Que nous apprend la scène de ménage PCF-PG

Les affaires ne s’arrangent pas au Front de Gauche. Après le vote des militants communistes parisiens qui ont approuvé à 57% la proposition de constituer une liste commune avec les socialistes, la tempête gronde. Au PG, les réactions sont violentes. On le sait, chez les gauchistes les chiens de l’anticommunisme ne dorment d’habitude que d’un œil, prompts à se réveiller à la moindre alerte. Et il suffit de lire les commentaires sur le blog de Jean-Luc Mélenchon pour voir à quel point ils sont maintenant réveillés. Comme le blog en question est fortement « modéré » pour supprimer tout commentaire qui ne serait pas dans la ligne, on peut supposer que ce déferlement est souhaité, sinon encouragé, par le taulier.

Il faut dire que le Petit Timonier y va lui aussi de son couplet. On retrouve d’ailleurs dans sa prose cette manière si personnelle d’adapter les faits pour qu’ils collent avec ses arguments. J’avais eu l’occasion de donner plusieurs fois sur ce blog des exemples de ce genre de manipulation, mais aucun n’était aussi flagrant que celui d’aujourd’hui. Après la déception qu’a constitué le vote des communistes de Paris en faveur d’une liste commune avec le PS, il réécrit l’état des forces sur son blog : « L’orientation de la fédération communiste de Paris, acquise à 90 % dans deux sections et cent soixante-dix pauvres voix d’avance, est en fait très minoritaire dans le PCF ». Comment le sait-il ? Voilà le raisonnement : « Au contraire, la ligne de l’autonomie est ultra majoritaire dans le peuple communiste du pays. La preuve en a été donnée en fin de semaine par le vote de Lyon où la ligne pro-socialiste perd et où le choix de l’autonomie l’emporte largement ».

Mais regardons les chiffres : à Paris, la ligne « pro-socialiste » fait avec 170 voix de plus que ses adversaires 57% des voix parmi les adhérents communistes. A Lyon, la ligne « de l’autonomie » fait 52% des voix seulement. On ne connaît pas les chiffres de participation, mais étant donné que Lyon ne compte que 250 communistes en état de voter (c'est-à-dire, à jour de leurs cotisations, voir l’Humanité du 24 octobre 2013), les 2% qui ont fait la différence représentent tout au plus… 5 voix. C’est drôle, non ? A Paris, 170 « pauvres » voix d’avance ne prouvent rien. A Lyon, 5 voix suffisent pour que « l’autonomie l’emporte largement », et faire la preuve que « la ligne d’autonomie est ultra majoritaire dans le peuple communiste du pays ». Curieux, n’est ce pas ?

En fait, Mélenchon et les siens ont tort de crier à la traîtrise. Vrai, ils proclament depuis des mois que le Front de Gauche doit faire partout des listes autonomes au premier tour. Mais ce n’est pas parce que le PG choisit une stratégie que celle-ci doit devenir celle du Front dans son ensemble. Les communistes ont toujours indiqué que leur analyse était différente, et qu’il était hors de question pour eux de choisir une stratégie unique au niveau national, ne serait-ce que parce que les statuts du PCF prévoient que ce sont les militants qui choisissent localement la stratégie pour les élections locales. On peut le regretter ou s’en réjouir, mais le fait est que le PCF a abandonné depuis longtemps le centralisme démocratique, et je souhaite beaucoup de bonheur à ceux qui aujourd’hui s’aviseraient de le rétablir…De ce point de vue, le PCF a pour lui au moins le mérite de la cohérence. On peut difficilement lui reprocher aujourd’hui un choix qu’il a annoncé depuis bien longtemps. Si Mélenchon et les siens n’ont pas voulu l’écouter, ce n’est pas leur faute. Mélenchon est d’ailleurs très incohérent dans cette affaire : alors qu’il tonne – au nom d’une « clarification » vis-à-vis de la politique du gouvernement Ayrault-Hollande – contre tous ceux qui acceptent des alliances de premier tour avec le PS, il se félicite au contraire que dans certaines contrées il y ait des alliances de premier tour entre le Front de Gauche et EELV. Il est vrai que certains dirigeants – et même certains ministres – écologistes ont critiqué la politique du gouvernement. Mais c’est aussi le cas de plusieurs dirigeants – et même de certains ministres – socialistes. Au nom de quoi Mélenchon juge que les protestations de Placé ou de Duflot lavent les péchés d’EELV, alors que les déclarations de Bartolone ou de Montebourg ne lavent pas ceux du PS ?

En fait, tout ce cirque est la conséquence d’une incapacité totale de la « gauche radicale » à élaborer une véritable analyse qui permette d’encadrer les rapports avec le parti socialiste dans une doctrine rationnelle qui puisse être expliquée à l’opinion. A défaut de faire ce travail, on ne peut que naviguer à vue, en fonction des nécessités tactiques du moment. Car il ne faut pas se voiler la face : n’en déplaise aux anarcho-syndicalistes toujours très présents dans la « vraie gauche », le PS existe, et il occupe une place dominante dans le spectre politique français en général et dans ce qu’on appelle « la gauche » en particulier. Dans la mesure où on n’est pas prêt à aller chercher des alliés ailleurs – et « ailleurs », c’est forcément à droite – on voit mal comment on pourrait trouver une majorité pour faire avancer un projet sans un modus vivendi avec le PS.

Dieu sait que je n’ai la moindre tendresse pour le parti socialiste. Mais je suis trop réaliste pour laisser mon antisocialisme obscurcir mon jugement. Dans un contexte qui n’est pas celui d’une révolution mais celui d’un processus démocratique et institutionnel, il faut pour pouvoir participer au pouvoir constituer des majorités. La question est donc comment y arriver. L’idée qu’on pourra constituer une telle majorité en s’adressant aux électeurs socialistes par-dessus la tête de leurs dirigeants et les gagner en quelque sorte à une politique « vraiment à gauche » est absurde. Dans un parti d’élus comme le PS, les dirigeants suivent leur électorat plus qu’ils ne le guident. Les dirigeants du PS sont « social-libéraux » parce que leurs électeurs sont « social-libéraux », et pas l’inverse. Bien sûr, les électeurs socialistes vous diront qu’ils veulent un « vrai changement ». Mais le « vrai changement » coûte cher, particulièrement aux classes moyennes. C’est pourquoi l’électorat socialiste est parfaitement content de rêver du changement avant les élections, mais devient conservateur après. Si les électeurs socialistes voulaient une « véritable politique de gauche », ils l’auraient déjà fait savoir en votant pour les candidats qui sont prêts à mettre en oeuvre ces politiques.

La « vraie gauche » ne veut pas comprendre une réalité qui est pourtant déterminante : elle est minoritaire. Et dans un contexte démocratique, un parti minoritaire ne peut espérer un gouvernement qui ferait à 100% sa politique. Participer à une majorité en rêvant qu’elle fera une « vraie politique de gauche » – c'est-à-dire, la sienne – conduit nécessairement aux déceptions. Ne pas y participer, c’est se condamner à se marginaliser du processus institutionnel et ne jouer qu’un rôle d’influence. C’est un choix parfaitement respectable, mais qu’il faut assumer pleinement. C’est sur ce choix que les rapports entre le PCF et le PG se tendent. Le PCF est héritier d’une longue tradition institutionnelle. C’est intimement un « parti de gouvernement », même s’il n’a gouverné vraiment que des collectivités locales. Le PG est, lui, héritier d’une tradition anti-institutionnelle qui plonge loin ses racines dans le gauchisme français. Le premier est habitué à agir sur le réel à partir de ses relais élus dans les communes, dans les départements, dans les régions, dans les assemblées et lorsqu’il en a l’opportunité, au gouvernement. Le second agit à travers le magistère de la parole d’un leader charismatique. Pour le PCF, la tactique électorale est déterminée par le souhait de conserver ses élus et éventuellement d’en gagner. Pour le PG, l’objectif tactique est d’avoir une tribune et d’y faire autant de bruit que possible. Que le PG ait réussi à attirer une grande partie des militants communistes dans une tactique de « autonomie conquérante » – puisque semble-t-il ce sera la configuration dans la plupart des communes lors des prochaines municipales – montre combien le PCF a dérivé par rapport à son modèle historique.

En fait, les deux tactiques sont rationnelles. A condition de les inscrire dans une stratégie qui soit en mesure de leur donner un sens. Et c’est là que les problèmes commencent. Le PCF doit une bonne partie de son affaiblissement à l’incapacité de définir une telle stratégie, incapacité qui tient au refus des directions successives d’assumer ce choix comme étant un choix tactique. Il est d’ailleurs étonnant de constater combien dans un parti qui se prétendait matérialiste l’idéalisme régnait au point de rendre impossible l’admission qu’on puisse agir en fonction de considérations tactiques. Cet idéalisme a abouti à créer des illusions qui ne pouvaient qu’être déçues. Un accord entre des organisations aux conceptions politiques aussi différentes que celles du PS et du PCF ne pouvaient aboutir, étant donné le rapport de force, qu’au résultat qu’on connaît : un bœuf de politique PS, et une alouette de politique PCF. L’erreur du PCF a été de ne pas annoncer à ses électeurs la couleur en leur annonçant qu’ils n’auraient que l’alouette, et rien de plus. Si le PCF avait expliqué dès le départ les limites de sa démarche, s’il avait martelé que ses accords avec le PS n’étaient pas le signe d’une convergence politique, mais un moyen de tourner les contraintes du scrutin majoritaire, les électeurs l’auraient compris. Mais le PCF a choisi de tenir un autre discours, celui d’une véritable convergence politique aboutissant à une « véritable politique de gauche ». On nous a fait le coup en 1974, en 1981, en 1997. C’était se moquer de l’intelligence des électeurs, et les électeurs ont fini par se lasser.

« L’autonomie conquérante » que propose Mélenchon n’est pas forcément une mauvaise tactique. Après tout, le FN la pratique depuis bientôt trente ans et cela lui a permis d’acquérir une véritable influence sur les politiques publiques. Mais cela ne marche que si le choix tactique s’inscrit dans une stratégie cohérente dans le temps. Et cela suppose de répondre à une question cruciale : que fait-on au deuxième tour ? Toutes les propositions « d’autonomie » ont buté sur cette question. Car si c’est pour voter inconditionnellement au deuxième tour pour la liste de gauche arrivée en tête, alors on comprend mal le sens de la démarche dans un système électoral qui pénalise les petites listes. Et si l’on ne vote pas inconditionnellement pour la liste arrivée en tête, qu’est ce qu’on fait ? Mélenchon est-il prêt à poser publiquement des conditions et à appeler ses électeurs à boycotter la liste socialiste – au risque de faire passer le candidat de droite, voire d’extrême droite – au deuxième tour si elles ne sont pas satisfaites ? S’il n’est pas prêt à le faire, alors la stratégie de « l’autonomie conquérante » ne peut aboutir qu’à un désastre. C'est-à-dire à un violent tête-à-queue entre les deux tours, avec un appel à voter le lendemain pour ceux qu’on honnissait la veille.

Le seul aspect positif de cette scène de ménage entre le PCF et le PG, c’est de montrer combien la question des rapports avec le PS devient la question stratégique essentielle à discuter dans les cénacles du Front de Gauche. Ce n’est pas une question qu’on peut régler avec des jérémiades – comme le fait Mélenchon – pas plus qu’on ne peut la régler en faisant semblant de ne pas voir le problème avec l’espoir que celui-ci finira par disparaître tout seul – comme le fait le PCF depuis plus de vingt ans. On ne la réglera pas non plus en rêvant que le Front de Gauche deviendra dominant à gauche et que le PS sera donc obligé de se désister pour lui – comme le soutiennent un certain nombre de groupuscules délirants. Si la « gauche radicale » veut avancer, le moment est venu de faire confiance à l’intelligence de ses électeurs. Mais peut-être préfère-t-elle les délices de la pureté révolutionnaire, cet autre nom de l'impuissance ?

Descartes

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11 réponses à Que nous apprend la scène de ménage PCF-PG

  1. CVT dit :

    Bonsoir Descartes,
    [On peut difficilement lui reprocher aujourd’hui un choix qu’il a annoncé depuis bien longtemps. Si Mélenchon et les siens n’ont pas voulu l’écouter, ce n’est pas leur faute.]
    Et pourtant, on ne pourra pas dire que Mélenchon n’aura pas été prévenu! Marc Dolez, co-fondateur du PG, a claqué la porte de son parti pour dénoncer l’anti-socialisme enragé de son ex-parti, qui risquait à terme de menacer son mandat. Si le message n’a pas été clair avec Dolez, je crois que c’est peine perdu avec les communistes…
    Et surtout, je pense le PG se moque du monde: si leur leader a pu se présenter comme SEUL candidat de la gauche radicale, ce n’est pas un hasard, car le pacte tacite était que si Mélenchon pouvait se présenter aux Présidentielles comme candidat à la fois du PG et de PCF, la contrepartie de ce hochet était la possibilité pour les caciques du PCF de conclure des alliances avec le PS, à qui la majorité des députés communistes devaient leur siège…
    Encore une fois, Mélenchon fait semblant de découvrir la lune, et je me pose une question: à quoi rime cette posture? Est-ce, comme la conclusion de votre poste le laisse entendre, un signe d’impuissance?

    • Descartes dit :

      @CVT

      [Encore une fois, Mélenchon fait semblant de découvrir la lune, et je me pose une question: à quoi rime cette posture?]

      Je vais vous exprimer un point de vue personnel, fondé plus sur ma connaissance du personnage et du milieu que sur des faits et preuves tangibles. Je pense que Mélenchon a compris que l’appareil du PCF n’acceptera jamais – et à mon avis il a raison – de voir le Front de Gauche devenir un parti politique. Et si le PCF a laissé Mélenchon faire joujou aux présidentielles, élections qui n’intéressent pas particulièrement les "notables", il n’est pas prêt à lui confier les manettes du Front de Gauche pour l’ensemble des élections, et notamment les élections locales. Mélenchon, leader d’un petit parti, sait qu’il doit capitaliser le plus vite possible sur son résultat présidentiel et son statut précaire de porte-parole auto-désigné du Front de Gauche.

      Or, Mélenchon sait qu’il y a chez les militants du PCF une tradition anarcho-syndicaliste assez forte, toujours disponible pour entendre les discours de rupture genre "blanc bonnet et bonnet blanc". Mélenchon joue donc un jeu à deux bandes: en se posant en partisan d’un jusqu’au boutisme électoral il cherche à séduire une partie des militants et électeurs communistes pour faire pression sur la direction du PCF, et si cela ne marche pas les attirer vers un Front de Gauche sans le PCF qui deviendrait finalement le "die Linke" à la française qui est l’objectif ultime de Mélenchon. C’est la nouvelle version du "je veux montrer que deux millions d’électeurs communistes peuvent voter socialiste" de Mitterrand, ce Mitterrand qui, ne l’oublions pas, reste pour Mélenchon le modèle indépassable.

      Est-ce qu’une telle stratégie peut marcher ? Je ne sais pas. Le PCF est trop atomisé pour pouvoir prévoir ce que sera la réaction des militants à ce type de manœuvre. Il est clair qu’à Paris les directions ont encore assez de légitimité, sont assez représentatives pour guider le vote des militants. Est-ce que c’est le cas dans le reste de la France ? Je ne saurais pas le dire.

      Mélenchon

  2. stu dit :

    Juste quelques remarques sur la forme :
    – [Il est d’ailleurs étonnant de constater combien dans un parti qui se prétendait matérialiste l’idéalisme régnait au point de rendre impossible l’admission qu’on puisse agir en fonction de considérations tactiques]
    Cette phrase serait plus claire avec une virgule après "matérialiste".
    – "pêchés" -> péchés
    – "Bien sur" -> "Bien sûr"

  3. stu dit :

    P.S. Quelque fois tu ne mets pas d’espace entre le dernier mot d’une phrase et un point d’exclamation. L’usage en France est d’en mettre un. Sans vouloir passer pour un maniaque de l’orthotypographie, en réalité c’est un demi-espace (espace insécable) qu’il faut mettre. Cependant, ce caractère n’est pas très accessible sur nos claviers. Aussi au Québec, il ne mettent pas d’espace. Ils font comme les anglo-saxons.

  4. samuel dit :

    Votre manière de voir est très intéressante mais j’ai l’impression qu’il manque un élément : à vous lire le PS fait ce que veut l’électorat PS, et les autres partis font ce que veut leur électorat…, si bien que finalement la politique des dirigeants est le reflet fidèle de la volonté générale… J’ai l’impression qu’il y a une distance entre les 2. D’une part cela peut s’expliquer par les modes de scrutins par lesquels seule une partie de la population gouverne. Mais d’autre part, je pense que cela s’explique aussi par le fait que ce que font les partis, en particulier le PS, n’est même pas tant en phase que cela avec leur électorat. Je suis sûr que si on faisait un sondage de l’électorat PS sur nombre de questions, leurs opinions seraient différentes de celle des cadres technocrates socio-liberaux du PS à la Jacques Delors…

    • Descartes dit :

      @Samuel

      [Votre manière de voir est très intéressante mais j’ai l’impression qu’il manque un élément : à vous lire le PS fait ce que veut l’électorat PS, et les autres partis font ce que veut leur électorat…, si bien que finalement la politique des dirigeants est le reflet fidèle de la volonté générale…]

      N’exagérons rien : la volonté des électeurs du PS – ou de tout autre électorat d’ailleurs – n’est pas la « volonté générale ». Nulle catégorie, nulle « communauté » peut prétendre à elle seule à représenter la « volonté générale ».La « volonté générale » est quelque chose de beaucoup plus complexe que cela.

      [J’ai l’impression qu’il y a une distance entre les 2. D’une part cela peut s’expliquer par les modes de scrutins par lesquels seule une partie de la population gouverne.]

      Je ne comprends pas très bien ce « une seule partie de la population gouverne ». C’est l’ensemble de la population qui gouverne : d’une part en élisant ses représentants, d’autre part en utilisant les droits – syndicalisation, manifestation, pétition…- qui leur permet de peser sur les actes du gouvernement. Le problème aujourd’hui n’est pas tant que « seule une partie de la population gouverne », mais bien que c’est l’ensemble de la population qui gouverne alors que seule une partie a les instruments pour le faire…

      [Mais d’autre part, je pense que cela s’explique aussi par le fait que ce que font les partis, en particulier le PS, n’est même pas tant en phase que cela avec leur électorat. Je suis sûr que si on faisait un sondage de l’électorat PS sur nombre de questions, leurs opinions seraient différentes de celle des cadres technocrates socio-liberaux du PS à la Jacques Delors…]

      Mais vous avez l’air de confondre ce que les gens veulent et ce que les gens disent vouloir. Or, ce n’est pas du tout la même chose. Je suis persuadé par exemple que la plupart des électeurs du PS se prononceraient sans hésiter dans un sondage pour l’accueil des Roms, mais qu’ils résisteraient avec la même résolution contre le projet d’installer un camp de Roms à côté de chez eux. Si les électeurs socialistes ont des opinions si différents des « cadres technocrates socio-liberaux », comment se fait-il que non seulement ils votent systématiquement pour eux, à votre avis ?

      Ne vous laissez pas tromper par les déclarations et les sondages. Regardez les faits. Les véritables « opinions » s’expriment lorsqu’il faut décider, pas dans les sondages. Si les électeurs socialistes voulaient une « autre politique », ils ont eu plein d’opportunités de l’exprimer. Ils ne l’ont pas fait. Au contraire, ils ont systématiquement accordé leur voix aux « technocrates socio-libéraux ». Alors, quelle conclusion en tirez vous ?

      On peut tromper l’électorat une fois. Mais lorsqu’un parti fait pendant trente ans des politiques qui sont à l’opposé de ce que ses électeurs disent vouloir, et que ces électeurs continuent à voter pour lui, il faut se poser des questions sur la sincérité des déclarations de ces électeurs. En fait, les électeurs socialistes sont très souvent ravis des politiques "sociales-libérales", mais n’ont pas envie d’en assumer moralement les conséquences. Il est donc beaucoup plus facile de toucher les fruits de ces politiques tout en proclamant dans les sondages que ce n’est pas ce qu’on aurait voulu… un commentateur avait signalé depuis bien longtemps que les électeurs socialistes avaient "le coeur à gauche et le portefeuille à droite". Cela n’a guère changé.

  5. Ifig dit :

    Très bonne analyse, Descartes, à mon humble avis. Une question pour ma culture politique à laquelle tu pourras sûrement répondre vu ta connaissance intime du PCF : quand le PC se disait révolutionnaire (peut-être est-ce toujours le cas?), dans les années 50-70 mettons, quelle était la stratégie affichée de la direction pour cela? Je comprends bien que la révolution n’était pas le problème concret des élus municipaux ou syndicalistes du PC qui avaient assez à faire à gérer leurs positions de pouvoirs dans les institutions et à défendre les intérêts de la classe ouvrière (plutôt de façon positive, je ne critique pas), mais il y avait bien des idéologues qui proposaient une vision à plus long terme, une stratégie pour arriver au communisme. Quelle était-elle?

    • Descartes dit :

      @Ifig

      [quand le PC se disait révolutionnaire (peut-être est-ce toujours le cas?), dans les années 50-70 mettons, quelle était la stratégie affichée de la direction pour cela? Je comprends bien que la révolution n’était pas le problème concret des élus municipaux ou syndicalistes du PC qui avaient assez à faire à gérer leurs positions de pouvoirs dans les institutions et à défendre les intérêts de la classe ouvrière (plutôt de façon positive, je ne critique pas), mais il y avait bien des idéologues qui proposaient une vision à plus long terme, une stratégie pour arriver au communisme. Quelle était-elle?]

      Dans les années 1948-60, c’est-à-dire dans les années les plus « dures » de la guerre froide, la vision de la révolution reste assez classique. Il s’agit d’attendre une situation révolutionnaire que l’on voit comme une synthèse entre le Paris de 1789 et de Saint-Pétersbourg de 1917. Les privations de l’après-guerre et le régime d’assemblée qui est celui de la IVème République permet à cette fiction de garder une certaine plausibilité. On soigne l’organisation, on fait même dans certaines régions des réserves d’armes – dont certaines ont été conservées en cachette lors du désarmement de la Résistance en 1945 – en prévision d’un « grand soir » hypothétique.

      A partir du début des années 1960, l’amélioration continue du niveau de vie, les changements dans l’organisation de la production, le pacte « gaullo-communiste » et la stabilité des institutions changent progressivement la donne. On commence à concevoir une possibilité de passage au socialisme sans sortir des limites posées par des institutions démocratiques. Cette vision se matérialise par la doctrine du « socialisme aux couleurs de la France », qui postule que dans un pays développé, avec un peuple éduqué et une culture démocratique solide, il était possible de construire le socialisme sans passer par une rupture avec les institutions démocratiques. Cette théorie préparera malheureusement le chemin au Programme Commun et ses illusions… mais cela est une autre histoire.

      Il faut être je pense conscient que pour le PCF de l’après-guerre, le « communisme » joue un peu le rôle que jouer le Paradis dans les religions. C’est la récompense toujours promise pour le future d’un comportement irréprochable dans le présent. Je ne crois pas qu’on puisse véritablement parler d’une « stratégie pour arriver au communisme », comme si le PCF avait véritablement réfléchi à une suite d’actions précises et concrètes conduisant à la construction d’une société communiste en France. L’Histoire a montré que les expériences révolutionnaires ont toujours été le fait de l’habilité des hommes pour mettre à profit des circonstances imprévues. C’est ce qui sépare le PCF de la galaxie gauchiste : le PCF reste historiciste là où les autres sont volontaristes. Les gauchistes « planifient la révolution », alors que le PCF considère plus important de soigner son appareil et de former ses militants dans l’attente d’une situation révolutionnaire. D’où la crise de 1968, lorsque la direction du PCF a conclu qu’il ne s’agissait pas d’une telle situation, entraînant la déception des militants les plus radicalisés, militants qui sont allés grossir les groupuscules gauchistes ou qui seront le ferment des différentes oppositions internes surgies dans les années suivantes.

      Il est d’ailleurs drôle de constater que malgré les changements sociologiques et politiques du PCF, cette distinction est toujours vivante aujourd’hui. Il suffit de regarder la manière dont le PCF et le PG conçoivent la « révolution citoyenne » pour s’en convaincre… la où le PG voit la possibilité d’enclencher la « révolution » indépendamment des circonstances objectives pour peu qu’on ait la volonté, le PCF se montre bien plus réservé, étant plus conscient de la rigidité des formes sociales et de la difficulté de les changer en dehors d’une véritable « situation révolutionnaire »…

  6. Ifig dit :

    Pour info, sur le vote des communistes lyonnais, un extrait du Monde : "La semaine dernière, les communistes lyonnais se sont prononcés à 52,9 % (100 voix) pour une liste Front de gauche, contre 47,1 % (89 voix) en faveur de la reconduction d’une alliance avec la majorité socialiste sortante." Donc ton estimation de cinq voix de différence était le bon ordre de grandeur : c’est 11 au final!

  7. bernard dit :

    Bonsoir Descartes , sur le site du PC on peut lire 16 novembre convention Refonder L’Europe
    c’est vraiment a en désesperer !

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