d’entente sur le prix possible). Et le processus d’entrée de nouveaux concurrents se poursuivra… jusqu’à ce que X soit égal à zéro. Le raisonnement peut aussi se faire avec plusieurs produits, l’investisseur ayant le choix de choisir de placer son capital dans celui qui est le plus « rentable ». Mais si tous ces marchés sont « purs et parfaits », on aboutit à un équilibre global ou le profit est nul…
[« Et sans aller à un cas aussi extrême, pensez à l’électricité : qui a été chez nous plus efficace, le monopole EDF ou la concurrence imparfaite ? (…) Le domaine de l’électricité vous montre qu’on peut avoir un rationnement administré sans clientélisme, contrôle des opinions, soumission du peuple ou corruption. » Je vais être provocateur, mais je crois que si ”EDF est la seule entreprise communiste qui ait réussi”, c’est justement parce que cette entreprise “socialiste” s’est développée au sein d’une économie capitaliste, autrement dit dans un monde où elle n’a attiré que les personnes intéressées par le bien commun, le sens du service public, le défi technologique ou les discrets honneurs et la reconnaissance des pairs. Car d’une certaine manière, l’existence d’une économie capitaliste privée “purge” le service public de tous les rapaces, les avides de pouvoir personnel.]
Votre raisonnement est très intéressant. Ainsi, pour vous les service public a fonctionné comme un îlot des valeurs « aristocratiques » alors que partout ailleurs dans la société se sont imposées les valeurs « bourgeoises », et l’existence même de cet univers « bourgeois » a agi comme une sorte de « filtre » permettant au service public de ne recruter que les « purs ». Le raisonnement se tient, et pour avoir travaillé toute ma vie dans ce milieu je dois dire qu’il correspond assez bien aux mentalités que j’ai pu observer. Je dois dire aussi qu’on voit aujourd’hui les valeurs « bourgeoises » rentrer chaque fois plus profondément à l’intérieur du service public, avec les dégâts qu’on peut observer.
[Mettez EDF dans un cadre communiste global, autrement dit, faites des grands groupes publics l’unique voie dans la société pour récolter du pouvoir et des avantages, et voyez si les gens dévoués ne sont pas balayés par les pires arrivistes… Et voyez si n’arrivent pas au galop clientélisme et corruption.]
Vous voulez dire, comme dans une entreprise privée ?
[« Encore un exemple de « naturalisation » de l’idéologie dominante. Certaines injustices, comme vous dites, sont « indépassables »… mais cette « indépassabilité » est-elle universelle, ou ne vaut que pour un système donné ? » Sauf votre respect, si vous lisiez les paragraphes en entier avant de répondre ,vous auriez la réponse à votre question, puisque je détaille ensuite comment se traduit cette injustice dans un système de marché versus dans un système socialiste. Ceci dit je ne peux pas vous en vouloir, »
Ce serait surtout très injuste, parce que j’ai bien lu votre paragraphe jusqu’au bout. Et j’ai compris que pour vous « l’injustice » dans la distribution d’un bien disponible en quantité insuffisante est « indépassable » UNIVERSELLEMENT, même si elle prend des formes différentes dans une perspective de régulation administrative ou dans celle de la régulation par le marché. C’est bien cette « universalité » que je conteste. Dans le cas d’une régulation par le marché, « l’injustice » est STRUCTURELLE : même si le fonctionnement du marché est optimal, on aboutit à une situation où le plus riche accède au bien, et le plus pauvre en est privé. Dans le cas d’une régulation administrative, si elle fonctionne de manière optimale, on aboutit à une situation « juste » : chacun a sa part. S’il y a des « injustices », ce n’est pas lié à la STRUCTURE de la régulation, mais aux imperfections des agents (corruption, clientélisme, etc.). Pour le dire autrement, les « injustices » d’un système de régulation administratif peuvent être corrigées (par des contrôles, par la rotation des responsables…) tandis que celles liées au marché sont incorrigibles, puisque bâties dans la structure même de la régulation.
[d’ailleurs je ne sais pas comment vous faites pour répondre aussi vite à autant de messages. Il me faut 3 jours pour taper mes réponses (un jour pour lire votre réponse et laisser décanter, un jour pour jeter mes idées sur le papier, un jour pour mettre en forme).]
J’ai une longue habitude d’écrire… il faut dire que je viens d’une longue lignée de journalistes. Et n’oubliez pas que j’ai souvent réfléchi en avance sur les questions que j’aborde dans mes papiers !
[« Je pense que réduire l’Holodomor à un conflit avec l’émetteur de tickets de raisonnement est un travesti de l’histoire. Pour faire vite, l’Holodomor est le résultat d’un choix politique, celui d’assurer le ravitaillement des villes à tout prix. » Selon vous, ce choix n’a rien à voir avec le fait que les villes étaient favorables au régime bolchévique alors que les campagnes étaient bien plus réticentes ?]
Non, je ne crois pas. D’abord, il est loin d’être évident que les villes étaient plus favorables aux bolchéviques que les campagnes. C’était probablement vrai dans les grandes villes, comme Moscou ou Petrograd, mais les petites villes de province, dominées par la petite bourgeoisie commerçante, les fonctionnaires et les notables, étaient probablement bien moins réceptives. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le mot d’ordre de la révolution « paix, pain, terre », s’adressait bien plus aux paysans qu’aux autres. La paix, d’abord, qui a permis le retour dans leurs foyers des mobilisés de la période 1914-17, qui étaient essentiellement des paysans. La terre ensuite : une des premières conséquences de la prise du pouvoir par les bolchéviques fut la réforme agraire, qui permit d’ailleurs la formation d’une classe de « koulaks ». La paysannerie n’était pas particulièrement hostile aux bolchéviques, elle l’est devenue justement avec les mesures de collectivisation.
Non, le choix de privilégier les villes tient au choix de la modernité. Les bolchéviques ont bien compris que l’avenir était dans le développement industriel – souvenez-vous de Lénine : « le communisme, c’est les soviets plus l’électricité ». Or, pour sauvegarder les chances d’un développement industriel il fallait sauver les villes, parce que c’est là que se trouvent les compétences et les connaissances indispensables. Il fallait que les instituts technologiques et les universités produisent des techniciens et des ingénieurs – pour remplacer ceux qui étaient partis. Il fallait nourrir les ouvriers spécialisés et maintenir l’industrie en route. La littérature soviétique de l’époque montre bien ce que fut ce volontarisme industriel.
[Ravitailler les villes a permis la survie du régime, les laisser mourir de faim aurait à coup sûr provoqué sa chute. Ai-je tort ?]
Non. Mais sa chute aurait été la conséquence d’un désastre économique, et non d’une question d’opposition politique. Laisser mourir des faim les villes aurait condamné l’URSS naissante à une stagnation économique absolue, qui en aurait fait une proie facile pour les armées occidentales. Le choix politique de ravitailler les villes a été essentiel pour la réussite des plans quinquennaux, qui ont sorti l’URSS du moyen-âge et en ont fait une économie moderne. C’est pourquoi je dis que le Holodomor est le résultat d’un choix politique, tragique certes, mais qui va bien au-delà d’une simple question de clientélisme.
[« Maintenant j’aimerais avoir votre opinion : si au lieu d’appliquer un rationnement de fer, les bolchéviques de l’époque s’étaient contentés de laisser jouer la loi du marché, que serait-il arrivé, à votre avis ? » Il faut savoir que les plaines d’Ukraines sont les plus fertiles d’Europe et que le seul facteur limitant dans leur exploitation, c’est la main-d’œuvre.]
Non. Le véritable « facteur limitant » dans les années 1930, ce sont les équipements de labour. La guerre mondiale puis la guerre civile ont décimé le cheptel équin et bovin et détruit une bonne partie des équipements, les routes ne sont pas bien entretenues, le banditisme est fréquent. Or, dans les plaines d’Ukraine au début des années 1930 le tracteur est presque inconnu, et on laboure encore avec des socs en bois tirés par des chevaux ou des boeufs. Et une terre aussi fertile soit-elle ne sert à rien si vous n’avez pas les moyens de labourer. Laisser le marché agir librement aurait provoqué une catastrophe : les paysans n’avaient aucun moyen d’augmenter la production, et la rareté aurait conduit à l’enrichissement de la paysannerie et l’appauvrissement des autres couches sociales, et notamment celle des ouvriers.
La collectivisation des campagnes entreprise à la fin des années 1920 n’était pas, contrairement à ce que dit la vulgate occidentale, un projet purement idéologique. Elle se voulait une réponse au problème de l’équipement des paysans. La réforme agraire qui s’est faite après la révolution avait produit une classe de paysans qui possédaient certes leurs terres, mais n’avaient pas assez de capital pour s’équiper de moyens modernes pour la cultiver. Collectiviser, c’était pouvoir mettre en commun le capital pour permettre d’acheter en commun un tracteur, une trayeuse, etc. C’est d’ailleurs un mouvement global : en France, c’est à cette époque que sont constituées beaucoup de coopéraitves agricoles avec le même objectif. Que cela ait été mal fait en URSS, qu’on ait brutalisé les paysans et sous-estimé la tradition individualiste de la paysannerie, c’est un fait.
[Difficile de réécrire l’histoire, mais en suivant la logique des intérêts, on peut penser que dans un système capitaliste, l’intérêt des exploitants face à la mauvaise récolte de 1931, aurait été de préserver la main-d’œuvre pour garantir la pérennité de l’exploitation de leur capital, là où le système bolchévique dès 1931 a provoqué un affaiblissement de la quantité de main d’oeuvre disponible, par les réquisitions entraînant disette et par les déportations, ce qui a compromis les récoltes suivantes et abouti au désastre de l’Holodomor.]
Je n’ai pas compris de quels « exploitants » vous parlez. Dès lors qu’il n’y avait pas assez de nourriture pour tout le monde, quelqu’un allait fatalement mourir de faim. L’administration a choisi de reporter la charge sur les campagnes pour préserver les villes. Si vous aviez laissé faire le marché, que ce serait-il passé ?
[Avec la loi du marché, la disette aurait probablement sévi dans les villes en 1931, mais la main-d’œuvre paysanne aurait été préservée, permettant un retour à la normale dès la récolte de 1932.]
Certes. Mais la disette des villes aurait eu sur la production industrielle le même effet que la disette des campagnes sur la production agricole…
[« S’il est possible de démontrer qu’un marché « pur et parfait » conduit à l’allocation optimale des ressources, cette démonstration est impossible dès lors qu’on s’éloigne des hypothèses de pureté et de perfection. » Pour vous, “dès” que le marché n’est plus “pur et parfait”, l’administration devient immédiatement préférable à la régulation du marché,]
Pas du tout. Je note simplement que si l’on a une démonstration pour le cas d’un marché « pur et parfait », dès qu’on s’éloigne de cette condition il n’y a plus de démonstration possible. On peut faire l’hypothèse que l’efficacité du marché est une fonction continue, et que plus on s’approche d’un marché « pur et parfait », plus l’équilibre obtenu sera proche de l’optimum, mais cela reste une hypothèse que je veux bien accepter. Pour moi – comme pour vous d’ailleurs, si je lis bien votre commentaire – c’est une question de curseur. De ce point de vue, nous sommes d’accord. Cela laisse ouverte la question suivante : a partir de quel « niveau d’imperfection » la régulation administrative devient plus efficiente que celle du marché ?
[Mon point est que le système de production capitaliste tolère des parenthèses socialistes via l’intervention de l’État sans provoquer de révolution, ce que prouvent des politiques comme le New Deal. En celà le capitalisme me semble infiniment plus flexible que le communisme,]
La comparaison est très difficile à faire. Lorsque le régime bourgeois n’était pas encore bien établi, aucune « parenthèse socialiste » n’était tolérée. Ainsi, par exemple, en 1930 encore le Conseil d’Etat, rappelle « que les entreprises ayant un caractère commercial restent, en règle générale, réservées à l’initiative privée » en annulant une décision du maire de Nevers tendant à créer un service public du ravitaillement pour contrer la hausse du coût de la vie (Conseil d’État, 30 mai 1930, Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers). Les « parenthèses socialistes » dont vous parlez arrivent très tard dans l’histoire du capitalisme. Elles arrivent à un moment où le capitalisme est largement internationalisé, où l’idéologie dominante est bien établie, où le système politique et juridique bénéficie d’un consensus large qui permet à la classe dominante de contrôler ces « parenthèses » et d’empêcher qu’elles aillent trop loin. Aucun régime socialiste, pour le moment, ne s’est trouvé dans cette situation. Les rares expériences socialistes sont d’abord des expériences de « socialisme de guerre ». Au cours de ses 70 ans d’histoire, l’URSS a été soumise à dix ans d’interventions étrangères, vingt ans de blocus économique, une guerre mondiale et trente ans de guerre froide. Difficile dans ces conditions de faire des expérimentations « capitalistes ». Le seul exemple que je connaisse bien, celui de la NEP, se déroule dans des conditions trop chaotiques pour servir d’exemple.
[Désolé, encore une fois, je ne pige pas.]
Pas étonnant, je n’ai pas été clair. Je reprends votre démonstration :
[(…) Selon ce que vous m’aviez expliqué, et que j’avais crû comprendre, le TTNS n’est pas relatif à un temps de travail effectif, c’est une mesure de la valeur intrinsèque d’un bien réel. Selon cette définition, la valeur intrinsèque de 4m de mur est de 1 UVT, quel que soit le temps EFFECTIF qui ait été mis à monter ces 4 mètres de mur. Partant de là, si la valeur en TTNS de 4m de mur est FIXE est non relative au temps EFFECTIF que met un maçon à l’édifier, (…)]
Jusque-là, tout à fait d’accord.
[(…) ce que vous m’aviez expliqué plus haut, il y a deux modèles de rémunération du travail possible: Soit le maçon A est rémunéré pour la valeur produite personnellement (donc de 1,5 UVT, correspondant à la production de biens réels d’une valeur intrinsèque de 1h30 de TTNS) et le maçon B de 0,5 UVT.]
C’est bien ce mode de rémunération que je retiendrai.
[Dire que A et B ont tous les deux produit la même quantité de valeur au terme d’une heure de travail implique que le bien réel produit a une valeur intrinsèque RELATIVE, ce qui n’est économiquement pas viable. De ce que je comprends de la thèse de Ricardo, le TTNS sert uniquement à déterminer la valeur intrinsèque d’un bien, mais en aucune façon à déterminer la quantité de valeur produite par un travailleur donné.]
Non, justement. Si le travail est seule source de valeur, la valeur du bien produit et la valeur produite par le travailleur qui l’a fabriqué sont une seule et même chose. C’est la différence entre Ricardo et Marx : pour Ricardo, la valeur produite est le temps de travail effectivement investi dans la fabrication du bien (ce qui conduit à un certain nombre de contradictions), pour Marx c’est le temps de travail « socialement nécessaire ». Cette différence tient à ce que Ricardo raisonnait surtout sur une société agraire, ou le capital se présentait sous la forme de la terre, alors que Marx raisonne en termes de capital industriel. L’inconsistance que vous signalez est précisément celle que conduit Marx à enrichir la théorie ricardienne.
[Pardon, mais l’argent à la banque est rémunéré dans un système communiste ? Sur quel fondement ?]
En URSS, l’épargne était effectivement rémunérée – si ma mémoire ne me trompe pas, à un taux fixe de 2%, ce qui n’est pas négligeable alors que le taux d’inflation était faible. La seule théorie que je connaisse pour justifier cette rémunération est celle de la « renonciation à consommer », autrement dit, la personne pourrait choisir de consommer immédiatement des biens, et en renonçant à cette consommation immédiate il met ces biens à disposition de la société. Il rend ainsi un service à la société, et ce service doit être rémunéré. Cette théorie n’est guère « marxiste », au sens que le « service » ainsi rendu ne fait pas intervenir du travail, et ne produit donc pas de la valeur. La valeur qui est transférée au titre de cette rémunération doit donc bien être produite par quelqu’un, qui du coup en est privé. Je pense que cette rémunération ne doit rien à la « justice », et qu’elle avait été créé comme instrument pragmatique pour encourager l’épargne et réduire la masse monétaire circulante. C’est là un exemple de ces « parenthèses capitalistes » dont vous parliez plus haut (un exemple d’ailleurs que ces « parenthèses » sont possibles en régime socialiste).
[« Dans le deuxième cas, le taux est la rémunération du capital, mais le prêteur doit TOUJOURS être public. » Encore une fois, quel extraordinaire moyen de soumission…]
Vous trouvez ? C’était pourtant le cas en France de 1945 jusqu’aux années 1980. La nationalisation du crédit à la Libération et les règles de rationnement du crédit on fait qu’en pratique le prêteur en France était, dans l’immense majorité des cas, un prêteur public… et pourtant, je n’ai pas l’impression que cette organisation ait « soumis » les Français…
[Ce n’est pas tant que je ne craigne davantage l’Etat parce qu’il est “soumis au politique”, je le crains davantage parce qu’il serait l’acteur UNIQUE, qui peut s’entêter dans des impasses sans être “challengé” par une initiative concurrente, alors que les capitalistes, aussi “soumis à leurs intérêts égoïstes” soient-ils, sont multiples, avec des visions multiples, des opinions multiples, des choix multiples, ce qui, de mon point de vue, participe du jeu démocratique.]
Après plus de trente ans passés au service de l’Etat, je suis toujours fasciné de voir que les gens croient encore à cette idée d’un Etat « unique ». Non, cher ami, l’Etat est aussi « divers » que peuvent l’être les capitalistes. L’Etat, c’est une multiplicité d’organismes qui s’allient, se combattent, se « challengent » en permanence. Les rapports entre ministères – et entre ministres – sont des rapports de puissance à puissance, où chacun a sa vision de l’intérêt général, sans compter avec les intérêts individuels et corporatifs, même si le système est bien conçu pour en limiter la portée. Le judiciaire n’a pas forcément la même vision que l’administration.
Même dans les régimes totalitaires, l’Etat n’a jamais été monolithique. L’exemple le plus éclatant, celui de l’Etat nazi, est de ce point de vue emblématique : l’hypercentralisation du pouvoir dans la personne de Hitler couvrait un chaos administratif dans lequel chaque ministre, chaque autorité locale faisait ce qu’elle voulait en se réclamant du Führer. Les hauts dignitaires du régime passaient leur temps à se combattre, se saboter…
[Certes, ces options seront toutes “bloc-dominant-compatible”, à charge du secteur public de proposer PARALLÈLEMENT une offre concurrente. Cependant, si nous basculions dans un système communiste, toutes les options proposées par le prêteur public seraient également “bloc-dominant-compatible”, à n’en point douter.]
Votre proposition repose sur l’existence d’un ordre juridique permettant au secteur public de proposer une offre concurrente qui ne serait pas « bloc dominant compatible ». Cela a été possible en 1945, quand le rapport de forces entre le bloc dominant et les couches populaires était équilibré. Mais il faut être conscient que cette situation était très exceptionnelle, et ne risque pas de se reproduire… depuis les années 1980, nous sommes revenus aux années 1930 : l’Etat ne peut plus intervenir pour « fausser les marchés ».
[Ici revient le débat sur le lien entre capitalisme, qui est un mode de production, et le néolibéralisme, qui est une profession de foi pilotée non pas par les capitalistes, mais par les USA, en tant qu’Etat, dans le but de rendre l’Europe impuissance sur la scène mondiale. Je pense que la guerre contre les monopoles de Bruxelles est bien davantage le fait d’un aveuglement idéologique que d’intérêts capitalistes. Tous comptes faits, pensez-vous que les capitalistes européens, et particulièrement allemands, gros consommateurs d’énergie, aient globalement eu intérêt à la destruction de la filière nucléaire ?]
Le néolibéralisme est l’idéologie qui correspond à une phase particulière du capitalisme, celle du capitalisme globalisé et financiarisé. Bien sûr, la bourgeoisie n’est pas homogène et les capitalistes n’ont pas des intérêts uniformes. L’abandon du nucléaire ne fait pas forcément l’affaire de la bourgeoisie industrielle allemande, de la même manière que l’invention de la lampe électrique ne faisait pas l’affaire de la bourgeoisie qui avait investi dans la fabrication des lampes à huile. Il n’empêche que la bourgeoisie a globalement appuyé le développement de l’électricité, les bourgeois qui y avaient quelque chose à y gagner étant plus puissants que ceux qui y avaient quelque chose à perdre. Et de la même manière, la bourgeoisie industrielle allemande y perd, mais la bourgeoisie financière allemande y gagne. Sans compter avec les ceux qui se sont fait des couilles en or en investissant dans les renouvelables, empochant au passage les copieuses subventions publiques.
Je ne crois pas personnellement au pouvoir de l’idéologie. L’idéologie est là pour cacher et justifier un rapport de forces matériel. Que l’idéologie néolibérale soit portée par les Américains, c’est possible. Mais pourquoi les bourgeoisies européennes l’ont embrassée, alors que selon vous elle allait contre leurs intérêts ?
[Mais il y a d’autres exemples de sabotage idéologique qui savent tout à fait se passer de l’hypothèse du complot capitaliste, comme le saccage de l’agriculture soviétique par Lyssenko.]
Mais il y a une différence essentielle. Personne n’avait rien à gagner en suivant les théories de Lyssenko. Alors que beaucoup de gens se sont enrichis grâce à la révolution néolibérale…
[A vrai dire je pense surtout aux conséquences qu’auraient la nationalisation d’activités appartenant aujourd’hui à la sphère des PME. De mon point de vue, un dirigisme d’État se justifie sur les secteurs d’envergure nationale, parce que par définition ceux-ci s’accommodent bien d’une gouvernance centralisée, et la protections des acteurs par un statut est justifiée, car comme vous l’avez justement souligné, la sécurité est prioritaire sur la productivité.]
Je partage cette idée. J’y arrive d’ailleurs par une autre voie. Le fait qu’un secteur soit essentiellement couvert par des PME suggère qu’on peut se rapprocher d’une logique de « marché pur et parfait » : atomicité du marché, faibles barrières à l’entrée et à la sortie. Dans ces conditions, une régulation par le marché est concevable et on ne voit pas l’intérêt d’une nationalisation qui imposerait par ricochet une régulation administrative. A quoi bon nationaliser les réparateurs automobiles, les bureaux de tabac ou les boulangeries ?
Pour moi, l’objectif est la nationalisation « des grands moyens de production et d’échange ». Autrement dit, les grandes industries, les infrastructures, le crédit et l’assurance. Pour le reste, l’Etat peut se contenter d’établir des règles du jeu et laisser le marché réguler l’offre et la demande.
[Mais pour l’activité locale ou régionale de production de biens de consommation courante, l’administration devrait être décentralisée afin de garder un rapport étroit aux spécificités territoriales, ce qui implique la créations d’échelons décisionnels qui sont toujours un handicap et un frein à l’activité.]
Je ne suis pas d’accord. Il ne faut pas confondre la « déconcentration » avec la « décentralisation ». La « déconcentration » suppose que les échelons locaux qui représentent l’Etat aient un pouvoir de décision dans le cadre de directives générales données au niveau national. Le système préfectoral est un exemple de déconcentration qui a fait ses preuves, et ces dernières années on a donné aussi beaucoup d’autonomie aux autres services déconcentrés de l’Etat. La « décentralisation », elle, suppose de donner du pouvoir à des autorités locales qui décident souverainement dans un cadre législatif, sans avoir à appliquer de « directives » venues d’ailleurs. En France, cela aboutit toujours au pouvoir clientéliste des « notables ».
[« C’est un peu ce qu’avait cherché à faire Lénine lorsqu’il met en route la NEP. » Mais la NEP n’a-t’elle pas été abolie par Staline parce qu’elle déstabilisait l’ensemble du système communiste ?]
Non. La NEP a été abandonnée parce qu’elle était un obstacle au développement de l’industrie lourde, développement considéré comme indispensable pour permettre à l’URSS de survivre dans un monde qui lui était foncièrement hostile. Pour atteindre les objectifs du développement industriel, il fallait transférer massivement du capital vers l’industrie lourde. Or, la NEP concentrait le capital dans l’agriculture et surtout le commerce et les produits de consommation.
[Plus pragmatiquement, à quel montant de capital (juste un ordre de grandeur) borneriez-vous le champ de “tolérance capitaliste” ?]
Je ne pense pas qu’il faille se fixer des critères en termes de « montant de capital ». Plus naturellement, je pense qu’il faut laisser à l’initiative privée les secteurs où le marché « pur et parfait » est possible. Dans ces secteurs, l’atomicité du marché tient au fait que le rendement du capital est décroissant, et qu’il n’y a donc pas intérêt à faire grandir le capital au-delà d’une certaine limite. Et dans un marché « pur et parfait », comme les marges tendent vers zéro l’accumulation secondaire de capital serait de toute façon très lente.
[Et comment éviter l’émergence d’une “nouvelle bourgeoisie” ?]
Vous ne pouvez pas l’éviter, dès lors que vous acceptez des « parenthèses capitalistes ». Mais vous pouvez l’empêcher d’accumuler suffisamment de capital pour devenir dangereuse.
[« Ils ont fini par avoir intérêt à voir le système chuter… pour pouvoir racheter les restes et devenir des vrais capitalistes. » En quoi le chemin serait-il différent si nous revenions à une matrice communiste ?]
C’est bien là pour moi le principal défi. La méthode stalinienne – un volontarisme monstrueux associé à des épurations périodiques – est un peu trop coûteuse pour fonctionner en dehors de périodes de guerre. J’aurais tendance à dire que l’erreur principale des communistes soviétiques est d’avoir négligé la question de la régulation économique, et donc des capacités du système économique à satisfaire les besoins d’une manière efficiente. Le système soviétique a bien marché lorsqu’il s’est agi de satisfaire les besoins de base : nourriture, éducation, électricité, logement. Mais dans les années 1950, lorsque l’URSS est sortie de l’économie de guerre, les dirigeants n’ont pas compris que les méthodes de planification administrative qui avaient si bien marché pour construire des aciéries et des barrages ne pouvaient pas prendre en charge des demandes bien plus complexes d’une société qui s’enrichissait. Et cette incapacité leur a fait perdre le soutien des couches populaires, qui pouvaient comparer leurs difficultés avec le niveau de vie des classes ouvrières française, allemande ou britannique, boosté d’ailleurs artificiellement par les bourgeoisies nationales pour détourner ces couches de la tentation socialiste…
[Ce n’était pas la question. Vous me disiez qu’un homme (ou une femme en l’occurence) ne pouvait pas, sans “capital socialisé”, mener une grande aventure industrielle. Je vous démontre l’inverse. La question du bien commun ne faisait pas partie de votre assertion.]
Ce que je veux dire c’est que puisque c’est E. Musk qui prenait les décisions et que c’est E. Musk qui empoche les résultats, peut-on toujours dire que « la grande aventure industrielle » en question est toujours celle de Gwinne Shotwell ? Ou est-elle celle de E. Musk ? Pour revenir à la comparaison, je pense que Marcel Boiteux disposait d’une autonomie bien plus grande dans la conduite du projet nucléaire d’EDF que celle dont pouvait disposer Gwinne Shotwell. Boiteux avait certes des gens au-dessus de lui, mais ils étaient divers, et leurs positions n’étaient pas déterminées par leurs intérêts matériels. Shotwell avait au-dessus de lui un chef tout-puissant ayant pouvoir de vie et de mort sur le projet, et n’ayant de comptes à rendre à personne.
[Je n’ai pas de sympathie pour E.Musk, mais il reste la démonstration de ce que le privé peut, parce qu’il n’engage pas (ou qu’il ne DEVRAIT pas engager) l’argent de la collectivité. S’il s’était pointé à la NASA avec son projet de lanceur réutilisable, Musk se serait fait envoyer bouler en 3 minutes chrono, et à raison: personne ne pensait alors que l’idée était viable.]
Il ne faut pas exagérer. Le projet de Musk a bénéficié de subventions considérables du gouvernement américain, et notamment du ministère de la défense.
[Le fait d’engager son capital privé lui a permis de passer outre: s’il s’était planté, ça ne coûtait rien à la société, juste sa fortune à E.Musk.]
Avez-vous une idée de la part du projet financée par « la fortune de E.Musk » et la partie financée par émission sur les marchés financiers d’actions ou d’obligations, par l’emprunt ou par la subvention publique ?
@Descartes
[Que cela ait été mal fait en URSS, qu’on ait brutalisé les paysans et sous-estimé la tradition individualiste de la paysannerie, c’est un fait.]
J’avais lu quelque part que si la paysannerie bolivienne locale ne s’est pas ralliée à Che Guvara, c’est parce-qu’elle avait bénéficié d’une réforme agraire, et que les projets de collectivisation lui rappelait les latifundia dont-ils s’étaient libérés.
[Mais il y a une différence essentielle. Personne n’avait rien à gagner en suivant les théories de Lyssenko. Alors que beaucoup de gens se sont enrichis grâce à la révolution néolibérale…]
Il y a au moins une personne qui a gagné au lyssenkisme, et cette personne, c’est Lyssenko lui-même qui est devenu le gourou incontestable de l’agronomie et de la biologie soviétiques, profitant de l’évincement voire la liquidation de ses adversaires (comme Nikolaï Vavilov). Pseudo-science néo-lamarckiste qui déborda jusqu’en France soit dit en passant…
Quant à moi, je vois un intérêt très idéologique à la promotion du lyssenkisme : réfuter la génétique permet de nier qu’il existe une nature de l’homme qu’aucun conditionnement ne peut altérer, qu’il existe des inégalités irréductibles entre les hommes, c’est à dire que même élevés dès la naissance (voire y compris même dès la fécondation) dans des conditions strictement identiques, il y en aura toujours certains qui seront meilleurs, moins bons (performances physiques, cognitives, etc) que d’autres, et que la stratification de la société se reconstituera quand même.
C’est qu’égaliser (/supprimer) l’héritage est une chose mais en poussant la logique jusqu’au bout, outre le capital (im)matériel acquis, c’est le capital génétique inné qu’il faut égaliser, et donc aboutir à une société de clones.
Pour le reste, pourquoi ne pas faire ne pas faire une analyse matérialiste marxiste des intérêts des nomenklaturas communistes, comme on le fait avec les establishments capitalistes ?
https://x.com/Gugus_Bontaquin/status/1812178229530132962
@ François
[« Que cela ait été mal fait en URSS, qu’on ait brutalisé les paysans et sous-estimé la tradition individualiste de la paysannerie, c’est un fait. » J’avais lu quelque part que si la paysannerie bolivienne locale ne s’est pas ralliée à Che Guevara, c’est parce qu’elle avait bénéficié d’une réforme agraire, et que les projets de collectivisation lui rappelait les latifundia dont-ils s’étaient libérés.]
Je ne saurais pas vous dire. Sur cette question, j’adhère à l’analyse de ceux qui pensent que l’échec du « foquisme » guévariste – en Bolivie mais aussi en Angola et ailleurs – tient à l’idée qu’on peut exporter une révolution (ici la révolution cubaine) à des pays où les conditions objectives et subjectives qui ont permis à Fidel et les siens de prendre le pouvoir et de l’exercer ne sont pas réunies.
Il faut dire que la révolution cubaine a très largement falsifié sa propre histoire. Au départ, Fidel et ses partisans sont des étudiants nationalistes, et leur objectif n’est nullement de construire une société socialiste, mais de chasser un dictateur corrompu, lié à la mafia américaine, qui a fait de Cuba « le bordel des Amériques ». Leur projet de chasser Batista et le remplacer par un gouvernement démocratique est d’ailleurs regardé avec une certaine sympathie à Washington, qui se gardera bien de leur mettre des bâtons dans les roues. On peut constater que les Américains n’ont pas été particulièrement actifs contre les « barbudos » de la guérilla cubaine, et Batista ne recevra jamais le genre de soutien auquel auront droit les régimes de Pinochet, Videla, Geisel ou Somoza. Castro aurait pu devenir l’un de ces « caudillos » nationalistes plus ou moins tolérés par les Américains (comme Peron en Argentine ou Torrijos au Panama) s’il n’était pas entré en conflit avec les « majors » pétrolières américaines, qui ont commis l’erreur d’imposer un blocus pétrolier à l’île. Ce blocus obligera le régime castriste à chercher d’autres alliances, qui dans le contexte de la guerre froide ne pouvaient se trouver que de l’autre côté du rideau de fer… et dont le prix était l’adhésion aux principes du bloc socialiste. La conversion de Castro et les siens au socialisme « scientifique » est la conséquence d’un choix pragmatique, et non d’une conviction préalable. Guevara, beaucoup plus idéaliste, n’acceptera jamais cette conversion, et restera convaincu qu’une autre voie, « tiers-mondiste », était possible. Il alla chercher cette voie en Angola, puis en Bolivie, avec les résultats que l’on sait. Ce que Guevara n’a pas compris, et qui signa son échec, c’est que la bienveillance de Washington, qui avait permis la prise de pouvoir à La Havane, n’était plus de mise…
[« Mais il y a une différence essentielle. Personne n’avait rien à gagner en suivant les théories de Lyssenko. Alors que beaucoup de gens se sont enrichis grâce à la révolution néolibérale… » Il y a au moins une personne qui a gagné au lyssenkisme, et cette personne, c’est Lyssenko lui-même qui est devenu le gourou incontestable de l’agronomie et de la biologie soviétiques,]
J’ai du mal à croire que l’ensemble de l’appareil soviétique ai fait le choix du Lissenkoïsme pour servir les intérêts de la personne de Lyssenko…
[Quant à moi, je vois un intérêt très idéologique à la promotion du lyssenkisme : réfuter la génétique permet de nier qu’il existe une nature de l’homme qu’aucun conditionnement ne peut altérer, qu’il existe des inégalités irréductibles entre les hommes, c’est à dire que même élevés dès la naissance (voire y compris même dès la fécondation) dans des conditions strictement identiques, il y en aura toujours certains qui seront meilleurs, moins bons (performances physiques, cognitives, etc) que d’autres, et que la stratification de la société se reconstituera quand même.]
Je ne vois pas trop le rapport entre le lyssenkoïsme et « l’idée qu’il existerait une nature humaine qu’aucun conditionnement ne peut altérer ». En matière de génétique, Lyssenko ne fait que reprendre une idée de Darwin, celle de la « pangénèse » qui soutient la possibilité d’une transmission génétique des caractères acquis. On sait aujourd’hui que cette idée est fausse, et que la variabilité des espèces est liée non pas à la transmission de caractères acquis, mais à la sélection naturelle d’une variabilité aléatoire. Mais tout cela n’a rien à voir avec l’idée d’une « nature humaine » ou « d’inégalités irréductibles entre les hommes ». Je ne sais d’ailleurs qu’il y ait jamais eu en URSS une contestation de l’idée qu’il y ait des différences entre les hommes en matière de « performances cognitives ou physiques »… et là encore, je ne vois pas très bien le rapport avec une « nature humaine ».
Quant à l’idée que « la stratification de la société se reconstituera d’elle-même », je ne vois pas en quoi cela aurait pu gêner l’idéologie officielle soviétique. L’idéologie soviétique, si l’on excepte une première période « idéaliste », n’a jamais visé une société égalitaire. La société soviétique était au contraire fortement hiérarchisée dans une logique méritocratique, et l’idéologie soviétique a toujours soutenu cette vision. Les scientifiques et les sportifs ont toujours été portés aux nues… alors en quoi l’idée d’une hiérarchie fondée sur les « performances cognitives et physiques » aurait pu les gêner ?
[C’est qu’égaliser (/supprimer) l’héritage est une chose mais en poussant la logique jusqu’au bout, outre le capital (im)matériel acquis, c’est le capital génétique inné qu’il faut égaliser, et donc aboutir à une société de clones.]
Je ne me souviens d’aucun texte, aucune expression soviétique qui ait le moins du monde parlé « d’égaliser le capital génétique ». On ne trouve dans l’idéologie soviétique la moindre trace de projets eugéniques… je crois que vous confondez avec d’autres idéologies !
[Pour le reste, pourquoi ne pas faire ne pas faire une analyse matérialiste marxiste des intérêts des nomenklaturas communistes, comme on le fait avec les establishments capitalistes ?]
Bien entendu, ce serait passionnant. Mais une telle analyse nécessite une connaissance approfondie des rapports matériels que les différentes « nomenklaturas » entretenaient avec leur environnement et de leur fonction économique dans le mode de production. Pour commencer, il faudrait définir l’objet d’étude. Qu’est ce que c’est une « nomenklature » ? A ma connaissance, le terme n’a jamais été défini avec précision. Pour certains, comme l’auteur de « La Nomenklatura : les privilégiés en URSS » Mikhaïl Voslenski, il s’agit simplement de l’ensemble des cadres du PCUS. Pour d’autres, il désigne l’ensemble des élites administratives de l’Etat soviétiques, qu’elles fussent ou non membres du Parti. Pour d’autres encore, il s’agit de tous ceux qui en URSS bénéficiaient d’un privilège quelconque en termes d’accès au logement, à des biens de consommation, etc. En fait, “nomenklature” est un mot-valise, un peu comme celui de “élite”…
Toutes ces définitions ont le même problème : elles ne reposent pas sur une définition qui permette de les situer dans le mode de production. Vouloir analyser la catégorie « nomenklatura » du monde socialiste en termes marxistes, c’est un peu comme vouloir analyser dans le monde capitaliste la catégorie des « riches » ou des « élites ». Le marxisme travaille avec des catégories établies en référence au mode de production…
@Descartes
[J’ai du mal à croire que l’ensemble de l’appareil soviétique ai fait le choix du Lissenkoïsme pour servir les intérêts de la personne de Lyssenko…]
Et s’assurer de la docilité des scientifiques soviétiques.
[Quant à l’idée que « la stratification de la société se reconstituera d’elle-même », je ne vois pas en quoi cela aurait pu gêner l’idéologie officielle soviétique.]
Le projet marxiste n’est-il pas d’aboutir à une société sans classes ?
[En matière de génétique, Lyssenko ne fait que reprendre une idée de Darwin, celle de la « pangénèse » qui soutient la possibilité d’une transmission génétique des caractères acquis. (…)]
N’ayant aucune idée des mécanismes de l’hérédité, Darwin ne rejetait effectivement pas la possibilité de transmission caractères acquis (mais ce n’est pas le fondement de sa théorie à la différence du lamarckisme) et pour être cohérent avec le reste de sa théorie, d’une, ces caractères acquis sont aléatoires, et de deux, cette transmission de caractères doit passer par le filtre de la sélection naturelle.
Le lyssenkisme fait de l’acquisition et la transmission de ces caractères une nécessité, contraire au principe de sélection naturelle. Telle plante soumise à tel environnement va nécessairement acquérir tel caractère qui sera transmis à sa descendance.
[Les scientifiques et les sportifs ont toujours été portés aux nues… alors en quoi l’idée d’une hiérarchie fondée sur les « performances cognitives et physiques » aurait pu les gêner ?]
Que les communistes aient admis qu’il y ait des individus meilleurs que d’autres (et méritant gratification) est une chose, qu’ils se penchent sérieusement sur la question de savoir pourquoi certains sont meilleurs que d’autres en est une autre.
[Je ne me souviens d’aucun texte, aucune expression soviétique qui ait le moins du monde parlé « d’égaliser le capital génétique ».]
Il n’y en a pas. C’est la conclusion que je tire, en poussant cette idéologie jusqu’à ses derniers retranchements.
[On ne trouve dans l’idéologie soviétique la moindre trace de projets eugéniques…]
Dans la mesure où l’idéologie soviétique rejetait explicitement les lois de la génétique de Gregor Mendel (et implicitement la sélection naturelle de Charles Darwin), il ne pouvait effectivement y avoir de prémices pour justifier des politiques eugénistes.
[Pour commencer, il faudrait définir l’objet d’étude. Qu’est ce que c’est une « nomenklature »]
Qu’est-ce qu’une nomenklatura ? L’équivalent communiste de l’establishment capitaliste, à savoir les élites politiques, économiques et intellectuelles (voire dans une moindre mesure, militaires) d’un pays.
[Toutes ces définitions ont le même problème : elles ne reposent pas sur une définition qui permette de les situer dans le mode de production.]
Réflexion donc également valable pour les élites administratives et intellectuelles de pays capitalistes. On notera par ailleurs que les patrons de kombinats disposaient de l’usus des moyens de production, comme n’importe quel patron du CAC40.
@ François
[« J’ai du mal à croire que l’ensemble de l’appareil soviétique ai fait le choix du Lissenkoïsme pour servir les intérêts de la personne de Lyssenko… » Et s’assurer de la docilité des scientifiques soviétiques.]
Mais dans quel but ? Quel intérêt pouvait avoir Staline à s’assurer de la docilité des scientifiques soviétiques en soutenant Lyssenko plutôt que Vavilov ? Au contraire, il avait tout intérêt de soutenir des scientifiques dont les conseils pouvaient augmenter la productivité soviétique, plutôt que des charlatans qui allaient proposer des politiques agricoles absurdes. Vous croyez vraiment que Staline se levait le matin en se disant « tiens, je vais soutenir un charlatan » ?
[« Quant à l’idée que « la stratification de la société se reconstituera d’elle-même », je ne vois pas en quoi cela aurait pu gêner l’idéologie officielle soviétique. » Le projet marxiste n’est-il pas d’aboutir à une société sans classes ?]
Je ne sais pas très bien ce que vous appelez le « projet marxiste ». Les écrits de Marx concernent essentiellement l’analyse du mode de production capitaliste, et contrairement à ce que beaucoup de gens croient il n’a guère décrit ce que pourrait être un mode de production socialiste ou communiste. Après Marx, ceux qui se sont considérés ses héritiers ont défini des « projets » très différents. Mais si vous regardez ceux qui sortent de la matrice léniniste – dont fait partie le projet soviétique – on retrouve l’idée qu’une « société sans classes » est bien un objectif. Mais une « société sans classes » n’est pas une société sans hiérarchies, et notamment de hiérarchies fondées sur les performances physiques et intellectuelles. Pour ne prendre qu’un exemple, pensez au stakhanovisme… et donc rien dans l’idéologie soviétique pouvait être contredit par l’idée que « la stratification de la société se reconstruira d’elle-même » !
[« Les scientifiques et les sportifs ont toujours été portés aux nues… alors en quoi l’idée d’une hiérarchie fondée sur les « performances cognitives et physiques » aurait pu les gêner ? » Que les communistes aient admis qu’il y ait des individus meilleurs que d’autres (et méritant gratification) est une chose, qu’ils se penchent sérieusement sur la question de savoir pourquoi certains sont meilleurs que d’autres en est une autre.]
D’abord, je n’aime pas le terme « meilleur » dans ce contexte. C’est un mot qui a une connotation morale, qui suppose dès le départ un jugement de valeur. Il y a, certes, des individus plus intelligents ou plus forts physiquement que d’autres. Mais cette intelligence, cette force physique, on peut la mettre au service des idéaux les plus nobles ou des crimes les plus odieux. Al Capone était certainement un homme supérieur à bien d’autres en termes d’intelligence et de force physique. Diriez-vous qu’il était « meilleur » qu’eux ?
Ensuite, les théories génétiques sont beaucoup moins déterministes que vous ne le pensez. S’il y a une certaine corrélation héréditaire dans les capacités physiques, personne pour le moment n’a réussi à établir une influence de l’hérédité dans les performances intellectuelles. Pour ce qui concerne ces dernières, la part de l’inné, si elle existe, n’est certainement pas déterminante. Et comme dans les sociétés modernes il n’y a pas la moindre corrélation entre la « stratification sociale » et le niveau des performances physiques, il n’y a rien dans la génétique qui aurait pu apparaître contradictoire avec l’idéologie soviétique…
[« Je ne me souviens d’aucun texte, aucune expression soviétique qui ait le moins du monde parlé « d’égaliser le capital génétique ». » Il n’y en a pas. C’est la conclusion que je tire, en poussant cette idéologie jusqu’à ses derniers retranchements.]
Si personne à part vous n’a jamais tiré cette conclusion, c’est probablement que vous vous êtes trompé dans votre interprétation de l’idéologie en question…
[« On ne trouve dans l’idéologie soviétique la moindre trace de projets eugéniques… » Dans la mesure où l’idéologie soviétique rejetait explicitement les lois de la génétique de Gregor Mendel (et implicitement la sélection naturelle de Charles Darwin), il ne pouvait effectivement y avoir de prémices pour justifier des politiques eugénistes.]
Là, je ne vous suis pas. Vous commencez par m’affirmer que l’idéologie soviétique ne pouvait qu’aboutir au projet d’égalisation génétique, et maintenant vous me dites que la même idéologie ne pouvait soutenir l’eugénisme. Expliquez-moi comment vous faites, sans une politique eugénique, pour « égaliser le capital génétique » ?
[Qu’est-ce qu’une nomenklatura ? L’équivalent communiste de l’establishment capitaliste, à savoir les élites politiques, économiques et intellectuelles (voire dans une moindre mesure, militaires) d’un pays.]
Prenons des exemples, si vous le voulez bien. Diriez-vous que le maire d’une commune de moins de 20.000 habitants fait partie de « l’establishment » ? Le directeur d’un laboratoire du CNRS ? Le secrétaire fédéral du PS de la Manche ou de la Lozère ?
[« Toutes ces définitions ont le même problème : elles ne reposent pas sur une définition qui permette de les situer dans le mode de production. » Réflexion donc également valable pour les élites administratives et intellectuelles de pays capitalistes.]
C’était bien mon point. Prétendre analyser d’un point de vue marxiste « les élites », comme si elles constituaient un groupe homogène avec une même position dans le mode de production et donc des intérêts convergents est une absurdité. Pour Marx, c’est la confrontation des classes qui font l’histoire, et les « élites » ne constituent pas une classe.
[On notera par ailleurs que les patrons de kombinats disposaient de l’usus des moyens de production, comme n’importe quel patron du CAC40.]
Ni le patron d’un kombinat, ni le patron du CAC40 ne disposent pas en propre de « l’usus des moyens de production ». Tous deux disposent d’une délégation du propriétaire des moyens de production, délégation limitée et précaire. Ils doivent rendre compte au propriétaire, faire approuver par lui les décisions qui dépassent sa délégation. Et le propriétaire peut leur retirer leur délégation ad nutum. La différence tient à la nature de ce propriétaire. Quand il s’agit de choisir la stratégie de l’entreprise, le PDG d’EDF n’est pas soumis aux mêmes contraintes que celui de McDonalds. Et le fructus ne va pas dans les mêmes poches…
@ François
[« J’ai du mal à croire que l’ensemble de l’appareil soviétique ai fait le choix du Lissenkoïsme pour servir les intérêts de la personne de Lyssenko… » Et s’assurer de la docilité des scientifiques soviétiques.]
Mais dans quel but ? Quel intérêt pouvait avoir Staline à s’assurer de la docilité des scientifiques soviétiques en soutenant Lyssenko plutôt que Vavilov ? Au contraire, il avait tout intérêt de soutenir des scientifiques dont les conseils pouvaient augmenter la productivité soviétique, plutôt que des charlatans qui allaient proposer des politiques agricoles absurdes. Vous croyez vraiment que Staline se levait le matin en se disant « tiens, je vais soutenir un charlatan » ?
[« Quant à l’idée que « la stratification de la société se reconstituera d’elle-même », je ne vois pas en quoi cela aurait pu gêner l’idéologie officielle soviétique. » Le projet marxiste n’est-il pas d’aboutir à une société sans classes ?]
Je ne sais pas très bien ce que vous appelez le « projet marxiste ». Les écrits de Marx concernent essentiellement l’analyse du mode de production capitaliste, et contrairement à ce que beaucoup de gens croient il n’a guère décrit ce que pourrait être un mode de production socialiste ou communiste. Après Marx, ceux qui se sont considérés ses héritiers ont défini des « projets » très différents. Mais si vous regardez ceux qui sortent de la matrice léniniste – dont fait partie le projet soviétique – on retrouve l’idée qu’une « société sans classes » est bien un objectif. Mais une « société sans classes » n’est pas une société sans hiérarchies, et notamment de hiérarchies fondées sur les performances physiques et intellectuelles. Pour ne prendre qu’un exemple, pensez au stakhanovisme… et donc rien dans l’idéologie soviétique pouvait être contredit par l’idée que « la stratification de la société se reconstruira d’elle-même » !
[« Les scientifiques et les sportifs ont toujours été portés aux nues… alors en quoi l’idée d’une hiérarchie fondée sur les « performances cognitives et physiques » aurait pu les gêner ? » Que les communistes aient admis qu’il y ait des individus meilleurs que d’autres (et méritant gratification) est une chose, qu’ils se penchent sérieusement sur la question de savoir pourquoi certains sont meilleurs que d’autres en est une autre.]
D’abord, je n’aime pas le terme « meilleur » dans ce contexte. C’est un mot qui a une connotation morale, qui suppose dès le départ un jugement de valeur. Il y a, certes, des individus plus intelligents ou plus forts physiquement que d’autres. Mais cette intelligence, cette force physique, on peut la mettre au service des idéaux les plus nobles ou des crimes les plus odieux. Al Capone était certainement un homme supérieur à bien d’autres en termes d’intelligence et de force physique. Diriez-vous qu’il était « meilleur » qu’eux ?
Ensuite, les théories génétiques sont beaucoup moins déterministes que vous ne le pensez. S’il y a une certaine corrélation héréditaire dans les capacités physiques, personne pour le moment n’a réussi à établir une influence de l’hérédité dans les performances intellectuelles. Pour ce qui concerne ces dernières, la part de l’inné, si elle existe, n’est certainement pas déterminante. Et comme dans les sociétés modernes il n’y a pas la moindre corrélation entre la « stratification sociale » et le niveau des performances physiques, il n’y a rien dans la génétique qui aurait pu apparaître contradictoire avec l’idéologie soviétique…
[« Je ne me souviens d’aucun texte, aucune expression soviétique qui ait le moins du monde parlé « d’égaliser le capital génétique ». » Il n’y en a pas. C’est la conclusion que je tire, en poussant cette idéologie jusqu’à ses derniers retranchements.]
Si personne à part vous n’a jamais tiré cette conclusion, c’est probablement que vous vous êtes trompé dans votre interprétation de l’idéologie en question…
[« On ne trouve dans l’idéologie soviétique la moindre trace de projets eugéniques… » Dans la mesure où l’idéologie soviétique rejetait explicitement les lois de la génétique de Gregor Mendel (et implicitement la sélection naturelle de Charles Darwin), il ne pouvait effectivement y avoir de prémices pour justifier des politiques eugénistes.]
Là, je ne vous suis pas. Vous commencez par m’affirmer que l’idéologie soviétique ne pouvait qu’aboutir au projet d’égalisation génétique, et maintenant vous me dites que la même idéologie ne pouvait soutenir l’eugénisme. Expliquez-moi comment vous faites, sans une politique eugénique, pour « égaliser le capital génétique » ?
[Qu’est-ce qu’une nomenklatura ? L’équivalent communiste de l’establishment capitaliste, à savoir les élites politiques, économiques et intellectuelles (voire dans une moindre mesure, militaires) d’un pays.]
Prenons des exemples, si vous le voulez bien. Diriez-vous que le maire d’une commune de moins de 20.000 habitants fait partie de « l’establishment » ? Le directeur d’un laboratoire du CNRS ? Le secrétaire fédéral du PS de la Manche ou de la Lozère ?
[« Toutes ces définitions ont le même problème : elles ne reposent pas sur une définition qui permette de les situer dans le mode de production. » Réflexion donc également valable pour les élites administratives et intellectuelles de pays capitalistes.]
C’était bien mon point. Prétendre analyser d’un point de vue marxiste « les élites », comme si elles constituaient un groupe homogène avec une même position dans le mode de production et donc des intérêts convergents est une absurdité. Pour Marx, c’est la confrontation des classes qui font l’histoire, et les « élites » ne constituent pas une classe.
[On notera par ailleurs que les patrons de kombinats disposaient de l’usus des moyens de production, comme n’importe quel patron du CAC40.]
Ni le patron d’un kombinat, ni le patron du CAC40 ne disposent pas en propre de « l’usus des moyens de production ». Tous deux disposent d’une délégation du propriétaire des moyens de production, délégation limitée et précaire. Ils doivent rendre compte au propriétaire, faire approuver par lui les décisions qui dépassent sa délégation. Et le propriétaire peut leur retirer leur délégation ad nutum. La différence tient à la nature de ce propriétaire. Quand il s’agit de choisir la stratégie de l’entreprise, le PDG d’EDF n’est pas soumis aux mêmes contraintes que celui de McDonalds. Et le fructus ne va pas dans les mêmes poches…
@ Descartes
[Prenons le cas des « déserts médicaux ». Prenons le médecin qui s’installe dans une petite ville, voire un village, et qui fait exactement le même travail qu’un autre médecin qui exerce à Paris, avec la même attention pour ses patients, la même qualité de soins et les mêmes horaires. Il serait « juste » qu’ils soient rémunérés au même niveau. Mais voilà qu’aucun médecin ne souhaite s’installer dans les petites villes… alors pourquoi pas donner une « prime » à ceux qui le font ? Cette prime n’est pas « juste », au sens qu’elle ne rémunère aucun travail supplémentaire, mais elle est cependant socialement utile, parce qu’elle permet de maintenir l’universalité du service public.]
Cette prime peut être “juste” si l’on considère que le médecin qui exerce à la campagne se prive de l’accès à une partie du capital immatériel socialisé propre à la vie en métropole. On pourrait concevoir cette prime comme un moyen alternatif de redistribution pour ceux qui sont, du fait d’une contrainte géographique subie, les moins consommateurs de services publics. Mais c’est une boîte de Pandore..
[Vous ne pouvez pas évacuer la question du poids des responsabilités. // Pouvez-vous m’expliquer POURQUOI une telle différence serait-elle « juste » ?]
Je suis d’accord avec vous sur la théorie. J’avais sur-interprété votre position, croyant que vous ne pensiez pas cette différenciation nécessaire.
[Et cela vous montre que le « capital immatériel » et le « capital matériel » ne sont pas très différents en substance. Les deux ont besoin d’être « reconstitués » par le travail accumulé.]
Certes le capital immatériel doit être reconstitué au début de la vie de l’individu, mais celui-ci ne fait que croître au fur et à mesure que l’individu l’utilise durant sa vie active, alors que le capital matériel s’use. N’est-ce pas là une différence notable ?
[Nous sommes d’accord. Mais nous sommes aussi d’accord sur le fait que cela ne résout pas le problème de l’offre du bien concerné par ce « marché imparfait ». Et que se passe-t-il quand ce bien est un bien essentiel ? Votre raisonnement vous conduit à la conclusion que je proposais depuis le début : lorsqu’un bien jugé essentiel se trouve régulé par un marché imparfait, l’Etat doit intervenir pour permettre à tous d’en bénéficier.]
La notion de bien ESSENTIEL m’avait échappé dans votre proposition initiale 😉
Par corollaire, je suppose que nous sommes d’accord sur le fait qu’un marché imparfait est tolérable pour réguler la production de biens non-essentiels ?
[Mais les hommes ne sont pas des ânes, et au bout de quelques essais ils comprendront qu’il est inutile de « produire de la valeur pour se payer » un Picasso ou un Iphone, puisque les prix augmentent au fur et à mesure qu’on a plus d’argent pour les acheter. (…) rapidement les gens aboutiront à la conclusion que certaines choses leurs sont inaccessibles, et le mécanisme d’incitation deviendra inefficace. ]
Si ceux qui tiennent la carotte savent sacrifier une carotte à l’âne de temps en temps pour maintenir l’illusion… c’est dans leur intérêt. Quand on voit les sacrifices que des gens modestes peuvent faire pour acheter un téléphone ou un vêtement de la “bonne” marque…
[La question est donc de bien placer le curseur. On peut quand même donner quelques règles. Ainsi, par exemple, les « monopoles naturels » (c’est-à-dire, les domaines où l’efficacité d’une entreprise augmente avec la taille) devraient tous être régulés administrativement. Même chose pour les domaines où les barrières à l’entrée sont très importantes ]
Nous sommes d’accord.
[Personnellement, je ne vois pas la difficulté. Votre « révolution bourgeoise » impliquerait que la bourgeoisie agissant dans ces « enclaves capitalistes » – entendues non pas au sens géographique mais en tant que domaines d’activité – puisse accumuler suffisamment de capital pour devenir une menace. Or, si le mode de production capitaliste est restreint aux domaines ou les marchés sont quasi « purs et parfaits », cela ne peut arriver parce que dans un marché « pur et parfait » le profit tend vers zéro.]
OK pour la théorie, mais dans la pratique ? Comment gérez-vous par exemple les grandes chaînes de restauration et d’hôtellerie, d’habillement, de garagistes ?
[Je vais être provocateur, mais je crois que si ”EDF est la seule entreprise communiste qui ait réussi”, c’est justement parce que cette entreprise “socialiste” s’est développée au sein d’une économie capitaliste // Ainsi, pour vous les service public a fonctionné comme un îlot des valeurs « aristocratiques » alors que partout ailleurs dans la société se sont imposées les valeurs « bourgeoises », et l’existence même de cet univers « bourgeois » a agi comme une sorte de « filtre » permettant au service public de ne recruter que les « purs »]
C’est l’idée. Sauf que parler de “purs” me semble un peu caricatural, voire néfaste: que celui qui n’a jamais cédé à la tentation de jouir d’un privilège aussi modeste soit-il me jette la première pierre. Je ne parlerais pas de “pureté”, mais de ceux pour qui l’intérêt national a un sens, tout simplement.
[Mettez EDF dans un cadre communiste global, (…) et voyez si les gens dévoués ne sont pas balayés par les pires arrivistes… Et voyez si n’arrivent pas au galop clientélisme et corruption. // Vous voulez dire, comme dans une entreprise privée ?]
Tout à fait. Et la lutte nécessaire contre cette tentation inévitable de nombreux acteurs privés est d’autant plus efficace qu’elle est menée par un acteur tiers, à savoir un pouvoir public probe, doté de cette dimension aristocratique dont on parlait à l’instant. ll est beaucoup plus facile de traquer la corruption chez autrui que dans sa propre administration. C’est tout le jeu du recrutement public de faire en sorte de traiter ses agents de manière suffisamment honorable pour se garder de la corruption, et suffisamment modeste pour dissuader les vautours. Et évidemment, d’être absolument intraitable avec les pourris qui s’y glisseraient néanmoins. En d’autres termes, “compartimenter” les personnes vénales dans un secteur privé, en leur permettant de “faire des affaires” dans un cadre légal, permet à la fois d’assainir le Public, et par extension de garantir la vigilance des institutions publiques sur les activités privées. C’est un peu le principe de la maison close, je crois: si les hommes ne peuvent pas s’empêcher d’avoir certains comportements, alors autant leur permettre de les avoir dans un cadre précis et surveillé.
[Le choix politique de ravitailler les villes a été essentiel pour la réussite des plans quinquennaux, qui ont sorti l’URSS du moyen-âge et en ont fait une économie moderne. C’est pourquoi je dis que le Holodomor est le résultat d’un choix politique, tragique certes, mais qui va bien au-delà d’une simple question de clientélisme.]
ça s’entend.
[Le véritable « facteur limitant » dans les années 1930, ce sont les équipements de labour.]
En gros les paysans auraient mangé les animaux de trait après la mauvaise récolte de 1931, hypothéquant la récolte de 1932 ?
[Difficile de réécrire l’histoire, mais en suivant la logique des intérêts, on peut penser que dans un système capitaliste, l’intérêt des exploitants face à la mauvaise récolte de 1931, aurait été de préserver la main-d’œuvre pour garantir la pérennité de l’exploitation de leur capital // Je n’ai pas compris de quels « exploitants » vous parlez. Dès lors qu’il n’y avait pas assez de nourriture pour tout le monde, quelqu’un allait fatalement mourir de faim. L’administration a choisi de reporter la charge sur les campagnes pour préserver les villes. Si vous aviez laissé faire le marché, que ce serait-il passé ?]
Par “exploitants”, je parle des propriétaires agricoles. Dans un système capitaliste, les propriétaires du capital agricole (très dur à délocaliser) auraient probablement, face à une mauvaise récolte, préféré pérenniser les moyens d’exploitation du capital (semences, animaux de trait, ouvriers agricoles) plutôt que d’exporter, afin de récolter normalement en 1932.
Après, mis devant le fait accompli de la famine, un écosystème libéral aurait poussé à un exode massif vers l’ouest. Sauf qu’en Ukraine, les gens ont été empêchés de quitter leurs terres par la force, car les laisser partir aurait sacrifié tout espoir de récolte l’année suivante. Je ne dis pas que le marché aurait mieux réglé la crise alimentaire, mais qu’il en aurait atténué la gravité.
[(…) Le maçon A est rémunéré pour la valeur produite personnellement (donc de 1,5 UVT, correspondant à la production de biens réels d’une valeur intrinsèque de 1h30 de TTNS) et le maçon B de 0,5 UVT. // C’est bien ce mode de rémunération que je retiendrai.]
Alors je ne comprends pas pourquoi vous répondez par la négative quand je vous demandais si “La rémunération varie d’individu à individu en fonction des performances personnelles” plus haut dans nos échanges.
[Non, justement. Si le travail est seule source de valeur, la valeur du bien produit et la valeur produite par le travailleur qui l’a fabriqué sont une seule et même chose. ]
Pour le dire simplement, un travailleur, en une heure de travail EFFECTIF, ne produit pas forcément l’équivalent d’une heure de TTNS, qui est la seule mesure de la valeur. Deux travailleurs inégalement performants ne produiront donc pas, à durée de travail EFFECTIF égale, la même quantité de TTNS, et donc pas la même quantité de valeur au final. Et donc leur rémunération sera différente. CQFD..
Je crois que nous sommes d’accord mais je préfèrerais avoir confirmation 🙂
[Et de la même manière, la bourgeoisie industrielle allemande y perd, mais la bourgeoisie financière allemande y gagne.]
1/ Est-on bien sûr que la bourgeoisie financière y gagne ?
2/ Est-ce que par là vous voulez dire que les Verts allemands, Greenpeace et consorts sont directement aux mains de la bourgeoisie financière allemande ?
J’avais lu quelque part que Gazprom avait des liens financiers avec Greenpeace, soulevant des questions de conflit d’intérêts dans le lobbying antinucléaire. il faudrait que je retrouve ça, car je ne suis pas sûr du tout que la source soit fiable.
[Mais il y a d’autres exemples de sabotage idéologique qui savent tout à fait se passer de l’hypothèse du complot capitaliste, comme le saccage de l’agriculture soviétique par Lyssenko // Mais il y a une différence essentielle. Personne n’avait rien à gagner en suivant les théories de Lyssenko. Alors que beaucoup de gens se sont enrichis grâce à la révolution néolibérale…]
La question était justement de savoir si une idéologie pouvait amener un Etat à prendre des décisions contraires à son intérêt. L’exemple de Lyssenko me semble au contraire parfaitement adapté. Si l’URSS a saboté son agriculture en suivant des thèses contraires à ses intérêts par idéologie, pourquoi nos Etats n’auraient-ils pas pû faire de même concernant le nucléaire ?
[Pour moi, l’objectif est la nationalisation « des grands moyens de production et d’échange ». Autrement dit, les grandes industries, les infrastructures, le crédit et l’assurance. Pour le reste, l’Etat peut se contenter d’établir des règles du jeu et laisser le marché réguler l’offre et la demande.]
Excusez-moi, mais quelle différence avec la période Gaulliste d’après-guerre ?
[Il ne faut pas exagérer. Le projet de Musk a bénéficié de subventions considérables du gouvernement américain, et notamment du ministère de la défense.// Avez-vous une idée de la part du projet financée par « la fortune de E.Musk » et la partie financée par émission sur les marchés financiers d’actions ou d’obligations, par l’emprunt ou par la subvention publique ?]
A vrai dire non, je n’ai pas réussi à trouver les infos sur le financement de SpaceX sur la période du lancement de l’entreprise. Evidemment, maintenant que l’entreprise a fait ses preuves, il y a beaucoup de financements par contrats publics, un peu de subvention (5 millions de dollars, une somme ridicule dans ce secteur d’activité – le budget annuel de la nasa est de 25 milliards/an) mais sur quels fonds Musk s’est lancé en 2008, je ne trouve pas l’info.
@ P2R
[« Prenons le cas des « déserts médicaux ». Prenons le médecin qui s’installe dans une petite ville, voire un village, et qui fait exactement le même travail qu’un autre médecin qui exerce à Paris, avec la même attention pour ses patients, la même qualité de soins et les mêmes horaires. Il serait « juste » qu’ils soient rémunérés au même niveau. Mais voilà qu’aucun médecin ne souhaite s’installer dans les petites villes… alors pourquoi pas donner une « prime » à ceux qui le font ? Cette prime n’est pas « juste », au sens qu’elle ne rémunère aucun travail supplémentaire, mais elle est cependant socialement utile, parce qu’elle permet de maintenir l’universalité du service public. » Cette prime peut être “juste” si l’on considère que le médecin qui exerce à la campagne se prive de l’accès à une partie du capital immatériel socialisé propre à la vie en métropole.]
Certainement pas. Si vous admettez ce raisonnement, alors la « prime » en question devrait être versée à TOUS les habitants de la campagne. Après tout, si vivre à la campagne vous prive des avantages de la ville, cela est tout aussi vrai pour le médecin de campagne que pour le paysan.
Si le salaire rémunère un travail, le principe « à travail égal, salaire égal » est le seul principe « juste » pour le calcul du salaire. Payer plus celui qui exerce dans telle ou telle région au motif que personne ne veut y aller n’a rien à voir avec la « justice ». C’est juste une décision pragmatique, une forme de spéculation.
[« Et cela vous montre que le « capital immatériel » et le « capital matériel » ne sont pas très différents en substance. Les deux ont besoin d’être « reconstitués » par le travail accumulé. » Certes le capital immatériel doit être reconstitué au début de la vie de l’individu, mais celui-ci ne fait que croître au fur et à mesure que l’individu l’utilise durant sa vie active, alors que le capital matériel s’use. N’est-ce pas là une différence notable ?]
Non. Le capital immatériel s’use, lui aussi. Les connaissances que vous avez acquises sont oubliées ou deviennent obsolètes, les réseaux sociaux perdent de la valeur au fur et à mesure que le temps passe. Pour maintenir sa valeur, il faut un processus d’accumulation : acquisition de nouvelles connaissances, expérience, entretien de votre réseau. La seule différence « notable » est que le capital immatériel disparaît avec l’individu qui le porte, alors que le capital matériel non.
[Par corollaire, je suppose que nous sommes d’accord sur le fait qu’un marché imparfait est tolérable pour réguler la production de biens non-essentiels ?]
Oui. Dès lors que le bien n’est pas essentiel, c’est la question de l’efficacité de l’intervention publique qui doit être posée. Est-ce que le coût de la régulation administrative se justifie, compte rendu du degré d’imperfection du marché ? Si la réponse est négative, alors mieux vaut tolérer un marché imparfait plutôt que de dépenser l’argent public à rétablir une répartition juste. Comme je vous l’ai dit, je ne suis pas pour la nationalisation des bistrots.
[Si ceux qui tiennent la carotte savent sacrifier une carotte à l’âne de temps en temps pour maintenir l’illusion… c’est dans leur intérêt. Quand on voit les sacrifices que des gens modestes peuvent faire pour acheter un téléphone ou un vêtement de la “bonne” marque…]
Oui. Mais est-ce que cela contribue à ce que les gens produisent plus de valeur ? Je suis très sceptique.
[OK pour la théorie, mais dans la pratique ? Comment gérez-vous par exemple les grandes chaînes de restauration et d’hôtellerie, d’habillement, de garagistes ?]
Vous noterez que les « grandes chaines de restauration, d’habillement ou de réparation mécanique » n’existent en fait pas. Les magasins McDonalds ont beau arborer tous la même enseigne, ce sont en fait des franchises, tout comme dans l’habillement ou les garages. Et ce sont des domaines où le taux de profit est minime. On imagine mal une chaîne de garages ou de fast-food imposer sa volonté à un gouvernement. L’hôtellerie de luxe, c’est une autre affaire. Mais c’est un domaine où le parché est très imparfait… et par voie de conséquence pourrait être régulé administrativement.
[Tout à fait. Et la lutte nécessaire contre cette tentation inévitable de nombreux acteurs privés est d’autant plus efficace qu’elle est menée par un acteur tiers, à savoir un pouvoir public probe, doté de cette dimension aristocratique dont on parlait à l’instant. ll est beaucoup plus facile de traquer la corruption chez autrui que dans sa propre administration. C’est tout le jeu du recrutement public de faire en sorte de traiter ses agents de manière suffisamment honorable pour se garder de la corruption, et suffisamment modeste pour dissuader les vautours. Et évidemment, d’être absolument intraitable avec les pourris qui s’y glisseraient néanmoins. En d’autres termes, “compartimenter” les personnes vénales dans un secteur privé, en leur permettant de “faire des affaires” dans un cadre légal, permet à la fois d’assainir le Public, et par extension de garantir la vigilance des institutions publiques sur les activités privées. C’est un peu le principe de la maison close, je crois: si les hommes ne peuvent pas s’empêcher d’avoir certains comportements, alors autant leur permettre de les avoir dans un cadre précis et surveillé.]
Je dois dire que je n’avais jamais considéré la question sous cet angle. Il me faut un temps de réflexion avant de vous répondre. Peut-être qu’il serait intéressant de faire un papier complet sur cette question…
[« Le véritable « facteur limitant » dans les années 1930, ce sont les équipements de labour. » En gros les paysans auraient mangé les animaux de trait après la mauvaise récolte de 1931, hypothéquant la récolte de 1932 ?]
Non. La crise cuvait depuis longtemps, et le banditisme, la guerre civile, la négligence aussi avait réduit radicalement les équipements. Si vous avez l’opportunité, je vous recommande la lecture des livres de A. S. Makarenko. Makarenko est un pédagogue soviétique qui a travaillé dans la région de Poltava, en Ukraine, à la réinsertion des enfants vagabonds, très nombreux après les convulsions du début des années 1920. Dans son bouquin, qui raconte son expérience, il fait une description extrêmement vivante de ce que pouvait être l’Ukraine paisanne du milieu des années 1920 au début des années 1930.
[Par “exploitants”, je parle des propriétaires agricoles. Dans un système capitaliste, les propriétaires du capital agricole (très dur à délocaliser) auraient probablement, face à une mauvaise récolte, préféré pérenniser les moyens d’exploitation du capital (semences, animaux de trait, ouvriers agricoles) plutôt que d’exporter, afin de récolter normalement en 1932. Après, mis devant le fait accompli de la famine, un écosystème libéral aurait poussé à un exode massif vers l’ouest.]
Vous n’avez pas compris la question. Dans un système libéral, les paysans auraient gardé pour eux les récoltes, et ne les auraient vendues aux villes qu’au compte-goutes, et à des prix prohibitifs. Autrement dit, il y aurait eu un « holodomor », mais au lieu de concerner les paysans, il aurait concerné les citadins trop pauvres pour acheter la nourriture à prix d’or. On a connu ça chez nous, regardez « au bon beurre »…
[Alors je ne comprends pas pourquoi vous répondez par la négative quand je vous demandais si “La rémunération varie d’individu à individu en fonction des performances personnelles” plus haut dans nos échanges.]
Parce que ce n’est pas les « performances personnelles » qui sont en jeu, mais la valeur produite.
[Pour le dire simplement, un travailleur, en une heure de travail EFFECTIF, ne produit pas forcément l’équivalent d’une heure de TTNS, qui est la seule mesure de la valeur. Deux travailleurs inégalement performants ne produiront donc pas, à durée de travail EFFECTIF égale, la même quantité de TTNS, et donc pas la même quantité de valeur au final. Et donc leur rémunération sera différente. CQFD..
Je crois que nous sommes d’accord mais je préfèrerais avoir confirmation 🙂]
Je vous le confirme. Mais les deux travailleurs seront remunérés de la valeur qu’ils auront produite.
[1/ Est-on bien sûr que la bourgeoisie financière y gagne ?]
Oui. Le nucléaire est un gros obstacle à la financiarisation du marché de l’électricité – on le voit bien en France. Qui dit nucléaire, dit investissement à très long terme, c’est-à-dire intervention de l’Etat, le seul acteur qui a une visibilité à 50 ou 60 ans. Le gaz ou les renouvelables se prêtent beaucoup plus à l’investissement financier.
[2/ Est-ce que par là vous voulez dire que les Verts allemands, Greenpeace et consorts sont directement aux mains de la bourgeoisie financière allemande ?]
« Aux mains » non… mais les Verts ou Greenpeace ont pour base sociologique des couches sociales intermédiaires dont les intérêts convergent avec ceux de la bourgeoisie financière.
[J’avais lu quelque part que Gazprom avait des liens financiers avec Greenpeace, soulevant des questions de conflit d’intérêts dans le lobbying antinucléaire. il faudrait que je retrouve ça, car je ne suis pas sûr du tout que la source soit fiable.]
Les liens financiers de Greenpeace avec l’industrie pétrolière dans le monde anglosaxon sont dénoncés régulièrement. On peut en tout cas constater que si Greepeace est coutumier des intrusions dans les installations nucléaires, ils n’ont jamais fait de même dans une raffinerie.
[La question était justement de savoir si une idéologie pouvait amener un Etat à prendre des décisions contraires à son intérêt. L’exemple de Lyssenko me semble au contraire parfaitement adapté. Si l’URSS a saboté son agriculture en suivant des thèses contraires à ses intérêts par idéologie, pourquoi nos Etats n’auraient-ils pas pû faire de même concernant le nucléaire ?]
Je vous l’ai dit : parce que la sortie du nucléaire, contrairement au Lyssenkisme, fait l’affaire de groupes d’intérêt très puissants… Lorsqu’un Etat adopte une politique qui ne fait l’affaire de personne, le rasoir d’Occam nous conduit à penser qu’il le fait par idéologie. Mais lorsqu’une décision fait l’affaire du groupe d’intérêts dominant, on peut raisonnablement penser que ce n’est pas le cas…
[« Pour moi, l’objectif est la nationalisation « des grands moyens de production et d’échange ». Autrement dit, les grandes industries, les infrastructures, le crédit et l’assurance. Pour le reste, l’Etat peut se contenter d’établir des règles du jeu et laisser le marché réguler l’offre et la demande. » Excusez-moi, mais quelle différence avec la période Gaulliste d’après-guerre ?]
Je pense que la Libération est peut-être le moment où la France a été le plus loin vers le socialisme. Il ne faut cependant pas exagérer la portée des nationalisations de l’après-guerre. On a certes nationalisé certaines activités essentielles, mais l’essentiel est reste dans des mains privées : le pétrole, la sidérurgie, les machines-outil, les équipements électriques et électroniques, la chimie, l’armement n’ont pas été nationalisés.
[A vrai dire non, je n’ai pas réussi à trouver les infos sur le financement de SpaceX sur la période du lancement de l’entreprise.]
Etonnant, non ? Pourtant, s’il avait financé tout cela sur ses propres fonds, il serait fier de l’afficher, vous ne trouvez pas ?
@ P2R
Bonjour, je crois que j’ai fait une fausse manip et j’ai perdu un de vos messages. Si c’est le cas, je m’en excuse…
Ah zut. Je l’ai sauvegardé mais je viens de partir en congés sans mon ordinateur. Je vous reposterai ça dans 15 jours. en attenant je vous souhaite un bon mois d’août et de bonnes vacances si vous en prenez !