« Delenda Carthago » (attribué à Caton l’Ancien, circa 150 AC)
Dans son effort désespéré de se maintenir au pouvoir malgré un rejet généralisé des citoyens, la macronie est en train de nous offrir son n-ième psychodrame. Voici François Bayrou qui se prend pour Henri IV et s’imagine qu’il peut encore rallier les Français derrière un panache blanc qu’on devine bien défraîchi. De toute évidence, cela ne marche pas. Et cela ne marche pas pour des raisons que nos commentateurs médiatiques, obsédés par la politique au jour le jour mais indifférents à l’histoire, omettent d’évoquer.
Bayrou nous parle avec des trémolos dans la voix de l’abîme qui s’ouvre devant nous. La dette, dit-il, finira par nous étouffer. Il faut de toute urgence faire des sacrifices. Il faut, nous dit-on, réduire la dépense publique de 44 Md€ en 2026, et ce n’est qu’un début. Et tous ceux qui ne veulent pas l’accepter sont des irresponsables qui mettent en danger l’avenir du pays.
La situation est-elle si grave qu’il le dit ? Je ne sais pas, et du point de vue institutionnel cela n’a pas beaucoup d’importance. S’il suffisait à un homme politique de dire la vérité pour être suivi par l’opinion, cela se saurait. Non, pour être écouté, pour susciter l’adhésion, il faut d’abord être crédible. Et la crédibilité n’est pas seulement attachée au discours lui-même, mais à la personne qui le prononce. Elle tient à une trajectoire, à la continuité et la cohérence entre ce que l’on dit et ce que l’on fait. Et de ce point de vue, François Bayrou n’est certainement pas l’homme de la situation. Car si notre premier ministre a fait de la réduction de l’endettement l’un des leitmotivs de ses discours passés – surtout quand il était dans l’opposition – il a systématiquement soutenu, quand il n’a pas été membre, des gouvernements qui ont eu une gestion pour le moins laxiste des finances publiques.
Admettons un instant que notre premier ministre dise vrai, que la situation du pays soit véritablement catastrophique et que des coupes radicales sur la dépense soient nécessaires. La première question qui se pose à un observateur intelligent est de savoir comment on en est arrivé là. Car les maux qui nous accablent ne résultent pas d’une malédiction divine ou d’une catastrophe naturelle. On ne peut rendre responsable à titre principal le COVID, par exemple, puisque d’autres pays semblables au notre s’en sortent nettement mieux en matière de dette publique, qu’ils soient ou non dans l’Euro ou l’UE d’ailleurs (1). Non, ces maux résultent de choix politiques, et tout particulièrement des choix politiques faits depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017. Depuis cette date, le moins qu’on puisse dire est qu’on a géré le budget de l’Etat avec une certaine insouciance. Les notes des hauts-fonctionnaires de Bercy qui ont fuité dans la presse après le départ de Bruno Le Maire montrent d’ailleurs que les membres du gouvernement qui ont piloté cette politique étaient parfaitement au courant de ses effets, et qu’ils ont choisi sciemment de ne pas en tenir compte. Et ces choix politiques ne sont pas non plus attribuables à « l’irresponsabilité » des oppositions. Pendant cinq ans, Emmanuel Macron a disposé d’une majorité massive à l’Assemblée nationale qui lui permettait aux gouvernements successifs de faire ce que bon leur semblait sans craindre une censure.
François Bayrou, il ne faut jamais l’oublier, a été l’un des premiers soutiens d’Emmanuel Macron lorsque celui-ci songe à se présenter à l’élection présidentielle. Après son élection, il fut un soutien constant de ses gouvernements successifs. Pas une seule fois, pendant la période du macronisme triomphant, il n’a pris le ton apocalyptique qu’il utilise depuis qu’il est premier ministre pour dénoncer la dérive des comptes publics. Commissaire général au plan, il avait tout loisir – c’était même sa fonction – de tirer la sonnette d’alarme, et pourtant on ne trouve aucun rapport sous sa plume expliquant qu’on va dans le mur. Non, pour notre Béarnais, tout allait très bien, madame la marquise, du temps ou Macron pouvait encore distribuer postes et prébendes, et qu’il ne faisait pas bon jouer les Cassandres. On en déduit que son discours catastrophiste d’aujourd’hui reflète moins la situation économique du pays que le contexte personnel de celui qui le prononce.
Mais quelque soit la situation, quand on fait partie du problème on ne peut pas faire partie de la solution. Quand bien même François Bayrou dirait vrai aujourd’hui, quand bien même on serait au bord du précipice, quand bien même il serait nécessaire de se serrer la ceinture à hauteur de 44 Md€, quand bien même il serait prêt à rompre avec la doxa macroniste qui, et les faits sont là, a consisté à dépenser sans compter, François Bayrou serait très mal placé pour le faire. S’il faut aujourd’hui une rupture avec les politiques des dix ou vingt dernières années, il est ridicule de confier cette rupture à ceux-là mêmes qui ont été les plus fidèles soutiens de ces politiques quand ils ne les ont pas conduites elles-mêmes.
En politique, les symboles sont essentiels. Peut-on changer de politique sans changer les personnes qui la portent et l’incarnent ? Est-ce que ceux qui ont défendu jusqu’à l’absurde la gestion des finances publiques façon Le Maire peuvent obtenir la confiance du public pour en porter une autre façon de gérer ? Ont-il la légitimité pour nous demander de nous serrer la ceinture, eux qui ont desserré la leur ? Je ne le pense pas. Pour que le changement de politique soit crédible, il faut un changement de personnel. Mais justement, et c’est là le problème, le personnel en question est cramponné à ses postes comme la moule à son rocher, et n’a aucune envie de céder sa place.
L’instabilité politique qu’on constate aujourd’hui est la conséquence logique d’un péché originel, dont Bayrou est en large mesure co-responsable : celui de ne pas vouloir reconnaître qu’une politique – et par conséquent l’équipe qui l’a portée – a échoué. Sous Hollande d’abord, sous Macron ensuite, cela fait plus de dix ans qu’on met en œuvre avec une parfaite consistance la « politique de l’offre » dans le cadre fixé à Bruxelles. Eh bien, à l’issue de cette période d’essai fort raisonnable, le temps est venu d’en faire le bilan. Non seulement ce choix est rejeté par une majorité de Français, ce qui après tout peut être le résultat d’une « mauvaise pédagogie » ou de facteurs subjectifs, mais surtout il se traduit objectivement – et c’est un macroniste aussi distingué que François Bayrou qui le constate – par la poursuite de la désindustrialisation du pays et par des déséquilibres majeurs, que ce soit dans les finances publiques ou dans la balance commerciale. Des déséquilibres tellement forts qu’ils menacent, nous dit-il, la souveraineté de notre pays. C’est donc un macroniste de la première heure qui constate, même s’il ne le dit pas en ces termes, que les choix économiques de son idole conduisent au désastre. La logique voudrait donc qu’on change de politique – et avec elle le personnel chargé de la conduire. Mais les macronistes ne veulent pas se rendre à cette réalité. Ils veulent donc combattre les déséquilibres budgétaires sans remettre en cause ni la politique qui les a provoqués, ni l’équipe qui l’a conduite. Comment dans cette condition le gouvernement pourrait-il compter sur la confiance des citoyens ?
C’est pourquoi les tentatives de notre premier ministre de passer par-dessus les partis en faisant appel au peuple pour qu’il fasse pression sur ses élus ont peu de chance de succès. Tout comme ses ses ouvertures vers l’opposition sur le mode « tout est négociable ». Les politiciens ont beau avoir la mémoire courte, personne n’a oublié comment les socialistes se sont fait avoir – et c’est un euphémisme – lorsqu’ils ont accepté de laisser passer la loi de finances 2025 en échange d’un « conclave » sur les retraites où, déjà, « tout était négociable ». Pour découvrir rapidement qu’avec le passage des semaines, le périmètre des choses « négociables » se réduisait progressivement, jusqu’à se limiter aux sujets sur lesquels le MEDEF était prêt à discuter, autrement dit, rien. Il y a fort à parier que la « négociation » sur la loi de finances se réduira à la parodie de débat à laquelle les macronistes nous ont habitués depuis 2017, à savoir, tout le monde a le droit de s’exprimer, et ensuite on fait ce que Macron avait décidé préalablement.
On associe souvent le mot « centriste » avec une certaine flexibilité intellectuelle, une capacité de compromis qui serait absente chez les extrêmes. Mais c’est là une idée fausse. Le « centrisme » sert les intérêts d’un groupe social, et devient intransigeant dès que les intérêts de ce groupe sont menacés, tout autant que le RN ou LFI. Macron, cité en exemple lors de son élection pour son supposé pragmatisme et ses non moins supposées capacités à trouver des compromis, s’est révélé dans l’exercice du pouvoir comme l’un des présidents de la Vème République les plus intransigeants, les plus idéologues, les moins capables d’admettre la contradiction et d’accepter une véritable négociation. Et Bayrou est de la même étoffe.
Ce dernier coup de poker le montre d’ailleurs. Plutôt que de discuter avec les différents groupes parlementaires pour aboutir à une loi de finances susceptible d’être acceptée à défaut d’être votée, il se met dans la position infantile du gosse qui dans la cour de récréation crie « on joue comme je veux, ou alors je ne joue plus ». Et comme cela arrive dans la cour de récréation, le plus probable est que cela aboutisse à le voir bouder tout seul dans son coin, pendant que les autres enfants jouent sans lui (2).
François Bayrou nous explique aujourd’hui que le renverser serait « irresponsable ». Il utilise l’image du bateau qui fait eau de toutes parts. Mais il omet de nous dire que si le bateau est en train de couler, c’est parce que le capitaine Macron et son second Bayrou l’ont conduit sur les rochers. Dans cette situation, se défaire de ces officiers, loin de constituer un acte « irresponsable », semble être la première chose à faire. Notre premier ministre représente jusqu’à l’absurde l’indécence de ce « bloc central » qui, ayant échoué sur tous les plans – politique, économique et même moral – prétend se perpétuer au pouvoir envers et contre tout. Sanctionné dans les urnes, sanctionné par les indicateurs économiques, il continue à faire la leçon au monde entier, et notamment au petit peuple à qui elle demande de se serrer la ceinture pour prévenir la catastrophe qu’ils ont eux-mêmes provoqué. Les dirigeants de ce bloc central ont l’outrecuidance de nous menacer sur le mode « c’est nous ou le chaos » et de tancer « d’irresponsables » ceux qui ne leur font pas confiance. Cette indécence doit cesser. François Bayrou, c’est le symbole même de la continuité dans l’erreur. Il n’aurait jamais dû être nommé à Matignon. Aujourd’hui, il doit partir.
Descartes
(1) Ainsi, par exemple, la Grande Bretagne atteint à peine les 100% de son PIB, l’Allemagne se trouve à 81%, alors que la France se trouve à 111%. En Europe, seule l’Italie et la Grèce sont plus endettées que nous…
(2) Je fais là preuve d’une particulière bienveillance, parce que l’attitude de Bayrou pourrait avoir une autre explication, bien moins flatteuse. Celle qui consiste à penser que François Bayrou a réalisé que « l’enfer de Matignon » est en train d’user impitoyablement son image, et que de rester au pouvoir ne peut que compromettre une candidature en 2027 à laquelle il songe chaque matin en se rasant. Aucun premier ministre sortant n’a réussi une campagne présidentielle. Il est donc impératif de quitter rapidement Matignon pour se refaire une virginité. Et quelle meilleure manière de quitter le navire que de se construire une image du capitaine de tempête cherchant à sauver la France et se voyant renversé par des oppositions « irresponsables » ?