Demain, on bloque !

La politique ce n’est qu’une certaine façon d’agiter le peuple avant de s’en servir”. (Talleyrand)

Je lisais l’autre jour un entretien de Marcel Gauchet dans « Le Monde », dans lequel le philosophe abordait le thème de la « dépolitisation » de notre société. Mais ce qui était particulièrement intéressant, c’est qu’il ne donne pas à ce terme le sens qu’on lui donne habituellement. Gauchet se place dans un plan différent :

« Le terme de « dépolitisation » est trompeur. On croit savoir tout de suite de quoi il s’agit : désintérêt pour la politique et comportement abstentionniste. Ce n’est pas faux, mais cela ne couvre qu’une petite partie du problème, dans la situation actuelle des démocraties. Plus fondamentalement, la dépolitisation présente correspond à un changement de nature de la citoyenneté.

Dans sa conception classique, la citoyenneté consistait à prendre en charge le point de vue du tout de la société, et à se donner une conception d’ensemble de ses orientations souhaitables. C’est ce point de vue du tout qui s’est évanoui. Rien n’illustre mieux ce changement que l’explosion associative : à chacun sa cause particulière, et aux gouvernants de se débrouiller pour la mise en œuvre de cette cacophonie de propositions spécifiques.

Vous pouvez avoir dans ce cadre des gens très engagés, mais qui ne raisonnent pas politiquement, c’est-à-dire en fonction d’une cohérence programmatique d’ensemble. Mieux, cette dépolitisation s’accompagne couramment d’une radicalisation de ces causes particulières, qui ne veulent rien savoir des autres, pour s’imposer, jusqu’à la violence.

La politique, c’est-à-dire, encore une fois, la conduite d’un tout, n’est plus comprise, elle ne suscite plus que de rares vocations, à tous les niveaux. Un des résultats frappants en est la vulnérabilité des institutions à la pénétration de militants radicaux. Ils entrent comme dans du beurre dans des structures sans plus de tête, qu’ils détournent au service de leurs causes. »

Cette réflexion sur la « dépolitisation » – qu’on peut rattacher à une autre crise, intellectuelle celle-là, liée à la disparition de « l’esprit de système » et la prééminence du particulier sur l’universel – m’a d’autant plus touché que je regardais la documentation sur le mouvement « bloquons tout » qui s’annonce pour le 10 septembre prochain. Car l’appel qui structure ce mouvement (1), la manière comme il se propage, son caractère même, illustrent presque à la perfection l’analyse de Gauchet. Ce mouvement, c’est une auberge espagnole, où chacun trouve ce qu’il apporte. Ou plutôt un McDonald’s, cette chaine dont le slogan est « venez comme vous êtes ». L’appel qui circule sur les réseaux, c’est un peu « venez comme vous êtes » : avec vos idées, vos revendications, votre « cause » particulière. Et il y a fort à parier que la nourriture qu’on y trouvera sera aussi indigeste que celle de la chaîne de restauration susvisée. « Le 10 septembre est une date qui peut tout changer si nous sommes ENSEMBLE », dit l’appel en question, souligné compris. Déjà, il est bien naïf de croire qu’une date peut « tout changer ». Mais admettons. Il reste que si l’on veut « tout changer » mieux vaut avoir une idée de ce qu’on pense mettre à la place. « Tout changer » pour aboutir à quoi ? Personne ne sait. Et compte tenu du fait que l’appel s’adresse « à toutes celles et ceux qui en ont plein le dos », ce qui fait un ensemble aussi nombreux qu’hétérogène, il y a fort à parier que les « changements » que les uns et les autres ont en tête sont fort différents, et même contradictoires.

Lors du mouvement des gilets jaunes, j’avais publié dans ce blog un papier (2) proposant une distinction entre deux natures de mouvements populaires. D’un côté, des mouvements « revendicatifs », de l’autre, des mouvements « expressifs ». Dans le premier cas, le but est d’obtenir une réponse à des exigences. Dans le deuxième, il s’agit plutôt de satisfaire le besoin des participants d’exprimer un état d’âme. Un mouvement « revendicatif » constate un problème précis et propose une solution – bonne ou mauvaise, là n’est pas la question – à une autorité, à une institution perçue comme ayant le pouvoir de la mettre en œuvre. Un mouvement « expressif » constate publiquement un sentiment d’insatisfaction, et s’arrête là.

Pourquoi ne peut-il pas aller plus loin ? Parce que sa force se trouve dans l’ambigüité. S’il arrive à rassembler largement, c’est parce qu’il agglomère des mécontentements très différents, ayant des causes diverses et que les acteurs veulent voir résoudre par des solutions opposées. Tant qu’il s’agit de dire « je ne suis pas content », on communie facilement sans forcément demander à l’autre sur quoi porte son mécontentement. « Tous pourris » est un slogan qui réunit jusqu’au moment où l’on commence à se demander qui précisément sont ces « tous ». Sortir de cette ambigüité, c’est fracturer le mouvement, c’est le voir se dissoudre.

Pour le dire autrement, la fonction du mouvement « revendicatif » est politique au sens noble du terme, en ce qu’elle vise « à rendre possible ce qui est nécessaire », pour reprendre ma formule favorite de Richelieu. La fonction du mouvement « expressif » est cathartique : elle fait plaisir à ceux qui participent en leur permettant de dire ce qu’ils ont sur le cœur, en s’imaginant que les autres partagent leur opinion. Mais par lui-même le mouvement ne change en rien la réalité à l’origine de leur détresse, pas plus qu’une « marche blanche » qui suit un meurtre n’a de chances de ramener le décédé à la vie.

Le mouvement « bloquons tout » appartient sans aucune ambigüité à la catégorie des mouvements « expressifs ». Ceux qui ont rédigé l’appel insistent d’ailleurs sur l’impulsion qui les anime : l’impression d’être « épuisé », « pressé comme un citron », « broyé », « être à sec ». On notera qu’il ne s’agit pas là d’une constatation concernant une situation réelle, précise, dont on nomme les causes et qui serait susceptible d’être modifiée par un acteur à qui on s’adresse. Non, ceux qui ont rédigé cet appel se contentent d’exprimer un ressenti qui, comme tout ressenti, est purement subjectif, et qui, surtout, ne s’adresse vraiment à personne parce que personne n’a le pouvoir sur notre ressenti.

Un mouvement « expressif » peut-il se transformer en mouvement politique ? Peut-on, à partir d’un ressenti forcément subjectif, construire une force capable de faire avancer un projet politique ? Franchement, j’ai beaucoup de mal à trouver un seul exemple dans l’histoire. La difficulté vient du fait que si on peut être nombreux à partager un ressenti, ce n’est pas pour autant qu’on partage des intérêts, et que c’est l’intérêt – et non le ressenti – qui fait les grands mouvements politiques. On l’a bien vu avec le mouvement des « gilets jaunes ». On était nombreux à partager le ras-le-bol, à klaxonner gentiment dans les ronds-points ou mettre en évidence un gilet jaune dans sa voiture en soutien au mouvement. Mais une fois qu’il avait « exprimé » ce qu’il avait à dire, qu’il a fallu penser à la suite, le mouvement s’est fracturé, étiolé, dissous. Il faut reconnaître l’habileté de Macron sur ce point : s’il n’a pas vu venir le mouvement, il a compris parfaitement, bien mieux que ses opposants, sa nature. Il a parfaitement compris que le mouvement était « expressif », et a fait ce qu’il fallait faire : le laisser « s’exprimer », à travers les « grands débats », les « cahiers de doléances » et autres initiatives du même type. C’est cette écoute – formelle certes, mais écoute quand même – qui a eu raison du mouvement.

Pour le mouvement du 10 septembre, c’est pareil. Dire que le blocage, par lui-même, ne changera rien, c’est donner dans l’évidence. Et d’ailleurs les auteurs de l’appel ne le prétendent pas, puisqu’ils ne décrivent aucun mécanisme, aucune séquence qui conduit à un changement. Leur objectif semble être de faire comprendre à un « il » indéterminé qu’on n’est pas contents, et que « il » doit faire quelque chose – on ne sait pas quoi, on lui fait confiance pour trouver tout seul – pour prendre en compte ce mécontentement. Cette indétermination n’est pas accidentelle : définir clairement qui est ce « il » qui nous « presse comme des citrons », ce « il » qui nous épuise, ce « il » qui nous broie, ce « il » qui « n’est rien sans nous », cela nécessite une théorie politique, une « vision du tout » pour reprendre le vocabulaire de Gauchet. Et c’est là que « l’expression » se fracture, parce qu’il n’est pas du tout évident que ceux qui seront sensibles à cet appel ont le même « il » en tête. Entre autres choses, parce qu’on n’est pas « épuisés » par les mêmes choses, quand on est enseignant et quand on ramasse les poubelles. A supposer que l’ouvrier à la chaine et le cadre supérieur soient tous deux « pressés comme un citron », ils ne tirent pas le même bénéfice de leur sacrifice.

On insiste beaucoup sur le fait que « l’appel du 10 septembre » viendrait de l’extrême droite. Il a commencé à circuler, semble-t-il, à partir de certaines boucles d’expression souverainiste et conservatrice. Mais cela n’a guère d’importance : pour évaluer les effets d’un incendie, peu importe d’où vient l’étincelle. Une fois lancé, le mouvement a sa dynamique propre, qui dépend plus de ceux qui se joignent à lui que de ceux qui l’ont initié. Que le texte initial de l’appel ait été rédigé par un émule de Jean-Marie Le Pen ou par un fidèle de la secte Mélenchon, cela n’a aucune espèce d’importance. Ce qui est plus intéressant, c’est que le texte concentre les éléments d’une forme de complotisme commun à l’extrême gauche et à l’extrême droite, celui qui consiste à croire que le monde est gouverné par un « il » extérieur à la société et tout puissant, dont nous ne serions que les jouets. A droite ce « il » peut être George Soros ou le « deep state », à gauche c’est le « 1% » qui s’oppose au « 99% ». Et comme « sans nous ils ne sont rien », il suffirait de ne plus payer, de ne plus consommer, de ne plus travailler et de « garder nos enfants avec nous » (3) pour que « ils » dépérissent et que le bonheur universel règne sur la terre.

Cette division manichéenne de la société entre ce « il » extérieur et le « nous » inclusif simplifie jusqu’à l’absurde des rapports sociaux qui sont d’une infinie complexité. Parce que si « sans nous ils ne sont rien », on peut se demander ce que « nous » serions sans « eux ». L’interaction entre capital et travail – si l’on suppose que les catégories « nous » et « eux » y font référence, ce qui n’est pas une évidence – n’est pas une interaction mécanique, entre un dominant tout-puissant et un dominé tout-soumis. Le rapport entre les classes est un rapport dialectique complexe qui dépasse même la dialectique du maître et de l’esclave déjà décrite par Hegel. Mais c’est précisément ce manichéisme qui permet à cet appel de trouver un large écho, puisqu’après avoir divisé la société entre un « il » indéterminé et un ensemble de citoyens « épuisés », « broyés », « pressés comme des citrons », il permet à chacun de se mettre du « bon » côté, c’est-à-dire, celui des victimes. Et c’est là où l’on touche le nœud de l’affaire. Cet appel pleurnichard trouve un écho parce qu’au fond, il reprend le discours « victimiste » ambiant. Parce qu’il s’adresse à nous non pas en citoyens qui, collectivement, sommes les détenteurs de la souveraineté, mais en victimes « broyées » et qui ne peuvent faire rien d’autre que crier leur « épuisement », sans rien proposer pour redresser les choses, sauf une interpellation à ces « ils » mystérieux qui semblent être les seuls à peser sur l’organisation de la société.

L’appel à « bloquer tout » est, du point de vue de son caractère politique, en recul par rapport au mouvement des « gilets jaunes ». Si ce dernier mouvement fut globalement « expressif », cette expression avait au moins un destinataire : l’establishment politique. Les gens mobilisés dans les ronds-points avaient une exigence, que les politiciens s’occupent de leurs problèmes. Il n’y a rien de tel dans l’appel à « bloquer tout ». Celui-ci s’adresse à un « ils » indéterminé, a qui on ne demande finalement pas grande chose, en dehors de constater que « sans nous ils ne sont rien ». C’est pour cette raison qu’on ne voit pas quelle pourrait être la traduction politique de ce mouvement – à supposer qu’il provoque une véritable mobilisation dans la rue, ce qui est loin d’être évident sauf pour ceux qui pensent que les échanges sur les réseaux sociaux reflètent le monde réel. Bien sûr, tel ou tel parti peut essayer de récupérer le mouvement en se présentant comme son porte-parole. Il est rare que cela fonctionne. Et c’est logique : l’apparition de mouvements « expressifs » traduit justement l’incapacité des partis, des organisations syndicales, des corps intermédiaires à canaliser ex ante le ressenti de leurs mandants et à lui donner une traduction politique. Autrement dit, ce n’est pas en courant derrière les mouvements de la société qu’un parti politique peut espérer être à leur tête.

Il n’est pas inutile de s’interroger aussi sur la sociologie du mouvement. Le mouvement « bloquons tout » est très différent de celui des « gilets jaunes » par sa composition. A ce propos, il est intéressant de lire l’étude que publie le sociologue Antoine Bristielle pour la fondation Jean Jaurès (4), fondée sur un sondage pratiqué sur les boucles du mouvement dans les réseaux sociaux. Quelles sont ses conclusions ? Parmi les actifs et par rapport à la population française, les groupes le plus surreprésentés sont les « artisans, commerçants, chefs d’entreprise » (8% contre 4%) les cadres (16% contre 11%) et les étudiants (22% contre 12%). Les plus sous-représentés sont les ouvriers (6% contre 13%). Les employés, eux, sont au même niveau que dans la population générale (17% contre 18%). Tout le contraire du mouvement des « gilets jaunes », où les cadres étaient sous-représentés et les ouvriers et employés surreprésentés. On retrouve le même phénomène pour ce qui concerne les diplômes : les diplômés sont d’autant plus surreprésentés que le diplôme est fort. Ainsi, les bac+5 représentent 27% des répondants, presque trois fois plus que les 10% dans la population générale. Les diplômés bac+3/+4 sont 25% contre 14%… mais si on prend les CAP-BEP, on se retrouve avec un rapport inversé :  8% seulement contre 28% dans la population générale. Et comment vote cette population ? On peut le deviner : en 2022, 69% ont voté Mélenchon au premier tour (contre 22% pour la population générale), 10% ont voté Poutou (1%). Suivent Jadot avec 5%, à parité avec son score réel, et… Marine Le Pen avec 3% (23%). Aucun autre candidat ne dépasse les 2%, y compris des candidats de gauche qu’on s’attendrait à voir surreprésentés.

Ces résultats dépeignent un mouvement très différent de celui des « gilets jaunes », qui était beaucoup plus représentatif de la France périphérique, celle des classes populaires et des précaires n’ayant pas de relais politiques. « Bloquons tout » est un mouvement plutôt centré sur les classes intermédiaires éduquées et dont les références politiques sont relativement étroites. La faible représentation des électeurs RN confirme d’ailleurs ce diagnostic. Autrement dit, quelle que soit son origine il s’agit d’un mouvement dont la base est beaucoup plus étroite, parce que beaucoup plus proche de l’électorat gauchiste.

Que LFI rêve de surfer sur la vague n’étonnera donc personne. Mélenchon est en cela parfaitement cohérent avec sa communication, qui consiste à voir des « révolutions citoyennes » dans n’importe quelle mobilisation populaire. Ici, le mouvement sert l’une de ses obsessions : avancer l’élection présidentielle. Car Mélenchon est parfaitement conscient que l’heure tourne, et que d’ici 2027 un accident pourrait l’empêcher de se présenter. Mais il sait aussi que l’occasion ne sera jamais aussi belle : si Macron démissionnait aujourd’hui, LFI est le seul parti qui a un candidat prêt à partir en campagne. Au RN, Marine Le Pen est empêchée et Bardella n’est pas encore dans le rôle. Chez LR, la bagarre entre candidats potentiels est dure. Les socialistes ne savent à quel saint – Glucksmann ? Hollande ? – se vouer, les écologistes ne savent pas encore s’ils présenteront un candidat, le « bloc central » a plusieurs options de poids équivalent. Et comme LFI est monté sur le bateau du « bloquons tout », les autres ne peuvent pas rester sur la rive… même les socialistes qui jouent par ailleurs au parti « responsable »…

Je ne sais pas ce que donnera ce mouvement. En attendant, il faut rappeler un principe fondamental : les victimes ne font pas de politique. Les objets ne deviennent pas des sujets. Les mouvements qui cultivent des idéologies victimaires arrivent rarement à construire un projet politique, parce qu’un projet politique implique de se concevoir comme celui qui agit, et non celui qui subit. Les partis ouvriers n’ont pris leur envol qu’en affrontant le regard paternaliste et misérabiliste du « pauvre » conçu comme victime pour constituer une théorie qui faisait du prolétaire non pas l’objet mais le sujet – que dis-je, le principal sujet – de l’histoire.

Descartes

(1) Voici le texte complet de l’appel, à savourer (je me suis efforcé de respecter la ponctuation hésitante et les détails typographiques) :

_________________________________________________________________

Appel national à la solidarité du peuple pour un arrêt total, général et illimité du pays. A partir du 10 septembre 2025.

A toutes celles et ceux qui en ont plein le dos. NOUS citoyennes et citoyens épuisés, invisibles pressés comme des citrons, déclarons que nous cessons de faire tourner une machine qui nous broie.

A partir du 10 septembre 2025 nous entrons en arrêt total et illimité.

Nous ne payons plus, ne consommons plus, ne travaillons plus, gardons nos enfants avec nous.

Notre seul pouvoir est le BOYCOTT TOTAL.

Leur faire comprendre que nous ne sommes plus des vaches à lait, car nous sommes à sec.

SANS NOUS ILS NE SONT RIEN.

Fini l’assistanat pour nous politiques.

(emoji triangle d’interdiction) Stop à ce RACKET en bande organisée.

Assez de sacrifices silencieux, assez de profits sur NOUS, assez de promesses creuses.

Le 10 septembre une date qui peut tout changer si nous sommes ENSEMBLE. (emoji bras musclé)

On n’a plus rien à perdre, mais tout à GAGNER !

______________________________________________________________

(2) https://descartes-blog.fr/2018/12/01/gilets-jaunes-laventure-continue/

(3) Cette formule est peut-être la plus révélatrice du versant idéologique où se situent les auteurs de l’appel. Que nous dit cette proposition de « garder nos enfants avec nous » plutôt que de les envoyer à l’école ? Cela nous dit que pour ses auteurs la scolarisation ne se fait pas au bénéfice des enfants, mais au bénéfice de ce « ils » honni. Autrement dit, si les enfants manquent l’école ce n’est pas l’enfant qui en pâtit, ce sont ces « ils ». On retrouve là une vision « libertaire », qu’on retrouve autant dans la gauche soixante-huitarde (celle qui classait l’école parmi les « structures répressives de l’Etat » et qui lisait avec passion Ivan Illich et sa « société sans école ») que dans l’extrême droite libertaire qui voit dans l’école le cheval de Troie du « deep state » dans la famille.

(4) https://www.jean-jaures.org/publication/bloquons-tout-tentative-de-portrait-robot-dun-mouvement-nebuleux/

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16 réponses à Demain, on bloque !

  1. tmn dit :

    Bonjour
     
    Les élus n’ont ils pas pour responsabilité d’écouter et de traduire en actes les mouvements expressifs ?
     
    Je reste consterné par ce qu’a fait Macron du mouvement des gilets jaunes, le grand débat (où il pérorait seul ou presque pendant des heures), les cahiers de doléances (jamais ouverts), il y avait une occasion en or pour faire des choses. Et c’était le boulot du président et des élus nationaux de le faire.
     
    Certes il n’y avait pas de revendications très cohérentes, mais certaines demandes étaient assez clairement formulées : démocratie plus directe, remédier aux fins de mois difficiles des moins aisés, plus d’écoute de la part des politiques… C’est tout simplement incroyable que ça n’ait abouti à rien.
     
    Cela ne peut que décourager et radicaliser les gens.
     

    • Descartes dit :

      @ tmn

      [Les élus n’ont-ils pas pour responsabilité d’écouter et de traduire en actes les mouvements expressifs ?]

      De les « écouter », certainement. Un élu digne de son rôle de représentant doit être à l’écoute de tous les mouvements de la société. Mais « traduire en actes » ? C’est déjà moins évident. Et d’abord, est-ce possible ? Si la foule déclare qu’elle « n’aime pas cette société » – c’est à peu près ce que dit l’appel pour le 10 septembre – comment faites-vous pour « traduire en actes » cette expression ? Souvent, la protestation est portée pour moitié par des gens qui pensent qu’on ne fait pas assez, et pour l’autre moitié par des gens qui pensent qu’on en fait trop. Dans ce cas, que doit faire l’élu pour « traduire l’expression en actes » ?

      Il y a deux conceptions du rôle du « représentant ». La première, est que le représentant est là pour porter les idées, les opinions de ses mandants – d’où l’idée que la représentation doit ressembler sociologiquement, sexuellement, intellectuellement, au représenté. Il y a une seconde, qui fait du représentant quelqu’un en qui les mandats ont confiance pour réfléchir par lui-même à la façon de faire avancer leurs intérêts. Dans cette conception, le représentant n’a pas à ressembler aux représentés, mais il doit les écouter et leur expliquer ses choix. Personnellement, je penche pour la deuxième vision.

      [Je reste consterné par ce qu’a fait Macron du mouvement des gilets jaunes, le grand débat (où il pérorait seul ou presque pendant des heures), les cahiers de doléances (jamais ouverts), il y avait une occasion en or pour faire des choses. Et c’était le boulot du président et des élus nationaux de le faire.]

      Pour « faire quelque chose » ? Quoi, à votre avis ?

      [Certes il n’y avait pas de revendications très cohérentes, mais certaines demandes étaient assez clairement formulées : démocratie plus directe, remédier aux fins de mois difficiles des moins aisés, plus d’écoute de la part des politiques… C’est tout simplement incroyable que ça n’ait abouti à rien.]

      Mais était-ce ce que les « gilets jaunes » demandaient ? La « démocratie plus directe » n’apparaît que tardivement, et c’est une importation des militants politiques qui ont pris le train en marche. « Remédier aux fins de mois difficiles », c’est une demande tellement générale qu’on voit mal comment on pourrait la satisfaire. Quant à « plus d’écoute », c’était là la principale demande du mouvement, et probablement la plus subversive…

  2. Bob dit :

    @ Descartes
     
    [Les socialistes ne savent à quel saint – Glucksmann ? Hollande ? – se vouer]
     
    Faire de Glucksmann et Hollande des saints, un jour de rentrée, c’est dur à lire !

  3. Benjamin dit :

    Bonjour Descartes,
    Content de vous voir publier régulièrement ces temps-ci même si la période et vos papiers n’incitent pas à l’optimisme. Merci pour ce texte qui fait lien avec d’autres que vous avez déjà produits sur la société victimaire. C’est toujours agréable et stimulant de lire une pensée construite.
    Juste un rappel historique:
    L’appel à « bloquer tout » est, du point de vue de son caractère politique, en recul par rapport au mouvement des « gilets jaunes ».”
    Plutôt d’accord avec vous mais je pensais lire après cette phrase un rappel de l’origine de la mobilisation des GJ. Le mouvement s’est coagulé autour de deux revendications “contre” claires: le retrait de la limitation à 80 km/h et l’abrogation d’une hausse de la taxe sur les carburants (obtenue pour cette dernière). Je crois me souvenir qu’il était initialement marqué à droite avec une surreprésentation des indépendants. 
    La surreprésentation des classes intermédiaires du mouvement du 10-Septembre laisserait penser que cette fois-ci la gauche radicale entend ne pas laisser passer sa chance de se trouver, à nouveau, à la pointe de la “bordélisation”. Initialement, LFI et consorts avaient regardé le démarrage des GJ comme un truc de beauf’ parti de l’extrême-droite et s’étaient trouvé embarrassés face à l’ampleur du mouvement.

    • Descartes dit :

      @ Benjamin

      [Content de vous voir publier régulièrement ces temps-ci même si la période et vos papiers n’incitent pas à l’optimisme]

      J’ai un peu de temps libre en attendant de reprendre le travail, alors… Mais il est vrai que l’époque n’invite pas vraiment à l’optimisme. Je ne sais pas ce qui est le plus désespérant, les difficultés qui nous attendent, ou la petitesse des dirigeants qui sont censés y faire face…

      [Plutôt d’accord avec vous mais je pensais lire après cette phrase un rappel de l’origine de la mobilisation des GJ. Le mouvement s’est coagulé autour de deux revendications “contre” claires: le retrait de la limitation à 80 km/h et l’abrogation d’une hausse de la taxe sur les carburants (obtenue pour cette dernière).]

      Oui et non. Oui, ce sont l’imposition de taxes sur les carburants et la limitation de vitesse qui ont mis le feu aux poudres. Mais le mouvement a fait de ces deux mesures des exemples de la manière dont le pouvoir politique légifère en pleine déconnexion avec les problèmes de « la France d’en bas ». Et c’est contre cette manière de faire que le mouvement s’est levé. C’est plutôt contre cette tendance du monde politique à « emmerder les français » en leur imposant des règles absurdes pour contenter des lobbies. On ne me fera pas croire que les gens sont sortis bloquer les ronds-points pour pouvoir rouler à 90 km/h plutôt qu’à 80.

      [Je crois me souvenir qu’il était initialement marqué à droite avec une surreprésentation des indépendants.]

      Cela se comprend. Des catégories comme les indépendants (à droite) et les étudiants (à gauche) sont souvent surreprésentées parce qu’elles ont plus de facilités pour organiser leur temps. Quand on est salarié, il est plus compliqué de « tenir » un rond-point toute la journée. Mais très rapidement le mouvement a été rejoint par ouvriers et employés.

      [La surreprésentation des classes intermédiaires du mouvement du 10-Septembre laisserait penser que cette fois-ci la gauche radicale entend ne pas laisser passer sa chance de se trouver, à nouveau, à la pointe de la “bordélisation”.]

      Sans doute. Surtout que Mélenchon voit dans cette « bordélisation » une opportunité de se représenter à l’élection présidentielle dans les meilleures conditions qui ne se répétera pas de sitôt. Si Macron démissionnait demain, les différents partis n’auraient que quelques semaines pour désigner leur candidat… cela donne une prime considérable aux organisations qui ont un candidat « naturel ».

    • Augustin VINALS dit :

      « Bloquer ? Oui, mais pour quoi faire ? »
      Camarades,
      Ces derniers jours, on a beaucoup entendu parler de l’appel à « bloquer tout » le 10 septembre.Dans la presse, sur les réseaux sociaux, et même chez certains intellectuels qui se croient lucides, on nous explique déjà que ce mouvement serait voué à l’échec.
      J’ai lu par exemple un billet d’un certain Descartes. Son analyse est simple : selon lui, ce mouvement ne serait qu’une colère expressive, sans débouché politique. Une sorte de défouloir. Il nous dit : « Les victimes ne font pas de politique. »
      Eh bien, camarades, je veux aujourd’hui démontrer le contraire.Oui, la colère est un point de départ. Oui, il y a dans cet appel du flou, des ambiguïtés, des contradictions. Mais ce n’est pas une raison pour mépriser cette colère. Au contraire : c’est à nous, syndicalistes, de la transformer en force revendicative, organisée et gagnante.
      Exprimer la colère, c’est déjà un acte politique
      On voudrait nous faire croire que manifester son ras-le-bol, dire qu’on est « pressés comme des citrons », « broyés », « épuisés », ce serait seulement de l’émotion, une plainte, un cri dans le vide.
      Mais camarades, c’est faux.Toutes les conquêtes sociales sont nées d’abord de colères brutes, de cris, de révoltes.

      Quand les mineurs de 1948 sont descendus dans la rue, c’était parce qu’ils ne supportaient plus la misère et l’injustice.

      Quand les métallos de 1968 ont bloqué les usines, ce n’était pas parce qu’ils avaient un programme détaillé dans leur poche. C’était parce qu’ils disaient « assez ! ».

      Sans ces colères, sans cette expression directe du peuple, il n’y aurait pas eu de retraites, pas de Sécurité sociale, pas de conventions collectives.
      Alors oui, l’expression de la colère est politique, parce qu’elle ouvre la brèche. Elle dit haut et fort que les choses ne peuvent plus continuer comme avant.
      Pourquoi tant de dispersion ?
      On nous dit : « Les gens sont dépolitisés. »Regardons les choses en face : si les colères se dispersent, ce n’est pas parce que le peuple aurait perdu la raison. C’est parce que les outils collectifs qui donnaient une perspective ont été affaiblis méthodiquement.

      Les partis de classe ont été divisés, transformés en machines électorales sans ancrage.

      Les syndicats ont été attaqués, stigmatisés, étouffés dans l’entreprise.

      Les services publics ont été détruits, privatisés, marchandisés.

      Et dans ce vide, chacun cherche une cause particulière : l’écologie, le logement, la santé, le pouvoir d’achat.Tout cela est légitime. Mais sans cadre commun, cela devient cacophonie.
      Notre tâche, à la CGT, c’est justement de rassembler ces causes, ces colères, ces luttes et de les articuler en un projet collectif : défendre le travail, la dignité, la justice sociale.
      Le « victimisme » : une insulte aux travailleurs
      Quand Descartes écrit : « Les victimes ne font pas de politique », il insulte l’histoire des luttes sociales.
      Parce que ce sont précisément les victimes qui, en se levant, deviennent des acteurs.

      Les victimes de l’amiante ont créé des associations, mené des procès, arraché des lois.

      Les victimes des pesticides font avancer la santé publique.

      Les victimes des accidents du travail imposent de nouvelles protections.

      On ne naît pas militant, camarades. On le devient, souvent parce qu’on a été victime d’une injustice.Mais la force du mouvement ouvrier, c’est d’avoir su transformer cette souffrance en conscience de classe.
      Alors non, nous ne sommes pas condamnés à rester « objets » de l’histoire. Nous sommes des sujets collectifs, capables de renverser le cours des choses.
      Le vrai danger : la récupération politique
      Évidemment, certains rêvent de surfer sur ces colères. L’extrême droite, toujours prompte à transformer la colère en haine de l’autre. Certains populistes de gauche, qui fantasment des « révolutions citoyennes » sans lendemain.
      Le risque, il est là : que le mécontentement se disperse, qu’il serve de marchepied à ceux qui n’ont aucune réponse concrète pour les travailleurs.
      Mais camarades, il n’y a pas de fatalité.Le seul antidote à la récupération, c’est la présence syndicale. C’est la capacité de mettre sur la table des revendications claires :

      Augmenter les salaires, bloquer les prix.

      Défendre nos retraites et la Sécu.

      Protéger la santé au travail et la planète.

      Reconquérir nos services publics.

      Voilà le rôle de la CGT : transformer une colère diffuse en luttes concrètes, avec des objectifs clairs.
      L’importance de l’unité
      Un enseignant n’a pas la même fatigue qu’un ouvrier à la chaîne. Un éboueur n’a pas la même souffrance qu’un cadre supérieur. Mais ce qui nous unit, c’est d’être tous exploités par un système qui écrase le travail pour gaver le capital.
      L’appel à « bloquer tout » peut paraître flou. Mais il révèle une vérité : sans nous, rien ne fonctionne. Sans nos bras, sans nos têtes, sans notre énergie, l’économie s’arrête.
      Le patronat et le gouvernement le savent très bien. C’est pour cela qu’ils cherchent à nous diviser, à nous opposer. C’est pour cela que notre unité est la clé.
      Que faire le 10 septembre ?
      Alors, camarades, que faire le 10 septembre ?Ne pas rester spectateurs.Ne pas mépriser ceux qui descendent dans la rue pour dire « on n’en peut plus ».
      Notre rôle, ce n’est pas de dire : « Vous n’avez pas de programme, donc ça ne sert à rien. »Notre rôle, c’est de dire : « Vous avez raison d’être en colère. Maintenant, organisons-nous. Transformons cette colère en revendications. »

      Bloquer pour les salaires.

      Bloquer pour nos retraites.

      Bloquer pour nos services publics.

      Bloquer pour un avenir digne.

      Voilà ce qui peut donner un contenu politique à cette journée.
      Conclusion : de l’objet au sujet
      Camarades,Descartes dit : « Les victimes ne font pas de politique. »Je lui réponds : l’histoire du mouvement ouvrier prouve exactement le contraire.
      Les mineurs, les métallos, les cheminots, les ouvriers du textile, les victimes de l’amiante, tous ces « broyés », tous ces « pressés comme des citrons », ce sont eux qui ont écrit les plus belles pages de notre histoire sociale.
      Parce qu’ils n’ont pas accepté de rester victimes. Parce qu’ils se sont levés, organisés, unis.
      Alors, ne méprisons jamais la colère. Ne laissons jamais croire qu’elle n’est « qu’expressive ».Avec le syndicalisme de classe, avec la CGT, elle peut devenir force collective, puissance transformatrice, moteur de conquêtes sociales.
      Le 10 septembre et après, faisons en sorte que cette colère s’exprime, mais surtout qu’elle se construise, qu’elle revendique, qu’elle gagne.
       
      En un mot, camarades : bloquons pour avancer !
      Augustin VINALS militant CGT et politique depuis un demi sicle
       

      • Descartes dit :

        @ Augustin VINALS

        [J’ai lu par exemple un billet d’un certain Descartes. Son analyse est simple : selon lui, ce mouvement ne serait qu’une colère expressive, sans débouché politique. Une sorte de défouloir. Il nous dit : « Les victimes ne font pas de politique. »]

        Pardon, mais je suis obligé ici de bien séparer ce qui vient de moi, et ce qui n’est que votre interprétation, que je conteste hautement. En m’attribuant l’affirmation « ce mouvement ne serait QU’UNE colère expressive », puis en ajoutant « une sorte de défouloir », vous m’attribuez des choses que je n’ai pas dites. J’ai distingué deux types de mouvements, que j’ai désigné sous les termes « expressifs » et « revendicatifs ». Mais JE N’AI PAS ETABLI DE HIERARCHIE ENTRE EUX, ce que vos expressions laissent penser. Non, chacun de ces types de mouvement a une fonction. Simplement, ces fonctions sont différentes et il ne faut pas les confondre. Un mouvement « expressif » a l’avantage de recruter plus large, parce qu’on peut s’entendre plus facilement sur une « expression » que sur une « revendication ». Mais s’applique ici l’adage « qui trop embrasse mal étreint » : précisément parce que le mouvement est très large, une issue politique est très difficile, parce qu’une telle issue implique de se mettre d’accord non seulement sur ce qu’on ne veut pas, mais sur ce qu’on veut.

        Je suis d’ailleurs étonné qu’un militant expérimenté comme vous soit étonné par cette distinction. J’ai aussi une longue expérience syndicale, et j’ai vu ce problème se poser régulièrement sur mon parcours : on arrive plus facilement à monter des actions « contre » que des actions « pour »…

        [Eh bien, camarades, je veux aujourd’hui démontrer le contraire. Oui, la colère est un point de départ. Oui, il y a dans cet appel du flou, des ambiguïtés, des contradictions. Mais ce n’est pas une raison pour mépriser cette colère. Au contraire : c’est à nous, syndicalistes, de la transformer en force revendicative, organisée et gagnante.]

        Je ne crois pas avoir « méprisé » qui que ce soit. Mais il faut connaître les limites de ce qu’on fait. Lorsqu’on fonde un mouvement sur la « colère », on a ensuite beaucoup de mal à en faire autre chose. Parce que la colère est un sentiment fondamentalement destructif. Les hommes en colère ont brulé des palais, fait tomber des empires, mais ils n’en ont jamais construit. Transformer la colère en « force revendicative, organisée et gagnante » est à mon sens une opération extraordinairement difficile et qui n’a presque jamais réussi. On en a eu des mouvements de colère, ces trente ou quarante dernières années : en 1995 contre la réforme Juppé, en 2005 lors du référendum sur le TCE, en 2018 avec les « Gilets Jaunes ». Qu’est ce que cela a donné, en termes de « force revendicative, organisée et gagnante » ?

        [Exprimer la colère, c’est déjà un acte politique]

        Ah bon ? Pourriez-vous argumenter ce point ? En quoi dire « je ne suis pas content » sur le zinc du bistrot serait un « acte politique » ? En quoi dire « j’en ai marre des grèves » sur un quai bondé serait un « acte politique » ? Parce que ça aussi, c’est une « expression de colère »…

        [On voudrait nous faire croire que manifester son ras-le-bol, dire qu’on est « pressés comme des citrons », « broyés », « épuisés », ce serait seulement de l’émotion, une plainte, un cri dans le vide.
        Mais camarades, c’est faux. Toutes les conquêtes sociales sont nées d’abord de colères brutes, de cris, de révoltes.]

        « Toutes » ? Si ma mémoire ne me trompe pas, la Sécurité sociale – conquête sociale s’il en est – n’est nullement née de « colères brutes, de cris, de révoltes » mais de l’action réfléchie des organisations ouvrières qui ont utilisé intelligemment le rapport de forces issu de la Résistance. Même chose pour la semaine de 40 heures…

        [Quand les mineurs de 1948 sont descendus dans la rue, c’était parce qu’ils ne supportaient plus la misère et l’injustice.]

        D’où tirez-vous ça ? Les mineurs de 1948 se mettent en grève sur des revendications précises, formulées par la CGT : abrogation des décrets Lacoste, salaire minimal à 14 500 francs, augmentation de 30 % des retraites et des pensions des veuves, augmentation des pouvoirs du délégué mineur, qui sont d’ailleurs soumises au vote des travailleurs des houillères et approuvés avec plus de 80% des votes. Par ailleurs, la grève fut un échec : les socialistes au pouvoir, avec le soutien de la droite, ont réprimé les grévistes, et de nombreux mineurs furent révoqués pour « activités insurrectionnelles ». Comme exemple de mouvement qui aurait abouti à des « conquêtes sociales », vous avez mal choisi.

        [Quand les métallos de 1968 ont bloqué les usines, ce n’était pas parce qu’ils avaient un programme détaillé dans leur poche. C’était parce qu’ils disaient « assez ! ».]

        Là encore, je pense que vous vous laissez aller au romantisme soixante-huitard. Ces métallos, ils disaient « assez » à quoi, exactement ? Non, en 1968 les syndicats avaient des objectifs très précis, tout comme les organisations « révolutionnaires » trotskistes, maoïstes ou anarchistes.

        [Sans ces colères, sans cette expression directe du peuple, il n’y aurait pas eu de retraites, pas de Sécurité sociale, pas de conventions collectives.]

        J’aimerais savoir où voyez-vous « les colères » ou « l’expression directe du peuple » dans la création des retraites ou de la sécurité sociale. Pourriez-vous détailler ?

        [Alors oui, l’expression de la colère est politique, parce qu’elle ouvre la brèche. Elle dit haut et fort que les choses ne peuvent plus continuer comme avant.]

        Non. La « colère » dit tout au plus « nous ne sommes pas contents que les choses continuent comme avant ». De là à « elles ne peuvent plus continuer comme avant », il y a un très long chemin. Parce que si « les choses ne continuent pas comme avant », cela veut dire qu’elles « continuent différemment », et cela implique qu’on ait un projet. Or, ce projet ne peut pas surgir d’un mouvement de colère, parce que les gens qui crient « les choses ne peuvent pas continuer comme avant » ne sont généralement d’accord sur la manière dont elles doivent « continuer après »…

        [Pourquoi tant de dispersion ? On nous dit : « Les gens sont dépolitisés. » Regardons les choses en face : si les colères se dispersent, ce n’est pas parce que le peuple aurait perdu la raison. C’est parce que les outils collectifs qui donnaient une perspective ont été affaiblis méthodiquement.]

        Le problème n’est pas que « les colères se dispersent ». Je dirais plutôt le contraire : les colères restent la seule chose qui réunit les gens. « Tout le monde déteste XXXX » (remplacer par votre ennemi préféré) est devenu une sorte de slogan passe partout. Le problème n’est pas la dispersion des colères, mais la dispersion des revendications. Comme chacun s’occupe de SON problème, de SA petite demande, il est difficile de constituer des mouvements véritablement politiques. Parce que, comme le dit Gauchet, la politique est bien la capacité de dépasser SON petit problème pour avoir une vision d’un « tout ».

        [Les partis de classe ont été divisés, transformés en machines électorales sans ancrage.
        Les syndicats ont été attaqués, stigmatisés, étouffés dans l’entreprise.
        Les services publics ont été détruits, privatisés, marchandisés.
        Et dans ce vide, chacun cherche une cause particulière : l’écologie, le logement, la santé, le pouvoir d’achat.Tout cela est légitime. Mais sans cadre commun, cela devient cacophonie.]

        Nous sommes d’accord sur tous ces points.

        [Notre tâche, à la CGT, c’est justement de rassembler ces causes, ces colères, ces luttes et de les articuler en un projet collectif : défendre le travail, la dignité, la justice sociale.]

        Non. Notre tâche, à la CGT, est d’élaborer un projet COHERENT pour défendre une certaine conception du travail, de la dignité, de la justice sociale. Et cette COHERENCE implique accepter que certaines « causes » sont défendables et d’autres pas, que certaines « luttes » sont légitimes et d’autres pas. Quant aux « colères »… souvenez-vous qu’elles sont mauvaises conseillères…

        Un syndicat attrape-tout, qui rassemblerait « causes, colères et luttes » sans distinction se condamne à devenir un mouvement « expressif », c’est-à-dire un porte-voix du ressenti sans capacité à pousser des changements réels.

        [Le « victimisme » : une insulte aux travailleurs. Quand Descartes écrit : « Les victimes ne font pas de politique », il insulte l’histoire des luttes sociales. Parce que ce sont précisément les victimes qui, en se levant, deviennent des acteurs.]

        Le coup de l’offensé, ça commence à bien faire. Gardons ces histoires « d’insulte aux travailleurs » pour les tribunes de meetings, elles n’ont pas leur place dans un débat rationnel. Non, parler de « victimisme » n’est nullement une « insulte aux travailleurs », au contraire : ceux qui « insultent les travailleurs » sont ceux qui les présentent comme des « victimes » alors qu’ils sont au contraire les acteurs – et même les acteurs essentiels – du mouvement social. Et ils sont « acteurs » non pas « parce qu’ils se lèvent », mais parce qu’ils sont la force vive qui produit les biens. Même couchés, ils restent des acteurs du processus.

        Les syndicats et les partis ouvriers ont beaucoup pâti ces trente dernières années de cette idéologie misérabiliste qui fait du travailleur une « victime ». Parce que ce qui caractérise la victime, c’est justement qu’elle n’a pas les moyens de résister aux forces qui s’abattent sur elle.

        [Les victimes de l’amiante ont créé des associations, mené des procès, arraché des lois.]

        Oui, comme les victimes des ouragans, des déraillements, des inondations ou des erreurs médicales. Donc ? Demander une indemnisation serait un geste politique ?

        [Les victimes des pesticides font avancer la santé publique.]

        Pourriez-vous donner un exemple ?

        [Les victimes des accidents du travail imposent de nouvelles protections.]

        Là encore, pourriez-vous donner un exemple ? Que je sache, les lois sur la protection de la santé au travail ont été arrachées par l’action syndicale, et non par les associations de victimes d’accidents du travail.

        [On ne naît pas militant, camarades. On le devient, souvent parce qu’on a été victime d’une injustice. Mais la force du mouvement ouvrier, c’est d’avoir su transformer cette souffrance en conscience de classe.]

        Mais l’inverse n’est pas vraie. La plupart des gens qui sont victimes d’une injustice ne sont pas militantes. J’attire votre attention sur la polysémie du mot « victime ». En Français, le terme « victime » a un sens général rattaché au fait de subir un dommage : on est « victime » d’une agression comme d’un accident, voire même d’une illusion. Mais on utilise aussi le terme « victime » par opposition à « acteur » pour désigner la personne qui n’a aucun contrôle sur les forces qui agissent sur elle. C’est dans ce sens que je l’ai utilisé dans mon papier.

        [Alors non, nous ne sommes pas condamnés à rester « objets » de l’histoire. Nous sommes des sujets collectifs, capables de renverser le cours des choses.]

        Faut savoir. Plus haut vous dites que les travailleurs sont « victimes », et ne deviennent des acteurs qu’en se « levant ». Ici, vous dites que nous sommes des « sujets » de l’histoire, tout en admettant qu’on peut quand même rester des « objets », même si nous ne sommes pas « condamnés » à l’être…

        Il faut mettre de l’ordre dans les idées et revenir au matérialisme. Les travailleurs sont les acteurs, les sujets de l’histoire. Et ils le sont qu’ils se lèvent ou qu’ils restent assis. Ils sont acteurs non pas parce qu’ils le veulent, mais parce que c’est leur force de travail qui est la seule source de production de valeur. Et c’est de leur place dans le mode de production capitaliste qu’ils tirent leur capacité à « renverser le cours des choses ». C’est en ce sens que je dis que les « victimes ne font pas de politique ». Parce qu’être victime, c’est être le jouet de forces indépendantes de notre volonté et sur lesquelles on n’a aucune prise.

        [Le vrai danger : la récupération politique. Évidemment, certains rêvent de surfer sur ces colères. L’extrême droite, toujours prompte à transformer la colère en haine de l’autre.]

        Enfin, l’extrême gauche aussi est « prompte à transformer la colère en haine de l’autre ». Toute la différence est dans la définition de « l’autre »…

        [Mais camarades, il n’y a pas de fatalité. Le seul antidote à la récupération, c’est la présence syndicale. C’est la capacité de mettre sur la table des revendications claires : Augmenter les salaires ; bloquer les prix ; Défendre nos retraites et la Sécu ; Protéger la santé au travail et la planète ; Reconquérir nos services publics.]

        Mais c’est là justement que ma remarque sur la différence entre mouvements « expressifs » et « revendicatifs » prend tout son sens. Ce que vous dites ici, c’est que pour qu’il ne risque pas la récupération il faudrait des « revendications claires » – autrement dit, que le mouvement soit « revendicatif » et non « expressif ». Le problème, c’est que lorsque vous définissez des « revendications claires », vous excluez du mouvement ceux qui ne partagent pas ces revendications. Et plus elles sont « claires », et plus vous en excluez.

        Vous me direz que les revendications que vous exprimez plus haut peuvent emporter un large consensus. Et aussi longtemps qu’on reste vague, c’est peut-être le cas. Mais pour rendre ces revendications crédibles, il faut expliquer comment vous les financez, et là… les problèmes commencent. Prenez la première : « augmenter les salaires, bloquer les prix ». Pensez-vous que ce soit crédible comme revendication ? Que deviennent les milliers d’entreprises qui sont déjà dans un équilibre précaire, et qui seraient forcées d’augmenter les salaires sans pouvoir reporter ce coût supplémentaire sur le client ? Et quid du prix des carburants par exemple, qui dépend de prix internationaux sur lesquels on n’a aucun contrôle ?

        [Voilà le rôle de la CGT : transformer une colère diffuse en luttes concrètes, avec des objectifs clairs.]

        Je crains que vous ne fixiez là un objectif impossible.

        [L’importance de l’unité
        Un enseignant n’a pas la même fatigue qu’un ouvrier à la chaîne. Un éboueur n’a pas la même souffrance qu’un cadre supérieur. Mais ce qui nous unit, c’est d’être tous exploités par un système qui écrase le travail pour gaver le capital.]

        Un cadre supérieur est « exploité par un système qui écrase le travail pour gaver le capital » ? Qu’attend Patrick Pouyanné (PDG de Total, pour ceux qui ne le sauraient pas) pour adhérer à la CGT ?

        On ne fait de la politique qu’avec des réalités. L’enseignant, l’ouvrier, l’éboueur et le cadre supérieur sont peut-être tous « exploités par le système », mais ils sont exploités différemment, et de ce fait leurs intérêts ne convergent pas nécessairement. C’est d’ailleurs pourquoi cette fameuse « convergence des luttes » dont on parle depuis les années 1960 ne s’est pratiquement jamais réalisée dans les faits. Parler d’unité implique définir des objectifs communs.

        [L’appel à « bloquer tout » peut paraître flou. Mais il révèle une vérité : sans nous, rien ne fonctionne. Sans nos bras, sans nos têtes, sans notre énergie, l’économie s’arrête.]

        Sans « eux », rien ne fonctionne non plus. Dans une économie complexe, le capital est aussi indispensable que le travail. Et sauf à contester le droit de propriété – ce que l’immense majorité de ceux qui appellent à « bloquer tout » ne fait pas – vous ne pouvez pas avoir le capital sans le capitaliste.

        [Le patronat et le gouvernement le savent très bien. C’est pour cela qu’ils cherchent à nous diviser, à nous opposer. C’est pour cela que notre unité est la clé.]

        Mais « notre unité » derrière quoi ? Notre unité pour dire « sans nous rien ne marche » ? Très bien. Et une fois qu’on l’a dit, on fait quoi ? Quel est le projet derrière lequel cette « unité » pourrait être une force agissante ? On revient toujours au même point : un mouvement « expressif » ne peut avoir de traduction politique, parce qu’il est construit sur un consensus d’opposition à l’existant, et non sur un consensus de construction d’une alternative.

        [Que faire le 10 septembre ?
        Alors, camarades, que faire le 10 septembre ? Ne pas rester spectateurs.Ne pas mépriser ceux qui descendent dans la rue pour dire « on n’en peut plus ».
        Notre rôle, ce n’est pas de dire : « Vous n’avez pas de programme, donc ça ne sert à rien. » Notre rôle, c’est de dire : « Vous avez raison d’être en colère. Maintenant, organisons-nous. Transformons cette colère en revendications. »]

        J’ai l’impression que vous ne mesurez pas la diversité des « colères ». Vous savez, il y a là-dedans des gens qui sont « en colère » contre les patrons qui prennent le pain de l’ouvrier, mais aussi des gens qui sont « en colère » contre l’immigré qui prend le pain des français. Il y a des gens qui sont « en colère » parce que les trains n’arrivent pas à l’heure du fait de l’usure du matériel, et ceux qui sont « en colère » parce que leurs trains ne partent pas du fait des grévistes. Il y a des gens « en colère » parce que leur voisin peut se payer une maison plus belle qu’eux. Il y a des gens qui sont « en colère » parce que l’usine d’à côté pollue, et d’autres qui sont « en colère » parce que les réglementations environnementales les empêche de rouler avec une vieille voiture. Et vous imaginez que vous allez transformer toutes ces « colères » en revendications cohérentes entre elles ? Je vous souhaite beaucoup de chance, vous allez en avoir besoin.

        [Conclusion : de l’objet au sujet
        Camarades, Descartes dit : « Les victimes ne font pas de politique. » Je lui réponds : l’histoire du mouvement ouvrier prouve exactement le contraire.
        Les mineurs, les métallos, les cheminots, les ouvriers du textile, les victimes de l’amiante, tous ces « broyés », tous ces « pressés comme des citrons », ce sont eux qui ont écrit les plus belles pages de notre histoire sociale.]

        Non, non et non. Si les mineurs, les métallos, les cheminots, les ouvriers du textile ont pu écrire « les plus belles pages de notre histoire sociale », ce n’est pas parce qu’ils étaient « broyés » ou « pressés comme des citrons », mais parce qu’ils étaient les producteurs. Et on peut même aller plus loin : les catégories ouvrières qui ont obtenu le plus ne sont pas celles qui étaient le plus « broyées »…

        [Parce qu’ils n’ont pas accepté de rester victimes.]

        J’insiste sur l’utilisation du mot « victime ». Etre « victime » c’est pas quelque chose qu’on « accepte », c’est quelque chose qu’on est. Autrement, vous tombez dans une contradiction : les « victimes de l’amiante » restent « victimes » quand bien même elles décideraient de se regrouper et de se battre…

        [Alors, ne méprisons jamais la colère.]

        Encore une fois, il ne s’agit pas de « mépriser » quoi que ce soit, mais de comprendre comment les choses fonctionnent. Le fait est que dans l’histoire la colère a, pour reprendre le mot de Lénine « fait des révoltes, mais jamais de révolutions ». Après, si vous voulez caresser les gens en colère dans le sens du poil pour qu’ils rejoignent votre crémerie, pourquoi pas. C’est cela aussi, la politique : « agiter le peuple avant de s’en servir ». Mais il faut être conscient des limites de la chose : ces gens « en colère » ont leurs exigences, et elles sont très diverses. A un moment donné, il faudra leur dire « non ». En serez-vous capable ?

        [Ne laissons jamais croire qu’elle n’est « qu’expressive ».]

        Parce qu’elle ne l’est pas, ou parce qu’on n’a pas intérêt à ce que les gens le croient ?

        [Avec le syndicalisme de classe, avec la CGT, elle peut devenir force collective, puissance transformatrice, moteur de conquêtes sociales.]

        On attend toujours un exemple.

        [Le 10 septembre et après, faisons en sorte que cette colère s’exprime, mais surtout qu’elle se construise, qu’elle revendique, qu’elle gagne.]

        Se fixer des objectifs impossibles non seulement garantit qu’ils ne seront pas atteints, mais c’est un gâchis de temps et d’efforts. La colère ne peut « gagner », elle ne peut « revendiquer » parce qu’elle n’a pas d’objectifs. La colère est par essence un sentiment négatif. C’est une forme de négation, de rejet, de destruction. C’est pourquoi ceux qui ont cherché à chevaucher les colères – en général les démagogues – ont mal fini. Cela n’aboutit à quelque chose que lorsqu’il y a quelqu’un qui a un projet et qui utilise la colère pour le faire avancer.

        Le problème, c’est que je ne vois pas vraiment de projet. En dehors de généralités (plus de salaires, plus de services publics, plus d’allocations, plus de retraites, plus d’enseignants, plus de tout) on ne voit pas vraiment ce « tout » dont parle Gaucher.

        [En un mot, camarades : bloquons pour avancer !]

        Vous savez, j’aimerais tellement avoir tort… mais je crains que ce ne soit pas le cas ? Je suis prêt à vous parier que tout ça n’aboutira a rien. Comme ça, je suis sûr d’y gagner…

        [Augustin VINALS militant CGT et politique depuis un demi sicle]

        Enchanté. Ici Descartes, militant CGT et politique depuis à peu près autant.

  4. MJJB dit :

    Personnellement, je ne m’attends pas à grand-chose. En fait, j’ai perdu tout espoir d’un changement qui ne nous serait pas imposé par une contrainte externe. Trop de gens dans notre pays qui n’ont aucun intérêt au vrai changement, qui veulent que “tout change afin que rien ne change”, ah, excusez-moi, aujourd’hui on dit, qui veulent la “bordélisation” (rires pré-enregistrés). Tant que les classes intermédiaires pèseront d’un tel poids dans notre société, tout n’ira et ne pourra aller que de mal en pis.
     
    Le seul espoir qui me reste, c’est qu’un évènement extérieur à notre pays crée chez nous une telle onde de choc, qu’ainsi mis dos au mur, nous commencions peut-être à réfléchir à remettre en cause au moins quelques-unes des vaches sacrées dont le culte a été patiemment mis en place ces dernières décennies. Mais ce ne serait là qu’une condition suffisante et hélas certainement pas nécessaire.
     
    Pendant le 10 septembre, la mise à mort méthodique de notre pays continue, et ce brave trotsko-mitterrandien de Méluche, avec son couteau en carton-pâte entre les dents, n’en dit rien, n’en pipe mot.
     
    Le seul côté réjouissant de toute l’affaire, c’est que le lectorat de la presse bourgeoise, ou de ce qui en tient lieu (le triangle l’Opinion – le Figaro – le Point) s’est visiblement pris à croire que Mélenchon était vraiment un bolchevique en furie, qui n’a d’autre obsession que de transformer la France en soviet (fût-il “créolisé”). Qu’est-ce que vous voulez, des gens qui mettent tant de cœur que ça à être à ce point bon public, ça m’amuse ; et puis, il n’y a pas tant d’occasions que ça de se fendre la poire par les temps qui courent.

    • Descartes dit :

      @ MJJB

      [Personnellement, je ne m’attends pas à grand-chose. En fait, j’ai perdu tout espoir d’un changement qui ne nous serait pas imposé par une contrainte externe.]

      Je suis d’accord, l’électrochoc ne peut venir que d’un choc extérieur. Pourquoi ? Parce qu’au fond, nous avons un Etat beaucoup trop efficace, capable « d’amortir » à peu près tout. Quelques soient idioties de nos politiques, les pensions et salaires continuent à être payés, les ponts et les routes entretenus, l’électricité est produite et distribuée, les écoles ouvrent et les examens sont organisés. Parce que l’Etat est efficace, on arrive à maintenir l’illusion que « tout va très bien madame la marquise ». Les citoyens – surtout ceux des classes intermédiaires, qui sont ceux qui font l’opinion – ne voient pas à quel point les agents publics jonglent en permanence, et surtout les « trous » qui apparaissent de plus en plus fréquemment, des terrains qu’on abandonne.

      Dans certains pays, quand une ville ne peut équilibrer son budget, on la met en faillite et les services publics s’arrêtent ; quand le budget n’est pas financé les services publics ferment. Ca rappelle aux citoyens que tout ça ne se fait pas par magie.

      [Trop de gens dans notre pays qui n’ont aucun intérêt au vrai changement, qui veulent que “tout change afin que rien ne change”, ah, excusez-moi, aujourd’hui on dit, qui veulent la “bordélisation” (rires pré-enregistrés). Tant que les classes intermédiaires pèseront d’un tel poids dans notre société, tout n’ira et ne pourra aller que de mal en pis.]

      Je serai sur ce point moins sévère que vous. Beaucoup de gens ont intérêt « au vrai changement », seulement on ne leur présente pas une alternative qui soit à la fois CREDIBLE et DESIRABLE. Entre ceux qui annoncent l’apocalypse et prêchent le sacrifice – toujours pour les mêmes – ad eternam et ceux qui rasent gratis, ces gens ont perdu confiance dans la capacité de la politique à changer quelque chose pour le mieux. Il faut les comprendre : ils ont travaillé durement et ont peur de perdre le peu qu’ils ont. Alors ils se réfugient dans l’espoir de pouvoir continuer avec leur petite vie de tous les jours aussi longtemps que possible. « Encore une minute, monsieur le bourreau… ».

      [Le seul espoir qui me reste, c’est qu’un évènement extérieur à notre pays crée chez nous une telle onde de choc, qu’ainsi mis dos au mur, nous commencions peut-être à réfléchir à remettre en cause au moins quelques-unes des vaches sacrées dont le culte a été patiemment mis en place ces dernières décennies. Mais ce ne serait là qu’une condition suffisante et hélas certainement pas nécessaire.]

      Cela me coûte de le dire, mais aussi longtemps que l’Etat aura les moyens d’amortir les chocs, je doute que rien ne change. Il n’y a qu’à voir la réaction du public lorsqu’on découvre la gestion désastreuse de Le Maire. Tous les commentateurs parlent de la question comme si cela arrivait dans une autre planète. Pourquoi ? Parce que tout le monde est convaincu que « l’Etat se débrouillera » (après tout, il a réussi à le faire depuis cinquante ans que les comptes sont en déficit…) et qu’à la fin du mois tout le monde sera payé. L’Etat, en France, joue une sorte d’écran entre le réel et nous. Cela a des gros avantages – surtout pour les plus modestes – mais rend le débat public irréel.

      Je vais vous raconter une expérience personnelle. J’ai travaillé quelques années en Grande Bretagne. Là-bas, presque tout le monde est nominalement propriétaire de son logement, pour la simple raison que les lois sur la location sont absolument léonines en faveur du propriétaire – on l’appelle « landlord », tout un programme. En fait, lorsque vous entrez dans la vie active vous prenez un emprunt à la banque et achetez un bien (les banques prêtent le 100% de la valeur du bien sur vingt ou trente ans) et au fur et à mesure que vous progressez dans la vie, vous vendez votre maison pour acheter plus grand, et emportez le crédit d’une maison à la suivante. En général, vous finissez de payer votre maison la cinquantaine passée.

      Maintenant, j’avais remarqué que le jour de la présentation du budget par le chancelier de l’Echiquier (ministre des finances), tout le monde quittait le travail une demie heure en avance pour pouvoir écouter chez soi le discours. Pourquoi ? Parce que ce discours avait une influence importante sur les taux d’intérêt. Or, les crédits en Grande Bretagne sont généralement à taux variable. La politique budgétaire influence donc immédiatement vos mensualités. Du coup, les annonces du ministre étaient scrutées, commentées… et pouvaient provoquer des réactions violentes de la population.

      En France, nous avons des crédits à taux fixe. Ce qui veut dire que ce sont les banques qui, in fine, prennent le risque politique. Nous, citoyens, sommes isolés par cet écran, et du coup voyons l’évolution des taux d’intérêt comme quelque chose qui n’arrive qu’aux autres. Seuls les primo-accédants s’en inquiètent. Demandez à dix Français quel est le taux directeur de la BCE, ils seront incapables de vous répondre. Demandez à dix Britanniques quel est le taux de la Banque d’Angleterre, ils auront tous la réponse…

      [Pendant le 10 septembre, la mise à mort méthodique de notre pays continue, et ce brave trotsko-mitterrandien de Méluche, avec son couteau en carton-pâte entre les dents, n’en dit rien, n’en pipe mot.]

      Méluche est un tigre de papier. Comme Mitterrand, il est « radical » à la tribune, mais on sait ce qu’il vaut une fois au pouvoir. Savez-vous ce à quoi m’a fait penser son intervention de la semaine prochaine appelant à la « grève générale » ? Cela m’a fait penser à la conférence de presse du 28 mai 1968 de son mentor François Mitterrand. Cela vaut la peine de relire la transcription complète (https://fresques.ina.fr/mitterrand/fiche-media/Mitter00113/conference-de-presse-du-28-mai-1968.html) mais je me permets de reproduire quelques extraits :

      « En France, depuis le 3 mai 1968, il n’y a plus d’État et ce qui en tient lieu ne dispose même pas des apparences du pouvoir. Tous les Français savent que le gouvernement actuel est incapable de résoudre la crise qu’il a provoquée et qu’il en est réduit à agiter la menace du désordre dont il est le vrai responsable pour tenter de se maintenir en place quelques semaines encore. Et pour quel dérisoire avenir ? Quelques semaines, quelques jours, quelques heures, nul n’en sait rien, peut-être pas même lui. Mais, notre pays n’a pas le choix entre l’anarchie et l’homme dont je ne dirais rien aujourd’hui, sinon qu’il ne peut plus faire l’histoire. Il s’agit de fonder la démocratie socialiste et d’ouvrir à la jeunesse cette perspective exaltante, la nouvelle alliance du socialisme et de la liberté. À travers la révolte des étudiants et la grève des travailleurs, des forces nouvelles se sont fait jour, elles ne peuvent être ignorées. (…), il convient dès maintenant de constater la vacance du pouvoir et d’organiser la suite. Deuxièmement, le départ du Général de Gaulle au lendemain du 16 juin, s’il ne se produit pas avant, provoquera naturellement la disparition du Premier Ministre et de son gouvernement. Dans cette hypothèse, je propose qu’un gouvernement provisoire de transition et de gestion soit aussitôt mis en place. (…)
      Première question, qui formera le gouvernement provisoire ? S’il le faut, j’assumerais cette responsabilité, mais il en est d’autres qui peuvent y prétendre au même titre, et je pense d’abord à Monsieur Pierre Mendès-France. Au demeurant, ce n’est pas un problème d’homme, c’est, je le répète un choix politique et ce choix politique qui commandera l’action, c’est celui que j’ai défini.
      (…) Et qui sera Président de la République ? Souverainement et librement, le suffrage universel le dira. Mais d’ores et déjà, pour votre information, je vous annonce, parce que le terme éventuel est à 18 jours et parce que c’est le même combat, je suis candidat. »

      A quelques détails près, n’est-ce pas exactement le discours du gourou aujourd’hui ?

      [Le seul côté réjouissant de toute l’affaire, c’est que le lectorat de la presse bourgeoise, ou de ce qui en tient lieu (le triangle l’Opinion – le Figaro – le Point) s’est visiblement pris à croire que Mélenchon était vraiment un bolchevique en furie, qui n’a d’autre obsession que de transformer la France en soviet (fût-il “créolisé”). Qu’est-ce que vous voulez, des gens qui mettent tant de cœur que ça à être à ce point bon public, ça m’amuse ; et puis, il n’y a pas tant d’occasions que ça de se fendre la poire par les temps qui courent.]

      C’est vrai. Que voulez-vous, ces gens ne se sont jamais remis de la chute du communisme. Il y a bien quelques uns qui vous parlent encore du “danger communiste”, mais on sent que le coeur n’y est pas – qui peut bien avoir peur de Fabien Roussel ? Alors, il leur faut un croquemitaine de substitution…

      • Cording1 dit :

        @Descartes
        L’électrochoc externe dont vous parlez en réponse à MJJB ne serait-il pas celui de l’échec de l’Otan-UE en Ukraine ? Un échec prévisible dans les mois à venir dans la mesure où l’Ukraine s’effrite en raison de son manque d’hommes pour tenir tous les points d’un front de plus de 1000 km. L’intransigeance ukrainienne finira par perdre l’Ukraine bien plus qu’actuellement. Déjà on ne parle plus d’un cessez-le-feu mais de garanties de sécurité. De ce genre de garanties on sait que cela n’engage que celui qui les reçoit. Cf le livre de Gérard Araud “Nous étions seuls” qui démontre que les garanties de sécurité face à l’Allemagne accordées à la France par ses alliés en 1920 n’ont pas du tout été tenues. Dès le début par les Américains par leur refus de ratifier le Traité de Versailles. 
         

        • Descartes dit :

          @ Cording1

          [L’électrochoc externe dont vous parlez en réponse à MJJB ne serait-il pas celui de l’échec de l’Otan-UE en Ukraine ?]

          Je ne crois pas. Il est rare qu’une question de politique étrangère qui finalement à un effet minime sur la vie quotidienne des gens puisse créer un électrochoc sur la société. Vu de madame Michu, une victoire ou une défaite du système OTAN/UE en Ukraine ne changera pas grand-chose. Souvenez-vous : ce sont les mauvaises récoltes qui amorcent les révolutions…

          • Cording1 dit :

            Je voulais parler de la crédibilité de l’Otan et de l’UE qui va en prendre un coup. La Hongrie, Slovaquie auront eu raison contre elles ce qui donnera envie à d’autres pays de prendre des libertés de plus en plus grandes face à ces institutions. Après tout dépendra des dirigeants politiques s’ils savent tirer les conséquences de cet échec, à moins qu’ils ne persistent dans l’erreur. On peut compter sur Trump pour “enfoncer le clou” face à des alliés serviles. Mais on ne peut pas attendre grand chose de bien de ce genre de dirigeants.  

  5. cdg dit :

    Comment classez vous la revolution francaise ? Au debut c etait un mouvement expressif. Pour paraphraser l appel du 10 septembre on peut dire que les paysans en avaient marre d etre presse comme des citrons. En 1789 personne ne voulait tuer Louis XVI et abolir la royaute
    La grosse difference entre 1789 et les gilets jaunes ou ce fameux mouvement de blocage c est qu il y avait en 1789 une pensee alternative. Les lumieres avaient remis en cause le mode de fonctionnement de l ancien regime et proposait une alternative (Toqueville publie son livre en 1748, les USA se constituent en republique)
    Aujourd hui personne ne propose une alternative. 
    – Melanchon avec sa VI republique mais vous conviendrez avec moi que c est du vent
    – le RN ne propose rien (bon si je suis mechant je dirais que c est un progres par rapport aux delires nazis)
    – les ecologistes sont incapable d expliquer comment on est censé reduire son impact sur la nature sans revenir au XVIII sciecle. De toute facon la plupart des ecolos s interessent plus a la lutte contre l homme blanc heterosexuel qu a la pollution
    – les communistes ne se sont jamais remis de la chute de l URSS. Il reste certes la coree du nord ou Cuba mais c est pas tres porteur malgre la coupe de cheveux du camarade Kim
    PS: sur le sondage a propos du mouvement du 10/9 il aurait ete inintéressante voir la repartition en classe d age. Parce que le Bac+5 de 25 ans qui se retrouve chez MacDo ou vendeur chez Decathlon n a pas grand chose a voir avec le Bac+5 de 55 ans cadre dans une multinationale

    • Descartes dit :

      @ cdg

      [Comment classez-vous la révolution française ? Au début c’était un mouvement expressif.]

      Précisons les choses. La Révolution française, en tant que telle, n’est pas un « mouvement » unique. On peut individualiser dans la Révolution plusieurs mouvements, simultanés ou successifs. La prise de la Bastille, c’est un « mouvement ». La manifestation des femmes qui ramène Louis XVI à Paris est un « mouvement ». Le serment du jeu de paume, c’est un « mouvement ». Certains de ces mouvements étaient « expressifs », d’autres étaient clairement « revendicatifs ».

      [Pour paraphraser l’appel du 10 septembre on peut dire que les paysans en avaient marre d’être pressés comme des citrons. En 1789 personne ne voulait tuer Louis XVI et abolir la royauté.]

      Certainement. Mais beaucoup voulaient abolir les privilèges féodaux, terminer avec les monopoles, obliger la noblesse et le clergé à payer des impôts… relisez les cahiers des doléances rédigés entre mars et mai 1789 en préparation des états généraux. J’aurais tendance que le « mouvement » qui véritablement « révolutionna » le royaume de France fut celui-là, bien plus que la prise de la Bastille.

      [La grosse différence entre 1789 et les gilets jaunes ou ce fameux mouvement de blocage c’est qu’il y avait en 1789 une pensée alternative.]

      Je crois qu’on est en train de dire la même chose : si cette « pensée alternative » a permis un débouché politique, c’est parce qu’elle a permis l’apparition d’un mouvement « revendicatif », c’est-à-dire, un mouvement qui ne se contentait pas de dire « on n’est pas contents », mais qui avait une vision de ce qu’il fallait faire pour y remédier. Pour reprendre la formule de Lénine je crois, « le mécontentement fait des révoltes, jamais des révolutions ».

      [Les lumieres avaient remis en cause le mode de fonctionnement de l ancien regime et proposait une alternative (Toqueville publie son livre en 1748, les USA se constituent en republique)]

      Tout à fait. Et qui dit « proposer une alternative » dit ouvrir la porte à une « revendication ». Entre savoir ce qu’il faudrait faire et l’exiger, il n’y a qu’un pas.

      [Aujourd hui personne ne propose une alternative.]

      Tout à fait. Parce qu’en 1789 il y avait une classe montante, qui avait les moyens de définir une alternative et les moyens de l’imposer. En 2025 la classe qui a les instruments pour penser une alternative n’a aucun intérêt à le faire, et la classe qui aurait intérêt à changer n’a pas les moyens d’imposer un changement…

      [PS: sur le sondage a propos du mouvement du 10/9 il aurait été inintéressante voir la répartition en classe d’âge.]

      L’étude contient une pyramide des âges. On remarque que le mouvement est beaucoup plus jeune que les « gilets jaunes ». J’imagine que dans la pyramide des diplômes on n’a pris que les actifs – prendre les étudiants rendrait le résultat très difficile à interpréter.

      [Parce que le Bac+5 de 25 ans qui se retrouve chez MacDo ou vendeur chez Decathlon n a pas grand
      chose a voir avec le Bac+5 de 55 ans cadre dans une multinationale]

      Sauf que le Bac+5 de 25 ans qui se retrouve chez MacDo a des chances de se retrouver à 55 ans patron d’une multinationale… l’intérêt de la présentation choisie pour cette étude est qu’il compare en permanence les participants prospectifs au mouvement du 10 octobre à la population générale. Mais on peut en effet imaginer qu’il y a dans ce mouvement plus de Bac+5 en sociologie et moins de Bac+5 en ingénierie que dans la population générale…

      Le principal biais de cette étude, c’est qu’elle a été faite par questionnaire dans les boucles Telegram qui préparent la journée du 10 septembre. Un tel échantillon privilégie très fortement les militants engagés par rapport aux militants qui le sont moins, voire les sympathisants.

  6. jo dit :

    Hors sujet.un avis sur le CFR-1000 annoncé par la Chine et qui serait lancé en 2050?,
    Vrai révolution ou hype exagérée?

    • Descartes dit :

      @ jo

      Le CFR-1000 n’a rien d’une “révolution”. C’est en fait le bon vieux Superphénix: un réacteur surrégénérateur utilisant comme caloporteur du sodium liquide. Je ne sais pas si les chinois ont vraiment l’intention de le construire (pour le moment le dossier de conception attend l’approbation de l’autorité de sûreté) mais comme ils ont un prototype de 20 MW en fonctionnement depuis 2010d et eux démonstrateurs de 600 MW en construction (depuis 2027 et 2020 respectivement), j’imagine que c’est le cas. Les Russes aussi ont deux réacteurs de la même filière: le BN600 qui tourne depuis les années 1990, et le BN800 mis en service en 2016…

      Quand on pense que nous avons été les premiers à avoir la maîtrise de cette technologie dans les années 1970, d’abord avec le démarrage en 1973 de Phénix (fermé en 2010 après 36 ans de bons et loyaux services), ensuite avec Superphénix, démarré en 1984 et arrêté pour des raisons politiques en 1997, et dont le bilan est beaucoup moins négatif qu’on ne le croit en général… ca donne envie de pleurer.

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