“La politique ce n’est qu’une certaine façon d’agiter le peuple avant de s’en servir”. (Talleyrand)
Je lisais l’autre jour un entretien de Marcel Gauchet dans « Le Monde », dans lequel le philosophe abordait le thème de la « dépolitisation » de notre société. Mais ce qui était particulièrement intéressant, c’est qu’il ne donne pas à ce terme le sens qu’on lui donne habituellement. Gauchet se place dans un plan différent :
« Le terme de « dépolitisation » est trompeur. On croit savoir tout de suite de quoi il s’agit : désintérêt pour la politique et comportement abstentionniste. Ce n’est pas faux, mais cela ne couvre qu’une petite partie du problème, dans la situation actuelle des démocraties. Plus fondamentalement, la dépolitisation présente correspond à un changement de nature de la citoyenneté.
Dans sa conception classique, la citoyenneté consistait à prendre en charge le point de vue du tout de la société, et à se donner une conception d’ensemble de ses orientations souhaitables. C’est ce point de vue du tout qui s’est évanoui. Rien n’illustre mieux ce changement que l’explosion associative : à chacun sa cause particulière, et aux gouvernants de se débrouiller pour la mise en œuvre de cette cacophonie de propositions spécifiques.
Vous pouvez avoir dans ce cadre des gens très engagés, mais qui ne raisonnent pas politiquement, c’est-à-dire en fonction d’une cohérence programmatique d’ensemble. Mieux, cette dépolitisation s’accompagne couramment d’une radicalisation de ces causes particulières, qui ne veulent rien savoir des autres, pour s’imposer, jusqu’à la violence.
La politique, c’est-à-dire, encore une fois, la conduite d’un tout, n’est plus comprise, elle ne suscite plus que de rares vocations, à tous les niveaux. Un des résultats frappants en est la vulnérabilité des institutions à la pénétration de militants radicaux. Ils entrent comme dans du beurre dans des structures sans plus de tête, qu’ils détournent au service de leurs causes. »
Cette réflexion sur la « dépolitisation » – qu’on peut rattacher à une autre crise, intellectuelle celle-là, liée à la disparition de « l’esprit de système » et la prééminence du particulier sur l’universel, m’a d’autant plus touché que je regardais la documentation sur le mouvement « bloquons tout » qui s’annonce pour le 10 septembre prochain. Car l’appel qui structure ce mouvement (1), la manière comme il se propage, son caractère même, illustrent presque à la perfection l’analyse de Gauchet. Ce mouvement, c’est une auberge espagnole, où chacun trouve ce qu’il apporte. Ou plutôt un McDonald’s, cette chaine dont le slogan est « venez comme vous êtes ». L’appel qui circule sur les réseaux, c’est un peu « venez comme vous êtes » : avec vos idées, vos revendications, votre « cause » particulière. Et il y a fort à parier que la nourriture qu’on y trouvera sera aussi indigeste que celle de la chaîne de restauration susvisée. « Le 10 septembre est une date qui peut tout changer si nous sommes ENSEMBLE », dit l’appel en question, souligné compris. Déjà, il est bien naïf de croire qu’une date peut « tout changer ». Mais admettons. Il reste que si l’on veut « tout changer » mieux vaut avoir une idée de ce qu’on pense mettre à la place. « Tout changer » pour aboutir à quoi ? Personne ne sait. Et compte tenu du fait que l’appel s’adresse « à toutes celles et ceux qui en ont plein le dos », ce qui fait un ensemble aussi nombreux qu’hétérogène, il y a fort à parier que les « changements » que les uns et les autres ont en tête sont fort différents, et même contradictoires.
Lors du mouvement des gilets jaunes, j’avais publié dans ce blog un papier (2) proposant une distinction entre deux natures de mouvements populaires. D’un côté, des mouvements « revendicatifs », de l’autre, des mouvements « expressifs ». Dans le premier cas, le but est d’obtenir une réponse à des exigences. Dans le deuxième, il s’agit plutôt de satisfaire le besoin des participants d’exprimer un état d’âme. Un mouvement « revendicatif » constate un problème précis et propose une solution – bonne ou mauvaise, là n’est pas la question – à une autorité, à une institution perçue comme ayant le pouvoir de la mettre en œuvre. Un mouvement « expressif » constate publiquement un sentiment d’insatisfaction, et s’arrête là.
Pourquoi ne peut-il pas aller plus loin ? Parce que sa force se trouve dans l’ambigüité. S’il arrive à rassembler largement, c’est parce qu’il agglomère des mécontentements très différents, ayant des causes diverses et que les acteurs veulent voir résoudre par des solutions opposées. Tant qu’il s’agit de dire « je ne suis pas content », on communie facilement sans forcément demander à l’autre sur quoi porte son mécontentement. « Tous pourris » est un slogan qui réunit jusqu’au moment où l’on commence à se demander qui précisément sont ces « tous ». Sortir de cette ambigüité, c’est fracturer le mouvement, c’est le voir se dissoudre.
Pour le dire autrement, la fonction du mouvement « revendicatif » est politique au sens noble du terme, en ce qu’elle vise « à rendre possible ce qui est nécessaire », pour reprendre ma formule favorite de Richelieu. La fonction du mouvement « expressif » est cathartique : elle fait plaisir à ceux qui participent en leur permettant de dire ce qu’ils ont sur le cœur, en s’imaginant que les autres partagent leur opinion. Mais par lui-même le mouvement ne change en rien la réalité à l’origine de leur détresse, pas plus qu’une « marche blanche » qui suit un meurtre n’a de chances de ramener le décédé à la vie.
Le mouvement « bloquons tout » appartient sans aucune ambigüité à la catégorie des mouvements « expressifs ». Ceux qui ont rédigé l’appel insistent d’ailleurs sur l’impulsion qui les anime : l’impression d’être « épuisé », « pressé comme un citron », « broyé », « être à sec ». On notera qu’il ne s’agit pas là d’une constatation concernant une situation réelle, précise, dont on nomme les causes et qui serait susceptible d’être modifiée par un acteur à qui on s’adresse. Non, ceux qui ont rédigé cet appel se contentent d’exprimer un ressenti qui, comme tout ressenti, est purement subjectif, et qui, surtout, ne s’adresse vraiment à personne parce que personne n’a le pouvoir sur notre ressenti.
Un mouvement « expressif » peut-il se transformer en mouvement politique ? Peut-on, à partir d’un ressenti forcément subjectif, construire une force capable de faire avancer un projet politique ? Franchement, j’ai beaucoup de mal à trouver un seul exemple dans l’histoire. La difficulté vient du fait que si on peut être nombreux à partager un ressenti, ce n’est pas pour autant qu’on partage des intérêts, et que c’est l’intérêt – et non le ressenti – qui fait les grands mouvements politiques. On l’a bien vu avec le mouvement des « gilets jaunes ». On était nombreux à partager le ras-le-bol, à klaxonner gentiment dans les ronds-points ou mettre en évidence un gilet jaune dans sa voiture en soutien au mouvement. Mais une fois qu’il avait « exprimé » ce qu’il avait à dire, qu’il a fallu penser à la suite, le mouvement s’est fracturé, étiolé, dissous. Il faut reconnaître l’habileté de Macron sur ce point : s’il n’a pas vu venir le mouvement, il a compris parfaitement, bien mieux que ses opposants, sa nature. Il a parfaitement compris que le mouvement était « expressif », et a fait ce qu’il fallait faire : le laisser « s’exprimer », à travers les « grands débats », les « cahiers de doléances » et autres initiatives du même type. C’est cette écoute – formelle certes, mais écoute quand même – qui a eu raison du mouvement.
Pour le mouvement du 10 septembre, c’est pareil. Dire que le blocage, par lui-même, ne changera rien, c’est donner dans l’évidence. Et d’ailleurs les auteurs de l’appel ne le prétendent pas, puisqu’ils ne décrivent aucun mécanisme, aucune séquence qui conduit à un changement. Leur objectif semble être de faire comprendre à un « il » indéterminé qu’on n’est pas contents, et que « il » doit faire quelque chose – on ne sait pas quoi, on lui fait confiance pour trouver tout seul – pour prendre en compte ce mécontentement. Cette indétermination n’est pas accidentelle : définir clairement qui est ce « il » qui nous « presse comme des citrons », ce « il » qui nous épuise, ce « il » qui nous broie, ce « il » qui « n’est rien sans nous », cela nécessite une théorie politique, une « vision du tout » pour reprendre le vocabulaire de Gauchet. Et c’est là que « l’expression » se fracture, parce qu’il n’est pas du tout évident que ceux qui seront sensibles à cet appel ont le même « il » en tête. Entre autres choses, parce qu’on n’est pas « épuisés » par les mêmes choses, quand on est enseignant et quand on ramasse les poubelles. A supposer que l’ouvrier à la chaine et le cadre supérieur soient tous deux « pressés comme un citron », ils ne tirent pas le même bénéfice de leur sacrifice.
On insiste beaucoup sur le fait que « l’appel du 10 septembre » viendrait de l’extrême droite. Il a commencé à circuler, semble-t-il, à partir de certaines boucles d’expression souverainiste et conservatrice. Mais cela n’a guère d’importance : pour évaluer les effets d’un incendie, peu importe d’où vient l’étincelle. Une fois lancé, le mouvement a sa dynamique propre, qui dépend plus de ceux qui se joignent à lui que de ceux qui l’ont initié. Que le texte initial de l’appel ait été rédigé par un émule de Jean-Marie Le Pen ou par un fidèle de la secte Mélenchon, cela n’a aucune espèce d’importance. Ce qui est plus intéressant, c’est que le texte concentre les éléments d’une forme de complotisme commun à l’extrême gauche et à l’extrême droite, celui qui consiste à croire que le monde est gouverné par un « il » extérieur à la société et tout puissant, dont nous ne serions que les jouets. A droite ce « il » peut être George Soros ou le « deep state », à gauche c’est le « 1% » qui s’oppose au « 99% ». Et comme « sans nous ils ne sont rien », il suffirait de ne plus payer, de ne plus consommer, de ne plus travailler et de « garder nos enfants avec nous » (3) pour que « ils » dépérissent et que le bonheur universel règne sur la terre.
Cette division manichéenne de la société entre ce « il » extérieur et le « nous » inclusif simplifie jusqu’à l’absurde des rapports sociaux qui sont d’une infinie complexité. Parce que si « sans nous ils ne sont rien », on peut se demander ce que « nous » serions sans « eux ». L’interaction entre capital et travail – si l’on suppose que les catégories « nous » et « eux » y font référence, ce qui n’est pas une évidence – n’est pas une interaction mécanique, entre un dominant tout-puissant et un dominé tout-soumis. Le rapport entre les classes est un rapport dialectique complexe qui dépasse même la dialectique du maître et de l’esclave déjà décrite par Hegel. Mais c’est précisément ce manichéisme qui permet à cet appel de trouver un large écho, puisqu’après avoir divisé la société entre un « il » indéterminé et un ensemble de citoyens « épuisés », « broyés », « pressés comme des citrons », il permet à chacun de se mettre du « bon » côté, c’est-à-dire, celui des victimes. Et c’est là où l’on touche le nœud de l’affaire. Cet appel pleurnichard trouve un écho parce qu’au fond, il reprend le discours « victimiste » ambiant. Parce qu’il s’adresse à nous non pas en citoyens qui, collectivement, sommes les détenteurs de la souveraineté, mais en victimes « broyées » et qui ne peuvent faire rien d’autre que crier leur « épuisement », sans rien proposer pour redresser les choses, sauf une interpellation à ces « ils » mystérieux qui semblent être les seuls à peser sur l’organisation de la société.
L’appel à « bloquer tout » est, du point de vue de son caractère politique, en recul par rapport au mouvement des « gilets jaunes ». Si ce dernier mouvement fut globalement « expressif », cette expression avait au moins un destinataire : l’establishment politique. Les gens mobilisés dans les ronds-points avaient une exigence, que les politiciens s’occupent de leurs problèmes. Il n’y a rien de tel dans l’appel à « bloquer tout ». Celui-ci s’adresse à un « ils » indéterminé, a qui on ne demande finalement pas grande chose, en dehors de constater que « sans nous ils ne sont rien ». C’est pour cette raison qu’on ne voit pas quelle pourrait être la traduction politique de ce mouvement – à supposer qu’il provoque une véritable mobilisation dans la rue, ce qui est loin d’être évident sauf pour ceux qui pensent que les échanges sur les réseaux sociaux reflètent le monde réel. Bien sûr, tel ou tel parti peut essayer de récupérer le mouvement en se présentant comme son porte-parole. Il est rare que cela fonctionne. Et c’est logique : l’apparition de mouvements « expressifs » traduit justement l’incapacité des partis, des organisations syndicales, des corps intermédiaires à canaliser ex ante le ressenti de leurs mandants et à lui donner une traduction politique. Autrement dit, ce n’est pas en courant derrière les mouvements de la société qu’un parti politique peut espérer être à leur tête.
Il n’est pas inutile de s’interroger aussi sur la sociologie du mouvement. Le mouvement « bloquons tout » est très différent de celui des « gilets jaunes » par sa composition. A ce propos, il est intéressant de lire l’étude que publie le sociologue Antoine Bristielle pour la fondation Jean Jaurès (4), fondée sur un sondage pratiqué sur les boucles du mouvement dans les réseaux sociaux. Quelles sont ses conclusions ? Parmi les actifs et par rapport à la population française, les groupes le plus surreprésentés sont les « artisans, commerçants, chefs d’entreprise » (8% contre 4%) les cadres (16% contre 11%) et les étudiants (22% contre 12%). Les plus sous-représentés sont les ouvriers (6% contre 13%). Les employés, eux, sont au même niveau que dans la population générale (17% contre 18%). Tout le contraire du mouvement des « gilets jaunes », où les cadres étaient sous-représentés et les ouvriers et employés surreprésentés. On retrouve le même phénomène pour ce qui concerne les diplômes : les diplômés sont d’autant plus surreprésentés que le diplôme est fort. Ainsi, les bac+5 représentent 27% des répondants, presque trois fois plus que les 10% dans la population générale. Les diplômés bac+3/+4 sont 25% contre 14%… mais si on prend les CAP-BEP, on se retrouve avec un rapport inversé : 8% seulement contre 28% dans la population générale. Et comment vote cette population ? On peut le deviner : en 2022, 69% ont voté Mélenchon au premier tour (contre 22% pour la population générale), 10% ont voté Poutou (1%). Suivent Jadot avec 5% a parité avec son score réel, et… Marine Le Pen avec 3% (23%). Aucun autre candidat ne dépasse les 2%, y compris des candidats de gauche qu’on s’attendrait à voir surreprésentés.
Ces résultats dépeignent un mouvement très différent de celui des « gilets jaunes », qui était beaucoup plus représentatif de la France périphérique, celle des classes populaires et des précaires n’ayant pas de relais politiques. « Bloquons tout » est un mouvement plutôt centré sur les classes intermédiaires éduquées et dont les références politiques sont relativement étroites. La faible représentation des électeurs RN confirme d’ailleurs ce diagnostic. Autrement dit, quelque soit son origine il s’agit d’un mouvement dont la base est beaucoup plus étroite, parce que beaucoup plus proche de l’électorat gauchiste.
Que LFI rêve de surfer sur la vague n’étonnera donc personne. Mélenchon est en cela parfaitement cohérent avec sa communication, qui consiste à voir des « révolutions citoyennes » dans n’importe quelle mobilisation populaire. Ici, le mouvement sert l’une de ses obsessions : avancer l’élection présidentielle. Car Mélenchon est parfaitement conscient que l’heure tourne, et que d’ici 2027 un accident pourrait l’empêcher de se présenter. Mais il sait aussi que l’occasion ne sera jamais aussi belle : si Macron démissionnait aujourd’hui, LFI est le seul parti qui a un candidat prêt à partir en campagne. Au RN, Marine Le Pen est empêchée et Bardella n’est pas encore dans le rôle. Chez LR, la bagarre entre candidats potentiels est dure. Les socialistes ne savent à quel saint – Glucksmann ? Hollande ? – se vouer, les écologistes ne savent pas encore s’ils présenteront un candidat, le « bloc central » a plusieurs options de poids équivalent. Et comme LFI est monté sur le bateau du « bloquons tout », les autres ne peuvent pas rester sur la rive… même les socialistes qui jouent par ailleurs au parti « responsable »…
Je ne sais pas ce que donnera ce mouvement. En attendant, il faut rappeler un principe fondamental : les victimes ne font pas de politique. Les objets ne deviennent pas des sujets. Les mouvements qui cultivent des idéologies victimaires arrivent rarement à construire un projet politique, parce qu’un projet politique implique de se concevoir comme celui qui agit, et non celui qui subit. Les partis ouvriers n’ont pris leur envol qu’en affrontant le regard paternaliste et misérabiliste du « pauvre » conçu comme victime pour constituer une théorie qui faisait du prolétaire non pas l’objet mais le sujet – que dis-je, le principal sujet – de l’histoire.
Descartes
(1) Voici le texte complet de l’appel, à savourer (je me suis efforcé de respecter la ponctuation hésitante et les détails typographiques) :
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Appel national à la solidarité du peuple pour un arrêt total, général et illimité du pays. A partir du 10 septembre 2025.
A toutes celles et ceux qui en ont plein le dos. NOUS citoyennes et citoyens épuisés, invisibles pressés comme des citrons, déclarons que nous cessons de faire tourner une machine qui nous broie.
A partir du 10 septembre 2025 nous entrons en arrêt total et illimité.
Nous ne payons plus, ne consommons plus, ne travaillons plus, gardons nos enfants avec nous.
Notre seul pouvoir est le BOYCOTT TOTAL.
Leur faire comprendre que nous ne sommes plus des vaches à lait, car nous sommes à sec.
SANS NOUS ILS NE SONT RIEN.
Fini l’assistanat pour nous politiques.
(emoji triangle d’interdiction) Stop à ce RACKET en bande organisée.
Assez de sacrifices silencieux, assez de profits sur NOUS, assez de promesses creuses.
Le 10 septembre une date qui peut tout changer si nous sommes ENSEMBLE. (emoji bras musclé)
On n’a plus rien à perdre, mais tout à GAGNER !
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(2) https://descartes-blog.fr/2018/12/01/gilets-jaunes-laventure-continue/
(3) Cette formule est peut-être la plus révélatrice du versant idéologique où se situent les auteurs de l’appel. Que nous dit cette proposition de « garder nos enfants avec nous » plutôt que de les envoyer à l’école ? Cela nous dit que pour ses auteurs la scolarisation ne se fait pas au bénéfice des enfants, mais au bénéfice de ce « ils » honni. Autrement dit, si les enfants manquent l’école ce n’est pas l’enfant qui en pâtit, ce sont ces « ils ». On retrouve là une vision « libertaire », qu’on retrouve autant dans la gauche soixante-huitarde (celle qui classait l’école parmi les « structures répressives de l’Etat » et qui lisait avec passion Ivan Ilitch et sa « société sans école ») que dans l’extrême droite libertaire qui voit dans l’école le cheval de Troie du « deep state » dans la famille.
(4) https://www.jean-jaures.org/publication/bloquons-tout-tentative-de-portrait-robot-dun-mouvement-nebuleux/
Bonjour
Les élus n’ont ils pas pour responsabilité d’écouter et de traduire en actes les mouvements expressifs ?
Je reste consterné par ce qu’a fait Macron du mouvement des gilets jaunes, le grand débat (où il pérorait seul ou presque pendant des heures), les cahiers de doléances (jamais ouverts), il y avait une occasion en or pour faire des choses. Et c’était le boulot du président et des élus nationaux de le faire.
Certes il n’y avait pas de revendications très cohérentes, mais certaines demandes étaient assez clairement formulées : démocratie plus directe, remédier aux fins de mois difficiles des moins aisés, plus d’écoute de la part des politiques… C’est tout simplement incroyable que ça n’ait abouti à rien.
Cela ne peut que décourager et radicaliser les gens.
@ tmn
[Les élus n’ont-ils pas pour responsabilité d’écouter et de traduire en actes les mouvements expressifs ?]
De les « écouter », certainement. Un élu digne de son rôle de représentant doit être à l’écoute de tous les mouvements de la société. Mais « traduire en actes » ? C’est déjà moins évident. Et d’abord, est-ce possible ? Si la foule déclare qu’elle « n’aime pas cette société » – c’est à peu près ce que dit l’appel pour le 10 septembre – comment faites-vous pour « traduire en actes » cette expression ? Souvent, la protestation est portée pour moitié par des gens qui pensent qu’on ne fait pas assez, et pour l’autre moitié par des gens qui pensent qu’on en fait trop. Dans ce cas, que doit faire l’élu pour « traduire l’expression en actes » ?
Il y a deux conceptions du rôle du « représentant ». La première, est que le représentant est là pour porter les idées, les opinions de ses mandants – d’où l’idée que la représentation doit ressembler sociologiquement, sexuellement, intellectuellement, au représenté. Il y a une seconde, qui fait du représentant quelqu’un en qui les mandats ont confiance pour réfléchir par lui-même à la façon de faire avancer leurs intérêts. Dans cette conception, le représentant n’a pas à ressembler aux représentés, mais il doit les écouter et leur expliquer ses choix. Personnellement, je penche pour la deuxième vision.
[Je reste consterné par ce qu’a fait Macron du mouvement des gilets jaunes, le grand débat (où il pérorait seul ou presque pendant des heures), les cahiers de doléances (jamais ouverts), il y avait une occasion en or pour faire des choses. Et c’était le boulot du président et des élus nationaux de le faire.]
Pour « faire quelque chose » ? Quoi, à votre avis ?
[Certes il n’y avait pas de revendications très cohérentes, mais certaines demandes étaient assez clairement formulées : démocratie plus directe, remédier aux fins de mois difficiles des moins aisés, plus d’écoute de la part des politiques… C’est tout simplement incroyable que ça n’ait abouti à rien.]
Mais était-ce ce que les « gilets jaunes » demandaient ? La « démocratie plus directe » n’apparaît que tardivement, et c’est une importation des militants politiques qui ont pris le train en marche. « Remédier aux fins de mois difficiles », c’est une demande tellement générale qu’on voit mal comment on pourrait la satisfaire. Quant à « plus d’écoute », c’était là la principale demande du mouvement, et probablement la plus subversive…
@ Descartes
[Les socialistes ne savent à quel saint – Glucksmann ? Hollande ? – se vouer]
Faire de Glucksmann et Hollande des saints, un jour de rentrée, c’est dur à lire !
Bonjour Descartes,
Content de vous voir publier régulièrement ces temps-ci même si la période et vos papiers n’incitent pas à l’optimisme. Merci pour ce texte qui fait lien avec d’autres que vous avez déjà produits sur la société victimaire. C’est toujours agréable et stimulant de lire une pensée construite.
Juste un rappel historique:
“L’appel à « bloquer tout » est, du point de vue de son caractère politique, en recul par rapport au mouvement des « gilets jaunes ».”
Plutôt d’accord avec vous mais je pensais lire après cette phrase un rappel de l’origine de la mobilisation des GJ. Le mouvement s’est coagulé autour de deux revendications “contre” claires: le retrait de la limitation à 80 km/h et l’abrogation d’une hausse de la taxe sur les carburants (obtenue pour cette dernière). Je crois me souvenir qu’il était initialement marqué à droite avec une surreprésentation des indépendants.
La surreprésentation des classes intermédiaires du mouvement du 10-Septembre laisserait penser que cette fois-ci la gauche radicale entend ne pas laisser passer sa chance de se trouver, à nouveau, à la pointe de la “bordélisation”. Initialement, LFI et consorts avaient regardé le démarrage des GJ comme un truc de beauf’ parti de l’extrême-droite et s’étaient trouvé embarrassés face à l’ampleur du mouvement.
@ Benjamin
[Content de vous voir publier régulièrement ces temps-ci même si la période et vos papiers n’incitent pas à l’optimisme]
J’ai un peu de temps libre en attendant de reprendre le travail, alors… Mais il est vrai que l’époque n’invite pas vraiment à l’optimisme. Je ne sais pas ce qui est le plus désespérant, les difficultés qui nous attendent, ou la petitesse des dirigeants qui sont censés y faire face…
[Plutôt d’accord avec vous mais je pensais lire après cette phrase un rappel de l’origine de la mobilisation des GJ. Le mouvement s’est coagulé autour de deux revendications “contre” claires: le retrait de la limitation à 80 km/h et l’abrogation d’une hausse de la taxe sur les carburants (obtenue pour cette dernière).]
Oui et non. Oui, ce sont l’imposition de taxes sur les carburants et la limitation de vitesse qui ont mis le feu aux poudres. Mais le mouvement a fait de ces deux mesures des exemples de la manière dont le pouvoir politique légifère en pleine déconnexion avec les problèmes de « la France d’en bas ». Et c’est contre cette manière de faire que le mouvement s’est levé. C’est plutôt contre cette tendance du monde politique à « emmerder les français » en leur imposant des règles absurdes pour contenter des lobbies. On ne me fera pas croire que les gens sont sortis bloquer les ronds-points pour pouvoir rouler à 90 km/h plutôt qu’à 80.
[Je crois me souvenir qu’il était initialement marqué à droite avec une surreprésentation des indépendants.]
Cela se comprend. Des catégories comme les indépendants (à droite) et les étudiants (à gauche) sont souvent surreprésentées parce qu’elles ont plus de facilités pour organiser leur temps. Quand on est salarié, il est plus compliqué de « tenir » un rond-point toute la journée. Mais très rapidement le mouvement a été rejoint par ouvriers et employés.
[La surreprésentation des classes intermédiaires du mouvement du 10-Septembre laisserait penser que cette fois-ci la gauche radicale entend ne pas laisser passer sa chance de se trouver, à nouveau, à la pointe de la “bordélisation”.]
Sans doute. Surtout que Mélenchon voit dans cette « bordélisation » une opportunité de se représenter à l’élection présidentielle dans les meilleures conditions qui ne se répétera pas de sitôt. Si Macron démissionnait demain, les différents partis n’auraient que quelques semaines pour désigner leur candidat… cela donne une prime considérable aux organisations qui ont un candidat « naturel ».