Patrice Bessac et les nouveaux lendemains qui chantent

Quand on se promène avec les yeux ouverts, on prend des risques. Celui, par exemple, de tomber sur un article de Patrice Bessac. Un risque mineur, me direz vous: après tout, le charmant Patrice a demontré depuis longtemps disposer des qualités intellectuelles indispensables pour devenir un haut dirigeant du PCF dans l’ère post-moderne: une main de fer derrière une apparente gentillesse (1), une absence totale de scrupules, et plus important que tout, une grande sensibilité aux causes qui motivent le bobo parisien, et un amateurisme sans complexe dans le domaine intellectuel.

 

Mais la tribune défendant la légalisation des drogues publiée par Patrice Bessac dans l’Humanité, qui tient à souligner que son illustre l’auteur est “porte parole du PCF chargé de la formation et du projet”,  dépasse toutes les bornes pour arriver à un niveau de n’importe quoi rarement atteint par un dirigeant du PCF. A elle seule l’introduction de la tribune illustre ce relâchement intellectuel. Bessac commence par nous dire “à mes yeux, et les propos qui suivent n’engagent que moi et ne reflètent l’opinion d’aucune instance de mon parti, le problème est relativement simple (…)” pour conclure ensuite sa démonstration par ces mâles paroles: “(…) après tout, je ne suis pas un professionnel de ces questions”. Mais alors, si Bessac n’est pas un “professionnel de ces questions” et ne s’exprime pas au nom du PCF, quelle légitimité a-t-il pour aborder la question ? S’il n’a ni mandat ni expertise, en quoi son avis “personnel” est-il plus intéressant que celui de ma concierge ?

 

Et lorsqu’on lit le texte, on ne peut qu’être d’accord avec Bessac. Il n’est certainement pas un “professionnel de ces questions”. Pas même un amateur éclairé. En fait, il n’y connaît rien: si ce n’était pas le cas, il hésiterait à qualifier de “relativement simple” une question parmi les plus complexes en matière de politique pénale et de santé publique. En fait, Bessac enfile avec son amateurisme habituel des arguments comme d’autres enfilent des perles sans même voir que son raisonnement est contradictoire.

 

Ainsi, le texte nous revèle que Bessac se prononce sans équivoque pour la légalisation. De toutes les drogues, sans exception, comme si la question du cannabis et celle de l’héroine, du LSD et de l’Ecstasy pouvaient être traitées d’un coup et avec le même raisonnement. Quel est son argument ? Et bien, que malgré toutes les prohibitions, malgré la repression, la consommation et les traffics (avec la violence qui les accompagne) augmente. Il en déduit que les politiques repressives ont échoué, et qu’il est donc inutile de continuer. La légalisation aurait alors l’avantage “rendre peu compétitive la vente illégale” et donc de faire disparaître les maffias. Et l’argent utilisé aujourd’hui pour la repression peut être investi dans des politiques de prévention de la toxicomanie.

 

Posé ainsi, le cas semble seduisant… et pourtant. Arrêtons nous sur le premier argument de Bessac: l’augmentation des traffics et de la consommation de drogues prouveraient que “la représsion a échoué”. Mais Bessac est convaincu au contraire que la repression réduit l’offre et la consommation de drogues: s’il affirme que la légalisation “rendrait la vente illégale pas compétitive”, c’est donc qu’il pense que la légalisation ferait baisser fortement les prix. Vu que la légalisation ne fera pas baisser la demande – plutôt le contraire – il admet donc que la légalisation augmentera l’offre. Ce qui revient à admettre que la politique repressive a un effet important de réduction de l’offre… et donc sur la consommation. QED.

 

L’efficacité d’une politique ne peut se juger dans l’absolu, mais seulement en comparant avec ce que la situation serait si la politique en question était différente. Le fait qu’il y ait dans notre société de temps de temps un meurtre n’implique pas que la politique de repression du meurtre ait “echoué”, et moins encore qu’il faille le légaliser. Et c’est là la deuxème faiblesse du raisonnement de Bessac: avec ce même raisonnement, il faudrait légaliser le commerce des armes, la violence contre les personnes, le traffic d’êtres humains, la vente de produits dangereux. Après tout, malgré les politiques représsives, ce genre d’actes et de traffics se multiplient. N’est ce pas le signe que la repression a “échoué”, et qu’il faut “passer à autre chose” ?

 

Mais c’est peut-être à la fin du texte que se trouve l’affirmation la plus surprenante sous la plume d’un dirigeant communiste: “Ce que je sais, c’est que lorsque nous sortons de la question morale ou des débats fantasmés pour entrer dans les problématiques d’efficacité, nous commençons à être dans le vrai. La loi agit, et c’est sur son action que nous devons la juger. Pas seulement sur ses principes“.  Ainsi, nous nous approcherions du “vrai” (le pauvre Marx doit se retourner dans sa tombe) lorsque nous “sortons de la question morale” pour nous consacrer à “l’efficacité”. On pourrait croire que c’est de la part de Bessac du pur cynisme. Ce n’est pas le cas. Un vrai cynique (ou même un pragmatique) appellerait certainement à choisir la voie de l’efficacité. Mais sans prétendre que cette voie conduit à  “être dans le vrai”. L’expression de Bessac est au contraire l’expression d’un “faux cynisme”, un cynisme dans l’action qui prétend conserver les bénéfices de la supériorité morale de l’idéalisme. On privilégie l’efficacité sur la morale tout en étant “dans le vrai”.

 

A la fin de la lecture, reste une question lancinante: pourquoi diable Patrice Bessac s’est lancé dans cette “tribune” ridicule. Pourquoi parler d’un sujet sur lequel il n’a aucun mandat et sur lequel, en plus, il ne connaît rien ? Peut-être parce que dans les querelles bizantines de pouvoir à la tête du PCF, il faut exister. Et une manière d’exister est de lancer de temps en temps un pavé dans la mare médiatique en se démarquant, si possible, de son organisation. Bessac est peut-être aussi tenté de faire risette à son audience, et son audience, c’est l’extrême gauche boboïsée pour qui la légalisation du pétard est une vieille revendication.

 

Quoi qu’il en soit, le PCF devrait bien réflechir: est il prudent de confier le “projet” à un individu qui propose sans état d’âme la légalisation des paradis artificiels ? Est-ce là qu’on pense trouver les nouveaux lendemains qui chantent ?

 

 

Descartes

 

(1) Pour ceux qui en douteraient, il n’est pas inutile de rappeller comment Patrice, qui avait hebergé le collectif “Bellaciao” dans les locaux de la Fédération de Paris du PCF lorsque ce collectif jouait les rabatteurs pour la campagne électorale de Marie-George Buffet les a ejecté sans pitié lorsqu’ils se sont permis de critiquer sa gestion. Ou bien comment il a couvert la mise au pas des sections parisiennes contestataires avec des méthodes dignes des pires époques staliniennes (changement de serrures…).

 

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9 réponses à Patrice Bessac et les nouveaux lendemains qui chantent

  1. dudu87 dit :

    Bonjour,

    Putain, c’est pas vrai…Il en est arrivé là! Ils en sont là?
    Répugnant!!!
    Excuse mon langage…
    A+

    Voir mon commentaire dans l’Huma et j’ai été…calme

    • Descartes dit :

      J’ai lu ton commentaire. Et je ne suis pas d’accord. La gauche y compris communiste a trop longtemps abrité cette conviction absurde que tous les maux humains avaient pour origine l’injustice
      sociale. Ce n’est pas le cas: même dans un contexte de plein emploi il y aura toujours des individus qui, par appât du gain, se livreront à des activités criminelles. Que le chômage et les
      inégalités aggravent ces comportements, c’est un fait. Mais croire qu’il suffirait de construire une société juste pour que les hommes deviennent par art de magie honnêtes et dévoués au bien
      public, c’est de l’angelisme pur.

      Conclusion: la gauche doit formuler une politique pénale. On ne peut pas dire “inutile d’y réflechir, puisqu’avec notre politique de justice sociale on n’en aura pas besoin”. La repression est
      une fonction nécessaire dans toute organisation sociale. Il faut l’assumer.

  2. dudu87 dit :

    Ma devise est: “tout n’est pas tout noir ou tout blanc”
    Il y a souvent du gris clair ou du gris foncé.

    Pour ce qui nous intéresse, le chômage ou plus exactement le manque d’emploi est responsable au moins pour 50% dans la consommation de la drogue.

    Maintenant l’ être humain est capable du “pire et meilleur”. Donc le volet “répression” est nécessaire. Les moyens en effectifs et matériels doivent être à la hauteur de la tâche! Sans caméras!!!

    • Descartes dit :

      Pour ce qui nous intéresse, le chômage ou plus exactement le manque d’emploi est responsable au moins pour 50% dans la consommation de la drogue.

      Et d’ou sors tu ce chiffre ? Il n’y a que je sache aucune étude qui montre que les chômeurs se droguent plus que les autres. Arrêtons de plaquer nos idées sur la réalité, et regardons les faits.

  3. Poyo dit :

    Merveilleuse idée que légaliser toutes les drogues. Nous servir des psychotropes en guise de palliatifs.. Non la gauche est vraiment à l’ouest. La prochaine étape? Les maisons closes, on créera des
    emplois à proposer par Pôle Emploi aux chômeurs de l’industrie. Bah quoi, on veut une économie de service et du «bien être». Dans l’air du temps tout simplement.

  4. ubuntu dit :

    Pour la drogue et le chômage, y a les récents chiffres avec le tabac.

  5. Frédéric dit :

    Je consulte très régulièrement votre blog depuis peu, et si je ne suis pas en accord avec vous sur certains points de vos articles, je reconnais leurs pertinences.
    Je voulais savoir quelle était clairement votre ligne poltitique? Républicaine cela ne fait aucun doute, mais du genre “républicains de tous bords unissez vous”? Enfin, le fait de se focaliser sur
    2012 est peut être regrettable mais c’est le système politique qui veut cela, votre bulletin ira t-il pour Mélenchon?

    • Descartes dit :

      Pas facile de répondre à vos questions en quelques lignes… mais je vais essayer:

      Quelle est ma “ligne politique” ? Et bien, ma ligne serait de rechercher une synthèse entre ce qu’il y a de mieux dans la tradition républicaine et jacobine et les instruments d’analyse que nous
      donne l’économie politique et la philosophie marxiste. A partir de là, je refuse de faire de la frontière “droite/gauche” l’alpha et l’oméga de tout positionnement politique. Après tout, il y a
      eu pas mal de moments dans notre histoire où des jacobins de gauche et de droite ont coopéré et fait des grandes choses ensemble. Le “gaullo-communisme” en est peut-être le meilleur exemple. Je
      revindique de ce point de vue une politique pragmatique: si demain une alliance avec les gaullistes permettait de faire avancer les projets qui me tiennent à coeur, alors pourquoi pas. Je trouve
      ridicule de penser que les Républicains de gauche pourraient s’allier avec un deloriste mais pas avec un séguiniste simplement parce que le premier est classé “à gauche” et pas le second.

      Pour ce qui concerne 2012, je ne sais pas qui aura mon bulletin. Peut-être ira-t-il à Mélenchon, et peut-être pas. En tout cas, une chose je peux dire aujourd’hui: ma voix n’est acquise à
      personne inconditionnellement. Celui qui la veut devra me séduire et tenir compte de mes opinions. Je ne voterai pas pour quelqu’un dont je ne partage pas le projet simplement parce qu’il a un
      beau discours. Alors, si Mélenchon se présente avec un projet crédible et qui tienne compte d’un certain nombre de choses qui me tiennent à coeur, je voterai pour lui. Mais s’il se présente comme
      représentant d’une coalition gaucho-écolo-bobo et avec un projet à l’avenant, alors ce sera non.

       

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