Le succès incontestable (et incontesté) de la manifestation sur les retraites du 7 septembre met une fois de plus la gauche au pied du mur. Et maintenant, qu’est ce qu’on fait ? Entre les propositions irréalistes style “grève générale réconductible” et la crainte d’un enlisement dans des actions périodiques qui finissent par s’essouffler sans provoquer de véritable révision de la politique gouvernementale, la voie est étroite et les choix limités.
Le véritable problème, c’est que la victoire dans la rue ne cache que partiellement une défaite idéologique. Il faut regarder les choses en face: l’argumentaire du gouvernement a porté. Une assez large majorité des salariés admet que l’extension de l’espérance de vie pose un problème de financement, et qu’on ne s’en sortira pas sans une prolongation de la période d’activité. A partir de là, la protestation, pour être massive, n’en est pas moins un baroud d’honneur, un refus “animal” de mesures dont on admet rationnellement la nécessité. Dans ce contexte, on peut dire que l’essence de la réforme a été admise par le corps social. Sur le plan politique, l’affaire est pliée.
On n’a pas assez souligné cet étrange paradoxe. La réforme du régime de retraites est une loi éminemment politique, et devrait donc faire l’objet d’un débat dans lequel les partis politiques devraient avoir le premier rôle. Or, ce n’est pas les partis politiques, mais les syndicats, qui dirigent la mobilisation. Ce sont les syndicats, et non les partis politiques, qui discutent avec le gouvernement. La raison est simple: sur la question des retraites, les partis politiques sont inaudibles. En dehors du discours figé de l’antisarkozysme primaire, les propositions alternatives sont indigentes: entre ceux qui – vieille tradition de l’extrême gauche – nient purement et simplement l’existence du problème, ceux qui entonnent le vieux refrain “les riches peuvent payer” et ceux qui demain promettent de raser gratis en oubliant combien la réforme Jospin et le Livre Blanc de Rocard ressemblent aux propositions du gouvernement, il est difficile de prendre cela au sérieux. Et dans la mesure où les partis de gauche se sont réfugiés dans la tour d’ivoire des principes et déserté le terrain du réel, celui-ci ne peut être occupé que par le syndical.
Or, le syndical et le politique ne sont pas interchangeables. Là où le politique est mandaté par l’électeur pour prendre en compte les problèmes de manière globale, le dirigeant syndical n’a qu’un seul mandat: la “défense des intérêts matériels et moraux” des salariés. Là où la logique du politique est celle du principe, la logique syndicale est toujours de trouver le meilleur compromis possible. Alors que les partis politiques exigent haut et fort le retrait du projet de loi sur les retraites, ce n’est pas un hasard si la manifestation du 7 septembre a été convoquée sur des mots d’ordre bien plus modérés. Les principaux syndicats, CGT et CFDT en tête, n’ont pas demandé à la rue un mandat pour exiger le retrait, mais pour négocier un compromis en position de force. Les forces politiques ou syndicales demandant le retrait pur et simple du projet apparaissent aujourd’hui isolées, et avec un faible potentiel de mobilisation.
Tout cela prépare des lendemains qui déchantent. On n’est pas dans la situation de 1995. A ce moment-là, le gouvernement Juppé avait voulu passer en force. Sa défaite a d’abord été une défaite idéologique: le corps social n’a à aucun moment admis que la réforme était nécessaire pour résoudre un problème réel. Elle était apparu au contraire comme une attaque idéologique des régimes spéciaux sans véritable justification. Le cas est totalement différent aujourd’hui: le gouvernement a défendu une argumentation rationnelle et bien construite, que la gauche n’a pas pu ou pas voulu dé-construire, préférant attaquer le gouvernement et le président plutôt que leur argumentation. L’antisarkozysme primaire a empêché une bonne partie de la gauche d’analyser correctement la situation et voir d’où venait le véritable danger. Maintenant, il est un peu tard pour pleurer.
Mais pas trop tard pour tirer quelques leçons. La première est que non seulement “l’antisarkozysme n’est pas un politique”, mais qu’il empêche souvent de définir rationnellement une politique. La seconde, c’est qu’on a tort de négliger la bataille des idées, qui à gauche passe au second plan devant les questions sur les alliances ou le choc des egos et des intérêts électoraux. Un projet, un programme, ce n’est pas une corvée qu’on s’impose parce qu’il faut bien qu’un candidat ait quelque chose à distribuer avant l’élection. C’est au contraire le travail sur le projet politique qui donnera les instruments de l’hégémonie idéologique dont parlait Gramsci, condition nécessaire de toute victoire politique véritable.
“Le véritable problème, c’est que la victoire dans la rue ne cache que partiellement une défaite idéologique. Il faut regarder les choses en face: l’argumentaire du gouvernement a porté”.
Ah bon ? Pourtant tous les sondages montrent que les Français trouvent la réforme des retraites injuste. Et vous, vous pensez qu’il faut reculer l’âge de départ à la retraite ? Qu’il faut augmenter
le nombre de trimestres de cotisation ? Comment faire alors, sachant qu’après 55 ans il y a un fort taux de chômage ?
Faut-il contraindre les employeurs à garder leurs vieux travailleurs ? Je ne crois pas que le MEDEF sera d’accord.
Le message de la droite n’est pas que la réforme proposée est “juste”, mais que la réforme est nécessaire. Et dans la mesure où la seule réforme crédible aujourd’hui est celle proposée par la
droite (essentiellement parce que la gauche s’ingénie à nier que les problèmes existent, une mauvaise base pour proposer des solutions), on retrouve une majorité de français pour adhérer à cette
idée.
Quant à ce que moi je proposerais… je dirais que cela dépend de ce qu’on veut. Si la durée de vie augmente, et que l’on continue à travailler la même durée, cela veut dire que soit on consacre
les gains de productivité à compenser l’allongement de la durée de vie (et alors le niveau de vie des actifs stagnera). On a donc le choix entre mieux vivre sa jeunesse ou mieux vivre sa
vieillesse. A chacun de choisir. Certains préfereront travailler plus longtemps (c’est mon cas), d’autres préféreront vivre plus chichement lorsqu’ils sont jeunes pour avoir la retraite plus tôt.
Pas facile de définir un régime uniforme.
je te trouve décidément bien meilleur dans “ton jus” qu’en opposition.
je te suggère donc d’initier des sujets sur le forum.
(100 % d’accord avec cette analyse du politique des retraites : la redistribution, il me semble que Friot, bien que le posant en chiffre simple le défend pas si mal)
J’hésite à initier des sujets parce que je ne suis pas sur que ce qui m’intéresse intéressera les autres. L’avantage quand tu réagis, c’est que tu es sur que le sujet intéressera quelqu’un: son
auteur original!
En tout cas, si tu veux recopier certains de textes de mon blog sur le forum, tu est libre de le faire à condition d’indiquer l’origine!
ok, j’allais te proposer de le faire, mais ok je peux le faire moi-même, evidemment avec nom d’auteur (techniquement, à ma connaissance se serait signé par moi, encore et toujours mon pseudo en
première ligne… ça m’agace un peu, faudrait vraiment d’autres gens pour nourrir le débat ; après avoir twitté un max je sais plus comment m’y prendre)
Il faut laisser du temps au temps, Annie. Un forum ne s’établit pas du jour au lendemain. Il faut tenir bon pendant quelques mois, en essayant de toucher des sujets variés et en mettant le lien
dans le plus de blogs et forums possibles…
Bonjour,
ta première réponse aux commentaires semble indiquer que tu te rallierais à la proposition développée notamment par Thomas Picketty, les comptes notionnels, vulgairement appelés “retraite par
points”. Le débat sur les retraites a été extrêmement mal expliqué par des gens tous très dogmatiques et j’ai dû aller chercher des informations assez pointues sur les blogs de vrais experts
(économistes notamment). Tous se ralliaient aux mêmes propositions que toi. “Redistribuer les gains de productivité”, sur le papier c’est séduisant mais un brin flou.
La bonne nouvelle, c’est que le gouvernement a soi-disant lancé un os à ronger aux syndicats en toute fin de mouvement en promettant l’ouverture des négociations sur ces fameux comptes notionnels,
précipitant sa fin (la CFDT revendiquait cette réforme de longue date). Cette annonce passée inaperçue est donc beaucoup plus importante qu’il n’y paraît, car la loi passée par Sarko n’aura en fait
qu’un impact très limité puisque renégociable (et sera renégociée) en permanence.
La mauvaise nouvelle, c’est que ces comptes notionnels sont également annoncés comme très compliqués politiquement à mettre en place, en bonne partie à cause du morcellement du système en régimes
spéciaux multiples, et si cette réforme est en plus initiée par le très populaire Sarko avec sa manière habituelle de discuter avec les syndicats on peut redouter que son avenir ne soit pas
garanti… En tout cas beaucoup moins que celui de nos retraites.
Je ne vois pas très bien lequel de mes commentaires peut te donner l’impression que je me range au système des “comptes notionnels”. Ce n’est pas le cas. Justement, je refuse le “fétichisme du
système” qui considère que tout se joue au niveau de la mécanique de financement et de calcul des retraites. Ma position est au contraire de commencer par un raisonnement macroéconomique sur le
partage de la valeur produite et des gains de productivité sur les différents âges de la vie. Une fois qu’on se sera mis d’accord sur ce partage, il y a ensuite plusieurs “mécaniques” possibles
pour le mettre en oeuvre. Les “comptes notionnels” peuvent en être un…
Eh bien lorsque tu estimes que chacun puisse avoir le choix de la retraite qui lui convient le mieux, dans le cadre d’un régime par répartition, c’est précisément l’objectif des comptes
notionnels.
Après, les calculs macroéconomiques, comme je disais, c’est flou. Aller chercher une supposée masse d’argent cachée relève, pour moi, de l’utopie, et une utopie d’autant plus forte que si cet
argent existait, chacun en voudrait sa part du gâteau, pas seulement les retraités, mais aussi les services publics, les salariés, etc… N’oublions pas que l’économie est la science de
l’allocation de ressources limitées à des besoins illimités.
Mais si tu m’en dis plus sur ta façon comptable de voir les choses, je t’écouterai volontiers.
J’oubliais: pour me présenter, je suis centriste, ex-MoDem.
Bien à toi.
Permettre le choix de la retraite est peut-être l’objectif des comptes notionnels, mais cela ne veut pas dire que les comptes notionnels soient le seul moyen d’atteindre
l’objectif. On peut partager un objectif sans nécessairement partager les moyens…
Le calcul macroéconomique n’a rien de “flou”. Et je ne crois jamais avoir parlé d’une “masse d’argent caché”, puisque je partage ton idée qu’une telle masse n’existe pas. Il existe une masse de
richesse disponible, oui, et c’est celle des revenus du capital que la taxation touche de moins en moins depuis trente ans. Mais les masses qu’on peut dégager par ce moyen ne sont pas suffisament
importantes pour que tout le monde puisse vivre dans l’abondance. C’est pourquoi j’insistais sur le fait qu’il s’agit d’abord de décider le type de partage de la valeur ajoutée que l’on veut
entre les différents âges de la vie…