Hold-ups, arnaques et trahisons… et primaires ?

“Holds-ups, arnaques et trahisons” sera certainement le livre de la rentrée. Un succès qui ne peut que nous étonner, puisque après tout, rien de ce que dit ce livre n’est vraiment nouveau.

Cela fait des années que l’on sait que les scrutins internes au PS sont magouillés (1). Les méthodes pour falsifier le scrutin ont été dix fois décrits dans diverses publications. De l’achat de cartes (2) au tripatouillage sans vergogne des procès verbaux, toutes le méthodes ont été employées et dûment documentées. La meilleure preuve de ces méthodes est la manière dont les fédérations suivent comme un seul homme leurs “patrons”. Chaque fois que le “patron” change d’alliance, les électeurs de sa fédération ont le bon goût de changer leurs votes…

Il faut d’ailleurs remarquer la prudence de la réaction des leaders du PS. Même Ségolène, a qui le livre offre sur un plateau le rôle de victime dans laquelle elle excelle médiatiquement, hésite à nous faire son numéro. Pas la peine de chercher bien loin les raisons de cette timidité: le fait est que tous les socialistes sont dans le même bateau. Si Ségolène sort le flingue sur le mode “on m’a volé la victoire”, elle risque de voir certains ressortir de vieilles affaires autour des “primaires” socialistes de 2007. A l’époque, les fédérations socialistes tenues par des “patrons” ségolénistes (comme les Bouches-du-Rhone, le fief de l’inénarrable Menucci, dont la réputation d’honneteté en matière électorale n’est plus à faire) avaient voté un peu trop unanimement pour la Madone des Sondages. Et Ségolène a bien compris que lorsqu’on habite une maison de verre, il est fort imprudent de lancer des pierres.

Alors, pourquoi maintenant ? Pourquoi ce qui finalement fait partie du folklore du PS devient tout à coup une “affaire” digne de faire la “une” des journaux ? A cela, deux explications. Une qui tient au calendrier politique, et une autre qui tient au mode de légitimation des dirigeants politiques aujourd’hui.

La question du calendrier politique est évidente. Martine Aubry est sortie de l’université d’été du PS renforcée. Elle apparaissait de plus en plus comme la véritable “patronne”, alors que ses deux principaux concurrents sont en panne dans les sondages, et ont (pour des raisons différentes) de plus en plus de mal à occuper un espace politique. Le réflexe naturel des “barons” du PS étant de chercher à affaiblir tout leader qui pourrait leur faire de l’ombre, le tir d’un missile ne pouvait qu’être imminent. Les indiscrétions contenues dans le livre viennent de l’intérieur de l’appareil du PS, c’est à dire, de personnages qui savent très bien l’effet qu’aurait la publication de leurs confidences.

Mais l’attaque ne serait pas aussi dévastatrice si les partis politiques n’avaient changé au cours des dernières années le mode de légitimation de leurs dirigeants. Un Marchais ou un Mitterrand (et encore plus un Guesde ou un Jaurès) ne sont jamais allés chercher leur légitimité de dirigeants dans le vote directe des militants. Le dirigeant était avant tout porteur d’une ligne politique qui lui était personnelle, et les militants manifestaient leur opinion en adhérant ou en “rendant leur carte”. Ce sont les appareils des partis qui jouait un rôle de médiateur: si trop de militants “rendaient leur carte”, l’appareil en tirait les conclusions et préparait la succession. En d’autres termes, c’était le dirigeant qui proposait et le militant qui disposait.

La transformation des partis de militants en partis d’élus a bouleversé la donne. La fragmentation des appareils en baronnies ou chaque baron local utilise l’appareil pour soutenir ses propres intérêts a réduit la capacité des dirigeants nationaux à porter une véritable ligne politique. Aujourd’hui, les dirigeants des partis de gauche se placent non plus dans une fonction de proposer une ligne aux militants, mais au contraire dans une fonction d’écoute: au militant – pire, au citoyen – de proposer, au dirigeant de suivre. Du coup, le dirigeant ne retire plus sa légitimité de ses idées ou de ses combats personnels, mais de l’onction du vote des militants (3). La saga de Ségolène est l’aboutissement de cette transformation. Elle nous montre qu’une personne aux idées vagues, aux combats ponctuels, qui n’a laissé en trente ans de vie politique aucune marque dans l’histoire, peut acquérir une légitimité par la seule grâce des sondages et du vote des militants.

Le vote des militants, qui dans le passé était une formalité cérémonielle, est devenu un acte de légitimation essentiel. Cette transformation, que certains voient comme positive, est en fait une régression: elle témoigne de l’affaiblissement de notre confiance dans les institutions, qui nous amène à refuser toute médiation institutionnelle entre la base et le dirigeant. Il ne faut pas alors s’étonner que la fraude, qui était un élément du folklore socialiste, apparaisse tout à coup scandaleuse, puisqu’elle touche a la seule source de légitimité qui nous reste. Si Martine Aubry était respectée pour sa “vision”, si elle retirait sa légitimité de sa puissance intellectuelle, alors le fait d’avoir été mal élue serait un épiphénomène. Mais l’élection est aujourd’hui la seule source de sa légitimité. Enlevez-lui celle-là, et il ne restera qu’une coquille vide.

Il faut comprendre que la légitimité électorale, contrairement à celle qui résulte d’un parcours intellectuel et politique, est par essence fragile. Un homme d’Etat l’est d’abord par la puissance de sa réflexion et par sa vision. Pierre Mendes-France n’aurait jamais été la conscience morale de la gauche s’il avait été forcé d’aller chercher sa légitimité dans les urnes, et Jean-Pierre Chèvenement exerce une magistrature qu’il n’aurait vraisemblablement jamais réussi à valider dans un vote des militants. Mais dans le désert intellectuel qu’est aujourd’hui la gauche, pas un seul dirigeant qui puisse se prévaloir d’une légitimité personnelle. Pour ceux qui pensent que les primaires sont la solution aux problèmes de leadership de la gauche, cette affaire devrait sonner comme un avertissement.

Descartes

(1) Et pas qu’au PS. Les “consultations des adhérents” organisées au PCF sont entachées des mêmes manoeuvres. Il faut dire que l’absence de listes électorales à jour et le flou des procédures ne contribuent pas à la transparence…

(2) Manoeuvre consistant à faire des adhésions fictives juste avant un scrutin, et de payer la cotisation des adhérents fictifs. Les cotisations au PS étant calculées sur le revenu, ce n’est pas trop cher du vote. Il suffit que l’adhérent fictif déclare des revenus tout aussi fictifs faibles.

(3) On remarquera que les différents partis de gauche ont tendance, depuis les années 1990, a adopter le vote direct des militants pour le choix de leurs dirigeants ou de leurs candidats aux élections. L’évolution des statuts du PCF depuis 1995 et la pratique des périodes Hue-Buffet est de ce point de vue là éclairante.

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