Un homme politique qui n’aura occupé que quelques rares postes politiques de premier plan: il n’aura été ministre qu’une fois, pendant deux ans. Il aura présidé de l’Assemblée nationale pendant quatre ans, même pas le temps d’une législature. Il aura échoué bien plus souvent qu’il n’a triomphé. Et pourtant… sa mort aura suscité des expressions d’émotion même chez des gens qui ne partageaient pas ses idées. Il aura des funérailles d’habitude réservées aux plus grands. Pourquoi ?
Parce que Philippe Séguin, c’était notre surmoi républicain. Fils d’une mère institutrice et d’un père mort pour la France , pupille de la Nation, il est l’exemple d’une promotion sociale réussie grâce à la méritocratie républicaine: de l’école normale d’instituteurs, passant par l’IEP d’Aix en Provence (où il passe un diplôme en histoire) puis l’Ecole Nationale d’Administration lui ouvrent la voie à une carrière de serviteur de l’Etat qui ne se démentira pas. Philippe Séguin n’ira pas “pantoufler” dans le privé, il ne vendra jamais son carnet d’adresses. Lorsque il décide de quitter la politique, il n’ira pas roupiller dans un cabinet d’avocats pour arrondir ses fins de mois. Il réintégrera la Cours des Comptes (où il avait commencé sa carrière) où il fera un remarquable travail de modernisation.
Chez lui dans la haute fonction publique, Philippe Séguin était un étranger dans un monde de politiciens professionnels. Un homme qui songeait à l’Etat alors qu’autour de lui on ne songeait qu’à sa carrière. Un homme à qui les appareils ne pouvaient faire confiance, parce qu’on ne “tient” pas un homme qui est prêt à sacrifier son avenir politique sur un coup de tête. Quelle pression peut-on exercer sur un homme capable de prendre la tête du “non” à Maastricht (et avec quel talent !) tout simplement parce que c’était sa conviction, sachant très bien qu’un tel acte lui barrait définitivement – car les eurolâtres ne pardonnent pas – l’accès aux plus hautes fonctions ?
Philippe Séguin fait partie de la cohorte des personnalités atypiques comme Jean-Pierre Chèvenement (1), capables d’une réflexion personnelle qui n’est pas bornée par le besoin de faire du “politiquement correct”, de plaire à tout le monde ou de se situer du “bon côté” de la division droite-gauche. Des personnalités qui, comme celle de son idole Charles de Gaulle, ne donnent toute leur mesure que dans des situations de crise, quand le pays cherche des vrais dirigeants et non des simples politicards. Comme pour Chèvenement, Séguin n’aura pas connu la crise qui aurait pu lui permettre de donner sa mesure dans les premiers rôles. Il restera plus un inspirateur de l’ombre qu’un homme d’Etat.
L’influence de Philippe Séguin est sans rapport avec les fonctions qu’il a occupées. La raison en est double: d’une part, il était un esprit indépendant, l’un des rares hommes politiques de son temps capable d’avoir une réflexion personnelle allant au délà des questions tactiques. D’autre part, il savait former ses collaborateurs, et ils sont nombreux ceux qui ont travaillé avec lui et qui en gardent la marque. L’émotion dans la voix d’un Henri Guaino et les larmes de François Fillon, c’est certainement le meilleur hommage qu’on puisse lui rendre.
(1) Chèvenement est d’ailleurs l’un des rares hommes catalogués “à gauche” qui rend à Philippe Séguin un hommage qui échappe aux condoléances de rigueur: “C’était un homme politique de grand talent, un orateur hors pair, un républicain et un patriote”.
Pour ma part, il m’aura permis de prendre conscience, alors que je me suis toujours considéré comme un homme de “gôche”, et de par le profond respect qu’il m’inspirait bien avant son décès, que le
vrai-faux clivage droite-gauche (que vous dénoncez ici même fréquemment) n’est que de la poudre de perlinpin face aux véritables valeurs républicaines qu’il incarnait si bien.
Son décès pourrait avoir ainsi un sens, s’il permettait une prise de conscience plus large.
Mais qui pour prendre le relais ?
Je pense que la carrière de Philippe Séguin (comme celle de Jean-Pierre Chèvenement) a mis en évidence que le clivage “droite-gauche” est aujourd’hui bien moins signifiant en termes politiques que
le clivage jacobins-girondins. La preuve: il est plus facile pour un président “de droite” d’ouvrir son gouvernement à des ministres “de gauche” (et réciproquement, n’oublions pas Duraffour,
Soissons et compagnie), que de l’ouvrir à des ministres ayant manifesté clairement leur méfiance envers l’eurolâtrie ou le système des notabilités locales.
La mort de Séguin met en évidence un autre clivage: celui qui existe entre les “intellectuels de la politique” et les “clones de la politique”, tous ces tristes sires qui sont passés des magouilles
du syndicalisme lycéen aux magouilles du syndicalisme étudiant, puis à un poste dans un parti politique (souvent avec un sière d’élu local à la clé) sans jamais avoir produit une seule idée, une
seule pensée originale. Les Valls, les Peillon, les Montebourg (et à droite les Mancel, les Copé…), aujourd’hui avec Jospin, demain avec Ségolène ou mis à leur propre compte. Des professionnels
de la politique pour lesquels l n’y a pas de honte à changer de crémerie pas plus qu’il n’y aurait pour un cadre de la Société Générale d’aller demain travailler pour la BNP. D’un côté, celui des
Chèvenement et Séguin, l’intelligence au service de l’Etat, de l’autre l’intellingence au service d’une carrière…
Seguin me semble incarner l’impuissance et le renoncement de la droite gaulliste….
Je ne le pense pas. Son travail à la tête de la Cour des Comptes aura certainement été plus “puissant” que tous les discours de Besancenot et de Buffet réunis. Et je ne pense pas qu’on puisse lui
reprocher d’avoir “rénoncé” à quoi que ce soit, si ce n’est à poursuivre une carrière politique. Le fait qu’il ait choisi de renoncer à faire de la politique pour retourner à l’action
administrative devrait nous alerter sur les possibilités d’agir que notre système politique donne à ceux qui ne sont pas dans un certain conformisme.
son travail a la cour des comptes symbolise cette impuissance… Juste un peu plus de bruit médiatique…
la nomination de D. Migaud semble confirmer mon analyse… Sarkozy n’est pas maso…
Non, mais peut-être qu’il est plus intelligent que vous ne le pensez. Contrairement à ce que pensent les gauchistes, le président a intérêt à être entouré d’institutions méritant la confiance
pulbique. Un président de la cour des comptes indépendant présente le risque de découvrir quelques scandales, mais présente aussi l’avantage que sa parole a du poids: lorsqu’il certifie les
comptes, cette certification a une valeur.
Pas gauchiste, je suis républicain, mais dans le sens jaurèssien du terme…
Vous trouverez ma réponse sur mon blog, elle date du jour d la nomination de Migaud.
Pour vous éviter cette épreuve, je disais en substance que c’est un beau coup politique de Sarkozy, d’une part il fait preuve d’ouverture, de non sectarisme, d’autre part il donne un hochet à une
personnalité qui lui causait des soucis et qui était incontrôlable en qualité de président de la commission des finances de l’assemblé nationale.
Pour le reste, un bruit médiatique en chasse un autre… Les sorties de Seguin, même les plus pertinentes, étaient vite éclipsées… Gageons que celles de Migaud le seront également ! Sarkozy est
un expert pris créer un événement. Il faut dire qu’il a quelques amis influents dans le secteur de la communication…
Je crois que tu sous-estimes l’influence du premier président de la Cour des Comptes. En dehors de l’aspect médiatique, les “sorties” du premier président ont une influence importante sur le
fonctionnement de l’administration publique. Il faut arrêter de croire que tout se joue sur les plateaux de télévision. Il se passe plein de choses dans les couloirs des ministères qui ont une
influence non négligéable dans la manière dont on est gouvernés.