Should we read the Cleves Princess ?

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Lorsqu’il y a un an il a fallu choisir entre le mauvais et le pire dans le deuxième tour de l'élection présidentielle, plusieurs amis qui avaient choisi de voter Hollande m'expliquaient que bien entendu les deux candidats étaient équivalents en matière économique, sociale, institutionnelle, et que pour ce qui concerne ces questions, c'était indifférent d'élire l'un ou l'autre. Mais qu'il y avait un domaine dans lequel "la gauche n'est pas équivalente à la droite" et c'est celui de l'éducation et de la culture. On pouvait faire confiance à Hollande pour défendre la Princesse de Clèves. Et bien, mes amis se trompaient sur les deux plans. Sur le plan économique, social et institutionnel la politique de Hollande n'est pas équivalente à celle de Sarkozy, elle est pire. Et sur le plan de l'éducation et de la culture, la Princesse de Clèves risque dans les mains de Hollande un sort qui n'est guère plus enviable que celui qu'elle a subi des mains de son prédécesseur.

Je fais bien entendu référence au projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et la recherche, et notamment à l'article 2 du projet qui modifie l'article L 121-3 du code de l'éducation. Il n'est pas inutile de reproduire in extenso cet article tel qu'il serait si le projet de loi était voté dans l'état:

Art L 121-2:

I. – La maîtrise de la langue française et la connaissance de deux autres langues font partie des objectifs fondamentaux de l'enseignement.

II. – La langue de l'enseignement, des examens et concours, ainsi que des thèses et mémoires dans les établissements publics et privés d'enseignement est le français, sauf exceptions justifiées par les nécessités de l'enseignement des langues et cultures régionales ou étrangères, ou lorsque les enseignants sont des professeurs associés ou invités étrangers.

Des exceptions peuvent également être justifiées par la nature de certains enseignements lorsque ceux-ci sont dispensés pour la mise en œuvre d’un accord avec une institution étrangère ou internationale tel que prévu à l’article L. 123-7 ou dans le cadre d’un programme européen.

Les écoles étrangères ou spécialement ouvertes pour accueillir des élèves de nationalité étrangère, ainsi que les établissements dispensant un enseignement à caractère international, ne sont pas soumis à cette obligation.

On le voit donc, demain il sera possible dans une université française de dispenser des enseignements en langue étrangère. Et non seulement cela: on pourra aussi faire passer des examens et des concours, des thèses et des mémoires en langue étrangère. Il suffira pour cela que les enseignements soient mis en œuvre dans le cadre d'un accord avec une institution étrangère ou internationale ou dans le cadre d'un programme européen. Il suffira donc pour une institution, publique ou privée, de signer une convention bidon avec une quelconque université étrangère pour pouvoir allègrement s'affranchir de la règle qui impose le français comme langue d'enseignement.

L'affaire est intéressante parce qu'elle illustre à la perfection la vision dominante qu'on a aujourd'hui de l'université. Naguère, celle-ci était un lieu de formation intellectuelle intégrale, transmettant autant une méthodologie de travail qu'un savoir universel et la culture qui va avec. Dans cette université "universaliste" que le monde nous enviait, on enseignait plus que l'histoire, les mathématiques ou le marketing, on enseignait à penser. Et c'était à l'institution, c'est à dire à l'ensemble des maîtres qui avaient atteint le plus haut degré dans leur discipline de décider ce qu'un étudiant devait apprendre pour mériter son diplôme. Et on apprenait la langue de ces maîtres non pas que ce fut une obligation, mais pour profiter au mieux de leur enseignement.

Aujourd'hui, cette vision est remplacée par une conception consumériste de l'enseignement supérieur, dans laquelle les institutions ne font que fournir un service à des clients. Et comme le dit le célèbre adage commercial, "le client est roi". Ce n'est donc plus à l'institution de définir ce que l'étudiant doit apprendre, mais au contraire c'est le "client" qui définit ses attentes auxquelles l’institution doit s'adapter, sous peine de voir les étudiants aller ailleurs.

Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Dès lors que le but de la réflexion des dirigeants universitaires n'est plus comment former les penseurs dont le pays a besoin mais comment attirer le plus possible d'étudiants prêts à payer leurs études, les cursus universitaires ne peuvent que se ressentir. Et tout y passera: aujourd'hui, on "adapte" la langue dans laquelle les cours sont dispenses, demain on "adaptera" le niveau d'exigence aux examens – vous comprenez, si nos examinateurs sont trop durs, les chinois préféreront aller aux Etats-Unis – et après-demain on vendra les diplômes, comme certaines universités ont commencé à le faire. Et tout cela, nous explique-t-on, sous prétexte d'attirer chez nous des étudiants étrangers qui demain contribueront dans leur pays au rayonnement de la France. A quel rayonnement pourraient-il contribuer après avoir suivi des cursus où l'on aura justement effacé tout ce qui pourrait être un peu trop "français" ?

Il n'est pas nécessaire d'être grand prêtre pour détecter qui est derrière cet article de loi: il s'agit du lobby des "businessmen de l'enseignement", dirigeants d'institutions publiques ou privées qui ont compris que l'enseignement supérieur peut être une bonne affaire à condition d'attirer les publics qui peuvent payer et qui sont prêts à le faire. C'est à dire, les riches étrangers. Car on ne peut compter sur le marché intérieur: la France dispose – pour combien de temps – d'un système d'enseignement supérieur gratuit de bonne qualité, et les français qui ont les moyens ne sont donc pas prêts à s'endetter – comme le font les américains ou les britanniques – pour envoyer leurs rejetons dans des institutions d'enseignement supérieur payantes qui n'offrent guère une plus-value évidente. Qui plus est, le principe de gratuité de l'enseignement empêche les institutions publiques, même les plus prestigieuses, de monnayer leurs prestations au delà d'une certaine limite – même si l'on assiste de plus en plus à une marchandisation de l'enseignement via des statuts bâtards comme celui de l'université de Paris-Dauphine et ses mastères à plusieurs milliers d'euros. Mais il y a une clientèle étrangère avide de formations de qualité et qui est, elle, prête à payer sans protester. Il s'agit donc de lui dérouler le tapis rouge et surtout pas de lui demander des efforts comme, par exemple, l'apprentissage de la langue française.

A long terme, cette stratégie est suicidaire. Il ne faut pas oublier que si le diplôme a de la valeur, c'est précisément parce qu'il certifie l'acquisition d'un certain nombre de connaissances à un haut niveau. Le jour où les diplômes seront "aménagés" pour que n'importe quel étranger payant quelques dizaines de milliers d'euros puisse le décrocher sans effort, ils n'auront plus aucune valeur et les étudiants de valeur, ceux qui demain pourraient porter dans le monde le rayonnement de la France, s'en détourneront. Il ne nous restera que les fils à papa qui n'ont pas envie de bosser. Et encore…

On a par ailleurs critiqué le texte de la loi comme ouvrant notre université à la langue anglaise. Cette argumentation manque sa cible: si cet projet devenait loi, nous verrions dans nos universités des cours dispensés non pas en anglais – puisque seule une infime minorité de nos professeurs universitaires maîtrise vraiment cette langue – mais en "globish", cette proto-langue si pratiquée dans les conférences internationales et dans les réunions à Bruxelles, ou les participants sont obligés de communiquer les idées les plus complexes et les plus subtiles n'ayant à leur disposition que quelques centaines de mots anglais mal prononcés et une syntaxe hésitante. Ceux qui ont eu le douteux privilège de participer à ce type de réunion savent à quel point cela peut être frustrant. Le problème fondamental posé par le projet de loi n'est pas l'impérialisme linguistique – même si c'est une question importante – mais quelque chose de bien plus dangereux: quel sera le niveau d'un enseignement dispensé par des enseignants s'exprimant dans une langue qui ne leur est pas familière ? Comment se fera la transmission de connaissances entre des professeurs et des étudiants qui utiliseront une langue véhiculaire que ni les uns ni les autres ne dominent ?

Les défenseurs de ce projet se rendent-ils compte combien celui-ci est néfaste ? On peut en douter. Comme souvent avec les socialistes, on peut rappeler la citation de Terry Pratchett: "Down there,’ he said, ‘are people who will follow any dragon, worship any god, ignore any iniquity. All out of a kind of humdrum, everyday badness. Not the really high creative loathesomeness of the great sinners, but a sort of mass-produced darkness of the soul. Sin, you might say, without a trace of originality. They accept evil not because the say yes, but because they don’t say no" (1). Le problème de nos gouvernants actuels, c'est qu'ils aiment faire plaisir, et c'est pourquoi ils ne sont pas capables de dire "non". Chaque lobby qui franchit la porte d'un ministre arrive à partir avec un petit cadeau. Je me demande si au cabinet Fiorasso on se rend compte combien cette concession représente un pas de plus vers la transformation de notre système d'enseignement supérieur en une sorte de supermarché du diplôme. En tout cas, "long live the Clèves Princess…"

Descartes

(1) "Là bas – dit-il – il y a des gens qui suivront n'importe quel dragon, vénéreront n'importe quel dieu, ignoreront n'importe quelle injustice. Et cela du fait d'une méchanceté de tous les jours. Non pas la méchanceté hautement créative des grands vilains, mais d'une sorte d'obscurité de l'âme produite en masse. Le pêché – on pourrait dire – sans la moindre trace d'originalité. Ils acceptent le mal non pas parce qu'ils disent "oui", mais parce qu'ils ne disent pas "non"".

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59 réponses à Should we read the Cleves Princess ?

  1. Gugus69 dit :

    Descartes, cher ami et camarade,
    Firstable, I should have said : "Should we read the princess de Clèves", as "de Clèves" is her name…
    Ensuite, je constate une fois de plus que vous êtes un abominable passéiste.
    Pourquoi voulez-vous que nos professeurs s’expriment dans un mauvais anglais ?
    Nous vivons dans un pays dont le club champion national de football vit (grassement) sur des fonds étrangers, dont le président Qatari n’est même pas francophone, dont le manager général est Brésilien, dont l’entraîneur est Italien, et dont la quasi totalité des joueurs sont étrangers.
    Alors mettez vous à la page : pour que nos professeurs enseignent dans l’anglais le plus pur (et pas en globish), il suffit de recruter nos enseignants chez Barack ou Elisabeth. Nous n’avons pas besoin d’ouvriers français pour construire des Renault (71% de la production à l’étranger) ; pourquoi voudriez-vous que nous ayons des professeurs français pour former nos cadres ?
    Et vive la Sorbonne Saint-Germain !
    Mon vieux Descartes, il va falloir vous mondialiser…

    • Descartes dit :

      [Firstable, I should have said : "Should we read the princess de Clèves", as "de Clèves" is her name…]

      I am not sure… was "de Clèves" her name, or just the land of which she was princess ? If the first hypothesis is correct, then you are right. But if not, then my title is right.

      [Pourquoi voulez-vous que nos professeurs s’expriment dans un mauvais anglais ?]

      Je ne veux rien, je me contente de constater. J’ai eu l’opportunité de monter une formation pour des étudiants venant du Proche Orient, et il fut décidé que la formation serait dispensée en anglais. Malgré d’intenses recherches, il m’a été impossible de trouver un professeur d’université ou même un maître de conférence capable de dispenser l’enseignement dans un anglais qui ne fut pas une insulte à Shakespeare…

      [Nous vivons dans un pays dont le club champion national de football vit (grassement) sur des fonds étrangers, dont le président Qatari n’est même pas francophone, dont le manager général est Brésilien, dont l’entraîneur est Italien, et dont la quasi totalité des joueurs sont étrangers.]

      Ouais, bon, dans le showbusiness, ce n’est pas nouveau… et puis pour taper dans un ballon, pas la peine de savoir lire ou écrire.

    • adrien dit :

      Bonjour Descartes,

      Je m’étonnais que vous ne vous soyez pas encore exprimé sur le sujet. Puis-je vous faire part de mon expérience personnelle ?

      « Et on apprenait la langue de ces maîtres non pas que ce fut une obligation, mais pour profiter au mieux de leur enseignement. »

      J’ai soutenu une thèse il y a quelques années. L’un de mes maîtres était francophone, l’autre pas. Sa langue maternelle n’était pas non plus l’anglais, mais comme nous le parlions tous, que c’est la langue des échanges scientifiques, c’est dans cette langue que j’ai rédigé mon mémoire et que j’ai soutenu ma thèse. C’était, évidemment, avant le vote de la loi en cours de discussion.

      « si cet projet devenait loi, nous verrions dans nos universités des cours dispensés non pas en anglais – puisque seule une infime minorité de nos professeurs universitaires maîtrise vraiment cette langue – mais en "globish", cette proto-langue si pratiquée dans les conférences internationales et dans les réunions à Bruxelles, ou les participants sont obligés de communiquer les idées les plus complexes et les plus subtiles n’ayant à leur disposition que quelques centaines de mots anglais mal prononcés et une syntaxe hésitante. »

      Quand j’étais étudiant, l’un de nos enseignants s’exprimait dans un français très correct avec néanmoins un très élégant accent d’outre-Manche. Ce professeur donnait également, en anglais, un cours optionnel centré sur la pratique de cette langue, aussi incontournable aujourd’hui pour un scientifique que le français ou le latin ont pu l’être en leur temps. Ce n’était pas un cours de langue à proprement parler, pas de grammaire ni de listes de verbes irréguliers, plutôt un cours de culture générale de notre domaine d’étude, de démarche scientifique aussi, aller voir à la source de ce qu’on nous enseignait.

      J’ai eu aussi des profs d’autres nationalités… À vue de nez, j’estime entre cinq et dix pour cent la proportion d’enseignants-chercheurs étrangers dans mon domaine. de quoi assurer quelques cours.

      C’était, là encore, bien avant les discussions en cours. Depuis, j’imagine que les choses n’en sont pas restées là, et je parierais qu’on trouve dans les cursus scientifiques de nombreux exemples similaires.

      J’ai entendu plusieurs justifications à ce texte sur l’enseignement en langues étrangères. L’accueil des étudiants étrangers en est une, et j’avoue que je suis aussi dubitatif que vous sur cet aspect « marché de l’éducation ». Une autre, qu’il s’agissait de mettre fin à une certaine hypocrisie, alors que les grandes écoles censées former l’élite proposent volontiers des cours en anglais: ce qui est bon pour les uns… Et cet aspect là me touche plus. C’est un peu comme si la ministre avait cherché les arguments susceptibles de convaincre les uns et les autres… Mais sur le fond, j’ai surtout l’impression que cet article régularise simplement une situation qui existait déjà, de fait, sans doute un peu partout. L’encourage, aussi, sans doute. Mais impose en même temps l’enseignement du français pour les étudiants étrangers. Enfin en tout cas, vraiment pas de quoi en faire tout un plat.

    • adrien dit :

      Ah, et au fait : c’est « The Princess of Clèves » (sur le modèle du « Prince of Wales », par exemple). On trouve aussi "The Princess de Clèves », et le titre français est également utilisé. Ça doit dater d’un temps où c’était notre pays qui impérialisait linguistiquement.

    • BolchoKek dit :

      Adrien a raison, j’avais tiqué en voyant le titre aussi. On ne dit pas "Paris Count" ou "Gloucester Earl" mais Count of Paris et Earl of Gloucester. Je ne pense pas que la Princesse de Clèves échappe à la règle…

    • Descartes dit :

      J’avais essayé de faire un peu d’ironie en prenant un titre en "globish", mais de toute évidence j’ai manqué ma cible!

      Accessoirement, mon titre n’est pas usuel, mais il est correct. S’il est vrai qu’on dit généralement "the King of England" l’expression "England’s King" est correcte: "What, was it you that would be England’s king?" (King Henry VI Part III – Act 1, Scene III). Certains diront que j’aurais alors du écrire "the Cleves’s princess", mais il est d’usage d’omettre le "’s" du cas possessif lorsque le mot finit avec "s".

    • adrien dit :

      Non, c’est « Cleves'(s) Princess » (et non « the Cleves Princess ») que vous auriez dû écrire si vous aviez suivi cette syntaxe. Et les deux formes n’expriment pas tout à fait la même chose.

      (Quoi ? Boh, si on ne peut plus pinallier 😉

    • Albert dit :

      Cher Descartes,
      Je veux croire que gugus69 ironisait…ou alors…!!!!!!!

  2. Trubli dit :

    Une analyse intéressante qui souligne en filigrane la médiocrité de nos élites politiques. Le parti socialiste est le degré zéro de la réflexion. Ce parti n’a aucune vision à long terme. Ils sont là pour faire des coups.

    A quoi sert ce gouvernement qui ne trouve rien de mieux à faire que de diviser le pays, j’en veux pour preuve le succès de la manifestation contre le mariage homosexuel, au moment où il y a des problèmes bien plus graves pour l’avenir du pays ?

    Concernant le projet de loi Fioraso, je n’avais pas vu le risque de dérive consumériste de l’enseignement supérieur pour la simple raison que je ne ne comprends pas les motivations du gouvernement.
    J’ai été touché par la réaction de l’Académie Française et du secrétaire général de la francophonie.
    C’est la preuve que nous sommes devant des élites incapables de défendre les intérêts du pays préférant se coucher devant des intérêts étrangers ou bassement mercantiles.

  3. CVT dit :

    Cher Descartes,
    Effectivement, vous aviez raison pour Hollande: il est bien pire que je le pensais… L’inconscient anti-français plane sur ce projet de loi, d’autant qu’il est une insulte à l’histoire de mes parents, venus en France pour étudier, comme beaucoup d’étrangers des pays francophones! Quel mépris pour notre histoire et notre culture, alors même que Hollande va faire le pan à l’OUA précisément parce que bien des pays en Afrique sont francophones! Donc pour l’argument de l’ouverture, on pourra repasser.
    Dites-moi si je me trompe, mais j’ai la sensation que notre élite (on aurait tort d’oublier que c’est Valérie Pécresse qui avait déjà esquissé cette loi…) agit EXACTEMENT comme celles qui gouvernent l’Afrique Francophone: le fait est que seuls les enfants de ces élites pourront profiter de cet article de loi, car en cas de dégradation continue de l’économie française, ils pourront s’exiler bien plus facilement vers d’autres cieux avec un anglais "fluent" mâtiné d’accent français… En clair, cette mesure va accélérer la fuite des cerveaux, quand bien même peu de pays sur cette planète sont en bonne santé économique.
    Cette fuite des cerveaux est la même qui a saigné pendant des décennies le continent africain.
    En plus d’être lâche et irresponsable, la loi Fioraso est un vrai pousse-au-crime!
    Sinon, pour la qualité de l’expression anglaise pour un non-anglophone, vous avez raison: on va plus parler pidgin que globish. Pour l’avoir fait un certain temps quotidiennement, parler anglais dans un cadre professionnel est une source de stress car sauf si vous avez vécu un certain temps dans un environnement anglophone, vous n’êtes jamais certain d’exprimer de manière fine certaines nuances de pensées. Et pourtant, je me considère comme très bon locuteur en anglais, mais j’ai toujours ce petit doute sur le fait d’être correctement compris. Mais pour entendre ça, il faut non seulement voyager et avoir quitter les hôtels et les aéroports, mais avoir vécu dans un pays anglophone pour le ressentir: il me semble que ce ne soit pas le cas de ce ramassis d’incompétents et d’irresponsables qui peuplent ce gouvernement, car ils comprendraient que ce n’est pas par hasard que les plus opposants les plus virulents à ce projet sont des Français qui travaillent ou vivent à l’étranger…
    p.s.: vous avez remarqué qui mène la fronde contre cette loi? Un député socialiste,Pouria Amirshahi, Français d’origine iranienne! Comme souvent par le passé, ce sont les Français de fraîche date qui sauvent l’honneur du pays…

    • Descartes dit :

      [le fait est que seuls les enfants de ces élites pourront profiter de cet article de loi, car en cas de dégradation continue de l’économie française, ils pourront s’exiler bien plus facilement vers d’autres cieux avec un anglais "fluent" mâtiné d’accent français…]

      Je ne le crois pas. Cette affaire ne vise pas à donner aux étudiants français – même à ceux de l’élite – une meilleure connaissance de la langue anglaise. Il faut être très naïf pour croire qu’entendre un cours donné en "globish" par un professeur français aidera quiconque à parler la langue de Shakespeare. Comme je l’ai expliqué dans mon article, cette disposition a été incluse dans le projet de loi à la demande des gestionnaires universitaires qui veulent pouvoir attirer des étudiants étrangers payants. C’est aussi simple que ça. Pas la peine d’aller chercher on ne sait quelle conspiration des classes moyennes, pour une fois…

      [p.s.: vous avez remarqué qui mène la fronde contre cette loi? Un député socialiste,Pouria Amirshahi, Français d’origine iranienne! Comme souvent par le passé, ce sont les Français de fraîche date qui sauvent l’honneur du pays…]

      Peut-être parce que ce sont eux qui ont le plus conscience de la valeur de ce que les français "de souche" prennent pour "naturel". Il faut lire "Ma France se meurt" de Jeanette Bougrab, un livre magnifique pour qui veut comprendre ce phénomène.

  4. Baruch dit :

    Cette loi a plusieurs causes: d’abord on a déjà recruté comme professeurs des universités des dizaines de personnels étrangers qui ne parlent pas français, Américains et Canadiens, qui ont passé en anglais devant les comités de recrutement leur concours. Dans certaines disciplines ils sont un bon nombre,or à l’université ils ont un double statut non seulement chercheurs mais enseignants chercheurs. Ces gens ne peuvent enseigner qu’en anglais,et ils ont des obligations de service qu’il leur faut remplir, moralité déjà de si nombreuses dérogations au statu quo ante…
    D’autre part pour la sélection des étudiants qui veulent aller faire un semestre une année Erasmus ou d’un autre programme similaire dans une université étrangère n’est pas la même partout. Les Américains et les Canadiens se réservent de faire passer des test de langues pour le niveau des élèves qu’ils accueillent, en Europe c’est très variable, dans une université française de ma connaissance les étudiants qui veulent partir en Italie par exemple doivent passer un test dans la langue avec un enseignant de la matière italianophone et un professeur d’italien, l’étudiant n’ayant l’accord de l’université que s’il satisfait à cette épreuve,il devra passer les épreuves de sa discipline en Italie et en italien et cela sanctionnera son cursus en France quand il reviendra mais la réciproque n’est pas vraie: l’université italienne, elle, envoie des étudiants qui ne savent pas le français, ils comptent qu’ils l’apprennent en un semestre et s’imprègnent de la culture, et c’est à leur retour qu’ils auront à passer leur examen italien et en italien, un semestre à l’auberge espagnole quoi ! aux frais de la princesse (de Clèves)! Tout ceci parce que le protocole de Bologne qui organise l’université à l’échelle européenne n’a rien posé et préparé.
    Joint à cela que des villes, des multinationales, proposent des fonds aux universités pour le renom et comme les universités reçoivent des subsides au nombre d’étudiants, les étrangers sont recherchés comme manne et servent à boucler le budget !
    Enfin, l’université a trouvé son modèle : les écoles de commerces ! Je ne parle pas des "grandes écoles" celles que la République a fondé dès la révolution: Polytechnique, Centrale, les Ponts, Normale, etc…, non! les écoles de fondation privées avec collusion des fonds et des travailleurs publics. De ce fait la main mise, non de l’anglais, mais du globish se répand, forme et déforme les esprits. C’est très inquiétant pour notre culture, notre façon de voir et d’appréhender le monde, et la production scientifique qui en découle, au pays des Curie, de Langevin, et de… Descartes .

    • adrien dit :

      « au pays des Curie, de Langevin, et de… Descartes . »

      De Descartes, qui, pour ses écrits scientifiques, s’exprimait en latin (le globish de l’époque), sans que personne en déduise que ça lui déformait l’esprit. Non ?

    • Descartes dit :

      Difficile de comparer le "globish" avec le latin à l’époque de Descartes. D’abord, parce que le latin ne s’opposait pas à une langue "nationale" inexistante: chaque "pays" avait son dialecte, son patois, sa langue. C’est pourquoi les élites avaient besoin du latin non seulement pour les échanges scientifiques, mais pour les échanges en général. Du coup, la langue latine n’était pas pour eux une "langue étrangère" qu’on pratiquait occasionnellement, mais une véritable langue véhiculaire.

      Par ailleurs, Descartes est à la charnière ou commencent à naître les états-nations, et avec eux les langues nationales. Il rompt avec la tradition scolastique de l’écriture en latin et prend soin d’écrire son "Discours de la Méthode" en français…

    • Albert dit :

      Je suis d’accord avec vous Descartes: à l’évidence, la motivation la plus exprimée par les promoteurs de cette loi scélérate est celle d’attirer des étudiants étrangers, ce qui n’exclut pas d’autres motifs…Il s’agit donc bien de VENDRE son âme, entre autres objectifs également néfastes.

    • adrien dit :

      Je ne vois pas bien la différence. Vous croyez que les « élites » d’aujourd’hui comprennent par magie l’espagnol, l’italiens, le chinois, le japonais..? et qu’elles n’ont pas besoin d’une langue pour les échanges scientifiques, et les échanges en général ? Une langue véhiculaire, c’est exactement le rôle que joue l’anglais pour les chercheurs aujourd’hui. La seule différence, c’est que le latin n’était plus la langue maternelle de personne à l’époque déjà, et ne pouvait donc être perçu comme une menace impérialiste, contrairement à l’anglais aujourd’hui.

      Quant au discours de la méthode, en effet, publié d’abord en français… Un acte précurseur de ce qu’on appellerait aujourd’hui de la vulgarisation 😉 Wikipédia ajoute qu’ ça lui permettait de contourner la censure. Sans compter que c’est aussi l’époque où le français commence à supplanter le latin comme langue véhiculaire…

    • Descartes dit :

      [Je ne vois pas bien la différence. Vous croyez que les « élites » d’aujourd’hui comprennent par magie l’espagnol, l’italiens, le chinois, le japonais..? et qu’elles n’ont pas besoin d’une langue pour les échanges scientifiques, et les échanges en général ?]

      Je ne me souviens pas d’avoir dit le contraire. Le problème pour moi est la richesse de cette "langue pour les échanges". Si cette langue est pauvre, les échanges le seront aussi. Et nos chercheurs parlant "globish" seront handicappés par rapport aux chercheurs américains ou britanniques qui, eux, parlent un véritable anglais.

      Contrairement à ce que vous avez l’air de croire, je ne propose pas un monolinguisme étroit. J’adore les langues (j’en parle parfaitement trois et j’en lis cinq langues vivantes, et mon grand regret est de ne pas avoir appris le latin et le grec) et je suis totalement pour l’enseignement de l’anglais comme langue véhiculaire. Mais je suis pour un VERITABLE enseignement de l’anglais, qui dépasse le niveau Berlitz. Et je ne crois pas un instant que le fait d’entendre baragouiner un cours de physique, de chimie ou de biologie en "globish" aide le moins du monde à atteindre ce but.

      [Une langue véhiculaire, c’est exactement le rôle que joue l’anglais pour les chercheurs aujourd’hui. La seule différence, c’est que le latin n’était plus la langue maternelle de personne à l’époque déjà, et ne pouvait donc être perçu comme une menace impérialiste, contrairement à l’anglais aujourd’hui.]

      L’autre grande différence est que le latin était une véritable langue "véhiculaire", que les élites parlaient en permanence, non seulement pour les échanges scientifiques, mais pour les échanges quotidiens et cela même lorsqu’ils parlaient la même langue maternelle. On le voit par exemple à Oxford ou à Cambridge, où l’habitude de conduire les débats des organes de gouvernance de l’Université en Latin a duré jusqu’au XXème siècle. L’homme cultivé du XIVème siècle parlait le Latin couramment. Ce n’est certainement pas le cas de l’anglais aujourd’hui.

  5. Gugus69 dit :

    C’était plus pratique, quand seule l’introduction des papiers s’affichait en page d’accueil.

  6. Jean-François dit :

    Bonjour Descartes. Je suis en accord avec votre critique de la conception consumériste de l’enseignement supérieur, mais je trouve que votre extrait du projet de loi n’est pas très bien choisi. Les enseignements en anglais sont chose commune depuis longtemps, ainsi que les examens et les thèses. Je pense que dans l’absolu cela ne pose pas forcément de problème ; au contraire, on pourrait arguer que cela rend l’université plus universaliste, sous certaines conditions. Il me semble que ce qui est plus dérangeant c’est plus simplement la notion d’« autonomie » des universités qui est la source de la nécessité d’adaptation aux attentes des étudiants que vous mentionnez. En ce sens je trouve que les changements du nouveau projet de loi ne portent que sur des détails, et que finalement c’est plutôt cela qui est révoltant de la part d’un gouvernement officiellement socialiste.

    • Descartes dit :

      [Les enseignements en anglais sont chose commune depuis longtemps, ainsi que les examens et les thèses.]

      L’inceste et le meurtre aussi… et pourtant, je pense qu’une loi qui légaliserait l’un et l’autre serait digne d’être commentée! Mais je partage votre diagnostic. Cette histoire de langue n’est pas "le" problème. Mais elle est révélatrice de la conception de l’université – et de l’enseignement en général – qui tend à prédominer aujourd’hui: l’idée qu’il faut adapter les enseignements aux demandes des étudiants. Or, éduquer c’est précisément transformer l’étudiant. C’est l’institution qui sait ce que l’étudiant devrait apprendre, et non l’inverse.

      [au contraire, on pourrait arguer que cela rend l’université plus universaliste,]

      Je vois mal en quoi une université dans laquelle des professeurs sont obligés à enseigner dans une langue qu’ils ne dominent pas à des étudiants qui ne la dominent pas non plus serait "universaliste"…

    • Jean-François dit :

      [L’inceste et le meurtre aussi… et pourtant, je pense qu’une loi qui légaliserait l’un et l’autre serait digne d’être commentée!]

      Une différence est que l’inceste et le meurtre sont interdits, alors qu’il ne me semble pas que l’enseignement, les examens et les thèses en anglais le soient. Ce que je voulais dire c’est que cet élément précis ne change pas grand-chose à l’affaire, et que son caractère nocif est discutable. (Une remarque anecdotique : si vous vous souciez de l’efficacité de votre argumentation, je pense que vous devriez éviter ce type de comparaison. Dans l’absolu il peut illustrer votre propos, mais le plus souvent il engendre des réactions indésirables liées à son caractère extrême.)

      [Mais je partage votre diagnostic. Cette histoire de langue n’est pas "le" problème. Mais elle est révélatrice de la conception de l’université – et de l’enseignement en général – qui tend à prédominer aujourd’hui: l’idée qu’il faut adapter les enseignements aux demandes des étudiants.]

      Cela ne m’a pas semblé clair quand j’ai lu votre article, mais je comprends mieux à présent. En fait, ce n’est pas la possibilité de faire des cours, examens et thèses en langue étrangère qui est problématique, c’est la raison (supposée) pour laquelle on a inclus cet élément dans le projet de loi.

      [Or, éduquer c’est précisément transformer l’étudiant.]

      Il me semble que ce n’est pas si simple : selon moi, un étudiant n’est pas un écolier qui doit être éduqué, mais un adulte qui s’applique à acquérir des connaissances et des capacités dans un domaine déterminé. Il a pour cela des universitaires à sa disposition, qui ne sont pas forcément tenus d’être pédagogues. Dans ce cadre, l’étudiant serait en quelques sortes censé se transformer de sa propre initiative au contact des universitaires, et être ensuite jugé par ces universitaires, selon des critères aussi universels que possible. C’est là que je vous rejoins : adapter ces critères aux étudiants est absurde. Mais surtout, ce n’est pas tout. Les enseignants du supérieur eux-mêmes tendent à s’adapter à d’autres contraintes : dans la course aux publications pour obtenir des qualifications, postes de chercheur, habilitations à diriger la recherche… ainsi que dans la course aux financements, l’enseignement est de plus en plus négligé. Dit de manière caricaturale, la « privatisation » du monde universitaire aboutit à la fois à des critères d’évaluation adaptés aux étudiants et des enseignants qui n’enseignent pas.

      [Je vois mal en quoi une université dans laquelle des professeurs sont obligés à enseigner dans une langue qu’ils ne dominent pas à des étudiants qui ne la dominent pas non plus serait "universaliste"…]

      Moi non plus, d’où le « sous certaines conditions ».

    • Descartes dit :

      [Une différence est que l’inceste et le meurtre sont interdits, alors qu’il ne me semble pas que l’enseignement, les examens et les thèses en anglais le soient.]

      Vous faites erreur. Relisez l’article Art L 121-2 du code de l’éducation: "La langue de l’enseignement, des examens et concours, ainsi que des thèses et mémoires dans les établissements publics et privés d’enseignement est le français". On ne saurait être plus clair… L’usage d’une langue étrangère pour l’enseignement, les examens, les concours, les thèses et mémoires est donc bien "interdit".

      [Il me semble que ce n’est pas si simple : selon moi, un étudiant n’est pas un écolier qui doit être éduqué, mais un adulte qui s’applique à acquérir des connaissances et des capacités dans un domaine déterminé.]

      Nous avons là une grosse différence de conception de l’enseignement supérieur. Vous pensez que l’étudiant universitaire est un être déjà formé qui est capable de définir lui même ce dont il a besoin. Je ne le crois pas, et le contact que je peux avoir avec des étudiants me confirme chaque fois plus dans cette idée. Un étudiant peut aimer le droit et être porté vers les études juridiques. Mais sait-il vraiment quelles sont les connaissances dont on a besoin pour devenir un bon avocat ? Un étudiant peut aimer les mathématiques et la physique. Mais sait-il quels sont les connaissances qui font un bon mathématicien, un bon ingénieur, un bon physicien ? Je ne le crois pas: comment pourrait-il savoir quelles sont les connaissances qui lui seront nécessaires pour exercer un métier qu’il n’a jamais exercé ? Je me souviens quand j’ai commencé mes études de l’idée que je me faisais de mon futur métier… et je remercie le ciel d’avoir croisé des maîtres qui m’ont déniaisé !

      Bien entendu, un étudiant n’est plus un écolier. Il est censé avoir au moins acquis des méthodes de travail qui lui permettent d’apprendre sans avoir besoin d’avoir un pédagogue qui s’occupe de lui. Mais qu’il sache apprendre tout seul n’implique pas qu’il sache ce qu’il faut apprendre… et c’est là que l’institution a un rôle fondamental. Si les étudiants étaient aussi autonomes que vous le pensez, on n’aurait pas besoin d’universités. Une bibliothèque et un centre d’examens suffirait…

      [dans la course aux publications pour obtenir des qualifications, postes de chercheur, habilitations à diriger la recherche… ainsi que dans la course aux financements, l’enseignement est de plus en plus négligé. Dit de manière caricaturale, la « privatisation » du monde universitaire aboutit à la fois à des critères d’évaluation adaptés aux étudiants et des enseignants qui n’enseignent pas.]

      C’est là un autre sujet… qui mériterait certainement un papier!

  7. adrien dit :

    Bonjour Descartes,

    « l’inceste et le meurtre » ? Rien que ça ? Et la cour martiale pour Fioraso et ses complices, aussi, non ?

    Tout ce débat est tellement à côté de la plaque que c’en est ridicule. L’amendement discuté ne modifie qu’à la marge les dispositions actuelles — la seule nouveauté étant le passage que vous avez mis en gras, et dont franchement j’ai du mal à voir ce qu’il va changer. Seulement, il a réveillé des gens qui ont vu un scandale dans l’usage du français. Des gens qui n’y connaissent tellement rien qu’ils craignent que cet article permette d’enseigner en anglais. Comme si ce n’était pas déjà largement autorisé, et encore plus largement pratiqué.

    Depuis, le texte a été amendé et prévoit en plus, désormais, que « Les étudiants étrangers auxquels sont dispensés ces enseignements bénéficient d’un apprentissage de la langue française. Leur niveau de maîtrise de la langue française est pris en compte pour l’obtention du diplôme. »

    J’imagine que ça ne suffit pas à vous rassurer ?

    « l’idée qu’il faut adapter les enseignements aux demandes des étudiants. Or, éduquer c’est précisément transformer l’étudiant. C’est l’institution qui sait ce que l’étudiant devrait apprendre, et non l’inverse. »

    Et l’institution sait que l’étudiant devrait apprendre l’anglais. Parce que l’institution sait que l’anglais, particulièrement dans le domaine scientifique, est la langue des échanges internationaux. Les enseignants de l’institution qui n’ont pas forcément bénéficié d’une bonne formation à l’anglais en ont bavé et ont du apprendre sur le tas. Ils veulent éviter ça à leurs étudiants, et ça passe par des cours en anglais. Pas tout les cours, mais une partie des cours. (L’article ammendé précise d’ailleurs que « les formations ne peuvent être que partiellement proposées en langue étrangère. » )

    Et les gens comme vous qui n’ont rien à voir avec l’institution mènent un combat qui se veut symbolique et ne trouvent rien de mieux pour défendre le français que proposer de saboter l’enseignement de l’anglais, c’est à dire l’enseignement tout court. Vous voulez quoi, concrètement ? Que les fac embauchent massivement des traducteurs pour pouvoir continuer à faire lire à leurs étudiants les articles de Science ou de Nature en évitant l’usage de l’anglais ?

    Vous avez lu ça, au fait ? http://www.youscribe.com/catalogue/tous/actualite-et-debat-de-societe/actualite-evenements/l-anglais-hors-la-loi-enquete-sur-les-langues-de-recherche-et-2106630

    Vous insistez pour dire que les cours seront donnés, non pas en anglais mais en globish. Eh, mais pourquoi donc ? Je croirais plus volontiers qu’ils seront, et qu’ils sont déjà donnés autant que possible par les enseignants étrangers anglophones qui sont nombreux dans l’établissement. Ou du moins par des enseignants qui sont suffisemment à l’aise. Ça se trouve, je vous assure. Je connais évidemment des chercheurs, des directeurs de labo qui sont incapables de parler même de leurs propres travaux sans ponctuer leur discours de "euh" et de "alors"… Mais c’est loin d’être la majorité. Tous les chercheurs lisent et écrivent un anglais correct, et la plupart sont capables de faire cours dans cette langue. Beaucoup l’ont d’ailleurs d’éjà fait. Dans leur domaine de recherche, bien sûr, mais on ne va pas demander à un biologiste de faire un cours sur le théâtre anglais aux XVIe et XVIIe siècles. Ce sera du globish ? Non, ce sera le jargon du domaine d’étude, tout simplement. Ça n’aidera pas beaucoup l’étudiant qui souhaite suivre Game of Thrones ou lire Lord of the Rings en VO, mais ça lui permettra d’accèder aux travaux des « maîtres » du domaine et de présenter, plus tard, ses propres recherches à la communauté. Je ne vois pas où est le scandale.

    N’allez pas croire que je me désintéresse du français. Au contraire, je partage un certain nombre des inquiétudes exprimées, et je serais très ennuyé de voir le français disparaître dans le domaine scientifique. Mais pour le défendre, il va falloir trouver d’autres pistes que de s’en prendre à l’anglais.

    Par exemple, il n’existe pour ainsi dire plus de publications scientifiques en langue française. Même les Comptes rendus de l’Académie des science sont publiés en anglais. En outre ils sont vendus 30 euros l’article, et à l’heure des publications en accès libre… On pourrait faire d’une pierre deux coups en faisant en sorte que ces Comptes rendus soient disponibles, et gratuitement, dans les deux langues. Plus généralement, au delà du souhait naturel des chercheurs de diffuser leurs travaux de la manière la plus accessible à la communauté, qui conduit évidemment à favoriser l’anglais, le système d’évaulation qui encourage la course au « facteur d’impact » décourage d’autant les publications en français. En outre, il semble anormal que les résultats obtenu par la recherche publique ou gràce à des financements publics ne soient pas disponibles gratuitement. Bref, pour défendre le français dans l’ESR, c’est à mon avis putôt dans cette direction qu’il faut chercher. Parce qu’on ne pourra pas éternellement enseigner en français une science qui ne se pratique plus qu’en anglais…

    • Descartes dit :

      [« l’inceste et le meurtre » ? Rien que ça ? Et la cour martiale pour Fioraso et ses complices, aussi, non ?]

      Mais non… une demie cour martiale suffira. Comme disait Clemenceau, "pour les traîtres, douze balles dans la peau; pour les demi-traîtres, six balles suffiront". Je maintiens l’exemple: si le principe général est qu’il n’y a aucun danger à légaliser ce qui se pratique déjà, cela doit être aussi vrai pour l’enseignement en anglais que pour le viol ou le meurtre…

      [Tout ce débat est tellement à côté de la plaque que c’en est ridicule. L’amendement discuté ne modifie qu’à la marge les dispositions actuelles — la seule nouveauté étant le passage que vous avez mis en gras, et dont franchement j’ai du mal à voir ce qu’il va changer. ]

      Je vous l’ai dit. Ce que cela "changera", c’est qu’on fera un pas de plus vers l’université-supermarché dont le but est d’attirer à tout prix le client, particulièrement si le client paye bien. Aujourd’hui nous décidons que pour attirer les étudiants étrangers, on leur évitera l’effort d’apprendre le français. Demain, on comprendra que pour les attirer il faut surtout pas leur demander de passer des examens difficiles pour avoir leur diplôme. Vous voyez où cela nous conduit ?

      D’autres critiquent cette mesure au nom de la défense de la langue française. Si vous avez lu mon papier, vous aurez compris que ce n’est pas mon cas. Non pas parce que je pense que la langue française ne mérite pas d’être défendue, mais parce que je pense que l’article en question ne la met pas véritablement en danger. Si je critique cet article, c’est parce qu’il met en danger l’université française, ou ce qu’il en reste.

      [Depuis, le texte a été amendé et prévoit en plus, désormais, que « Les étudiants étrangers auxquels sont dispensés ces enseignements bénéficient d’un apprentissage de la langue française. Leur niveau de maîtrise de la langue française est pris en compte pour l’obtention du diplôme. » J’imagine que ça ne suffit pas à vous rassurer ?]

      C’est un progrès, certainement, mais vous avez raison: cela ne me rassure pas. Tout simplement parce que l’on sent bien que c’est une concession destinée à endormir la vigilance des défenseurs du français mais que la mesure ne sera jamais appliquée. Supposons en effet qu’elle le soit: un étudiant ne pourrait alors obtenir son diplôme que s’il est capable de parler, de lire et d’écrire notre langue. Fort bien: dans ces conditions, à quoi peut bien servir de lui donner des cours en "globish" ou de lui faire passer des examens dans cette même langue ? Pourquoi ne pas le faire en français, puisqu’il est capable de travailler dans cette langue ? A moins que la "maîtrise de la langue française" qu’on exigera de lui pour lui accorder son diplôme se limite à pouvoir dire "bonjour", "bonsoir" et "je vous aime"…

      Soyons clairs: ou bien le but est d’attirer des clients – pardon, des étudiants – étrangers pour avoir leurs sous, et on est prêts à leur faciliter la vie (cours en globish, examens "allégés"…) et alors il faut le dire clairement, ou alors on veut une formation universitaire de qualité pour tous ceux – français ou étrangers – qui vont sur les bancs de l’université, et alors il n’y a aucune raison d’enseigner en "globish". Dire "on va enseigner en globish, mais vous en faites pas, on leur fera passer des examens de français quand même" c’est une totale incohérence.

      [Et l’institution sait que l’étudiant devrait apprendre l’anglais.]

      Alors qu’on lui enseigne l’anglais. Je n’ai rien contre, et les textes le permettent depuis la nuit des temps. Mais il ne vous échappe pas j’imagine la différence qu’il y a entre "enseigner l’anglais" et "enseigner en anglais". Et encore, si l’on enseignait en anglais… mais comme je vous l’ai dit, contrairement aux cours d’anglais qui sont en général donnés par des gens qui dominent à la perfection la langue de Shakespeare, l’enseignement "en anglais" sera en pratique un enseignement dans une langue appauvrie parlée par des gens qui la dominent mal et la pratiquent peu.

      [Et les gens comme vous qui n’ont rien à voir avec l’institution (…)]

      Ah bon ? Et moi qui croyais que le fait de financer l’institution avec mes impôts me donnait quelque droit à avoir un avis…

      [(…) mènent un combat qui se veut symbolique et ne trouvent rien de mieux pour défendre le français que proposer de saboter l’enseignement de l’anglais, c’est à dire l’enseignement tout court.]

      Vous passez assez vite de "l’enseignement de l’anglais" à "l’enseignement en anglais" et vice-versa. Comme je vous l’ai dit, je n’ai rien contre "l’enseignement de l’anglais". Mais l’article incriminé n’a aucun rapport avec cela. Il a été mis non pas pour enseigner l’anglais à des étudiants qui ne le connaissent pas, mais pour enseigner en anglais à des étudiants qui connaissent déjà cette langue.

      [Vous voulez quoi, concrètement ? Que les fac embauchent massivement des traducteurs pour pouvoir continuer à faire lire à leurs étudiants les articles de Science ou de Nature en évitant l’usage de l’anglais ?]

      Non. Qu’elles embauchent des professeurs d’anglais pour enseigner à nos étudiants la belle langue de Shakespeare. Mais encore une fois, je ne vois pas trop le rapport entre le projet de loi et la question de l’apprentissage de l’anglais. On n’apprend pas l’anglais en assistant à un cours donné en globish par un professeur français qui parle à peine cette langue…

      [Vous insistez pour dire que les cours seront donnés, non pas en anglais mais en globish. Eh, mais pourquoi donc ?]

      C’est la voix de l’expérience qui parle. J’ai eu dans ma profession à monter des formations scientifiques pour des étudiants étrangers. Il est extrêmement difficile de trouver des enseignants français parlant avec aisance un anglais correct et riche.

      [Je croirais plus volontiers qu’ils seront, et qu’ils sont déjà donnés autant que possible par les enseignants étrangers anglophones qui sont nombreux dans l’établissement.]

      Alors pourquoi modifier la loi ? Le code de l’éducation dans sa rédaction actuelle permet de donner le cours dans une langue étrangère lorsque l’enseignant est lui même étranger…

      [Tous les chercheurs lisent et écrivent un anglais correct, et la plupart sont capables de faire cours dans cette langue.]

      Après une longue carrière dans l’ingénierie et la physique nucléaire, qui pourtant est un domaine fortement internationalisé, je dois m’inscrire en faux contre cette affirmation. J’ai moi même vécu plusieurs années dans un pays anglophone, et je suis anglophone (et non globishphone) moi même… et j’ai des frissons quand je pense au nombre de conférences incompréhensibles ou tout simplement pénibles à écouter. Et comme je vous l’ai dit plus haut, lorsque j’ai eu à monter des formations, j’ai eu la plus grande difficulté à trouver des enseignants capables de parler avec aisance un anglais correct.

      [Parce qu’on ne pourra pas éternellement enseigner en français une science qui ne se pratique plus qu’en anglais…]

      Ah bon ? Je fréquente couramment les laboratoires du CEA ou du CNRS… et chaque fois que j’y vais, les chercheurs discutent de leurs travaux en français. Lorsqu’ils règlent leurs appareils, ils donnent des instructions à leurs techniciens en français. Lorsqu’ils rendent compte aux membres de leur équipe, ils parlent français. Mais peut-être qu’ils ne "pratiquent" plus la science ?

      Je crains, malheureusement, qu’on ne puisse pas penser dans une langue qu’on ne domine pas. Les chercheurs français communiquent peut-être en globish, mais pensent toujours en français. Et ils pensent en français parce qu’ils ont été formés en français. Le jour où nous abdiquerons de cet enseignement, c’en sera fini de la science française. Nous penserons en globish, et nous ferons une science à la mesure de la pauvreté du langage dans laquelle elle est pensée. C’est pourquoi je en prends pas aussi à la légère que vous la question du français à l’université. Je suis désolé de constater que vous partagez une vision "utilitaire" des études: il faut enseigner en anglais parce que c’est ce dont les scientifiques auront l’utilité. Je ne partage pas cette vision: je pense qu’il faut enseigner en français parce qu’il faut enseigner à penser en français. Qu’après le scientifique au cours de sa carrière communique en globish… ce n’est pas irrationnel. Il aura la formation qui lui permettra de penser dans une langue riche et nuancée…

    • Albert dit :

      La position d’Adrien a une logique, qui conduira demain à faire de l’anglais la langue "maternelle" en France – à l’école sinon en famille.
      La position de Descartes a également une logique – différente, et que je partage.
      Car en ce domaine comme en beaucoup, il n’y a pas une Seule logique, mais plusieurs: voir en économie,où la pensée dominante se qualifie de scientifique pour disqualifier toute autre logique.

    • Jean-François dit :

      [Tout ce débat est tellement à côté de la plaque que c’en est ridicule.]

      Je dirais plutôt qu’il n’est pas posé de manière optimale. Mais la question centrale qui est soulevée, celle de la « conception consumériste de l’enseignement supérieur », me paraît plus que pertinente.

    • Descartes dit :

      Je ne partage pas votre œcuménisme. Je pense que la position d’Adrien est erronée, et que son erreur découle d’une confusion: il confond la langue de communication et la langue de la pensée. Les physiciens du monde entier ont beau communiquer en globish, ils ne PENSENT pas en globish. Et c’est heureux, parce que penser dans une langue pauvre ne peut que conduire à une pensée pauvre. C’est pourquoi il ne faut pas confondre le fait de communiquer en globish et celui d’enseigner en cette langue.

    • Albert dit :

      @ Descartes:

      Qui vous parle d’oecuménisme? Pas moi. Ou je me suis mal exprimé!
      Je suis bien d’accord avec vous pour distinguer langue de communication et langue de pensée.Mais je crois justement que beaucoup (Adrien, notamment) ne font qu’apparemment la confusion.En réalité, ils acceptent implicitement le suicide du français comme celui de la France.

    • Descartes dit :

      Je n’aime pas trop interpréter la pensée des autres, et Adrien est assez grand pour se défendre tout seul. Mais je vais tout de même faire un commentaire. Je vous trouve un peu trop sévère. Pour ceux qui pratiquent le monde scientifique, la nécessité d’une langue véhiculaire est évidente. Et c’est un fait que l’anglais occupe cette place. La question à se poser dans ces conditions est de savoir ce qu’on peut défendre et pourquoi on le fait. Adrien diagnostique – à tort à mon avis – la mort du français comme langue de la pensée. Dans ce contexte, sa conclusion est logique: ce n’est pas la peine d’essayer de maintenir en vie ce qui est mort. Cela n’implique nullement le "suicide de la France", même si cela suppose la mort d’une certaine France.

      Personnellement, je pense qu’il faut faire la différence entre la langue véhiculaire et la langue de la pensée. Il est important que les scientifiques français continuent à penser en français, même s’ils communiquent avec leurs collègues en anglais. Cela suppose qu’on continue à les former et à les éduquer en français.

    • Albert dit :

      "Adrien diagnostique – à tort à mon avis – la mort du français comme langue de la pensée. Dans ce contexte, sa conclusion est logique: ce n’est pas la peine d’essayer de maintenir en vie ce qui est mort. Cela n’implique nullement le "suicide de la France", même si cela suppose la mort d’une certaine France".
      Finalement, je ne suis pas tellement loin de ce que vous me répondez – à la formulation près. Et je ne crois pas être trop "sévère" (à la formulation près) puisque je fais dans la constatation, pas dans le jugement.

    • Albert dit :

      "Adrien diagnostique – à tort à mon avis – la mort du français comme langue de la pensée. Dans ce contexte, sa conclusion est logique: ce n’est pas la peine d’essayer de maintenir en vie ce qui est mort."
      C’est bien ce que je disais.
      J’apprécie énormément l’esprit cartésien -et donc votre blog,que j’ai découvert tout récemment. Mais permettez-moi de développer mon point de vue sur la possible mort (partiellement) du français, …et "d’une certaine France".Constat hors jugement de valeur.

      Il ne vous a pas échappé que le français (comme une certaine France) est pris dans un étau: "concurrencé" par le haut par l’anglais et par le bas par les langues régionales qui réclament la co-officialité avec le français (cf.la charte des langues minoritaires régionales, signée par la France et probablement ratifiée un jour).Le "mouvement" va bien dans ce sens, depuis quelques décennies.

    • Descartes dit :

      Je ne partage pas vraiment votre diagnostic. la concurrence "par le bas" des langues régionales en France est purement symbolique. En dehors de quelques groupuscules – dont l’exposition médiatique est sans commune mesure avec leur influence réelle – pratiquement personne ne demande une "co-officialité" avec le français, en dehors de certains territoires périphériques (Corse…). En fait, les locuteurs capables d’utiliser une véritable co-officialité sont en nombre très réduits: combien d’habitants de la région Bretagne seraient capables de passer un concours en breton ? Combien d’habitants de PACA seraient capables de plaider devant un tribunal ou de lire un acte de propriété en occitan ?

      De même, le français n’est pas véritablement "concurrencé" par l’anglais comme langue d’échanges entre français. On voit bien entendu fleurir des enseignes et des publicités truffées de mots anglais parce que cela fait "branché", mais c’est plus le son qui est recherché que le sens: par exemple vous pourrez voir à la Gare de Lyon une enseigne de vente de sandwichs nommée "happy eat", ce qui en anglais ne veut strictement rien dire. Mais l’anglais en tant que langue ne "concurrence" rien du tout: combien de français connaissez-vous qui parlent entre eux en anglais pouvant le faire en français ?

      La "concurrence" de l’anglais – ou pour être précis du "globish" – est plus visible dans les forums internationales. Là où le français était encore la langue des diplomates il y a à peine trente ou quarante ans, elle a pratiquement disparu et les discussions diplomatiques sont presque toujours conduites en "globish". Il y a là une tendance bien réelle.

      Mais quand même bien vous auriez raison, et que "le mouvement" irait "dans le sens" d’une disparition du français, je n’y vois pas une raison pour capituler. Mon admiration va au contraire à ceux qui au cours de l’histoire ont su résister efficacement au "mouvement" plutôt qu’à ceux qui préfèrent la politique du chien crevé au fil de l’eau…

  8. adrien dit :

    « Vous voyez où cela nous conduit ? »

    À la fin du monde, bien sûr ! Ah, le fameux argument de la pente glissante. D’abord on légalise les cours en anglais, et puis on légalise le meurtre et l’inceste ! D’abord on crée le pacs, et puis on autorise la zoophilie et la pédophilie ! Et comme si ça ne suffisait pas, nous parlerons tous anglais, comme l’a si bien perçu le clairvoyant Albert. La fin du monde, je vous dis ! Dépêchons-nous de tout interdire, sans quoi tout sera bientôt permis !

    « dans ces conditions, à quoi peut bien servir de lui donner des cours en "globish" ou de lui faire passer des examens dans cette même langue ? Pourquoi ne pas le faire en français, puisqu’il est capable de travailler dans cette langue ? »

    Il en est capable à la fin de son séjour…

    Soyons clairs: ou bien le but est d’attirer des clients – pardon, des étudiants – étrangers pour avoir leurs sous, et on est prêts à leur faciliter la vie (cours en globish, examens "allégés"…) et alors il faut le dire clairement, ou alors on veut une formation universitaire de qualité pour tous ceux – français ou étrangers – qui vont sur les bancs de l’université, et alors il n’y a aucune raison d’enseigner en "globish".

    Pourquoi « ou bien » ?

    Au passage, les étudiants étrangers ne paient pas plus que les autres de frais d’inscription. Pas très intéressants, comme « clients ». (C’est d’ailleurs une demande de la Conférence des Grandes Écoles que de faire prendre en charge aux étudiants étrangers leurs frais de scolarité. Outre le simple argument financier, ils ajoutent que la quasi gratuité serait peut-être un frein à leur venue, dans la mesure où beaucoup d’étudiants jugeraient qu’un établissement qui ne les fait pas payer ne doit pas être si bien que ça. Je ne sais pas quel crédit accorder à cette idée, mais j’ai déjà entendu le même genre de réflexion, de la part d’étudiants étrangers, à propos de l’absence de concours d’entrée.)

    Ceux qui payent, par contre, enfin dans une certaine mesure, ce sont ceux qui viennent dans le cadre d’un programme d’échange : il paient les frais d’inscription à leur université d’origine. J’ignore si celle-ci en reverse une partie à l’université d’accueil — je suppose que oui. Mais comme il s’agit d’un échange, l’université française doit aussi contribuer dans la mesure où elle envoie elle aussi des étudiants à l’étranger. Ce mode d’échange, évidemment avantageux pour les étudiants français — ils ne paient que les frais d’inscription à la française, autrement dit rien par rapport à ce qui se pratique dans nombre de pays — est je crois assez minoritaire en France. C’est peut-être aussi de ça qu’il s’agit ?

    Vous me direz, les uns et les autres vivent en France, et donc consomment en France. Est-ce que ça suffit à compenser le coût de leurs études ? Je n’en sais rien, mais j’en doute.

    J’avoue que cet objectif annoncé d’attirer les étudiants étrangers me laisse un peu perplexe. Parce que bon, si on veut les attirer, des mesures sur les titres de séjours me sembleraient plus efficaces… Sauf si on s’inscrit dans le contexte d’accords bilatéraux interuniversitaires, là je comprends mieux — enfin, je crois.

    « Et moi qui croyais que le fait de financer l’institution avec mes impôts me donnait quelque droit à avoir un avis… »

    Non, je vous rassure, même sans payer vous auriez le droit d’avoir un avis. Par contre payer ne suffit pas à en faire un avis informé…

    « Vous passez assez vite de "l’enseignement de l’anglais" à "l’enseignement en anglais" et vice-versa. »

    Oui. Des cours de langue, à terme, ça doit passer par la pratique. Et quite à ce que des étudiants en physique ou en biologie pratiquent l’anglais, autant qu’ils le pratiquent sur des sujets liés à leur domaine d’étude, non ? Joindre l’utile à l’instructif, quoi. On peut difficilement envoyer tous les étudiants à l’étranger.

    « Mais l’article incriminé n’a aucun rapport avec cela. Il a été mis non pas pour enseigner l’anglais à des étudiants qui ne le connaissent pas, mais pour enseigner en anglais à des étudiants qui connaissent déjà cette langue. »

    En effet. Mais vous écriviez : « Demain il sera possible… » C’est déjà le cas. L’article ne rajoute qu’une exception de plus à la règle.

    « Qu’elles embauchent des professeurs d’anglais pour enseigner à nos étudiants la belle langue de Shakespeare. »

    Ce n’est pas tant de la langue de Shakespeare qu’il s’agit, que de celle de Newton ou de Darwin. Et encore, même pas : celle des jouranux Science et Nature. Du globish, si vous voulez. (En plus je crois que Newton publiait en latin…) On peut embaucher tous les professeurs qu’on voudra, rien ne remplace l’expérience, la pratique. Et comme je disais plus haut, autant les faire pratiquer sur leur sujet d’étude.

    « C’est la voix de l’expérience qui parle. J’ai eu dans ma profession à monter des formations scientifiques pour des étudiants étrangers. Il est extrêmement difficile de trouver des enseignants français parlant avec aisance un anglais correct et riche. »

    Sans vouloir être impoli ni indiscret, de quand date cette expérience ? Elle ne correspond pas à la mienne, ni aux données de l’enquête que je citais plus haut. (http://www.youscribe.com/catalogue/tous/actualite-et-debat-de-societe/actualite-evenements/l-anglais-hors-la-loi-enquete-sur-les-langues-de-recherche-et-2106630 )

    « les chercheurs discutent de leurs travaux en français. Lorsqu’ils règlent leurs appareils, ils donnent des instructions à leurs techniciens en français. Lorsqu’ils rendent compte aux membres de leur équipe, ils parlent français. Mais peut-être qu’ils ne "pratiquent" plus la science ? »

    Mon présent avait valeur de futur. L’usage du français diminue… Et sans aller jusqu’au globish, le français qu’on parle dans les labos de biologie tient déjà beaucoup du franglais. On y parle plus volontiers d’ARN interférence, de silencers et d’enhancers, que d’interférence par ARN, de… tenez, je ne sais même pas comment dire ! Ah, la Wikipédia me propose « inactivateur » et « amplificateur ». Je crois bien que c’est la première fois que j’entends ces termes.

    « Et ils pensent en français parce qu’ils ont été formés en français. »

    Pas d’accord avec votre diagnostic. Ça joue, bien entendu. La langue de formation et la lanque de travail jouent toutes les deux un rôle, mais celui de la langue de travail est à terme dominant, parce qu’il s’agit aussi de formation continue. On continue à se former après avoir terminé ses études, surtout en recherche. Quand un nouveau concept apparaît, quand une découverte est faite, c’est souvent en anglais. Et pour cause, l’immense majorité des publications scientifiques se fait en anglais. Les conférences internationales sont en anglais. La tentation est grande de l’adopter tel quel, ou à peine francisé, cf paragraphe précédent.

    Je ne pense pas que le français soit menacé par quelques cours en anglais. Ce serait différent s’il s’agissait de renoncer au français comme langue d’enseignement, là je partagerais votre inquiétude. Mais l’article — tel qu’il a été amendé — précise que seule une partie (bon, sans fixer de seuil, mais je suppose que ça n’a pas sa place dans la loi, ça se fera par circulaire ou que sais-je) de l’enseignement peut se faire en langue étrangère.

    « Je suis désolé de constater que vous partagez une vision "utilitaire" des études: il faut enseigner en anglais parce que c’est ce dont les scientifiques auront l’utilité. Je ne partage pas cette vision: je pense qu’il faut enseigner en français parce qu’il faut enseigner à penser en français. »

    Mais je suis d’accord avec ça. Je pense simplement qu’il faut enseigner dans les deux langues (plus de deux, je ne serais pas contre, mais ça va être dur, ou alors dans d’autres domaines que les sciences…)

    (Et puis franchement, j’ai du mal à voir en quoi ma vision sur ce point — il faut des cours en anglais, non pas parce que les scientifiques en auront la simple utilité, mais parce que, de fait, l’immense majorité des « maîtres » de leur domaine utilisent l’anglais, et que l’habitude de cette langue est indispensable pour « profiter au mieux de leur enseignement » — serait plus utilitariste que la vôtre — « Et on apprenait la langue de ces maîtres non pas que ce fut une obligation, mais pour profiter au mieux de leur enseignement. »)

    « Je pense que la position d’Adrien est erronée, et que son erreur découle d’une confusion: il confond la langue de communication et la langue de la pensée. Les physiciens du monde entier ont beau communiquer en globish, ils ne PENSENT pas en globish. »

    Les physiciens, je ne sais pas, mais les biologistes, très largement, si, et de plus en plus. cf encore une fois l’enquète citée plus haut. Et je ne parle même pas des informaticiens. Après, ça dépend des sous-domaines, je suppose. Quand on bosse sur des concepts qui ont été créés, et traduits, il y a cinquante ou cent ans — à une époque où on publiait encore largement en français… — on a sans doute moins d’anglais. Mais pour les concepts les plus récents…

    « C’est pourquoi il ne faut pas confondre le fait de communiquer en globish et celui d’enseigner en cette langue. »

    En recherche, on ne communique pratiquement que pour enseigner. Enseigner les bases aux étudiants, ou les découvertes aux collègues. Et cette communication se fait en anglais. C’est à ce niveau-là qu’il faut agir, je pense, pas à l’université. Tous les chercheurs ne sont pas enseignants, mais tous les enseignants sont des chercheurs. Veiller à ce qu’on enseigne en français est une bonne chose, mais d’une part ça n’exclut pas d’enseigner aussi en anglais, et d’autre part si on veut que les chercheurs cherchent en français, c’est à ce niveau, celui de la communication scientifique et de la formation continue qu’il faut s’attaquer. On peut tout miser sur la formation initiale, à terme, ça n’aura aucun effet.

    • Descartes dit :

      [À la fin du monde, bien sûr ! Ah, le fameux argument de la pente glissante.]

      Vous utilisez ici ce qu’on peut appeler "la stratégie de l’étiquette". Au lieu d’argumenter, vous préférez étiqueter mon raisonnement comme si cela suffisait à prouver quelque chose. Et vous n’êtes pas le seul… on a vu fleurir ces derniers temps ce genre de technique pour diaboliser par exemple les adversaires du mariage homosexuel…

      Il est bien connu que certaines institutions jouent le rôle de "digue symbolique" pour réguler certains comportements. Chaque fois qu’on désacralise une de ces institutions, on affaiblit cette digue et par conséquent la régulation qui en dépend. C’est d’ailleurs pourquoi il peut y avoir des conflits très durs sur des questions qui semblent à première vue secondaires, mais qui en fait sont essentielles parce que derrière ces questions symboliques se jouent de véritables enjeux de société. Comme disait Heine, "là où l’on commence par brûler des livres, on finit par brûler des hommes". C’est pourquoi il est si essentiel de se révolter lorsqu’on brûle des livres. Mais peut-être que l’argument de Heine était l’affreux "argument de la pente glissante" ? En tout cas, l’histoire lui a donné, oh combien, raison.

      [D’abord on légalise les cours en anglais, et puis on légalise le meurtre et l’inceste !]

      Je vois pas vraiment le rapport. Vous falsifiez mon argument pour en faire un homme de paille. Je ne vais même pas prendre la peine de répondre à un pareil abus.

      [« dans ces conditions, à quoi peut bien servir de lui donner des cours en "globish" ou de lui faire passer des examens dans cette même langue ? Pourquoi ne pas le faire en français, puisqu’il est capable de travailler dans cette langue ? » Il en est capable à la fin de son séjour…]

      Et bien, ça tombe bien, d’habitude on dépose son mémoire ou l’on passe ses examens à la fin de ses études…

      ["Soyons clairs: ou bien le but est d’attirer des clients – pardon, des étudiants – étrangers pour avoir leurs sous, et on est prêts à leur faciliter la vie (cours en globish, examens "allégés"…) et alors il faut le dire clairement, ou alors on veut une formation universitaire de qualité pour tous ceux – français ou étrangers – qui vont sur les bancs de l’université, et alors il n’y a aucune raison d’enseigner en "globish"". Pourquoi « ou bien » ?]

      Parce qu’on ne peut avoir les deux.

      [Au passage, les étudiants étrangers ne paient pas plus que les autres de frais d’inscription. Pas très intéressants, comme « clients »].

      Tout à fait. Seulement voilà: lorsque vous montez un Master qui demande 20.000 € de frais d’inscription, vous ne trouvez que des étrangers pour se porter candidats… Les étrangers sont des clients "intéressants" parce qu’ils acceptent de payer des frais de scolarité qu’un français, habitué à un enseignement largement gratuit ou de faible coût, acceptera très difficilement. Et si vous ne me croyez pas, demandez-le à quelqu’un qui enseigne à Toulon…

      [(C’est d’ailleurs une demande de la Conférence des Grandes Écoles que de faire prendre en charge aux étudiants étrangers leurs frais de scolarité. Outre le simple argument financier, ils ajoutent que la quasi gratuité serait peut-être un frein à leur venue, dans la mesure où beaucoup d’étudiants jugeraient qu’un établissement qui ne les fait pas payer ne doit pas être si bien que ça. Je ne sais pas quel crédit accorder à cette idée]

      Aucun, bien entendu. Pour le prouver, je propose que la loi donne effectivement aux Grandes Ecoles qui le souhaitent la possibilité d’exiger des frais de scolarité conséquents aux élèves étrangers, mais les oblige à reverser les sommes ainsi payées au trésor public (ou à une organisation caritative). Si la motivation est purement une question de prestige du diplôme, cela devrait leur donner entière satisfaction…

      [J’avoue que cet objectif annoncé d’attirer les étudiants étrangers me laisse un peu perplexe. Parce que bon, si on veut les attirer, des mesures sur les titres de séjours me sembleraient plus efficaces…]

      Si le but est d’attirer des étudiants universitaires friqués, les mesures sur les titres de séjour sont inopérantes… or c’est bien là le but!

      [Oui. Des cours de langue, à terme, ça doit passer par la pratique. Et quitte à ce que des étudiants en physique ou en biologie pratiquent l’anglais, autant qu’ils le pratiquent sur des sujets liés à leur domaine d’étude, non ? Joindre l’utile à l’instructif, quoi.]

      Non. Si je fais un cours de physique, c’est pour que les étudiants apprennent la physique, pas pour qu’ils apprennent l’anglais. Il n’y a aucune raison d’appauvrir le cours de physique au nom de la "pratique" de la langue anglaise. Et d’ailleurs, la "pratique" ne sert à rien s’il n’y a personne pour corriger les erreurs, et ce n’est certainement pas un professeur de physique qui est qualifié pour le faire. Il y a des cours d’anglais pour apprendre l’anglais. C’est dans le cadre de ces cours qu’il faut faire la "pratique" à laquelle vous faites référence, avec un professeur capable de corriger les erreurs et apporter du vocabulaire. La séquence où un professeur qui parle mal l’anglais enseigne en cette langue la physique à des élèves qui comprennent mal l’anglais n’est bonne ni pour l’anglais, ni pour la physique.

      [« Qu’elles embauchent des professeurs d’anglais pour enseigner à nos étudiants la belle langue de Shakespeare. » Ce n’est pas tant de la langue de Shakespeare qu’il s’agit, que de celle de Newton ou de Darwin.]

      Celle de Newton, certainement pas: Newton a écrit son œuvre scientifique en Latin.

      [Et encore, même pas : celle des journaux Science et Nature. Du globish, si vous voulez.]

      Vous vous contentez de bien peu. Je ne partage absolument pas votre modestie: s’il faut que nos étudiants apprennent une langue pour pouvoir communiquer avec leurs collègues, alors il faut leur donner une maîtrise parfaite d’une langue riche. Pas se contenter d’une sorte de sous-créole. Vous manquez d’ambition…

      [On peut embaucher tous les professeurs qu’on voudra, rien ne remplace l’expérience, la pratique.]

      Mais de quelle "pratique" vous parlez ? Les étudiants qui vont à un cours de physique en anglais ne "pratiquent" rien du tout, ils écoutent le cours. Autant qu’ils écoutent la BBC chez eux, ils apprendront là le véritable anglais, et non un substitut appauvrissant.

      [Sans vouloir être impoli ni indiscret, de quand date cette expérience ?]

      La dernière date de trois mois… vous voyez, c’est tout récent.

      [Elle ne correspond pas à la mienne, ni aux données de l’enquête que je citais plus haut. (http://www.youscribe.com/catalogue/tous/actualite-et-debat-de-societe/actualite-evenements/l-anglais-hors-la-loi-enquete-sur-les-langues-de-recherche-et-2106630 )]

      Je ne sais pas quelle est votre expérience, mais l’enquête que vous citez ne dit un mot sur l’aisance ou la qualité de la langue anglaise parlée par les chercheurs. J’ai bien dit que la difficulté était de trouver "des enseignants parlant un anglais CORRECT et RICHE".

      [Mon présent avait valeur de futur. L’usage du français diminue…]

      Franchement, connaissez-vous un laboratoire ou des chercheurs FRANCAIS échangent entre eux en ANGLAIS ?

      [Et sans aller jusqu’au globish, le français qu’on parle dans les labos de biologie tient déjà beaucoup du franglais. On y parle plus volontiers d’ARN interférence, de silencers et d’enhancers, que d’interférence par ARN, de… tenez, je ne sais même pas comment dire ! Ah, la Wikipédia me propose « inactivateur » et « amplificateur ». Je crois bien que c’est la première fois que j’entends ces termes.]

      Que l’on utilise un vocabulaire qui emprunte beaucoup de mots de l’anglais, je suis d’accord. Mais cela fait partie de la vie normale de la langue française. On a toujours incorporé du vocabulaire, de la même manière que l’anglais est truffé, dans certaines professions, de mots français. Mais dans les laboratoires dont vous parlez, on utilise quelle syntaxe ? Quelle conjugaison ? La française, n’est ce pas ?

      [Pas d’accord avec votre diagnostic. Ça joue, bien entendu. La langue de formation et la lanque de travail jouent toutes les deux un rôle, mais celui de la langue de travail est à terme dominant, parce qu’il s’agit aussi de formation continue.]

      Je suis toujours étonné au contraire de la prégnance de la langue dans laquelle on a été formé. Il ne faut pas la négliger.

      [La tentation est grande de l’adopter tel quel, ou à peine francisé, cf paragraphe précédent.]

      Dans ce raisonnement, vous confondez la langue et le vocabulaire. Ce n’est pas parce que j’adopte le mot "internet" que je parle anglais. Les mots anglais qu’on adopte sont en fait "francisés": ils reçoivent un genre grammatical (alors qu’ils n’en ont pas en anglais), on forme leur pluriel, ou leur forme verbale suivant les règles françaises… prenez par exemple le mot "driver". On jugera "un driver" correct et "une driver" incorrect, alors que les deux formules sont également admissibles vu que le mot n’a pas de genre en anglais. On conjuguera le verbe "driver" comme un verbe français (je drive, je drivais, je driverai) et ainsi de suite. Le mot, même "anglais", appartient dès lors à la langue française…

      [Je ne pense pas que le français soit menacé par quelques cours en anglais. Ce serait différent s’il s’agissait de renoncer au français comme langue d’enseignement, là je partagerais votre inquiétude.]

      Faut être cohérent. Si selon vous les chercheurs de toute manière "pensent en anglais" (ou en globish), en quoi le fait de "renoncer au français comme langue d’enseignement" changerait quelque chose ? Si je suis votre raisonnement, il est au contraire urgent de faire TOUT l’enseignement en anglais. Ainsi, nos chercheurs auraient la "pratique" et domineraient parfaitement cette langue et seraient donc en meilleure position dans la compétition internationale. A quoi bon garder le français comme langue d’enseignement si le fait d’apprendre en français n’apporte rien ?

      C’est là que je voudrais vous poser une question. En toute sincérité: qu’est ce que cela apporte pour vous le fait d’enseigner en français ? Pourquoi pensez vous qu’il faudrait conserver un seul cours en français ? Qu’est ce que cela apporte à un biologiste, à un physicien, à un mathématicien le fait d’avoir étudié en français ? Si la réponse est "rien", autant achever le français tout de suite et enseigner tout en anglais…

      [(Et puis franchement, j’ai du mal à voir en quoi ma vision sur ce point — il faut des cours en anglais, non pas parce que les scientifiques en auront la simple utilité, mais parce que, de fait, l’immense majorité des « maîtres » de leur domaine utilisent l’anglais, et que l’habitude de cette langue est indispensable pour « profiter au mieux de leur enseignement » — serait plus utilitariste que la vôtre — « Et on apprenait la langue de ces maîtres non pas que ce fut une obligation, mais pour profiter au mieux de leur enseignement. »)]

      Tout simplement parce que dans ce cas l’apprentissage de la "langue des maîtres" est un préalable aux études universitaires, et ne fait pas partie de ceux-ci. Je parlais de votre vision utilitariste de l’enseignement supérieur, pas de l’enseignement en général.

      [Les physiciens, je ne sais pas, mais les biologistes, très largement, si, et de plus en plus. cf encore une fois l’enquète citée plus haut.]

      Je ne vois pas où l’enquête que vous citez parle de la langue dans laquelle les scientifiques PENSENT. Je connais un paquet de scientifiques, et aucun à ma connaissance, lorsqu’il réfléchit pour lui même, ne travaille sur des notes en "globish". D’ailleurs, il y a un élément qui ne ment pas: quand deux scientifiques qui ont la même langue maternelle et qui ont été formés dans elle discutent, dans quelle langue le font-ils ? S’ils PENSAIENT en "globish", ils discuteraient en "globish". Et pourtant, ce n’est jamais le cas. Par contre, s’ils ont la même langue maternelle mais ont été formés dans une langue différente (cas de deux physiciens algériens formés tous deux en France) ils discuteront probablement en français des sujets scientifiques, et en arabe des autres…

    • Albert dit :

      Sans vouloir abuser de votre temps, je voudrais ajouter que:

      1°- je trouve vos observations tout à fait pertinentes. Néanmoins, juste une remarque encore (oubliée dans mon dernier post): l’horaire hebdomadaire de français à l’école primaire est passé en 30 ans de 15 à 8 heures. Sûrement pour renforcer les bases…?

      2°- Je ne suis pas "capitulard" (par exemple j’ai signé 2 pétitions contre le projet de loi Fioraso; et comme vous, je pense que l’apprentissage efficace (guère soutenu jusqu’ici) de l’anglais véhiculaire serait préférable à ce qui se trame).
      J’essaie seulement d’être lucide, car sans conscience du danger il n’y a pas de résistance efficace possible.

      3°- Tout se tient, à des niveaux apparemment divers:
      "France, terre des arts, des armes et des lois", disait-on jadis.Donc le français en pointe.
      Il semblerait qu’aujourd’hui -pour les zélites en tout cas- ce soit les "States". Donc l’anglais.

      Encore une fois, ce n’est pas "capituler", mais élargir l’horizon pour mieux se défendre.

    • Descartes dit :

      [Néanmoins, juste une remarque encore (oubliée dans mon dernier post): l’horaire hebdomadaire de français à l’école primaire est passé en 30 ans de 15 à 8 heures. Sûrement pour renforcer les bases…?]

      Non, plutôt pour faire de la place à toutes sortes d’idioties considérées comme devant favoriser la "créativité" des élèves, que l’enseignement rigoureux de grammaire, syntaxe et orthographe risquerait de "traumatiser". Vous devriez lire Ivan Illitch… vous comprendrez alors mieux ce que la plupart de ceux qui ont contribué à réduire, comme vous dites, l’enseignement du français ont dans la tête…

      [Je ne suis pas "capitulard" (par exemple j’ai signé 2 pétitions contre le projet de loi Fioraso; et comme vous, je pense que l’apprentissage efficace (guère soutenu jusqu’ici) de l’anglais véhiculaire serait préférable à ce qui se trame).]

      Je ne crois pas vous avoir accusé d’être "capitulard". Simplement, nous partons de diagnostics différents. C’est à partir de votre diagnostic que vous considérez que certaines résistances sont inutiles. J’ai essayé de vous expliquer pourquoi à mon avis ce diagnostic est erroné.

  9. adrien dit :

    Au passage, je préférais quand vous étiez le seul à pouvoir répondre directement aux commentaires. Avec ce nouveau système on perd le fil chronologique de la discussion, et j’ai peur que ça rende les échanges confus et difficiles à suivre.

    • Descartes dit :

      Moi aussi, c’était beaucoup plus simple pour moi et plus lisible pour les commentateurs. Mais il parait qu’il faut vivre avec son temps… le prochain coup, nous serons tous obligés à écrire en "globish" ! 😉

  10. Trubli dit :

    Si je me place du point de vue d’un étudiant français :
    à quoi cela sert-il que les cours soient donnés en Anglais ? Rien. C’est avant l’arrivée à l’université que l’étudiant devrait maîtriser l’anglais. Les cours ne seraient là que pour lui donner le vocabulaire nécessaire à son champs d’activité. Donner un cours de physique ou de biologie à un étudiant français qui maîtrise mal les bases de l’Anglais est suicidaire. En plus de devoir comprendre ce qu’on lui enseigne il doit se farcir une seconde difficulté qui est de déchiffrer ce que dit le professeur.

    Si je me place du point de vue d’un étudiant étranger, pourquoi aller étudier en anglais en France si je peux le faire dans une université d’un pays anglo-saxon, et surtout si elles sont plus cotées (Harvard, UCLA, Columbia, NorthWestern, Princeton, Yale, MIT etc) que les universités françaises. Parce que la France comme pays pour maîtriser l’anglais ce n’est pas le top. On voit bien que le but est surtout d’acheter un diplôme sans avoir à se casser la tête pour apprendre la langue du pays.

    • Descartes dit :

      [Donner un cours de physique ou de biologie à un étudiant français qui maîtrise mal les bases de l’Anglais est suicidaire.]

      Tout à fait: si l’étudiant ne domine pas l’anglais, c’est suicidaire puisque la difficulté linguistique handicapera son apprentissage de la matière enseignée. Et si l’étudiant domine l’anglais, c’est inutile…

      [Si je me place du point de vue d’un étudiant étranger, pourquoi aller étudier en anglais en France si je peux le faire dans une université d’un pays anglo-saxon, et surtout si elles sont plus cotées]

      Pour deux raisons. La première, c’est que les universités françaises sont beaucoup, beaucoup moins chères que les américaines. Et la seconde, parce que contrairement à ce que les "déclinistes" veulent nous faire croire, il y a encore beaucoup de formations en France qui sont très cotées dans les pays étrangers.

    • CVT dit :

      Bonjour Descartes,
      [Pour deux raisons. La première, c’est que les universités françaises sont beaucoup, beaucoup moins chères que les américaines. Et la seconde, parce que contrairement à ce que les "déclinistes" veulent nous faire croire, il y a encore beaucoup de formations en France qui sont très cotées dans les pays étrangers.]
      Tout dépend de quelle formation universitaire on parle: celle du premier cycle (dans le temps DEUG, et aujourd’hui licence) est clairement dévalorisée, sauf si on parle des prépas aux grandes écoles (d’ingénieurs, de commerce ou littéraires), qui sont la crème de la crème en terme d’enseignement (au passage, le législateur vient de supprimer la gratuité des prépas pour les aligner sur le régime universitaire en terme de frais d’inscription. Encore une perversion de la notion d’égalité, appliquée aux études universitaires, mais ici dans sa pire acception: celle de la médiocrité…).
      Par contre, tout ce qui est master et troisième cycle est reconnu de par le monde, et ce malgré l’usage exclusif et obligatoire du français… Et effectivement, comme Trubli, je vois deux gros problèmes: le premier, c’est le fait d’avoir des thésards et des chercheurs associés non-francophones, alors qu’ils sont souvent pour obligation d’enseigner un minimum d’heures; et là, on en revient à la question de l’usage du français en milieu universitaire. Le deuxième problème que votre remarque soulève est le prix des études: l’autonomie des universités (quelle plaie, cette mesure!) a induit de fait une mise en concurrence des facultés et donc des critères de sélections qui, pour le moment, ne sont pas basés sur l’argent. Mais la fin de l’université pas chère est pour bientôt, car outre les problèmes de financement des universités désormais autonomes, cette "ouverture au monde" va servir de prétexte pour aligner les frais de scolarité des universités françaises vers ceux des universités anglo-saxonnes…
      En fait, tant dans les grandes écoles qu’à l’université, nous assistons bien à une américanisation du système universitaire français, et pas uniquement du point de vue de la langue :-((.

    • Descartes dit :

      [Et effectivement, comme Trubli, je vois deux gros problèmes: le premier, c’est le fait d’avoir des thésards et des chercheurs associés non-francophones, alors qu’ils sont souvent pour obligation d’enseigner un minimum d’heures; et là, on en revient à la question de l’usage du français en milieu universitaire.]

      D’une part, ce problème est déjà résolu sans besoin de modifier la loi. Dans sa rédaction d’avant la loi Fiorasso, le code de l’éducation permet à un enseignant dont la langue maternelle n’est pas le français de donner un cours dans sa langue. Mais surtout, l’obligation d’enseigner en français n’a jamais découragé les bons éléments. Je crois me souvenir qu’une certaine Marie Sklodowska, "chercheur associé" d’origine polonaise n’a jamais prétendu enseigner en une autre langue que le français…

  11. adrien dit :

    > Adrien diagnostique – à tort à mon avis – la mort du français comme langue de la pensée. Dans ce contexte, sa conclusion est logique: ce n’est pas la peine d’essayer de maintenir en vie ce qui est mort.

    Je ne diagnostique pas la mort du français, mais il m’apparaît effectivement assez mal barré. Par contre, vous vous trompez complètement sur ma conclusion, qui est au contraire qu’il faut s’efforcer de le maintenir en vie — mais que ce n’est pas en interdisant les cours en anglais qu’on va y arriver.

    > on a vu fleurir ces derniers temps ce genre de technique pour diaboliser par exemple les adversaires du mariage homosexuel…

    Qui utilisaient volontiers eux aussi l’argument de la pente glissante… :þ

    > Il est bien connu que certaines institutions jouent le rôle de "digue symbolique" pour réguler certains comportements.

    Mouais. Pas convaincu. Et puis même si c’était vrai et que ça s’appliquait au cas qui nous occupe, la digue symbolique est rompue depuis longtemps. C’est juste que le public, et le législateur, ne s’en était pas encore aperçu…

    > Mais peut-être que l’argument de Heine était l’affreux "argument de la pente glissante" ?

    Ben, ce n’était pas vraiment un argument, si ? Je veux dire, Heine ne participait pas à un débat « faut-il légaliser les autodafés ? », je ne sais même pas s’il y en avait dans l’Allemagne de l’époque. Par contre il y en avait eu bien avant, d’ailleurs l’internet-qui-sait-tout m’apprend que la phrase est tirée d’une pièce de théâtre dont l’action se passe à l’époque de la Reconquista, et prononcée par un Maure : c’est du Coran qu’il s’agit.

    Mais même si c’était un argument, à lui seul il ne vaut pas grand chose. Des gens qui brûlent des livres, il y en a et il y en a eu, ils ne finissent pas nécessairement par tuer des gens. D’ailleurs, vu le nombre de gens qui en ont tué d’autres sans avoir brûlé de livre avant, il est même possible que ceux qui brûlent les livres soient statistiquement moins enclins à tuer des gens.

    Enfin bref, pourquoi je perds mon temps à ces arguties, moi ?

    > Et bien, ça tombe bien, d’habitude on dépose son mémoire ou l’on passe ses examens à la fin de ses études…

    Le niveau de maîtrise du français des étudiants étrangers concernés sera testé — sans compter qu’une partie seulement du cursus se fera en anglais… — et je m’attends à ce qu’on soit plus regardant sur la compréhension que sur l’expression. Après tout, ils sont là pour suivre des cours, eux, pas pour en donner. Pour le reste, je dirais que ça dépend de la longueur du séjour, du sujet et des modalités de l’examen — un QCM, ou un problème de maths, un oral même ne requièrent pas la même maîtrise du français que la rédaction d’un mémoire.

    > La séquence où un professeur qui parle mal l’anglais enseigne en cette langue la physique à des élèves qui comprennent mal l’anglais n’est bonne ni pour l’anglais, ni pour la physique.

    Je laisse de côté cette question, vu qu’on n’arrive de toute façon pas à se mettre d’accord sur la qualité de l’anglais dans lequel les cours seront donnés. Mais pour mémoire, je pense que la pratique sert de toute façon — et que suivre un cours, oui, c’est de la pratique. Si j’en crois mon expérience, une fois les bases de grammaire acquises, un cours de langue spécialisé ne sert plus à rien, ou plus à grand chose. Non, quand il ne s’agit plus guère que d’acquérir du vocabulaire, l’essentiel de l’apprentissage d’une langue étrangère se fait alors par une forme d’auto-apprentissage par la pratique. Le mieux reste l’immersion, mais tout ce qui s’en rapproche, comme un cours en anglais, même en « mauvais » anglais, est bon à prendre.

    > Le problème pour moi est la richesse de cette "langue pour les échanges". Si cette langue est pauvre, les échanges le seront aussi. Et nos chercheurs parlant "globish" seront handicappés par rapport aux chercheurs américains ou britanniques qui, eux, parlent un véritable anglais.

    Pas du tout d’accord. Ou alors dîtes-moi comment vous mesurez la richesse de la langue ? Parce que pour moi, la langue des échanges scientifiques est une langue pauvre à dessein, sèche, parce qu’on s’efforce d’être le plus clair possible. On privilégie les phrases courtes, évitant incises, subordonnées, et ce point-virgule que j’affectionne pourtant ; on s’exprime essentiellement au présent simple ou au prétérit, très souvent au passif, très rarement par des formes progressives ; on préfère les abréviations et acronymes aux synonymes pour éviter les répétitions ; on a parfois (rarement) recours à la comparaison, mais pratiquement jamais à la métaphore, à l’humour ou à la poésie… Même la forme d’un article est répétitive et standardisée — résumé, introduction, résultats, discussion, références — et les résultats sont résumés, introduits, détaillés, discutés à chaque fois — et illustrés dans les figures, et redétaillés dans la légende des figures. Bref, on est très loin de ce que j’appellerais moi un « véritable anglais ». Il m’est même arrivé que des rapporteurs me reprennent sur un anglais trop littéraire…

    > Celle de Newton, certainement pas: Newton a écrit son œuvre scientifique en Latin.

    Oui, c’est bien ce qu’il me semblait. Cf. ce que j’écrivais une ligne plus bas. Des fois je me demande si vous me lisez.

    > Je ne sais pas quelle est votre expérience, mais l’enquête que vous citez ne dit un mot sur l’aisance ou la qualité de la langue anglaise parlée par les chercheurs.

    Elle dit quand même que « 42% des chercheurs se sentent limités dans le maniement de l’anglais »… Ce qui signifie, en creux, que la majorité estime ne se sent pas limitée.

    > Franchement, connaissez-vous un laboratoire ou des chercheurs FRANCAIS échangent entre eux en ANGLAIS ?

    Oui, c’est la moindre des politesses dès que la discussion inclut des collègues qui maîtrisent mal le français, même si on ne s’adresse pas directement à eux. Et quand on se retrouve dans une conférence internationale, il arrive fréquemment d’échanger en anglais même avec des collègues francophones, même quand dans le groupe tout le monde parle français, parce qu’on est dans le bain. De même quand on discute un article qu’on vient de lire, ou celui qu’on est en train d’écrire, l’article étant évidemment en anglais, on le cite en anglais et on continue souvent dans cette langue, ou en mélangeant les deux.

    > Mais dans les laboratoires dont vous parlez, on utilise quelle syntaxe ? Quelle conjugaison ? La française, n’est ce pas ?

    « ARN interférence », ce sont deux mots français. La syntaxe de l’expression, elle, est anglaise. Mais bon, ce n’est qu’un exemple anecdotique, je n’ai pas fait d’étude sur le sujet, je ne peux pas mesurer l’ampleur du phénomène, ni si elle a bougé.

    > Je suis toujours étonné au contraire de la prégnance de la langue dans laquelle on a été formé. Il ne faut pas la négliger.

    Qui a parlé de la négliger ? Pas moi. Mais ce n’est pas la négliger que d’en utiliser aussi une autre à l’occasion.

    > En toute sincérité: qu’est ce que cela apporte pour vous le fait d’enseigner en français ? Pourquoi pensez vous qu’il faudrait conserver un seul cours en français ? Qu’est ce que cela apporte à un biologiste, à un physicien, à un mathématicien le fait d’avoir étudié en français ?

    C’est plus une question d’écologie, en quelque sorte, que d’efficacité ou d’excellence, pour utiliser un mot à la mode. Je m’explique. Je ne crois pas un instant qu’il soit nécessaire d’avoir « une maîtrise parfaite d’une langue riche » pour faire de la recherche dans cette langue. Il faut sans doute un niveau minimum, mais passé ce seuil… Cf. ce que je disais plus haut. Par contre je pense que la langue oriente dans une certaine mesure la pensée. Il y a quelques exemples dans cet article du New York Times (en anglais…) http://www.nytimes.com/2010/08/29/magazine/29language-t.html?_r=3&partner=rss&emc=rss&pagewanted=all&

    Je me rappelle aussi une anecdote tirée d’un chouette article intitulé « Temporal Organization: Reflections of a Darwinian Clock-Watcher » (si vous avez une bonne traduction à me proposer pour « Darwinian Clock-Watcher »…) paru en 1993 dans « Annual Review of Physiology », et dans lequel Colin Pittendrigh, un des pionniers des études sur l’horloge circadienne, revient sur son parcours. Il y rapporte un échange avec un collègue allemand, dont le labo avait fait d’importantes découvertes dans ce domaine. À Pittendrigh qui lui demandait pourquoi ils n’avaient pas tenté de remettre à zéro l’horloge des abeilles sur lesquelles ils travaillaient, son collègue répondit : parce que les abeilles n’ont pas d’horloge, elles ont la zeitgedächtnis, la mémoire du temps. Le choix des termes qui désignent le même phénomène dans les deux langues suggérait à l’un une expérience à laquelle l’autre n’avait jamais pensé. Bien sûr dans ce cas c’est le terme anglais qui s’est révélé plus approprié, mais ça aurait pu être l’inverse.

    Je ne sais pas quelle peut être l’importance de ce phénomène, mais dans le doute, il me semble qu’il serait prudent de favoriser l’usage de plusieurs langues de recherche, un peu comme on préserve la biodiversité.

    Bien sûr ça vaut aussi pour l’enseignement, on aura du mal à maintenir une recherche en français si la formation initiale se fait exclusivement en anglais…

    Il y a aussi une autre raison, c’est que perdre le français comme langue de recherche menace le français comme langue d’enseignement, et, plus largement, comme langue de vulgarisation. Si les chercheurs et les étudiants qui se destinent à la recherche se doivent de maîtriser l’anglais comme outil de travail, ça ne vaut pas pour l’ensemble de la population, et je trouve dommage que tout le monde ne puisse pas accéder aux résultats de la recherche — de la recherche publique en particulier. La culture scientifique est trop négligée en France je trouve, et ce n’est pas comme ça qu’on va la renforcer.

    > si l’étudiant ne domine pas l’anglais, c’est suicidaire puisque la difficulté linguistique handicapera son apprentissage de la matière enseignée.

    Vous estimez donc maintenant que l’université doit s’adapter à son public, plutôt que d’essayer de le tirer vers le haut ? :þ

    • Descartes dit :

      [Par contre, vous vous trompez complètement sur ma conclusion, qui est au contraire qu’il faut s’efforcer de le maintenir en vie — mais que ce n’est pas en interdisant les cours en anglais qu’on va y arriver.]

      Pas seulement, mais c’est un élément important. Lorsqu’une société interdit, elle transmet un message. Imposer le français comme la langue d’enseignement dans notre université est une manière d’affirmer une certaine conception de l’université et de ses rapports avec la collectivité nationale.

      ["on a vu fleurir ces derniers temps ce genre de technique pour diaboliser par exemple les adversaires du mariage homosexuel…". Qui utilisaient volontiers eux aussi l’argument de la pente glissante… :þ]

      Non. La plupart des adversaires du mariage homosexuel n’ont nullement utilisé cet argument. Dire qu’un enfant a besoin d’un papa et d’une maman n’évoque aucune "pente glissante".

      [Mouais. Pas convaincu. Et puis même si c’était vrai et que ça s’appliquait au cas qui nous occupe, la digue symbolique est rompue depuis longtemps. C’est juste que le public, et le législateur, ne s’en était pas encore aperçu…]

      Je ne vois pas quelle est la "digue symbolique" qui serait "rompue". Pourriez-vous être plus précis ? Je veux bien que dans la réalité on puisse déjà enseigner en anglais. Mais il ne faudrait pas confondre la réalité et le symbole, justement. Dans la réalité on utilise déjà des Kalachnikov dans les cités de Marseille, mais vous m’accorderez que ce n’est pas pour autant que le fait de les autoriser dans la loi n’aurait une valeur symbolique désastreuse…

      [Ben, ce n’était pas vraiment un argument, si ? Je veux dire, Heine ne participait pas à un débat « faut-il légaliser les autodafés ? », je ne sais même pas s’il y en avait dans l’Allemagne de l’époque.]

      Si. Et Heine participait bien à un débat sur la liberté de pensée.

      [Mais même si c’était un argument, à lui seul il ne vaut pas grand chose. Des gens qui brûlent des livres, il y en a et il y en a eu, ils ne finissent pas nécessairement par tuer des gens.]

      Pourriez-vous illustrer d’un exemple ?

      [Enfin bref, pourquoi je perds mon temps à ces arguties, moi ?]

      Si vous ne le savez pas, c’est pas moi qui va vous le dire…

      [Le niveau de maîtrise du français des étudiants étrangers concernés sera testé]

      Vraiment ? Comment ? Et s’il ne leur manque que leur épreuve de français, on leur refusera le diplôme ? Franchement, vous y croyez vraiment ?

      [— sans compter qu’une partie seulement du cursus se fera en anglais…]

      Comment le savez-vous ? Le projet de loi, en tout cas, ne dit pas ça. Si l’on se tient au texte, il sera demain parfaitement possible de faire l’intégralité du cours en anglais.

      [Je laisse de côté cette question, vu qu’on n’arrive de toute façon pas à se mettre d’accord sur la qualité de l’anglais dans lequel les cours seront donnés.]

      Vous voulez parier ?

      [Mais pour mémoire, je pense que la pratique sert de toute façon — et que suivre un cours, oui, c’est de la pratique. Si j’en crois mon expérience, une fois les bases de grammaire acquises, un cours de langue spécialisé ne sert plus à rien, ou plus à grand chose.]

      Le problème, c’est que "les bases de grammaire" ne sont acquises que moyennant une longue pratique. Et je ne parle pas de la "pratique" qui consiste à écouter un cours – surtout s’il est en "globish" – mais d’un véritable usage de la langue.

      [Pas du tout d’accord. Ou alors dîtes-moi comment vous mesurez la richesse de la langue ?]

      Dans la variété du vocabulaire, des tournures de phrase, des formes syntaxiques, des temps de verbe…

      [Parce que pour moi, la langue des échanges scientifiques est une langue pauvre à dessein, sèche, parce qu’on s’efforce d’être le plus clair possible. On privilégie les phrases courtes, évitant incises, subordonnées, et ce point-virgule que j’affectionne pourtant ; on s’exprime essentiellement au présent simple ou au prétérit, très souvent au passif, très rarement par des formes progressives ; on préfère les abréviations et acronymes aux synonymes pour éviter les répétitions ; on a parfois (rarement) recours à la comparaison, mais pratiquement jamais à la métaphore, à l’humour ou à la poésie…]

      Vous avez raison de dire que la langue en question est pauvre, mais ce n’est certainement pas à dessein. D’ailleurs, il suffit d’aller dans une conférence scientifique pour s’en apercevoir: il n’y a qu’à noter la différence entre les exposés des anglais ou des américains et ceux des autres intervenants…

      [Même la forme d’un article est répétitive et standardisée — résumé, introduction, résultats, discussion, références — et les résultats sont résumés, introduits, détaillés, discutés à chaque fois — et illustrés dans les figures, et redétaillés dans la légende des figures. Bref, on est très loin de ce que j’appellerais moi un « véritable anglais ». Il m’est même arrivé que des rapporteurs me reprennent sur un anglais trop littéraire…]

      Je ne crois pas que cela contribue à faire de la "bonne science". Je partage la position d’Einstein: il n’y a pas de science qui ne soit pas belle…

      [Oui, c’est bien ce qu’il me semblait. Cf. ce que j’écrivais une ligne plus bas. Des fois je me demande si vous me lisez.]

      Je vous lis avec une grande attention. Et vous vous êtes trompé.

      ["Je ne sais pas quelle est votre expérience, mais l’enquête que vous citez ne dit un mot sur l’aisance ou la qualité de la langue anglaise parlée par les chercheurs". Elle dit quand même que « 42% des chercheurs se sentent limités dans le maniement de l’anglais »… Ce qui signifie, en creux, que la majorité estime ne se sent pas limitée.]

      Oui mais… mais il y a une différence entre "se sentir limité" et être limité". A mon sens, la seule chose qu’on peut déduire de cette enquête est que les chercheurs sont totalement inconscients de leurs limitations.

      ["Franchement, connaissez-vous un laboratoire ou des chercheurs FRANCAIS échangent entre eux en ANGLAIS ?". Oui, c’est la moindre des politesses dès que la discussion inclut des collègues qui maîtrisent mal le français,]

      Vous faites semblant de ne pas comprendre la question… où bien vous êtes plus bête que je ne le pensais.

      ["Mais dans les laboratoires dont vous parlez, on utilise quelle syntaxe ? Quelle conjugaison ? La française, n’est ce pas ?". « ARN interférence », ce sont deux mots français. La syntaxe de l’expression, elle, est anglaise.]

      Peut-être, mais je serais étonné qu’on entende beaucoup "ARN interférence". Plutôt "interférence ARN"…

      ["Je suis toujours étonné au contraire de la prégnance de la langue dans laquelle on a été formé. Il ne faut pas la négliger". Qui a parlé de la négliger ? Pas moi.]

      Excusez moi, mais pour moi permettre qu’on puisse faire un cursus dans une université française sans parler un mot de français est "négliger" la langue.

      [C’est plus une question d’écologie, en quelque sorte, que d’efficacité ou d’excellence, pour utiliser un mot à la mode. Je m’explique. Je ne crois pas un instant qu’il soit nécessaire d’avoir « une maîtrise parfaite d’une langue riche » pour faire de la recherche dans cette langue.]

      C’est là notre grande différence. Vous pensez qu’on peut avoir une pensée subtile alors qu’on n’a à sa disposition que six cents mots et le présent de l’indicatif. Je ne le crois pas.

      [Je ne sais pas quelle peut être l’importance de ce phénomène, mais dans le doute, il me semble qu’il serait prudent de favoriser l’usage de plusieurs langues de recherche]

      Je ne vous comprends vraiment pas. D’un côté vous me dites qu’on n’a pas besoin d’une langue "riche" pour faire de la science, d’un autre vous donnez un exemple qui montre qu’il faut une telle richesse de vocabulaire qu’une seule langue ne suffit pas, qu’il faut plusieurs….

      [Il y a aussi une autre raison, c’est que perdre le français comme langue de recherche menace le français comme langue d’enseignement, et, plus largement, comme langue de vulgarisation.]

      Là encore, je ne vous comprend pas. Vous admettez la proposition de loi Fiorasso, qui permet l’enseignement en anglais, et vous soutenez maintenant qu’il faut préserver le français comme langue d’enseignement… encore une fois, quel intérêt ?

      ["si l’étudiant ne domine pas l’anglais, c’est suicidaire puisque la difficulté linguistique handicapera son apprentissage de la matière enseignée". Vous estimez donc maintenant que l’université doit s’adapter à son public, plutôt que d’essayer de le tirer vers le haut ? ]

      Certainement pas. Je me mets simplement dans l’hypothèse que vous avez soutenue (notez le "si" conditionnel au début de la phrase) pour montrer qu’elle contient une contradiction. Mais je n’ai jamais dit que je partageais cette hypothèse.

    • Trubli dit :

      "Parce que pour moi, la langue des échanges scientifiques est une langue pauvre à dessein, sèche, parce qu’on s’efforce d’être le plus clair possible."

      Apparemment Adrien vous ne faites pas la nuance entre langue de la pensée et langue de la communication. On peut communiquer dans un langage pauvre et avoir une pensée complexe dans une autre langue.

      "Vous estimez donc maintenant que l’université doit s’adapter à son public, plutôt que d’essayer de le tirer vers le haut ? "
      C’est la mission du cours d’anglais de tirer les élèves vers le haut en anglais. c’est la mission du cours de physique de tirer les élèves vers le haut en physique. Mais ce n’est pas le boulot du prof de physique de tirer les élèves vers le haut en anglais. A chacun ses moutons et ils seront bien gardés.

  12. adrien dit :

    > Si l’on se tient au texte, il sera demain parfaitement possible de faire l’intégralité du cours en anglais.

    Vous vous foutez de moi ? Allez, je laisse tomber, ça ne sert à rien de discuter avec vous. Je vous laisse quand même le texte de l’article dont vous parlez, histoire que vous ayez une idée de ce qu’il contient. Essayez de le lire, il contient moins de six cents mots et il est rédigé uniquement au présent, ça ne devrait pas être trop subtil pour vous.

    Article 2

    Après le premier alinéa du II de l’article L. 121-3 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

    « Des exceptions peuvent également être admises pour certains enseignements lorsqu’elles sont justifiées par des nécessités pédagogiques et que ces enseignements sont dispensés dans le cadre d’un accord avec une institution étrangère ou internationale tel que prévu à l’article L. 123-7 ou dans le cadre d’un programme européen et pour faciliter le développement de cursus et de diplômes transfrontaliers multilingues. Dans ces hypothèses, les formations ne peuvent être que partiellement proposées en langue étrangère. Les étudiants étrangers auxquels sont dispensés ces enseignements bénéficient d’un apprentissage de la langue française. Leur niveau de maîtrise de la langue française est pris en compte pour l’obtention du diplôme. »

    • Descartes dit :

      [Vous vous foutez de moi ?]

      Non, et j’ai un grand mérite… parce que j’avoue que quelquefois, l’envie me démange !

      [Allez, je laisse tomber, ça ne sert à rien de discuter avec vous.]

      Surtout si vous ne lisez pas ce que j’écris. Vous avez affirmé que "seulement une partie du cursus se fera en anglais". Je vous ai rétorqué que l’article 2 de la loi Fiorasso, dans sa rédaction actuelle, n’empêche pas de faire l’intégralité du cursus en anglais. Je constate que vous me citez l’article (que j’avais d’ailleurs copié in extenso dans mon papier) mais vous omettez prudemment d’expliquer en quoi celui-ci interdit que l’intégralité du cursus se fasse en anglais. Et avant que vous répondiez, je vous fais remarquer que le terme "exception" dans la rédaction de l’article L. 121-3 établit une exception à un PRINCIPE (celui qui veut que la langue d’enseignement soit le français) et ne fait donc pas référence à une situation supposée "exceptionnelle".
      Je persiste et signe: dans sa rédaction actuelle, rien n’empêchera à un étudiant de se voir proposer un cursus complet en anglais. Il suffira pour cela que l’université signe un accord avec une institution étrangère, ce qui n’est qu’une formalité. Et s’il est vrai que par voie d’amendement il prévoit maintenant que "leur niveau de maîtrise de la langue française est prise en compte pour l’obtention du diplôme", cette "prise en compte" est laissée à la libre décision de chaque université. On peut parier que les universités qui ont pour but d’accueillir le plus possible d’étudiants étrangers payants seront très coulants à l’heure de "prendre en compte" cette variable…

  13. adrien dit :

    Descartes, à ce stade je ne sais plus quoi dire. Je peux vous poser des questions ? Ça m’aiderait à comprendre…

    Vous avez l’air persuadé que vous parlez de l’article « dans sa rédaction actuelle ». Or depuis le début, vous présentez l’article tel qu’il était dans le projet de loi. Avant même que vous ne postiez votre billet, je vous l’ai signalé à plusieurs reprises, l’article avait été voté, et amendé. Pourquoi ne pas discuter la version définitive ?

    Le seul amendement que vous semblez reconnaître est celui qui introduit la prise en compte du niveau de français. L’article tel qu’il a été voté, la version que j’ai postée dans mon message d’hier, inclut aussi l’expression : « les formations ne peuvent être que partiellement proposées en langue étrangère ». Il me semble pouvoir en déduire qu’une partie du cursus se fera en français. Pouria Amirshahi, cité dans les commentaires comme le meneur de la « fronde » contre cette loi, l’a salué comme une victoire. Vous n’avez pas l’air d’accord, pouvez vous m’expliquer votre interprétation ? Parce que là, vous me donnez l’impression que si vous me lisez avec autant d’attention que vous le dîtes, vous avez dû sauter le passage concerné…

    Et tant que j’y suis — je m’adresse aussi à Trubli — pourriez-vous m’expliquer ce qu’est cette langue de la pensée dont vous parlez ? Vous avez l’air d’y voir une langue naturelle (par exemple quand vous écrivez : « Les chercheurs français communiquent peut-être en globish, mais pensent toujours en français. » Ou Trubli : « Apparemment Adrien vous ne faites pas la nuance entre langue de la pensée et langue de la communication. ») Mais il me semble clair à moi, que s’il existe une langue de la pensée elle est essentiellement non-verbale, et n’a sans doute pas grand chose à voir avec ce qu’on appelle habituellement une « langue ». Le plus souvent, je n’ai pas l’impression de « penser » dans quelque langue que ce soit — je pense en images, en actions, souvent — sauf quand je souhaite comprendre un texte, ou formuler ma propre pensée, évidemment. Il m’arrive alors parfois de chercher mes mots, ce qui il me semble n’arriverait pas si je pensais directement dans une langue naturelle. Ça n’empêche pas que la langue naturelle influence la pensée, comme je l’illustrais plus haut, mais je reste assez dubitatif sur ce concept tel que vous l’exprimez. Pouvez-vous argumenter ?

    Quant à communiquer, il n’est pas besoin d’une langue très riche pour cela, surtout quand on ne communique que sur un sujet précis, comme c’est le cas en sciences.

    Bon, tant que j’y suis…

    > Je ne vois pas quelle est la "digue symbolique" qui serait "rompue". Pourriez-vous être plus précis ? Je veux bien que dans la réalité on puisse déjà enseigner en anglais. Mais il ne faudrait pas confondre la réalité et le symbole, justement. Dans la réalité on utilise déjà des Kalachnikov dans les cités de Marseille, mais vous m’accorderez que ce n’est pas pour autant que le fait de les autoriser dans la loi n’aurait une valeur symbolique désastreuse…

    La comparaison tiendrait si ne serait-ce qu’une proportion non-négligeable de la population possédait déjà une Kalachnikov ou considérait que la possession d’une telle arme devrait être autorisée. Une comparaison plus pertinente serait la légalisation du cannabis, qu’un tiers des adultes a déjà consommé. Quand plus de 80 % des directeurs de labos (plus de 90 % dans certaines disciplines) estiment que l’anglais est déjà la langue dominante, quand la moitié des chercheurs a déjà donné des cours en anglais — et quand donc la quasi totalité des étudiants passé un certain niveau a dû recevoir des cours en anglais, il me semble que votre « digue symbolique » est très largement ébréchée, et que comme je le disais, seuls ceux qui ne sont pas concernés l’ignoraient encore. À la limite l’article la renforce en interdisant explicitement les cursus tout-en-anglais, quand on pouvait arguer de critères pédagogiques pour les justifier.

    > Vous avez raison de dire que la langue en question est pauvre, mais ce n’est certainement pas à dessein.

    Si. Cf. les nombreux articles du type « How to write a Paper » (en anglais, of course) qui insistent sur les règles que j’ai exposées. Il y a des variantes, mais pour l’essentiel, la règle central est de préférer la simplicité et la clarté à l’élégance et la richesse de la langue. Nature conseille même explicitement à ses auteurs d’écrire pour des lecteurs qui maîtriseraient mal l’anglais.

    > Peut-être, mais je serais étonné qu’on entende beaucoup "ARN interférence". Plutôt "interférence ARN"…

    Au mieux elles font jeu égal. Il suffit de faire une recherche sur le net pour voir que l’expression « ARN interférence » devance légèrement l’autre (et on est à l’écrit ! À l’oral, dans les labos, elle domine largement.)

    > D’un côté vous me dites qu’on n’a pas besoin d’une langue "riche" pour faire de la science, d’un autre vous donnez un exemple qui montre qu’il faut une telle richesse de vocabulaire qu’une seule langue ne suffit pas, qu’il faut plusieurs….

    Ça n’a rien de contradictoire. Au niveau individuel on n’a pas besoin d’une langue particulièrement riche. C’est au niveau de la société qu’une richesse linguistique est nécessaire, parce qu’on ne sait pas à l’avance quel concept exprimé dans quel langue se révèlera utile. Une fois qu’on le sait, on peut toujours traduire. (Dans l’exemple que je donnais, l’expression « Zeitgedächtnis » a pratiquement disparu de l’allemand, au profit d’expressions calquées sur l’image de l’horloge.)

    (Je passe sur les arguments sur le mariage homosexuel, parce que c’est vraiment hors-sujet, et que je n’ai vraiment pas la motivation pour vous citer tous les gens qui ont raconté qu’il ne fallait surtout pas permettre aux couples de même sexe de se marier parce que sinon on allait devoir légaliser la PMA, la zoophilie et le mariage avec soi-même ou avec des objets.)

    PS: il y a une vertu au nouveau système de commentaires : il semble que le nombre de caractères ne soit plus limité. Ou alors je suis moins bavard qu’avant…

    • Descartes dit :

      [Descartes, à ce stade je ne sais plus quoi dire. Je peux vous poser des questions ? Ça m’aiderait à comprendre]

      Vous êtes le bienvenu. Se comprendre, c’est le but du débat.

      [Vous avez l’air persuadé que vous parlez de l’article « dans sa rédaction actuelle ». Or depuis le début, vous présentez l’article tel qu’il était dans le projet de loi. Avant même que vous ne postiez votre billet, je vous l’ai signalé à plusieurs reprises, l’article avait été voté, et amendé. Pourquoi ne pas discuter la version définitive ?]

      Parce que mon point de départ était justement que l’article du projet de loi était révélateur d’une certaine conception de l’Université. Le fait qu’un certain nombre de députés aient réalisé le problème et aient modifié l’article ne change rien à ce fait. Le fait est que Fiorasso et son équipe ont pu rédiger et proposer un article de cette nature, et ce fait me paraît intéressant à analyser, au delà du texte qui sortira au journal officiel…

      [Le seul amendement que vous semblez reconnaître est celui qui introduit la prise en compte du niveau de français.]

      Je l’ai commenté parce qu’il montre à mon avis que l’intention des députés qui ont amendé l’article en question est purement cosmétique. Tel qu’il est rédigé, il n’oblige à rien.

      [L’article tel qu’il a été voté, la version que j’ai postée dans mon message d’hier, inclut aussi l’expression : « les formations ne peuvent être que partiellement proposées en langue étrangère ». Il me semble pouvoir en déduire qu’une partie du cursus se fera en français.]

      Certes. Mais quelle "partie" ? 50% ? 10% ? 1% ? 0,0001% ? Suffira-t-il pour satisfaire cette condition que le cursus comprenne la "formation à la langue française" dont parle l’article, si tous les autres cours sont donnés en anglais ? Si les députés qui ont proposé cet amendement étaient véritablement sérieux, ils auraient précisé cette disposition de manière à ce qu’elle ait un peu de substance.

      [Pouria Amirshahi, cité dans les commentaires comme le meneur de la « fronde » contre cette loi, l’a salué comme une victoire. Vous n’avez pas l’air d’accord, pouvez vous m’expliquer votre interprétation ?]

      Mon interprétation est que Amirshahi et ses amis cherchent à se congracier le vote "républicain" par une modification cosmétique. C’est comme sur la "prise en compte du niveau de français", expression qui ne veut dire que ce qu’on veut bien lui faire dire.

      [Mais il me semble clair à moi, que s’il existe une langue de la pensée elle est essentiellement non-verbale, et n’a sans doute pas grand chose à voir avec ce qu’on appelle habituellement une « langue ».]

      Il n’y a pas de langue "interne" de la pensée. La pensée conceptuelle se fait dans une langue "verbale" (en général, dans la langue maternelle).

      [Le plus souvent, je n’ai pas l’impression de « penser » dans quelque langue que ce soit — je pense en images, en actions, souvent — sauf quand je souhaite comprendre un texte, ou formuler ma propre pensée, évidemment. Il m’arrive alors parfois de chercher mes mots, ce qui il me semble n’arriverait pas si je pensais directement dans une langue naturelle.]

      Non. Vous "cherchez vos mots" parce que l’opération d’expression est une opération de décontextualisation. Lorsque vous pensez, vous avez un contexte dans la tête. Un contexte que votre interlocuteur ne connait pas. Lorsque vous exprimez votre pensée, vous devez la rendre compréhensible à quelqu’un qui n’a pas ce contexte.

      [Quant à communiquer, il n’est pas besoin d’une langue très riche pour cela, surtout quand on ne communique que sur un sujet précis, comme c’est le cas en sciences.]

      Admettons. Mais l’université est là pour enseigner d’abord à penser, et ensuite seulement à communiquer. Et si pour communiquer on peut se contenter d’une langue pauvre, pour penser il en faut une riche.

      [La comparaison tiendrait si ne serait-ce qu’une proportion non-négligeable de la population possédait déjà une Kalachnikov ou considérait que la possession d’une telle arme devrait être autorisée.]

      Je ne crois pas qu’une "proportion non négligeable de la population universitaire" enseigne déjà en anglais ou fasse passer des examens en anglais.

      [Une comparaison plus pertinente serait la légalisation du cannabis, qu’un tiers des adultes a déjà consommé. Quand plus de 80 % des directeurs de labos (plus de 90 % dans certaines disciplines) estiment que l’anglais est déjà la langue dominante, quand la moitié des chercheurs a déjà donné des cours en anglais — et quand donc la quasi totalité des étudiants passé un certain niveau a dû recevoir des cours en anglais, il me semble que votre « digue symbolique » est très largement ébréchée, et que comme je le disais, seuls ceux qui ne sont pas concernés l’ignoraient encore.]

      Encore une fois, la "digue symbolique" c’est la loi. Encore une fois, vous confondez la réalité et le symbole. A supposer que ce que vous dites est vrai – je ne crois pas un seul instant – on resterait sur le plan de la réalité. Le symbole n’est pas "ébréché" aussi longtemps que la loi continue à l’interdire.

      [À la limite l’article la renforce en interdisant explicitement les cursus tout-en-anglais, quand on pouvait arguer de critères pédagogiques pour les justifier.]

      J’ai du mal à voir comment le fait de passer d’une loi qui interdit les cursus en anglais à une loi qui autorise les cursus à 99,9999% en anglais pourrait "renforcer" le symbole…

      [Si. Cf. les nombreux articles du type « How to write a Paper » (en anglais, of course)]

      De quoi parle-t-on ? Cette discussion portait sur les cours, pas sur les papiers. Je ne connais aucun article du type "How to teach a course" qui propose d’utiliser une langue minimaliste.

      > D’un côté vous me dites qu’on n’a pas besoin d’une langue "riche" pour faire de la science, d’un autre vous donnez un exemple qui montre qu’il faut une telle richesse de vocabulaire qu’une seule langue ne suffit pas, qu’il faut plusieurs….

      [Une fois qu’on le sait, on peut toujours traduire. (Dans l’exemple que je donnais, l’expression « Zeitgedächtnis » a pratiquement disparu de l’allemand, au profit d’expressions calquées sur l’image de l’horloge.)]

      Dans certains cas, la traduction est impossible. Les philosophes continuent à utiliser des termes allemands pour commenter l’oeuvre de Heidegger (le "dasein", par exemple) justement parce que la traduction est impossible. Essayez de traduire Lacan en anglais, et vous verrez la difficulté. Comment traduiriez vous "tu est Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon église" en anglais sans trahir le sens ?

      [Je passe sur les arguments sur le mariage homosexuel, parce que c’est vraiment hors-sujet, et que je n’ai vraiment pas la motivation pour vous citer tous les gens qui ont raconté qu’il ne fallait surtout pas permettre aux couples de même sexe de se marier parce que sinon on allait devoir légaliser la PMA, la zoophilie et le mariage avec soi-même ou avec des objets.]

      Je ne peux accepter cette méthode qui consiste à dire "je n’argumenterai pas ce point" pour ensuite énoncer une affirmation sans la soutenir par aucun argument ni exemple. Soit vous ne souhaitez pas répondre au point, et alors vous ne répondez pas, soit vous souhaitez l’aborder et alors il faut donner les exemples que vous promettez.

      [PS: il y a une vertu au nouveau système de commentaires : il semble que le nombre de caractères ne soit plus limité. Ou alors je suis moins bavard qu’avant…]

      Pour le moment, aucun commentaire n’est arrivé coupé… croisons les doigts!

  14. adrien dit :

    Le texte a été adopté au sénat samedi. Nouvelle version de l’article 2 :

    "Dans ces hypothèses, les formations ne peuvent être que partiellement proposées en langue étrangère et à la condition que l’accréditation

    concernant ces formations fixe la proportion des enseignements à dispenser en français. Le ministre en charge de l’usage de la langue

    française en France est immédiatement informé des exceptions accordées, de leur délai et de la raison de ces dérogations."

    J’en profite pour reprendre la discussion…

    > Parce que mon point de départ était justement que l’article du projet de loi était révélateur d’une certaine conception de l’Université.

    OK. Je trouve la démarche hautement spéculative, mais pourquoi pas ?

    > Si les députés qui ont proposé cet amendement étaient véritablement sérieux, ils auraient précisé cette disposition de manière à ce

    qu’elle ait un peu de substance.

    Pas forément facile à faire dans un texte de loi, si ? Selon les cursus les besoins ne sont pas les mêmes… Quel type de préision auriez-vous souhaité ?

    > La pensée conceptuelle se fait dans une langue "verbale" (en général, dans la langue maternelle).

    Sur quoi vous basez-vous pour affirmer ça ? Ça me semble totalement gratuit, et il me paraitrait plus simple que la verbalisation n’intervienne qu’en second temps.

    > Lorsque vous pensez, vous avez un contexte dans la tête. Un contexte que votre interlocuteur ne connait pas. Lorsque vous exprimez votre

    pensée, vous devez la rendre compréhensible à quelqu’un qui n’a pas ce contexte.

    Donc je n’ai pas besoin de mots pour penser, cqfd : il me suffit du contexte. D’ailleurs quand vraiment je ne trouve pas mes mots, je peux faire passer l’idée en expliquant ce contexte.

    > Et si pour communiquer on peut se contenter d’une langue pauvre, pour penser il en faut une riche.

    Je passe, vu que je ne crois pas à votre idée qu’il faudrait une langue pour penser.

    > Je ne crois pas qu’une "proportion non négligeable de la population universitaire" enseigne déjà en anglais ou fasse passer des examens en anglais.

    Vous estimez donc qu’un quart des enseignants-chercheurs, c’est un proportion négligeable ?

    > Encore une fois, la "digue symbolique" c’est la loi. Encore une fois, vous confondez la réalité et le symbole. A supposer que ce que vous

    dites est vrai – je ne crois pas un seul instant – on resterait sur le plan de la réalité. Le symbole n’est pas "ébréché" aussi longtemps

    que la loi continue à l’interdire.

    Bah, comment qualifiez-vous un digue qui laisse passer l’eau, alors ?

    > Je ne connais aucun article du type "How to teach a course" qui propose d’utiliser une langue minimaliste.

    Et vous en connaissez beaucoup qui conseillent d’utiliser une langue riche ? La plupart de ceux que j’ai vu ne parlent guère de la langue, peut-être parce qu’il ne viendrait pas à l’idée de grand-monde de compliquer l’exercice en cherchant à utiliser une langue particulièrement rafinée… Les rares articles que j’ai vus qui abordaient le sujet conseillaient plutôt, comme à l’écrit, de simplifier, de répéter, de souligner et de se concentrer sur l’essentiel pour ne pas perdre les étudiants. Si on mesure la qualité d’un cours, non à ce qui est communiqué, mais à ce qui en est retenu… il vaut mieux simplifier, y compris la langue. En outre, un style riche demande une grande maîtrise, même dans sa langue maternelle, et peu de profs en sont vraiment capables. Il vaut mieux jouer sur les autres possibilités.

    > Les philosophes continuent à utiliser des termes allemands pour commenter l’oeuvre de Heidegger (le "dasein", par exemple) justement parce que la traduction est impossible.

    Une recherche rapide sur Wikipdédia m’apprend que Heidegger lui-même a proposé comme traduction « Être-le-Là ». Pour ma part, je dirais que « dasein » peut être une traduction tout à fait acceptable de « Dasein ».

    Bref, ce n’est pas parce qu’un mot n’a pas encore été traduit ou qu’il est difficile à traduire qu’il est intraduisible. D’ailleurs, pour vous citer : « cela fait partie de la vie normale de la langue française. On a toujours incorporé du vocabulaire, de la même manière que l’anglais est truffé, dans certaines professions, de mots français. »

    > Essayez de traduire Lacan en anglais, et vous verrez la difficulté.

    Je n’ai pas dit que c’était facile, j’ai dit que c’était possible. Quant à essayer de traduire Lacan, je m’en garderai bien : non seulement l’anglais n’est pas ma langue maternelle, mais je ne connais pour ainsi dire rien à la psychanalyse…

    > Comment traduiriez vous "tu est Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon église" en anglais sans trahir le sens ?

    Le prénom « Peter » existe en anglais, et l’étymologie est la même, dont je ne vois pas le problème, au contraire. La traduction française laisse entendre un jeu de mot là où il n’y en avait probablement pas — il semble que le prénom Pierre vienne directement de cet épisode et n’existait pas avant.

    Ceci dit, les jeux de mots et tous les éléments du discours qui sont basés sur le langage lui-même (y compris le rythme, les rimes ou le nombre de pieds en poésie) sont effectivement très difficile à traduire. Il faut voir alors si on préfère l’esprit ou l’effet à la lettre… Mais en science, c’est heureusement une question qui ne se pose que de manière tout à fait exceptionnelle et secondaire — si elle se pose. Je maintiens donc qu'(en science) on peut tout traduire.
    (Une traduction mot-à-mot, ou presque, d’un texte scientifique, reste un texte scientifique. Une traduction mot-à-mot d’un jeu de mots est rarement un jeu de mot, et il est exceptionel que la traduction mot-à-mot d’un poème respecte les rimes et le nombre de pieds…)

    > Je ne peux accepter cette méthode qui consiste à dire "je n’argumenterai pas ce point" pour ensuite énoncer une affirmation sans la soutenir par aucun argument ni exemple.

    Bah, n’acceptez pas. Vous pouvez aussi chercher « mariage pour tous » dans votre moteur de recherche préféré et constater par vous-même. Rien que sur le site de la Manif pour tous, il n’est question que de PMA et de GPA. Et ils ne parlent pas forcément de « pente glissante », on préfère souvent « ouvrir la boîte de Pandore » (chez Civitas par ex.), mais c’est vraiment la même idée. Faudrait rebaptiser l’expression, d’ailleurs, on parle beaucoup plus de cette fameuse boîte que de la « slippery slope » en français.

    • Descartes dit :

      [Le texte a été adopté au sénat samedi. Nouvelle version de l’article 2 :]

      C’est déjà mieux que la version originale. Je note quand même qu’il reste très vague sur l’autorité qui "accorde les dérogations"…

      [Pas forcément facile à faire dans un texte de loi, si ? Selon les cursus les besoins ne sont pas les mêmes… Quel type de précision auriez-vous souhaité ?]

      Par exemple, qu’on précise que le niveau de français exigé sera équivalent à celui du baccalauréat, et qu’aucun diplôme ne pourra être délivré à un étudiant qui n’aurait pas ce niveau.

      ["La pensée conceptuelle se fait dans une langue "verbale" (en général, dans la langue maternelle)". Sur quoi vous basez-vous pour affirmer ça ? Ça me semble totalement gratuit, et il me paraitrait plus simple que la verbalisation n’intervienne qu’en second temps.]

      Sur les travaux de Jean Piaget, par exemple.

      ["Lorsque vous pensez, vous avez un contexte dans la tête. Un contexte que votre interlocuteur ne connait pas. Lorsque vous exprimez votre pensée, vous devez la rendre compréhensible à quelqu’un qui n’a pas ce contexte". Donc je n’ai pas besoin de mots pour penser, cqfd : il me suffit du contexte.]

      Là, vous m’avez perdu. Lorsque je pense "le parapluie de ma mère est plus grand que le jardin de mon père" – et j’ai besoin de "mots" pour la penser – cette phrase a un sens pour moi parce qu’elle se rapporte à un élément de mon passé. Si je l’énonce devant vous, pour vous elle n’aura aucun sens, parce que vous n’avez pas le contexte. Je vois mal comment vous faites pour en déduire "qu’on n’a pas besoin de mots pour penser"…

      [D’ailleurs quand vraiment je ne trouve pas mes mots, je peux faire passer l’idée en expliquant ce contexte.]

      Pourriez-vous donner un petit exemple ? Comment vous faites pour "expliquer ce contexte" sans trouver vos mots ?

      ["Et si pour communiquer on peut se contenter d’une langue pauvre, pour penser il en faut une riche". Je passe, vu que je ne crois pas à votre idée qu’il faudrait une langue pour penser.]

      En d’autres termes, vous croyez à des êtres pensants sans langage ?

      ["Je ne crois pas qu’une "proportion non négligeable de la population universitaire" enseigne déjà en anglais ou fasse passer des examens en anglais". Vous estimez donc qu’un quart des enseignants-chercheurs, c’est un proportion négligeable ?]

      Je ne crois pas qu’un quart des enseignants chercheurs enseigne ou fasse passer des examens en anglais. Pourriez-vous m’indiquer d’où vous tenez vos chiffres ?

      [Bah, comment qualifiez-vous un digue qui laisse passer l’eau, alors ?]

      Aucune digue n’est parfaitement étanche.

      ["Je ne connais aucun article du type "How to teach a course" qui propose d’utiliser une langue minimaliste". Et vous en connaissez beaucoup qui conseillent d’utiliser une langue riche ?]

      Non, mais cela n’a aucun rapport. C’est vous qui avez noté que des documents du genre "How to write a paper" encouragent à utiliser une langue minimaliste. Je vous ai fait remarquer qu’aucun document ne suggère d’utiliser ce type de langue dans un cours. Si on invite à utiliser une langue minimaliste dans un cas et pas dans l’autre, il doit y avoir une raison.

      Par ailleurs, oui, j’ai vu des documents de formation de professeurs qui insistent sur l’importance pour l’enseignant d’utiliser une langue châtiée, riche et subtile.

      [La plupart de ceux que j’ai vu ne parlent guère de la langue, peut-être parce qu’il ne viendrait pas à l’idée de grand-monde de compliquer l’exercice en cherchant à utiliser une langue particulièrement rafinée…]

      Pensez-vous qu’il soit possible d’enseigner Hegel, Heidegger, Lacan ou Barthes dans la plénitude de leur oeuvre en utilisant une langue qui ne serait pas extrêmement raffinée ? Je demande à voir un véritable traité de philosophie écrit en "globish"…

      [En outre, un style riche demande une grande maîtrise, même dans sa langue maternelle, et peu de profs en sont vraiment capables.]

      Si c’était le cas, il vaudrait mieux qu’ils choisissent un autre métier. Mais dans la pratique, les grands pédagogues ont tendance à être parfaitement capables de parler une langue raffinée et subtile. Pour avoir beaucoup fréquenté le Collège de France quand j’étais étudiant, je peux vous l’assurer…

      ["Les philosophes continuent à utiliser des termes allemands pour commenter l’oeuvre de Heidegger (le "dasein", par exemple) justement parce que la traduction est impossible". Une recherche rapide sur Wikipdédia m’apprend que Heidegger lui-même a proposé comme traduction « Être-le-Là ».]

      Je n’imagine même pas ce qu’un cours de philosophie ou l’on remplacerait le "dasein" par "être-le-là" pourrait donner… mais à supposer même que l’on choisisse cette voie, cela vous montre bien que pour traduire le mot allemand on est obligé d’introduire un nouveau mot dans la langue française. En d’autres termes, qu’il n’y a pas de traduction possible.

      [Pour ma part, je dirais que « dasein » peut être une traduction tout à fait acceptable de « Dasein »]

      Un peu comme "to be or not to be" est une très bonne traduction de "to be or not to be" ?

      [Bref, ce n’est pas parce qu’un mot n’a pas encore été traduit ou qu’il est difficile à traduire qu’il est intraduisible.]

      Le fait est que personne n’a réussi pour le moment à proposer un mot ou une expression française traduisant "dasein". Car au risque de vous surprendre, "être-le-la" n’est pas une expression française.

      [D’ailleurs, pour vous citer : « cela fait partie de la vie normale de la langue française. On a toujours incorporé du vocabulaire, de la même manière que l’anglais est truffé, dans certaines professions, de mots français. »]

      Et alors ? Je ne saisis pas bien le rapport. Vous êtes sur d’avoir compris ce que le mot "traduire" signifie ?

      ["Essayez de traduire Lacan en anglais, et vous verrez la difficulté". Je n’ai pas dit que c’était facile, j’ai dit que c’était possible.]

      Et bien, les disciples de Lacan ne sont pas d’accord avec vous. Au point que l’immense majorité d’entre eux ont appris le français pour pouvoir lire leur maître.

      ["Comment traduiriez vous "tu est Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon église" en anglais sans trahir le sens ?" Le prénom « Peter » existe en anglais, et l’étymologie est la même, dont je ne vois pas le problème, au contraire.]

      En d’autres termes, "your name is Peter, and over this stone I shall build my church" vous paraît une traduction acceptable ?

      [La traduction française laisse entendre un jeu de mot là où il n’y en avait probablement pas — il semble que le prénom Pierre vienne directement de cet épisode et n’existait pas avant.]

      Le jeu de mots existe aussi en latin et si ma mémoire ne me trompe pas, en grec. Et on a écrit des traités entiers sur le fait de savoir si le jeu de mots en question est ou non volontaire. Bien entendu, la lecture de ces traités en anglais risque d’être un peu surréaliste, étant donné que le jeu de mots n’existe pas en anglais, pour la simple raison que le mot anglais pour "pierre" ne vient pas du latin "petra" mais du saxon "stone". Voici donc bien un exemple où la traduction sans trahir le sens est impossible.

      [Ceci dit, les jeux de mots et tous les éléments du discours qui sont basés sur le langage lui-même (y compris le rythme, les rimes ou le nombre de pieds en poésie) sont effectivement très difficile à traduire. Il faut voir alors si on préfère l’esprit ou l’effet à la lettre…]

      Mais il n’y a pas d’enseignement sans esprit, sans jeu de mots… en échangeant avec vous, je réalise à quel point l’enseignement et l’activité scientifique tels que vous les concevez sont purement utilitaire et froid. Pour moi, sans beauté, sans élégance, sans harmonie il n’y a ni science, ni enseignement. Et cela passe par le langage.

      [Bah, n’acceptez pas.]

      C’est fait.

      [Vous pouvez aussi chercher « mariage pour tous » dans votre moteur de recherche préféré et constater par vous-même. Rien que sur le site de la Manif pour tous, il n’est question que de PMA et de GPA. Et ils ne parlent pas forcément de « pente glissante », on préfère souvent « ouvrir la boîte de Pandore » (chez Civitas par ex.), mais c’est vraiment la même idée.]

      Au risque de vous surprendre, il y beaucoup de gens qui s’opposent au mariage homosexuel sans appartenir ni au mouvement de "la manif pour tous" ni à Civitas. Vous généralisez donc à l’ensemble des opposants à partir de seulement deux exemples. Pas très "scientifique", non ?

  15. adrien dit :

    Rapidement…

    > Sur les travaux de Jean Piaget, par exemple.

    ‘Pourriez préciser, ou mieux, développer ? Je ne les ai pas en tête, c’est le moins que je puisse dire…

    > Là, vous m’avez perdu. Lorsque je pense "le parapluie de ma mère est plus grand que le jardin de mon père" – et j’ai besoin de "mots" pour la penser – cette phrase a un sens pour moi parce qu’elle se rapporte à un élément de mon passé. Si je l’énonce devant vous, pour vous elle n’aura aucun sens, parce que vous n’avez pas le contexte. Je vois mal comment vous faites pour en déduire "qu’on n’a pas besoin de mots pour penser"…

    Je vous fais un dessin ? 😉

    Bon, je développe. Je pense que vous n’avez besoin de mots que la pour la communiquer. Et encore… un dessin pourrait suffire 😉 Enfin, je ne sais pas au juste à quoi vous faites référence, mais je ne vois pas d’exemple où vous auriez besoin de mots pour penser quelque chose du type « A est plus grand que B ». Vous pouvez enseigner à à peu près n’importe quelle bestiole je pense à aller cherche sa nourriture sur l’objet le plus grand. Elle n’a pas de mots pour le penser. Elle n’est d’ailleurs pas forcément capable de l’enseigner à ses congénères de manière active. Mais si elle est capable d’aller chercher systématiquement sa nourriture sur l’objet le plus grand, c’est quelle est capable de penser quelque chose du type « A est plus grand que B ». Sauf à prendre ce test comme visant à prouver l’existence d’un langage chez les animaux — ce qui me semble un ‘tit peu léger — il me semble logique d’en conclure que les animaux qui réussissent ce test n’ont pas besoin d’un langage pour penser l’exemple de pensée complexe que vous donniez.

    [D’ailleurs quand vraiment je ne trouve pas mes mots, je peux faire passer l’idée en expliquant ce contexte.]

    Pourriez-vous donner un petit exemple ? Comment vous faites pour "expliquer ce contexte" sans trouver vos mots ?

    Sans trouver les mots pour l’idée, pas pour le contexte. Et je peux expliquer le contexte, ben, comment dire… Je ne trouve pas mes mots… Bon, supposons que je veuille faire comprendre le concept de « plus grand que »: je vais donner une série de couples (le parapluie de votre mère et le jardin de votre père, l’objet A et l’objet B), de sorte que mon interlocuteur comprenne que dans chacun de ces couples il y en a toujours un qui est plus grand que l’autre.

    Ou alors… (Et là, supposons que je continue, et vous comprendrez que le mot, l’expression plutôt, que je ne trouvais pas plus haut, c’était : donner un exemple.)

    > En d’autres termes, vous croyez à des êtres pensants sans langage ?

    Tout à fait. Le langage sert plus à communiquer qu’à penser — je pense… Ceci dit, "tout à fait", c’est dans l’absolu et en théorie. En pratique, d’un point de vue évolutif, je m’attendrais à ce que les deux capacités co-évoluent. Mais je pense que l’idée pré-existe aux mots utilisés pour la communiquer (comme on peut, par exemple, jouer de la musique sans rien connaître au solfège, c’est à dire aux mots utilisés pour la décrire et la communiquer.)

    > Je ne crois pas qu’un quart des enseignants chercheurs enseigne ou fasse passer des examens en anglais. Pourriez-vous m’indiquer d’où vous tenez vos chiffres ?

    Toujours le même papier.

    > Aucune digue n’est parfaitement étanche.

    Vous bottez en touche, là…

    ["Je ne connais aucun article du type "How to teach a course" qui propose d’utiliser une langue minimaliste". Et vous en connaissez beaucoup qui conseillent d’utiliser une langue riche ?]

    > Non, mais cela n’a aucun rapport.

    Gné ?

    > C’est vous qui avez noté que des documents du genre "How to write a paper" encouragent à utiliser une langue minimaliste. Je vous ai fait remarquer qu’aucun document ne suggère d’utiliser ce type de langue dans un cours. Si on invite à utiliser une langue minimaliste dans un cas et pas dans l’autre, il doit y avoir une raison.

    Bah oui : que pas grand monde ne va bêtement chercher à augmenter la difficulté de l’exercice d’enseignement en jouant sur un registre de langue châtié plutôt que sur la pédagogie…

    > Pensez-vous qu’il soit possible d’enseigner Hegel, Heidegger, Lacan ou Barthes dans la plénitude de leur oeuvre en utilisant une langue qui ne serait pas extrêmement raffinée ? Je demande à voir un véritable traité de philosophie écrit en "globish"…

    Oh, là je vous arrête. Depuis le début, je me place dans le cadre des sciences. Le discours des philosophes, n’y voyez aucun jugement de valeur de ma part, c’est une toute autre catégorie. Un traité de philo écrit en globish, ça ne me semble pas impossible, ceci dit, mais ce n’est pas moi qui vous l’écrirai (en tout cas, pas ce soir).

    > Si c’était le cas, il vaudrait mieux qu’ils choisissent un autre métier. Mais dans la pratique, les grands pédagogues ont tendance à être parfaitement capables de parler une langue raffinée et subtile. Pour avoir beaucoup fréquenté le Collège de France quand j’étais étudiant, je peux vous l’assurer…

    Mais la plupart des profs ne sont pas de grands pédagogues, Descartes. Pour n’avoir jamais fréquenté le collège de France je peux vous l’assurer.

    Quant à choisir un autre métier, dans enseignant-chercheur, il y a chercheur, et pour la plupart c’est bien la recherche qui est leur premier métier. Quand leur vocation, c’est d’enseigner, ils choisissent précisément un autre métier… Il n’y a d’ailleurs pour ainsi dire aucune formation à l ‘enseignement, vu qu’on part du principe que pour transmettre un corpus de connaissance il suffit en gros de le maîtriser.

    > Je n’imagine même pas ce qu’un cours de philosophie ou l’on remplacerait le "dasein" par "être-le-là" pourrait donner… mais à supposer même que l’on choisisse cette voie, cela vous montre bien que pour traduire le mot allemand on est obligé d’introduire un nouveau mot dans la langue française. En d’autres termes, qu’il n’y a pas de traduction possible.

    Comment pouvez-vous écrire qu’une traduction montre que la traduction est impossible ? Puisque ça a été traduit ! C’est bien que c’était possible ! Enfin Descartes, la traduction, ça implique aussi une dimension de création, et les néologismes sont évidemment des outils de traduction. Surtout pour traduire un néologisme…

    > Un peu comme "to be or not to be" est une très bonne traduction de "to be or not to be" ?

    Pas de néologisme dans « to be or not to be », donc pas de raison d’en introduire un dans la traduction.

    > Le fait est que personne n’a réussi pour le moment à proposer un mot ou une expression française traduisant "dasein". Car au risque de vous surprendre, "être-le-la" n’est pas une expression française.

    Au risque de vous surprendre, « Dasein » n’est pas une expression allemande. Ou plutôt, n’en était pas une avant qu’elle soit forgée. Néologisme, Descartes. Il faut bien un néologisme pour le traduire. (Encore une indication que la pensée complexe préexistait au mot qui a été créé précisément pour la communiquer.) Dasein et "être-le-là" sont deux expressions françaises depuis qu’elles ont été forgées et dans la mesure où elles sont utilisées.

    > Et alors ? Je ne saisis pas bien le rapport. Vous êtes sur d’avoir compris ce que le mot "traduire" signifie ?

    Oui. Et vu qu’on n’a pas l’air d’accord sur ce point, il y en a au moins un de nous qui doit se tromper…

    > Et bien, les disciples de Lacan ne sont pas d’accord avec vous. Au point que l’immense majorité d’entre eux ont appris le français pour pouvoir lire leur maître.

    Ça ne prouve rien. Tout ce que ça montre, c’est qu’ils préfèrent l’original à la traduction. Moi aussi. Et alors ?

    > En d’autres termes, "your name is Peter, and over this stone I shall build my church" vous paraît une traduction acceptable ?

    Trop d’anglophones pour que je m’amuse à les compter s’accommodent très bien de « you are Peter, and upon this rock I will build My church ». Ce n’est pas moi qui irait leur dire qu’ils ont tort.

    > Voici donc bien un exemple où la traduction sans trahir le sens est impossible.

    Peu m’importe lle cas de Saint-Pierre, sur le fond, c’est bien ce que je disais, les jeux de mots sont un des rares cas où la traduction est généralement impossible.

    > Mais il n’y a pas d’enseignement sans esprit, sans jeu de mots… en échangeant avec vous, je réalise à quel point l’enseignement et l’activité scientifique tels que vous les concevez sont purement utilitaire et froid. Pour moi, sans beauté, sans élégance, sans harmonie il n’y a ni science, ni enseignement. Et cela passe par le langage.

    Pourquoi utilitaire et froid ? bien sûr que non ! Et ça n’a pas besoin de passer par le langage (cf la beauté, l’élégance, l’harmonie, de… la musique, la peinture, la danse, etc., qui ne passent pas par le langage — on pourrait gloser sur le thème "la musique est un langage" mais c’est vraiment un langage dans un sens différent). C’est d’ailleurs je pense le sens de la citation d’Einstein que vous donniez : si la science doit être belle, c’est de la science qu’on parle, des raisonnements et des faits, pas du langage dans lesquels ils sont communiqués. Elle doit être belle, pas fardée.

    > Au risque de vous surprendre,

    Vous avez vraiment le goût du risque, vous. Mais je vous en prie…

    > il y beaucoup de gens qui s’opposent au mariage homosexuel sans appartenir ni au mouvement de "la manif pour tous" ni à Civitas. Vous généralisez donc à l’ensemble des opposants à partir de seulement deux exemples. Pas très "scientifique", non ?

    Beaucoup ? Je n’en doute pas ? Une majorité ? Le seul que j’ai vu développer cet argument, c’est vous, à peu de chose près. Les arguments de Civitas et de la manifs pour tous reviennent dans pratiquement tous les sections de commentaires sur les articles traitant du sujet — quand ce n’est pas dans l’article lui-même. J’aimerais bien, pour la qualité du débat, que vous ayez raison, mais malheureusement et sans vouloir vous flatter, le raisonnement de la plupart de ceux qui se sont exprimé sur le sujet vole beaucoup plus bas que sur ce blog, et j’ai bien peur que vous ne fassiez de votre cas une généralité.

    Parce que si on en est à compter les points, ça fait deux exemples contre un. Et sans compter les commentateurs plus ou moins anonymes de quantité de billets. S’il faut vraiment vous faire un inventaire, je le ferai, mais pour l’instant c’est moi qui mène, alors je vous laisse relancer…

    • Descartes dit :

      [« Sur les travaux de Jean Piaget, par exemple ». Pourriez préciser, ou mieux, développer ? Je ne les ai pas en tête, c’est le moins que je puisse dire…]

      Je pense à « Le langage et la pensée chez l’enfant ». Mais comme j’ai lu le livre il y a maintenant de longues années, je ne me risquerais pas à « développer » longuement… Je dirai seulement que pour Piaget le langage et la pensée sont intimement liés, et qu’il n’y a pas de développement de l’intelligence formelle sans langage.

      [« Je vois mal comment vous faites pour en déduire "qu’on n’a pas besoin de mots pour penser"… ». Je vous fais un dessin ? ;)]

      Le dessin, c’est aussi un langage… 😉

      [Enfin, je ne sais pas au juste à quoi vous faites référence, mais je ne vois pas d’exemple où vous auriez besoin de mots pour penser quelque chose du type « A est plus grand que B ». Vous pouvez enseigner à à peu près n’importe quelle bestiole je pense à aller cherche sa nourriture sur l’objet le plus grand. Elle n’a pas de mots pour le penser.]

      Et bien non. Vous ne pouvez pas « enseigner » une bestiole à aller chercher sa nourriture sur « l’objet le plus grand ». Vous pouvez à la rigueur provoquer chez elle un réflexe conditionné qui fera qu’il ira vers l’objet que VOUS avez « pensé » comme étant « le plus grand ». Mais l’animal n’a pas une catégorie abstraite « le plus grand » qui fera qu’il ira manger toujours sur « le plus grand », que « le plus grand » soit une pierre, un morceau de bois, un édifice où un morceau de carton. Je crois que vous avez donné le meilleur contre-exemple à votre propre théorie : non, les animaux n’ont pas la capacité de déduire qu’une pierre, un morceau de carton, un bout de bois et un édifice appartiennent à une classe commune, celle d’être « le plus grand ». Pour créer des classes abstraites, il vous faut pouvoir les penser… et pour cela, il faut un langage.

      [Sans trouver les mots pour l’idée, pas pour le contexte. Et je peux expliquer le contexte, ben, comment dire… Je ne trouve pas mes mots… Bon, supposons que je veuille faire comprendre le concept de « plus grand que »: je vais donner une série de couples (le parapluie de votre mère et le jardin de votre père, l’objet A et l’objet B), de sorte que mon interlocuteur comprenne que dans chacun de ces couples il y en a toujours un qui est plus grand que l’autre.]

      Et vous pensez que SANS LANGAGE il est possible de constituer à partir d’exemples concrets une catégorie abstraite ? Vous pouvez montrer à un chimpanzé des couples d’objets, un plus grand et un plus petit, et JAMAIS vous n’obtiendrez de lui un comportement qui montre qu’il a compris. L’expérience a été réalisée d’ailleurs…

      [« Je ne crois pas qu’un quart des enseignants chercheurs enseigne ou fasse passer des examens en anglais. Pourriez-vous m’indiquer d’où vous tenez vos chiffres ? » Toujours le même papier.]

      Vous faites dire un peu trop de choses à ce pauvre papier. Je n’ai pas réussi à trouver dans ce document la moindre indication sur le pourcentage d’enseignants-chercheurs qui ENSEIGNE en anglais. Le chiffre donné combine le « cours » et les « seminaires », et sur les 25% il y a 17% pour dire que l’usage de l’anglais est « occasionnel ». Déduire que « un quart des enseignants-chercheurs enseigne en anglais » me parait unpeu excessif. Quant aux EXAMENS en anglais, le document ne pipe mot.

      [Bah oui : que pas grand monde ne va bêtement chercher à augmenter la difficulté de l’exercice d’enseignement en jouant sur un registre de langue châtié plutôt que sur la pédagogie…]

      Alors qu’ils chercheraient à le faire dans un papier écrit s’il n’y avait pas des textes genre « How to write a paper » pour les en dissuader ? Vous me donnez un aperçu du monde de la recherche qui m’avait tout à fait échappé…

      [« Pensez-vous qu’il soit possible d’enseigner Hegel, Heidegger, Lacan ou Barthes dans la plénitude de leur oeuvre en utilisant une langue qui ne serait pas extrêmement raffinée ? Je demande à voir un véritable traité de philosophie écrit en "globish"… ». Oh, là je vous arrête. Depuis le début, je me place dans le cadre des sciences.]

      Ah bon… moi je croyais qu’on discutait de la loi Fiorasso sur l’enseignement supérieur. Il m’avait échappé que cette loi ne s’appliquait qu’à l’enseignement des sciences… Par ailleurs, il faudra m’expliquer comment on formera demain des scientifiques qui n’auraient pas une connaissance minimale de l’épistémologie, par exemple…

      Je pense que nous avons une vision totalement opposée de ce qu’est le scientifique. Moi je veux des scientifiques humanistes, des gens qui connaissent non seulement les formules mathématiques ou les diagrammes, mais aussi l’histoire, la philosophie. Qui sont capables de faire des analogies avec d’autres disciplines et dialoguer avec d’autres champs de connaissance. Vous semblez avoir une vision purement « utilitaire » : le scientifique n’a qu’à savoir ce qui relève de sa discipline au sens le plus stricte, et rien d’autre.

      [« Si c’était le cas, il vaudrait mieux qu’ils choisissent un autre métier. Mais dans la pratique, les grands pédagogues ont tendance à être parfaitement capables de parler une langue raffinée et subtile. Pour avoir beaucoup fréquenté le Collège de France quand j’étais étudiant, je peux vous l’assurer… ». Mais la plupart des profs ne sont pas de grands pédagogues, Descartes. Pour n’avoir jamais fréquenté le collège de France je peux vous l’assurer.]

      J’ai du avoir beaucoup de chance, alors. Sans être des « grands pédagogues » ils étaient des bons pédagogues. Mais sur le fond, je ne vois pas l’intérêt de faire enseigner des gens qui ne savent pas le faire, même s’ils sont très forts dans leur discipline.

      [Quant à choisir un autre métier, dans enseignant-chercheur, il y a chercheur, et pour la plupart c’est bien la recherche qui est leur premier métier.]

      Ce qui est regrettable, c’est que l’université admet dans ses recrutements ce fait. Il faudrait recruter des enseignants qui veulent faire de la recherche, et non pas des chercheurs qui se résignent, pour avoir un poste, à faire de l’enseignement.

      [Comment pouvez-vous écrire qu’une traduction montre que la traduction est impossible ?]

      C’est que justement, il n’y a pas de « traduction ». La « traduction » consiste à exprimer ce qui a été écrit dans une langue donnée avec les mots et la syntaxe d’une autre langue. Or, ce que vous appelez « traduction » n’exprime pas le mot « dasein » avec des mots et une syntaxe française. Le syntagme « être-le-là » n’est pas français. Avec la même logique je pourrais dire que je traduit « dasein » par « catepucini ». Avec ce genre de pirouette, toute traduction devient extrêmement facile…

      [Au risque de vous surprendre, « Dasein » n’est pas une expression allemande. Ou plutôt, n’en était pas une avant qu’elle soit forgée. Néologisme, Descartes. Il faut bien un néologisme pour le traduire.]

      Certainement. Mais les « néologismes » ne sont pas arbitraires. Ils suivent un certain nombre de règles qui dépendent de la langue. « Dasein » a beau être un néologisme, c’est un néologisme allemand. Comme « informatiser » l’a été à une époque. Mais vous remarquerez que « informatiser », qui est un verbe, suit toutes les règles de formation des verbes français. Si au lieu de « informatiser » on avait choisi le néologisme « back », on aurait eu quelques problèmes pour le conjuguer, non ? C’est pourquoi « être-le-la » n’est pas un néologisme français, alors que « dasein » est un néologisme allemand…

      [« Et bien, les disciples de Lacan ne sont pas d’accord avec vous. Au point que l’immense majorité d’entre eux ont appris le français pour pouvoir lire leur maître. » Ça ne prouve rien. Tout ce que ça montre, c’est qu’ils préfèrent l’original à la traduction. Moi aussi. Et alors ?]

      Si tout peut être exprimé en « globish » sans que rien ne soit perdu, pourquoi faire l’effort d’apprendre une langue pour pouvoir lire l’original ? J’avoue que j’ai du mal à comprendre pourquoi vous préférez « l’original à la traduction », puisque vous me soutenez que finalement une langue riche n’a aucun intérêt et que le fait de faire cours dans une autre langue n’induit pour les étudiants la moindre perte…

      [« En d’autres termes, "your name is Peter, and over this stone I shall build my church" vous paraît une traduction acceptable ? ». Trop d’anglophones pour que je m’amuse à les compter s’accommodent très bien de « you are Peter, and upon this rock I will build My church ». Ce n’est pas moi qui irait leur dire qu’ils ont tort.]

      Effectivement, si vous vous contentez de ce à quoi les gens s’accommodent, on ne parle pas de la même chose… « mangez de la merde, 400 milliards de mouches ne peuvent pas se tromper ».

      [« il y beaucoup de gens qui s’opposent au mariage homosexuel sans appartenir ni au mouvement de "la manif pour tous" ni à Civitas. Vous généralisez donc à l’ensemble des opposants à partir de seulement deux exemples. Pas très "scientifique", non ? ». Beaucoup ? Je n’en doute pas ? Une majorité ? Le seul que j’ai vu développer cet argument, c’est vous, à peu de chose près.]

      Il y a des gens qui se taisent, et qui n’en pensent pas moins… Ce ne sont pas ceux qui font le plus de bruit qui représentent l’opinion de la majorité.

  16. adrien dit :

    > Je pense à « Le langage et la pensée chez l’enfant ». Mais comme j’ai lu le livre il y a maintenant de longues années, je ne me risquerais pas à « développer » longuement… Je dirai seulement que pour Piaget le langage et la pensée sont intimement liés, et qu’il n’y a pas de développement de l’intelligence formelle sans langage.

    D’après ce que j’ai trouvé sur le net, il se bornait simplement sur ce sujet à constater que ce que vous appelez la pensée formelle apparaît bien après l’acquisition du langage. Ce n’est pas ce que je qualifierais d’« intimement lié », et ça ne suffit pas à conclure que l’un est nécessaire à l’autre.

    > Le dessin, c’est aussi un langage… 😉

    Précisément. Et qui vaut souvent mieux qu’un long discours, même dans une langue riche et châtiée.

    > Et bien non. Vous ne pouvez pas « enseigner » une bestiole à aller chercher sa nourriture sur « l’objet le plus grand ». Vous pouvez à la rigueur provoquer chez elle un réflexe conditionné qui fera qu’il ira vers l’objet que VOUS avez « pensé » comme étant « le plus grand ». Mais l’animal n’a pas une catégorie abstraite « le plus grand » qui fera qu’il ira manger toujours sur « le plus grand », que « le plus grand » soit une pierre, un morceau de bois, un édifice où un morceau de carton.

    Qu’est-ce que vous en savez ? Vous avez des données, ou seulement votre intime conviction sur quoi vous appuyer ? À ce stade j’accepterais même un argument d’autorité, au moins je pourrais avec un peu de chance remonter la source et vérifier les faits.

    > Je crois que vous avez donné le meilleur contre-exemple à votre propre théorie : non, les animaux n’ont pas la capacité de déduire qu’une pierre, un morceau de carton, un bout de bois et un édifice appartiennent à une classe commune, celle d’être « le plus grand ». Pour créer des classes abstraites, il vous faut pouvoir les penser… et pour cela, il faut un langage.

    Les chevaux en sont capables : http://www.journals.elsevierhealth.com/periodicals/applan/article/S0168-1591%2803%2900136-9/abstract

    Les abeilles aussi : http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0003347284713327
    Je n’irai pas jusqu’à dire qu’elle n’ont pas de langage, mais pour ce qu’on en sait il se limite plus où moins à indiquer la position du soleil, la distance, et l’intérêt d’une source de nouriture ou d’un emplacement potentiel pour établir la colonie.

    Les pigeons, aussi, tenez. Vous savez comment on dit "cubisme" en langage pigeon ? http://en.wikipedia.org/wiki/Pigeon_intelligence

    > Et vous pensez que SANS LANGAGE il est possible de constituer à partir d’exemples concrets une catégorie abstraite ? Vous pouvez montrer à un chimpanzé des couples d’objets, un plus grand et un plus petit, et JAMAIS vous n’obtiendrez de lui un comportement qui montre qu’il a compris. L’expérience a été réalisée d’ailleurs…

    Vous pouvez le répéter à l’infini, ça n’en deviendra pas plus vrai. Vous voulez un autre exemple ? Qu’y a-t-il de plus abstrait que des règles d’orthographe ? Pour le coup, les singes ont bien un langage, mais je doute qu’il inclue des mots pour les noms des lettres et les règles qui régissent leur organisation au sein des mots… http://news.sciencemag.org/sciencenow/2012/04/monkey-see-monkey-do-monkey.html

    > Vous faites dire un peu trop de choses à ce pauvre papier. Je n’ai pas réussi à trouver dans ce document la moindre indication sur le pourcentage d’enseignants-chercheurs qui ENSEIGNE en anglais. Le chiffre donné combine le « cours » et les « seminaires », et sur les 25% il y a 17% pour dire que l’usage de l’anglais est « occasionnel ».

    Ben voilà. Occasionnellement en anglais, vous y êtes.

    > Alors qu’ils chercheraient à le faire dans un papier écrit s’il n’y avait pas des textes genre « How to write a paper » pour les en dissuader ? Vous me donnez un aperçu du monde de la recherche qui m’avait tout à fait échappé…

    Je suis ravi de contribuer à votre découverte du monde.

    Ah bon… moi je croyais qu’on discutait de la loi Fiorasso sur l’enseignement supérieur. Il m’avait échappé que cette loi ne s’appliquait qu’à l’enseignement des sciences…

    Quand je dis que vous ne me lisez pas vraiment…

    > Par ailleurs, il faudra m’expliquer comment on formera demain des scientifiques qui n’auraient pas une connaissance minimale de l’épistémologie, par exemple…

    Comme on les formait hier, faut croire. Bon, avant-hier, je ne sais pas, mais pour ma part je n’ai jamais eu le moindre cours sur ce sujet, pas plus qu’aucun des collègues auprès de qui je m’en suis étonné. J’aimerais bien qu’on m’explique aussi…

    > Je pense que nous avons une vision totalement opposée de ce qu’est le scientifique. Moi je veux des scientifiques humanistes, des gens qui connaissent non seulement les formules mathématiques ou les diagrammes, mais aussi l’histoire, la philosophie. Qui sont capables de faire des analogies avec d’autres disciplines et dialoguer avec d’autres champs de connaissance. Vous semblez avoir une vision purement « utilitaire » : le scientifique n’a qu’à savoir ce qui relève de sa discipline au sens le plus stricte, et rien d’autre.

    Ah mais moi aussi je veux des humanistes et tout et tout. Mais les gens font ce qu’ils veulent, je ne vais pas les forcer.

    > J’ai du avoir beaucoup de chance, alors. Sans être des « grands pédagogues » ils étaient des bons pédagogues. Mais sur le fond, je ne vois pas l’intérêt de faire enseigner des gens qui ne savent pas le faire, même s’ils sont très forts dans leur discipline.

    Lol. J’aimerais bien, hein, mais malheureusement ça ne marche pas comme ça. On apprend sur le tas, et on se débrouille, les enseignants-chercheurs n’ont aucune autre formation pour enseigner.

    > Ce qui est regrettable, c’est que l’université admet dans ses recrutements ce fait. Il faudrait recruter des enseignants qui veulent faire de la recherche, et non pas des chercheurs qui se résignent, pour avoir un poste, à faire de l’enseignement.

    Ah ça mon bon monsieur, si le monde était différent, il serait pas pareil, et ça serait quand même mieux. Mais bon, il est comme il est. Je suis navré de m’abaisser à faire le constat de la réalité.

    > C’est que justement, il n’y a pas de « traduction ». La « traduction » consiste à exprimer ce qui a été écrit dans une langue donnée avec les mots et la syntaxe d’une autre langue. Or, ce que vous appelez « traduction » n’exprime pas le mot « dasein » avec des mots et une syntaxe française. Le syntagme « être-le-là » n’est pas français.

    Pourquoi pas français ? D’un adverbe, « là », on fait un nom, « le là ». Pourquoi serait-ce moins français que l’ici et l’ailleursPourquoi l’au-delà et pas le là ? Être le là, être l’ici, être l’ailleurs, je n’ai aucune idée de ce que Heidegger voulait dire par là, mais c’est français.

    > Certainement. Mais les « néologismes » ne sont pas arbitraires. Ils suivent un certain nombre de règles qui dépendent de la langue. « Dasein » a beau être un néologisme, c’est un néologisme allemand. Comme « informatiser » l’a été à une époque. Mais vous remarquerez que « informatiser », qui est un verbe, suit toutes les règles de formation des verbes français. Si au lieu de « informatiser » on avait choisi le néologisme « back », on aurait eu quelques problèmes pour le conjuguer, non ?

    Je backe, tu backent, ils backent… Mauvais exemple, le néologisme existe déjà, il est utilisé par les "gamers" manifestement (me demandez pas ce qu’il veut dire, mais une simple recherche avec votre moteur préféré vous confirmera que "ils backent" est employé). Votre argument tombe à l’eau.

    > C’est pourquoi « être-le-la » n’est pas un néologisme français, alors que « dasein » est un néologisme allemand…

    C’est pourquoi: n’importe quoi.

    > Si tout peut être exprimé en « globish » sans que rien ne soit perdu, pourquoi faire l’effort d’apprendre une langue pour pouvoir lire l’original ? J’avoue que j’ai du mal à comprendre pourquoi vous préférez « l’original à la traduction », puisque vous me soutenez que finalement une langue riche n’a aucun intérêt et que le fait de faire cours dans une autre langue n’induit pour les étudiants la moindre perte…

    Si, si, il y a une chose qui est perdue, c’est celle qui relève (je me répète, mais bon) des propriétés du langage : le style, l’élégance, les jeux de mots… Et puis lire une traduction, c’est faire confiance au traducteur, et il y en a qui ne sont vraiment pas bons.

    Et quand je dis que je préfère lire l’original, ça vaut surtout pour les textes littéraires. Pour les textes scientifiques ou techniques, je préfère souvent la traduction. Il ne me viendrait pas l’idée de tenter de lire le manuel d’utilisation de mon appareil photo en japonais…

    > Effectivement, si vous vous contentez de ce à quoi les gens s’accommodent, on ne parle pas de la même chose… « mangez de la merde, 400 milliards de mouches ne peuvent pas se tromper ».

    Bah, si vous avez mieux à leur proposer, je suis sûr que de nombreux « Bible scholars » seront intéressés.

    > Il y a des gens qui se taisent, et qui n’en pensent pas moins… Ce ne sont pas ceux qui font le plus de bruit qui représentent l’opinion de la majorité.

    En gros, vous me reprochez d’avoir tendu l’oreille aux cris discrets des foules minoritaires, et de ne pas avoir entendu le silence assourdissant des arguments tus par la majorité.

    Bon, bah face à cet argument massue je crois que je n’ai plus rien à ajouter.

    • Descartes dit :

      [D’après ce que j’ai trouvé sur le net, il se bornait simplement sur ce sujet à constater que ce que vous appelez la pensée formelle apparaît bien après l’acquisition du langage. Ce n’est pas ce que je qualifierais d’« intimement lié », et ça ne suffit pas à conclure que l’un est nécessaire à l’autre.]

      Pas seulement. Il constate aussi qu’aucun être n’est doué de pensée formelle alors qu’il n’a pas de langange… ce qui suggère bien une liaison intime entre les deux.

      [Qu’est-ce que vous en savez ? Vous avez des données, ou seulement votre intime conviction sur quoi vous appuyer ? À ce stade j’accepterais même un argument d’autorité, au moins je pourrais avec un peu de chance remonter la source et vérifier les faits.]

      Et bien, c’est vous qui avez affirmé en premier que c’était possible. J’attends donc avec impatience vos données pour justifier cette affirmation, et je serais ravi de vous donner en retour les miennes…

      [Je crois que vous avez donné le meilleur contre-exemple à votre propre théorie : non, les animaux n’ont pas la capacité de déduire qu’une pierre, un morceau de carton, un bout de bois et un édifice appartiennent à une classe commune, celle d’être « le plus grand ». Pour créer des classes abstraites, il vous faut pouvoir les penser… et pour cela, il faut un langage.

      Les chevaux en sont capables : http://www.journals.elsevierhealth.com/periodicals/applan/article/S0168-1591%2803%2900136-9/abstract

      Avez-vous accès au texte complet de cette référence ? L’abstract ne donne pas de détails suffisants pour savoir s’il s’agit d’une situation comme celle évoquée dans cette discussion. En particulier si les objets sont suffisamment différents. Je trouve d’ailleurs l’article curieux lorsqu’il évoque la capacité de travailler avec des objets de différentes « couleurs », compte tenu du fait que les chevaux sont daltoniens…

      [Les abeilles aussi : http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0003347284713327%5D

      Peut-être, mais l’abstract de l’article ne dit rien de tel.

      [Les pigeons, aussi, tenez. Vous savez comment on dit "cubisme" en langage pigeon ? http://en.wikipedia.org/wiki/Pigeon_intelligence%5D

      Ah… si wikipédia le dit… I rest my case, m’lud.

      [Vous pouvez le répéter à l’infini, ça n’en deviendra pas plus vrai. ]

      Alors qu’avec une référence sur wikipédia, évidement, c’est autre chose…

      [Vous voulez un autre exemple ? Qu’y a-t-il de plus abstrait que des règles d’orthographe ? ]

      Presque tout. Une « règle » n’a rien d’abstrait. On peut faire appliquer une règle à une machine, à un automate. Il suffit qu’il soit capable de mémoriser et d’associer un stimuli à un comportement. Comme exemple de pensée formelle…

      [« Vous faites dire un peu trop de choses à ce pauvre papier. Je n’ai pas réussi à trouver dans ce document la moindre indication sur le pourcentage d’enseignants-chercheurs qui ENSEIGNE en anglais. Le chiffre donné combine le « cours » et les « seminaires », et sur les 25% il y a 17% pour dire que l’usage de l’anglais est « occasionnel » ». Ben voilà. Occasionnellement en anglais, vous y êtes.]

      Je constate que vous avez convenablement coupé le commentaire sur les examens… how clever of you…

      [« Ah bon… moi je croyais qu’on discutait de la loi Fiorasso sur l’enseignement supérieur. Il m’avait échappé que cette loi ne s’appliquait qu’à l’enseignement des sciences… ». Quand je dis que vous ne me lisez pas vraiment…]

      Mais je lis la loi, qui était le sujet de cette discussion, au moins.

      [Comme on les formait hier, faut croire. Bon, avant-hier, je ne sais pas, mais pour ma part je n’ai jamais eu le moindre cours sur ce sujet, pas plus qu’aucun des collègues auprès de qui je m’en suis étonné. J’aimerais bien qu’on m’explique aussi…]

      Pas la peine. Si c’est pour enseigner l’épistémologie en « globish », mieux vaut éviter. « A little knowledge is a great danger… ».

      [Ah mais moi aussi je veux des humanistes et tout et tout. Mais les gens font ce qu’ils veulent, je ne vais pas les forcer.]

      Moi non plus. Je me contenterai de ne pas leur donner un poste de recherche ou d’enseignement payé avec l’argent du contribuable. Mais à part ça, ils font ce qu’ils veulent…

      [Lol. J’aimerais bien, hein, mais malheureusement ça ne marche pas comme ça. On apprend sur le tas, et on se débrouille, les enseignants-chercheurs n’ont aucune autre formation pour enseigner.]

      Peut-être. Mais ont-ils envie d’enseigner ? Parce que quand on a envie et qu’on est universitaire, la technique, ça s’apprend dans les livres. Qui ne mordent pas, contrairement à ce que certains ont l’air de croire.

      [« Ce qui est regrettable, c’est que l’université admet dans ses recrutements ce fait. Il faudrait recruter des enseignants qui veulent faire de la recherche, et non pas des chercheurs qui se résignent, pour avoir un poste, à faire de l’enseignement. ». Ah ça mon bon monsieur, si le monde était différent,]

      On peut le changer, vous savez ? Et même si on ne le change pas, il change tout seul, le bougre. Je ne vois pas trop la raison de baisser les bras. Je vous trouve bien résigné pour quelqu’un de votre âge…

      [« Le syntagme « être-le-là » n’est pas français ». Pourquoi pas français ? D’un adverbe, « là », on fait un nom, « le là ». Pourquoi serait-ce moins français que l’ici et l’ailleurs]

      Je ne savais pas que « être-l’ici » ou « être-l’ailleurs » étaient des expressions françaises. Mais bon, on apprend tous les jours.
      [« Si tout peut être exprimé en « globish » sans que rien ne soit perdu, pourquoi faire l’effort d’apprendre une langue pour pouvoir lire l’original ? J’avoue que j’ai du mal à comprendre pourquoi vous préférez « l’original à la traduction », puisque vous me soutenez que finalement une langue riche n’a aucun intérêt et que le fait de faire cours dans une autre langue n’induit pour les étudiants la moindre perte… ». Si, si, il y a une chose qui est perdue, c’est celle qui relève (je me répète, mais bon) des propriétés du langage : le style, l’élégance, les jeux de mots… Et puis lire une traduction, c’est faire confiance au traducteur, et il y en a qui ne sont vraiment pas bons.]

      Et pourtant, vous ne voyez pas d’inconvénient à ce que l’enseignement soit fait en « globish ». Cela ne vous gêne donc pas qu’on perde « le style, l’élégance, lesjeux de mots », qu’on fasse « confiance au traducteur » dans l’enseignement. Mais cela vous gêne pour vous-même. Ne trouvez-vous pas cela contradictoire ?

      [Et quand je dis que je préfère lire l’original, ça vaut surtout pour les textes littéraires. Pour les textes scientifiques ou techniques, je préfère souvent la traduction. Il ne me viendrait pas l’idée de tenter de lire le manuel d’utilisation de mon appareil photo en japonais…]

      Et bien, on revient à la différence fondamentale que nous avons dans nos conceptions de l’université. Pour vous, un cours universitaire, c’est comme un manuel d’utilisation. Pour moi, c’est la transmission d’un humanisme.

      [« Il y a des gens qui se taisent, et qui n’en pensent pas moins… Ce ne sont pas ceux qui font le plus de bruit qui représentent l’opinion de la majorité ». En gros, vous me reprochez d’avoir tendu l’oreille aux cris discrets des foules minoritaires, et de ne pas avoir entendu le silence assourdissant des arguments tus par la majorité.]

      Disons, comme disait Pascal (je cite de mémoire), que « l’esprit humain est ainsi fait qu’il retient préférentiellement les voix qui vont dans le sens des thèses qu’il entend défendre »… mais peut-être aurais-je du le traduire en « globish », comme le manuel de l’appareil photo japonais ?

      [Bon, bah face à cet argument massue je crois que je n’ai plus rien à ajouter.]

      Ici, chacun est maître de ses silences et esclave de ses paroles…

  17. adrien dit :

    > Pas seulement. Il constate aussi qu’aucun être n’est doué de pensée formelle alors qu’il n’a pas de langange… ce qui suggère bien une liaison intime entre les deux.

    Ce qui ne suggère rien du tout. J’aurais cru que nous avions assez parlé de Popper dans une discussion précédente pour que je n’ai pas besoin de souligner que le fait qu’on n’ait jamais observé de cygne doué de pensée formelle ne suggère pas qu’il n’existe aucun cygne qui en soit doué.

    > Et bien, c’est vous qui avez affirmé en premier que c’était possible. J’attends donc avec impatience vos données pour justifier cette affirmation, et je serais ravi de vous donner en retour les miennes…

    J’ai proposé des références, elles ne vous ont peut-être pas convaincu, mais vous ne pouvez pas dire que je n’ai rien proposé. J’attends donc les vôtres… si vous en avez.

    > Avez-vous accès au texte complet de cette référence ? L’abstract ne donne pas de détails suffisants pour savoir s’il s’agit d’une situation comme celle évoquée dans cette discussion. En particulier si les objets sont suffisamment différents. Je trouve d’ailleurs l’article curieux lorsqu’il évoque la capacité de travailler avec des objets de différentes « couleurs », compte tenu du fait que les chevaux sont daltoniens…

    Vous trouvez l’article curieux parce que, comme à votre habitude, vous faites tellement confiance à vos préjugés que vous ne prenez même pas la peine de vérifier un truc aussi basique que la façon dont les daltoniens perçoivent les couleurs. Les daltoniens — la plupart des daltoniens — voient les couleurs, Descartes, et les chevaux aussi. Ils sont seulement incapables de distinguer certaines longueurs d’onde. Çe ne veut pas dire qu’ils ne sont capables d’en distinguer aucune. http://psycnet.apa.org/journals/com/121/1/65/

    Ceci dit, je n’ai pas non plus accès au papier, mais pour répondre à votre question, j’en ai trouvé un résumé qui précisait la nature des signaux, qui allaient de formes noires en deux dimensions à des balles, des pots de fleurs ou des connecteurs en PCV : http://www.ciwf.org.uk/includes/documents/cm_docs/2009/h/horse_behaviour_cognition_welfare_may09.pdf

    [Les abeilles aussi : http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0003347284713327%5D

    > Peut-être, mais l’abstract de l’article ne dit rien de tel.

    Le résumé dit très clairement que les abeilles sont capables de former des catégories de fleurs selon leur couleur, et de reconnaître de nouveaux membres de ces catégories.

    > Ah… si wikipédia le dit… I rest my case, m’lud.

    Vous avez le droit de jeter un œil aux références données dans l’article, comme celle-ci : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1334394/pdf/jeabehav00221-0041.pdf

    > Alors qu’avec une référence sur wikipédia, évidement, c’est autre chose…

    Un article de Wikipédia qui cite plusieurs papiers scientifiques, deux ou trois liens directs vers des résumés, c’est vrai, qu’est-ce que ça pèse face à l’omniscience Descartésienne…

    > Presque tout. Une « règle » n’a rien d’abstrait. On peut faire appliquer une règle à une machine, à un automate. Il suffit qu’il soit capable de mémoriser et d’associer un stimuli à un comportement. Comme exemple de pensée formelle…

    Une règle, ce n’est pas abstrait ? Vous en avez déjà tenu une dans vos mains, vous ? Autrement que sous la forme d’un Bescherelle, je veux dire. Et c’est une chose que d’appliquer une règle, c’est est une autre que de l’inférer. Les machines ne peuvent le faire que parce que leurs concepteurs les ont programmées. Les animaux ne sont pas des machines.

    Je ne comprends même pas comment vous pouvez pensez que la pensée conceptuelle nécessite une langue verbale. Ou alors, comment définissez-vous un concept ? Parce qu’une langue verbale, c’est bien une langue avec des mots ? Et un mot, n’est-ce pas précisément un concept ? Ce n’est du moins pas une pipe… Comment selon vous la pensée conceptuelle ne pourrait-elle se faire que dans une langue verbale, si une langue verbale est basée sur la pensée conceptuelle, si la pensée conceptuelle est nécessaire pour verbaliser ? Éclairez-moi !

    > Je constate que vous avez convenablement coupé le commentaire sur les examens… how clever of you…

    Je constate que vous préférez revenir à la charge sur un point sur lequel je ne me suis pas exprimé que reconnaître que vous vous êtes trompé sur celui que j’ai souligné…

    > Mais je lis la loi, qui était le sujet de cette discussion, au moins.

    Il y a encore quelque jours vous n’aviez l’air de vous intéresser qu’au projet de loi, si maintenant vous lisez la loi, c’est déjà un progrès. Et donc, je la lis aussi, et elle ne me semble pas exclure l’enseignement des sciences. J’ai essayé d’expliquer pourquoi des cours de sciences en anglais me semblaient acceptables voire utile. Vous me répondez sur la philo… Et c’est moi qui suis hors-sujet ?

    > Pas la peine. Si c’est pour enseigner l’épistémologie en « globish », mieux vaut éviter. « A little knowledge is a great danger… ».

    Pourquoi en globish ? Pourquoi pas en français ?

    > Moi non plus. Je me contenterai de ne pas leur donner un poste de recherche ou d’enseignement payé avec l’argent du contribuable. Mais à part ça, ils font ce qu’ils veulent…

    Avec ce type de politique, ‘va plus rester grand monde dans les labos. Ce n’est pas vous qui aimez à répéter qu’il faut tenir compte des réalités ?

    > Peut-être. Mais ont-ils envie d’enseigner ?

    La réalité, Descartes. Certains ont envie d’enseigner, d’autres ont seulement envie de faire de la recherche et ne trouvent de poste sans charge d’enseignement. En attendant de trouver autre chose, faut bien manger…

    > On peut le changer, vous savez ? Et même si on ne le change pas, il change tout seul, le bougre. Je ne vois pas trop la raison de baisser les bras. Je vous trouve bien résigné pour quelqu’un de votre âge…

    Yakafokon, c’est vrai, j’avais oublié. Moi je veux bien, et puisque vous affirmez que c’est possible, je serais curieux de savoir comment vous vous y prendriez — et ce que vous attendez pour essayer, si vous ne vous y êtes pas déjà attaqué.

    > Je ne savais pas que « être-l’ici » ou « être-l’ailleurs » étaient des expressions françaises. Mais bon, on apprend tous les jours.

    À ma connaissance elles n’ont jamais été employées, contrairement à « être-le-là ». Votre ironie ne suffira pas à étayer vos arguments sur le sujet.

    > Et pourtant, vous ne voyez pas d’inconvénient à ce que l’enseignement soit fait en « globish ». Cela ne vous gêne donc pas qu’on perde « le style, l’élégance, lesjeux de mots », qu’on fasse « confiance au traducteur » dans l’enseignement. Mais cela vous gêne pour vous-même. Ne trouvez-vous pas cela contradictoire ?

    Pourquoi « qu’on perde » ? Donner un cours en anglais, Descartes, ce n’est pas traduire un cours en anglais. Au pire, la traduction est faite par l’auteur, à qui je fais confiance pour ne pas trahir sa propre pensée.

    > Et bien, on revient à la différence fondamentale que nous avons dans nos conceptions de l’université. Pour vous, un cours universitaire, c’est comme un manuel d’utilisation. Pour moi, c’est la transmission d’un humanisme.

    Ça me va. Ceci dit, en pratique, je n’ai pas vu ça souvent, si je l’ai vu, et je serais curieux de savoir comment vous vous y prendriez pour « transmettre un humanisme » dans un cours universitaire sur la thermodynamique, et surtout en quoi votre démarche requerrait l’usage d’un français châtié.

    > Disons, comme disait Pascal (je cite de mémoire), que « l’esprit humain est ainsi fait qu’il retient préférentiellement les voix qui vont dans le sens des thèses qu’il entend défendre »… mais peut-être aurais-je du le traduire en « globish », comme le manuel de l’appareil photo japonais ?

    Disons surtout que vous êtes de mauvaise foi, ce sera un meilleur résumé. De mauvaise foi, ou télépathe. Mais alors là, faudra m’excuser, je n’ai pas votre capacité à entendre les voix « des gens qui se taisent, et qui n’en pensent pas moins ».

    • Descartes dit :

      [Ce qui ne suggère rien du tout. J’aurais cru que nous avions assez parlé de Popper dans une discussion précédente pour que je n’ai pas besoin de souligner que le fait qu’on n’ait jamais observé de cygne doué de pensée formelle ne suggère pas qu’il n’existe aucun cygne qui en soit doué.]

      Bien sur que si. Le fait qu’on n’ait jamais observé de cygne doué de pensée formelle ne prouve pas qu’il n’en existe aucun qui soit doué, mais le suggère parfaitement…

      [J’ai proposé des références, elles ne vous ont peut-être pas convaincu, mais vous ne pouvez pas dire que je n’ai rien proposé. J’attends donc les vôtres… si vous en avez.]

      Et bien… je vous propose l’annuaire du téléphone version 1980. Peut-être qu’elle ne vous convaincra pas, mais vous ne pouvez pas dire que je n’ai rien proposé. Nous sommes donc quittes.

      [Vous trouvez l’article curieux parce que, comme à votre habitude, vous faites tellement confiance à vos préjugés que vous ne prenez même pas la peine de vérifier un truc aussi basique]

      Je commence à être fatigué de ce genre d’agression personnelle. Si vous pensez que je fais confiance à mes préjugés au point de commettre des erreurs basiques, je ne vois pas très bien quel intérêt vous trouvez dans ce débat. En tout cas, je ne répondrai plus à aucun commentaire préfacé par ce genre de remarque. "le silence n’est peut-être pas un très bon argument, mais il est le plus difficile à réfuter".

  18. adrien dit :

    > Bien sur que si. Le fait qu’on n’ait jamais observé de cygne doué de pensée formelle ne prouve pas qu’il n’en existe aucun qui soit doué, mais le suggère parfaitement…

    Si vous voulez. Mais vous savez pertinemment que cette « suggestion » n’a aucune valeur scientifique. Si c’est tout ce sur quoi vous vous basez pour affirmer que « La pensée conceptuelle se fait dans une langue "verbale" » (et encore : cette suggestion n’est que le résumé succint d’une lecture que vous avez faite « il y a maintenant de longes années » et dont vous n’avez pas de souvenirs assez précis pour le déveloper), vous m’accorderez de trouver ça très, très léger comme argument.

    Maintenant, vous avez dit que les travaux de Piaget n’était qu’un exemple de vos arguments pour étayer votre affirmation. Quels sont donc les autres ?

    > Et bien… je vous propose l’annuaire du téléphone version 1980. Peut-être qu’elle ne vous convaincra pas, mais vous ne pouvez pas dire que je n’ai rien proposé. Nous sommes donc quittes.

    Tout à fait. C’est un bon résumé de cette conversation, je pense : l’annuaire 1980 et de vagues souvenirs de lecture contre la Wikipédia et des articles scientifiques contemporains. Je n’irais pas jusqu’à dire que chacun a fourni des arguments convaincants pour défendre son point de vue, mais bien sûr je sais combien il peut être difficile de changer d’avis, et ce n’est peut-être que ça qui m’empêche de me rallier à vos vues éclairées.

    > Je commence à être fatigué de ce genre d’agression personnelle. Si vous pensez que je fais confiance à mes préjugés au point de commettre des erreurs basiques,

    C’est le contraire, Descartes : je vois que vous faîtes des erreurs basiques, comme d’affirmer que les chevaux ne voient pas les couleurs et de mettre en cause sur cette base incertaine des travaux de recherches qui montrent que les couleurs ne les gènent pas les chevaux pour établir des catégories (tiens, en relisant je m’apperçois que la capacité des chevaux à voir les couleurs n’a donc aucune importance ici) , et j’en conclus que vous vous faites trop confiance à vos préjugés — vos préconceptions, si vous préférez. Si c’est le mot de préjugé vous gène, je vous présente mes excuses, je ne l’ai pas choisi pour vous heurter.

    > je ne vois pas très bien quel intérêt vous trouvez dans ce débat.

    Eh bien, c’est que je pars du principe que vous avez des arguments… Mais je m’avoue déçu de voir que vous vous dérobez.

    > En tout cas, je ne répondrai plus à aucun commentaire préfacé par ce genre de remarque. "le silence n’est peut-être pas un très bon argument, mais il est le plus difficile à réfuter".

    Ça vous en laisse un paquet d’autres si vous vous sentez…

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