Ni sang, ni sueur, ni larmes…

Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au cœur du commun combat
Aragon, “La rose et le réséda”, 1943

Mercredi soir, le président de la République nous a fait un numéro qu’il affectionne, celui du « rien ne sera jamais comme avant ». Souvenez-vous, il nous l’avait déjà dit après la révolte des Gilets Jaunes, il nous l’avait dit après la crise COVID. Il nous l’avait même dit après le premier tour de l’élection présidentielle, pour nous expliquer qu’il avait entendu le message du pays. Et à chaque fois, il n’a pas fallu longtemps pour que les affaires reprennent leur cours habituel. Même la perte de la majorité absolue, puis relative, par le parti présidentiel n’a rien changé : nous avons aujourd’hui un gouvernement présidé et tenu par les partisans du président, et aucune de ses politiques n’a été vraiment remise en cause.

Quelle est cette rupture qui fait qu’on quitte le passé et on rentre dans l’avenir ? En fait, c’est l’Union européenne qui adopterait finalement – après que les États-Unis l’aient trahie en frayant avec l’affreux Poutine – les politiques que, si l’on croit le président, la France n’a cessé de défendre depuis que lui-même est à l’Élysée. Macron le claironne, « l’Europe de la défense devient une réalité ». Une affirmation difficile à discuter dans la mesure où personne ne sait très bien en quoi consiste exactement « l’Europe de la défense ». Entre ceux qui y voient la constitution d’une armée européenne sous commandement unifié et ceux qui se contentent d’une vague politique d’achat d’armements européens, toutes les options sont sur la table.

Mais le point essentiel dans cette « Europe de la défense » est celui des moyens qu’on devrait y mettre pour la voir advenir. Oui, nous dit le président, il faudra se réarmer, et cela dans tous les domaines. Dans le domaine militaire, certes, avec des achats massifs d’équipements et augmentation des effectifs des armées. Mais aussi rechercher l’indépendance sur les plans « économique, technologique, industriel et financier ». Rien que ça. On peut prévoir que cela va coûter beaucoup, beaucoup d’argent.

Et c’est là que les choses deviennent intéressantes. Une petite phrase du discours du président est passée inaperçue, ou du moins aucun commentateur à mon sens n’a saisi toute sa profondeur. Pourtant, c’est la phrase fondamentale de tout ce discours, celle qui en quelques mots dit tout. Dans cette phrase, le président nous dit que ce réarmement, qui coutera des dizaines voire des centaines de milliards d’euros, se fera « sans que les impôts ne soient augmentés ». (1)

À la fin du discours, Macron nous dit « la patrie a besoin de vous ». Si c’est le cas, alors pourquoi exclure la possibilité d’une augmentation des impôts ? S’il s’agit de sauver la patrie, n’est-ce pas le devoir de chaque Français de mettre ses biens et sa vie à sa disposition ? Eh bien, il faut croire que ce n’est pas le cas. Exiger des sacrifices, oui. Mais demander de payer plus d’impôts, c’est inhumain. Il ne faut tout de même pas exagérer.

Cette tentative de rassurer les contribuables est d’autant plus remarquable qu’après avoir exclu la ressource fiscale, le président explique que la dépense sera financée par « des réformes, des choix, du courage ». Un langage codé dont on connaît parfaitement la signification après quarante ans de « réformes » et de « choix courageux » de toute nature qui, par une étrange coïncidence, ont pour point commun d’aller dans le sens de l’affaiblissement de la protection sociale, de l’appauvrissement des services publics, du sacrifice de l’éducation, des infrastructures, de la recherche. Autrement dit, il faut rassurer ceux qui pourraient être frappés par des hausses d’impôts, mais on peut se permettre d’inquiéter les couches populaires, qui sont les premières frappées par les « décisions courageuses ».

Est-ce que les Français d’aujourd’hui sont comme ça ? Est-ce qu’ils ont besoin, pour répondre à l’appel de la patrie, d’être rassurés sur le fait qu’on ne leur demandera pas de mettre la main au portefeuille ? On ne le saura peut-être jamais. Mais ce dont on peut être sûrs en lisant ce discours, c’est que Macron en est intimement convaincu. Et cette conviction jette une lumière crue sur la conception que la classe à laquelle appartient notre président a du patriotisme. Comment expliquer autrement la présence de cette remarque sur la question fiscale dans un discours qui se veut un appel dramatique au pays ? Car si l’histoire donne de très nombreux exemples de discours du genre « la patrie en danger », il est rarissime que ces discours contiennent une formule destinée à rassurer les contribuables. Et c’est logique : ces discours sont généralement construits pour mettre en valeur une priorité, le salut de la patrie, devant laquelle tout le reste doit s’effacer. Ce que Macron nous dit en introduisant cette formule, c’est qu’en fait « la patrie n’est pas en danger », ou du moins que le danger n’est pas si grand, puisqu’on peut se permettre de ne pas demander aux citoyens – surtout les plus riches – de contribuer à son salut en mettant la main à la poche. Quand on préfère perdre la guerre que d’augmenter les impôts, cela veut dire que c’est une guerre d’opérette. Si nous étions devant une menace vitale, si le destin de la France – et de l’Europe, cette Europe à laquelle le président tient tant – était en jeu, on s’attendrait à ce que nos dirigeants ne s’interdisent AUCUN outil, et je dis bien AUCUN, pour financer les moyens de les protéger. Le salut du peuple est la loi suprême.

Clairement, le bloc dominant, sur lequel le gros de la pression fiscale tomberait, ne l’entend pas de cette oreille, puisque le président, qui le connaît bien, s’estime obligé de les rassurer en leur promettant qu’on ne touchera pas à leurs sous. Si pour sauver l’Ukraine il faut réduire les budgets des hôpitaux ou des écoles, allons-y, ce sont là des « choix courageux ». Mais s’il faut augmenter les impôts, alors l’Ukraine n’a qu’à crever la gueule ouverte. Voilà ce que nous dit le président. À la place des Ukrainiens, je ne serais pas rassuré.

Voici ce que Clemenceau disait devant le sénat le 20 novembre 1917 : « Nous demanderons à chaque citoyen de prendre toute sa part de défense commune, de donner plus et de consentir à recevoir moins. L’abnégation est aux armées. Que l’abnégation soit dans tout le pays. Nous ne forgerons pas une plus grande France sans y mettre de notre vie. » Après une telle formule, pourrait-il ajouter « de notre vie, mais pas de nos impôts » ? Non, bien sûr que non. Au contraire : c’est dans le contexte de la guerre de 1914 qu’on créera l’impôt sur le revenu (2). Imaginez-vous Churchill déclarant « je n’ai à vous apporter que du sang, de la sueur et des larmes, mais pas de hausse d’impôts » ? Bien sûr que non. Ces deux hommes d’État faisaient face à une menace vitale pour leur pays, et devant une telle menace il allait de soi – mais cela allait encore mieux en le disant – que l’abnégation doit être exigée de tous, y compris des plus riches.

La formule macronienne nous dit trois choses. La première, que l’obsession fiscale de notre président – qui est celle de la classe qui le soutient – n’a pas de limites. Plutôt mourir que de voir le dogme remis en cause. La seconde, que c’est plus important pour lui de rassurer les gros contribuables que de faire peur aux Russes. Parce que, à la place des Russes, j’aurais du mal à craindre un ennemi qui, pour me combattre, n’est pas prêt à augmenter les impôts. La troisième, que son discours dramatique sur le danger que présente la situation n’est qu’une posture. Si le président lui-même ne croit pas que le danger justifie qu’on augmente les impôts – ni même qu’on se laisse cette possibilité ouverte – pourquoi devrions-nous le croire quand il nous explique que « la Russie est devenue une menace pour la France » et qu’il faut mobiliser toutes les ressources du continent européen pour faire face ?

Descartes

(1) Une autre proposition miracle que le président n’a pas évoquée dans son intervention de mercredi, mais dont il a parlé à d’autres occasions : financer tout cela par un « emprunt européen ». Problème résolu. Il n’y a pas si longtemps, notre premier ministre expliquait que la dette était non seulement une menace pour notre souveraineté, mais qu’elle était « immorale » puisqu’elle déplaçait le fardeau de nos dépenses sur nos enfants. Mais ça, ça ne concerne que les emprunts souscrits par la France. Dès lors que l’adjectif « européen » y est accolé, et que la chose se fait sous le contrôle de la Commission, les générations futures n’ont plus rien à craindre. Un peu comme si les « emprunts européens », à la différence des emprunts nationaux, se remboursaient tout seuls, par l’opération du Saint Esprit.

(2) L’impôt sera créé par la loi de finances du 15 juillet 1914, et sera perçu à partir de 1916. Ajoutons que le projet préparé par Joseph Caillaux qui, devant l’opposition résolue des classes moyennes et supérieures, dormait le sommeil du juste au sénat depuis son vote par l’Assemblée en 1909, a été voté finalement en 1914 dans le cadre de l’effort de guerre.

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30 réponses à Ni sang, ni sueur, ni larmes…

  1. Bob dit :

    @ Descartes
     
    Quel œil perçant vous avez, personne n’a mis en évidence cette phrase qui en effet change tout. Le grand-guignol de Macron démasqué en une phrase, c’est beau.
    Je rêverais que vos billets soient parfois publiés dans la presse “officielle”, celui-ci en fait assurément partie.
     

    • Descartes dit :

      @ Bob

      [Quel œil perçant vous avez, personne n’a mis en évidence cette phrase qui en effet change tout. Le grand-guignol de Macron démasqué en une phrase, c’est beau.]

      C’est pas une question d’œil. En fait, pas mal de commentateurs – sur les chaines d’information continue, par exemple – on relevé la phrase en question. Mais loin d’y voir un réflexe de classe, ils y ont au contraire vu un engagement très positif. Pas étonnant, compte tenu des intérêts de la classe qui domine nos médias. Ce n’est pas avec les yeux qu’on voit, c’est avec la tête. Et notre tête est très forte quand il s’agit de nous empêcher de voir ce qu’on n’a pas envie de voir…

      [Je rêverais que vos billets soient parfois publiés dans la presse “officielle”, celui-ci en fait assurément partie.]

      Moi aussi j’aimerais bien ! Mais ne rêvons pas : un monde où la presse officielle aurait envie de publier mes billets serait un monde très différent du notre.

      • Frank dit :

        J’ai entendu quelque part, probablement sur CNews, exactement la même idée, que si l’on se refusait à augmenter les impôts, c’est que la menace, évidemment, n’était pas sérieuse.

        • Descartes dit :

          @ Frank

          [J’ai entendu quelque part, probablement sur CNews, exactement la même idée, que si l’on se refusait à augmenter les impôts, c’est que la menace, évidemment, n’était pas sérieuse.]

          Ils ont du lire mon blog… mais j’apporterais une nuance à ce raisonnement. L’expression de Macron montre qu’il n’est pas convaincu que la menace est sérieuse. Mais Macron peut se tromper – il l’a abondamment démontré. Autrement dit, on peut déduire du discours de Macron que pour lui – et pour sa classe – la menace n’est pas considérée suffisamment sérieuse pour que cela vaille la peine de mettre la main au portefeuille. Mais cela ne nous dit rien sur le caractère objectif de la menace…

          • Vincent dit :

            Macron croit au caractère performatif du discours. Je pense qu’on surestime largement ce caractère, et je pense que vous serez d’accord avec moi.
            Mais s’il y a bien un domaine où il y a un caractère performatif du discours, c’est en relations internationales : si on affirme que tel pays est notre ennemi et qu’on doit s’armer pour pouvoir lui faire face, il est possible, pour ne pas dire très possible, que ce pays, en retour, se considère comme notre ennemi, et agisse en conséquence.
            En réalité, notre histoire avec la Russie, depuis 20/25 ans, est une volonté de la Russie de se rapprocher de l’Europe et de l’Occident. Mais les occidentaux avaient besoin d’un épouvantail russe, d’un ennemi commun, pour pouvoir se fédérer autour de Bruxelles. Et ils ont tout fait pour provoquer la Russie, pas uniquement dans les discours.
            Parler du “caractère objectif” de la menace russe me semble donc difficile, car la menace russe est très dépendante de nous : si nous continuons à souhaiter vivre sous menace russe, on ne peut effectivement pas exclure un réveil de l’ours. Mais on n’est pas loin de la prophétie autoréalisatrice.

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [Macron croit au caractère performatif du discours. Je pense qu’on surestime largement ce caractère, et je pense que vous serez d’accord avec moi.]

              Oui, tout à fait. Cela étant, dit, je pense que ce facteur est secondaire dans la pensée macronienne. Pour Macron, le discours est d’abord un instrument de séduction. Quand il parle, il pense moins à l’effet « performatif » de ses paroles, qu’à la possibilité qu’elles lui donnent d’établir un rapport émotionnel avec l’autre et à le persuader. Souvenez-vous de ce qu’il affirmait vouloir dire à Trump lors de leur dernier entretien : « tu ne peux pas faire ça », « tu apparaîtras comme faible »…

              [Mais s’il y a bien un domaine où il y a un caractère performatif du discours, c’est en relations internationales : si on affirme que tel pays est notre ennemi et qu’on doit s’armer pour pouvoir lui faire face, il est possible, pour ne pas dire très possible, que ce pays, en retour, se considère comme notre ennemi, et agisse en conséquence.]

              Jusqu’à un certain point, oui. Mais vous noterez aussi que c’est un domaine où les paroles s’envolent vite, et ou les « combattants de la liberté » d’hier peuvent devenir aujourd’hui de dangereux terroristes…

              [En réalité, notre histoire avec la Russie, depuis 20/25 ans, est une volonté de la Russie de se rapprocher de l’Europe et de l’Occident. Mais les occidentaux avaient besoin d’un épouvantail russe, d’un ennemi commun, pour pouvoir se fédérer autour de Bruxelles. Et ils ont tout fait pour provoquer la Russie, pas uniquement dans les discours.]

              Je suis globalement d’accord, même si je serais plus nuancé. Après la période Eltsine, pendant laquelle l’UE et les Etats-Unis se sont essuyés les pieds sur la Russie, Poutine a cherché à rétablir l’Etat tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Ca n’a pas fait l’affaire d’un certain nombre d’affairistes russes mais aussi occidentaux qui se sont enrichis en pillant la Russie – pensez à des gens comme Khodorkovsy, aujourd’hui refugié à Londres et devenu pour les bienpensants un « défenseur des droits de l’homme ». Je ne sais si la volonté de la Russie était de se rapprocher de l’occident, je pense que c’était plutôt de reprendre sa place au concert des puissances. Il est clair par contre que le système UE/OTAN s’est constitué en grande partie contre la Russie, et que la chute du Mur a laissé le système un peu orphelin. Avoir un ennemi à l’Est était une nécessité pour garder le système uni.

              [Parler du “caractère objectif” de la menace russe me semble donc difficile, car la menace russe est très dépendante de nous : si nous continuons à souhaiter vivre sous menace russe, on ne peut effectivement pas exclure un réveil de l’ours. Mais on n’est pas loin de la prophétie autoréalisatrice.]

              Bien sur. A force de traiter les Russes en ennemis, on les pousse à se chercher des amis ailleurs et à nous traiter en ennemis. Deux choses qu’il est de notre intérêt d’éviter.

  2. P2R dit :

    @ Descartes
     
    Je pense que si Macron choisit d’apaiser les contribuables en évacuant la question de l’impôt, sa manière de laisser dans le domaine de l’abstrait la nature des efforts et sacrifices à fournir ne peut pas aussi facilement s’interpréter comme une menace explicite envers les classes prolétaires. Et contrairement à ce que vous semblez sous entendre, l’impôt et les taxes ne concernent pas que les classes supérieures et intermédiaires. C’est même davantage chez les travailleurs que le sujet est le plus inflammable.
     
    J’ai une lecture bien différente de la votre de cette attitude. Vous connaissez mon prisme d’analyse de ce conflit, selon lequel la guerre d’Ukraine n’est que le front chaud entre conservateurs-republicains et socio-libérale-démocratie. Selon moi, l’attitude et le discours de Macron n’est non pas dicté par un manque de conviction quant à la menace que représente la Russie pour la social-démocratie et son incarnation institutionnelle (à savoir l’UE*), mais avant tout par le fait qu’il est conscient que ce conflit est larvé au sein même de notre nation, et qu’une large partie de l’opinion, qui est déjà peu amène à suivre le discours alarmiste de notre président, pourrait s’y retrouver carrément hostile si ses intérêts étaient directement menacés. Alors on évacue la question de l’impôt, qui est aussi bien susceptible de faire se rebiffer les classes dominantes que les “gilets jaunes”, et on reste flou sur le reste.. au risque de n’être que peu crédible.
     
    Macron, et avec lui la libérale-démocratie occidentale, est en réalité est pris entre deux feux: soit il laisse gagner la Russie, il la laisse obtenir une réhabilitation au niveau international avec l’aval des Etats unis qui ont déjà basculé dans le camp “républicain-réactionnaire”, et il laisse ainsi gonfler la vague conservatrice qui ne demande qu’à déferler sur l’Europe et à clore définitivement le cycle néolibéral dont il est l’ultime représentant. Soit il choisit de livrer bataille de toutes ses forces, ce qui implique des sacrifices pour la population, qui dès lors qu’on lui demandera de contribuer de manière concrète à l’effort de guerre, commencera à se demander si elle est vraiment d’accord pour dégrader ses conditions d’existence au nom d’un combat qui finalement la concerne d’assez loin.  A ce sujet, il convient de citer ce sondage réalisé après l’intervention du président de la République: 65% des Français se disent inquiets de la menace Russe. Bien que ce chiffre semble élevé, il reste à relativiser: avec le matraquage intensif des médias nous répétant nuit et jour que la Russie impériale va demain déferler sur l’Europe si elle n’est pas défaite en Ukraine, et alors même qu’aucun effort n’est demandé aux Français, le fait que 35% d’entre eux soient indifférents à la “menace” Russe est notable. Qu’en serait-il s’il s’agissait de mettre les Français concrètement à contribution ?
     
    En conséquence, Macron et les libéraux avec lui essaie de flotter entre deux eaux, en aidant au maximum les nationalistes Ukrainiens à bloquer la Russie tout en essayant de rendre la chose la plus indolore possible pour la fraction souverainiste/républicaine de la population, dont le soutient est déjà loin d’être acquis.
     
    *On note une manoeuvre particulièrement habile de la Russie qui proclame qu’elle ne voit aucun inconvénient à l’intégration de l’Ukraine à l’UE, sachant pertinament, je n’en doute pas, qu’une entrée de l’Ukraine dans l’UE signerait sa fin en ce qu’elle amplifierait immanquablement les mouvements de protestation anti-UE dans des proportions inédites.
     
    Au passage, quelle est votre lecture du conflit larvé avec l’Algérie ? Quel serait selon vous la conduite à tenir ?
    Personnellement j’avoue que la situation me semble tout à fait insoluble: nos politiques sont manifestement pétrifiés par la menace intranationale que sous-tendrait un conflit diplomatique ouvert avec Alger. Et en même temps, la France ne peut pas continuer à se laisser marcher dessus de cette manière… Je crains qu’une politique de fermeté telle que pronée par Retailleau ne se paie au prix fort (attentats), mais a t’on le choix ?
     
    Selon moi, le pas de deux de Macron ne s’explique pas tant par le fait qu’il ne craigne pas la menace que représente la Russie pour la social-démocratie et son incarnation institutionnelle à savoir l’UE, mais avant tout par le fait qu’il est conscient que ce conflit est larvé au sein même de notre nation, et qu’une large partie de l’opinion, qui est déjà peu amène à suivre le discours alarmiste de notre président, pourrait s’y retrouver carrément hostile si ses intérêts étaient directement menacés. 

    • Descartes dit :

      @ P2R

      [Je pense que si Macron choisit d’apaiser les contribuables en évacuant la question de l’impôt, sa manière de laisser dans le domaine de l’abstrait la nature des efforts et sacrifices à fournir ne peut pas aussi facilement s’interpréter comme une menace explicite envers les classes prolétaires. Et contrairement à ce que vous semblez sous-entendre, l’impôt et les taxes ne concernent pas que les classes supérieures et intermédiaires. C’est même davantage chez les travailleurs que le sujet est le plus inflammable.]

      Je n’ai nullement parlé de « menace ». Le raisonnement du président n’est pas une « menace », c’est une réalité. Quand il parle « de réformes, de choix et de courage », on sait bien ce que cela veut dire. Quelle est la dernière fois que vous avez entendu parler de « courage », de « choix » ou de « réformes » lorsqu’il s’est agi d’imposer plus lourdement les dividendes, les stock-options, les grandes fortunes ? Même les – très rares – gouvernements qui sont allés dans cette direction ces trente dernières années n’utilisent pas ce vocabulaire.

      Non, l’impôt ne concerne pas que les classes supérieures et intermédiaires. Mais c’est précisément parce que c’est « chez les travailleurs que le sujet est le plus inflammable » qu’on peut difficilement envisager d’augmenter les impôts des couches populaires pour financer la dépense militaire. Ce serait rallumer les feux de la révolte, surtout si le « bloc dominant » n’est pas invité à supporter sa part de l’effort – une part proportionnée à sa richesse. Et c’est pourquoi il faut rassurer le « bloc dominant » sur le fait qu’il n’y aura pas d’augmentation d’impôts. Parce qu’il est évident que pour faire accepter une telle augmentation par le peuple, il faudra montrer que les classes dominantes se serrent la ceinture elles aussi…

      J’ajoute que tout ça n’est pas nouveau : à chaque guerre, lorsqu’il a fallu trouver des ressources exceptionnelles, on a taxé plus lourdement les riches. En 1914, lorsque l’impôt sur le revenu est créé, sa progressivité est bien plus lourde que maintenant. Et comme maintenant, les plus riches ont poussé des cris d’orfraie et annoncé la fin du monde. La seule différence est que Clemenceau n’a pas cherché à les amadouer…

      [J’ai une lecture bien différente de la votre de cette attitude. Vous connaissez mon prisme d’analyse de ce conflit, selon lequel la guerre d’Ukraine n’est que le front chaud entre conservateurs-republicains et socio-libérale-démocratie. Selon moi, l’attitude et le discours de Macron n’est non pas dicté par un manque de conviction quant à la menace que représente la Russie pour la social-démocratie et son incarnation institutionnelle (à savoir l’UE*), mais avant tout par le fait qu’il est conscient que ce conflit est larvé au sein même de notre nation, et qu’une large partie de l’opinion, qui est déjà peu amène à suivre le discours alarmiste de notre président, pourrait s’y retrouver carrément hostile si ses intérêts étaient directement menacés. Alors on évacue la question de l’impôt, qui est aussi bien susceptible de faire se rebiffer les classes dominantes que les “gilets jaunes”, et on reste flou sur le reste.. au risque de n’être que peu crédible.]

      Votre raisonnement présente un défaut. Si le but était d’amadouer la partie de l’opinion qui est opposée aux libéraux et à l’UE, il se serait adressé à elle en proposant d’augmenter les impôts des plus riches – dont on sait que le soutien à l’UE et au social-libéralisme ne se démentira pas, compte tenu de leurs intérêts profonds. Curieusement, il fait exactement l’inverse : il assume un discours qui risque de révolter ceux qu’il devrait chercher à conquérir, et qui rassure ceux qui lui sont par avance acquis.

      [En conséquence, Macron et les libéraux avec lui essaie de flotter entre deux eaux, en aidant au maximum les nationalistes Ukrainiens à bloquer la Russie tout en essayant de rendre la chose la plus indolore possible pour la fraction souverainiste/républicaine de la population, dont le soutient est déjà loin d’être acquis.]

      Je me répète : la fraction « souverainiste/républicaine » est bien moins sensible à la question fiscale qu’aux « réformes et choix courageux » qui consiste à affaiblir l’Etat, à couper les services publics, à rogner sur les allocations et les retraites. Si l’objectif est de « rendre la chose la plus indolore possible » pour eux, Macron aurait dû au contraire annoncer la fin des « réformes courageuses » et un impôt patriotique sur les plus riches… or, il fait exactement le contraire.

      [Au passage, quelle est votre lecture du conflit larvé avec l’Algérie ? Quel serait selon vous la conduite à tenir ?]

      Je pense qu’avec la politique de gribouille de notre président, on a créé une situation inextricable. Lorsque deux amis à vous se battent entre eux, la prudence exige de ne pas prendre parti. C’est là que le tropisme pour la séduction de notre président s’avère désastreux. A chaque fois, il cherche à faire plaisir à son interlocuteur sans penser que ce qu’il promet à l’un peut hérisser d’autres. Il a voulu faire plaisir aux Marocains en reconnaissant leur vision du conflit pour le Sahara occidental, sans réfléchir un instant que cela allait rendre les rapports avec l’Algérie impossibles… de la même manière qu’il avait auparavant cherché à faire plaisir aux Algériens en reconnaissant les « crimes contre l’humanité » soi-disant commis par la France, sans réfléchir à l’effet que cela aurait en France.

      Maintenant, il faut arrêter l’escalade publique – qui ne peut conduire qu’à la rupture, puisque personne ne peut publiquement perdre la face – et faire parler la diplomatie secrète. Ce qui suppose d’arrêter les rodomontades publiques et d’exposer aux Algériens quelles sont nos lignes rouges et ce qu’on est prêt à négocier, et écouter les Algériens faire de même. Et ensuite, essayer de trouver des compromis qui seront forcément bancals, mais c’est ça, la Realpolitik. L’escalade des provocations (Samsal et le Sahara d’un côté, revendications mémorielles et refus de réadmission de l’autre) ne peut qu’aboutir à une rupture.

      • Carloman dit :

        @ Descartes,
         
        [L’escalade des provocations (Samsal et le Sahara d’un côté, revendications mémorielles et refus de réadmission de l’autre) ne peut qu’aboutir à une rupture.]
        Et alors? Où est le problème? Quels intérêts nous obligent à ne surtout pas rompre avec l’Algérie, d’après vous?

        • Descartes dit :

          @ Carloman

          [Et alors ? Où est le problème ? Quels intérêts nous obligent à ne surtout pas rompre avec l’Algérie, d’après vous ?]

          En diplomatie, la première règle est « ne te fais pas des ennemis inutilement, tu ne sais pas quand tu pourrais avoir besoin d’eux ». Nous avons un intérêt général à avoir de bonnes relations avec le plus grand nombre de pays possibles. Après, il faut regarder le rapport coût/avantages. Si pour avoir la bienveillance du gouvernement algérien on doit céder sur des choses qui nous paraissent importantes, il est légitime de se demander si cela en vaut la peine.

          Personnellement, la révision de l’accord de 1968 ne me choquerait pas. L’Algérie revendique la rupture avec l’héritage français, et du coup on voit mal pourquoi l’Algérie devrait avoir un statut particulier, plus avantageux que celui d’autres pays qui, eux, ne rejettent pas notre héritage.

          • Carloman dit :

            @ Descartes,
             
            [Après, il faut regarder le rapport coût/avantages. Si pour avoir la bienveillance du gouvernement algérien on doit céder sur des choses qui nous paraissent importantes, il est légitime de se demander si cela en vaut la peine.]
            Nous sommes d’accord: “ne te fais pas des amis/alliés à n’importe quel prix”, pourrait-on dire afin de compléter la maxime que vous citiez.
             
            [Personnellement, la révision de l’accord de 1968 ne me choquerait pas. L’Algérie revendique la rupture avec l’héritage français, et du coup on voit mal pourquoi l’Algérie devrait avoir un statut particulier, plus avantageux que celui d’autres pays qui, eux, ne rejettent pas notre héritage.]
            J’entends beaucoup parler de ce fameux “accord de 1968”. J’avoue que je n’ai pas creusé la question, mais j’ai entendu Villepin dire – lors de son entretien avec Plenel je crois – que l’accord avait déjà subi des modifications. Il faudrait voir exactement quel était l’objectif affiché de cet accord de 1968. Outre, je suppose, le fait de procurer au patronat français une main-d’oeuvre abondante et bon marché, y avait-il aussi la volonté de favoriser la réconciliation entre la France et l’Algérie? Si tel était le cas, l’échec est patent.
             
            Retailleau et consorts ne sont pas saints de ma dévotion, loin de là, mais lorsqu’ils parlent de “rente mémorielle” dont userait le gouvernement algérien avec le rappel lancinant des “crimes de la colonisation”, je pense qu’ils ont raison. Les dirigeants algériens, confrontés quand même à ce qui ressemble à un désastre économique et à une poudrière sociale, peuvent-ils vraiment se passer de l’épouvantail de la colonisation et de la ritournelle victimaire?
            L’Algérie, même si ça peut être triste à entendre, est une création française, là où avant 1830 on trouvait une province ottomane sous la suzeraineté devenue nominale du sultan de Constantinople, et diverses confédérations tribales, d’origine arabe ou berbère, autonomes voire carrément indépendantes. Et ces gens passaient une partie non-négligeable de leur temps à s’étriper joyeusement… Je ne veux pas faire de psychanalyse de comptoir, mais on a parfois l’impression que l’Algérie n’en finit pas de vouloir tuer son géniteur, la France. 
             
            Mais permettez-moi de vous poser une question: que pensez-vous de l’argument – qui est celui de Plenel ou de Mélenchon d’ailleurs – consistant à dire que la France est en quelque sorte “condamnée” à s’entendre avec l’Algérie au motif que 5 à 6 millions (j’ignore d’où sort ce chiffre, mais je l’ai entendu au moins deux fois) d’Algériens et/ou de Franco-algériens (ce n’est pas clair) vivraient en France, et que les deux peuples seraient “intimement liés” pour ne pas dire entremêlés?   

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [J’entends beaucoup parler de ce fameux “accord de 1968”. J’avoue que je n’ai pas creusé la question, mais j’ai entendu Villepin dire – lors de son entretien avec Plenel je crois – que l’accord avait déjà subi des modifications. Il faudrait voir exactement quel était l’objectif affiché de cet accord de 1968. Outre, je suppose, le fait de procurer au patronat français une main-d’oeuvre abondante et bon marché, y avait-il aussi la volonté de favoriser la réconciliation entre la France et l’Algérie ? Si tel était le cas, l’échec est patent.]

              Le régime de circulation prévu par les accords d’Evian en 1962 était extrêmement libéral, et permettait aux algériens en possession d’un document d’identité de circuler librement en France. Ce régime – qui au départ était prévu pour permettre aux pieds noirs de circuler, puisqu’à l’époque on pensait qu’ils resteraient massivement en Algérie – connaît déjà une première restriction par les accords Nekkache-Grandval de 1964, qui imposent une sélection aux Algériens voulant travailler en France. Le traité du 27 décembre 1968 restreint encore l’immigration, tout en conservant un régime de faveur pour l’Algérie par rapport aux autres pays.

              On parle aujourd’hui comme si le traité de 1968 avait été signé pour accorder des avantages aux Algériens. C’est le contraire : il fait partie des mesures restrictives de l’arrivée de main d’œuvre étrangère, en réponse au ralentissement économique qui marque la fin des « trente glorieuses ». On a l’impression que les « trente glorieuses » se terminent avec le choc pétrolier de 1974, mais les signes de ralentissement apparaissent bien avant. Certains considèrent même que c’est ce ralentissement qui provoque l’inquiétude des classes intermédiaires qui se manifeste dans les révoltes étudiantes – qui, rappelons-le, n’ont pas lieu qu’en France.

              Le traité a été modifié trois fois par des avenants : en 1985, en 1994 et en 2001, et chaque fois dans un sens plus restrictif. L’abandonner, ce serait admettre finalement que l’espoir de garder des liens privilégiés avec nos anciennes colonies ne s’est pas matérialisé, et que celles-ci rentreront progressivement dans le droit commun…

              [Retailleau et consorts ne sont pas saints de ma dévotion, loin de là, mais lorsqu’ils parlent de “rente mémorielle” dont userait le gouvernement algérien avec le rappel lancinant des “crimes de la colonisation”, je pense qu’ils ont raison. Les dirigeants algériens, confrontés quand même à ce qui ressemble à un désastre économique et à une poudrière sociale, peuvent-ils vraiment se passer de l’épouvantail de la colonisation et de la ritournelle victimaire ?]

              Non, probablement pas. Cela les obligerait à assumer leurs responsabilités. L’Algérie est maintenant indépendante depuis plus d’un demi-siècle. Elle n’a jamais fait l’objet d’un blocus ou de sanctions économiques, et avait du pétrole pour financer son développement. Le désastre économique et social peut difficilement être attribué au méchant colonisateur. Bien sûr, les autorités algériennes cherchent à rentabiliser leur rente mémorielle, mais j’ai l’impression que cela marche de moins en moins bien. Sauf sur l’imaginaire français, qui cherche je ne sais pas pourquoi à se faire pardonner quelque chose.

              [L’Algérie, même si ça peut être triste à entendre, est une création française, là où avant 1830 on trouvait une province ottomane sous la suzeraineté devenue nominale du sultan de Constantinople, et diverses confédérations tribales, d’origine arabe ou berbère, autonomes voire carrément indépendantes. Et ces gens passaient une partie non-négligeable de leur temps à s’étriper joyeusement… Je ne veux pas faire de psychanalyse de comptoir, mais on a parfois l’impression que l’Algérie n’en finit pas de vouloir tuer son géniteur, la France.]

              Je me méfie de la psychanalyse appliquée aux peuples, mais pour avoir été en Algérie et discuté avec des Algériens, il est clair que la France est pour eux « un passé qui ne passe pas ». Les espoirs suscités par la décolonisation ont été largement déçus, et le rapport avec la France reste très ambigu.

              [Mais permettez-moi de vous poser une question : que pensez-vous de l’argument – qui est celui de Plenel ou de Mélenchon d’ailleurs – consistant à dire que la France est en quelque sorte “condamnée” à s’entendre avec l’Algérie au motif que 5 à 6 millions (j’ignore d’où sort ce chiffre, mais je l’ai entendu au moins deux fois) d’Algériens et/ou de Franco-algériens (ce n’est pas clair) vivraient en France, et que les deux peuples seraient “intimement liés” pour ne pas dire entremêlés ?]

              Que c’est un argument valable si l’on se place dans une optique communautariste. Il devient absurde si l’on se place dans une logique assimilationniste. La France compte un grand nombre de citoyens qui sont d’origine russe ou polonaise – pensez à tous les juifs d’Europe centrale qui se sont installés en France – mais aussi italiens ou espagnols, et personne n’affirme qu’on soit « condamnés » à s’entendre avec la Russie, la Pologne, l’Italie ou l’Espagne pour cette raison. Pourquoi ? Parce qu’à l’époque la France assimilait, et que les franco-polonais, les franco-russes, les franco-italiens et les franco-espagnols devenait assez rapidement des Français comme les autres. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

          • Musée de l'Europe dit :

            Apparemment l’Algérie parait plus à la portée de Bayrou et Retailleau que la Russie et les USA… Et comme toute cette clique ne sont que communiquants n’ayant jamais été confrontés au principe de réalité, ils font feu de toutes les munitions symboliques qu’ils trouvent dans leur coffre à jouets qui est une boite de Pandore… Le chef jettera-t-il l’allumette sur le barril d’essence qu’ils ont préparé par pur opportunisme ? Le corps expéditionnaire envoyé en Algérie en 1830 comme déjà dérivatif de la crise politique interne n’était pas arrivé que le Régime était tombé, mais le Coup d’Etat qui a instauré la Veme part d’Algérie, et le mensonge sur lequel de Gaule s’est appuyé pour arriver au pouvoir (“je vous ai compris”) n’a jamais été soldé (le FN en fut le produit). Si en appeler au “patriotisme” pour “réformer” un peu plus vers l’Europe fédérale ne marche pas assez contre les Russes (il n’y a jamais eu de russophobie massive en France, pendant la guerre froide c’était de la propagande anti-communiste), que contre les USA cela ne peut qu’être un feu de paille, par contre l’Algérie est un bon client (avec l'”Islam” tout ça, les médias et même les “souverainistes” sont au taquet…). Amen.

            • Descartes dit :

              @ Musée de l’Europe

              [Apparemment l’Algérie parait plus à la portée de Bayrou et Retailleau que la Russie et les USA…]

              Vous trouvez ? Pour le moment, on ne voit que des rodomontades. Comme disait le perroquet dans « Zazie dans le métro » de Quéneau, « tu parles, tu parles, c’est tout ce que tu sais faire ». Il est d’ailleurs frappant de voir le contraste : quand Trump se fâche, les livraisons d’armes et du renseignement à l’Ukraine sont coupés dans les 48 heures qui suivent. Quand nos leaders se fâchent… rien ne se passe. Le comble est le grand plan de Von der Leyen de 800 Md€ pour la défense. Quand on le décortique, on s’aperçoit que cela consiste à dire aux états membres « vous devez dépenser 650 Md€ de votre argent pour la défense ». Quant aux 150 Md€ restants, il s’agit de « prêts » que l’UE donnera… et qu’il faudra rembourser !

              [Et comme toute cette clique ne sont que communiquants n’ayant jamais été confrontés au principe de réalité, ils font feu de toutes les munitions symboliques qu’ils trouvent dans leur coffre à jouets qui est une boite de Pandore… Le chef jettera-t-il l’allumette sur le barril d’essence qu’ils ont préparé par pur opportunisme ?]

              En fait, le problème est que ces gens sortent les « munitions symboliques » en fonction de la contrainte présente, sans penser aux contraintes futures qu’ils se créent. Quand Macron a reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, a-t-il prévu qu’il s’engageait dans un bras de fer avec l’Algérie ? Quand on voit la désorganisation de la riposte, on se dit que non. Comme tous les séducteurs, ce qui lui importe c’est la conquête en cours, et tout le reste n’a pas d’importance. Et quand il cherchait il y a quelques années à se concilier l’Algérie, c’était pareil : il leur a fait plaisir en parlant des « crimes contre l’humanité commis par la France », sans se rendre compte des effets qu’une telle déclaration auraient en France.

              [(…) mais le Coup d’Etat qui a instauré la Veme part d’Algérie, et le mensonge sur lequel de Gaule s’est appuyé pour arriver au pouvoir (“je vous ai compris”) n’a jamais été soldé (le FN en fut le produit).]

              Quel « mensonge » ? On peut reprocher à De Gaulle son ambiguïté, mais pas d’avoir « menti » : quand il prononce la célèbre phrase, elle est parfaitement vraie : mongénéral avait parfaitement « compris » ce que voulaient les pieds-noirs. Mais les comprendre c’est une chose, et les satisfaire, c’en est une autre. Je dirais que c’est plutôt l’inverse : les pieds-noirs n’ont pas compris, n’ont pas voulu comprendre la position gaullienne – celle qu’il avait résumé au directeur de « l’Echo d’Oran » avec l’intention qu’elles soient publiées (elles l’ont été le 2 mai 1959) : « Ce qu’ils veulent c’est qu’on leur rende “l’Algérie de papa “, mais l’Algérie de papa est morte, et si on ne le comprend pas on mourra avec elle. ».

              Par ailleurs, ce n’est pas le « mensonge » en question qui a « produit » le FN. C’est l’abandon de l’Algérie. De Gaulle n’a fait que tirer les conclusions d’une situation politique : les Français de la métropole étaient las de la guerre, et celle-ci ne pouvait pas être gagné militairement sans une solution politique. Or, la solution politique, il n’y en avait pas d’autre que l’indépendance. En 1945, l’assimilation des Algériens « de statut personnel musulman » comme citoyens français à part entière aurait peut-être permis de combattre la tentation nationaliste. Elle avait été proposée, notamment par Yves Chataigneau, gouverneur général de l’Algérie nommé par De Gaulle en 1944. Toutes les tentatives dans ce sens ont été sabotées en métropole par la droite, en Algérie par les européens. Tous ces gens voulaient préserver « l’Algérie de papa ». Ils ont creusé leur tombe : en 1958, après quatre ans de guerre, il n’y avait plus d’autre solution que l’indépendance.

      • Valentin dit :

        Bonjour Descartes, 
        Il semble que vous jugiez l’idée de crimes contre l’humanité commis en Algérie comme douteuse. Au regard de ce que fut parfois la cruauté de notre armée en ces circonstances passées, je serai curieux de savoir pourquoi et comment, si vous en trouvez le temps..

        • Descartes dit :

          @ Valentin

          [Il semble que vous jugiez l’idée de crimes contre l’humanité commis en Algérie comme douteuse. Au regard de ce que fut parfois la cruauté de notre armée en ces circonstances passées, je serai curieux de savoir pourquoi et comment, si vous en trouvez le temps…]

          Quand il s’agit du débat, j’ai tout mon temps…
          La notion de « crime contre l’humanité » connait sa première définition juridique dans l’article 6c du statut du tribunal militaire de Nuremberg : « l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain inspirés par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organisés en exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile ». La définition a été précisée dans le cadre de la création de la CPI et incorporée dans le droit français. L’article 7 du statut de la CPI liste un certain nombre d’actes (meurtre, viol, réduction en esclavage, etc.) qui constituent un « crime contre l’humanité » dès lors qu’ils sont commis « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute population et en connaissance de l’attaque ».

          Quelle que soit la « cruauté » de l’armée française en Algérie, il est difficile de lui attribuer « une attaque généralisée ou systématique » contre la population algérienne. Pas plus que l’existence d’un « plan concerté ». Les actes de torture, les « corvées de bois » étaient certes barbares, mais n’étaient pas imposés de manière générale et indiscriminée, et si le politique avait connaissance des actes de torture, rien ne permet d’affirmer qu’il ait donné des instructions dans le cadre d’un « plan concerté ». Or, le caractère général ou systématique, l’existence d’un plan concerté pour le faire sont constitutifs du « crime contre l’humanité ». On notera par ailleurs que la validité des lois d’amnistie votées après la fin de la guerre d’Algérie n’ont jamais été contestées avec succès devant les juridictions françaises, ce qui tend à montrer que les actes commis à l’époque ne rentrent pas dans la catégorie des « crimes contre l’humanité », par essence inamnistiables…

          Dans un contexte de compétition victimaire intense, où chaque groupe, chaque communauté veut sa Shoah à elle, son « crime contre l’humanité » personnel, il appartient à nos leaders – et au président de la République, garant des institutions, en premier – de maintenir un propos nuancé. Bâtardiser le concept pour faire plaisir à ses hôtes algériens est irresponsable.

          Il faut faire attention aux termes, parce qu’à force de voir des « crimes contre l’humanité » partout, on finit par banaliser l’expression. Il faut rappeler que les « crimes contre l’humanité » ont un régime juridique exceptionnel : ils sont imprescriptibles, inamnistiables, échappent au principe de territorialité et ne sont pas concernés par le principe de non-retroactivité. Si les « crimes contre l’humanité » sont partout, alors pourquoi leur donner un statut si particulier ?

          En conclusion : les armées françaises ont commis en Algérie des actes qu’on peut qualifier de cruels, de barbares… mais ce ne sont pas des « crimes contre l’humanité ». Ils ne sont en rien comparables à l’extermination systématique et concertée d’une population entière, organisée par les Allemands entre 1942 et 1945.

          • Musée de l'Europe dit :

            Par contre si on remonte à la pacification de l’Algérie par Bugeaud avec sa politique de la terre brûlée, tout comme d’autres crimes coloniaux (la continuité historique avec le racisme nazi n’est pas un mythe politique)… Mais c’est arrivé, et c’est comme ça… L’important est de tourner cette page (il faut lire à ce sujet “Le passé imposé” d’Henry Laurens) et non d’instrumentaliser dans le présent. Ce que fait bien sûr le Régime algérien, mais que font d’autre nos apprentis sorciers ? Quand en 2017 Macron instrumentalise Oradour sur Glane parce que tout est bon pour ce cochon et que nous ne sommes pas capables de balayer devant notre porte et de renvoyer nos politiciens opportunistes et maquignons, qu’on ne s’étonne pas d’être arroseurs arrosés…

            • Descartes dit :

              @ Musée de l’Europe

              [Par contre si on remonte à la pacification de l’Algérie par Bugeaud avec sa politique de la terre brûlée, tout comme d’autres crimes coloniaux (la continuité historique avec le racisme nazi n’est pas un mythe politique)…]

              Effectivement. Mais on pourrait aussi remonter à la guerre de Troie et aux nombreux massacres de l’antiquité. L’Italie doit reconnaître sa responsabilité dans la destruction de Cartage ? Avec une vision moderne, c’était sans aucun doute un « crime contre l’humanité »…

              Il faut bien se garder du péché d’anachronisme en matière juridique. Même si le « crime contre l’humanité » n’est pas tout à fait soumis au principe de non rétroactivité, déclarer coupable de « crime contre l’humanité » un personnage qui a vécu un siècle avant que la notion ait été inventée me paraît très excessif.

              [Ce que fait bien sûr le Régime algérien, mais que font d’autre nos apprentis sorciers ? Quand en 2017 Macron instrumentalise Oradour sur Glane parce que tout est bon pour ce cochon et que nous ne sommes pas capables de balayer devant notre porte et de renvoyer nos politiciens opportunistes et maquignons, qu’on ne s’étonne pas d’être arroseurs arrosés…]

              Bien sûr, l’instrumentalisation de l’histoire est une arme précieuse en politique. Et tout le monde s’en sert…

          • Bob dit :

            @ Descartes
             
            Au regard de la définition des crimes contre l’humanité que vous rappelez, il me semble que l’action de l’armée israélienne sur le territoire de Gaza depuis plus d’un an y répond.
            Quel est votre avis ?

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [Au regard de la définition des crimes contre l’humanité que vous rappelez, il me semble que l’action de l’armée israélienne sur le territoire de Gaza depuis plus d’un an y répond. Quel est votre avis ?]

              Le fait que l’armée israélienne a commis à Gaza des crimes de guerre tels qu’ils sont définis dans les accords de Genève, cela paraît incontestable. Des crimes contre l’humanité ? C’est plus discutable, mais une bonne partie des juristes experts de la question – y compris les juges de la CPI – pense que c’est le cas, et je suis plutôt d’accord avec eux.

  3. Magpoul dit :

    @Descartes
    Bonsoir et merci pour ce papier. Je partage votre pensée. Pour moi cette excitation autour de la menace Russe est avant tout un moyen de se donner le bon rôle d’ultime défenseur, entre Trump et Poutine.  Vous dites:

    Le salut du peuple est la loi suprême.

    Mais, j’ai remarqué une chose chez Macron: ce n’est pas un homme d’Etat. Votre argumentation part du principe que si une menace réelle pesait sur la France, alors Macron ne se serait pas interdit d’augmenter les impôts. En êtes-vous sur? Je me demande simplement si Macron a une “loi suprême”. En d’autres termes, je ne pense pas qu’on puisse se fier à lui pour avoir une idée de la menace, car si menace il y avait, je doute qu’il ne fasse autre chose que ce qu’il fait trop souvent: brasser du vent.

    • Descartes dit :

      @ Magpoul

      [Mais, j’ai remarqué une chose chez Macron : ce n’est pas un homme d’Etat. Votre argumentation part du principe que si une menace réelle pesait sur la France, alors Macron ne se serait pas interdit d’augmenter les impôts. En êtes-vous sur ?]

      Non, je ne suis pas sûr. Il y a, comme vous dites, la possibilité qu’il soit persuadé que la menace est réelle, mais qu’il préfère la défaite du pays à l’augmentation des impôts. Je fais je crois allusion dans mon commentaire.

      [Je me demande simplement si Macron a une “loi suprême”. En d’autres termes, je ne pense pas qu’on puisse se fier à lui pour avoir une idée de la menace, car si menace il y avait, je doute qu’il ne fasse autre chose que ce qu’il fait trop souvent: brasser du vent.]

      Là, vous allez je pense un peu trop loin. Par le passé, il a montré que lorsqu’il croyait la menace réelle, il était prêt à prendre des mesures radicales. On peut critiquer le confinement pendant le COVID, mais il faut reconnaître à Macron le courage de l’avoir imposé.

      • Magpoul dit :

        @Descartes

        Là, vous allez je pense un peu trop loin. Par le passé, il a montré que lorsqu’il croyait la menace réelle, il était prêt à prendre des mesures radicales. On peut critiquer le confinement pendant le COVID, mais il faut reconnaître à Macron le courage de l’avoir imposé.

        Je suis d’accord ce n’était certainement pas une décision facile à prendre. Le fait que de nombreux autres pays aient fait la même chose a surement pesé sur son attitude. Mais comme vous le dites, on ne peut pas le sonder!

  4. giorgio novi dit :

    en gros ce que dont parle depuis plusieurs années certains milieux volé l,epargne des francais pour renflouer les caisses de l,etat francais et l,ue!

    • Descartes dit :

      @ giorgio novi

      [en gros ce que dont parle depuis plusieurs années certains milieux volé l’epargne des francais pour renflouer les caisses de l’etat francais et l’ue!]

      C’est plutôt l’inverse: ne pas touchera au “patrimoine des français” – surtout aux gros patrimoines – et taper plutôt sur la redistribution. Qui a parlé de “voler l’épargne des français” ? Au contraire, on nous parle d’orienter cet épargne vers la défense en lui offrant des taux d’intérêt ou des conditions fiscales intéressantes. Exactement ce qu’adorent ceux qui ont la chance d’avoir un patrimoine…

  5. Cording1 dit :

    Comme le disent les autorités russes puis ukrainiennes Macron macrone c’est donc qu’il dit tout et surtout n’importe quoi quitte à être presque aussitôt démenti par un de ses collègues européens même les Polonais qui ont quelques raisons d’être anti-russes. Avant même son intervention de mercredi dernier il était évident qu’il ne ferait rien de sérieux au cas où nous serions vraiment en guerre contre la Russie. Il ne faut jamais prendre au sérieux les déclarations de Macron. 
    Macron et les siens, tous les macroniens, qu’ils soient d’origine de droite ou de gauche, font partie de cette bourgeoisie qui n’est pas patriote, n’a pas le sens de l’Etat, ni de la Nation. Elle défend d’abord ses intérêts de classe. Cela se serait vu depuis longtemps : au moins le 29 mai 2005 et a fortiori dans le cas d’Alstom-énergie en 2014-2015, ma liquidation de notre agriculture et une bonne part de notre industrie. 
    J’attends, sans illusions aucunes, le départ de cette clique dans un peu plus de deux ans. Pas de vraie alternative politique en vue. 

    • Descartes dit :

      @ Cording1

      [Comme le disent les autorités russes puis ukrainiennes Macron macrone c’est donc qu’il dit tout et surtout n’importe quoi quitte à être presque aussitôt démenti par un de ses collègues européens même les Polonais qui ont quelques raisons d’être anti-russes.]

      Ce que dit Macron n’a aucun intérêt du point de vue de l’action. S’il est intéressant encore de l’écouter, c’est parce qu’il exprime – et souvent d’une manière bien plus franche que d’autres – l’imaginaire d’une classe sociale. Quand il a parlé de « start-up nation », quand il nous dit qu’il suffit de traverser la rue pour trouver un travail, quand il estime important dans un discours qu’il veut patriotique de préciser qu’on ne sera pas appelé à mettre la main à la poche pour le financer, il décrit presque sans le déguiser l’imaginaire du « bloc dominant ». Et comme tout imaginaire, son rapport avec les actes est toujours problématique.

      [Avant même son intervention de mercredi dernier il était évident qu’il ne ferait rien de sérieux au cas où nous serions vraiment en guerre contre la Russie. Il ne faut jamais prendre au sérieux les déclarations de Macron.]

      Non, mais il faut prendre au sérieux l’imaginaire qu’il exprime. Quand il nous dit que sa classe n’est pas prête à payer plus d’impôts même pour assurer la sécurité du pays dans une situation d’urgence, on peut le croire. Et ce n’est d’ailleurs pas une nouveauté : il faut relire ce que fut la campagne des classes argentées contre l’impôt sur le revenu dans les années 1910…

      [J’attends, sans illusions aucunes, le départ de cette clique dans un peu plus de deux ans. Pas de vraie alternative politique en vue.]

      C’est bien le problème. J’ai vécu la plus grande partie de ma vie d’adulte dans un système où chaque gouvernant vous faisait regretter le précédent. J’ai peur que le prochain nous fasse regretter Macron…

      • Cording1 dit :

        Il est normal que sa classe sociale ne veuille pas payer d’impôts, elle est foncièrement égoïste et comme aux USA elle a fait sécession du reste de la société en ne voulant plus assumer ses responsabilités de classe envers les autres. Les livres de Christopher Lasch et Thomas Frank en témoignent.

  6. Frank dit :

    En lisant votre billet, auquel j’adhère, je me suis dit que chercher à commenter ou expliquer les interventions de Macron n’était pas digne du niveau de ce blog. Même une analyse pertinente comme celle que vous offrez apparaît comme étant assez triviale (elle serait peut-être utile dans la presse). Honnêtement, vous essayez encore d’extraire du sens de la parole d’un homme qui a interprété les émeutes de l’été 2023 comme étant une conséquence directe du désœuvrement des jeunes, dû au changement de calendrier des épreuves du BAC ?…

    • Descartes dit :

      @ Frank

      [Honnêtement, vous essayez encore d’extraire du sens de la parole d’un homme qui a interprété les émeutes de l’été 2023 comme étant une conséquence directe du désœuvrement des jeunes, dû au changement de calendrier des épreuves du BAC ?…]

      Oui, parce que comprendre le sens de ce discours me paraît fondamental pour décrypter les rapports sociaux. Il ne vous aura pas échappé que Macron a été élu en 2017 président de la République, que les Français lui ont donné alors une large majorité pour gouverner, qu’il a été réélu en 2022 et que, si depuis le pays lui a refusé une majorité absolue à sa botte, l’opposition lui permet, nolens volens, de maintenir une continuité des politiques qu’il a porté depuis sa première élection. Cela nous dit quelque chose de la résonance que son discours a dans la société française, quelque décousu, quelque irrationnel qu’il nous paraisse, quelque soit son rapport avec la réalité.

      Le discours de Macron est toujours intéressant parce qu’il porte l’imaginaire d’une classe, et qu’il le porte presque à l’état pur. D’autres dirigeants en France ont pensé – et pensent – que les chômeurs n’avaient qu’à traverser la rue pour trouver du travail, que la société se divise entre ceux qui ont réussi et ceux qui ne sont rien. Mais rares sont ceux qui ont osé le dire aussi explicitement. Or comprendre l’imaginaire de cette classe est fondamental, parce c’est elle la classe dominante, et que son idéologie est l’idéologie dominante.

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