A mort l’ENA !

Debré fait appel à Gaston Palewski, à Louis Joxe, secrétaire général du gouvernement, constitue des commissions, associe ses anciens du Conseil d’État, sollicite les syndicats, CGT et CFTC de la fonction publique, surmonte les oppositions politiques… Il définit le cadre de la formation : humaine, collective, pratique, avec son long stage de terrain, sans négliger le sport, la préparation militaire, l’instruction civique et morale. Et Debré ajoute : « Un enseignement de l’histoire à la Plutarque et à la Michelet aidera à cette formation dont la conclusion portera sur les grandeurs et servitudes du métier d’État, pour le bien de la nation. » (François d’Orcival)

Le 10 octobre 1945 paraissait au journal officiel de la République française une de ces ordonnances qui ont contribué à façonner la France moderne. Sobrement intitulée « ordonnance du 9 octobre 1945 relative à la formation, au recrutement et au statut de certaines catégories de fonctionnaires et instituant une direction de la fonction publique et un conseil permanent de l’administration civile », elle visait à réformer profondément la haute fonction publique. Cette ordonnance couronnait aussi la longue maturation d’une idée qui cheminait depuis 1848, qui avait été soutenue par Jean Zay dans les années 1930 et qui avait été consacrée par les travaux poursuivis sous l’égide du Conseil national de la Résistance. Elle part d’un constat universellement partagé chez ceux qui avaient combattu l’abaissement de la France et que Marc Bloch avait magistralement résumé : trop cloisonnées, trop vénales, insuffisamment formées, les élites administratives avaient failli à leur haute mission. Construire un Etat fort, efficace et respecté nécessitait donc de former intellectuellement et moralement des hauts fonctionnaires de haute qualité, sélectionnés pour leur engagement au service de l’Etat, en mettant fin à la cooptation des hauts fonctionnaires dans certains milieux sociaux, au cloisonnement de la haute fonction publique par ministère, aux liens sulfureux entre haute fonction publique et capital privé. Prévue par l’ordonnance du 9 octobre 1945, la création de l’ENA n’était pas un acte isolé, mais un élément du projet global de constitution d’une fonction publique forte, efficace, méritocratique (1).

Soixante-quinze ans plus tard, le 8 avril 2021, le président de la République Emmanuel Macron expose sa vision de la haute fonction publique dans un discours « à l’occasion de la Convention managériale de l’État » (2). Une vision qui, quelle surprise, marque une rupture totale avec le projet de 1945. Oh, rassurez-vous, c’est adroitement présenté. Notre président est passé maître dans l’art de proclamer son attachement indéfectible aux grands principes pour ensuite proposer une politique qui les réduit à néant. Il faut donc lire le texte entre les lignes pour voir, derrière le rideau de fumée médiatique, quelles sont les véritables tenants et aboutissants de la transformation de notre haute fonction publique imaginée par le président. Transformation dont il faut dire pour sa décharge, qu’il n’est guère que le continuateur, et non l’inventeur.

D’abord, il n’est pas inutile de se pencher sur le nature de la réunion à laquelle le président s’est adressé. La « convention » en question était une réunion des 300 plus hauts cadres de l’Etat : directeurs et directeurs généraux d’administration centrale, préfets, ambassadeurs, autrement dit, l’ensemble des hauts fonctionnaires nommés et révocables « ad nutum » par le gouvernement, réunis pour écouter la parole présidentielle. On notera l’utilisation des termes « convention » et « managériale ». Toutes deux nous viennent des Etats-Unis. En effet, si je crois le Robert, en français le mot « convention » n’a pas le sens de « réunion » que lui donne la langue anglaise (dérivé du verbe « to convene » qui veut dire « réunir ») sauf dans le cas très particulier où il s’agit de dicter ou modifier une constitution. Quant au terme « managérial », on sait bien que « manager » fait bien plus chic que « gestionnaire », mais c’est rigoureusement la même chose. Il est d’ailleurs drôle de voir notre président demander des hauts-fonctionnaires d’assumer un rôle de direction et d’animation tout en les réduisant à des simples « managers »…

De l’esprit de kamikaze

Mais venons au texte. On ne peut pas dire qu’il manque de diagnostics fort justes, des objectifs tout à fait positifs. Ainsi, par exemple, voici un paragraphe que je pourrais signer des deux mains :

« La responsabilité, c’est celle qui va avec la déconcentration des décisions. Je pense que la grandeur du service public, la grandeur des chefs de service de l’Etat, en particulier déconcentrée, c’est de pouvoir prendre vis-à-vis des acteurs qui sont les nôtres, leurs partenaires sur le terrain, les décisions importantes et structurantes, le faire, évidemment, en respect avec les grands objectifs que nous nous donnons au niveau national. Mais le faire aussi avec l’esprit de jugement qui est le leur, la capacité à adapter ces décisions aux réalités du terrain et à répondre aux demandes et aux exigences du terrain, et donc, je vous invite vraiment à retrouver tous et toutes cette culture de la prise de responsabilité au bon niveau. Je pense que nous prenons trop de décisions encore au niveau central et je pense que nous devons aller encore plus loin dans cette capacité à nous tenir à des grands objectifs et à déléguer au maximum les décisions au niveau local. Cela veut dire aussi retrouver de la culture de la responsabilité. Et je veux insister sur ce point vis-à-vis de vous. Prenez des risques. Prenez des décisions. Je ne reprocherai jamais à personne de faire des erreurs. Nous en faisons tous, et moi le premier. Je pense que ce qui est aujourd’hui impardonnable, c’est en quelque sorte d’accepter de ne plus prendre de décisions en les remontant ou les en délayant dans des processus devenus trop longs et qui ne correspondent plus au rythme de la vie de la nation et de nos concitoyens. Nous devons retrouver, par la responsabilité, de la capacité à décider, parfois à nous tromper et à réajuster, mais à être à la bonne vitesse de décision. Je le dis ici avec beaucoup de force car je suis comme vous le témoin d’une judiciarisation croissante de notre vie politique et administrative. Ce chantier, nous aurons à l’affronter dans les prochaines années et je veux ici dire tout mon soutien à celles et ceux qui, ministres, fonctionnaires, portent l’action publique et, dans le cadre de celle-ci, font l’objet de procédures diverses et variées, inquiétantes, angoissantes. Le contrôle est légitime, l’action de la justice tout autant, mais quand il devient contemporain de l’action et quand il devient en quelque sorte un inhibiteur de celle-ci nous avons collectivement un problème. Et donc, de là où je suis, je veux insister sur cette importance de la responsabilité de la prise de risque et cette acceptabilité de l’erreur qui accompagne nécessairement la prise de risque. Un État qui ne prend plus de risques est un État qui ne fait plus d’erreurs. Mais c’est un État impotent qui perd sa légitimité. »

On a envie de crier « bravo » ! C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nos hauts-fonctionnaires sont protégés par un statut et des garanties de carrière : pour leur permettre de prendre en toute neutralité des décisions sans crainte de déplaire à tel ou tel intérêt particulier… Mais j’y pense… n’est ce pas ce même homme qui en appelle les hauts-fonctionnaires à agir sans peur et sans reproche qui voudrait les soumettre à un niveau de précarité croissant, en multipliant les contractuels et en portant des coups de canif aux statuts ? Qui multiplie les postes ou les titulaires sont nommés “ad nutum” et peuvent donc être virés à la première “erreur” ?

Car il faut être logique : Même si on peut demander aux gens d’être courageux, on ne peut pas raisonnablement exiger d’eux qu’ils soient téméraires. On ne peut d’un côté critiquer les « carrières à vie » des hauts fonctionnaires et ouvrir les postes de direction aux contractuels – ce qui a été rendu possible par la loi du 6 aout 2019 – et ensuite prétendre que les titulaires de ces postes « prennent des risques ». Personne n’aime jouer les kamikazes. Le paradoxe est parfaitement illustré par la boutade d’un grand patron américain : « je veux des collaborateurs qui me disent la vérité, même si ça doit leur coûter leur poste ».

De la banalisation du métier de fonctionnaire

Vous me direz que cela marche dans le secteur privé. Après tout, les hauts cadres des entreprises privées prennent des décisions importantes et peuvent être licenciés si leurs choix ne conviennent pas à leurs actionnaires ou leur hiérarchie. Cependant, cette comparaison ignore la nature très particulière de la décision publique. Le décideur privé est au service de son actionnaire, et payé pour extraire le plus d’argent possible au client. Le décideur public est au service d’un citoyen qui est à la fois actionnaire et client. Le décideur privé n’a qu’un paramètre à optimiser : la rentabilité. Toute autre considération – y compris le respect de la loi – passe au second plan. Le décideur public, lui, doit faire un compromis permanent entre des paramètres multiples et contradictoires : il est tenu à la fois par les principes d’égalité, d’universalité et de légalité autant que par la contrainte d’efficacité. Ce qui dans le privé s’appelle un « geste commercial », et est considéré parfaitement acceptable, s’appelle dans le public « concussion », et est punie par le Code pénal (art 432-10, deuxième alinéa) de cinq ans de prison et 500.000€ d’amende. Evaluer la performance d’un décideur public est donc infiniment plus complexe que d’évaluer celle d’un décideur privé. Il est donc assez compréhensible que devant l’incertitude dans l’évaluation, le décideur public soit plus réticent à « prendre des risques »…

Au fond, la logique macronienne vise à une banalisation du statut de haut fonctionnaire, qu’il aligne volontiers sur les logiques du privé. C’est flagrant dans sa vision d’une haute fonction publique qui ferait des allers-retours entre le public et le privé, et à l’inverse de la possibilité pour des hauts cadres du privé de prendre le même chemin. Une logique qui ouvre la porte au capitalisme de connivence, aux conflits d’intérêt et, disons-le franchement, à la corruption de la fonction publique.

Car il faut être réaliste : pourquoi une entreprise irait embaucher un haut fonctionnaire de carrière, qui ne connait que le giron douillet de la fonction publique, alors qu’on peut trouver sur le marché tant de cadres formés et expérimentés dans l’encadrement dans l’univers impitoyable de l’entreprise privée ? La réponse est assez évidente : l’entreprise achète un carnet d’adresses, le réseau, l’entregent, ce qui n’est pas bien reluisant, ou bien elle renvoie l’ascenseur pour des services rendus alors que le haut fonctionnaire était en poste, ce qui est pire.

La possibilité d’un aller-retour dans le privé encourage certains hauts fonctionnaires à préparer leur deuxième carrière par des moyens que la morale et la déontologie réprouvent. Vous me direz qu’il y a des commissions de déontologie pour surveiller. Certes, mais si l’on suppose que ces commissions sont efficaces à l’heure d’empêcher le haut-fonctionnaire partant d’utiliser son réseau, il faudra m’expliquer quel est l’intérêt de l’entreprise d’embaucher à un niveau élevé un cadre qui ne connait rien au privé à une fonction où il ne pourrait pas utiliser ni ses relations, ni ses informations privilégiées… A l’inverse, qu’est ce qui peut pousser un cadre du privé de prendre la direction d’un service de l’Etat en tant que contractuel ? Pas la paye, qui est nettement plus généreuse dans le privé. Le seul intérêt, c’est de se constituer là aussi un réseau qui lui sera utile lors de son retour dans le privé, voire de se préparer un point de chute une fois son mandat public terminé. Et ce n’est pas un certain président de la Commission européenne, aujourd’hui directeur chez Goldman Sachs, qui me démentira.

L’idéologie qui est derrière cette vision, c’est la négation de ce qu’est la logique du service de l’Etat en France depuis 1945 – certains diront depuis Colbert – fondée sur une certaine idée du métier de fonctionnaire. C’est une idéologie qui postule qu’il existe une « classe managériale » capable de gérer indifféremment une entreprise privée, un service public ou une administration. Qu’être un bon directeur marketing, un bon directeur d’administration, un bon préfet et un bon directeur d’usine nécessite finalement les mêmes connaissances, les mêmes compétences, les mêmes valeurs, la même déontologie, le même état d’esprit. Autrement dit, que hauts cadres du privé et hauts fonctionnaires sont substituables.

Le décideur public est bien là pour faire de la norme !

Cette idée apparaît avec force dans la critique que le président fait de la « logique de la norme ». Ainsi, proclame-t-il, « Notre rôle, le cœur de l’action publique, n’est pas de prendre des normes. C’est de contribuer à changer des vies », et se réjouit d’avoir donné aux préfets « la possibilité de déroger à la norme en fonction des spécificités locales ». Dans la pratique, cela ne change pas grande chose : cela fait au moins depuis Napoléon que les préfets appliquent la normative avec discernement, interprétant la réglementation pour l’adapter aux contraintes des situations locales. Mais interpréter c’est une chose, et déroger une autre. Car ce que ne dit pas le président – mais qui est écrit noir sur blanc dans le décret correspondant – c’est que ces dérogations ne sont pas générales – c’est-à-dire, invocables par chaque citoyen – mais sont accordés sur demande individuelle, c’est-à-dire, au cas par cas. Autrement dit, la loi – ici plutôt le règlement – n’est plus égale pour tous. Bien entendu, on admet parfaitement ces pratiques dans une entreprise privée : que la règle ne soit pas la même pour les clients « VIP » et pour les autres, cela ne pose en principe aucun problème. Une entreprise n’est pas tenue par le principe d’égalité. Mais peut-on admettre que l’Etat fonctionne de cette façon, qu’il y ait des citoyens « VIP » qui peuvent, par dérogation du préfet, voir la réglementation « adaptée » à leurs problèmes, et d’autres pas ?

Le rôle de l’Etat dans la conception de 1945 c’était non seulement de « contribuer à changer de vies », mais aussi et surtout d’édicter des normes et de les faire respecter. Car ce sont les normes et leur respect qui garantissent l’égalité des citoyens devant la loi et leur protection contre l’arbitraire, selon la formule célèbre : « entre le faible et le fort, c’est la liberté qui asservit et la Loi qui libère ». Il est d’ailleurs presque drôle de voir notre très europhile et libéral président expliquer que l’action publique « n’est pas de prendre des normes », alors que depuis trente ans les logiques libérales et bruxelloises coïncident sur le fait de ramener l’Etat à son rôle régalien et le priver de tout levier d’action qui ne passe pas par la norme. Macron n’aurait-il pas entendu parler de la construction européenne « bâtie sur le droit » ? On ne peut que lui recommander la lecture du livre d’Antoine Vauchez, « l’Union par le droit : l’invention d’un programme institutionnel pour l’Europe »…

La conception macronienne de cet Etat qui est là pour « contribuer à changer des vies » et non pour « faire de la norme », c’est la vision effrayante – malgré son apparente bienveillance – de l’Etat-nounou. Car dans une République, l’Etat n’est pas là pour « changer la vie » de qui que ce soit, mais pour fixer un cadre à l’intérieur duquel chaque citoyen fait « sa vie » comme il l’entend. Dans la logique républicaine, l’Etat sait en principe ce qui est bon pour la nation dans son ensemble, mais pas pour chaque individu en particulier. Or, « l’individualisation » qui est derrière un dispositif comme « la possibilité de déroger à la norme » donnée aux préfets met en fait le citoyen à la merci de l’arbitraire d’un fonctionnaire qui peut décider – ou pas – que votre projet (ou votre tête) lui revient.

Pourquoi il faut supprimer l’ENA

Mais dès lors qu’on parle d’une « élite managériale » pouvant gérer indifféremment le privé et le public, pourquoi avoir une formation particulière pour les hauts fonctionnaires ? Après tout, nous avons d’excellentes écoles de commerce, d’ingénieurs, des formations universitaires qui alimentent le secteur privé. Dans ces conditions, pourquoi prévoir une institution de formation particulière pour les hauts fonctionnaires ?

Les écoles du service public avaient plusieurs objectifs. Le premier, bien entendu, était de fournir aux futurs cadres de l’Etat une formation technique de très haute qualité. Une mission qui, on peut le concevoir, pourrait théoriquement être assumé par l’enseignement universitaire si ce dernier n’était pas assommé par le nombre et par une logique de « droit aux études » qui a fait baisser le niveau dans des proportions dantesques. Mais ces écoles devaient aussi offrir aux futurs agents du service public, avec une formation éthique, une expérience commune, un parcours initiatique, et avec lui la conviction d’appartenir à une collectivité particulière, à un corps constitué, avec les droits et les devoirs que cela implique. La formule choisie par les rédacteurs de l’ordonnance du 10 octobre 1945 qui assigne à l’ENA la mission de « développer en eux le sentiment des hauts devoirs que la fonction publique entraine et les moyens de bien les remplir » résume parfaitement ce volet.

Pour le dire autrement, la logique de 1945 mettait les instituts de formation au service de la nation, et non au service des élèves. Et cette logique a survécu longtemps : au début des années 1980, le directeur d’une grande école d’ingénieurs accueillait les élèves avec la formule « le but de cette école est de former les ingénieurs dont la France a besoin ». Ce sont les besoins de la nation qui devaient guider les choix de formation et d’organisation des institutions. On n’avait pas encore mis l’étudiant au centre du système. Mais une fois qu’on a franchi ce pas, que ces institutions n’ont pour but que la satisfaction de leurs étudiants, on peut s’interroger sur leur utilité, puisque le but était précisément de répondre à un besoin dont on nous dit qui n’existe plus. Si on banalise le rôle du haut-fonctionnaire, s’il n’est finalement qu’un « manager » comme un autre, sans fidélité et sans engagement particulier dans le service public – au point qu’on peut recruter quelqu’un venant directement du privé ou même un cabinet de conseil pour faire son travail – pourquoi penser une formation spécifique (4)?

Ce qui nous ramène à la période pré-1945, à la France libérale du début du XXème siècle, quand les hauts fonctionnaires – sauf dans les corps techniques – étaient recrutés à l’issue de formations supérieures directement par des concours spécifiques qui cachaient mal une logique de cooptation. Exactement le modèle contre lequel s’est battu Jean Zay lorsqu’il a proposé, sous le Front Populaire, la création d’une école de formation des hauts-fonctionnaires. Exactement le modèle qui joua un si grand rôle dans la défaite de 1940, et qu’on pouvait penser révolu après 1945. Le retour en grâce des logiques libérales réussit ce miracle de résurrection.

Il y a quelques années, il aurait peut-être effacé l’ENA d’un trait de plume et remplacé l’institution par un recrutement purement universitaire. Mais si l’expérience a appris quelque chose à notre président, c’est que la « transgression » a ses limites. Notre président ne proposera donc pas la suppression pure et simple de l’ENA, décision qu’il serait obligé de justifier. Non, la vénérable école de 1945 sera vidée de son sens en la remplaçant par une nouvelle institution, l’ISP – « Institut du service public ». Que savons-nous de lui ? D’abord, que dans son nom l’adjectif « national » à disparu, ce qui n’est certainement pas une coïncidence. Nous savons aussi qu’il « devra construire un partenariat fort avec les universités et s’appuiera sur un personnel enseignant d’excellence aux profils plus divers, proposera des formations aux meilleurs standards internationaux, des diplômes aussi reconnus à l’échelle européenne et internationale ». Quant à l’enseignement, « l’Institut du Service Public devra offrir à chaque étudiant des cours pour apprendre à faire, à diriger, à décider, à innover et donc bâtir une formation d’excellence reconnue sur le plan international ».

On notera, outre le fait que le but de l’institut est « d’offrir à l’étudiant » et non à satisfaire les besoins de l’Etat, l’insistance presque obsessionnelle avec la reconnaissance « européenne et internationale », qui semble pour le président être le seul critère d’excellence. Mais surtout, relisez ce que le président dit de l’ISP. En dehors du nom de l’institut, il n’y a pas un mot, pas une expression qui le rattache au service public. La formation qu’il décrit collerait exactement à celle de n’importe quelle école de commerce. Après tout, quelle école n’a pour objectif d’apprendre « à faire, à diriger, à décider, à innover » ? Quelle école renierait le fait de délivrer « des diplômes reconnus à l’échelle européenne et internationale » ou de « proposer des formations aux meilleurs standards internationaux » ? Le fait que les élèves de l’ISP se destinent à une carrière au service de l’Etat ne semble pas être assez important pour être mentionné. Il est intéressant de comparer les termes utilisés par le président pour décrire les missions de l’ISP à ceux de l’exposé des motifs de l’ordonnance de 1945 créant l’ENA : « L’Ecole leur enseignera les techniques de la vie administrative et politique ; elle s’efforcera aussi de développer en eux le sentiment des hauts devoirs que la fonction publique entraine et les moyens de bien les remplir ».

En fait, l’ENA imaginaire qu’on propose au bon peuple – qui n’en demande pas tant (5) – de supprimer et l’ENA réel n’ont que peu de chose en commun. L’ENA imaginaire forme des politiques – et pas les meilleurs – et les membres des « grands corps ». Qui sait que dans une promotion typique de l’ENA réel les membres des « grands corps » représentent moins de 10% des postes à la sortie, et que ceux qui feront de la politique – souvent les mêmes – sont encore moins nombreux ? Que 90% des énarques dérouleront des carrières discrètes au service de l’Etat et de leurs concitoyens dans les préfectures, dans les tribunaux administratifs, dans les ambassades, dans les ministères, pour des salaires souvent très inférieurs à ceux qu’ils auraient pu obtenir dans le privé et avec une disponibilité sans commune mesure ? Qui se souvient que ces hauts-fonctionnaires discrets sont là aussi pour dire au décideur politique, ministre ou président de la République, certaines vérités désagréables – et les accusations contre « l’Etat profond » qui empêcherait les politiques de faire ce qu’ils veulent montrent à contrario qu’ils font bien leur boulot ?

Veut-on plus de justice sociale dans la sélection des hauts fonctionnaires ? Je suis d’accord. C’était d’ailleurs objectif des fondateurs de 1945, qui s’inquiétaient des possibilités des « jeunes gens sans fortune » d’accéder à la haute fonction publique. Seulement, il faut se souvenir combien le recrutement par concours, quelque soient ses défauts, reste un instrument de promotion sociale bien plus efficace que tout autre mode de sélection. Et que chaque fois qu’on a affaibli cette logique – soit en supprimant toute sélection, soit en remplaçant le concours par une sélection sur dossier ou entretien, soit en créant un grand nombre de « voies d’accès parallèles » qui affaiblissent le concours principal – l’accès des couches populaires s’est trouvé réduit. Cela peut paraître contre-intuitif, mais c’est parfaitement logique, et s’explique facilement par deux mécanismes simples. Le premier est que la disparition du concours ou son affaiblissement ne fait pas disparaître la sélection. Qu’on les choisisse par concours ou autrement, le nombre de Conseillers d’Etat sera toujours le même. Il faudra donc toujours sélectionner. Et lorsque le concours recule, d’autres méthodes de sélection se mettent en place, et ces mécanismes sont pratiquement toujours bien plus biaisés socialement que le concours parce qu’ils font jouer à plein une subjectivité dont on sait combien elle est socialement marquée. Le second mécanisme, plus sournois, tient à la logique d’investissement. Plus les règles sont claires et la récompense importante, plus nous sommes prêts à consacrer un effort. Le fils d’ouvrier qui réussit le concours de Polytechnique a son avenir assuré. Il est donc attractif pour le père ouvrier de faire un effort pour permettre à son fils de bien préparer. Mais un fils d’ouvrier qui rentre en faculté de droit n’a aucune garantie devant lui : pour bien gagner sa vie dans ce milieu, il ne suffit pas d’être un bon étudiant : il faut se trouver de bons stages et trouver des bons clients, ce qui suppose des réseaux familiaux, des relations… en d’autres termes, un capital familial. Pourquoi un père ouvrier irait faire de très gros sacrifices pour que son fils soit un bon juriste, alors que le fait d’être un bon juriste ne vous garantit rien sans un capital familial que votre père ne peut vous apporter ?  

Ce n’est pas par hasard si les formations sélectives ont été des instruments efficaces de promotion sociale. Et il y a quelque chose d’indécent dans les discours de ceux qui, après avoir fait baisser massivement le niveau de notre enseignement public, pleurent sur le fait que seuls ceux qui reçoivent un héritage culturel important dans le cadre familial soient en mesure de réussir ces concours. Et quelle est leur proposition ? On devine facilement : baisser le niveau du recrutement. Or, il faut rev 500 Internal Server Error

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