L’Europe à l’épreuve de l’Ukraine

Ceux qui font le parallèle entre les échanges diplomatiques en cours sur la guerre d’Ukraine et les accords de Munich de 1938 feraient bien de réfléchir à la formule de Karl Marx : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. » (in « le 18 brumaire de Napoléon Bonaparte »). Car nous venons de vivre une séquence farcesque, où l’ensemble du camp occidental – et les européens en particulier – se sont couverts de ridicule.

Cela n’avait pourtant pas mal commencé avec la rencontre à Anchorage entre Donald Trump et Vladimir Poutine. Une rencontre dont on peut supposer qu’elle n’a concerné l’Ukraine que marginalement. Car si la question ukrainienne obsède un « establishment » européen devenu terriblement provincial, ce n’est pour Trump – et peut-être même pour Poutine – qu’une question parmi d’autres, et on peut douter qu’elle soit la plus importante. Les leaders russe et américain ont probablement discuté des rapports de leurs pays respectifs avec la Chine, du remplacement progressif de l’influence européenne par l’influence russe et chinoise en Afrique, de la question palestinienne et des rapports avec l’Iran. Et aussi, sans doute, de l’Ukraine.

Et c’est d’ailleurs un signe de notre provincialisation que le fait de constater que personne, même pas les « journaux de référence », ne se pose la question de savoir quelles sont les autres questions discutées à Anchorage. Il est très possible que Trump et Poutine se soient mis d’accord sur des questions douanières, sur les positions vis-à-vis de Beijing ou de l’Union européenne, sur un partage de l’Afrique. De tout cela, il ne sera pas question dans nos médias qui, tropisme eurolâtre oblige, sont obsédés par l’Ukraine – sur une chaîne comme LCI on ne parle pas d’autre chose. Il ne sera pas question non plus dans les interventions de notre président et d’autres leaders européens, qui ne semblent avoir rien à dire sur ces grandes questions. A un jeune officier qui préparait un dossier stratégique en regardant une carte européenne, De Gaulle avait crié « regardez donc sur un planisphère ». Il est clair que nos dirigeants aujourd’hui ne suivent pas cette sage injonction. 

Il faudrait remettre en perspective le conflit ukrainien. Contrairement à ce qu’on entend partout dans nos médias, ce n’est pas là que se joue notre avenir, celui de l’Europe et encore moins celui du monde. Que le conflit soit « existentiel » pour l’Ukraine, on le conçoit aisément. Qu’il soit important pour la Russie, qui voit dans une Ukraine otanisée une menace réelle, on le comprend aussi. Mais ce n’est pas parce que Poutine annexera le Donbass que demain les chars russes seront sur le Rhin, ou même sur l’Oder. Il y a sur notre planète une dizaine de conflits en cours, et il n’y a aucune raison pour que, vu de Brasilia, Beijing ou Pretoria – ou de Washington d’ailleurs – les combats autour de Kharkov soient plus déterminants que ceux autour de Khartoum ou de Gaza.

C’est en tenant compte de ces éléments qu’il faut examiner l’attitude de Trump dans les jours qui ont suivi. Lorsqu’il reçoit Zelenski ce lundi, après sa rencontre du week-end avec Poutine, il reçoit un leader régional engagé dans un conflit dont les enjeux pour les Etats-Unis sont mineurs. C’est pourquoi on arrive à ce qu’il faut bien appeler une farce : Trump reçoit Zelenski – c’est-à-dire, le chef d’un Etat qui mène une guerre « existentielle » – devant des journalistes, et parle… surtout de sujets de politique intérieure. La question du vote par correspondance, le déploiement de la garde nationale à Washington, les conflits du président avec les médias américains et – accessoirement, parce que les journalistes ne semblent pas vraiment intéressés – l’Ukraine. Quant à Zelenski, il flatte son interlocuteur et promet de lui acheter pour 100 Md$ d’armes – avec l’argent promis par l’Union européenne. Zelenski a bien compris la leçon qui lui a été administrée lors de sa précédente rencontre : si l’on veut être entendu, il faut parler des sujets qui intéressent votre interlocuteur, pas ceux qui vous intéressent vous. Que vous soyez en train de vous battre au prix du sang et des larmes pour votre liberté, c’est très joli, mais qu’est-ce que cela nous rapporte ? Par contre, 100 Md€ d’argent européen versé aux entreprises américaines, cela ne passe pas inaperçu.

Pendant ce temps, dans une autre salle, on fait poireauter les chefs d’Etat des principales puissances européennes – auxquelles Trump a joint la Finlande, on ne sait pas très bien pourquoi, alors que le Danemark, qui pourtant assure la présidence tournante de l’Union, n’était pas de la fête – ainsi que le secrétaire général de l’OTAN et la présidente de la Commission européenne. Trump rencontrera cette smala ensuite, sans qu’il en soit sorti grande chose. Les européens – si l’on croit ce qu’ont dit les uns et les autres à la sortie – ont dit à Trump qu’il avait tort de faire confiance à Poutine, et qu’il devait s’impliquer dans les garanties données à l’Ukraine. Trump leur a répondu qu’il appellerait Poutine après la réunion pour le tenir au courant de leurs discussions. Sûr que Vladimir Vladimirovitch a dû bien rigoler lorsque Trump lui a raconté la scène.

Pour ceux qui auront lu les récits – et il y en a d’excellents – des acteurs de la négociation de Munich, la vérité de la formule marxienne apparaîtra comme évidente. En 1938, à Munich, l’atmosphère était grave. Chaque acteur était conscient des responsabilités qu’il prenait, et le spectre de la guerre – la mémoire du conflit de 1914-18 était encore fraîche – planait sur les discussions. Rien de tel dans la rencontre de Washington, qui réunissait des personnages qui, en dehors de Zelenski, n’ont connu d’autre guerre que celle, feutrée, qui se livre dans les couloirs des lieux de pouvoir. En 1938 planait sur Munich la tragédie, en 2025, à Washington, c’est une farce grotesque qui se joue. En dehors de Zelenski, personne ne prend l’affaire au sérieux, parce que personne ne s’engage vraiment. Ce n’est finalement qu’une question d’argent, et plaie d’argent n’est pas mortelle. Macron peut prendre son ton dramatique d’acteur tragique qu’il affectionne et dénoncer les « ogres » à nos portes, il sait très bien qu’il n’y aura pas de jeunes Français qui iront mourir pour le Donbass. Tout cela n’est que posture.

Mais cette affaire souligne un autre point fondamental : il est clair qu’à l’heure de discuter des affaires du monde, Trump considère Poutine comme son égal. Lui, on ne le fait pas poireauter dans une salle de réunion en attendant que Trump se libère, le président lui-même l’accueille sur le tapis rouge à la descente de son avion et l’invite à monter dans sa voiture. Avec lui, il discute en tête à tête et derrière portes closes, et de leurs discussions rien ne filtre, parce qu’on discute de choses sérieuses sur les affaires du monde. A l’inverse, les européens sont des seconds rôles qui viennent en troupeau, qui n’ont rien à apporter à la discussion à part leurs avertissements de Cassandre, et qu’on reçoit pour se mettre en valeur comme faiseur de paix.

Pourquoi cette différence ? Pourquoi le président d’un état dont le PIB est grosso modo celui de l’Allemagne pèse plus lourd aux yeux de Trump que l’ensemble de l’Union européenne, qui a un PIB sept fois supérieur et dispose elle aussi, à travers la France, de l’arme nucléaire ? Eh bien, tout simplement parce que, comme le disait Sun Tzu, « la victoire n’appartient pas à l’armée la plus nombreuse, mais à l’armée la plus décidée ». La position russe n’a pas changé depuis près de vingt ans – on a envie de dire depuis deux siècles. Elle tient non pas, comme on le prétend souvent, aux lubies impériales de tel ou tel dirigeant, mais à la situation géopolitique d’un état continental, sans frontières physiques facilement défendables à l’ouest, et qui doit compter avec la présence de puissances agressives –  historiquement et par ordre d’apparition, la Suède, la Prusse, la France, la Grande Bretagne – qui plusieurs fois dans son histoire ont essayé de lui arracher des morceaux. Son obsession est donc de se créer un glacis d’Etats « amis » ou à minima neutres qui l’isolent des puissances européennes. Ce fut l’objectif politique des tsars, ce fut celui des dirigeants soviétiques, et c’est maintenant celui de la Russie poutinienne. Et il y a fort à parier que quiconque succédera à Poutine le reprendra à son compte. C’est en se rappelant de cette histoire qu’on comprend pourquoi la politique de l’OTAN d’encercler la Russie par des Etats membres de l’alliance est vécue comme une menace, et l’entrée de l’Ukraine ou de la Géorgie, proches des centres vitaux de l’Etat russe, comme un casus belli.

A l’inverse, la position européenne est fondée sur une batterie de principes de droit – intangibilité des frontières, intégrité des états – que les dirigeants européens proclament hautement chaque fois qu’ils en ont l’opportunité, tout en les foulant aux pieds – ou en acceptant qu’ils soient foulés aux pieds par des alliés – sans le moindre état d’âme chaque fois que cela paraît opportun. Il n’est pas de bon ton de rappeler dans les couloirs bruxellois les guerres de Yougoslavie et tout particulièrement le bombardement de la Serbie pour en détacher le Kossovo, pas plus que l’inertie européenne lors de l’invasion de l’Irak. Mais cela n’a pas été oublié à Moscou. Les européens parlent de la « sécurité de l’Ukraine », et des garanties à lui accorder. Mais quid de la sécurité de la Russie ? N’a-t-elle pas, elle aussi, droit à préserver sa sécurité et à obtenir des garanties à cet effet ? A cette question, les états européens répondent que « nous sommes des démocraties », comme si cela fermait la discussion. Mais le bombardement de la Serbie ou l’invasion américaine de l’Irak montrent que la démocratie n’a jamais été une garantie bien solide que les armes ne seraient pas utilisées lorsque l’intérêt d’un Etat le commande…

Fonder l’engagement aux côtés de l’Ukraine sur des principes conduit forcément à une position maximaliste où rien n’est négociable, puisqu’on ne négocie pas avec des principes. Et le fait que ces principes sacrés ont été oubliés lors du bombardement de Belgrade ou celui de Bagdad – et je ne parle même pas de Gaza – affaiblit la position européenne vis-à-vis des états émergents. La combinaison compromet sérieusement ses capacités à être une force de paix. Ayant condamné la Russie au nom de principes sacrés et intangibles, elle s’interdit de prendre en compte ses préoccupations. Et sans cette capacité, elle n’a aucun moyen de construire une proposition qui soit acceptable aux deux parties. Il ne lui reste donc plus, comme alternative, que continuer à exiger que la paix se fasse aux conditions de l’Ukraine, sans avoir les moyens de les imposer.

La force de Trump, c’est de ne pas avoir des principes. Il est probablement sensible à l’argumentation de Poutine tout simplement parce que l’argumentation de Vladimir Vladimirovitch est profondément rationnelle. Elle n’est pas fondée sur des principes plus ou moins discutables, mais sur une réalité stratégique tangible. De la même manière que les dirigeants soviétiques en 1962 ont parfaitement compris pourquoi les Etats-Unis ne pouvaient admettre des missiles nucléaires basés à Cuba, les dirigeants américains d’aujourd’hui sont en mesure de comprendre pourquoi les dirigeants russes ne peuvent accepter une entrée de l’Ukraine dans l’OTAN. Et lorsque Trump apparaît prêt à accueillir la revendication russe, ce n’est pas une preuve de faiblesse, mais de réalisme. Les dirigeants européens devraient pouvoir le comprendre aussi, s’ils n’étaient pas aveuglés par une vision purement juridique des rapports internationaux. Pour eux, la question se réduit au « droit » de l’Ukraine à choisir ses alliances, comme si la réalité géopolitique devait se plier à la théorie juridique.

Trump ne partage pas cet aveuglement – pas plus que ses prédécesseurs, d’ailleurs. Au contraire, les Américains sont parfaitement pragmatiques : ils ont poussé l’Ukraine à traverser les lignes rouges en sachant pertinemment que la réaction de la Russie serait probablement la guerre, parce que cela permettait d’affaiblir la Russie, mais aussi – et cela les Européens et notamment les Allemands ne l’ont pas vu venir – l’économie européenne. Une fois la guerre commencée ils l’ont prolongée parce que cela permettait en plus de faire de bonnes affaires, et notamment de substituer aux hydrocarbures russes les hydrocarbures américains sur le marché européen. Ils n’ont pas voulu la victoire de l’Ukraine, parce que cela aurait déstabilisé l’espace russe et poussé celui-ci à une alliance encore plus étroite avec la Chine, et c’est pourquoi ils ont été fort prudents dans le choix et la quantité d’armes livrées l’Ukraine. Maintenant, ils estiment probablement que leurs objectifs ont été atteints, et qu’on peut arrêter les frais. Leur priorité aujourd’hui, c’est de maintenir la Russie dans le « camp occidental » – ou du moins de la dissuader de rejoindre le « camp oriental » avec armes et bagages. Cela passe par une solution raisonnable – du point de vue russe – en Ukraine, et probablement par l’acceptation d’une « zone d’influence » russe en Afrique et par une certaine bienveillance américaine envers certains alliés de la Russie, comme l’Iran. Poutine à mon sens l’a bien compris, et joue avec maestria les cartes qu’il a en main.

A l’inverse, l’Europe n’en a aucune de sérieuse. Elle est devenue un ensemble d’Etats émasculés, menés par une Commission de médiocres qui ne se passionne que pour le sacro-saint « marché intérieur », entourée d’une bureaucratie sans âme qui conçoit son rôle comme celui d’un garde chiourme faisant marcher les états membres au pas. Il n’y a dans cet appareil aucune pensée politique, aucune vision, aucun projet. En trois ans de guerre, l’Union européenne n’a pas su produire une seule proposition réaliste de règlement du conflit. Et il faut que ce soit Trump qui rappelle l’urgence de finir avec un conflit qui fait couler le sang chaque jour depuis trois ans à des européens qui ne semblent pas s’en être aperçus, et qui ne pensent qu’à se battre jusqu’au dernier Ukrainien.

Vue des Américains, l’Union européenne n’est certainement pas un partenaire avec lequel on discutera les grandes affaires du monde. Tout au plus, une vache à lait qu’on peut traire pour acheter des armes américaines ou taxer à loisir. Que peut offrir l’Union européenne pour infléchir la position de Trump ? De quoi peut-elle menacer les Américains, elle qui se laisse imposer des droits de douane de 15% sur ses exportations sans même ruer dans les brancards ? En quoi les Américains ont-ils aujourd’hui besoin de la bienveillance de l’Europe, sachant que de toute façon la quasi-totalité des Etats européens n’osera jamais aller contre la volonté américaine ?

L’exemple russe devrait nous ouvrir les yeux sur cette idiotie qu’on répète régulièrement depuis que la construction européenne a commencé : « ensemble on est plus forts ». Cette affirmation est vraie lorsqu’être ensemble permet d’additionner les moyens au service d’une volonté portant un projet commun. A l’inverse, « ensemble on est plus faibles » lorsque cette volonté n’existe pas, pire, lorsque « l’ensemble » est là pour empêcher qu’une telle volonté puisse apparaître. Avec un PIB modeste, et une population qui ne dépasse la somme de celles de la France et l’Allemagne, la Russie garde son rang parmi les grands de ce monde. Et la France pourrait faire de même si elle n’avait pas les mains liées par des institutions qui obligent à chaque fois à trouver le minimum commun dénominateur entre des lobbies de tout poil, et par une idéologie qui nous invite à refuser la grandeur comme une tentation dangereuse, à consommer dans notre coin et laisser les grandes affaires du monde à d’autres.

Descartes

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

77 réponses à L’Europe à l’épreuve de l’Ukraine

  1. Bertrand dit :

    Je ne sais pas si c’est votre passé au PCF ou le reliquat des rapports de force de la guerre froide qui teintent votre vision, mais votre déférence face a la Russie est franchement déplacé et dépassé.
    “Car si la question ukrainienne obsède un « establishment » européen devenu terriblement provincial, ce n’est pour Trump – et peut-être même pour Poutine – qu’une question parmi d’autres”
    L’apparté en gras est franchement ridicule. Une guerre, lancée par choix par Poutine, qui est en train d’emporter la démographie, les finances, le prestige militaire et l’économie russes, et place ce pays en position de faiblesse face a la Chine serait presque secondaire pour Poutine ??? Ca n’est pas sérieux.
     
    Il faudrait remettre en perspective le conflit ukrainien. Contrairement à ce qu’on entend partout dans nos médias, ce n’est pas là que se joue notre avenir, celui de l’Europe et encore moins celui du monde.
    Pour l’avenir de l’Europe, si l’impact direct pour les ouest-européenes est en effet quelque peu limité, les Baltes, Scandinaves et Polonais qui sont encore aux dernieres nouvelles nos alliés directs seront ravis d’apprendre que la guerre en Ukraine – causée entre autres par l’impérialisme russe que ce pays connaissent bien – n’est pas tres importante pour leur avenir.
    Et sur la partie mondiale, se trouvent dans ce conflit de nombreux impacts en termes de nouvelles stratégies militaires (drones), d’exportations d’énergie et de blé, qui ont quand meme causé une bouffée d’inflation mondiale et des pénuries localisées… 
     
    “[La position russe] ne tient non pas, comme on le prétend souvent, aux lubies impériales de tel ou tel dirigeant, mais à la situation géopolitique d’un état continental, sans frontières physiques facilement défendables à l’ouest, et qui doit compter avec la présence de puissances agressives –  historiquement et par ordre d’apparition, la Suède, la Prusse, la France, la Grande Bretagne – qui plusieurs fois dans son histoire ont essayé de lui arracher des morceaux
    “Elle ne tient pas aux lubies impériales [russes]” ? c’est du révisionnisme historique la. La horde dorée, les circassiens, les baltes et polonais, les roumains, les ukrainiens (deja apres la 1ere guerre mondiale), les finlandais, les caucasiens, les kazakhs et autres ont tenté de s’arracher de la Russie qui les avaient conquises. De plus, la Sibérie et Vladisvostok sont aussi devenus russes par magie ?
    Le mansuétude historique des souverainistes et des communistes face a un impérialisme russe multi-séculaire qui continue aujourd’hui ne cesse de m’étonner. Sachant qu’en parallele vous n’oubliez rarement de critiquer sechement les bombardements occidentaux en Serbie et en Irak… Bonjour le 2 poids 2 mesures.
     
    C’est en se rappelant de cette histoire qu’on comprend pourquoi la politique de l’OTAN d’encercler la Russie par des Etats membres de l’alliance est vécue comme une menace, et l’entrée de l’Ukraine ou de la Géorgie, proches des centres vitaux de l’Etat russe, comme un casus belli.
    Les Etats ex-soviétiques et du pacte de Varsovie ont tous volontairement – et j’insiste – demandé a adhérer a l’OTAN, notamment du fait de leur expérience historique avec la “pauvre Russie attaquée de partout”. Vous etes vraiment souverainiste au fond de vous-meme ou c’est a la carte ? De quel droit la Russie devrait-elle etre ménagée plus que ses voisins ?
     
    Au contraire, les Américains sont parfaitement pragmatiques : ils ont poussé l’Ukraine à traverser les lignes rouges en sachant pertinemment que la réaction de la Russie serait probablement la guerre, parce que cela permettait d’affaiblir la Russie, mais aussi – et cela les Européens et notamment les Allemands ne l’ont pas vu venir – l’économie européenne.
    Ce complotisme chic anti-américain est vraiment une plaie francaise. Je ne la retrouve que tres peu ailleurs. Les ukrainiens ne sont pas assez “matures” et souverains pour décider d’eux-memes de leur avenir ? Entre un modele russe qu’ils connaissent par coeur (la majorité parlant russe) mais qui ne se développe pas sans les ressources énergétiques et un modele européen ou par exemple une Pologne fait un x5 en PIB/hab en 25 ans, les “petits” ukrainiens ont forcément du etre manipulé par de vils américains pour se choisir une voie “occidentale” ? C’est méprisant et ca n’est pas sérieux.
     
    Avec un PIB modeste, et une population qui ne dépasse la somme de celles de la France et l’Allemagne, la Russie garde son rang parmi les grands de ce monde
    C’est la ou je pense que l’aspect générationnel fausse votre vision. Je suis persuadé qu’une fois la guerre en ukraine finie, les BRICS et autres ne preteront autant d’attention a la Russie qu’a leurs premieres chaussettes.
    Une fois la guerre finie, les tensions agricoles et énergétiques baisseront, le risque nucléaire actuellement dans tous les esprits reviendra a la normale, et la Russie sera embourbée dans sa crise démographie et la gueule de bois économique de la guerre (inflation, gestion des démobilisés, retransition vers une économie civile, etc) paralysera la Russie et impactera ses hard et soft powers. La Russie retrouvera son vrai niveau, a savoir une puissance moyenne+ en déclin, qui dispose certe de l’arme nucléaire et de gaz/pétrole, mais sera quasi-vassalisé a la Chine. Trump ou ses successeurs l’ignoreront royalement pour se concentrer sur l’Asie et l’Inde.
     
    En conclusion, si je n’ai pas grand chose a redire sur les faiblesses européennes auto-infligées, vouloir en parallele rehausser la position de la Russie sur la base d’un “simple” meeting est pour moi tout simplement une erreur d’analyse…
     

    • Descartes dit :

      @ Bertrand

      [Je ne sais pas si c’est votre passé au PCF ou le reliquat des rapports de force de la guerre froide qui teintent votre vision, mais votre déférence face a la Russie est franchement déplacé et dépassé.]

      Je ne vois pas très bien ce que mon « passé au PCF » vient faire là. Sans vouloir vous offenser, le mur de Berlin est tombé en 1989, l’URSS a disparu en 1992. Depuis, la Russie est passée par une période ultra-libérale, et depuis l’arrivée de Poutine au pouvoir est revenue à une forme de capitalisme d’Etat oligarchique. Mes liens avec le PCF n’ont donc aucune raison de peser dans mon opinion sur cette affaire. Par ailleurs, je ne vois pas en quoi je serais « déférent » envers la Russie. L’analyse rationnelle des situations internationales – et d’une manière générale, de tout conflit – voudrait qu’on essaye de comprendre où sont les intérêts, les motivations et les « lignes rouges » des uns et des autres. C’est exactement ce que j’essaye de faire.

      Le fait que vous qualifiez ma vision de « déplacée » me fait penser que vous sacrifiez plutôt à une analyse de nature morale. D’un côté les « bons », qu’il faut soutenir, de l’autre côté les « méchants », qu’il faut rejeter. Et il n’y a rien à comprendre, puisque les revendications des « bons » sont justifiées par nature, et que celles des « méchants », étant motivées par des raisons diaboliques, sont à rejeter sans examen. Pourquoi pas. Le problème de ce genre d’analyse, c’est que dans le monde réel les conflits ne se terminent généralement que par un compromis, ce qui suppose d’accepter au moins quelques-unes des demandes de la partie adverse. En refusant de les entendre, vous vous condamnez à une guerre sans fin.

      [“Car si la question ukrainienne obsède un « establishment » européen devenu terriblement provincial, ce n’est pour Trump – et peut-être même pour Poutine – qu’une question parmi d’autres”
      L’aparté en gras est franchement ridicule. Une guerre, lancée par choix par Poutine, qui est en train d’emporter la démographie, les finances, le prestige militaire et l’économie russes, et place ce pays en position de faiblesse face a la Chine serait presque secondaire pour Poutine ??? Ca n’est pas sérieux.]

      Depuis le début de ce conflit, on a tant de fois entendu la rengaine « la Russie est – ou sera bientôt – à genoux » qu’il me semble légitime de s’interroger sur la réalité des faits. Quand on regarde par exemple l’activité des dirigeants russes – et pas seulement de Poutine – on ne détecte pas chez eux une réelle fébrilité, une volonté d’aboutir le plus vite possible à un accord. Comment conciliez-vous cette attitude avec votre idée que le conflit « est en train d’emporter la démographie, les finances, le prestige militaire et l’économie russe » ? De même, vous noterez que la Russie consacre des ressources non négligeables pour étendre son influence en Afrique. Comment conciliez-vous ce fait avec l’idée que la guerre d’Ukraine serait la question unique qui préoccupe les cerveaux du Kremlin ? Ne serait-ce plus raisonnable dans ce cas d’y concentrer tous ses moyens, au lieu de les disperser ?

      Je persiste et signe : pour Poutine, l’Ukraine est une affaire parmi d’autres. Et à mesure que le temps passe, ce point de vue est confirmé par les informations sur ce qui a été discuté à Anchorage. On apprend maintenant qu’en plus de l’Ukraine, on a discuté de la reconduction des traités de réduction des armes nucléaires, et des questions économiques.

      [« Il faudrait remettre en perspective le conflit ukrainien. Contrairement à ce qu’on entend partout dans nos médias, ce n’est pas là que se joue notre avenir, celui de l’Europe et encore moins celui du monde. » Pour l’avenir de l’Europe, si l’impact direct pour les ouest-européens est en effet quelque peu limité, les Baltes, Scandinaves et Polonais qui sont encore aux dernières nouvelles nos alliés directs seront ravis d’apprendre que la guerre en Ukraine – causée entre autres par l’impérialisme russe que ce pays connaissent bien – n’est pas très importante pour leur avenir.]

      L’échange serait plus intéressant si on évitait les effets de tribune pour s’en tenir aux faits. Si vous avez des éléments concrets pour penser que la Russie envisage une attaque contre les Pays baltes, la Scandinavie ou la Pologne, j’aimerais que vous les exposiez ici. Une vague référence à « l’impérialisme russe » ne me semble pas très convaincante. Ce que je peux constater, c’est que la Russie a toujours été très claire quant aux « lignes rouges » qu’elle estime indispensables à sa propre sécurité. Les Pays baltes ou la Scandinavie n’en ont jamais fait partie, l’Ukraine si.

      [« [La position russe] ne tient non pas, comme on le prétend souvent, aux lubies impériales de tel ou tel dirigeant, mais à la situation géopolitique d’un état continental, sans frontières physiques facilement défendables à l’ouest, et qui doit compter avec la présence de puissances agressives – historiquement et par ordre d’apparition, la Suède, la Prusse, la France, la Grande Bretagne – qui plusieurs fois dans son histoire ont essayé de lui arracher des morceaux » “Elle ne tient pas aux lubies impériales [russes]” ?]

      Je suis ravi que vous veniez me contredire, mais pas que vous falsifiez mes écrits. Relisez mon paragraphe, et comparez-le à votre résumé.

      [c’est du révisionnisme historique la. La horde dorée, les circassiens, les baltes et polonais, les roumains, les ukrainiens (deja apres la 1ere guerre mondiale), les finlandais, les caucasiens, les kazakhs et autres ont tenté de s’arracher de la Russie qui les avaient conquises.]

      Je constate ici encore votre vision morale de l’histoire. Vous savez, les « lubies impériales » sont dans ce monde l’une des choses les mieux partagées. Oui, les voisins de la Russie ont eu, eux aussi, des « lubies impériales ». Et ont essayé périodiquement de prendre à la Russie des territoires. Et pas toujours pour récupérer des territoires « conquis ». Par exemple, en 1920, les troupes polonaises rentrent profondément dans le territoire biélorusse. La paix de Riga, en 1922, se traduit par l’annexion de territoires russes et biélorusses à la Pologne. Et les « lubies impériales » polonaises ne s’arrêtent pas là : en 1938, lors des accords de Munich, la Pologne annexera – avec la bénédiction de l’Allemagne nazi, d’ailleurs, la région tchécoslovaque de Teschen.

      Ce petit rappel devrait vous montrer que les « lubies impérialistes » sont plus une question d’opportunité que de personnalité. Il n’y a pas d’un côté ceux qui ont l’impérialisme dans le sang, et de l’autre les gentils états pacifiques qui respectent leurs voisins. Et si j’ai parlé de la Pologne, je vous fais grâce des interventions de puissances autrement plus « impérialistes » comme la France ou la Grande Bretagne. Sans parler de l’Allemagne. La Russie n’a aucune raison de faire confiance à ses voisins plus que ses voisins n’ont de raisons de lui faire confiance.

      [De plus, la Sibérie et Vladisvostok sont aussi devenus russes par magie ?]

      Oui… un peu comme la Lorraine ou la Savoie sont devenues françaises, si l’on va par là. Vous voulez à tout prix voir chez moi une vision morale opposée à la vôtre, alors que mon raisonnement est tout autre. Je ne cherche pas à séparer les « bons » et les « méchants ». Moi, je pars du principe suivant, que Jean Renoir met dans la bouche d’un de ses personnages : « Tu comprends, sur cette Terre, il y a quelque chose d’effroyable, c’est que tout le monde a ses raisons ». A partir de là, je cherche à comprendre ces « raisons », parce que cette compréhension me semble la base de toute pensée politique qui prétend avoir une prise sur le réel. Répéter « les russes sont des méchants impérialistes », comme le font nos médias depuis quatre ans, ne conduit à rien. C’est une pétition de principe qui bloque tout raisonnement.

      [Le mansuétude historique des souverainistes et des communistes face a un impérialisme russe multiséculaire qui continue aujourd’hui ne cesse de m’étonner. Sachant qu’en parallèle vous n’oubliez rarement de critiquer sèchement les bombardements occidentaux en Serbie et en Irak… Bonjour le 2 poids 2 mesures.]

      Je ne me souviens pas d’avoir « critiqué sèchement » les bombardements occidentaux en Serbie ou en Irak. Je me suis contenté de noter la contradiction qui existe entre le fait de proclamer hautement les principes sacrés de la « souveraineté et intégrité des états » et de « l’intangibilité des frontières par la force », pour ensuite violer l’un et l’autre quand cela vous arrange. Je vous le répète, en politique internationale, je suis un réaliste. Que les américains et leurs alliés européens décident d’affaiblir la Serbie pour créer à ses côtés un état qui, devant tout aux occidentaux leur sera totalement dévoué, c’est parfaitement compréhensible.

      [« C’est en se rappelant de cette histoire qu’on comprend pourquoi la politique de l’OTAN d’encercler la Russie par des Etats membres de l’alliance est vécue comme une menace, et l’entrée de l’Ukraine ou de la Géorgie, proches des centres vitaux de l’Etat russe, comme un casus belli. » Les Etats ex-soviétiques et du pacte de Varsovie ont tous volontairement – et j’insiste – demandé à adhérer a l’OTAN, notamment du fait de leur expérience historique avec la “pauvre Russie attaquée de partout”. Vous êtes vraiment souverainiste au fond de vous-même ou c’est à la carte ? De quel droit la Russie devrait-elle être ménagée plus que ses voisins ?]

      On peut longuement discuter sur le caractère « volontaire » de certains de ces choix. On se souvient par exemple que lorsque le président légitimement élu de l’Ukraine a refusé de signer le traité d’association avec l’UE, il fut balayé par une « révolution » largement soutenue par les puissances occidentales. Dans d’autres cas, la décision tout à fait « volontaire » a été largement aidée par une pluie de fonds structurels conditionnés. Mais bon, passons sur ce petit détail.

      Supposons un moment que le choix fut « volontaire ». Comme fut « volontaire » le choix de Cuba en 1962 d’accueillir sur son territoire des missiles nucléaires pointés sur les Etats-Unis. Un choix, lui aussi, instruit « de leur expérience historique avec les pauvres Etats-Unis attaqués de partout – pensez à l’invasion de la Baie des Cochons. Si je comprends bien votre raisonnement, un « souverainiste » digne de ce nom aurait dû soutenir la volonté du gouvernement cubain de rester ferme sur la question, quitte à provoquer un conflit nucléaire ?

      Vous savez, un bon analyste, fut-il « souverainiste », cède au principe de réalité. En 1962, personne ne contestait en droit le fait que Cuba, état souverain, pouvait conclure les alliances et stocker sur son territoire les armes de son choix. On peut comprendre que devant les « lubies impérialistes » américaines – j’imagine que vous ne contesterez pas ce point – le gouvernement cubain ait voulu avoir des armes de dissuasion sur son territoire. Mais en même temps, on peut comprendre que les Etats-Unis aient trouvé inacceptable d’avoir des missiles nucléaires installés à quelques centaines de kilomètres de leurs côtes. Et personnellement, je trouve fort sage de la part des dirigeants soviétiques de l’époque d’avoir pris en compte les « raisons » des uns et des autres, et d’avoir trouvé un compromis qui sauvegardait raisonnablement les intérêts cubains tout en tenant compte de la « ligne rouge » américaine. Pas vous ? Pensez-vous que le Pacte de Varsovie aurait dû appuyer la position cubaine quitte à provoquer un conflit nucléaire ?

      L’accord de 1962 a abouti à la neutralisation militaire de Cuba, et cela contre l’avis des autorités cubaines. On a violé le droit inaliénable du gouvernement Cubain. Et pourtant, personne ne considère déraisonnable cet arrangement. Alors, pourquoi le refuser par principe dans le cas de l’Ukraine ? Si le camp occidental avait été en 2022 aussi raisonnable que le camp soviétique en 1962, il y a de bonnes raisons de penser que cette guerre n’aurait pas eu lieu.

      [« Au contraire, les Américains sont parfaitement pragmatiques : ils ont poussé l’Ukraine à traverser les lignes rouges en sachant pertinemment que la réaction de la Russie serait probablement la guerre, parce que cela permettait d’affaiblir la Russie, mais aussi – et cela les Européens et notamment les Allemands ne l’ont pas vu venir – l’économie européenne. » Ce complotisme chic anti-américain est vraiment une plaie française. Je ne la retrouve que très peu ailleurs.]

      Je ne vois pas très bien où est le « complotisme » là-dedans. Le « complotisme » implique l’existence d’un « complot », c’est-à-dire, d’une conspiration entre plusieurs acteurs pour obtenir un résultat donné. Dans mon commentaire, il n’y a qu’un seul acteur, le gouvernement américain. Mais il est vrai que taxer de « complotisme » permet de dévaloriser l’argument de l’adversaire sans avoir à apporter des arguments convaincants…

      Non, il n’y a là aucun « complot ». Que la politique américaine depuis la fin de la guerre froide ait consisté à affaiblir la Russie, notamment en l’encerclant progressivement par des états appartenant à l’OTAN – et cela en violation des engagements pris oralement du temps de Gorbatchev – est un fait bien documenté. Et ne venez pas m’expliquer que ces états ont fait le choix « volontairement » : l’admission à l’OTAN n’est pas de droit, que je sache, et ce n’est pas parce qu’un état demande quelque chose aux Américains que ceux-ci lui accordent. Que les Américains aient fait pression pour que les sanctions contre la Russie incluent le gaz – ce qui touchait de plein fouet l’économie européenne et tout particulièrement l’économie allemande, très dépendante de cette ressource – cela est aussi bien documenté. Leur silence lors du sabotage du gazoduc Nord Stream est d’ailleurs très symbolique…

      [Les ukrainiens ne sont pas assez “matures” et souverains pour décider d’eux-mêmes de leur avenir ?]

      Faut croire que non, puisque lorsqu’ils ont l’outrecuidance d’élire un président qui ne veut pas signer le traité d’association avec l’UE, les puissances occidentales – qui représentent le « bien », ne l’oublions pas – sont obligées de financer et soutenir un coup d’Etat pour s’assurer qu’ils font le « bon choix »…

      Je ne sais pas si les ukrainiens sont assez matures et souverains pour décider de leur avenir, mais dans le monde réel la maturité ne suffit pas. Il faut aussi la force. Pensez-vous que les ukrainiens seraient allés au conflit s’ils n’avaient pas reçu les assurances occidentales qu’en cas de réaction russe ils auraient droit à un soutien massif ?

      [Entre un modèle russe qu’ils connaissent par cœur (la majorité parlant russe) mais qui ne se développe pas sans les ressources énergétiques et un modèle européen ou par exemple une Pologne fait un x5 en PIB/hab en 25 ans, les “petits” ukrainiens ont forcément du etre manipulé par de vils américains pour se choisir une voie “occidentale” ? C’est méprisant et ca n’est pas sérieux.]

      La question ici n’est pas celle de choisir telle ou telle voie économique, mais de choisir telle ou telle alliance militaire.

      [« Avec un PIB modeste, et une population qui ne dépasse la somme de celles de la France et l’Allemagne, la Russie garde son rang parmi les grands de ce monde » C’est là où je pense que l’aspect générationnel fausse votre vision. Je suis persuadé qu’une fois la guerre en Ukraine finie, les BRICS et autres ne prêteront autant d’attention à la Russie qu’à leurs premières chaussettes.]

      Là, je ne vous comprends plus. Si les « BRICS et autres » – Etats-Unis compris – s’intéressent à la Russie aujourd’hui et la traitent comme une puissance de rang mondial, c’est pourquoi à votre avis ? Je doute que vue de l’Afrique du Sud, de l’Inde, du Brésil ou même de la Chine, le conflit ukrainien soit jugé très important. A Pretoria ou à Beijing, que la frontière entre la Russie et l’Ukraine passe par Zaporijjia ou par Kherson, on s’en fout. Alors, en quoi le fait que la guerre soit en cours ou soit finie changera quelque chose à leur attitude ?

      Je pense que vos êtes victime de ce nouveau « provincialisme » qui empêche les Européens de regarder le planisphère plutôt que la carte de leur bled. Dans les rapports internationaux, l’Ukraine n’est qu’un épiphénomène. Les Etats-Unis, la Chine, l’Inde sont intéressés par d’autres questions beaucoup plus globales, et dans ce jeu la Russie a une place – du fait de l’histoire, mais aussi de ses choix politiques – alors que l’Union européenne n’en a aucune. La France et la Grande Bretagne, autrefois des puissances globales, se sont laissées émasculer par les Etats-Unis et l’Union européenne.

      • Vincent dit :

        [Je persiste et signe : pour Poutine, l’Ukraine est une affaire parmi d’autres. Et à mesure que le temps passe, ce point de vue est confirmé par les informations sur ce qui a été discuté à Anchorage. On apprend maintenant qu’en plus de l’Ukraine, on a discuté de la reconduction des traités de réduction des armes nucléaires, et des questions économiques.]

         
        Lors de son retour en 1958, de Gaulle s’intéressait à des sujets à l’échelle planétaire. Peut on pour autant dire que, pour lui, la question algérienne était une affaire parmi les autres ? Pas vraiment. C’était bel et bien LE gros problème du moment, dont il fallait d’extraire pour ne plus avoir un fil à la patte.
        Je pense que le problème ukrainien  pour Poutine est du même ordre que le problème algérien pour de Gaulle. C’est à dire davantage qu’une affaire parmi d’autres…
         

        [Ce que je peux constater, c’est que la Russie a toujours été très claire quant aux « lignes rouges » qu’elle estime indispensables à sa propre sécurité. Les Pays baltes ou la Scandinavie n’en ont jamais fait partie, l’Ukraine si.]

         
        A un petit détail près : le corridor vers Kaliningrad. Si la Lituanie décidait de s’en prendre à la libre circulation dans ce corridor, ce serait une ligne rouge de franchie.
        Comme pour l’Ukraine, ça a été exprimé très clairement.
         

        [Vous savez, les « lubies impériales » sont dans ce monde l’une des choses les mieux partagées. Oui, les voisins de la Russie ont eu, eux aussi, des « lubies impériales ».]

         
        Le “ont eu” est un passé, qui me semble ici un peu suranné.
        En Pologne, en particulier, l’initiative des 3 mers a repris ces dernières années en popularité. Et certains pensent (de moins en moins bas) qu’en cas d’éclatement de l’Ukraine suite à ce conflit, 2 oblast de l’Ouest du pays, parmi les plus peuplés, pourraient peut-être rejoindre la Pologne…
         

        [Et ne venez pas m’expliquer que ces états ont fait le choix « volontairement » : l’admission à l’OTAN n’est pas de droit, que je sache, et ce n’est pas parce qu’un état demande quelque chose aux Américains que ceux-ci lui accordent. ]

         
        Avec une excellente illustration : la Russie, qui a, pendant la 1ère moitié des années 90, demandé à plusieurs reprises à rejoindre l’OTAN. Les USA ont refusé de répondre, puis clairement fait comprendre qu’il n’en était pas question…
         

        [La question ici n’est pas celle de choisir telle ou telle voie économique, mais de choisir telle ou telle alliance militaire.]

         
        Si, au moment de Maïdan, la question n’était pas celle des alliances militaires, mais était avant tout économique.
        Il y avait une réelle volonté d’une majorité des ukrainiens d’aller vers l’Europe. Très schématiquement, il y avait 30% d’anti-russes forcenés, qui voulaient s’écarter de la Russie pour des raisons idéologiques. 30% qui se considéraient comme des vassaux de Moscou, et pour qui tout accord coupant la Russie de l’Ukraine était inacceptable, et 60% de pragmatiques, qui regardaient avec envie le développement économique de la Pologne, et souhaitaient faire pareil, mais sans avoir d’animosité contre Moscou.
        Ce qui s’est passé, c’est que l’accord de partenariat proposé par l’UE ne réglait aucun des problèmes de refinancement de dette de l’Ukraine, ne permettait quasiment pas d’accéder à des fonds structurels, obligeait l’Ukraine à se soumettre aux jurisprudences européennes, et en plus interdisait à l’Ukraine de conserver ses relations commerciales avec la Russie.
        Face à cela, la Russie, sachant que la population ukrainienne regardait majoritairement vers l’Ouest, a usé de la diplomatie du chéquier : refinancer la dette ukrainienne sans engagement particulier, proposer de grosses ristournes sur le gaz, et pas tellement d’obligations en face.
         
        Le choix de l’ancien président de regarder vers la Russie était donc un choix économique, et pas du tout idéologique ou géopolitique.
         

        • Descartes dit :

          @ Vincent

          [Lors de son retour en 1958, de Gaulle s’intéressait à des sujets à l’échelle planétaire. Peut on pour autant dire que, pour lui, la question algérienne était une affaire parmi les autres ? Pas vraiment. C’était bel et bien LE gros problème du moment, dont il fallait d’extraire pour ne plus avoir un fil à la patte. Je pense que le problème ukrainien pour Poutine est du même ordre que le problème algérien pour de Gaulle. C’est à dire davantage qu’une affaire parmi d’autres…]

          La comparaison est osée. De Gaulle arrive au pouvoir en 1958 en grande partie parce que l’incapacité du régime de la IVème République à gérer la crise algérienne avait conduit le pays au bord de la guerre civile. Mais le problème de De Gaulle n’était pas tant ce qui se passait en Algérie comme ce qui se passait en France. C’est lorsqu’on commence à parler d’un débarquement des parachutistes à Paris ou d’une révolte de l’armée que la question algérienne cesse d’être « une affaire parmi d’autres ».

          Mais lorsque vous regardez la période qui va de 1954 à 1962, oui, on peut dire que la guerre d’Algérie était « une affaire parmi d’autres ». Même après sa prise de pouvoir en 1958, De Gaulle lance beaucoup d’autres actions qui n’ont rien à voir avec ce qui se passe à Alger : la rédaction d’une nouvelle constitution, lancement du plan Rueff et création du nouveau Franc, la mise en marche de la construction du premier engin nucléaire, remodelage de la politique étrangère vis-à-vis des Etats-Unis (mémorandum du 17 décembre 1958), création du centre national d’études spatiales, sortie de la flotte française du commandement OTAN… Je ne pense pas qu’on puisse dire que l’Algérie ait totalement polarisé le gouvernement français dans cette période.

          [« Ce que je peux constater, c’est que la Russie a toujours été très claire quant aux « lignes rouges » qu’elle estime indispensables à sa propre sécurité. Les Pays baltes ou la Scandinavie n’en ont jamais fait partie, l’Ukraine si. » A un petit détail près : le corridor vers Kaliningrad. Si la Lituanie décidait de s’en prendre à la libre circulation dans ce corridor, ce serait une ligne rouge de franchie.
          Comme pour l’Ukraine, ça a été exprimé très clairement.]

          Tout à fait.

          [« Vous savez, les « lubies impériales » sont dans ce monde l’une des choses les mieux partagées. Oui, les voisins de la Russie ont eu, eux aussi, des « lubies impériales ». » Le “ont eu” est un passé, qui me semble ici un peu suranné. En Pologne, en particulier, l’initiative des 3 mers a repris ces dernières années en popularité. Et certains pensent (de moins en moins bas) qu’en cas d’éclatement de l’Ukraine suite à ce conflit, 2 oblast de l’Ouest du pays, parmi les plus peuplés, pourraient peut-être rejoindre la Pologne…]

          Vous avez tout à fait raison. J’avais utilisé le passé parce qu’on en était à regarder les exemples de « lubies » ayant un caractère historique. Mais rien n’indique qu’il s’agisse d’une période terminée. Cela étant dit, le temps où l’extension territoriale et la puissance vont de pair est probablement révolu. La domination économique est aujourd’hui bien plus intéressante que l’annexion, qui vous oblige à vous occuper des problèmes des populations annexées.

          [« La question ici n’est pas celle de choisir telle ou telle voie économique, mais de choisir telle ou telle alliance militaire. » Si, au moment de Maïdan, la question n’était pas celle des alliances militaires, mais était avant tout économique.]

          Oui et non. Les traités européens consacrent le fait que la politique de défense de l’UE doit être compatible avec les décisions de l’OTAN. Le 2ème alinéa de l’article 42 du TFUE est très explicite, même s’il est très mal rédigé : « La [politique de défense] de l’Union (…) n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres, elle respecte les obligations découlant du traité de l’Atlantique nord pour certains États membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre ».

          [Il y avait une réelle volonté d’une majorité des ukrainiens d’aller vers l’Europe.]

          Le principe est que la volonté du peuple s’exprime à travers des institutions prévues par la constitution. Dès lors que les ukrainiens ont élu un président, et que ce président refuse de signer un traité, ce refus exprime la volonté du peuple ukrainien. Et si le peuple n’est plus d’accord, il a le loisir d’élire quelqu’un qui signera le traité à l’élection suivante. On ne gouverne pas par sondage.

          [(…) Le choix de l’ancien président de regarder vers la Russie était donc un choix économique, et pas du tout idéologique ou géopolitique.]

          Peut-être. Mais il n’en est pas moins légitime pour autant. Quand on élit un gouvernement, on l’élit pour faire des choix en tenant compte de l’ensemble des paramètres, et pas seulement pour faire des choix « idéologiques ou géopolitiques ».

          • Vincent dit :

            [Je ne pense pas qu’on puisse dire que l’Algérie ait totalement polarisé le gouvernement français dans cette période]

            Totalement polarié, non. Mais c’était davantage qu’une affaire parmi d’autres.
            Comme l’Ukraine pour Poutine aujourd’hui. C’est en ce sens que la comparaison me semble pertinente. Quand à la tentative de putsch un peu ridicule et qui n’avait aucune chance d’aboutir… Je vous rappelle que Poutine a eu le droit à la même avec Prigojine !
             
             

            [[Il y avait une réelle volonté d’une majorité des ukrainiens d’aller vers l’Europe.]
            Dès lors que les ukrainiens ont élu un président, et que ce président refuse de signer un traité, ce refus exprime la volonté du peuple ukrainien. Et si le peuple n’est plus d’accord, il a le loisir d’élire quelqu’un qui signera le traité à l’élection suivante. On ne gouverne pas par sondage.]

            Et en l’occurrence, le président était soutenu. Les 2/3 des ukrainiens, même s’ils souhaitaient aller vers l’Europe, approuvaient le choix de l’accord d’association avec la Russie.
            C’est d’ailleurs pour cette raison qu’un coup d’Etat a eu lieu. Pour mémoire, le président avait accepté de ne signer aucun traité, et d’attendre la prochaine élection, qui devait se tenir quelques mois plus tard, pour laisser le prochain président décider. Lui même ne se représentant pas.
            C’était une décision d’une grande sagesse. Mais les pro UE ne voulaient pas de cette méthode, car ils avaient toutes les chances de voir l’élection confirmer le choix du Président sortant…
             

            [[(…) Le choix de l’ancien président de regarder vers la Russie était donc un choix économique, et pas du tout idéologique ou géopolitique.]
            Peut-être. Mais il n’en est pas moins légitime pour autant.]

            On ne peut pas gouverner contre la rue, quand cela va trop loin. La décision de ne rien signer et de s’en remettre au Président qui serait issu de l’élection était une décision d’une grande sagesse…

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [« Je ne pense pas qu’on puisse dire que l’Algérie ait totalement polarisé le gouvernement français dans cette période » Totalement polarisé, non. Mais c’était davantage qu’une affaire parmi d’autres.]

              Mais c’était justement mon point. Aujourd’hui, pour les européens, on a l’impression que le monde se réduit au conflit ukrainien, que c’est là la priorité absolue – et même la seule. Il n’y a qu’à voir la troupe qui s’est déplacée à Washington pour discuter avec Trump. Sur quel autre sujet a-t-on vu un effort comparable ? On n’a pas l’impression, côté russe, d’assister à une telle polarisation.

              [Et en l’occurrence, le président était soutenu. Les 2/3 des ukrainiens, même s’ils souhaitaient aller vers l’Europe, approuvaient le choix de l’accord d’association avec la Russie. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’un coup d’Etat a eu lieu. Pour mémoire, le président avait accepté de ne signer aucun traité, et d’attendre la prochaine élection, qui devait se tenir quelques mois plus tard, pour laisser le prochain président décider. Lui-même ne se représentant pas. C’était une décision d’une grande sagesse. Mais les pro UE ne voulaient pas de cette méthode, car ils avaient toutes les chances de voir l’élection confirmer le choix du Président sortant…]

              Rappel fort utile, par les temps qui courent… Je pense que c’est le genre d’histoire que les Ukrainiens eux-mêmes vont redécouvrir une fois que les armes se seront tues, avec le sentiment qu’une minorité pro-européenne les a conduits, par ses provocations, à une guerre qui aurait pu parfaitement être évitée.

      • Bertrand dit :

        « Je ne vois pas très bien ce que mon « passé au PCF » vient faire là. Sans vouloir vous offenser, le mur de Berlin est tombé en 1989, l’URSS a disparu en 1992. Depuis, la Russie est passée par une période ultra-libérale, et depuis l’arrivée de Poutine au pouvoir est revenue à une forme de capitalisme d’Etat oligarchique. Mes liens avec le PCF n’ont donc aucune raison de peser dans mon opinion sur cette affaire. Par ailleurs, je ne vois pas en quoi je serais « déférent » envers la Russie. L’analyse rationnelle des situations internationales – et d’une manière générale, de tout conflit – voudrait qu’on essaye de comprendre où sont les intérêts, les motivations et les « lignes rouges » des uns et des autres. C’est exactement ce que j’essaye de faire. »
         
        Pour la déférence envers la Russie, le ton du post de blog est très « analytique » lorsque la Russie ou Poutine sont évoqués (Trump considère Poutine comme son égal, situation géopolitique « expliquant » ses conflits frontaliers, pas de chars Russes à l’ouest de l’europe, etc), alors que le champ lexical est très négatif envers les européens (Camp occidental (et européens) couvert de ridicule, establishment européen terriblement provincial, etc).
        Le ton sous-jacent de dire que la Russie reste en fin de compte un grand pays qui s’occupe de « vraies affaires » alors que ces pauvres européens sont provinciaux me semble très court termiste…
        Les contraintes européennes sur le remplacement de l’énergie russe, les limites démocratiques (pas de soldats sur place, la volonté de limiter les impacts économiques des électeurs, la facture de 80 ans de délégation de la défense aux USA) limitent les possibilités d’actions des européens mais ne figent pas forcément de l’issue du conflit. Les contraintes propres à la Russie ainsi que les capacités de l’Ukraine de tenir seront primordiales.
         
        Le fait que vous qualifiez ma vision de « déplacée » me fait penser que vous sacrifiez plutôt à une analyse de nature morale. D’un côté les « bons », qu’il faut soutenir, de l’autre côté les « méchants », qu’il faut rejeter. Et il n’y a rien à comprendre, puisque les revendications des « bons » sont justifiées par nature, et que celles des « méchants », étant motivées par des raisons diaboliques, sont à rejeter sans examen. Pourquoi pas. Le problème de ce genre d’analyse, c’est que dans le monde réel les conflits ne se terminent généralement que par un compromis, ce qui suppose d’accepter au moins quelques-unes des demandes de la partie adverse. En refusant de les entendre, vous vous condamnez à une guerre sans fin. »
        J’ai effectivement un biais moral dans l’histoire, mais l’approche analytique ne protège pas non plus de tous les biais. Le choix et la présentation particulières de faits peut biaiser un raisonnement. C’est ce que j’essaie de soulever dans mes réponses.
        Quant à l’issue du conflit, il peut aussi se terminer du fait de l’épuisement des acteurs et se transformer en conflit gelé à la Corée. Un compromis acceptable aux 2 parties semblant très éloigné, c’est de mon point de vue la direction que cela prend.
         
        « Depuis le début de ce conflit, on a tant de fois entendu la rengaine « la Russie est – ou sera bientôt – à genoux » qu’il me semble légitime de s’interroger sur la réalité des faits. Quand on regarde par exemple l’activité des dirigeants russes – et pas seulement de Poutine – on ne détecte pas chez eux une réelle fébrilité, une volonté d’aboutir le plus vite possible à un accord. Comment conciliez-vous cette attitude avec votre idée que le conflit « est en train d’emporter la démographie, les finances, le prestige militaire et l’économie russe » ? De même, vous noterez que la Russie consacre des ressources non négligeables pour étendre son influence en Afrique. Comment conciliez-vous ce fait avec l’idée que la guerre d’Ukraine serait la question unique qui préoccupe les cerveaux du Kremlin ? Ne serait-ce plus raisonnable dans ce cas d’y concentrer tous ses moyens, au lieu de les disperser ? »
         
        L’attitude des élites peut très bien s’expliquer par un refus d’avoir un compromis à court terme avec l’Ukraine et la conviction de pouvoir encore tenir suffisamment de temps, pas juste que c’est un sujet parmi d’autres. Aussi cette élite peut très bien avoir des intérêts financiers à faire durer le conflit, notamment ceux possédant les usines d’armement ou celles impliquées dans les circuits d’importation.
        Et sans avoir de chiffres à disposition, je doute que les ressources investies en Afrique soient significatives comparées à celles en Ukraine. On doit parler de quelques centaines (milliers max) de mercenaires et de valises de billet, vs des dizaines de milliers de recrues tous les mois, tout le stock de l’armée d’active et de 40% du budget fédéral…
         
        « Je persiste et signe : pour Poutine, l’Ukraine est une affaire parmi d’autres. Et à mesure que le temps passe, ce point de vue est confirmé par les informations sur ce qui a été discuté à Anchorage. On apprend maintenant qu’en plus de l’Ukraine, on a discuté de la reconduction des traités de réduction des armes nucléaires, et des questions économiques. »
         
        L’un n’empêche pas l’autre. Ce n’est pas parce que plusieurs sujets sont discutés que tous sont égaux. C’est de la diplomatie aussi de mettre à l’ordre du jour d’autres sujets moins clivants pour atténuer des oppositions et faire que les choses avancent malgré tout. Et Poutine étant humain, il ne lui est pas interdit de vouloir regarder ailleurs de temps en temps pour oublier la très difficile situation ukrainienne.
         
        « L’échange serait plus intéressant si on évitait les effets de tribune pour s’en tenir aux faits. Si vous avez des éléments concrets pour penser que la Russie envisage une attaque contre les Pays baltes, la Scandinavie ou la Pologne, j’aimerais que vous les exposiez ici. Une vague référence à « l’impérialisme russe » ne me semble pas très convaincante. Ce que je peux constater, c’est que la Russie a toujours été très claire quant aux « lignes rouges » qu’elle estime indispensables à sa propre sécurité. Les Pays baltes ou la Scandinavie n’en ont jamais fait partie, l’Ukraine si. »
         
        Pour les menaces sur les pays baltes, je conviens que la Russie n’a pas annoncé de tels actions (qui le ferait ?), mais elle se garde bien l’option ouverte au cas où :
        –          Les rhétoriques répétées sur la télé publique et au parlement pour contester la souveraineté de ces pays. Ex : https://www.euractiv.fr/section/international/news/la-douma-russe-remet-en-question-lindependance-de-la-lituanie/
        –          Les minorités russes dans ces pays : c’était un des casus belli principaux pour l’Ukraine, mais ça ne le serait pas dans ce cas ?
        –          La proximité de Saint-Petersbourg :si la Géorgie est importante du fait de la proximité des centres vitaux (je vous cite), c’est aussi le cas pour les pays baltes.
        Ça ne veut pas non plus dire que cela arrivera, mais au vu du track record récent de la Russie (Transnistrie, Abkhazie, Géorgie, Ukraine x2), c’est bien le champ des possibles. Beaucoup d’analystes étaient aussi convaincus que la Russie n’envahirait pas l’Ukraine.
         
        « [Adhésion des pays de l’est à l’OTAN].
        On peut longuement discuter sur le caractère « volontaire » de certains de ces choix.  On se souvient par exemple que lorsque le président légitimement élu de l’Ukraine a refusé de signer le traité d’association avec l’UE, il fut balayé par une « révolution » largement soutenue par les puissances occidentales. Dans d’autres cas, la décision tout à fait « volontaire » a été largement aidée par une pluie de fonds structurels conditionnés. Mais bon, passons sur ce petit détail. »
         
        Le sous-entendu qu’ils aient été quasiment acheté est faux. Tous ces pays ont soutenu et soutiennent leur adhésion à l’OTAN. Personne n’a depuis gagné d’élection pour en sortir. Et les fonds structurels sont liés à l’UE, pas l’OTAN.
        Pour Maidan, Vincent a déjà couvert ma réponse.
         
        « [Crise de Cuba]
        L’accord de 1962 a abouti à la neutralisation militaire de Cuba, et cela contre l’avis des autorités cubaines. On a violé le droit inaliénable du gouvernement Cubain. Et pourtant, personne ne considère déraisonnable cet arrangement. Alors, pourquoi le refuser par principe dans le cas de l’Ukraine ? Si le camp occidental avait été en 2022 aussi raisonnable que le camp soviétique en 1962, il y a de bonnes raisons de penser que cette guerre n’aurait pas eu lieu. »
         
        A la différence que personne ne parlait de mettre des armes nucléaires en Ukraine. Et d’ailleurs aucune arme américaine n’a été déployé dans les ex-pays du pacte de Varsovie depuis l’élargissement de l’OTAN.
        Si l’Ukraine Otanienne est un casus belli réel car risque de missiles nucléaires (et pas un empêchement de pouvoir annexer tout ou partie de ce pays…), pourquoi alors la Russie a accepté de laisser l’Estonie rentrer dans l’OTAN, pourtant située à 100km de Saint-Petersbourg ?
         
        [« Je ne vois pas très bien où est le « complotisme » là-dedans. Le « complotisme » implique l’existence d’un « complot », c’est-à-dire, d’une conspiration entre plusieurs acteurs pour obtenir un résultat donné. Dans mon commentaire, il n’y a qu’un seul acteur, le gouvernement américain. Mais il est vrai que taxer de « complotisme » permet de dévaloriser l’argument de l’adversaire sans avoir à apporter des arguments convaincants… »
        Le complotisme est de dire que la guerre est au fond de la faute des Américains, car ils ont soi-disant poussé l’Ukraine à franchir des lignes rouges. C’est au mieux très partiel et minimise totalement les capacités d’action autonome de l’Ukraine. Cette dernière et la Russie n’ont pas eu besoin de « pragmatisme » américain pour arriver là où ils sont.
         
        « Non, il n’y a là aucun « complot ». Que la politique américaine depuis la fin de la guerre froide ait consisté à affaiblir la Russie, notamment en l’encerclant progressivement par des états appartenant à l’OTAN – et cela en violation des engagements pris oralement du temps de Gorbatchev – est un fait bien documenté. Et ne venez pas m’expliquer que ces états ont fait le choix « volontairement » : l’admission à l’OTAN n’est pas de droit, que je sache, et ce n’est pas parce qu’un état demande quelque chose aux Américains que ceux-ci lui accordent. Que les Américains aient fait pression pour que les sanctions contre la Russie incluent le gaz – ce qui touchait de plein fouet l’économie européenne et tout particulièrement l’économie allemande, très dépendante de cette ressource – cela est aussi bien documenté. Leur silence lors du sabotage du gazoduc Nord Stream est d’ailleurs très symbolique… »
         
        Il se fait tard et je n’ai plus la force de tout rechercher mais tout mettre sur le dos des Américains en occultant les volontés des pays d’europe de l’Est sur ces évolutions est une vision en silo bien facile… Et que les américains poussent des choses qui sont dans leur intérêt (OTAN, sanctions sur le gaz) ne les rendent pas commanditaires. Les pays européens ont considéré que la guerre en Ukraine méritait un affaiblissement de la Russie et donc un arrêt progressif des achats d’énergie. Que cela bénéficie en passant aux américains ne veut pas dire qu’ils sont derrière ce choix.
         

        • Descartes dit :

          @ Bertrand

          [Pour la déférence envers la Russie, le ton du post de blog est très « analytique » lorsque la Russie ou Poutine sont évoqués (Trump considère Poutine comme son égal, situation géopolitique « expliquant » ses conflits frontaliers, pas de chars Russes à l’ouest de l’europe, etc), alors que le champ lexical est très négatif envers les européens (Camp occidental (et européens) couvert de ridicule, establishment européen terriblement provincial, etc).]

          Dans ce cas, je veux bien être accusé d’être « négatif envers les européens », mais certainement pas « déférent envers la Russie », puisque vous admettez vous-même que lorsqu’il s’agit de ce pays, mon post est « très analytique ». Oui, je suis très critique de l’action de l’Union européenne dans cette affaire, et j’assume cette position critique. Mais ce n’est pas par « déférence » envers qui que ce soit, mais parce que je pense que l’Union européenne a commis une longue suite d’absurdités.

          [Le ton sous-jacent de dire que la Russie reste en fin de compte un grand pays qui s’occupe de « vraies affaires » alors que ces pauvres européens sont provinciaux me semble très court termiste…]

          Je ne fais que constater les faits. Pouvez-vous me citer une question internationale, une seule, à laquelle les dirigeants européens aient consacré un effort équivalent à la question ukrainienne ? Je vous mets au défi d’en trouver une. Et pourtant, il se passe plein de choses dans le monde, et certaines auront des conséquences sur nous bien plus importantes. Pour ne donner qu’un exemple, pensez à la guerre commerciale avec les Etats-Unis. Lorsqu’il s’agit de l’Ukraine, les milliards pleuvent et le courage ne manque pas. Lorsqu’il s’agit de défendre notre place dans le commerce mondial, on capitule en rase campagne.

          Je pense qu’il y a dans cette attitude un fort élément de provincialisme. L’Ukraine devient LA question parce qu’elle est à nos portes. Gaza on s’en fout, parce que c’est loin.

          [Les contraintes européennes sur le remplacement de l’énergie russe, les limites démocratiques (pas de soldats sur place, la volonté de limiter les impacts économiques des électeurs, la facture de 80 ans de délégation de la défense aux USA) limitent les possibilités d’actions des européens mais ne figent pas forcément de l’issue du conflit.]

          Mais ces « contraintes » ne sont pas tombées du ciel. Ce sont des « contraintes » que les européens se sont fabriquées. Si l’Europe est aussi dépendante de l’énergie russe, c’est parce que les gouvernements européens ont fait des choix éminemment « provinciaux », sans vision stratégique. Si l’on a des contraintes « politiques », c’est surtout parce que les dirigeants européens sont incapables – et pour cause – d’expliquer à leur peuple ce qu’on a à gagner à envoyer des soldats en Ukraine ou à déverser des milliards. Et finalement, la « délégation de la défense aux USA » est là aussi un choix politique.

          [Quant à l’issue du conflit, il peut aussi se terminer du fait de l’épuisement des acteurs et se transformer en conflit gelé à la Corée. Un compromis acceptable aux 2 parties semblant très éloigné, c’est de mon point de vue la direction que cela prend.]

          Un conflit « gelé » comme vous dites a un coût. Je ne suis pas sûr qu’en période de difficultés budgétaires les européens seront prêts à continuer à alimenter le conflit à coups de milliards.

          [L’attitude des élites peut très bien s’expliquer par un refus d’avoir un compromis à court terme avec l’Ukraine et la conviction de pouvoir encore tenir suffisamment de temps, pas juste que c’est un sujet parmi d’autres. Aussi cette élite peut très bien avoir des intérêts financiers à faire durer le conflit, notamment ceux possédant les usines d’armement ou celles impliquées dans les circuits d’importation.]

          Si c’est pour avoir ensuite à gérer l’effondrement de l’Etat que vous prédisez, j’ai mes doutes. Clairement, les élites russes pensent non seulement pouvoir « tenir suffisamment de temps » pour gagner la guerre, mais surtout pouvoir se maintenir dans l’après-guerre.

          [L’un n’empêche pas l’autre. Ce n’est pas parce que plusieurs sujets sont discutés que tous sont égaux.]

          En général, quand deux personnalités du niveau de Trump et Poutine se rencontrent, on ne discute que des sujets que chacun estime prioritaires à ce niveau. D’ailleurs vous noterez que lorsque les européens se sont réunis avec Trump à la Maison Blanche, ils n’ont parlé QUE de l’Ukraine. Poutine, lui, à discuté de bien d’autres sujets. Qu’est ce que cela vous suggère ?

          [Pour les menaces sur les pays baltes, je conviens que la Russie n’a pas annoncé de tels actions (qui le ferait ?),]

          Eh bien… un pays qui s’apprêterait à attaquer, par exemple. Pour ne donner que quelques exemples, Georges Bush a été fort explicite avant d’attaquer l’Irak.

          [mais elle se garde bien l’option ouverte au cas où :]

          Encore une fois, j’attends que vous m’exposiez les éléments OBJECTIFS qui suggèrent que l’option d’une attaque sur les états baltes est « ouverte ». Les éléments que vous proposez ne l’établissent nullement. Voyons point par point :

          [– Les rhétoriques répétées sur la télé publique et au parlement pour contester la souveraineté de ces pays. Ex : (….)]

          Tout ce que l’exemple que vous citez nous dit est qu’un député – connu pour être un hurluberlu – a déposé une proposition de loi revenant sur le décret qui avait accordé l’indépendance à la Lituanie. Il ne semble pas que ce projet ait été voté ni même inscrit à l’ordre du jour. Franchement, si demain un député déposait une proposition de loi à l’Assemblée nationale pour revenir sur les accords d’Evian, en déduiriez-vous que la France s’apprête à attaquer l’Algérie ?

          [– Les minorités russes dans ces pays : c’était un des casus belli principaux pour l’Ukraine, mais ça ne le serait pas dans ce cas ?]

          Non. La Russie n’a jamais fait des minorités russophones un « casus belli ». C’est plus un prétexte pour mobiliser sur le terrain des forces qui lui sont favorables qu’autre chose. Il était très clair dès le départ que le « casus belli » serait le rapprochement entre l’Ukraine et le système OTAN/UE. J’ajoute que si vous considérez que la présence des minorités russophones constituent une preuve que la Russie « garde l’option militaire ouverte » vis-à-vis des pays baltes, vous devriez en conclure que l’Allemagne garde « les options ouvertes » vis-à-vis de l’Autriche ou de l’Alsace…

          [– La proximité de Saint-Petersbourg :si la Géorgie est importante du fait de la proximité des centres vitaux (je vous cite), c’est aussi le cas pour les pays baltes.]

          Pas vraiment. Saint Petersbourg est une grande ville, certes, mais relativement éloignée des installations vitales russes – notamment dans le domaine énergétique. Sans compter la base de Sébastopol, qui est pour la Russie bien plus importante que Saint Peterbourg, située au fond d’un golfe facilement blocable.

          [Ça ne veut pas non plus dire que cela arrivera, mais au vu du track record récent de la Russie (Transnistrie, Abkhazie, Géorgie, Ukraine x2), c’est bien le champ des possibles.]

          Franchement, si l’on regarde le « track record », une invasion américaine du Groenland semble infiniment plus probable. La Russie n’a pas hésité à intervenir dans sa « cour arrière », mais à chaque fois on savait quelles étaient les « lignes rouges ».

          [Beaucoup d’analystes étaient aussi convaincus que la Russie n’envahirait pas l’Ukraine.]

          Dont moi. Mais je pensais que la guerre n’aurait pas lieu parce que je faisais confiance aux occidentaux pour être aussi réalistes que les soviétiques l’avaient été en 1962. J’ai eu tort.

          [Le sous-entendu qu’ils aient été quasiment acheté est faux. Tous ces pays ont soutenu et soutiennent leur adhésion à l’OTAN. Personne n’a depuis gagné d’élection pour en sortir.]

          Tout à fait. Mais c’est aussi parce que quand des candidats remettant en cause l’adhésion ont eu quelque chance de gagner, ils ont été miraculeusement écartés de la course – voire l’annulation des élections en Roumanie. Par ailleurs, même si « personne n’a gagné d’élection pour en sortir », cela ne prouve nullement que ces adhésions n’aient pas été achetées. Les électeurs savent parfaitement qu’en cas de victoire de certains candidats, les fonds structurels seront coupés.

          [Et les fonds structurels sont liés à l’UE, pas l’OTAN.]

          Depuis le traité de Lisbonne, l’OTAN et l’UE forment de fait un « système » unique.

          [A la différence que personne ne parlait de mettre des armes nucléaires en Ukraine. Et d’ailleurs aucune arme américaine n’a été déployé dans les ex-pays du pacte de Varsovie depuis l’élargissement de l’OTAN.]

          Je ne vous parle pas d’armes nucléaires. Ce qui rend les situations de 1962 et de 2022 comparables, ce n’est pas qu’il y ait eu installation d’armes nucléaires, mais que dans les deux cas un pays a considéré que l’action de l’autre menaçait ses « intérêts vitaux ». En 1962 l’installation des missiles nucléaires à Cuba était considéré par les Américains comme un « casus belli », en 2022 l’intégration de l’Ukraine dans le système UE/OTAN a été considérée par les Russes comme un « casus belli ». C’est tout.

          [Si l’Ukraine Otanienne est un casus belli réel car risque de missiles nucléaires (et pas un empêchement de pouvoir annexer tout ou partie de ce pays…), pourquoi alors la Russie a accepté de laisser l’Estonie rentrer dans l’OTAN, pourtant située à 100km de Saint-Petersbourg ?]

          Je vous le répète, la question ici n’est pas celle des armes nucléaires. La guerre en cours a montré abondamment que depuis le territoire ukrainien on peut atteindre des installations vitales pour la Russie avec des missiles ou des drones.

          [Le complotisme est de dire que la guerre est au fond de la faute des Américains, car ils ont soi-disant poussé l’Ukraine à franchir des lignes rouges.]

          Je retrouve là le « moraliste ». Pourquoi parler de « faute » ? Les Américains ont des objectifs stratégiques, et mettent en œuvre les politiques nécessaires pour les atteindre. Si pousser l’Ukraine à la guerre est un moyen d’affaiblir la Russie et l’Europe, les pousser à la guerre n’est nullement une « faute », du moins si vous vous placez du point de vue politique. Bien sûr, cela peut être une « faute » du point de vue moral, mais vous n’allez pas me dire que vous croyez à la morale dans les rapports internationaux…

          [C’est au mieux très partiel et minimise totalement les capacités d’action autonome de l’Ukraine.]

          Vous croyez vraiment que les Ukrainiens seraient allés au clash, qu’ils auraient piétiné les « lignes rouges » si les Américains les avaient invités à la prudence et leur avaient indiqué qu’en cas de guerre ils n’auraient aucun soutien, et si les européens leur avaient emboité le pas ? Je n’ai pas une haute opinion des nationalistes ukrainiens, mais je ne pense pas qu’ils soient fous.

          Mais lorsqu’on relit la rhétorique américaine et surtout européenne autour de Maïdan et depuis, on a la nette impression qu’une sorte d’assurance implicite était donnée aux ukrainiens. Si l’on ajoute à cette rhétorique guerrière la tendance de l’UE a exagérer son propre pouvoir…

          [Il se fait tard et je n’ai plus la force de tout rechercher mais tout mettre sur le dos des Américains en occultant les volontés des pays d’europe de l’Est sur ces évolutions est une vision en silo bien facile…]

          Mais pas aussi facile que l’argument « il se fait tard et je n’ai pas le temps de rechercher »… Quant à moi, je « n’occulte » rien. Je me contente de constater que ce n’est pas parce qu’un pays demande qu’un autre est obligé de l’accorder. En 1962, les cubains étaient demandeurs des armes nucléaires, y compris après la menace américaine. Les soviétiques ont préféré écouter la raison que la demande de leurs alliés. Après la chute du Mur, les Américains auraient pu parfaitement refuser les « volontés » des anciens membres du Pacte de Varsovie. Ils ne l’ont pas fait. Libre à vous qu’ils ont fait ce choix pour des questions morales et non d’intérêt.

          [Et que les américains poussent des choses qui sont dans leur intérêt (OTAN, sanctions sur le gaz) ne les rendent pas commanditaires.]

          Il est très naïf d’imaginer qu’une puissance de rang mondial se contente d’exploiter les opportunités mais n’agissent pas pour les susciter…

          • Bob dit :

            @ Descartes
             
            [
            [Et que les américains poussent des choses qui sont dans leur intérêt (OTAN, sanctions sur le gaz) ne les rendent pas commanditaires.]
            Il est très naïf d’imaginer qu’une puissance de rang mondial se contente d’exploiter les opportunités mais n’agissent pas pour les susciter…]
             
            Ce qui “m’impressione” le plus n’est pas la capacité des Américains à agir dans leur intérêt, ce qui est somme toute tout à fait… normal, que celle des Européens à agir conre la leur, notamment sur le plan énergétique (en se privant volontairement du gaz et du pétrol russes bon marché, pour le subsitituer par celui américain cher et anti-écologique au passage). Et Macron qui continue d’asticoter la Russie (cf. “l’ogre prédateur”) au lieu d’anticiper une paix possiblement à court ou moyen terme, ce qui devrait stimuler un début de reprise de contact économique, dans notre intérêt toujours. Là je n’ai pas d’explications à ce qui semble d’une stupidité sans nom.
             

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [Ce qui “m’impressione” le plus n’est pas la capacité des Américains à agir dans leur intérêt, ce qui est somme toute tout à fait… normal, que celle des Européens à agir contre la leur, notamment sur le plan énergétique (en se privant volontairement du gaz et du pétrole russes bon marché, pour le substituer par celui américain cher et anti-écologique au passage).]

              Il est très difficile de sortir d’un cadre de référence une fois que celui-ci est installé. Ce n’est pas par hasard si certains empereurs prenaient les enfants des chefs vassaux pour les éduquer dans leur cour. Une fois revenus chez eux, ils appliquaient inconsciemment le cadre de référence qui était celui de la puissance dominante.

              Les élites politiques et administratives européennes d’aujourd’hui sont celles qui ont été formées dans les années 1990. C’est-à-dire, dans une idéologie dominante qui expliquait que les démocraties néolibérales avaient gagné la guerre contre le totalitarisme sous la conduite bienveillante de l’Amérique. C’était, souvenez-vous, le temps de « la fin de l’histoire », avec la victoire finale du « bien » sur le « mal », c’est-à-dire de la démocratie libérale. Relisez les textes de l’époque : avec la chute du mur, finies les entorses au droit et à la morale – renversement de régimes, tortures, assassinats politiques, guerres – pratiquées par le camp du « bien », indispensables pour combattre les forces diaboliques. Non, à partir de là, les rapports internationaux seraient gouvernés par le droit, la morale et le désir de paix.

              Les élites qui ont été formées dans cette logique sont tout simplement incapables de se défaire de cet idéalisme. Elles ne comprennent tout simplement pas que les Etats-Unis agissent autrement qu’en défenseurs du droit et de la morale, qu’ils puissent mettre leurs intérêts par-dessus toute autre considération. Cela peut paraître contradictoire, s’agissant d’une génération qui fait preuve d’un cynisme absolu dans les rapports personnels, mais c’est ainsi. J’ai pu voir des gens qui vendraient père et mère pour un bon poste s’étonner que Trump pense « America first »…

              Orwell avait raison de signaler qu’à partir d’un certain moment on ne peut commettre le crime de la pensée tout simplement parce qu’on ne peut plus penser. Nos élites n’ont tout simplement pas les instruments intellectuels pour imaginer le monde en dehors du cadre. Que les Etats Unis soient une puissance bienveillante, qu’il faille gérer le budget de l’Etat comme celui d’un ménage, que la dépense publique doive être réduite, ce sont des dogmes impossibles de réinterroger parce qu’ils apparaissent comme des évidences. C’est pourquoi la pensée malthusienne est si répandue dans nos élites…

              C’est pour cette raison que la question de l’éducation et de la formation des élites est fondamentale. Ce n’est pas par hasard si le premier souci des régimes révolutionnaires, ou même réformateurs, c’est de s’occuper de ces questions. Nous avons hérité Polytechnique et Normale Sup de la Révolution, l’ENA de la Libération…

            • Bob dit :

              @ Descartes
               
              [Il est très difficile de sortir d’un cadre de référence une fois que celui-ci est installé]
               
              Certainement.
               
              [Les élites qui ont été formées dans cette logique sont tout simplement incapables de se défaire de cet idéalisme. Elles ne comprennent tout simplement pas que les Etats-Unis agissent autrement qu’en défenseurs du droit et de la morale, qu’ils puissent mettre leurs intérêts par-dessus toute autre considération.]
               
              J’entends. En même temps, il me semble que le fait que tout Etat agit – ou doive agir – pour ses propres intérêts avant tout est une évidence, une trivialité même. Quel que soit le dogme de formation de nos “élites”, cela devrait s’imposer. Cette incapacité à voir l’évidence me laisse perplexe. Si moi, lecteur dilettante de la presse sans formation à ces questions, suis capable, intuitivement je dirais, de comprendre cela – et je suis sans doute loin d’être le seul – comment se fait-il que des gens dont c’est le métier et qui ont été formés à “penser” gardent toutes ces oeillères ? Je crois que même en bénéficiant de vos explications de qualité tout à fait logiques – et qui sont convaincantes, en particulier le cadre orwellien que vous rappelez -, je resterai, au fond de moi, sans “vraie” réponse.
               
              [Ce n’est pas par hasard si le premier souci des régimes révolutionnaires, ou même réformateurs, c’est de s’occuper de ces questions. Nous avons hérité Polytechnique et Normale Sup de la Révolution, l’ENA de la Libération…]
               
              Pensez-vous que la réforme de l’ENA de Macron découle de cette logique ? que le tour des écoles d’ingénieurs d’élite viendra ?

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [J’entends. En même temps, il me semble que le fait que tout Etat agit – ou doive agir – pour ses propres intérêts avant tout est une évidence, une trivialité même.]

              Pour vous et pour moi, qui sommes des vieux cyniques, probablement. Mais prenez pour ne donner qu’un exemple les discours d’un Kouchner et son « devoir d’ingérence humanitaire ». Il est typique de l’idéalisme des années 1990, de cette illusion qui consistait à croire que l’on pouvait faire du droit et de la morale la motivation principale de l’action des états. Attention, je ne dis pas que les hommes politiques doivent être immoraux. Il est bon qu’ils aient une morale, c’est-à-dire, une conception de ce qui est « bon » et de ce qui est « mauvais ». Les problèmes commencent quand ils perdent le sens du tragique, c’est-à-dire, quand ils oublient que quelquefois l’intérêt public exige qu’on fasse ce qui est « mauvais »…

              [Quel que soit le dogme de formation de nos “élites”, cela devrait s’imposer. Cette incapacité à voir l’évidence me laisse perplexe. Si moi, lecteur dilettante de la presse sans formation à ces questions, suis capable, intuitivement je dirais, de comprendre cela – et je suis sans doute loin d’être le seul – comment se fait-il que des gens dont c’est le métier et qui ont été formés à “penser” gardent toutes ces oeillères ?]

              Je suis désolé d’insister, mais pour moi c’est un point très important. Quand vous allez en politique – et d’une façon plus générale, dans le service public – vous y allez avec une certaine morale, celle que vous ont transmis vos parents, vos maîtres, la société dans son ensemble. La plupart des gens ne sont pas des cyniques : ils ne sont pas là « pour le fric et le pouvoir » – ou du moins ne sont pas en mesure de l’assumer. Ils veulent pouvoir se regarder dans le miroir le matin sans honte, et pour cela il leur faut faire ce qui est « bien ». Mais lorsque vous êtes haut fonctionnaire, ministre, président, vous vous trouvez dans un poste où quelquefois l’intérêt public exige que vous fassiez quelque chose que vous trouvez immorale.

              Dans le temps, les gens élaboraient cette contradiction parce qu’ils avaient la culture du tragique. Ils s’identifiaient au Créon – celui d’Anouilh peut-être plus que celui de Sophocle. Il y avait même une certaine fierté dans le fait de sacrifier sa tranquillité d’esprit à l’intérêt public. J’ai d’ailleurs été toujours saisi devant des gens qui vous racontent « ne pas être fiers » de ce qu’ils ont fait… avec la fierté de l’avoir fait. Mais cette culture du tragique est morte. Les hauts fonctionnaires et les hommes politiques s’identifient plutôt à Antigone qu’à Créon. On rend hommage plus facilement à celui qui a préféré sa tranquillité d’esprit à l’intérêt public que l’inverse.

              Les années 1990 sont de ce point de vue un point d’inflexion, avec la diplomatie « moraliste » des nécons qui remplace la diplomatie « realiste » à la Kissinger. La figure du « dissident » qui par son action morale a fait chuter le Mur, a été présentée comme la victoire d’Antigone sur Créon, comme le triomphe de la morale et le droit. Personne ou presque n’a rappelé que cette « victoire » était le résultat d’activités aussi peu « morales » que le renversement d’Allende ou de Mossadegh…

              [« Ce n’est pas par hasard si le premier souci des régimes révolutionnaires, ou même réformateurs, c’est de s’occuper de ces questions. Nous avons hérité Polytechnique et Normale Sup de la Révolution, l’ENA de la Libération… » Pensez-vous que la réforme de l’ENA de Macron découle de cette logique ? que le tour des écoles d’ingénieurs d’élite viendra ?]

              Le tour des écoles d’ingénieurs est déjà venu. Lorsque je lis le « projet stratégique » d’une école comme CentraleSupélec, la transformation saute aux yeux. D’abord, il y a l’obsession de « devenir une engineering school de rang mondial » (sic), mais surtout la transformation des élèves en « clients », à qui il faut offrir des parcours diversifiés pour « attirer les talents » et accessoirement les élèves étrangers payants. Quand je me souviens qu’il y a trois décennies le directeur de cette même école accueillait ses nouveaux étudiants avec la formule « cette école existe pour former les ingénieurs dont la France a besoin »…

              Les écoles d’ingénieurs deviennent, cahin caha, des écoles de management quand ce n’est pas des écoles de commerce. L’excellence technique et scientifique n’est plus l’élément fondamental qui organise leur activité. L’organisation de parcours « à la carte » qui réduisent l’expérience commune des étudiants au minimum contribue d’ailleurs à une culture individualiste. Et je ne parle pas des gadgets genre « stage à l’étranger » ou « année de césure »…

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
              [Les élites qui ont été formées dans cette logique sont tout simplement incapables de se défaire de cet idéalisme. Elles ne comprennent tout simplement pas que les Etats-Unis agissent autrement qu’en défenseurs du droit et de la morale, qu’ils puissent mettre leurs intérêts par-dessus toute autre considération.]
              J’avoue que j’ai énormément de mal à vous suivre sur ce point. J’étais adolescent dans la deuxième moitié des années 90. Je me souviens parfaitement de l’euphorie européiste qui régnait encore à l’époque: l’Europe – enfin l’UE – allait nous amener la paix, la prospérité, le plein-emploi et la puissance (on parlerait d’égal à égal avec l’Oncle Sam, la Chine, l’Inde, etc). L’euro serait l’instrument de ce triomphe. En toute franchise, à l’époque j’y ai cru. A la maison, on n’en parlait guère mais personne n’était vraiment eurosceptique. Même chose pour l’OTAN: les média nous avaient si bien vendu les Serbes comme des méchants que, en 1999, je trouvai quasiment normal qu’on leur balance des bombes sur la figure. Mais j’avais seize ans.
               
              Et il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour évoluer et remettre en question des idées qui me semblaient presque naturelles tant elles paraissaient partagées. Or je ne fais pas partie des “élites”, je n’ai pas fait de grandes écoles – j’ai échoué au concours d’entrée de Normale Sup – je ne crois pas être doté d’une intelligence supérieure, j’ai eu somme toute un parcours très convenable, mais assez banal. Sur les Etats-Unis, l’affaire d’Irak en 2003 m’a ouvert les yeux. Sur l’UE, dès 2005, je votai contre le TCE, devenant un ardent opposant à la construction européenne. Entretemps, j’avais lu, je m’étais intéressé à l’histoire – notamment de la Serbie – et par ailleurs il faut bien dire que sous Bush fils, la puissance américaine s’était déployée sans retenue… et sans s’embarrasser du droit international (pour l’Irak). Je pense que tout le monde à l’époque s’en est aperçu.
               
              Et vous nous expliquez que des gens, dont bon nombre, je suppose, sont passés par de grandes et prestigieuses écoles, qui ont eu des parcours brillants, qui pour certains sont d’une intelligence supérieure, sont infoutus de voir le monde tel qu’il est? Mais qu’est-ce qu’on apprend dans ces grandes écoles? Me revient en mémoire, maintenant que j’y pense, une remarque que m’avait faite un peu plus tard un de mes anciens professeurs de lycée, qui avait eu l’occasion de donner une ou deux conférences à Normale Sup: “ne regrettez pas trop [de ne pas avoir fait Norm Sup] m’avait-t-il dit, le conformisme intellectuel y règne en maître”. Il semblait un peu déçu des échanges qu’il avait eus avec les étudiants.
               
              Mais enfin tout de même: être incapable d’esprit critique, de toute remise en question, quand on a un minimum de culture et de connaissance du monde, cela me laisse perplexe. Les Etats-Unis se foutent de la Morale et nous traitent comme des moins-que-rien tandis que l’UE n’a tenu AUCUNE de ses promesses. Tout le monde s’en aperçoit, je pense. On peut le regretter d’accord, et enrager devant cette triste réalité, je le comprends. Mais ne pas le voir…  

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [En toute franchise, à l’époque j’y ai cru. A la maison, on n’en parlait guère mais personne n’était vraiment eurosceptique. Même chose pour l’OTAN: les média nous avaient si bien vendu les Serbes comme des méchants que, en 1999, je trouvai quasiment normal qu’on leur balance des bombes sur la figure. Mais j’avais seize ans.]

              Moi, je n’y ai jamais cru. Je pense que de ma vie je n’ai jamais VRAIMENT cru aux « lendemains qui chantent », même du temps où j’étais militant PCF. J’ai toujours été un réaliste : je me suis battu pour des changements dans la conviction que cela améliorerait un peu le sort des êtres humains, mais je n’ai jamais cru que les choses puissent être noires ou blanches. Peut-être parce que j’ai eu un grand-père qui a beaucoup pesé par ma formation, et qui était un véritable cynique – et un connaisseur de la nature humaine. Sa citation préférée était « penser le mal de son voisin est peut-être un péché, mais rarement une erreur ».

              [Et il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour évoluer et remettre en question des idées qui me semblaient presque naturelles tant elles paraissaient partagées. Or je ne fais pas partie des “élites”, je n’ai pas fait de grandes écoles – j’ai échoué au concours d’entrée de Normale Sup – je ne crois pas être doté d’une intelligence supérieure, j’ai eu somme toute un parcours très convenable, mais assez banal. (…) Et vous nous expliquez que des gens, dont bon nombre, je suppose, sont passés par de grandes et prestigieuses écoles, qui ont eu des parcours brillants, qui pour certains sont d’une intelligence supérieure, sont infoutus de voir le monde tel qu’il est ?]

              Oui. Je pense que vous idéalisez beaucoup les gens qui « sont passés par des grandes et prestigieuses écoles et qui ont eu des parcours brillants ». Vous savez, ni la lucidité, ni le sens commun ne s’apprennent dans les grandes et prestigieuses écoles, et beaucoup de parcours brillants doivent autant au hasard qu’aux qualités de ceux qui les ont empruntés. Oui, je vous parle de gens qui sont très intelligents à l’heure de résoudre un problème, de prendre en compte tous les tenants et les aboutissants, de synthétiser de l’information. Des gens qui ont souvent des qualités intellectuelles et humaines remarquables. Mais ce n’est pas à vous, qui êtes féru d’histoire, que je vais expliquer que ces qualités ne protègent pas contre l’aveuglement ou les idées reçues. Pensez aux idéalistes, aux pacifistes de l’entre-deux guerres, incapables tous brillants qu’ils étaient de penser les rapports à l’Allemagne autrement qu’à travers leur prisme idéologique…

              [Mais qu’est-ce qu’on apprend dans ces grandes écoles ?]

              A analyser un problème, à synthétiser de l’information, à organiser le travail, à mobiliser les leviers qu’offre le système pour atteindre un but d’une manière efficiente et efficace. Et bien entendu, toute une série de connaissances techniques et scientifiques. Et c’est déjà pas mal pour un décideur ou un administrateur public. Mais certainement pas à penser en dehors du cadre établi et consacré par l’habitude. Et ceux – il y en a quelques-uns dans chaque promotion – qui le font ont souvent la prudence (ou l’intelligence) de ne pas piétiner les burettes au moment de la communion. Je me souviens toujours de la formule inscrite dans la feuille de notation de De Gaulle à l’école de Guerre : « il est le plus intelligent de sa promotion, mais il a le défaut de le savoir, et le tort de le montrer »…

              [Me revient en mémoire, maintenant que j’y pense, une remarque que m’avait faite un peu plus tard un de mes anciens professeurs de lycée, qui avait eu l’occasion de donner une ou deux conférences à Normale Sup: “ne regrettez pas trop [de ne pas avoir fait Norm Sup] m’avait-t-il dit, le conformisme intellectuel y règne en maître”. Il semblait un peu déçu des échanges qu’il avait eus avec les étudiants.]

              Bien entendu. Il ne faut pas dévaloriser ces grandes institutions d’enseignement : elles donnent une formation de très haute qualité. Mais il ne faut pas demander à une institution ce qu’elle ne peut pas donner. Les grandes écoles sont là pour transmettre un corpus de connaissances et de méthodes qui sont, de par un consensus des pairs, ce qu’il y a de mieux. Une telle institution n’a pas pour fonction de pousser les gens à sortir du cadre. Pour cela, il y a les clubs, les sociétés, les partis politiques… vous savez, quand j’étais étudiant, à côté de l’institution il y avait toutes sortes d’associations, clubs ou sociétés plus ou moins contestataires de « l’ordre établi ». C’était là où l’on apprenait à penser dans un cadre différent de celui qui présidait l’enseignement. Mais on ne peut demander à une institution officielle d’être autre chose que « conformiste ».

              [Mais enfin tout de même : être incapable d’esprit critique, de toute remise en question, quand on a un minimum de culture et de connaissance du monde, cela me laisse perplexe.]

              Et bien, j’avoue que le paradoxe m’a toujours fasciné : comment des gens cultivés, connaissant l’histoire, ayant accès à des informations de première main, peuvent continuer à croire des bobards qui ne résistent l’analyse. Je pense qu’il y a plusieurs mécanismes qui se conjuguent. Il y a le coût de l’apostasie : après avoir cru et prêché l’évangile eurolâtre ou americanolâtre, reconnaître qu’on a eu tort – et que, corollaire inévitable, des gens qu’on a souvent injurié ou dont on a compromis la carrière avaient raison – a un coût psychologique très important. Pensez aux pacifistes de l’entre-deux guerres, qui n’ont jamais vraiment pu admettre que leur conduite avait contribué à la défaite de 1940, à l’Occupation et tous ses malheurs. Il y a la logique grégaire, qui fait que le premier qui dit la vérité – quand bien même tout le monde l’admet en privé – doit être exécuté.

              [Les Etats-Unis se foutent de la Morale et nous traitent comme des moins-que-rien tandis que l’UE n’a tenu AUCUNE de ses promesses. Tout le monde s’en aperçoit, je pense. On peut le regretter d’accord, et enrager devant cette triste réalité, je le comprends. Mais ne pas le voir…]

              C’est que la voir – c’est-à-dire, l’admettre comme telle – a un coût psychologique et social très important. Souvenez-vous de la formule de Clemenceau : « n’avouez jamais… ».

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
              [Moi, je n’y ai jamais cru.]
              Quand je dis que j’y ai cru, je ne veux pas dire que j’ai été emporté par un vent d’enthousiasme. Disons que je faisais confiance aux politiciens qui nous expliquaient qu’on allait y gagner… Il est vrai cependant que je ne me rendais pas compte de l’état de notre industrie.
               
              [Oui. Je pense que vous idéalisez beaucoup les gens qui « sont passés par des grandes et prestigieuses écoles et qui ont eu des parcours brillants ». ]
              Que voulez-vous, il fut un temps où j’aurais rêvé d’en être… Pour quelqu’un comme moi, soit on est normalien, soit on est un médiocre.
               
              [Les grandes écoles sont là pour transmettre un corpus de connaissances et de méthodes qui sont, de par un consensus des pairs, ce qu’il y a de mieux. Une telle institution n’a pas pour fonction de pousser les gens à sortir du cadre.]
              Vous avez raison. Je me suis mal exprimé : il s’agit moins de ce qu’on apprend que de ce qu’on tire de ce qu’on a appris.
               
              Je ne me prononce pas sur les sciences « dures ». Mais laissez-moi vous dire que quelqu’un qui a des connaissances étendues en littérature, en histoire ou en philosophie, et qui est incapable de poser sur le monde autre chose qu’une vision manichéenne, c’est-à-dire simpliste et réductrice, celui-là n’a pas vraiment compris ce qu’il a étudié, il n’a pas vraiment tiré profit de ce qu’il a appris. Parce qu’il y a bien une chose que la littérature, l’histoire ou la philosophie nous apprend, c’est que le monde est complexe, qu’il n’y a pas les « gentils » et les « méchants », que tout n’est pas noir ou blanc. Que cela ne soit pas évident pour un mathématicien ou un physicien, je l’entends. Mais un philosophe, un historien, un féru de littérature devrait l’avoir compris. D’ailleurs sur ce blog, vous ne vous privez jamais de proposer des références littéraires diverses et variées, qui toutes nous enseignent la complexité du monde et le tragique de la condition humaine : vous citiez récemment l’Antigone d’Anouilh, vous citez régulièrement Pratchett ; il y a aussi cette citation d’un film de Renoir – mais à l’époque, les films n’étaient-ils pas quasiment des œuvres littéraires ? – que vous affectionnez : « ce qui est tragique en ce bas monde, c’est que tout le monde a ses raisons ».
               
              Que des gens qui ont accès à cette culture ne soient pas d’accord avec vous ou avec moi, on peut le comprendre. Mais qu’après des années durant lesquelles le cours des événements leur a montré de manière systématique que leurs croyances, leur vision, leur idéologie – c’est-à-dire l’européisme et l’américanolâtrie pour aller vite – ne menaient pas du tout à la paix, à la prospérité, à la puissance, ces gens soient incapables de voir la réalité et de faire un retour critique sur ce qu’ils ont défendu, c’est plus qu’une erreur, c’est une faute. Faire un retour critique sur ce qu’on a dit et ce qu’on a fait, c’est difficile, mais ce n’est pas seulement une preuve d’honnêteté, c’est une preuve d’intelligence. Si certains le font en privé, ils sont cyniques mais lucides. Mais ceux qui continuent à croire dur comme fer que l’Europe nous ouvre un avenir radieux et que l’Oncle Sam défend le Bien et la Morale sont juste des imbéciles…

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« Moi, je n’y ai jamais cru. » Quand je dis que j’y ai cru, je ne veux pas dire que j’ai été emporté par un vent d’enthousiasme. Disons que je faisais confiance aux politiciens qui nous expliquaient qu’on allait y gagner… Il est vrai cependant que je ne me rendais pas compte de l’état de notre industrie.]

              Quand j’ai dit « je n’y ai jamais cru », je pensais en fait plus généralement. Je crois que de toute ma vie je n’ai jamais adhéré sans réserves, avec la foi du charbonnier, à quoi que ce soit. J’ai épousé beaucoup de causes, je me suis engagé dans beaucoup de combats, mais jamais dans l’idée que ce que je voulais allait faire le bonheur général. Je n’ai jamais cru à « l’homme nouveau » : comme disait mon grand-père, citant Péron, « l’homme est naturellement bon, mais il est meilleur quand on le surveille ». Je n’ai jamais cru, comme le personnage du merveilleux film « tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes » que, lorsqu’on aura fait le socialisme, il n’y aura plus de peines d’amour. J’ai soutenu l’expérience socialiste de l’URSS non pas en refusant de voir ses énormes défauts – comme beaucoup de mes camarades – mais en pleine conscience, et malgré eux. Rétrospectivement, je pense que le cynisme de mon grand-père m’a plus influencé que l’idéalisme de mon père… et m’a évité bien des déceptions !

              [« Oui. Je pense que vous idéalisez beaucoup les gens qui « sont passés par des grandes et prestigieuses écoles et qui ont eu des parcours brillants ». » Que voulez-vous, il fut un temps où j’aurais rêvé d’en être… Pour quelqu’un comme moi, soit on est normalien, soit on est un médiocre.]

              Je pense que vous vous faites du mal inutilement. Ce n’est pas moi qui ira dévaluer le système des grandes écoles : je considère le fait d’y avoir pu accéder comme une chance – il y a certes du mérite personnel, mais aussi la chance de vivre dans un pays qui permet à un pauvre immigré d’y rentrer, ce que je n’aurais pas pu faire en Grande Bretagne, par exemple – parce que la formation qui y est dispensée est excellente, et qu’on peut côtoyer des gens brillants. Mais d’un autre côté, j’ai pu aussi connaître des gens brillantissimes et qui, pour diverses raisons, ne sont pas passés par ce système. Prenez un Henri Guaino, par exemple. Le fait d’avoir raté trois fois l’ENA ne l’a pas empêché de réussir non seulement une brillante carrière – ce qui, après tout, tient beaucoup du hasard des rencontres – mais surtout à être l’une des têtes mieux faites du moment. Vous pouvez donc vous rassurer : c’est malheureux de ne pas avoir fait normale sup, mais cela ne fait pas de vous un médiocre.

              [« Les grandes écoles sont là pour transmettre un corpus de connaissances et de méthodes qui sont, de par un consensus des pairs, ce qu’il y a de mieux. Une telle institution n’a pas pour fonction de pousser les gens à sortir du cadre. » Vous avez raison. Je me suis mal exprimé : il s’agit moins de ce qu’on apprend que de ce qu’on tire de ce qu’on a appris.]

              Tout à fait. Malheureusement, on n’a pas encore inventé une pédagogie, une institution qui puisse résoudre cette question. J’ai connu des polytechniciens du corps des Mines (autant dire, la crème de la crème des corps techniques) capables de résoudre les calculs les plus compliqués, pondre les rapports les plus géniaux, mais qui restaient affectivement et socialement immatures. Ils font en général d’excellents experts, mais lorsqu’on les place dans des postes de direction ils font désastre sur désastre, parce qu’ils vivent dans un monde de logique et d’équations qui exclut la complexité des rapports humains. Et ne parlons même pas de politique : ils vous expliquent que le mieux serait de remplacer l’Assemblée par une conférence d’ingénieurs – comme eux – qui à chaque problème apporteraient la solution la plus rationnelle…

              [Je ne me prononce pas sur les sciences « dures ». Mais laissez-moi vous dire que quelqu’un qui a des connaissances étendues en littérature, en histoire ou en philosophie, et qui est incapable de poser sur le monde autre chose qu’une vision manichéenne, c’est-à-dire simpliste et réductrice, celui-là n’a pas vraiment compris ce qu’il a étudié, il n’a pas vraiment tiré profit de ce qu’il a appris. Parce qu’il y a bien une chose que la littérature, l’histoire ou la philosophie nous apprend, c’est que le monde est complexe, qu’il n’y a pas les « gentils » et les « méchants », que tout n’est pas noir ou blanc. Que cela ne soit pas évident pour un mathématicien ou un physicien, je l’entends.]

              Il y a une citation que j’aime beaucoup mais dont je n’ai jamais trouvé l’auteur : « le docteur X. me disait qu’avant de se suicider en s’injectant de la morphine, il fallait bien désinfecter l’aiguille pour éviter une septicémie. Nous savons tous que nous devons mourir un jour, mais le savoir c’est une chose, et le croire, une autre ». Je pense que vous sous-estimez la capacité de schizophrénie de l’être humain. Les gens, y compris les gens très intelligents, sont parfaitement capables de séparer ce qu’ils savent et ce en quoi ils croient. J’ai connu des zoologistes qui savaient vous expliquer comment les espèces avaient évolué par sélection naturelle, et qui ensuite allaient à la synagogue et proclamaient la gloire d’un dieu qui a créé Eve à partir d’une côte d’Adam.

              Les gens dont on parle ont des connaissances étendues en histoire, en philosophie, en littérature, et ont parfaitement compris que le monde est complexe, qu’il n’y a pas les « gentils » et les « méchants ». Ils le savent parfaitement. Mais le croient-ils ? Pas toujours.

              [Que des gens qui ont accès à cette culture ne soient pas d’accord avec vous ou avec moi, on peut le comprendre. Mais qu’après des années durant lesquelles le cours des événements leur a montré de manière systématique que leurs croyances, leur vision, leur idéologie – c’est-à-dire l’européisme et l’américanolâtrie pour aller vite – ne menaient pas du tout à la paix, à la prospérité, à la puissance, ces gens soient incapables de voir la réalité et de faire un retour critique sur ce qu’ils ont défendu, c’est plus qu’une erreur, c’est une faute. Faire un retour critique sur ce qu’on a dit et ce qu’on a fait, c’est difficile, mais ce n’est pas seulement une preuve d’honnêteté, c’est une preuve d’intelligence.]

              La difficulté n’est pas tant de faire un retour critique sur ce qu’on a dit ou fait, mais sur ce qu’on a cru. Je pense que vous sous-estimez l’importance de la croyance dans les actions humaines. Revenir sur ce qu’on a pensé rationnellement, c’est relativement facile : j’ai fait un raisonnement qui conduisait à la conclusion A, les faits m’ont donné tort, cela veut dire qu’il y a une erreur de raisonnement. Et l’erreur est humaine. Mais lorsque les faits falsifient une croyance, la chose est beaucoup plus douloureuse, parce que la croyance façonne non seulement ce que vous faites, mais ce que vous êtes. Pour le bon chrétien découvrir que dieu n’existe pas, pour le fidèle stalinien découvrir le rapport Khrouchtchev, c’était bien pire que de reconnaître une erreur, c’était voir le monde s’effondrer autour de vous. C’est d’ailleurs pourquoi les croyances peuvent se maintenir contre les faits pendant très, très longtemps…

            • Bob dit :

              @ Carloman, Descartes
               
              [ceux qui continuent à croire dur comme fer que l’Europe nous ouvre un avenir radieux (…) sont juste des imbéciles…]
               
              Je poense que Macron en fait partie.

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
              [Rétrospectivement, je pense que le cynisme de mon grand-père m’a plus influencé que l’idéalisme de mon père… et m’a évité bien des déceptions !]
              Je comprends cette vision des choses. D’un autre côté, j’ai parfois du mal à voir comment vous conciliez ce regard un peu désabusé sur le monde avec le fameux « optimisme méthodologique » que vous prônez.
               
              Je ne veux pas remuer le couteau dans la plaie, mais faisons le bilan : l’expérience soviétique que vous avez soutenue a échoué, l’État auquel vous avez voué votre énergie et votre talent est moribond (vous avez reconnu vous-mêmes avoir liquidé plus de projets que vous n’en avez lancés), la France ce pays que vous avez choisi et qui, d’une certaine manière, vous a choisi, n’est plus que l’ombre de ce qu’il était lorsque vous y êtes arrivé. Et vous me dites de surcroît que vous n’avez jamais eu la foi. Je vous admire de ne pas être plus désespéré…
               
              [Je pense que vous vous faites du mal inutilement.]
              Ma formulation était maladroite, j’aurais dû parler au passé. Ces échecs sont digérés depuis longtemps.
               
              [Prenez un Henri Guaino, par exemple.]
              J’écoute souvent Henri Guaino ces temps-ci. C’est un homme d’une intelligence et d’une profondeur d’esprit impressionnantes, je le reconnais.
               
              [Ils font en général d’excellents experts, mais lorsqu’on les place dans des postes de direction ils font désastre sur désastre, parce qu’ils vivent dans un monde de logique et d’équations qui exclut la complexité des rapports humains.]
              On a l’impression que vous décrivez là des hauts potentiels atteints d’autisme (les fameux « Asperger »…).
               
              [Je pense que vous sous-estimez la capacité de schizophrénie de l’être humain.]
              C’est possible. Je dois avouer que l’idée de vivre sans un minimum de cohérence intellectuelle m’est difficilement concevable. J’ai mes contradictions, sans doute, mais je n’imagine pas les pousser à un point tel.
               
              [J’ai connu des zoologistes qui savaient vous expliquer comment les espèces avaient évolué par sélection naturelle, et qui ensuite allaient à la synagogue et proclamaient la gloire d’un dieu qui a créé Eve à partir d’une côte d’Adam.]
              Là, j’ai un peu plus de mal à vous suivre. Et d’abord qui vous dit que ces scientifiques « croyaient » à ce qu’ils disaient ou entendaient à la synagogue ? Peut-être certains d’entre eux y allaient-ils pour des raisons liées à la tradition, aux habitudes familiales. D’autres peut-être par souci d’entretenir un lien avec une communauté (ici religieuse). Et dans l’exemple que vous donnez, si foi il y a, elle peut même avoir un aspect esthétique : émerveillé par les beautés du vivant, par les mécanismes de l’évolution, je pourrais me dire que tout cela a été voulu. A côté du « Dieu omniprésent qui s’occupe de tout », certains – paraît-il – imaginent un Dieu « Grand architecte », créateur des lois de l’univers, qu’il laisse ensuite suivre son cours.
               
              Mais au-delà de ça, je pense qu’il faut distinguer trois choses : le fait de croire, le fait d’avoir envie de croire et le fait d’avoir intérêt à croire. Où se situent les europhiles béats ? Je me le demande. Vous allez trouver que je parle beaucoup de moi, et je m’en excuse, mais je suis le seul exemple que je peux véritablement disséquer. Il m’arrive d’avoir envie de croire. Par exemple, en 2022, j’ai eu envie de croire qu’Eric Zemmour allait changer la donne, et – sans forcément gagner mais grâce à un score important – obliger les autres partis à prendre à bras-le-corps le problème de l’immigration tout en menant une politique économique plus étatiste. Mais même à ce moment là, j’avais conscience de me faire des illusions. Bref, j’avais envie de croire, mais sans y parvenir complètement.
               
              Pour la religion, là, je crois parce que j’y ai intérêt : j’y trouve d’abord une forme de consolation devant la mort des êtres chers, cela répond à un besoin, celui de penser que les personnes disparues, d’une certaine manière, maintiennent une forme de présence, et qu’un lien, si ténu soit-il, continue d’exister. Ensuite, il y a l’aspect « identitaire » puisque le catholicisme est pour moi consubstantiel à l’identité culturelle de la France. Enfin, il y a l’aspect esthétique des lieux et de la liturgie, même si c’est de moins en moins le cas, avec un dépouillement quasi-protestant des églises modernes et une liturgie parfois un peu olé-olé, mais c’est un autre débat. Mais de tout cela, je suis parfaitement conscient, et notamment de la dimension somme toute bassement rationnelle de mes motivations à croire. J’adhère assez à la définition de la foi qu’avait donnée Patrick Buisson dans un entretien (et que ne validerait peut-être pas un prêtre) : « la foi, c’est cinquante-neuf minutes de doute, et une minute où on se dit « ah oui, il y a quelqu’un là-haut » ». Je crois parce que, d’une certaine manière, l’alternative – à savoir qu’il n’y a pas de Dieu, que nous sommes le fruit du pur hasard, perdus sur une minuscule planète dans l’immensité de l’univers, que rien n’a de sens, que le bien n’est jamais récompensé ni le mal puni – me terrifie et m’est insupportable. Je ne parlerai pas de « fiction nécessaire » mais de « convention nécessaire ». Dieu existe-t-il ? Au fond, je ne peux en être sûr. Le message du Christ et certains signes sont troublants. Et je décide donc de faire comme si Dieu existait. C’est un pari en quelque sorte.
               
              Donc je crois, mais je sais pourquoi je crois et, d’une certaine manière, je suis conscient des limites de cette croyance. Il n’y a pas chez moi – du moins je le pense – d’aveuglement.
               
              [Les gens dont on parle ont des connaissances étendues en histoire, en philosophie, en littérature, et ont parfaitement compris que le monde est complexe, qu’il n’y a pas les « gentils » et les « méchants ». Ils le savent parfaitement. Mais le croient-ils ? Pas toujours.]
              Mais comment peut-on croire des choses qu’on sait être absolument fausses ? On peut discuter éternellement pour savoir si Dieu existe. Certains diront qu’il n’existe pas, qu’on n’a pas de preuve de son existence et que la marche du monde prouve a minima qu’on peut douter qu’un Dieu bon et miséricordieux veille sur l’humanité… D’autres répondront que Dieu a donné jadis des preuves de son existence, qu’il a décidé sciemment de ne plus se manifester et que les malheurs de l’humanité sont à mettre au compte de la cruauté des hommes, Dieu leur ayant accordé le libre-arbitre, ceux-ci ont en effet le choix de faire le bien ou de s’adonner au mal. Et chacun peut rationnellement camper sur ses positions et continuer à croire ce qui l’arrange.
               
              Mais l’Union européenne ? L’UE n’est PAS une grande puissance, tout le monde peut le constater et, après le calamiteux « accord déséquilibré », je ne vois pas en quoi cela peut être contesté. L’UE n’a apporté ni le plein-emploi ni la prospérité à l’ensemble de la population : les chiffres du chômage sont relativement fiables, le niveau de la dette est connu, et de nombreuses études, année après année, montrent un creusement des inégalités. Le roi est nu. Qui parmi les gens sensés ne le voit pas ?
               
              Et on peut évoquer la même chose pour d’autres sujets : nombre de gens « croient » que la Russie est dangereuse, mais il suffit de regarder une carte des pays membres de l’OTAN pour comprendre, sans besoin d’être polytechnicien, que la Russie, quoiqu’on pense de Poutine, peut légitimement se sentir menacée. Et comme cela a déjà été dit, qui peut penser un seul instant que les États-Unis laisseraient le Mexique conclure une convention militaire avec la Chine et la Corée du Nord ? Qui peut imaginer que Washington laisserait le Canada ou le Danemark (dont le Groenland est un territoire autonome) s’allier à l’Iran et autoriser la République islamique à déployer des troupes aux frontières de l’Union ? Allons…
               
              Ce que je veux dire, c’est que lorsque la croyance mène à l’aveuglement total, et donc à une forme de fanatisme – et il y a aujourd’hui une russophobie fanatique, comme il y a une servilité fanatique à l’égard des États-Unis – la bêtise n’est jamais très loin. Qu’on éprouve le besoin de croire, je le comprends. Mais que ce besoin de croire annihile tout regard critique et honnête sur sa croyance, toute capacité à voir le monde tel qu’il est, chez des gens intelligents et cultivés, cela reste pour moi un mystère.
               
              [Pour le bon chrétien découvrir que dieu n’existe pas, pour le fidèle stalinien découvrir le rapport Khrouchtchev, c’était bien pire que de reconnaître une erreur, c’était voir le monde s’effondrer autour de vous.]
              Oui… Sauf que le fait de croire que l’UE est notre avenir et que les États-Unis sont nos meilleurs amis n’empêchent pas vraiment le monde de s’effondrer. Alors ?

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« Rétrospectivement, je pense que le cynisme de mon grand-père m’a plus influencé que l’idéalisme de mon père… et m’a évité bien des déceptions ! » Je comprends cette vision des choses. D’un autre côté, j’ai parfois du mal à voir comment vous conciliez ce regard un peu désabusé sur le monde avec le fameux « optimisme méthodologique » que vous prônez.]

              Je crois que le secret réside dans le fait que j’ai une grande tendresse pour le genre humain. J’aime les gens, et je les aime tels qu’ils sont, avec leurs défauts, leurs mesquineries, leurs grandeurs et leurs misères. Je me souviens d’un préfet qui me disait « pour faire ce métier, il faut aimer les gens ». Je crois que c’est une devise qu’on pourrait mettre au fronton de toutes les institutions politiques. Il faut aimer les gens, et les aimer comme ils sont. A partir de là, vous acceptez les limites de votre action tout en posant comme principe qu’une amélioration est possible. Je n’ai jamais dit que « l’optimisme méthodologique » soit illimité, qu’il consiste à croire que tout est possible…

              [Je ne veux pas remuer le couteau dans la plaie, mais faisons le bilan : l’expérience soviétique que vous avez soutenue a échoué, l’État auquel vous avez voué votre énergie et votre talent est moribond (vous avez reconnu vous-mêmes avoir liquidé plus de projets que vous n’en avez lancés), la France ce pays que vous avez choisi et qui, d’une certaine manière, vous a choisi, n’est plus que l’ombre de ce qu’il était lorsque vous y êtes arrivé. Et vous me dites de surcroît que vous n’avez jamais eu la foi. Je vous admire de ne pas être plus désespéré…]

              Quelquefois, je m’admire moi-même…
              La encore, je crois que cela fait partie de la culture juive que m’ont transmis mes ancêtres, et qui leur a permis de survivre et d’être heureux dans les pires catastrophes. Comme dit le dicton yiddish, « quand on dort avec un malheur, on s’habitue ». Je crois que mon esprit est parfaitement résumé dans le « If » de Kipling (oui, je sais, c’est une référence étrange pour un communiste…).

              [« Ils font en général d’excellents experts, mais lorsqu’on les place dans des postes de direction ils font désastre sur désastre, parce qu’ils vivent dans un monde de logique et d’équations qui exclut la complexité des rapports humains. » On a l’impression que vous décrivez là des hauts potentiels atteints d’autisme (les fameux « Asperger »…).]

              Je ne dirais pas tous… mais certains sont à la limite de l’autisme.

              [« J’ai connu des zoologistes qui savaient vous expliquer comment les espèces avaient évolué par sélection naturelle, et qui ensuite allaient à la synagogue et proclamaient la gloire d’un dieu qui a créé Eve à partir d’une côte d’Adam. » Là, j’ai un peu plus de mal à vous suivre. Et d’abord qui vous dit que ces scientifiques « croyaient » à ce qu’ils disaient ou entendaient à la synagogue ? Peut-être certains d’entre eux y allaient-ils pour des raisons liées à la tradition, aux habitudes familiales.]

              Peut-être. Les limites entre la croyance et l’adhésion à un complexe social sont assez difficiles à définir. J’ai l’autre jour été aux obsèques d’un ami qui étaient célébrées dans une église. Au moment de l’élévation, certains participants se sont agenouillés. Se sont-ils agenouillés parce qu’ils croyaient être en présence du corps et du sang du Christ, ou bien par conformité avec une tradition ? Qui pourrait le dire ?

              [D’autres peut-être par souci d’entretenir un lien avec une communauté (ici religieuse). Et dans l’exemple que vous donnez, si foi il y a, elle peut même avoir un aspect esthétique : émerveillé par les beautés du vivant, par les mécanismes de l’évolution, je pourrais me dire que tout cela a été voulu. A côté du « Dieu omniprésent qui s’occupe de tout », certains – paraît-il – imaginent un Dieu « Grand architecte », créateur des lois de l’univers, qu’il laisse ensuite suivre son cours.]

              On peut toujours penser à un dieu horloger… mais cela exclut de croire les faits relatés par la bible.

              [Mais au-delà de ça, je pense qu’il faut distinguer trois choses : le fait de croire, le fait d’avoir envie de croire et le fait d’avoir intérêt à croire.]

              Je veux bien qu’on les distingue, mais vous admettrez qu’il a un rapport dialectique entre ces trois pôles…

              [Où se situent les europhiles béats ? Je me le demande. Vous allez trouver que je parle beaucoup de moi, et je m’en excuse, mais je suis le seul exemple que je peux véritablement disséquer. Il m’arrive d’avoir envie de croire. Par exemple, en 2022, j’ai eu envie de croire qu’Eric Zemmour allait changer la donne, et – sans forcément gagner mais grâce à un score important – obliger les autres partis à prendre à bras-le-corps le problème de l’immigration tout en menant une politique économique plus étatiste. Mais même à ce moment-là, j’avais conscience de me faire des illusions. Bref, j’avais envie de croire, mais sans y parvenir complètement.]

              J’aurais tendance à dire que vous n’aviez pas vraiment envie de croire. Autrement, vous auriez cru. Il ne faut pas confondre « l’envie de croire » et « l’envie qu’il en soit ainsi ». Vous aviez envie que Zemmour fasse toutes ces choses, vous n’aviez pas « envie de croire » qu’il les ferait. C’est très différent…

              [Pour la religion, là, je crois parce que j’y ai intérêt : j’y trouve d’abord une forme de consolation devant la mort des êtres chers, cela répond à un besoin, celui de penser que les personnes disparues, d’une certaine manière, maintiennent une forme de présence, et qu’un lien, si ténu soit-il, continue d’exister.]

              Mais là encore, c’est discutable. Personnellement, j’aurais autant intérêt que vous… et pourtant cela ne marche pas. J’ai été conscient de ce problème lorsque mon père est décédé. J’ai terriblement envié ceux qui sont capables de croire… mais cela n’a pas marché pour moi.

              [Ensuite, il y a l’aspect « identitaire » puisque le catholicisme est pour moi consubstantiel à l’identité culturelle de la France. Enfin, il y a l’aspect esthétique des lieux et de la liturgie, même si c’est de moins en moins le cas, avec un dépouillement quasi-protestant des églises modernes et une liturgie parfois un peu olé-olé, mais c’est un autre débat. Mais de tout cela, je suis parfaitement conscient, et notamment de la dimension somme toute bassement rationnelle de mes motivations à croire.]

              Là, on ne peut pas vraiment parler de « croyance ». Ce à quoi vous « croyez » ici, ce n’est pas à l’existence d’un dieu ou celle d’un rédempteur, mais à l’utilité d’un rite en tant que tel, pour sa valeur esthétique, pour sa capacité à rassembler. Et c’est là une croyance parfaitement rationnelle.

              [J’adhère assez à la définition de la foi qu’avait donnée Patrick Buisson dans un entretien (et que ne validerait peut-être pas un prêtre) : « la foi, c’est cinquante-neuf minutes de doute, et une minute où on se dit « ah oui, il y a quelqu’un là-haut » ». Je crois parce que, d’une certaine manière, l’alternative – à savoir qu’il n’y a pas de Dieu, que nous sommes le fruit du pur hasard, perdus sur une minuscule planète dans l’immensité de l’univers, que rien n’a de sens, que le bien n’est jamais récompensé ni le mal puni – me terrifie et m’est insupportable. Je ne parlerai pas de « fiction nécessaire » mais de « convention nécessaire ». Dieu existe-t-il ? Au fond, je ne peux en être sûr. Le message du Christ et certains signes sont troublants. Et je décide donc de faire comme si Dieu existait. C’est un pari en quelque sorte.]

              C’est d’une certaine manière le raisonnement pascalien. Je trouve votre réflexion très bien tournée, si vous me permettez ce compliment. Je ne sais disputerait pas le terme « convention » plutôt que « fiction » (bien que je penche pour le deuxième terme).

              [Mais comment peut-on croire des choses qu’on sait être absolument fausses ? On peut discuter éternellement pour savoir si Dieu existe. Certains diront qu’il n’existe pas, (…)]

              Ne prenons pas la question de l’existence de Dieu, puisqu’il s’agit d’une preuve négative qui, comme vous le savez, est impossible. Mais prenons la création du monde il y a six mille ans. Cela a été prouvé faux au-delà de tout doute raisonnable. Et pourtant, il y a beaucoup, beaucoup de gens qui y croient. Pour vous donner un exemple plus proche : on sait que l’homéopathie ne fonctionne pas. On le sait pour des raisons théoriques, on le sait parce que toutes les expériences en double aveugle, sans exception, ont conclu que cela ne marche pas. Et pourtant, allez dans n’importe quelle pharmacie et vous trouverez des gens en train d’acheter – fort cher – des granules homéopathiques…

              [Mais l’Union européenne ? L’UE n’est PAS une grande puissance, tout le monde peut le constater et, après le calamiteux « accord déséquilibré », je ne vois pas en quoi cela peut être contesté.(…)]

              Et personne ne le conteste. Mais on vous explique qu’elle POURRAIT être une grande puissance, qu’elle POURRAIT être prospère, qu’elle POURRAIT résoudre tous les problèmes si seulement on avait fait « plus d’Europe ». C’est le même raisonnement que celui des catholiques dévots qui s’interrogent pourquoi dieu leur envoie tant de malheurs malgré leurs prières, leurs sacrifices, leurs dons. La réponse est simple : parce qu’on n’en a pas fait assez. Priez plus, sacrifiez plus, donnez plus et tout s’arrangera…

              [Ce que je veux dire, c’est que lorsque la croyance mène à l’aveuglement total, et donc à une forme de fanatisme – et il y a aujourd’hui une russophobie fanatique, comme il y a une servilité fanatique à l’égard des États-Unis – la bêtise n’est jamais très loin. Qu’on éprouve le besoin de croire, je le comprends. Mais que ce besoin de croire annihile tout regard critique et honnête sur sa croyance, toute capacité à voir le monde tel qu’il est, chez des gens intelligents et cultivés, cela reste pour moi un mystère.]

              Pour moi aussi. Mais j’ai constaté ce mystère tellement souvent – et chez des gens cultivés et intelligents – que cela ne m’étonne plus.

  2. Cording1 dit :

    Je ne me souviens pas quand exactement Emmanuel Todd  a dit que l’Euope était partie chercher sa mort dans les plaines d’Ukraine. C’était bien vu, comme son dernier livre “La défaite de l’Occident”. 
    L’Europe n’a jamais été qu’un nain politique, d’autant plus en ce moment étant donné ses dirigeants.  l’Europe-puissance est une illusion de Védrine dont je pense que l’homme politique lucide qu’il est en est bien revenu. . 

    • Descartes dit :

      @ Cording1

      [Je ne me souviens pas quand exactement Emmanuel Todd a dit que l’Euope était partie chercher sa mort dans les plaines d’Ukraine. C’était bien vu, comme son dernier livre “La défaite de l’Occident”.]

      Je crains, malheureusement, que les nouvelles de la mort de l’UE soient grandement exagérées. Mais d’une certaine manière la crise ukrainienne a mis à nu la réalité des institutions européennes. Il est difficile aujourd’hui de ne pas voir que le roi est nu.

      [L’Europe n’a jamais été qu’un nain politique, d’autant plus en ce moment étant donné ses dirigeants. L’Europe-puissance est une illusion de Védrine dont je pense que l’homme politique lucide qu’il est en est bien revenu.]

      Probablement. L’Euro-optimisme des années 1990 est probablement mort en 2005 avec l’échec du traité constitutionnel. Difficile de ne pas voir que depuis cette date la machine s’est progressivement grippée, avec la montée en puissance chez les citoyens d’un sentiment de désenchantement, quand ce n’est pas de rejet pur et simple. C’est très clair pour ce qui concerne les couches populaires, qui sont largement revenues de l’idée d’une “Europe qui protège”. Mais la remise en question touche – et pour les eurolâtres c’est plus inquiétant – aussi les classes intermédiaires. Lorsqu’un Barnier en campagne tout à coup parle d’en finir avec la primauté du droit européen, c’est un signe intéressant.

      • Cording1 dit :

        Emmanuel Todd raisonne à long terme. Quand la guerre en Ukraine sera finie par la défaite et une paix bien plus proche des conditions russes qu’ukrainiennes nous connaîtrons la réalité du pouvoir ukrainien, de la situation réelle du pays, de sa conduite de la guerre. Comme est présumé avoir dit Clémenceau dans toute guerre la vérité est la première victime.  A ce moment-là une guerre civile éclatera, comme en Allemagne en 1918, entre ceux qui refusent les conditions de paix et les autres autrement dit les éléments ultranationalistes faibles électoralement mais forts dans l’appareil d’état dont dépend tout pouvoir dont celui de Zelinsky. Alors les peuples européens réaliseront les mensonges et illusions des principaux dirigeants européens qui, bellicistes en paroles mais sans moyens réels, ont été des pousse-au-crime au détriment des Ukrainiens. Et surtout l’agent allemand von der Leyen qui s’est attribué un rôle en dehors de sa compétence avec la complaisance des autres.  D’autant plus que l’UE a pris des paquets de sanctions totalement inefficaces et même boomerang à l’égard de tous les pays européens. 
        Sur X il y a une dizaine de compte pour suivre le cours de la guerre de façon bien plus lucide et raisonnable, toutes opinions confondues.  
        D’ici là et depuis 40 mois une insensée propagande ukrainienne et une russophobie délirante jamais vue au pire temps de la Guerre froide continuent encore. 

        • Descartes dit :

          @ Cording1

          [Emmanuel Todd raisonne à long terme. Quand la guerre en Ukraine sera finie par la défaite et une paix bien plus proche des conditions russes qu’ukrainiennes nous connaîtrons la réalité du pouvoir ukrainien, de la situation réelle du pays, de sa conduite de la guerre. Comme est présumé avoir dit Clémenceau dans toute guerre la vérité est la première victime.]

          Cela commence déjà. La précipitation du pouvoir ukrainien – il serait intéressant de savoir jusqu’à quel point l’initiative venait de Zelenski lui-même – pour faire voter une loi qui permettait d’assurer une certaine impunité à la corruption, et la manière dont il a dû reculer honteusement face à la pression internationale montre qu’on commence à ouvrir les yeux dans les capitales occidentales sur la réalité du pouvoir ukrainien, et qu’on n’est plus prêt à tout passer aux autorités ukrainiennes. Le fait que la justice allemande commence – deux ans après les faits – à enquêter sérieusement sur le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2 est aussi un signe des temps.

          [A ce moment-là une guerre civile éclatera, comme en Allemagne en 1918, entre ceux qui refusent les conditions de paix et les autres autrement dit les éléments ultranationalistes faibles électoralement mais forts dans l’appareil d’état dont dépend tout pouvoir dont celui de Zelensky.]

          Il est incontestable qu’un ennemi extérieur permet d’occulter les fractures de la société, de faire taire toute contestation sous prétexte de ne pas affaiblir l’effort de guerre. Et ces fractures se réveillent généralement avec une énergie décuplée dès l’arrêt des hostilités. C’est vrai chez les vaincus, c’est aussi vrai chez les vainqueurs : ni Churchill, ni Clemenceau, ni De Gaulle n’ont survécu longtemps au pouvoir une fois la paix retrouvée. Une guerre est traumatique pour tout le monde, et même lorsque la victoire est là on n’a pas envie de revoir les personnalités qui vous la rappellent.

          Si l’on se fonde sur l’histoire, l’avenir de Zelenski n’apparaît pas très brillant, quelque soient les conditions de la paix – et il y a de grandes chances que celles-ci soient très éloignées de celles que les Ukrainiens peuvent souhaiter. Par ailleurs, l’Ukraine va avoir un problème bien connu de tous les Etats qui ont conduit des guerres longues, qui est la réintégration des militaires à la vie civile. Une partie notable de la population a connu le champ de bataille, et cette expérience lui à permis de mener une vie aventureuse, de prendre des responsabilités importantes, de jouir d’une liberté absolue. Le retour à la paix, dans une société qui a ses règles et ses contraintes, risque d’être dur. On se souvient de De Gaulle passant en revue des officiers FFI et demandant à chacun sa profession : « instituteur », « commerçant », « étudiant », « fonctionnaire »… et mongénéral de conclure « et bien, il va falloir s’y remettre ».

          [Alors les peuples européens réaliseront les mensonges et illusions des principaux dirigeants européens qui, bellicistes en paroles mais sans moyens réels, ont été des pousse-au-crime au détriment des Ukrainiens.]

          Oui. Le sentiment du « tout ça pour ça », avec les sentiment que des gens sont morts pour rien, risque de se retourner contre tous ceux qui ont soutenu les positions maximalistes. Quant aux européens – et tout particulièrement la France – en faisant de la Russie un « ennemi irréconciliable » on s’est interdit ce qui faisait la force de la diplomatie gaullienne, à savoir, notre capacité à parler à tout le monde sans être inféodé à personne.

  3. xc dit :

    La raison de la présence du président finlandais à Washington: 
    https://www.courrierinternational.com/article/portrait-alexander-stubb-le-president-finlandais-fan-de-golf-qui-murmure-a-l-oreille-de-trump_233990
    Je ne me hasarderai pas à lui attribuer un rôle supérieur à celui de partenaire de golf.

  4. Bob dit :

    @ Descartes
     
    [Trump a joint la Finlande, on ne sait pas très bien pourquoi,]
     
    J’ai lu quelque part que le président Finlandais a fait une partie de ses études aux Etats-Unis mais surtout qu’il est, tout comme Trump, grand amateur de golf. Les deux se sont rencontrés sur un parcours appartenant à Trump, lequel aurait été impressioné par le niveau du Finlandais. Depuis, ils sont devenus amis, s’appellant régulièrement. Pour parler de golf ? ça, je ne sais pas.

    [La force de Trump, c’est de ne pas avoir des principes]
     
    Bien vu, et rarement dit. Un peu dans la même veine que lorsque vous dites qu’une faiblesse d’un politicien et de croire ce qu’il dit publiquement.
    A l’inverse, les Européens aiment à se présenter comme des parangons de vertu ; c’est d’une naïveté – à ce niveau de responsabilité, je dirais même un péché – confondante.
     
    [Poutine à mon sens l’a bien compris, et joue avec maestria les cartes qu’il a en main.]
     
    Alors que Zelenski n’en a pas, de cartes. C’est sans doute ce à quoi vous faites référence, on se souvient de l’invective trumpienne : “You don’t have the cards!”.

    • Descartes dit :

      @ Bob

      [« Trump a joint la Finlande, on ne sait pas très bien pourquoi, » J’ai lu quelque part que le président Finlandais a fait une partie de ses études aux Etats-Unis mais surtout qu’il est, tout comme Trump, grand amateur de golf. Les deux se sont rencontrés sur un parcours appartenant à Trump, lequel aurait été impressionné par le niveau du Finlandais. Depuis, ils sont devenus amis, s’appelant régulièrement. Pour parler de golf ? ça, je ne sais pas.]

      En tout cas, ça donne une idée du sérieux de l’affaire. On peut aussi noter que ni Costa, président du Conseil Européen – qui, rappelons-le, est l’instance de décision politique de l’Union, ni le premier ministre danois, qui assure la présidence tournante de l’UE, n’étaient présents. Curieux tout de même que pour une telle négociation l’Union européenne soit représentée par la présidente d’un organe purement administratif, et non par les décideurs politiques…

      [« Poutine à mon sens l’a bien compris, et joue avec maestria les cartes qu’il a en main. » Alors que Zelenski n’en a pas, de cartes.]

      En fait, Zelenski n’a qu’une carte en main, et c’est ce qu’on pourrait appeler la « logique de l’engagement ». La situation est la suivante : l’Union européenne s’est trop engagée derrière Zelenski pour pouvoir reculer maintenant. Les dirigeants européens peuvent difficilement aller devant leurs citoyens et expliquer qu’on a déversé des milliards dans le tonneau des Danaïdes en pure perte. Et après avoir clamé haut et fort que « le sort de l’Europe se joue en Ukraine » et que la défaite de Poutine est la seule alternative acceptable, difficile tout à coup d’accepter un compromis C’est d’ailleurs pourquoi, je pense, les dirigeants européens sont à ce point terrorisés par la possibilité que Trump arrive à conclure une paix à des conditions qui apparaîtraient comme une défaite de l’Ukraine.

      Zelenski a bien compris cette dynamique, et joue à fond sur cette corde sensible pour faire pression sur les européens. Et pour le moment, ça marche…

      [C’est sans doute ce à quoi vous faites référence, on se souvient de l’invective trumpienne : “You don’t have the cards!”.]

      La situation de Zelenski me rappelle la formule gaullienne : « nous sommes trop faibles pour pouvoir faire des compromis ». Je pense que Zelenski joue assez habilement le peu de cartes qu’il a. Son principal tort, c’est de s’être embarqué dans un processus qui conduisait à la guerre sans avoir les moyens de la gagner, en faisant peut-être trop confiance aux appuis occidentaux…

      • Bob dit :

        @ Descartes
         
        [La situation de Zelenski me rappelle la formule gaullienne : « nous sommes trop faibles pour pouvoir faire des compromis ».]
         
        La formule me semble parfait s’appliquer à Zelenski en effet.
         
        [Son principal tort, c’est de s’être embarqué dans un processus qui conduisait à la guerre sans avoir les moyens de la gagner, en faisant peut-être trop confiance aux appuis occidentaux…]
         
        Et surtout à celui des Américains, qui l’ont en quelque sorte berné. Dans cette tragédie ukrainienne, on voit bien que ce sont les seuls à tirer les marrons du feu.

        • Descartes dit :

          @ Bob

          [« Son principal tort, c’est de s’être embarqué dans un processus qui conduisait à la guerre sans avoir les moyens de la gagner, en faisant peut-être trop confiance aux appuis occidentaux… » Et surtout à celui des Américains, qui l’ont en quelque sorte berné. Dans cette tragédie ukrainienne, on voit bien que ce sont les seuls à tirer les marrons du feu.]

          Il sera intéressant de lire dans quelques années les travaux des historiens sur les raisons qui ont poussé Zelenski sur cette voie. On l’a un peu oublié, mais lors de son élection il était considéré par les chancelleries occidentales comme faisant plutôt partie du camp pro-russe. Il avait d’ailleurs déclaré pendant la campagne électorale sa volonté d’entrer en négociations avec le gouvernement russe pour trouver un « modus vivendi » acceptable pour tous. Comment en est-il arrivé à devenir au contraire le symbole de l’intransigeance vis-à-vis de la Russie et de l’adhésion acritique au « camp occidental » ?

          • Vincent dit :

            L’explication n’a rien de secret. Les chefs nationalistes lui ont annoncé, en face, et même dans des interviews publiées dans la presse, qu’il finirait pendu à un lampadaire de Kiev s’il essayait de respecter les accords de Minsk).
             
            Il a suffi qu’il accorde des sauf conduits aux responsables politiques des républiques séparatistes (afin de pouvoir les inviter à Kiev pour prendre langue) pour que les nationalistes mobilisent leurs troupes et manifestent à Kiev. Le message était clair. Et il a du retirer les sauf conduits aux séparatistes, qui n’ont jamais pu aller à Kiev.

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [Il a suffi qu’il accorde des sauf conduits aux responsables politiques des républiques séparatistes (afin de pouvoir les inviter à Kiev pour prendre langue) pour que les nationalistes mobilisent leurs troupes et manifestent à Kiev. Le message était clair. Et il a du retirer les sauf conduits aux séparatistes, qui n’ont jamais pu aller à Kiev.]

              Auriez-vous une référence ?

      • maleyss dit :

        [l’Union européenne s’est trop engagée derrière Zelenski pour pouvoir reculer maintenant. Les dirigeants européens peuvent difficilement aller devant leurs citoyens et expliquer qu’on a déversé des milliards dans le tonneau des Danaïdes en pure perte. ]
        Croyez-vous que les citoyens vont longtemps être victimes de cette “sunk cost fallacy”, plus connue sous les espèces de l’aphorisme “In for a penny, in for a pound”. Surtout dans les temps de restrictions budgétaires tous azimuts que nous vivons ?

        • Descartes dit :

          @ maleyss

          [Croyez-vous que les citoyens vont longtemps être victimes de cette “sunk cost fallacy”, plus connue sous les espèces de l’aphorisme “In for a penny, in for a pound”. Surtout dans les temps de restrictions budgétaires tous azimuts que nous vivons ?]

          Si l’on se fie à l’histoire, on peut constater que seul un désastre peut mettre fin à la « logique de l’engagement ». Je vais vous raconter une anecdote personnelle : lorsque j’ai eu mon premier poste de chef de service, en regardant les activités de chacun des laboratoires sous ma responsabilité je me suis aperçu qu’il y avait un projet qui végétait depuis des années. Il s’agissait d’une expérience mal conçue, mal construite, l’appareil marchait mal et il y avait peu de chances de pouvoir le remettre à flot à un coût raisonnable, et même l’équipe qui s’en occupait en avait marre.

          J’ai donc proposé à mon directeur d’arrêter les frais. Il n’y avait que des avantages : on pouvait récupérer l’argent du fonctionnement pour faire autre chose de plus intéressant, l’équipe en question grognerait peut-être un peu mais serait au fond ravi que quelqu’un prenne la décision d’arrêter… mon directeur me regarda d’un air triste et me dit « mon jeune ami, nous avons dépensé 20 millions dans cette expérience, il faut continuer. C’est la logique de l’engagement, comme à Dien Bien Phu ». Ingénu que j’étais à l’époque, je n’avais pas compris que les gens qui avaient lancé cette expérience et qui l’avaient conçue dix ou quinze ans auparavant étaient des gens très importants, qui à ce moment-là occupaient des positions de pouvoir fort enviables. Arrêter l’expérience, c’était mettre en lumière leurs erreurs…

          La guerre d’Indochine, donnée en exemple par mon directeur de l’époque, est un excellent exemple. Il a fallu le désastre de Dien Bien Phu pour qu’on arrête les frais. Et en Ukraine, ce sera probablement pareil. Le coût symbolique d’un renoncement pour les « gens très importants » qui ont conduit l’Europe ces dernières années est trop important. Ou alors, il faudra un changement radical du personnel politique, pour permettre à des nouveaux arrivants qui n’ont pas participé aux décisions de renverser la vapeur – un peu comme le fait Trump.

          • P2R dit :

            @ Descartes
             
            [Le coût symbolique d’un renoncement pour les « gens très importants » qui ont conduit l’Europe ces dernières années est trop important. Ou alors, il faudra un changement radical du personnel politique, pour permettre à des nouveaux arrivants qui n’ont pas participé aux décisions de renverser la vapeur – un peu comme le fait Trump.]
             
            Qu’est-ce qui vous fait croire que face à des concessions contraintes et forcées à la Russie, un Macron ne s’autoriserait pas une énième fois un discours retournant la défaite en victoire du type “La situation aurait été pire si on avait rien fait, et les chars russes seraient dans nos rues ” ? Après tout, pourquoi cette stratégie qui “marche” (auprès de son électorat, j’entends) avec l’économie, la santé, l’éducation, la justice etc. ne marcherait pas avec la guerre ?

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [Qu’est-ce qui vous fait croire que face à des concessions contraintes et forcées à la Russie, un Macron ne s’autoriserait pas une énième fois un discours retournant la défaite en victoire du type “La situation aurait été pire si on avait rien fait, et les chars russes seraient dans nos rues ” ?]

              Il essaiera certainement. Mais selon la nature de l’arrangement qui sera trouvé entre Trump et Poutine, cette argumentation sera plus ou moins crédible. On pourrait imaginer qu’on arrive à un accord qui sauve la face des européens, qui leur permet de tenir le discours auquel vous faites référence sans se ridiculiser. Cependant, je n’ai pas l’impression que Trump veuille faire un effort particulier pour permettre aux européens de sauver la face. Il se pourrait donc que la solution trouvée soit humiliante pour ces derniers, auquel cas il sera difficile d’occulter l’ampleur de la défaite. Je pense que c’est d’ailleurs ce que les eurolâtres redoutent…

              [Après tout, pourquoi cette stratégie qui “marche” (auprès de son électorat, j’entends) avec l’économie, la santé, l’éducation, la justice etc. ne marcherait pas avec la guerre ?]

              Ca marche de moins en moins… même auprès de son électorat !

  5. Cyril45 dit :

    Bonjour Descartes,
    ” Au contraire, les Américains sont parfaitement pragmatiques : ils ont poussé l’Ukraine à traverser les lignes rouges en sachant pertinemment que la réaction de la Russie serait probablement la guerre, parce que cela permettait d’affaiblir la Russie, mais aussi – et cela les Européens et notamment les Allemands ne l’ont pas vu venir – l’économie européenne. ”
    Excellente analyse, tout comme l’ensemble. Merci pour la clarté du propos. Et pour ajouter une note d’humour, je pense que Iossif Vissarionovitch Djougachvili aurait pu ajouter : L’Europe, combien de divisions !
    Cordialement. Cyril
     

  6. Sami dit :

    “auxquelles Trump a joint la Finlande, on ne sait pas très bien pourquoi,”
     
    Il me semble que la raison en est que le 1er Ministre Finlandais est un bon compagnon de golf (le jeu) à Trump. Soit Trump l’a invité personnellement, soit les chefs Européens l’ont amené dans leurs bagages en espérant amadouer Trump par le biais de sa passion de golfiste impénitent… 
    C’est dire le sérieux de l’affaire

    • Descartes dit :

      @ Sami

      [C’est dire le sérieux de l’affaire]

      Ca… il faut aussi noter que les Danois, qui pourtant assurent la présidence tournante de l’Union, n’ont pas été invités. Peut-être pour éviter d’exciter Trump à propos du Groenland ? Là encore, on voit à quelles extrémités de flagornerie les européens sont prêts à aller pour éviter d’indisposer le président américain. Il est tout de même curieux que l’Union européenne soit représentée non pas par une autorité politique, mais par une autorité purement administrative…

      • Bob dit :

        @ Descartes
         
        [Il est tout de même curieux que l’Union européenne soit représentée non pas par une autorité politique, mais par une autorité purement administrative…]
         
         
        Plus que curieux, aberrant. 
        ”L’Europe, quel numéro de téléphone ?” disait Kissinger en 1970. Les choses ont peu évolué. 

  7. Bob dit :

    @ Descartes
     
    [il est clair qu’à l’heure de discuter des affaires du monde, Trump considère Poutine comme son égal. Lui, on ne le fait pas poireauter dans une salle de réunion en attendant que Trump se libère, le président lui-même l’accueille sur le tapis rouge à la descente de son avion et l’invite à monter dans sa voiture.]
     
     C’est encore plus fort : “Le 18 août dernier, il [Trump] n’a pas hésité à interrompre sa rencontre avec Volodymyr Zelensky et les sept dirigeants européens pour avoir un échange téléphonique avec Vladimir Poutine, dans le but d’organiser une rencontre entre les présidents russe et ukrainien”.
     
    https://www.franceinfo.fr/monde/usa/presidentielle/donald-trump/devant-des-journalistes-donald-trump-se-targue-de-se-faire-appeler-le-president-de-l-europe_7455628.html

  8. Frank dit :

    Avec cette affaire ukrainienne, les faiblesses structurelles de l’UE et un certain nombre de mensonges éhontés relatifs à la construction européenne Maastrichtienne (soi-disant gage de prospérité, de puissance et de paix…) ont été mis en évidence avec la plus grande clarté. Vous l’avez très bien montré, dans ce dernier texte et ailleurs.
     
    La véritable question est : le Roi est-il nu pour autant ?
     
    Tout porte à croire que la réponse est, malheureusement, non. Il y a une barrière psychologique très élevée qui empêche les gens de voir les choses telles qu’elles sont, même lorsque ces choses s’étalent devant eux on ne peut plus clairement.
     
    Tant que l’effondrement n’aura pas des conséquences véritablement tangibles, le Roi ne sera pas nu.
     
    Jusqu’ici, l’humiliation se passe à la TV, dans les chancelleries, dans le bureau oval. C’est symboliquement violent mais les gens se sont habitués à ce que les symboles soient piétinés. Beaucoup aiment ça, en fait, ça s’appelle la haine de soi. 
     
    À mon avis, le Roi sera nu lorsqu’il sera beaucoup trop tard.
     
    Il faudrait se lever, mais comment ?

    • Descartes dit :

      @ Frank

      [La véritable question est : le Roi est-il nu pour autant ? Tout porte à croire que la réponse est, malheureusement, non. Il y a une barrière psychologique très élevée qui empêche les gens de voir les choses telles qu’elles sont, même lorsque ces choses s’étalent devant eux on ne peut plus clairement.]

      Oui, le roi est nu, et comme vous le signalez, la question de la prise de conscience de ce fait se pose. Je suis moins pessimiste que vous. Je pense que la conscience du caractère inutile – au mieux – et néfaste – au pire – de la construction maastrichienne est de plus en plus répandue. En témoigne la quasi-disparition des discours eurolâtres dans les institutions. Il y a quelques années, on voyait dans les couloirs des institutions les plus vénérables des affichettes du genre « l’Europe est notre avenir », et au Parlement des voix – celle de Mélenchon, pour ne pas aller plus loin – expliquaient que bientôt la France se fondrait dans un ensemble fédéral, que les couches populaires en tireraient le plus grand avantage, et que c’était très bien ainsi. Qui tiendrait aujourd’hui ce genre de propos ?

      Il reste cependant une « barrière psychologique », et elle est de taille. On a pris conscience des ravages provoqués par la logique maastrichienne, mais on n’arrive pas – ou on n’ose pas – penser en dehors d’elle. Si les idées souverainistes n’ont pas plus de succès, c’est parce que les gens ont peur – une peur régulièrement entretenue par les eurolâtres, d’ailleurs – de ce qui se passerait si on remettrait en question le dogme. On peut rapprocher ce débat de celui qui a eu lieu lorsque les Anglais se proposent d’exécuter Charles Ier en 1649, de celui qui a lieu dans la Convention lorsqu’il s’agit de couper la tête de Louis XVI. Le roi est à l’époque la clé de voute du système politique, et il tient ce rôle de Dieu, à travers l’onction. L’exécuter, c’est d’une certaine manière corriger la copie de Dieu. Et une fois qu’on aura fait cela, serait-on capable de reconstruire un système politique ? Un gouvernant qui n’aura plus l’onction divine peut-il jouir d’une légitimité suffisante ?

      La réponse à ces questions, on la connaît. Elle est positive. Mais il a fallu beaucoup d’efforts et pas mal de sang pour trouver une alternative fonctionnelle. Et bien, la sortie de l’Union européenne – et ce qui est plus nécessaire encore, la sortie du système idéologique qui a rendu la construction européenne possible – est un saut dans l’inconnu. Serions-nous capables de nous gouverner nous-mêmes sans nous reposer sur Bruxelles ? Serions-nous capables de gérer nos frontières, notre défense, notre monnaie, sans que Bruxelles nous explique comment faire ?

      • Bob dit :

        @ Descartes
         
        [Serions-nous capables de nous gouverner nous-mêmes sans nous reposer sur Bruxelles ? Serions-nous capables de gérer nos frontières, notre défense, notre monnaie, sans que Bruxelles nous explique comment faire ?]
         
        Ces questions de la plus haute importance ne sont pas que rhétoriques j’imagine.
        Qu’y répondez-vous ?

        • Descartes dit :

          @ Bob

          [« Serions-nous capables de nous gouverner nous-mêmes sans nous reposer sur Bruxelles ? Serions-nous capables de gérer nos frontières, notre défense, notre monnaie, sans que Bruxelles nous explique comment faire ? » Ces questions de la plus haute importance ne sont pas que rhétoriques j’imagine. Qu’y répondez-vous ?]

          Non, elles ne sont pas rhétoriques, et comme vous l’aurez deviné, ce sont des questions qui me passionnent. Etant moi-même ce qu’on appelle un « technocrate » – le mot n’est pas pour moi méprisant, vous pouvez-mettre « sachant » si vous préférez – je rendrai bien mal ce que ce pays m’a donné en me payant mes études si je ne cherchais à apporter ma petite pierre à la réflexion sur ces questions.

          Je pense qu’il y a deux volets à cette affaire. Il y a la « capacité » au sens d’avoir les gens qui ont les compétences techniques pour gérer ces questions éminemment compliquées, et il y a la question de la volonté, des élites mais aussi du peuple tout entier à voir prendre ces affaires à bras le corps.

          Pour ce qui concerne le premier point, je vous avoue que je m’interroge. La haute fonction publique française a beaucoup perdu en compétences ces trente ou quarante dernières années. C’est que l’administration est, paraphrasant Napoléon, « un art tout d’exécution ». Les fondateurs de l’ENA, Maurice Thorez et Michel Debré, en étaient d’ailleurs convaincus : il fallait former les hauts-fonctionnaires par la pratique, sur le terrain, par la confrontation avec la réalité administrative – et c’est pourquoi l’ENA faisait une place aussi importante aux stages de terrain. Or, cette pratique, la fonction publique française l’a de moins en moins. Les derniers fonctionnaires du Trésor qui ont eu à gérer la politique monétaire sont en train de partir à la retraite. Dans beaucoup de domaines de la politique publique, on se contente de mettre en œuvre les directives de Bruxelles, et les compétences « pratiques » de nos fonctionnaires sont plus dans le domaine de la négociation européenne que d’une véritable conception et mise en œuvre d’une politique autonome. Les privatisations ont fait que nos corps techniques sont composés d’ingénieurs qui ont une formation théorique impeccable, mais dont l’expérience est essentiellement bureaucratique. Peu d’entre eux ont dirigé un chantier ou bâti une usine, comme le conseillait Georges Besse à des jeunes ingénieurs. Il n’y a en fait que le corps préfectoral qui échappe à ce problème, parce que de par ses fonctions il est près du terrain et relativement loin des services centraux à Paris…

          Plus profondément, les hauts cadres de l’Etat ont été formés à l’obéissance plus qu’à la pensée autonome. En 1981, un directeur d’administration était le seigneur de son château, capable de faire tourner sa direction de manière presque autonome. Il recevait bien entendu des directives générales du ministre, et lui rendait compte. Mais pour les détails et la mise en oeuvre, il prenait les décisions et en assumait les responsabilités. Et si le ministre ne lui faisait pas confiance, il pouvait toujours le virer et mettre quelqu’un d’autre à sa place. La méfiance de Mitterrand envers la haute administration a changé la donne. Depuis 1981, chaque directeur est « marqué à la culotte » par un membre de cabinet ministériel, et on recherche surtout des gens obéissants, qui acceptent de soumettre toute décision au bon vouloir du cabinet. Après trente ans de ce type de fonctionnement, le profil des directeurs a beaucoup changé… seraient-ils capables de revenir à une pensée autonome ? Je ne saurais le dire.

          Ma conviction est que si demain on devait reprendre le gouvernail chez nous, il faudrait former une nouvelle génération de cadres de l’Etat, capables de prendre des décisions et d’en assumer les risques. Je me souviens de l’intervention d’un journaliste membre d’un jury de concours lors du colloque organisé pour les 60 ans de l’ENA. Il remarquait que les candidats qu’il avait testé étaient bien élevés, bien formés, mais « qu’ils n’étaient pas conscients que lorsqu’on est haut fonctionnaire, on prend des coups, et parfois, on en donne ». Je crois que la formule illustre parfaitement le problème. Beaucoup de nos hauts fonctionnaires ont peur. Peur de s’engager, peur de prendre des risques – il est vrai que dans la haute fonction publique, la prise de risque ne paye pas : si ça marche, vous n’aurez pas grande chose, si ça ne marche pas, vous vous faites descendre. C’est toute une culture qu’il faut retrouver.

          Reste la question de la volonté. Est-ce que nos concitoyens sont prêts à soutenir leurs institutions dans cette quête d’autonomie ? Sont-ils prêts à préférer le risque d’une politique conduite depuis Paris plutôt que la (fausse) sécurité que procurent les institutions européennes ? Sur ce point, votre réponse vaut bien la mienne…

          • Bob dit :

            @ Descartes
             
            C’est une réponse limpide.
            Sur le plan de la “capacité”, votre “retour d’expérience(s)” est très intéressant… mais aussi un peu déprimant tant il présente en creux un chantier assez énorme de “reformation” des esprits. Et quand bien même ce dernier serait mis en oeuvre, on voit qu’il ne pourrait commencer à porter ses fruits que dans un temps assez lointain. Il n’invite pas à l’optimisme.
             
            Quant au volet de la “volonté”, je ne sais pas si ma réponse vaut la vôtre, la mienne étant que je n’en ai aucune idée.

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [t quand bien même ce dernier serait mis en oeuvre, on voit qu’il ne pourrait commencer à porter ses fruits que dans un temps assez lointain. Il n’invite pas à l’optimisme.]

              Pas forcément. Pensez à la vitesse avec laquelle la Révolution puis l’Empire ont su former et promouvoir des élites capables de gérer les institutions nouvelles. Lorsqu’il y a la volonté, ça peut aller très vite. A côté des hauts-fonctionnaires frileux, vous trouverez pas mal de jeunes qui “en veulent”.

              [Quant au volet de la “volonté”, je ne sais pas si ma réponse vaut la vôtre, la mienne étant que je n’en ai aucune idée.]

              Là encore, je pense que nous vivons dans une société peureuse, où les individus ont tendance à se noyer dans un verre d’eau. Hier, une femme à qui on passait la main aux fesses vous appliquait un double soufflet qui vous retournait la figure, aujourd’hui il lui faut l’aide d’une cellule psychologique pendant quelques années pour “pouvoir se reconstruire”. On imagine mal aujourd’hui des centaines de jeunes français abandonnant études, famille, confort pour aller rejoindre Londres sur un bateau de pêche.

          • Bob dit :

            @ Descartes
             
            [Pas forcément. Pensez à la vitesse avec laquelle la Révolution puis l’Empire ont su former et promouvoir des élites capables de gérer les institutions nouvelles. Lorsqu’il y a la volonté, ça peut aller très vite]
             
            C’est juste.
             
             
            [A côté des hauts-fonctionnaires frileux, vous trouverez pas mal de jeunes qui “en veulent”.]
             
            Espérons qu’ils gardent cet état d’esprit, et accessoirement qu’ils soient nombreux à vous lire.

      • Frank dit :

        [Oui, le roi est nu]
        Pour moi, «le Roi est  nu» uniquement lorsque les gens qui le voient admettent qu’il est nu; c’est, me semble-t-il, le sens de cette histoire. Et donc non, le Roi Union Européenne n’est pas encore nu…
        [Serions-nous capables de nous gouverner nous-mêmes sans nous reposer sur Bruxelles ? Serions-nous capables de gérer nos frontières, notre défense, notre monnaie, sans que Bruxelles nous explique comment faire ?]
        Je pense que comparer quelques décennies d’Europe maastrichienne avec 1000 ans d’Ancien Régime est osé. Le saut vers l’inconnu que représente l’assassinat de Louis XVI est vertigineux, celui que représenterait l’élimination de l’UE n’est qu’un saut de puce en comparaison. Il existe encore pas mal de gens vivants et en bonne santé qui se rappellent très bien de l’époque où on pouvait se gouverner seul et où nous gérions très bien  nos frontières, notre défense, notre monnaie, etc. 
        La barrière psychologique reste très très grande…

        • Descartes dit :

          @ Frank

          [« Pour moi, « le Roi est nu » uniquement lorsque les gens qui le voient admettent qu’il est nu; c’est, me semble-t-il, le sens de cette histoire.]

          Non, justement. La fable ne prend tout son sens que parce qu’il y a un décalage entre le fait objectif – le roi est EFFECTIVEMENT nu – et son expression. Parce que les courtisans SAVENT que le roi est nu. Ils voient bien qu’il ne porte pas d’habit. Lorsque l’innocent crie que le roi est nu, ils n’apprennent rien de nouveau. Seulement, ils n’osaient pas dire ce qu’ils voyaient. Le cri de l’enfant ne change pas la réalité, seulement la capacité des gens à l’exprimer.

          [« Serions-nous capables de nous gouverner nous-mêmes sans nous reposer sur Bruxelles ? Serions-nous capables de gérer nos frontières, notre défense, notre monnaie, sans que Bruxelles nous explique comment faire ? » Je pense que comparer quelques décennies d’Europe maastrichienne avec 1000 ans d’Ancien Régime est osé.]

          Je ne compare pas avec « 1000 ans d’Ancien régime », mais seulement avec sa dernière séquence, celle de la « monarchie de droit divin ». Contrairement à ce que vous semblez penser, l’idée que le monarque tient son rôle de dieu n’est pas aussi ancienne que cela. Mais même si l’Europe maastrichienne n’a pas les quelques siècles pendant lesquels la monarchie de droit divin a exercé son pouvoir, elle a franchi quand même un seuil important : avec plus de trente ans d’existence, elle a dépassé la durée d’une génération. Autrement dit, il y a une génération de jeunes adultes qui n’a pas connu autre chose. D’ici une dizaine d’années, nos élites politiques, économiques, sociales seront composées presque exclusivement de gens qui n’ont pas expérimenté ce que veut dire d’être indépendant. Culturellement, c’est un saut très important, parce que pour ces gens la logique de la construction européenne apparaîtra comme « naturelle ». C’est pourquoi il est aussi important à mon sens d’enseigner aux jeunes générations l’histoire de la France « avant Maastricht ».

          [Le saut vers l’inconnu que représente l’assassinat de Louis XVI est vertigineux,]

          Oui et non. Les révolutionnaires de 1789 savaient que les révolutionnaires anglais de 1649 avaient coupé la tête du roi, et que le ciel ne leur était pas tombé sur la tête. Au fond, l’exécution de Charles est un saut bien plus « vertigineux » que celle de Louis…

          [celui que représenterait l’élimination de l’UE n’est qu’un saut de puce en comparaison. Il existe encore pas mal de gens vivants et en bonne santé qui se rappellent très bien de l’époque où on pouvait se gouverner seul et où nous gérions très bien nos frontières, notre défense, notre monnaie, etc.]

          Pas tant que ça, finalement. Les gens qui avaient 20 ans lors de la signature de l’Acte Unique – qui préfigure l’Europe de Maastricht ont aujourd’hui 60 ans, ceux qui avaient 20 ans à la signature du traité de Maastricht, 54. Dans dix ans, tous ces gens seront à la retraite…

          • Frank dit :

            [Non, justement. La fable ne prend tout son sens que parce qu’il y a un décalage entre le fait objectif – le roi est EFFECTIVEMENT nu – et son expression. Parce que les courtisans SAVENT que le roi est nu. Ils voient bien qu’il ne porte pas d’habit. Lorsque l’innocent crie que le roi est nu, ils n’apprennent rien de nouveau. Seulement, ils n’osaient pas dire ce qu’ils voyaient. Le cri de l’enfant ne change pas la réalité, seulement la capacité des gens à l’exprimer.]
            Vous avez raison, dans le fond; j’ai une déformation professionnelle qui me fait voir les choses autrement (mais ça ne change rien au final). Pour moi, tant que la chose n’est pas «actée» par un observateur, elle n’existe pas. Bien sûr, dans le cas du Roi, ou de l’UE, c’est un fait objectif que la chose est nue indépendamment de toute observation. Mais en pratique, si personne ne veut le voir, tout se passe comme si la chose n’était pas nue. Dans la fable, au moment où l’enfant crie «le Roi est nu», plus personne ne peut prétendre qu’il est habillé. Ce que je voulais dire dans mon message, c’est que nous ne sommes pas arrivés à ce stade avec l’UE. La majorité des gens continuent de croire, ou de faire semblant de croire, que tout va bien et je crois qu’il faudra une vraie catastrophe avec des effets néfastes bien tangibles pour que les choses puissent changer…
            [Pas tant que ça, finalement. Les gens qui avaient 20 ans lors de la signature de l’Acte Unique – qui préfigure l’Europe de Maastricht ont aujourd’hui 60 ans, ceux qui avaient 20 ans à la signature du traité de Maastricht, 54. Dans dix ans, tous ces gens seront à la retraite…]
            Tout à fait d’accord. Il est urgent, urgentissime, d’agir. Notre génération est la dernière qui a les moyens intellectuels d’agir. 

            • Descartes dit :

              @ Frank

              [Pour moi, tant que la chose n’est pas « actée » par un observateur, elle n’existe pas.]

              C’est quand même un mode de pensée dangereux, puisque cela revient à nier l’existence d’une réalité objective, indépendante de l’observateur.

              [Bien sûr, dans le cas du Roi, ou de l’UE, c’est un fait objectif que la chose est nue indépendamment de toute observation. Mais en pratique, si personne ne veut le voir, tout se passe comme si la chose n’était pas nue.]

              Pas tout à fait. Si je saute par la fenêtre, le fait d’être convaincu que la gravité n’existe pas ne m’évite pas de m’écraser quand même. Le fait que le « roi européen » soit nu a des effets quotidiennement sur notre vie, même si nous refusons d’acter sa nudité. Pour le dire autrement, non seulement la réalité existe indépendamment de nous, mais ses effets s’exercent même si nous l’ignorons. C’est d’ailleurs comme cela qu’on définit la réalité : « la réalité, c’est ce qui demeure quand on a cessé de croire ».

              [Dans la fable, au moment où l’enfant crie «le Roi est nu», plus personne ne peut prétendre qu’il est habillé. Ce que je voulais dire dans mon message, c’est que nous ne sommes pas arrivés à ce stade avec l’UE. La majorité des gens continuent de croire, ou de faire semblant de croire, que tout va bien et je crois qu’il faudra une vraie catastrophe avec des effets néfastes bien tangibles pour que les choses puissent changer…]

              Je suis moins pessimiste que vous. Oui, on continue – et c’est particulièrement vrai chez les élites – de faire semblant d’y croire. On continue à sacrifier périodiquement sur les autels… mais la croyance, la vraie, n’y est plus. Je ne connais pas votre âge, et je ne sais si vous avez vécu l’époque Mitterrand-Delors, quand même les trotskystes réformés du genre Mélenchon défendaient passionnément l’idée d’une Europe fédérale dont le traité de Maastricht devait être le premier pas. Voici ce qu’il déclarait à la tribune du sénat le 9 juin 1992 : « Le fil noir de l’intégration serait, a-t-on dit, un projet sans flamme ; on vérifie une fois de plus que la flamme ne s’allume pas aux mêmes objets pour tous ! Mais l’intégration représente un plus pour nous ; la construction de la nation européenne est un idéal qui nourrit notre passion. Nous sommes fiers, nous sommes heureux de participer à cette construction. Nous sommes fiers de savoir qu’il va en résulter des éléments de puissance, qu’un magistère nouveau va être proposé à la France, à ma génération, dans le monde futur, qui est monde en sursis, injuste, violent, dominé pour l’instant pas une seule puissance. Demain, avec la monnaie unique, cette monnaie unique de premier vendeur, premier acheteur, premier producteur, représentant la première masse monétaire du monde, l’Europe sera aussi porteuse de civilisation, de culture, de réseaux de solidarité, comme aujourd’hui le dollar porte la violence dans les rapports simples et brutaux qu’entretiennent les Etats-Unis d’Amérique avec le reste du monde. »

              Et ce n’est là qu’un échantillon de la prose que les Deloro-Mitterrandiens ont produit à l’époque, pleine de lyrisme et de lendemains (européens) qui chantent. Trente ans plus tard, personne n’oserait tenir ces propos, parce qu’ils sont tellement en décalage avec la réalité expérimentée par les gens qu’il se ridiculiserait en les tenant. Oui, nos élites continuent à aller à la messe européenne, mais la croyance n’y est pas. Le vin reste vin, le pain reste pain. Et si l’on n’ose pas le dire, c’est parce que cela obligerait à des aveux douloureux. Pourquoi croyez-vous qu’à LFI – que ce soit dans les débats, dans les documents, dans les discours – il soit absolument interdit de mentionner le traité de Maastricht ?

            • delendaesteu dit :

               
              @descartes
              “Oui, nos élites continuent à aller à la messe européenne, mais la croyance n’y est pas. Le vin reste vin, le pain reste pain. Et si l’on n’ose pas le dire, c’est parce que cela obligerait à des aveux douloureux. ”
              Je n’en suis aussi sûr que vous, avez-vous lu la dernière tribune dans Libé de l’inénarrable Bernard GUETTA ?
              A ce niveau d’aveuglement et de federatie, Jacques Benoist-Méchin pourrait passer pour un patriote .
               

            • Descartes dit :

              @ delendaesteu

              [Je n’en suis aussi sûr que vous, avez-vous lu la dernière tribune dans Libé de l’inénarrable Bernard GUETTA ?]

              Une partie, je ne peux pas lire tout parce que c’est réservé aux abonnés. Mais Bernard Guetta représente une génération sur le départ, comme Cohn Bendit ou Mélenchon. Guetta est un ancien trotskyste, soixante-huitard, reconverti dans l’eurolâtrie Deloro-Mélenchonienne. Pour lui, l’Europe est une sorte de religion. Mais je doute que son discours trouve beaucoup d’émules. Qui, parmi les quadras ou les quinquas, oserait écrire pareilles fadaises ?

  9. bourik dit :

    Excellente analyse, comme souvent!

  10. MJJB dit :

    Tant que nos classes dirigeantes pourront continuer à tirer leurs marrons du feu, il n’y a aucune raison de croire que quoi que ce soit pourra véritablement changer. Quel est l’intérêt des classes dirigeantes ? De persévérer dans leur être, c’est-à-dire de continuer à diriger. La soumission à l’étranger (l’UE, l’OTAN, “Daddy Trump”), c’est le mécanisme qui leur permet de continuer à exister en tant que classe, c’est-à-dire de ne pas être balayé comme l’aristocratie lors de la Révolution de 1789. Ces gens-là préfèrent un champ de ruines, sur lequel ils pourront continuer à régner, qu’un pays prospère, dont il ne détiendraient plus exclusivement les clés.
     
    Et d’ailleurs, si les choses devaient “changer”, changeraient-elles réellement ? Car qu’appelle-t-on “changer”, au fond ? Prenons garde, à ce que nos classes dirigeantes, une fois réveillées de leur sommeil dogmatique, le dos au mur, ne fassent “tout changer, pour que rien ne change”…

    • Descartes dit :

      @ MJJB

      [Tant que nos classes dirigeantes pourront continuer à tirer leurs marrons du feu, il n’y a aucune raison de croire que quoi que ce soit pourra véritablement changer. Quel est l’intérêt des classes dirigeantes ? De persévérer dans leur être, c’est-à-dire de continuer à diriger. La soumission à l’étranger (l’UE, l’OTAN, “Daddy Trump”), c’est le mécanisme qui leur permet de continuer à exister en tant que classe, c’est-à-dire de ne pas être balayé comme l’aristocratie lors de la Révolution de 1789. Ces gens-là préfèrent un champ de ruines, sur lequel ils pourront continuer à régner, qu’un pays prospère, dont ils ne détiendraient plus exclusivement les clés.]

      Je ne partage pas ce type d’analyse, qui fait de la volonté de domination le moteur de l’histoire. Non, en dernière instance le comportement des classes sociales est gouverné par leurs intérêts économiques. C’est pourquoi la bourgeoisie européenne préfère finalement une vassalisation « raisonnable », qui lui permet de s’enrichir à l’ombre de la puissance américaine, plutôt qu’une coûteuse indépendance. Ce n’est que lorsqu’un Trump – arrivé au pouvoir, ne l’oublions pas, grâce au vote des cols bleus, à qui il est obligé de donner quelque chose en échange – menace de lui tondre la laine sur le dos au-delà du raisonnable qu’elle commence à réagir.

      La « domination » n’est jamais un but en soi pour une classe. Le but, c’est de s’enrichir. La domination, c’est le moyen qui lui permet d’extraire une partie de la richesse produite par les autres classes sociales à son bénéfice. Bien sûr, dans un monde statique les classes dominantes peuvent « persévérer dans leur être » sans se transformer. Mais le monde n’est pas statique : les transformations technologiques font que les rapports de force évoluent en permanence. Certains instruments de domination sont devenus obsolètes, d’autres les remplacent. Certaines activités qui offraient les meilleurs profits se dévaluent, d’autres, qui nécessitent de nouvelles organisations du travail, les remplacent. Les classes dominantes se fracturent aussi suivant des lignes d’intérêt toujours changeantes…

      Prenez l’exemple de l’intelligence artificielle. Même si je ne crois pas aux discours apocalyptiques selon lesquels elle bouleversera notre vie, il est clair qu’elle pourra remplacer le travail humain dans des fonctions « intellectuelles », de la même manière que les métiers Jacquard ont remplacé le travail purement manuel des tisserands. Et de la même manière que les artisans tisserands ont vu leur « capital immatériel » dévalué par l’arrivée du métier mécanique, une partie des classes intermédiaires va voir son « capital immatériel » dévalué par l’arrivée de l’IA. C’est par exemple évident dans les professions juridiques, et notamment dans les pays ou le droit est construit sur le précédent. Aujourd’hui, on rémunère grassement l’avocat qui sait retrouver dans le passé le précédent qui convient. Mais que deviendra-t-il devant une intelligence artificielle capable de consulter en un clin d’œil l’ensemble des jugements de l’ensemble des tribunaux depuis cinq siècles ?

      Une telle dévalorisation du capital ne peut que remettre en cause des rapports de forces au sein du bloc dominant.

      • MJJB dit :

        Ce que j’ai voulu dire (maladroitement ; il se faisait tard, et j’étais dans le métro…), c’est que pour les classes dirigeantes françaises, l’enjeu est bel et bien existentiel. Si la France retrouve son indépendance, ce n’est pas qu’il sera moins facile pour elles de s’enrichir ; c’est que la situation politique ainsi créée rendra leur existence même tout simplement impossible. Les évènements de 1789 (et des années suivantes) n’ont pas simplement rendu “moins facile” pour l’aristocratie d’ancien régime de “s’enrichir” ; ils l’ont DETRUITE, purement et simplement, en tant que classe.
         
        Vous parlez de “rapports de forces”. Mais le “complexe UE/OTAN” est utilisé par nos classes dirigeantes, pour renforcer, artificiellement, les rapports de force internes à leur avantage. La “délégation de tous les pouvoirs à une autorité extérieure” (Pierre Mendès-France), cela leur permet de court-circuiter la démocratie d’une manière bien plus efficace que tous les Pinochet du monde…
         
        Quant à ce que vous dites sur l’IA : je suis d’accord avec vous qu’elle rendra une bonne partie des classes intermédiaires purement et simplement obsolète. Et cela ne pourra que remettre en cause son alliance avec la bourgeoisie, et donc fragiliser dangeureusement cette dernière. Mais en quoi cela pourrait remettre en cause le complexe UE/OTAN ?…

        • Descartes dit :

          @ MJJB

          [Ce que j’ai voulu dire (maladroitement ; il se faisait tard, et j’étais dans le métro…), c’est que pour les classes dirigeantes françaises, l’enjeu est bel et bien existentiel. Si la France retrouve son indépendance, ce n’est pas qu’il sera moins facile pour elles de s’enrichir ; c’est que la situation politique ainsi créée rendra leur existence même tout simplement impossible.]

          Je n’irais pas jusque-là. Le « capitalisme d’Etat » façon gaullienne avait permis à la France de retrouver une pleine souveraineté, sans pour autant que les classes dominantes françaises disparaissent. Mais il est clair que l’indépendance nationale implique un Etat fort, et qu’un Etat fort et démocratique est toujours une menace pour la bourgeoisie, qui détient le capital mais pas le nombre.

          [Les évènements de 1789 (et des années suivantes) n’ont pas simplement rendu “moins facile” pour l’aristocratie d’ancien régime de “s’enrichir” ; ils l’ont DETRUITE, purement et simplement, en tant que classe.]

          Sauf que, contrairement à 1789, on ne voit pas à l’horizon une classe capable de disputer le pouvoir à la bourgeoisie pour imposer un mode de production différent. Contrairement au mode de production féodal de 1789, le capitalisme en 2025 n’est pas « un obstacle à l’expansion des forces productives »…

          [Vous parlez de “rapports de forces”. Mais le “complexe UE/OTAN” est utilisé par nos classes dirigeantes, pour renforcer, artificiellement, les rapports de force internes à leur avantage. La “délégation de tous les pouvoirs à une autorité extérieure” (Pierre Mendès-France), cela leur permet de court-circuiter la démocratie d’une manière bien plus efficace que tous les Pinochet du monde…]

          Tout à fait. Depuis que le suffrage universel à été généralisé, la bourgeoisie a bien compris que le nombre joue contre elle. D’où la tentation de corseter la décision démocratique en transférant autant que faire se peu le pouvoir à des instances qu’on peut soustraire au pouvoir du nombre : juges, autorités « indépendantes », entités administratives supranationales…

          [Quant à ce que vous dites sur l’IA : je suis d’accord avec vous qu’elle rendra une bonne partie des classes intermédiaires purement et simplement obsolète. Et cela ne pourra que remettre en cause son alliance avec la bourgeoisie, et donc fragiliser dangereusement cette dernière. Mais en quoi cela pourrait remettre en cause le complexe UE/OTAN ?…]

          Le « complexe UE/OTAN » ne peut fonctionner que grâce à un consentement relatif des sociétés. Le Brexit l’a bien montré : le système est fragile lorsque le consentement populaire lui manque. Or, dans ce consentement les classes intermédiaires jouent un rôle fondamental, non seulement du fait de leur poids numérique et de leur détention d’un « capital immatériel » dont dépend une économie développée, mais parce que ce sont elles qui ont les instruments pour fabriquer l’idéologie, au point que la bourgeoisie leur sous-traite la fabrication de l’idéologie dominante.

          Pensez par exemple aux référendums de 1992 et de 2005. En 1992, le traité de Maastricht est ratifié par une majorité de Français, en 2005 le TCE est rejeté par le vote. Qu’est ce qui a changé entre les deux ? Pas le vote des couches populaires, qui avaient largement voté contre Maastricht en 1992. Le traité a échoué parce qu’un secteur des classes intermédiaires a changé de camp. On le voit très bien dans le Parti socialiste : en 1992, il est unanimement derrière la construction européenne, en 2005 d’importants secteurs, plutôt « gauchistes » derrière Mélenchon ou « centristes » derrière Fabius, appellent à voter contre défiant la position majoritaire.

          • никто́ dit :

            @Descartes
             
            [le capitalisme en 2025 n’est pas « un obstacle à l’expansion des forces productives »]
             
            Je vous vois répéter ça mais je n’en suis pas persuadé (j’ai même l’impression qu’il commence à y avoir des craquements : début de baisse de la productivité,…). Quels sont les éléments qui vous font penser ça ?(et encore merci pour votre blog, et les échanges qu’on y trouve ! )

            • Descartes dit :

              @ никто́

              [Je vous vois répéter ça mais je n’en suis pas persuadé (j’ai même l’impression qu’il commence à y avoir des craquements : début de baisse de la productivité,…). Quels sont les éléments qui vous font penser ça ?]

              Je vous accorde que c’est un point très discutable. En 1789, il était clair que le système féodal – ou ce qu’il en restait – représentait un obstacle pour “l’expansion des forces productives” portée par la bourgeoisie: le système des monopoles empêchait le capital de s’investir dans des activités porteuses et n’encourageait pas les titulaires à développer de nouvelles technologies. Le système des corporations créait des “rentes” qui, là encore, empêchaient le développement de l’industrie. Le capitalisme apportait avec lui une plus grande efficacité dans la production.

              Appliquons le même raisonnement aujourd’hui: quel serait le secteur, quelle serait l’activité qu’on pourrait rendre plus productive si les barrières dressées par le capitalisme n’existaient pas ? Personnellement, je n’en trouve pas beaucoup. Oui, il y a des activités – par exemple, les infrastructures énergétiques ou de transport – qui sont beaucoup plus productives lorsqu’elles sont soumises à une planification centralisée plutôt qu’au marché. Mais cette planification est parfaitement possible – les “trente glorieuses” l’ont bien montré – dans le cadre capitaliste. Je peux à la rigueur admettre que la dégradation des infrastructures tend à prouver que le “capitalisme néolibéral” est un obstacle à l’expansion des forces productives, et qu’un retour vers un “capitalisme d’Etat” à la manière gaullienne est possible. Mais je ne vois pas quel est le mode de production qui aujourd’hui pourrait se substituer au capitalisme… et croyez-moi, j’aimerais avoir tort!

              [(et encore merci pour votre blog, et les échanges qu’on y trouve ! )]

              Merci de vos encouragements, ça fait toujours plaisir de savoir que le travail que je fais ici est apprécié. Mais le mérite revient aussi aux commentateurs, ce sont un peu eux qui le font vivre.

            • никто́ dit :

              @Descartes
               
              [Appliquons le même raisonnement aujourd’hui: quel serait le secteur, quelle serait l’activité qu’on pourrait rendre plus productive si les barrières dressées par le capitalisme n’existaient pas ? Personnellement, je n’en trouve pas beaucoup. Oui, il y a des activités – par exemple, les infrastructures énergétiques ou de transport – qui sont beaucoup plus productives lorsqu’elles sont soumises à une planification centralisée plutôt qu’au marché. Mais cette planification est parfaitement possible – les “trente glorieuses” l’ont bien montré – dans le cadre capitaliste. Je peux à la rigueur admettre que la dégradation des infrastructures tend à prouver que le “capitalisme néolibéral” est un obstacle à l’expansion des forces productives, et qu’un retour vers un “capitalisme d’Etat” à la manière gaullienne est possible. Mais je ne vois pas quel est le mode de production qui aujourd’hui pourrait se substituer au capitalisme… et croyez-moi, j’aimerais avoir tort!]
               
              Je sais bien que vous aimeriez avoir tort 😉 Plus sérieusement, je pense qu’en effet les grosses infrastructures (énergie, transport,…) sont tellement mal gérées sous le capitalisme actuel que ça pourrait amener des choses… Quoi, je ne sais pas exactement, mais je ne crois pas à un retour au capitalisme d’avant. J’ai l’impression que dans beaucoup de ces institutions (SNCF, EDF – je pense aussi à l’ONF ou à d’autres services publics…), le personnel technique a une relativement bonne vision de comment gérer ces biens, mais la martingale politique (et financière) les en empêche… 
               
              Ceci dit, je rejoins un peu votre conclusion, je ne sais pas quelle forme ça prendra, et si on est à l’échéance de quelques années ou de quelques décennies…
               
              [Merci de vos encouragements, ça fait toujours plaisir de savoir que le travail que je fais ici est apprécié. Mais le mérite revient aussi aux commentateurs, ce sont un peu eux qui le font vivre.]
               
              C’est bien ainsi que je l’entendais 🙂 Merci aussi aux commentateurs.
               

            • Descartes dit :

              @ никто́

              [Plus sérieusement, je pense qu’en effet les grosses infrastructures (énergie, transport,…) sont tellement mal gérées sous le capitalisme actuel que ça pourrait amener des choses…]

              Ce n’est pas une question de « mauvaise gestion », mais une question structurelle. Pour que la régulation du marché fonctionne, il faut qu’il y ait une concurrence dont le fonctionnement réunisse un certain nombre de conditions (c’est ce qu’on appelle une « concurrence pure et parfaite »). Une de ces conditions, c’est « l’atomisation du marché », autrement dit, une multiplicité d’acteurs (vendeurs et acheteurs) dont aucun n’a une taille suffisante pour imposer ses prix.

              Or, il existe des domaines où l’efficacité d’une organisation croît avec la taille. C’est par exemple le cas dans les domaines où le produit nécessite un très grand investissement en matière grise, qu’il faut ensuite amortir sur le plus grand nombre possible de clients. C’est le cas sur les activités qui développent des réseaux complexes. Dans ces domaines, le jeu même du marché conduit à une réduction progressive du nombre d’acteurs jusque, dans les cas extrêmes, à aboutir à un monopole. C’est ce qu’on appelle le « monopole naturel ». C’est le cas du réseau électrique ou ferroviaire, des réseaux de téléphonie (tripôle Bouygues/Orange/SFR) mais plus près de nous des systèmes d’exploitation en informatique (duopole Windows/Apple pour les ordinateurs, duopole Android/Apple pour les téléphones) ou pour les moteurs de recherche – pensez à Google.

              C’est là le dilemme des régulateurs : soit vous laissez le processus de concentration suivre son cours (et dans ce cas vous vous trouvez avec un monopole, qu’il faut réguler administrativement), soit vous persistez à vouloir un marché, et dans ce cas il vous faut empêcher les concentrations, et donc aller contre le processus de recherche de la plus grande efficacité, ce qui vous amène à un système inefficace. Et on peut le constater empiriquement : le choix européen d’une régulation de marché des « monopoles naturels » amène à une dégradation continue de leur efficacité, à cette « mauvaise gestion » que vous dénoncez.

              [Quoi, je ne sais pas exactement, mais je ne crois pas à un retour au capitalisme d’avant. J’ai l’impression que dans beaucoup de ces institutions (SNCF, EDF – je pense aussi à l’ONF ou à d’autres services publics…), le personnel technique a une relativement bonne vision de comment gérer ces biens, mais la martingale politique (et financière) les en empêche…]

              Tout à fait. Ces organismes sont soumis à des injonctions contradictoires : d’un côté on exige d’eux qu’ils se prêtent à une régulation de marché – quitte à leur demander de subventionner leurs concurrents pour éviter que le « monopole naturel » reprenne ses droits – alors qu’un même temps on leur demande d’avoir des comportements « citoyens » contraires à la logique de marché. Le cas d’EDF est un exemple de schizophrénie : les prix de l’électricité sont régulés par le marché lorsqu’ils baissent, mais lorsqu’ils montent l’entreprise est priée de garder les prix bas. Conclusion : EDF perd de l’argent quand les prix baissent… et perd de l’argent quand les prix montent. Et ne parlons même pas de la décision de fermeture de Fessenheim, décision politique qui aboutit à fermer une installation rentable et amortie.

              Bien sûr, on ne reviendra pas « au capitalisme d’avant ». On ne croise jamais deux fois la même rivière, comme disent les Anglais. Par contre, il me semble assez clair que le mouvement pendulaire qui est allé très loin dans le « tout marché » est en train de revenir vers le pôle du « tout Etat ». Et cela je pense pour une raison sordide : après quarante ans de mauvaise gestion, les « monopoles naturels » sont soit dans un état catastrophique, soit sont devenus dans des mains étrangères une menace pour l’équilibre de nos sociétés. Le capital même commence à avoir un certain intérêt à une remise en ordre, et il est clair que cette remise en ordre ne peut venir du marché. Prenez le secteur électrique, que je connais bien. Aujourd’hui, on voit les patrons français aller faire du lobbying à Bruxelles contre le « marché libre et non faussé », demander qu’on autorise les électriciens à conclure des contrats de très long terme, qu’on autorise l’intervention de l’Etat dans la construction d’infrastructures… on n’est plus dans les années 1990, quand les patrons poussaient à la concurrence en s’imaginant qu’elle ferait baisser durablement les prix !

              La question pour moi est moins celle de la volonté que celle de la capacité. Le “capitalisme d’Etat” tel que nous l’avons connu en France reposait sur une forme d’idéologie, c’est à dire, sur la mystique du service public. Elle fonctionnait parce qu’il y avait un groupe humain qui se concevait comme une aristocratie et qui se dévouait à la chose publique, quitte à gagner beaucoup moins que dans le privé. Cette “structure anthropologique”, pour reprendre le vocabulaire de Castoriadis, le capitalisme ne l’a pas créeé, ET NE PEUT PAS LA CREER. Elle est héritée des modes de production antérieurs, et l’effet du capitalisme est de les faire disparaître, en remplaçant ces rapports anciens par “le paiement au comptant” comme le dit Marx. C’est Castoriadis – désolé de me répéter – qui explique comment le capitalisme repose sur ces structures (le juge intègre, le fonctionnaire efficace, l’enseignant dévoué) qu’il n’est pas capable de reproduire. La question est donc la suivante: à supposer même que le capitalisme veuille revenir à une forme de “capitalisme d’Etat”, a-t-il la capacité de constituer le groupe humain, l’idéologie, le cadre qui permet à ce “capitalisme d’Etat” de fonctionner ?

              La réponse n’a rien d’évident. Maints exemples dans le monde montrent que le “capitalisme d’Etat” géré par des fonctionnaires inefficaces et corrompus produit des résultats désastreux. Est-il possible, dans le contexte d’un capitalisme néolibéral comme celui que nous connaissons, de former un corps de fonctionnaires qui soit raisonnablement insensible aux appels de l’argent ? Dans une société ou le vil métal est la mesure de toute chose, trouvera-t-on des gens qui préféreront une carrière intéressante à une carrière bien payée ? La question est ouverte…

          • Bob dit :

            @ Descartes
             
            [En 1992, le traité de Maastricht est ratifié par une majorité de Français]
             
            Il est, je pense, toujours bon de se rappeler qu’il le fut par la plus courte des majorités : 51%. Je veux dire par là que le “changement de camp” n’était pas loin déjà en 1992.
            A chaque fois que je vois ce résultat de 51%, je me dis que le destin de la France ces dernières décennies s’est vraiment joué à peu de choses.

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [A chaque fois que je vois ce résultat de 51%, je me dis que le destin de la France ces dernières décennies s’est vraiment joué à peu de choses.]

              D’autant plus que lors du référendum, Lutte Ouvrière appelle à l’abstention. Voici ce qu’on pouvait lire dans son journal “lutte de classe” (N°48, 1/7/1992)

              Et dans le débat en cours, si ce n’est évidemment pas le rôle des révolutionnaires de seconder Mitterrand et la direction du Parti Socialiste en dépeignant l’Europe de Maastricht sous des couleurs roses, il n’est certainement pas non plus de la combattre. Car, dans le contexte actuel, ce serait joindre sa voix au choeur des démagogues qui misent sur le nationalisme, de Le Pen à Marchais.

              L’Europe bourgeoise qui se dessine n’est en elle-même ni un bien ni un mal pour les travailleurs. Si les travailleurs laissent les mains entièrement libres à la bourgeoisie, la construction européenne sera à coup sûr un prétexte, sinon la véritable raison de nouvelles attaques contre la classe ouvrière, contre ses droits sociaux, contre son niveau de vie.

              Mais elle peut devenir un avantage si les travailleurs des différents pays européens se sentent plus solidaires les uns des autres, s’ils se reconnaissent dans les combats qui se mènent de l’autre côté des frontières.

              Il en résulte que, bien entendu, Lutte Ouvrière ne participera pas au référendum politicien annoncé par Mitterrand. Elle n’a nullement l’intention d’appeler les travailleurs à mêler leurs voix aux partisans de Mitterrand ou de Barre en votant “oui”, pas plus qu’à mêler leurs voix à ceux qui se retrouvent dans les idées de Marchais ou de Le Pen et, peut-être, de Chirac, en faisant voter “non”“.

              On admirera la profondeur de l’analyse, eu égard à ce qui a suivi. En tout cas, le “oui” l’emporte en 1992 de 540.000 voix, à comparer aux 606.000 voix d’Arlette Laguilier en 1988 et aux 1.600.000 voix de la même en 1995. On peut dire, schématiquement, que c’est LO qui a permis à l’Europe de Maastricht de voir le jour. A quoi tiennent les tournants de l’histoire…

  11. claustaire dit :

    « la victoire n’appartient pas à l’armée la plus nombreuse, mais à l’armée la plus décidée »
    Ce que confirme, n’est-ce pas, la victoire des nazis fanatisés jusqu’en mai 45… ?
     
     

    • Descartes dit :

      @ claustaire

      [Ce que confirme, n’est-ce pas, la victoire des nazis fanatisés jusqu’en mai 45… ?]

      Qu’est ce qui vous fait penser que les armées nazies étaient plus “décidées” que les armées soviétiques, par exemple ? La seconde guerre mondiale confirme jusqu’à l’absurde la remarque de Sun Tzu. Les dirigeants alliés étaient tellement convaincus que le sage chinois disait vrai, qu’ils ont consacré des efforts énormes à la propagande, pour s’assurer que leurs armées soient au moins aussi “fanatisées” que celles des nazis.

      • claustaire dit :

        Je n’ai pas dit que les soviétiques étaient plus ou moins “décidés” que les nazis. Je voulais juste suggérer (voire espérer) que le fanatisme n’est pas un garant de succès (durable). Et que de prétendues vérités (voire des vérités circonstanciées) ne deviennent pas plus vraies ou universelles parce qu’on les répète.

        • Descartes dit :

          @ claustaire

          [Je n’ai pas dit que les soviétiques étaient plus ou moins “décidés” que les nazis. Je voulais juste suggérer (voire espérer) que le fanatisme n’est pas un garant de succès (durable).]

          Malheureusement, “espérer” ne suffit pas. Le fait est que le fanatisme, en termes d’efficacité, paye.
          Et que de prétendues vérités (voire des vérités circonstanciées) ne deviennent pas plus vraies ou universelles parce qu’on les répète.

  12. CZ dit :

    [je ne vois pas quel est le mode de production qui aujourd’hui pourrait se substituer au capitalisme… et croyez-moi, j’aimerais avoir tort!]
    Si je comprends bien votre raisonnement exposé en divers endroits sur ce blog, le capitalisme a pu s’imposer comme mode de production dominant car il était bien plus efficient dans l’allocation des forces productives que les modes de production antérieurs. Cette efficience a d’ailleurs permis une élévation globale et spectaculaire du niveau de vie, qui fait que la majorité des gens acceptent finalement les défauts inhérents du capitalisme, en particulier la prodigieuse inégalité dans la répartition des richesses.
    Je sais que vous n’êtes pas convaincu de l’avènement de l’IA. Mais jugez-vous néanmoins possible que cette dernière puisse à terme allouer les ressources (dont les forces productives) avec une efficience égale ou supérieure aux forces de marché ? 

    • Descartes dit :

      @ CZ

      [Si je comprends bien votre raisonnement exposé en divers endroits sur ce blog, le capitalisme a pu s’imposer comme mode de production dominant car il était bien plus efficient dans l’allocation des forces productives que les modes de production antérieurs.]

      Exactement. Ou pour être plus précis, parce qu’il « libérait » des forces productives qui, autrement, n’auraient jamais pu se révéler. Ce raisonnement est en fait exposé par Marx déjà dans le « Manifeste » de 1848.

      [Cette efficience a d’ailleurs permis une élévation globale et spectaculaire du niveau de vie, qui fait que la majorité des gens acceptent finalement les défauts inhérents du capitalisme, en particulier la prodigieuse inégalité dans la répartition des richesses.]

      Exactement. Les gens pensent qu’il vaut mieux vivre confortablement en étant exploité que de vivre pauvrement sans l’être. C’est pourquoi, si l’on veut en finir avec le capitalisme, il faut proposer un mode de production capable d’offrir aux couches populaires un niveau de vie au moins égal à celui que leur offre le capitalisme. Et comme les expériences socialistes l’ont montré, ce n’est pas évident.

      [Je sais que vous n’êtes pas convaincu de l’avènement de l’IA. Mais jugez-vous néanmoins possible que cette dernière puisse à terme allouer les ressources (dont les forces productives) avec une efficience égale ou supérieure aux forces de marché ?]

      C’est une bonne question. La régulation administrative, qui est la seule alternative connue à la régulation par le marché, est beaucoup plus coûteuse parce qu’elle suppose d’accumuler une quantité d’information très considérable. C’est pourquoi elle n’est efficiente que dans un certain nombre de domaines. Cela a un sens de réguler administrativement le prix de l’électricité, cela n’aurait aucun sens de réguler administrativement le prix des restaurants. Avec l’IA, l’accumulation et le traitement de l’information deviennent beaucoup plus économiques. On peut se demander si à terme cela ne permettrait pas d’avoir une régulation administrative optimale sur une panoplie bien plus importante d’activités…

      Cela étant dit, vous noterez qu’il ne faut pas mélanger “marché” et “capitalisme”. La régulation par le marché était déjà pratiquée dans l’Egypte ancien, quelques millénaires avant notre ère…

  13. MJJB dit :

    On peut dire, schématiquement, que c’est LO qui a permis à l’Europe de Maastricht de voir le jour

     
    Si je ne m’abuse, L.O. était, à l’époque, dirigée en sous-main par un cadre se l’industrie pharmaceutique… l’intérêt de classe de ce monsieur n’aurait-il pas un lien avec la prise de position ubuesque que vous rapportez ?

    • Descartes dit :

      @ MJJB

      [Si je ne m’abuse, L.O. était, à l’époque, dirigée en sous-main par un cadre se l’industrie pharmaceutique… l’intérêt de classe de ce monsieur n’aurait-il pas un lien avec la prise de position ubuesque que vous rapportez ?]

      Je ne sais pas. J’en doute un peu. Mais l’exemple est intéressant pour illustrer la qualité des analyses politiques de l’extrême gauche… et de son obsession anticommuniste.

  14. Jordi dit :

    Il est rare de voir une analyse aussi saine à ce sujet, en tout cas en langue française et hors de cercles que l’on qualifiera pudiquement de “peu marqués à gauche”.
    Mon avis personnel est que, en l’absence de toute action politique à ce sujet, la situation en Ukraine n’a aucune raison de figurer dans le top 20 des problèmes actuels de la France, si ce n’est par son coût exorbitant pour nos finances publiques et pour la crédibilité de notre “diplomatie”.
    Je souhaitais néanmoins apporter une précision sur un point que vous auriez pu manquer et que certains commentateurs rattachent frivolement au golf : la présence du président finlandais. Il faut savoir que la Finlande a été “finlandisée” en 1945. Le concept de finlandisation, c’est une neutralité forcé par un voisin puissant qui ne vous oblige pas à le rejoindre et ne vous envahit pas à la condition stricte que vous ne vous alliyez pas avec ses rivaux.
    C’est un pays prospère, membre de l’UE, avec une économie compétitive, des ressources et 6 millions d’habitants (ce qui n’en fait ni un géant démographique, ni un confetti anecdotique). Une économie industrielle prospère, quelques matières premières, une armée solide. Ce pays, qui n’a rien d’un micro-état, a rejoint l’OTAN en 2022 dans le cadre du conflit ukrainien. Pour les US, c’est une bien belle prise de guerre : un allié puissant (l’armée finlandaise n’a rien de ridicule), qui ne coûte presque rien (il n’a pas besoin d’être soutenu économiquement, diplomatiquemet ou militairmeent de façon massive), et désormais arrimé au camp occidental.
    Lorsqu’on fera le bilan de la guerre, l’intégration de la Finlande dans l’OTAN fera très certainement partie des gains de long terme pour l’oncle Sam.

    • Descartes dit :

      @ Jordi

      [C’est un pays prospère, membre de l’UE, avec une économie compétitive, des ressources et 6 millions d’habitants (ce qui n’en fait ni un géant démographique, ni un confetti anecdotique). Une économie industrielle prospère, quelques matières premières, une armée solide.]

      La neutralité a beaucoup d’avantages lorsqu’on est un petit pays. La Finlande, la Suède ou la Suisse en sont de très bons exemples. Je ne sais si une fois la guerre finie l’adhésion de la Finlande dans l’OTAN se révélera un gain pour l’Alliance, mais c’est une perte importante pour la Finlande, qui devra gonfler ses budgets militaires et n’aura pas de régime préférentiel dans son commerce avec la Russie.

  15. Jordi dit :

    [La neutralité a beaucoup d’avantages lorsqu’on est un petit pays. La Finlande, la Suède ou la Suisse en sont de très bons exemples. ]
    J’en suis persuadé
    [Je ne sais si une fois la guerre finie l’adhésion de la Finlande dans l’OTAN se révélera un gain pour l’Alliance,]
    C’est toujours bien d’avoir des alliés qui ne sont pas des boulets.
    [ mais c’est une perte importante pour la Finlande, qui devra gonfler ses budgets militaires et n’aura pas de régime préférentiel dans son commerce avec la Russie.]
    Certes, mais ce n’était pas mon propos. La Finlande perd beaucoup en faisant ce choix.Un choix néanmoins compréhensible : culturellement, les finlandais des GenX et suivantes sont très largement occidentalisés et ont souhaité rejoindre le camp de ceux qui partagent eurs idées, pluôt que celui d’un régime autoritaire et perçu commme réac.C’est un choix politique assumé, pas forcément optimal mais clairement choisi. C’est aussi celà, la démocratie.

    • Descartes dit :

      @ Jordi

      [« Je ne sais si une fois la guerre finie l’adhésion de la Finlande dans l’OTAN se révélera un gain pour l’Alliance, » C’est toujours bien d’avoir des alliés qui ne sont pas des boulets.]

      Certainement. Mais l’histoire a montré que les « petits » alliés sont souvent des « boulets ». Pourquoi ? Parce que leur apport en moyens militaires est très faible, mais leur apport en termes d’emmerdements peut être très important. Ce sont souvent les conflits des « petits » pays qui, par le jeu des alliances, ont entraîné les « gros » dans les guerres…

      [Certes, mais ce n’était pas mon propos. La Finlande perd beaucoup en faisant ce choix. Un choix néanmoins compréhensible : culturellement, les finlandais des GenX et suivantes sont très largement occidentalisés et ont souhaité rejoindre le camp de ceux qui partagent leurs idées, plutôt que celui d’un régime autoritaire et perçu commme réac.]

      « Leurs idées » ? Mais quelle sont les « idées » que « partage » l’Alliance atlantique ? Ce n’est pas ici une question « d’idées » mais « d’intérêts ». Que les Finlandais aient pensé que leurs intérêts seront mieux servis par une vassalisation plutôt que par une indépendance sourcilleuse, c’est un pari. Les dernières décisions de Donald Trump montrent que rien n’est garanti de ce côté-là.

      [C’est un choix politique assumé, pas forcément optimal mais clairement choisi. C’est aussi cela, la démocratie.]

      Tout de suite les grands mots… le « choix » est moins clair que vous ne le dites. J’ignore quelle a été la nature du débat public qui a accompagné cette décision, mais je crois me souvenir qu’il n’y a pas eu de référendum sur la question. Autrement dit, c’est le parlement finlandais qui a voté, sans avoir de mandat précis puisque l’adhésion à l’OTAN n’était pas dans le programme des différents partis. Et puis, comme disait Churchill, la première victime de toutes les guerres est la vérité, et la peur bien utilisé permet de faire faire aux peuples bien des bêtises…

  16. CVT dit :

    @Descartes,
    gros hors-sujet: que vous inspire l’intronisation de Robert Badinter au Panthéon le 9 octobre prochain ?
    Quant à moi, elle me révolte, parce qu’à l’instar de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, promue par un autre moralisateur français, à savoir Stéphane Hessel, elle signe le primat de la morale sur la politique, et donc la victoire de la bonne conscience de dame patronnesse sur l’Intérêt général et la Justice. Badinter était un fieffé moralisateur qui méprisait ouvertement les Français et la France en général, donc sa présence en ces lieux ressemble furieusement à une profanation.
     
    Quand cessera-t-on enfin d’outrager l’ex-église St Geneviève de Paris? Jean Monnet n’y empuantit-il pas déjà assez l’atmosphère comme ça? 

    • Descartes dit :

      @ CVT

      [gros hors-sujet: que vous inspire l’intronisation de Robert Badinter au Panthéon le 9 octobre prochain ?]

      Je partage un peu votre sentiment, celui d’une dérive qui fait primer la morale sur la politique, c’est-à-dire l’idée sur le réel. C’est d’ailleurs l’un des intérêts du Panthéon : de la même manière que les couches archéologiques permettent sur un site de retracer les changements de la civilisation qui l’a occupé, les « couches » d’entrées au Panthéon permettent de contempler l’évolution des valeurs de notre pays. Prenez par exemple le cas de Manouchian : au-delà de ses mérites incontestables, il n’est pas rentré au Panthéon lorsqu’il s’agissait de rendre hommage aux résistants, parce qu’il était alors par trop communiste. Il est rentré comme arménien, à une époque où le pouvoir veut mettre en vue « ces étrangers qui ont fait la France » – même chose avec Joséphine Baker.

      [Badinter était un fieffé moralisateur qui méprisait ouvertement les Français et la France en général, donc sa présence en ces lieux ressemble furieusement à une profanation.]

      Tout de suite les grands mots… non, je ne pense pas que ce soit une « profanation ». C’est le témoignage de la conception qu’une élite, à un moment donné, a du « grand homme ». Aujourd’hui, pour être un « grand homme » il ne faut ni faire preuve d’un courage particulier, ni de sacrifier quoi que ce soit. Il suffit d’être du bon côté au bon moment. Badinter était peut-être quelqu’un de très intelligent, de très cultivé, mais on ne peut pas dire qu’il laisse derrière lui un œuvre considérable, ni même qu’il ait sacrifié grande chose pour l’achever. Il a vécu toute sa vie comme un grand bourgeois, il n’a jamais vu sa vie ou ses biens menacés du fait de son militantisme contre la peine de mort.

Répondre à claustaire Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *