De la “grande démission” à la baisse des qualifications

La « grande démission » nous guette. Selon la DARES, sur chacun des trois derniers trimestres, un demi-million de nos concitoyens ont mis fin à leur contrat de travail, un chiffre d’autant plus remarquable que 90% des démissions concernent des contrats à durée indéterminée. Un chiffre qui n’avait jamais été atteint depuis 2008. Et la tendance est à l’augmentation. On peut ajouter que ce phénomène n’est pas purement français : on le retrouve dans beaucoup de pays développés, et au premier chef aux Etats-Unis.

Où vont les gens qui démissionnent ? Le chômage reste relativement bas – et continue à descendre – ce qui semble indiquer que les démissionnaires retrouvent un emploi ou bien sortent du marché du travail, par exemple pour créer leur propre activité. C’est une explication cohérente : après tout, le marché du travail reste relativement dynamique, tiré par la « consommation de rattrapage » après la pandémie et par la désorganisation de certaines chaînes d’approvisionnement qui obligent à rapatrier des activités délocalisées. Rien qui échappe à la logique économique : dans un marché du travail dynamique, il est logique que les gens qui occupent des postes peu rémunérateurs par rapport aux contraintes et sans perspectives d’évolution démissionnent pour aller chercher mieux ailleurs.

Dans ce contexte, on peut s’attendre à ce que les employeurs proposant ce type de postes aient beaucoup de mal à recruter. Après tout, si la demande de travail dépasse l’offre, le rapport de force bénéficie les travailleurs, qui ont du coup le choix. Les employeurs ont alors le choix douloureux entre augmenter les salaires, recruter des travailleurs moins qualifiés… ou trouver des moyens d’automatiser ces taches. C’est là un mouvement positif, qui pousse à la fois à moderniser les outils de production et à augmenter les salaires. Pourquoi se plaindre ?

Le problème est qu’on s’attendrait à voir les difficultés de recrutement toucher les activités les moins qualifiées, les moins rémunératrices, les moins prestigieuses. C’est ce qu’on avait pu observer durant les « trente glorieuses », au point de créer un appel massif de main d’œuvre étrangère pour occuper les postes « que les Français ne voulaient plus occuper ». Aujourd’hui, curieusement, on observe un phénomène inverse : des employés qui occupent des postes de responsabilité démissionnent pour prendre des postes moins qualifiés mais nécessitant un engagement moindre. On pourrait s’attendre à ce que la tension sur le marché du travail conduise à avoir du mal à recruter des ouvriers du bâtiment ou des caissières de supermarché. Mais comment expliquer qu’on manque de médecins, de professeurs, de soudeurs qualifiés, d’infirmières, de conducteurs de train, de chauffeurs de bus, de pompiers, d’opérateurs de centrale nucléaire, de plombiers ?

Ce mouvement de déqualification est d’ailleurs largement encouragé par les médias bienpensants. La télévision comme les journaux de référence sont remplis d’histoires édifiantes de polytechniciens quittant leur grande entreprise pour installer un élevage de chèvres, de hauts cadres quittant leur confortable job pour installer une boutique de vente de fromages bio dans un village de l’Ardèche. Ce ne sont là bien entendu que des exemples choisis pour communiquer un message, et qui ne recouvrent aucune réalité statistique. Mais il est révélateur que la « grande démission » trouve ainsi une idéologie qui justifie en fait une baisse en qualification et en responsabilités au nom de la « qualité de vie ».

Faut-il voir dans cette mutation du travail une manifestation supplémentaire de la logique de satisfaction immédiate qui domine nos sociétés ? J’en suis convaincu. Alors que le progrès technique et social fait que nous vivons de plus en plus longtemps, l’horizon temporel se rétrécit sans cesse. La où hier on planifiait sur des générations, construisant patiemment en pensant à ses enfants ou ses petits-enfants, on regarde aujourd’hui sur l’année quand ce n’est pas sur le mois. On n’agit que s’il y a une rétribution – positive ou négative – immédiate.

On voit des signes de cette transformation partout. Dans l’éducation, où l’on n’arrive à intéresser les élèves qu’à partir d’une approche « ludique » des apprentissages permettant d’obtenir une satisfaction immédiate. Dans le commerce, où « l’achat d’impulsion » devient la règle, et où les choix sont de plus en plus liés au prix affiché, et non au coût complet sur la durée de vie du bien. Dans la politique, où les politiques de long terme n’intéressent personne, et où la réflexion est concentrée sur les moyens de faire plaisir à l’électeur avec des résultats rapides. Dans le monde du travail, où les jeunes acceptent de moins en moins l’idée d’un « cursus honorum » qui implique d’apprendre le métier avant d’accéder aux postes de responsabilité. Dans la finance, avec des investisseurs qui recherchent une rentabilité rapide quitte à compromettre l’avenir de l’entreprise sur le long terme.

Cette attitude n’est pas irrationnelle. L’investissement à long terme – qu’il soit financier ou personnel – implique une forme de confiance dans l’avenir. Lorsque Colbert fait planter des forêts de chênes pour fournir le bois pour la marine française, il parie que la France aura une marine à voile un siècle plus tard. Lorsque Chirac lance la construction de l’EPR, il parie que la France en aura besoin pendant soixante ans. Mais dans le monde instable et incertain dans lequel nous vivons – perçu comme d’autant plus incertain que l’idéologie dominante nous explique que nous n’avons aucun contrôle sur lui, et qu’il ne nous reste d’autre solution que de nous « adapter » à une évolution qui nous est imposée par des forces extérieures – quelle confiance pouvons-nous avoir dans le fait que les investissements que nous faisons aujourd’hui seront rentables sur le long terme ? Dans cette logique, l’adage « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » devient nécessairement le mode de pensée dominant.

La recherche de la satisfaction immédiate explique en grande partie la tendance depuis trente ans à sacrifier les investissements de long terme – notamment dans la recherche, l’éducation et les infrastructures, qui sont les domaines où la rentabilité est la plus étalée dans le temps. Il ne faut pas s’étonner si les individus font le même raisonnement. Pourquoi investir des années de sa vie dans la poursuite d’études difficiles ou d’un « cursus honorum » long et pénible avec une perspective de rentabilité imprévisible ? Pourquoi accepter un salaire de départ faible – logique dans les métiers qui nécessitent un apprentissage long avant de devenir efficace – avec l’espoir d’accéder ensuite à des fonctions intéressantes et bien payées alors qu’on vous explique que vous serez amené à changer plusieurs fois de métier dans votre vie, réduisant chaque fois à néant la valeur de votre investissement d’apprentissage ? Ceci explique d’ailleurs pourquoi la formation supérieure sacrifie chaque fois plus le « savoir-faire » voire le « savoir » tout court au « savoir-être », censé être plus portable dans un changement de métier.

On revient là à une fonction fondamentale de l’Etat, celle de créer de la prévisibilité, de fournir un cadre stable sans lequel les acteurs économiques ne peuvent que se concentrer sur le court terme. De la même manière qu’on ne développe les éoliennes qu’en leur offrant un tarif garanti de rachat de l’électricité produite, on ne poussera les gens à étudier et à suivre un « cursus honorum » s’il n’y a pas un « tarif de rachat » raisonnablement assuré au bout du processus. Lorsque je préparais mes concours, notre professeur nous encourageait avec la formule « une Grande Ecole, on y entre un jour, on en sort toute sa vie ». Sans cette garantie, aurais-je sacrifié deux ans de ma prime jeunesse dans ce monastère que sont les classes préparatoires ? Et la même question se pose à tous les niveaux de formation : pourquoi accumuler des savoirs, si c’est pour voire celui qui aura le « savoir-être » – ou tout simplement les réseaux familiaux – vous passer devant ?

La « grande démission » ne devrait pas occulter cette réalité, celle d’une baisse des compétences et des qualifications. Parce que ne nous cachons pas derrière notre petit doigt : s’il on a du mal à recruter les bons médecins dans les hôpitaux, on finira par en recruter les mauvais. Si l’on ne trouve pas de bons candidats pour les concours d’enseignement, on sera bien obligé de prendre ce qu’on trouvera pour mettre des enseignants devant les classes, même s’ils font une faute d’orthographe par ligne.

On nous parle de finir avec la « dictature du diplôme », de copier là encore sur les anglosaxons en prenant en compte « ce que les gens ont fait » plutôt que leur « peau d’âne ». Seulement voilà, suivre cette voie, c’est dévaloriser encore les études et la qualification acquise à travers un processus contrôlé pour valoriser la capacité à convaincre votre employeur prospectif que vous êtes quelqu’un de très bien. Dans ces conditions, pourquoi étudier, pourquoi se former ? C’est d’ailleurs ce qu’on observe aux Etats-Unis, où les études universitaires restent l’apanage d’une élite. Il y a là un choix à faire, entre un modèle « français » d’une main d’œuvre très qualifiée à la carrière garantie, et un modèle « anglo-saxon » de main d’œuvre faiblement qualifiée mais très flexible, acceptant une plus grande incertitude. Mes lecteurs peuvent deviner où va ma préférence. Mais à minima, il faut de la cohérence : à quoi bon prolonger inutilement les études de gens qui iront ensuite à des postes faiblement qualifiés ? A quoi bon payer des années à Polytechnique à des gens qui ensuite élèveront des chèvres ? Et plus fondamentalement, pourquoi se désoler d’une baisse des niveaux de qualification qui n’est que la conséquence du modèle qu’on a choisi ? Comme écrivait Bossuet, « Mais Dieu se rit des prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics quand on ne s’oppose pas à ce qui se fait pour les attirer. Que dis-je? Quand on l’approuve et qu’on y souscrit. »

Descartes

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182 réponses à De la “grande démission” à la baisse des qualifications

  1. Luxy Luxe dit :

    En creusant, je constate que l’accroissement du nombre de démissions est effectivement relevé dans les médias.
    Par exemple ici : https://www.bfmtv.com/economie/plus-de-520-000-salaries-ont-demissionne-en-debut-d-annee-du-jamais-vu-depuis-pres-de-15-ans_AV-202208190185.html
    Par contre, je ne trouve pas de confirmation du fait que ces démissions touchent « des employés qui occupent des postes de responsabilité [qui] démissionnent pour prendre des postes moins qualifiés mais nécessitant un engagement moindre ».
    D’où ma question : existe-t-il un appareil statistique qui permette de quantifier le phénomène ?

    • Descartes dit :

      @ Luxy Luxe

      [Par contre, je ne trouve pas de confirmation du fait que ces démissions touchent « des employés qui occupent des postes de responsabilité [qui] démissionnent pour prendre des postes moins qualifiés mais nécessitant un engagement moindre ». D’où ma question : existe-t-il un appareil statistique qui permette de quantifier le phénomène ?]

      C’est une très bonne question. On pourrait chercher je pense à quantifier le phénomène à partir des statistiques existantes, et notamment celles du ministère du travail, qui suit les tensions sur le marché du travail dans les différents segments de qualification. Peut-être un lecteur plus familier avec ces statistiques pourrait apporter ses lumières ?

      Ce qu’on peut tout de même constater – et c’est le fondement de mon raisonnement – est une tension très importante sur des métiers qualifiés – soudeurs qualifiés, plombiers, cuisiniers – voire hautement qualifiés – enseignants, médecins. C’est là un phénomène nouveau : lors des périodes de forte croissance, c’étaient les métiers faiblement qualifiés qui étaient en tension. On importait de la main d’œuvre pour en faire des OS chez Renault, et non pour garnir nos hôpitaux d’infirmiers et de médecins. Or aujourd’hui c’est le segment supérieur qui est en tension… et cela alors que la massification de l’enseignement supérieur devrait fournir des candidats en abondance !

      Comment expliquer ce phénomène sinon par le fait que les travailleurs ont une préférence pour les travaux moins « engagés », impliquant moins de responsabilités, quitte à accepter un salaire inférieur ?

      • Luxy Luxe dit :

        @ Descartes
        [Ce qu’on peut tout de même constater – et c’est le fondement de mon raisonnement – est une tension très importante sur des métiers qualifiés – soudeurs qualifiés, plombiers, cuisiniers – voire hautement qualifiés – enseignants, médecins. C’est là un phénomène nouveau : lors des périodes de forte croissance, c’étaient les métiers faiblement qualifiés qui étaient en tension. On importait de la main d’œuvre pour en faire des OS chez Renault, et non pour garnir nos hôpitaux d’infirmiers et de médecins. Or aujourd’hui c’est le segment supérieur qui est en tension… et cela alors que la massification de l’enseignement supérieur devrait fournir des candidats en abondance !]
        Je m’interroge sur le bien-fondé de la prémisse liant massification de l’enseignement supérieur et candidats en abondance. Oui, il y a massification, mais l’expérience que j’en ai est qu’elle est concentrée dans certains secteurs bien particuliers. Les facultés de droit n’ont pas de difficultés à remplir leurs amphis et il y a pléthore de candidats traducteurs et d’apprentis psychologues, mais pour le reste…
        Par ailleurs, dans certains domaines, la massification a été contrecarrée par des mécanismes de contingentement dont on peut se demander s’ils sont conçus convenablement. Quand je lis qu’on manque de médecins en France, alors que le tiers des étudiants en faculté de médecine en Belgique francophone sont des résidents français évincés par Parcoursup ou par la PACES, dont la plupart retournent en France après leurs études, je reste pensif…
        D’ailleurs, à parler de médecine, je voudrais relever qu’une partie des formations que vous citez ont pour caractéristique commune d’être particulièrement spécialisées, partant, de ne pas aisément permettre des reconversions vers des fonctions moins payées mais impliquant moins de responsabilités.
        Et en définitive, je me demande : est-ce qu’on ne serait pas ici face à un classique problème d’équilibre d’offre et de demande de travail, qu’exacerbe le vieillissement de la population et le départ à la retraite de la génération du baby-boom ?

        • Descartes dit :

          @ Luxy Luxe

          [Je m’interroge sur le bien-fondé de la prémisse liant massification de l’enseignement supérieur et candidats en abondance. Oui, il y a massification, mais l’expérience que j’en ai est qu’elle est concentrée dans certains secteurs bien particuliers. Les facultés de droit n’ont pas de difficultés à remplir leurs amphis et il y a pléthore de candidats traducteurs et d’apprentis psychologues, mais pour le reste…]

          Il est vrai qu’il y a une certaine désaffection pour les études scientifiques – et que des formations qui étaient autrefois d’un haut niveau, et je pense à certaines écoles d’ingénieur, deviennent dans les faits des formations proches d’une école de commerce. Mais il n’en reste pas moins qu’il y a aujourd’hui plus d’étudiants dans les filières scientifiques et techniques qu’il y en avait dans les années 1960…

          [Par ailleurs, dans certains domaines, la massification a été contrecarrée par des mécanismes de contingentement dont on peut se demander s’ils sont conçus convenablement. Quand je lis qu’on manque de médecins en France, alors que le tiers des étudiants en faculté de médecine en Belgique francophone sont des résidents français évincés par Parcoursup ou par la PACES, dont la plupart retournent en France après leurs études, je reste pensif…]

          La question je crois n’est pas tant de savoir si on manque de médecins en général, mais si on manque de médecins aux bons endroits. Je ne connais pas le sujet, alors je ne m’aventurerai pas à donner une opinion, mais si je crois ce que je lis ici et là, c’est surtout la concentration des médecins sur les créneaux et les régions les plus « rentables » qui pose problème…

          [D’ailleurs, à parler de médecine, je voudrais relever qu’une partie des formations que vous citez ont pour caractéristique commune d’être particulièrement spécialisées, partant, de ne pas aisément permettre des reconversions vers des fonctions moins payées mais impliquant moins de responsabilités.]

          Je ne crois pas que la reconversion d’un polytechnicien dans la fabrication de fromages de chèvre artisanaux pose des problèmes insurmontables… sur ces questions, la logique « qui peut le plus peut le moins » s’applique…

          [Et en définitive, je me demande : est-ce qu’on ne serait pas ici face à un classique problème d’équilibre d’offre et de demande de travail, qu’exacerbe le vieillissement de la population et le départ à la retraite de la génération du baby-boom ?]

          Mais pourquoi alors la tension apparait dans des métiers qualifiés impliquant de fortes contraintes, et non dans l’ensemble des activités ? Bien sûr, il y a à la base un problème d’équilibre offre-demande global. Mais dans les versions précédentes, ce déséquilibre permettait aux gens de monter en qualification : les employeurs désespérés de trouver du personnel étaient prêts à prendre du personnel sous-qualifié et le former, ce qui concentrait les tensions sur les emplois peu qualifiés. Aujourd’hui, on observe le phénomène inverse : les emplois qualifiés sont délaissés, alors que l’embouteillage apparaît sur les emplois peu qualifiés… on ne manque pas de chauffeurs UBER ou de livreurs de pizzas, mais on ne trouve pas d’enseignants…

          • @ Descartes,
             
            [Mais pourquoi alors la tension apparait dans des métiers qualifiés impliquant de fortes contraintes, et non dans l’ensemble des activités ?]
            [on ne manque pas de chauffeurs UBER ou de livreurs de pizzas, mais on ne trouve pas d’enseignants…]
            Le métier d’enseignant impliquerait aujourd’hui de “fortes contraintes”? C’est amusant de lire cela sous la plume de quelqu’un qui ne cesse de dénoncer le fait que les mêmes enseignants – ou du moins beaucoup d’entre eux – refusent les servitudes de leur charge…
            Grâce à la désinstitutionnalisation – encouragée, je vous le concède par de grands syndicats – l’enseignant a de moins en moins de contraintes, non? Donc les candidats devraient logiquement affluer: pas de contrainte, un salaire correct eu égard à l’utilité réelle de la fonction, des vacances à rallonge, la sécurité de l’emploi… Diable! Mais qu’est-ce qui cloche?   
             
            Et je ne suis pas sûr qu’un chauffeur Uber ou un livreur Uber eats ait moins de contraintes qu’un enseignant. 

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [Le métier d’enseignant impliquerait aujourd’hui de “fortes contraintes”? C’est amusant de lire cela sous la plume de quelqu’un qui ne cesse de dénoncer le fait que les mêmes enseignants – ou du moins beaucoup d’entre eux – refusent les servitudes de leur charge…]

              Pourquoi « aujourd’hui » ? Le métier d’enseignant a toujours impliqué de fortes contraintes… ce que je ne vois pas très bien est en quoi mon commentaire serait « amusant ». C’est au contraire tout à fait cohérent : c’est parce que dans nos sociétés on n’accepte plus ces contraintes qu’on trouve peu de candidats pour réjoindre le métier… et que ceux qui l’exercent cherchent à s’en affranchir !

              [Grâce à la désinstitutionalisation – encouragée, je vous le concède par de grands syndicats – l’enseignant a de moins en moins de contraintes, non? Donc les candidats devraient logiquement affluer: pas de contrainte, un salaire correct eu égard à l’utilité réelle de la fonction, des vacances à rallonge, la sécurité de l’emploi… Diable! Mais qu’est-ce qui cloche?]

              Non, justement. Parce que si la désinstitutionalisation a allégé certaines contraintes, elle en a créé d’autres. Le professeur n’est plus tenu d’aller en cours en costume, ou d’avoir un comportement exemplaire. Mais il n’est pas non plus protégé par l’institution. Et devoir assurer sa propre protection, c’est une énorme contrainte.

              [Et je ne suis pas sûr qu’un chauffeur Uber ou un livreur Uber eats ait moins de contraintes qu’un enseignant.]

              Beaucoup moins. Vous pouvez exercer dans la ville de votre choix, vous pouvez choisir vos horaires…

            • @ Descartes,
               
              [Le métier d’enseignant a toujours impliqué de fortes contraintes…]
              Autrefois, sans doute. Mais aujourd’hui? Cela se discute. Des contraintes, peut-être. Mais “fortes”, n’exagérons rien: il y a des métiers où vous pouvez être appelés la nuit ou pendant les congés.
               
              [ce que je ne vois pas très bien est en quoi mon commentaire serait « amusant ».]
              Vous avez expliqué en long et en large, à plusieurs reprises, que les enseignants s’étaient depuis 40 ans largement affranchis des contraintes de leur métier, et maintenant vous écrivez qu’il n’y a plus de candidats à cause desdites contraintes… Avouez que c’est paradoxal.
               
              [Mais il n’est pas non plus protégé par l’institution. Et devoir assurer sa propre protection, c’est une énorme contrainte]
              Je ne vois pas de quoi vous parlez. La solution est simple: elle s’appelle démagogie. Et contrairement à ce que vous pensez, ce n’est pas très coûteux: il suffit d’abaisser les exigences, de faire moins d’évaluations, de noter de manière “cool”, de mettre les gamins à bosser “en groupes” ou sur tablettes. Comme “énorme contrainte”, on repassera…

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [« Le métier d’enseignant a toujours impliqué de fortes contraintes… » Autrefois, sans doute. Mais aujourd’hui ? Cela se discute. Des contraintes, peut-être. Mais “fortes”, n’exagérons rien : il y a des métiers où vous pouvez être appelés la nuit ou pendant les congés.]

              Comme toujours, il faut se mettre d’accord sur le vocabulaire. Qu’est ce qu’on prend en compte dans le mot « contrainte » ? L’appel de nuit, l’astreinte, ce sont des contraintes – je suis bien placé pour le savoir – auxquelles les enseignants ne sont pas soumis. Mais on peut parler déjà de la contrainte géographique, celle de l’emploi du temps et de l’organisation du travail imposés. Et puis, il y a ce qu’on peut appeler les contraintes psychologiques : celle d’être un exemple et une référence, celle de la « disponibilité psychologique » qui vous oblige à effacer vos problèmes personnels lorsque vous êtes devant votre classe…

              [« ce que je ne vois pas très bien est en quoi mon commentaire serait « amusant ». » Vous avez expliqué en long et en large, à plusieurs reprises, que les enseignants s’étaient depuis 40 ans largement affranchis des contraintes de leur métier, et maintenant vous écrivez qu’il n’y a plus de candidats à cause desdites contraintes… Avouez que c’est paradoxal.]

              Les contraintes sont définies par rapport à une vision idéale du métier : c’est ce qu’on doit faire pour être un « bon » médecin, un « bon » enseignant, un « bon » policier. Il y a toujours des individus qui ne se soumettent pas à ces contraintes. Mais elles existent quand même…

              Il n’y a donc pas de paradoxe. Les enseignants se sont affranchis des contraintes qui font un « bon » enseignant, et du coup ont l’impression de « mal » faire leur travail. Bien entendu, la plupart ne le formalisent pas ainsi : si les choses sont mal faites, c’est la faute du « manque de moyens », de la « lourdeur administrative », voire « a la société qui maltraite les jeunes ». Ce n’est donc pas parce qu’on s’est affranchi des contraintes que la contrainte a cessé d’exister… et elle pèse sur les jeunes qui envisageraient de rentrer dans le métier, à qui on offre l’alternative entre des contraintes importantes ou d’être un « mauvais » enseignant à leurs yeux.

              [« Mais il n’est pas non plus protégé par l’institution. Et devoir assurer sa propre protection, c’est une énorme contrainte » Je ne vois pas de quoi vous parlez. La solution est simple: elle s’appelle démagogie. Et contrairement à ce que vous pensez, ce n’est pas très coûteux : il suffit d’abaisser les exigences, de faire moins d’évaluations, de noter de manière “cool”, de mettre les gamins à bosser “en groupes” ou sur tablettes. Comme “énorme contrainte”, on repassera…]

              Je crois que vous négligez le poids du surmoi, qui est aussi une contrainte. Bien sûr, vous pouvez acheter la paix dans la classe et avec les parents en transformant votre classe en lieu ludique. Mais qu’est ce que cela fait pour votre auto-estime ? Je n’ai pas enseigné – du moins pas dans ce genre de contexte – et ne peux parler d’expérience. Mais j’ai beaucoup d’amis enseignants, et parmi eux pas mal du genre « démago ». Et j’ai pu constater leur souffrance psychologique, qui se traduit par un besoin de se justifier en permanence, d’attribuer aux « forces obscures » ce qui au mieux est un échec collectif, au pire un échec individuel. Pour le dire autrement, il y a parmi les enseignants des « démagos », mais très peu de « démagos heureux ». Il faut un grand cynisme pour s’abstraire du surmoi professionnel, pour assumer qu’on fait mal son métier par choix.

              C’est d’ailleurs un peu vrai dans tous les métiers. Mais c’est psychologiquement beaucoup plus coûteux dans les métiers où vous travaillez avec des personnes, et non des choses. Un mauvais plombier peut torturer un tuyau, mais il ne paye pas le même prix que lorsqu’on torture un patient ou un élève…

            • BolchoKek dit :

              @ Descartes
               
              [Et devoir assurer sa propre protection, c’est une énorme contrainte.]
               
              J’ai un ami anglois qui exerce comme enseignant dans un endroit très difficile, la protection institutionnelle outre-Manche est apparemment apportée par les syndicats. Les accusations d’attouchements sont monnaie courante, on lui a fortement suggéré d’adhérer à un syndicat, ils ont un terme très amusant pour cela : “nonce-proofing”…
               

            • @ Descartes,
               
              [Mais on peut parler déjà de la contrainte géographique, celle de l’emploi du temps et de l’organisation du travail imposés]
              Oui, enfin c’est vrai pour un nombre non-négligeable de métiers: les caissières ou les chauffeurs de cars ne choisissent pas forcément leur emploi du temps ou leurs horaires. Quant à la contrainte géographique, elle s’applique aussi très souvent: passé un certain niveau de qualification ou de spécialisation, vous êtes obligé de vous rapprocher des grandes métropoles pour trouver du boulot… Et si vous vivez dans une région économiquement sinistrée (au hasard: le Nord), le départ n’est pas forcément un choix.
               
              [Les enseignants se sont affranchis des contraintes qui font un « bon » enseignant, et du coup ont l’impression de « mal » faire leur travail.]
              Je vous trouve bien conciliant. Si les enseignants se sont affranchis des contraintes qui font un “bon” enseignant, alors ils sont devenus de “mauvais” enseignants. Pourquoi ne pas le dire?
               
              Par ailleurs, si je suis sur le fond d’accord avec vous, il faut dire, pour être tout à fait juste, que l’institution aujourd’hui délivre un message contradictoire à ses agents: le “pas-de-vague”, la “classe ludique”, le tout-numérique, des contenus devenus parfois minimalistes (ou au contraire d’une ambition irréaliste eu égard au temps à accorder à la question) et parfois caricaturaux au point de ressembler à de la mauvaise propagande, le culte du “projet”, la priorité donnée à l’oral au détriment de l’écrit, la critique des notes au profit des “compétences”, tout cela vient aussi d’en haut.  
               
              [Je crois que vous négligez le poids du surmoi, qui est aussi une contrainte.]
              Comme dit la publicité, le surmoi, “ça, c’était avant”. Nous vivons dans une société post-soixante-huitarde: les résidus de surmoi sont destinés à disparaître devant la froideur du paiement au comptant. D’ailleurs Marx l’a prédit, non?
               
              Cela a été rappelé: le capitalisme repose sur une discipline sociale (pour aller vite) qu’il est incapable de produire. Le problème est qu’il semble aussi incapable de la pérenniser, du moins sous sa forme actuelle, libérale et mondialiste. Si tous les rapports sont ceux qu’un prestataire entretient avec un client, qu’avons-nous à faire du “surmoi”? Un enseignant peut peut-être se sentir des obligations envers ses élèves. Mais envers des clients?
               
              [Mais j’ai beaucoup d’amis enseignants,]
              “Beaucoup”? C’est-à-dire? Dix? Cinquante? Cinq cents? Où travaillent-ils? Quel âge ont-ils? Vous allez trouver que je pinaille de façon un brin mesquine, mais tout cela a son importance. Car, qu’est-ce qui vous permet d’affirmer que votre échantillon est représentatif?
               
              [et parmi eux pas mal du genre « démago ».]
              Je ne vous crois pas, vous me faites marcher. Je me souviens des propos très virulents que vous avez eu à plusieurs reprises à l’encontre des enseignants. Et vous voudriez me faire croire que vous avez accordé votre amitié à des enseignants “démago”, c’est-à-dire des gens dont la pratique professionnelle est en tout point contraire à la conception de l’enseignement que vous défendez, des gens qui commettent un crime – je pèse mes mots – contre l’idée même de transmission, laquelle se fonde, comme chacun sait, sur l’exigence, l’effort, la discipline? En toute franchise, ce n’est pas crédible. A moins que vous me disiez que vous êtes fâchés avec lesdits amis…
               
              [Et j’ai pu constater leur souffrance psychologique]
              Malheureux! Vous avez parlé à un enseignant de son boulot? J’imagine d’ici l’ambiance de la soirée…
               
              [Pour le dire autrement, il y a parmi les enseignants des « démagos », mais très peu de « démagos heureux ».]
              A moins que votre échantillon d’enseignants soit représentatif, il me paraît très difficile d’en arriver à cette conclusion. Tout au plus pouvez-vous constater que, parmi ceux que vous connaissez, il y a peu de “démagos heureux”. Mais peut-être s’agit-il de gens dans vos âges? Avez-vous songé à un possible effet de génération? Ou d’origine sociale?
               
              [Il faut un grand cynisme pour s’abstraire du surmoi professionnel, pour assumer qu’on fait mal son métier par choix.]
              Le cynisme, tout de suite les grands mots. Mais, cher ami, même le cynisme a une forme de grandeur. Moi, je penche plutôt pour le je-m’en-foutisme, moins classe, mais avec les mêmes résultats.

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [Oui, enfin c’est vrai pour un nombre non-négligeable de métiers: les caissières ou les chauffeurs de cars ne choisissent pas forcément leur emploi du temps ou leurs horaires.]

              Dans une certaine limite, oui. Une caissière de supermarché peut partir en vacances le mois de son choix – sous réserve que la présence de ses collègues le permette. Un enseignant ne peut partir en vacances que pendant les vacances scolaires. De même, si une caissière qui travaille d’habitude le matin veut échanger avec sa collègue de l’après midi, cela ne pose aucun problème. Ce n’est pas le cas de l’enseignant…

              [Quant à la contrainte géographique, elle s’applique aussi très souvent: passé un certain niveau de qualification ou de spécialisation, vous êtes obligé de vous rapprocher des grandes métropoles pour trouver du boulot… Et si vous vivez dans une région économiquement sinistrée (au hasard: le Nord), le départ n’est pas forcément un choix.]

              Cela dépend. Médecin généraliste est un métier très qualifié, et je peux vous assurer que vous pouvez vous installer à peu près partout, y compris – et surtout – dans les régions sinistrées… et vous ne risquez pas d’être envoyé d’office en Seine Saint Denis…

              [« Les enseignants se sont affranchis des contraintes qui font un « bon » enseignant, et du coup ont l’impression de « mal » faire leur travail. » Je vous trouve bien conciliant. Si les enseignants se sont affranchis des contraintes qui font un “bon” enseignant, alors ils sont devenus de “mauvais” enseignants. Pourquoi ne pas le dire ?]

              Si ca vous fait plaisir, je peux le dire… mais la question ici n’était pas celle de la façon dont le métier est objectivement fait, mais du ressenti qui fait que le métier est snobé. Je pense que beaucoup d’enseignants ont l’impression de « mal faire leur travail », mais très peu se perçoivent comme des « mauvais enseignants ». La plupart trouve des causes extérieures au fait qu’ils font mal leur travail, ce qui leur permet jusqu’à un certain point de contenter leur surmoi…

              [Par ailleurs, si je suis sur le fond d’accord avec vous, il faut dire, pour être tout à fait juste, que l’institution aujourd’hui délivre un message contradictoire à ses agents: le “pas-de-vague”, la “classe ludique”, le tout-numérique, des contenus devenus parfois minimalistes (ou au contraire d’une ambition irréaliste eu égard au temps à accorder à la question) et parfois caricaturaux au point de ressembler à de la mauvaise propagande, le culte du “projet”, la priorité donnée à l’oral au détriment de l’écrit, la critique des notes au profit des “compétences”, tout cela vient aussi d’en haut.]

              Tout à fait. Mais si c’est une circonstance atténuante, elle ne va pas jusqu’à les excuser totalement. Parce que les enseignants ont montré largement leur capacité à résister lorsqu’on touchait quelque chose qui était importante pour eux. Ils ont fait grève pour défendre leur paye, leurs primes, leurs avantages statutaires. Je ne me souviens pas qu’ils aient fait grève pour défendre la primauté de l’écrit, pour s’opposer à la logique du « projet », pour défendre la notation… pour le dire autrement, pour défendre leur institution. J’ai vu les agents EDF faire grève pour défendre le statut de leur entreprise – alors qu’on leur avait garanti que leur statut personnel ne serait pas touché. J’aurais aimé voir les enseignants avoir la même réaction.

              [Comme dit la publicité, le surmoi, “ça, c’était avant”. Nous vivons dans une société post-soixante-huitarde : les résidus de surmoi sont destinés à disparaître devant la froideur du paiement au comptant. D’ailleurs Marx l’a prédit, non ?]

              Je ne vais pas contredire Marx, bien entendu… mais si Marx a prédit la disparition du surmoi, il n’a pas indiqué de date. Je pense effectivement que la contradiction entre le « surmoi enseignant » et la tentation de la démagogie et du moindre effort génère une souffrance pour les enseignants d’une certaine génération, la mienne ou la vôtre. Des générations qui sont allées enseigner en sachant que la feuille de paye n’était pas mirobolante, mais dont le « surmoi » lui permettait de trouver une récompense ailleurs, dans le métier lui-même. Mais peut-être que la génération qui arrive aujourd’hui n’a plus ce surmoi, que pour elle l’enseignement n’est qu’un métier alimentaire, et que par conséquent elle n’aura d’autre souci que la feuille de paye. Ce qui expliquerait pourquoi elle est réticente à s’engager dans un métier peu rémunérateur en termes monétaires…

              [Cela a été rappelé : le capitalisme repose sur une discipline sociale (pour aller vite) qu’il est incapable de produire. Le problème est qu’il semble aussi incapable de la pérenniser, du moins sous sa forme actuelle, libérale et mondialiste. Si tous les rapports sont ceux qu’un prestataire entretient avec un client, qu’avons-nous à faire du “surmoi” ? Un enseignant peut peut-être se sentir des obligations envers ses élèves. Mais envers des clients ?]

              Nous sommes d’accord. De la même manière que le capitalisme a rompu le lien paternaliste entre l’employeur et l’employé et les obligations réciproques que celui-ci impliquait, il a rompu le lien d’obligations réciproques entre enseignant et élève en transformant le premier en fournisseur de service, le second en client. Le fournisseur n’a envers le client qu’un seul devoir : faire le travail pour lequel il est payé. Et si la paye n’est pas bonne, il va voir ailleurs.

              [« Mais j’ai beaucoup d’amis enseignants, » “Beaucoup” ? C’est-à-dire ? Dix ? Cinquante ? Cinq cents ? Où travaillent-ils ? Quel âge ont-ils ? Vous allez trouver que je pinaille de façon un brin mesquine, mais tout cela a son importance. Car, qu’est-ce qui vous permet d’affirmer que votre échantillon est représentatif ?]

              Je ne le prétend pas, et je pense avoir pris les précautions d’usage dans mon écrit. Je discute très couramment avec des enseignants, et j’ai pas mal d’amis dans ce milieu. Cinq cents ? Peut-être pas. Cinquante ? C’est probablement le chiffre le plus proche. La plupart sont dans la tranche 40-60 ans, ce qui déjà introduit un biais.

              [« et parmi eux pas mal du genre « démago ». » Je ne vous crois pas, vous me faites marcher. Je me souviens des propos très virulents que vous avez eu à plusieurs reprises à l’encontre des enseignants. Et vous voudriez me faire croire que vous avez accordé votre amitié à des enseignants “démago”,]

              Vous savez, je suis une personne très ouverte en matière d’amitié, pour peu que l’autre soit aussi ouvert. Je ne cache pas bien entendu mes positions, mais je respecte celle des autres. Je ne vais pas me fâcher avec des gens que je connais depuis longtemps, avec lesquels j’aime bavarder, partager un repas, qui ont été solidaires avec moi dans les moments difficiles au seul motif qu’on est en désaccord sur la manière dont ils exercent leur métier ! Vous savez, j’ai des amis qui son au RN, j’ai eu un ami parachutiste qui avait probablement torturé en Algérie… Je n’ai jamais refusé mon amitié à quiconque parce que j’étais en désaccord avec lui.

              Vous savez, un de mes patrons avait l’habitude de dire que « pour faire ce métier, il faut aimer les gens ». Ce mot m’a profondément marqué : je suis quelqu’un qui aime beaucoup les gens. Et du coup, je pardonne volontiers beaucoup de choses…

              [« Et j’ai pu constater leur souffrance psychologique » Malheureux ! Vous avez parlé à un enseignant de son boulot ? J’imagine d’ici l’ambiance de la soirée…]

              Pourquoi ? Si vous écoutez les gens, vous apprenez des choses passionnantes. Je n’ai jamais vécu dans ce milieu, alors je vous assure qu’écouter la description d’une salle de profs, c’est absolument passionnant. Bien sûr, ça a un côté pleurnichard qui finit par être un peu exaspérant, mais de temps en temps, ce n’est pas trop désagréable…

              [A moins que votre échantillon d’enseignants soit représentatif, il me paraît très difficile d’en arriver à cette conclusion. Tout au plus pouvez-vous constater que, parmi ceux que vous connaissez, il y a peu de “démagos heureux”. Mais peut-être s’agit-il de gens dans vos âges ? Avez-vous songé à un possible effet de génération ? Ou d’origine sociale ?]

              Je vous accorde volontiers le point. Comme je l’ai dit plus haut, c’est très possiblement un effet de génération, une transition entre les générations qui avaient un puissant surmoi, et des générations qui n’auront qu’un rapport monétaire avec leur métier.

            • @ Descartes,
               
              [Si ca vous fait plaisir, je peux le dire…]
              Ce n’est pas une question de “me faire plaisir”. C’est juste une question d’honnêteté.
               
              [Mais si c’est une circonstance atténuante, elle ne va pas jusqu’à les excuser totalement.]
              Je n’ai pas dit que ça les “excusait totalement”. Ce que je veux dire, c’est qu’on ne saurait exclure qu’il y a aussi parmi les enseignants quelques personnes de bonne volonté, qui voudraient bien faire. Seulement, lorsque l’institution – pour ne pas dire la société – vous envoie des messages contradictoires, il devient parfois difficile de savoir où est son devoir.
               
              Un jour, les gens déplorent la baisse du niveau. Le lendemain, ils se plaignent que leur enfant a trop de travail et obtient de mauvais résultats parce que l’enseignant est “trop exigeant”. On ne peut pas tout avoir… La société elle-même sait-elle ce qu’elle attend de ses professeurs?
               
              [mais si Marx a prédit la disparition du surmoi, il n’a pas indiqué de date.]
              Eh bien, moi je vous la donne, la date: c’est maintenant. Votre article en témoigne d’ailleurs: les gens fuient les contraintes et les responsabilités aussi parce que le surmoi s’est évaporé.
               
              [Mais peut-être que la génération qui arrive aujourd’hui n’a plus ce surmoi, que pour elle l’enseignement n’est qu’un métier alimentaire, et que par conséquent elle n’aura d’autre souci que la feuille de paye.]
              Mais oui mon cher. Et d’ailleurs, comme vous le signalez, cela ne concerne pas que le métier d’enseignant.
               
              [Vous savez, je suis une personne très ouverte en matière d’amitié, pour peu que l’autre soit aussi ouvert.]
              C’est ce que je constate. Je dois admettre que votre bonté d’âme et votre bienveillance m’étonnent et m’édifient.
               
              [Je ne cache pas bien entendu mes positions, mais je respecte celle des autres.]
              J’ignorais que la “démagogie” était respectable mais admettons.
               
              [Je ne vais pas me fâcher avec des gens que je connais depuis longtemps, avec lesquels j’aime bavarder, partager un repas, qui ont été solidaires avec moi dans les moments difficiles au seul motif qu’on est en désaccord sur la manière dont ils exercent leur métier !]
              Ah bon? Mais “la manière dont ils exercent leur métier” a des effets désastreux sur la transmission, la formation intellectuelle des jeunes et, in fine, sur l’avenir de notre nation. Ces braves gens assassinent une civilisation tout de même (j’exagère, mais disons qu’ils y participent). Et vous me dites que ce n’est pas une raison valable de se fâcher? Diantre! Quel motif est donc valable à vos yeux pour se fâcher, je me le demande.
               
              [Vous savez, j’ai des amis qui son au RN,]
              Vous m’étonnez de plus en plus. J’avais cru comprendre que vous connaissiez fort mal le RN puisque vos amis et relations étaient à gauche, notamment au PCF.
               
              [j’ai eu un ami parachutiste qui avait probablement torturé en Algérie…]
              Ah… Celui qui vous insultait quand vous tractiez sur le marché, à qui vous avez un jour payé un café pour l’écouter raconter sa vie et qui vous a offert un beau cadeau de mariage?
               
              [Je n’ai jamais refusé mon amitié à quiconque parce que j’étais en désaccord avec lui.]
              Je suis très admiratif, je l’admets.
               
              [Je n’ai jamais vécu dans ce milieu, alors je vous assure qu’écouter la description d’une salle de profs, c’est absolument passionnant.]
              “Passionnant” n’est pas tout à fait le mot qui me viendrait à l’esprit. Bien sûr, c’est intéressant dans la mesure où ça renseigne sur l’état d’esprit des enseignants. Rien de plus.
               
              [Bien sûr, ça a un côté pleurnichard qui finit par être un peu exaspérant,]
              Voilà qui est surprenant… 😉

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [Je n’ai pas dit que ça les “excusait totalement”. Ce que je veux dire, c’est qu’on ne saurait exclure qu’il y a aussi parmi les enseignants quelques personnes de bonne volonté, qui voudraient bien faire. Seulement, lorsque l’institution – pour ne pas dire la société – vous envoie des messages contradictoires, il devient parfois difficile de savoir où est son devoir.]

              Je ne crois avoir jamais dit le contraire, et si quelque écrit de ma part pouvait ainsi être interprété, je le regrette. Je suis au contraire persuadé qu’il existe toujours un « surmoi » enseignant, partagé par beaucoup d’enseignants – et surtout par ceux qui ont été formés dans une logique institutionnelle aujourd’hui largement détruite. Il y a parmi les enseignants des gens qui ont une haute vision de leur métier, et qui essayent de la mettre en œuvre malgré et contre les pressions de la société et les contradictions de leur propre institution. De la même manière qu’on trouve des hauts-fonctionnaires qui se battent contre la dissolution de l’Etat. Mais force est de constater que les mouvements restent individuels, qu’il n’y a pas une véritable « mobilisation de classe » comme c’est le cas quand on touche à des intérêts disons… plus matériels.

              J’ajoute que j’ai pour ces lutteurs solitaires le plus grand respect. Je sais par expérience combien il est difficile d’aller contre le courant, de défendre une institution contre elle-même. J’aurais fait une bien plus belle carrière si je n’avais pas ouvert ma grande gueule dans mes différents postes pour critiquer la privatisation des entreprises publiques, le recours aux cabinets de conseil ou l’européisation rampante de notre réglementation… quand bien même j’ai fait toujours loyalement mon travail. Mais vous noterez que c’est plus facile pour un enseignant, dans la mesure où sa « carrière » ne dépend que faiblement des opinions qu’il exprime ou de sa façon de faire la classe.

              [Un jour, les gens déplorent la baisse du niveau. Le lendemain, ils se plaignent que leur enfant a trop de travail et obtient de mauvais résultats parce que l’enseignant est “trop exigeant”. On ne peut pas tout avoir… La société elle-même sait-elle ce qu’elle attend de ses professeurs ?]

              Oui, mais elle préfère ne pas l’avouer. Vous noterez que « la société » déplore la baisse de niveau… mais cette déploration ne dépasse jamais le stade de la plainte rituelle. Alors que pour réduire le niveau d’exigence on prend des mesures très concrètes. Des professeurs, « la société » attend qu’ils surveillent ses enfants, qu’ils les empêchent de se droguer ou de se bagarrer un peu trop, qu’ils leur mettent les notes qui leur permettront de trouver un emploi. Le reste vient en supplément facultatif.

              Certains enseignants souffrent aujourd’hui parce qu’il y a un décalage entre le « surmoi » qui les a fait rejoindre le métier et cette réalité. Mais peut-être – et c’est cela le plus triste – que la prochaine génération d’enseignants concevra son métier exactement de cette façon, et n’en souffrira donc nullement puisque son exigence personnelle et celle de « la société » seront conformes.

              [Eh bien, moi je vous la donne, la date : c’est maintenant. Votre article en témoigne d’ailleurs : les gens fuient les contraintes et les responsabilités aussi parce que le surmoi s’est évaporé.]

              Dans mes soirées les plus pessimistes, je suis d’accord avec vous.

              [« Je ne cache pas bien entendu mes positions, mais je respecte celle des autres. » J’ignorais que la “démagogie” était respectable mais admettons.]

              Je pense qu’on ne met pas le même sens au mot « respect ». Quand je dis que je respecte une opinion, cela veut dire que je la laisse s’exprimer, et que je la combats avec courtoisie. Courtoisie qui n’exclut nullement la fermeté.

              [« Je ne vais pas me fâcher avec des gens que je connais depuis longtemps, avec lesquels j’aime bavarder, partager un repas, qui ont été solidaires avec moi dans les moments difficiles au seul motif qu’on est en désaccord sur la manière dont ils exercent leur métier ! » Ah bon? Mais “la manière dont ils exercent leur métier” a des effets désastreux sur la transmission, la formation intellectuelle des jeunes et, in fine, sur l’avenir de notre nation. Ces braves gens assassinent une civilisation tout de même (j’exagère, mais disons qu’ils y participent). Et vous me dites que ce n’est pas une raison valable de se fâcher ? Diantre ! Quel motif est donc valable à vos yeux pour se fâcher, je me le demande.]

              La duplicité, la discourtoisie, le manque de respect. Encore une fois, mes amis connaissent parfaitement mon opinion sur la manière dont ils exercent leur métier, et je ne les ménage pas. Mais s’ils acceptent courtoisement de m’entendre lorsque je leur dit qu’ils « assassinent une civilisation » (ou du moins sont complices de l’assassinat), je ne vois pas pourquoi je leur refuserait la courtoisie réciproque. Encore une fois, on peut combattre les idées ou les politiques de quelqu’un sans nécessairement se fâcher avec. Sans cela, on finit par ne fréquenter que des gens qui sont d’accord avec soi, et par les temps qui courent, cela limite sévèrement la vie sociale des gens comme vous et moi ! Et puis, cela vous expose au risque de n’écouter chez l’autre que les échos de vos propres pensées…

              [« Vous savez, j’ai des amis qui son au RN, » Vous m’étonnez de plus en plus. J’avais cru comprendre que vous connaissiez fort mal le RN puisque vos amis et relations étaient à gauche, notamment au PCF.]

              La plus grande part, oui. Mais il y a des exceptions. Et puis mes amis qui ont leur carte au RN n’ont pas forcément envie de me raconter la cuisine interne de leur organisation.

              [« j’ai eu un ami parachutiste qui avait probablement torturé en Algérie… » Ah… Celui qui vous insultait quand vous tractiez sur le marché, à qui vous avez un jour payé un café pour l’écouter raconter sa vie et qui vous a offert un beau cadeau de mariage ?]

              Oui… je vois que vous avez une excellente mémoire. Vous savez, il faut essayer d’apprivoiser les gens si l’on ne veut pas vivre dans une société ensauvagée. C’est d’ailleurs un truc que j’ai toujours détesté chez les gauchistes, cette idée qu’il y a « les nôtres » et « les autres ». La lutte des classes n’est pas un concept individuel mais collectif.

              [« Je n’ai jamais vécu dans ce milieu, alors je vous assure qu’écouter la description d’une salle de profs, c’est absolument passionnant. » “Passionnant” n’est pas tout à fait le mot qui me viendrait à l’esprit. Bien sûr, c’est intéressant dans la mesure où ça renseigne sur l’état d’esprit des enseignants. Rien de plus.]

              Vous ne le trouvez pas « passionnant » probablement parce que cela fait partie de votre vécu quotidien, et que par conséquent vous n’y découvrez rien de nouveau. Si quelqu’un me décrivait les discussions dans les vestiaires d’une centrale nucléaire, j’aurais probablement la même réaction. Mais pour quelqu’un qui n’est pas du milieu, c’est la découverte d’un théâtre dont les personnages sont totalement exotiques. Du moins, c’est l’impression que j’ai quand mes amis m’en parlent… peut-être embellissent-ils la chose ?

            • @ Descartes,
               
              [Il y a parmi les enseignants des gens qui ont une haute vision de leur métier]
              Oui… Mais la plupart de ces gens-là sont formateurs à l’INSPE ou prof en classes préparatoires. Les autres ont des crédits à rembourser ou veulent s’offrir de belles vacances. Ou les deux.
               
              [et qui essayent de la mettre en œuvre malgré et contre les pressions de la société et les contradictions de leur propre institution.]
              En toute franchise, je m’interroge sur l’utilité de ce genre de combat d’arrière-garde. Je sais que les causes perdues sont les plus belles mais enfin. Vous avez dit à un autre commentateur que l’enseignant qui arrive à transmettre à trois ou quatre élèves, c’est déjà ça. Mais la transmission, c’est comme la lutte des classes, c’est une problématique collective et non individuelle: sans consensus social sur la nécessité de la transmission, et sur le contenu de ce qui doit être transmis, votre “lutteur solitaire” ressemble davantage à Don Quichotte affrontant les moulins qu’à un héros… Qui plus est, comment choisir avec discernement ce qu’on essaie de transmettre sans directive claire de l’institution? On introduit forcément un biais: l’enseignant va avoir tendance à essayer de transmettre ce que LUI juge important, et un autre fera différemment. C’est accorder un poids considérable aux a priori idéologiques des enseignants.
               
              [Mais s’ils acceptent courtoisement de m’entendre lorsque je leur dit qu’ils « assassinent une civilisation » (ou du moins sont complices de l’assassinat),]
              S’ils l’acceptent, alors ce sont des gens assez remarquables, j’en conviens, car ça ne doit pas être facile de s’entendre dire, même poliment, qu’on ne fait pas correctement son boulot. Si, comme vous le dites, “vous ne les ménagez pas”, ce sont eux qui doivent passer des soirées désagréables…
               
              [Mais vous noterez que c’est plus facile pour un enseignant, dans la mesure où sa « carrière » ne dépend que faiblement des opinions qu’il exprime ou de sa façon de faire la classe]
              De sa façon de faire la classe, sans doute. Des opinions qu’il exprime… Je me souviens que lors de mon “entretien de carrière”, j’avais dû rédiger un document présentant ma “réflexion sur le métier”. J’y expliquais les problèmes rencontrés par nombre d’élèves qui ont un vocabulaire pauvre, mon inquiétude face à la difficulté de beaucoup d’élèves en face des questions de laïcité et de tolérance, la frustration de constater que la parole de l’enseignant peine à se faire entendre quand il va à l’encontre du discours familial ou communautaire. Mon chef m’a dit: “je vous trouve un peu pessimiste”. Oh, je n’ai pas été sanctionné. Mais étrangement, je n’ai pas fait partie du contingent qui a bénéficié d’une accélération dans le passage des échelons… 
               
              [Des professeurs, « la société » attend qu’ils surveillent ses enfants, qu’ils les empêchent de se droguer ou de se bagarrer un peu trop, qu’ils leur mettent les notes qui leur permettront de trouver un emploi.]
              A quoi bon recruter des bac + 5 pour faire ça? Des bac + 2 payés au smic feront l’affaire.
               
              [Vous savez, il faut essayer d’apprivoiser les gens si l’on ne veut pas vivre dans une société ensauvagée.]
              Je reconnais là votre humanisme, et il vous honore. Mais je pense que la différence vient du fait qu’au sein de votre propre profession, vos principes, vos valeurs, votre vision du monde sont en partie partagés. Vous pouvez sans désagrément écouter les délires des “autres” parce que vous évoluez dans un milieu où vous côtoyez des gens qui vous ressemblent. Mais quelqu’un qui, au quotidien, ne côtoie quasiment que des gens qui crachent sur ses principes et sa vision du monde, des gens qui bâtissent jour après jour un monde qui lui est insupportable, les choses sont un peu différentes. Vous semblez ignorer la rancoeur et le ressentiment, mais tout le monde n’est pas comme vous. Il arrive un moment où il faut choisir: l’ouvrir et se retrouver mis au ban, ou se taire et limiter au strict minimum les échanges avec les “autres”.  
               
              [C’est d’ailleurs un truc que j’ai toujours détesté chez les gauchistes, cette idée qu’il y a « les nôtres » et « les autres ».]
              Je partage la vision des gauchistes, à ceci près que, pour moi, “les autres” sont les gauchistes et leurs alliés…
               
              [Vous ne le trouvez pas « passionnant » probablement parce que cela fait partie de votre vécu quotidien, et que par conséquent vous n’y découvrez rien de nouveau]
              Non, ce n’est pas ça. La raison tient en un mot: déception. Lorsque je suis entré dans une salle des profs pour la première fois, je me réjouissais des conversations “passionnantes” que j’allais avoir avec des gens cultivés (instruits aurait-on dit autrefois). J’ai dû déchanter…
               
              [Mais pour quelqu’un qui n’est pas du milieu, c’est la découverte d’un théâtre dont les personnages sont totalement exotiques.]
              Mais où donc enseignent vos amis? Dans les salles des profs que j’ai connues, les enseignants parlent de leurs enfants, de leurs animaux, de leur bagnole ou de leurs vacances. Franchement, savoir que votre collègue a changé sa Renault contre une Nissan vous trouvez ça passionnant, vous? On n’entend rarement autre chose que ce genre de banalité, vous savez. 

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [« Il y a parmi les enseignants des gens qui ont une haute vision de leur métier » Oui… Mais la plupart de ces gens-là sont formateurs à l’INSPE ou prof en classes préparatoires. Les autres ont des crédits à rembourser ou veulent s’offrir de belles vacances. Ou les deux.]

              Pas nécessairement. Il reste encore des « hussards noirs »… peu nombreux peut-être, mais j’en ai connu quelques uns.

              [« et qui essayent de la mettre en œuvre malgré et contre les pressions de la société et les contradictions de leur propre institution. » En toute franchise, je m’interroge sur l’utilité de ce genre de combat d’arrière-garde. Je sais que les causes perdues sont les plus belles mais enfin. Vous avez dit à un autre commentateur que l’enseignant qui arrive à transmettre à trois ou quatre élèves, c’est déjà ça. Mais la transmission, c’est comme la lutte des classes, c’est une problématique collective et non individuelle : sans consensus social sur la nécessité de la transmission, et sur le contenu de ce qui doit être transmis, votre “lutteur solitaire” ressemble davantage à Don Quichotte affrontant les moulins qu’à un héros…]

              Mais… Don Quichotte EST un héros. Pourquoi croyez-vous que ce personnage ait traversé les âges ? Ici, plus qu’à Don Quichotte, ma référence littéraire serait plutôt « Farenheit 451 », et la tribu des marginaux qui apprennent par cœur les livres pour les préserver qui apparaissent à la fin du roman. Je ne pense pas que cette transmission « clandestine » soit une « cause perdue ». Je pense que c’est une œuvre de préservation qui permet d’éviter que certaines choses se perdent irréversiblement. Ce sont des graines qu’on préserve pour l’avenir.

              [Qui plus est, comment choisir avec discernement ce qu’on essaie de transmettre sans directive claire de l’institution ? On introduit forcément un biais : l’enseignant va avoir tendance à essayer de transmettre ce que LUI juge important, et un autre fera différemment. C’est accorder un poids considérable aux a priori idéologiques des enseignants.]

              Tout à fait. C’est un risque. Mais une transmission biaisée, c’est toujours mieux que pas de transmission du tout.

              [« Mais s’ils acceptent courtoisement de m’entendre lorsque je leur dit qu’ils « assassinent une civilisation » (ou du moins sont complices de l’assassinat), » S’ils l’acceptent, alors ce sont des gens assez remarquables, j’en conviens, car ça ne doit pas être facile de s’entendre dire, même poliment, qu’on ne fait pas correctement son boulot. Si, comme vous le dites, “vous ne les ménagez pas”, ce sont eux qui doivent passer des soirées désagréables…]

              Mais… je cherche dans la mesure du possible à m’entourer de gens remarquables…
              On peut être en désaccord sans pour autant passer « des soirées désagréables ». Ce blog vous le montre d’ailleurs : on peut se dire des choses très franchement sans pour autant créer une animosité, pour peu qu’on s’adresse à des gens intelligents et qu’on mette les formes. Nos échanges en témoignent !

              [« Mais vous noterez que c’est plus facile pour un enseignant, dans la mesure où sa « carrière » ne dépend que faiblement des opinions qu’il exprime ou de sa façon de faire la classe » De sa façon de faire la classe, sans doute. Des opinions qu’il exprime… Je me souviens que lors de mon “entretien de carrière”, j’avais dû rédiger un document présentant ma “réflexion sur le métier”. J’y expliquais les problèmes rencontrés par nombre d’élèves qui ont un vocabulaire pauvre, mon inquiétude face à la difficulté de beaucoup d’élèves en face des questions de laïcité et de tolérance, la frustration de constater que la parole de l’enseignant peine à se faire entendre quand il va à l’encontre du discours familial ou communautaire. Mon chef m’a dit: “je vous trouve un peu pessimiste”. Oh, je n’ai pas été sanctionné. Mais étrangement, je n’ai pas fait partie du contingent qui a bénéficié d’une accélération dans le passage des échelons…]

              Oui, bien sûr, il y a une influence sur la rémunération. Mais pas vraiment sur le poste que vous occupez. Même si vous vous opposez à la doxa, vous continuerez à être en face d’une classe. Dans mon métier, c’est un peu différent : si vos opinions contre la doxa sont connues, vous serez mis dans un placard isolé et l’accès aux postes intéressants vous sont barrés. C’est cela que je voulais dire.

              [« Des professeurs, « la société » attend qu’ils surveillent ses enfants, qu’ils les empêchent de se droguer ou de se bagarrer un peu trop, qu’ils leur mettent les notes qui leur permettront de trouver un emploi. » A quoi bon recruter des bac + 5 pour faire ça ? Des bac + 2 payés au smic feront l’affaire.]

              Parce qu’il faut bien faire quelque chose avec ceux qui ont chauffé des bancs à l’université pendant cinq ans. Si vous mettez le recrutement des professeurs à bac+2, vous aurez du mal à le réserver aux rejetons des classes intermédiaires… mais ne vous en faites pas : la difficulté de trouver des enseignants aura un effet assez rapidement sur les niveaux de recrutement. Déjà, on commence à mettre devant des classes des gens sans formation pédagogique…

              [« Vous savez, il faut essayer d’apprivoiser les gens si l’on ne veut pas vivre dans une société ensauvagée. » Je reconnais là votre humanisme, et il vous honore. Mais je pense que la différence vient du fait qu’au sein de votre propre profession, vos principes, vos valeurs, votre vision du monde sont en partie partagés. Vous pouvez sans désagrément écouter les délires des “autres” parce que vous évoluez dans un milieu où vous côtoyez des gens qui vous ressemblent.]

              Vous vous trompez. J’évolue dans un milieu très fragmenté, où les gens qui partagent ma vision du monde sont encore relativement nombreux, mais plus vraiment majoritaires. Et où le pouvoir, les postes et les honneurs vont à ceux qui reprennent la « doxa » du jour, tout écart étant lourdement sanctionné. D’où une hypocrisie permanente entre ce qui se dit derrière les portes fermées et ce qui se dit en public. Quand vous ouvrez votre grande gueule pour critiquer la fermeture de Fessenheim ou l’organisation du marché de l’électricité, vous savez que beaucoup de gens sont d’accord avec vous… mais lorsque vous serez mis au placard, personne n’osera venir vous soutenir. Non seulement on est obligé « d’écouter les délires des autres », mais on est obligé de les répéter !

              Je pense que notre vision est différente du fait de nos expériences. J’ai vécu ma prime jeunesse dans un pays en guerre civile. Et j’ai dont très présent à l’esprit ce que peut être une société où chacun refuse tout contact, toute familiarité, toute empathie avec ceux qui ne sont pas des « siens ». C’est pourquoi je vois comme essentiel de maintenir et défendre un cadre d’échange avec tous, quelque puissent être les différences. Lorsque LFI exclut un de ses propres candidats au motif qu’il aurait pris un verre avec une personnalité de droite, lorsqu’un député refuse de serrer la main d’un collègue au prétexte qu’il est au RN, je vois les prémisses de l’effondrement de ce cadre, et donc la menace de la guerre civile. Nous pouvons avoir des différences, nous pouvons même nous combattre, mais nous sommes tous français, nous sommes dans le même bateau, nous flottons ou nous coulons ensemble. Alors, il nous faut un cadre pour gérer nos différences et maintenir nos combats dans certaines limites dans l’intérêt de tous. Sans vouloir vous offenser, je pense que, parce que vous n’avez pas eu cette expérience, vous envisagez la guerre civile comme une issue possible, sans réaliser combien une guerre civile peut être terrible.

              [Mais quelqu’un qui, au quotidien, ne côtoie quasiment que des gens qui crachent sur ses principes et sa vision du monde, des gens qui bâtissent jour après jour un monde qui lui est insupportable, les choses sont un peu différentes. Vous semblez ignorer la rancœur et le ressentiment, mais tout le monde n’est pas comme vous.]

              Oui, par caractère, je ne suis pas rancunier. Ma devise est « pardonner souvent, n’oublier jamais ». Pour ne donner qu’un exemple, j’ai haï Mitterrand sur le moment comme je n’ai jamais haï aucun autre homme politique. Mais je peux pardonner facilement à des amis qui ont été mitterrandiens leurs errements. Par contre, ce que j’ai du mal à supporter, c’est qu’ils aient oublié ce que Mitterrand a fait de ce pays et leur rôle dans l’affaire…

              [« C’est d’ailleurs un truc que j’ai toujours détesté chez les gauchistes, cette idée qu’il y a « les nôtres » et « les autres ». » Je partage la vision des gauchistes, à ceci près que, pour moi, “les autres” sont les gauchistes et leurs alliés…]

              Je sais. Vous voyez ? On peut se dire nos différences sans qu’aucun de nous deux passe « un moment désagréable »…

              [« Mais pour quelqu’un qui n’est pas du milieu, c’est la découverte d’un théâtre dont les personnages sont totalement exotiques. » Mais où donc enseignent vos amis? Dans les salles des profs que j’ai connues, les enseignants parlent de leurs enfants, de leurs animaux, de leur bagnole ou de leurs vacances. Franchement, savoir que votre collègue a changé sa Renault contre une Nissan vous trouvez ça passionnant, vous ? On n’entend rarement autre chose que ce genre de banalité, vous savez.]

              Oui, les enseignants parlent de leurs enfants, de leurs animaux, de leur bagnole ou leurs vacances… mais ils ne parlent pas de la même manière qu’on en parlerait dans le vestiaire d’une centrale électrique ou dans la salle de repos d’un commissariat de police. J’avais remarqué par exemple combien les enseignants éprouvent le besoin de se justifier, de montrer qu’ils ne sont pas annexés par la « société bourgeoise ». S’ils partent en vacances vers une destination chère ou lointaine, ils prennent soin d’indiquer combien ils ont pris soin que leurs vacances soient « écologiques », de « loger chez l’habitant » etc. Et même chose s’ils changent de bagnole. Il y a aussi des détails dans la forme des discussions : dans la salle des profs, tous sont égaux. Dans une usine ou un commissariat, le grade compte, et les « jeunes » défèrent dans la conversation aux « anciens »… je vous dis, toute situation humaine est intéressante, pour peu qu’on la regarde avec intérêt…

            • @ Descartes,
               
              [Mais… Don Quichotte EST un héros.]
              Certains en font plutôt un anti-héros. Surtout, et je pense qu’il faut le souligner, Don Quichotte est en décalage avec son époque, au point d’en être un brin ridicule.
               
              [Mais… je cherche dans la mesure du possible à m’entourer de gens remarquables…]
              Apparemment, vous y arrivez. Vous devez être un homme comblé…
               
              [On peut être en désaccord sans pour autant passer « des soirées désagréables ».]
              Je suis d’accord avec vous, mais à une condition: être capable d’écouter l’autre et que l’autre vous écoute. Or cette capacité d’écoute n’est pas si répandue, et elle me semble en recul. Et puis, il y a une façon de dire les choses: quand un athée m’explique les raisons philosophiques qui l’amènent à rejeter la foi en l’existence de Dieu, je l’écoute. Quand quelqu’un me dit: “les catholiques sont tous des cons”, je ferme les écoutilles. Ce que j’observe parmi les gens que je côtoie, ce sont deux travers rédhibitoires: 1) considérer ses propres préjugés comme des évidences et faire la leçon aux autres; 2) tenir des propos méprisants ou insultants sans jamais se demander s’il n’y a pas quelqu’un qui se sentira visé (et sans naturellement supporter qu’on leur rende la pareille). Il ne s’agit pas pour moi d’aboutir à une situation où “on ne peut plus rien dire”, mais de rappeler que les propos caricaturaux et péremptoires, ainsi que la posture – très répandue – de donneurs de leçon n’aident pas à l’établissement d’un dialogue serein. Et je précise que je parle là d’échanges oraux directs entre personnes physiques. Qu’il y ait par ailleurs, dans la presse ou le monde politique et littéraire, des caricatures violentes, des brûlots ou des pamphlets véhéments, ne me gêne pas, c’est un autre contexte, ça participe de la vitalité démocratique.
               
              [Ce blog vous le montre d’ailleurs : on peut se dire des choses très franchement sans pour autant créer une animosité, pour peu qu’on s’adresse à des gens intelligents et qu’on mette les formes. Nos échanges en témoignent !]
              Sans doute… Mais contrairement à vous, j’ai sur ce blog des échanges que je n’ai que très rarement dans la “vraie vie”. Et encore, au moins un commentateur a eu à mon égard une attitude assez conforme à ce que je décrivais ci-dessus. Et ô surprise, c’est un enseignant.
               
              [Sans vouloir vous offenser, je pense que, parce que vous n’avez pas eu cette expérience, vous envisagez la guerre civile comme une issue possible, sans réaliser combien une guerre civile peut être terrible.]
              D’abord, je ne me sens pas offensé: vous êtes toujours d’une parfaite courtoisie. Ensuite, je ne viens pas ici pour entendre (ou plutôt lire) ce que j’ai ENVIE d’entendre mais peut-être plutôt pour entendre ce que j’ai BESOIN d’entendre, je veux dire par là pour me confronter à des faits, des observations, des raisonnements que mon parti-pris idéologique disons “identitaire” me pousse naturellement à écarter. Encore une fois, je vous suis gré de votre politesse mais je vous en voudrais si, sur le fond, vous vous sentiez obligé de me ménager. Je ferme cette parenthèse.
               
              Maintenant, je pense que vous vous méprenez sur un point: Si “j’envisage la guerre civile comme une issue possible (voire probable)”, ce n’est pas de gaieté de coeur, ce n’est pas par amour immodéré de la violence ni par conviction que cette dernière serait par essence une solution souhaitable. Mais je crois observer – avec angoisse – que la société dans laquelle je vis glisse lentement mais surement vers un état de guerre civile larvée. Et, de mon point de vue, ça paraît banal de le dire, mais la faute en incombe aux “autres”: les gauchistes, les racisés, les musulmans, les néoféministes. Parce qu’il faut quand même rappeler que ce sont ces gens-là qui ont désigné l’homme blanc catholique, cisgenre hétéronormé, que je suis comme l’ennemi à abattre. A mes yeux, Mélenchon et ses ouailles font bien plus pour déclencher la guerre civile que Le Pen ou même Zemmour.
               
              Et puis une autre question se pose: quel prix sommes-nous prêts à payer pour maintenir un semblant de paix civile, de vivre-ensemble? Sur ce point en effet, je dois vous l’avouer: je commence – et peut-être ne suis-je pas le seul – à trouver que les concessions et les accommodements vis-à-vis de certains groupes et “minorités” deviennent exorbitants. La vie en société suppose des compromis, j’en suis pleinement conscient. Mais certains compromis ressemblent de plus en plus à des compromissions. Et où placer la limite entre les deux? Ce qui est un accommodement raisonnable pour Edwy Plenel ne l’est pas forcément pour moi…
               
              Enfin, il y a un aspect pratique: si jamais la guerre civile devait advenir, autant se faire à l’idée et s’y préparer, en espérant qu’on trouve une autre solution. Si vis pacem, para bellum
               
              [J’avais remarqué par exemple combien les enseignants éprouvent le besoin de se justifier, de montrer qu’ils ne sont pas annexés par la « société bourgeoise ». S’ils partent en vacances vers une destination chère ou lointaine, ils prennent soin d’indiquer combien ils ont pris soin que leurs vacances soient « écologiques », de « loger chez l’habitant » etc. Et même chose s’ils changent de bagnole.]
              Mais en quoi ce constat serait “passionnant”? Et quelle conclusion tirez-vous de ce genre de constat? Que les enseignants sont majoritairement des “écolo-bobos” qui se rêvent en amis des prolétaires? Ce n’est pas vraiment un scoop…

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [« Mais… Don Quichotte EST un héros. » Certains en font plutôt un anti-héros. Surtout, et je pense qu’il faut le souligner, Don Quichotte est en décalage avec son époque, au point d’en être un brin ridicule.]

              Cervantès a une grande tendresse pour son personnage. Il est comique, mais pas vraiment ridicule. C’est un peu comme le jardinier de « Bienvenu Mr Chance » : c’est un homme qui est hors du monde, et qui du coup dit des vérités que personne ne veut entendre…

              [« Mais… je cherche dans la mesure du possible à m’entourer de gens remarquables… » Apparemment, vous y arrivez. Vous devez être un homme comblé…]

              Je ne me plains pas. Je n’ai pas fait ce qu’on appelle une belle carrière, mais j’ai eu la chance de croiser et de travailler avec des gens exceptionnels. Ou peut-être qu’ils sont exceptionnels à mes yeux parce que j’ai pris la peine de les « apprivoiser » ? Parce que vous savez, je me suis aperçu que mon jugement ne coïncide pas avec celui des autres : j’ai beaucoup aimé travailler avec des gens que d’autres collègues considèrent comme des fous insupportables…

              [Je suis d’accord avec vous, mais à une condition : être capable d’écouter l’autre et que l’autre vous écoute. Or cette capacité d’écoute n’est pas si répandue, et elle me semble en recul.]

              Je suis d’accord avec vous. Je trouve aujourd’hui une forme d’intolérance qui a quelque chose d’effrayant. Il y a une incapacité de comprendre ce que pense l’autre et pourquoi. Pire, il y a un désintérêt à le comprendre, un manque de curiosité. Je me souviens que quand j’étais jeune, j’étais fasciné à l’idée qu’une personne rationnelle, éduquée, intelligente, puisse être monarchiste ou avoir une pratique religieuse. Cela me paraissait incompréhensible, et du coup piquait ma curiosité. Je me souviens avoir discuté des heures avec l’aumônier de mon lycée, avec un condisciple qui affichait son appartenance à l’Action Française, pour essayer de comprendre pourquoi et comment ils pouvaient croire à des théories qui me paraissaient délirantes.

              Finalement, peut-être ce qui manque à notre société, c’est la curiosité. Chacun est persuadé d’avoir LA vérité, et n’a la moindre curiosité pour comprendre la vérité de l’autre.

              [Et puis, il y a une façon de dire les choses : quand un athée m’explique les raisons philosophiques qui l’amènent à rejeter la foi en l’existence de Dieu, je l’écoute. Quand quelqu’un me dit: “les catholiques sont tous des cons”, je ferme les écoutilles.]

              Je dois avouer qu’avec les gens j’exprime rarement mon opinion. J’essaye au contraire de les faire parler, de leur faire exposer leur vision du monde, et j’aime ensuite les titiller en soulignant les contradictions, pour mieux comprendre leur construction mentale. Franchement, dire à quelqu’un que son idée est « complètement con », cela peut vous procurer une petite satisfaction, mais cela ne fait pas avancer le schmilblick.

              [Encore une fois, je vous suis gré de votre politesse mais je vous en voudrais si, sur le fond, vous vous sentiez obligé de me ménager. Je ferme cette parenthèse.]

              Je vous rassure, je soigne la forme, mais je ne me censure jamais sur le fond.

              [Maintenant, je pense que vous vous méprenez sur un point: Si “j’envisage la guerre civile comme une issue possible (voire probable)”, ce n’est pas de gaieté de cœur, ce n’est pas par amour immodéré de la violence ni par conviction que cette dernière serait par essence une solution souhaitable.]

              Ce n’est pas là mon point. Ce que je voulais dire, c’est que vous sous-estimez le coût de la guerre civile, et du coup lorsque vous examinez les solutions possibles, vous avez tendance à considérer qu’on peut se la payer.

              [Mais je crois observer – avec angoisse – que la société dans laquelle je vis glisse lentement mais surement vers un état de guerre civile larvée. Et, de mon point de vue, ça paraît banal de le dire, mais la faute en incombe aux “autres”: les gauchistes, les racisés, les musulmans, les néoféministes. Parce qu’il faut quand même rappeler que ce sont ces gens-là qui ont désigné l’homme blanc catholique, cisgenre hétéronormé, que je suis comme l’ennemi à abattre. A mes yeux, Mélenchon et ses ouailles font bien plus pour déclencher la guerre civile que Le Pen ou même Zemmour.]

              Je partage avec vous au moins une conviction : qu’il y a dans notre pays des courants politiques qui poussent à la guerre civile. Et pas forcément à l’extrême droite : les gauchistes, qui ont mal lu Marx, font de la violence « l’accoucheuse de la révolution » et en tirent l’idée que plus la confrontation sera violente, plus la révolution s’approchera. C’est idiot, bien entendu : Marx a pris soin de dire que la violence « n’accouche » d’une nouvelle organisation sociale que quand l’ancienne est « grosse », c’est-à-dire, lorsque les conditions objectives sont réunies. La violence déclenchée alors que les conditions objectives d’un changement ne sont pas réunies se retournent fatalement contre les couches dominées.

              Si je me bats contre ce gauchisme – et j’y inclus dans cette dénomination les « diversitaires », les « woke », les néoféministes, les islamogauchistes – c’est justement parce qu’ils veulent nous entraîner dans une confrontation désastreuse. C’est en ce point où je suis en désaccord avec vous : ce n’est pas parce que les « autres » veulent la guerre civile qu’il faut la vouloir soi-même, en s’imaginant qu’aller à la confrontation va résoudre les problèmes. Je ne dis pas qu’il faut éviter la guerre civile A TOUT PRIX. Il y a des valeurs, des institutions qui valent qu’on se batte pour elles. Mais on ne peut faire un tel choix que les mains tremblantes.

              [Et puis une autre question se pose : quel prix sommes-nous prêts à payer pour maintenir un semblant de paix civile, de vivre-ensemble ? Sur ce point en effet, je dois vous l’avouer : je commence – et peut-être ne suis-je pas le seul – à trouver que les concessions et les accommodements vis-à-vis de certains groupes et “minorités” deviennent exorbitants. La vie en société suppose des compromis, j’en suis pleinement conscient. Mais certains compromis ressemblent de plus en plus à des compromissions.]

              Je suis d’accord. Mais je ne pense pas que les « compromis » à tout va permettent de préserver la paix civile, au contraire. J’ai très présent l’exemple de la loi sur le voile à l’école : tant qu’on faisait des « compromis » au cas par cas, la confrontation était permanente. Quand la loi a fixé la ligne rouge et rendu ces « compromis » impossibles, la paix a été rétablie. L’anomie conduit bien plus souvent à la guerre civile que la loi, quand bien même elle serait injuste, parce que la guerre civile vient souvent de l’impression que le pouvoir n’est pas capable d’arbitrer les conflits entre les différents groupes et d’imposer sa solution.

              [« J’avais remarqué par exemple combien les enseignants éprouvent le besoin de se justifier, de montrer qu’ils ne sont pas annexés par la « société bourgeoise ». S’ils partent en vacances vers une destination chère ou lointaine, ils prennent soin d’indiquer combien ils ont pris soin que leurs vacances soient « écologiques », de « loger chez l’habitant » etc. Et même chose s’ils changent de bagnole. » Mais en quoi ce constat serait “passionnant” ?]

              C’est toujours “passionnant” de rentrer dans un mode de pensée qui ne vous est pas familier. Dans mon milieu professionnel, les gens n’éprouvent pas ce besoin permanent de se justifier. Même ceux qui partagent l’idée que la société est injuste pensent que l’injustice est collective, et ne se sentent pas obligés de faire semblant de réparer cette injustice individuellement pour se donner bonne conscience. On a l’impression que les enseignants veulent se construire une image de « rebelles » à la société bourgeoise tout en profitant de ses avantages… ce n’est pas le cas pour les ingénieurs ou les hauts-fonctionnaires, qui sont bien plus conservateurs du point de vue sociétal.

              [Et quelle conclusion tirez-vous de ce genre de constat ? Que les enseignants sont majoritairement des “écolo-bobos” qui se rêvent en amis des prolétaires ? Ce n’est pas vraiment un scoop…]

              Je dirais plutôt qu’ils sont victimes d’une distorsion entre l’image qu’ils veulent avoir d’eux-mêmes et la position sociale qu’ils occupent…

            • @ Descartes,
               
              [Ce que je voulais dire, c’est que vous sous-estimez le coût de la guerre civile, et du coup lorsque vous examinez les solutions possibles, vous avez tendance à considérer qu’on peut se la payer.]
              Vous savez, qu’une guerre civile advienne ou non, je pense que ça ne dépendra pas de moi. Ensuite, ce qui se passe en Ukraine en ce moment nous rappelle le coût de la guerre tout court. Maintenant l’histoire a montré que les états, les nations se fortifient ou disparaissent par la guerre, c’est une triste réalité.
               
              En introduction, votre blog invite à parler de poésie. J’ai écouté avec attention un de vos poètes de prédilection, et me permets de le citer:
               
              Maria avait deux enfants
              Deux garçons dont elle était fière
              Et c’était bien la même chair
              Et c’était bien le même sang
              Ils grandirent sur cette terre
              Près de la Méditerranée
              Ils grandirent dans la lumière
              Entre l’olive et l’oranger
               
              C’est presque au jour de leur vingt ans
              Qu’éclata la guerre civile
              On vit l’Espagne rouge de sang
              Crier dans un monde immobile
              Les deux garçons de Maria
              N’étaient pas dans le même camp
              N’étaient pas du même combat
              L’un était Rouge et l’autre Blanc
               
              Qui des deux tira le premier
              le jour où les fusils parlèrent?
              Et lequel des deux s’est tué
              Sur le corps touché de son frère?
              On ne sait pas, tout ce qu’on sait
              C’est qu’on les retrouva ensemble
              Le Blanc et le Rouge mêlés
              A même la pierre et les cendres
               
              Si vous lui parlez de la guerre
              Si vous lui dites “Liberté”
              Elle vous montrera la pierre
              Où ses enfants sont enterrés.
               
              Maria avait deux enfants
              Deux garçons dont elle était fière
              Et c’était bien la même chair
              Et c’était bien le même sang
               
              [C’est en ce point où je suis en désaccord avec vous : ce n’est pas parce que les « autres » veulent la guerre civile qu’il faut la vouloir soi-même, en s’imaginant qu’aller à la confrontation va résoudre les problèmes.]
              Il peut arriver un moment où les “autres” ne vous laissent pas le choix. Aujourd’hui, on voit bien qu’une certaine gauche radicale cherche à faire taire ses adversaires, en judiciarisant le débat politique, en organisant une chasse aux sorcières digne de l’inquisition (et encore, l’inquisition, la vraie, avait quand même des procédures, puisqu’elle avait été créée par l’Eglise, une vieille institution; là, c’est pire puisque c’est une inquisition sans instance, sans procédure, qui recourt au tribunal médiatique et aux réseaux sociaux), en menaçant, en insultant. Danièle Obono, députée de la République peut tweeter “Mangez vos morts!”, et personne ne bronche. Pourquoi? Parce qu’elle est une femme, noire et de gauche. Imaginez qu’un député RN ait proféré la même injure: on nous expliquerait que c’est une preuve de la mentalité fascisante de son parti.  
               
              Symboliquement, le principe d’égalité n’existe plus pour la gauche radicale. Une femme noire a plus de valeur qu’un homme blanc. Un musulman a plus de valeur qu’un chrétien. Un homo vaut mieux qu’un hétéro. Et si vous contestez ou si vous vous moquez, la meute est prête à se déchaîner. Comme l’ont montré les affaires Quatennens et Bayou, les tyrans post-modernes font aussi régner la terreur dans leurs propres rangs. Résultat, les gens se taisent pour ne pas avoir d’ennui. Bien sûr, ce n’est pas le III° Reich, mais on frémit à l’idée que ces apprenti(e)s despotes gagnent encore en pouvoir et en influence. D’autant que certain(e)s sont disposé(e)s à s’allier à des officines islamistes.
               
              Face à cette alliance entre un néoprogressisme glissant vers le fanatisme et l’islam salafiste – qui, rappelons-le, a tué pas mal de monde ces dernières années, dont un professeur d’histoire-géographie, et qui prospère malgré (ou grâce à?) ses crimes – il serait peut-être temps de comprendre que le dialogue est inutile. Que reste-t-il? Tenir des blogs plus ou moins confidentiels et dire quelques vérités en petit comité, portes et fenêtres soigneusement fermées, autour d’une bière ou d’un rhum arrangé? 
               
              Quand on est attaqué, il faut parfois se défendre. Avec vigueur. Je pense malheureusement que le combat culturel et intellectuel a peu de chance d’aboutir puisqu’une bonne partie des élites médiatiques, artistiques, universitaires sont les porte-drapeaux de cette idéologie qu’elles ont produites et qui sert leurs intérêts. Regardez Ernaux, la Prix Nobel de littérature, qui jadis signait des tribunes pour défendre Houria Bouteldja; qui a milité, avec d’autres écrivains, pour que Richard Millet – qui avait certes produit un texte dérangeant sur Breivik – ne soit plus publié. Avec de tels censeurs, avec la menace que l’islamisme continue à faire peser sur nos têtes, comment jouir de nos libertés, alors même que la nouvelle police des moeurs entend régenter jusqu’à ce qui se passe dans les alcôves (et utiliser tout “dérapage” présumé pour éliminer les adversaires masculins)?  

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [« Ce que je voulais dire, c’est que vous sous-estimez le coût de la guerre civile, et du coup lorsque vous examinez les solutions possibles, vous avez tendance à considérer qu’on peut se la payer. »Vous savez, qu’une guerre civile advienne ou non, je pense que ça ne dépendra pas de moi.]

              Je ne me laverais pas les mains aussi vite… le fait qu’une guerre advienne ou non dépend aussi des hommes et de leurs choix. Même si, je vous l’accorde, l’histoire a sa dynamique propre qui aboutit quelquefois à des guerres que personne n’a voulues. J’imagine que vous avez lu « La guerre de Troie n’aura pas lieu » de Giraudoux…

              [Ensuite, ce qui se passe en Ukraine en ce moment nous rappelle le coût de la guerre tout court. Maintenant l’histoire a montré que les états, les nations se fortifient ou disparaissent par la guerre, c’est une triste réalité.]

              Moins évidente que vous ne le pensez. L’URSS a disparu sans qu’on tire un coup de canon. Demain, la Belgique pourrait courir le même sort.

              [En introduction, votre blog invite à parler de poésie. J’ai écouté avec attention un de vos poètes de prédilection, et me permets de le citer: « Maria avait deux enfants (…) »]

              Vous auriez pu difficilement trouver un texte plus beau et plus pertinent sur la guerre civile. Ce texte est magnifique parce qu’en s’abstenant de juger, de faire une distinction morale entre les deux camps, il souligne combien la guerre civile est du domaine de la tragédie.

              [« C’est en ce point où je suis en désaccord avec vous : ce n’est pas parce que les « autres » veulent la guerre civile qu’il faut la vouloir soi-même, en s’imaginant qu’aller à la confrontation va résoudre les problèmes. » Il peut arriver un moment où les “autres” ne vous laissent pas le choix.]

              A ce moment-là, je vous l’accorde, le conflit violent est inévitable, et il faut l’accepter. Mais m’accorderez-vous en retour qu’aussi longtemps qu’on n’est pas arrivé à ce point limite, il faut essayer de l’éviter ?

              [Aujourd’hui, on voit bien qu’une certaine gauche radicale cherche à faire taire ses adversaires, en judiciarisant le débat politique, en organisant une chasse aux sorcières digne de l’inquisition (et encore, l’inquisition, la vraie, avait quand même des procédures, puisqu’elle avait été créée par l’Eglise, une vieille institution; là, c’est pire puisque c’est une inquisition sans instance, sans procédure, qui recourt au tribunal médiatique et aux réseaux sociaux), en menaçant, en insultant. Danièle Obono, députée de la République peut tweeter “Mangez vos morts!”, et personne ne bronche. Pourquoi? Parce qu’elle est une femme, noire et de gauche. Imaginez qu’un député RN ait proféré la même injure: on nous expliquerait que c’est une preuve de la mentalité fascisante de son parti.]

              Je nuancerai votre propos. D’abord, il n’est pas juste de dire que « personne ne bronche » devant les déclarations d’Obono. Celles-ci ont au contraire provoqué une avalanche de réactions, la plupart d’entre elles négatives. Oui, une gauche radicale cherche à faire taire tous ceux qui ne sont pas d’accord avec elle – ou plutôt tous ceux qui ne lui sont pas soumis. Mais les effets de cette posture sont finalement assez limités, et sont finalement plus dévastateurs pour les « camarades » que pour les adversaires. Darmanin, accusé de viol, est toujours là. Quatennens a été renvoyé pour une gifle. Finalement, l’idéologie « woke » se révèle plus destructrice pour la crédibilité de la « gauche radicale » que pour ses adversaires.

              [Comme l’ont montré les affaires Quatennens et Bayou, les tyrans post-modernes font aussi régner la terreur dans leurs propres rangs. Résultat, les gens se taisent pour ne pas avoir d’ennui. Bien sûr, ce n’est pas le III° Reich, mais on frémit à l’idée que ces apprenti(e)s despotes gagnent encore en pouvoir et en influence. D’autant que certain(e)s sont disposé(e)s à s’allier à des officines islamistes.]

              Mais vous voyez bien que ces « apprentis despotes » n’arrivent à gagner du pouvoir et de l’influence que dans certains milieux, et encore, souvent ils finissent par se faire marginaliser par leurs excès. L’affaire de l’IEP de Grenoble est un bon exemple. Cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas dangereux, juste que le danger doit être relativisé.

              [Face à cette alliance entre un néoprogressisme glissant vers le fanatisme et l’islam salafiste – qui, rappelons-le, a tué pas mal de monde ces dernières années, dont un professeur d’histoire-géographie, et qui prospère malgré (ou grâce à ?) ses crimes – il serait peut-être temps de comprendre que le dialogue est inutile. Que reste-t-il ? Tenir des blogs plus ou moins confidentiels et dire quelques vérités en petit comité, portes et fenêtres soigneusement fermées, autour d’une bière ou d’un rhum arrangé ?]

              Le dialogue avec cette frange du gauchisme est, je vous l’accorde, parfaitement inutile. Par contre, le dialogue avec les autres composantes du spectre politique pour monter une défense collective de certaines valeurs, de certaines institutions, me paraît absolument indispensable.

              [Quand on est attaqué, il faut parfois se défendre. Avec vigueur.]

              Je suis d’accord, mais « avec vigueur » ne veut pas dire « avec violence ». Les délirantes genre Obono ont une surface médiatique, mais soyons sérieux : pour l’immense majorité de nos concitoyens, ses propos apparaissent ridicules. Je ne pense pas que Sandrine Rousseau ait gagné un soutien massif en prétendant que le barbecue est une pratique « viriliste ». Ces gens-là sont des tigres en papier. Ils sont plus un symptôme qu’une cause.

            • @ Descartes,
               
              [Je ne me laverais pas les mains aussi vite… le fait qu’une guerre advienne ou non dépend aussi des hommes et de leurs choix.]
              Oui, mais cela s’applique d’abord à ceux qui ont fait couler “le premier sang”, à la rédaction de Charlie-Hebdo, à Nice, au Bataclan, à Conflans-Sainte-Honorine. A ceux qui ont sifflé les minutes de silence et les cérémonies d’hommage. A ceux qui attaquent notre culture et se marrent quand Notre-Dame brûle. Et à tous ceux – à gauche surtout – qui leur trouvent des excuses, qui nous expliquent qu’il faut comprendre, que ce n’est pas si grave, voire qu’il y a une forme de légitimité dans la haine que professent ces gens-là.
               
              Il ne faudrait pas inverser la situation. Moi, je n’ai tué personne, je n’ai menacé personne de mort. Les autres ont ouvert le cycle de la violence. Pourquoi, s’il vous plaît, n’en paieraient-ils pas le prix? 
               
              [J’imagine que vous avez lu « La guerre de Troie n’aura pas lieu » de Giraudoux…]
              Je me souviens même avoir fait un exposé dessus…
               
              [L’URSS a disparu sans qu’on tire un coup de canon. Demain, la Belgique pourrait courir le même sort.]
              J’ai parlé de nations. Le caractère “national” des constructions soviétique et belge me semble pour le moins discutable. Tout Etat n’est pas un Etat-nation.
               
              [Ce texte est magnifique parce qu’en s’abstenant de juger, de faire une distinction morale entre les deux camps, il souligne combien la guerre civile est du domaine de la tragédie.]
              Tout à fait. J’ai toujours les larmes aux yeux en l’écoutant.
               
              [Par contre, le dialogue avec les autres composantes du spectre politique pour monter une défense collective de certaines valeurs, de certaines institutions, me paraît absolument indispensable.]
              Je vous trouve très optimiste… Sur les questions de communautarisme, il n’y a pas que LFI qui ait un positionnement ambigu. Au PS, nombre d’élus se laissent tenter au quotidien par les accommodements raisonnables. Au PCF, c’est un peu mieux, je vous l’accorde. Il n’y a que le PRG qui, je trouve, a une attitude assez claire sur les questions de laïcité et de communautarisme.
               
              A droite, ne croyons pas que c’est mieux: une partie de la droite libérale s’accommode aussi du communautarisme et certains catholiques de droite croient pouvoir profiter des coups de canifs que les musulmans portent à la laïcité. Chacun est prisonnier de son électorat et la démographie profite à un électorat peu porté à la “défense collective de certaines valeurs, de certaines institutions”.
               
              [Je suis d’accord, mais « avec vigueur » ne veut pas dire « avec violence ».]
              Pas “nécessairement” avec violence, je vous l’accorde.
               
              [Ces gens-là sont des tigres en papier. Ils sont plus un symptôme qu’une cause.]
              Ces gens-là sapent les institutions, pourrissent le débat démocratique par leurs pratiques inquisitoriales, installent une atmosphère délétère de haine et de défiance. La violence des mots prépare la violence des actes. Ces gens-là préparent le terrain à d’autres gens autrement plus dangereux. Leur responsabilité est immense.

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [« Je ne me laverais pas les mains aussi vite… le fait qu’une guerre advienne ou non dépend aussi des hommes et de leurs choix. » Oui, mais cela s’applique d’abord à ceux qui ont fait couler “le premier sang”, à la rédaction de Charlie-Hebdo, à Nice, au Bataclan, à Conflans-Sainte-Honorine.]

              Malheureusement, « c’est l’autre qui a commencé » n’est pas un argument très opérant en matière historique. Parce que l’histoire, c’est une longue affaire. Le « premier sang », dans ces affaires, il a coulé quand ? En 2013 ? En 2001 ? En 1830 ? Lors des Croisades ?

              [A ceux qui ont sifflé les minutes de silence et les cérémonies d’hommage. A ceux qui attaquent notre culture et se marrent quand Notre-Dame brûle. Et à tous ceux – à gauche surtout – qui leur trouvent des excuses, qui nous expliquent qu’il faut comprendre, que ce n’est pas si grave, voire qu’il y a une forme de légitimité dans la haine que professent ces gens-là.]

              Je partage, vous le savez, une partie de ce discours. Oui, il y a ceux qui VEULENT la guerre civile. Et il y a ceux qui, sans la vouloir, la rendent possible par aveuglement ou par lâcheté, parce qu’ils ne veulent pas d’ennuis ou parce qu’ils ne se rendent pas compte de ce qu’ils disent. Mais cela n’implique pas que les autres, les gens comme vous et moi, soient dispensés de participer au combat.

              [Il ne faudrait pas inverser la situation. Moi, je n’ai tué personne, je n’ai menacé personne de mort. Les autres ont ouvert le cycle de la violence. Pourquoi, s’il vous plaît, n’en paieraient-ils pas le prix ?]

              Je n’ai pas dit le contraire, il me semble. On peut difficilement m’accuser de vivre dans le monde des bisounours – et, sans vouloir me vanter, j’ai un certain mérite parce que soutenir des mesures fortes est bien plus difficile lorsqu’on vient de la gauche que lorsqu’on vient de la droite. J’ai toujours défendu des mesures coercitives, et toujours combattu les concessions au communautarisme. Mais j’ose espérer que ces mesures, si elles étaient prises et soutenues sérieusement, pourraient éviter une guerre civile.

              [« Par contre, le dialogue avec les autres composantes du spectre politique pour monter une défense collective de certaines valeurs, de certaines institutions, me paraît absolument indispensable. » Je vous trouve très optimiste… Sur les questions de communautarisme, il n’y a pas que LFI qui ait un positionnement ambigu. Au PS, nombre d’élus se laissent tenter au quotidien par les accommodements raisonnables. Au PCF, c’est un peu mieux, je vous l’accorde. Il n’y a que le PRG qui, je trouve, a une attitude assez claire sur les questions de laïcité et de communautarisme.]

              Je ne suis pas optimiste sur les résultats de ce dialogue, mais je pense qu’il est indispensable. Vous l’aurez compris, je ne conçois pas d’aller vers la guerre civile sans avoir au préalable épuisé toutes les alternatives… Ce dialogue ne convaincra pas l’ensemble des militants de LFI, il ne sortira pas l’ensemble des élus PS de leur opportunisme. Mais il permettra de convaincre quelques-uns, et c’est déjà un résultat très appréciable.

              [« Ces gens-là sont des tigres en papier. Ils sont plus un symptôme qu’une cause. » Ces gens-là sapent les institutions, pourrissent le débat démocratique par leurs pratiques inquisitoriales, installent une atmosphère délétère de haine et de défiance.]

              Non. Ces discours ont toujours existé, mais il fut un temps où les institutions remettaient à leur place ceux qui les tenaient. Si aujourd’hui ces discours peuvent « saper les institutions », c’est parce que des intérêts bien plus puissants ont affaibli les institutions au point qu’elles sont des proies faciles pour tous les excités. Même chose pour le « débat démocratique » : pourquoi croyez-vous que ces discours, autrefois marginaux, sont devenus dominants ? Parce que le débat démocratique a été progressivement vidé de son sens par un rapport de forces qui consacre la toute-puissance du bloc dominant.

              Des fous, il y en a toujours eu. Le danger ne réside pas chez eux, mais dans un fonctionnement institutionnel et social qui permet aux fous de prendre le pouvoir. C’est cette question qu’il faut nous poser : comment est-ce possible que l’Université admette un personnage comme Rousseau ? Comment est-ce possible que son discours provoque autre chose qu’un éclat de rire unanime ?

            • @ Descartes,
               
              [Malheureusement, « c’est l’autre qui a commencé » n’est pas un argument très opérant en matière historique.]
              Je me demande bien pourquoi. Etablir qui est l’agresseur et qui est l’agressé me paraît au contraire nécessaire, parce que les responsabilités ne sont pas les mêmes.
               
              [Parce que l’histoire, c’est une longue affaire.]
              Certes, mais il y a toujours une première fois… Et concernant les musulmans, les choses sont au fond assez simples: l’islam est né au Hedjaz, une région d’Arabie occidentale qui n’a jamais été conquise ni même attaquée par une puissance chrétienne. La preuve en est que les Mecquois étaient de paisibles polythéistes, pour la plupart d’entre eux, avant que Mahomet leur impose sa révélation. L’expansion de l’islam à partir du VII° siècle n’est pas liée à une nécessité de défense mais à une volonté de diffuser la nouvelle foi. Ce sont les Arabes musulmans qui attaquent l’empire byzantin chrétien puis l’Espagne chrétienne des Wisigoths, et non le contraire.  
               
              [Le « premier sang », dans ces affaires, il a coulé quand ? En 2013 ? En 2001 ? En 1830 ? Lors des Croisades ?]
              En 2013, je ne vois pas à quoi vous faites référence.
              En 2001, à ma connaissance, il ne s’est rien passé en France.
              Pour 1830, je suppose que vous songez à la prise d’Alger par les troupes françaises. J’écoute ce que disent les terroristes, et que ce soit pour Charlie, au Bataclan, à Nice, et je n’ai pas entendu que venger la colonisation du Maghreb par la France ait été un motif revendiqué dans les attaques. L’histoire est peut-être “une longue affaire”, mais il y a tout de même des séquences historiques. Celle commencée en 1830 se termine en 1962 avec l’indépendance de l’Algérie. D’ailleurs, je ne crois pas que le FLN et ses héritiers aient commis des attentats sur le sol français depuis, mais peut-être que je me trompe?
               
              Quant aux Croisades… La vision d’un monde musulman “agressé” par les croisés chrétiens est une interprétation étrange de l’histoire. Les musulmans ont aux VII°-VIII° siècles conquis la moitié du Bassin méditerranéen jusqu’alors aux mains d’états chrétiens. A la fin du XI° siècle, l’Asie musulmane est réunifiée politiquement par les Turcs seldjoukides dont la brutalité fruste contraste avec le raffinement de la cour des Abbassides à Bagdad. Réactivant le djihad, les Turcs sont (déjà!) aux portes de Constantinople et l’appel à l’aide de l’empereur byzantin Alexis Comnène est aussi une des raisons qui poussent Urbain II à prêcher la Croisade, en plus de l’intolérance des Seldjoukides qui refusent l’accès à Jérusalem aux pèlerins chrétiens (ce que les autorités musulmanes arabes avaient jusqu’alors admis). Je trouve très intéressant cette référence régulière aux Croisades vues comme la première grande agression des “Occidentaux”, barbares et violents, contre l’Orient musulman, évidemment paisible, ouvert et tolérant. Sauf que le monde chrétien est en réalité sur la défensive depuis quatre siècles, et que les musulmans ont montré une agressivité jusqu’aux IX° et X° siècles (conquête de la Sicile et de la Crète). On voit comment les musulmans et les islamophiles imposent leur lecture de l’histoire, prélude à la substitution de population… 
               
              Mais revenons à la question de l’islam en France. Quand des musulmans ont-ils été assassinés en France parce que musulmans, depuis la fin de la séquence coloniale? 
               
              [Je ne suis pas optimiste sur les résultats de ce dialogue, mais je pense qu’il est indispensable.]
              Alors n’y a-t-il pas le risque que ce soit une perte de temps?
               
              [Vous l’aurez compris, je ne conçois pas d’aller vers la guerre civile sans avoir au préalable épuisé toutes les alternatives… Ce dialogue ne convaincra pas l’ensemble des militants de LFI, il ne sortira pas l’ensemble des élus PS de leur opportunisme. Mais il permettra de convaincre quelques-uns, et c’est déjà un résultat très appréciable.]
              Dans la mesure où la gauche – et la France insoumise tout particulièrement – est de plus en plus prisonnière d’un électorat immigré et musulman (“la nouvelle France” a dit Jean-Luc Mélenchon, on ne saurait être plus clair), je ne vois pas bien sur quoi débouchera le dialogue. Je pense que les gens qui rejettent cette ligne ont déjà quitté LFI, et les clés de la maison insoumise sont maintenant aux mains de ce qu’il faut bien appeler les islamogauchistes. Et dans la mesure où les enfoulardées pondent davantage que les autres (si j’en crois l’INSEE), je ne vois pas ce qui pourrait inciter la gauche à tourner le dos à cette alliance prometteuse. Dans dix ou vingt ans, l’électorat musulman sera faiseur de rois…
               
              Quel délai vous accordez-vous pour mener le dialogue que vous évoquez? Et à partir de quel moment jugerez-vous qu’il a échoué?
               
              [Si aujourd’hui ces discours peuvent « saper les institutions », c’est parce que des intérêts bien plus puissants ont affaibli les institutions au point qu’elles sont des proies faciles pour tous les excités. Même chose pour le « débat démocratique » : pourquoi croyez-vous que ces discours, autrefois marginaux, sont devenus dominants ?]
              Mais je ne doute pas que les Sandrine Rousseau, Aymeric Caron, Danièle Obono, et consorts servent des intérêts “puissants”, mais qui sont aussi leurs intérêts.
               
              [Parce que le débat démocratique a été progressivement vidé de son sens par un rapport de forces qui consacre la toute-puissance du bloc dominant.]
              Oui, mais peut-on créditer le “bloc dominant” d’avoir en cette affaire fait preuve d’intelligence et de lucidité? On pourrait penser que le désordre et l’obscurantisme qui s’installent dans les quartiers peuplés d’immigrés n’est pas bien grave pour les gens qui n’habitent pas ces quartiers. Sauf que la démographie ne doit pas être sous-estimée: en moyenne plus jeune, la population immigrée de confession musulmane fait aussi plus d’enfants que les bobos écolo-diversitaires. Les salafistes ne vont pas forcément se cantonner aux quartiers où certains s’imaginent pouvoir les parquer. Tôt ou tard, le problème va déborder des “cités sensibles”. Or le désordre, l’islamisation, l’insécurité culturelle (et l’insécurité tout court) ont un coût. Certes, les riches bourgeois trouveront la parade et s’envoleront pour Toronto, Sydney ou Tel Aviv. Mais tout le monde ne pourra pas fuir, et parmi les classes intermédiaires, tous ne pourront pas se payer un logement dans des gated communities protégées par des milices privées. Alors?
               
              [Des fous, il y en a toujours eu. Le danger ne réside pas chez eux, mais dans un fonctionnement institutionnel et social qui permet aux fous de prendre le pouvoir.]
              Mais qui sont les fous? Sandrine Rousseau, Aymeric Caron, Danièle Obono? Ou les braves citoyens qui les ont élus?

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [« Malheureusement, « c’est l’autre qui a commencé » n’est pas un argument très opérant en matière historique. » Je me demande bien pourquoi. Etablir qui est l’agresseur et qui est l’agressé me paraît au contraire nécessaire, parce que les responsabilités ne sont pas les mêmes.]

              Oui, mais ce n’est pas à l’historien que vous êtes que je vais apprendre que l’histoire est une longue affaire. A la rigueur, dans un épisode donné vous pouvez déterminer qui est l’agresseur et qui est l’agressé… et encore. Mais si vous voulez déterminer « qui a commencé », il vous faut démêler une longue séquence d’agressions, de contre-agressions, de frappes préventives, et vous êtes vite confronté à un problème insoluble. Pensez aux rapports de la France avec le Saint Empire…

              [« Parce que l’histoire, c’est une longue affaire. » Certes, mais il y a toujours une première fois…]

              Certes, mais elle peut être très loin dans le passé, et engager des acteurs qui n’ont qu’un rapport vague avec ceux d’aujourd’hui. Peut-on considérer l’Italie « agresseur » de la France moderne au motif que les légions de César ont déferlé sur la Gaule et fait un sort aux tribus réunies autour de Vercingétorix ? Pour cela, il faudrait tenir les actuels gouvernants de l’Italie comptables des actes de l’Empire romain, et notre propre société comme héritière des tribus gauloises. Vous m’accorderez que c’est quand même un raisonnement osé !

              La question que pose ce type de raisonnement est de savoir où s’arrête la responsabilité. On peut difficilement rendre l’Italien d’aujourd’hui responsable des actes de Jules César. Peut-on le rendre responsable des actes des Medici et Borgia ? De ceux de Victor Emmanuele Ier ? De Mussolini ? Et à l’inverse, les actes de Charlemagne, de François Ier, de Louis XIV, de Louis Philippe font-ils de nous des « agressés » ou des « agresseurs » ?

              [Et concernant les musulmans, les choses sont au fond assez simples: l’islam est né au Hedjaz, une région d’Arabie occidentale qui n’a jamais été conquise ni même attaquée par une puissance chrétienne.]

              Mais le même raisonnement peut être fait concernant les chrétiens. L’Empire romain puis la papauté et les puissances chrétiennes ont largement imposé le christianisme par l’épée – pensez aux Amériques, pour ne donner que l’exemple flagrant – à des populations qui n’avaient rien demandé et certainement pas attaqué le monde chrétien. Les deux grands monothéismes ont tous deux servi comme caution idéologique à des projets coloniaux. Si vous considérez l’Islam comme ayant « agressé » le monde chrétien (et c’est logique, puisque c’est toujours le dernier arrivé qui « agresse » la puissance en place), alors vous devez admettre que le monde chrétien a « agressé » systématiquement les polythéismes américains, par exemple…

              [La preuve en est que les Mecquois étaient de paisibles polythéistes, pour la plupart d’entre eux, avant que Mahomet leur impose sa révélation. L’expansion de l’islam à partir du VII° siècle n’est pas liée à une nécessité de défense mais à une volonté de diffuser la nouvelle foi. Ce sont les Arabes musulmans qui attaquent l’empire byzantin chrétien puis l’Espagne chrétienne des Wisigoths, et non le contraire.]

              Soyons matérialistes : l’expansion de l’Islam tient moins à la « volonté de diffuser la nouvelle foi » qu’à l’intérêt économique de soumettre de nouveaux territoires et obtenir des tributs. D’ailleurs, l’expansion de l’Islam ne s’est pas faite seulement en terre chrétienne : animistes, zoroastriens, hindouistes ont été bien plus maltraités, n’étant pas des « peuples du livre ». Bien entendu, l’expansion d’une civilisation se fait toujours au détriment des civilisations existantes, et de ce point de vue « l’agresseur » sera toujours le dernier arrivé. Les romains ont « agressé » la plupart des peuples du pourtour méditerranéen et de l’Europe méridionale, les barbares venus d’Asie ont « agressé » les romains. Les musulmans n’ont fait que perpétuer cette saine tradition, avant d’être eux-mêmes victimes de l’expansion du capitalisme occidental à l’ère moderne.

              [« Le « premier sang », dans ces affaires, il a coulé quand ? En 2013 ? En 2001 ? En 1830 ? Lors des Croisades ? » En 2013, je ne vois pas à quoi vous faites référence.]

              Mon clavier a fourché, je voulais dire 2015, bien entendu.

              [En 2001, à ma connaissance, il ne s’est rien passé en France.]

              Je croyais que vous vous inscriviez dans la confrontation entre le « monde islamique » et le « monde chrétien »… ne pensez-vous pas que l’attaque contre les tours du WTC doivent être considérées comme une « agression » contre l’ensemble du « monde chrétien » ?

              [Pour 1830, je suppose que vous songez à la prise d’Alger par les troupes françaises. J’écoute ce que disent les terroristes, et que ce soit pour Charlie, au Bataclan, à Nice, et je n’ai pas entendu que venger la colonisation du Maghreb par la France ait été un motif revendiqué dans les attaques.]

              Qu’il soit ou non « revendiqué » ne change rien au fond : pensez-vous que 1830 fait de nous des « agresseurs » du monde musulman ? Parce que si c’est le cas, on est obligé d’inscrire les attentats dans une séquence longue « d’agressions » réciproques…

              [L’histoire est peut-être “une longue affaire”, mais il y a tout de même des séquences historiques. Celle commencée en 1830 se termine en 1962 avec l’indépendance de l’Algérie.]

              C’est quand même un peu simpliste. Pensez-vous que la séquence ouverte en 1870 avec l’annexion de l’Alsace-Moselle se termine en 1918, avec le retour de ces provinces ? Que celle ouverte avec l’occupation en 1940 se ferme avec la Libération ? Vous le savez, les guerres et les occupations projettent des ombres très longues…

              [D’ailleurs, je ne crois pas que le FLN et ses héritiers aient commis des attentats sur le sol français depuis, mais peut-être que je me trompe ?]

              Quel intérêt aurait eu le FLN à commettre des attentats en France après 1962 ? Le FLN était un mouvement de libération nationale. Une fois « l’occupant » expulsé, le FLN avait d’autres priorités : d’abord de régler les conflits internes pour le pouvoir, et ensuite la construction de son état national. Encore une fois, soyons matérialistes : les états, le organisations commettent des attentats quand il y a quelque chose à gagner, et non pour venger des ancêtres morts depuis longtemps.

              [Quant aux Croisades… La vision d’un monde musulman “agressé” par les croisés chrétiens est une interprétation étrange de l’histoire. Les musulmans ont aux VII°-VIII° siècles conquis la moitié du Bassin méditerranéen jusqu’alors aux mains d’états chrétiens.]

              Qui eux-mêmes les avaient conquis par l’épée. Oui, c’est la triste histoire de l’humanité. Sauf que, quand on essaye de reconquérir ce qu’on avait conquis auparavant, est-ce de « l’agression » ? Pensez à la Russie aujourd’hui : si elle attaque les pays qui composaient autrefois l’empire Russe, est-ce une « agression » ou pas ?

              [Je trouve très intéressant cette référence régulière aux Croisades vues comme la première grande agression des “Occidentaux”, barbares et violents, contre l’Orient musulman, évidemment paisible, ouvert et tolérant.]

              Vous vous faites là un homme de paille. Je ne me souviens pas d’avoir écrit que les « occidentaux barbares et violents » aient attaqué « l’orient musulman paisible, ouvert et tolérant ». Ce fut le choc de deux empires, et un choc d’abord économique. Et l’histoire de l’accès aux lieux saints est en grande partie une construction idéologique destinée à justifier des intérêts matériels bien plus prosaïques.

              Oui, aux VIIIème et Xème siècle c’est le monde musulman qui présente le plus grand dynamisme. Alors que l’occident n’est toujours pas sorti du chaos qui a suivi l’effondrement de l’empire romain, le monde arabo-musulman connaît une « renaissance », avec la redécouverte des auteurs grecs, le développement des arts et des sciences sous le gouvernement de despotes éclairés. A partir du XIème siècle, la balance s’inverse : le monde occidental retrouve une certaine organisation et un essor intellectuel, le monde musulman au contraire s’affaiblit du fait des guerres intestines et d’une certaine ossification de la pensée.

              [Mais revenons à la question de l’islam en France. Quand des musulmans ont-ils été assassinés en France parce que musulmans, depuis la fin de la séquence coloniale ?]

              Les « ratonnades » n’ont pas cessé avec la fin de la guerre d’Algérie. Pour ne citer qu’un exemple emblématique, on peut parler de l’assassinat d’Abib Grimzi, défenestré du train Bordeaux-Vintimille dans la nuit du 14 au 15 novembre 1983. A-t-il été « assassiné parce que musulman » ou seulement « assassiné parce que Arabe » ? Il n’est pas évident que ses assassins, trois candidats à la Légion, aient été capables de faire la différence.

              [« Je ne suis pas optimiste sur les résultats de ce dialogue, mais je pense qu’il est indispensable. » Alors n’y a-t-il pas le risque que ce soit une perte de temps?]

              Oui, c’est un risque. Mais un risque qu’il faut courir, vu l’enjeu.

              [Dans la mesure où la gauche – et la France insoumise tout particulièrement – est de plus en plus prisonnière d’un électorat immigré et musulman (“la nouvelle France” a dit Jean-Luc Mélenchon, on ne saurait être plus clair), je ne vois pas bien sur quoi débouchera le dialogue. Je pense que les gens qui rejettent cette ligne ont déjà quitté LFI, et les clés de la maison insoumise sont maintenant aux mains de ce qu’il faut bien appeler les islamogauchistes.]

              Je discute souvent avec eux, et j’arrive à une conclusion différente. Il y a pas mal de sympathisants de LFI dont la motivation centrale est, pour aller vite, le rejet du « capitalisme néolibéral », et qui n’ont qu’une analyse très superficielle des questions de dynamique sociale. Cela se limite généralement à un raisonnement du genre « les immigrés musulmans sont opprimés, et ils sont donc dans le camp du Bien » et ne va guère plus loin. Le dialogue peut servir à ouvrir les yeux de ces sympathisants, à leur montre combien une analyse aussi manichéenne conduit à des logiques délétères qui vont contre les intérêts de ceux-là même qu’ils pensent défendre. Oui, les dirigeants de LFI ont choisi une stratégie qui, au-delà de leurs convictions personnelles, en font les otages de l’islamogauchisme. Mais quand je parle de dialoguer, ce n’est pas aux dirigeants que je pense.

              [Et dans la mesure où les enfoulardées pondent davantage que les autres (si j’en crois l’INSEE), je ne vois pas ce qui pourrait inciter la gauche à tourner le dos à cette alliance prometteuse. Dans dix ou vingt ans, l’électorat musulman sera faiseur de rois…]

              A supposer qu’il existe un « électorat musulman ». Je ne crois pas que ce soit le cas : les musulmans assimilés votent comme l’ensemble des Français, les musulmans non assimilés s’abstiennent très largement. Toutes les tentatives de créer des « partis musulmans » en France ont échoué. Je ne pense pas que le risque soit de ce côté-là.

              [Quel délai vous accordez-vous pour mener le dialogue que vous évoquez? Et à partir de quel moment jugerez-vous qu’il a échoué?]

              Je le vois comme un processus continu. Le dialogue ne dispense pas de prendre dès maintenant des mesures coercitives. Je l’ai dit et je le répète : pour moi, l’assimilation ne doit pas être une option, elle doit être sinon imposée réglementairement, du moins faire l’objet d’une pression constante.

              [« Parce que le débat démocratique a été progressivement vidé de son sens par un rapport de forces qui consacre la toute-puissance du bloc dominant. » Oui, mais peut-on créditer le “bloc dominant” d’avoir en cette affaire fait preuve d’intelligence et de lucidité? On pourrait penser que le désordre et l’obscurantisme qui s’installent dans les quartiers peuplés d’immigrés n’est pas bien grave pour les gens qui n’habitent pas ces quartiers. Sauf que la démographie ne doit pas être sous-estimée: en moyenne plus jeune, la population immigrée de confession musulmane fait aussi plus d’enfants que les bobos écolo-diversitaires. Les salafistes ne vont pas forcément se cantonner aux quartiers où certains s’imaginent pouvoir les parquer. Tôt ou tard, le problème va déborder des “cités sensibles”. Or le désordre, l’islamisation, l’insécurité culturelle (et l’insécurité tout court) ont un coût. Certes, les riches bourgeois trouveront la parade et s’envoleront pour Toronto, Sydney ou Tel Aviv. Mais tout le monde ne pourra pas fuir, et parmi les classes intermédiaires, tous ne pourront pas se payer un logement dans des gated communities protégées par des milices privées. Alors?]

              Je ne suis pas persuadé que le « débordement » dont vous parlez soit pour demain, ou même après demain. L’histoire des Etats-Unis montre qu’une société peut parfaitement fonctionner sur un modèle communautaire, chaque communauté étant enfermée dans son « ghetto ». Bien entendu, cela suppose de laisser au placard l’héritage des Lumières, de faire le deuil de l’universalisme français. Mais bon, c’est malheureusement le chemin qu’on prend…

              [« Des fous, il y en a toujours eu. Le danger ne réside pas chez eux, mais dans un fonctionnement institutionnel et social qui permet aux fous de prendre le pouvoir. » Mais qui sont les fous? Sandrine Rousseau, Aymeric Caron, Danièle Obono ? Ou les braves citoyens qui les ont élus ?]

              Les citoyens ont, collectivement, une responsabilité. Mais il ne faut pas négliger le phénomène d’aliénation. Nous vivons sous l’influence d’une idéologie dominante, et il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de cette idéologie.

            • @ Descartes,
               
              [Pensez aux rapports de la France avec le Saint Empire…]
              A quoi pensez-vous précisément? Le Saint Empire est un ennemi secondaire par rapport à l’Angleterre puis à l’Espagne.
               
              [Peut-on le rendre responsable des actes des Medici et Borgia ? De ceux de Victor Emmanuele Ier ? De Mussolini ? Et à l’inverse, les actes de Charlemagne, de François Ier, de Louis XIV, de Louis Philippe font-ils de nous des « agressés » ou des « agresseurs » ?]
              Vous posez – comme toujours – une question intéressante. J’aurais tendance à vous répondre par une autre question: y a-t-il continuité de la structure étatique? Il est clair pour moi qu’entre l’empire romain et l’Italie unifiée en 1860, il y a une très forte discontinuité politique et administrative. Les Médicis et les Borgia sont des dirigeants “régionaux” (toscans, romains) et non “italiens”.
              Mais Victor-Emmanuel II et Mussolini sont bien des dirigeants italiens et, en un sens, ils font partie des bâtisseurs de l’Etat italien moderne et de la nation italienne, comme il me semble difficile de nier que François 1er et Louis XIV sont des bâtisseurs importants de l’Etat français et de la conscience nationale française. C’est plus discutable pour Charlemagne me semble-t-il.
               
              [L’Empire romain puis la papauté et les puissances chrétiennes ont largement imposé le christianisme par l’épée – pensez aux Amériques, pour ne donner que l’exemple flagrant – à des populations qui n’avaient rien demandé et certainement pas attaqué le monde chrétien.]
              En Amérique oui. Mais en Palestine, en Syrie, en Egypte et en Afrique du nord, pour parler des provinces arrachées à Byzance par les musulmans, le christianisme s’était solidement implanté sans le soutien politique de Rome, voire contre la volonté des autorités romaines dans un premier temps! Désolé, mais la christianisation du monde romain ne peut pas se réduire à une conversion forcée imposée par une puissance étrangère. J’ajoute que le christianisme s’est romanisé (et/ou hellénisé) pour une part, là où l’islam est largement restée une religion “arabe”. D’ailleurs, arabisation et islamisation sont allées de pair pour les régions que j’ai citées. En Asie centrale, c’est vrai, les choses se sont passées différemment.
               
              [Si vous considérez l’Islam comme ayant « agressé » le monde chrétien (et c’est logique, puisque c’est toujours le dernier arrivé qui « agresse » la puissance en place), alors vous devez admettre que le monde chrétien a « agressé » systématiquement les polythéismes américains, par exemple…]
              Mais je l’admets volontiers… Pourquoi l’admettre remettrait-il en cause mon raisonnement?
               
              [Soyons matérialistes : l’expansion de l’Islam tient moins à la « volonté de diffuser la nouvelle foi » qu’à l’intérêt économique de soumettre de nouveaux territoires et obtenir des tributs.]
              Je pense que le matérialisme trouve là ses limites. D’abord, l’Arabie pré-islamique n’est pas tout à fait un monde misérable coupé des grands courants commerciaux. Ensuite, je pense, contrairement à vous, qu’il ne faut pas négliger la dimension mystique dans les sociétés pré-capitalistes. Que les élites musulmanes aient dans un second temps utilisé l’expansion militaire pour capter des richesses – ou plutôt que cette expansion ait produit des élites soucieuses d’exploiter économiquement celle-ci – cela ne fait aucun doute. Mais que dans un premier temps, elles aient été animées d’un élan mystique me paraît assez peu contestable. Faire de la révélation de Mahomet un simple “habillage” idéologique des ambitions économiques de quelques tribus arabes du Hedjaz me paraît un peu hasardeux. Les Arabes du VII° siècle ne sont pas allés au combat juste pour des tributs mais parce que la quasi-totalité d’entre eux étaient convaincus de servir les desseins de Dieu.
               
              [Je croyais que vous vous inscriviez dans la confrontation entre le « monde islamique » et le « monde chrétien »…]
              Entre l’Occident et le monde islamique, oui. Mais la Russie fait partie du monde chrétien et son rapport au monde musulman est différent du nôtre.
              C’est que, voyez-vous, pour moi, il y a chrétiens et chrétiens: il existe un monde protestant “germanique” dominé par les Anglo-saxons, il existe un monde orthodoxe où la Russie tient la première place et on voit d’ailleurs dans un certain nombre de pays orthodoxes, en Bulgarie, en Grèce – pourtant membres de l’OTAN – en Serbie, des mouvements de sympathie pour la Russie. Quant aux catholiques… eh bien c’est à mon sens un problème, il n’y a plus de grande puissance catholique qui pèse sur les affaires du monde, comme l’Espagne et la France ont pu le faire dans le passé. Les Etats-Unis sont la grande puissance protestante, la Russie la grande puissance orthodoxe, et les grands pays de tradition catholique sont à la remorque des Yankees…
               
              [ne pensez-vous pas que l’attaque contre les tours du WTC doivent être considérées comme une « agression » contre l’ensemble du « monde chrétien » ?]
              Non, plutôt contre l’impérialisme américain et de ses alliés d’Europe de l’ouest.
               
              [pensez-vous que 1830 fait de nous des « agresseurs » du monde musulman ?]
              Du monde musulman nord-africain, certainement. Il me paraît difficile, lorsqu’il y a conquête militaire et colonisation, de ne pas considérer le colonisateur comme un agresseur.
              Mais vous, qu’en pensez-vous?
               
              [Pensez à la Russie aujourd’hui : si elle attaque les pays qui composaient autrefois l’empire Russe, est-ce une « agression » ou pas ?]
              Oui, c’est une agression. Si demain la France attaquait l’Algérie qui a fait partie de son empire, ou si le Maroc tentait de reconquérir l’Espagne en invoquant le souvenir des Almohades, diriez-vous que ce ne sont pas des agressions?
               
              En 2015, Charlie Hebdo ne militait pas pour que la France attaque des pays musulmans. Charlie Hebdo ne combattait ni l’immigration islamique, ni le droit des musulmans à vivre en France en pratiquant leur religion. Les gens réunis au Bataclan n’étaient pas en train de tendre le bras en hurlant “Morts aux musulmans!”. Il y a des gens, en France, qui n’aiment pas l’islam et les musulmans. Mais ce ne sont pas ces gens-là que les terroristes visent prioritairement depuis 2015… Et cela fait une sacrée différence.
               
              [Je ne me souviens pas d’avoir écrit que les « occidentaux barbares et violents » aient attaqué « l’orient musulman paisible, ouvert et tolérant ».]
              Je ne parlais pas de vous spécifiquement. Je soulignais juste que la référence aux Croisades est amusante car, au moment où l’Occident lance la Croisade, le monde musulman a en fait repris son expansion (en Anatolie notamment). 
               
              [Ce fut le choc de deux empires, et un choc d’abord économique. Et l’histoire de l’accès aux lieux saints est en grande partie une construction idéologique destinée à justifier des intérêts matériels bien plus prosaïques.]
              Je n’en crois rien. Votre lecture cynique de l’histoire me paraît pour le coup bien simpliste. Les grandes villes italiennes (Pise, Gênes, Venise) ont largement profité des Croisades pour prendre le contrôle du commerce méditerranéen… Mais ce sont surtout des chevaliers français qui sont allés mourir en Terre Sainte. Et beaucoup n’y ont pas fait fortune, prendre la croix ayant un coût non-négligeable.
               
              [L’histoire des Etats-Unis montre qu’une société peut parfaitement fonctionner sur un modèle communautaire, chaque communauté étant enfermée dans son « ghetto ».]
              Cet argument ne me convainc guère. Nous ne sommes pas les Etats-Unis, et même les bobos écolo-diversitaires se font généralement une autre idée de la vie en société que les Américains “progressistes”. Ce qui est acceptable Outre-Atlantique ne l’est pas forcément chez nous.
               
              Quant à l’universalisme… Cessons de proposer de l’eau à des ânes qui n’ont pas soif. Les Chinois ont adopté la bonne méthode: prendre le progrès scientifique et technique et laisser l’idéalisme de côté. Si en Afrique, des gens veulent continuer à croire que les marabouts sont plus efficaces que les antibiotiques, ce n’est pas mon problème…

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [« Pensez aux rapports de la France avec le Saint Empire… » A quoi pensez-vous précisément? Le Saint Empire est un ennemi secondaire par rapport à l’Angleterre puis à l’Espagne.]

              Je pense à l’ensemble des guerres, attaques et pillages entre la France et les différentes principautés de l’espace germanique. Difficile là-dedans de dire « qui a commencé ». Avec l’Angleterre et l’Espagne, états presque aussi anciens que le nôtre, les griefs sont bien plus faciles à compiler.

              [« Peut-on le rendre responsable des actes des Medici et Borgia ? De ceux de Victor Emmanuele Ier ? De Mussolini ? Et à l’inverse, les actes de Charlemagne, de François Ier, de Louis XIV, de Louis Philippe font-ils de nous des « agressés » ou des « agresseurs » ? » Vous posez – comme toujours – une question intéressante. J’aurais tendance à vous répondre par une autre question: y a-t-il continuité de la structure étatique?]

              C’est bien sur une vision possible, qui consiste à lier la notion « d’agression » à celle de l’état-nation constitué. Mais cette vision pose plusieurs problèmes. D’abord, dans beaucoup de cas la constitution de l’Etat-nation est un phénomène récent. L’Italie ou l’Allemagne n’ont une histoire « étatique » que depuis le XIXème siècle. Et ne parlons pas des états issus de la dissolution de l’empire austro-hongrois ou des Balkans… L’autre difficulté, encore plus grave, est lié à l’agression par des entités non-étatiques. Dans le cas des musulmans, qui était à la racine de cette discussion, si « agression » il y a, elle n’est pas le fait d’un état. Aucun état musulman ne menace aujourd’hui l’Europe…

              [Mais en Palestine, en Syrie, en Egypte et en Afrique du nord, pour parler des provinces arrachées à Byzance par les musulmans, le christianisme s’était solidement implanté sans le soutien politique de Rome, voire contre la volonté des autorités romaines dans un premier temps!]

              Dans un « premier temps », peut-être. Mais à partir de Constantin, le christianisme devient progressivement pour Rome un outil politique de première grandeur.

              [Désolé, mais la christianisation du monde romain ne peut pas se réduire à une conversion forcée imposée par une puissance étrangère.]

              Ça se discute. Le fait que les temples chrétiens aient été élevés le plus souvent sur les ruines des sanctuaires consacrés à d’autres divinités détruits pour l’occasion semble suggérer le contraire. Après, il faut se méfier des anachronismes : le mécanisme de la « foi » au IIIème siècle n’est pas le même qu’aujourd’hui. Le choix de rendre culte à telle ou telle divinité reflète moins la « foi » au sens moderne du terme que le choix de la divinité la plus forte, celle qui peut le mieux vous protéger ou vous amener fécondité et prospérité. Si le dieu du voisin se révèle plus « fort » que le vôtre, alors la conversion va de soi, sans besoin de la « forcer ». Pensez à la confrontation entre les prêtres de Baal et le prophète Elie…

              [J’ajoute que le christianisme s’est romanisé (et/ou hellénisé) pour une part, là où l’islam est largement restée une religion “arabe”.]

              Là encore, ça se discute. Ottomans, Perses, Moghols se sont « islamisés » sans pour autant s’arabiser. La coïncidence entre arabisation et islamisation est visible dans le Maghreb et au proche orient, mais elle est beaucoup moins claire en Asie centrale et occidentale. La culture de l’islam turc ou iranien n’a rien à voir avec celle de l’islam arabe.

              [Si vous considérez l’Islam comme ayant « agressé » le monde chrétien (et c’est logique, puisque c’est toujours le dernier arrivé qui « agresse » la puissance en place), alors vous devez admettre que le monde chrétien a « agressé » systématiquement les polythéismes américains, par exemple…]
              Mais je l’admets volontiers… Pourquoi l’admettre remettrait-il en cause mon raisonnement?]

              Parce que si dans l’affaire le christianisme est « l’agresseur », vous devriez tirer les mêmes conséquences à son égard que celles que vous tirez vis-à-vis de l’islamisme « agresseur » de l’Europe. Or, je n’imagine pas un instant que vous puissiez tirer les mêmes conclusions – c’est-à-dire, que les descendants des européens installés dans les Amériques devraient être expulsés pour permettre aux descendants des indiens de conserver leur culture ancestrale…

              [« Soyons matérialistes : l’expansion de l’Islam tient moins à la « volonté de diffuser la nouvelle foi » qu’à l’intérêt économique de soumettre de nouveaux territoires et obtenir des tributs. » Je pense que le matérialisme trouve là ses limites. D’abord, l’Arabie pré-islamique n’est pas tout à fait un monde misérable coupé des grands courants commerciaux.]

              Là, vous me surprenez. Quels sont les « courants commerciaux » qui passent par la péninsule arabique à l’époque ? Les routes vers l’orient (chine, inde) passent bien plus au nord, par l’Asie centrale (la « route de la soie »). A quoi bon traverser le désert d’Arabie, alors qu’en passant par la rive nord du Golfe Persique la route est plus courte et plus facile ? L’Arabie pré-islamique est un territoire pauvre (sinon misérable), au point qu’aucun des grands empires de l’antiquité ne s’y est intéressé. Il est peuplé par des tribus nomades pour la plupart, et par une communauté juive qui s’est installée après les grandes persécutions qui ont suivi les révoltes anti-romaines en Palestine. Vous noterez d’ailleurs qu’on ne voit se former en Arabie un état que très tardivement : même les califes arabes préfèrent s’installer ailleurs, à Bagdad ou Damas…

              [Ensuite, je pense, contrairement à vous, qu’il ne faut pas négliger la dimension mystique dans les sociétés pré-capitalistes. Que les élites musulmanes aient dans un second temps utilisé l’expansion militaire pour capter des richesses – ou plutôt que cette expansion ait produit des élites soucieuses d’exploiter économiquement celle-ci – cela ne fait aucun doute. Mais que dans un premier temps, elles aient été animées d’un élan mystique me paraît assez peu contestable. Faire de la révélation de Mahomet un simple “habillage” idéologique des ambitions économiques de quelques tribus arabes du Hedjaz me paraît un peu hasardeux.]

              Il ne faut pas tomber, je suis d’accord avec vous, dans un matérialisme mécaniciste. Que la révélation de Mahomet soit un élan mystique, et non un froid calcul économique, je vous l’accorde volontiers. La question est pourquoi le mysticisme de Mahomet trouve un tel écho dans la population locale, alors que des « mystiques » comme loi on en trouve en abondance depuis la nuit des temps. Et c’est là que le matérialisme intervient : si tant de gens ont été attirés par la révélation mahométane, c’est parce qu’elle offrait à ce moment particulier et dans ce contexte particulier une justification idéologique à des intérêts économiques. D’abord, elle justifiait la dépossession des juifs (une de plus…), ensuite elle justifiait une juteuse guerre contre des « infidèles » qu’on pouvait ensuite mettre à l’amende. Pensez-vous que si le « mystique » Mahomet avait au contraire prêché le respect rigoureux de la propriété privée son message aurait eu autant de résonance ?

              La question pour le matérialiste n’est donc pas tant de savoir si le prêcheur est un « mystique » ou un « cynique », mais de savoir pourquoi le prêcheur est écouté, pourquoi des milliers de gens l’écoutent et suivent ses préceptes. C’est à ce niveau-là qu’on retrouve la force du raisonnement matérialiste.

              [Les Arabes du VII° siècle ne sont pas allés au combat juste pour des tributs mais parce que la quasi-totalité d’entre eux étaient convaincus de servir les desseins de Dieu.]

              Je ne pense pas qu’ils auraient été aussi facilement convaincus de « servir les desseins de Dieu » si cette conviction ne servait pas aussi leurs propres intérêts. Par une étrange coïncidence, les messages qui vous incitent à « servir les desseins de Dieu » en piquant les biens du voisin sont nettement plus populaires que ceux qui vous incitent au contraire à respecter rigoureusement le bien d’autrui…

              [Quant aux catholiques… eh bien c’est à mon sens un problème, il n’y a plus de grande puissance catholique qui pèse sur les affaires du monde, comme l’Espagne et la France ont pu le faire dans le passé. Les Etats-Unis sont la grande puissance protestante, la Russie la grande puissance orthodoxe, et les grands pays de tradition catholique sont à la remorque des Yankees…]

              Je n’avais jamais considéré le problème sous cet angle. Vous avez raison, il y a des grandes puissances pour porter une vision culturelle protestante ou orthodoxe, mais pas de grande puissance pour porter une vision culturelle catholique. La raison me semble simple à comprendre : l’orthodoxie comme le protestantisme ont toujours cherché des accommodements avec l’état-nation, acceptant en échange de leur position sociale privilégié leur subordination au pouvoir civil. Cela leur permet de rester des « religions d’Etat » de manière plus ou moins formalisée. L’église catholique, elle, n’a jamais tout à fait accepté l’autonomie du pouvoir civil et sa subordination à celui-ci, cherchant toujours à reconstituer la position dominante qui fut la sienne. Elle a finalement dispersé une partie de son énergie dans un combat perdu d’avance.

              [« ne pensez-vous pas que l’attaque contre les tours du WTC doivent être considérées comme une « agression » contre l’ensemble du « monde chrétien » ? » Non, plutôt contre l’impérialisme américain et de ses alliés d’Europe de l’ouest.]

              Pourtant, à l’époque Al-Quaeda s’était excusé pour les musulmans innocents qui sont morts dans l’attaque des tours du WTC, et non pour les anti-impérialistes qui sont morts dans les mêmes circonstances. Preuve s’il en faut que ceux qui ont commis les attentats étaient motivés par des considérations religieuses avant toute considération « anti-impérialiste »…

              [« pensez-vous que 1830 fait de nous des « agresseurs » du monde musulman ? » Du monde musulman nord-africain, certainement. Il me paraît difficile, lorsqu’il y a conquête militaire et colonisation, de ne pas considérer le colonisateur comme un agresseur.
              Mais vous, qu’en pensez-vous?]

              Moi, je ne vois pas vraiment ce que c’est le « monde musulman nord-africain ». Si les les conquérants de l’Algérie de 1830 ont « agressé » quelqu’un, c’est l’empire Ottoman, qui détenait la souveraineté sur ces territoires. Si l’on veut être rigoureux, on ne peut changer en permanence de perspective. Si vous faites de la « continuité étatique » le critère de la responsabilité des « agressions » comme vous le faites plus haut, alors cela veut dire que « l’agression » est une affaire d’état à état. Il y a un état agresseur, et un état agressé. Si vous étendez la notion à des communautés (ethniques, politiques, religieuses…) vous allez avoir un sérieux problème conceptuel. Parce qu’en 1830, ce n’est pas « la France » qui envahit l’Algérie, ce sont les militaires français poussés par certains intérêts. Dans ces conditions, est-ce « la France » ou « Louis-Philippe et sa clique » qui sont les « agresseurs » ?

              [« Pensez à la Russie aujourd’hui : si elle attaque les pays qui composaient autrefois l’empire Russe, est-ce une « agression » ou pas ? » Oui, c’est une agression. Si demain la France attaquait l’Algérie qui a fait partie de son empire, ou si le Maroc tentait de reconquérir l’Espagne en invoquant le souvenir des Almohades, diriez-vous que ce ne sont pas des agressions?]

              Et si en 1914 la France fait la guerre à l’Allemagne pour récupérer l’Alsace-Moselle qui fit autrefois partie de son « empire », est-ce une agression ? Comme vous voyez, la qualification d’une « agression » repose sur le terrain, hautement glissant, de la « possession légitime ». La France récupérant l’Alsace-Moselle n’est pas un « agresseur » parce que la possession par l’Allemagne est jugée « illégitime ». Une invasion de l’Algérie par la France serait considérée une « agression » parce que l’indépendance de l’Algérie est jugée « légitime ». Prenez un cas plus intéressant encore : les îles Malouines/Falkland. Un territoire que les traités accordent à l’Espagne – et donc à l’Argentine en vertu de la règle de succession d’Etats – et qui fut occupé par la force par la Grande Bretagne au XIXème siècle, avec expulsion des habitants argentins et substitution par des colons britanniques. Lorsqu’en 1982 l’Argentine attaque les îles, qui est « l’agresseur » ? Tout dépend d’un jugement en légitimité…

              [En 2015, Charlie Hebdo ne militait pas pour que la France attaque des pays musulmans. Charlie Hebdo ne combattait ni l’immigration islamique, ni le droit des musulmans à vivre en France en pratiquant leur religion.]

              Oui et non. Pour certains, Charlie Hebdo attaquait le droit des musulmans en France à pratiquer leur religion TELLE QU’ILS L’ENTENDENT – c’est-à-dire, avec une primauté de la loi religieuse sur la loi civile. Plus profondément, je pense que vous sous-estimez le pouvoir subversif de Charlie Hebdo. L’hebdomadaire n’appelait pas à « attaquer les pays musulmans », mais dans la querelle des légitimités il avait clairement pris parti.

              [« Je ne me souviens pas d’avoir écrit que les « occidentaux barbares et violents » aient attaqué « l’orient musulman paisible, ouvert et tolérant ». » Je ne parlais pas de vous spécifiquement. Je soulignais juste que la référence aux Croisades est amusante car, au moment où l’Occident lance la Croisade, le monde musulman a en fait repris son expansion (en Anatolie notamment).]

              Personnellement, je vois dans les croisades l’affrontement de deux logiques de pouvoir, celle d’un occident qui, après le long délitement de la romanité reprend le poil de la bête et a besoin d’une « cause » pour unifier la chrétienté, mieux contrôler ses frontières et protéger ses intérêts, et un monde arabo-musulman lui aussi très dynamique et qui aspire à s’étendre.

              [Je n’en crois rien. Votre lecture cynique de l’histoire me paraît pour le coup bien simpliste. Les grandes villes italiennes (Pise, Gênes, Venise) ont largement profité des Croisades pour prendre le contrôle du commerce méditerranéen… Mais ce sont surtout des chevaliers français qui sont allés mourir en Terre Sainte. Et beaucoup n’y ont pas fait fortune, prendre la croix ayant un coût non-négligeable.]

              C’est Bloch je crois qui explique combien le fait d’envoyer ces chevaliers en orient a permis de pacifier l’Europe. Parce que moins de chevaliers, c’est moins de revendications, moins de partage de domaines, moins d’affrontements entre nobles qui luttent pour se faire une place au soleil. L’intérêt économique des croisades n’était pas seulement le contrôle des routes de commerce ou la conquête de nouveaux territoires… cela a donné aussi un exutoire à une classe nobiliaire dont les excès devenaient dangereux. On observera d’ailleurs le même phénomène avec la colonisation !

              [« L’histoire des Etats-Unis montre qu’une société peut parfaitement fonctionner sur un modèle communautaire, chaque communauté étant enfermée dans son « ghetto ». » Cet argument ne me convainc guère. Nous ne sommes pas les Etats-Unis, et même les bobos écolo-diversitaires se font généralement une autre idée de la vie en société que les Américains “progressistes”. Ce qui est acceptable Outre-Atlantique ne l’est pas forcément chez nous.]

              Nous ne sommes pas les Etats-Unis… mais nous sommes en train de le devenir. Et des choses que je croyais « inacceptables chez nous » dans ma jeunesse ne suscitent aujourd’hui guère d’étonnement. Vous sous-estimez je pense la capacité des sociétés à « naturaliser » certains comportements. « L’inacceptable » devient vite « acceptable » quand le bloc dominant y a intérêt.

              [Quant à l’universalisme… Cessons de proposer de l’eau à des ânes qui n’ont pas soif. Les Chinois ont adopté la bonne méthode: prendre le progrès scientifique et technique et laisser l’idéalisme de côté. Si en Afrique, des gens veulent continuer à croire que les marabouts sont plus efficaces que les antibiotiques, ce n’est pas mon problème…]

              Mais c’est triste, n’est-ce pas, que « ce ne soit pas notre problème »… Je pense qu’un certain idéalisme est nécessaire comme principe d’action, sans quoi le monde devient moins beau. Mais je vous accorderais qu’il ne faut pas non plus pousser l’idéalisme jusqu’à nous imposer l’obligations de faire le bonheur des gens malgré eux. Il est de notre devoir de chercher à persuader les gens que le vaccin est plus efficace que le marabout. Mais si la persuasion ne marche pas, on ne va pas les vacciner de force.

            • @ Descartes,
               
              [Dans le cas des musulmans, qui était à la racine de cette discussion, si « agression » il y a, elle n’est pas le fait d’un état. Aucun état musulman ne menace aujourd’hui l’Europe…]
              Je suis d’accord. Dans notre discussion, ce qui est en question, c’est l’existence ou non d’une “communauté musulmane” sur le sol français, une sorte d’ “Etat dans l’Etat” comme le furent les protestants au XVI° et au début du XVII° siècle. Pour vous, cette communauté n’existe pas vraiment, du moins pas au niveau politique, et vous arguez pour cela de l’absence d’ “électorat musulman”. De mon point de vue au contraire, la communauté musulmane se mue progressivement en une “nation musulmane” qui remet en cause nos cadres politiques et nos références culturelles. Derrière une homogénéisation progressive des pratiques religieuses dans un sens rigoriste, je vois pour ma part poindre des ambitions politiques, car n’oublions pas que l’islamisme est un projet éminemment politique.
               
              [Parce que si dans l’affaire le christianisme est « l’agresseur », vous devriez tirer les mêmes conséquences à son égard que celles que vous tirez vis-à-vis de l’islamisme « agresseur » de l’Europe. Or, je n’imagine pas un instant que vous puissiez tirer les mêmes conclusions – c’est-à-dire, que les descendants des européens installés dans les Amériques devraient être expulsés pour permettre aux descendants des indiens de conserver leur culture ancestrale…]
              Ben, ça dépend… En tant qu’Européen, je peux évidemment avoir quelques réticences à l’idée qu’on expulse les descendants des colons. Mais, en toute franchise, si j’étais un autochtone, un Sioux, un Maya ou un Patagon, peut-être qu’en effet je jugerais souhaitable le départ des “blancs”.
               
              Mais à nouveau, vous posez une question fondamentale: qu’est-ce qui fonde la légitimité d’une population à occuper et exploiter un territoire, à y imposer sa culture, sa religion, ses us et coutumes? La réponse, bien sûr, n’est pas simple. Mais on peut tout de même avancer qu’il y a certains éléments de légitimité. D’abord, l’antériorité: les premiers arrivés sont plus légitimes que les suivants. En un sens, on peut en effet considérer que les descendants des Sioux, des Aztèques ou des Quechuas sont plus “légitimes” à vivre en Amérique que les descendants des colons anglais ou espagnols. De même, les Zoulous et les Xhosas seraient plus légitimes que les Afrikaners, ou les Aborigènes que les Australiens de souche européenne. Cet argument a pu être valide d’ailleurs dans des colonies où les Européens étant une petite minorité, l’indépendance conquise par les autochtones s’est traduite par une expulsion (ou un départ plus ou moins volontaire) des descendants de colons (Algérie, Erythrée, Indochine, Inde…).
               
              Seulement voilà: l’antériorité n’est pas la seule source de légitimité, car l’histoire étant ce qu’elle est, la force brute ainsi que la démographie jouent aussi leur rôle. Ainsi, certaines populations imposent leur présence et leur domination sur un territoire par la force, au besoin en tuant, en asservissant ou en chassant les autochtones. La colonisation de l’Amérique par les Européens offre un bon exemple de ce type de scénario. Mais ce n’est pas le seul exemple: la conquête de l’Anatolie par les Turcs est un cas d’école. Les populations grecques (sur le littoral) ou anciennement hellénisée (dans l’intérieur) ont d’abord subi des massacres lors de la conquête proprement dite, puis une domination discriminatoire avec le statut de dhimmis. Pour finir, en 1922-1923, ceux qui n’avaient pas été assimilés (en se convertissant à l’islam) et qui étaient encore fort nombreux, ont purement et simplement été expulsés de territoires (Ionie, Pont, Thrace) qu’ils occupaient parfois deux mille ou mille cinq cents ans avant que le premier Turc ne posât le pied en Anatolie. Et je ne parle pas des Arméniens. Certaines populations tirent donc leur légitimité du fait que le territoire qu’elles occupent a été “conquis par la lance” selon l’expression consacrée, et que la démographie (ainsi éventuellement que l’assimilation) leur a permis de tenir cet espace face à des autochtones devenus minoritaires.
               
              Nos musulmans de France ont quelle légitimité? Aucune des deux. Leur présence n’est pas antérieure à celle des blancs chrétiens, même si je sais qu’il est de bon ton de monter en épingle trois ou quatre tombes musulmanes du haut Moyen Âge découvertes à Nîmes pour affirmer que “les musulmans sont là depuis toujours”. Ont-ils conquis le territoire français, les armes à la main? Pas davantage. On me répondra qu’ils sont venus à l’appel d’une économie française en demande de main-d’oeuvre. A voir: sans doute était-ce vrai pour ceux arrivés dans les années 50, 60 et 70, mais beaucoup d’autres sont arrivés ensuite. Ajoutons que cette immigration s’est faite, à partir des années 80, en dépit de l’hostilité croissante des autochtones et des descendants d’immigrés de souche européenne.
               
              Les musulmans n’ont aucune légitimité historique à vivre en France: ils ne sont ni des autochtones, ni des conquérants. Si un jour prochain la guerre civile éclate, et que les musulmans l’emportent, très bien, ils auront gagné et le pays sera à eux. Vae Victis. Mais battons-nous d’abord. Et, à tout prendre, je me demande s’il ne vaut pas mieux affronter les musulmans tant qu’ils sont 15 % de la population que quand ils seront 30 %…  
               
              [Quels sont les « courants commerciaux » qui passent par la péninsule arabique à l’époque ? Les routes vers l’orient (chine, inde) passent bien plus au nord, par l’Asie centrale (la « route de la soie »).]
              Je suis obligé de vous contredire: une partie du commerce maritime en provenance d’Inde transite depuis une haute époque par la péninsule arabique. Grecs et Perses se sont intéressés à la région. J’ai sous les yeux un extrait du Périple de la mer Erythrée (appellation désignant alors Mer Rouge, Golfe Persique et Océan Indien occidental) écrit probablement par un marchand de l’empire romain: il cite une multitude de ports de la péninsule arabique, sur la Mer rouge comme sur l’Océan Indien, qui sont autant de relais pour le commerce avec l’Inde, mais qui produisent aussi des richesses (l’encens est la plus célèbre) que l’auteur évoque. 
               
              Une bonne partie du commerce du monde méditerranéen avec l’Inde s’effectue par voie maritime. Et entre l’Inde et la Méditerranée, il y a l’Arabie… Les routes terrestres que vous signalez existent, et servent pour les échanges avec la Chine, mais elles ne sont pas sures, du fait des fréquents changements géopolitiques.
               
              [Vous noterez d’ailleurs qu’on ne voit se former en Arabie un état que très tardivement : même les califes arabes préfèrent s’installer ailleurs, à Bagdad ou Damas…]
              L’Arabie est peu peuplée du fait de son climat et de ses faibles ressources en eau, qui rendent l’agriculture difficile sur l’essentiel de son territoire. Mais peu peuplée ne signifie pas misérable. Pensez à la reine de Saba…
               
              [Et c’est là que le matérialisme intervient : si tant de gens ont été attirés par la révélation mahométane, c’est parce qu’elle offrait à ce moment particulier et dans ce contexte particulier une justification idéologique à des intérêts économiques.]
              Peut-être. Mais en retour, je vous fais remarquer que la révélation mahométane a donné une “coloration” très particulière à l’expansion musulmane.
              Je me permets de vous faire remarquer qu’au XIII° siècle, Gengis Khan a fait avec les tribus mongoles ce que Mahomet avait fait avec les tribus arabes, mais sans véritable dimension religieuse. Et le résultat est très différent: les Mongols ont certes réussi à conquérir une bonne partie de l’Asie (y compris musulmane, Bagdad est saccagée en 1258 par Houlagou, petit-fils de Gengis Khan) et à contrôler toutes les grandes routes commerciales… Mais qu’ont-ils imposé de leur culture? Les Mongols de Chine sont devenus bouddhistes et se sont sinisés. Les Ilkhans de Perse (descendants d’Houlagou) se sont convertis à l’islam. Alors que le Coran est récité, en arabe, de l’Indonésie au Kazakhstan, de la Turquie au Bangladesh, quel grand texte mongol est récité dans toute l’Asie? Qui, en dehors de la modeste Mongolie, donne des prénoms mongols à ses enfants?
              Tout ça pour dire que l’expansion musulmane a une dimension culturelle qu’on ne rencontre pas toujours.    
               
              [D’abord, elle justifiait la dépossession des juifs (une de plus…), ensuite elle justifiait une juteuse guerre contre des « infidèles » qu’on pouvait ensuite mettre à l’amende.]
              A voir. La fiscalité imposée par les musulmans aux juifs et aux chrétiens des anciens territoires byzantins est certes discriminatoire, mais pas nécessairement plus lourde que celle de l’empire byzantin. De plus, les califes imposent rapidement un ordre institutionnel qui permet une certaine prévisibilité, y compris pour les dhimmis. Alors qu’en Perse au XIII° siècle, la domination mongole est tout à la fois brutale et destructrice, les conquérants se conduisant comme des prédateurs. 
               
              [Pensez-vous que si le « mystique » Mahomet avait au contraire prêché le respect rigoureux de la propriété privée son message aurait eu autant de résonance ?]
              Pour parler d’un exemple que je connais un peu, la Syrie, les musulmans ont à ma connaissance respecté les droits de propriété des juifs et des chrétiens au moment de la conquête. 
               
              [Si les les conquérants de l’Algérie de 1830 ont « agressé » quelqu’un, c’est l’empire Ottoman, qui détenait la souveraineté sur ces territoires. Si l’on veut être rigoureux, on ne peut changer en permanence de perspective.]
              Si l’on veut être rigoureux, il faut admettre que les questions de “souveraineté” dans le monde musulman au XIX° siècle sont une affaire d’une redoutable complexité. Formellement, vous avez raison. Mais dans les faits, l’affaiblissement de l’empire ottoman depuis la fin du XVII° siècle a transformé nombre de provinces excentrées en états autonomes sous la suzeraineté devenue nominale de la Sublime Porte.
              Je vous invite par exemple à vous pencher sur le cas de Méhémet Ali, vice-roi d’Egypte (1804-1848) et vassal du sultan ottoman, mais considéré aujourd’hui comme le fondateur de l’Etat égyptien moderne… Comme vous pouvez le constater, la question de la “continuité étatique” dans les régions soumises à l’ancien empire ottoman fait problème.  
               
              [Si vous faites de la « continuité étatique » le critère de la responsabilité des « agressions » comme vous le faites plus haut, alors cela veut dire que « l’agression » est une affaire d’état à état. Il y a un état agresseur, et un état agressé. Si vous étendez la notion à des communautés (ethniques, politiques, religieuses…) vous allez avoir un sérieux problème conceptuel.]
              Et pourtant… Les catholiques n’agressent-ils pas les protestants en 1562 (massacre de Wassy)? Les Croates n’attaquent-ils pas les Serbes de Croatie en 1992? 
              Il semble bien, sans vouloir vous offenser, que les états ne soient pas les seuls à pouvoir initier des agressions. Il peut arriver aussi qu’un Etat moderne revendique l’héritage d’une structure plus ancienne (ethnie, communauté). Ainsi Erdogan célèbre la victoire des Turcs à Manzikert en 1071. Mais il s’agit des Turcs seldjoukides et non ottomans, et l’empire des premiers s’effondre bien avant l’essor des seconds. Pourtant, c’est bien la victoire seldjoukide qui ouvre la voie à la colonisation turque de l’Anatolie, dont l’existence de la Turquie moderne est une conséquence directe…
               
              [Parce qu’en 1830, ce n’est pas « la France » qui envahit l’Algérie, ce sont les militaires français poussés par certains intérêts.]
              Non, c’est Charles X qui envoie son armée attaquer Alger. Et lorsqu’il le fait, il incarne encore l’autorité légitime en France.
               
              [Dans ces conditions, est-ce « la France » ou « Louis-Philippe et sa clique » qui sont les « agresseurs » ?]
              Louis-Philippe est-il une autorité légitime, c’est-à-dire légale et reconnue comme telle par la majorité de la population? Si oui, les décisions de Louis-Philippe (ici poursuivre la conquête de l’Algérie) engagent la France. Sinon, ce n’est pas le cas… mais qui alors parle et agit au nom de la France?
               
              [Et si en 1914 la France fait la guerre à l’Allemagne pour récupérer l’Alsace-Moselle qui fit autrefois partie de son « empire », est-ce une agression ?]
              Ma réponse est simple: le 3 août 1914, c’est l’Allemagne qui déclare la guerre à la France. Dès lors, la France est l’agressé et se défend… Malgré la rhétorique de la III° République, nombre d’historiens s’accordent aujourd’hui à considérer que la France n’aurait pas risqué une guerre d’agression contre l’Allemagne pour reprendre l’Alsace-Moselle, d’autant qu’elle se serait retrouvée seule face à un pays militairement plus puissant. Une fois la victoire chèrement acquise en 1918, il aurait en revanche été stupide de ne pas en profiter pour récupérer les provinces perdues…
               
              [Comme vous voyez, la qualification d’une « agression » repose sur le terrain, hautement glissant, de la « possession légitime ». La France récupérant l’Alsace-Moselle n’est pas un « agresseur » parce que la possession par l’Allemagne est jugée « illégitime ».]
              Jugée illégitime par qui? Par la France sans doute, mais pour les autres pays d’Europe, c’est moins sûr. Y compris pour les alliés de la France, Russie et Royaume-Uni.
               
              [Plus profondément, je pense que vous sous-estimez le pouvoir subversif de Charlie Hebdo.]
              Certainement. Pour moi, Charlie Hebdo incarnait à l’origine les faux rebelles de Mai 68. La publication des caricatures était une bravade. C’est ensuite, avec les procès et surtout les anathèmes venant d’une partie de la gauche, que ceux de Charlie Hebdo ont compris qu’ils avaient, un peu sans le vouloir, tapé là où ça fait mal.
               
              [L’hebdomadaire n’appelait pas à « attaquer les pays musulmans », mais dans la querelle des légitimités il avait clairement pris parti.]
              C’est-à-dire? Je ne suis pas sûr de comprendre.
               
              [C’est Bloch je crois qui explique combien le fait d’envoyer ces chevaliers en orient a permis de pacifier l’Europe. […] L’intérêt économique des croisades n’était pas seulement le contrôle des routes de commerce ou la conquête de nouveaux territoires… cela a donné aussi un exutoire à une classe nobiliaire dont les excès devenaient dangereux.]
              Sur ce point, je ne peux que vous donner raison. Et je préciserai même: c’est l’Eglise, richement possessionnée, qui a voulu se débarrasser d’une aristocratie turbulente prompte à empiéter sur les domaines ecclésiastiques. Je travaille actuellement sur cette période passionnante, et j’ai trouvé un exemple d’un chevalier qui s’en prenait aux biens d’une abbaye de Chartres, et auquel les moines ont payé le voyage en Terre Sainte! Il s’agit aussi de christianiser une élite militaire qui peine à accepter le cadre social que la réforme grégorienne tente d’établir.
               
              Cela étant, je reste convaincu que l’idée de “guerre sainte” développée à partir des Croisades en Occident est un emprunt au djihad musulman, bien que je n’aie pas encore trouvé confirmation de cette intuition.
               
              [Mais c’est triste, n’est-ce pas, que « ce ne soit pas notre problème »…]
              Oui, c’est triste. Je crois à l’usage de la raison et je pense qu’il faut essayer de convaincre les autres. Malheureusement, notre “universalisme” nous a aussi parfois conduit à une forme d’arrogance naïve. Maintenant si les peuples d’Afrique pensent que nous n’avons rien de bien à leur apporter, que le “savoir blanc” n’est qu’un outil – un de plus – de domination, mieux vaut les laisser tranquilles.

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [De mon point de vue au contraire, la communauté musulmane se mue progressivement en une “nation musulmane” qui remet en cause nos cadres politiques et nos références culturelles. Derrière une homogénéisation progressive des pratiques religieuses dans un sens rigoriste, je vois pour ma part poindre des ambitions politiques, car n’oublions pas que l’islamisme est un projet éminemment politique.]

              C’est effectivement notre point fondamental de désaccord. Vous voyez une volonté politique active là où je trouve d’abord une forme de résistance passive. La vérité, comme toujours, doit être entre les deux. Il y a certainement des groupes agissants pour qui l’islamisation est un projet politique, et une masse de gens pour qui l’essentiel est de garder une « identité » séparée, qu’ils perçoivent menacée par la sécularisation et l’individualisme qui va avec.

              [Ben, ça dépend… En tant qu’Européen, je peux évidemment avoir quelques réticences à l’idée qu’on expulse les descendants des colons. Mais, en toute franchise, si j’étais un autochtone, un Sioux, un Maya ou un Patagon, peut-être qu’en effet je jugerais souhaitable le départ des “blancs”.]

              Mais du point de vue d’un homme universel, à qui rien d’humain n’est étranger, quelle serait votre position ?

              [Mais à nouveau, vous posez une question fondamentale: qu’est-ce qui fonde la légitimité d’une population à occuper et exploiter un territoire, à y imposer sa culture, sa religion, ses us et coutumes? La réponse, bien sûr, n’est pas simple. Mais on peut tout de même avancer qu’il y a certains éléments de légitimité. D’abord, l’antériorité: les premiers arrivés sont plus légitimes que les suivants.]

              Pourquoi ? Vous posez là arbitrairement un critère dont je ne vois aucun fondement rationnel. L’antériorité, après tout, est un accident, un hasard de l’histoire. Si telle tribu au lieu de prendre à droite avait pris à gauche, son « antériorité » sur tel ou tel territoire aurait été différente. Je pense que l’antériorité n’a de sens comme argument que si elle s’accompagne d’une notion d’aménagement. Autrement dit, on n’a de droit que sur ce que l’on a fait. Un peuple a un droit sur le territoire qu’il occupe non pas parce qu’il « était là avant », mais parce qu’il a investi l’effort d’innombrables générations à assécher les marais, à construire des routes, à planter des forêts ou au contraire à défricher des champs. Le territoire est une « œuvre », dont le peuple qui l’occupe est l’auteur. C’est pour moi ce fait, bien plus qu’une « antériorité » purement chronologique qui fonde cette légitimité. Et c’est pourquoi d’ailleurs la question de la légitimité est bien plus sensible chez les sédentaires que chez les nomades…

              [En un sens, on peut en effet considérer que les descendants des Sioux, des Aztèques ou des Quechuas sont plus “légitimes” à vivre en Amérique que les descendants des colons anglais ou espagnols. De même, les Zoulous et les Xhosas seraient plus légitimes que les Afrikaners, ou les Aborigènes que les Australiens de souche européenne.]

              Je le répète, je ne vois pas pourquoi. Comme je l’ai dit plus haut, je peux comprendre pour les peuples qui ont « aménagé » leur territoire. Mais pour les autres ? D’autant plus que parmi les peuples que vous citez, certains ne doivent leur « antériorité » qu’au fait qu’ils ont chassé – quand ils n’ont pas partielle ou totalement exterminé – les peuples qui se trouvaient là avant eux. Les rares héritiers des peuples qui se trouvaient là avant les Aztèques n’ont pas, eux aussi, une « plus grande légitimité » que ces derniers ? Vous voyez bien que l’argument de « l’antériorité » ne fonctionne que parce que notre connaissance du passé s’arrête en chemin…

              [(…) Certaines populations tirent donc leur légitimité du fait que le territoire qu’elles occupent a été “conquis par la lance” selon l’expression consacrée, et que la démographie (ainsi éventuellement que l’assimilation) leur a permis de tenir cet espace face à des autochtones devenus minoritaires.]

              Autrement dit, vous admettez ici une « légitimité de fait ». Le fait qu’on contrôle un territoire et qu’on est capable de le tenir contre toute volonté extérieure ou intérieure vous rendrait « légitime ». C’est une sorte de « doctrine de facto » appliquée à la question.

              [Les musulmans n’ont aucune légitimité historique à vivre en France: ils ne sont ni des autochtones, ni des conquérants.]

              Ils peuvent le devenir, du moins si je suis votre raisonnement, par la démographie… le problème de votre logique, c’est qu’elle risque d’aboutir à légitimer non seulement la prétention des musulmans à vivre en France, mais à devenir la culture dominante. Pourquoi la « conquête par la lance » devrait être privilégiée par rapport à la « conquête par la démographie » ?

              Je reste plus attaché à mon idée de « légitimité par les œuvres ». Si la culture « occidentale » a droit de cité en France, c’est parce qu’elle donne forme au territoire depuis bientôt deux mille ans. Parce que notre territoire est décoré d’ouvrages qui ont été produits par cette culture. Et je ne pense pas seulement aux cathédrales, mais aussi aux réalisations des sciences et techniques, qui elles aussi sont le fruit d’une culture et une pensée qui nous est propre. Si la culture musulmane n’a pas la même légitimité, c’est parce que quand bien même les musulmans seraient montés à Poitiers au VIIIème siècle, ils n’ont rien laissé derrière eux en termes d’œuvre. Alors qu’en Andalousie, par exemple, cela se discute…

              [Je suis obligé de vous contredire: une partie du commerce maritime en provenance d’Inde transite depuis une haute époque par la péninsule arabique. Grecs et Perses se sont intéressés à la région.]

              N’étant pas un connaisseur, je me rends à votre connaissance du sujet. Je suis quand même un peu étonné d’apprendre qu’au VIIème siècle les routes commerciales passaient par la mer rouge. Même si le commerce passait largement par la voie maritime, c’était un commerce essentiellement de cabotage (ce n’est que bien plus tard que l’introduction de la boussole a permis une navigation de haute mer). Or, la route de cabotage entre l’Inde et la Chine et l’Europe passe plutôt par le Golfe Persique…

              [« Et c’est là que le matérialisme intervient : si tant de gens ont été attirés par la révélation mahométane, c’est parce qu’elle offrait à ce moment particulier et dans ce contexte particulier une justification idéologique à des intérêts économiques. » Peut-être. Mais en retour, je vous fais remarquer que la révélation mahométane a donné une “coloration” très particulière à l’expansion musulmane.]

              Et surtout, une grande efficacité. Parce qu’elle était très adaptée aux besoins politiques de l’organisation économique de l’époque. La vision mahométane permettait d’organiser un monde tribal et lui donner une épine dorsale étatique, chose que les cultes antérieurs ne permettaient pas.

              [Je me permets de vous faire remarquer qu’au XIII° siècle, Gengis Khan a fait avec les tribus mongoles ce que Mahomet avait fait avec les tribus arabes, mais sans véritable dimension religieuse.]

              Cela dépend ce que vous appelez « faire ce que Mahomet à fait avec les tribus arabes ». Si par cela vous entendez qu’il a réussi à les unifier derrière sa bannière, c’est vrai, mais l’histoire est pleine de dirigeants qui ont réussi la même chose sans nécessairement faire appel à la religion. Il suffit pour cela d’avoir un intérêt commun – le pillage, par exemple. Par contre, le projet de Mahomet a abouti à la création d’un espace politique et administratif unifié, ce que Gengis Khan n’a jamais réussi à faire. Ce qu’on appelle « empire mongol », c’est un ensemble de territoires qui payaient tribut à l’empereur mongol, mais il n’y a jamais eu dans cette espace une unité politique ou administrative. Et cet espace s’est d’ailleurs rapidement morcelé : son unité de commandement aura duré à peine un siècle.

              C’est là toute la différence : vous pouvez conquérir par la force, mais pour créer un régime politique, il vous faut une idéologie qui permette de fonder des lois et des institutions communes. La force de Mahomet par rapport à Gengis Khan – ou bien d’autres conquérants sans postérité – est là. Il proposait à ses troupes bien plus que l’intérêt d’aller soumettre le voisin et lui imposer un tribut.

              [Tout ça pour dire que l’expansion musulmane a une dimension culturelle qu’on ne rencontre pas toujours.]

              Plus qu’une « dimension culturelle », je dirais une « dimension politique et institutionnelle ». L’Islam est « moderne » en ce qu’il permet de fonder un état dans un contexte tribal, de construire une unité qui va au-delà des rapports purement personnels des chefs de tribu. C’est cela qui fera la force des arabes islamisés et leur permettra de conquérir et dominer leurs voisins… puis de les assimiler.

              [A voir. La fiscalité imposée par les musulmans aux juifs et aux chrétiens des anciens territoires byzantins est certes discriminatoire, mais pas nécessairement plus lourde que celle de l’empire byzantin.]

              Certes, mais elle est encaissée par les seigneurs musulmans, et non par l’empereur byzantin. Du point de vue des musulmans, cela fait une grande différence !

              [De plus, les califes imposent rapidement un ordre institutionnel qui permet une certaine prévisibilité, y compris pour les dhimmis. Alors qu’en Perse au XIII° siècle, la domination mongole est tout à la fois brutale et destructrice, les conquérants se conduisant comme des prédateurs.]

              Tout à fait. C’est bien ce que je disais plus haut : l’Islam fournit une idéologie, et cette idéologie s’accompagne d’une loi connue de tous et prévisible. La domination mongole est la loi du plus fort, sans une idéologie partagée qui lui met des limites.

              [« Pensez-vous que si le « mystique » Mahomet avait au contraire prêché le respect rigoureux de la propriété privée son message aurait eu autant de résonance ? » Pour parler d’un exemple que je connais un peu, la Syrie, les musulmans ont à ma connaissance respecté les droits de propriété des juifs et des chrétiens au moment de la conquête.]

              Ce n’est pas ce que la tradition juive raconte… après, il est vrai que c’est une période très peu documentée.

              [Comme vous pouvez le constater, la question de la “continuité étatique” dans les régions soumises à l’ancien empire ottoman fait problème.]

              C’était bien mon point. C’est pourquoi à mon avis cette notion d’agresseur et d’agressé dans les rapports internationaux est une notion difficile à manier en dehors de l’Europe du XIXème et XXème siècles. Et même là… pensez à la guerre qui aboutit à l’indépendance du Kossovo.

              [« Si vous faites de la « continuité étatique » le critère de la responsabilité des « agressions » comme vous le faites plus haut, alors cela veut dire que « l’agression » est une affaire d’état à état. Il y a un état agresseur, et un état agressé. Si vous étendez la notion à des communautés (ethniques, politiques, religieuses…) vous allez avoir un sérieux problème conceptuel. » Et pourtant… Les catholiques n’agressent-ils pas les protestants en 1562 (massacre de Wassy)? Les Croates n’attaquent-ils pas les Serbes de Croatie en 1992?]

              Dans le deuxième cas, on peut parler d’un conflit « d’état à état ». Même si la Serbie et la Croatie ne sont pas à l’époque des états internationalement reconnus, ils ont une histoire qui permet de les considérer comme des états-nations. Mais je vais reprendre votre premier exemple : dans le massacre de Wassy, il s’agit d’un conflit entre deux groupes : d’un côté, les protestants de Wassy, de l’autre, la suite du duc de Guise. Vous pouvez dire que les protestants de Wassy ont « agressé » les émissaires du duc, qui ne faisaient que faire appliquer la loi (qui interdisait à l’époque le culte protestant dans certaines conditions), ou bien que la suite du duc de Guise a « agressé » les protestants en leur empêchant de tenir leur culte. Mais vous voyez bien qu’il s’agit d’un jugement subjectif, qui dépend de ce que vous pensez être « légitime ». Il est incontestable que les protestants violaient la loi – une loi qui nous paraît aujourd’hui aberrante, mais qui était la loi quand même.

              Mais surtout – et c’est cela qui nous préoccupait dans cette discussion – qui doit assumer AUJOURD’HUI la responsabilité de cet évènement ? Si vous faites de la « continuité étatique » le critère pour répondre, vous n’aurez pas de réponse.

              [Il semble bien, sans vouloir vous offenser, que les états ne soient pas les seuls à pouvoir initier des agressions.]

              Bien entendu, un individu peut agresser un autre dans la rue. La question n’était pas ici de savoir si les états sont les seuls à pouvoir commettre des agressions, mais qui doit assumer, plusieurs générations plus tard, la responsabilité. Il est clair que pour les individus, cette responsabilité s’éteint avec eux. Mais lorsqu’il s’agit de groupes ? Qui doit porter aujourd’hui la marque d’infamie pour le massacre de Wassy ?

              [« Parce qu’en 1830, ce n’est pas « la France » qui envahit l’Algérie, ce sont les militaires français poussés par certains intérêts. » Non, c’est Charles X qui envoie son armée attaquer Alger. Et lorsqu’il le fait, il incarne encore l’autorité légitime en France.]

              Un régime mis sur le trône après une défaite militaire par les puissances victorieuses peut-il être considéré comme « autorité légitime » ? Vaste discussion…

              [« Dans ces conditions, est-ce « la France » ou « Louis-Philippe et sa clique » qui sont les « agresseurs » ? » Louis-Philippe est-il une autorité légitime, c’est-à-dire légale et reconnue comme telle par la majorité de la population ? Si oui, les décisions de Louis-Philippe (ici poursuivre la conquête de l’Algérie) engagent la France. Sinon, ce n’est pas le cas… mais qui alors parle et agit au nom de la France ?]

              C’est une très bonne question, à laquelle il n’y a pas de réponse simple. Pétain était certainement reconnu comme « autorité légale » par la majorité des français. Peut-on pour autant dire, comme le fit Chirac, qu’à l’époque « la France commit l’irréparable » ? Je ne suis pas d’accord.

              La question de savoir qui, à chaque instant, « engage la France » sur le plan symbolique est une question éminemment politique. Je dirais même qu’il s’agit d’un choix politique. La France issue de la Libération a CHOISI de considérer que Pétain ne la représentait pas. Le choix de Chirac de faire de Pétain le représentant « légitime » de la France est un renversement de perspective qui dit beaucoup sur la vision que les Français avaient et ont d’eux-mêmes, et comment elle s’est modifiée entre 1945 et aujourd’hui.

              [« Et si en 1914 la France fait la guerre à l’Allemagne pour récupérer l’Alsace-Moselle qui fit autrefois partie de son « empire », est-ce une agression ? » Ma réponse est simple: le 3 août 1914, c’est l’Allemagne qui déclare la guerre à la France. Dès lors, la France est l’agressé et se défend…]

              Ce n’était pas là ma question. J’ai bien dit « Si… ». Je reformule donc : « si en 1914 la France avait attaqué l’Allemagne pour récupérer… » etc. S’agit-il alors d’une « agression » ?

              Personnellement, le terme d’agression lui-même me pose un problème, parce qu’il prétend réduire à une catégorie morale objective quelque chose qui est éminemment subjectif. L’agression est quelque chose « qui ne se fait pas », et qui entache d’illégitimité une action politique. Cela génère toute une hypocrisie qui consiste à qualifier « d’agression » les guerres des autres, et de bannir le terme pour qualifier les siennes. On parlera de « guerre d’Irak », « d’intervention en Afghanistan », mais de « agression de l’Ukraine ». Etonnant, non ?

              [« Comme vous voyez, la qualification d’une « agression » repose sur le terrain, hautement glissant, de la « possession légitime ». La France récupérant l’Alsace-Moselle n’est pas un « agresseur » parce que la possession par l’Allemagne est jugée « illégitime ». » Jugée illégitime par qui? Par la France sans doute,]

              Bien entendu. C’est là mon point : l’agression dépend d’un jugement purement subjectif de la situation.

              [« Plus profondément, je pense que vous sous-estimez le pouvoir subversif de Charlie Hebdo. » Certainement. Pour moi, Charlie Hebdo incarnait à l’origine les faux rebelles de Mai 68. La publication des caricatures était une bravade. C’est ensuite, avec les procès et surtout les anathèmes venant d’une partie de la gauche, que ceux de Charlie Hebdo ont compris qu’ils avaient, un peu sans le vouloir, tapé là où ça fait mal.]

              Je suis d’accord. Charlie Hebdo prolongeait le courant anti-institutionnel de 1968. Et parmi les institutions, il y a toujours l’institution cléricale. Leurs anticléricalisme aurait pu leur valoir un attentant des intégristes catholiques – après tout, on a bien mis le feu en 1988 à un cinéma pour empêcher la projection de « la dernière tentation du Christ », faisant quatorze blessés dont quatre graves. Mais le gros de l’institution catholique, nolens volens, a fini par accepter la séparation des églises et de l’Etat et s’est résigné a ce que le droit à la caricature soit exercé contre elle. L’équipe de Charlie Hebdo n’a pas réalisé que cette bataille n’a pas encore été gagnée pour ce qui concerne l’Islam. Il ne reste pas moins que, volontaire ou involontaire, la publication avait un effet subversif considérable, en ce qu’elle remettait en cause frontalement la prétention des islamistes à imposer leurs vues.

              [« L’hebdomadaire n’appelait pas à « attaquer les pays musulmans », mais dans la querelle des légitimités il avait clairement pris parti. » C’est-à-dire ? Je ne suis pas sûr de comprendre.]

              Charlie n’a jamais appelé à « attaquer les pays musulmans » en envoyant des bombardiers et des chars, mais attaquait systématiquement ce qui fait le fondement du pouvoir en pays musulman, c’est-à-dire, la confusion du civil et du religieux. Car s’il est licite de caricaturer le Prophète, il devient licite de caricaturer ses descendants… c’est-à-dire ceux qui exercent le pouvoir en son nom. Nous sommes, nous Français, tellement habitués à un pouvoir civil qui ne tire sa légitimité que de la « volonté générale », que nous avons du mal à imaginer combien dans d’autres pays le pouvoir et l’organisation sociale repose sur des fondations religieuses. Saper ces fondements – ou même admettre qu’ils puissent être sapés – menace l’édifice tout entier.

              J’ai vécu une partie de mon enfance dans un pays ou le catholicisme est religion d’Etat. Même si l’école est censée être « laïque » et les programmes d’enseignement ne font aucune référence à des puissances surnaturelles, en pratique les entorses à ce principe sont permanentes. Je me souviens encore de la terreur que s’emparait de nos institutrices quand un élève affirmait ne pas croire en dieu. Pour elles, c’était comme si elles perdaient tout pouvoir sur lui, comme si la morale se trouvait remise en cause…

              [Cela étant, je reste convaincu que l’idée de “guerre sainte” développée à partir des Croisades en Occident est un emprunt au djihad musulman, bien que je n’aie pas encore trouvé confirmation de cette intuition.]

              Le mieux est peut-être de retrouver l’histoire de cette idée, et de voir si elle a été employée avant la naissance de l’Islam. J’ai du mal a imaginer qu’une idée qui est dans l’évolution logique des monothéismes prosélytes n’ait pas été inventée quasi simultanément par eux…

              [« Mais c’est triste, n’est-ce pas, que « ce ne soit pas notre problème »… » Oui, c’est triste. Je crois à l’usage de la raison et je pense qu’il faut essayer de convaincre les autres. Malheureusement, notre “universalisme” nous a aussi parfois conduit à une forme d’arrogance naïve. Maintenant si les peuples d’Afrique pensent que nous n’avons rien de bien à leur apporter, que le “savoir blanc” n’est qu’un outil – un de plus – de domination, mieux vaut les laisser tranquilles.]

              Il y a là je pense une ligne de crête à trouver, entre « l’arrogance naïve » que vous dénoncez à juste titre à mon avis, et l’abandon de l’universalisme contenu dans l’idée que « c’est leur problème ».

            • @ Descartes,
               
              [Mais du point de vue d’un homme universel, à qui rien d’humain n’est étranger, quelle serait votre position ?]
              Je n’ai pas la prétention d’être un homme universel… Que voulez-vous, je suis fils d’une époque qui a mis du plomb dans l’aile à l’universalisme. 
               
              [Vous posez là arbitrairement un critère dont je ne vois aucun fondement rationnel. L’antériorité, après tout, est un accident, un hasard de l’histoire.]
              Oui enfin il y a beaucoup de hasard en histoire. Cela étant, pour moi, l’antériorité, surtout si elle s’accompagne d’une occupation longue, crée en effet une forme de légitimité. D’autant qu’il y a presque toujours une dialectique entre un territoire et la population qui l’occupe: cette dernière tend à s’adapter à son espace, et celui-ci façonne d’une certaine manière la population qui l’habite.
               
              [Je pense que l’antériorité n’a de sens comme argument que si elle s’accompagne d’une notion d’aménagement. Autrement dit, on n’a de droit que sur ce que l’on a fait. Un peuple a un droit sur le territoire qu’il occupe non pas parce qu’il « était là avant », mais parce qu’il a investi l’effort d’innombrables générations à assécher les marais, à construire des routes, à planter des forêts ou au contraire à défricher des champs. Le territoire est une « œuvre », dont le peuple qui l’occupe est l’auteur. C’est pour moi ce fait, bien plus qu’une « antériorité » purement chronologique qui fonde cette légitimité.]
              Votre argument est recevable. Mais il pose une vision des choses lourde de conséquences: malheur au peuple qui n’aura pas “aménagé” son territoire, faute d’innovation technique par exemple. Les Indiens d’Amazonie, pour n’avoir pas défriché, bâti des villes et des barrages, mériteraient donc d’être dépossédés voire éliminés?
               
              [Mais pour les autres ? D’autant plus que parmi les peuples que vous citez, certains ne doivent leur « antériorité » qu’au fait qu’ils ont chassé – quand ils n’ont pas partielle ou totalement exterminé – les peuples qui se trouvaient là avant eux. Les rares héritiers des peuples qui se trouvaient là avant les Aztèques n’ont pas, eux aussi, une « plus grande légitimité » que ces derniers ?]
              Les Aztèques n’ont pas tout à fait “chassé et exterminé” les populations qui les ont précédés. Si ma mémoire ne me trompe pas, ils se sont d’abord installés dans un endroit délaissé du lac de Mexico, là où il restait de la place, et ils y fondèrent Tenochtitlan. Ensuite, ils se sont alliés à deux autres cités de la région, Texcoco et Tlacopan, formant la “Triple-Alliance” qu’on appelle un peu abusivement “empire aztèque”, et qui a surtout cherché à rendre tributaire les peuples voisins plutôt qu’à les exterminer.
               
              Quoi qu’il en soit, Aztèques, Mixtèques, Zapotèques, Totonaques, Mayas avaient tous “aménagé” leur territoire, bâtissant de vastes cités (Tenochtitlan aurait atteint les 200 000 habitants), établissant des villages, pratiquant l’agriculture. Il en est de même pour les Quechuas gouvernés par l’Inca: bâtisseurs de Cuzco et d’autres villes, ils construisirent aussi un réseau routier qui sillonnait les Andes. Si je suis votre logique, ne faudrait-il pas envisager sérieusement de rendre aux descendants de tous ces peuples les terres qu’ils occupaient et régissaient avant l’arrivée des Espagnols?
               
              Et le même raisonnement peut s’appliquer ailleurs: Dieu sait que les Grecs et leurs héritiers byzantins ont aménagé, construit, urbanisé, rénové, cultivé l’Anatolie (tout particulièrement l’Ouest et le Nord) et la Thrace. Faut-il leur rendre ces territoires? Après tout, qui a construit Sainte-Sophie?
               
              Quant aux Sioux et aux Cheyennes, le fait qu’ils aient chassé le bison en vivant dans des tipis justifie-t-il qu’ils aient été évincés de leurs terres?
               
              [Autrement dit, vous admettez ici une « légitimité de fait ». Le fait qu’on contrôle un territoire et qu’on est capable de le tenir contre toute volonté extérieure ou intérieure vous rendrait « légitime ». C’est une sorte de « doctrine de facto » appliquée à la question.]
              L’histoire est souvent fille de la violence, c’est ainsi. La loi du plus fort s’impose régulièrement. Le pragmatique doit en tenir compte.
               
              [Ils peuvent le devenir, du moins si je suis votre raisonnement, par la démographie…]
              Oui, si nous ne faisons rien, si nous ne nous défendons pas, ils le deviendront. Pour moi, les musulmans sont des conquérants qui ne disent pas leur nom. Ils colonisent tranquillement notre territoire – ou du moins une partie de celui-ci – et nous supplantent progressivement, en profitant de la lâcheté, de l’aveuglement et parfois de la complicité de nos élites.
               
              [le problème de votre logique, c’est qu’elle risque d’aboutir à légitimer non seulement la prétention des musulmans à vivre en France, mais à devenir la culture dominante.]
              Oui, vous avez saisi mon propos. Si les musulmans sont plus nombreux et imposent avec vigueur leur culture, et que les Français sont incapables de défendre leur droit historique à occuper cette terre, alors la France sera terre d’islam. C’est pourquoi il faut se battre, et jusqu’à présent je suis désolé de constater que les mots ne suffisent pas à faire reculer l’islam.
               
              Je ne sais pas où vous habitez, mais là où je vis, l’islam “marque” déjà fortement le territoire: dans mon quartier, la mosquée est plus visible – et presque plus esthétique – que l’église de ma paroisse, un bâtiment assez ordinaire d’extérieur (même si l’intérieur n’est pas hideux). Les commerces “hallal” deviennent la norme. Et encore, on pourrait se dire qu’on parle là de la ZUP à forte présence immigrée. Mais dans le centre-ville “historique”, un resto sur deux est un kebab. Au pied de la cathédrale, vous trouvez “l’Ottoman”, “le Marmara” à vingt mètres à peine, “le Bosphore” un peu plus loin. On se sent en France… On parle de communautarisme, et c’est vrai que ce phénomène est à l’oeuvre. Mais il y a aussi une forme de colonisation culturelle.
               
              [Si la culture « occidentale » a droit de cité en France, c’est parce qu’elle donne forme au territoire depuis bientôt deux mille ans.]
              Et parce que Charles Martel a gagné à Poitiers et que les Carolingiens ont durablement écarté la menace sarrasine au VIII° siècle…
               
              [Parce que notre territoire est décoré d’ouvrages qui ont été produits par cette culture.]
              Et une fois que les musulmans auront “décoré ” nos villes de grandes mosquées?
               
              [Dans le deuxième cas, on peut parler d’un conflit « d’état à état ». Même si la Serbie et la Croatie ne sont pas à l’époque des états internationalement reconnus, ils ont une histoire qui permet de les considérer comme des états-nations.]
              J’entendais récemment un expert en géopolitique qui soulignait la faiblesse du fait “national” dans les Balkans, où l’appartenance ethnique prime. Ni la Serbie ni la Croatie ne sont des “états-nations” au sens strict, car la nation est une construction qui agrège des populations diverses (ethniquement/religieusement/linguistiquement), cherche à les assimiler et à leur donner une unité politique. Les Serbes ont tenté une construction nationale avec la Yougoslavie d’avant guerre. La Yougoslavie titiste a tourné le dos à cette expérience en choisissant le fédéralisme et la reconnaissance des minorités, préservant ainsi les identités ethniques pour contrer tout nationalisme “grand serbe”.
              La Croatie n’a pour ainsi dire jamais été un état-nation. Le royaume médiéval de Croatie s’est trouvé en union avec la couronne de Hongrie dès une haute époque et jusqu’en 1918. Ensuite, avant la fin du XX° siècle, la Croatie n’a formé un état indépendant que durant la période oustachie pendant la guerre. Je m’étonne que vous accordiez si facilement à la Croatie ce statut d’état-nation que vous peinez à reconnaître à l’Ukraine… Pourtant la situation des Croates et celle des Ukrainiens présentent des analogies.
               
              Lorsque la Croatie proclame son indépendance, elle rencontre l’hostilité de la minorité serbe (près de 600 000 personnes, 12 % de la population de Croatie). Les Croates procèdent alors à un nettoyage ethnique dans les règles… La vérité est qu’une forme de tribalisme ethnico-religieux prévaut encore dans le sud-est de l’Europe. 
               
              [Un régime mis sur le trône après une défaite militaire par les puissances victorieuses peut-il être considéré comme « autorité légitime » ? Vaste discussion…]
              Admettons que Charles X ne représente pas “l’autorité légitime” durant son règne de 1824 à 1830. Qui la représente alors?
               
              Si j’étais taquin, je vous ferais remarquer que la question que vous posez pourrait aussi s’appliquer aux dirigeants des démocraties populaires de Pologne, de Hongrie, de Roumanie, de Bulgarie, de Tchécoslovaquie, entre 1945 et 1991…
               
              [Pétain était certainement reconnu comme « autorité légale » par la majorité des français. Peut-on pour autant dire, comme le fit Chirac, qu’à l’époque « la France commit l’irréparable » ? Je ne suis pas d’accord.]
              La question de la légitimité de Pétain est un débat compliqué. Ma position est qu’au début, Pétain a une forme de légitimité, laquelle s’érode au fur et à mesure de la mise en place d’une politique de collaboration qui aboutit à des mesures impopulaires (le STO par exemple). Mais en juillet 1940, il me paraît difficile de dénier à Pétain une certaine légitimité. Après tout, les pleins pouvoirs lui ont été votés… De Gaulle suit une trajectoire inverse: d’une légitimité douteuse au début, il évolue, du fait de la collaboration adoptée à Vichy, et grâce au développement de la Résistance, des FFL, et grâce à une réelle volonté de rassembler au-delà des clivages politiques. Grâce à cette légitimité acquise par la constance dans l’adversité, De Gaulle est en mesure de mettre en place un gouvernement légal et reconnu par la population en 1944.
               
              [La question de savoir qui, à chaque instant, « engage la France » sur le plan symbolique est une question éminemment politique.]
              Quand il y a une alternative. Mais quand il n’y en a pas? Qui est légitime face à Charles X et Louis-Philippe?
               
              [Je dirais même qu’il s’agit d’un choix politique. La France issue de la Libération a CHOISI de considérer que Pétain ne la représentait pas. Le choix de Chirac de faire de Pétain le représentant « légitime » de la France est un renversement de perspective qui dit beaucoup sur la vision que les Français avaient et ont d’eux-mêmes, et comment elle s’est modifiée entre 1945 et aujourd’hui.]
              Je ne suis pas d’accord avec les propos de Chirac. Je pense qu’il aurait dû être plus nuancé et dire: “à l’époque, une certaine France commit l’irréparable. Cette France n’est pas la mienne, et je refuse d’être comptable de ses crimes. Ma France était à Londres, ma France résistait à l’envahisseur et cachait des juifs. C’est elle que je veux célébrer”. Une telle formulation aurait été plus acceptable. Il ne s’agit pas de faire semblant de croire que Vichy n’a pas existé, mais d’affirmer sa filiation avec ceux qui l’ont combattu, à commencer par De Gaulle qui se trouve aussi être le refondateur de la République à partir de 1958.
               
              [Je reformule donc : « si en 1914 la France avait attaqué l’Allemagne pour récupérer… » etc. S’agit-il alors d’une « agression » ?]
              Oui, c’eût été une agression.
               
              Mais je voudrais clarifier un point: pour moi, un agresseur n’est pas toujours et nécessairement dans son tort. Et je distingue une “agression gratuite”, dirigée par exemple contre un état qui ne vous menace pas directement (au hasard: l’Irak de Saddam Hussein en 2003), d’une agression, sinon légitime, du moins motivée par l’existence d’une menace réelle.
               
              Ainsi, pour l’Ukraine, la possible entrée de ce pays dans l’OTAN, avec l’hypothèse de l’installation de missiles américains (voire d’ogives nucléaires) braqués sur les grandes villes de Russie – y compris Moscou – ou sur les bases navales russes de la Mer Noire, a pu être considéré à Moscou comme un acte d’hostilité voire un casus belli comme on dit.
               
              Une agression peut donc faire suite à un acte d’hostilité. Rappelons qu’en cas de guerre, il est souvent plus judicieux de passer pour l’agressé, et donc de pousser l’autre à vous attaquer (même si je me demande si les autorités ukrainiennes ont vraiment voulu pousser Moscou à passer à l’attaque ou bien si elles ont imaginé qu’ “Il” n’oserait pas). La déclaration de guerre de 1870 est un cas d’école: Bismarck fait le nécessaire pour que la France soit l’agresseur mais lui aussi voulait cette guerre.  
               
              [Cela génère toute une hypocrisie qui consiste à qualifier « d’agression » les guerres des autres, et de bannir le terme pour qualifier les siennes. On parlera de « guerre d’Irak », « d’intervention en Afghanistan », mais de « agression de l’Ukraine ».]
              Vous prêchez à un convaincu. J’ai toujours trouvé cette hypocrisie insupportable.
               
              [Je me souviens encore de la terreur que s’emparait de nos institutrices quand un élève affirmait ne pas croire en dieu.]
              Voilà qui est intéressant. Et qu’arrivait-il à l’élève rétif? A ses parents?
               
              [J’ai du mal a imaginer qu’une idée qui est dans l’évolution logique des monothéismes prosélytes n’ait pas été inventée quasi simultanément par eux…]
              Le christianisme a à l’origine un problème avec la guerre. Lorsque la nouvelle religion se répand dans l’empire romain, les premiers penseurs chrétiens sont embarrassés lorsque des soldats deviennent chrétiens. Que faire de ces gens qui sont payés pour porter des armes et, le cas échéant, pour tuer? Lorsque l’empire devient chrétien, les choses sont un peu plus simples, car défendre l’empire, c’est défendre l’Eglise. Les théologiens chrétiens théorisent la guerre juste (et non sainte), qui est un pis aller. Ce n’est qu’au XI° siècle que l’Eglise admet que la violence peut être légitime si elle est mise au service de la foi. Thomas d’Aquin explique que le chrétien doit se défendre s’il est attaqué. On assiste donc aux Croisades, aux massacres de juifs, à la traque des hérétiques (cathares).

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [« Mais du point de vue d’un homme universel, à qui rien d’humain n’est étranger, quelle serait votre position ? » Je n’ai pas la prétention d’être un homme universel… Que voulez-vous, je suis fils d’une époque qui a mis du plomb dans l’aile à l’universalisme.]

              Oui, mais on n’est pas obligé de suivre les lubies de son époque. Pour moi, l’universalisme reste une utopie désirable. Bien entendu, il faut toujours être conscient des limites de la chose : rien n’est pire que chercher à réaliser une utopie. Une utopie, presque par définition, est une vision idéale, une boussole. Mais ce n’est pas parce qu’on a une boussole qu’il faut aller vivre au pôle nord. On peut se dire « qu’est ce que ce serait beau si tous les gars du monde se donnaient la main », tout en réalisant que dans le monde réel, c’est une impossibilité.

              [Oui enfin il y a beaucoup de hasard en histoire. Cela étant, pour moi, l’antériorité, surtout si elle s’accompagne d’une occupation longue, crée en effet une forme de légitimité.]

              Vous me répétez cette affirmation, mais sans jamais en donner une justification rationnelle. Je serais curieux de savoir comment vous construisez rationnellement cette conclusion. Mais peut-être s’agit-il d’une pure intuition, fondée sur une logique de « droits acquis » ?

              [Votre argument est recevable. Mais il pose une vision des choses lourde de conséquences : malheur au peuple qui n’aura pas “aménagé” son territoire, faute d’innovation technique par exemple. Les Indiens d’Amazonie, pour n’avoir pas défriché, bâti des villes et des barrages, mériteraient donc d’être dépossédés voire éliminés ?]

              Je ne sais pas si on peut parler de « mériter » en histoire. Personne ne « mérite » son sort, c’est le propre de la tragédie humaine. Mais ne je peux que constater qu’en pratique ce sont les peuples qui ont le moins défiché, bâti, créé, qui ont eu le plus de mal à défendre leur statut devant les conquérants. Les romains n’ont pas traité la Grèce ou l’Egypte comme ils ont traité la Gaule. Les occidentaux n’ont pas traité la Chine comme ils ont traité l’Afrique. Notre civilisation n’a pas la même révérence pour les Sioux qu’elle a pour les Mayas ou les Aztèques.

              Attention, quand je parle de « aménager », je ne pense pas seulement aux monuments, mais aussi aux institutions. J’y reviendrai ci-dessus : les musulmans en France ont construit quelques belles mosquées, mais pour le moment pas une seule université, pas une seule académie, pas un seul musée.

              [Les Aztèques n’ont pas tout à fait “chassé et exterminé” les populations qui les ont précédés.]

              En fait, on ne le sait pas. Les origines des Aztèques est très mal connu. Les rares codex qui ont survécu à la conquête espagnole proposent des versions qu’on considère aujourd’hui largement légendaires et qui d’ailleurs se contredisent entre elles. Ce que l’on sait, par contre, c’est que certaines cités disparaissent de façon concomitante avec l’arrivé des « mexica » sur le territoire, et que de nombreuses sources font état de sacrifices massifs de captifs. On peut imaginer que le but des Aztèques fut donc d’extraire un tribut et non d’exterminer les populations locales, mais clairement ceux qui refusaient le tribut ne vivaient pas vieux.

              [Quoi qu’il en soit, Aztèques, Mixtèques, Zapotèques, Totonaques, Mayas avaient tous “aménagé” leur territoire, bâtissant de vastes cités (Tenochtitlan aurait atteint les 200 000 habitants), établissant des villages, pratiquant l’agriculture. Il en est de même pour les Quechuas gouvernés par l’Inca: bâtisseurs de Cuzco et d’autres villes, ils construisirent aussi un réseau routier qui sillonnait les Andes. Si je suis votre logique, ne faudrait-il pas envisager sérieusement de rendre aux descendants de tous ces peuples les terres qu’ils occupaient et régissaient avant l’arrivée des Espagnols ?]

              Je ne sais pas si on peut aller aussi loin… mais leurs demandes dans ce sens me semblent bien plus fondées que celles des chasseurs-cueilleurs qu’étaient les Sioux, par exemple. La difficulté dans le cas que vous citez, c’est que si les habitants de l’époque pré-colombine ont la légitimité que leur donne la construction de grandes cités, de temples, de routes, les européens arrivés avec la conquête ont, eux aussi, beaucoup travaillé. Si vous admettez ma doctrine d’une « légitimité par les œuvres », vous vous trouvez avec un conflit de légitimités à régler. On pourrait faire le même raisonnement pour l’Algérie de 1960.

              Je pense que la doctrine fondée sur « l’antériorité » donne une réponse univoque à ce problème, mais au prix d’une simplification de la réalité qui occulte la difficulté. Il faut admettre que là où deux « aménageurs » ont exercé de manière successive ou concurrente, il y a un conflit de légitimité qui n’a pas de solution simple.

              [Et le même raisonnement peut s’appliquer ailleurs : Dieu sait que les Grecs et leurs héritiers byzantins ont aménagé, construit, urbanisé, rénové, cultivé l’Anatolie (tout particulièrement l’Ouest et le Nord) et la Thrace. Faut-il leur rendre ces territoires ? Après tout, qui a construit Sainte-Sophie ?]

              Mais l’histoire de Sainte-Sophie montre que ma doctrine est finalement la plus réaliste. Lorsque Atatürk met fin à l’utilisation de Sainte-Sophie en mosquée et en fait un musée, il « rend » symboliquement le lieu à Byzance, ou du moins il admet qu’il y a sur le lieu un conflit de légitimités, chacune ayant sa justification. Et le retour en arrière sur cette décision a été largement considéré comme un acte de démagogie.

              [Quant aux Sioux et aux Cheyennes, le fait qu’ils aient chassé le bison en vivant dans des tipis justifie-t-il qu’ils aient été évincés de leurs terres ?]

              Le cas des indiens d’Amérique du nord est très particulier parce que ces tribus ont été reconnues comme « nations » par les européens, qui ont signé des traités avec eux. Leur légitimité est donc moins issue du raisonnement « on était là avant » que du fait que l’état américain a reconnu d’abord cette légitimité, puis l’a foulée aux pieds.

              [« Autrement dit, vous admettez ici une « légitimité de fait ». Le fait qu’on contrôle un territoire et qu’on est capable de le tenir contre toute volonté extérieure ou intérieure vous rendrait « légitime ». C’est une sorte de « doctrine de facto » appliquée à la question. » L’histoire est souvent fille de la violence, c’est ainsi. La loi du plus fort s’impose régulièrement. Le pragmatique doit en tenir compte.]

              Mais dans ce cas, posez-vous vous-même les questions que vous me posiez plus haut. Si je suis votre raisonnement « pragmatique », Sioux et Cheyennes, Mayas et Aztèques n’ont aucun droit sur les terres qu’on leur a pris par la force. Vae victis…

              [« le problème de votre logique, c’est qu’elle risque d’aboutir à légitimer non seulement la prétention des musulmans à vivre en France, mais à devenir la culture dominante. » Oui, vous avez saisi mon propos. Si les musulmans sont plus nombreux et imposent avec vigueur leur culture, et que les Français sont incapables de défendre leur droit historique à occuper cette terre, alors la France sera terre d’islam.]

              Mais pensez-vous que les musulmans français « imposent avec vigueur leur culture » ? Au-delà des manifestations d’une piété rigoriste qui est en général le signe d’une religion qui se meurt, on peut difficilement dire ça. Plus qu’imposer une « culture musulmane », c’est plutôt à une acculturation générale qu’on assiste, une acculturation qui fait disparaître tous les repères culturels pour leur substituer ceux fabriqués par la société de consommation. Vous connaissez mon analyse : l’exacerbation symbolique (port du voile, observation du ramadan…) est la réaction d’une communauté qui se sent menacée dans sa culture par l’avancée de la sécularisation et des rapports d’argent. C’est pourquoi on l’observe chez les juifs autant que chez les musulmans, chez les protestants autant que chez les catholiques – dans une moindre mesure, il est vrai, peut-être parce que la « grande confrontation » avec ceux derniers a eu lieu au début du XXème siècle.

              [« Si la culture « occidentale » a droit de cité en France, c’est parce qu’elle donne forme au territoire depuis bientôt deux mille ans. » Et parce que Charles Martel a gagné à Poitiers et que les Carolingiens ont durablement écarté la menace sarrasine au VIII° siècle…]

              C’était peut-être une condition nécessaire, mais qu’il ne faut pas confondre avec la conséquence. Vous ne trouverez pas un Français sur dix qui connait l’épopée de Charles Martel ou l’œuvre militaire des Carolingiens. Par contre, le territoire tel qu’il a été aménagé depuis deux mille ans, on le voit tous les jours.

              [« Parce que notre territoire est décoré d’ouvrages qui ont été produits par cette culture. » Et une fois que les musulmans auront “décoré ” nos villes de grandes mosquées?]

              Evidement, si les musulmans arrivent à parsemer notre histoire de mosquées et de musées, d’universités et de bibliothèques, de ponts et d’autoroutes « islamiques », alors on pourra en discuter. Mais je ne vois pas qu’on en prenne le chemin, au contraire.

              Je pense que vous vous trompez d’ennemi. Ce qui menace et affaiblit notre culture – et la rend proie facile au communautarisme – ce n’est pas la venue d’une culture étrangère, mais l’a-culture qui nous vient de l’approfondissement du capitalisme. Ce n’est pas une loi étrangère qui nous menace, c’est l’anomie. Si l’Islam prospère sous sa forme rigoriste, si elle arrive à convertir même des fils de « gaulois », c’est aussi parce que c’est l’une des rares idéologies qui aujourd’hui propose une alternative à cette acculturation, à cette anomie. Le combat n’est donc pas CONTRE telle ou telle culture étrangère, mais POUR renforcer notre connaissance de notre propre histoire, nos propres institutions, pour pouvoir assimiler efficacement ce qui nous vient de l’étranger, comme nous l’avons fait au cours des siècles.

              [J’entendais récemment un expert en géopolitique qui soulignait la faiblesse du fait “national” dans les Balkans, où l’appartenance ethnique prime. Ni la Serbie ni la Croatie ne sont des “états-nations” au sens strict, car la nation est une construction qui agrège des populations diverses (ethniquement/religieusement/linguistiquement), cherche à les assimiler et à leur donner une unité politique.]

              Ça, c’est une vision très française de l’état-nation ! Il y a beaucoup de manières de « faire nation ». Chez nous, la « solidarité inconditionnelle et impersonnelle » entre citoyens s’est bâtie autour d’institutions (et en particulier l’Etat) fournissant un cadre de référence commun et exerçant une pression assimilatoire. Mais dans d’autres contrées, elle a pu parfaitement se construire autour d’une homogénéité ethnique, religieuse et linguistique.

              Dans les Balkans, la « solidarité inconditionnelle » semble s’être construite sur deux piliers : l’identité ethno/linguistique, et l’existence d’un ennemi commun. Comme cet ennemi commun est souvent le voisin…

              [Je m’étonne que vous accordiez si facilement à la Croatie ce statut d’état-nation que vous peinez à reconnaître à l’Ukraine… Pourtant la situation des Croates et celle des Ukrainiens présentent des analogies.]

              Mais de très grandes différences. La Croatie constitue un ensemble ethnolinguistique beaucoup plus homogène que les Ukraine. Une fois la minorité serbe exclue, on peut fonder une « nation croate » sur « le sang et les morts ». C’est beaucoup plus difficile en Ukraine…

              [« Un régime mis sur le trône après une défaite militaire par les puissances victorieuses peut-il être considéré comme « autorité légitime » ? Vaste discussion… » Admettons que Charles X ne représente pas “l’autorité légitime” durant son règne de 1824 à 1830. Qui la représente alors ?]

              Personne. C’est un peu comme l’Argentine de Videla ou le Chili de Pinochet. Il y a une autorité « de facto » qui en pratique contrôle le territoire et est internationalement reconnue. Mais cette autorité est-elle « légitime » ? Et cela a des conséquences pratiques : est-il juste de demander aux peuples de es pays de rembourser les emprunts contractés par les gouvernements militaires, qui ont servi à remplir les poches des militaires et de leurs amis, alors que ces emprunts n’ont pas été approuvés par un parlement élu ?

              [Si j’étais taquin, je vous ferais remarquer que la question que vous posez pourrait aussi s’appliquer aux dirigeants des démocraties populaires de Pologne, de Hongrie, de Roumanie, de Bulgarie, de Tchécoslovaquie, entre 1945 et 1991…]

              Et pas seulement. Elle s’applique aussi aux gouvernements italien, allemand… et même français de la même époque. Car dans tous ces cas, ces gouvernements ont vu le jour alors que des troupes étrangères se trouvaient sur le territoire, et avaient toute latitude pour empêcher la mise en place de gouvernements qui ne respecteraient pas les « zones d’influence » prévues à Yalta…

              [« Pétain était certainement reconnu comme « autorité légale » par la majorité des français. Peut-on pour autant dire, comme le fit Chirac, qu’à l’époque « la France commit l’irréparable » ? Je ne suis pas d’accord. » La question de la légitimité de Pétain est un débat compliqué. Ma position est qu’au début, Pétain a une forme de légitimité, laquelle s’érode au fur et à mesure de la mise en place d’une politique de collaboration qui aboutit à des mesures impopulaires (le STO par exemple). Mais en juillet 1940, il me paraît difficile de dénier à Pétain une certaine légitimité. Après tout, les pleins pouvoirs lui ont été votés…]

              Je ne partage pas cette analyse. Pour moi, la légitimité est indivisible, comme la souveraineté. On ne peut être « partiellement » légitime – on parle bien entendu de « légitimité » au sens politique, et non juridique. Le vote des pleins pouvoirs par l’Assemblée ne rend pas Pétain légitime. D’une part, parce que personne ne peut donner ce qu’elle ne possède pas, et l’Assemblée de la IIIème République n’avait certainement pas été élue avec le mandat de donner un « chèque en blanc » à un homme.

              [De Gaulle suit une trajectoire inverse: d’une légitimité douteuse au début, il évolue, du fait de la collaboration adoptée à Vichy, et grâce au développement de la Résistance, des FFL, et grâce à une réelle volonté de rassembler au-delà des clivages politiques. Grâce à cette légitimité acquise par la constance dans l’adversité, De Gaulle est en mesure de mettre en place un gouvernement légal et reconnu par la population en 1944.]

              Je pense qu’il faut, tant en ce qui concerne De Gaulle que Pétain, faire une différence entre l’apparence et la substance. Pour moi, De Gaulle était « légitime » et Pétain « illégitime » ab initio. Que les Français aient mis du temps à percevoir l’illégitimité de l’un et la légitimité de l’autre, c’est une autre affaire. Mais ce qui fait la légitimité de De Gaulle, c’est le contenu de son projet. C’est d’ailleurs pourquoi cette légitimité a fini par être reconnue par tous ceux qui voulaient « rétablir la France dans sa souveraineté et sa grandeur », et mise en doute jusqu’au bout par ceux qui – comme les Américains et leurs alliés – auraient préféré mettre le pays sous tutelle. Ce qui fait l’illégitimité de Pétain, c’est là aussi son projet. Un gouvernement qui utilise la puissance de l’ennemi pour imposer à son propre peuple des réformes qu’il n’accepte pas est fondamentalement illégitime, quelque soit son mode d’élection.

              [« La question de savoir qui, à chaque instant, « engage la France » sur le plan symbolique est une question éminemment politique. » Quand il y a une alternative. Mais quand il n’y en a pas ? Qui est légitime face à Charles X et Louis-Philippe ?]

              Personne. On est d’une certaine façon en situation de vide représentatif.

              [Je ne suis pas d’accord avec les propos de Chirac. Je pense qu’il aurait dû être plus nuancé et dire: “à l’époque, une certaine France commit l’irréparable. Cette France n’est pas la mienne, et je refuse d’être comptable de ses crimes. Ma France était à Londres, ma France résistait à l’envahisseur et cachait des juifs. C’est elle que je veux célébrer”. Une telle formulation aurait été plus acceptable.]

              Oui, mais elle ne me satisfait pas. L’idée qu’il y avait « plusieurs France » me paraît source de graves confusions. Non, il n’y avait qu’une France, et elle était à Londres. Que « des Français aient commis l’irréparable », oui, certainement. Mais laissons la France en dehors de ça.

              [Mais je voudrais clarifier un point : pour moi, un agresseur n’est pas toujours et nécessairement dans son tort. Et je distingue une “agression gratuite”, dirigée par exemple contre un état qui ne vous menace pas directement (au hasard : l’Irak de Saddam Hussein en 2003), d’une agression, sinon légitime, du moins motivée par l’existence d’une menace réelle.]

              Il n’empêche que dans la langue et l’imaginaire collectif, « l’agression » est un crime et « l’agresseur » a toujours tort. Vous n’avez qu’à noter le vocabulaire : on ne parle jamais « d’agression » à propos de l’attaque de l’Irak ou de l’Afghanistan par les Américains. C’est d’ailleurs logique, puisque pour des raisons faciles à comprendre notre société n’admet pas l’attaque préventive comme une forme de défense légitime…

              [(même si je me demande si les autorités ukrainiennes ont vraiment voulu pousser Moscou à passer à l’attaque ou bien si elles ont imaginé qu’ “Il” n’oserait pas).]

              Nous ne le saurons probablement jamais. Beaucoup de commentateurs – dont moi-même, mea culpa – croyaient que « la guerre d’Ukraine n’aurait pas lieu » parce qu’aucune des deux parties n’y avait vraiment intérêt. Est-ce que les signaux venant de Moscou n’étaient pas clairs ? Est-ce que les ukrainiens ne les ont pas compris ? Est-ce qu’ils ont surestimé le pouvoir de dissuasion des Américains ? Des beaux débats pour les historiens et les polémologues à venir…

              [« Je me souviens encore de la terreur que s’emparait de nos institutrices quand un élève affirmait ne pas croire en dieu. » Voilà qui est intéressant. Et qu’arrivait-il à l’élève rétif ? A ses parents ?]

              Ça dépendait des écoles et des instituteurs. Formellement, l’école était laïque, une sanction de type administratif était impensable. Certains instituteurs cherchaient à vous convertir, souvent d’une façon naïve – je me souviens d’une institutrice qui insistait lourdement dans ses cours sur le fait que le monde était « beau », et que cette « beauté » ne pouvait être que le résultat d’une volonté supérieure – d’autres d’une façon plus musclée, en évoquant les châtiments de l’enfer qui attendent « certains élèves de cette classe ». J’ai du recopier dans mon cahier des idioties du genre « les anges ont créé le jour et la nuit » – ce qui révèle d’ailleurs une culture biblique défaillante.

              Mais mon point n’était pas là. Ce qui m’est resté en mémoire, c’est l’effroi qui saisissait les institutrices – c’était surtout des femmes d’ailleurs, les instituteurs hommes étaient beaucoup moins croyants – devant l’incroyance. Certaines en pleuraient, d’autres refusaient même d’accepter qu’on puisse ne pas croire (« tu dis cela pour rigoler, mais en fait tu crois »). J’en ai même une qui, pour se rassurer, soutenait à mes parents que « affirmer qu’on ne croit pas c’est une façon d’y croire ». Je pense que pour des gens qui voient dans la religion le fondement du droit et de la morale, l’incroyance est profondément subversive.

              [Le christianisme a à l’origine un problème avec la guerre. Lorsque la nouvelle religion se répand dans l’empire romain, les premiers penseurs chrétiens sont embarrassés lorsque des soldats deviennent chrétiens. Que faire de ces gens qui sont payés pour porter des armes et, le cas échéant, pour tuer ? Lorsque l’empire devient chrétien, les choses sont un peu plus simples, car défendre l’empire, c’est défendre l’Eglise. Les théologiens chrétiens théorisent la guerre juste (et non sainte), qui est un pis-aller. Ce n’est qu’au XI° siècle que l’Eglise admet que la violence peut être légitime si elle est mise au service de la foi. Thomas d’Aquin explique que le chrétien doit se défendre s’il est attaqué. On assiste donc aux Croisades, aux massacres de juifs, à la traque des hérétiques (cathares).]

              Il me vient en mémoire la formule de l’évangile de Mathieu : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère ; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison » (Mathieu, 10 :34). Le passage est assez important pour être repris presque textuellement dans un autre évangile : « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! Je dois recevoir un baptême, et comme il m’en coûte d’attendre qu’il soit accompli ! Pensez-vous que je sois venu mettre la paix dans le monde ? Non, je vous le dis, mais plutôt la division. Car désormais cinq personnes de la même famille seront divisées : trois contre deux et deux contre trois ils se diviseront : le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère, la belle-mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère » (Luc 12:49).

              Quant à l’Islam, je ne suis pas un expert mais il me semble qu’il a suivi une évolution parallèle au christianisme. Le terme « Jihad » (littéralement « effort »), au départ, évoque un combat spirituel, et on utilise le terme « ghazwa » pour les batailles de Mahomet et des quatre « califes bien guidés » qui lui ont succédé. Il n’est utilisé dans un sens militaire qu’à partir du IXème siècle, et d’abord dans un sens défensif. On trouve dans le Coran, dans les sourates 8 et 9 des incitations au combat contre les « incroyants », mais elles n’ont pas un caractère universel, et se trouvent dans le contexte du conflit avec les habitants de la Mecque qui ont obligé les partisans de Mahomet à fuir en Abyssinie.

            • @ Descartes,
               
              [On peut se dire « qu’est ce que ce serait beau si tous les gars du monde se donnaient la main »,]
              Vous vouliez dire je pense “les gars et les filles”, je vous corrige amicalement afin de vous éviter toute accusation de sexisme… 😉
              Pour être honnête, je ne me suis jamais dit ça. Peut-être parce que ce qui m’a intéressé d’abord dans l’histoire, ce sont les conflits et l’éthique, guerrière, civique parfois et souvent aristocratique, qui va avec. Un monde sans rivalité, sans affrontement, sans compétition serait d’un ennui mortel. 
              Attention, je ne suis pas en train de dire que je désire absolument que des guerres éclatent. Mais n’est-ce pas vous qui me disiez avoir été frappé, en entendant des témoignages de résistants communistes, par le fait que leurs souvenirs de ces heures difficiles ne leur semblaient pas si mauvais que cela?
              Je me souviens enfant avoir écouté ma grand-mère – engagée volontaire dans l’armée d’Afrique du Nord après le débarquement allié fin 42 – me raconter “sa” guerre. Je n’ai jamais perçu un sentiment négatif vis-à-vis de cette période de sa vie, où pourtant l’horreur de la guerre n’était pas absente. Elle ne semblait pas regretter avoir vécu ces jours difficiles.
               
              Après, je me demande un peu ce que vous mettez derrière le terme “universalisme”: la paix dans le monde? L’amitié entre tous les peuples? Un système de valeur partagé?
               
              [Vous me répétez cette affirmation, mais sans jamais en donner une justification rationnelle.]
              Pardon, j’ai essayé de vous expliquer que d’après moi se développait une forme de complémentarité entre une population et son territoire d’élection, les hommes apprenant à s’adapter à leur milieu, et le territoire étant façonné, matériellement mais parfois aussi symboliquement (un bois sacré, une montagne sacrée…) par ses habitants. Mais je vous concède que cela n’est pas l’apanage des premiers arrivés.
               
              [Mais ne je peux que constater qu’en pratique ce sont les peuples qui ont le moins défiché, bâti, créé, qui ont eu le plus de mal à défendre leur statut devant les conquérants.]
              Il y aurait ce me semble beaucoup à dire là-dessus. Les peuples qui ont “le moins défriché, bâti, créé”, tout particulièrement parmi les nomades, ont fourni un nombre non-négligeable de conquérants dont les noms hantent toujours la mémoire collective: Brennus, Genséric, Attila, Gengis Khan… pour n’en citer que quelques uns. S’il est vrai que nombre de populations nomades ne s’illustrent pas comme bâtisseurs, à l’heure de détruire des civilisations sédentaires, elles se montrent parfois redoutablement efficaces.
               
              [Les romains n’ont pas traité la Grèce ou l’Egypte comme ils ont traité la Gaule.]
              Au niveau des emprunts culturels, c’est certain. Pour le reste, la conquête romaine de la Grèce n’a rien à envier, en terme de brutalité, à celle de la Gaule: régions soumises au pillage, réduction en esclavage d’une bonne partie des Epirotes, destruction de Corinthe… 
               
              [Les occidentaux n’ont pas traité la Chine comme ils ont traité l’Afrique.]
              Non, mais était-ce mieux? Vous semblez songer à un relatif respect pour la culture chinoise, là où je pencherais plutôt pour un choix guidé par le pragmatisme: le monde chinois était vaste et très peuplé, doté d’institutions anciennes bien qu’affaiblies, et conquérir puis contrôler un tel espace aurait eu un coût colossal, beaucoup plus élevé que celui pour subjuguer l’Afrique noire, dont les densités de population étaient relativement faibles au XIX° siècle. D’autant que les guerres de l’opium ont permis aux Européens d’acquérir de lucratifs avantages en Chine.
               
              [Notre civilisation n’a pas la même révérence pour les Sioux qu’elle a pour les Mayas ou les Aztèques.]
              Vous et moi, peut-être. Mais je vous rappelle qu’il y a en Occident un vieux courant philosophique, que je qualifierais de “rousseauiste” (mais on trouve des prémices de cette pensée dans la Germanie de Tacite), qui tend à idéaliser le “bon sauvage”, certes barbare et violent, mais vertueux et non-corrompu.
               
              [Les origines des Aztèques est très mal connu. Les rares codex qui ont survécu à la conquête espagnole proposent des versions qu’on considère aujourd’hui largement légendaires et qui d’ailleurs se contredisent entre elles.]
              J’avais lu que l’arrivée des Mexicas s’inscrivait dans un processus d’infiltrations/invasions de populations “barbares”, plus ou moins nomades, venues du nord du Mexique et appelées de manière générique “Chichimèques”. Les nouveaux arrivants assimilaient généralement l’héritage culturel des populations sédentaires, apportant au final leur pierre à la civilisation mésoaméricaine pré-colombienne. Des siècles avant les Aztèques, les Toltèques auraient connu une évolution comparable.
               
              Du coup, dans mon esprit, je voyais un peu les Aztèques comme les Goths ou les Francs arrivant au contact d’une civilisation brillante (comme celle de Rome), et assimilant une partie de cette dernière. Mais cette vision est peut-être erronée, je ne suis pas spécialiste.
               
              [Il faut admettre que là où deux « aménageurs » ont exercé de manière successive ou concurrente, il y a un conflit de légitimité qui n’a pas de solution simple.]
              Nous sommes d’accord. Nous voyons donc que la légitimité vient de l’aménagement, de la mise en valeur du territoire, mais se double également de la capacité institutionnelle et militaire à conserver le contrôle politique du territoire en question. Si vous êtes faibles, vous êtes envahis, dépossédés et asservis, et ce même si vous avez labouré la terre pendant des siècles et édifié des chefs-d’oeuvre. A Constantinople, à Andrinople, à Trébizonde, à Nicée, les Grecs byzantins avaient bâti et labouré, et ils ont tout perdu…
               
              [Si je suis votre raisonnement « pragmatique », Sioux et Cheyennes, Mayas et Aztèques n’ont aucun droit sur les terres qu’on leur a pris par la force. Vae victis…]
              Comme je l’ai dit, l’antériorité, surtout si elle s’accompagne d’une longue occupation, d’un “enracinement” matériel et symbolique, est un élément de légitimité. Mais il n’est pas suffisant si ceux qui l’invoquent n’ont pas la force militaire pour défendre leur bon droit.
              Mon point est donc que les Français blancs, de culture chrétienne, ne conserveront pas la maîtrise de leur pays s’ils se laissent envahir, s’ils ne se montrent pas capables de défendre leur droit historique, y compris en expulsant les indésirables. Si en 1914-1918, les Français n’avaient pas consenti à un effort héroïque impliquant d’immenses sacrifices, rien ne dit que vous et moi serions là, un siècle plus tard, à discuter en français de l’avenir de la France… C’est cela que je voulais dire. 
               
              [Mais pensez-vous que les musulmans français « imposent avec vigueur leur culture » ?]
              Oui, je le pense. Non pas parce que leur culture serait “supérieure”, d’autant que, selon moi, la “culture musulmane” mise en avant par les militants islamistes est d’une médiocrité et d’une pauvreté qui ne rend pas hommage à la civilisation islamique; mais parce que, tout simplement, beaucoup de musulmans ne transigent pas, et rejettent, eux, les accommodements raisonnables. Et dans un monde où règnent le relativisme et la lâcheté, celui qui ne transige pas emporte le morceau.
              Si on ajoute à cela que les musulmans sont très bons pour “marquer” l’espace avec leurs enfoulardées, pour exploiter nos principes de liberté afin de faire avancer leurs revendications mais aussi pour installer une forme de terreur – Natacha Polony se demandait récemment, au delà de l’émotion suscitée par tel ou tel attentat, quel dessinateur oserait aujourd’hui caricaturer le prophète, quel professeur prendra le risque de montrer les caricatures – qui impose le respect. Vous me direz qu’ils sont forts parce que nous sommes faibles. Mais cela n’exclut pas qu’ils soient quand même hostiles voire dangereux…   
               
              [Vous connaissez mon analyse : l’exacerbation symbolique (port du voile, observation du ramadan…) est la réaction d’une communauté qui se sent menacée dans sa culture par l’avancée de la sécularisation et des rapports d’argent.]
              Oui, je connais votre position, et je dois dire qu’elle ne me convainc qu’à moitié. Pour deux raisons: la première, je vous l’ai déjà dit, est que selon moi le capitalisme s’accommode fort bien du rigorisme religieux, tout comme dans le passé il s’est accommodé du nationalisme exacerbé. La deuxième raison est que l’être humain, quoi qu’on en dise, peine à se contenter d’être un consommateur. Il y a une soif d’absolu. Pas chez tout le monde sans doute, mais elle existe tout de même. Et à cela, le capitalisme n’a pas de réponse adéquate.
               
              [Je pense que vous vous trompez d’ennemi.]
              C’est ce que tout le monde me dit… 
               
              [Ce qui menace et affaiblit notre culture – et la rend proie facile au communautarisme – ce n’est pas la venue d’une culture étrangère, mais l’a-culture qui nous vient de l’approfondissement du capitalisme.]
              Donc mon ennemi, c’est l’ “approfondissement du capitalisme”? Autrement dit un ennemi invisible, inodore, incolore… Parce que “l’approfondissement du capitalisme”, c’est personne, ou c’est tout le monde, bref ce sont les moulins à vent du Don Quichotte. Que faire contre des moulins à vent, je vous le demande?
               
              Je retrouve chez vous cette particularité de la pensée de gauche: les gens ne sont pas coupables, le problème, c’est la structure sociale, économique ou politique (ce qui devient chez les wokes “l’oppression systémique”). Les Allemands ont voté Hitler? Ah, mais il y avait eu l’humiliante défaite de 1918, l’intransigeance de la France, la crise de 1929, alors les pauvres se sont laissés embobinés. Les Hutus exterminent les Tutsis? Ah, mais ils ont été conditionnés par un ordre colonial intrinsèquement raciste. Les femmes n’accèdent pas aux fonctions de direction? Mais c’est parce que l’oppression patriarcale met des barrières aussi invisibles que sournoises à leur ascension. Les musulmans sont aigris, intolérants, tentés par le repli sur une pratique rigoriste de leur religion? C’est parce que la société d’accueil ne les assimile pas et ne leur propose pas d’alternative à l’ “approfondissement du capitalisme”. 
               
              Moi, je vais vous dire, je crois au principe de responsabilité. Responsabilité individuelle et collective – encore une de nos différences. Bien sûr, il y a une structure économique. Bien sûr l’approfondissement du capitalisme est une réalité. Mais cette réalité ne tombe pas du ciel. Cette réalité découle de la volonté des classes dominantes et du consentement d’une bonne partie de la société. Pourquoi de plus en plus de musulmans choisissent une pratique rigoriste au lieu de s’abrutir dans la société de consommation comme les autres? Pourquoi sont-ils si prompts à la violence, à l’intolérance? Parce qu’on les y force ou parce qu’ils y trouvent leur compte?
               
              Vous avez raison: “ce n’est pas la venue d’une culture étrangère” qui nous menace, mais la venue de deux cultures étrangères, à savoir la culture américaine – qui véhicule largement l’approfondissement du capitalisme que vous dénoncez – et la culture islamique. Coca-cola et ramadan, même combat. Et comme la culture américaine est puritaine et communautariste, les musulmans trouvent en elle une alliée paradoxale, eux qui pourtant fustigent l’ “Occident décadent” qu’elle incarne.
               
              L’anomie nous guette, c’est vrai. Mais la nature a horreur du vide, et l’islam comblera ce vide si nous ne faisons rien.
               
              [Le combat n’est donc pas CONTRE telle ou telle culture étrangère, mais POUR renforcer notre connaissance de notre propre histoire, nos propres institutions,]
              Mais l’un n’exclut pas l’autre. Tenez, je suis convaincu que vous seriez moins réticent à l’idée de lutter contre l’invasion de la culture américaine en France.
               
              Pardon d’être un peu brutal, mais je pense qu’au fond vous n’arrivez pas à voir les musulmans comme des ennemis parce que la plupart d’entre eux sont issus de l’immigration, comme vous-même. Et donc vous vous dites que ces gens ont surement quelque chose à apporter à la France, pour peu qu’on leur donne une chance de s’assimiler. Et peut-être même qu’inconsciemment, vous craignez qu’une politique d’expulsion massive ne remette en cause à terme votre propre présence sur le sol français et votre appartenance à la communauté nationale. Après tout, quand on commence à exclure, qui sait jusqu’où cela peut aller?
              Si tel est le cas, je pense que vous faites erreur. Il y a une différence entre combattre une minorité et détester toutes les minorités. Je ne crois pas qu’Eric Zemmour soit gêné par la présence de la minorité bouddhiste d’origine chinoise ou par la présence des juifs. Les musulmans posent des problèmes spécifiques, et sont plus perméables que les autres à une forme de haine de l’Occident en général, et de la France en particulier.
               
              Oh, j’entends depuis trente ans le même discours: le “vrai problème” n’est pas l’immigration, l’islam, le Grand remplacement; le “vrai problème”, ce sont les inégalités, le capitalisme ultralibéral, et plus récemment le “racisme systémique” ou l’ “oppression patriarcale”. Un gauchiste m’avait dit une fois: “tu devrais laisser les Arabes tranquilles, le véritable ennemi, c’est ton banquier“.
               
              Eh bien moi je pense que le vrai problème est l’immigration. L’immigration, et pas seulement les immigrés, parce qu’il y a des gens, des classes sociales, qui profitent de cette immigration, et d’autres qui en pâtissent. Parce que cette immigration a un coût réel, économique, social, sécuritaire. Parce que cette immigration participe et favorise la fragmentation de la société. Parce que cette immigration alimente le chômage qui fait stagner les salaires dans certains secteurs. Les immigrés sont une partie du problème. S’ils prêtent l’oreille aux discours victimaires, c’est leur faute. S’ils refusent qu’on se moque de leur religion, c’est leur faute. S’ils se croient autorisés à brandir des drapeaux étrangers lors des mariages ou à cracher sur la France, c’est leur faute. Même si cela n’exempte pas leurs complices des classes intermédiaires.
               
              J’ai parfaitement identifié mon ennemi. Pas plus tard qu’hier, j’emmène mes gosses jouer au parc. Il y avait là trois (ou quatre je ne sais plus) mères de famille… Toutes voilées. Et attention, voilées correctement. Si la police des moeurs iranienne était passée, elle leur aurait délivré un satisfecit: voile tout autour du visage, pas un seul cheveu visible, robe couvrant les bras jusqu’aux poignets et descendant jusqu’aux chevilles. Ce n’est pas de la provocation? Ce n’est pas une manière de traiter d’ “impudiques” les femmes qui s’habillent à l’occidentale? Allons…
               
              [Mais dans d’autres contrées, elle a pu parfaitement se construire autour d’une homogénéité ethnique, religieuse et linguistique.]
              Alors c’est un état-tribu et non un état-nation. Toutes les grandes nations d’Europe (France, Allemagne, Angleterre, Italie, Espagne, Russie) se sont construites en unifiant politiquement – de manière plus ou moins complète, certains de ces états étant fédéralisés – des territoires habités par des populations variées, soit au plan linguistique (France, Espagne), soit au plan religieux (Allemagne), soit au plan ethnique (Italie, Angleterre).
               
              [Et pas seulement. Elle s’applique aussi aux gouvernements italien, allemand… et même français de la même époque. Car dans tous ces cas, ces gouvernements ont vu le jour alors que des troupes étrangères se trouvaient sur le territoire, et avaient toute latitude pour empêcher la mise en place de gouvernements qui ne respecteraient pas les « zones d’influence » prévues à Yalta…]
              Alors quel est votre verdict? Tous légitimes? Tous illégitimes? Pensez-vous qu’il faille tenir compte des engagements de la plupart des pays européens durant la guerre froide, sachant que leurs gouvernements avaient été mis en place “alors que des troupes étrangères se trouvaient sur leur territoire”?
               
              [L’idée qu’il y avait « plusieurs France » me paraît source de graves confusions.]
              Et pourtant, c’est un peu la réalité…
               
              [Il me vient en mémoire la formule de l’évangile de Mathieu : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère ; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison » (Mathieu, 10 :34). […] Car désormais cinq personnes de la même famille seront divisées : trois contre deux et deux contre trois ils se diviseront : le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère, la belle-mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère » (Luc 12:49).]
              Je vois surtout qu’il est question de discorde familiale. Jésus n’appelle pas expressément à la violence physique, et ne précise pas la raison exacte du conflit (on peut supposer qu’il s’agit de la nouvelle foi). Par ailleurs, un appel explicite à la violence contreviendrait au Décalogue qui stipule que “tu honoreras ton père et ta mère”. Il est difficile de savoir si Jésus prêche alors la guerre civile, ou s’il pressent les conflits familiaux à venir suite à des conversions. Faire de ces citations les bases de la guerre sainte dans la culture chrétienne me paraît discutable.

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [Pour être honnête, je ne me suis jamais dit ça.]

              Pourtant, vous avez une formation chrétienne.

              [Peut-être parce que ce qui m’a intéressé d’abord dans l’histoire, ce sont les conflits et l’éthique, guerrière, civique parfois et souvent aristocratique, qui va avec. Un monde sans rivalité, sans affrontement, sans compétition serait d’un ennui mortel.]

              L’idée de « tous les gars du monde se donnant la main » n’implique pas d’abolir le conflit, mais de prendre conscience que nous avons tous intérêt à réguler ces conflits dans l’intérêt de tous. Vous noterez d’ailleurs que, contrairement à ce beaucoup de gens croient, l’imaginaire communiste faisait une large part à la compétition dans les domaines du sport, de la science, de « l’émulation socialiste » dans la production…

              Mais il n’y a pas que la compétition qui rend la vie intéressante. L’idée de « défi » a aussi sa part. j’y reviendrai.

              [Attention, je ne suis pas en train de dire que je désire absolument que des guerres éclatent. Mais n’est-ce pas vous qui me disiez avoir été frappé, en entendant des témoignages de résistants communistes, par le fait que leurs souvenirs de ces heures difficiles ne leur semblaient pas si mauvais que cela?]

              Oui, mais est-ce le fait d’un « conflit » ou d’un « défi » ? J’ai beaucoup discuté avec les « anciens » qui ont construit les grands ouvrages (barrages, centrales nucléaires, accélérateurs de particules…). Ils ont le même type d’exaltation, le même souvenir enchanté des « heures difficiles » vécues ensemble. Et pourtant, il n’y a là aucun « conflit », si ce n’est un « conflit avec la matière » qu’on cherche à transformer. L’idée de dépassement me semble aussi humaine que celle de rivalité ou de conflit.

              [Après, je me demande un peu ce que vous mettez derrière le terme “universalisme”: la paix dans le monde? L’amitié entre tous les peuples? Un système de valeur partagé?]

              L’universalisme, c’est la conviction que certaines idées, certaines lois, certaines pratiques constituent une avancée pour tous les êtres humains, indépendamment de leur histoire, de leur éducation, de la culture à laquelle ils appartiennent, de leur stade de développement. Après, vous pouvez tirer de cette idée des conclusions très différentes. Est-ce que parce que certaines lois, certaines idées, certaines pratiques constituent une avancée pour les autres qu’on a le droit de leur imposer manu militari ? Personnellement, j’aurais tendance à dire non : après tout, je n’ai ni le droit ni le devoir de faire le bonheur des gens malgré eux.

              [Mais ne je peux que constater qu’en pratique ce sont les peuples qui ont le moins défiché, bâti, créé, qui ont eu le plus de mal à défendre leur statut devant les conquérants.]
              Il y aurait ce me semble beaucoup à dire là-dessus. Les peuples qui ont “le moins défriché, bâti, créé”, tout particulièrement parmi les nomades, ont fourni un nombre non-négligeable de conquérants dont les noms hantent toujours la mémoire collective:]

              Certes, mais s’ils hantent notre mémoire, c’est grâce à ce que les peuples qui ont, eux « bâti, défriché, créé » ont écrit à leur sujet.

              [Brennus, Genséric, Attila, Gengis Khan… pour n’en citer que quelques uns. S’il est vrai que nombre de populations nomades ne s’illustrent pas comme bâtisseurs, à l’heure de détruire des civilisations sédentaires, elles se montrent parfois redoutablement efficaces.]

              Oui, tout comme la peste ou les tremblements de terre. Mais détruire ne suffit pas, à mon sens, à vous donner une « légitimité » historique.

              [« Les romains n’ont pas traité la Grèce ou l’Egypte comme ils ont traité la Gaule. » Au niveau des emprunts culturels, c’est certain. Pour le reste, la conquête romaine de la Grèce n’a rien à envier, en terme de brutalité, à celle de la Gaule: régions soumises au pillage, réduction en esclavage d’une bonne partie des Epirotes, destruction de Corinthe…]

              Oui, mais après la conquête ?

              [« Les occidentaux n’ont pas traité la Chine comme ils ont traité l’Afrique. » Non, mais était-ce mieux? Vous semblez songer à un relatif respect pour la culture chinoise, là où je pencherais plutôt pour un choix guidé par le pragmatisme:]

              La lecture des mémoires des militaires de l’époque penche plutôt pour la première hypothèse. On voit dans ces textes une véritable admiration pour la culture chinoise – mais aussi vietnamienne ou japonaise – qu’on ne trouve pas pour l’Afrique. Prenez par exemple « Madame Buterfly » : connaissez-vous un œuvre du même type parlant de l’Afrique ?

              [« Notre civilisation n’a pas la même révérence pour les Sioux qu’elle a pour les Mayas ou les Aztèques. » Vous et moi, peut-être. Mais je vous rappelle qu’il y a en Occident un vieux courant philosophique, que je qualifierais de “rousseauiste” (mais on trouve des prémices de cette pensée dans la Germanie de Tacite), qui tend à idéaliser le “bon sauvage”, certes barbare et violent, mais vertueux et non-corrompu.]

              Ce courant existe certes chez les philosophes, mais il a toujours été très minoritaire dans la population.

              [Du coup, dans mon esprit, je voyais un peu les Aztèques comme les Goths ou les Francs arrivant au contact d’une civilisation brillante (comme celle de Rome), et assimilant une partie de cette dernière. Mais cette vision est peut-être erronée, je ne suis pas spécialiste.]

              Je ne suis pas spécialiste non plus, mais si je crois ce que j’ai lu les rapports étaient infiniment plus violents dans l’Amérique précolombienne qu’ils ne l’étaient dans l’Europe des premiers siècles. Et particulièrement chez les Aztèques, qui pratiquaient le sacrifice humain de masse et qui avaient donc besoin de se fournir en victimes pour calmer les dieux. Ni les Francs ni les Goths n’avaient ce genre de pratiques. Par ailleurs, le fossé entre Rome et les barbares était beaucoup plus grands, et ces derniers étaient donc bien plus attirés par une assimilation à une civilisation dont le niveau de vie était bien plus élevé que le leur…

              [Nous sommes d’accord. Nous voyons donc que la légitimité vient de l’aménagement, de la mise en valeur du territoire, mais se double également de la capacité institutionnelle et militaire à conserver le contrôle politique du territoire en question. Si vous êtes faibles, vous êtes envahis, dépossédés et asservis, et ce même si vous avez labouré la terre pendant des siècles et édifié des chefs-d’oeuvre. A Constantinople, à Andrinople, à Trébizonde, à Nicée, les Grecs byzantins avaient bâti et labouré, et ils ont tout perdu…]

              Je pense que les deux éléments sont sur des plans différents. L’aménagement procure la légitimité, la capacité institutionnelle et militaire vous confère la possibilité. On peut être « légitime » à occuper un territoire sans pour autant pouvoir le faire…

              [Mon point est donc que les Français blancs, de culture chrétienne, ne conserveront pas la maîtrise de leur pays s’ils se laissent envahir, s’ils ne se montrent pas capables de défendre leur droit historique, y compris en expulsant les indésirables. Si en 1914-1918, les Français n’avaient pas consenti à un effort héroïque impliquant d’immenses sacrifices, rien ne dit que vous et moi serions là, un siècle plus tard, à discuter en français de l’avenir de la France… C’est cela que je voulais dire.]

              Sur ce point, nous sommes d’accord. Mais ce que vous posiez auparavant était la question de la légitimité, tandis qu’ici vous parlez de la question de fait. Votre remarque est vraie indépendamment de toute idée de légitimité.

              [Oui, je connais votre position, et je dois dire qu’elle ne me convainc qu’à moitié. Pour deux raisons: la première, je vous l’ai déjà dit, est que selon moi le capitalisme s’accommode fort bien du rigorisme religieux, tout comme dans le passé il s’est accommodé du nationalisme exacerbé. La deuxième raison est que l’être humain, quoi qu’on en dise, peine à se contenter d’être un consommateur. Il y a une soif d’absolu. Pas chez tout le monde sans doute, mais elle existe tout de même. Et à cela, le capitalisme n’a pas de réponse adéquate.]

              Votre réponse est contradictoire. Le rigorisme religieux prêche l’abstinence et la sobriété, et tend donc à éloigner l’individu de son rôle de consommateur compulsif, ce rôle dans lequel le capitalisme cherche à l’enfermer. C’est pourquoi je suis persuadé que, loin de « s’accommoder » du rigorisme religieux, le capitalisme entre fatalement en collision avec lui.

              [« Ce qui menace et affaiblit notre culture – et la rend proie facile au communautarisme – ce n’est pas la venue d’une culture étrangère, mais l’a-culture qui nous vient de l’approfondissement du capitalisme. » Donc mon ennemi, c’est l’ “approfondissement du capitalisme”? Autrement dit un ennemi invisible, inodore, incolore…]

              Eh oui, c’est toute la difficulté de la chose. Notre problème n’est pas lié à l’action plus ou moins néfaste d’un dirigeant, aux intentions plus ou moins « conquérantes » de tel ou tel groupe, mais à une évolution économique qui les rendent possibles. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas combattre les symptômes. Mais il faut être conscient des limites de ce combat.

              [Je retrouve chez vous cette particularité de la pensée de gauche: les gens ne sont pas coupables, le problème, c’est la structure sociale, économique ou politique (ce qui devient chez les wokes “l’oppression systémique”).]

              Je ne sais pas ce que vous appelez « pensée de gauche ». Adam Smith était-il « de gauche » ? Pourtant, vous retrouvez chez lui l’idée qu’un mécanisme – celui du marché – peut transformer « les vices privés en vertus publiques », autrement dit, que la société est gouvernée non pas par les vices ou vertus des hommes, mais par des mécanismes qui les régulent. Au fond, c’est le propre de toute pensée matérialiste : au-delà des idées, nous sommes gouvernés par nos intérêts, et donc par les rapports matériels.

              « Le capitalisme » n’est pas un être doué de volonté. C’est un mot qui désigne un rapport matériel entre capital et travail. Et notre rapport aux institutions, à la culture, au savoir, dérivent de ce rapport matériel. S’il y a chaque jour une plus grande standardisation des langues, des cultures, des pratiques, des goûts, c’est parce que dans le rapport de production capitaliste, cette standardisation conduit à une augmentation toujours plus grande des profits. On peut – et on doit, à mon sens – se battre contre cette standardisation, tout en sachant que c’est un combat d’attente, qu’on ne peut remporter une victoire que si les rapports de production changent.

              [Les Allemands ont voté Hitler? Ah, mais il y avait eu l’humiliante défaite de 1918, l’intransigeance de la France, la crise de 1929, alors les pauvres se sont laissés embobinés. Les Hutus exterminent les Tutsis? Ah, mais ils ont été conditionnés par un ordre colonial intrinsèquement raciste. Les femmes n’accèdent pas aux fonctions de direction? Mais c’est parce que l’oppression patriarcale met des barrières aussi invisibles que sournoises à leur ascension. Les musulmans sont aigris, intolérants, tentés par le repli sur une pratique rigoriste de leur religion? C’est parce que la société d’accueil ne les assimile pas et ne leur propose pas d’alternative à l’ “approfondissement du capitalisme”.]

              Je pense que vous confondez deux choses différentes : la CAUSE et la RESPONSABILITE. Les grandes transformations historiques suivent une dynamique qui leur est propre, déterminée par les transformations matérielles sur lesquelles un homme ou même un groupe d’hommes n’ont qu’une prise limitée. Même si Rome avait été gouvernée par des hommes plus clairvoyants, l’Empire serait tombé quand même, tout simplement parce que son modèle économique n’était plus soutenable. En ce sens, aucun homme n’est « la cause » de la chute de l’Empire romain.

              Autour de ces grands mouvements, les hommes ont une marge de manœuvre plus ou moins grande. Et parce qu’ils ont cette marge de manœuvre, ils ont une certaine responsabilité. On ne peut tenir De Gaulle responsable de la fin de l’empire colonial français – celle-ci était inscrite dans l’évolution du capitalisme – mais on peut lui tenir rigueur de la MANIERE dont il a mis fin… ce qui suppose aussi une analyse fine de ce qu’étaient ses marges de manœuvre à l’époque.

              [Moi, je vais vous dire, je crois au principe de responsabilité. Responsabilité individuelle et collective – encore une de nos différences. Bien sûr, il y a une structure économique. Bien sûr l’approfondissement du capitalisme est une réalité.]

              Le désaccord est moins grand que vous ne le croyez. Je crois moi aussi au « principe de responsabilité », du moins en tant que règle sociale. Car on ne peut faire société que si l’on suppose que les actes individuels sont déterminés par des mécanismes, que l’individu n’a aucune liberté de choix. Une société fondée sur une telle vision ne peut avoir de règle. Car comment justifier la sanction à celui qui viole la loi si cette violation n’est pas le fait de sa volonté, mais d’un mécanisme qu’il ne contrôle pas ? Vivre en société implique donc de postuler que nous avons un certain degré de liberté de choisir, et donc une certaine responsabilité pour nous choix.

              [Mais cette réalité ne tombe pas du ciel. Cette réalité découle de la volonté des classes dominantes et du consentement d’une bonne partie de la société.]

              Non, est c’est bien là le problème. Ce n’est pas la VOLONTE des classes dominantes qui les conduit à approfondir le rapport de production capitaliste, mais leur INTERET. Les patrons ne sont pas d’affreux jojos qui se lèvent chaque matin en se demandant comment réduire les salaires. Même s’ils ont la VOLONTE d’augmentent les salaires dans leurs usines, s’ils le font ils perdent en compétitivité, perdront des parts de marché vis-à-vis de leurs concurrents, et finiront par mettre la clé sous la porte. Parce que de la même manière que l’intérêt de l’actionnaire le pousse à chercher le meilleur rendement, l’intérêt du consommateur le pousse à chercher le prix le plus bas. La loi d’airain du capitalisme contraint autant le patron que l’ouvrier.

              C’est là toute la difficulté : pour changer le monde, il ne vous suffit pas de convaincre les gens qu’il faut faire autrement, il faut réussir à les faire aller contre leurs intérêts matériels. Si vous voulez lutter contre l’immigration clandestine, il ne suffit pas de convaincre les gens qu’il faut défendre notre culture, il faut les convaincre de payer plus cher la main d’œuvre…

              [Pourquoi de plus en plus de musulmans choisissent une pratique rigoriste au lieu de s’abrutir dans la société de consommation comme les autres? Pourquoi sont-ils si prompts à la violence, à l’intolérance? Parce qu’on les y force ou parce qu’ils y trouvent leur compte?]

              Parce que, comme vous-même, ils ont une identité et ils ont peur de la perdre. C’est d’ailleurs ce parallélisme qui me frappe dans votre discours : finalement, comme eux vous souffrez de voir les habitudes, la sociabilité, les institutions venues du passé se déliter, comme-eux vous avez une réaction qui tend à envisager la violence comme légitime pour arrêter ce processus.

              [L’anomie nous guette, c’est vrai. Mais la nature a horreur du vide, et l’islam comblera ce vide si nous ne faisons rien.]

              Tout à fait d’accord. C’est précisément mon point.

              [« Le combat n’est donc pas CONTRE telle ou telle culture étrangère, mais POUR renforcer notre connaissance de notre propre histoire, nos propres institutions, » Mais l’un n’exclut pas l’autre. Tenez, je suis convaincu que vous seriez moins réticent à l’idée de lutter contre l’invasion de la culture américaine en France.]

              Ma position serait exactement la même : « lutter contre l’invasion de la culture américaine », cela passe par un renforcement de la connaissance et la promotion de notre propre histoire, de notre propre héritage, de nos propres institutions. Ceux qui pensent qu’on peut lutter contre la culture américaine avec des lois imposant de traduire en français les panneaux publicitaires alors qu’on dévalorise en permanence notre héritage culturel et nos institutions se trompent. Quand la France était forte et fière, elle pouvait sans risque assimiler d’autres cultures…

              [Pardon d’être un peu brutal, mais je pense qu’au fond vous n’arrivez pas à voir les musulmans comme des ennemis parce que la plupart d’entre eux sont issus de l’immigration, comme vous-même. Et donc vous vous dites que ces gens ont surement quelque chose à apporter à la France, pour peu qu’on leur donne une chance de s’assimiler.]

              Oui, je pense – et cela n’a rien à voir avec ma propre expérience – que tout être humain peut apporter quelque chose à la collectivité. Et c’est pourquoi je me refuse à voir dans l’immigré un ennemi PAR ESSENCE. Si vous voulez être cohérent avec ce que vous disiez plus haut sur le « principe de responsabilité », vous devriez juger l’immigré à ses choix, et non à ce qu’il est.

              J’ai certainement une approche de l’immigration qui est marquée par ma propre expérience – et celle de ma famille, puisque chez nous on a émigré une fois par génération. C’est de là que je tire la conviction que l’assimilation est possible. Et partant, que l’étranger assimilé peut apporter à son pays d’adoption une expérience qui est particulière. Il ne s’agit pas de dire qu’il peut apporter « plus » ou « moins » qu’un « de souche ». Il peut apporter quelque chose de différent.

              [Et peut-être même qu’inconsciemment, vous craignez qu’une politique d’expulsion massive ne remette en cause à terme votre propre présence sur le sol français et votre appartenance à la communauté nationale. Après tout, quand on commence à exclure, qui sait jusqu’où cela peut aller?]

              Non, je vous rassure. D’abord, parce que je ne suis pas très porté à la paranoïa. Et plus sérieusement, parce que j’ai une très grande confiance dans le peuple français. Si le pays devait changer au point que les gens comme moi ne seraient plus les bienvenus, alors je pense que je n’aurais plus envie d’y vivre.

              [Oh, j’entends depuis trente ans le même discours: le “vrai problème” n’est pas l’immigration, l’islam, le Grand remplacement; le “vrai problème”, ce sont les inégalités, le capitalisme ultralibéral, et plus récemment le “racisme systémique” ou l’ “oppression patriarcale”. Un gauchiste m’avait dit une fois: “tu devrais laisser les Arabes tranquilles, le véritable ennemi, c’est ton banquier“.]

              Je me suis toujours élevé contre ce genre de discours. D’abord, pour une raison purement politique : le « vrai problème » est celui que les gens ont dans la tête. Expliquer à quelqu’un que la question qui l’obsède n’est pas le « vrai problème » n’est pas une bonne ligne d’argumentation. Comme disait un vieux dirigeant communiste, « il faut toujours partir de ce que les gens ont dans la tête ». Ce n’est qu’à partir de là qu’on peut montrer que le « vrai problème » qui les intéresse n’est qu’une manifestation d’un problème plus vaste, plus général.

              [Eh bien moi je pense que le vrai problème est l’immigration.]

              Je n’ai pas dit le contraire. La question que je posais est de savoir POURQUOI l’immigration est devenue un « vrai problème ». Et j’essaie de montrer que si l’immigration est un « vrai problème », c’est parce qu’elle impacte une société dont les institutions, l’identité culturelle, la capacité à transmettre et à assimiler sont affaiblies.

              [L’immigration, et pas seulement les immigrés, parce qu’il y a des gens, des classes sociales, qui profitent de cette immigration, et d’autres qui en pâtissent. Parce que cette immigration a un coût réel, économique, social, sécuritaire. Parce que cette immigration participe et favorise la fragmentation de la société. Parce que cette immigration alimente le chômage qui fait stagner les salaires dans certains secteurs. Les immigrés sont une partie du problème.]

              Oui. Mais si notre société avait la volonté et la capacité à transmettre et à assimiler, si on était en plein emploi, on pourrait mettre en face des « coûts » de l’immigration des recettes, et on n’aurait pas à faire face à la « fragmentation » ou à la stagnation des salaires.

              [J’ai parfaitement identifié mon ennemi. Pas plus tard qu’hier, j’emmène mes gosses jouer au parc. Il y avait là trois (ou quatre je ne sais plus) mères de famille… Toutes voilées. Et attention, voilées correctement. Si la police des moeurs iranienne était passée, elle leur aurait délivré un satisfecit: voile tout autour du visage, pas un seul cheveu visible, robe couvrant les bras jusqu’aux poignets et descendant jusqu’aux chevilles. Ce n’est pas de la provocation? Ce n’est pas une manière de traiter d’ “impudiques” les femmes qui s’habillent à l’occidentale? Allons…]

              Mais avant de les identifier comme « ennemis », essayez de comprendre POURQUOI elles le font. Pourquoi, alors qu’elles vivent dans un pays qui leur offre la possibilité de s’habiller librement, elles choisissent de s’enfermer dans une prison de toile. A quoi sont-elles aliénées ? De quoi ont-elles peur ?

              J’ai un ami juif séfarade qui observe strictement les règles de la Halakha. Chez lui, on observe strictement le shabbat et les fêtes, les interdits alimentaires, etc. Pourtant, il n’est pas croyant. Son argument, c’est que si on laisse de côté ces règles, ces interdits, alors on cessera d’être juifs, on deviendra comme tout le monde. Cette angoisse « identitaire » me paraît très compréhensible dans un monde où la tendance à la standardisation devient étouffante. Et je peux concevoir que chez un maghrébin cela puisse être pareil.

              [« Mais dans d’autres contrées, elle a pu parfaitement se construire autour d’une homogénéité ethnique, religieuse et linguistique. » Alors c’est un état-tribu et non un état-nation. Toutes les grandes nations d’Europe (France, Allemagne, Angleterre, Italie, Espagne, Russie) se sont construites en unifiant politiquement – de manière plus ou moins complète, certains de ces états étant fédéralisés – des territoires habités par des populations variées, soit au plan linguistique (France, Espagne), soit au plan religieux (Allemagne), soit au plan ethnique (Italie, Angleterre).]

              Les « grandes » nations peut-être, parce que l’homogénéité est difficile sur un vaste territoire. Mais on trouve quand même en Europe pas mal d’états qui seraient des « tribus » dans votre description. Les pays scandinaves, les états balkaniques…

              [Alors quel est votre verdict? Tous légitimes? Tous illégitimes? Pensez-vous qu’il faille tenir compte des engagements de la plupart des pays européens durant la guerre froide, sachant que leurs gouvernements avaient été mis en place “alors que des troupes étrangères se trouvaient sur leur territoire”?]

              Dans l’immédiate après-guerre, on peut mettre un point d’interrogation sur la légitimité politique de la plupart des gouvernements de l’Europe continentale. Rares sont les peuples de cet espace qui ont été autorisés à élire leur gouvernement de manière parfaitement libre de toute influence étrangère. Pour ne donner qu’un exemple, les grands partis communistes en Italie ou en France auraient été légitimes à gouverner, ils ont été barrés du pouvoir par la menace d’une intervention étrangère.

              [« L’idée qu’il y avait « plusieurs France » me paraît source de graves confusions. » Et pourtant, c’est un peu la réalité…]

              Je ne pense pas qu’il y ait de « réalité » dans ce genre d’affaires. Il y avait plusieurs sortes de Français, mais il n’y a jamais qu’une seule France.

              [« Il me vient en mémoire la formule de l’évangile de Mathieu : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère ; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison » (Mathieu, 10 :34).(…) » Je vois surtout qu’il est question de discorde familiale. Jésus n’appelle pas expressément à la violence physique,]

              Pardon. Quand on parle « d’apporter l’épée », j’ai du mal à ne pas voir là une référence à la violence physique. Et je ne pense pas que ce fut l’idée de Jésus de faire campagne pour les violences familiales. La métaphore familiale me semble plutôt faire référence à a guerre civile (« l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison »). Cela étant dit, il serait peut-être intéressant de savoir comment les théologiens du haut moyen-âge ont interprété cet appel…

            • François dit :

              @Descartes
              [Votre réponse est contradictoire. Le rigorisme religieux prêche l’abstinence et la sobriété, et tend donc à éloigner l’individu de son rôle de consommateur compulsif, ce rôle dans lequel le capitalisme cherche à l’enfermer. C’est pourquoi je suis persuadé que, loin de « s’accommoder » du rigorisme religieux, le capitalisme entre fatalement en collision avec lui.]
              Je pense que vous avez une vision trop catholique de la religion, qui regarde effectivement l’enrichissement personnel et l’ostentation avec une certaine méfiance. Mais dès que l’on se tourne vers le protestantisme anglo-saxon, être riche est au contraire le signe que vous êtes touchés par la Grâce de Dieu.
              Quant à l’islam, s’il impose effectivement la Zakat (un taux de 2,5%, taux complètement ridicule dans nos sociétés modernes), je n’ai pas particulièrement l’impression globale que c’est une religion qui fasse de l’égalité et de la sobriété une vertu. Après tout, Mahomet est mort chef de guerre, riche de son butin. Par ailleurs, l’islam est une religion qui s’accommode parfaitement de l’esclavage au point de l’intégrer dans son corpus théologique et d’être encore pratiqué de facto en Mauritanie et dans les pays du Golfe persique, comme le rappelle la sinistre coupe du Monde de décembre prochain.  On notera également la vision particulièrement matérialiste du paradis islamique (https://www.youtube.com/watch?v=KrZoXhuNaCc)
              Mais plus fondamentalement, l’islam n’est pas une orthodoxie, mais une orthopraxie. Ce qui guide les croyants n’est pas une morale à appliquer par son libre arbitre, mais une série d’obligations et d’interdictions à appliquer bêtement. Et vu qu’il n’y a rien dans le Coran et les hadiths quant au fait de passer ses après-midi dans les centres commerciaux… Rien n’empêche Karim Benzema de faire du jet-ski  à Miami tout en étant un pieux musulman cassant les c……. pour avoir ses repas halals au sein de l’équipe de France de football. On voit  d’ailleurs comment le capitalisme voit les musulmans comme un segment de marché, comme l’atteste la progression des ventes halal (le summum du ridicule ayant été atteint en vendant un frigo halal). Tout comme les prédicateurs ont parfaitement saisi l’utilité des réseaux sociaux pour prêcher la bonne parole, en particulier les plus abrutissants comme TikTok, en reprenant les mêmes codes que n’importe quel influenceur. Même ce lieu saint qu’est la Mecque n’est plus qu’un Disneyland halal.
              Bref, le capitalisme pervertit bien moins l’islam, comme il a pu le faire pour le christianisme. Le clergé catholique se désole de voir comment Noël est devenu une fête commerciale. Je n’ai pas à ma connaissance de fatwa sommant les musulmans de se détourner des promotions commerciales des supermarchés durant le ramadan.
               
              Éric Zemmour dans la France n’a pas dit son dernier mot narre un échange qu’il a eu avec Julien Dray concernant l’assimilation des musulmans. Ce dernier raconte qu’il finiront bien par acheter des Nike. Comme vous donc, il considère que le capitalisme finira par oblitérer les velléités religieuses des musulmans. Éric Zemmour conclue le chapitre en disant qu’ils finissent bien par acheter des Nike, mais qu’ils les portent sous leurs qamis.

            • Descartes dit :

              @ François

              [Je pense que vous avez une vision trop catholique de la religion, qui regarde effectivement l’enrichissement personnel et l’ostentation avec une certaine méfiance. Mais dès que l’on se tourne vers le protestantisme anglo-saxon, être riche est au contraire le signe que vous êtes touchés par la Grâce de Dieu.]

              Etre riche, oui. Mais consommer cette richesse à tort et à travers ? Non, au contraire : le protestantisme traditionnel oblige celui qui bénéficie de cette richesse à l’utiliser pour faire le bien autour de lui, et non pour s’offrir les plaisirs de ce monde. Bill et Melinda Gates, avec leur style « monsieur et madame tout le monde » et leur fondation riche à milliards correspondent bien plus au modèle du protestantisme anglo-saxon qu’un Elon Musk…

              [Quant à l’islam, s’il impose effectivement la Zakat (un taux de 2,5%, taux complètement ridicule dans nos sociétés modernes), je n’ai pas particulièrement l’impression globale que c’est une religion qui fasse de l’égalité et de la sobriété une vertu. Après tout, Mahomet est mort chef de guerre, riche de son butin.]

              Je ne me souviens pas que l’Islam fasse référence aux richesses du Prophète. On y trouve par contre quantité de références aux dangers de devenir esclave des biens matériels ou des plaisirs de ce monde : « La course à avoir plus vous distrait. Jusqu’à ce que vous visitiez les tombes ! Non, vous saurez. Encore : Non, vous saurez ! » (Coran 102/1-4). Certains hadiths conseillent même la pauvreté : « O Dieu, fais-moi vivre pauvre, fais-moi mourir pauvre, et ressuscite-moi le jour du jugement dans le groupe des pauvres » (rapporté par at-Tirmidhî, n° 2352). L’Islam a d’ailleurs repris beaucoup de choses de la philosophie grecque, qui avait une approche similaire.

              [Mais plus fondamentalement, l’islam n’est pas une orthodoxie, mais une orthopraxie. Ce qui guide les croyants n’est pas une morale à appliquer par son libre arbitre, mais une série d’obligations et d’interdictions à appliquer bêtement. Et vu qu’il n’y a rien dans le Coran et les hadiths quant au fait de passer ses après-midi dans les centres commerciaux…]

              Jusqu’à un certain point. Lorsque l’Islam conseille de craindre l’attachement aux richesses matérielles pour lui préférer les richesses spirituelles, cela semble prescrire de passer ses après-midis à la bibliothèque ou à la mosquée plutôt qu’au centre commercial, non ?

              [Rien n’empêche Karim Benzema de faire du jet-ski à Miami tout en étant un pieux musulman cassant les c… pour avoir ses repas halals au sein de l’équipe de France de football.]

              Mais les « faux dévots », qui « cassent les c… » en se tenant strictement aux rituels alors qu’ils en trahissent l’esprit, cela a toujours existé, et dans toutes les religions. Il faut aussi tenir compte du fait qu’il y a confusion souvent entre l’exigence religieuse et l’exigence traditionnelle et communautaire. Je connais des juifs athées qui célèbrent le « seder » de Pâques pour des raisons purement traditionnelles. Et cette confusion est encore plus importante chez les musulmans, chez qui la séparation entre le civil et le religieux est toujours problématique.

              [On voit d’ailleurs comment le capitalisme voit les musulmans comme un segment de marché, comme l’atteste la progression des ventes halal (le summum du ridicule ayant été atteint en vendant un frigo halal). Tout comme les prédicateurs ont parfaitement saisi l’utilité des réseaux sociaux pour prêcher la bonne parole, en particulier les plus abrutissants comme TikTok, en reprenant les mêmes codes que n’importe quel influenceur. Même ce lieu saint qu’est la Mecque n’est plus qu’un Disneyland halal.]

              Bien sûr. Mais si le capitalisme récupère tout, il a plus de mal avec certaines choses qu’avec d’autres. Il est difficile de vendre du maquillage à quelqu’un qui porte la burqa. Le capitalisme arrive à s’accommoder de certaines formes de religiosité. Mais la variante rigoriste n’est pas la plus compatible.

              Éric Zemmour dans « la France n’a pas dit son dernier mot » narre un échange qu’il a eu avec Julien Dray concernant l’assimilation des musulmans. Ce dernier raconte qu’ils finiront bien par acheter des Nike. Comme vous donc, il considère que le capitalisme finira par oblitérer les velléités religieuses des musulmans. Éric Zemmour conclue le chapitre en disant qu’ils finissent bien par acheter des Nike, mais qu’ils les portent sous leurs quamis.]

              Je pense comme Dray qu’ils finiront par acheter des nike, et même qu’ils laisseront tomber leurs quamis pour porter du Lacoste. Mais contrairement à Dray, cela ne me rassure pas parce que je n’ai pas envie de vivre dans un pays ou le “cadre partagé” par l’ensemble des se réduit à une marque de chaussures…

            • @ Descartes,
               
              [Pourtant, vous avez une formation chrétienne.]
              Oui… Mais je vais vous faire une confidence : enfant, j’ai eu entre les mains un vieux manuel d’histoire sainte, eh bien mon chapitre préféré était celui consacré aux rois de Juda et d’Israël. Et je dois dire que l’impie Achab d’Israël et son épouse Jézabel me fascinaient bien davantage que les pieux Josaphat et Ezéchias de Juda.
              J’avoue humblement que les croisés m’ont longtemps plus intéressé que les Pères de l’Église.

              [La lecture des mémoires des militaires de l’époque penche plutôt pour la première hypothèse. On voit dans ces textes une véritable admiration pour la culture chinoise – mais aussi vietnamienne ou japonaise – qu’on ne trouve pas pour l’Afrique.]
              Je n’y connais rien, donc je vous fais confiance.

              [mais si je crois ce que j’ai lu les rapports étaient infiniment plus violents dans l’Amérique précolombienne qu’ils ne l’étaient dans l’Europe des premiers siècles. Et particulièrement chez les Aztèques, qui pratiquaient le sacrifice humain de masse et qui avaient donc besoin de se fournir en victimes pour calmer les dieux.]
              Vous avez sans doute raison. Je me suis laissé dire cependant que les sacrifices humains n’étaient pas l’apanage des Aztèques dans la Mésoamérique précolombienne… Les Espagnols ont présenté les Aztèques comme particulièrement cruels, mais, si ma mémoire ne me trompe pas, Cortés a dû parfois refréner ses alliés locaux qui avaient eux aussi des velléités de sacrifier les prisonniers.

              [Votre réponse est contradictoire.]
              L’être humain est souvent pétri de contradictions…

              [Le rigorisme religieux prêche l’abstinence et la sobriété, et tend donc à éloigner l’individu de son rôle de consommateur compulsif, ce rôle dans lequel le capitalisme cherche à l’enfermer.]
              La logique vous donnerait raison, et pourtant… Force est de constater qu’un certain nombre de sectes protestantes plus ou moins intégristes prospèrent aux États-Unis, pays du capitalisme triomphant. Force est de constater qu’un certain nombre de musulmans – y compris en France – affichent une pratique rigoriste en même temps qu’une certaine prospérité (maisons confortables, grosses voitures allemandes, etc). Je veux bien que chez les protestants l’enrichissement soit vu comme une forme d’élection divine qui « oblige » l’élu. Mais chez les musulmans ?

              [Eh oui, c’est toute la difficulté de la chose. Notre problème n’est pas lié à l’action plus ou moins néfaste d’un dirigeant, aux intentions plus ou moins « conquérantes » de tel ou tel groupe, mais à une évolution économique qui les rendent possibles.]
              Je sais que tel n’est pas votre objectif, mais ne craignez-vous pas qu’une telle conclusion nourrisse un sentiment d’impuissance ? Parce que si c’est l’évolution économique qui est responsable de nos maux, personne n’y peut grand-chose. Je ne dis pas que vous avez tort, mais votre vision est profondément désespérante et peut pousser à la résignation.

              [S’il y a chaque jour une plus grande standardisation des langues, des cultures, des pratiques, des goûts, c’est parce que dans le rapport de production capitaliste, cette standardisation conduit à une augmentation toujours plus grande des profits.]
              Comment concilier ce constat avec un développement exacerbé du communautarisme ? Vous parlez d’une « standardisation des goûts » mais dans le même temps il faut prévoir des repas différenciés dans les cantines, des boutiques spécifiques pour telle pratique religieuse et/ou alimentaire, etc.

              [Même si Rome avait été gouvernée par des hommes plus clairvoyants, l’Empire serait tombé quand même, tout simplement parce que son modèle économique n’était plus soutenable.]
              Mais… Rome a survécu à l’est de la Méditerranée, dans l’empire que nous appelons « byzantin » mais qui s’est appelé « romain » jusqu’en 1453. Et à l’époque de Justinien, cet empire est relativement prospère, il est puissant et conquérant, il fait vivre le droit romain. Preuve qu’un état, une conception du pouvoir, du droit, une vision du monde peuvent survivre à des transformations économiques et même à des désastres militaires (les invasions arabo-musulmanes et slaves du VII° siècle).

              [Autour de ces grands mouvements, les hommes ont une marge de manœuvre plus ou moins grande. Et parce qu’ils ont cette marge de manœuvre, ils ont une certaine responsabilité.]
              Je commence à en douter…

              [La loi d’airain du capitalisme contraint autant le patron que l’ouvrier.]
              Donc on ne peut rien faire ?

              [Si vous voulez lutter contre l’immigration clandestine, il ne suffit pas de convaincre les gens qu’il faut défendre notre culture, il faut les convaincre de payer plus cher la main d’œuvre…]
              Alors c’est foutu. Personne ne prendra une direction contraire à ses intérêts.

              [Parce que, comme vous-même, ils ont une identité et ils ont peur de la perdre.]
              Le drame en ce bas monde, c’est que tout le monde a ses raisons…

              [C’est d’ailleurs ce parallélisme qui me frappe dans votre discours : finalement, comme eux vous souffrez de voir les habitudes, la sociabilité, les institutions venues du passé se déliter, comme-eux vous avez une réaction qui tend à envisager la violence comme légitime pour arrêter ce processus.]
              Ne soyez pas surpris : c’est assez classique de finir par adopter les méthodes et le langage des gens que l’on combat (ou que l’on croit combattre).

              [Quand la France était forte et fière, elle pouvait sans risque assimiler d’autres cultures…]
              Quand la France était « forte et fière », c’étaient surtout les autres qui lui empruntaient des mots, des habitudes, une façon de concevoir le monde. Il y a bien sûr des échanges culturels, des influences, et ce depuis toujours. Il convient cependant de ne pas les exagérer : il est rare qu’une civilisation doive tout à des apports exogènes.

              [Si vous voulez être cohérent avec ce que vous disiez plus haut sur le « principe de responsabilité », vous devriez juger l’immigré à ses choix, et non à ce qu’il est.]
              Je juge positivement l’immigré chinois qui donne des prénoms français à ses enfants… Maintenant, je ne peux que vous prier d’appliquer le sage conseil que vous me donnez : si vous devez « juger » les – nombreux – immigrés musulmans tentés par le choix du rigorisme et du séparatisme, quel verdict appelle leur comportement, d’après vous ?

              [Et partant, que l’étranger assimilé peut apporter à son pays d’adoption une expérience qui est particulière.]
              C’est-à-dire ? Ce que vous dites là semble évident pour vous, j’avoue que pour moi c’est énigmatique. Qu’est-ce que les descendants assimilés d’Arméniens rescapés du génocide ou de Russes blancs nous ont apporté ? Je prends ces exemples car nous avons un siècle de recul.

              [Et plus sérieusement, parce que j’ai une très grande confiance dans le peuple français.]
              Moi de moins en moins… D’ailleurs, je dois dire que je ne suis plus très sûr qu’il existe un « peuple français ». Cela étant dit, vous me disiez précédemment que vous constatiez que la France glissait vers le modèle de société « à l’américaine ». Et maintenant vous m’affirmez votre inébranlable confiance dans un peuple incapable de préserver son modèle. J’ai un peu de mal à comprendre…

              [Mais si notre société avait la volonté et la capacité à transmettre et à assimiler, si on était en plein emploi, on pourrait mettre en face des « coûts » de l’immigration des recettes]
              Avec des « si »… Mais comment notre société pourrait avoir cette « volonté » puisque in fine elle est gouvernée par des intérêts liés à l’approfondissement du capitalisme ? Il faut être cohérent : la volonté de la société ne peut pas aller à l’encontre des intérêts matériels de ladite société, en particulier de ses classes dominantes. Donc c’est foutu.

              Cela étant, je me pose une question : que s’est-il passé au Danemark ? Voilà un pays développé, comme la France, qui doit lui aussi être confronté à l’approfondissement du capitalisme. Et pourtant, depuis plusieurs années, les Danois ont drastiquement réduit l’immigration sur leur territoire, grâce à une sorte de RN local (« le parti du peuple danois » si je ne m’abuse) qui a fait pression sur les autres formations politiques. Est-ce que les Danois ont voté contre leurs intérêts matériels ? Qu’est-ce qui fait que les élites danoises ont rompu avec une vision naïve de l’immigration alors que les élites françaises en sont incapables ? Le Danemark est membre de l’UE et de l’espace Schengen, et pourtant ses dirigeants ont apparemment réussi à enrayer l’immigration de masse. Alors ? S’agit-il de la « marge de manœuvre » que vous évoquez ?

              Quant à l’assimilation, vous connaissez mes réserves, auxquelles vous avez déjà répondu à plusieurs reprises, mais que je rappelle pour des lecteurs qui découvriraient nos échanges :
              1) Un pays comme la France, dans un contexte de faible croissance, n’a pas les moyens d’assimiler des millions d’immigrés extra-européens arrivés en quelques décennies ;
              2) Le contentieux colonial complique considérablement l’assimilation des ressortissants des anciennes colonies ;
              3) Le « démon des origines » ressurgira à la première crise ;
              4) L’islam est difficilement soluble dans l’identité française, j’y reviens plus bas ;
              5) Une France peuplée de Maghrébins et de Subsahariens, même assimilés, serait-ce encore la France ? J’ai des doutes. C’est à mon sens la limite de votre universalisme : il évacue un peu vite la question « ethnico-raciale ».
              Tout cela m’amène, non point à rejeter l’assimilation, mais à la réserver à une petite minorité d’immigrés triés sur le volet.

              [Mais avant de les identifier comme « ennemis », essayez de comprendre POURQUOI elles le font.]
              Vous avez vous-même répondu : elles ont peur, comme moi, de perdre leur identité. Elles résistent à la « standardisation » des modes de vie. Elles essaient de trouver une alternative au consumérisme déshumanisant qui régit nos vies.
              Accessoirement, elles savent qu’elles m’emm… et qu’elles me provoquent avec leurs voiles. Elles savent qu’elles font peur aux mécréants, et ça les excite. Peut-être même espèrent-elles une esclandre qui leur permettrait de crier à l’islamophobie. L’islam aujourd’hui est brandi par beaucoup comme un étendard de haine, comme une kalachnikov, et les musulmans en sont parfaitement conscients, ne nous racontons pas d’histoire. Quand des individus crient « Allah Akbar », ils savent très bien à quoi cela fait référence.

              Je vais vous livrer une autre anecdote : cet été, nous nous promenions en famille dans le quartier où habitent mes parents. Des voitures passent en klaxonnant : c’était un mariage (on était un samedi). Deux jeunes femmes voilées – qu’aucun de nous ne connaissait – avaient la moitié du corps sorti de la voiture et nous agitaient un drapeau algérien devant le nez. Franchement, ces gens sont-ils stupides au point de ne pas se rendre compte qu’ils insultent les natifs ? Vous m’avez dit de juger les immigrés sur « leur choix ». Eh bien, ces immigrés-là – et beaucoup d’autres qui se conduisent de la même façon – je les ai jugés… et condamnés. Sans appel. Et vous ?

              [Pourquoi, alors qu’elles vivent dans un pays qui leur offre la possibilité de s’habiller librement, elles choisissent de s’enfermer dans une prison de toile.]
              Vous n’êtes pas à la page mon cher. Le voile libère, il émancipe. Même des féministes le disent…

              [Son argument, c’est que si on laisse de côté ces règles, ces interdits, alors on cessera d’être juifs, on deviendra comme tout le monde.]
              J’attire votre attention sur le fait que ce type d’argument peut très bien être utilisé pour résister à l’assimilation. Parce que s’assimiler, c’est un peu « devenir comme tout le monde »…

              [Cette angoisse « identitaire » me paraît très compréhensible dans un monde où la tendance à la standardisation devient étouffante.]
              Cette angoisse « identitaire » me paraît compréhensible tout court… Quand on est issu d’une famille qui cultive une tradition depuis des générations, une famille qui participe d’une civilisation spécifique, c’est normal de vouloir en garder quelque chose. Je respecte cela, et même j’admire cette disposition d’esprit qui manque à trop de Français « de souche » qui soit rejettent leur héritage, soit sous-estiment sa fragilité. Certains descendants d’immigrés parviennent – ce n’est pas toujours simple – à concilier cet héritage tout en s’arrimant solidement à la culture française, en cantonnant les rites spécifiques à la sphère privée et/ou en ayant une pratique communautaire disons discrète. L’évolution historique de l’islam – qui, par étape, a vu le triomphe d’un juridisme rigoriste – et l’échec des régimes « laïcs » dans le monde musulman m’incitent à penser que l’immense majorité des musulmans n’est pas prête à faire de telles concessions, et pas avant longtemps. En attendant donc, il aurait fallu s’en tenir au sage adage : « chacun chez soi, et les vaches seront bien gardées ». On ne l’a pas fait… Et on a eu Charlie, le Bataclan, Nice.

              [Et je peux concevoir que chez un maghrébin cela puisse être pareil.]
              Je le conçois aussi. Mais je conçois aussi la solution : retourner vivre au pays ou émigrer vers un état ouvertement communautariste. Si la vie en France est source d’angoisse identitaire pour les pauvres Maghrébins, mais aussi d’incompréhension, de tensions, de conflits de loyauté, alors autant mettre fin à une cohabitation qui ne peut que mal se passer. La France n’a pas vocation à régler les angoisses existentielles de ses anciens colonisés.

              [Mais on trouve quand même en Europe pas mal d’états qui seraient des « tribus » dans votre description. Les pays scandinaves, les états balkaniques…]
              Mais tout à fait. Le fonctionnement « communautariste » des pays germaniques et scandinaves, la politique de reconnaissance officielle des minorités dans les Balkans, n’est rien de moins qu’une forme de tribalisme moderne.

              [Cela étant dit, il serait peut-être intéressant de savoir comment les théologiens du haut moyen-âge ont interprété cet appel…]
              D’après ce que j’ai lu, jusqu’aux Croisades, celui qui porte des armes et qui tue est considéré comme impur par l’Église, quand bien même sa fonction revêt une forme de nécessité pour assurer l’ordre public et la défense du royaume. L’idée d’accorder une récompense d’ordre religieux à des combattants est une invention de la fin du XI° siècle, d’après le bouquin d’Alessandro Barbero que j’ai lu (Histoire des Croisades, 2010, Flammarion).

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [« Pourtant, vous avez une formation chrétienne. » Oui… Mais je vais vous faire une confidence : enfant, j’ai eu entre les mains un vieux manuel d’histoire sainte, eh bien mon chapitre préféré était celui consacré aux rois de Juda et d’Israël. Et je dois dire que l’impie Achab d’Israël et son épouse Jézabel me fascinaient bien davantage que les pieux Josaphat et Ezéchias de Juda.]

              C’est Disney je crois qui disait que pour faire un film réussi, il faut réussir le personnage du méchant. Dans toute la littérature, ce sont surtout les personnages du méchant qui marquent : Long John Silver dans « L’île au trésor » est bien plus intéressant que le docteur Livesey ou le squire Trelawney… et plus près de nous, c’est Dark Vador qui vole la vedette dans « la guerre des étoiles »…

              [Vous avez sans doute raison. Je me suis laissé dire cependant que les sacrifices humains n’étaient pas l’apanage des Aztèques dans la Mésoamérique précolombienne… Les Espagnols ont présenté les Aztèques comme particulièrement cruels, mais, si ma mémoire ne me trompe pas, Cortés a dû parfois refréner ses alliés locaux qui avaient eux aussi des velléités de sacrifier les prisonniers.]

              Tout à fait. Il serait intéressant de comprendre le pourquoi de cette différence. Les civilisations antiques de l’Europe ou du proche orient pratiquaient le sacrifice humain à des périodes très reculées – on en trouve des traces dans la littérature par exemple avec le sacrifice d’Iphigénie – mais toujours à petite échelle. On voit d’ailleurs dans beaucoup de cultures la substitution au sacrifice humain d’un sacrifice matériel (c’est l’interprétation symbolique de la substitution d’un agneau à Isaac dans le récit abrahamique). C’est Bataille je crois qui voyait dans les sacrifices de masse un moyen de contrer la croissance démographique dans les cultures où il n’y avait pas moyen d’employer l’excès de main d’œuvre…

              [« Le rigorisme religieux prêche l’abstinence et la sobriété, et tend donc à éloigner l’individu de son rôle de consommateur compulsif, ce rôle dans lequel le capitalisme cherche à l’enfermer.]
              La logique vous donnerait raison, et pourtant… Force est de constater qu’un certain nombre de sectes protestantes plus ou moins intégristes prospèrent aux États-Unis, pays du capitalisme triomphant. »]

              Sauf que, justement, ce type de secte n’est pas « rigoriste ». Les sectes évangéliques encouragent au contraire à la dépense : musique, chants, habillement. Les pasteurs de ces églises vivent souvent dans le luxe, et ce luxe est vu comme une preuve de la bienveillance divine, et non comme un excès. On est très loin de l’Abbé Pierre… Il ne faut pas confondre le rigorisme « sociétal » (condamnation de l’avortement, de l’homosexualité, de l’adultère) et le rigorisme « économique ». Les « vieilles » religions (judaïsme, catholicisme, islam, protestantisme classique) font de la sobriété, de la tempérance une vertu. Les « nouvelles » religions, nées justement à l’ombre du capitalisme, n’ont pas ces pudeurs.

              [Force est de constater qu’un certain nombre de musulmans – y compris en France – affichent une pratique rigoriste en même temps qu’une certaine prospérité (maisons confortables, grosses voitures allemandes, etc).

              Je ne le crois pas. Il y a des jeunes musulmans dans les quartiers qui conduisent des BMW et portent des grosses chaînes en or – achétées souvent avec l’argent des trafics. Mais ce ne sont pas eux qui sont les plus attirés par la pratique religieuse. D’ailleurs, dans les phénomènes de radicalisation l’un des premiers signes d’alerte est justement le rejet des biens de ce monde…

              [Je veux bien que chez les protestants l’enrichissement soit vu comme une forme d’élection divine qui « oblige » l’élu. Mais chez les musulmans ?]

              Chez les musulmans aussi il y a des formes de don ou de charité obligatoire pour ceux à qui Allah est censé avoir apporté la fortune. Mais il est clair que ce n’est pas aussi structuré que chez les protestants, religion dont la formation accompagne la construction du capitalisme moderne.

              [« Eh oui, c’est toute la difficulté de la chose. Notre problème n’est pas lié à l’action plus ou moins néfaste d’un dirigeant, aux intentions plus ou moins « conquérantes » de tel ou tel groupe, mais à une évolution économique qui les rendent possibles. » Je sais que tel n’est pas votre objectif, mais ne craignez-vous pas qu’une telle conclusion nourrisse un sentiment d’impuissance ? Parce que si c’est l’évolution économique qui est responsable de nos maux, personne n’y peut grand-chose. Je ne dis pas que vous avez tort, mais votre vision est profondément désespérante et peut pousser à la résignation.]

              Je suis tout à fait d’accord avec votre lecture. C’est pourquoi je me vois obligé de compenser ce « pessimisme de la raison » avec un « optimisme de la volonté » qui passe par l’optimisme méthodologique. Il faut savoir que nos marges d’action sont limitées. Mais il ne faut pas nécessairement le croire. Un de mes anciens patrons me disait qu’il faut savoir qu’on peut être viré le lendemain, et agir comme si on était en poste pour toujours. Cette schizophrénie est indispensable à tout militant rationnel. Sans elle, vous tombez soit dans l’excès de l’impuissance, soit dans celui de la toute-puissance.

              [« S’il y a chaque jour une plus grande standardisation des langues, des cultures, des pratiques, des goûts, c’est parce que dans le rapport de production capitaliste, cette standardisation conduit à une augmentation toujours plus grande des profits. » Comment concilier ce constat avec un développement exacerbé du communautarisme ?]

              Mais justement : ce besoin permanent de mettre en exergue ce que certains appellent les « petites différences » est une réaction provoquée par l’angoisse suscitée par la standardisation. Parce que vous noterez que ce « communautarisme » se développe sur des « petites différences ». On s’attache aux signes (le voile, la barbe, l’observation du Ramadan) mais aucune « communauté » ne s’insurge contre le marché « libre et non faussé », au contraire.

              Comme disait je crois Lacan, quand on se mobilise pour protéger quelque chose, c’est le signe que ce quelque chose a déjà disparu. La multiplication des « identités » et l’exacerbation des « differences » (pensés au sigle LGBTQ+, qui devient plus long chaque année…) est la réaction d’une civilisation qui voit ces différences disparaître…

              [« Même si Rome avait été gouvernée par des hommes plus clairvoyants, l’Empire serait tombé quand même, tout simplement parce que son modèle économique n’était plus soutenable. » Mais… Rome a survécu à l’est de la Méditerranée, dans l’empire que nous appelons « byzantin » mais qui s’est appelé « romain » jusqu’en 1453. Et à l’époque de Justinien, cet empire est relativement prospère, il est puissant et conquérant, il fait vivre le droit romain. Preuve qu’un état, une conception du pouvoir, du droit, une vision du monde peuvent survivre à des transformations économiques et même à des désastres militaires (les invasions arabo-musulmanes et slaves du VII° siècle).]

              Il fait vivre le droit romain… avec d’importantes modifications qui permettent justement un changement de modèle économique. L’esclavage, dans sa modalité antique, disparaît tout simplement parce que les esclaves deviennent rares. Par ailleurs, dans ses provinces orientales l’empire romain avait maintenu des formes de subordination collective qui s’apparentent à des structures féodales. Quant à dire que « la vision du monde » de l’empire d’orient du IIIème siècle était la même que celle du Xème siècle…

              [« La loi d’airain du capitalisme contraint autant le patron que l’ouvrier. » Donc on ne peut rien faire ?]

              Si. Mais on ne peut pas tout faire. On agit toujours dans un système de contraintes. Pour comprendre mon point de vue, pensez que j’ai été formé dans une gauche où la tentation du de la toute-puissance était très forte. Combien de militants communistes se sont laissé griser par les discours guévaristes du « tout est possible à condition de le vouloir ».

              [« Si vous voulez lutter contre l’immigration clandestine, il ne suffit pas de convaincre les gens qu’il faut défendre notre culture, il faut les convaincre de payer plus cher la main d’œuvre… » Alors c’est foutu. Personne ne prendra une direction contraire à ses intérêts.]

              Vous avez tout compris…

              [« Parce que, comme vous-même, ils ont une identité et ils ont peur de la perdre. » Le drame en ce bas monde, c’est que tout le monde a ses raisons…]

              Je vois que vous prenez vos références chez les meilleurs auteurs…

              [« Quand la France était forte et fière, elle pouvait sans risque assimiler d’autres cultures… » Quand la France était « forte et fière », c’étaient surtout les autres qui lui empruntaient des mots, des habitudes, une façon de concevoir le monde. Il y a bien sûr des échanges culturels, des influences, et ce depuis toujours. Il convient cependant de ne pas les exagérer : il est rare qu’une civilisation doive tout à des apports exogènes.]

              Je le dirais différemment. Quand la France était « forte et fière », elle incorporait des éléments d’autres cultures en les retravaillant. Quand Picasso s’inspire de l’art africain, le résultat n’est en rien « africain », et doit tout à Picasso. C’est toute la différence entre « s’inspirer » et « copier ». C’est quand on commence à reprendre chez les autres des choses brutes, sans les retravailler, qu’il faut s’inquiéter.

              [Maintenant, je ne peux que vous prier d’appliquer le sage conseil que vous me donnez : si vous devez « juger » les – nombreux – immigrés musulmans tentés par le choix du rigorisme et du séparatisme, quel verdict appelle leur comportement, d’après vous ?]

              Je pense n’avoir laissé aucune ambiguïté sur ma position : le combat contre le séparatisme devrait être une priorité. Pour moi, l’assimilation doit être une obligation, et non un choix.

              [« Et partant, que l’étranger assimilé peut apporter à son pays d’adoption une expérience qui est particulière. » C’est-à-dire ? Ce que vous dites là semble évident pour vous, j’avoue que pour moi c’est énigmatique. Qu’est-ce que les descendants assimilés d’Arméniens rescapés du génocide ou de Russes blancs nous ont apporté ? Je prends ces exemples car nous avons un siècle de recul.]

              Disons… Chagall et Aznavour ? Guédiguian et Finkielkraut ? Oui, je sais, il y a toujours des gens exceptionnels. Mais pour clarifier mon point : le processus de changement de culture, d’assimilation, sont des expériences vitales importantes. Ceux qui les ont vécues ont l’avantage d’avoir regardé leur pays d’accueil de l’extérieur avant de le regarder de l’intérieur. Cette expérience est, j’en suis convaincu, un apport intéressant pour n’importe quelle nation. Je le sais par expérience personnelle : dans beaucoup de situations en tant que professionnel ou de militant, j’ai pu apporter un point de vue qui n’est pas tout à fait celui d’un autochtone. Il ne s’agit pas de dire que les assimilés seraient « plus » ou « moins » que leurs concitoyens « de souche ». Ils sont différents, c’est tout.

              [Cela étant dit, vous me disiez précédemment que vous constatiez que la France glissait vers le modèle de société « à l’américaine ». Et maintenant vous m’affirmez votre inébranlable confiance dans un peuple incapable de préserver son modèle. J’ai un peu de mal à comprendre…]

              Je constate qu’aujourd’hui la France glisse vers ce modèle. Mais j’ai aussi confiance dans le fait que ce mouvement n’est ni irrésistible, ni irréversible. Vous pouvez parler d’optimisme méthodologique, si vous voulez…

              [Avec des « si »… Mais comment notre société pourrait avoir cette « volonté » puisque in fine elle est gouvernée par des intérêts liés à l’approfondissement du capitalisme ? Il faut être cohérent : la volonté de la société ne peut pas aller à l’encontre des intérêts matériels de ladite société, en particulier de ses classes dominantes. Donc c’est foutu.]

              Non, parce que le capitalisme n’est pas l’horizon indépassable de l’humanité. Aujourd’hui, les intérêts matériels des couches dominantes vont dans ce sens. Mais demain ?

              [Cela étant, je me pose une question : que s’est-il passé au Danemark ? Voilà un pays développé, comme la France, qui doit lui aussi être confronté à l’approfondissement du capitalisme. Et pourtant, depuis plusieurs années, les Danois ont drastiquement réduit l’immigration sur leur territoire, grâce à une sorte de RN local (« le parti du peuple danois » si je ne m’abuse) qui a fait pression sur les autres formations politiques. Est-ce que les Danois ont voté contre leurs intérêts matériels ? Qu’est-ce qui fait que les élites danoises ont rompu avec une vision naïve de l’immigration alors que les élites françaises en sont incapables ? Le Danemark est membre de l’UE et de l’espace Schengen, et pourtant ses dirigeants ont apparemment réussi à enrayer l’immigration de masse. Alors ? S’agit-il de la « marge de manœuvre » que vous évoquez ?]

              Je ne connais pas la structure économique ou l’histoire du Danemark assez profondément pour répondre à votre question. Si on observe les différents pays, on voit de grandes différences dans les politiques migratoires. Certains pays, du fait de leur passé colonial, semblent avoir construit leur imaginaire économique sur des réservoirs de main d’œuvre bon marché, et ont du mal à se sevrer alors que les coûts cachés de cette main d’œuvre bon marché montent en flèche. Les pays qui n’ont pas cet imaginaire ont l’air de pouvoir mettre en œuvre des politiques bien plus strictes.

              [Je vais vous livrer une autre anecdote : cet été, nous nous promenions en famille dans le quartier où habitent mes parents. Des voitures passent en klaxonnant : c’était un mariage (on était un samedi). Deux jeunes femmes voilées – qu’aucun de nous ne connaissait – avaient la moitié du corps sorti de la voiture et nous agitaient un drapeau algérien devant le nez. Franchement, ces gens sont-ils stupides au point de ne pas se rendre compte qu’ils insultent les natifs ? Vous m’avez dit de juger les immigrés sur « leur choix ». Eh bien, ces immigrés-là – et beaucoup d’autres qui se conduisent de la même façon – je les ai jugés… et condamnés. Sans appel. Et vous ?]

              Aussi. Je me tiens à cette devise qui était celle de mes parents, de mes grands-parents, de mes arrière grands parents, tous émigrants : quand on n’est pas chez soi, on ne se fait pas remarquer.

              [« Son argument, c’est que si on laisse de côté ces règles, ces interdits, alors on cessera d’être juifs, on deviendra comme tout le monde. » J’attire votre attention sur le fait que ce type d’argument peut très bien être utilisé pour résister à l’assimilation. Parce que s’assimiler, c’est un peu « devenir comme tout le monde »…]

              Exactement. Je vous raconte le raisonnement de mon collègue, mais je ne l’approuve pas – et j’ai eu avec lui des discussions homériques sur cette question. Bien sur, la pratique religieuse appartient au domaine privé, mais lorsqu’elle s’oppose à la sociabilité du pays d’accueil, oui, cela pose un problème.

              [L’évolution historique de l’islam – qui, par étape, a vu le triomphe d’un juridisme rigoriste – et l’échec des régimes « laïcs » dans le monde musulman m’incitent à penser que l’immense majorité des musulmans n’est pas prête à faire de telles concessions, et pas avant longtemps. En attendant donc, il aurait fallu s’en tenir au sage adage : « chacun chez soi, et les vaches seront bien gardées ». On ne l’a pas fait… Et on a eu Charlie, le Bataclan, Nice.]

              Je vous accorde le point, à une nuance près : si une majorité de musulmans dans le monde n’est pas prête à ces concessions, il ne reste pas moins qu’une majorité de musulmans français l’est. Car l’exhibition des voiles et des drapeaux algériens par une minorité – importante, certes, mais minorité quand même – ne doit cacher qu’il existe chez nous une large frange de musulmans parfaitement assimilés.

              [« Et je peux concevoir que chez un maghrébin cela puisse être pareil. » Je le conçois aussi. Mais je conçois aussi la solution : retourner vivre au pays ou émigrer vers un état ouvertement communautariste. Si la vie en France est source d’angoisse identitaire pour les pauvres Maghrébins, mais aussi d’incompréhension, de tensions, de conflits de loyauté, alors autant mettre fin à une cohabitation qui ne peut que mal se passer. La France n’a pas vocation à régler les angoisses existentielles de ses anciens colonisés.]

              Vous n’avez pas compris ma question : ce n’est pas « la vie en France » qui constitue une angoisse identitaire, mais la transformation du monde en général. L’approfondissement du capitalisme n’arrive pas que chez nous : cela arrive en terre d’Islam aussi. Et on peut voir à quel point les mouvements de retour vers un rigorisme censé être un antidote au capitalisme se développent en pays musulman, au point de devenir un danger pour des régimes relativement conservateurs.

            • @ Descartes,
               
              Je constate – et ce n’est pas la première fois – que le débat tend à atténuer quelque peu nos désaccords sur un certain nombre de points. Pourtant, je n’ai pas le sentiment que vous ou moi ayons changé nos positions. Il y a là un mystère que je ne m’explique pas mais je suis sûr que vous avez une explication!
               
              Je sais que je me répète, mais je tiens – une fois de plus – à vous remercier chaleureusement pour ses échanges, francs et cordiaux, qui, en ce qui me concerne, m’apportent beaucoup, outre le plaisir de dialoguer avec une personne cultivée et attentive aux arguments du contradicteur. 
               
              D’autres vous l’ont dit, mais je réitère leurs propos: continuez s’il vous plaît à alimenter ce blog, vous nous êtes précieux.

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [Je constate – et ce n’est pas la première fois – que le débat tend à atténuer quelque peu nos désaccords sur un certain nombre de points. Pourtant, je n’ai pas le sentiment que vous ou moi ayons changé nos positions. Il y a là un mystère que je ne m’explique pas mais je suis sûr que vous avez une explication !]

              Je peux vous en proposer une. Le débat civilisé ne rapproche pas nécessairement les points de vue, il n’atténue pas toujours les désaccords, mais il tend à les relativiser. Alors qu’au début de la discussion on tend à voir celui qui n’est pas d’accord avec nous comme un ennemi, au fil du débat on finit par le voir comme un interlocuteur valable. Et du coup, ses opinions deviennent admissibles, à défaut d’être d’accord avec elles. En caricaturant un peu, au début de nos échanges vous étiez pour moi un affreux facho prêt à envoyer les gens qui vous déplaisent en camp de concentration, et j’étais pour vous un affreux gauchiste prêt à sacrifier l’âme de la France. Au fil des échanges, on a une image plus humaine de l’autre, on comprend la genèse des on point de vue, y compris avec ses excès. Pour le dire autrement, on « humanise » l’autre.

              C’est pourquoi j’ai toujours défendu, dans ma vie militante, le besoin impérieux de créer les conditions d’un débat civilisé ouvert à toutes les opinions, y compris les plus extrêmes. Parce que je crois profondément qu’il y a un lien entre la paix civile et la capacité à engager ce débat. Pour moi, c’est là le signe qui permet de reconnaître les groupes et les personnes dangereuses : ce sont celles qui refusent ce débat. Parce que le refus du débat civilisé, c’est un refus de la civilisation elle-même, c’est le début de la guerre civile.

              [Je sais que je me répète, mais je tiens – une fois de plus – à vous remercier chaleureusement pour ses échanges, francs et cordiaux, qui, en ce qui me concerne, m’apportent beaucoup, outre le plaisir de dialoguer avec une personne cultivée et attentive aux arguments du contradicteur.]

              Croyez que j’ai autant de plaisir que vous à ces échanges. Et je ne désespère pas de pouvoir un jour discuter avec vous en présentiel !

              [D’autres vous l’ont dit, mais je réitère leurs propos: continuez s’il vous plaît à alimenter ce blog, vous nous êtes précieux.]

              Je ne sais pas si je mérite ces éloges, mais sachez qu’aussi longtemps que j’en tirerai une satisfaction de ces échanges, je continuerai !

            • @ Descartes,
               
              [En caricaturant un peu, au début de nos échanges vous étiez pour moi un affreux facho prêt à envoyer les gens qui vous déplaisent en camp de concentration, et j’étais pour vous un affreux gauchiste prêt à sacrifier l’âme de la France.]
              Puisque vous abordez la question, je vous dirais qu’aussi loin que ma mémoire remonte, je ne me souviens pas vous avoir jamais considéré comme un “affreux gauchiste”. Le fait que vous ayez placé en en-tête de votre site “blog de débat pour tous ceux qui sont fatigués du politiquement correct et de la bienpensance à gauche” plaidait en votre faveur. Je constate d’ailleurs que vous êtes resté fidèle à ce programme annoncé dès le commencement.
               
              Maintenant, je vais vous dire ce que je pense depuis longtemps: je vous tiens pour un communiste de tradition mais surtout un “patriote républicain” de coeur. Les patriotes républicains, de gauche (Chevènement) comme de droite (Séguin, Guaino, Dupont-Aignan avant qu’il se fourvoie sur les questions sanitaires), sont des gens avec qui je me suis longtemps senti beaucoup d’affinités (et j’en ai encore), des personnalités que j’ai souvent plaisir à écouter car elles sont souvent intelligentes et cultivées. A contrario, chez les “identitaires” pur jus, il y a beaucoup d’illuminés, de gens aux analyses simplistes confinant parfois au complotisme. De ce point de vue, et c’est pourquoi il a ma sympathie et mon soutien, Zemmour allie un positionnement identitaire “dur” avec une certaine culture, une certaine curiosité et une capacité à argumenter de manière rationnelle. Mais surtout, surtout, la mouvance identitaire s’exempte selon moi de toute réflexion sérieuse sur l’Etat (et ne parlons même pas d’économie), soit par paresse intellectuelle, soit par anti-étatisme primaire. Ce qui fait que je partage les angoisses des identitaires, mais sans comprendre les solutions qu’ils proposent.
               
              Quant aux patriotes républicains, je leur reproche pour le coup de faire le bon diagnostic mais de ne pas en tirer toutes les conclusions. Ils parlent de restaurer l’Etat et la souveraineté nationale, et je les applaudis. Mais en revanche, les questions d’identité les intéressent moins, quand ils ne les méprisent pas tout simplement en les renvoyant à l’extrême droite. C’est très net chez quelqu’un comme Chevènement: c’est un homme d’une très grande intelligence, qui a une bonne vision globale des problèmes (économiques, géopolitiques) mais qui sous-estime les problématiques d’ “insécurité culturelle”, au nom d’un universalisme que je qualifierais de naïf. Et c’est comme ça chez beaucoup de patriotes républicains: ils concèdent volontiers qu’il y a un problème d’immigration, un problème d’islamisme, mais enfin il ne faut pas non plus l’exagérer.
               
              Ces gens ne comprennent manifestement pas ce que ça fait de vivre dans un espace qui se “défrancise” progressivement, où l’on ne peut plus faire 50 mètres sans croiser une enfoulardée, d’envoyer ses enfants “de souche” dans une école où ils forment pour ainsi dire une minorité ethnique. Bref, les patriotes républicains, parce qu’ils se méfient des questions identitaires, peinent à appréhender l’angoisse des gens comme moi. Et parfois, il faut le dire, certains se laissent aller à l’anathème et à l’amalgame.
               
              [C’est pourquoi j’ai toujours défendu, dans ma vie militante, le besoin impérieux de créer les conditions d’un débat civilisé ouvert à toutes les opinions, y compris les plus extrêmes. Parce que je crois profondément qu’il y a un lien entre la paix civile et la capacité à engager ce débat. Pour moi, c’est là le signe qui permet de reconnaître les groupes et les personnes dangereuses : ce sont celles qui refusent ce débat. Parce que le refus du débat civilisé, c’est un refus de la civilisation elle-même, c’est le début de la guerre civile.]
              Je connais votre philosophie sur cette question. C’est celle d’un humaniste. Un vrai. 
               
              [Et je ne désespère pas de pouvoir un jour discuter avec vous en présentiel !]
              Si vos pas vous mènent un jour à Blois…

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [« En caricaturant un peu, au début de nos échanges vous étiez pour moi un affreux facho prêt à envoyer les gens qui vous déplaisent en camp de concentration, et j’étais pour vous un affreux gauchiste prêt à sacrifier l’âme de la France. » Puisque vous abordez la question, je vous dirais qu’aussi loin que ma mémoire remonte, je ne me souviens pas vous avoir jamais considéré comme un “affreux gauchiste”. Le fait que vous ayez placé en en-tête de votre site “blog de débat pour tous ceux qui sont fatigués du politiquement correct et de la bienpensance à gauche” plaidait en votre faveur. Je constate d’ailleurs que vous êtes resté fidèle à ce programme annoncé dès le commencement.]

              Vous oubliez qu’avant que vous n’interveniez dans ce blog, nous avons échangé sur d’autres forums ou le ton des échanges était bien moins cordial qu’ici. Je me souviens confusément de quelques prises de bec bien senties… il est vrai que sur ces forums il y avait bien plus gauchiste que moi, et que nous nous sommes vite retrouver à combattre des ennemis communs…

              [Maintenant, je vais vous dire ce que je pense depuis longtemps : je vous tiens pour un communiste de tradition mais surtout un “patriote républicain” de coeur.]

              C’est un grand compliment que vous me faites là. Mais être « communiste de tradition » conduit logiquement au « patriotisme républicain ». Il y a toujours eu dans le mouvement ouvrier une opposition entre la tradition anarcho-syndicaliste puis trotskyste d’un côté, et la tradition qu’on appelle un peu vite « stalinienne ». L’une nie la nation (« les prolétaires n’ont pas de patrie »), l’autre en a compris l’importance (« à celui qui n’a rien, la patrie est son seul bien »). Dans le mouvement ouvrier français, c’est la période 1936-45 qui marquera la rupture : d’un côté le PCF « stalinien » et l’association « du drapeau rouge et du drapeau tricolore », de l’autre les différents gauchismes. A partir de là, le « communisme de tradition » a toujours été « patriote ».

              [Ce qui fait que je partage les angoisses des identitaires, mais sans comprendre les solutions qu’ils proposent.]

              C’est un peu ce que j’avais compris au cours de nos discussions. Je dirais même que le mouvement « identitaire » n’a pas vraiment de « solution ». Parce qu’on ne peut appeler le rêve d’un retour en arrière impossible, ou d’une proposition qui ferait magiquement disparaître le problème une « solution ». Le plus difficile aujourd’hui, c’est de penser dans le cadre des contraintes du réel, ce qui revient à se résigner à des « solutions » qui sont toutes limitées, imparfaites, bancales.

              C’est d’ailleurs un peu vrai pour tous les combats politiques : on poursuit une utopie, une vision de la société parfaite, et on est forcément déçu lorsque la réalité s’en éloigne. Et elle s’en éloigne toujours, parce que les hommes sont ce qu’ils sont. Il faut relire le Sartre des « mains sales ». Mon père, vieux militant, disait après un voyage en URSS qu’il est toujours très dangereux de toucher le ciel avec les mains, et il avait raison.

              [Quant aux patriotes républicains, je leur reproche pour le coup de faire le bon diagnostic mais de ne pas en tirer toutes les conclusions. Ils parlent de restaurer l’Etat et la souveraineté nationale, et je les applaudis. Mais en revanche, les questions d’identité les intéressent moins, quand ils ne les méprisent pas tout simplement en les renvoyant à l’extrême droite. C’est très net chez quelqu’un comme Chevènement : c’est un homme d’une très grande intelligence, qui a une bonne vision globale des problèmes (économiques, géopolitiques) mais qui sous-estime les problématiques d’ “insécurité culturelle”, au nom d’un universalisme que je qualifierais de naïf.]

              Ca se discute. Il est clair que les « patriotes républicains » ne donnent pas à la question identitaire l’importance que vous leur donnez. Pour ceux qui viennent de la matrice matérialiste, comme Chevènement, c’est logique : la question identitaire est pour eux un symptôme d’une transformation profonde du système économique et géopolitique. Or, c’est la maladie qu’il faut traiter, et non le symptôme. Cela étant dit, s’ils donnent moins d’importance que vous à la question identitaire, ils ne l’ignorent pas. Souvenez-vous du Chevènement qui, lorsqu’il officiait rue de Grenelle, avait imposé l’apprentissage de « La Marseillaise » dans les écoles. C’est un geste symbolique, certes, mais qui avait provoqué un débat houleux dans la « gauche »…

              [Ces gens ne comprennent manifestement pas ce que ça fait de vivre dans un espace qui se “défrancise” progressivement, où l’on ne peut plus faire 50 mètres sans croiser une enfoulardée, d’envoyer ses enfants “de souche” dans une école où ils forment pour ainsi dire une minorité ethnique. Bref, les patriotes républicains, parce qu’ils se méfient des questions identitaires, peinent à appréhender l’angoisse des gens comme moi.]

              Sur ce point, je suis d’accord avec vous. Au risque de me répéter, je garde toujours comme boussole la formule de mon secrétaire de cellule du PCF : « il faut partir de ce que les gens ont dans la tête ». Les patriotes républicains à gauche ont oublié ce sage principe, et pendant des années ont ignoré ou diabolisé ces « angoisses ». Or, c’est toujours une grave erreur d’expliquer aux gens que le problème qui les préoccupe n’est pas « le véritable problème » – avec des formules du style « le véritable ennemi est le banquier, pas l’immigré ». Mais cela n’a pas toujours été ainsi : dans les années 1970, le PCF avait pris en compte ces « angoisses ». Cela lui avait valu d’être victime de la curée de toute la gauche bienpensante aux cris de « racisme » – pensez à l’affaire tristement célèbre dite du « bulldozer de Vitry », ou un maire communiste avait été trainé dans la boue pour s’être opposé à ce que sa commune devienne un ghetto.

              Si les patriotes républicains – surtout à gauche – hésitent sur les questions identitaires, c’est parce qu’ils savent quel est le prix que le « politiquement correct » peut vous faire payer dès lors que vous vous écartez de la vulgate. Mais ce faisant, ils ont laissé le terrain à l’extrême droite, voir aux « illuminés » auxquels vous faisiez référence. Car c’est l’incapacité des partis dits « républicains » de répondre à « ce que les gens ont dans la tête » qui a fait le succès de Le Pen est consorts. Et pas besoin d’être un grand sociologue pour imaginer ce que les couches populaires, qui sont celles qui vivent dans les environnements où l’enfoulardement est le plus perceptible, ont dans la tête.

              J’avais je crois évoqué dans ce forum la réponse de Pasqua à un collaborateur qui critiquait sa loi sur l’immigration en 1987 : « cette loi a intérêt à marcher, parce que sinon, la prochaine, c’est Le Pen qui la fera ». Pasqua, qui était un « patriote républicain » de la génération d’avant 1968, avait très bien compris ce qui se jouait, comme l’avaient compris Marchais ou Séguy, et ne s’estimaient pas liés par le « politiquement correct ».

              [Et parfois, il faut le dire, certains se laissent aller à l’anathème et à l’amalgame.]

              Sur la forme, oui, pour les raisons que j’ai expliquées avant. Dans le système politico-médiatique tel qu’il fonctionne aujourd’hui, l’amalgame avec l’extrême droite est fatale. Mais sur le fond, c’est beaucoup moins évident. Lorsque vous lisez les écrits d’un Chevènement, d’un Séguin, d’un Guaino, la condamnation de l’extrême droite occupe une place minime si tant est qu’elle soit mentionnée.

              [« Et je ne désespère pas de pouvoir un jour discuter avec vous en présentiel ! » Si vos pas vous mènent un jour à Blois…]

              Blois n’est pas si loin de Paris… et la vallée de la Loire est belle au printemps !

            • @ Descartes,

              [Vous oubliez qu’avant que vous n’interveniez dans ce blog, nous avons échangé sur d’autres forums ou le ton des échanges était bien moins cordial qu’ici. Je me souviens confusément de quelques prises de bec bien senties…]
              Êtes-vous sûr de ne pas me confondre avec quelqu’un d’autre ? Je ne sais pas à quel forum vous faites référence. Avant d’intervenir ici, je n’ai fréquenté que deux ou trois blogs plutôt confidentiels (dont un tenu par un patriote membre du PCF!) et je ne me souviens pas avoir échangé avec vous. Je me souviens m’être pris la tête avec un « royaliste socialiste » mais pas d’avoir croisé de purs gauchistes.
              Nous avons eu des échanges parfois (mais pas toujours) houleux, c’est vrai. Mais c’était ici.

              [il est vrai que sur ces forums il y avait bien plus gauchiste que moi, et que nous nous sommes vite retrouver à combattre des ennemis communs…]
              Je ne crois pas être intervenu sur des forums fréquentés par des gauchistes, et quand c’est arrivé, j’ai été censuré. Je me souviens avoir déposé quelques commentaires sur le blog d’Alexis Corbière, il y a bien des années, car il ne censurait pas mais je ne pense pas vous y avoir croisé. Pour le reste, j’ai surtout fréquenté des blogs très à droite sur lesquels vous n’avez sans doute jamais jeté ne serait-ce qu’un oeil…

              [Mais être « communiste de tradition » conduit logiquement au « patriotisme républicain ».]
              Ah bon ? Ce n’est pas tout à fait ce que disent Robert Hue, Marie-George Buffet, Pierre Laurent, Azzédine Taïbi, Patrick Le Hyaric, Ian Brossat… Apparemment il n’y a pas consensus sur l’endroit où mène la « tradition communiste ».

              [A partir de là, le « communisme de tradition » a toujours été « patriote ».]
              Jusque dans les années 90…

              [ce qui revient à se résigner à des « solutions » qui sont toutes limitées, imparfaites, bancales.]
              Certes. Mais une solution « imparfaite » ou « bancale » vaut toujours mieux que pas de solution du tout. Or aujourd’hui, il n’y a pas de solution en vue. Et il y a des compromis qui peuvent être acceptables et d’autres non.

              [Or, c’est la maladie qu’il faut traiter, et non le symptôme.]
              C’est très discutable : on peut fort bien essayer de traiter les deux. Lorsque je tousse et que le médecin me dit qu’il faut laisser le système immunitaire agir contre le virus, ça ne l’empêche pas de me prescrire un sirop qui calme la toux le soir, pour que je puisse dormir… Il y a les grands problèmes, et il y a le confort de vie au quotidien.

              [Souvenez-vous du Chevènement qui, lorsqu’il officiait rue de Grenelle, avait imposé l’apprentissage de « La Marseillaise » dans les écoles.]
              J’ai dit qu’il la sous-estimait, pas qu’il l’ignorait. Je me souviens de Chevènement déclarant : « bon, en Seine-Saint-Denis, il y a quarante nationalités, mais il en manque une [sous-entendu la nationalité française] ». Mais sur l’islam, je pense que Chevènement, malgré sa culture, malgré son amitié avec le grand arabisant Jacques Berque, se berce d’illusion. Il s’en tient à la version « officielle » : une petite minorité de « méchants islamistes » et une grosse majorité de « gentils modérés » qui rejettent fermement l’influence des premiers. Personnellement, la réalité me paraît très éloignée de cette vision simpliste et rassurante.

              [Si les patriotes républicains – surtout à gauche – hésitent sur les questions identitaires, c’est parce qu’ils savent quel est le prix que le « politiquement correct » peut vous faire payer dès lors que vous vous écartez de la vulgate.]
              Je vous l’accorde. On l’a vu en 2021 lorsque Arnaud Montebourg s’était laissé aller à proposer une mesure sévère pour lutter contre l’immigration clandestine.

              [Lorsque vous lisez les écrits d’un Chevènement, d’un Séguin, d’un Guaino, la condamnation de l’extrême droite occupe une place minime si tant est qu’elle soit mentionnée.]
              Guaino est de droite et a fidèlement soutenu Sarkozy qui a tenté de siphonner les voix du FN. Mais je me souviens d’une ancienne confrontation (dans les années 80) où Chevènement justement se trouvait face à Séguin et accusait avec véhémence le parti de ce dernier, le RPR, de « faire le jeu du Front National », « de banaliser le racisme » et de faire, précisément, une politique prenant en compte l’hostilité qui montait dans la population contre l’immigration (avec une réforme du Code de la nationalité)…
              Oui je sais, ça date, mais je suis comme vous : j’ai de la mémoire. Et en plus, je pardonne très difficilement.

              https://www.youtube.com/watch?v=4N4yjDO5HpI&t=786s

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [Je ne crois pas être intervenu sur des forums fréquentés par des gauchistes, et quand c’est arrivé, j’ai été censuré. Je me souviens avoir déposé quelques commentaires sur le blog d’Alexis Corbière, il y a bien des années, car il ne censurait pas mais je ne pense pas vous y avoir croisé.]

              Si, si. Je pense aussi vous avoir croisé sur le blog de Mélenchon, du temps où il n’avait pas encore la grosse tête et permettait de commenter ses oracles.

              [Pour le reste, j’ai surtout fréquenté des blogs très à droite sur lesquels vous n’avez sans doute jamais jeté ne serait-ce qu’un oeil…]

              Ne croyez pas ça… j’aime bien voir ce qui se dit de tous les côtés. Mais je prends très rarement la peine de commenter sur ce genre d’endroits. Quand le décalage des références est trop grand, cela ne sert à rien.

              [« Mais être « communiste de tradition » conduit logiquement au « patriotisme républicain ». » Ah bon ? Ce n’est pas tout à fait ce que disent Robert Hue, Marie-George Buffet, Pierre Laurent, Azzédine Taïbi, Patrick Le Hyaric, Ian Brossat… Apparemment il n’y a pas consensus sur l’endroit où mène la « tradition communiste ».]

              Bien sûr que si. Il ne vous aura pas échappé que Hue et ses successeurs ont tout fait pour marquer une rupture avec le « communisme de tradition ». La « mutation » impulsée par Hue fut la négation de ce communisme-là. Sur le plan symbolique, avec l’abandon des « outils », sur le plan de l’organisation, avec l’abolition du « centralisme démocratique » qui donna le pouvoir aux « notables », avec le recentrage sur le « sociétal » et l’abandon du « social ». Et sous ce régime, les « communistes de tradition » ont été carrément mis de côté. Pour reprendre la formule d’un « bébé Hue », « on ne fera pas le nouveau parti communiste avec les militants de l’ancien ».

              [« Souvenez-vous du Chevènement qui, lorsqu’il officiait rue de Grenelle, avait imposé l’apprentissage de « La Marseillaise » dans les écoles. » J’ai dit qu’il la sous-estimait, pas qu’il l’ignorait.]

              Nous sommes d’accord.

              [Mais sur l’islam, je pense que Chevènement, malgré sa culture, malgré son amitié avec le grand arabisant Jacques Berque, se berce d’illusion. Il s’en tient à la version « officielle » : une petite minorité de « méchants islamistes » et une grosse majorité de « gentils modérés » qui rejettent fermement l’influence des premiers. Personnellement, la réalité me paraît très éloignée de cette vision simpliste et rassurante.]

              Je ne pense pas que Chevènement soit aussi caricatural dans sa pensée. Je pense comme lui qu’il y a une majorité de musulmans français qui sont largement assimilés. Ils ne « rejettent fermement » rien du tout, ils sont simplement en dehors du débat. C’est dans l’ensemble des non-assimilés que le problème se pose. Et si parmi eux il y a une minorité de « méchants islamistes », il y a une majorité qui ne veut pas s’assimiler et qui ne le fera que si la société exerce une forte pression. Et c’est cette majorité qui, sans être islamiste, écoute avec sympathie des discours communautaires.

              [« Si les patriotes républicains – surtout à gauche – hésitent sur les questions identitaires, c’est parce qu’ils savent quel est le prix que le « politiquement correct » peut vous faire payer dès lors que vous vous écartez de la vulgate. » Je vous l’accorde. On l’a vu en 2021 lorsque Arnaud Montebourg s’était laissé aller à proposer une mesure sévère pour lutter contre l’immigration clandestine.]

              C’est à cette aune qu’il faut juger le courage d’un Chevènement lorsqu’il dit certaines vérités…

              [Mais je me souviens d’une ancienne confrontation (dans les années 80) où Chevènement justement se trouvait face à Séguin et accusait avec véhémence le parti de ce dernier, le RPR, de « faire le jeu du Front National », « de banaliser le racisme » et de faire, précisément, une politique prenant en compte l’hostilité qui montait dans la population contre l’immigration (avec une réforme du Code de la nationalité)…]

              Je m’en souviens aussi – et l’anecdote que j’avais racontée sur Pasqua date de cette époque. Mais il faut resituer ce débat dans son cadre. Celui de la tactique diabolique de Mitterrand de faire mousser le FN pour mettre la droite en difficulté. Tactique qui avait obligé la droite à se déporter très loin vers l’extrême droite (et on parle de l’extrême droite des années 1980, celle de JMLP, faite de nostalgiques de Vichy, d’anciens de l’OAS et d’intégristes ultramontains), de faire des accords électoraux avec le FN et d’épouser dans sa communication des thèmes qui méritaient largement l’accusation de « banaliser le racisme ». Chirac avait d’ailleurs tiré les leçons de cet échec : le reste de sa vie politique il a fait tout son possible pour que jamais on ne puisse l’associer au FN.

              Dans l’entretien que vous citez, Séguin est d’ailleurs très bon lorsqu’il dénonce la stratégie de Mitterrand, et Chèvenement se trouve en difficulté avec une défense purement tactique… en tout cas, merci de l’avoir retrouvé. On a envie de pleurer en pensant à la qualité des débats de l’époque, à la capacité des hommes politiques de tenir des discours construits, nuancés, sans se sauter à la gorge en permanence… la réponse à la dernière question et presque magique: à la question du journaliste de savoir si Chèvenement et Séguin pourraient travailler ensemble dans un même gouvernement, Séguin répond “quel serait le premier ministre qui aurait cette idée là ?”. De la grâce pure…

            • @ Descartes,

              [Je pense aussi vous avoir croisé sur le blog de Mélenchon, du temps où il n’avait pas encore la grosse tête et permettait de commenter ses oracles.]
              Je ne suis jamais intervenu dans les débats sur le blog de Mélenchon… Blog que j’ai consulté quelquefois parce que vous-même y faisiez référence. Quant au blog de Corbière, j’ai dû y mettre quatre commentaires à tout casser, qui n’ont jamais entraîné de débats homériques. Peut-être est-ce sur le blog d’Edgar que nous avons eu des mots ?

              [Il ne vous aura pas échappé que Hue et ses successeurs ont tout fait pour marquer une rupture avec le « communisme de tradition ».]
              Vous êtes un intégriste, mon cher. Ils ont « réinterprété la tradition à l’aune des transformations de la société pos-Guerre froide », voilà tout. Vous savez, Robert Hue a fait subir au PCF une sorte de « Vatican II ». Seriez-vous un lefebvriste du communisme ?
               
               
              [Sur le plan symbolique, avec l’abandon des « outils », sur le plan de l’organisation, avec l’abolition du « centralisme démocratique » qui donna le pouvoir aux « notables », avec le recentrage sur le « sociétal » et l’abandon du « social ». Et sous ce régime, les « communistes de tradition » ont été carrément mis de côté.]
              Vous voulez dire qu’on vous a forcé à abandonner le drapeau rouge comme d’autres ont dû quitter la soutane ? Qu’on vous a sommé de laisser tomber la rhétorique matérialiste de la lutte des classes comme d’autres ont dû renoncer à la messe en latin ?

              [Je pense comme lui qu’il y a une majorité de musulmans français qui sont largement assimilés.]
              Je ne veux pas vous contredire mais je me demande en toute honnêteté comment vous parvenez à une telle conclusion. Pouvez-vous citer une étude récente (disons moins de 10 ans) qui fasse autorité sur la question ? Chevènement et vous-même « pensez » cela parce que vous avez des preuves solides, ou bien parce que c’est rassurant ? Je me permets de vous signaler que vous avez plusieurs fois évoqué sur ce blog, dans de nombreux débats, la puissance de « l’envie de croire ». Alors je me demande : êtes-vous sûr dans cette affaire d’être parfaitement immunisé contre l’« envie de croire » ?

              [Ils ne « rejettent fermement » rien du tout, ils sont simplement en dehors du débat.]
              Je vois mal comment un musulman pourrait être indifférent à la question de l’islamisme et de son influence. Franchement, je ne suis pas très pratiquant, mais si demain des catholiques intégristes mitraillaient des gens sur les terrasses des bistrots ou dans des salles de concert en se réclamant de Jésus, en tant que catholique, je me sentirais un peu concerné, tout de même. Et si des catholiques intégristes massacraient la rédaction de Libération ou de Mediapart, j’irais manifester mon désaccord avec de telles méthodes.
              Vous mettez précisément le point sur ce qui m’insupporte chez les musulmans : ce que font leurs intégristes ne les concerne jamais, ils répètent à l’envie « ce n’est pas ça l’islam » ou bien « ce sont des fous ». Mieux, ils nous expliquent que ce sont eux les victimes des méchants islamistes. Eh bien, désolé, mais l’islam c’est aussi cela, et le prophète, que je sache, ne s’est pas laissé crucifier par les Mecquois polythéistes, il a pris le maquis avant d’organiser une reconquête militaire en bonne et due forme de sa ville natale. Il ne s’est pas contenté de dire « je n’amène pas la paix mais l’épée », il a pris une épée et il a coupé des têtes…

              [On a envie de pleurer en pensant à la qualité des débats de l’époque, à la capacité des hommes politiques de tenir des discours construits, nuancés, sans se sauter à la gorge en permanence…]
              Oui. Il faut revoir les interventions de Séguin, son débat avec Mitterrand au moment de Maastricht (même le vieux renard semble avoir un peu de respect pour Séguin), et plus encore son discours à l’Assemblée nationale contre le traité. Dans la forme, une langue impeccable, et sur le fond, désespérément prophétique…

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [Je ne suis jamais intervenu dans les débats sur le blog de Mélenchon… Blog que j’ai consulté quelquefois parce que vous-même y faisiez référence. Quant au blog de Corbière, j’ai dû y mettre quatre commentaires à tout casser, qui n’ont jamais entraîné de débats homériques. Peut-être est-ce sur le blog d’Edgar que nous avons eu des mots ?]

              Je consultais le blog d’Edgar – à propos, qu’est-il devenu ? – mais j’y intervenais très peu. On ne peut quand même pas dire que ce fut un « blog gauchiste », tout de même… quant au blog de Mélenchon, je suis sûr de vous avoir vu intervenir, peut-être ma mémoire me joue des tours ?

              [« Il ne vous aura pas échappé que Hue et ses successeurs ont tout fait pour marquer une rupture avec le « communisme de tradition ». » Vous êtes un intégriste, mon cher. Ils ont « réinterprété la tradition à l’aune des transformations de la société pos-Guerre froide », voilà tout. Vous savez, Robert Hue a fait subir au PCF une sorte de « Vatican II ».]

              Pas du tout. La « réinterprétation de la tradition » aurait conduit à une continuité. Ce n’est pas ce que les partisans de la « mutation » voulaient, et de ce point de vue Robert Hue et son équipe ont été très clairs : il fallait éliminer tout ce qui pouvait rappeler « l’ancien ». D’ù la « querelle des outils », avec la suppression de la faucille et du marteau dans tous les emblèmes du PCF. Vous imaginez ce qui se serait passé si le concile Vatican II avait décidé de supprimer la croix comme emblème catholique ?

              Je ne suis pas un « intégriste » au sens que je ne souhaite pas – et je ne crois pas possible – la conservation ou le retour vers le PCF de la guerre froide. Qu’on l’aime ou pas, on ne dira plus la messe en russe. J’accepte la nécessité d’une évolution, d’une adaptation à un monde qui change. Mon désaccord avec Hue et les siens portait sur la nature de ce changement : pour eux, il fallait changer d’électorat, aller vers les classes intermédiaires, parce que c’est là que se trouve le pouvoir. D’une certaine façon, Hue & Co. ont mis en œuvre avant l’heure les choix préconisés par Terra Nova dans un rapport resté célèbre. Pour moi, le PCF n’a de sens que s’il reste le porte-parole des couches populaires, même si cela doit lui valoir un éloignement durable du pouvoir. Sociologiquement, Hue & Co voulaient faire du PCF un nouveau parti gauchiste, moi je voyais plutôt un placement proche de celui du RN aujourd’hui.

              [« Sur le plan symbolique, avec l’abandon des « outils », sur le plan de l’organisation, avec l’abolition du « centralisme démocratique » qui donna le pouvoir aux « notables », avec le recentrage sur le « sociétal » et l’abandon du « social ». Et sous ce régime, les « communistes de tradition » ont été carrément mis de côté. » Vous voulez dire qu’on vous a forcé à abandonner le drapeau rouge comme d’autres ont dû quitter la soutane ?]

              Non, qu’on m’a forcé à abandonner le drapeau rouge comme d’autres n’ont pas été obligés à abandonner la croix…

              [Qu’on vous a sommé de laisser tomber la rhétorique matérialiste de la lutte des classes comme d’autres ont dû renoncer à la messe en latin ?]

              L’analogie ici montre la différence entre les deux situations. Ce n’est pas la « rhétorique » matérialiste qui a été abandonnée, mais la « pensée » matérialiste tout court. Autrement dit, il ne s’agit pas d’une question de forme, mais d’une question de fond. C’est pour cela que l’analogie avec Vatican II ne marche pas : Vatican II n’a pas proclamé les évangiles obsolètes. Le 28ème congrès du PCF, si.

              [« Je pense comme lui qu’il y a une majorité de musulmans français qui sont largement assimilés. »
              Je ne veux pas vous contredire mais je me demande en toute honnêteté comment vous parvenez à une telle conclusion. Pouvez-vous citer une étude récente (disons moins de 10 ans) qui fasse autorité sur la question ?]

              Une telle étude est très difficile à faire. Comment mesurez-vous le degré d’assimilation ? Quels sont les indicateurs à utiliser ? La mesure précise de l’assimilation suppose de définir précisément ce qu’on considère un « assimilé », et la chose est assez complexe étant donné qu’il existe beaucoup de formes d’assimilation. Ma conclusion ne traduit donc pas un fait statistique, mais une observation personnelle. J’ai travaillé dans beaucoup d’endroits en France, et dans beaucoup de milieux (dans l’industrie, dans l’administration, dans l’enseignement). Même s’il y a des différences, je ne peux que constater que l’immense majorité des personnes d’origine musulmane que j’ai rencontrées partageaient largement la sociabilité de leurs collègues « de souche ». Bien sûr, cette vision vaut ce qu’elle vaut. Elle contient au moins un bais : il s’agit de milieux ou l’emploi est stable, et l’emploi stable tend à avoir un effet assimilateur en lui-même. C’est probablement très différent dans les milieux d’emploi précaire où les réseaux communautaires sont plus présents.

              [Chevènement et vous-même « pensez » cela parce que vous avez des preuves solides, ou bien parce que c’est rassurant ? Je me permets de vous signaler que vous avez plusieurs fois évoqué sur ce blog, dans de nombreux débats, la puissance de « l’envie de croire ». Alors je me demande : êtes-vous sûr dans cette affaire d’être parfaitement immunisé contre l’« envie de croire » ?]

              On ne peut jamais être sûr, bien entendu. J’accepte votre critique.

              [« Ils ne « rejettent fermement » rien du tout, ils sont simplement en dehors du débat. » Je vois mal comment un musulman pourrait être indifférent à la question de l’islamisme et de son influence.]

              Vous savez, il y a beaucoup de gens qui ne se posent pas de questions. Pour eux, l’islam est d’abord un rituel familial, un ensemble de règles apprises durant l’enfance et qu’on observe plus par tradition et pour faire plaisir aux parents que par véritable croyance.

              [Franchement, je ne suis pas très pratiquant, mais si demain des catholiques intégristes mitraillaient des gens sur les terrasses des bistrots ou dans des salles de concert en se réclamant de Jésus, en tant que catholique, je me sentirais un peu concerné, tout de même.]

              Quand les intégristes catholiques ont incendié des cinémas pour empêcher la projection de « la dernière tentation du christ », vous êtes-vous « senti concerné » ? J’en doute.

              [Et si des catholiques intégristes massacraient la rédaction de Libération ou de Mediapart, j’irais manifester mon désaccord avec de telles méthodes.]

              Je connais pas mal de musulmans qui ont participé à la manifestation monstre qui a suivi le massacre de Charlie Hebdo. Et je connais aussi des intégristes catholiques qui tiennent l’incendie du cinéma Saint-Michel pour un haut fait d’armes.

              [Vous mettez précisément le point sur ce qui m’insupporte chez les musulmans : ce que font leurs intégristes ne les concerne jamais, ils répètent à l’envie « ce n’est pas ça l’islam » ou bien « ce sont des fous ».]

              Je ne me souviens pas, là encore, que « les chrétiens » se soient beaucoup émus des exploits des incendiaires du Saint-Michel. On a même entendu des représentants du clergé « officiel » insinuer, dans leur style inimitable, que les propriétaires du cinéma « l’avaient bien cherché ». Je pense que vous voyez la paille dans l’œil des musulmans… si vous me permettez une métaphore biblique. En fait, toutes les institutions maintiennent une savante ambigüité lorsqu’il s’agit de qualifier les exploits de ses intégristes…

              [Eh bien, désolé, mais l’islam c’est aussi cela, et le prophète, que je sache, ne s’est pas laissé crucifier par les Mecquois polythéistes, il a pris le maquis avant d’organiser une reconquête militaire en bonne et due forme de sa ville natale. Il ne s’est pas contenté de dire « je n’amène pas la paix mais l’épée », il a pris une épée et il a coupé des têtes…]

              Si Jésus et ses disciples ont dû se contenter de le dire, c’est aussi parce qu’il leur fallait compter avec l’Empire romain, qui n’avait aucune intention de se laisser déposséder de son « monopole de la force légitime ». Mais dès qu’ils ont eu l’épée entre les mains, les chrétiens ont coupé des têtes aussi joyeusement que Mahomet le fit quelques siècles plus tard…

              [Oui. Il faut revoir les interventions de Séguin, son débat avec Mitterrand au moment de Maastricht (même le vieux renard semble avoir un peu de respect pour Séguin), et plus encore son discours à l’Assemblée nationale contre le traité. Dans la forme, une langue impeccable, et sur le fond, désespérément prophétique…]

              Tout à fait. Il aura manqué à Séguin comme à Chevènement le genre d’urgence qui a permis à De Gaulle de sortir de l’anonymat. Tous les deux étaient prêts à répondre à un appel qui n’est pas venu… Il faut dire quand même qu’ils avaient tous deux un défaut: ils se cherchaient un père. Pour Séguin, ce fut Chirac, pour Chevènement, ce fut Mitterrand…

            • @ Descartes,

              [Je consultais le blog d’Edgar – à propos, qu’est-il devenu ? – mais j’y intervenais très peu.]
              Je l’ignore, son blog n’est plus alimenté depuis plusieurs années. Sans doute est-il passé à autre chose…

              [On ne peut quand même pas dire que ce fut un « blog gauchiste », tout de même…]
              Certainement, Edgar était à l’UPR. Un souverainiste de gauche si je me souviens bien. Mais je vous le répète : je n’ai jamais fréquenté de « blog gauchiste ». Me faire traiter de nazillon ne m’a jamais attiré, même si parfois je ne dédaigne pas l’usage de la provocation, comme vous le savez.

              [quant au blog de Mélenchon, je suis sûr de vous avoir vu intervenir, peut-être ma mémoire me joue des tours ?]
              Je crains que ce soit le cas…

              Je ne reviens pas sur la distinction que vous opérez entre Vatican II et la « mutation » huiste (huesque?), vos remarques sont convaincantes.

              [Comment mesurez-vous le degré d’assimilation ? Quels sont les indicateurs à utiliser ?]
              Excellentes questions. N’y voyez aucune malice, mais quelles réponses proposeriez-vous ?

              [et la chose est assez complexe étant donné qu’il existe beaucoup de formes d’assimilation.]
              Pouvez-vous préciser ce point ?

              [Quand les intégristes catholiques ont incendié des cinémas pour empêcher la projection de « la dernière tentation du christ », vous êtes-vous « senti concerné » ? J’en doute.]
              Ne soyez pas injuste : je n’avais pas sept ans à l’époque ! Mais si ça se produisait aujourd’hui, je condamnerais sans appel. Et je pourrais participer à une manifestation.

              Vous savez, la position de quelqu’un comme moi est au fond assez inconfortable : comment en effet faire vivre la tradition catholique, lui conserver une certaine place dans notre société, dans notre civilisation, sans tomber dans un cléricalisme rétrograde ? Cette question n’a pas de réponse simple, dans un pays où l’État républicain laïque s’est construit dans la confrontation avec l’Église (dont les instances dirigeantes ont fait le choix du conflit, je vous le concède) et où le réflexe anticlérical reste très puissant. Or, dans une certaine gauche, cet anticléricalisme est largement sorti des limites de la lutte politique contre l’institution pour dévier vers un « kulturkampf » anticatholique, voire antireligieux de manière générale. Et je n’ai pas peur de parler de « haine anticatholique » dans certains cas.

              D’un autre côté, j’ai bien conscience qu’une partie du clergé et des fidèles espère profiter des « accommodements raisonnables » avec l’islam, de la peur que ce dernier instaure, pour faire reculer la laïcité, le droit à la caricature, au blasphème. Même si la laïcité, dans son application actuelle, n’emporte pas mon adhésion, je ne pense pas que se mettre à la remorque des salafistes soit une bonne idée, et je l’ai dit. Le problème est que la chape de plomb que l’islam fait peser entraîne une limitation des provocations et des injures au seul catholicisme, une religion qui ne fait pas peur à la gauche (puisque c’est la religion des « fachos »). Que les dessinateurs de Charlie représentent les membres de la Trinité en train de se tringler, ça ne me gêne pas plus que ça… A condition que Mahomet soit représenté dans la même position humiliante. C’est soit tout le monde, soit personne. Le « deux poids, deux mesures » m’insupporte.

              [Je connais pas mal de musulmans qui ont participé à la manifestation monstre qui a suivi le massacre de Charlie Hebdo.]
              Je n’ai pas eu le même ressenti. Eh oui : j’ai « compté » les gens de type maghrébins à la manif. Gens qui représentent une très forte communauté dans ma ville. Pour l’essentiel, ils n’étaient pas là… Et les discussions que j’ai pu avoir avec des élèves musulmans « modérés » m’ont fait comprendre pourquoi : tuer des gens, ce n’est certes pas bien, mais « ils » l’avaient bien cherché, et dessiner le prophète, « ça ne se fait pas ». Autrement dit, la liberté c’est cool, mais pas touche au prophète de l’islam. Et la plupart des musulmans, qu’ils le disent ouvertement ou pas, me semblent être sur cette ligne.

              [Si Jésus et ses disciples ont dû se contenter de le dire, c’est aussi parce qu’il leur fallait compter avec l’Empire romain, qui n’avait aucune intention de se laisser déposséder de son « monopole de la force légitime ».]
              Mais le discours de Jésus aurait-il eu un sens sans ce contexte de domination romaine ? C’est là, je pense, un des apports fondamentaux du christianisme : la foi peut être distincte du pouvoir, en respectant ce dernier (« rendez à César ce qui est à César »). Et d’un autre côté, Jésus critique très durement les pharisiens attachés à un respect pointilleux des rites, à la lettre plus qu’à l’esprit. De ce point de vue, les musulmans sont les pharisiens des temps modernes, avec la tartufferie qui va avec.

              [Mais dès qu’ils ont eu l’épée entre les mains, les chrétiens ont coupé des têtes aussi joyeusement que Mahomet le fit quelques siècles plus tard…]
              Ne soyons pas trop systématique : le christianisme s’est aussi diffusé par la parole, par l’exemple. L’évangélisation ne se résume pas à des massacres et à des conversions forcées, même s’ils ont existé.

              [Il faut dire quand même qu’ils avaient tous deux un défaut: ils se cherchaient un père. Pour Séguin, ce fut Chirac, pour Chevènement, ce fut Mitterrand…]
              Pour Séguin, je ne sais pas. Pour Chevènement, je suis plus réservé : certes, il était allié à Mitterrand et l’a soutenu, mais on voit bien qu’il s’est opposé au tournant « ultra-atlantiste » et européiste du début des années 90, en démissionnant de son poste de ministre lors de la Guerre du Golfe, en faisant campagne contre Maastricht, puis en quittant le PS pour fonder le Mouvement des Citoyens (devenu depuis Mouvement Républicain Citoyen). Séguin, lui, est retourné à la haute fonction publique.

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [Je ne reviens pas sur la distinction que vous opérez entre Vatican II et la « mutation » huiste (huesque?), vos remarques sont convaincantes.]

              Je préfère « huesque », parce que cela permet le jeu de mots « UbHuesque ». Que voulez-vous, on a les satisfactions qu’on peut.

              [« Comment mesurez-vous le degré d’assimilation ? Quels sont les indicateurs à utiliser ? » Excellentes questions. N’y voyez aucune malice, mais quelles réponses proposeriez-vous ?]
              [« et la chose est assez complexe étant donné qu’il existe beaucoup de formes d’assimilation. » Pouvez-vous préciser ce point ?]

              Les deux questions sont liées. La difficulté, c’est qu’il y a plusieurs formes d’assimilation, qui tiennent à des spécificités culturelles mais aussi à des questions pratiques. Pour vous donner un exemple : est-ce que l’utilisation du français plutôt que de la langue d’origine dans la famille est un signe d’assimilation ? Cela dépend beaucoup de l’âge d’arrivée et de la famille. Ainsi, pour ne prendre que mon cas personnel, mes parents sont arrivés en France à un âge où il est difficile de dominer complètement une nouvelle langue. Pour cette raison, on a décidé collectivement qu’il serait difficile de parler français à la maison… et jusqu’au jour d’aujourd’hui on parle notre langue maternelle chez mes parents. Est-ce là un signe d’une « mauvaise assimilation » ? Je ne le crois pas, c’est juste une concession faite à une réalité. Cela ne m’empêche pas de parler français dans mon propre foyer, ou dans mes rapports amicaux.

              Je pense que les indicateurs les plus intéressants seraient ceux qui tiennent à la sociabilité. Est-ce que la personne née étrangère participe à la vie des institutions, est-ce qu’elle fréquente en majorité des gens en dehors de sa communauté ? Je vous dis cela parce que dans ma propre communauté, la grande cassure entre ceux qui prônaient l’assimilation et ceux qui rêvaient du retour au pays passait par ces questions. Et que, dans la pratique, ceux qui ont choisi de s’investir dans les institutions françaises et fréquenter des français se sont assimilés, alors que les autres vivent toujours en communauté…

              [« Quand les intégristes catholiques ont incendié des cinémas pour empêcher la projection de « la dernière tentation du christ », vous êtes-vous « senti concerné » ? J’en doute. » Ne soyez pas injuste : je n’avais pas sept ans à l’époque ! Mais si ça se produisait aujourd’hui, je condamnerais sans appel. Et je pourrais participer à une manifestation.]

              Les faits de violence des intégristes catholiques EN FRANCE sont relativement rares, et on ne peut que s’en réjouir. Vous n’auriez pas eu, dans votre vie d’adulte, beaucoup d’opportunités de vous poser ces questions. Mais dans le monde, ces actes ne sont pas si rares que cela. Je ne me souviens pas vous avoir entendu les évoquer…

              [Vous savez, la position de quelqu’un comme moi est au fond assez inconfortable : comment en effet faire vivre la tradition catholique, lui conserver une certaine place dans notre société, dans notre civilisation, sans tomber dans un cléricalisme rétrograde ? Cette question n’a pas de réponse simple, dans un pays où l’État républicain laïque s’est construit dans la confrontation avec l’Église (dont les instances dirigeantes ont fait le choix du conflit, je vous le concède) et où le réflexe anticlérical reste très puissant. Or, dans une certaine gauche, cet anticléricalisme est largement sorti des limites de la lutte politique contre l’institution pour dévier vers un « kulturkampf » anticatholique, voire antireligieux de manière générale. Et je n’ai pas peur de parler de « haine anticatholique » dans certains cas.]

              Je ne vous contredirais sur ce point. Je suis moi-même anticlérical en ce que je m’oppose à toute immixtion des institutions religieuses dans la sphère publique. Mais on peut être anticlérical sans être bêtement anticlérical. Je me suis toujours opposé aux combats idiots, pour faire décrocher tel ou tel tableau d’un bâtiment public, d’empêcher les maires de financer le sapin ou la crèche de noël.

              Je pense que « faire vivre la culture catholique », c’est d’abord mettre en exergue et faire connaître l’apport de cette culture à ce que nous sommes. Donner aux jeunes les clés de lecture de l’art religieux (je me souviens avoir accompagné un groupe de jeunes énarques dans une visite de musée, et avoir dû leur expliquer pourquoi dans les tableaux religieux les saints sont représentés avec des objets qui semblent incongrus (un grill pour Saint Laurent, une roue pour Sainte Catherine). Expliquer les grands textes et leur influence sur notre imaginaire…

              [D’un autre côté, j’ai bien conscience qu’une partie du clergé et des fidèles espère profiter des « accommodements raisonnables » avec l’islam, de la peur que ce dernier instaure, pour faire reculer la laïcité, le droit à la caricature, au blasphème.]

              Tout à fait. Je dois quand même dire que depuis les attentats, une partie de cette frange catholique a réalisé combien cette politique pouvait être dangereuse.

              [Même si la laïcité, dans son application actuelle, n’emporte pas mon adhésion, je ne pense pas que se mettre à la remorque des salafistes soit une bonne idée, et je l’ai dit.]

              Je n’en ai jamais douté. Mais je m’arrête un moment sur votre première proposition. En quoi la laïcité « dans son application actuelle » vous gêne ? Je suis d’accord avec vous qu’il existe une frange gauchiste qui fait une interprétation excessive de la laïcité. Mais « dans son application », les autorités publiques sont en général plutôt raisonnables, et la jurisprudence du Conseil d’Etat est assez modérée.

              [Que les dessinateurs de Charlie représentent les membres de la Trinité en train de se tringler, ça ne me gêne pas plus que ça… A condition que Mahomet soit représenté dans la même position humiliante. C’est soit tout le monde, soit personne. Le « deux poids, deux mesures » m’insupporte.]

              Vous pouvez difficilement dans le cas d’espèce parler de « deux poids deux mesures ». Charlie a représenté Mahomet dans la même position… et l’a payé fort cher ! Je dois dire personnellement que, tout anticlérical que je suis, je ne vois pas vraiment l’intérêt de caricaturer la sainte trinité. Cela avait un sens quand la trinité avait un pouvoir symbolique qu’il fallait abattre. Mais aujourd’hui, la bataille est gagnée : l’idéologie trinitaire ne représente plus un enjeu. A la rigueur, qu’on caricature les curés qui tringlent les petits enfants, cela a encore un sens parce que l’Eglise est encore un pouvoir dans le domaine éducatif. Mais s’attaquer à la trinité ?

              [« Je connais pas mal de musulmans qui ont participé à la manifestation monstre qui a suivi le massacre de Charlie Hebdo. » Je n’ai pas eu le même ressenti. Eh oui : j’ai « compté » les gens de type maghrébins à la manif. Gens qui représentent une très forte communauté dans ma ville. Pour l’essentiel, ils n’étaient pas là… Et les discussions que j’ai pu avoir avec des élèves musulmans « modérés » m’ont fait comprendre pourquoi : tuer des gens, ce n’est certes pas bien, mais « ils » l’avaient bien cherché, et dessiner le prophète, « ça ne se fait pas ». Autrement dit, la liberté c’est cool, mais pas touche au prophète de l’islam. Et la plupart des musulmans, qu’ils le disent ouvertement ou pas, me semblent être sur cette ligne.]

              J’étais à Paris, et mon ressenti est différent. Il y a aussi un effet d’optique : les musulmans « assimilés » ont manifesté en solidarité avec Charlie sont ceux que vous aurez le plus de mal à individualiser, parce que ce sont justement ceux qui ne vivent pas dans la « communauté », qui évitent le « look de téci », qui s’efforcent de parler sans accent. Souvent, vous ne les remarquez même pas.

              [« Si Jésus et ses disciples ont dû se contenter de le dire, c’est aussi parce qu’il leur fallait compter avec l’Empire romain, qui n’avait aucune intention de se laisser déposséder de son « monopole de la force légitime ». » Mais le discours de Jésus aurait-il eu un sens sans ce contexte de domination romaine ? C’est là, je pense, un des apports fondamentaux du christianisme : la foi peut être distincte du pouvoir, en respectant ce dernier (« rendez à César ce qui est à César »).]

              Vous savez que je partage cette analyse. Le cadre idéologique des grands monothéismes est étroitement lié au contexte de leur naissance. Mahomet était un chef de guerre dans un contexte tribal, Jésus un prédicateur et chef de secte dans le contexte d’un Etat organisé et d’institutions fortes. Si Mahomet avait prêché la pais et l’amour et refusé de prendre l’épée, il aurait été balayé par ses ennemis et par l’histoire. Si Jésus avait pris l’épée et sonné la révolte contre les romains, il aurait subi le même sort. Ce n’est donc pas la personnalité de Mahomet ou de Jésus qui sont en cause : l’orientation du christianisme comme celle de l’Islam est le fruit de conditions historiques.

              [Et d’un autre côté, Jésus critique très durement les pharisiens attachés à un respect pointilleux des rites, à la lettre plus qu’à l’esprit. De ce point de vue, les musulmans sont les pharisiens des temps modernes, avec la tartufferie qui va avec.]

              Là, je pense, vous faites un anachronisme. Si Jésus critique durement le respect des rites, c’est parce qu’il entend les changer. Et quand on veut changer les rites, on prétend toujours en sauvegarder « l’esprit ». Pour reprendre votre exemple, Robert Hue a lancé sa « mutation » en prétendant sauvegarder « l’esprit » du communisme… On ne peut pas dire que les intégristes musulmans soient dans cette logique, celle d’invoquer « l’esprit » pour mieux changer « la lettre ». Au contraire. L’islamisme retourne à une interprétation stricte de « la lettre »…

              [« Mais dès qu’ils ont eu l’épée entre les mains, les chrétiens ont coupé des têtes aussi joyeusement que Mahomet le fit quelques siècles plus tard… » Ne soyons pas trop systématique : le christianisme s’est aussi diffusé par la parole, par l’exemple. L’évangélisation ne se résume pas à des massacres et à des conversions forcées, même s’ils ont existé.]

              Je cherche désespérément un exemple d’évangélisation où, lorsque « la parole et l’exemple » ont échoué, on n’ait pas eu recours à l’épée. Ce qui semble suggérer que dans beaucoup de cas on cédait « à la parole et l’exemple » parce qu’on pouvait anticiper la suite… L’exemple des juifs est de ce point de vue éclairant.

              [« Il faut dire quand même qu’ils avaient tous deux un défaut: ils se cherchaient un père. Pour Séguin, ce fut Chirac, pour Chevènement, ce fut Mitterrand… » Pour Séguin, je ne sais pas.]

              Pour Séguin, c’est assez clair : son père meurt dans les combats de la Libération, alors qu’il n’a qu’un an. Si vous avez lu ses mémoires, vous aurez constaté que tout le livre est traversé par cette absence, et par la recherche d’un substitut. C’est ce qui explique que malgré les avanies et les trahisons, Séguin ne s’est jamais tout à fait affranchi de Chirac, jamais été capable de rompre politiquement avec lui.

              [Pour Chevènement, je suis plus réservé : certes, il était allié à Mitterrand et l’a soutenu, mais on voit bien qu’il s’est opposé au tournant « ultra-atlantiste » et européiste du début des années 90, en démissionnant de son poste de ministre lors de la Guerre du Golfe, en faisant campagne contre Maastricht, puis en quittant le PS pour fonder le Mouvement des Citoyens (devenu depuis Mouvement Républicain Citoyen).]

              Je vous l’accorde. Le rapport de Chevènement à Mitterrand était certainement moins « filial » que celui de Séguin à Chirac. Cependant, je retrouve chez Chevènement le même type de dépendance sentimentale au « vieux » qu’on peut retrouver chez un Mélenchon, un Dray et même un Fabius, et qui empêche ces gens d’avoir un véritable retour critique sur l’expérience de 1981. Bien sûr, Chevènement a été très critique des politiques mitterrandiennes, mais l’homme reste intouchable.

              [Séguin, lui, est retourné à la haute fonction publique.]

              Justement. Comme Chevènement, il a compris que rien n’était possible aussi longtemps qu’il restait dans son parti d’origine. Et sa dépendance quasi-filiale à Chirac l’empêchait de créer son propre parti.

            • @ Descartes,

              [Est-ce que la personne née étrangère participe à la vie des institutions, est-ce qu’elle fréquente en majorité des gens en dehors de sa communauté ? ]
              Je vous répondrais par une autre question : est-ce que quelqu’un qui suit scrupuleusement la religion musulmane (ou la religion juive d’ailleurs) peut réellement « fréquenter en majorité des gens en dehors de sa communauté » ?

              [Mais dans le monde, ces actes ne sont pas si rares que cela. Je ne me souviens pas vous avoir entendu les évoquer…]
              Effectivement, je ne les ai jamais évoqués. Tout simplement parce que la plupart du temps, je n’ai pas connaissance de ces actes.
              Mais je vous fais remarquer que je fais un procès aux musulmans de France pour des actes commis par des musulmans EN FRANCE. Je ne reproche pas aux musulmans de France les attentats islamistes commis en Algérie ou en Égypte.
              Je trouve malhonnête de s’indigner pour des faits qui se passent loin de chez soi, et pour lesquels on n’a pas toutes les informations.
              Il y a des pays où l’Église catholique dispose encore d’un pouvoir colossal. Elle ne se grandit pas en utilisant ce pouvoir à mauvais escient.

              [Donner aux jeunes les clés de lecture de l’art religieux (je me souviens avoir accompagné un groupe de jeunes énarques dans une visite de musée, et avoir dû leur expliquer pourquoi dans les tableaux religieux les saints sont représentés avec des objets qui semblent incongrus (un grill pour Saint Laurent, une roue pour Sainte Catherine). Expliquer les grands textes et leur influence sur notre imaginaire…]
              C’est là me semble-t-il un point important. Alors que toute notre jeunesse est scolarisée et alphabétisée, notre patrimoine religieux fait presque moins sens pour elle que pour ses ancêtres illettrés. Et c’est un vrai problème, parce qu’il faut bien avoir conscience d’une chose : quand un patrimoine ne fait plus sens, on finit par cesser de l’entretenir. Il ne s’écoulera pas longtemps avant que certains proposent de « convertir » des églises en mosquées (les musulmans en manquent paraît-il) ou en duplex…

              [Je dois quand même dire que depuis les attentats, une partie de cette frange catholique a réalisé combien cette politique pouvait être dangereuse.]
              Je n’ai guère vu d’indices de cette « prise de conscience ». De manière générale, je trouve l’Église catholique un peu timorée vis-à-vis des musulmans (et des autres religions en général). Entre prêcher la Croisade et sombrer dans un œcuménisme béat, il y a un juste milieu.

              [En quoi la laïcité « dans son application actuelle » vous gêne ?]
              Je suis partisan de la neutralité de l’État et de ses agents en matière religieuse, ainsi que de l’absence de financement public des cultes. Ce que je reproche à la laïcité, c’est de mettre toutes les religions sur un pied d’égalité. Or, je suis désolé, le catholicisme ne peut pas être mis sur le même pied que le protestantisme, le judaïsme, l’islam ou le bouddhisme. Symboliquement, le catholicisme est la religion qui a façonné l’essentiel de la culture française pendant plus de mille ans. C’est vrai, il y a des apports de protestants, de juifs et d’athées qui ne sont pas méprisables. Mais le catholicisme devrait avoir un statut de « religion principale ». Un peu comme à l’époque de Napoléon.

              [Charlie a représenté Mahomet dans la même position… et l’a payé fort cher !]
              Mais ça, c’était avant les attentats de 2015, il y a sept ans maintenant… Pouvez-vous me citer un dessin de Charlie, depuis les attentats, représentant Mahomet en train de se faire sodomiser ? Vous n’en trouverez pas. Quelle conclusion pouvons-nous en tirer ?

              Et c’est chaque fois pareil : Charlie caricature le prophète, Charlie se fait massacrer. Tout le monde – ou presque – s’indigne… mais plus personne n’osera caricaturer le prophète. Samuel Paty montre les caricatures, Samuel Paty se fait massacrer. Tout le monde – ou presque – s’indigne… mais aucun professeur ne s’avisera plus de montrer les caricatures. Et on refuse de baptiser un établissement scolaire à son nom. A chaque fois, les musulmans gagnent. Pourquoi diantre s’arrêteraient-ils en si bon chemin ?

              [Je dois dire personnellement que, tout anticlérical que je suis, je ne vois pas vraiment l’intérêt de caricaturer la sainte trinité.]
              La question pour moi n’est pas de savoir si « ça a un intérêt » (moi aussi, je trouve que ça n’en a aucun) mais de savoir si c’est autorisé ou non. Si c’est autorisé, alors il faut accepter que certains le fassent, même si c’est de la pure provocation.

              [Mais s’attaquer à la trinité ?]
              Certains y voient manifestement un intérêt qui nous échappe… Et encore une fois, même si je trouve cela stupide, est-ce permis? Est-il autorisé dans ce pays d’être vulgaire, offensant, irrespectueux? La réponse, en théorie, devrait être positive.

              [Souvent, vous ne les remarquez même pas.]
              Beaucoup de Maghrébins sont typés et reconnaissables. Même en costard avec des lunettes.

              [L’islamisme retourne à une interprétation stricte de « la lettre »…]
              Comme les pharisiens donc.

              [Je cherche désespérément un exemple d’évangélisation où, lorsque « la parole et l’exemple » ont échoué, on n’ait pas eu recours à l’épée.]
              La conversion de Vladimir prince de Kiev à la fin du X° siècle. Non seulement les Byzantins orthodoxes n’avaient pas les moyens militaires d’envahir la Rous de Kiev et de convertir ses habitants par la force, mais de surcroît, ce sont les Russes qui menaçaient Byzance à cette époque : son père Sviatoslav s’était avancé jusqu’à Andrinople et Vladimir lui-même assiègea la ville byzantine de Chersonèse (sud de la Crimée). Les Byzantins étaient sur la défensive face aux princes de Kiev…

              On pourrait aussi citer la minorité de Mongols, chrétiens nestoriens, dans l’entourage de plusieurs khans du XIII° siècle (généraux, épouses). Qui donc les avait convertis de force ? Ou avait pu les menacer de représailles en cas de non-conversion (sachant que la majorité des Mongols et de leurs chefs étaient restés fidèles aux pratiques du chamanisme) ?

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [« Est-ce que la personne née étrangère participe à la vie des institutions, est-ce qu’elle fréquente en majorité des gens en dehors de sa communauté ? » Je vous répondrais par une autre question : est-ce que quelqu’un qui suit scrupuleusement la religion musulmane (ou la religion juive d’ailleurs) peut réellement « fréquenter en majorité des gens en dehors de sa communauté » ?]

              Cela dépend de ce que vous appelez « suivre scrupuleusement ». Chaque religion a plusieurs niveaux d’interdits. Il est clair que le fidèle qui voudrait observer tous les interdits dans leur interprétation la plus rigoureuse aurait du mal à fréquenter ceux qui ne les observent pas. Mais dans une société aussi sécularisée que la nôtre, ce type de pratique reste exceptionnelle.

              Ce qui pose problème, à mon sens, c’est moins la possibilité de concilier une pratique religieuse et les fréquentations hors de la communauté que la volonté de le faire. Pour le dire autrement, ce n’est pas l’obéissance aux préceptes religieux qui empêchent de sortir de la communauté, c’est l’intolérance envers ceux qui ne les appliquent pas, intolérance qui instrumentalise la religion pour souder la communauté.

              [C’est là me semble-t-il un point important. Alors que toute notre jeunesse est scolarisée et alphabétisée, notre patrimoine religieux fait presque moins sens pour elle que pour ses ancêtres illettrés. Et c’est un vrai problème, parce qu’il faut bien avoir conscience d’une chose : quand un patrimoine ne fait plus sens, on finit par cesser de l’entretenir. Il ne s’écoulera pas longtemps avant que certains proposent de « convertir » des églises en mosquées (les musulmans en manquent paraît-il) ou en duplex…]

              Je suis peut-être moins sensible que vous au volet « préservation du patrimoine » qu’au volet « culturel ». Perdre ces références, c’est un appauvrissement de notre capacité à apprécier et à nous nourrir d’un patrimoine intellectuel, et in fine nous amène à un appauvrissement de la pensée elle-même.

              [« En quoi la laïcité « dans son application actuelle » vous gêne ? » Je suis partisan de la neutralité de l’État et de ses agents en matière religieuse, ainsi que de l’absence de financement public des cultes. Ce que je reproche à la laïcité, c’est de mettre toutes les religions sur un pied d’égalité. Or, je suis désolé, le catholicisme ne peut pas être mis sur le même pied que le protestantisme, le judaïsme, l’islam ou le bouddhisme. Symboliquement, le catholicisme est la religion qui a façonné l’essentiel de la culture française pendant plus de mille ans.]

              Je ne vois pas de contradiction. La laïcité implique l’indifférence de l’Etat envers les croyances religieuses, elle n’implique nullement l’indifférence envers l’héritage culturel laissé par les religions, qui en France est, comme vous le soulignez, très majoritairement issu du catholicisme. Nos musées sont remplis d’œuvres aux références chrétiennes, et personne à ma connaissance ne propose qu’on les enlève au nom de la laïcité, ou qu’on doive atteindre une parité entre les œuvres issues des différentes religions. La croyance religieuse est une affaire privée, et a été effacée de notre droit. Mais la culture religieuse est très présente dans le Code pénal et dans le Code civil…

              [Mais ça, c’était avant les attentats de 2015, il y a sept ans maintenant… Pouvez-vous me citer un dessin de Charlie, depuis les attentats, représentant Mahomet en train de se faire sodomiser ? Vous n’en trouverez pas. Quelle conclusion pouvons-nous en tirer ?]

              Je crois me souvenir que Charlie a publié des caricatures de Mahomet dans des positions compromettantes après les attentats aussi. Mais n’étant pas lecteur de Charlie, je ne saurais l’assurer. Quoi qu’il en soit, il est incontestable qu’il y a dans notre société une forte autocensure et même censure de tout ce qui pourrait attiser la colère des islamistes. Censure qui passe le plus souvent par l’aspect économique : quel producteur risquera son capital sur un spectacle, une exposition, une manifestation qui risque d’attirer les foudres des islamistes ?

              [« Souvent, vous ne les remarquez même pas. » Beaucoup de Maghrébins sont typés et reconnaissables. Même en costard avec des lunettes.]

              Distinguer un juif séfarade d’un musulman maghrébin ? Je vous souhaite bien du courage…

              [« Je cherche désespérément un exemple d’évangélisation où, lorsque « la parole et l’exemple » ont échoué, on n’ait pas eu recours à l’épée. » La conversion de Vladimir prince de Kiev à la fin du X° siècle (…).]

              Je pense que vous avez mal lu ma question. Vladimir Ier se convertit « par la parole et l’exemple » (ou, plus banalement, pour faire plaisir à sa femme, Anna Porphyrogénète, et aussi à son beau-père et allié, l’empereur byzantin Basile II. Il n’a pas été nécessaire donc d’employer l’épée. Je répète donc mon point : vous aurez du mal à trouver un exemple où, la persuasion ayant échoué, le christianisme ait accepté l’échec et renoncé à employer la force.

          • François dit :

            @Descartes
            [Bill et Melinda Gates, avec leur style « monsieur et madame tout le monde » et leur fondation riche à milliards correspondent bien plus au modèle du protestantisme anglo-saxon qu’un Elon Musk…]
            Ça se discute. Si Bill et Melinda Gates se donnent une image de « monsieur et madame tout le monde », il est de notoriété publique qu’ils viv(ai)ent (avant leur divorce) dans une confortable maison et que Bill a une certaine appétence pour les voitures de sport… là où le troisième s’est vanté de ne plus posséder de maison. S’il est vrai, que Bill et Melinda correspondent plus à l’image de pondération de la mentalité puritaine, où Elon faisant volontiers dans la provocation il n’en reste pas moins qu’il répond à une autre caractéristique du protestantisme, tant anglo-saxon, qu’afrikaner : le messianisme.
             
            [Jusqu’à un certain point. Lorsque l’Islam conseille de craindre l’attachement aux richesses matérielles pour lui préférer les richesses spirituelles, cela semble prescrire de passer ses après-midis à la bibliothèque ou à la mosquée plutôt qu’au centre commercial, non ?]
            À la différence du protestantisme (Comme le dit Emmanuel Todd, c’est de l’Allemagne qu’est parti l’alphabétisation de masse), je ne suis pas sûr que l’islam fasse de la lecture des textes saints par les fidèles une nécessité. Par ailleurs, si la très pieuse Arabie Saoudite oblige ses sœurs à porter le voile, elle ne leur interdit pas en revanche d’aller dans les centres commerciaux (j’ai en tête la vidée d’une cohue d’enfoulardées voulant rentrer dans un magasin).
             
            [[Quant à l’islam, s’il impose effectivement la Zakat (un taux de 2,5%, taux complètement ridicule dans nos sociétés modernes), je n’ai pas particulièrement l’impression globale que c’est une religion qui fasse de l’égalité et de la sobriété une vertu. Après tout, Mahomet est mort chef de guerre, riche de son butin.]
            Je ne me souviens pas que l’Islam fasse référence aux richesses du Prophète.]
            On va dire qu’en tant que chef de guerre victorieux, il me semble difficilement concevable qu’il n’ait pas accumulé sont petit butin, surtout pour entretenir son harem.
             
            [Certains hadiths conseillent même la pauvreté : « O Dieu, fais-moi vivre pauvre, fais-moi mourir pauvre, et ressuscite-moi le jour du jugement dans le groupe des pauvres » (rapporté par at-Tirmidhî, n° 2352)]Les hadiths at-Tirmidhî ne constituent pas le recueil ayant le plus haut degré d’authenticité, situés après ceux de Al-Bukhari, Muslim et Al-Muwatta.
            Certes l’islam ne fait pas de la richesse un signe de prédestination. Mais force est de constater que les très pieuses pétromonarchies du golfe se font concurrence dans celle qui fera le plus clinquant. Et je le redis : on ne peut pas être une religion qui prône la frugalité tout en légitimant l’esclavage (et la polygamie).
             
            [Mais les « faux dévots », qui « cassent les c… » en se tenant strictement aux rituels alors qu’ils en trahissent l’esprit, cela a toujours existé, et dans toutes les religions.]
            Mais en l’occurrence l’islam est une religion de faux dévots. C’est une religion de pratiques fétichistes gratinée de superstitions (dont les fameux « djinns »).
             
            [Il faut aussi tenir compte du fait qu’il y a confusion souvent entre l’exigence religieuse et l’exigence traditionnelle et communautaire.]
            Eh bien ces exigences religieuses d’un côté, et traditionnelle et communautaire de l’autre ne sont qu’une dans l’islam.
             
            [Bien sûr. Mais si le capitalisme récupère tout, il a plus de mal avec certaines choses qu’avec d’autres. Il est difficile de vendre du maquillage à quelqu’un qui porte la burqa.]
            À défaut de vendre du maquillage (encore que l’islam ne condamne pas les plaisirs de la chair, car comme le dit le (faux) proverbe, le haut c’est pour Allah et le bas pour Abdallah, rien n’interdit à madame de se mettre en valeur pour faire plaisir à monsieur, madame étant la propriété mobilière de monsieur qu’il se doit de garder jalousement), il se contera de vendre des « hijabs pour jogging » comme le fait Décathlon ou Nike. Le client est roi, et s’ils ne trouvent pas moyen d’écouler leur marchandise destinée à un public occidental, alors ils s’adapteront aux mœurs islamiques. Et compte tenu de son nombre de pratiques fétichistes et superstitions, il y en a des besoins à combler.
            Et alors les musulmans sont capables de se liguer comme un seul homme au moindre fait jugé comme blasphématoire (allant jusqu’à se déchaîner sur les réseaux sociaux  contre une enseigne de distribution, parce-qu’elle aurait commercialisé du PQ avec « Allah » marqué dessus en calligraphie coranique), je ne vois personne s’offusquer de cette tapageuse récupération par des entreprises capitalistes qu’est la marchandisation du voile islamique.
             
            [Je pense comme Dray qu’ils finiront par acheter des nike, et même qu’ils laisseront tomber leurs quamis pour porter du Lacoste.]
            Mais ils achètent déjà des Nike. Seulement ils les portent sous des qamis.
             
            Oui, l’islam est une religion intellectuellement pauvre, et ce malgré son lourd corpus théologique accumulé en particulier dans sa variante sunnite. C’est pour cela qu’elle fait une fixation particulièrement prononcée sur tous les gestes rituels, comme on peut le voir en ce moment en Iran avec la mort de Mahsa Amini. Enlevez-les et il ne reste plus rien de cette religion.

            • Descartes dit :

              @ François

              [Ça se discute. Si Bill et Melinda Gates se donnent une image de « monsieur et madame tout le monde », il est de notoriété publique qu’ils viv(ai)ent (avant leur divorce) dans une confortable maison et que Bill a une certaine appétence pour les voitures de sport… là où le troisième s’est vanté de ne plus posséder de maison.]

              Mais justement, « se vanter » fait toute la différence. Je ne doute pas que le couple Gates s’offre tous les plaisirs que l’argent peut acheter. Mais il se les offre discrètement. C’était là mon point : si le protestantisme « classique » considère la richesse comme un don de dieu, il n’encourage pas à la consommation de cette richesse, mais à son utilisation pour des bonnes œuvres. Le choix des Gates d’afficher volontiers leurs œuvres, mais rester très discrets sur leurs luxes privés illustre parfaitement cette logique.

              [« Jusqu’à un certain point. Lorsque l’Islam conseille de craindre l’attachement aux richesses matérielles pour lui préférer les richesses spirituelles, cela semble prescrire de passer ses après-midis à la bibliothèque ou à la mosquée plutôt qu’au centre commercial, non ? » À la différence du protestantisme (Comme le dit Emmanuel Todd, c’est de l’Allemagne qu’est parti l’alphabétisation de masse), je ne suis pas sûr que l’islam fasse de la lecture des textes saints par les fidèles une nécessité.]

              Effectivement. Juifs et protestants partagent un rapport personnel avec dieu, et donc un besoin de lire et d’interpréter par soi-même les textes. Les catholiques ont un rapport a dieu qui est collectif et passe par l’intermédiaire d’un prêtre qui lit le texte et l’interprète pour eux. L’Islam se situe entre les deux. Il encourage fermement à la lecture personnelle des textes – pensez aux gens qu’on voit dans le métro le matin aller au travail en lisant le Coran en arabe – mais n’en fait pas une obligation. Il n’en reste pas moins que la condamnation du matérialisme est très forte dans l’Islam.

              [Par ailleurs, si la très pieuse Arabie Saoudite oblige ses sœurs à porter le voile, elle ne leur interdit pas en revanche d’aller dans les centres commerciaux (j’ai en tête la vidée d’une cohue d’enfoulardées voulant rentrer dans un magasin).]

              L’église catholique a toujours condamné le sexe en dehors du mariage, et cela n’a pas empêché la légalisation pendant longtemps des maisons closes. Une chose c’est l’idéologie, une autre les effets pratiques de l’idéologie.

              [« Je ne me souviens pas que l’Islam fasse référence aux richesses du Prophète. » On va dire qu’en tant que chef de guerre victorieux, il me semble difficilement concevable qu’il n’ait pas accumulé sont petit butin, surtout pour entretenir son harem.]

              En tout cas, les textes n’en parlent pas, ce qui tend à prouver – c’était là mon point – qu’on ne voit pas dans la richesse un don de dieu. Ce n’est pas le cas du judaïsme, par exemple : les richesses du roi Salomon ou du temple de David sont au contraire soulignées dans la Torah…

              [« Certains hadiths conseillent même la pauvreté : « O Dieu, fais-moi vivre pauvre, fais-moi mourir pauvre, et ressuscite-moi le jour du jugement dans le groupe des pauvres » (rapporté par at-Tirmidhî, n° 2352) » Les hadiths at-Tirmidhî ne constituent pas le recueil ayant le plus haut degré d’authenticité, situés après ceux de Al-Bukhari, Muslim et Al-Muwatta.]

              Peut-être, mais il ne reste pas moins qu’ils sont considérés par de très nombreux musulmans comme faisant partie du corpus.

              [Certes l’islam ne fait pas de la richesse un signe de prédestination. Mais force est de constater que les très pieuses pétromonarchies du golfe se font concurrence dans celle qui fera le plus clinquant. Et je le redis : on ne peut pas être une religion qui prône la frugalité tout en légitimant l’esclavage (et la polygamie).]

              Mais bien sur que si. L’église catholique prêchait la vertu de la pauvreté et de l’humilité, et cela n’a pas empêché les papes de tenir une des cours les plus brillantes et dispendieuses du monde. Le christianisme a prêché l’abstinence et la fidélité, et cela n’a pas empêché les gouvernements chrétiens de légaliser les maisons closes et même d’administrer des bordels, les célèbres « BMC ». Pourquoi placez-vous sur l’Islam une exigence de cohérence entre pratique et idéologie qui n’est présente nulle part ailleurs ?

              Les idéologies dominantes prêchent presque toujours le contraire de ce que les classes dominantes entendent faire. Il n’y a qu’à voir avec l’écologie aujourd’hui ou la construction européenne hier…

              [« Mais les « faux dévots », qui « cassent les c… » en se tenant strictement aux rituels alors qu’ils en trahissent l’esprit, cela a toujours existé, et dans toutes les religions. » Mais en l’occurrence l’islam est une religion de faux dévots. C’est une religion de pratiques fétichistes gratinée de superstitions (dont les fameux « djinns »).]

              Toutes les religions constituées sont des religions de faux dévots. Le catholicisme a aussi ses pratiques fétichistes ou superstitieuses : pensez au culte des reliques, aux fontaines miraculeuses, aux statues qui pleurent…

              [« Bien sûr. Mais si le capitalisme récupère tout, il a plus de mal avec certaines choses qu’avec d’autres. Il est difficile de vendre du maquillage à quelqu’un qui porte la burqa. » À défaut de vendre du maquillage]

              Le maquillage, ce n’était qu’un exemple d’illustration. Il est clair qu’une pratique rigoriste de l’Islam – ou de n’importe quelle religion d’ailleurs – ferme un certain nombre de portes à la consommation. Non seulement parce que la plupart des religions encourage à la sobriété et la tempérance et alerte contre les dangers de l’attachement aux biens matériels, mais aussi parce que les innombrables interdits tendent a limiter la consommation. Difficile pour un juif rigoriste d’aller au restaurant ou au spectacle le samedi…

              [Et alors les musulmans sont capables de se liguer comme un seul homme au moindre fait jugé comme blasphématoire (allant jusqu’à se déchaîner sur les réseaux sociaux contre une enseigne de distribution, parce-qu’elle aurait commercialisé du PQ avec « Allah » marqué dessus en calligraphie coranique), je ne vois personne s’offusquer de cette tapageuse récupération par des entreprises capitalistes qu’est la marchandisation du voile islamique.]

              « Business is business ». Nous sommes dans le capitalisme, et dans le capitalisme la demande solvable crée l’offre. S’il y a des gens prêts à acheter des burqas, il y aura des gens prêts à les vendre.

              [« Je pense comme Dray qu’ils finiront par acheter des nike, et même qu’ils laisseront tomber leurs quamis pour porter du Lacoste. » Mais ils achètent déjà des Nike. Seulement ils les portent sous des qamis.]

              De moins en moins. Dans les cités – du moins dans la mienne – on voit de plus en plus du Lacoste…

              [Oui, l’islam est une religion intellectuellement pauvre, et ce malgré son lourd corpus théologique accumulé en particulier dans sa variante sunnite.]

              Je ne suis pas un expert dans l’Islam, mais il me semble que qualifier de « religion intellectuellement pauvre » c’est aller un peu vite en besogne. Il y a historiquement dans l’Islam une réflexion juridique, politique et philosophique de premier plan, dont les intellectuels occidentaux se sont d’ailleurs largement inspirés. Après tout, la philosophie grecque nous est parvenue en partie par cette voie. Si vous parlez de l’activité intellectuelle de l’Islam aujourd’hui, c’est une autre affaire… mais diriez-vous que le catholicisme aujourd’hui est une religion « intellectuellement riche » ?

            • Luc dit :

              Les BMC (bordels militaires de campagne) , étaient en cours pendant la guerre d’Algérie.C’est l’armée française qui les géraient,pas l’église catholique,n’est ce pas?
              Le danger de l’islamisme n’est pas dans ses effets mais dans le totalitarisme qu’il édifie lorsque ses fidèles deviennent suffisamment nombreux, d’ailleurs où en sont
              les partisans du blasphème,le pluralisme religieux et les propagateurs de l’athéisme là où l’islam est religion d’état c.a.d là où de grè ou de forces les musulmans sont majoritaires ?
               

            • Descartes dit :

              @ Luc

              [Les BMC (bordels militaires de campagne) , étaient en cours pendant la guerre d’Algérie. C’est l’armée française qui les géraient, pas l’église catholique, n’est ce pas?]

              En fait, l’existence d’une prostitution organisée par les armées vient de beaucoup plus loin. On attribue leur invention à Philippe Auguste lors de sa croisade, et avaient pour objectif de décourager les rapports homosexuels entre les soldats et les viols commis sur les femmes des populations des territoires conquis. On peut raisonnablement dit que les états catholiques n’ont pas hésité à y avoir recours.

              [Le danger de l’islamisme n’est pas dans ses effets mais dans le totalitarisme qu’il édifie lorsque ses fidèles deviennent suffisamment nombreux, d’ailleurs où en sont les partisans du blasphème, le pluralisme religieux et les propagateurs de l’athéisme là où l’islam est religion d’état c.a.d là où de grè ou de forces les musulmans sont majoritaires ?]

              Vous savez, il existe de nombreux états ou le catholicisme est religion d’Etat et où le blasphème est encore un crime, les athées – et les juifs – sont persécutés, et ainsi de suite. Prenez par exemple le régime militaire 1976-83 en Argentine… Toute les églises sont intolérantes, et n’hésitent pas à persécuter athées et blasphémateurs quand elles en ont le pouvoir…

            • Tiepolo dit :

              Bonjour,
              J’ai suivi avec grand intérêt vos échanges avec Nationaliste-ethniciste, comme toujours, sur la légitimité du droit d’un peuple sur le territoire qu’il occupe non pas par l’antériorité mais par l’aménagement de ce territoire… une version étatique de « la terre appartient à celui qui la travaille » ? Je ne veux pas intervenir dans ce débat mais j’ai été frappé par le fait que l’un et l’autre preniez des exemples et références de contestation de légitimité d’occupation de sol dans l’histoire lointaine, chronologiquement ou géographiquement, avec comme but de parler de la situation future de la France, mais que vous évitiez tous les deux d’évoquer le cas d’Israël… est-ce intentionnel pour éviter de lancer un débat qui ne peut que dévier de votre objectif initial, ou susciter des réactions indésirables et qui peuvent polluer la courtoisie des échanges… mais j’ai la certitude, suivant depuis très longtemps votre blog, que vous ne redoutez ni l’un ni l’autre la polémique ou alors que le cas d’exemple est trop spécifique mais  j’avoue que cela m’a surpris et interrogé… Je respecte votre choix s’il est volontaire, mais je doute d’un oubli et donc je ne crois pas utile de publier ce mot, je ne voudrais pas provoquer un débat mal venu dans lequel je n’aurais pas vraiment le temps ni la maîtrise réflexive pour intervenir… une petite réponse privée dans ce cas serait plus adaptée, si vous en avez l’envie et le temps bien sûr. Bien cordialement, Tiepolo.

            • Descartes dit :

              @ Tiepolo

              [Je ne veux pas intervenir dans ce débat mais j’ai été frappé par le fait que l’un et l’autre preniez des exemples et références de contestation de légitimité d’occupation de sol dans l’histoire lointaine, chronologiquement ou géographiquement, avec comme but de parler de la situation future de la France, mais que vous évitiez tous les deux d’évoquer le cas d’Israël…]

              Je pense que la raison est évidente : plus on se rapproche du présent, et plus le débat philosophique et juridique sur la légitimité est pollué par des questions politiques ou sentimentales. En prenant des exemples dans les croisades, la conquête de l’Amérique ou la création des empires coloniaux, on dépassionne le débat. Mais votre question est pertinente, une fois les principes posés à partir d’exemples anciens, il n’est pas inutile de les confronter à des situations présentes pour voir jusqu’où ces principes tiennent la route aujourd’hui.

              [est-ce intentionnel pour éviter de lancer un débat qui ne peut que dévier de votre objectif initial, ou susciter des réactions indésirables et qui peuvent polluer la courtoisie des échanges…]

              Je ne pense pas que ce soit le cas.

              [Je respecte votre choix s’il est volontaire, mais je doute d’un oubli et donc je ne crois pas utile de publier ce mot, je ne voudrais pas provoquer un débat mal venu dans lequel je n’aurais pas vraiment le temps ni la maîtrise réflexive pour intervenir… une petite réponse privée dans ce cas serait plus adaptée, si vous en avez l’envie et le temps bien sûr.]

              Aucun débat n’est « mal venu », et j’essaie donc de répondre à votre question. La problématique d’Israël est très complexe. Elle a d’abord une particularité : elle est pratiquement unique dans l’histoire, ce qui pose un problème grave aux juristes qui aiment bien raisonner en termes de précédent.

              Essayons de poser le problème : un peuple – qu’on peut caractériser en termes à la fois ethniques, culturels, religieux, institutionnels – qui occupait le territoire de la Palestine est forcé de quitter le territoire par les romains au cours des conflits du Ier et IIème siècle de notre ère (prise de Jérusalem et destruction du Temple par Titus en 70, répression de la révolte de Bar Kochba en 132-135). Ce peuple se disperse dans l’ensemble du monde connu, au gré de l’accueil plus ou moins amical – et plus ou moins intéressé – que lui offriront différents gouvernants, et des persécutions dont la Shoah est peut-être le modèle le plus achevé.

              Au cours de cette histoire, ce peuple a largement perdu son unité ethnique, culturelle, institutionnelle et même religieuse : l’assimilation, le mariage mixte, la sécularisation font qu’il est difficile aujourd’hui de parler d’un « peuple juif » homogène : le juif français assimilé a plus en commun avec un Français chrétien qu’avec un hassidim new-yorkais ou un fanatique religieux de Mea Sharim. Même si l’on peut classer les juifs en deux grands groupes, les Séfarade (juifs du pourtour méditerranéen) et les Ashkénaze (juif de l’Europe centrale et orientale), ce classement est imparfait : il laisse dehors les juifs d’Asie (notamment la communauté iranienne, qui est importante), mais ignore surtout les grandes disparités : un Séfarade du Maroc n’a pas grande chose à voir avec un Séfarade Levantin (grec ou syrien).

              En fait, le « peuple juif » est d’abord une invention des antisémites. Il n’y a d’abord qu’eux pour parler « du Juif » comme s’il s’agissait d’une essence, comme si on pouvait concentrer dans cette figure tous les juifs de la terre, agissant de concert. Le projet sioniste, censé offrir un foyer national aux juifs, est d’abord un projet de juifs ashkénazes, soucieux de protéger leurs communautés des persécutions subies par les juifs européens. Il intéresse fort peu les juifs séfarades, qui n’ont pas la même histoire.

              Il n’en reste pas moins que pendant presque deux-mille ans, les juifs ont été largement absents de Palestine, et que d’autres peuples se sont installés à leur place, ont travaillé la terre, construit des ponts, des routes, des monuments. Et que c’est une décision des grandes puissances qui, dans une résolution de l’ONU de 1947, « partagent » la Palestine entre un état juif et un état arabe (qui ne verra jamais le jour). L’état juif, dont l’indépendance est proclamée en 1948, organisera une forme de « nettoyage ethnique » – avec les lois qui permettent de considérer « vacantes » les terres dont les propriétaires ont fui les opérations militaires – lui permettant d’installer les immigrés juifs qui affluent.

              La source de la légitimité de l’Etat d’Israel est donc multiple. D’une part, elle repose sur l’expulsion il y a deux mille ans et donc sur une forme du « j’étais là avant », assez discutable d’ailleurs puisque, si l’on suit les textes anciens, les juifs ont occupé ces territoires en expulsant ou exterminant des populations qui étaient là avant eux. Mais elle est contestable surtout parce que les juifs d’aujourd’hui ne sont pas tout à fait les héritiers des juifs expulsés il y a deux mille ans. L’idée même d’un “peuple juif” essentialisé est une absurdité. La légitimité d’Israël repose fondamentalement au départ sur l’expérience de la Shoah, qui aurait créé une sorte de dette de l’humanité toute entière envers ce peuple persécuté. Là encore, l’argument trouve ses limites : pourquoi cette dette devrait concerner des peuples qui n’ont guère participé à la Shoah et qui n’avaient aucun moyen de l’empêcher ? Enfin, la légitimité israélienne repose aujourd’hui sur les œuvres, c’est-à-dire, sur le fait que les colons juifs ont fait « d’un désert un verger » selon la formule consacrée.

            • @ Tiepolo,
               
              [Je ne veux pas intervenir dans ce débat mais j’ai été frappé par le fait que l’un et l’autre preniez des exemples et références de contestation de légitimité d’occupation de sol dans l’histoire lointaine, chronologiquement ou géographiquement, avec comme but de parler de la situation future de la France, mais que vous évitiez tous les deux d’évoquer le cas d’Israël…]
              J’ai tout de même évoqué à plusieurs reprises le sort des Grecs de Thrace orientale et d’Asie Mineure chassés de leurs terres ancestrales il y a environ un siècle. Cet exemple n’est ni très loin, ni très ancien.
               
              Mais globalement, vous avez raison, et en ce qui me concerne, l’explication est simple: je connais davantage le monde antique et médiéval, donc je préfère m’appuyer sur des périodes que je connais, que j’ai étudiées, sur lesquelles j’ai beaucoup réfléchi. Il n’y a aucune arrière-pensée et je tiens à dire que je n’ai aucune réticence à parler de la question israélo-palestinienne.
               
              Je vais donc vous donner mon avis sur la question: d’abord, la création d’Israël fut selon moi une fausse bonne idée, du moins dans les modalités qu’on lui connaît. En effet, doter les populations juives d’un état, d’un “chez-soi”, pouvait se justifier après la tragédie du génocide, mais une lourde erreur a été commise: la création de cet état a impacté et lésé une population qui n’avait pas conçu ni participé activement à la Shoah. Pour le dire autrement, les Palestiniens ont payé pour les crimes commis par d’autres. Il aurait fallu créer un état juif… mais en Europe, sur des territoires allemands, je ne sais pas, en Silésie ou au Bade-Wurtemberg (un état juif “tampon” entre la France et l’Allemagne aurait été selon moi une solution intéressante). Pour des raisons historiques, symboliques, culturelles (je ne dis même pas religieuses: beaucoup de sionistes de la première génération n’étaient pas religieux), les sionistes ont voulu installer leur état en Palestine. Et on peut comprendre qu’après la Shoah, les rescapés ashkénazes d’Europe centrale et orientale aient préféré quitté l’Europe où les leurs avaient tant souffert. Il aurait fallu beaucoup de courage pour dire aux juifs que fonder un état en Palestine créerait autant de problèmes qu’il en résoudrait… Le résultat est un développement d’un “antisémitisme antisioniste” dans tout le monde musulman et, Israël ayant des relais en Occident, cela participe aussi de la détestation de l’Occident si répandue dans les pays musulmans (en plus de l’irruption de la modernité capitaliste venue elle aussi d’Occident).
               
              Maintenant, le fait est qu’Israël est là, et dispose de la puissance militaire et des alliances politiques pour se maintenir. Les Israéliens ont plus d’une fois affronté victorieusement leurs voisins arabes. On est obligé d’en tenir compte. J’ajoute – Descartes ne l’a pas signalé – que des communautés juives du monde arabo-musulman ont été chassées des pays où elles vivaient depuis longtemps, suite à la création d’Israël. Ces juifs doivent bien vivre quelque part à présent. Dans ce contexte, il me paraît difficile de réclamer, comme le font certains, la suppression pure et simple de l’état d’Israël. En revanche, je pense qu’il faut décourager les juifs d’émigrer en Israël, et il faudrait faire pression pour qu’Israël abandonne sa politique de colonisation, restitue certains territoires aux Palestiniens et reconnaissent enfin à ces derniers le droit de posséder un état. Dans le même temps, certains pays arabes, qui instrumentalisent la question palestinienne, devraient peut-être songer à intégrer les réfugiés palestiniens à leur population. On n’en prend guère le chemin.
               
              On aurait pu aussi parler du Kosovo où se heurtent deux légitimités antagonistes, celle des Albanophones musulmans et celle des Serbes orthodoxes. Au Moyen Âge, le Kosovo (et la Macédoine voisine) ont fait partie du coeur politique et culturel de l’ “empire” serbe. La conquête ottomane a entraîné des massacres de chrétiens dans les Balkans et, au gré des révoltes, un regroupement des Serbes plus au nord (Bosnie, vallée du Danube); dans le même temps s’est produite une islamisation des populations albanophones qui ont, apparemment, “occupé le vide” au Kosovo et dans une partie de la Macédoine. Au début du XX° siècle, le Kosovo repasse sous contrôle serbe, et les autorités serbes tentent de “reserbiser” la province. Nouveau changement pendant la Seconde Guerre Mondiale: les Albanais massacrent et chassent plusieurs milliers de Serbes, que Tito n’autorisera pas à revenir. Dans la Yougoslavie communiste, la République de Serbie perd tout droit de regard dans la “province autonome du Kosovo” qui lui est pourtant formellement rattachée, et ce statut profite largement aux Albanophones. A la fin des années 80, avec Milosevic, le balancier repart dans l’autre sens… Et on connaît la suite.
               
              Alors le Kosovo est-il serbe? Est-il albanais? Les Serbes semblent avoir été les premiers (occupant eux aussi le vide laissé par des populations thraco-illyriennes décimées par les épidémies et les invasions du début du Moyen Âge) et ont laissé un important patrimoine architectural (églises, monastères). Mais les Albanais sont installés depuis longtemps, et ils sont majoritaires depuis pas mal de temps maintenant. La question de la légitimité est insoluble. 

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [En effet, doter les populations juives d’un état, d’un “chez-soi”, pouvait se justifier après la tragédie du génocide,]

              Je ne sais pas. La question mérite d’être posée : est-ce que la création d’un état-nation « juif » était la meilleure réponse à la Shoah ? Est-ce que cela a résolu ce que par commodité on a appelé, en simplifiant beaucoup, la « question juive » ?

              Personnellement, je ne le pense pas. Je pense au contraire que cette création est paradoxale. Prenons le cas de la France : Pendant des siècles on a voulu faire des juifs des étrangers. Sous la Révolution et l’Empire, les juifs français ont accepté de renoncer à leur statut personnel pour assumer les mêmes devoirs et les mêmes droits que n’importe quel citoyen. Depuis lors, les juifs français se sont battus pour se faire reconnaître comme membres à part entière de la collectivité nationale. Et voilà qu’en 1948 on proclame que les juifs forment une nation séparée, qu’ils ont un état à eux, une citoyenneté et un passeport de droit, et que par conséquent les juifs français doivent être regardés comme ayant des droits différents de leurs concitoyens ? La création de l’Etat d’Israël confirme en fait, si l’on pousse le raisonnement jusqu’au bout, les pires clichés antisémites, celui du juif qui met les intérêts de la « nation juive » avant ceux de son pays. Si un juif français est approché demain par des agents israéliens pour livrer des secrets, peut-on avoir confiance dans sa loyauté envers son pays ?

              Pour moi, l’idée même d’un « état juif » est viciée, et cela indépendamment du lieu où il serait installé ou des intérêts des habitants locaux. Tout simplement parce que les juifs ne constituent pas une « nation ».

              [Maintenant, le fait est qu’Israël est là, et dispose de la puissance militaire et des alliances politiques pour se maintenir. Les Israéliens ont plus d’une fois affronté victorieusement leurs voisins arabes. On est obligé d’en tenir compte. J’ajoute – Descartes ne l’a pas signalé – que des communautés juives du monde arabo-musulman ont été chassées des pays où elles vivaient depuis longtemps, suite à la création d’Israël. Ces juifs doivent bien vivre quelque part à présent. Dans ce contexte, il me paraît difficile de réclamer, comme le font certains, la suppression pure et simple de l’état d’Israël.]

              Oui. Quand le vin est tiré, il faut le boire. Cela étant dit, Israël est largement un état sans nation, toujours au bord de la guerre civile. Pour maintenir l’unité du pays, le gouvernement israélien est obligé d’alimenter une vision totalement paranoïaque du monde. J’ai quelques parents lointains en Israël, qui écrivent à mes parents de longues lettres pour s’enquérir des persécutions dont les juifs sont censés être victimes en France et pour nous offrir de nous accueillir si la situation devenait invivable. On a le plus grand mal à leur expliquer qu’un juif peut en France accéder à la fonction publique, être policier ou gendarme, ou même se promener dans la rue…

              [En revanche, je pense qu’il faut décourager les juifs d’émigrer en Israël,]

              Pas la peine : Israël fait très bien le boulot tout seul. Vous noterez que l’état d’Israël publie les chiffres des juifs faisant le « retour » (« aliyah » en hébreu), mais ne publie jamais les chiffres des juifs quittant Israël pour revenir à leur pays d’origine.

              [et il faudrait faire pression pour qu’Israël abandonne sa politique de colonisation, restitue certains territoires aux Palestiniens et reconnaissent enfin à ces derniers le droit de posséder un état. Dans le même temps, certains pays arabes, qui instrumentalisent la question palestinienne, devraient peut-être songer à intégrer les réfugiés palestiniens à leur population. On n’en prend guère le chemin.]

              En fait, la démographie devrait résoudre le problème. Les arabes israéliens et les palestiniens des territoires occupés ont une démographie bien plus forte que les juifs israéliens. D’ici une génération, la balance démographique risque de se renverser, avec des effets électoraux et politiques qu’on commence d’ailleurs à voir, avec une importance de plus en plus grande des « partis arabes ». Sans une partition entre un « état juif » et un « état palestinien », il y a des chances qu’Israël cesse d’être un état à majorité juive quelque part vers la fin de ce siècle…

            • luc dit :

              @DESCARTES
              [Il est difficile de vendre du maquillage à quelqu’un qui porte la burqa.] Je suis embêté car votre candeur me plait.Décidemment,vous méconnaissez le cercle privé ,en Islam qui contient l’essentiel de la vie personnelle coqueterie comprise.C’est là avec les neveux,nièces,parent et consorts que les Nike,les Lacostes et rouge à lèvre seront montrés.
              Pas en public,ce serait péché d’exciter la jalousie de ceux qui sont pauvres.Ce pourrait donner envie d’instituer la sécurité sociale pour tous(sécurité sociale actuellement absente de tous les pays sous joug musulmant .Pourquoi,justement à cause de cette orthopréxie normative,régressive et aliénante,pour tous et pas que pour les femmes.
              Cher Descartes,quelle naïveté ou trop grande lucidité ?
              Comment faire pour qu’enfin vous reconnaissiez l’aspect abject ,réactionnaire au plus haut point de l’Islam qui envahit notre pays par ces migrations de millions de jeunes hommes consuméristes mais musulmans , pour l’essentiel ?
              L’islamo gauchisme,qui est bien moindre que l’islamo droitisme et l’islamo atavisme chrétien serait renforcé par un islamo carténsaianisme ?Quelles sont alors les chances des rationalistes en France pour éviter le retour du fait religieux dans les lois de notre pays?

            • Descartes dit :

              @ luc

              [Décidemment, vous méconnaissez le cercle privé, en Islam qui contient l’essentiel de la vie personnelle coqueterie comprise. C’est là avec les neveux, nièces, parent et consorts que les Nike, les Lacostes et rouge à lèvre seront montrés.]

              Sauf que cela réduit considérablement les chances de porter les Nike, les Lacoste et le rouge à lèvres…

              [Comment faire pour qu’enfin vous reconnaissiez l’aspect abject, réactionnaire au plus haut point de l’Islam qui envahit notre pays par ces migrations de millions de jeunes hommes consuméristes mais musulmans, pour l’essentiel ?]

              Encore une fois, le christianisme était tout aussi « abject, réactionnaire ». Pour ne plus risquer d’être tué pour ne pas s’être découvert devant une procession, il a fallu deux siècles de combat. Et bien, ce sera pareil avec l’Islam un jour.

            • @ Descartes,

              [La question mérite d’être posée : est-ce que la création d’un état-nation « juif » était la meilleure réponse à la Shoah ?]
              Non, c’était une mauvaise réponse. Mais je me mets à la place des juifs d’Europe centrale et orientale rescapés du génocide, et je peux comprendre que certains aient voulu un « chez eux » pour que ça ne recommence pas…
              Car il faut tout de même rappeler une réalité : en Europe centrale et orientale, les juifs ont subi la violence nazie dans une relative indifférence… quand ce n’était pas avec la complicité de « patriotes » lituaniens, lettons, etc sans parler des nationalistes ukrainiens de Bandera dont nous avons déjà parlé. Comment concevoir de vivre en Europe lorsqu’on s’aperçoit qu’on est à ce point détesté ?

              [Prenons le cas de la France ]
              Je suis désolé, la France est un mauvais exemple : les juifs y étaient peu nombreux et relativement assimilés. La majorité des juifs européens vivaient à l’est… et n’étaient pas tous assimilés, loin de là.

              [Tout simplement parce que les juifs ne constituent pas une « nation ».]
              Mais peut-être sont-ils amenés demain à en constituer une… Personnellement, je trouve cela dommage, je pense que le génie juif réside dans la diaspora et dans l’ « extra-territorialité » de la culture juive. Avec Israël, les juifs vont devenir « un peuple comme les autres », en plus du fait qu’ils vont expérimenter ce que c’est qu’être l’oppresseur.

              [J’ai quelques parents lointains en Israël, qui écrivent à mes parents de longues lettres pour s’enquérir des persécutions dont les juifs sont censés être victimes en France et pour nous offrir de nous accueillir si la situation devenait invivable.]
              Est-ce lié à une « propagande » mise en place par les autorités israéliennes ?

              [mais ne publie jamais les chiffres des juifs quittant Israël pour revenir à leur pays d’origine.]
              Justement : comment êtes-vous sûrs que tant de juifs tentés par l’aliyah reviennent ensuite sans tambour ni trompette dans leurs pays d’origine ? L’absence de statistiques n’est pas une preuve en soi.

              [Les arabes israéliens et les palestiniens des territoires occupés ont une démographie bien plus forte que les juifs israéliens.]
              Les Palestiniens, sans doute. Mais les Arabes israéliens, c’est moins évident.
              « Selon un rapport du Bureau central des statistiques israélien publié en mai 2017, le pourcentage d’Arabes dans la population israélienne devrait rester constant aux alentours de 21 % jusqu’en 2065, puis commencer à diminue » (Source Wikipédia, article « Israël », paragraphe « population »)
              Ajoutons que le taux de fécondité des femmes juives israéliennes est plutôt élevé.

              En France au contraire, le taux de natalité des natives est sous la barre du seuil de renouvellement, tandis que celui des femmes immigrées, maghrébines, turques ou subsahariennes est plus élevée. A mon avis, la France a plus de souci à se faire qu’Israël…

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [« Tout simplement parce que les juifs ne constituent pas une « nation ». » Mais peut-être sont-ils amenés demain à en constituer une…]

              J’en doute. Les juifs israéliens constitueront peut-être une nation un jour – pour le moment, la « solidarité inconditionnelle » entre les différentes « communautés » juives qui composent la société israélienne n’est en rien évidente. Mais je ne vois pas par quelle magie les juifs de la Diaspora – et qui entendent le rester – pourraient un jour constituer une « nation ».

              [Personnellement, je trouve cela dommage, je pense que le génie juif réside dans la diaspora et dans l’ « extra-territorialité » de la culture juive. Avec Israël, les juifs vont devenir « un peuple comme les autres », en plus du fait qu’ils vont expérimenter ce que c’est qu’être l’oppresseur.]

              Les juifs qui iront vivre en Israel, certainement. Mais vous parlez comme si les juifs de la Diaspora n’avaient d’autre rêve que d’aller en Israel. Je peux vous assurer que ce n’est pas le cas. Pour ne prendre que le cas de ma famille, les seuls parents que j’aie en Israel sont relativement éloignés – ce sont les descendants d’une des filles de ma grande tante paternelle. Toutes les autres « branches » de la famille sont restés éparpilles par le monde (Etats-Unis, Grande Bretagne, Argentine, Chili, Espagne, France…

              Mais je partage votre première phrase. Le « génie juif » est en effet issu d’une assimilation très particulière entre la tradition juive – avec son rapport tout à fait particulier au divin et à la raison – et les cultures nationales marquées par le christianisme.

              [« J’ai quelques parents lointains en Israël, qui écrivent à mes parents de longues lettres pour s’enquérir des persécutions dont les juifs sont censés être victimes en France et pour nous offrir de nous accueillir si la situation devenait invivable. » Est-ce lié à une « propagande » mise en place par les autorités israéliennes ?]

              Certainement. Mais il n’y a pas que les « autorités ». Il y a une sorte de consensus dans la société israélienne pour s’auto-percevoir comme une citadelle assiégée, entourée de toutes parts d’ennemis. Une paranoïa qui est bien utile pour justifier à peu près n’importe quoi. Vous avez des escrocs juifs qui se réfugient en Israel en prétendant fuir une « persécution », des politiques qui justifient n’importe quel massacre par le « besoin de se défendre »…

              Je ne suis allé en Israel que deux fois, pour accompagner mon père qui souhaitait revoir ses cousins. A chaque fois, j’ai été frappé par le côté paranoïaque de cette société. Les gens sont vraiment convaincus que la France est invivable pour un juif : soit ils sont persuadés que la laïcité empêche les juifs de pratiquer leur religion, soit que les juifs sont persécutés par les chrétiens – et plus récemment par les musulmans.

              [« mais ne publie jamais les chiffres des juifs quittant Israël pour revenir à leur pays d’origine. » Justement : comment êtes-vous sûrs que tant de juifs tentés par l’aliyah reviennent ensuite sans tambour ni trompette dans leurs pays d’origine ? L’absence de statistiques n’est pas une preuve en soi.]

              Non, mais le refus de l’Agence juive de publier le moindre chiffre des retours alors que ceux des juifs faisant leur aliyah sont publiés et commentés constitue une forte présomption. Pourquoi cacher ce chiffre, s’il n’était pas problématique ?

              Je connais pas mal de gens qui ont fait leur aliyah pour y renoncer au bout de quelques années, voire de quelques mois. Ils racontent tous la même histoire : l’exaltation d’un « retour » vers la culture de leurs ancêtres, la volonté militante de construire dans un pays « neuf ». Et puis, une fois arrivés là-bas, c’est la déception. D’abord, parce que la culture de leurs ancêtres est largement méprisée : la société israélienne voit dans le juif de la diaspora un juif pleurnichard et faible, alors que la société israélienne a le culte de la force. Ensuite, parce que les juifs européens ont l’habitude d’une pratique religieuse relativement « soft », et se trouvent obligés de respecter une orthopraxie venue en général des juifs séfarades. Enfin, parce que la société israélienne est une société extrêmement corrompue…

              [« Les arabes israéliens et les palestiniens des territoires occupés ont une démographie bien plus forte que les juifs israéliens. » Les Palestiniens, sans doute. Mais les Arabes israéliens, c’est moins évident.]

              Oui. Mais c’est la combinaison des Arabes israéliens et des Palestiniens qui compte, dans la mesure où Israel se met en situation d’annexer les territoires occupés. C’est d’ailleurs l’argument d’un certain nombre de gens de droite partisans de la solution à deux états. Leur position est que la colonisation va conduire tôt ou tard à l’annexion, et donc à la transformation des palestiniens des territoires occupés en citoyens. Or, la démographie combinée des Arabes israéliens et des Palestiniens aboutirait à faire perdre à Israel son caractère d’état majoritairement juif.

              [En France au contraire, le taux de natalité des natives est sous la barre du seuil de renouvellement, tandis que celui des femmes immigrées, maghrébines, turques ou subsahariennes est plus élevée. A mon avis, la France a plus de souci à se faire qu’Israël…]

              Sauf qu’en France, les enfants de ces femmes sont français et en une génération leurs modes de vie et donc leur fécondité rejoint celle des français « de souche ».

            • @ Descartes,
               
              [Sauf qu’en France, les enfants de ces femmes sont français et en une génération leurs modes de vie et donc leur fécondité rejoint celle des français « de souche ».]
              Oui, c’est ce que je lis et ce que j’entends dire depuis des années… mais est-ce vrai?
               
              En fait, il est impossible de le savoir: “immigré” et “étranger” sont des catégories statistiques, mais pas “Français enfant d’immigrés” ou “Français enfant d’étranger”. Or, il n’y a pas de statistiques ethniques ou religieuses en France. Je vous mets d’ailleurs au défi de me trouver le nombre précis de Français d’origine maghrébine (en se limitant par exemple à ceux ayant au moins un parent non-pied-noir né en Algérie, au Maroc ou en Tunisie). Donc les femmes françaises ayant des parents (ou des grands-parents) immigrés entrent dans la catégorie “femmes françaises” et ne constituent pas une catégorie à part.
               
              Par conséquent, le taux de fécondité de 1,9 des “femmes françaises” peut très bien cacher une différence, avec des femmes françaises “natives” à 1,5 ou 1,4 et des femmes françaises “issues de l’immigration” à 2,4 ou 2,5. Et si c’est le cas (je n’en sais rien), mon cher, il est en réalité impossible de le savoir en regardant les statistiques disponibles…
               
              Alors vous me direz: mais si les femmes françaises descendantes d’immigrés avaient un taux de fécondité nettement supérieur aux natives, cela devrait entraîner une hausse du taux de fécondité de la catégorie “femmes françaises”. Sauf que les femmes françaises issues de l’immigration représentent une minorité des femmes de nationalité française. Ensuite, qu’est-ce qui me dit qu’une forte fécondité des Françaises filles d’immigrés ne masque pas en partie une baisse significative de la fécondité des Françaises natives? Là aussi, il est impossible de le savoir avec les chiffres disponibles.
               
              Par conséquent, l’idée selon laquelle les immigrés naturalisés, en une ou deux générations, ont une “fécondité qui se rapproche de la moyenne française” (formule que j’avais lue sous la plume d’un démographe, Hervé Le Bras peut-être, et qui d’ailleurs nuance votre propos: “se rapprocher” n’est pas synonyme de “s’aligner sur”) fait partie de ces évidences statistiquement invérifiables mais qui rassurent le bon peuple sur une immigration “sans danger”. Dormez bonnes gens, tout va bien. Cela me rappelle l’argument du pourcentage d’immigrés et d’étrangers qui est “stable” depuis des décennies (argument qui tend d’ailleurs à perdre de sa crédibilité). Mais les Arabes et les Subsahariens qui naissent en France ne sont ni immigrés ni nécessairement étrangers… Et leur proportion croît bel et bien.
               
              Moi, ce que j’aimerais avoir sous les yeux, c’est le taux de fécondité des femmes de nationalité française ayant des parents ou des grands-parents maghrébins, turcs, subsahariens. Et là, on pourrait juger. Quelqu’un peut-il fournir les chiffres?
               
              Indépendamment de cette querelle statistique, je vous rappelle que l’immigration se nourrit en permanence de nouveaux venus, et que l’immigration tend à se féminiser. Rappelons d’ailleurs que près de 20 % des enfants qui naissent en France (et qui pour la plupart seront Français) ont une mère immigrée, alors que les femmes immigrées représentent 12 % des femmes en âge de procréer. Que de ventres féconds en perspective pour alimenter le Grand Remplacement…

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [« Sauf qu’en France, les enfants de ces femmes sont français et en une génération leurs modes de vie et donc leur fécondité rejoint celle des français « de souche ». » Oui, c’est ce que je lis et ce que j’entends dire depuis des années… mais est-ce vrai?]

              Sauf à contester les statistiques de l’INSEE, la réponse est clairement oui.

              [En fait, il est impossible de le savoir: “immigré” et “étranger” sont des catégories statistiques, mais pas “Français enfant d’immigrés” ou “Français enfant d’étranger”. Or, il n’y a pas de statistiques ethniques ou religieuses en France.]

              Excusez-moi, mais « Français enfant d’étranger » ou « Français enfant d’immigré » sont des catégories statistiques. Si les statistiques ethniques sont interdites, les statistiques sur la nationalité des parents ou des grands parents sont parfaitement légales, puisqu’elles sont fondées sur un caractère objectif, la nationalité. Ainsi, l’INSEE a établi que 11% des personnes nées en France aujourd’hui ont au moins un parent étranger. Parmi eux, 45% ont une origine européenne, et 35% une origine maghrébine. Vous trouverez l’étude complète ici : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2575541

              [Je vous mets d’ailleurs au défi de me trouver le nombre précis de Français d’origine maghrébine (en se limitant par exemple à ceux ayant au moins un parent non-pied-noir né en Algérie, au Maroc ou en Tunisie).]

              Je ne vois pas la difficulté. Les pieds-noirs avaient la nationalité française, leurs enfants ne sont pas considérés comme « ayant un parent étranger ».

              [Donc les femmes françaises ayant des parents (ou des grands-parents) immigrés entrent dans la catégorie “femmes françaises” et ne constituent pas une catégorie à part.]

              Pardon, les « femmes françaises » ayant un ou deux parents étrangers, tout comme celles ayant un, deux, trois ou quatre parents étrangers constituent bien des catégories statistiques.

              [Par conséquent, le taux de fécondité de 1,9 des “femmes françaises” peut très bien cacher une différence, avec des femmes françaises “natives” à 1,5 ou 1,4 et des femmes françaises “issues de l’immigration” à 2,4 ou 2,5. Et si c’est le cas (je n’en sais rien), mon cher, il est en réalité impossible de le savoir en regardant les statistiques disponibles…]

              Soit vous vous trompez sur la manière de faire les statistiques, soit je n’ai pas compris votre point. On peut parfaitement discriminer, parmi les « femmes françaises », celles qui ont des parents ou des grands parents étrangers – y compris en séparant les origines. On peut donc mesurer la fécondité en fonction des origines. Et ce qu’on constate, c’est qu’il faut entre une et deux générations pour qu’on se retrouve avec les mêmes indices que les femmes françaises « de souche » de même condition sociale.

              [Moi, ce que j’aimerais avoir sous les yeux, c’est le taux de fécondité des femmes de nationalité française ayant des parents ou des grands-parents maghrébins, turcs, subsahariens. Et là, on pourrait juger. Quelqu’un peut-il fournir les chiffres?]

              Je pense que ces chiffres existent dans les notes de l’INSEE ou de l’INED. Je suis un peu chargé par le boulot en ce moment, sans quoi je les chercherais pour vous.

            • bip dit :

              @ Descartes
               
              [Sauf qu’en France, les enfants de ces femmes sont français et en une génération leurs modes de vie et donc leur fécondité rejoint celle des français « de souche ».]
               
              Nombre d’entre-eux disent pourtant ne pas être Français quand on leur demande s’ils le sont…
               
              Pour juger du “mode de vie” qui rejoindrait celui des Français, comparaison des taux de chômage respectifs : https://www.fdesouche.com/2021/11/07/inactivite-chomage-et-emploi-des-descendants-dimmigres-par-origine-en-2020-insee-enquete-emploi/
               
              Les descendants d’immigrés ont donc un taux de chômage presque similaire à celui des immigrés (resp. 12,2 et 13) mais pas très loin du double de celui des “personnes sans ascendance migratoire” (6,9).
               
              Alors si c’est ça pour vous “rejoindre” et que la fécondité “rejoint” autant que le taux de chômage…
               

            • Descartes dit :

              @ bip

              [Les descendants d’immigrés ont donc un taux de chômage presque similaire à celui des immigrés (resp. 12,2 et 13) mais pas très loin du double de celui des “personnes sans ascendance migratoire” (6,9).]

              Comparer les taux de chômage dans des couches sociales différentes, c’est comparer des choux et des carottes. Or, la pyramide sociale des immigrés et leurs enfants et la pyramide sociale des français “de souche” ne sont pas les mêmes. Est-ce que les médecins, les avocats, les ingénieurs d’origine maghrébine sont plus souvent aux chômage que leurs contreparties “de souche” ? J’en doute. Mais bien entendu, il y a beaucoup plus de médecins, d’avocats ou d’ingénieurs parmi les enfants des français “de souche” que chez les enfants d’immigrés…

              Lorsque j’écris que les français d’origine étrangère réjoignent rapidement le mode de vie des Français, il va de soi qu’il s’agit des Français DE NIVEAU SOCIAL EQUIVALENT.

            • @ Descartes,
               
              [Vous trouverez l’étude complète ici :]
              Vous m’avez mouché. Félicitations!
               
              Quand j’avais fouiné sur le site de l’INSEE, je n’avais trouvé les ICF (Indices Conjoncturels de Fécondité) que pour les femmes immigrées, et non les descendantes d’immigrés. Il faudra que j’approfondisse mes recherches quand j’aurai le temps (car l’étude que vous citez ne donne pas d’indications sur les taux de fécondité).

            • bip dit :

              @ Descartes
               
              [Comparer les taux de chômage dans des couches sociales différentes, c’est comparer des choux et des carottes.]
               
              Très bien. Mais alors parler d’ “immigrés” sans différencier leur pays d’origine a encore moins de sens vu que les écarts sont plus grands encore qu’entre les couches sociales…
               
              [Or, la pyramide sociale des immigrés et leurs enfants et la pyramide sociale des français “de souche” ne sont pas les mêmes.]
               
              Pour les immigrés européens, si.
               
               
              [Lorsque j’écris que les français d’origine étrangère réjoignent rapidement le mode de vie des Français, il va de soi qu’il s’agit des Français DE NIVEAU SOCIAL EQUIVALENT.]
               
              Le taux de chômage des immigrés et des descendants d’immigrés est quasiment le même… Donc de ce point de vue, l’écart dans le mode de vie entre descendants d’immigrés et immigrés n’a pas de raison d’être vu comme plus éloigné que celui entre descendants d’immigrés et Français de souche.
               

            • Descartes dit :

              @ bip

              [« Comparer les taux de chômage dans des couches sociales différentes, c’est comparer des choux et des carottes. » Très bien. Mais alors parler d’ “immigrés” sans différencier leur pays d’origine a encore moins de sens vu que les écarts sont plus grands encore qu’entre les couches sociales…]

              Bien entendu. C’est pourquoi les statistiques de l’INSEE séparent les immigrés en plusieurs catégories selon leurs origines.

              [« Or, la pyramide sociale des immigrés et leurs enfants et la pyramide sociale des français “de souche” ne sont pas les mêmes. » Pour les immigrés européens, si.]

              Pour les immigrés européens, non. Sauf à considérer que les Bulgares ou les Roumains ne sont pas « européens »…

              [« Lorsque j’écris que les français d’origine étrangère réjoignent rapidement le mode de vie des Français, il va de soi qu’il s’agit des Français DE NIVEAU SOCIAL EQUIVALENT. » Le taux de chômage des immigrés et des descendants d’immigrés est quasiment le même…]

              Là encore, pour être rigoureux, il vous faut comparer les taux de chômage AU MEME AGE, puisqu’on sait que le chômage des jeunes est très supérieur à celui des adultes, et que le groupe des immigrés est plus âgé en moyenne que celui des descendants d’immigrés.

      • BolchoKek dit :

        @ Descartes
         
        [C’est une très bonne question. On pourrait chercher je pense à quantifier le phénomène à partir des statistiques existantes, et notamment celles du ministère du travail, qui suit les tensions sur le marché du travail dans les différents segments de qualification. Peut-être un lecteur plus familier avec ces statistiques pourrait apporter ses lumières ?]
         
        Je pourrais y jeter un coup d’oeil… Quand je ne prépare pas la révolution prolétarienne, j’ai aussi un travail, qui consiste entre autre à récupérer, transformer, modéliser des données et à les représenter graphiquement. Quelle serait la problématique ? C’est à dire, quelles sont les questions précises auxquelles on voudrait répondre ?

        • Descartes dit :

          @ BolchoKek

          [Je pourrais y jeter un coup d’oeil… Quand je ne prépare pas la révolution prolétarienne, j’ai aussi un travail, qui consiste entre autre à récupérer, transformer, modéliser des données et à les représenter graphiquement. Quelle serait la problématique ? C’est à dire, quelles sont les questions précises auxquelles on voudrait répondre ?]

          On constate aujourd’hui une tension sur le marché du travail. La question est de savoir comment ces tensions sont distribuées : touchent-elles plus fortement les métiers qualifiés que les métiers non qualifiés ? Touchent-elles plus fortement les métiers à contraintes (horaires, géographiques, statutaires….) que les métiers qui y sont moins soumis ?

          La deuxième question concerne la question de flux : est que les individus qui démissionnent de leur travail reprennent un emploi de qualification – et/ou rémunération – inférieure ou supérieure ? L’hypothèse étant qu’on assiste à un mouvement vers le bas en matière de qualification.

          • BolchoKek dit :

            @ Descartes
             
            Si seulement tous les clients pouvaient avoir les idées aussi claires que toi !
             
            Je vais farfouiller dans les données publiques pour voir si j’arrive à quelque chose de satisfaisant. La première partie me semble tout à fait faisable à première vue. La deuxième est clairement plus ardue, à partir des données disponibles à priori il est difficile de suivre les flux entre différents secteurs. Je pourrais essayer d’éclairer certaines tendances mais ça nécessiterait des transformations statistiques qui risquent d’aboutir à un modèle qui ne représente pas grand chose et dont la représentativité est douteuse. Aucune garantie donc, mais j’ai deux semaines de congés donc ça me fera un projet amusant qui change de mon ordinaire !

            • Descartes dit :

              @ BolchoKek

              [ Aucune garantie donc, mais j’ai deux semaines de congés donc ça me fera un projet amusant qui change de mon ordinaire !]

              Encore un qui travaille pendant ses vacances…

  2. bernard dit :

    Bonjour , cela tiens du fait que les gens veulent échapper à la pression et risque à gagner moins ils préfèrent avoir moins de responsabilité , et de toute façon pas mal de postes avec  qualification se font rattraper par un salaire au smic !!

    • Descartes dit :

      @ bernard

      [Bonjour, cela tiens du fait que les gens veulent échapper à la pression et risque à gagner moins ils préfèrent avoir moins de responsabilité,]

      Exactement. Il fut un temps où les responsabilités – et le pouvoir et le prestige qui allaient avec – étaient une récompense en soi. On acceptait même des salaires qui étaient inférieurs au privé pour pouvoir les exercer. Aujourd’hui, les responsabilités ne sont guère liées au pouvoir et au prestige, au contraire. La montée en puissance de la figure du juge – c’est à dire, d’une figure irresponsable – illustre parfaitement cette dérive. Dans l’administration, mais aussi dans les entreprises, les fonctions de contrôle sont souvent bien plus prestigieuses que les fonctions actives…

  3. popote67 dit :

    Prem’s !
    (oui, bon, désolé, mais pour une fois que j’ai l’occasion de l’écrire 😉
    Merci pour vos billets. Je les imprime et je les mets amoureusement dans des vieilles reliures d’annuaires du ministère de l’Intérieur que je récupère à mon travail, et j’étais justement cette après-midi en pleine mise en page en écoutant du jazz lounge
    Comme déjà dit par le passé, si jamais vous venez un jour dans l’Antre de la Bête (pas Bruxelles, mais Strasbourg, avec sa contre-productive et dangereuse CEDH et son puéril Parlement), je serai honoré de vous serrer la main.
    Cordialement

    • Descartes dit :

      @ popote67

      [ Prem’s ! (oui, bon, désolé, mais pour une fois que j’ai l’occasion de l’écrire 😉]

      Ne vous privez pas !

      [Merci pour vos billets. Je les imprime et je les mets amoureusement dans des vieilles reliures d’annuaires du ministère de l’Intérieur que je récupère à mon travail, et j’étais justement cette après-midi en pleine mise en page en écoutant du jazz lounge…]

      Me savoir relié “amoureusement” dans des reliures du ministère de l’Intérieur… quel honneur !

      [Comme déjà dit par le passé, si jamais vous venez un jour dans l’Antre de la Bête (pas Bruxelles, mais Strasbourg, avec sa contre-productive et dangereuse CEDH et son puéril Parlement), je serai honoré de vous serrer la main.]

      Et bien, l’honneur sera partagé. Malheureusement, je vais très rarement à Strasbourg ces temps-ci… mais je note l’invitation !

    • Pierre dit :

      Quand je découvre un bas-rhinois évoquant l’Antre de la Bête… j’ai moi aussi très envie de lui serrer la main !
      Ce département est tellement infesté de personnes rêvant de jaune et bleu… (avec ou sans étoiles désormais)

  4. François dit :

    Bonsoir Descartes,
    Si les personnes qualifiées changent de travail, n’est-ce pas du tout d’abord à la perte de la reconnaissance de leur statut par la société ? Surtout quand on constate la prolifération d’agressions de médecins ou d’enseignants. Dans ces conditions, pourquoi se tuer à la tâche, si en retour on ne reçoit que du mépris ?
    Par ailleurs, je me demande si l’organisation scientifique du travail, qui ne s’applique plus qu’aux seuls postes à faible valeur ajoutée, mais également aux postes qualifiés sous le « managérialisme » détruit le sens du travail. Surtout si quand on est primo-embauché, avec l’informatisation (dont je me demande pour répondre au paradoxe de Solow, n’est pas dans une certaine mesure une trappe à productivité), on doit fournir à tour de pelle, documents PowerPoint ou extraction d’indicateurs, etc. Au final on se demande à quoi le travail que l’on réalise sert.
    Aller élever des chèvres en Ardèche, est un travail dont je doute fort qu’il soit reposant, tant en responsabilités qu’en durée de travail. En revanche il répond aux deux critères précédemment cités : reconnaissance sociale (surtout dans un pays au fond paysan comme la France) et sens du travail.

    • Descartes dit :

      @ François

      [Si les personnes qualifiées changent de travail, n’est-ce pas du tout d’abord à la perte de la reconnaissance de leur statut par la société ? Surtout quand on constate la prolifération d’agressions de médecins ou d’enseignants. Dans ces conditions, pourquoi se tuer à la tâche, si en retour on ne reçoit que du mépris ?]

      Je veux bien pour les enseignants et les médecins… mais pourquoi manque-t-on de soudeurs qualifiés, de plombiers, d’opérateurs de centrale nucléaire ? Que je sache, le métier n’est ni plus ni moins valorisé socialement qu’il y a vingt ans… a moins que vous ne comptiez là-dedans la dévalorisation générale du travail, mais c’était là précisément mon point.

      [Par ailleurs, je me demande si l’organisation scientifique du travail, qui ne s’applique plus qu’aux seuls postes à faible valeur ajoutée, mais également aux postes qualifiés sous le « managérialisme » détruit le sens du travail. Surtout si quand on est primo-embauché, avec l’informatisation (dont je me demande pour répondre au paradoxe de Solow, n’est pas dans une certaine mesure une trappe à productivité), on doit fournir à tour de pelle, documents PowerPoint ou extraction d’indicateurs, etc. Au final on se demande à quoi le travail que l’on réalise sert.]

      Je ne vois pas très bien où l’organisation scientifique du travail s’appliquerait aux « postes qualifiés ». Je pense que le phénomène que vous décrivez vient d’un autre processus plus complexe qui se rattache à la vision de Castoriadis de l’évolution du capitalisme, plusieurs fois discutée dans ce forum. Dans une organisation complexe, dans quelles conditions pouvez-vous laisser aux différents échelons une capacité d’initiative et d’auto-organisation sans pour autant mettre en danger l’unité d’action de la structure ? Il y a là deux options : soit vous êtes dans une organisation dont les agents partagent un cadre de référence, des valeurs, des interdits, bref, une idéologie. Dans ce cas, vous pouvez compter sur les agents pour aligner leurs actions spontanément sur cette idéologie, avec un contrôle minimum destiné à détecter les dérives. Soit vous êtes dans une organisation qui n’a pas d’idéologie partagée, et dans ce cas il vous faut un contrôle absolu sur chaque décision puisque les agents auront tendance à agir selon leur vision, qui peut être différente, voire opposée, aux objectifs des dirigeants de l’organisation.

      L’obsession des indicateurs et du « reporting » ne fait que signaler le passage d’organisations paternalistes où l’idéologie était partagée – au moins par la structure encadrante – à une organisation du « chacun pour soi ». Quand un cadre sait que sa fidélité ne lui garantit nullement un traitement bienveillant de sa hiérarchie, qu’il peut être viré dès lors qu’il n’est pas assez productif, le cadre partagé se fissure…

  5. cdg dit :

    Si on manque de professeur (ou d autres metiers qualifiés) c est lié a plusieurs parameters :
    – la  difference de salaire est faible entre le metier en question et un metier bien moins exigeant. Si vous gagnez autant en etant vendeur de piscine que prof, pourquoi se casser la tete a faire des etudes ?
    – les conditions de travail : etre envoyé dans la banlieue parisienne a faire cours a des gens qui n ont rien a faire de votre enseignement, ca ne motive pas
    – les exigences demesurées : doit on vraiment avoir un bac+5 pour etre instituteur (j ai une de mes cousine qui avait pu etre institutrice en 45 avec le … BEPC (examen de fin de 3eme) ). Meme si le niveau scolaire a baissé, en theorie un bac+5 de 2022 a plus de connaissance qu un BEPC 1945.
     
    J ai pris l exmeple des profs car tout le monde connait. Mais c est vrai dans d autre metiers. Je fais de l informatique mais si un grand nombre de diplomés en informatique quittent la branche c est pour fuir les SSII et l absence de perspective
    En ce qui concerne la carriere garantie, c est impossible. Comment pouvez vous promettre a quelqu un qui s engage dans une voie qu elle existera toujours 50 ans plus tard ? Il y a 20 ans faire des etudes pour apprendre a faire des moteurs diesel paraissait un choix rationnel. Maintenant tout le monde sait que c est un cul de sac. Meme constat avec la telephonie (tué par la voix sur IP et internet) et surement des tas d autres domaines
    Ce qui ne veut pas dire qu il faut des gens sans qualification au contraire. Car si vous voulez vous reconvertir, il est plus facile de le faire si vous avez un bon bagage. Par ex si vous avez ete a l ENSPM (ecole superieur des petroles et moteurs), pour reprendre mon exemple precedent, vous etes probablement capable de plancher sur la propulsion a l hydrogene
     
    PS: comment comptez vous contraindre un polytechnicien a ne pas tout quitter pour elever des chevres (ou il gagnera 1000 fois moins que dans une salle de marché) ? vous comptez faire comme Staline et affecter les gens de force a un poste (et un refus signifie la prison) ? et en admettant que vous y arriviez, comment faire pour que la personne ne fasse pas juste ses heures sans la moindre creativité ou sens des responsabilités ?

    • Descartes dit :

      @ cdg

      [Si on manque de professeur (ou d autres metiers qualifiés) c est lié a plusieurs parameters :
      – la difference de salaire est faible entre le metier en question et un metier bien moins exigeant. Si vous gagnez autant en etant vendeur de piscine que prof, pourquoi se casser la tete a faire des etudes ?]

      Mais… parce que l’argent n’est pas tout dans la vie – du moins, n’était pas tout quand j’ai choisi mon métier, j’ai quelquefois l’impression que le monde a beaucoup changé depuis. J’ai un peu enseigné, et j’adore ça au point de le faire gratuitement. C’est un plaisir à nul autre pareil que de voir des jeunes esprit s’ouvrir à un champ de connaissance qui vous passionne. Ca ne me viendrait pas à l’idée d’être volontaire pour vendre des piscines.

      [– les conditions de travail : etre envoyé dans la banlieue parisienne a faire cours a des gens qui n ont rien a faire de votre enseignement, ca ne motive pas]

      Mais pourquoi être envoyé chez les paysans de la Lozère ou de Basse-Bretagne en 1890 était une tâche exaltante, et pas être envoyé en Seine Saint Denis ? Le problème n’est pas celui des « conditions de travail ». L’humanitaire ne manque pas de volontaires, et pourtant les conditions de travail ne sont guère meilleures. Plus que les conditions de travail, c’est la banalisation qui tue le métier. Enseigner en 1890 était un acte militant. En 2022, c’est un boulot comme un autre.

      [– les exigences demesurées : doit on vraiment avoir un bac+5 pour etre instituteur (j ai une de mes cousine qui avait pu etre institutrice en 45 avec le … BEPC (examen de fin de 3eme) ). Meme si le niveau scolaire a baissé, en theorie un bac+5 de 2022 a plus de connaissance qu un BEPC 1945.]

      J’emprunterai ici une formule à Brighelli : un bac+5 de 2022 sait plus de choses qu’un BEPC de 1945, mais il les sait moins bien. Par ailleurs, je pense que l’histoire de votre cousine a été un peu déformée. On ne pouvait être instituteur en 1945 avec le BEPC. Tout au plus, le BEPC vous permettait de passer le concours des écoles normales d’instituteurs, avec une formation de deux ans – ou trois, je ne me souviens plus – à la clé. Autrement dit, même s’ils n’étaient pas bacheliers, les instituteurs étaient en termes de longueur d’études au niveau bac.

      [J’ai pris l’exemple des profs car tout le monde connait. Mais c’est vrai dans d’autres métiers. Je fais de l’informatique mais si un grand nombre de diplômés en informatique quittent la branche c’est pour fuir les SSII et l’absence de perspective]

      Là encore, l’explication ne correspond pas aux faits. Je peux comprendre qu’on fuie les SSII, qui ont-elles-mêmes d’ailleurs un système de gestion des compétences qui pousse les gens vers la sortie après quelques années de service. Mais il y a – et je suis bien placé pour vous le dire – une difficulté réelle à recruter des informaticiens dans les entreprises publiques et dans l’administration, et pourtant ce sont des organisations qui offrent des « perspectives » de long terme. La difficulté, c’est que les grilles salariales de ces organismes sont nettement moins attractives que celles des SSII. Alors, faut savoir ce qu’on veut : on peut avoir le métier intéressant et les perspectives, ou on peut avoir la feuille de paye. Mais on ne peut avoir les deux. Et beaucoup d’informaticiens que je connais sont incapables de faire un choix : quand ils travaillent dans l’administration, ils pleurnichent sur leur salaire, quand ils sont en SSII ils pleurnichent sur leur manque de perspectives…

      [En ce qui concerne la carrière garantie, c’est impossible. Comment pouvez-vous promettre a quelqu’un qui s’engage dans une voie qu elle existera toujours 50 ans plus tard ? Il y a 20 ans faire des études pour apprendre à faire des moteurs diesel paraissait un choix rationnel. Maintenant tout le monde sait que c’est un cul de sac. Même constat avec la téléphonie (tué par la voix sur IP et internet) et surement des tas d’autres domaines]

      Deux réponses à cette question. La première, c’est de valoriser les formations généralistes par rapport aux formations spécialisées – ce que le système issu de la Révolution et de l’Empire savait très bien faire, avec ses écoles qui revendiquaient leur formation généraliste, sur le modèle de l’école Polytechnique ou des écoles normales. Un généraliste, même s’il est conduit par sa pratique professionnelle à se spécialiser, sera toujours beaucoup plus facile à reconvertir sur un nouveau domaine. La seconde est que si vous ne pouvez assurer qu’un domaine existera toujours vingt ou trente ans plus tard, vous pouvez par contre bâtir un système qui assure à celui dont le domaine disparaît une possibilité de reconversion avec un minimum de traumatisme.

      Prenons par exemple la logique de la fonction publique. Le fonctionnaire dont le domaine d’activité disparaît doit se reconvertir… mais conservera dans son nouveau domaine son grade et donc son salaire. Vous me direz que c’est plus cher que le système où on l’obligerait à repartir de zéro. C’est vrai, mais devant ce coût vous devez compter l’avantage d’avoir des gens qui s’investissent dans leur boulot sachant que cet investissement sera acquis pour eux même s’ils doivent changer de domaine.

      [PS: comment comptez-vous contraindre un polytechnicien a ne pas tout quitter pour élever des chèvres (ou il gagnera 1000 fois moins que dans une salle de marché) ? vous comptez faire comme Staline et affecter les gens de force a un poste (et un refus signifie la prison) ? et en admettant que vous y arriviez, comment faire pour que la personne ne fasse pas juste ses heures sans la moindre créativité ou sens des responsabilités ?]

      Affecter les gens de force est une méthode qui peut se défendre lorsqu’on est dans une économie de guerre – et je crois savoir qu’il n’y a pas que Staline qui l’ait fait, relisez l’histoire des « affectés spéciaux ». Mais je vous accorde que dans un fonctionnement normal de l’économie, ce n’est pas une bonne idée. Et puis, je n’ai rien contre les gens qui vont élever des chèvres si ça leur chante. Ce qui me gêne, c’est que la collectivité gâche ses ressources en payant des études de qualité à des gens qui ensuite élèveront des chèvres. Mais cela peut s’arranger sans les envoyer au Goulag : les pointer du doigt dans les médias comme des parasites profiteurs me paraît bien plus efficace…

      • cdg dit :

         
        [C’est un plaisir à nul autre pareil que de voir des jeunes esprit s’ouvrir à un champ de connaissance qui vous passionne. Ca ne me viendrait pas à l’idée d’être volontaire pour vendre des piscines.]
        Je me vois aussi mal vendre des piscines. Mais si j aurai du plaisir a transmettre mes connaissances a des enfants, j ai du mal a m imaginer prof et de devoir passer mon temps a faire de la discipline et essayer de faire rentrer quelque chose dans la tete de gamins qui en ont rien a faire …
        [Par ailleurs, je pense que l’histoire de votre cousine a été un peu déformée. On ne pouvait être instituteur en 1945 avec le BEPC. Tout au plus, le BEPC vous permettait de passer le concours des écoles normales d’instituteurs, avec une formation de deux ans – ou trois, je ne me souviens plus – à la clé. Autrement dit, même s’ils n’étaient pas bacheliers, les instituteurs étaient en termes de longueur d’études au niveau bac.]
        Je pense aussi qu il y a un peu d exageration pour la cousine. Mais il reste que vous aviez a l epoque quelqu un avec le bac et maintenant un bac+5 … Soyons franc, meme en admettant que le niveau a drastiquement baissé, on pourrait tres bien mettre un recrutement des instituteurs au bac et 2 ans de formation
        [Je peux comprendre qu’on fuie les SSII, qui ont-elles-mêmes d’ailleurs un système de gestion des compétences qui pousse les gens vers la sortie après quelques années de service.]
        Ayant frequente le milieu, je pense que c est voulu. L objectif c est avoir du jeune pas cher et corveable a merci. Et apres quelques annees, il devient trop cher donc il est souhaitable qu il parte et qu on recrute un nouveau tout juste diplomé. A une certaine epoque Altran avait un turnover de 30 %: en 3 ans statistiquement ils avaient renouvelé tout le cheptel
        [Mais il y a – et je suis bien placé pour vous le dire – une difficulté réelle à recruter des informaticiens dans les entreprises publiques et dans l’administration, et pourtant ce sont des organisations qui offrent des « perspectives » de long terme. La difficulté, c’est que les grilles salariales de ces organismes sont nettement moins attractives que celles des SSII.]
        Si ca peux vous rassurer c est pas que dans l administration. Meme des entreprise du CAC40 ont des problemes de recrutement d ingenieurs. Dans le cas en question (pas en informatique), ca donnait
        – on a quasiment pas de candidats et ceux qu on a j ai pas envie de les embaucher.
        – vous leurs offrez combien ?
        – 2000/2500 par mois
        – Combien ca coute de louer un appartement ici ?
        – environ 1000 €/mois
        Je sais que vous allez me reprocher de faire une fixation sur l immobilier. Mais vos employés ne demandent pas a avoir un salaire qui leur permette de rouler en Ferrari mais juste de ne pas avoir a choisir entre colocation comme un etudiant ou engloutir 45 % de son salaire en loyer
        Dans le cas en question, je suppose que les candidats potentiels savent tres bien qu a Paris le salaire offert leur permettra juste de choisir entre clapier ou des heures de RER. Par consequent, ils ne postulent meme pas et vont ailleurs. Pas sur que ca soit vers les chevres dans le Larzac mais plutot vers la RFA (quand j etais a francfort, il y avait plein de francais)
        [Prenons par exemple la logique de la fonction publique. Le fonctionnaire dont le domaine d’activité disparaît doit se reconvertir… mais conservera dans son nouveau domaine son grade et donc son salaire. ]
        Et s il refuse ?
        Si vous avez un professeur de steno-dactylo (savoir tres demandé dans les annees 60, inutile aujourd hui). Que faire si celui ci refuse de se former pour faire autre chose ? Ca peut etre tout a fait rationel si l absence de demande fait qu il n a plus de cours a assurer mais que l EN doive malgre tout le payer
        [Affecter les gens de force est une méthode qui peut se défendre lorsqu’on est dans une économie de guerre – et je crois savoir qu’il n’y a pas que Staline qui l’ait fait, relisez l’histoire des « affectés spéciaux ».]
        Staline ne la pas fait qu entre 41 et 45…
        [Ce qui me gêne, c’est que la collectivité gâche ses ressources en payant des études de qualité à des gens qui ensuite élèveront des chèvres. Mais cela peut s’arranger sans les envoyer au Goulag : les pointer du doigt dans les médias comme des parasites profiteurs me paraît bien plus efficace…]
        Sans aller jusqu au terme de parasite, leur faire comprendre qu ils doivent un retour a la société. Que ca soit en travaillant 10 ans comme ingenieurs ou en donnant des cours de math dans leur village apres s etre occupé des chevres
         
         

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [Je me vois aussi mal vendre des piscines. Mais si j’aurai du plaisir a transmettre mes connaissances a des enfants, j’ai du mal à m’imaginer prof et de devoir passer mon temps à faire de la discipline et essayer de faire rentrer quelque chose dans la tête de gamins qui en ont rien à faire …]

          Enseigner à des gamins qui ont envie d’apprendre, c’est un peu facile. Tout l’art de l’enseignant, c’est d’abord de faire en sorte que ses élèves « aient quelque chose à faire » de ce qu’il enseigne. Bien sûr, il y a des conditions plus ou moins difficiles, des gamins plus ou moins imperméables… dans certains contextes, si on arrive à faire que trois ou quatre s’en sortent, c’est un exploit. Mais c’est vrai dans tous les métiers : on ne réussit jamais à tous les coups…

          [Je pense aussi qu’ il y a un peu d’exagération pour la cousine. Mais il reste que vous aviez à l’époque quelqu’un avec le bac et maintenant un bac+5 … Soyons franc, même en admettant que le niveau a drastiquement baissé, on pourrait très bien mettre un recrutement des instituteurs au bac et 2 ans de formation]

          Avec le niveau du bac aujourd’hui ? Je ne crois pas que deux ans de formation permettraient d’avoir des instituteurs qui ne font pas de fautes d’orthographe…

          [Si ça peut vous rassurer c est pas que dans l’administration. Même des entreprise du CAC40 ont des problèmes de recrutement d’ingénieurs. Dans le cas en question (pas en informatique), ça donnait
          – on n’a quasiment pas de candidats et ceux qu’on a je n’ai pas envie de les embaucher.
          – vous leurs offrez combien ?
          – 2000/2500 par mois
          – Combien ça coute de louer un appartement ici ?
          – environ 1000 €/mois
          Je sais que vous allez me reprocher de faire une fixation sur l’immobilier.]

          Je pense d’abord que vous faites une fixation sur la région parisienne. Parce qu’en province, un loyer de 1000€/mois est relativement exceptionnel. Mais surtout, cela n’explique pas pourquoi on a du mal à trouver des ingénieurs en informatique, et pas des caissières de supermarché ou de chauffeurs UBER. Eux aussi payent leur loyer, non ?

          [Mais vos employés ne demandent pas a avoir un salaire qui leur permette de rouler en Ferrari mais juste de ne pas avoir a choisir entre colocation comme un étudiant ou engloutir 45 % de son salaire en loyer]

          Admettons. Mais ces ingénieurs qui ne veulent pas travailler dans une entreprise du CAC40 parce qu’ils ne veulent payer 45% de leur salaire en loyer, où trouvent-ils un emploi ?

          [Dans le cas en question, je suppose que les candidats potentiels savent très bien qu’à Paris le salaire offert leur permettra juste de choisir entre clapier ou des heures de RER. Par conséquent, ils ne postulent même pas et vont ailleurs. Pas sûr que ça soit vers les chèvres dans le Larzac mais plutôt vers la RFA (quand j’étais à francfort, il y avait plein de français)]

          A Paris, ou je suis, je rencontre plein d’allemands… je ne pense pas que cela prouve grande chose. On ne voit pas une fuite massive d’ingénieurs français vers l’Allemagne : ils sont beaucoup plus nombreux à aller en Californie, ou l’immobilier est TRES cher… effectivement, je pense que vous faites une fixation sur l’immobilier. Il est vrai qu’à Paris avec un salaire moyen on vit dans des petits appartements, mais il ne faut tout de même pas exagérer. Cela reste vivable.

          [« Prenons par exemple la logique de la fonction publique. Le fonctionnaire dont le domaine d’activité disparaît doit se reconvertir… mais conservera dans son nouveau domaine son grade et donc son salaire. » Et s’il refuse ?]

          On le vire. Je vous rappelle que l’obéissance hiérarchique est une obligation de tout fonctionnaire. Le statut interdit de le faire travailler pour un salaire inférieur, mais le fonctionnaire qui refuse de faire le travail qu’on lui attribue peut être révoqué pour insuffisance professionnelle.

          [« Affecter les gens de force est une méthode qui peut se défendre lorsqu’on est dans une économie de guerre – et je crois savoir qu’il n’y a pas que Staline qui l’ait fait, relisez l’histoire des « affectés spéciaux ». » Staline ne la pas fait qu entre 41 et 45…]

          L’URSS n’a pas été en guerre qu’entre 1941 et 1945…

  6. COUVERT Jean-Louis dit :

    Un exemple (personnel) : en 2010 mon épouse, secrétaire au Conseil Général faisant 30 heures par semaine gagnait 150 euros de plus par mois alors que, étant cadre technique dans une grosse entreprise je faisais je ne sais plus combien d’heures (il y a des calculs qu’il vaut mieux ne pas faire), que j’étais sur la brèche nuit et jour toute l’année (on m’a même fait revenir à l’usine un jour où j’étais censé être en vacances)… J’ai failli démissionner plus d’une fois et ce qui m’en a empêché c’est que j’aimais ce travail ! Il est vrai que dès que j’ai pu, j’ai pris ma retraite ce qui pourrait s’assimiler à une démission.

    • Descartes dit :

      @ COUVERT Jean-Louis

      [Un exemple (personnel) : en 2010 mon épouse, secrétaire au Conseil Général faisant 30 heures par semaine gagnait 150 euros de plus par mois]

      J’ai beaucoup de mal à vous croire. D’une part, parce qu’il est impossible dans la fonction publique de travailler moins de 1600 heures par an, sauf à être à temps partiel, et d’autre part parce que la grille de – sauf à dire qu’elle était à temps partiel. Et d’autre part, les grilles indiciaires des secrétaires dans la fonction publique culminent autour de 2800 € bruts… au bout de 25 ans de service et à condition d’avoir été promue à la « classe exceptionnelle »…

      [J’ai failli démissionner plus d’une fois et ce qui m’en a empêché c’est que j’aimais ce travail !]

      C’était là mon point. Ceux qui réduisent le travail à une activité qui ne sert qu’à gagner un salaire ou à enrichir un patron passent à côté de la véritable complexité de la question. C’est par le travail que nous structurons nos rapports à la société parce que c’est par le travail que nous devenons UTILES. Sans le travail, la société serait indifférent à notre existence. C’est parce que nous travaillons que notre présence – ou notre absence – se fait sentir. Et en retour, cette utilité nous valorise.

      Il m’est arrivé, comme vous, d’être dérangé au milieu de la nuit ou en vacances pour me rendre à mon travail pour gérer une crise ou une affaire urgente. Et je retire de cette réquisition un grand plaisir, parce que cela montre que l’organisation n’est pas indifférente à ma présence, qu’elle ne peut tourner sans moi. Quelle récompense symbolique pourrait-être comparée au sentiment d’être indispensable ? Et je peux vous assurer que dans mon milieu professionnel, ma réaction n’est pas isolée, mais est le reflet d’une culture collective.

      [Il est vrai que dès que j’ai pu, j’ai pris ma retraite ce qui pourrait s’assimiler à une démission.]

      Puisqu’on est à raconter sa vie, je peux vous dire que ma réaction est l’inverse : je suis terrifié à l’idée qu’un jour la retraite viendra, que je ne serai plus « indispensable » à personne…

  7. BSA dit :

    Bonjour
    L’essentiel est l’idéologie dominante où tous nous sommes sois disant entrepreneurs (de nous-même aussi …). Un entrepreneur doit sortir du cash sans arrêt ou il disparait. Les travailleurs vont donc là où il y a le plus de cash à faire et le plus facilement. Un jeune veut du gros cash d`s qu’il a un peu d’expérience car il veut acheter des apparts et les louer et arrêter de bosser en gagnant plus avec ses investissements. Le seul sens que nos sociétés ont a proposer c’est du cash, toujours plus de cash ET toujours plus de consommation. Dès que c’est difficile ou fatiguant le salaire doit être énorme sinon les gens cherchent ailleurs. C’est la société que nos élites ont imposée. Les résultats sont là, bien visibles. Quand un salarié même hyper compétent et rentable sait que sa boite peut disparaitre demain sans préavis, la seule chose qui l’intéresse c’est le prochain poste mieux payé et moins fatiguant, comme ça il a encore de l’énergie pour s’occuper de ses investissements personnels pour s’assurer un avenir relativement prévisible.
     

    • Descartes dit :

      @ BSA

      [L’essentiel est l’idéologie dominante où tous nous sommes soi-disant entrepreneurs (de nous-même aussi …).]

      Mais… est-ce vraiment le cas ? Comment l’idée que « nous sommes tous entrepreneurs de nous-mêmes » se marie avec la vision « victimiste », qui fait de chacun de nous la « victime » de mécanismes – de discrimination, de domination, d’exclusion – sur lesquels nous n’avons aucun contrôle ?

      Je pense que l’idéologie dominante était « entrepreneuriale » quand le capitalisme était en expansion et que l’ascenseur social fonctionnait. Dans ces conditions, on a intérêt à ce que les gens « entreprennent ». Mais dans un contexte de croissance très faible, les classes dominantes n’ont aucun intérêt à stimuler l’ambition des couches populaires, alors que le système ne leur donne aucune possibilité de promotions sociale. D’où le discours « victimiste », du genre « pas la peine de faire des efforts, vous serez chômeurs ».

      [Les travailleurs vont donc là où il y a le plus de cash à faire et le plus facilement.]

      C’est moins évident que vous ne le pensez. Prenez ces cadres supérieurs qui partent élever des chèvres dans le Larzac. Pensez-vous que c’est en élevant des chèvres qu’ils se feront « le plus de cash » ? Non, dans une société qui assure à ses membres une abondance relative, la question de « travailler moins pour gagner moins » semble se poser. Ce à quoi on assiste, c’est à des gens qui boudent des métiers relativement bien payés mais contraignants, pour faire des métiers moins biens payés mais sans les contraintes.

      [Dès que c’est difficile ou fatiguant le salaire doit être énorme sinon les gens cherchent ailleurs.]

      Mais même avec des salaires « énormes », vous n’y arrivez pas… un soudeur qualifié nucléaire gagne très bien sa vie. J’en ai connu qui se faisaient 8000 € par mois, un salaire de ministre. Et pourtant, on ne trouve pratiquement pas de jeunes qui veulent se former dans ce métier.

      • dsk dit :

        @ Descartes
         
        [“[L’essentiel est l’idéologie dominante où tous nous sommes soi-disant entrepreneurs (de nous-même aussi …).] [“Mais… est-ce vraiment le cas ? Comment l’idée que « nous sommes tous entrepreneurs de nous-mêmes » se marie avec la vision « victimiste », qui fait de chacun de nous la « victime » de mécanismes – de discrimination, de domination, d’exclusion – sur lesquels nous n’avons aucun contrôle ?”]
         
        Elle ne se marie pas. Cela semble une contradiction, en effet. Mais l’idée que nous serions tous censés, selon l’idéologie managériale d’aujourd’hui, être des “entrepreneurs de nous-mêmes” me paraît difficilement contestable. Comment s’étonner, dès lors, que les salariés finissent par ne plus se concevoir eux-mêmes que comme des individus-îles, ne travaillant que pour satisfaire leurs propres intérêts ? A vouloir trop casser la solidarité entre travailleurs, le patronat serait parvenu à abolir celle des travailleurs vis-à-vis de leur entreprise, en quelque sorte. 

        • Descartes dit :

          @ dsk

          [Elle ne se marie pas. Cela semble une contradiction, en effet. Mais l’idée que nous serions tous censés, selon l’idéologie managériale d’aujourd’hui, être des “entrepreneurs de nous-mêmes” me paraît difficilement contestable.]

          Je vous ai montré que le discours dominant contredit largement cette idéologie, alors ne me dites pas que son caractère dominant est « difficilement contestable ». Je pense que vous retardez un peu : cette idéologie « managériale » était peut être dominante il y a quarante ans, elle a connu son apogée avec les « années fric ». Mais elle a reculé très largement depuis devant l’idéologie « victimiste ». Tapie l’entrepreneur est un héros des années 1980. Aujourd’hui, il n’aurait aucune chance.

          [Comment s’étonner, dès lors, que les salariés finissent par ne plus se concevoir eux-mêmes que comme des individus-îles, ne travaillant que pour satisfaire leurs propres intérêts ? A vouloir trop casser la solidarité entre travailleurs, le patronat serait parvenu à abolir celle des travailleurs vis-à-vis de leur entreprise, en quelque sorte.]

          Je ne crois pas que les deux choses soient liées. Le patronat, en imposant la flexibilité du lien entre le travailleur et l’entreprise a cassé l’entreprise en tant que « communauté de production ». En effet, si l’entreprise n’a aucune responsabilité envers le salarié, si elle peut casser le lien avec lui à sa convenance et sans la moindre considération, pourquoi le salarié aurait envers elle d’autre obligation que de faire le travail pour lequel il est payé ? L’entreprise paternaliste pouvait commander une certaine fidélité en contrepartie. Mais Marx l’avait prédit : le capitalisme tend à réduire tous les rapports humains à des rapports monétaires.

          • dsk dit :

            @ Descartes
             
            [“Elle ne se marie pas. Cela semble une contradiction, en effet. Mais l’idée que nous serions tous censés, selon l’idéologie managériale d’aujourd’hui, être des “entrepreneurs de nous-mêmes” me paraît difficilement contestable.”] [“Je vous ai montré que le discours dominant contredit largement cette idéologie, alors ne me dites pas que son caractère dominant est « difficilement contestable ».”]
             
            Selon les échos que j’en ai, en tout cas, il me semble que dans le monde merveilleux du CAC 40 d’aujourd’hui, coexiste sans aucune difficulté l’idéologie “woke” victimiste avec l’idée que le salarié serait son propre “patron”. Sans doute y voyez-vous une contradiction, mais pas eux, il faut croire.  
             
            [“Comment s’étonner, dès lors, que les salariés finissent par ne plus se concevoir eux-mêmes que comme des individus-îles, ne travaillant que pour satisfaire leurs propres intérêts ? A vouloir trop casser la solidarité entre travailleurs, le patronat serait parvenu à abolir celle des travailleurs vis-à-vis de leur entreprise, en quelque sorte.”] [“Je ne crois pas que les deux choses soient liées. Le patronat, en imposant la flexibilité du lien entre le travailleur et l’entreprise a cassé l’entreprise en tant que « communauté de production ». En effet, si l’entreprise n’a aucune responsabilité envers le salarié, si elle peut casser le lien avec lui à sa convenance et sans la moindre considération, pourquoi le salarié aurait envers elle d’autre obligation que de faire le travail pour lequel il est payé ? L’entreprise paternaliste pouvait commander une certaine fidélité en contrepartie. Mais Marx l’avait prédit : le capitalisme tend à réduire tous les rapports humains à des rapports monétaires.”]
             
            Exactement. Et ce que je voulais dire, c’est que dans ce rapport purement monétaire, chacun ne cherche d’abord qu’à satisfaire son propre intérêt, en donnant le moins possible en échange du plus possible. N’est-ce pas là, au fond, ce que vous dénonciez ?

            • Descartes dit :

              @ dsk

              [Selon les échos que j’en ai, en tout cas, il me semble que dans le monde merveilleux du CAC 40 d’aujourd’hui, coexiste sans aucune difficulté l’idéologie “woke” victimiste avec l’idée que le salarié serait son propre “patron”. Sans doute y voyez-vous une contradiction, mais pas eux, il faut croire.]

              Pardon, mais entre « être son propre patron » et « être entrepreneur de soi-même » il y a une grande différence. La première expression relève de l’organisation du travail, la seconde de la construction de soi.

              [Exactement. Et ce que je voulais dire, c’est que dans ce rapport purement monétaire, chacun ne cherche d’abord qu’à satisfaire son propre intérêt, en donnant le moins possible en échange du plus possible. N’est-ce pas là, au fond, ce que vous dénonciez ?]

              Il n’y a pas que ça : non seulement dans un rapport monétaire chacun donne le moins possible en échange du plus possible, mais le rapport monétaire est purement contractuel, autrement dit, chacun donne ce à quoi il s’est engagé par contrat, et rien de plus. Si l’employé s’est engagé par contrat à faire 7h30 de travail par jour, et qu’une commande urgente nécessite qu’il travaille 8, 9 ou 10 heures, pourquoi y consentirait-il ? Et à l’inverse, si son contrat de travail permet de le licencier pour raison économique, pourquoi son patron s’en priverait s’il n’a plus besoin de lui ? Cela casse la vision « paternaliste » de l’entreprise, où le salarié était prêt à déborder ses heures si on avait besoin de lui, mais à l’inverse le patron le gardait même si l’entreprise n’avait pas assez de commandes…

              La vision “paternaliste” n’est pas moins efficace que la vision “néolibérale”. Simplement, elle correspond à une vision du temps différente. Dans un cas, on achète un dévouement en échange d’une protection sur le long terme, dans le second on est dans un rapport de court terme

  8. Bruno dit :

    Bonjour Descartes, merci pour cet article. Ne croyez-vous pas également qu’un autre facteur joue, encore plus prosaïque : la flemme ou bien la recherche du moindre effort… Je ne dis pas que nous vivons désormais dans une société de flemmards, ni même que ce trait d’esprit se développe de façon homogène dans toutes les strates de la société, mais c’est clairement une tendance lourde. Nombreux sont ceux, dans nos sociétés occidentales, qui regimbent à l’effort et refusent de se soumettre à l’adage biblique. Un exemple parmi tant d’autres est la multiplication des services parasites qui ponctionnent la richesse crée pour compenser la flemme de ceux qui ont quelques deniers : la proliferation des livreurs dans les grandes agglomérations où se trouvent paradoxalement le plus de services et où on peut tout faire sur ses deux jambes est symptomatique.

    • Descartes dit :

      @ Bruno

      [Bonjour Descartes, merci pour cet article. Ne croyez-vous pas également qu’un autre facteur joue, encore plus prosaïque : la flemme ou bien la recherche du moindre effort… Je ne dis pas que nous vivons désormais dans une société de flemmards, ni même que ce trait d’esprit se développe de façon homogène dans toutes les strates de la société, mais c’est clairement une tendance lourde.]

      Le diriez-vous que vous ne seriez pas le seul… je me souviens avoir vu passer récemment un article sur « la civilisation de la flemme ». L’auteur analysait un élément intéressant, qui est le développement des livraisons à domicile. On peut constater que des gens sont prêts à payer des sommes non négligeables pour ne pas avoir à aller chercher leur hamburger McDo au bout de la rue ou pour ne pas avoir à faire la cuisine. Alors qu’on n’a jamais eu autant de temps libre, jamais eu autant de machines qui économisent le travail domestique, certaines tâches qui semblaient aller de soi – et pour certaines étaient même un plaisir – il y a seulement quelques années sont devenues des corvées au point qu’on est prêt à payer pour s’en débarrasser.

      Cette « civilisation de la flemme » est à rapprocher à la question de la dévalorisation du travail en tant que source d’utilité sociale et donc de légitimité. Pour ma mère et ma grand-mère, commander des plats préparés était la négation de leur utilité (et cela alors même qu’elles avaient un travail !). Quand on a proposé à ma mère – 80 ans à l’époque – une aide-ménagère, sa réponse a été « je ne suis pas invalide, que je sache ». Mon père et mon grand-père ont accepté des boulots de m… plutôt que de toucher le chômage (« je suis encore capable de nourrir ma famille »). Pour celui qui n’était pas bourgeois, perdre son travail, abandonner son activité, c’était la mort sociale. Aujourd’hui, pour l’idéologie dominante, celui qui travaille est un imbécile, le vrai modèle étant celui qui profite de tout sans travailler.

      • cdg dit :

        “Aujourd’hui, pour l’idéologie dominante, celui qui travaille est un imbécile, le vrai modèle étant celui qui profite de tout sans travailler.”
        C est exactement ce que disait mon ex beau frere . Un champion du parasitisme qui savait exploiter a fond les aides, allocations en tout genre
        Et il faut reconnaitre que pendant un temps ca lui a assez bien profité et que c etait assez rationnel vu qu il gagnait quasiment autant en ne travaillant pas
        Et si on regarde dans les medias, c est ce qui est mis en avant: faites influenceur, star de la tele realite ou speculateur en bitcoin. Ca rapporte plus que d aller travailler et de vous faire plumer 50 % en impots et cotisation sociales
         

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [Et si on regarde dans les medias, c est ce qui est mis en avant: faites influenceur, star de la tele realite ou speculateur en bitcoin. Ca rapporte plus que d aller travailler et de vous faire plumer 50 % en impots et cotisation sociales]

          Clairement, la mise en avant d’activités – on n’ose dire “métiers” – ou l’on gagne de l’argent en exploitant l’imbécilité publique participe de la dévalorisation du travail créateur de valeur… par contre, je ne partage pas votre obsession avec les impôts et cotisations sociales. Je n’ai nullement l’impression de me faire “plumer”. Compte tenu des services publics dont j’ai bénéficié, j’estime payer un juste prix.

  9. luc dit :

    Comme le montre Sandrine Rousseau,c’est par le tête de ses dirigeants qu’une société entre en décomposition,comme le poisson.
    Y a longtemps que le ‘jouïr sans entraves’ au départ aristocratique puis d’extrême droite a été imposé au camp des travailleurs que je soutiens.
    les défenseurs de Vygtosky sont trés peu nombreux est ce le hasard puisque notre Nation est démantelée par ses députés,son gouvernement et son président.
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Lev_Vygotski
    Comme père,ce fut un calvaire que de fonder une famille dans les années 1980 puis 2000,jusqu’à maintenant car biberonnés à cette démagogique haine du travail les ados garçons actuels se fourvoient souvent plus que les filles..Ecouré!!!..En 2022,je vois ma tante succomber d’un cancer à cause des déserts médicaux alors que des milliers de mosquées propsèrent chez nous pendant que des milliers de médecins issus d’Afrique du nord et moyen orient viennent tarvailler légalement ..Tout ça,grâce au numérus clausus mis en place ,y a 50 ans,par des médecins cupides dont beaucoup votent Macron..Où va le pays car pendant que la guerre nucléaire menace,l’invasion sournoise continue.. Des centaines de milliers de migrants traversent dangeureusement les mers grâce à une mafia rentière,puisque un groupe important de députés comme Rousseau dit partout  que les français ne souhaitent pas travailler…Oui je suis écoeuré!
    En médecine de brillants candidats après une année de sacrifices à bûcher sont éliminés à 15/20 en sciences ‘dures’ car ils ne savent pas …interpréter un tableau de peinture du 16ième ou la date du sputnik .
    En effet,les siences humaines ont exigé et obtenus d’être au jury de 1ère année dans une discipline bidon en médecine de ‘culture générale’..Tous ces jurys votent Macron..Oui écoeuré !car justement j’ai le sentiment que même Macron,comme ceux de droite pensent que les français sont fainéants..
    Pourtant Marx,Jaurès ,Victor hugo ,Robespierre,Thorez,Marchais ,tous les fondateurs de la Gauche ont dénoncé le chomâge , et demander à ce que le travail soit justement rémunérés.
    Que les rentiers,les aristos,les réactionnaires anti peuple se gaussent du travail et le méprise ostensiblement,c’est logique.
    Mais qu’une chef de la Nupes où se trouve le pcf ,dise ça??…NON!
    Et que dire d’Ebono,député de la Nation,soucieuse de se faire comprendre des caïras ,disant au sujet des contradicteurs de Rousseau ‘qu’ils mangent leurs ancêtres’???….Non!
    Cette expression suppose que les contradicteurs de Rousseau,français de souches souvent ,n’ont  pas le respect de leurs aïeuls et de leur travail; INSULTANT !
    Intolérable,même si c’est un cliché chez des gens issus des cultures musulmanes de dire que les ‘souchiens’d’occident n’ont pas de morales…Les Daechistes désignent par ce terme ,de canibales,les infidèles…Nous sommes en République où les députés représentent une nation de presque 2000ans.
    Ebono comme Rousseau doivent démissioner de l’Assemblée Nationale et quitter la Nupes, non?
    Les syndicats  ne pourraient il pas  porter plainte contre elles pour diffamation?défendre le travail,nos aiêux
    sont du ressort du garde des sceaux mais apparement il a d’autres soucis…
     

    • Descartes dit :

      @ luc

      [Comme le montre Sandrine Rousseau, c’est par le tête de ses dirigeants qu’une société entre en décomposition, comme le poisson.]

      N’exagérons rien. Sandrine Rousseau n’est pas une « dirigeante » de notre société. C’est une obscure prof d’économie d’une université de province qui s’ennuyait dans son métier et qui a décidé de jouer les apparatchiks. Chaque fois qu’elle a essayé de se faire élire aux responsabilités, elle a échoué lamentablement, et n’a réussi à s’imposer médiatiquement qu’en tirant contre un dirigeant de son propre parti, l’infortuné Denis Baupin. Et aujourd’hui, elle a réussi à se faire élire député grâce à une alliance d’appareils. C’est ça, un « dirigeant » ?

      Il ne faut voire en Sandrine Rousseau plus qu’elle n’est : une personnalité qui arrive à convoquer les médias en faisant du scandale – un peu la même stratégie utilisée par Mélenchon quelques années auparavant, sauf que Mélenchon insultait les journalistes là ou Rousseau insulte ses propres camarades. Mais en dehors de son pouvoir de nuisance médiatique et son autorité dans le petit groupuscule des « écoféministes », elle n’existe pas.

      [Y a longtemps que le ‘jouïr sans entraves’ au départ aristocratique puis d’extrême droite a été imposé au camp des travailleurs que je soutiens.]

      Aristocratique puis d’extrême droite ? Non, mon ami, le « jouir sans entraves » est dès le départ une invention de la gauche dite radicale. L’aristocratie était au contraire bâtie sur le principe que « noblesse oblige », et que pour mériter ses grands privilèges il fallait s’imposer de grandes obligations. Quand l’aristocratie a oublié ces principes, la guillotine est venue les lui rappeler. C’est la gauche radicale qui, à la fin des années 1960, décréta que « métro, boulot, dodo, c’est bon pour les veaux », qu’il fallait « demander l’impossible » si on voulait être réaliste, et « jouir sans entraves » pendant qu’on le pouvait.

      [En 2022, je vois ma tante succomber d’un cancer à cause des déserts médicaux alors que des milliers de mosquées prospèrent chez nous pendant que des milliers de médecins issus d’Afrique du nord et moyen orient viennent travailler légalement …]

      Je ne saisis pas trop le rapport entre le cancer de votre tante, la prospérité des mosquées et le fait que des médecins issus d’ailleurs – assez rarement d’Afrique du nord, il faut préciser – exercent chez nous légalement. Faudrait pas mélanger toutes vos obsessions dans la même phrase…

      [Tout ça, grâce au numérus clausus mis en place, y a 50 ans, par des médecins cupides dont beaucoup votent Macron.]

      Là encore, il ne faut pas trop mélanger. Ceux qui ont mis le numerus clausus en place il y a 50 ans ne sont en général pas en état de voter. Je ne suis par ailleurs pas persuadé que le numérus clausus soit le véritable problème. Est-ce que nous manquons de médecins EN GENERAL, ou bien manquons nous de médecins DANS CERTAINS TERRITOIRES ET CERTAINES SPECIALITES alors qu’il y a excès dans d’autres ? J’ajoute que la fin du numérus clausus serait un désastre : d’une part, parce que cela reviendrait à investir lourdement dans la formation de médecins sans pouvoir garantir un emploi à la sortie. D’autre part, parce qu’il faut bien que tout le monde vive, et que la médecine étant payée quasi exclusivement par la Sécurité sociale et les mutuelles, plus de médecins implique plus de dépenses sans que cela améliore nécessairement la qualité des soins.

      [En effet, les sciences humaines ont exigé et obtenus d’être au jury de 1ère année dans une discipline bidon en médecine de ‘culture générale’. Tous ces jurys votent Macron…]

      C’est loin d’être évident. La campagne permanente contre la domination des « sciences dures » dans la sélection des étudiants – y compris dans les carrières scientifiques – vient très largement de la gauche, tout comme l’affirmation que la médecine n’est pas une pratique scientifique, et que le côté « humaniste » du médecin est négligé. Je veux bien que Macron sont responsable de beaucoup de choses, mais on ne peut lui attribuer celle-là. Souvenez-vous du soutien de Mélenchon au Pr Raoult…

      [Et que dire d’Obono, député de la Nation, soucieuse de se faire comprendre des cailleras, disant au sujet des contradicteurs de Rousseau ‘qu’ils mangent leurs ancêtres’???….Non!]

      Vous mélangez tout encore une fois. Obono n’a pas parlé de « manger les ancêtres », mais de « manger ses morts », qui est une insulte d’origine gitane. Et l’insulte ne s’adressait pas aux contradicteurs de Rousseau, mais à ceux qui ont sifflé au passage de la manifestation de soutien aux femmes iraniennes en lutte contre le régime clérical de leur pays, notant qu’on faisait manifester des femmes voilées pour soutenir des femmes qui se dévoilent, accusés de « instrumentalisent la lutte des femmes en Iran contre l’oppression pour insulter et disqualifier la lutte des femmes en France contre l’oppression ».

      • Luc dit :

        ‘Noblesse oblige’..c’est du cinéma.
        Les aristos ont violé,pillé,volé, à tiré larigo,les serfs ,le peuple des villes et les bourgeois pendant des siècles et des siècles.
        Ils méprisaient les castes inférieures laborieuses pendant plus de 11siècle.
        Ce fut une des causes de la révolution française,abolir les privilèges, l’oisiveté,les abus des jouissifs absolus et jamais égalés qu’étaient les aristos du royaume de France dont Louis 15 est l’archétype le plus répugnant.Tous les écrits et les caricatures républicaines dénoncent dès le 18ième ces aristos  jouisseurs sans entraves,de droit divin.
        1968 n’est rien,c’est sur les siècles que se mesurent les efforts des travailleurs pour être reconnus à leur juste valeur en opposition à l’esprit abusif dont la quintessence fut l’ignoble et oisive aristocratie française.Même s’il y eut des exceptions,18 siècle de domination jouissive , oisive et abusive,ont été abolis en 1789-1793. Ropespierre,Marat et Saint just,l’ont écrit.La révolution a chassé les oisifs,profiteurs et jouisseurs sans entraves pour installer à leur place un gouvernement incorruptible au service des classes laborieuses y compris les bourgeois..Cette mémoire disparaît elle ?

        • Descartes dit :

          @ Luc

          [‘Noblesse oblige’…c’est du cinéma.]

          Pas tout à fait. L’expression est tirée des « maximes et réflexions » du duc de Lévis, publiés en 1808, bien avant que le cinéma ne soit inventé. Mais l’idée selon laquelle la noblesse des origines crée des obligations est bien plus ancienne. Boileau écrivait déjà :

          « Fussiez-vous issu d’Hercule en droite ligne
          Si vous ne faites voir qu’une bassesse insigne
          Ce Iong amas d’aïeux que vous diffamez tous,
          Sont autant de témoins qui parlent contre vous ».

          Corneille aussi reprend l’idée : « La naissance n’est rien où la vertu n’est pas. »

          [Les aristos ont violé, pillé, volé, a tire-larigot, les serfs, le peuple des villes et les bourgeois pendant des siècles et des siècles.]

          Certains oui, d’autres au contraire on protégé leurs serfs et leurs bourgeois contre les attaques et les bandits, rendu la justice avec sagesse, fondé des lieux de savoir… je pense que vous avez une vision caricaturale de l’histoire. Pourquoi croyez-vous que serfs et bourgeois aient accepté le pouvoir de la noblesse pendant si longtemps ? Et pourquoi la noblesse a perdu le pouvoir justement quand la pacification des royaumes a rendu la fonction militaire, qui était sa raison d’être au départ, obsolète ?

          [Ce fut une des causes de la révolution française, abolir les privilèges, l’oisiveté, les abus des jouissifs absolus et jamais égalés qu’étaient les aristos du royaume de France dont Louis 15 est l’archétype le plus répugnant. Tous les écrits et les caricatures républicaines dénoncent dès le 18ième ces aristos jouisseurs sans entraves, de droit divin.]

          C’est une erreur de penser que l’aristocratie au VIIIème était la même qu’au XVIIIème. Si la féodalité s’est installée après la chute de l’Empire romain, c’est parce qu’elle était le mode d’organisation le plus efficient compte tenu du développement des forces productives. Et à l’époque les « aristos » étaient très loin d’être des « oisifs » ou des « jouisseurs ». Ils avaient en charge la défense contre les bandits et les prédateurs, ils faisaient respecter les « lois et coutumes », ils faisaient entretenir les infrastructures… encore une fois, c’est quand ces classes sont devenues oisives qu’elles sont devenues inutiles et même nuisibles.

          Ce n’est pas par hasard si, tirant justement la leçon de 1789, un aristocrate écrit en 1808 que “noblesse oblige”. Quand la noblesse ne se sent plus “obligée”, elle est balayée…

  10. Sami dit :

    Il y dans l’air (en Occident tout au moins), comme une grande lassitude, chez les générations montantes. D’un côté, on leur donne à voir l’image d’un monde sombre à venir (climat, démographie, fin de l’énergie abondante et pas chère… et même pour certains, le grand remplacement, etc.). Un monde où de toute façon, c’est “foutu” d’avance. Dans exactement le même temps (et je ne dis pas qu’il y a nécessairement une corrélation), ces générations sont littéralement plombées par des phénomènes massifs qui poussent à une grande passivité intellectuelle : toute la panoplie des effets anesthésiant, allant du smartphone additionnel, des jeux vidéo sans fin, aux séries US qu’on regarde au kilomètre, sans interruption… Ajouter à tout cela la chute en direct live du système éducationnel, qui était censé au moins de maintenir à niveau tout un tas de valeurs, telles que “le respect des choses”, la discipline, le désir d’aller plus loin dans la connaissance, le sens de l’effort, l’espoir d’un monde meilleur…
    Tout semble s’effondrer, avec des visions d’apocalypse, et la jeune Gretta hallucinée qui sème le désespoir en mode : “C’est fini ! Repentez-vous ! On est foutu !…” Ah oui, j’oubliais bien entendu l’ensemble des classes politiques clairement et complètement à la masse (les raisons sont connues et nombreuses).
    Alors, de plus en plus d’éléments de ces générations montantes ne veulent plus plonger dans ce “système” qu’ils considèrent comme “pourri”, en fin de vie, sans pour autant avoir des perspectives alternatives (genre militer pour une grande révolution, par exemple… 😀 ). Alors, on essaye de s’en tirer à minima, avec un petit boulot qui assure au moins l’essentiel vital, ou bien on se casse dans le Larzac pour faire du fromage… le smartphone dans la main, et la série du soir pour … s’évader encore plus loin, dans des monde vraiment imaginaires. Et, tout récemment, en attendant que le ciel soudain s’illumine de petits soleils nucléaires… 
    Remarquons que dans le même temps, les autres peuples qui sont déjà passés par la véritable case “famine et colossale et véritable misère”, eux, sont d’un dynamisme à toute épreuve. En Inde, en Chine, en Asie… et pour peu qu’on leur en donne l’occasion, en Afrique, là bas, on est prêt à tout pour grimper l’échelle vers le haut. Les Africains sont même capables de monter dans des barques pourries, pour finir en Europe/ElDorado, quel qu’en soit le prix, même le prix suprême… 
    Ne sommes-nous pas en train de vivre la fin d’un monde, avec même pas l’espoir de la naissance d’un autre ? Nous le savons bien : les civilisations naissent, puis meurent.
    J’en ai bien conscience, tout cela est d’un pessimisme déprimant…

    • Descartes dit :

      @ Sami

      D’abord, toutes mes excuses pour mon retard à publier votre commentaire. Pour des raisons que je ne comprends pas, il avait été intercepté par le détecteur de spam, et mis parmi les « indésirables ». Heureusement, je vérifie avant de les effacer, et je l’ai donc retrouvé. Toutes mes excuses.

      [Il y dans l’air (en Occident tout au moins), comme une grande lassitude, chez les générations montantes. D’un côté, on leur donne à voir l’image d’un monde sombre à venir (climat, démographie, fin de l’énergie abondante et pas chère… et même pour certains, le grand remplacement, etc.). Un monde où de toute façon, c’est “foutu” d’avance.]

      Oui, mais cela n’a rien de nouveau dans notre histoire. Périodiquement, il y a eu ces périodes « apocalyptiques », ou la pensée dominante voyait dans chaque phénomène un « signe » que le monde était sur le point de s’achever. Bien sûr, hier c’était perçu comme le résultat d’une volonté divine, généralement punitive, aujourd’hui comme une sorte de justice immanente qui punirait l’homme de son « hubris » technologique. Mais les ressorts du discours sont tellement ressemblants que ne je peux que me dire qu’il y a là un mécanisme commun.

      Le problème est que les idéologies apocalyptiques sont ambiguës. D’un côté elles ont un côté moralisateur, celui du « repentez-vous, faites le bien autour de vous, et vous serez sauvés ». D’un autre, au contraire, une vision apocalyptique pousse à jouir de tout, tout de suite. A quoi bon investir dans le futur s’il n’y a pas de futur ? Et quand on regarde le discours actuel, on trouve exactement cette dualité : les classes dominantes affichent toute leur dédication à « sauver le climat » tout en changeant leur téléphone portable et leur voiture aussi souvent que possible…

      [Dans exactement le même temps (et je ne dis pas qu’il y a nécessairement une corrélation), ces générations sont littéralement plombées par des phénomènes massifs qui poussent à une grande passivité intellectuelle : toute la panoplie des effets anesthésiant, allant du smartphone additionnel, des jeux vidéo sans fin, aux séries US qu’on regarde au kilomètre, sans interruption… Ajouter à tout cela la chute en direct live du système éducationnel, qui était censé au moins de maintenir à niveau tout un tas de valeurs, telles que “le respect des choses”, la discipline, le désir d’aller plus loin dans la connaissance, le sens de l’effort, l’espoir d’un monde meilleur…]

      Je pense que c’est une question de classe. Je n’ai pas de statistiques, mais ma perception est que dans les classes dominantes, les enfants font encore du piano ou du chant et lisent des livres, et la télévision ne s’allume que pour voir un bon film ou une émission culturelle… et on ne donne pas de smartphone avant l’adolescence. Et on est prêt à payer très cher pour envoyer ses enfants à des écoles de prestige de très bon niveau. Ce qui a mon avis est mort dans les années 1980, c’est l’idée que l’enrichissement intellectuel devait être proposé à tous. Bien sûr, dans la pratique on ne profitait pas avec la même assiduité chez les fils de prof et chez les fils d’ouvrier, mais au moins le projet était porté par les institutions. Les enfants d’ouvrier avaient la possibilité – souvent grâce à leurs mairies communistes – à aller au théâtre, à la bibliothèque, au cinéma, au concert, et étaient poussés à le faire. Tous n’en profitaient pas, bien sûr, mais au moins la volonté était là. La révolution néolibérale a non seulement creusé les inégalités économiques, elle a creusé les inégalités culturelles. Elle a imposé l’idée que chacun avait le droit de choisir… et on sait où cela conduit : au choix de la paresse.

      [Alors, de plus en plus d’éléments de ces générations montantes ne veulent plus plonger dans ce “système” qu’ils considèrent comme “pourri”, en fin de vie, sans pour autant avoir des perspectives alternatives (genre militer pour une grande révolution, par exemple… 😀 ). Alors, on essaye de s’en tirer à minima, avec un petit boulot qui assure au moins l’essentiel vital, ou bien on se casse dans le Larzac pour faire du fromage… le smartphone dans la main, et la série du soir pour … s’évader encore plus loin, dans des monde vraiment imaginaires.]

      J’ai du mal à comprendre ce raisonnement. Si tout est foutu, alors la conclusion c’est qu’il faut au contraire profiter de tout ce que « système » nous offre : « Après nous, le déluge ». Je pense que le raisonnement derrière est différent. C’est celui qu’avait énoncé Renaud dans une chanson dont les paroles, avec le recul, font froid dans le dos : « société, société, tu ne m’auras pas ». On part au Larzac ou on se prend un petit boulot alimentaire pour pouvoir se raconter qu’on n’est pas « aliéné à la société de consommation ». Le problème évident est que si celui qui fait ce qu’on lui dit est « aliéné », celui qui fait par principe le contraire de ce qu’on lui dit l’est tout autant.

      [Remarquons que dans le même temps, les autres peuples qui sont déjà passés par la véritable case “famine et colossale et véritable misère”, eux, sont d’un dynamisme à toute épreuve. En Inde, en Chine, en Asie… et pour peu qu’on leur en donne l’occasion, en Afrique, là-bas, on est prêt à tout pour grimper l’échelle vers le haut. Les Africains sont même capables de monter dans des barques pourries, pour finir en Europe/ElDorado, quel qu’en soit le prix, même le prix suprême…]

      Ici je pense qu’il faut faire la différence entre l’individuel et le collectif. En tant qu’individus, on peut dire que ceux qui viennent de très bas sont « dynamiques » tout simplement parce qu’ils ont très peu à perdre et beaucoup à gagner. Mais lorsqu’il s’agit d’intérêts collectifs, on ne peut pas dire que les Africains soient très « dynamiques », plutôt le contraire. Alors que les sociétés comme la Chine ou la Corée, qui sont héritières d’une tradition institutionnelle très ancienne, sont collectivement dynamiques.

      [Ne sommes-nous pas en train de vivre la fin d’un monde, avec même pas l’espoir de la naissance d’un autre ? Nous le savons bien : les civilisations naissent, puis meurent.]

      J’aurais tendance à dire que toute génération vit « la fin d’un monde ». Nos parents ont vu la fin des empires coloniaux, nos grands parents ont vécu deux guerres mondiales… à chaque fois un « monde » est mort et un autre est né. Et souvent, ceux qui ont vécu ces bouleversements ont eu une certaine nostalgie du monde disparu, non parce qu’il était meilleur, mais parce que c’était celui auquel ils étaient habitués. C’est dans une certaine mesure ce qui nous arrive aujourd’hui, du moins à ceux qui comme moi ont connu l’avant-1989. Après, on peut se demander si nous sommes dans une période ascendante ou descendante. Du point de vue culturel, je crains que nous soyons dans une période descendante. Qu’une Annie Ernaux puisse avoir le prix Nobel me semble un signe sans équivoque…

  11. Geo dit :

    @Descartes
    [Alors qu’on n’a jamais eu autant de temps libre, jamais eu autant de machines qui économisent le travail domestique, certaines tâches qui semblaient aller de soi – et pour certaines étaient même un plaisir – il y a seulement quelques années sont devenues des corvées au point qu’on est prêt à payer pour s’en débarrasser.]
    C’est que se faire servir est devenu rassurant: on ne se sent plus de ceux qui servent. Vous mangez une pizza aussi mauvaise que celle que mangera votre livreur, mais on vous l’aura livrée.   Vous pouvez vous sentir membre de la société de ceux qui n’ont pas à se plaindre  ou à avoir peur puisqu’on les sert encore.
    La nouvelle domesticité qu’on nous a offerte (que nous n’avons pas l’obligation d’héberger contrairement  l’ancienne) a le rôle d’un anxiolytique. (Peut être.)
    Remarque: Si la femme du livreur prépare la pizza pendant que monsieur livre, il mangera mieux que vous, plus sainement et pour moins cher.

    • Descartes dit :

      @ Geo

      [C’est que se faire servir est devenu rassurant : on ne se sent plus de ceux qui servent. Vous mangez une pizza aussi mauvaise que celle que mangera votre livreur, mais on vous l’aura livrée. Vous pouvez vous sentir membre de la société de ceux qui n’ont pas à se plaindre ou à avoir peur puisqu’on les sert encore.]

      J’ai du mal à voir sur quels faits s’appuie cette analyse. Je connais pas mal de gens qui se font livrer, et je n’ai jamais perçu là-dedans un quelconque besoin de « réassurance ».

  12. Paul dit :

    Votre article m’a fait penser à un autre article que vous aviez écrit il y a 6 ans, sur EDF, dans lequel vous célébriez cette entreprise “soviétique” et surtout l’attachement de ses salariés à LEUR entreprise. Encore aujourd’hui, et malgré la dégradation de l’image de l’entreprise qui nous est donnée à entendre, je constate que mon fils, ingénieur d’une grande école, a été très heureux d’y être embauché, et “sous contrat”… par respect de l’image que je lui en ai donnée, et au regard de ce qu’il a connu dans une grande entreprise de consulting.
    Vous avez raison de parler de la culture de la satisfaction immédiate. Celle-ci relève de l’infantile. Pour l’enfant, elle a pour but d’apaiser un état de tension, et est vouée à la répétition. Rien ne peut être construit dans ces conditions.
    Est-ce que je me trompe de sujet, mais je pense aussi aux mariages, qui sont de moins en moins durables. Par contre, la cérémonie du mariage devient de plus en plus dispendieuse, comme si la fête devenait le seul moment heureux du couple. Certes, cela crée de nombreux “métiers du mariage”, du traiteur au photographe (qui s’y emmerde royalement), la location d’une sale, c’est à présent un hameau entier dans le Luberon. 
    Les familles décomposées ont pour conséquence, afin que le fameux week-end sur deux de visite de l’autre parent soit respecté, de ne plus scolariser les enfants le samedi, donc des journées plus longues, et un temps méridien de 2H, pendant lequel les enfants ne se détendent pas pour être disponibles aux apprentissages, ceci approuvé par des chronobiologistes.(J’y travaille pour aménager ce temps avec la municipalité de ma ville, et ce n’est pas simple). Pour dire que dans mon exemple, la satisfaction immédiate ne permet pas la construction des institutions.

    • Descartes dit :

      @ Paul

      [Votre article m’a fait penser à un autre article que vous aviez écrit il y a 6 ans, sur EDF, dans lequel vous célébriez cette entreprise “soviétique” et surtout l’attachement de ses salariés à LEUR entreprise.]

      C’est Alain Madelin – hommage du vice à la vertu – qui, en parlant d’EDF, avait dit « c’est l’URSS qui a réussi ». Mais effectivement, ce qui m’a toujours étonné à EDF c’est l’attachement des salariés à leur entreprise et à l’esprit du service public. C’est ce qui explique que malgré toutes les tentatives de ses dirigeants successifs, EDF reste, selon les mots d’Henri Proglio, « un établissement public coté en bourse ».

      [Encore aujourd’hui, et malgré la dégradation de l’image de l’entreprise qui nous est donnée à entendre, je constate que mon fils, ingénieur d’une grande école, a été très heureux d’y être embauché, et “sous contrat”… par respect de l’image que je lui en ai donnée, et au regard de ce qu’il a connu dans une grande entreprise de consulting.]

      J’en suis content pour vous… et pour lui.

      [Est-ce que je me trompe de sujet, mais je pense aussi aux mariages, qui sont de moins en moins durables.]

      Je ne sais pas. Le besoin de plaisir immédiat – et son corolaire, l’incapacité à accepter la frustration – rend très difficile de bâtir quelque chose de durable. Les rapports amoureux ne sont jamais linéaires, et chaque couple a ses « orages », pour reprendre la belle formule de « la chanson des vieux amants ». Il faut un certain sens du temps long pour les surmonter.

      [Les familles décomposées ont pour conséquence, afin que le fameux week-end sur deux de visite de l’autre parent soit respecté, de ne plus scolariser les enfants le samedi, donc des journées plus longues, et un temps méridien de 2H, pendant lequel les enfants ne se détendent pas pour être disponibles aux apprentissages, ceci approuvé par des chronobiologistes.]

      A mon avis, notre société ne réalise pas encore tous les effets délétères de la décomposition de cette institution fondamentale qu’est la famille fondée sur le couple hétérosexuel (et de son corrélat qu’est la filiation). Cette dissolution est grave parce que c’est l’institution première en matière de transmission, et donc celle qui forme des individus réceptifs pour toutes les autres. Et c’est celle qui construit chez les individus la notion de temps long opposée au temps court.

  13. Antoine dit :

    Bonsoir Descartes, 
     
    Pour les médecins et les profs deux métiers que je connais assez bien, il y a me semble-t-il un phénomène majeur qui touche d’assez près les différentes problématiques évoquées ici. Il s’agit de la féminisation de ces métiers. Je n’ai pas de données statistiques precises et probantes, mais mon expérience me parait suffisamment représentative. 
     
    Chez les médecins, cette féminisation explique que ces derniers sont de plus en plus nombreux à demander des temps partiels ou a minima des horaires qui permettent d’aller chercher les marmots a 18h. Par conséquent les gardes à l’hôpital ne trouvent plus preneur et la où il fallait 1 médecin de famille “a’lancienne” disponible 20h/24 et 6.5 jours il faut désormais 2 ou 3 médecins. Sans compter que le médecin qui exerce en temps partiel est généralement toutes choses égales par ailleurs moins bon que son collègue a temps plein. On perd donc probablement aussi en qualité du soin. 
    Chez les profs, vs allez trouver ma remarque sans doute affreusement réactionnnaire, mais les femmes accompagnent plus volontiers la “gamification”  et les différentes modes pédago/démago du jour. Les métiers “du social” ou du “Care” sont largement féminins et l’enseignement en est devenu un bien souvent. 

    • Descartes dit :

      @ Antoine

      [Pour les médecins et les profs deux métiers que je connais assez bien, il y a me semble-t-il un phénomène majeur qui touche d’assez près les différentes problématiques évoquées ici. Il s’agit de la féminisation de ces métiers. Je n’ai pas de données statistiques précises et probantes, mais mon expérience me parait suffisamment représentative.]

      C’est le cas dans le secondaire. Mais la profession d’instituteur était largement féminisée après la première guerre mondiale.

      [Chez les médecins, cette féminisation explique que ces derniers sont de plus en plus nombreux à demander des temps partiels ou a minima des horaires qui permettent d’aller chercher les marmots a 18h. Par conséquent les gardes à l’hôpital ne trouvent plus preneur et la où il fallait 1 médecin de famille “a’lancienne” disponible 20h/24 et 6.5 jours il faut désormais 2 ou 3 médecins.]

      Mais pourquoi ça ? Après tout, la féminisation des métiers s’accompagne aussi d’une « dé-féminisation » – si on me pardonne le barbarisme – du travail domestique. Là où avant on avait un médecin disponible 20h/24 grâce à une femme qui allait chercher les marmots et faisait la cuisine, aujourd’hui on a DEUX médecins qui vont chercher les marmots et font la cuisine à tour de rôle. Cela devrait se traduire par une plus grande – et non une plus petite – disponibilité globale, même si, comme vous dites, il faut « deux médecins » là où avant il n’y en avait qu’un. C’est quand même curieux : la « féminisation » traduit en fait une augmentation massive de la masse de travail disponible… et on constate qu’elle est justement de moins en moins disponible !

      Je pense que le problème est moins la féminisation des métiers – après tout, on a du mal à trouver des gens disponibles même dans les métiers où la féminisation est faible – que la « féminisation de la société », et j’entends par là le fait que les valeurs traditionnellement attachées aux femmes deviennent les valeurs dominantes de la société. Cela se traduit par une dévalorisation de la sphère publique et une survalorisation de la sphère privée. On néglige désormais ce qui se passe dans l’Agora ou le Forum pour s’intéresser à ce qui se passe dans la chambre à coucher, dans l’espace domestique. Aux grandes épopées collectives, on substitue des combats pour faire reconnaître sa petite spécificité privée (j’ai écouté hier sur France-Inter l’entretien avec une « handi-féministe », c’était quelque chose de surréaliste). Et qu’est ce que c’est que Tiktok ou Facebook, sinon des lieux où chacun étale son espace privé – et se plaint ensuite que sa vie privée soit violée ?

      Cette survalorisation du privé et du domestique est liée à l’approfondissement du capitalisme. Après tout, la vie privée elle-même est une invention de la bourgeoisie triomphante. L’individualisme bourgeois pousse à un fractionnement, un combat de tous contre tous qui ne se prête pas vraiment à une logique d’épopée collective. Les épopées ne sont donc plus qu’individuelles : pour certains, s’acheter le pavillon de leurs rêves, pour d’autres traverser l’Atlantique à la nage ou devenir une star de télé-réalité.

      [Chez les profs, vs allez trouver ma remarque sans doute affreusement réactionnaire, mais les femmes accompagnent plus volontiers la “gamification” et les différentes modes pédago/démago du jour. Les métiers “du social” ou du “Care” sont largement féminins et l’enseignement en est devenu un bien souvent.]

      Je ne suis pas persuadé que les femmes soient plus « démago » que les hommes à titre individuel. Mais il est vrai que traditionnellement la figure du Père est associée à la loi, et celle de la Mère à la transgression. Il n’est donc pas étonnant que cette tradition, qui reste quand même vivace, pousse à des comportements différents, que certaines femmes aient de l’exercice du métier une vision « maternelle » là où un homme aura plutôt une référence « paternelle ».

  14. Luc dit :

    N’Y A T IL PAS AUSSI,une démission idéologique des pacifistes dans cet océan d’anomie qu’est la Noosphère
    actuelle dans notre société ?
    https://youtu.be/EHMCbU0lEpw
    Apparemment cette député est dans l’évidence et pourtant elle est isolée.
    N’est ce pas là aussi un signe que les représentants du peuple fuient leur responsabilité et démissionnent eux aussi par incapacité de comprendre le Réel des horreurs d’une extension de la guerre où certains veulent les entrainer ?

    • Descartes dit :

      @ Luc

      [N’Y A T IL PAS AUSSI, une démission idéologique des pacifistes dans cet océan d’anomie qu’est la Noosphère actuelle dans notre société ?]

      Le problème du pacifisme, c’est qu’il s’agit d’une position morale qu’on veut à tout prix transférer dans le champ politique. Et ce transfert est particulièrement difficile parce qu’il nécessite de définir ce qu’est une « guerre juste » et une « guerre injuste », et que ce problème est débattu par les philosophes depuis l’aube des temps sans qu’on soit vraiment arrivé à un quelconque consensus.

      L’expérience de 1939-40 a montré combien une vision simpliste du pacifisme, qu’il soit de droite sur le mode « plutôt battus que morts », ou de gauche sur le mode « le prolétariat n’a rien à gagner et tout à perdre », a eu des résultats désastreux. 1940 a montré que le choix « entre la honte et la guerre » n’est pas aussi évident, que le prolétariat peut avoir beaucoup à perdre lors d’une défaite. A partir de là, l’argument du pacifisme absolu, selon lequel « tout est mieux qu’une guerre » se trouve évidement réfuté.

      Or, une fois qu’on a abandonné cet argument absolu, la question de la guerre et de son opportunité se retrouve être une question de calcul coût/avantage, selon le vieux principe énoncé par Clausewitz. Le « pacifisme » dans ces conditions ne peut que consister à rappeler – notamment à ceux « qui déclarent la guerre mais qui n’y vont pas » – combien les coûts de la guerre sont élevés, combien il ne faut aller à la guerre qu’avec les mains tremblantes. Mais le discours de la députée que vous évoquez est inadmissible. S’il est vrai qu’on peut pousser les peuples à la guerre avec des mensonges, quelquefois il faut les pousser avec des vérités. Là encore, pensez à 1939-40.

      [Apparemment cette député est dans l’évidence et pourtant elle est isolée.]

      Je ne vois pas où est « l’évidence ». Elle croit certainement énoncer une « évidence », mais ce qu’elle dit est bien plus problématique qu’elle ne le pense…

      [N’est-ce pas là aussi un signe que les représentants du peuple fuient leur responsabilité et démissionnent eux aussi par incapacité de comprendre le Réel des horreurs d’une extension de la guerre où certains veulent les entrainer ?]

      Non, je ne crois pas. Je pense surtout que nos représentants sous-estiment le coût de la guerre pour leur propre pays. Les dirigeants européens étaient prêts à se battre jusqu’au dernier Ukrainien, ils découvrent un peu tard que la guerre aura un coût massif pour les membres de l’Union européenne aussi.

      • Luc dit :


         
        Merci,cher Descartes,pour la réponse de très grande qualité.
        Là j’apprends que nos diplomates sont vent debout contre le Président.
        Or tout se passe comme si les menaces de mort à l’égard de Roger de Castelnau,paralysait tout esprit critique , les temps de propagandes renforcent ils la résilience au détriment de l’esprit critique,comme dans cette zone ,ce blog que vous animez avec un talent évident.
        Avez vous réellement confiance en Macron et ses sbires malgré tout ?
         

  15. Bannette dit :

    Cette évolution est le résultat de 40 ans de dévalorisation du travail productif et de son rôle social. Par contre, le non renouvellement, ou le renouvellement partiel d’activités à haute valeur technique et scientifique devrait vraiment inquiéter les pouvoirs publics, car on commence à le payer très cher avec la crise énergétique qui est essentiellement due à la sous-production organisée depuis 30 ans (et en France à l’auto-sabotage de notre industrie nucléaire).
     
    Trop de pays occidentaux ont toujours compté sur l’importation des bras et cerveaux pour ces activités nécessitant une certaine technicité, les classes moyennes surinvestissant les activités de service parasitaires autour du marketing, de la finance, des assurances, du droit, etc (surtout les anglo-saxons car la France a essentiellement une politique d’immigration familiale et de faible qualité). L’Allemagne s’est d’ailleurs comportée comme un vampire envers les PECO, absorbant ses travailleurs qualifiés sans avoir investi dans leur formation, comme quoi l’URSS n’était pas si mal vu que ces pays ont été forgés avec une vraie culture industrielle et d’éthique du travail. Mais aujourd’hui on butte toujours sur la transmission avec l’hiver démographique qui guette ce type de pays.
    Désormais, on observe que des puissances réémergentes (Chine et Inde), qui ont des ambitions industrielles, parviennent à former de façon endogène des ingénieurs très qualifiés et ne connaissent pas vraiment de saignée de ces travailleurs là. Pourquoi ? Parce que c’est en forgeant qu’on devient forgeron, donc c’est parce qu’elles offrent des perspectives de chantiers gigantesques où se faire les dents (comme les nouvelles routes de la Soie, où la Chine d’ailleurs fait très peu travailler des locaux, mais SES travailleurs qui acquériront l’expérience de chantiers complexes – là où la méchante France « raciste », de part son universalité, a pu chercher à former des élites locales de qualité). Très régulièrement, des mags comme le Point nous font des numéros de mater dolorosa sur ces français qui s’expatrient et répètent leur mantra comme quoi ce serait dû aux impôts trop lourds en France. J’en ai rien à faire qu’un cuisto ou un styliste de mode s’expatrie, mais perdre des ingénieurs de haute technicité, c’est un vrai drame. Et si on les perd, c’est parce qu’on ne leur offre plus de chantiers dignes de Concorde, la fusée Ariane ou le TGV, et qu’on a saboté l’industrie nucléaire.
    Les anglo-saxons surestiment l’attrait vers la « liberté » (telle qu’ils la conçoivent) des travailleurs hautement qualifiés non occidentaux ; de plus, ils risquent plus de récupérer des espions que des gens capables de conduire des chantiers complexes pour une bouchée de pain. Ce que ce genre de pays (qui n’ont pas oublié d’être nationalistes) offre à leurs ingénieurs, c’est une forme de transcendance dans la participation dans l’édification concrète de leur pays (qui fut humilié dans le passé). Ces pays permettent une projection sur le long terme et il y a un consensus dans leurs élites devant le fait que quand on a eu tant de mal à forger des élites techniques et scientifiques de qualité de façon endogène, on ne gaspille pas ce précieux capital immatériel en sabotant des investissements coûteux quand on change d’équipe administrative (comme on a pu le faire en France avec SuperPhenix). Il serait bien qu’on revienne à ce genre de maturité politique au lieu de ces administrations qui se caractérisent surtout par les projets qu’elles arrêtent.
     
    En parlant de la crise énergétique (où on va dire que la France est la moins mal lotie par rapport à ses voisins), quand j’étais allée à Londres, j’avais lu un reportage anglais sur la perspectives de rouvrir des mines de charbon, avec des estimations de 2 ans pour bien faire les choses. Mais attendez, les mineurs, ce ne sont pas ces salauds de syndiqués qui ont été mis à genoux par le gouvernement Thatcher dans les années 1980 ? Les auteurs (néolibéraux) pointaient le fait qu’ils craignaient de ne pas trouver assez de travailleurs qualifiés et de volontaires (les mineurs des années 1980 doivent être à la retraite ou presque) même avec des promesses de prime, parce que même eux avaient conscience du lourd traumatisme qui avait été infligé. De plus, même si rouvrir ces mines peut obéir à une urgence ponctuelle vitale, le R.U. devra quand même remettre à plat sa politique énergétique donc les jeunes d’aujourd’hui ne pourrait l’envisager comme carrière. Par ailleurs, même importer des travailleurs miniers étrangers butte toujours dans les problèmes de transmission des formations et qualifications. J’avoue ma joie mauvaise quand je regardais ou lisais les reportages anglais et la panique qu’on sentait.
    Je précise que je suis pour la fermeture des mines de charbon, car pour moi le progrès humain consiste à soulager le labeur des hommes, par la technique et la science. Mais Thatcher n’avait pas eu une politique de modernisation per se, elle avait sacrifié une industrie extractive pour en favoriser une autre (le pétrole). Et les néolibéraux sont toujours mus par la délocalisation de TOUTES les activités, pour ne pas à verser de salaires décents à des nationaux organisés en corps. Elle n’était pas mue par la compromis génial des auteurs de notre parc nucléaire où on a abandonné progressivement l’industrie extractive minière pour la remplacer par une autre totalement endogène, moderne, et à haute technicité.
    Nous payons très cher la démolition de ces corps car la transmission ne se fait pas, ce qu’admettent finalement ces néolibéraux in petto.
    Et oui, il y a des secteurs comme les transport, l’énergie, le médical, etc, qui ne sont pas intermittents et qui doivent répondre à la demande tout le temps. Par conséquent, les gens qui y travaillent sont légitimes à avoir des statuts qui permettent de les garantir.
     
     
    Quand j’étais petite, on m’avait dit que la Chute de l’URSS était due au fait que le communisme ou le socialisme étaient des régimes qui organisaient la pénurie. Là le néolibéalisme a méticuleusement organisé la pénurie non pas de fringues H&M ou de chaussures Nike, non, d’un élément vital de l’économie, à savoir l’accès à une énergie sûre, pérenne et à bon prix. Où son ces « producteurs » alternatifs, ces solutions ingénieuses promises par le laissé faire ?

    • Descartes dit :

      @ Bannette

      [Cette évolution est le résultat de 40 ans de dévalorisation du travail productif et de son rôle social. Par contre, le non renouvellement, ou le renouvellement partiel d’activités à haute valeur technique et scientifique devrait vraiment inquiéter les pouvoirs publics, car on commence à le payer très cher avec la crise énergétique qui est essentiellement due à la sous-production organisée depuis 30 ans (et en France à l’auto-sabotage de notre industrie nucléaire).]

      Elle devrait en effet inquiéter les pouvoirs publics. Malheureusement, ce n’est nullement le cas. Le niveau du débat sur l’enseignement des mathématiques – et plus largement des sciences dures – dans le tronc commun du secondaire est la parfaite illustration de l’indifférence de nos décideurs, mais plus largement, de nos élites, pour ces questions. Le pays qui a inventé l’Encyclopédie abandonne de plus en plus l’encyclopédisme sans que cela provoque le moindre débat. On est trop occupé avec le sexe des escalopes…

      [Désormais, on observe que des puissances réémergentes (Chine et Inde), qui ont des ambitions industrielles, parviennent à former de façon endogène des ingénieurs très qualifiés et ne connaissent pas vraiment de saignée de ces travailleurs-là. Pourquoi ? Parce que c’est en forgeant qu’on devient forgeron, donc c’est parce qu’elles offrent des perspectives de chantiers gigantesques où se faire les dents (comme les nouvelles routes de la Soie, où la Chine d’ailleurs fait très peu travailler des locaux, mais SES travailleurs qui acquerront l’expérience de chantiers complexes – là où la méchante France « raciste », de par son universalité, a pu chercher à former des élites locales de qualité).]

      Tout à fait. Il est illusoire de croire qu’on peut attirer des étudiants vers les sciences « dures » et les technologies de pointe s’il n’y a pas ensuite des usines et des laboratoires où les jeunes ingénieurs et scientifiques peuvent « se faire les dents ». Il y a un exemple qui me semble parlant : dans les années 1960, le CEA chez nous avait une foultitude de petites installations : petits réacteurs d’essai, petits accélérateurs… et ce sont les ingénieurs qui se sont « faits les dents » sur ces petites installations qui ensuite ont été les constructeurs des gros équipements du programme électronucléaire, et qu’on s’arrachait à l’étranger pour diriger des projets importants (JET à Culham, LHC au CERN). Que reste-t-il aujourd’hui ? Presque rien. On n’a pas démarré un nouvel réacteur depuis près de trente ans. Et c’est vrai dans tous les domaines. Regardez le nombre de maquettes qu’on a fait dans les années 1960 et 70 en matière ferroviaire, de l’aérotrain de Bertin au TGV propulsé par une turbine a kérosène (avant le choc pétrolier) puis celui qu’on connait aujourd’hui. Et depuis… ?

      L’argument est que ces maquettes, ces expériences coutent cher, qu’il faut aller tout suite au plus efficace et ne pas se laisser disperser. C’est un argument idiot : ces expériences coûtent de l’argent, c’est vrai. Mais elles rapportent aussi très gros en termes de qualité de formation, d’animation du milieu scientifique, d’attractivité. Et puis, lorsqu’on compare le coût cumulé à d’autres dépenses, on se rend compte que c’est dans l’épaisseur du trait. On est en train de sortir quarante milliards pour le « bouclier tarifaire »…

      [Et si on les perd, c’est parce qu’on ne leur offre plus de chantiers dignes de Concorde, la fusée Ariane ou le TGV, et qu’on a saboté l’industrie nucléaire.]

      Oui, tout à fait. Les impôts font partir les rentiers, pas les créateurs. Quand vous avez des projets motivants, vous n’avez pas de difficulté à recruter, même avec des salaires relativement faibles ou une pression fiscale importante.

      [Ces pays permettent une projection sur le long terme et il y a un consensus dans leurs élites devant le fait que quand on a eu tant de mal à forger des élites techniques et scientifiques de qualité de façon endogène, on ne gaspille pas ce précieux capital immatériel en sabotant des investissements coûteux quand on change d’équipe administrative (comme on a pu le faire en France avec SuperPhenix). Il serait bien qu’on revienne à ce genre de maturité politique au lieu de ces administrations qui se caractérisent surtout par les projets qu’elles arrêtent.]

      Tout à fait. Et ce serait là un retour à une forme de respect pour le travail. Car arrêter un projet, c’est réduire à néant tout le travail qui a été investi pour le construire. Nos élites ne sont pas conscientes qu’il faut des années d’effort pour bâtir un projet, et qu’il suffit d’un trait de plume pour le détruire. C’est pourquoi celui qui tient la plume ne doit l’utiliser qu’avec les mains tremblantes. Malheureusement, la gauche française est nietzschéenne : « j’existe, puisque je peux détruire ». C’est cette pensée qui fait qu’on obtient ses galons de « réformateur » en détruisant : Macron passera pour avoir « réformé » la haute fonction publique pour avoir supprimé l’ENA et dissout les grands corps. Qu’est-ce qu’on met à la place ? Tout le monde s’en fout : comparez le nombre d’articles, de livres ou de tribunes appelant à la suppression de l’ENA avec le nombre de publications proposant des programmes ou un positionnement pour l’INSP…

      [Nous payons très cher la démolition de ces corps car la transmission ne se fait pas, ce qu’admettent finalement ces néolibéraux in petto. Et oui, il y a des secteurs comme les transport, l’énergie, le médical, etc, qui ne sont pas intermittents et qui doivent répondre à la demande tout le temps. Par conséquent, les gens qui y travaillent sont légitimes à avoir des statuts qui permettent de les garantir.]

      Ce n’est pas tant pour moi une question « d’intermittence », mais plutôt de technicité. Avoir une force de travail formée et compétente n’est pas seulement une question de formation initiale. Cela implique une forme de « cursus honorum » relativement long pour acquérir par la pratique réelle du métier et le contact avec les anciens une expérience qui seule conduit aux bons réflexes. Or, ce « cursus honorum » représente un investissement de long terme, et personne ne s’engagera là-dedans si les « honneurs » ne sont pas au bout.

      Pendant longtemps, l’industrie a fonctionné comme cela : on recrutait des travailleurs qui au départ étaient peu productifs avec des salaires relativement faibles et la promesse que ceux-ci progresseraient au fur et à mesure que la technicité – et donc la productivité – du travailleur progresse. Et la promesse était crédible parce que la logique de « corps » la garantissait. Aujourd’hui, le système est coincé : on ne peut recruter avec un salaire bas parce que personne ne croit à la promesse de progression, on ne peut recruter avec un salaire élevé parce que le décalage avec la productivité du travailleur serait trop grand pour que le recrutement soit intéressant…

  16. Baruch dit :

    Juste une petite remarque incidente : il est vrai que dans les années 1930 et cela a continué encore après la guerre me semble-t-il,pour être institutrice, si on ne passait pas  le concours des écoles normales primaires il fallait être titulaire non du BEPC qui n’existait pas, mais du Brevet supérieur qui se préparait dans les “cours complémentaires” en trois ans après le Certificat d’études primaires.L’enseignement primaire ne se terminait pas au cours moyen deuxième année , mais continuait pour la plupart des gens jusqu’à la fin d’étude primaire (vers treize quatorze ans) , ensuite pour ceux qui “continuaient” en cours complémentaire ils passaient au bout de deux ans le Brevet et en trois, comme je le disais le brevet supérieur.L’enseignement secondaire lui commençait à la fin du cours moyen , mais pour y accéder il fallait passer un examen.J’ai les livres de français et de physique de ma mère (qui a été jusqu’au brevet seulement avant de devenir modiste)je peux vous assurer que le niveau est incroyablement différentde celui des livres de mes petits enfants…Quant à l’examen d’entrée en 6ème j’ai des annales Vuibert de l’époque où je l’ai passé, fin des années 50, ma petite fille est incapable de faire les problèmes de maths  et de grammaire sans une explication énorme et des indications supplémentaires par rapport aux énoncés…Les “systèmes” primaire et secondaire étaient très séparés, l’enseignement primaire était très efficace, très pratique il débouchait sur la possibilité d’un travail précoce (on pouvait travailler dès qu’on avait le certif’ à treize ans) même si l’âge légal était quatorze ans . Aussi, un instituteur de dix-huit ans n’était pas rare dans les villages.La retraite des instituteurs  était à 55 ans !Maintenant il n’y a plus d’instituteurs, mais partout des professeurs (des écoles ou du secondaire), ce sont tous des fonctionnaires de rang A, avec les mêmes indices pour certifiés et professeurs des écoles.Ils sont formés ensemble, la pédagogie est tout à fait centrale, les compétences requises ne sont plus les mêmes. Et les connaissances disciplinaires souvent bien moindres au regard des savoirs faire pédagogiques.Je crains que cette tendance ne gagne l’enseignement supérieur .C’était juste un petit grain de sel que je rajoute à la discussion précédente.

    • Descartes dit :

      @ Baruch

      [Juste une petite remarque incidente : il est vrai que dans les années 1930 et cela a continué encore après la guerre me semble-t-il, pour être institutrice, si on ne passait pas le concours des écoles normales primaires il fallait être titulaire non du BEPC qui n’existait pas, mais du Brevet supérieur qui se préparait dans les “cours complémentaires” en trois ans après le Certificat d’études primaires.]

      Je suis étonné d’apprendre qu’on pouvait devenir instituteur – c’est-à-dire fonctionnaire – sans passer un concours. Y avait-il un concours « direct » après le cours complémentaires, qui ne passait pas par les écoles normales d’instituteurs ? Ca m’étonne un peu, je l’avoue, puisque la doctrine de l’époque était précisément de « normer » les instituteurs, de s’assurer qu’ils constituaient un corps homogène.

      [J’ai les livres de français et de physique de ma mère (qui a été jusqu’au brevet seulement avant de devenir modiste) je peux vous assurer que le niveau est incroyablement différentde celui des livres de mes petits enfants…Quant à l’examen d’entrée en 6ème j’ai des annales Vuibert de l’époque où je l’ai passé, fin des années 50, ma petite fille est incapable de faire les problèmes de maths et de grammaire sans une explication énorme et des indications supplémentaires par rapport aux énoncés…]

      Tout à fait. C’est le sens de la remarque de Brighelli, que je trouve très pertinente : « aujourd’hui, les élèves savent plus de choses, mais ils les savent beaucoup moins bien ». Auparavant, ils avaient peu de connaissances, mais elles acquises d’une façon cohérente qui rendait possible leur mise en relation pour résoudre des problèmes. Aujourd’hui, ce n’est qu’un vernis.

  17. Baruch dit :

    [ Vous dites: Y avait-il un concours « direct » après le cours complémentaire, qui ne passait pas par les écoles normales d’instituteurs ?]Je pense que oui il devait y avoir un “certificat” avec un classement, je n’ai pas vérifié, mais ma belle-mère avait dû suivre cette voie là, alors que son mari lui, fils d’une émigrée italienne de quatorze ans son aînée, avait été élève boursier reçu à l’école normale des bouches du Rhône, puis avait passé les concours d’instituteur, et grâce à son rang le concours de l’école normale supérieure de l’Enseignement technique, devenu professeur après huit ans sous les drapeaux, au retour de captivité il avait intégré la première promotion de l’ENA “France combattante”.C’était une époque où l’enseignement primaire avec ses qualités que vous avez très bien décrites “peu de connaissances, mais acquises d’une façon cohérente” pouvait déboucher par les structures qu’elles donnaient aux esprits clairs et aux étudiants travailleurs,  sur des concours prestigieux et la haute fonction publique, que mon beau-père a toujours vue et dont il a toujours parlé comme étant  un “Service” et non comme une prébende.
     

    • Descartes dit :

      @ Baruch

      [alors que son mari lui, fils d’une émigrée italienne de quatorze ans son aînée, avait été élève boursier reçu à l’école normale des bouches du Rhône, puis avait passé les concours d’instituteur, et grâce à son rang le concours de l’école normale supérieure de l’Enseignement technique, devenu professeur après huit ans sous les drapeaux, au retour de captivité il avait intégré la première promotion de l’ENA “France combattante”.]

      Dites, c’est une histoire passionnante que vous racontez là.

      [C’était une époque où l’enseignement primaire avec ses qualités que vous avez très bien décrites “peu de connaissances, mais acquises d’une façon cohérente” pouvait déboucher par les structures qu’elles donnaient aux esprits clairs et aux étudiants travailleurs, sur des concours prestigieux et la haute fonction publique, que mon beau-père a toujours vue et dont il a toujours parlé comme étant un “Service” et non comme une prébende.]

      J’aurais aimé le connaître… et connaître cette époque. Je suis né un peu trop tard…

  18. François dit :

    Bonsoir Descartes
    Un article qui devrait vous faire plaisir, surtout venant de ce canard libéral que sont les Échos :

    https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/voiture-la-fracture-electrique-1870226

    • Descartes dit :

      @ François

      [Un article qui devrait vous faire plaisir, surtout venant de ce canard libéral que sont les Échos :]

      Oui, même si je ne suis pas totalement persuadé que les intentions de son auteur soient pures…
      Je ne peux malheureusement pas lire l’ensemble de l’article – réservé aux abonnés – mais l’introduction dit pas mal de choses vraies. Et souligne une particularité des politiques “écologiques” poursuivies par les différents gouvernements qui s’en sont succédés. Ces politiques sont à chaque fois guidés par une sorte de faux “bon sens”, plutôt que par la règle à calcul. Que la voiture électrique soit plus “verte” que la voiture à combustion, cela paraît tomber sous le sens. Seulement, quand on prend la règle à calcul, la chose est beaucoup moins évidente: d’abord, parce que l’électricité elle-même est souvent produite à partir de la combustion d’hydrocarbures. Bruler le gaz dans une centrale électrique plutôt que dans le moteur d’un bus, cela ne fait pas forcément avancer le schmilblick; ensuite parce que la fabrication de la voiture électrique – et notamment des batteries – ont une empreinte écologique qu’il faut prendre en compte, et qui est bien plus importante que celle de nos bons vieux moteur termiques…

      Dans une société qui privilégie de plus en plus l’émotion sur la raison, on fait des politiques avec le cœur là où il faudrait les faire avec la tête!

      • François dit :

        @Descartes,
        Voici un lien pour que vous puissiez consulter l’article et vous en faire une idée plus précise.

        • Descartes dit :

          @ François

          [Voici un lien pour que vous puissiez consulter l’article et vous en faire une idée plus précise.]

          Merci. Je ne peux publier le lien pour une question de copyright, mais j’ai pu lire l’article jusqu’au bout. Et je retrouve, à la terminologie près, des idées que j’ai exposé mille fois ici concernant la manière dont les “classes intermédiaires” modèlent les politiques publiques en fonction de leurs intérêts. Mais s’il y a accord entre Seux et moi sur l’analyse, nous tirons des conclusions très différentes. Pour ce qui concerne Seux, elle est contenue dans la dernière phrase de l’article: “Si ce n’était pas la pression fiscale, on dirait “heureux comme un cadre en France”!. Mais attention au reste de la population”. Autrement dit, que les “cadres” (nom code des “classes intermédiaires” depuis qu’on a effacé les ouvriers en les introduisant de force dans les “classes moyennes”) bénéficient de tous ces avantages ne pose aucune difficulté éthique ou politique. Le seul problème, c’est la réaction du “reste de la population”. Et accessoirement, on voit apparaître la seule revendication que les “cadres” n’ont pas – encore – réussi à obtenir, la baisse de cette satanée “pression fiscale” qui sert, justement, à financer les services publics dont bénéficient les couches populaires…

  19. Ping : Je suis tombée sur mon cul ! | Les Bavardages de Letizia

    • Descartes dit :

      @ Letizia

      Et bien, si vous êtes tombé sur votre cul, permettez-moi de vous relever avec quelques remarques sur votre texte :

      [Ce qui gêne l’auteur pour qui la qualité de vie est sans importance est,]

      Mais… d’où tirez-vous que pour moi « la qualité de vie est sans importance » ? Mon point, c’est que la « vie » se passe aussi au travail. C’est l’idée qu’on améliorerait sa « qualité de vie » en travaillant moins, ou dans des métiers moins « engagés » que je conteste. Cela peut être vrai dans le cadre de métiers répétitifs, routiniers et peu intéressants, et j’admets volontiers qu’une caissière de supermarché ou une femme de ménage puissent gagner en « qualité de vie » en travaillant moins. Mais pas dans le cas du « polytechnicien qui va élever des chèvres ».

      [Ce qui me gêne à moi, c’est que la collectivité gâche ses ressources en payant des études de qualité à des gens qui ensuite démissionnent parce que la collectivité en faillite ne fait plus rêver et ne tient pas ses promesses.]

      J’admire le fait que vous preniez votre part de responsabilité dans l’affaire. Car cette « collectivité en faillite qui ne fait plus rêver et ne tient pas ses promesses », vous en êtes membre, n’est-ce pas ? Et si elle est en faillite et ne tient ses promesses, c’est parce qu’elle a fait un certain nombre de choix auxquels vous avez participé…

      [Donc, il faudrait me montrer du doigt, moi qui après neuf ans d’études a pris mon poste dans une administration.]

      Je ne sais pas. Si les « neuf ans d’études » – j’imagine qu’il s’agit d’études supérieures – que vous avez faites étaient utiles pour vous permettre de bien remplir vos fonctions dans l’administration, non. Si elles étaient inutiles, alors je vous invite à vous poser la question. Qui aura payé ces années « inutiles » ? Est-ce juste de lui faire supporter ce coût ?

      J’irais même plus loin : pour vous, que représentent ces « neuf ans d’études » ? Une corvée, un sacrifice qui devrait vous donner des droits ? Ou bien une chance, un privilège qui devrait vous imposer des devoirs ?

      [Je suis une privilégiée dans le sens que je n’ai pas besoin d’un travail à tout prix, donc de réaliser des tâches routinières et peu prestigieuses. Eh oui, la résignation et l’acceptation de cette stupidité fonctionnelle des administrations sont basiques pour garder un travail.]

      Vous êtes d’abord une privilégiée parce que vous avez pu faire neuf ans d’études supérieures, auxquels s’ajoutent quelque onze années d’études primaires et secondaires, soit vingt ans en tout. Croyez-moi, cela n’est pas donné à tout le monde.

      Ensuite, je trouve curieux le mépris que vous affichez pour ceux, moins fortunés que vous, forcés de réaliser des « tâches routinières et peu prestigieuses », obligés selon vous à accepter « cette stupidité fonctionnelle des administrations pour garder un travail ». Vous savez, si vous pouvez manger du pain, c’est parce qu’un ouvrier boulanger fait des tâches « routinières et peu prestigieuses ». Vous pouvez prendre le bus ou le métro parce qu’un conducteur fait des tâches « routinières et peu prestigieuses ». Vous travaillez dans un bureau propre parce qu’une femme de ménage « routinière et peu prestigieuse » s’en occupe. Il y a des tâches qui, pour être « répétitives et peu prestigieuses », n’en sont pas moins nécessaires. Et comme elles sont nécessaires, il faut des gens pour les faire. Et il n’y a là rien de « stupide » : comment ce qui est nécessaire pour être stupide ?

      [Ensuite, tout ce beau monde de donneurs de leçons s’étonne que les fonctionnaires en fassent le moins possible.]

      Je ne sais pas qui vous visez par cette remarque, mais personnellement je m’étonne non pas « que les fonctionnaires en fassent le moins possible », mais d’entendre des gens comme vous DIRE que « les fonctionnaires en font le moins possible ». Parce que j’ai derrière moi quelques décennies de service public, et je m’inscris en faux absolu contre cette affirmation. J’ai connu des policiers, et je peux vous assurer qu’ils ne font pas « le moins possible ». J’ai connu des préfets, et je vous assure qu’ils ne font pas « le moins possible ». J’ai connu des instituteurs et des médecins hospitaliers, et je vous assure, là encore, qu’ils pourraient en faire bien moins s’ils le voulaient. Moi, ce qui m’étonne, ce n’est pas que les fonctionnaires « en fassent le moins possible ». Ce qui m’étonne, c’est au contraire qu’ils font le plus possible, et dans certains cas, au péril de leur santé ou de leur vie.

      [La formation, les idées ou les fabuleuses compétences importent peu. On ne leur demandera qu’une seule chose, de garder le silence dans ce troupeau de moutons blancs. Parce que vous les placez en évidence, car vos idées briseraient la « chaîne de montage de fer » qui se base sur la perpétuation de la médiocrité.]

      Je serais curieux de savoir dans quelle administration vous travaillez. Parce que dans la mienne, ce n’est certainement pas le cas. En tout cas, je me méfie toujours des discours qui placent la médiocrité chez les autres. A une journaliste américaine qui lui demandait dans quelle pièce de la maison lui venaient le plus souvent ses idées, Einstein avait répondu magistralement « vous savez, c’est si rare, une idée… ». Ceux qui croient qu’en « plaçant leurs idées en évidence » ils brisent quelque chose commettent un grave péché d’orgueil…

      [Dans l’ouvrage Travailler au XXIᵉ siècle (Éditions Laffont, 2015), il est montré qu’il s’agit de faire le minimum attendu du poste pour se protéger d’une profonde déception à l’égard d’un travail auquel on était initialement très attaché.]

      C’est un peu comme dire qu’il faut éviter l’amour, parce que comme cela on ne risque pas la déception amoureuse. Evidemment, celui qui n’investit pas ne prend pas le risque d’y perdre. Reste à savoir si le fait d’éviter toute déception peut être un objectif dans la vie. Personnellement, j’aurai fait bien plus que le « minimum attendu ». Quelquefois cela a marché, et j’ai eu de grandes satisfactions, d’autres fois pas et j’ai eu de grandes déceptions. Et à la fin, je pourrais au moins dire « I did it my way… »

      [Cette stupidité fonctionnelle se concrétise parce que « nous n’avons pas d’autre choix » que d’accepter ce qu’il se passe pour arriver à la fin du mois.]

      Beh oui. L’homme primitif, vous savez, celui qui cueillait des racines et chassait des petits rongeurs, pouvait dire « c’est inacceptable que je doive chasser des petits rongeurs et chercher des racines, alors que je serais tellement mieux le pieds en éventail devant le feu dans ma caverne ». Seulement voilà, s’il ne sortait pas cueillir et chasser, il crevait de faim. Avant d’être des esprits, nous sommes des corps qui ont besoin d’être nourris, soignés, protégés. Cela s’appelle « matérialisme ». Aujourd’hui, on ne chasse plus les petits rongeurs et on ne cueille plus de racines pour vivre, mais le mécanisme est le même. Et si « nous n’avons pas d’autre choix », ce n’est pas à cause d’on ne sait quelle « stupidité fonctionnelle », mais tout simplement parce que le monde est fait comme ça.

      [Elle domine dans un grand nombre de nos structures sociales et de nos entreprises qui sont habitées par des professionnels compétents et brillants, mais qui gaspillent terriblement leur temps.]

      Quel dommage que tous ces professionnels compétents et brillants qui habitent nos entreprises deviennent si incompétents quand il s’agit de les diriger… étonnant, non ?

  20. marc.malesherbes dit :

     
    @ Descartes
    @ nationaliste-ethniciste
     
    vous avez eu un long débat sur l’histoire des débuts du Christianisme au milieu du Moyen Age.Comment appliquer toutes ces connaissance à l’invasion que nous connaissons actuellement de l’Ukraine ?
     
    Sur la légitimité ou non de cette invasion, on peut avoir de long débats comme vous l’avez montré.
    Mais il me semble qu’après 1945 l’ONU a adopté le principe du respect des frontières établies, sauf en cas d’accords particuliers, en tous cas, pas par des invasions militaires ou autres.
     
    Cela me semble sage.
    La conséquence est que les états établis doivent trouver les moyens de régler « pacifiquement » les conflits liés à leurs territoires plus ou moins séparatistes.
     
    Ma question sera donc : trouvez-vous aussi cette règle sage ?
     
    Trouvez vous légitime de défendre cette règle, y compris dans le cas de l’Ukraine ?
    C’est à dire en l’occurrence de condamner la Russie et de soutenir par tous les moyens l’Ukraine pour qu’elle puisse retrouver ses frontières de 1991 (garanties d’ailleurs par un traité particulier signé y compris par … la France) (1)
     
    (1) nous n’avons jamais dénoncé ce traité qui devrait en principe nous engager.

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [Mais il me semble qu’après 1945 l’ONU a adopté le principe du respect des frontières établies, sauf en cas d’accords particuliers, en tous cas, pas par des invasions militaires ou autres.]

      Certes. L’ennui, c’est que l’ONU – ou plutôt les états qui en sont membres – ont effacé depuis avec la manche ce qu’ils avaient écrit avec la main. Pour ne donner que les exemples les plus récents, il y a eu l’intervention américaine en Irak et en Afghanistan, le bombardement de la Serbie par l’OTAN… Or, en matière de relations internationales, un « principe » n’a de sens que si celui-ci est observé par les grandes puissances.

      [La conséquence est que les états établis doivent trouver les moyens de régler « pacifiquement » les conflits liés à leurs territoires plus ou moins séparatistes.]

      Vous voulez dire, comme au Kossovo ?

      [Ma question sera donc : trouvez-vous aussi cette règle sage ?]

      Je trouve cette règle très sage. Et je pense que c’est un grand malheur qu’après quelque quatre décennies de paix, les Américains aient cru pouvoir s’en affranchir, entraînant derrière eux le camp occidental.

      [Trouvez-vous légitime de défendre cette règle, y compris dans le cas de l’Ukraine ?]

      Non. Dès lors qu’un bloc s’est affranchi du respect des règles, on voit mal pourquoi on exigerait de l’autre qu’il le fasse. Cette règle, que cela nous plaise ou non, est morte. La « défendre » aujourd’hui comme si elle était vivante n’a aucun sens.

      [C’est à dire en l’occurrence de condamner la Russie et de soutenir par tous les moyens l’Ukraine pour qu’elle puisse retrouver ses frontières de 1991 (garanties d’ailleurs par un traité particulier signé y compris par … la France)]

      Autrement dit, vous proposez que lors de la prochaine intervention américaine, nous « condamnions les Etats-Unis et soutenions par tous les moyens » le gouvernement du pays que les Américains auront choisi d’attaquer ? Pensez-vous que ce soit sérieux ? Je ne me souviens d’ailleurs pas que vous ayez jamais proposé de sanctionner les Etats-Unis. Un oubli, sans doute…

      • Tiepolo dit :

        @ Descartes
        Je vous remercie de votre indulgence pour la naïveté de ma question et d’avoir pris la peine de me répondre de façon aussi structurée et argumentée. En effet il y a d’autres situations actuelles où ce débat est peut-être moins complexe, même s’il est toujours difficile de démêler les tenants et aboutissants…  Bravo pour votre disponibilité et patience, et bien sûr pour la qualité de votre blog, bien cordialement

        • Descartes dit :

          @ Tiepolo

          [Je vous remercie de votre indulgence pour la naïveté de ma question ]

          Ne me remerciez pas. Les questions les plus “naïves” sont souvent celles qui sont les plus intéressantes à répondre, parce que ce sont celles qu’on se pose le moins quand on connaît un peu le sujet. Il n’est pas inutile de revenir de temps en temps aux fondamentaux…

    • @ marc.malesherbes,
       
      [vous avez eu un long débat sur l’histoire des débuts du Christianisme au milieu du Moyen Age. Comment appliquer toutes ces connaissance à l’invasion que nous connaissons actuellement de l’Ukraine ?]
      Je ne suis pas sûr de saisir votre question. Lorsque Vladimir, prince de Kiev, accepte le baptême des prêtres de Constantinople en 988 je crois, il fait entrer tous les Ruthènes (ancêtres des Russes, Ukrainiens et Biélorusses) dans le monde orthodoxe. On ne peut pas vraiment parler de “Russie” et d’ “Ukraine” à cette époque. Les historiens emploient d’ailleurs l’expression “Rous ou Rus’ de Kiev” afin d’éviter les confusions, la Russie moderne étant issue de la Moscovie, un des états héritiers de la principauté de Kiev.
       
      [Ma question sera donc : trouvez-vous aussi cette règle sage ?]
      Comme l’a dit Descartes, cette règle est très sage. Mais les Occidentaux l’ont foulée aux pieds. Dès lors, nous sommes entrés dans une nouvelle ère de rectifications des frontières… Les plus forts préserveront leur territoire, voire l’agrandiront. Les autres vont connaître une période difficile.
      On pleure aujourd’hui sur l’Ukraine, mais demain, vues les ambitions de la Turquie d’Erdogan, il faudra pleurer sur la Grèce, l’Arménie, Chypre…
       
      En cela, le possible dépeçage de l’Ukraine n’est pas une bonne nouvelle même si la Russie ne peut pas être tenue pour responsable de l’abandon du principe de respect de l’intégrité territoriale des nations.

      • marc.malesherbes dit :

        @ Descartes@ nationaliste-ethniciste 
        merci de vos réponses
         
        je comprend que pour vous aussi «le principe du respect des frontières établies » est une règle sage, mais que « Cette règle, que cela nous plaise ou non, est morte. La « défendre » aujourd’hui comme si elle était vivante n’a aucun sens. »
         
        Je m’interroge. Certes les américains ont largement enfreint cette règle depuis 1945, et les russes sont en train de faire de même en Ukraine.
         
        Mais, comme pour les homicides en France, ils sont condamnés, et pourtant toujours existants. Allons-nous pour autant abandonner la règle  et les sanctions associées ?
         
        En ce qui concerne la règle « respect des frontières établies » je constate qu’elle est toujours largement admise par la grande majorité des états de l’ONU, y compris par la Chine, l’Inde et bien d’autres, au moins au niveau des discours officiels.
        On peut considérer que bien des états y ont intérêt, notamment tous ceux qui sont voisins d’états plus forts. Il y a donc une possible coalition des « intérêts ».
        A partir de là on peut espérer faire vivre cette règle au moins au niveau des « petits » pays . C’est ce que les occidentaux font vis à vis de la Russie (relativement « petit  pays ») en soutenant l’Ukraine.
        Il est certain que vis à vis des USA, ou de la Chine, tout le monde hésitera …
         
        Je dois cependant bien constater que la règle selon laquelle la loi du plus fort est toujours la meilleure est celle qui a toujours triomphé.

        • Descartes dit :

          @ marc.malesherbes

          [Je m’interroge. Certes les américains ont largement enfreint cette règle depuis 1945, et les russes sont en train de faire de même en Ukraine. Mais, comme pour les homicides en France, ils sont condamnés, et pourtant toujours existants. Allons-nous pour autant abandonner la règle et les sanctions associées ?]

          Il y a une grande différence entre le droit national et le droit international. Les sujets du droit national sont des individus comme vous et moi, qui ont délégué à une institution, l’Etat, le « monopole de la force légitime » pour faire appliquer les lois décidées en commun. Les sujets du droit international sont des états souverains, qui ne sont juridiquement soumis à aucune règle sauf celle qu’ils font eux-mêmes. Cela change radicalement les choses.

          Pour reprendre votre exemple, l’homicide est condamné en France. Et il y a une police pour arrêter les meurtriers, un juge pour les condamner, une prison pour les enfermer. Et cela, que vous soyez puissant ou misérable. En matière internationale, où se trouve la police, la justice, la prison qui punira les Américains pour l’invasion de la Grenade ou celle de l’Irak ?

          [En ce qui concerne la règle « respect des frontières établies » je constate qu’elle est toujours largement admise par la grande majorité des états de l’ONU, y compris par la Chine, l’Inde et bien d’autres, au moins au niveau des discours officiels.]

          Dans les discours officiels, tout est toujours plus beau. Mais aujourd’hui, dans la pratique, chaque pays n’observe ce principe que lorsque le rapport de forces le contraint ou qu’il a intérêt à le faire. Et personne ne sanctionne celui qui le viole à partir du moment qu’il a un gros bâton, ou qu’il est protégé par celui qui l’a. Dans ces conditions, exiger des faibles qu’ils observent un principe dont les forts s’affranchissent, c’est de la pure hypocrisie.

          Nous avons connu, il est vrai, une période pendant laquelle les principes avaient un poids propre. Le traumatisme de la deuxième guerre mondiale et l’apparition de l’arme atomique ont fait que les états ont pensé pendant quelques années au-delà de leurs intérêts immédiats, et ont pris en considération la stabilité globale du système et le long terme. Avec la révolution néolibérale, tout cela est passé par-dessus bord. En ce sens, le parallèle entre la crise des missiles et la guerre d’Ukraine est très intéressant. Dans les deux cas, une puissance a tracé une « ligne rouge » lorsqu’une autre puissance a avancé ses pions trop près de ses frontières. Mais en 1965 chacun était conscient de la fragilité des équilibres et personne ne voulait aller à la guerre. Alors même que Castro était prêt à courir le risque de la confrontation, Khroutchev a préféré trouver un accord. En 2022, les Américains sont grisés de leur puissance et prêts à se battre jusqu’au dernier Ukrainien, et personne n’est capable de leur mettre des limites.

          [On peut considérer que bien des états y ont intérêt, notamment tous ceux qui sont voisins d’états plus forts. Il y a donc une possible coalition des « intérêts ».]

          L’ennui, c’est que la coalition des « voisins d’états plus forts » sera toujours très faible devant la coalition des « voisins d’états plus faibles ». On l’a bien vu avec l’Irak.

          [A partir de là on peut espérer faire vivre cette règle au moins au niveau des « petits » pays . C’est ce que les occidentaux font vis à vis de la Russie (relativement « petit pays ») en soutenant l’Ukraine.]

          Autrement dit, aboutir à un système où les « grands » et leurs alliés modifieront par la force les frontières des « petits » à leur guise, et les « petits » appliqueront strictement le règlement qui leur empêche de les modifier eux-mêmes. C’est-à-dire, exactement le même résultat auquel aboutit le rapport de forces. Dans ces conditions, pas la peine d’avoir des règles, la simple force suffit.

          Il faudra m’expliquer à quoi peut servir une « règle » qui ne s’applique qu’aux faibles, et qui sert l’intérêt des « forts »…

          [Il est certain que vis à vis des USA, ou de la Chine, tout le monde hésitera …]

          Oui… et c’est pourquoi, si vous voulez modifier vos frontières, vous avez intérêt à vous acoquiner avec les USA, qui vous laisseront ou non le faire en échange de quelques menus services. Regardez Israël…

          [Je dois cependant bien constater que la règle selon laquelle la loi du plus fort est toujours la meilleure est celle qui a toujours triomphé.]

          Pas toujours. Comme je l’ai dit plus haut, il y eut des périodes où les « plus forts » se sont entendus pour faire passer leurs intérêts de long terme plutôt que leurs avantages à court terme…

          • marc.malesherbes dit :

             
            merci de votre réponse argumentée
             
             
            Je ne résiste pas au désir d’ajouter quelque chose qui n’a rien à voir avec la discussion en cours mais qui me fait « plaisir ».
             
            On voit bien dans votre réponse pointer le « pro-russe » qui reprend l’argument pro-russe sans aucun sens autre que polémique « les Américains … prêts à se battre jusqu’au dernier Ukrainien » Ce sont évidement les Ukrainiens qui sont prêts à se battre « jusqu’au dernier » et qui sont bien contents d’avoir l’aide américaine.
             
            Ce qui est amusant, c’est que c’est la simple reprise de la propagande des nazis allemands lors de la bataille de Dunkerque qui disaient « les anglais sont prêts à se défendre jusqu’au dernier français » La fascination du fascisme par les pro-russes qui vont jusqu’à la reprise de leur éléments de langage ». est frappante. D’ailleurs le régime russe a de plus en plus les traits d’un régime fasciste. Ils sont donc cohérents..
             
            Mais ce qui est intéressant, c’est qu’il y a des slogans qui marchent toujours, car ils ont une apparence de logique. C’est ainsi que j’ai également entendu des pro-russes dire « plutôt la Mayenne que l’Ukraine », reprenant le célèbre slogan de Cartier « plutôt la Corrèze que le Zambèze ».
             

            • Descartes dit :

              @ marc.malesherbes

              [Je ne résiste pas au désir d’ajouter quelque chose qui n’a rien à voir avec la discussion en cours mais qui me fait « plaisir ». On voit bien dans votre réponse pointer le « pro-russe » qui reprend l’argument pro-russe sans aucun sens autre que polémique (…)]

              Ainsi, si je vous suis, mon discours serait irrecevable non parce que mes arguments sont infondés, mais parce qu’ils seraient « pro-russes » et n’aurait autre sens que « la polémique ». Le procès d’intention et l’étiquetage sont vraiment le degré zéro de l’argumentation. Et je dis « argumentation » parce que je suis gentil, il faudrait plutôt parler de « propagande ». Je ne m’abaisserais donc même pas à répondre…

              [« les Américains … prêts à se battre jusqu’au dernier Ukrainien » Ce sont évidemment les Ukrainiens qui sont prêts à se battre « jusqu’au dernier » et qui sont bien contents d’avoir l’aide américaine.]

              Vous trouverez toujours des gens prêts à se battre pour n’importe quelle cause si vous les poussez – et les payez – suffisamment. Pensez aux sud-vietnamiens : ils étaient prêts à se battre jusqu’au dernier contre le Vietcong… et du jour où les Américains ont décidé qu’il fallait mettre fin à la guerre, leur envie de se battre a mystérieusement disparu. C’est que, voyez-vous, on trouve toujours des gens prêts à s’embarquer dans une guerre lorsque la victoire est au bout, et avoir derrière vous une grande puissance comme les Etats-Unis vous garantit – du moins c’est ce que beaucoup de gens pensent – la victoire. Si les Américains poussaient pour une solution négociée, on trouverait beaucoup moins d’Ukrainiens prêts à se battre jusqu’au dernier…

              [Ce qui est amusant, c’est que c’est la simple reprise de la propagande des nazis allemands lors de la bataille de Dunkerque qui disaient « les anglais sont prêts à se défendre jusqu’au dernier français »]

              Ah… après le procès d’intention et l’étiquetage, nous arrivons à l’amalgame et au point Goodwin… là encore, je ne m’abaisserai pas à répondre.

              [La fascination du fascisme par les pro-russes qui vont jusqu’à la reprise de leur éléments de langage ». est frappante. D’ailleurs le régime russe a de plus en plus les traits d’un régime fasciste. Ils sont donc cohérents…]

              Miracles de la propagande : ce sont les pro-Ukrainiens qui élèvent des monuments aux supplétifs des nazis comme Bandera, qui font détruire les monument commémorant la victoire contre le nazisme, qui soutiennent des organisations comme le bataillon Azov dont les références au nazisme sont dépourvues de toute ambigüité, mais ce seraient les « pro-russes » qui seraient « fascinés par le fascisme ». Je vois que vous avez choisi votre camp, donc là encore je n’ai rien à ajouter.

              [Mais ce qui est intéressant, c’est qu’il y a des slogans qui marchent toujours, car ils ont une apparence de logique. C’est ainsi que j’ai également entendu des pro-russes dire « plutôt la Mayenne que l’Ukraine », reprenant le célèbre slogan de Cartier « plutôt la Corrèze que le Zambèze ».]

              D’abord, l’attribution à Cartier est fausse : c’est le député socialiste Jean Montalat qui utilisa le premier cette formule à la tribune de l’Assemblée en 1964. Et dans un sens qui n’a rien à voir avec celui que vous lui prêtez : Montalat l’avait utilisé pour s’opposer aux dépenses de l’aide au développement, trouvant que la France avait des priorités bien plus importantes sur son propre territoire. Ensuite, dans votre raisonnement le « j’ai entendu des pro-russes dire « plutôt la Mayenne que l’Ukraine » » semble être une tautologie, puisque toute personne qui aurait dit pareille chose serait qualifiée par vous de « pro-russe » sans autre forme de procès. Enfin, la question de savoir s’il est utile à nos principes où à nos intérêts de s’engager dans telle ou telle guerre étrangère me semble une question fondamentale, qu’on ne peut balayer comme vous le faites à partir d’un raisonnement manichéen. J’attends toujours que vous m’expliquiez pourquoi il faut aider les Ukrainiens aujourd’hui, alors qu’on n’a pas aidé les Irakiens ou les Palestiniens…

            • CVT dit :

              @Descartes,

              [J’attends toujours que vous m’expliquiez pourquoi il faut aider les Ukrainiens aujourd’hui, alors qu’on n’a pas aidé les Irakiens ou les Palestiniens…]

               
              Ou encore les Arméniens du Haut-Karabakh, qui sont la proie des armées azéries, elles-mêmes financées grâce à l’argent générés par les nouveaux accords gaziers signés avec la Commission Européennes, pour compenser les effets… des sanctions anti-russe!
               
              J’attends également des explications de la part des pro-Zelinski qui m’aideraient à comprendre en quoi le sort des Arméniens, pourtant historiquement plus liés à la France,  importerait moins que celui des Ukrainiens…

            • Descartes dit :

              @ CVT

              [J’attends également des explications de la part des pro-Zelinski qui m’aideraient à comprendre en quoi le sort des Arméniens, pourtant historiquement plus liés à la France, importerait moins que celui des Ukrainiens…]

              La raison paraît évidente: on aide les Ukrainiens parce qu’on veut faire la guerre aux Russes, et on n’aide pas les Arméniens parce qu’on n’a rien contre les Azéris. Contrairement à ce que la propagande peut faire croire, on n’a aucun amour particulier pour les Ukrainiens en général et pour Zelinski en particulier. Il n’y a pas un an, on pouvait lire dans le journal de référence de longs articles qualifiant le régime ukrainien de “kleptocratie”, et son président de marionnette des oligarques. Et puis, il y eut le 24 février et tout à coup le régime ukrainien est devenu un concentré de vertus et son président l’homme le plus courageux et honnête de la terre. Comme quoi, l’âge des miracles n’est pas terminé…

              Cela étant dit, soyons patients. Beaucoup de choses aujourd’hui cachées vont apparaître lorsque les armes se seront tues, et elle se tairont un jour. Déjà certains commentateurs constatent sotto voce que sur cent euros d’aide militaire envoyés à l’Ukraine, trente au moins s’évaporent dans la nature. Et il y a fort à parier que pas mal de régimes africains – ou de groupes terroristes – sortiront demain des armes au départ destinés à l’Ukraine, de la même manière que les armes généreusement données aux “combattant de la liberté” en Afghanistan ou aux factions yougoslaves se sont retrouvées dans les réseaux criminels quelques années plus tard. Déjà de témoignages commencent à apparaître montrant que les atrocités ne sont pas commises d’un seul côté…

          • marc.malesherbes dit :

             
            votre réponse … sur le fond
             
            Votre réponse est toute entière animée d’un anti-américanisme bien typique des pro-Russes.
             
            En effet vous faite force reproche aux américains de leurs interventions extérieures, et vous mettez ces interventions en parallèle avec celle des russes en Ukraine.
             
            Mais il y a une différence qualitative considérable : les américains sont intervenus pour soutenir, ou mettre en place des régimes qui leur soient favorables, sans jamais envisager l’annexion. Alors que les Russes sont intervenus pour annexer, détruire l’existence d’un état, et ils ont déjà commencé à le faire en déclarant « russe », partie de la Russie, la Crimée puis 4 oblast du Dombass.
             
            nb ; veuillez noter qu’être « pro-Russe », n’est pas désobligeant, seulement une caractéristique, comme vous pourriez me qualifier de «pro-démocrate » , «pro-français» …
             

            • Descartes dit :

              @ marc.malesherbes

              [votre réponse … sur le fond. Votre réponse est toute entière animée d’un anti-américanisme bien typique des pro-Russes.]

              Où est le « fond » là-dedans ? Je ne vois qu’un procès d’intention. A aucun moment dans nos dialogues je ne me suis permis de vous prêter des intentions ou de les juger. J’apprécierais que vous me rendiez la pareille.

              [En effet vous faite force reproche aux américains de leurs interventions extérieures, et vous mettez ces interventions en parallèle avec celle des russes en Ukraine.]

              Je ne fais aucun « reproche » à personne. Je me contente de constater que ces dernières années les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux ont largement violé les principes fondamentaux de l’ordre international issu de la victoire de 1945, ceux de souveraineté des états et de l’intangibilité des frontières. Depuis la fin des années 1980, les Etats-Unis et leurs alliés – j’insiste sur ce dernier point – ont attaqué unilatéralement des états souverains – l’Irak, la Grenade, la Serbie – et ont procédé à des rectifications des frontières – en Yougoslavie, au Kossovo. Et que ceux qui ont participé à ces interventions n’ont jamais été sanctionnés ni politiquement, ni économiquement. Je constate aussi que lorsque des états qui ne sont pas dans l’orbite des Etats-Unis ont eu le même comportement, ils ont TOUJOURS été l’objet de sanctions internationales.

              Maintenant, partagez-vous ces constatations factuelles ? Oui ou non ? Après, chacun en tirera les conclusions qu’il voudra pour ce qui concerne l’intervention russe en Ukraine.

              [Mais il y a une différence qualitative considérable : les américains sont intervenus pour soutenir, ou mettre en place des régimes qui leur soient favorables, sans jamais envisager l’annexion.]

              Tout à fait. Mais la différence va dans le mauvais sens : annexer un territoire implique donner à ses habitants les mêmes droits et les mêmes devoirs que ses propres citoyens. Ainsi, par exemple, si les Etats-Unis avaient « annexé » l’Afghanistan, les irakiens seraient devenus citoyens américains, avec tous les droits et privilèges qui y sont attachés, et en particulier celui de ne pas être arrêté et conduit à la prison de Guantanamo sans recours possible à un juge indépendant. La politique américaine consiste à exercer son pouvoir non pas à travers l’annexion, mais à travers des régimes proconsulaires (comme en Irak) ou vassalisés (comme en Afghanistan). Et cette politique n’est d’ailleurs pas nouvelle : elle date de la doctrine Monroe, mais elle a été très bien résumée par Théodore Roosevelt : « nous voulons qu’ils se gouvernent comme ils l’entendent, à condition qu’ils l’entendent comme nous l’entendons ». J’avoue que je vois mal en quoi être gouverné par un Marcos serait mieux que l’annexion. Mais les goûts et les couleurs…

              [Alors que les Russes sont intervenus pour annexer, détruire l’existence d’un état, et ils ont déjà commencé à le faire en déclarant « russe », partie de la Russie, la Crimée puis 4 oblast du Dombass.]

              Parce que l’intervention en Irak n’a pas « détruit l’état » ?

              [nb ; veuillez noter qu’être « pro-Russe », n’est pas désobligeant, seulement une caractéristique, comme vous pourriez me qualifier de «pro-démocrate » , «pro-français» …]

              Mais certainement… dans ce cas, si je vous qualifiait de « pro-américain », cela n’aurait aucun caractère désobligeant, n’est-ce pas ?

  21. Geo dit :

    @Descartes
    ” nous voulons qu’ils se gouvernent comme ils l’entendent, à condition qu’ils l’entendent comme nous l’entendons.”
    Avez-vous la référence de cette déclaration, l’occasion en laquelle elle fut faite ?

    • Descartes dit :

      @ Geo

      [Avez-vous la référence de cette déclaration, l’occasion en laquelle elle fut faite ?]

      Malheureusement, non. Si ma mémoire ne me trompe pas, elle vient du “Oxford dictionnary of political quotations”, mais je n’ai pas mon exemplaire sous la main. De mémoire, elle figure dans les mémoires d’un autre politicien, qui l’aurait entendue lors d’un entretien privé. Je ne pense pas qu’un président, même américain, aurait osé exprimer une telle idée en public…

  22. Bruno dit :

    Bonsoir Descartes,
     
    Vous répétez à l’envi qu’une partie des maux qui affecte notre société est liée à “l’approfondissement du capitalisme”.
     
    J’aimerais bien que vous preniez un peu le temps de revenir aux fondamentaux, pour bien poser et définir les termes du problème, étape indispensable pour le traiter.
     
    Sans refaire une généalogie de l’histoire des idées, peut-on selon vous affirmer que la situation actuelle est le fruit de plusieurs étapes dans le temps, qu’on peut tenter de résumer schématiquement :
     
    – Naissance de l’individualisme moderne en Europe, disons au XVIe siècle, avec l’émergence d’un courant de pensée qui accorde une place singulière à l’individu. La Réforme à cet égard, apparaîtrait comme l’une des manifestations de cette évolution. L’individu existe par lui-même, comme sujet pensant, en dehors des communautés organiques et historiques.
     
    – Montée en puissance du libéralisme, au XVII/XVIIIe siècle, avec le développement d’un courant de pensée qui prétend faire passer les libertés individuelles (certaines en tout cas, non sans rapport avec la classe sociale des auteurs et des partisans de ce mouvement) avant les intérêts de la société, ou plutôt, mettre des bornes à la toute puissance de l’État et de ses auxiliaires, notamment religieux. Le nouvel esprit de ce temps est assez bien résumé par Constant quand il oppose la liberté des Anciens à celles des Modernes. On commence à changer de paradigme.
     
    – Développement du capitalisme moderne, en France, particulièrement avec la fin de l’Ancien régime et le changement de classe dominante. La bourgeoisie impose son agenda économique. Depuis lors le capitalisme n’a eu de cesse de se développer, hors périodes de crise et de renforcer en Occident le poids des “individus” comme sujets centraux, au détriment des communautés anciennes. L’économie, anciennement imbriquée dans la société, comme un de ses aspects, rarement le plus noble, a renversé la table. Désormais, c’est la société qui semble imbriquée dans l’économique et tout en découle.
     
    Je m’arrêterai là pour vous poser quelques questions :
     
    -Etes vous d’accord avec ce déroulé en trois temps? Ou pour vous le capitalisme est-il simplement un aspect du libéralisme, sa branche économique?
     
    Je m’identifie à courant de pensée qu’on appellerait en deux mots la droite antilibérale. Pour elle, le vers était dans le fruit très tôt, et, l’idéologie libérale, porte en elle les germes d’une société décadente tendant à l’anomie généralisée.
     
    Dans quelle mesure le libéralisme porte-t-il en lui le germe de la société que nous avons devant nous aujourd’hui en France? Pour ma part je ne pense pas comme certains inconséquents, à droite comme à gauche, qu’il y ait un bon libéralisme (économique si on est de droit, sociétal si on est de gauche) et un mauvais. L’individualisme est-il devenu un égoïsme ou bien est-ce lié au capitalisme?
     
    -Aussi qu’entendez vous par approfondissement du capitalisme et même par capitalisme, simple mode de production ou fait social total qui se couple avec les deux grandes idées précitées?
     
    Une chose intéressante est de remarquer qu’au-delà des doctrines politiques, ce qui semble aujourd’hui opposer les Etats est le rapport à l’individu, ou plutôt l’imbrication de l’individu dans un corps social plus grand. D’un côté on trouve des pays qui font clairement primer autre chose que l’individu (Chine, Russie, Inde…) et de l’autre des pays, à mon sens en déclin pour la plupart, qui récoltent aujourd’hui le fruit (fragmentation et anomie du corps social) d’un libéralisme qui a valorisé le développement de l’individu et du domus au mépris de la sphère publique.
     
    Pensez-vous toutefois que les mêmes causes produisant les mêmes effets, les pays faisant primer l’État connaîtront la même évolution qu’en Occident ou bien que le phénomène sera enrayé?
     
    Évidemment, rien n’est irréversible et les dynamiques évolueront probablement demain, ici et ailleurs. Il faut en tout cas le souhaiter pour ici, mais ça ce n’est que mon avis.

    • Descartes dit :

      @ Bruno

      [Vous répétez à l’envi qu’une partie des maux qui affecte notre société est liée à l’approfondissement du capitalisme”.]

      Vous direz que je pinaille, mais je ne pense pas avoir parlé en termes de « maux qui affectent notre société ». Dans ce débat, il faut se méfier de notre tendance à universaliser notre perception. Ce qui est un « mal » pour certains, est un « bien » pour d’autres. Si l’approfondissement du capitalisme est un « mal » pour les couches populaires, c’est au contraire une bénédiction pour la bourgeoisie et les classes intermédiaires… alors plutôt que de dire que « une partie des maux qui affecte notre société est liée à l’approfondissement du capitalisme », j’aurais tendance à préférer la formule « une partie des transformations de notre société traduisent l’approfondissement du capitalisme »…

      [Sans refaire une généalogie de l’histoire des idées, peut-on selon vous affirmer que la situation actuelle est le fruit de plusieurs étapes dans le temps, qu’on peut tenter de résumer schématiquement : – Naissance de l’individualisme moderne en Europe, disons au XVIe siècle (…)/– Montée en puissance du libéralisme, au XVII/XVIIIe siècle,(…)/– Développement du capitalisme moderne, en France, particulièrement avec la fin de l’Ancien régime et le changement de classe dominante(…). Etes vous d’accord avec ce déroulé en trois temps? Ou pour vous le capitalisme est-il simplement un aspect du libéralisme, sa branche économique?]

      Vous noterez que dans votre description, vous accordez la primauté aux idées sur les rapports matériels. On voit dans votre description naître l’individualisme, puis le libéralisme, et enfin, comme conséquence, le capitalisme. Or, cette description nie la dialectique entre les idées et les rapports matériels : si l’individualisme se développe à partir du XVIIème siècle, notamment en Angleterre, c’est parce que les rapports de production féodaux sont progressivement remplacés par des rapports de production capitalistes, avec l’essor de la navication, l’apparition des premières grandes « compagnies » coloniales, les révolutions scientifiques et techniques qui préparent la révolution industrielle. Ce n’est pas la naissance de l’individualisme puis du libéralisme qui entraîne l’essor du capitalisme, c’est plutôt l’inverse : la transformation des rapports de production impulse dialectiquement une transformation des idées.

      [Je m’identifie à courant de pensée qu’on appellerait en deux mots la droite antilibérale. Pour elle, le vers était dans le fruit très tôt, et, l’idéologie libérale, porte en elle les germes d’une société décadente tendant à l’anomie généralisée.]

      « Décadente » par rapport à quoi ? Pensez-vous que notre société soit « décadente » par comparaison avec la société du XVIème siècle, c’est-à-dire, celle qui a précédé l’essor des idéologies individualistes et libérales ? Sauf à idéaliser l’obscurantisme et la violence des périodes prémodernes, on a du mal à soutenir cette conclusion. En fait, quand nous parlons de « décadence », nous prenons comme référence la société où vécurent nos parents ou grands-parents, c’est-à-dire, des sociétés qui étaient déjà très largement dominées par les idéologies individualistes et libérales…

      [Dans quelle mesure le libéralisme porte-t-il en lui le germe de la société que nous avons devant nous aujourd’hui en France ? Pour ma part je ne pense pas comme certains inconséquents, à droite comme à gauche, qu’il y ait un bon libéralisme (économique si on est de droit, sociétal si on est de gauche) et un mauvais. L’individualisme est-il devenu un égoïsme ou bien est-ce lié au capitalisme ?]

      Pour répondre à votre question, il faut s’entendre d’abord sur ce qu’on entend par « libéralisme » et « individualisme ». Parce que, comme toute création humaine, ces idéologies ont une histoire. Lorsqu’on analyse une idéologie, la première question à se poser est « contre qui cette idéologie a été élaborée » ? Le libéralisme, l’individualisme sont d’abord des idéologies de combat contre l’organicisme qui permettait de soutenir le pouvoir nobiliaire et religieux. La Révolution française, qui mit par terre l’un et l’autre, est fille du libéralisme et des idées individualistes. Mais peut-on accuser les révolutionnaires français d’avoir mis en avant « l’égoïsme » ou « l’anomie » ? Certainement pas. C’est plutôt le contraire : conscients des risques d’anarchie après avoir mis à bas un « ordre ancien » séculaire, les révolutionnaires n’ont eu d’autre souci que de sacraliser la loi et d’organiser un « ordre nouveau ». Les tendances « anarchistes » ont été vite marginalisées, et Napoléon – le fruit le plus achevé du jacobinisme – finit le travail en établissant les « masses de granit » censées ancrer fermement le pays dans le droit, et éviter toute forme d’anomie. Et ce n’est pas une coïncidence : le développement du capitalisme au XIXème siècle nécessitait un cadre légal solide, un Etat fort permettant de garantir les capitaux investis dans le développement des industries naissantes et des infrastructures indispensables.

      Deux siècles plus tard, le capitalisme a changé : l’Etat, que la bourgeoisie contrôlait sans partage au XIXème siècle, a changé de nature notamment sous l’effet des deux guerres mondiales. Il faut donc réduire son influence et son poids. Et du coup, le libéralisme est réinterprété sous un angle différent pour en faire un instrument idéologique non pas contre l’arbitraire royal ou le pouvoir clérical, mais contre l’Etat représentant de la volonté générale. C’est pourquoi il est juste à mon avis de parler de « néolibéralisme » à propos de cette réinterprétation du libéralisme classique. Mais c’est bien la transformation du rapport de production – ce que j’appelle « l’approfondissement du capitalisme » – qui en dernière instance modifie l’idéologie, et non l’inverse.

      [-Aussi qu’entendez-vous par approfondissement du capitalisme et même par capitalisme, simple mode de production ou fait social total qui se couple avec les deux grandes idées précitées ?]

      Je pars en fait du « manifeste ». Dans ce texte, Marx parle de la manière dont le capitalisme remplace les rapports « anciens » pour leur substituer celui du « paiement au comptant ». Ma théorie est que ce remplacement n’a pas été complet au XIXème siècle. Comme Castoriadis, je pense que certaines structures « anciennes » ont survécu – et pour certaines survivent toujours. L’approfondissement du capitalisme se traduit par la disparition progressive de ces structures. L’exemple donné par Castoriadis, celui du « juge intègre », est particulièrement intéressante. En effet, l’idée d’un juge qui agirait non pas en fonction de son propre intérêt, mais d’un intérêt transcendant de la société est profondément contradictoire avec la vision du « paiement au comptant ». L’hypothèse de Castoriadis, confirmée par l’expérience, est qu’au fur et à mesure que la logique capitaliste s’impose dans tous les domaines de la société, le « juge intègre » disparaîtra au profit d’un juge qui donnera raison à celui qui paiera le mieux…

      Cet exemple montre bien pourquoi l’approfondissement du capitalisme tend à conduire à l’anomie. Pour qu’il y ait une règle, il faut quelque part un « juge intègre » pour la faire appliquer.

      [Une chose intéressante est de remarquer qu’au-delà des doctrines politiques, ce qui semble aujourd’hui opposer les Etats est le rapport à l’individu, ou plutôt l’imbrication de l’individu dans un corps social plus grand. D’un côté on trouve des pays qui font clairement primer autre chose que l’individu (Chine, Russie, Inde…) et de l’autre des pays, à mon sens en déclin pour la plupart, qui récoltent aujourd’hui le fruit (fragmentation et anomie du corps social) d’un libéralisme qui a valorisé le développement de l’individu et du domus au mépris de la sphère publique.]

      Il faut regarder le temps long. On peut dire qu’en Chine ou en Inde on fait primer « autre chose que l’individu » AUJOURD’HUI. Mais c’était aussi le cas dans l’Europe du XVIIIème ou XIXème siècle, quand l’expansion capitaliste coexistait encore avec les structures venues de l’ancien monde. Et puis, au fur et à mesure que le capitalisme s’approfondit, ces structures se sont progressivement effacées. La question est : combien de temps la Chine ou l’Inde pourront approfondir le caractère capitaliste de leur économie tout en préservant des structures qui sont en profonde contradiction avec ce fonctionnement ?

      Vous regardez ces structures comme si elles étaient immuables, alors qu’elles sont au contraire historiques. Si le capitalisme a eu la puissance pour briser en Occident des structures millénaires – pensez à la famille – pourquoi pensez-vous qu’il en ira différemment en Chine ?

      [Pensez-vous toutefois que les mêmes causes produisant les mêmes effets, les pays faisant primer l’État connaîtront la même évolution qu’en Occident ou bien que le phénomène sera enrayé ?]

      Prima facie, je pense que le processus sera le même. Cela étant dit, cela pose une question plus globale. Jusqu’où le capitalisme peut-il « s’approfondir » – c’est à dire, réduire tous les rapports à des rapports monétaires – tout en restant « vivable » ? A quel moment les contradictions que fait apparaître son approfondissement ouvriront la porte à une alternative ? Je n’ai bien entendu pas de réponse à ces questions, et nul n’est prophète en son pays… et encore moins en son temps !

      • Bruno dit :

        Merci pour vos réponses !
        [Vous noterez que dans votre description, vous accordez la primauté aux idées sur les rapports matériels.]
        N’ayant pas votre vision matérialiste de l’histoire, je n’ai pas la même lecture.
        [« Décadente » par rapport à quoi ? ]
        Je pense à la génération de mes parents (années 50/60). Le terme décadent n’est pas le bon. Ce que je voulais dire c’est que notre société tend à l’anomie et donc à la dissolution. Vous avez raison, cette société était déjà marquée par l’individualisme mais les structures anciennes, organiques, demeuraient fortes. Les individus n’étaient pas livrés à eux-mêmes façon à un écran.
        [Et du coup, le libéralisme est réinterprété sous un angle différent pour en faire un instrument idéologique non pas contre l’arbitraire royal ou le pouvoir clérical, mais contre l’Etat représentant de la volonté générale. C’est pourquoi il est juste à mon avis de parler de « néolibéralisme » à propos de cette réinterprétation du libéralisme classique.]
        C’est très clair oui.
        Une chose me fascine dans votre discours je dois l’admettre, c’est qu’à vous lire on a le sentiment que tout ou presque découle du capitalise, des idées aux rapports régissant les individus aujourd’hui… Dans ces conditions on a du mal à croire qu’une époque précapitaliste ait pu exister, et, pire, qu’une société soit concevable à terme, sans ce capitalisme.
        Si le libéralisme et le néo-libéralisme découlent du capitalisme et de son approfondissement, pourriez vous me dire “d’où” vient le capitalisme et qu’est-ce qui l’a rendu incontournable et prédominant dans la grande majorité du globe? Etait-ce selon vous un phénomène inéluctable lié à l’évolution des sociétés?
         

        • Descartes dit :

          @ Bruno

          [« Vous noterez que dans votre description, vous accordez la primauté aux idées sur les rapports matériels. » N’ayant pas votre vision matérialiste de l’histoire, je n’ai pas la même lecture.]

          Ce n’était pas un reproche, mais une constatation. Cela étant dit, à la fin de votre développement vous me demandiez si « je suis d’accord avec ce déroulé en trois temps ». Il aurait dû être évident pour vous que la réponse est négative, puisque mon cadre d’analyse est matérialiste et que dans votre formulation ce sont les idées qui déterminent les rapports économiques.

          [Une chose me fascine dans votre discours je dois l’admettre, c’est qu’à vous lire on a le sentiment que tout ou presque découle du capitalise, des idées aux rapports régissant les individus aujourd’hui… Dans ces conditions on a du mal à croire qu’une époque précapitaliste ait pu exister, et, pire, qu’une société soit concevable à terme, sans ce capitalisme.]

          L’idée que « tout ou presque » découle AUJOURD’HUI du capitalisme ne devrait pas vous surprendre sous la plume d’un marxiste comme moi. Dès lors qu’on se place dans une logique matérialiste, ce sont les rapports MATERIELS de production qui déterminent en dernière instance – même si cette détermination est un processus dialectique et non mécanique – l’ensemble du fonctionnement social. Et le capitalisme n’est que cela : un rapport matériel de production, dans lequel une partie de la société est obligée de vendre au plus offrant sa force de travail pour survivre, et une autre partie de la société peut se permettre d’acheter celle-ci à un prix inférieur à la valeur qu’elle permet de produire et empocher la différence.

          Mais si AUJOURD’HUI nos rapports sociaux soient déterminés par ce rapport de production qu’est le capitalisme, ce rapport de production n’est nullement le seul possible. D’autres modes de production ont existé au cours de l’histoire, chacun correspondant à un niveau du développement scientifique et technique des sociétés. Et chacun a généré à son tour des idéologies et des rapports sociaux. Le mode de production dit « antique » fondé sur l’esclavage, ou celui dit « féodal » fondé sur le servage sont bien connus et étudiés. Et il est impossible de comprendre la pensée médiévale si l’on ne se réfère aux rapports matériels de l’époque, résolument « pré-capitalistes »…

          [Si le libéralisme et le néo-libéralisme découlent du capitalisme et de son approfondissement, pourriez-vous me dire “d’où” vient le capitalisme et qu’est-ce qui l’a rendu incontournable et prédominant dans la grande majorité du globe ? Etait-ce selon vous un phénomène inéluctable lié à l’évolution des sociétés ?]

          Le capitalisme – comme d’ailleurs tous les modes de production – sont le produit de l’évolution des conditions de production, et notamment du progrès scientifique et technique. Le système de production « antique » a bien marché tant que les conquêtes permettaient d’assurer une provision d’esclaves abondante. Dès lors que les esclaves sont devenus rares, le système est rentré en tension, et il a fallu trouver d’autres sources de main d’œuvre. Le système féodal marchait très bien lorsqu’il s’agissait de faire fonctionner une économie de subsistance bâtie autour de communautés agricoles autosuffisantes. Mais dès lors que le développement des transports a rendu possible le commerce à longue distance, que le perfectionnement des premières machines a nécessité une division du travail plus poussée et une concentration des moyens de production, le mode de production féodal est devenu un frein à l’expansion des forces productives. Le commerce, les machines ont besoin du crédit, autrement dit, la transformation de la richesse accumulée en capital. La rémunération de ce capital fait apparaître la plusvalue – c’est-à-dire, la différence entre la valeur produite par le travailleur et la valeur qui lui est retournée.

          Si el capitalisme est devenu dominant, c’est parce que dans le contexte de la révolution industrielle et du progrès scientifique et technique, c’était le mode de production qui permet le mieux l’expansion des forces productives – la formule est de Marx. Et le capitalisme entre en crise – et sera remplacé par un autre mode de production – lorsque ses contradictions internes deviendront un obstacle pour l’expansion de ces forces.

          • Bruno dit :

            [Et le capitalisme entre en crise – et sera remplacé par un autre mode de production – lorsque ses contradictions internes deviendront un obstacle pour l’expansion de ces forces.]
            Existe-t-il des réflexions sérieuses et récentes à ce sujet? Quel mode de production pourrait succéder au capitalisme qui ne tend à produire rien d’autre que l’anomie généralisée de nos sociétés? 

            • Descartes dit :

              @ Bruno

              [Existe-t-il des réflexions sérieuses et récentes à ce sujet ? Quel mode de production pourrait succéder au capitalisme qui ne tend à produire rien d’autre que l’anomie généralisée de nos sociétés ?]

              Lorsqu’on a été formé dans un rapport de production donné, imaginer une autre forme est presque aussi difficile que d’imaginer ce que serait le monde si les corps se repoussaient au lieu de s’attirer. Qui a imaginé, au moyen-âge féodal, ce que serait un monde capitaliste ? Quel auteur de l’époque était capable d’imaginer un monde où les hommes suivraient leurs appétits sans qu’il y ait un bon Dieu quelque part pour imposer une morale ?

              Il y a bien entendu des réflexions sur la question, on fabrique des utopies plus ou moins socialistes, plus ou moins communautaires, plus ou moins écologistes. La seule chose qu’on puisse dire avec certitude, c’est que le prochain mode de production ne ressemblera probablement à aucune de ces proyections…

  23. marc.malesherbes dit :

     
    @ CVT
    je reprend l’échange ci-dessus (je n’ai pas pu m’y référer directement)
    … car je suis un « pro-Zelinski »
     
    vous écrivez
     
    ….vous m’expliquiez pourquoi il faut aider les Ukrainiens aujourd’hui, alors qu’on n’a pas aidé les Irakiens ou les Palestiniens……. J’attends également des explications de la part des pro-Zelinski qui m’aideraient à comprendre en quoi le sort des Arméniens, pourtant historiquement plus liés à la France,  importerait moins que celui des Ukrainiens…
     
    la réponse comme toujours est complexe (id : comprend de multiples éléments) et ne se résume pas à l’argument de Descartes (« La raison paraît évidente: on aide les Ukrainiens parce qu’on veut faire la guerre aux Russes… ») même si c’est un élément important (argument typique des « pro-russes).
     
    Il existe de part le monde de multiples situations absolument condamnables et nous n’intervenons pas à chaque fois. Même plus : le plus souvent nous fermons les yeux, ou au plus nous faisons des discours de condamnation.
     
    Pour que nous allions jusqu’à une intervention « réelle », il faut que notre gouvernement considère que nous y avons un intérêt et une capacité d’intervention « réelle ». Cela a été le cas en Afghanistan, en Irak,(avec les américains en première ligne), en Lybie, au Sahel (en première ligne, mais avec le soutien américain).
     
    Le cas Ukrainien remonte en 2014. Notre gouvernement n’est pas alors intervenu réellement en soutenant l’Ukraine. Il a cherché avant tout « la paix » sur une ligne de « cessez le feu » par des actions diplomatiques, les accords de Minsk, qui n’étaient d’ailleurs guère du goût des Ukrainiens, alors en pleine défaite militaire. C’est cette défaite qui les a amené à accepter bon gré mal gré.
     
    Puis de 2014 à 2022 pas de soutien « réel » aux Ukrainiens, à contrario des USA et Britanniques qui ont soutenu la réorganisation et l’équipement de l’armée Ukrainien (entre autre).
     
    Au début de l’invasion de 2022, notre gouvernement est resté dans l’inaction, l’incantation verbale (d’autres diront « diplomatique »). Les interminables discussions téléphoniques « Macron-Poutine » étaient symptomatiques du désir de ne « rien faire » de concret, car il ne fallait pas le « contrarier » pour soi-disant rester un « médiateur » de paix.
     
    Puis notre gouvernement a perçu qu’une large partie de l’opinion française et internationale occidentale devenait hostile au gouvernement français qui ne faisait « rien ». Il s’est donc engagé à un soutien réel progressif de la France, mais « à minima ». Le 21ème pays dans l’aide aux Ukrainiens en % de notre PIB.
    D’un certain point de vue notre gouvernement est donc en phase avec les « pro-Russe » : ne rien faire, et, si il y est obligé, le minimum.
     
    La question que vous posez est donc : pourquoi ce soutien de l’opinion française et internationale occidentale ?
     
    Je vais répondre de mon point de vue
     
    1- cette guerre à grande échelle est proche de nous.
    Nous y réagissons donc suivant la loi des humanitaires : on est de sensibilité croissante aux injustices, aux malheurs en fonction du couple « km x nbre de victimes ». On pourrait y rajouter la proximité culturelle.
    Ainsi je trouve la situation des Ouighour absolument dramatique, mais ils sont loin, je ne connais rien de leur culture, ils sont musulmans … Je n’ai jamais rencontré des Ouighours, mais j’ai rencontré des Ukrainiens à Paris …
    Les Ukrainiens sont chrétiens, orthodoxes (le grand schisme …), une reine de France vient de Kiev et a initié le nom de Philippe pour nos rois … bref, c’est un univers culturel qui nous est proche.
     
    2- l’ennemi, les russes sont aussi un danger pour tous les pays de l’Est.
    Si la Russie avait facilement gagné, elle aurait sans doute continué avec les pays baltes, la Pologne, la Roumanie… Ce sont des pays européens, et je n’ai guère envie de voir l’ennemi risquer de s’étendre ainsi. C’est là qu’intervient l’argument de Descartes (« La raison paraît évidente: on aide les Ukrainiens parce qu’on veut faire la guerre aux Russes… »)
     
    3- nous avons une possibilité concrète, « réelle » d’intervenir.
    C’est très important. Dans bien des cas nous ne pouvons rien faire … trop loin ou adversaire trop puissant ou peuple choisissant de ne pas se défendre par les armes, acceptant passivement la situation qui lui est faite (je reviens sur les Ouighours qui n’ont pas organisé de résistance active)
     
    Ce sont mes considérations, mais je comprend très bien que d’autres auraient préféré que nous ayons mis l’Arménie en tête de leur priorité, ou les Syriens, ou les Maliens … ou encore que nous ne fassions « rien ».
     
    Il reste que notre gouvernement fait avec la situation de fait, et dans cette situation, c’est le soutien aux Ukrainiens qui est dominant. Mais pas écrasant. Nous avons une tradition de capitulation devant l’ennemi (guerre de 1940 ; de 1870 ; Isabeau de Bavière ; Alésia ; invasion Celte …). C’est pourquoi beaucoup de nos militaires sont « pro-russes ». Leur argument:  les russes sont trop puissants, autant que les Ukrainiens capitulent tout de suite, cela fera moins de victimes (argument repris explicitement par Mélenchon au début de l’invasion).
     
    Le soutien des pays baltes, de la Pologne, de l’Angleterre est beaucoup plus important car leur opinion publique est beaucoup plus favorable aux Ukrainiens. Ils n’ont pas de tradition de capitulation, au contraire.

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [la réponse comme toujours est complexe (id : comprend de multiples éléments) et ne se résume pas à l’argument de Descartes (« La raison paraît évidente: on aide les Ukrainiens parce qu’on veut faire la guerre aux Russes… ») même si c’est un élément important (argument typique des « pro-russes).]

      Décidément, vous ne savez pas résister à la tentation de l’étiquetage. Qu’est-ce que l’expression « argument typique des « pro-russes » » apporte à votre argumentation ? Rien, absolument rien : ce n’est pas parce qu’un argument est employé par les « pro-russes » qu’il est inopérant. Mais alors, si cela n’apporte rien, pourquoi l’écrire ? Parce que « pro-russe » est aujourd’hui une étiquette infamante, et que qualifier un argument de « pro-russe » permet de le dévaluer sans avoir à le réfuter rationnellement.

      [Il existe de par le monde de multiples situations absolument condamnables et nous n’intervenons pas à chaque fois. Même plus : le plus souvent nous fermons les yeux, ou au plus nous faisons des discours de condamnation.]

      Très bien. Mais quels sont les critères qui font que nous nous scandalisons ici et gardons un silence prudent ou complice ailleurs ? Qui font que nous intervenons dans un cas, et nous gardons bien de le faire dans un autre ? Il doit bien y avoir une raison, non ? Une simple consultation vous permettra de constater que nous n’avons JAMAIS sanctionné – ni même appelé à sanctionner – les Etats-Unis lors de leurs interventions militaires, et que nous avons TOUJOURS sanctionné l’URSS hier, la Russie aujourd’hui, et pour beaucoup moins que ça. Quelle conclusion tireriez-vous ?

      Mais surtout, que deviennent les grands principes dans tout ça ? Peut-on toujours les invoquer dans certains cas alors qu’on accepte volontiers qu’on les piétine dans d’autres ?

      [Le cas Ukrainien remonte en 2014. Notre gouvernement n’est pas alors intervenu réellement en soutenant l’Ukraine.]

      Vous oubliez un peu vite les sanctions…

      [Au début de l’invasion de 2022, notre gouvernement est resté dans l’inaction, l’incantation verbale (d’autres diront « diplomatique »). Les interminables discussions téléphoniques « Macron-Poutine » étaient symptomatiques du désir de ne « rien faire » de concret, car il ne fallait pas le « contrarier » pour soi-disant rester un « médiateur » de paix.]

      Position parfaitement raisonnable, d’ailleurs. La France n’a aucun intérêt à voir la Russie perdre cette guerre, puisque nous avons intérêt à un monde bipolaire ou multipolaire, et donc à ce que la Russie et la Chine continuent à faire contrepoids à la puissance américaine. D’autres pays ont adopté cette position – pensez à la Turquie d’Erdogan – et n’ont qu’à se féliciter de l’avoir fait. La seule chose qu’on puisse reprocher à Macron, c’est d’avoir voulu comme toujours jouer le « en même temps » en léchant le cul des Américains tout en gardant ouvert le dialogue avec les Russes. Il a perdu sur les deux tableaux : à Bruxelles on le suspecte de sympathies poutiniennes, à Moscou on se dit qu’un président qui permet à son ministre de dire qu’on est guerre avec la Russie n’est pas un interlocuteur fiable.

      C’est ainsi que nous nous sommes laissés embarquer dans des trains de sanctions qui vont nous coûter très cher, et qui ne nous rapporteront absolument rien en termes géopolitiques. Si l’Ukraine gagne cette guerre, ce sera une victoire dont seuls les Américains toucheront les dividendes. Et ce sera à nous de payer la reconstruction.

      [Puis notre gouvernement a perçu qu’une large partie de l’opinion française et internationale occidentale devenait hostile au gouvernement français qui ne faisait « rien ».]

      Une « large partie de l’opinion française » ? A votre avis, combien de Français aujourd’hui ont quelque chose à faire de l’Ukraine ? Il ne faut pas confondre « l’opinion » avec « les médias ». Et même chose pour « l’opinion internationale ».

      [D’un certain point de vue notre gouvernement est donc en phase avec les « pro-Russe » : ne rien faire, et, si il y est obligé, le minimum.]

      Ah… si seulement vous aviez raison ! On aurait enfin un gouvernement qui agit en fonction des intérêts français, et non de nos amis d’outre-atlantique.

      [« La question que vous posez est donc : pourquoi ce soutien de l’opinion française et internationale occidentale ? » 1- cette guerre à grande échelle est proche de nous.]

      Cette théorie n’est pas très satisfaisante. On a été bien plus sensible à la « lointaine » guerre du Vietnam qu’à celle, bien plus proche – et aussi meurtrière – entre l’Irak et l’Iran. La distance n’est pas un véritable critère. J’aurais plutôt tendance à penser qu’en tant que vassaux des Etats-Unis, l’opinion « française et occidentale » s’intéresse d’abord à ce qui intéresse les Etats-Unis. On s’est passionné par le Vietnam ou l’Afghanistan parce que les Américains y étaient engagés. Et on se fout des guerres africaines – y compris celles ou nos soldats sont engagés – parce que les Américains s’en foutent.

      [Les Ukrainiens sont chrétiens, orthodoxes (le grand schisme …), une reine de France vient de Kiev et a initié le nom de Philippe pour nos rois … bref, c’est un univers culturel qui nous est proche.]

      On est bien plus proche de la Russie, si vous allez par là…

      [2- l’ennemi, les russes sont aussi un danger pour tous les pays de l’Est. Si la Russie avait facilement gagné, elle aurait sans doute continué avec les pays baltes, la Pologne, la Roumanie…]

      « Sans doute » ? Encore une fois, si vous pensez qu’en répétant cette affirmation vous en ferez une évidence, vous vous trompez. Vous n’avez apporté aucun élément qui permette de supposer que la Russie aurait eu l’intention d’attaquer les Pays baltes, la Pologne ou la Roumanie

      [Ce sont des pays européens,]

      La Russie aussi, si on va par là.

      [et je n’ai guère envie de voir l’ennemi risquer de s’étendre ainsi.]

      « L’ennemi » ? Enfin, on arrive au nœud du problème : le Russe, c’est « l’ennemi », et cela bien avant qu’il ait attaqué qui que ce soit. Dans ces conditions, peut-on tenir rigueur aux Russes de craindre de voir des gens qui les considèrent comme leurs « ennemis » installer des armes à leurs frontières ?

      [3- nous avons une possibilité concrète, « réelle » d’intervenir. C’est très important. Dans bien des cas nous ne pouvons rien faire …]

      Quand on est du côté des Américains, on peut toujours faire quelque chose… comme supplétifs.

      [Ce sont mes considérations, mais je comprend très bien que d’autres auraient préféré que nous ayons mis l’Arménie en tête de leur priorité, ou les Syriens, ou les Maliens …]

      C’est la faute aux Américains : si Washington avait mis l’Arménie, la Syrie ou le Mali en tête de ses priorités, on serait en train d’y envoyer des canons.

      [Mais pas écrasant. Nous avons une tradition de capitulation devant l’ennemi (guerre de 1940 ; de 1870 ; Isabeau de Bavière ; Alésia ; invasion Celte …).]

      Je ne sais pas qui est ce « nous » dont vous parlez. Mais je suis tenté dans le cas d’espèce de vous donner raison : dans l’affaire Ukrainienne, le gouvernement a capitulé devant les intérêts américains. Notre peuple va payer très cher une guerre dont Washington touchera seul les bénéfices.

      [C’est pourquoi beaucoup de nos militaires sont « pro-russes ». Leur argument: les russes sont trop puissants, autant que les Ukrainiens capitulent tout de suite, cela fera moins de victimes (argument repris explicitement par Mélenchon au début de l’invasion).]

      J’ignorais que Mélenchon faisait partie de « nos militaires ». Personnellement, je n’ai entendu aucun militaire tenir ce genre de discours. Certains, il est vrai, sont contre le soutien à l’Ukraine, mais pour des raisons très différentes, que j’ai listé plus haut : notre intérêt national n’est pas de voir la Russie affaiblie ou écrasée, au contraire.

      [Le soutien des pays baltes, de la Pologne, de l’Angleterre est beaucoup plus important car leur opinion publique est beaucoup plus favorable aux Ukrainiens. Ils n’ont pas de tradition de capitulation, au contraire.]

      La Pologne et les Pays baltes cumulent une histoire de capitulations au moins aussi longue quel la notre. Mais bon, lorsqu’on tombe dans la « haine de soi », c’est sans retour…

    • CVT dit :

      @Marc.Malesherbes
      Si, comme c’est mon cas, vous n’êtes pas pro-Zelinski, alors vous êtes pro-Russe: un cas typique du tiers-exclu digne de la réthorique messianique ricaine.
      Rappelez-vous les discours démocrates depuis Wilson au siècle dernier, ou encore néo-conservateur (i.e. pseudo-républicain et vrai démocrate) de GW Bush au début des années 2000.
       
      Alors, pour vous faire plaisir, je l’admets, je fais mon coming-out poutinien: ça vous va comme ça😬? On ne fera pas taire avec des étiquettes.
       

      “Nous avons une tradition de capitulation devant l’ennemi (guerre de 1940 ; de 1870 ; Isabeau de Bavière ; Alésia ; invasion Celte …). ” 

      Vous aurez remarqué entre l’infâmie d’Isabeau de Bavière en 1420 et la défaite de Sedan en 1870, il s’est produit quelques évènements en France largement plus glorieux. Ces derniers ont même contribué à faire de nos pays le plus puissant du monde sous Louis XIV. Avant 1870, seuls des pays coalisés pouvaient vaincre la France. 
      Mais bon, puisque vous faites dans le masochisme typique de nos “élites” depuis de la défaite de Waterloo, libre à vous de penser que les Français ont le désir le plus cher de se chercher des maîtres à l’étranger…

      Alésia?

      Rappelez-moi combien de temps les Gaulois avaient mis avant de capituler devant Rome en -52 avant JC? C’est drôle que vous en parliez, parce César a conquis la Gaule non seulement militairement, mais aussi par la ruse: il a subverti les élites gauloises, qui étaient déjà largement romanisées avant même que la guerre des Gaules ne commence. Mais on peut aussi faire le rapprochement avec ce qui se passe aujourd’hui, où nos élites sont désormais “gallo-ricaines” (exit Régis Debray):  c’est d’ailleurs pour cela qu’elles réfléchissent comme leur suzerain trans-atlantique, et sont oublieuses des intérêts vitaux de notre pays…
       

      Invasion Celte?  

      Comme vous y allez: et tant qu’à faire, pourquoi pas l’époque néandertalienne ? Ni la Gaule, ni l’empire romain, sans même parler de la France, n’existaient à ce moment-là…
       

      [Puis notre gouvernement a perçu qu’une large partie de l’opinion française et internationale occidentale devenait hostile au gouvernement français qui ne faisait « rien ». Il s’est donc engagé à un soutien réel progressif de la France, mais « à minima ». Le 21ème pays dans l’aide aux Ukrainiens en % de notre PIB.
      D’un certain point de vue notre gouvernement est donc en phase avec les « pro-Russe » : ne rien faire, et, si il y est obligé, le minimum.]

       
      Ce sont les médias pro-UE (donc pro-US) qui poussent à la roue, et si vous dites vrai, ce serait une grande première depuis 2017 si ce gouvernement a pu être un temps en phase avec ses concitoyens. Pour ma part, j’ai plutôt le sentiment inverse: les Français sont assez énervés par la présence de drapeaux ukrainiens aux frontons des bâtiments publiques, un pays dont beaucoup pensaient encore, en début année, qu’il ne s’agissait que d’une province russe… Pays pour lequel, en signe de solidarité, ils vont passer l’hiver à grelotter sans qu’on leur ait demandé leur avis.
      D’ailleurs, aujourd’hui, maintenant qu’on subit le contrecoup des sanctions anti-russes, je dirais même qu’un bon nombre de Français ne seraient pas spécialement malheureux que Poutine joue un mauvais à l’Occident en général et aux Ricains en particulier; et si ça pouvait servir de leçon à P’tit Cron et sa cheftaine Von der La Hyène Leyen, ce ne serait pas de refus…
       
      Maintenant, je vais faire une confession: historiquement, les Ukrainiens réfugiés en France au XXème siècle étaient souvent confondus avec des Polonais (les frontières étaient mouvantes avant 1920); ce qui m’a marqué, c’était que pratiquement tous étaient JUIFS, et pour cause: les Ukrainiens ont commis énormément de progroms, même avant l’occupation de l’Allemagne nazie; ils étaient même plus zélés que les Russes…
      Voilà pourquoi je n’ai pas particulièrement de compassion pour eux aujourd’hui, et le seul fait que Zelinski soit un Juif russophone à l’origine, n’absout pas le comportement raciste, russophobe et antisémite des nationalistes ukrainiens: ces salauds (et je pèse mes mots) mènent leurs propres concitoyens à l’abattoir pour servir de chair à canon dans une guerre que les Amerloques mènent par procuration contre la Russie.
      Je suis abasourdi par la haine que Zelinski et ses mécènes, des oligarques juifs, ont envers les Russes: elle est telle que ces derniers en viennent à financer…Les néo-Banderistes, pourtant grands progromistes devant l’éternel!!!
       
      Non, la France ne gagne strictement rien à choisir le camp d’un gouvernement Zelinski notoirement corrompu, et qui par bien des aspects, rappelle celui du Vietnam du Sud après 1973…
      Qu’on ne vienne pas invoquer une quelconque obligation morale envers l’Ukraine, ce serait de la tartufferie: quand on connaît les méfaits du régime de Zelinski, le soutenir ruine instantanément cette prétention !

      • Descartes dit :

        @ CVT

        [Je suis abasourdi par la haine que Zelinski et ses mécènes, des oligarques juifs, ont envers les Russes:]

        Je vous invite à modérer vos propos, qui pourraient être mal interprétés. Zelinski est une créature des oligarques ukrainiens, qui pour beaucoup ne sont pas juifs. Ainsi, par exemple, Rinat Akhmetov, l’un des hommes les plus riches du pays et « parrain » du premier ministre désigné par Zelenski est d’origine tatare et musulman sunnite.

        [Non, la France ne gagne strictement rien à choisir le camp d’un gouvernement Zelinski notoirement corrompu, et qui par bien des aspects, rappelle celui du Vietnam du Sud après 1973…]

        Tout à fait, sauf que Zelinski sait utiliser les médias bien mieux que ce pauvre Nguyen Van Thieu. Il faut relire les articles des « journaux de référence » d’avant le 24 février : ils décrivent une .kleptocratie à tous les niveaux, une justice et un gouvernement corrompus et soumis au pouvoir des oligarques. Tout cela a été soigneusement mis sous le tapis depuis que l’Ukraine est devenue un exemple de démocratie à l’européenne, et Zelinski béatifié (j’ai failli écrire bêtifié…) par l’église de Bruxelles. Il faut chercher avec une loupe pour trouver dans « Le Monde » un entrefilet informant que selon les estimations de l’OTAN, un tiers de l’aide civile et – c’est plus inquiétant – militaire s’évapore dans la nature. Parions qu’on rencontrera pendant de longues années des armes et des munitions prévues pour l’Ukraine sur le marché clandestin…

        • CVT dit :

          @Descartes,

          [Je vous invite à modérer vos propos, qui pourraient être mal interprétés. Zelinski est une créature des oligarques ukrainiens, qui pour beaucoup ne sont pas juifs. Ainsi, par exemple, Rinat Akhmetov, l’un des hommes les plus riches du pays et « parrain » du premier ministre désigné par Zelenski est d’origine tatare et musulman sunnite.]

          Pour préciser ma pensée, je crois savoir que le plus gros bailleur de fonds de Zelinski est l’oligarque Igor Kolomoïski, citoyen ukrainien, chypriote et israélien, dont beaucoup disent, qu’en plus d’être l’homme le plus riche d’Ukraine, il serait également le bailleur de fonds de la famille Biden via de diverses grandes entreprises nationales, dont l’une emploie Hunter Biden. En clair, une bonne vieille caisse noire pour les démocrates américains…
           
          Ce que je tenais à mettre en lumière, c’est moins le caractère “juif” de l’entourage de Zelinski que leur haine viscérale de la Russie, qui réussit ce prodige, que dis-je, ce miracle d’être plus forte encore que leur haine des antisémites ukrainiens, pourtant réputés pour leur férocité passée ou présente. A vrai dire, j’ai rarement vu une chose pareille dans l’histoire récente ou lointaine, sauf peut-être l’alliance objective entre les Saoudiens et les Israéliens contre les Iraniens…

          • Descartes dit :

            @ CVT

            [Ce que je tenais à mettre en lumière, c’est moins le caractère “juif” de l’entourage de Zelinski que leur haine viscérale de la Russie,]

            Je ne doute pas de vos intentions. Mais votre formulation pouvait laisser penser que vous adhériez à l’idée d’un « complot juif » réunissant Zelenski, des oligarques ukrainiens et des démocrates américains. Par les temps qui courent, il faut être prudent dans ce type d’expression.

            Il est vrai que, pour reprendre l’expression anglaise, « la politique fait d’étranges compagnons de lit ». Voir Zelinski afficher ostensiblement ses origines juives et en même temps glorifier les combattants du « bataillon Azov » ou des personnages comme Bandera, dont les références antisémites et les liens avec les nazis ou les néonazis sont bien établis donne à réfléchir sur la fermeté des principes…

  24. marc.malesherbes dit :

     
    @Descartes
     
    [Ce qui est amusant, c’est que c’est la simple reprise de la propagande des nazis allemands lors de la bataille de Dunkerque qui disaient « les anglais sont prêts à se défendre jusqu’au dernier français »]
    Ah… après le procès d’intention et l’étiquetage, nous arrivons à l’amalgame et au point Goodwin… là encore, je ne m’abaisserai pas à répondre.

    Pour vous donc, on ne doit tenir aucun compte de ce qu’on fait les nazis sous peine du point Goodwin. Et pourtant les nazis ont existé, leurs actions sont connus.
     
    Et on pourrait aller beaucoup plus loin avec les comportements russe et nazis. Comme les nazis, les russes invoquent leurs supposés « frères » pour envahir leurs voisins (l’Ukraine en l’occurrence).

    En l’occurrence, je ne vous ai pas fait de «  procès d’intention et d’étiquetage », j’ai simplement fait un rapprochement historique.
     
    Pourquoi évitez-vous ce point ?
    J’ai bien sûr mon interprétation personnelle …

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [« Ah… après le procès d’intention et l’étiquetage, nous arrivons à l’amalgame et au point Goodwin… là encore, je ne m’abaisserai pas à répondre. » Pour vous donc, on ne doit tenir aucun compte de ce qu’on fait les nazis sous peine du point Goodwin. Et pourtant les nazis ont existé, leurs actions sont connus.]

      Non. Pour moi, l’argument « les nazis disaient la même chose que vous » – sous entendu : vous êtes comme eux – est un argument irrecevable. Si vous voulez « tenir compte » des actions et des paroles des nazis, alors il vous faut montrer en quoi il y aurait une identité entre ce que les nazis ont pu dire hier et ce que votre interlocuteur dit aujourd’hui, et en quoi une analogie est pertinente.

      [Et on pourrait aller beaucoup plus loin avec les comportements russe et nazis. Comme les nazis, les russes invoquent leurs supposés « frères » pour envahir leurs voisins (l’Ukraine en l’occurrence).]

      Là, franchement, vous me décevez. Depuis que le monde est monde, l’argument selon lequel on vient au secours de ses « frères » est utilisé pour justifier toute sorte de guerres. La France ne pensait-elle en permanence à ses « frères » (à l’époque on disait plutôt « enfants », mais le sens est le même) d’Alsace-Moselle ? Combien de guerres contre « l’infidèle » ont été justifiées par le besoin de protéger nos « frères » chrétiens ? Mais ici, vous choisissez de comparer le russe plutôt au nazi qu’au Français de la IIIème République naissante. Une coïncidence, sans doute.

      [En l’occurrence, je ne vous ai pas fait de « procès d’intention et d’étiquetage », j’ai simplement fait un rapprochement historique.]

      Pardon, mais lorsque vous écrivez « on voit bien dans votre réponse pointer le « pro-russe qui reprend l’argument pro-russe sans aucun sens autre que polémique », vous me faites bien un procès d’intention, puisque vous présumez que je reprendrai l’argument « pro-russe » dans un but précis et caché.

      Quant à votre remarque genre « déjà les nazis disaient la même chose que vous », c’est bien de l’étiquetage qu’il s’agit. Alors votre « simple rapprochement historique »…

      [Pourquoi évitez-vous ce point ?]

      Hitler, si je ne me trompe pas, posait souvent cette question dans ses interventions publiques….

      [J’ai bien sûr mon interprétation personnelle …]

      J’en suis persuadé. Puisqu’on est a se dire des choses gentilles, moi aussi…

  25. marc.malesherbes dit :

     
    @ CVT (complément)
    vous écrivez
    J’attends également des explications de la part des pro-Zelinski qui m’aideraient à comprendre en quoi le sort des Arméniens, pourtant historiquement plus liés à la France,  importerait moins que celui des Ukrainiens…
     
    je m’aperçois, en tant que que pro-Zelinski, que je n’ai pas répondu directement à cette partie de votre question.
    J’ai été et je suis très sensible au sort des Arméniens et je regrette que la France n’ai fait que des efforts diplomatiques sans soutien militaire réel (à ma connaissance). Sans avoir de « preuves », je pense que c’est également la position de tous les pro-Zelinski.
     
    Une remarque : ce n’est pas parce que notre gouvernement n’a pas fait suffisamment pour les Arméniens qu’il ne devrait rien faire pour l’Ukraine. Nos turpitudes passées ne doivent pas être un prétexte pour ne rien faire aujourd’hui pour l’Ukraine (et pour l’Arménie)

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [Une remarque : ce n’est pas parce que notre gouvernement n’a pas fait suffisamment pour les Arméniens qu’il ne devrait rien faire pour l’Ukraine.]

      Peut-être. Mais en tout cas, cela l’interdit d’invoquer les grands principes. Parce qu’un principe à géométrie variable, qu’on applique quand cela nous arrange et qu’on ignore quand cela ne nous arrange pas, ce n’est pas vraiment un principe…

  26. marc.malesherbes dit :

     
    @Descartes
    il y a de vos arguments tout à fait pertinents, et d’autres simplement liées au fait que je me suis mal exprimé (je vais évoquer l’ensemble de vos réponses) dont je vous remercie.
     
    1-
    «il y a des slogans qui marchent toujours, car ils ont une apparence de logique. C’est ainsi que j’ai également entendu des pro-russes dire « plutôt la Mayenne que l’Ukraine », reprenant le célèbre slogan de Cartier « plutôt la Corrèze que le Zambèze »
     
    j’aurai du dire que ce qui fonde la similitude et la fortune de ces slogans, c’est l’allitération.
    En tout cas merci de la correction « c’est le député socialiste Jean Montalat qui utilisa le premier cette formule à la tribune de l’Assemblée en 1964 »
    il est également exact de me corriger « la question de savoir s’il est utile à nos principes où à nos intérêts de s’engager dans telle ou telle guerre étrangère me semble une question fondamentale,… »
     
    2-
    « Je me contente de constater que ces dernières années les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux ont largement violé les principes fondamentaux de l’ordre international issu de la victoire de 1945, ceux de souveraineté des états et de l’intangibilité des frontières. Depuis la fin des années 1980, les Etats-Unis et leurs alliés – j’insiste sur ce dernier point – ont attaqué unilatéralement des états souverains – l’Irak, la Grenade, la Serbie – et ont procédé à des rectifications des frontières – en Yougoslavie, au Kossovo. Et que ceux qui ont participé à ces interventions n’ont jamais été sanctionnés ni politiquement, ni économiquement. Je constate aussi que lorsque des états qui ne sont pas dans l’orbite des Etats-Unis ont eu le même comportement, ils ont TOUJOURS été l’objet de sanctions internationales. »
    « Une simple consultation vous permettra de constater que nous n’avons JAMAIS sanctionné – ni même appelé à sanctionner – les Etats-Unis lors de leurs interventions militaires… »
     
    C’est tout à fait vrai … et cela mérite d’être rappelé.
    Il me semble assez clair que nos gouvernements se sont installés depuis la seconde guerre mondiale dans la dépendance vis à vis de la politique des USA, à de rares occasions prés (on peut discuter sur les actions de de Gaulle, de Chirac pour l’Irak, de Mitterrand avec les ministres communistes …)
     
    3-
    « si je vous qualifiait de « pro-américain », cela n’aurait aucun caractère désobligeant, n’est-ce pas ? »
     
    ce ne serait pas désobligeant, à condition d’en faire un usage adapté, c’est à dire de qualifier ainsi mon approbation de la politique américaine vis à vis de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Mais ce serait infondé si vous l’utilisiez pour dire que j’approuve toutes les politiques américaines intérieures et extérieures depuis leur indépendance par exemple.
     
    4-
    [Le cas Ukrainien remonte en 2014. Notre gouvernement n’est pas alors intervenu réellement en soutenant l’Ukraine.]
    Vous oubliez un peu vite les sanctions…
    Tout à fait exact. En fait je pensais, sans l’avoir dit (mea culpa) à l’aide militaire. Dans tous mes textes c’est à cela que je faisais référence en parlant d’aide « réelle ».
    En fait il m’aurait fallu hiérarchiser les aides : le soutien déclaratoire sans plus / l’aide humanitaire / le soutien diplomatique plus ou moins prononcé / les sanctions plus ou moins fortes / l’aide militaire plus ou moins importante

    5- « J’aurais plutôt tendance à penser qu’en tant que vassaux des Etats-Unis, l’opinion « française et occidentale » s’intéresse d’abord à ce qui intéresse les Etats-Unis »
    C’est un critère important, j’aurai du le mentionner (mais ce n’est pas le seul critère pour moi, par exemple notre intervention au Mali, en Lybie)

    6- [Les Ukrainiens sont chrétiens, orthodoxes (le grand schisme …), une reine de France vient de Kiev et a initié le nom de Philippe pour nos rois … bref, c’est un univers culturel qui nous est proche.]
    On est bien plus proche de la Russie, si vous allez par là
    Oui on est proche de la Russie (nous n’avons jamais eu de lien dynastique, mais nous avons eu Voltaire, les grands écrivains russes …plus important bien sûr). Idéalement je reprendrai l’expression de de Gaulle « l’europe de l’Atlantique à l’Oural ». En somme la Russie débarrassée de ses « colonies ». Donc hors la Sibérie, les républiques caucasiennes, l’Ukraine … Revenir à la « Moscovie ». C’est aujourd’hui un rêve … D’autant que ce n’est pas la vision majoritaire (autant que je sache) des russes qui veulent un empire continuateur du tsarisme et de l’URSS. Et même de la plupart de « ses » colonies qui acceptent le joug russe. Comme nous avons accepté le joug romain. Et comme les Guadeloupéens, les Guyannais, les Réunionais … le joug français.
     
    7-
    Depuis que le monde est monde, l’argument selon lequel on vient au secours de ses « frères » est utilisé pour justifier toute sorte de guerres. La France ne pensait-elle en permanence à ses « frères » (à l’époque on disait plutôt « enfants », mais le sens est le même) d’Alsace-Moselle ? Combien de guerres contre « l’infidèle » ont été justifiées par le besoin de protéger nos « frères » chrétiens ?
     
    Oui, l’argument est souvent utilisé par toutes les puissances souhaitant agresser …
     
    8-
    Quant à votre remarque genre « déjà les nazis disaient la même chose que vous », c’est bien de l’étiquetage qu’il s’agit.
     
    Oui, je devrai faire attention à éviter ces rapprochements (historiques ou autres), ou à mieux expliciter pourquoi ils sont significatifs (ce qui est le cas pour moi entre russes et nazis… mais ce serait une longue discussion).
     

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [« J’aurais plutôt tendance à penser qu’en tant que vassaux des Etats-Unis, l’opinion « française et occidentale » s’intéresse d’abord à ce qui intéresse les Etats-Unis » C’est un critère important, j’aurai du le mentionner (mais ce n’est pas le seul critère pour moi, par exemple notre intervention au Mali, en Lybie)]

      Comparez la couverture du conflit ukrainien et celle du conflit malien, vous verrez la différence. Il suffit de déplier « Le Monde » ou « Libération », d’allumer France Inter ou de regarder France 2, et vous aurez droit à toutes sortes de reportages avec des témoignages poignants des vaillants Ukrainiens qui, aidés par l’Occident, résistent aux méchants Russes. Et pour le Mali ? Rien de tel : des reportages factuels, montrant nos militaires. Pas un seul témoignage de malien résistant aux djihadistes et remerciant l’armée française de les protéger…

      [Oui on est proche de la Russie (nous n’avons jamais eu de lien dynastique, mais nous avons eu Voltaire, les grands écrivains russes …plus important bien sûr). Idéalement je reprendrai l’expression de de Gaulle « l’europe de l’Atlantique à l’Oural ». En somme la Russie débarrassée de ses « colonies ». Donc hors la Sibérie, les républiques caucasiennes, l’Ukraine …]

      Je ne vois pas d’où vous sortez cette idée. L’expression « l’Europe de l’Atlantique à l’Oural » ne préjuge en rien des frontières de la Russie et ne prétend nullement la « débarrasser de ses colonies ». L’Oural ne sépare pas l’Ukraine de la Russie, que je sache…

      [Et comme les Guadeloupéens, les Guyannais, les Réunionais … le joug français.]

      Et les Corses, les Bretons, les Basques, les Bourguignons, les Alsaciens… tant qu’à poursuivre ce raisonnement victimiste, allez jusqu’au bout…

      [« Depuis que le monde est monde, l’argument selon lequel on vient au secours de ses « frères » est utilisé pour justifier toute sorte de guerres. La France ne pensait-elle en permanence à ses « frères » (à l’époque on disait plutôt « enfants », mais le sens est le même) d’Alsace-Moselle ? Combien de guerres contre « l’infidèle » ont été justifiées par le besoin de protéger nos « frères » chrétiens ? » Oui, l’argument est souvent utilisé par toutes les puissances souhaitant agresser …]

      Et par les autres. A moins que vous supposiez que la récupération de l’Alsace-Moselle était un acte « d’agression » ?…

      [Oui, je devrai faire attention à éviter ces rapprochements (historiques ou autres), ou à mieux expliciter pourquoi ils sont significatifs (ce qui est le cas pour moi entre russes et nazis… mais ce serait une longue discussion).]

      Que cela ne vous arrête pas. J’attends avec impatience vos arguments…

      • marc.malesherbes dit :

         
        [Et comme les Guadeloupéens, les Guyannais, les Réunionais … le joug français.]
        Et les Corses, les Bretons, les Basques, les Bourguignons, les Alsaciens… tant qu’à poursuivre ce raisonnement victimiste, allez jusqu’au bout
         
        Il faut remettre cette phrase dans son contexte. Je disais que beaucoup de peuple de la Russie avaient accepté (majoritairement) leur situation de colonisés autrefois par les russes, comme les « comme les Guadeloupéens, les Guyannais, les Réunionais… ». Effectivement les « … » faisaient référence implicite pour moi aux Calédoniens, aux Corses et autres.
         
        Chaque situation est particulière, mais les Guadeloupéens, les Guyannais, les Réunionais, les Calédoniens, les Comorais relèvent d’une situation assez similaire. Ils sont tous loin de la métropole, peuplés avant la colonisation de peuples n’ayant pas grand-chose de commun avec nous, en dehors d’être des humains.
        Ce serait notre «devoir» que de leur accorder l’indépendance, même si aujourd’hui ils ne semblent pas la souhaiter . Dans le passé il y a eu des esclaves qui ne souhaitaient pas quitter leur maître. Nous avons pourtant aboli, à juste titre, l’esclavage. Comme l’esclavage, la colonisation a été une page sombre de notre passé (ou plus exactement une page de notre passé qu’il me semble vain et néfaste de vouloir poursuivre, comme si nous voulions poursuivre l’esclavage).
         
        En ce qui concerne les autre régions que vous citez, le même raisonnement s’applique certainement aux Corses, d’ailleurs historiquement et géographiquement beaucoup plus romains et gênois que français.
         
        Pour les Basques et pour les Bretons peut-être, la situation est moins nette … à eux de décider.
         
        Pour les Bourguignons par contre je ne les met pas dans la même situation. La Bourgogne était un apanage des rois de France (accordée comme « compensation » à un frère de roi). Elle n’a jamais été une colonie, ni colonisée (au sens de colonie de peuplement).
         

        • Descartes dit :

          @ marc.malesherbes

          [« Et les Corses, les Bretons, les Basques, les Bourguignons, les Alsaciens… tant qu’à poursuivre ce raisonnement victimiste, allez jusqu’au bout… » Il faut remettre cette phrase dans son contexte. Je disais que beaucoup de peuple de la Russie avaient accepté (majoritairement) leur situation de colonisés autrefois par les russes, comme les « comme les Guadeloupéens, les Guyannais, les Réunionais… ». Effectivement les « … » faisaient référence implicite pour moi aux Calédoniens, aux Corses et autres.]

          Je note que vous ne mentionnez que des territoires lointains ou des îles, mais vous omettez de faire référence explicitement aux Bretons, Bourguignons ou Alsaciens, c’est-à-dire, ceux avec qui il existe une continuité territoriale et historique. Ce qui est le cas des « peuples de la Russie ». Pourquoi aller chercher vos exemples dans des îles lointaines et non dans des territoires proches ? Parce que parler de « joug français » en ce qui concerne la Bourgogne, la Savoie ou le Nord-Pas de Calais ferait apparaître clairement l’absurdité de la chose.

          [Chaque situation est particulière, mais les Guadeloupéens, les Guyannais, les Réunionais, les Calédoniens, les Comorais relèvent d’une situation assez similaire. Ils sont tous loin de la métropole, peuplés avant la colonisation de peuples n’ayant pas grand-chose de commun avec nous, en dehors d’être des humains.]

          Et vous direz que l’Ukraine est « loin » de la Russie, et que les deux peuples n’ont pas grande chose en commun ? Voilà pourquoi votre analogie ne vaut pas grande chose : vous voulez importer la rhétorique « décoloniale » aux affaires russes…

          [Ce serait notre « devoir » que de leur accorder l’indépendance, même si aujourd’hui ils ne semblent pas la souhaiter.]

          A la Savoie aussi ? Au comté de Nice ?

          D’abord, c’est qui ce « nous » qui aurait le « devoir » de donner l’indépendance à toutes les régions conquises à un moment où un autre de l’histoire de France (parce que si vous donnez à l’une, on ne voit pas pourquoi vous ne donneriez pas aux autres) ? Si Bretons, Alsaciens et Bourguignons font partie de la nation française, comment peuvent-ils se donner l’indépendance à eux-mêmes ?

          Ensuite, a-t-on le « devoir » et même le « droit » de donner leur « indépendance » à des gens qui ne la souhaitent pas ? Ce que vous proposez, c’est en fait qu’on expulse ces territoires et leurs habitants de la nation française…

          [Dans le passé il y a eu des esclaves qui ne souhaitaient pas quitter leur maître. Nous avons pourtant aboli, à juste titre, l’esclavage.]

          L’abolition de l’esclavage n’oblige nullement l’esclave à quitter son maître. Elle lui donne le droit, pas l’obligation.

          [Comme l’esclavage, la colonisation a été une page sombre de notre passé (ou plus exactement une page de notre passé qu’il me semble vain et néfaste de vouloir poursuivre, comme si nous voulions poursuivre l’esclavage).]

          Une « colonie » se distingue par le fait que ses habitants natifs n’ont pas les mêmes droits que ceux originaires de la métropole. Aujourd’hui, tous les natifs de ces territoires ont la citoyenneté française pleine et entière, avec tous les droits qui y sont attachés. Nous n’avons donc plus de « colonies ». La page, qu’on la considère « sombre » ou pas, est tournée.

          [En ce qui concerne les autre régions que vous citez, le même raisonnement s’applique certainement aux Corses, d’ailleurs historiquement et géographiquement beaucoup plus romains et gênois que français. Pour les Basques et pour les Bretons peut-être, la situation est moins nette … à eux de décider. Pour les Bourguignons par contre je ne les met pas dans la même situation. La Bourgogne était un apanage des rois de France (accordée comme « compensation » à un frère de roi). Elle n’a jamais été une colonie, ni colonisée (au sens de colonie de peuplement).]

          La Bretagne est entrée dans la couronne de France par mariage, sans qu’elle ait jamais été « une colonie ni colonisée », et pourtant vous lui donnez le droit de choisir. Les Bourguignons, qui sont dans une situation presque identique, n’en ont pas le droit. Vous voyez bien que vous fixez des règles au doigt mouillé, en fonction de vos préférences et des discours plus ou moins établis des indépendantistes… et dites, l’Ile de France, a-t-elle le droit de choisir, ou pas ? Dans la mesure où la majorité de ses habitants vient d’ailleurs, on devrait considéré qu’elle est une « colonie de peuplement », non ? A quand un référendum pour permettre aux « vrais » parisiens de décider si on renvoie les Bretons et les Auvergnats chez eux ?

          Tous les états modernes se sont constitués à partir d’une accrétion de territoires et provinces plus ou moins volontaires. Parler de “colonisation” à tout bout de champ ne fait que vider le concept de son sens. La France n’a pas plus “colonisé” la Bretagne que l’Allemagne n’a “colonisé” la Bavière…

          • @ Descartes & marc.malesherbes,
             
            [La Bretagne est entrée dans la couronne de France par mariage, sans qu’elle ait jamais été « une colonie ni colonisée]
            Pardon! La Bretagne a bel et bien été colonisée… mais par les Bretons eux-mêmes. La Bretagne armoricaine (ou “Petite Bretagne”) est, faut-il le rappeler, une colonie issue de la Bretagne insulaire (dite “Grande Bretagne”). Une colonisation effectuée plus ou moins avec l’aval de l’empire romain: des soldats originaires de Bretagne sont postés le long de la Loire au milieu du V° siècle pour tenir en respect les Wisigoths.
             
            J’ai toujours trouvé les Bretons gonflés de dénoncer leur “colonisation” par la France, alors qu’au sens strict, les colons, ce sont eux, comme en témoignent leur toponymie et une partie de leurs patronymes qui sont clairement d’ “importation”.

      • marc.malesherbes dit :

         
        je devrai faire attention à éviter ces rapprochements (historiques ou autres), ou à mieux expliciter pourquoi ils sont significatifs (ce qui est le cas pour moi entre russes et nazis… mais ce serait une longue discussion).]
        Que cela ne vous arrête pas. J’attends avec impatience vos arguments…
         
        un préambule : toute situation historique est toujours différente des autres, mais les comparaisons sont intéressantes quand elles montrent des similitudes de comportements, et permettent donc d’en prévoir les développements possibles.
         
        Actuellement le rapprochement entre les comportements russes et nazis sont intéressants sur ce plan. Mais ce rapprochement n’épuise pas les rapprochements possibles. Beaucoup de rapprochements avec d’autres empires expansionnistes seraient également intéressants (par exemple les japonais lors de la deuxième guerre mondiale)
         
        Je résume mon point de vue avant d’argumenter. ;
        « les russes comme les nazis, deux régimes autocratiques, ont entrepris une phase d’expansion agressive, basée initialement dans les deux cas sur leur conviction de leur supériorité militaire et sur le mépris de leurs adversaires, la faiblesse attendue de la riposte de leurs adversaires. Dans les deux cas ils s’appuieront sur des « frères » extérieurs pour justifier leur expansion, mais ils ne s’arrêteront pas là. Dans les deux cas leur expansion n’a été et ne sera arrêté (éventuellement dans le cas de la Russie) que par l’échec de leurs armées. Dans les deux cas leurs régimes ne seront pas remis en cause significativement en interne. Ils se durciront et trouveront des « boucs émissaires « intérieurs »
         
        La plupart de ces rapprochements sont tellement évidents qu’il est inutile d’argumenter. Je vais donc insister sur les points « délicats »
         
        1- « Dans les deux cas ils s’appuieront sur des « frères » extérieurs pour justifier leur expansion, mais ils ne s’arrêteront pas là. »
         
        Dans le cas actuel, la Russie a été très tôt « arrêtée », au moins freinée, par la résistance ukrainienne et occidentale, si bien qu’on ne la voie pas encore aller au-delà. Seulement en « intention » vis à vis de « l’occident global », comme les nazis avaient déclarés leurs intentions vis à vis des russes.
         
        2- « Ils se durciront et trouveront des « boucs émissaires « intérieurs » »
         
        Dans le cas actuel, on voit très bien le durcissement du régime russe, mais pas encore la mise en avant massive d’un ennemi intérieur. Seulement des prémices (les « moustiques » de Poutine)
         
         

        • Descartes dit :

          @ marc.malesherbes

          [un préambule : toute situation historique est toujours différente des autres, mais les comparaisons sont intéressantes quand elles montrent des similitudes de comportements, et permettent donc d’en prévoir les développements possibles.]

          Ca commence mal. Les comparaisons ne sont pas « intéressantes » du fait qu’elles « montrent des similitudes de comportement ». Quel intérêt a le fait de savoir que Staline et Baremboim ont tous deux pour pièce de musique favorite le 20ème concerto pour piano de Mozart ? En quoi le fait de savoir que Hitler et Brigitte Bardot ont des chiens vous permet de prévoir un quelconque « développement » ? Un chien et une table sont tous les deux quadrupèdes. Quelle conclusion tirez-vous quant à leurs comportements ?

          [Actuellement le rapprochement entre les comportements russes et nazis sont intéressants sur ce plan. Mais ce rapprochement n’épuise pas les rapprochements possibles. Beaucoup de rapprochements avec d’autres empires expansionnistes seraient également intéressants (par exemple les japonais lors de la deuxième guerre mondiale)]

          Ou avec les américains depuis le début du XXème siècle ? Oh, pardon, j’oubliais qu’i y a « empire » et « empire »… En fait, vos comparaisons sont purement ad hoc : c’est plus un moyen de diabolisation qu’autre chose. Vous n’avez pas une seule fois relevé une quelconque « similitude de comportement » entre la Russie de Poutine et des « empires » aussi expansionnistes que les Etats-Unis du XXème siècle, la Grande-Bretagne ou la France du XIXème, et pourtant, de telles « ressemblances » ne manquent pas. Vous ne semblez vous intéresser qu’aux « similitudes de comportement » qui vous permettraient d’assimiler « Russes et nazis ». Notez d’ailleurs que vous associez les Russes non pas aux ALLEMANDS, mais aux NAZIS. Autrement dit, dans un cas vous essentialisez les comportements, dans l’autre vous les associez à un régime politique…

          [Je résume mon point de vue avant d’argumenter. ; « les russes comme les nazis, deux régimes autocratiques, ont entrepris une phase d’expansion agressive, basée initialement dans les deux cas sur leur conviction de leur supériorité militaire et sur le mépris de leurs adversaires, la faiblesse attendue de la riposte de leurs adversaires. Dans les deux cas ils s’appuieront sur des « frères » extérieurs pour justifier leur expansion, mais ils ne s’arrêteront pas là. Dans les deux cas leur expansion n’a été et ne sera arrêté (éventuellement dans le cas de la Russie) que par l’échec de leurs armées. Dans les deux cas leurs régimes ne seront pas remis en cause significativement en interne. Ils se durciront et trouveront des « boucs émissaires « intérieurs »]

          Voyons maintenant quels arguments soutiennent de telles affirmations :

          [La plupart de ces rapprochements sont tellement évidents qu’il est inutile d’argumenter.]

          Ah… je me disais bien. Technique classique lorsqu’on manque d’arguments pour soutenir une argumentation : prétendre que toute argumentation est superflue puisque l’affirmation est « évidente » et se soutient donc d’elle-même. Non, cela ne marche pas : je ne tiens AUCUN des rapprochements que vous faites pour « évident ». En particulier, vous passez assez vite sur l’affirmation que la Russie ait entrepris une « phase d’expansion » : on pourrait tout aussi bien affirmer que l’attaque russe répond non pas à une volonté d’expansion, mais à la crainte de voir l’OTAN poursuivre son avance sur ses frontières. Vous noterez que, contrairement à l’Allemagne nazi, la Russie n’a pas cherché à annexer des pays entiers – elle aurait pu avaler la Georgie sans problèmes – mais à contrôler des régions sensibles pour sa sécurité. Or c’est là un point crucial dans votre argumentation : s’il n’y a pas de « phase d’expansion », tout le reste tombe.

          [Je vais donc insister sur les points « délicats »]

          Vous avez déjà contourné le point le plus délicat. Le reste devrait donc être simple, et pourtant

          [1- « Dans les deux cas ils s’appuieront sur des « frères » extérieurs pour justifier leur expansion, mais ils ne s’arrêteront pas là. » Dans le cas actuel, la Russie a été très tôt « arrêtée », au moins freinée, par la résistance ukrainienne et occidentale, si bien qu’on ne la voie pas encore aller au-delà. Seulement en « intention » vis à vis de « l’occident global », comme les nazis avaient déclarés leurs intentions vis à vis des russes.]

          J’ai l’impression que vous confondez argumenter et répéter l’affirmation. D’abord, vous relevez une soi-disant ressemblance, le fait que « les nazis se sont appuyés sur des « frères » ». C’est inexact : s’ils l’ont fait avec les sudètes en Tchecoslovaquie ou Dantzig en Pologne, ce ne fut pas le cas ni pour l’invasion de la France, ni pour les attaques contre l’Angleterre, et encore moins contre l’URSS. Ensuite, vous répétez que la Russie a été « arrêtée » dans son intention d’aller au-delà de l’Ukraine… alors que vous n’apportez aucun argument pour établir que cette intention existe. Vous nous expliquez pourquoi cette intention est invisible, sans l’avoir établie au préalable. Ici, vous faites le raisonnement classique qui veut que si vous ne voyez pas un éléphant dans votre salle à manger, c’est la preuve qu’il se cache bien.

          [2- « Ils se durciront et trouveront des « boucs émissaires « intérieurs » » Dans le cas actuel, on voit très bien le durcissement du régime russe, mais pas encore la mise en avant massive d’un ennemi intérieur. Seulement des prémices (les « moustiques » de Poutine)]

          Là, c’est encore mieux : vous invoquez une « similitude de comportement » qui n’existe pas encore, mais il faut vous faire confiance, elle existera un jour… et dites-moi, vous ne connaissez pas d’autres « empires » ou l’on a vu des « durcissements » et des « chasses à l’ennemi intérieur » ? Le maccarthysme, le « patriot act », cela ne vous dit rien ? Curieusement, vous n’avez pas relevé cette intéressante « similitude de comportement »…

          Je note, une fois encore, que votre recherche de « similitudes de comportement » est extrêmement orientée et tombe toujours du même côté. Une coïncidence, sans doute.

          • marc.malesherbes dit :

             
            j’apprécie vos arguments qui me permettent de voir mes erreurs.
             
            1-
            Notez d’ailleurs que vous associez les Russes non pas aux ALLEMANDS, mais aux NAZIS. Autrement dit, dans un cas vous essentialisez les comportements, dans l’autre vous les associez à un régime politique…
            ok, c’est une pure maladresse et raccourci de ma part. J’aurai du dire « le régime de Poutine », mais je craignais une expression trop « ad hominem ». Je n’ai pas trouvé de formule idéale. Peut-être utiliser la formule la plus neutre possible « le régime russe actuel ».
             
            2-
            [2- « Ils se durciront et trouveront des « boucs émissaires « intérieurs » » Dans le cas actuel, on voit très bien le durcissement du régime russe, mais pas encore la mise en avant massive d’un ennemi intérieur. Seulement des prémices (les « moustiques » de Poutine)]
            Là, c’est encore mieux : vous invoquez une « similitude de comportement » qui n’existe pas encore…
            grossière erreur de ma part. Il est évident que nous n’en sommes pas aux prémices ; la répression du régime russe contre tous ceux qui ne s’alignent pas sur la propagande du régime sont sévèrement réprimés (un exemple parmi d’autre : parler de »guerre » est réprimé ; on doit dire « opération militaire spéciale »)
             
             

            • Descartes dit :

              @ marc.malesherbes

              [« Notez d’ailleurs que vous associez les Russes non pas aux ALLEMANDS, mais aux NAZIS. Autrement dit, dans un cas vous essentialisez les comportements, dans l’autre vous les associez à un régime politique… » ok, c’est une pure maladresse et raccourci de ma part.]

              Non, je ne le crois pas. J’accepterais cette explication si vous aviez fait ce raccourci une seule fois, et si vous étiez le seul à le faire. Mais ce n’est pas le cas : non seulement vous faites ce rapprochement systématiquement, mais celui-ci est devenu une sorte de vulgate sur les médias. Et ce n’est d’ailleurs qu’un cas d’espèce d’un phénomène beaucoup plus général : celui qui consiste à essentialiser certains comportements chez ceux qu’on veut diaboliser, alors qu’on considère ces mêmes comportements comme des « accidents » lorsqu’on veut les excuser. Ainsi, par exemple, on parlera des « nazis » ou des « hitlériens » plutôt que des « allemands ».

              [J’aurai du dire « le régime de Poutine », mais je craignais une expression trop « ad hominem ». Je n’ai pas trouvé de formule idéale. Peut-être utiliser la formule la plus neutre possible « le régime russe actuel ».]

              Oui, parce que parler du « régime de Poutine » nous fait tomber dans l’autre excès de la propagande, celui qui consiste à tout charger sur un homme. Ainsi, on voit un journal aussi sérieux que « Le Monde » parler de « l’armée de Poutine » ou « des soldats de Poutine ». Personne n’a, à propos de l’Irak, parlé des « soldats de Bush » ou de « l’armée de Bush ».

              [« Là, c’est encore mieux : vous invoquez une « similitude de comportement » qui n’existe pas encore… » grossière erreur de ma part.]

              Là encore, je me vois obligé de vous corriger. Ce n’est pas une « erreur », mais une forme de raisonnement bien particulière : celle qui consiste à postuler une description, et ensuite de sélectionner dans le réel tout ce qui peut confirmer cette description – tout en ignorant ce qui la contredit. La suite logique de ce raisonnement, c’est d’aller chercher cette confirmation non pas dans le présent, mais dans l’avenir…

              [Il est évident que nous n’en sommes pas aux prémices ;]

              Vous m’excuserez, mai quand j’entends l’expression « il est évident », je il y a mon connomètre qui bipe. Je ne vois aucune « évidence » là-dedans. J’attends comme toujours les arguments qui vous permettent de penser que l’avenir réalisera vos prédictions.

              [la répression du régime russe contre tous ceux qui ne s’alignent pas sur la propagande du régime sont sévèrement réprimés (un exemple parmi d’autre : parler de « guerre » est réprimé ; on doit dire « opération militaire spéciale »)]

              Dois-je vous rappeler qu’en France, à la fin des années 1950 et début des années 1960, il était interdit de parler à l’ORTF de « guerre » à propos des « évènements d’Algérie » ? Là encore, vous prenez dans la réalité ce qui vous arrange et vous négligez ce qui ne vous arrange pas. Tout les états, lorsqu’ils se sentent menacés, restreignent la liberté d’expression et répriment ceux qui « ne s’alignent pas sur la propagande du régime ». Quand les Etats-Unis se sont sentis menacés, on a eu le Maccarthysme ou le « patriot act ». Quand la France s’est sentie menacée en Indochine ou en Algérie, des journaux ont été saisis pour « atteinte au moral des armées » (ce fut le cas de « l’Humanité », mais aussi du « Monde » à plusieurs reprises). Quelque soit la conclusion que vous tirez de ce type de répression, elle s’applique autant au « régime russe » qu’au « régime français » et au « régime américain ».

  27. François dit :

    Bonjour Descartes,
    Concernant les difficultés de recrutement dans les postes à faible niveau de qualification,  le mal français consistant à ne pas vouloir les automatiser vient (encore) de frapper : une jeune pousse proposant des robots pizzaiolo vient d’être mise en liquidation judiciaire, comble de l’ironie, au moment où Darmanin propose la régularisation des clandestins travaillant entre autres dans la restauration :
    https://actu.fr/ile-de-france/paris_75056/a-paris-l-aventure-du-robot-pizza-pazzi-est-terminee_54914765.html

    • Descartes dit :

      @ François

      [le mal français consistant à ne pas vouloir les automatiser vient (encore) de frapper : une jeune pousse proposant des robots pizzaiolo vient d’être mise en liquidation judiciaire,]

      Je pense que vous sautez un peu vite à la conclusion. Je n’ai pas goûté aux pizzas préparées par le robot, et je ne peux donc pas dire si la faillite en question tient au “refus de l’automatisation” ou plutôt à la qualité du produit final…

  28. Mario - Paul dit :

    ‘pro Zelensky’?..Les illusions sont peut-être façonnées par la propagande,mais aujourd’hui celui qui a fait échouer les accords de Minsk,en 2018,entraînant consciemment la tuerie actuelle,ne tient plus que par les médicaments..Alors être pro Zelensky ne relève t il pas d’un esprit outrancièrement belliqueux.

    • marc.malesherbes dit :

       
      Qui de l’Ukraine ou de la Russie n’a pas respecté les accords de Minsk ?
       
      La question est extrêmement controversée, et chaque partie, avec force arguments, rejette la faute sur l’autre.
      En ce qui concerne les accords de Minsk I, d’un point de vue strictement militaire (mais ce n’est pas le seul) il y a eu des accrochages continuels entre les deux parties avant, pendant et après la signatures de ces accords. Si on prend en référence ces accrochages … impossible de démêler qui a pris les initiatives.
      Mais la première « grande » violation est celle de la bataille pour l’aéroport international de Donetsk qui éclate éclate le 28 septembre 2014, à l’initiative des séparatistes qui veulent reprendre l’aéroport.
      https://fr.wikipedia.org/wiki/Protocole_de_Minsk
       
      mais cela ne règle pas la question … « Alors être pro Zelensky ne relève t il pas d’un esprit outrancièrement belliqueux. »
      Comme je suis «  pro Zelensky », je peux vous dire que je suis avant tout pacifiste, mais que je suis aussi pour la résistance aux envahisseurs, et en l’occurrence ce sont les russes qui ont envahi l’Ukraine.
      Est-ce être belliqueux que de résister aux envahisseurs ? La grande majorité des français en 1940 ont estimé qu’il valait mieux se résigner. Et en discutant avec des soutiens actuels de Poutine, j’ai découvert que beaucoup pensaient que nous avions bien fait d’abandonner le combat en 1940. Ils sont cohérents.
       
       

      • Descartes dit :

        @ marc.malesherbes

        [« Qui de l’Ukraine ou de la Russie n’a pas respecté les accords de Minsk ? » La question est extrêmement controversée, et chaque partie, avec force arguments, rejette la faute sur l’autre.]

        On voit mal comment on pourrait rejeter sur la Russie la « faute » du fait que les réformes constitutionnelles donnant aux provinces russophones une quasi-autonomie n’ont pas été votées par le parlement ukrainien, ou si les élections permettant à ces provinces d’envoyer des députés à la Rada de Kiev ont été refusées.

        [En ce qui concerne les accords de Minsk I, d’un point de vue strictement militaire (mais ce n’est pas le seul) il y a eu des accrochages continuels entre les deux parties avant, pendant et après la signatures de ces accords. Si on prend en référence ces accrochages … impossible de démêler qui a pris les initiatives.]

        Mais si on prend les questions plus politiques, comme par exemple les statuts d’autonomie promis aux régions séparatistes ?

        [mais cela ne règle pas la question … « Alors être pro Zelensky ne relève t il pas d’un esprit outrancièrement belliqueux. » Comme je suis « pro Zelensky », je peux vous dire que je suis avant tout pacifiste,]

        Vous êtes donc contre l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et à l’UE ?

        [mais que je suis aussi pour la résistance aux envahisseurs, et en l’occurrence ce sont les russes qui ont envahi l’Ukraine.]

        Oui… un peu comme la France et l’Angleterre ont déclaré la guerre à l’Allemagne en 1939… L’Ukraine a proclamé sa volonté d’adhérer à l’OTAN et à l’UE, et établi des partenariats militaires avec ces deux organisations. Ce genre de gestes ont par le passé été considérés comme des actes d’agression et justifié des réponses militaires : pensez à la crise des missiles dans les années 1960.

        [Est-ce être belliqueux que de résister aux envahisseurs ?]

        Non, mais c’est belliqueux de s’allier avec les ennemis de son voisin et de préparer l’entrée des leurs armes et de leurs armées sur son territoire…

        [La grande majorité des français en 1940 ont estimé qu’il valait mieux se résigner.]

        C’est faux : les français mobilisés ont rejoint leurs unités et ont combattu, souvent avec courage. Vous allez un peu vite en besogne en tenant pour nul et non avenu ce combat. J’ajoute que lors de la signature de l’armistice, notre principal allié – la Grande Bretagne – s’était retirée du combat et que les Etats-Unis refusaient toute aide au nom de la neutralité. Je me demande combien de temps les Ukrainiens auraient tenu dans ces conditions…

        [Et en discutant avec des soutiens actuels de Poutine, j’ai découvert que beaucoup pensaient que nous avions bien fait d’abandonner le combat en 1940. Ils sont cohérents.]

        Pourrait-on connaître la taille de l’échantillon ?

        Décidément, vous n’arrivez pas à résister à la tentation de l’étiquette et de l’amalgame. Ici, on retrouve la même équation: “soutiens de Poutine=Vichy”

  29. marc.malesherbes dit :

    @ Descartes
     
     
    sur les territoires conquis, sur les colonies …
     
    précisions sur mon texte précédent trop rapide comme vous l’avez souligné à juste titre
     
    vous écrivez
    « Tous les états modernes se sont constitués à partir d’une accrétion de territoires et provinces plus ou moins volontaires.… »
     
    C’est bien sûr tout à fait vrai. Néanmoins se pose la question de savoir ce que nous (chaque fois que je dis « nous », il s’agit du gouvernement français) devrions faire de cette situation. Ce que serait notre devoir « éthique » selon les normes modernes généralement admises.
     
    Il y a plusieurs cas de figure.
     
    1- les territoires lointains où il y a une proportion plus ou moins importante de français ou de descendants de français venus de la métropole).
     
    Ce sont les territoires « ultra-marin », plus la Nouvelle Calédonie. Notre devoir serait de leur rendre leur indépendance et de laisser les peuples autochtones diriger eux-même leur territoire. Cela n’interdit donc pas des accords d’association … à négocier éventuellement.
    Un sous-problème serait de voir la place à laisser aux français et à leurs descendants installés sur place ainsi que des autochtones qui souhaitent rester français.
    Reste le problème des « petites », « toutes petites iles », parfois inhabitées. A voir au cas par cas.
     
    2- la Corse. Moins lointaine, elle entre dans la catégorie précédente.
     
    3- la question épineuse des territoires de l’hexagone conquis, ou rattachés, à travers l’histoire.
     
    Tous les territoires, régions de l’hexagone ont une « vocation » à l’indépendance si ils le souhaitent. C’est le principe de base.
     
    Ainsi, si les Bretons, les Basques … souhaitent leur indépendance, il nous appartient d’organiser des référendum limités aux régions concernées avec un corps électoral à définir (basé sur les « natifs »). La définition des règles est bien sûre délicate (dans quelles circonstance est-il légitime d’organiser un référendum ? qui a le droit de participer ? faut-il une majorité qualifiée ? ….)
     
    nb1 : Tout ceci ne s’applique qu’à des territoires, et non à des ethnies. Ainsi cela n’aurait pas de sens de donner l’indépendance aux « musulmans » de France. Par contre on pourrait envisager de donner à certaines catégories sociales, ethniques, religieuse, raciales (oui le terme est maintenant accepté et largement diffusé même sur France culture) des droits et devoirs « spéciaux ». Le multiculturalisme en quelque sorte. Mais ici, pour limiter le sujet, je n’entame pas le débat.
     
    nb2 : bien sûr ces règles devraient s’appliquer pour moi à toutes les nations actuelles, dont bien sûr la Russie (je ne cache pas que nous aurions un grand intérêt à voir de telles revendications se multiplier sur leur territoire actuel, ce qui les affaiblirai). Mais, respectant le principe de non intervention armée directe dans les états aux frontières reconnues, je me contenterai d’un soutien éventuel ,« pacifique », aux peuples souhaitant leur indépendance. A eux de « convaincre » leur gouvernement central. Si ils décident d’entamer une lutte armée, à voir au cas par cas notre soutien en armes ou autres, mais jamais « directe» au sens d’intervention de nos militaires sur le territoire d’un autre état.

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [« Tous les états modernes se sont constitués à partir d’une accrétion de territoires et provinces plus ou moins volontaires.… » C’est bien sûr tout à fait vrai. Néanmoins se pose la question de savoir ce que nous (chaque fois que je dis « nous », il s’agit du gouvernement français) devrions faire de cette situation. Ce que serait notre devoir « éthique » selon les normes modernes généralement admises.]

      Mais quand vous dites « nous » en parlant du « gouvernement français », vous admettez implicitement que ce gouvernement nous représente, nous, les français. Mais en quoi ce gouvernement représente plus un Parisien qu’un Corse ou un Guadeloupéen ? Et si ce « gouvernement français » représente le Guadeloupéen, alors comment pourrait-il lui « donner son indépendance » ?

      [1- les territoires lointains où il y a une proportion plus ou moins importante de français ou de descendants de français venus de la métropole). Ce sont les territoires « ultra-marin », plus la Nouvelle Calédonie. Notre devoir serait de leur rendre leur indépendance et de laisser les peuples autochtones diriger eux-même leur territoire.]

      Sauf que, pour certains de ces territoires, il n’y a pas de « peuples autochtones ». En Guadeloupe ou en Martinique, il y a les descendants des européens, et les descendants des esclaves venus d’Afrique. Personne ne peut donc revendiquer le caractère de « peuple autochtone ».

      Ensuite, vous avez le problème de savoir qu’est ce que c’est qu’un « autochtone ». A partir de combien de générations on devient « autochtone » ? Les juifs alsaciens, installés depuis le XVème siècle, sont-ils des Alsaciens « autochtones » ?

      [Un sous-problème serait de voir la place à laisser aux français et à leurs descendants installés sur place ainsi que des autochtones qui souhaitent rester français.]

      Tous les habitants de ces territoires sont « français ». La phrase qui précède n’a donc pas de sens. Vous utilisez le terme « français » tantôt dans le sens d’une origine, tantôt dans le sens d’un statut.

      [2- la Corse. Moins lointaine, elle entre dans la catégorie précédente.
      3- la question épineuse des territoires de l’hexagone conquis, ou rattachés, à travers l’histoire.]

      On voit mal pourquoi la situation de la Corse serait plus proche de celle de la Guyane que de celle de la Savoie… Les distinctions que vous faites ici n’ont aucun fondement.

      [Tous les territoires, régions de l’hexagone ont une « vocation » à l’indépendance s’ils le souhaitent. C’est le principe de base.]

      Sauf qu’un territoire ne peut « souhaiter » quoi que ce soit. Ce sont les habitants qui peuvent « souhaiter ». Il faut être précis dans ces affaires. Cela veut dire quoi exactement que « la Bretagne veut son indépendance » ? Qu’une population – ceux installés depuis dix jours, dix ans, dix siècles – veut l’indépendance. Et bien entendu, selon la manière dont vous découpez la population, vous aurez un résultat différent…

      [Ainsi, si les Bretons, les Basques … souhaitent leur indépendance, il nous appartient d’organiser des référendums limités aux régions concernées avec un corps électoral à définir (basé sur les « natifs »).]

      Et c’est vrai aussi pour l’Ile de France ? Parce que les Franciliens ont un intérêt évident à se débarrasser des régions pauvres – un peu comme les Catalans, qui voient dans l’indépendance un bon moyen de ne plus payer pour les autres.

      [nb1 : Tout ceci ne s’applique qu’à des territoires, et non à des ethnies. Ainsi cela n’aurait pas de sens de donner l’indépendance aux « musulmans » de France.]

      Mais si de donner son indépendance à la Seine-Saint-Denis, où les musulmans sont majoritaires. J’ai bien compris ?

      [Par contre on pourrait envisager de donner à certaines catégories sociales, ethniques, religieuse, raciales (oui le terme est maintenant accepté et largement diffusé même sur France culture) des droits et devoirs « spéciaux ». Le multiculturalisme en quelque sorte. Mais ici, pour limiter le sujet, je n’entame pas le débat.]

      Bien sûr qu’on « pourrait ». Mais en toute franchise, je n’aimerais pas vivre dans ce pays-là, que je ne pourrais plus appeler la France. Si j’aime vivre en France, c’est parce que j’ai la possibilité de socialiser avec n’importe quel concitoyen sans avoir à demander la permission. Si demain chacun doit rester dans sa case… désolé, trop peu pour moi.

      [nb2 : bien sûr ces règles devraient s’appliquer pour moi à toutes les nations actuelles, dont bien sûr la Russie (je ne cache pas que nous aurions un grand intérêt à voir de telles revendications se multiplier sur leur territoire actuel, ce qui les affaiblirai).]

      Je vous rappelle que vous appelez de vos vœux ce type de revendications chez nous, ce qui nous affaiblirait aussi…

      [Mais, respectant le principe de non intervention armée directe dans les états aux frontières reconnues, je me contenterai d’un soutien éventuel ,« pacifique », aux peuples souhaitant leur indépendance.]

      C’est curieux comment le principe de non intervention TOUT COURT devient le principe de « non intervention armée directe ». Ainsi, on a le droit de changer le gouvernement d’un pays avec de l’argent, mais pas avec des armes ? Le renversement d’Allende ou de Mossadegh seraient-ils légitimes ?

      • marc.malesherbes dit :

         
        mon point de vue sur le sujet est si minoritaire et si peu d’actualité politique que cela ne vaut guère la peine d’en débattre longuement.
        Je voudrai simplement souligner que beaucoup de vos remarques me paraissent tout à fait à considérer.
         
        Sauf que, pour certains de ces territoires, il n’y a pas de « peuples autochtones ». En Guadeloupe ou en Martinique, il y a les descendants des européens, et les descendants des esclaves venus d’Afrique. Personne ne peut donc revendiquer le caractère de « peuple autochtone ».
        c’est tout à fait vrai. Il faut effectivement examiner en détail chaque cas particulier.
         
        A partir de combien de générations on devient « autochtone » ? Les juifs alsaciens, installés depuis le XVème siècle, sont-ils des Alsaciens « autochtones » ?
        vous avez raison de soulever cette question qui se retrouve plus ou moins dans tous les territoires
         
        les Franciliens ont un intérêt évident à se débarrasser des régions pauvres –
        c’est un aspect de la question. Prenons le cas des Corses. Actuellement rien dans leur comportement politique, dans leur mœurs, dans leur univers culturel, dans leur histoire, dans leur positionnement géographique ne me donne envie de payer pour eux.
         
        ce type de revendications … nous affaiblirait …
        peut-être (cela se discute), mais je ne recherche pas la puissance, sinon par association avec d’autres pays pour nous défendre (comme cela a été souvent dans le passé le mobile principal de l’alliance franco-russe contre la menace allemande)
         

        • Descartes dit :

          @ marc.maleshrebes

          [« A partir de combien de générations on devient « autochtone » ? Les juifs alsaciens, installés depuis le XVème siècle, sont-ils des Alsaciens « autochtones » ? » vous avez raison de soulever cette question qui se retrouve plus ou moins dans tous les territoires]

          Louer l’intelligence de la question ne remplace pas une réponse…

          [« les Franciliens ont un intérêt évident à se débarrasser des régions pauvres » c’est un aspect de la question.]

          Un aspect très important. La logique du « chacun pour soi » que vous proposez aboutirait à ce paradoxe : les riches rejetteraient les pauvres. On le voit un peu partout : en Belgique avec une Flandre riche qui ne veut pas payer le déclin industriel de la Wallonie, en Espagne où la riche Catalogne ne veut pas payer pour le reste.

          [Prenons le cas des Corses. Actuellement rien dans leur comportement politique, dans leur mœurs, dans leur univers culturel, dans leur histoire, dans leur positionnement géographique ne me donne envie de payer pour eux.]

          La seule chose qui me donne envie de payer pour eux, c’est qu’ils sont prêts en retour à payer pour moi. C’est ça, la solidarité inconditionnelle. Cassez cela, et il n’y a plus de nation.

          [« ce type de revendications … nous affaiblirait … » peut-être (cela se discute),]

          Si « ça se discute » lorsque le raisonnement s’applique chez nous, alors c’est tout aussi discutable lorsque le raisonnement s’applique à la Russie.

          [mais je ne recherche pas la puissance, sinon par association avec d’autres pays pour nous défendre (comme cela a été souvent dans le passé le mobile principal de l’alliance franco-russe contre la menace allemande)]

          Exactement comme la Russie, figurez-vous…

  30. Luc dit :

    ‘Turquie :un bus refuse de s’arrêter pour la prière et relance le débat sur la laïcité:Pour avoir refusé de céder à un passager qui réclamait un arrêt le temps de faire sa prière, un chauffeur de bus longue distance a relancé bien malgré lui le débat sur la laïcité en Turquie.’ Cet incident est relaté sur le fil info du Figaro ce 8/11/22.C’est ça l’islam,chaque jour des milliers d’exigences pour respecter ‘ma religion’.En Tunisie ,au Maroc,en Algérie ,En Egypte dans tous les pays musulmans,c’est ainsi.cette religion est totalitaire.Elle a anéanti par le passé,la religion des égyptiens,le christianisme,le judaisme partout où elle s’est imposée.Elle est comme le capitalisme dérégulé,envahissante.Il faut la tenir en respect,de la laïcité,sans cesse.Il ne s’agit pas de comcepts ,de tolérance ou de confrontations ‘idées.L’islam existe par ses rites exibés et qui ont vocation à être  pratiqué partout.Les cultures Zoroastriennes,Pharaoniques,Yézidiques ,Juives ont été quasi-anéanties par lui.
    Aujourd’hui,dans l’Ouma,La culture féministe est gardée sous le boisseau comme l’athéisme,l’épicurisme et  l’exercice de la liberté de penser et d’expression.Par contre,le consumérisme prospère en Arabie Saoudite,à Dubaï,aux émirats etc..
    Depuis la réislamisation mondiale y a 50 ans et l’extension chez nous de la Ouma à la vitesse grand V,grâce aux pétrodollards,le constat est alarmant,n’est ce pas ?
    d’autant que le taux de fécondité des non musulmans chute considérablement en France ?

    • Descartes dit :

      @ Luc

      [C’est ça l’islam, chaque jour des milliers d’exigences pour respecter ‘ma religion’. En Tunisie ,au Maroc, en Algérie ,En Egypte dans tous les pays musulmans, c’est ainsi. cette religion est totalitaire.]

      Ni plus ni moins que le christianisme. Lui aussi a « anéanti » pas mal de religions – pensez à l’éradication des cultes païens, ou à la conquête de l’Amérique. Là où elles ont le pouvoir, les églises chrétiennes agissent exactement de la même façon que l’Islam, en exigeant à la société toute entière de se plier à leurs règles. Franchement, votre discours primaire sur l’Islam devient un peu fatiguant…

    • marc.malesherbes dit :

       
      @ Luc
       
      “‘Turquie :un bus refuse de s’arrêter pour la prière et relance le débat sur la laïcité:Pour avoir refusé de céder à un passager qui réclamait un arrêt le temps de faire sa prière, un chauffeur de bus longue distance a relancé bien malgré lui le débat sur la laïcité en Turquie.’ Cet incident est relaté sur le fil info du Figaro ce 8/11/22.
       
      merci de cette information significative. Comme le dit Descartes, là où elles ont le pouvoir les religions imposent leur loi.
       
      Comme vous le dites, nous avons aujourd’hui un problème avec l’islam en France car il est puissant. Heureusement nous n’avons plus de problèmes avec les catholiques car ils sont actuellement faibles.
      Comme le dit également Descartes, nous avons hélas beaucoup d’autres problèmes. Et chacun les hiérarchise selon sa sensibilité, sa situation personnelle.
       

  31. Lingons dit :

    marc.maleshrebes
     
    “Prenons le cas des Corses. Actuellement rien dans leur comportement politique, dans leur mœurs, dans leur univers culturel, dans leur histoire, dans leur positionnement géographique ne me donne envie de payer pour eux.”
     
    Ma réponse va sans doute paraitre vive, mais voir ce type de considération basée sur le “chacun pour soi” se diffuser dans notre société commence sérieusement à m’échauffer la bile.
    Que cela soit clair, à partir du moment où vous faites partie d’une nation, ce dont “vous avez envie” de respecter concernant vos DEVOIRS n’a strictement aucune importance, vos droits étant conditionnés par le respect de vos DEVOIRS envers la communauté. Si vous n’avez pas envie de respecter vos devoirs envers votre nation, il est tout à fait possible de rendre votre passeport et de tenter votre chance de votre côté, la porte est grande ouverte et l’histoire a démontré que les apatrides s’en sortent toujours bien…
    “mais je ne recherche pas la puissance, sinon par association avec d’autres pays pour nous défendre” 
    Mais à quoi croyez-vous que sert la puissance des états ? À faire beau sur la cheminée ?
    La puissance est juste ce qui permet aux états de défendre les intérêts des citoyens, la première étant la sécurité vis-à-vis des menaces extérieures, si aujourd’hui le premier potentat venu ne peut venir vous prendre vos bien et mettre le feu à votre maison, c’est tout simplement que l’état dispose de la puissance et des moyens physiques nécessaires pour disperser les agresseurs façon puzzle le cas échéant…
    Oh bien sûr, vous pouvez demander à un autre état de vous protéger, mais j’espère que vos “alliés” ne vous demanderons jamais de tribut trop lourd à payer…   
    “(comme cela a été souvent dans le passé le mobile principal de l’alliance franco-russe contre la menace allemande”
     
    C’est bien connut que les alliances militaires ont toujours servis des buts strictement défensifs, en particulier la triple alliance et la triple entente, la France n’avait pas du tout pour projet de récupérer l’Alsace-Moselle par exemple…  
     

  32. P2R dit :

    @ Descartes (et aux autres)
     
    Juste un aparté en réaction à vos échanges avec N.E.
    Au cas où vous seriez passé à coté, je ne peux que vous conseiller chaudement la lecture de “l’archipel français” de Jérôme FOURQUET.
     
    Cette oeuvre a l’immense mérite de proposer des vecteurs d’analyse de la société fondés sur des statistiques tout en restant soigneusement factuel, et en restant à l’écart de tout jugement idéologique ou moral. C’est une véritable boite à outil pour réfléchir sur l’avenir de notre pays en se fondant non pas sur des impressions mais sur des chiffre concrets.
     
    Sur les questions d’asimilation, aussi souvent que possible, l’auteur arrive à contourner l’absence de données sur l’origine ethnique par un travail précautionneux sur l’origine culturelle des patronymes et noms de famille, pour caractériser les comportements, les usages qui diffèrent en fonction des groupes sociaux.
     
    On apprend par exemple que parmi les personnes ayant un prénom d’origine arabo-musulmane, les femmes qui vont se marier avec une personne extra-communautaire vont très largement abandonner l’emploi de prénoms de la même origine pour leurs enfants, alors que dans le cas inverse (mariage d’un homme portant un prénom arabomusulman avec une femme extracommunautaire), la quasi-totalité des enfants portera un prénom “conforme” aux origines du père. Le corrolaire étant un isolement croissant de la population masculine dans la communauté, les femmes étant beaucoup plus promptes à s’assimiler à la culture Française, d’où un renforcement de la tendance patriarcale dure (le refus du mariage extracommunautaire pour les femmes étant en hausse constante depuis plusieurs années).
     
    Autre exemple toujours basé sur l’analyse de l’origine culturelle des prénoms: parallèlement à l’observation d’un repli communautaire de plus en plus dur chez les personnes porteuses d’un prénom issu de culture arabomusulmane, la proportion des personnes porteuses des mêmes prénoms dans la police et l’armée est largement supérieure à leur proportion dans la population générale, ce qui démontre un vrai schisme dans ce “groupe social” des personnes issues de l’immigration d’afrique du nord. En effet, l’assimilation, lorsqu’elle a lieu se fait souvent “corps et âme”, et dans les institutions les plus représentatives de la force de la République Française. On retrouve cette prédominance dans l’analyse des noms des militaires et policiers morts dans l’exercice de leur fonctions, ce qui démontre encore le jusqu’auboutisme de ce dévouement aux valeurs de la république. Dès lors, il semble compliqué de considérer ces personnes comme faisant partie d’un groupe social homogène.
     
     
    Bref, si certaines données enfoncent des portes ouvertes, elles ont l’avantage d’être appuyées sur un travail sérieux et dépassionné, et parfois de permettre d’entrevoir des perspectives, même si au terme de la lecture, on constate combien il sera compliqué d’inverser la tendance… A lire avec force stabilos et post-its !
     
     
     

    • Descartes dit :

      @ P2R

      [Au cas où vous seriez passé à coté, je ne peux que vous conseiller chaudement la lecture de “l’archipel français” de Jérôme FOURQUET.]

      Je ne suis pas passé à côté, c’est un livre passionnant.

      [Cette oeuvre a l’immense mérite de proposer des vecteurs d’analyse de la société fondés sur des statistiques tout en restant soigneusement factuel, et en restant à l’écart de tout jugement idéologique ou moral.]

      Oui… enfin, n’exagérons rien. Comme disait un politicien américain, « il y a les mensonges, les gros mensonges, et puis il y a les statistiques ». Même si ses chiffres sont exacts, il y a dans le – et dans l’interprétation – choix des statistiques qu’on présente un biais « idéologique et moral ». C’est le b-a-ba de l’épistémologie : les faits en eux-mêmes n’ont pas de sens. C’est leur insertion dans une théorie qui le leur donne. Et dans la mesure où une théorie reste vraie tant qu’aucun fait ne vient la falsifier, la tentation est grande de maintenir une théorie fausse en vigueur en occultant les faits qui pourraient venir la contredire.

      Cela étant dit, c’est déjà bien de partir des faits, quelque soient les biais d’interprétation, au lieu de partir de suppositions comme le font les complotistes.

      Sur les questions d’asimilation, aussi souvent que possible, l’auteur arrive à contourner l’absence de données sur l’origine ethnique par un travail précautionneux sur l’origine culturelle des patronymes et noms de famille, pour caractériser les comportements, les usages qui diffèrent en fonction des groupes sociaux.

      [On apprend par exemple que parmi les personnes ayant un prénom d’origine arabo-musulmane, les femmes qui vont se marier avec une personne extra-communautaire vont très largement abandonner l’emploi de prénoms de la même origine pour leurs enfants, alors que dans le cas inverse (mariage d’un homme portant un prénom arabo-musulman avec une femme extracommunautaire), la quasi-totalité des enfants portera un prénom “conforme” aux origines du père.]

      Dans la mesure où la culture dominante tant chez les Français « de souche » comme chez les immigrés est patrilinéaire, cela ne devrait étonner personne. Le fait que les enfants héritent le nom du père n’est pas un hasard, il traduit une réalité culturelle qui s’étend à d’autres domaines.

      [Le corolaire étant un isolement croissant de la population masculine dans la communauté, les femmes étant beaucoup plus promptes à s’assimiler à la culture Française, d’où un renforcement de la tendance patriarcale dure (le refus du mariage extracommunautaire pour les femmes étant en hausse constante depuis plusieurs années).]

      Là, on trouve un curieux biais d’interprétation. Si vous tirez du fait que les couples où la femme est d’origine arabo-musulman mariée hors de sa communauté donnent aux enfants des prénoms « français » la conclusion qu’elles s’assimilent, vous devriez conclure du fait que les couples où les origines sont inversés donnent aux enfants des prénoms « musulmans » l’assimilation de la femme à la logique communautaire. Pourquoi alors conclure à « un isolement croissant de la population masculine » ? On devrait conclure à un processus de croisement parfaitement symétrique : la femme s’assimile à la collectivité de son mari. La collectivité « de souche » assimile les femmes mariés avec ses hommes, et les communautés immigrées font de même.

      [Autre exemple toujours basé sur l’analyse de l’origine culturelle des prénoms: parallèlement à l’observation d’un repli communautaire de plus en plus dur chez les personnes porteuses d’un prénom issu de culture arabo-musulmane, la proportion des personnes porteuses des mêmes prénoms dans la police et l’armée est largement supérieure à leur proportion dans la population générale, ce qui démontre un vrai schisme dans ce “groupe social” des personnes issues de l’immigration d’Afrique du nord. En effet, l’assimilation, lorsqu’elle a lieu se fait souvent “corps et âme”, et dans les institutions les plus représentatives de la force de la République Française.]

      Là encore, l’interprétation est hasardeuse. Il ne faudrait pas comparer la proportion dans la police ou l’armée à la « population générale », mais à la population DE MEME NIVEAU SOCIAL. Parce qu’on trouve au concours de gardien de la paix ou à l’engagement dans la Légion bien plus de fils d’ouvrier que de fils d’archevêque. Et comme les prénoms arabo-musulmans sont bien mieux représentés dans les couches sociales qui s’engagent, la sur-représentation à laquelle vous faites allusion est moins forte que ce que Fourquet le dit.

      Il y a aussi un problème évident dans l’interprétation du geste d’engagement. Est-ce que la sur-représentation des prénoms en question dans la police ou l’armée traduit une assimilation aux valeurs de la République que ces corps portent, ou plutôt la recherche d’une promotion sociale et d’une sécurité que ces corps proposent avec un recrutement bien adapté aux compétences de ces populations ?

      [On retrouve cette prédominance dans l’analyse des noms des militaires et policiers morts dans l’exercice de leur fonctions, ce qui démontre encore le jusqu’auboutisme de ce dévouement aux valeurs de la république.]

      Mais là, on mesure un autre effet. Une chose est la question d’assimilation qui pousse une personne à frapper à la porte de l’armée ou de la police, et une autre est l’effet assimilateur de l’appartenance à un tel corps. Il est clair que la police, l’armée, et d’une façon plus générale la fonction publique jouent un rôle fondamental d’assimilation, puisque ce sont les derniers refuges d’une méritocratie qui a largement disparu – si tant est qu’elle ait jamais existé – dans le privé.

      [Dès lors, il semble compliqué de considérer ces personnes comme faisant partie d’un groupe social homogène.]

      Ca me paraît évident. C’est un point de désaccord avec notre ami N-E, qui tend à voir le problème comme une confrontation entre communautés en essentialisant l’appartenance de chacun à sa communauté d’origine.

      • @ Descartes,

        [C’est un point de désaccord avec notre ami N-E, qui tend à voir le problème comme une confrontation entre communautés en essentialisant l’appartenance de chacun à sa communauté d’origine.]
        Votre amitié m’honore… Mais vous savez qu’en citant mon pseudo, c’est comme si vous m’invitiez à intervenir. A vos risques et périls, cher ami !

        Je veux répondre sur la question de l’ « essentialisation » dont les tenants de l’universalisme républicain font en permanence le procès.

        Oui, en un sens, j’ « essentialise » dans la mesure où je considère qu’un individu, quel qu’il soit, n’apparaît pas vierge sur cette terre. Un individu est le produit d’une histoire (familiale, ou tribale, ou nationale), d’une culture (langue, religion). Et on ne peut pas faire comme si tout cela n’existait pas. Oui, il y a dans la vie des hommes une forme de déterminisme : naître dans une famille communiste d’ascendance juive, ce n’est pas la même chose que naître dans une famille musulmane d’origine turque ou marocaine. Déterminisme n’est pas un gros mot. Ce n’est pas non plus tout à fait synonyme de fatalité. Simplement, nous sommes des héritiers. Tous, qu’on le veuille ou non. Et il faut cesser de croire que s’extraire de son héritage est une chose facile. Il faut aussi comprendre que tous les héritages ne se valent pas : certaines cultures donnent, sinon une appétence, du moins une prédisposition pour l’assimilation (je pense aux juifs, aux Chinois, aux Vietnamiens) ; d’autres, beaucoup moins.
         
        Les défenseurs de l’universalisme républicain rejettent le discours de ceux qui disent : « il faut rester ce qu’on est ». Personnellement, je me méfie du discours symétrique qui affirme que « chacun peut être ce qu’il veut ».
         
        Quelle est d’ailleurs l’alternative à l’ « essentialisation » qui m’est imputée ? Un monde où les hommes auraient le choix. A première vue, on serait tenté de s’en réjouir. Mais le choix jusqu’à quel point ? Le choix de ses parents ? De son sexe – pardon de son genre? De sa culture ? De son pays ? Personnellement, et au risque de choquer, un tel monde ne me fait pas rêver. Parce que ce serait un monde froid où les choix seraient dictés la plupart du temps par l’intérêt égoïste. Je soutiens qu’il y a quelque chose de très beau – et de tragique à la fois – de devoir assumer un héritage qu’on n’a pas choisi mais qui nous oblige. Et cela vaut aussi pour les migrants issus d’anciennes colonies qui ont fait le choix de l’indépendance…
         
        Au fond, derrière cette dénonciation de l’ « essentialisation », je vois se profiler la conception d’un monde où les hommes, pure abstraction, seraient interchangeables. Et cette conception me fait froid dans le dos. Je préfère de loin vivre dans un monde où, en effet, jusqu’à un certain point, « chacun reste à sa place », un monde ordonné donc prévisible, même si cet ordre est imparfait (peut-il d’ailleurs en être autrement?).
         
        Une nation ne se limite pas à l’administration d’un territoire fondée sur quelques beaux principes, quelques références historiques et une liste de droits accordés aux individus. Une nation, c’est un peuple, et pas seulement au sens politique. C’est un aussi un peuple au sens ethnique du terme, même s’il faut se garder des obsessions sur la « pureté du sang », parce qu’au-delà d’une certaine taille, une population a forcément en son sein un certain degré de diversité (sauf cas particulier comme l’insularité, et encore). C’est valable même pour un pays comme l’Allemagne : le Bavarois catholique a des différences notables avec le Mecklembourgeois luthérien. Il ne faut pas rejeter de manière systématique et indifférenciée les apports extérieurs, mais il faudrait toujours les garder sous contrôle, et de manière générale, les limiter. 
         
        C’est pourquoi croire qu’on peut changer le contenu sans incidence sur le contenant me paraît un peu naïf. Imaginer une France qui serait peuplée à 40 % de Maghrébins et de Subsahariens, et qui resterait la France au prétexte que ces braves gens sont assimilés, maîtrisent l’imparfait du subjonctif et connaissent Clovis, me paraît relever de la gageure. Il y a en France un problème d’assimilation, c’est certain, parce que nos élites y ont renoncé, ne voulant pas en payer le prix. Mais je doute que la diversité religieuse, ethnique, culturelle qu’on a laissée s’installer en France dans une sorte d’hystérie mondialiste soit aussi aisément soluble dans l’assimilation que le pense notre ami Descartes. Le phénotype, qu’on le veuille ou non, est un élément d’identification des personnes et, contrairement à la religion, on peut difficilement en changer. Il ne crée pas systématiquement une solidarité entre les individus, mais il paraît difficile qu’il n’en génère aucune. Il semble bien compliqué d’empêcher les gens qui se ressemblent de s’assembler, à moins d’imposer mixité et métissage généralisés d’une manière autoritaire.
         
        Une remarque sur l’armée : depuis quelques temps déjà, elle n’est plus l’ « école de patriotisme » qu’elle a pu être si j’en crois ce que m’ont dit certains anciens militaires. Il s’agit d’une armée professionnelle, et certains de ses membres – pas tous – ont une mentalité de mercenaire. Entrer dans l’armée ne dénote pas forcément une volonté de s’assimiler, et considérer que l’attrait exercé par l’armée sur les jeunes issus de l’immigration est une preuve que l’assimilation fonctionne me paraît très discutable. Il y a aussi des radicalisés dans la police comme il y a des militants indigénistes dans l’enseignement. Il faut arrêter de croire que la fonction publique reste un bastion où règne l’indifférence aux origines. Je rappelle que Descartes lui-même a déclaré que les ministères s’astreignent à respecter des « chartes de la diversité ». Tout l’édifice républicain est en train de pourrir.
         
        Enfin, je voudrais soulever un dernier point : je n’ai jamais prétendu que tous les musulmans, tous les Arabes ou tous les noirs formaient un « groupe social homogène ». Je constate que la gauche communautariste et ses amis indigénistes ou islamistes tentent de faire croire à ces gens qu’ils ont des intérêts communs en raison d’une origine commune. Est-ce que cela marche ? Je n’en sais rien. Cela ne marche sans doute pas autant qu’Houria Bouteldja le voudrait. Et en même temps, on voit que LFI a réussi à capter une part non-négligeable de l’électorat musulman issu de l’immigration en montrant une certaine bienveillance pour les discours identitaires et victimaires émanant de cette population. Après tout, le bourgeois musulman comme le prolétaire musulman peut se dire que son équivalent « blanc chrétien » est mieux loti, et que remplacer celui-ci est un objectif fédérateur. Je suis quand même un peu dubitatif.

        Cela étant dit, je me demande à partir de quel moment, plus généralement, on peut parler de « groupe social homogène ». Prenons la classe ouvrière. Jamais les ouvriers français n’ont tous été logés à la même enseigne en fonction des branches d’activité, de la taille des entreprises, etc. On parlait jadis d’une « aristocratie ouvrière » par exemple. Jamais les ouvriers n’ont tous voté pour le même parti. Le PCF se présentait jadis comme « le parti de la classe ouvrière » mais, à son apogée, quelle proportion d’ouvriers votait pour lui ? Et les ouvriers qui votaient socialistes – car il y en a eu – ou peut-être même gaullistes (je suppose que ça a pu exister) ? Étaient-ils moins ouvriers que les autres ?

        • Descartes dit :

          @ nationaliste-ethniciste

          [Votre amitié m’honore… Mais vous savez qu’en citant mon pseudo, c’est comme si vous m’invitiez à intervenir. A vos risques et périls, cher ami !]

          Je prends le risque. Oui, c’était bien une invitation.

          [Je veux répondre sur la question de l’ « essentialisation » dont les tenants de l’universalisme républicain font en permanence le procès.]

          Pardon, mais ce n’est pas mon cas. Je ne fais aucun « procès ». Quand je dis que vous « essentialisez », ce n’est pas un jugement de valeur, et encore moins une accusation. J’essaye de décrire votre position.

          [Oui, en un sens, j’ « essentialise » dans la mesure où je considère qu’un individu, quel qu’il soit, n’apparaît pas vierge sur cette terre. Un individu est le produit d’une histoire (familiale, ou tribale, ou nationale), d’une culture (langue, religion). Et on ne peut pas faire comme si tout cela n’existait pas.]

          Loin de moi cette idée. Mais quand vous parlez d’une histoire, d’une culture, vous parlez d’éléments qui sont ACQUIS, et non une donnée immuable. On acquiert cette histoire, cette culture par notre éducation depuis l’enfance, mais on peut aussi l’acquérir par l’assimilation.

          [Oui, il y a dans la vie des hommes une forme de déterminisme : naître dans une famille communiste d’ascendance juive, ce n’est pas la même chose que naître dans une famille musulmane d’origine turque ou marocaine. Déterminisme n’est pas un gros mot. Ce n’est pas non plus tout à fait synonyme de fatalité. Simplement, nous sommes des héritiers. Tous, qu’on le veuille ou non. Et il faut cesser de croire que s’extraire de son héritage est une chose facile.]

          Je n’ai pas dit que ce soit FACILE, je dis que c’est POSSIBLE. Et je tire cette conclusion de mon expérience personnelle. Qu’est ce qui dans ma naissance me « déterminait » à vivre en France et devenir français ? Rien. Ce sont des évènements imprévisibles qui ont poussé mes parents à quitter leur pays, c’est un ensemble de coïncidences et de préférences qui leur ont fait choisir la France. Et finalement, c’est ma volonté personnelle et la pression des institutions françaises qui m’a fait devenir français. Que reste-t-il de votre « détermination » là-dedans ?

          [Il faut aussi comprendre que tous les héritages ne se valent pas : certaines cultures donnent, sinon une appétence, du moins une prédisposition pour l’assimilation (je pense aux juifs, aux Chinois, aux Vietnamiens) ; d’autres, beaucoup moins.]

          Oui. Mais encore une fois, on parle de culture, pas de caractères « essentiels » comme le sexe ou l’appartenance ethnique…

          [Les défenseurs de l’universalisme républicain rejettent le discours de ceux qui disent : « il faut rester ce qu’on est ». Personnellement, je me méfie du discours symétrique qui affirme que « chacun peut être ce qu’il veut ».]

          Vous le savez, je suis un modéré. Je pense que les deux extrêmes sont dans l’erreur. La logique du « on doit rester ce que l’on est » est une logique qui enferme chacun dans un déterminisme qui nie toute liberté. A l’opposé, l’idée que « chacun peut être ce qu’il veut » est une expression d’une toute-puissance délirante et, jusqu’à un certain point, auto-contradictoire : ce que nous « voulons » est aussi conditionné par notre histoire.

          [Quelle est d’ailleurs l’alternative à l’ « essentialisation » qui m’est imputée ? Un monde où les hommes auraient le choix.]

          Non, un monde dans lequel les hommes auraient un CERTAIN choix. Il y a des choses qu’on ne peut choisir, simplement parce que le monde existe en dehors de nous : on ne peut choisir ni son sexe, ni ses parents, ni le lieu de sa naissance, ni son passé. On peut – dans certaines limites – choisir son pays, mais une fois qu’on l’a choisi, il faut le prendre entier, avec ses ombres et ses lumières. Mais il y a des choses qu’on peut choisir, et en particulier, on peut choisir de s’assimiler.

          [A première vue, on serait tenté de s’en réjouir. Mais le choix jusqu’à quel point ? Le choix de ses parents ? De son sexe – pardon de son genre? De sa culture ? De son pays ? Personnellement, et au risque de choquer, un tel monde ne me fait pas rêver. Parce que ce serait un monde froid où les choix seraient dictés la plupart du temps par l’intérêt égoïste. Je soutiens qu’il y a quelque chose de très beau – et de tragique à la fois – de devoir assumer un héritage qu’on n’a pas choisi mais qui nous oblige.]

          Mais que vous ayez choisi ou pas votre héritage, la tragédie est la même. Parce que tout héritage a ses lumières et ses ombres… J’irais même plus loin : quand l’héritage vous est imposé, vous pouvez toujours refuser de l’assumer au motif que personne ne vous a demandé votre avis. Quand vous le choisissez, vous ne pouvez plus utiliser cette excuse.

          [Et cela vaut aussi pour les migrants issus d’anciennes colonies qui ont fait le choix de l’indépendance…]

          Là, vous abordez une autre question, celle de la responsabilité collective et intergénérationnelle.

          [Une nation ne se limite pas à l’administration d’un territoire fondée sur quelques beaux principes, quelques références historiques et une liste de droits accordés aux individus. Une nation, c’est un peuple, et pas seulement au sens politique. C’est un aussi un peuple au sens ethnique du terme, même s’il faut se garder des obsessions sur la « pureté du sang », parce qu’au-delà d’une certaine taille, une population a forcément en son sein un certain degré de diversité (sauf cas particulier comme l’insularité, et encore).]

          Je ne sais pas quel sens vous donnez au mot « ethnique ». Mais si on prend le sens habituel, je ne suis pas d’accord avec vous. Pour moi, une nation, c’est une collectivité dont les membres sont liés par une solidarité impersonnelle et inconditionnelle. Cette solidarité se construit par des processus qui peuvent être très divers. Dans certains cas, c’est à partir d’une homogénéité « ethnique », dans d’autres à partir de références politiques partagées…

          [C’est pourquoi croire qu’on peut changer le contenu sans incidence sur le contenant me paraît un peu naïf. Imaginer une France qui serait peuplée à 40 % de Maghrébins et de Subsahariens, et qui resterait la France au prétexte que ces braves gens sont assimilés, maîtrisent l’imparfait du subjonctif et connaissent Clovis, me paraît relever de la gageure.]

          Je vois mal pourquoi.

          [Il y a en France un problème d’assimilation, c’est certain, parce que nos élites y ont renoncé, ne voulant pas en payer le prix. Mais je doute que la diversité religieuse, ethnique, culturelle qu’on a laissée s’installer en France dans une sorte d’hystérie mondialiste soit aussi aisément soluble dans l’assimilation que le pense notre ami Descartes.]

          Justement, pour moi l’assimilation implique le rétablissement d’une forme d’homogénéité culturelle. Comme vous, je ne crois pas au multiculturalisme. La solidarité inconditionnelle qui pour moi caractérise la nation nécessite une langue commune, un cadre de référence partagé. Mais je ne vois pas en quoi la couleur de peau serait un obstacle.

          [Le phénotype, qu’on le veuille ou non, est un élément d’identification des personnes et, contrairement à la religion, on peut difficilement en changer. Il ne crée pas systématiquement une solidarité entre les individus, mais il paraît difficile qu’il n’en génère aucune. Il semble bien compliqué d’empêcher les gens qui se ressemblent de s’assembler, à moins d’imposer mixité et métissage généralisés d’une manière autoritaire.]

          Encore une fois, je ne vois pas pourquoi. J’ai été étranger en France, et je n’ai pas vraiment cherché la compagnie des gens venant du même pays que moi. Je suis juif, et je n’ai jamais particulièrement cherché à m’insérer dans une vie communautaire. Faire du « les gens qui se ressemblent cherchent à s’assembler » un principe universel me semble contredire l’expérience…

          [Et en même temps, on voit que LFI a réussi à capter une part non-négligeable de l’électorat musulman issu de l’immigration en montrant une certaine bienveillance pour les discours identitaires et victimaires émanant de cette population.]

          Je ne sais pas. Là où les musulmans vivent en communauté, LFI a certes fait un très bon résultat. Mais quid des musulmans assimilés qui profitent de al première opportunité pour quitter l’environnement communautaire ? Je connais pas mal de maghrébins qui sont dans cette situation… et la plupart d’entre eux ont voté Macron.

          [Cela étant dit, je me demande à partir de quel moment, plus généralement, on peut parler de « groupe social homogène ». Prenons la classe ouvrière. Jamais les ouvriers français n’ont tous été logés à la même enseigne en fonction des branches d’activité, de la taille des entreprises, etc.]

          Parler d’homogénéité n’a de sens que si on définit le critère qu’on compare. On peut dire que les ouvriers forment un groupe social homogène au sens qu’ils partagent une même expérience, celle de l’exploitation. Et que de ce fait ils ont un intérêt commun, que l’exploitation cesse. Après, si vous regardez la couleur des yeux, non, la classe ouvrière n’a jamais été homogène…

          • @ Descartes,
             
            [Pardon, mais ce n’est pas mon cas. Je ne fais aucun « procès ».]
            Ce n’est peut-être pas votre cas, mais vous m’accorderez que lorsque des tenants de l’universalisme républicain taxent leurs contradicteurs d’ « essentialisation », c’est quand même rarement un simple constat. Et plus rarement encore un compliment.
             
            [Mais quand vous parlez d’une histoire, d’une culture, vous parlez d’éléments qui sont ACQUIS, et non une donnée immuable.]
            Quand une culture imprègne une population sur une très longue durée, une impression d’immuabilité finit par se dégager, établissant des stéréotypes qui, inévitablement, acquièrent un caractère « essentialisant ».
             
            Vous avez eu un échange que j’ai trouvé passionnant avec Sami sur la psychè allemande, le « jusqu’au boutisme » de ce peuple, son perfectionnisme, son incapacité à faire marche arrière. C’est sans doute de l’acquis, mais un acquis qui résiste à ce point au temps, qui s’applique à toutes les situations (vous avez cité les militaristes, les pacifistes, les écologistes). Et comme les Allemands, aujourd’hui encore, ne peuvent semble-t-il se débarrasser de ce surmoi, avouez qu’on est tenté de se dire qu’il existe « par nature » une psychè allemande qu’il semble difficile de changer. Pourquoi ce qui est valable pour les Allemands ne le serait-il pas pour les Maghrébins, les Turcs, les Subsahariens ?
             
            [Je n’ai pas dit que ce soit FACILE, je dis que c’est POSSIBLE.]
            Mais le jeu en vaut-il la chandelle au regard de l’intérêt de la France ? Pour certains immigrés sans doute, mais pour tous, je ne le pense pas. Parce qu’une assimilation difficile est une assimilation plus coûteuse. Je suis donc partisan de la réserver à quelques élus triés sur le volet.
             
            [Que reste-t-il de votre « détermination » là-dedans ?]
            Mais mon cher, le fait que vous soyez issu d’une famille qui, sauf erreur de ma part, a émigré à plusieurs reprises et a pratiqué sur plusieurs générations l’assimilation, ne compte-t-il pour rien ? Ne diriez-vous pas qu’il y avait dans votre famille, oserais-je dire une « tradition d’assimilation » ? Certes, vous n’étiez en rien obligé de cultiver cette tradition en France, mais il n’en demeure pas moins que vous aviez une prédisposition. Je m’excuse de proposer cette « lecture » de votre histoire personnelle et familiale, sans doute ne suis-je pas légitime pour cela, mais il me semble que, quoique l’assimilation ne soit pas un sport, vous avez hérité quelque chose de la « pratique » de vos aïeux.
             
            [Mais encore une fois, on parle de culture, pas de caractères « essentiels » comme le sexe ou l’appartenance ethnique…]
            Oui, enfin une fois qu’on a été imprégné par une culture au cours de son enfance et de son adolescence, vous ne me ferez pas croire qu’on en change d’un claquement de doigt.
             
            [Vous le savez, je suis un modéré.]
            Oui, et au bon sens du terme.
             
            [On peut – dans certaines limites – choisir son pays, mais une fois qu’on l’a choisi, il faut le prendre entier, avec ses ombres et ses lumières.]
            Je vous avoue que cette affirmation soulève pour moi de redoutables problèmes. Vous dites : « une fois qu’on l’a choisi », mais combien de fois pensez-vous qu’on peut effectuer ce type de choix au cours d’une vie ? Et la personne qui a fait le choix de la France, qu’est-ce qui me dit que dans quinze ans elle ne fera pas le choix de la Turquie ou de la Pologne ?
            Et que mettez-vous précisément derrière votre « dans certaines limites » ?
             
            Je pense pour ma part que, plutôt que de « donner un certain choix » aux hommes, il vaudrait mieux leur enseigner avec vigueur la grandeur qu’il y a à perpétuer la civilisation, la culture, la nation façonnées par leurs ancêtres. Après, il y a des gens qui sont rejetés par leur pays d’origine, contraints de le quitter, des gens qui appartiennent à des minorités persécutées, ou à une culture devenue apatride par la force des choses. Qu’on donne à ces gens-là précisément la possibilité de s’agréger à une nation existante, je ne suis pas contre. Mais étendre cette possibilité à la terre entière, j’y suis hostile.
             
            [Mais il y a des choses qu’on peut choisir, et en particulier, on peut choisir de s’assimiler.]
            Vous m’avez expliqué ailleurs que l’assimilation ne devait pas être un choix mais une obligation imposée par le pays d’accueil… Parce que l’immigré, en-dehors de toute contrainte, tend à se communautariser.
             
            [Parce que tout héritage a ses lumières et ses ombres…]
            Oui, enfin, il y en a qui ont plus ou moins d’ombres. Être le petit-fils d’un SS n’est pas tout à fait la même chose qu’être le petit-fils d’un rescapé d’Auschwitz. Descendre d’un armateur négrier n’a pas tout à fait la même valeur que descendre d’un esclave africain. Et c’est encore plus vrai dans un monde qui a choisi l’idéologie victimaire, une idéologie qui efface les parts d’ombre de l’héritage des « opprimés » et qui rejette ou noircit les parts de lumière de l’héritage des « oppresseurs ».
             
            [Là, vous abordez une autre question, celle de la responsabilité collective et intergénérationnelle.]
            Tout à fait. Mais, à l’heure de m’expliquer qu’il va falloir assimiler quelques millions de ressortissants des anciennes colonies et protectorats français ayant choisi l’indépendance, vous m’excuserez de considérer que cette question a sa place dans le débat.
             
            [Dans certains cas, c’est à partir d’une homogénéité « ethnique », dans d’autres à partir de références politiques partagées…]
            En Europe, rares sont les nations qui n’ont aucune référence ethnique, le romantisme étant passé par là. Certes, la référence est moins forte en France qu’en Allemagne. Mais même une nation « multiethnique » comme la Russie utilise des références ethniques (exaltation de « l’âme slave »). Ailleurs, le « melting-pot » américain ou la « nation arc-en-ciel » sud-africaine me laissent sceptique je vous l’avoue.
             
            [Je vois mal pourquoi.]
            Parce que je suis un abominable identitaire et pas vous…
             
            Avez-vous déjà feuilleté les albums « Astérix » ? Comme vous le savez, il s’agit d’une vision humoristique et tendrement caricaturale de la France du milieu du XX° siècle. Vous avez vu beaucoup de noirs et d’Arabes dans la Gaule présentée dans les albums « Astérix » ? Moi non. A noter d’ailleurs que les albums n’éludent pas pour autant la diversité des phénotypes français (les Corses sont tous représentés avec les cheveux bruns contrairement aux Gaulois du nord).
             
            Mais au-delà de la boutade, il y a une question d’imaginaire. Oui, je l’admets humblement : la nation française telle que je la conçois est constituée à une écrasante majorité d’une population « blanche, de confession chrétienne et de culture gréco-latine ». Je n’ai pas suffisamment d’imagination – ou d’ouverture d’esprit – pour accepter l’idée d’une nation française « brownisée » comme disent les Anglo-saxons. Ce n’est pas l’idée que je me fais de la France éternelle.
             
            Un gauchiste expliquerait sans aucun doute qu’il y a là un refoulé raciste post-colonial. Peut-être après tout. De toute évidence, l’idée d’une unité culturelle dans la diversité ethnique me paraît chimérique. Je suis attaché à une certaine permanence des caractères ethniques, culturels, religieux d’une population donnée. Vous savez, dans sa classe de maternelle, ma fille est l’une des deux seules petites « de souche européenne ». Toutes les autres gamines sont maghrébines. A cet âge-là, les enfants ne se préoccupent évidemment pas des questions identitaires ou religieuses et je ne peux pas dire que ça se passe mal. Mais se dire que mon enfant fait aujourd’hui partie de la minorité ethnique sur la terre qu’occupent historiquement ses ancêtres, je le dis en toute franchise, ça me fait quelque chose. Oui, “le visage de la France a changé”. Mais je ne pense pas que ce soit une bonne chose, bien au contraire.
             
            Je serais d’accord pour une assimilation ciblée et limitée. Mais une assimilation massive s’apparente pour moi à un Grand Remplacement. Un Grand Remplacement doux, pacifique, sans heurt. Mais un Grand Remplacement quand même.
             
            [J’ai été étranger en France, et je n’ai pas vraiment cherché la compagnie des gens venant du même pays que moi.]
            Vous non. Mais diriez-vous que tous les gens de même origine que vous ont adopté la même attitude ? J’ai en tête quelques-uns de nos échanges où vous laissiez entendre que ce n’était pas le cas.

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [Ce n’est peut-être pas votre cas, mais vous m’accorderez que lorsque des tenants de l’universalisme républicain taxent leurs contradicteurs d’ « essentialisation », c’est quand même rarement un simple constat. Et plus rarement encore un compliment.]

              Je vous accorde volontiers que cette affaire « d’essentialisation » est utilisé sans vergogne comme marque d’infamie par des gens que vous appelez à tort les « tenants de l’universalisme républicain ». Et je dis « à tort » parce que l’universalisme de ces gens-là s’arrête assez vite lorsqu’on commence à parler de communautarisme. Un vrai « tenant de l’universalisme républicain » ne peut tolérer que des règles communautaires viennent concurrencer la loi républicaine.

              [« Mais quand vous parlez d’une histoire, d’une culture, vous parlez d’éléments qui sont ACQUIS, et non une donnée immuable. » Quand une culture imprègne une population sur une très longue durée, une impression d’immuabilité finit par se dégager, établissant des stéréotypes qui, inévitablement, acquièrent un caractère « essentialisant ».]

              C’est bien là la question. Une culture « n’impregne » pas une population magiquement. Elle est transmise de génération en génération. Que ce processus de transmission s’arrête, et votre culture disparait. Mais d’un autre côté, si ce processus fonctionne avec ceux qui viennent de l’extérieur, ceux-ci seront tout aussi « impregnés » que ceux qui ont vingt générations derrière eux… c’est en ce sens-là que je trouve votre « essentialisation » excessive.

              [Vous avez eu un échange que j’ai trouvé passionnant avec Sami sur la psychè allemande, le « jusqu’au boutisme » de ce peuple, son perfectionnisme, son incapacité à faire marche arrière. C’est sans doute de l’acquis, mais un acquis qui résiste à ce point au temps, qui s’applique à toutes les situations (vous avez cité les militaristes, les pacifistes, les écologistes).]

              Mais s’applique-t-elle aux immigrés assimilés en Allemagne ? C’est là une question très intéressante, je dois dire : peut-être faudrait-il faire une étude comparative entre des immigrés de même origine assimilés dans des cultures différentes. Au bout du chemin, présentent-ils les mêmes différences que les habitants « de souche », ou au contraire se ressemblent-ils ?

              La comparaison n’est pas facile à faire, parce que les différents pays n’assimilent pas dans la même proportion. En Grande Bretagne, l’idée même d’assimilation est inexistante. On ne « devient » pas Anglais, on l’est ou on ne l’est pas (et c’est d’ailleurs vrai pour l’Irlande, l’Ecosse ou le Pays de Galles). Je connais moins le cas de l’Allemagne.

              [Et comme les Allemands, aujourd’hui encore, ne peuvent semble-t-il se débarrasser de ce surmoi, avouez qu’on est tenté de se dire qu’il existe « par nature » une psychè allemande qu’il semble difficile de changer. Pourquoi ce qui est valable pour les Allemands ne le serait-il pas pour les Maghrébins, les Turcs, les Subsahariens ?]

              Vous allez un peu vite en besogne. Ce « surmoi » est transmis. Un enfant né en Allemagne mais éduqué en France ou aux Etats-Unis dans une famille française ou etats-unienne aurait-il ce « surmoi » ? Certainement pas, parce que celui-ci n’est pas inscrit dans sa « nature », mais dans sa « culture ». Alors un Maghrebin ou un Subsaharien ELEVE DANS SON PAYS D’ORIGINE aura certainement le « surmoi » de sa culture. Mais s’il est éduqué en France ?

              [« Je n’ai pas dit que ce soit FACILE, je dis que c’est POSSIBLE. » Mais le jeu en vaut-il la chandelle au regard de l’intérêt de la France ? Pour certains immigrés sans doute, mais pour tous, je ne le pense pas. Parce qu’une assimilation difficile est une assimilation plus coûteuse. Je suis donc partisan de la réserver à quelques élus triés sur le volet.]

              Il faut comparer le coût de l’assimilation à celui des alternatives. Et franchement, pour ce qui concerne les immigrés légalement installés en France, je pense que le coût – économique, politique, symbolique – des alternatives est franchement dissuasif. Ce qui n’implique nullement qu’on doive accepter sur le territoire et assimiler tous ceux qui voudraient venir, bien entendu !

              [« Que reste-t-il de votre « détermination » là-dedans ? » Mais mon cher, le fait que vous soyez issu d’une famille qui, sauf erreur de ma part, a émigré à plusieurs reprises et a pratiqué sur plusieurs générations l’assimilation, ne compte-t-il pour rien ?]

              Pour « rien », non. Mais de là à dire que cela « détermine » mon destin, il y a quand même une marge…

              [Ne diriez-vous pas qu’il y avait dans votre famille, oserais-je dire une « tradition d’assimilation » ? Certes, vous n’étiez en rien obligé de cultiver cette tradition en France, mais il n’en demeure pas moins que vous aviez une prédisposition. Je m’excuse de proposer cette « lecture » de votre histoire personnelle et familiale, sans doute ne suis-je pas légitime pour cela, mais il me semble que, quoique l’assimilation ne soit pas un sport, vous avez hérité quelque chose de la « pratique » de vos aïeux.]

              Bien entendu. Il est indéniable que j’avais en arrivant en France des instruments que beaucoup d’immigrants n’ont pas. Ne serait-ce que les conseils de mon grand-père : « quand on est à Rome, on fait comme les romains », « si l’on regarde en arrière, on est tourné en statue de sel, comme la femme de Lot », « quand on n’est pas chez soi, il faut payer un droit d’entrée ». Mais si le fait d’avoir ces outils m’a certainement beaucoup aidé, il ne « détermine » pas. Des amis qui avaient les mêmes outils ont refusé l’assimilation, et sont retournés au pays à la première opportunité.

              [Oui, enfin une fois qu’on a été imprégné par une culture au cours de son enfance et de son adolescence, vous ne me ferez pas croire qu’on en change d’un claquement de doigt.]

              Avec vous, c’est toujours chauve ou avec trois perruques. Non, on ne change pas « d’un claquement de doigts ». Cela demande un effort, même pour quelqu’un pour moi qui pourtant avait pas mal de prédispositions. En même temps, si le pays d’accueil fait ce qu’il faut, cela peut être un parcours exaltant – au cas ou vous en douteriez, je garde un souvenir enchanté de mes premières années en France et de mon « parcours d’assimilation », alors que si on les regarde objectivement ce furent des années très dures économiquement…

              [« On peut – dans certaines limites – choisir son pays, mais une fois qu’on l’a choisi, il faut le prendre entier, avec ses ombres et ses lumières. » Je vous avoue que cette affirmation soulève pour moi de redoutables problèmes. Vous dites : « une fois qu’on l’a choisi », mais combien de fois pensez-vous qu’on peut effectuer ce type de choix au cours d’une vie ? Et la personne qui a fait le choix de la France, qu’est-ce qui me dit que dans quinze ans elle ne fera pas le choix de la Turquie ou de la Pologne ?]

              Vu l’investissement que ce choix implique, je n’imagine pas qu’on puisse le faire plusieurs fois. Personnellement, j’ai vécu ou travaillé dans beaucoup de pays, certains que j’ai beaucoup aimé comme la Grande Bretagne. Mais je ne me suis jamais senti tenté par une « assimilation » ailleurs qu’en France. Même dans ma famille ou l’on émigre souvent, je n’ai pas trouvé d’exemple de double émigration – autrement dit, d’un parent qui se serait assimilé dans deux pays différents.

              [Et que mettez-vous précisément derrière votre « dans certaines limites » ?]

              Je mettais là plusieurs choses. D’une part, il y a la question du choix multiple, que vous avez évoqué plus haut. Ensuite, il y a la question de l’acceptation par le pays lui-même. Peut-on faire sien un pays qui ne veut pas de vous ?

              [Je pense pour ma part que, plutôt que de « donner un certain choix » aux hommes, il vaudrait mieux leur enseigner avec vigueur la grandeur qu’il y a à perpétuer la civilisation, la culture, la nation façonnées par leurs ancêtres.]

              Le problème est que la nation, la culture, la civilisation telle que nous la concevons, n’existe pas partout. Il y a beaucoup de peuples qui n’ont pas « façonnée » leur civilisation, mais qui l’ont vu « façonnée » par d’autres, et qui peinent à construire un récit que leur permettre de se poser en continuateurs d’une construction. Mais je suis d’accord avec vous que notre politique devrait être d’aider à la constitution de ces sociétés en nations.

              [Après, il y a des gens qui sont rejetés par leur pays d’origine, contraints de le quitter, des gens qui appartiennent à des minorités persécutées, ou à une culture devenue apatride par la force des choses. Qu’on donne à ces gens-là précisément la possibilité de s’agréger à une nation existante, je ne suis pas contre. Mais étendre cette possibilité à la terre entière, j’y suis hostile.]

              Je suis d’accord sur ce point. D’ailleurs, la terre entière ne demande pas tant. La plupart des gens n’ont tout simplement pas envie d’abandonner leur culture d’origine pour en adopter une autre. Les immigrés aujourd’hui sont des immigrés économiques, pas culturels. Ils ne viennent pas en majorité avec l’envie d’adopter notre culture, mais de bénéficier de meilleures conditions de vie. Je pense d’ailleurs que la pression assimilatoire est un dissuasif puissant à l’immigration : si le prix de l’émigration était la rupture avec la culture d’origine, il y aurait bien moins de migrants.

              [« Mais il y a des choses qu’on peut choisir, et en particulier, on peut choisir de s’assimiler. » Vous m’avez expliqué ailleurs que l’assimilation ne devait pas être un choix mais une obligation imposée par le pays d’accueil… Parce que l’immigré, en-dehors de toute contrainte, tend à se communautariser.]

              Oui, j’ai été un peu vite. Le « choix » ici est d’aller dans un pays qui force l’assimilation, ou de rester chez soi.

              [« Parce que tout héritage a ses lumières et ses ombres… » Oui, enfin, il y en a qui ont plus ou moins d’ombres. Être le petit-fils d’un SS n’est pas tout à fait la même chose qu’être le petit-fils d’un rescapé d’Auschwitz. Descendre d’un armateur négrier n’a pas tout à fait la même valeur que descendre d’un esclave africain.]

              Sauf que vous ne pouvez pas acheter le passé au détail. Pour un Allemand, l’héritage c’est Beethoven mais c’est aussi la SS. Pour un israélien, c’est le rescapé d’Auschwitz mais aussi le bourreau des palestiniens. En devenant français, je deviens l’héritier de Napoléon mais aussi celui du boucher de la Commune, de Descartes mais aussi de Gobineau…

              [Et c’est encore plus vrai dans un monde qui a choisi l’idéologie victimaire, une idéologie qui efface les parts d’ombre de l’héritage des « opprimés » et qui rejette ou noircit les parts de lumière de l’héritage des « oppresseurs ».]

              Mais c’est là un comportement pathologique. L’histoire des africains est celle des esclaves, mais aussi des rois africains qui vendaient leurs propres sujets aux négriers.

              [Tout à fait. Mais, à l’heure de m’expliquer qu’il va falloir assimiler quelques millions de ressortissants des anciennes colonies et protectorats français ayant choisi l’indépendance, vous m’excuserez de considérer que cette question a sa place dans le débat.]

              Pas dans celui sur « l’essentialisation »… mais je ne conteste pas l’intérêt de la question. Et cela d’autant que je n’ai pas de réponse cohérente à vous opposer. Parce qu’ayant défendu l’idée que l’appartenance à la nation implique d’assumer en bloc un héritage, il est difficile pour moi de contester jusqu’au bout l’idée que cet héritage n’implique aucune responsabilité.

              [« Dans certains cas, c’est à partir d’une homogénéité « ethnique », dans d’autres à partir de références politiques partagées… » En Europe, rares sont les nations qui n’ont aucune référence ethnique, le romantisme étant passé par là. Certes, la référence est moins forte en France qu’en Allemagne. Mais même une nation « multiethnique » comme la Russie utilise des références ethniques (exaltation de « l’âme slave »).]

              J’aurais tendance à dire que la référence « ethnique » est d’autant plus faible que la nation en question a un passé maritime qui l’a conduit à avoir des contacts moins conflictuels avec d’autres « ethnies » et donc à relativiser leur valeur. La France, l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie, le Portugal ne sont pas trop portées sur la référence ethnique, au contraire des pays « continentaux » comme l’Allemagne ou les pays d’Europe centrale.

              La France est un cas très particulier parce que c’est une nation construite autour de l’Etat, et d’un Etat qui n’a jamais eu de référence ethnique. Du coup, la question ethnique n’est arrivé que très tard dans notre débat public, et reste une question à bas bruit – sauf dans le cas de l’antisémitisme – jusqu’à l’importation des idéologies postmodernes. Rares sont les intellectuels français de premier plan qui se penchent sur ce genre de question. J’ai du mal à trouver une pièce de théâtre, un roman français ou la question de la race d’un personnage ait la moindre importance dans l’intrigue…

              [Ailleurs, le « melting-pot » américain ou la « nation arc-en-ciel » sud-africaine me laissent sceptique je vous l’avoue.]

              Je partage votre scepticisme. En général, ce type d’idéologies servent à masquer un conflit racial souterrain et mal élaboré. Les américains parlent de « melting pot », mais dans les formulaires on trouve mention de la « race ». Dans les films et séries américaines, la question revient comme une ritournelle obsédante. Ce qui montre que les ethnies ne se « meltent » pas tant que ça.

              [« Je vois mal pourquoi. » Parce que je suis un abominable identitaire et pas vous…]

              Abominable, abominable… vous vous vantez là !

              [Avez-vous déjà feuilleté les albums « Astérix » ? Comme vous le savez, il s’agit d’une vision humoristique et tendrement caricaturale de la France du milieu du XX° siècle. Vous avez vu beaucoup de noirs et d’Arabes dans la Gaule présentée dans les albums « Astérix » ? Moi non.]

              Beaucoup non, mais au moins un (l’un des matelots du bateau pirate). Vous noterez d’ailleurs que l’inventeur du personnage et scénariste de cette bande dessinée, quintessence de la culture française contemporaine, est un fils d’immigrés « assimilés » : le père de Goscinny était un juif polonais, sa mère une juive ukrainienne, tous deux sont naturalisés juste avant la naissance de leur fils René. Tellement assimilés qu’alors qu’ils émigrent un an après la naissance en Argentine, puis aux Etats-Unis, ils font étudier leur fils dans les lycées français, et qu’il revient en France faire son service militaire (alors qu’il aurait pu acquérir la nationalité américaine).

              Pour répondre à votre question, le choix des auteurs d’Astérix est dans la droite ligne d’une France indifférente aux questions ethniques : les français – y compris ceux d’origine immigrée – se sentent parfaitement représentés par cet univers où leur caractère « ethnique » ne figure pas. Contrairement aux Américains qui mettent des noirs jusque dans des films sur les chevaliers de la Table Ronde, nous n’avons pas – n’avions pas ? – besoin de mettre explicitement un noir pour que les noirs se sentent représentés.

              [A noter d’ailleurs que les albums n’éludent pas pour autant la diversité des phénotypes français (les Corses sont tous représentés avec les cheveux bruns contrairement aux Gaulois du nord).]

              Je dirais plutôt que ces albums fonctionnent à partir des stéréotypes. Genre « les gaulois sont blonds ou roux », les corses ont les cheveux noirs »…

              [Mais au-delà de la boutade, il y a une question d’imaginaire. Oui, je l’admets humblement : la nation française telle que je la conçois est constituée à une écrasante majorité d’une population « blanche, de confession chrétienne et de culture gréco-latine ». Je n’ai pas suffisamment d’imagination – ou d’ouverture d’esprit – pour accepter l’idée d’une nation française « brownisée » comme disent les Anglo-saxons. Ce n’est pas l’idée que je me fais de la France éternelle.]

              C’est là notre différence… je le crains insurmontable. Du moins sur les deux premiers points. Parce que je suis d’accord que la France n’existe pas en dehors des références grecques et latines… après je peux comprendre votre angoisse, qui ne doit à mon avis rien à un « refoulé post-colonial » et tout à la peur de l’inconnu. En lisant attentivement vos textes, je retrouve un grand attachement à une certaine « permanence des choses ». J’y suis d’autant plus sensible que j’ai moi-même une certaine tendance à la nostalgie. Devant un monde qui change, vous et moi sentons la perte de ce qui n’est plus et que nous aimions bien, alors que le monde nouveau nous est inconnu.

              J’aurais tendance – pardonnez la disgression – à penser que notre mélancolie commune vient du fait que nous aimons tous deux le passé. Ceux – et c’est très fréquent chez les gauchistes – éduqués dans la détestation du passé peuvent toujours se consoler de le voir détruit en se disant que ce qui vient ne peut qu’être meilleur. Cette consolation psychologique ne nous est pas accessible…

              [Je serais d’accord pour une assimilation ciblée et limitée. Mais une assimilation massive s’apparente pour moi à un Grand Remplacement. Un Grand Remplacement doux, pacifique, sans heurt. Mais un Grand Remplacement quand même.]

              C’est pour moi le moyen de préserver l’âme de la France, quitte à sacrifier sa couleur de peau…

              [« J’ai été étranger en France, et je n’ai pas vraiment cherché la compagnie des gens venant du même pays que moi. » Vous non. Mais diriez-vous que tous les gens de même origine que vous ont adopté la même attitude ? J’ai en tête quelques-uns de nos échanges où vous laissiez entendre que ce n’était pas le cas.]

              Non, bien sur que non. Mais ceux qui ont fait le choix communautaire sont pour la plupart retournés au pays – ou partis vers des pays moins exigeants – à la première occasion. C’est qu’à l’époque, la pression assimilatoire était beaucoup plus forte qu’aujourd’hui. Pour ne donner que quelques exemples, l’accès à certaines formations universitaires, aux concours, aux emplois publics étaient réservés aux citoyens français, tout comme les postes dirigeants dans les associations…

          • @ Descartes,
             
            [Et franchement, pour ce qui concerne les immigrés légalement installés en France, je pense que le coût – économique, politique, symbolique – des alternatives est franchement dissuasif.]
            Le problème est que « les immigrés légalement installés en France » représentent une masse démographique non-négligeable, et qui ne cesse de gonfler, sans parler de leurs descendants. Refuser de séparer le bon grain de l’ivraie me semble problématique.
             
            [En même temps, si le pays d’accueil fait ce qu’il faut, cela peut être un parcours exaltant – au cas ou vous en douteriez, je garde un souvenir enchanté de mes premières années en France et de mon « parcours d’assimilation », alors que si on les regarde objectivement ce furent des années très dures économiquement…]
            Comme je vous l’ai dit, j’ai de sérieux doutes quant au fait qu’on puisse extrapoler à partir de votre cas personnel. Certes, vous êtes venu de loin, de l’autre côté de l’océan. Mais votre famille est originaire d’Europe et avait émigré dans un pays qui est une sorte d’ « extension » – le mot n’est pas méprisant pour moi – de l’Europe.
             
            [J’aurais tendance à dire que la référence « ethnique » est d’autant plus faible que la nation en question a un passé maritime qui l’a conduit à avoir des contacts moins conflictuels avec d’autres « ethnies » et donc à relativiser leur valeur. La France, l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie, le Portugal ne sont pas trop portées sur la référence ethnique, au contraire des pays « continentaux » comme l’Allemagne ou les pays d’Europe centrale.]
            Je n’avais pas vu les choses sous cet angle, mais votre remarque est intéressante. Ne considérez-vous pas cependant que les règles de « limpieza de sangre » qui avaient cours en Espagne relativisent un peu votre propos ?
             
            [La France est un cas très particulier parce que c’est une nation construite autour de l’Etat, et d’un Etat qui n’a jamais eu de référence ethnique.]
            Ce n’est pas tout à fait exact. Il y a une référence historique à l’ethnie et à la « race » des Francs, qu’on trouve jusque dans des textes du Moyen Âge. Avec un glissement sémantique comparable à ce qu’on rencontre en Russie ou en Bulgarie : l’ethnonyme a d’abord désigné une minorité « dominante » de conquérants (« Francs » au sens strict, c’est-à-dire membres des tribus germaniques du Rhin inférieur et moyen ; les « Rous » étaient les Varègues originaires de Suède ; les « Bulgares » étaient à l’origine des cavaliers de la steppe turcophones) avant de s’étendre à l’ensemble des populations « dominées », parfois d’origine variée. Et dans chaque cas, on constate que les « dominants » donnent l’ethnonyme mais adoptent la langue des « dominés » sans doute plus nombreux : Bulgares et Russes parlent une langue slave, les Français une langue romane. Mais un tel phénomène n’exclut en rien l’existence d’une identité ethnique bulgare, russe… ou française.
             
            Ensuite la France est à la fois un pays largement ouvert sur les espaces maritimes… Tout en étant un pays historiquement très « terrien », très attaché à la terre. D’ailleurs, on ne trouve guère en France l’équivalent des grands conquistadores espagnols, des hardis explorateurs anglais ou portugais ou même des grandes lignées de marins italiens. De ce point de vue, la France est le plus « continental » des grands états « maritimes » que vous citez. Souvenez-vous de cette phrase attribuée à Sully : « Le labourage et le pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée ». Je trouve que cet aspect de l’identité française est absent (ou très minoré) dans votre vision de la nation française, et je pense que cela est pour beaucoup dans nos désaccords.
             
            [Rares sont les intellectuels français de premier plan qui se penchent sur ce genre de question.]
            Gobineau que vous avez cité, Drumont, Maurras, peut-être même Barrès. Sans doute pas des auteurs en odeur de sainteté dans votre famille politique, mais il fut un temps où ils avaient une certaine aura. Et la « race » n’est pas absente du discours politique français, même si le « racisme » à la française verse plus dans la xénophobie que dans le culte de la « race supérieure » chère aux pangermanistes et au mouvement « völkisch ».
             
            [Abominable, abominable… vous vous vantez là !]
            Oui, parfois il m’arrive de me vanter…
             
            [Beaucoup non, mais au moins un (l’un des matelots du bateau pirate).]
            Pardon, pardon, à aucun moment ce pirate n’est présenté comme « Gaulois ». L’équipage du bateau pirate est en fait un assemblage de gredins d’origine diverse (je me souviens d’un album où il y a un pirate asiatique dans l’équipage ; celui qui boîte parle sans cesse latin, on peut supposer qu’il est d’origine romaine). Rien, je dis bien rien ne laisse entendre que les pirates sont gaulois…
             
            [Vous noterez d’ailleurs que l’inventeur du personnage et scénariste de cette bande dessinée, quintessence de la culture française contemporaine, est un fils d’immigrés « assimilés »]
            Vous noterez d’ailleurs que l’inventeur du personnage et scénariste de cette bande dessinée n’élude pas la question de la « couleur de peau »…
             
            [Pour répondre à votre question, le choix des auteurs d’Astérix est dans la droite ligne d’une France indifférente aux questions ethniques ]
            Je ne vois pas ce qui vous amène à une telle conclusion. Très franchement, pour le coup, je pense que vous projetez sur Goscinny – peut-être à cause d’une proximité d’origine – vos propres conceptions. Chez Goscinny, tous les Gaulois sont blancs, les Égyptiens sont basanés, Cléopâtre a des serviteurs noirs, les Normands sont blonds aux yeux bleus, etc. Bref, chez Goscinny, les différences ethniques en fonction du lieu où l’on vit sont juste des évidences stéréotypées et donc il n’en fait pas des tonnes. Avez-vous un entretien, un extrait de biographie, quoi que ce soit qui valide votre thèse de l’ « indifférence aux questions ethniques » ?

            [les français – y compris ceux d’origine immigrée – se sentent parfaitement représentés par cet univers où leur caractère « ethnique » ne figure pas.]
            Là encore, je ne vois pas comment vous arrivez à une telle conclusion. Disposez-vous de sondages, d’études scientifiques ?

            [Je dirais plutôt que ces albums fonctionnent à partir des stéréotypes.]
            Des stéréotypes en partie ethniques…
             
            [après je peux comprendre votre angoisse, qui ne doit à mon avis rien à un « refoulé post-colonial » et tout à la peur de l’inconnu.]
            Pas du tout. Contrairement à beaucoup de gens qui pérorent sur les bienfaits ou les méfaits de l’immigration, je vis, moi, dans un secteur à forte population issue de l’immigration. Mes enfants côtoient au quotidien des enfants d’immigrés. Et pas des fils de milliardaires libanais ou d’intellectuels ukrainiens. Non, des enfants des logements sociaux, arabes ou turcs, dont la plupart des mères sont voilées de la tête aux pieds. Ce n’est pas l’inconnu qui m’effraie, c’est plutôt le réel…

            [En lisant attentivement vos textes, je retrouve un grand attachement à une certaine « permanence des choses ».]
            Oui, je ne le nie pas. Mais il faut bien comprendre comment j’en suis arrivé là. Parce que je n’ai pas reçu une éducation particulièrement passéiste ou nostalgique, même si chez moi, on aimait bien l’histoire. Je suis né au début des années 80 dans un pays, la France, qui avait sa monnaie, son armée, son indépendance, une certaine influence, une industrie digne de ce nom. J’ai grandi dans une France très majoritairement blanche, catholique peu pratiquante mais où on trouvait normal de faire baptiser les enfants, une France qui savait d’où elle venait et qui n’avait pas – encore – honte d’elle-même. Quarante ans plus tard, que reste-t-il ? Tout ce que je trouvais beau, grand, admirable, tout ce qui faisait ma fierté en tant que Français, tout a été détruit, sali, dénigré, insulté par l’armée des déconstructivistes et des politicards suivistes, ceux-là même qui mettent en avant l’ « immigré ». Devant ce mouvement de « changement pour le changement » qui sape les fondements même d’une nation et qui rend l’avenir imprévisible – donc dangereux – je choisis en effet de défendre la « permanence des choses ». Il y a ceux qui brûlent tout et ceux qui aimeraient bien que la maison soit à peu près tenue en état…
            [J’y suis d’autant plus sensible que j’ai moi-même une certaine tendance à la nostalgie. Devant un monde qui change, vous et moi sentons la perte de ce qui n’est plus et que nous aimions bien, alors que le monde nouveau nous est inconnu.]
            Oui, mais vous savez très bien qu’on ne fonde pas une politique sur la mélancolie et la nostalgie. Quant au « monde qui vient », on voit déjà poindre son mufle, et on ne devine que trop bien la physionomie générale de l’animal…
             
            [C’est pour moi le moyen de préserver l’âme de la France, quitte à sacrifier sa couleur de peau…]
            C’est bien ce que j’avais compris. C’est peut-être là un projet sage et raisonnable mais qui à mon sens ignore des pans entiers de l’identité française. Je pense que nous ne mettons pas les mêmes choses derrière « l’âme de la France », ou du moins ce qui est essentiel pour moi est secondaire pour vous, et vice et versa.

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [Le problème est que « les immigrés légalement installés en France » représentent une masse démographique non-négligeable, et qui ne cesse de gonfler, sans parler de leurs descendants. Refuser de séparer le bon grain de l’ivraie me semble problématique.]

              Pour moi, c’est la pression assimilatoire qui seule peut séparer « le bon grain de l’ivraie ».

              [Comme je vous l’ai dit, j’ai de sérieux doutes quant au fait qu’on puisse extrapoler à partir de votre cas personnel. Certes, vous êtes venu de loin, de l’autre côté de l’océan. Mais votre famille est originaire d’Europe et avait émigré dans un pays qui est une sorte d’ « extension » – le mot n’est pas méprisant pour moi – de l’Europe.]

              L’extrapolation et toujours dangereuse si on ne le fait pas avec prudence. Mais pour avoir travaillé un peu ces sujets, je pense qu’on peut faire une typologie des parcours d’assimilation à partir d’une variable qui souvent est méprisée, la curiosité. Il y a ceux pour qui l’installation dans un nouveau pays est une découverte, une aventure permanente, et il y a ceux qui la vivent d’abord avec un sentiment de perte. C’est un peu comme avec les touristes : vous avez ceux qui arrivant dans un pays qu’ils ne connaissent pas sont avides de découvrir et craignent d’abord de passer pour des touristes, et ceux qui passent leur temps à signaler tout ce qui n’est pas comme « chez nous » et à marquer le fait qu’ils « ne sont pas d’ici ».

              Je fais là une liaison avec votre commentaire sur mes origines « européennes ». Cette curiosité pour ce qui se fait ailleurs est pour moi l’explication du « miracle grec ». Les grecs sont en effet la première culture qui s’intéresse à ce qui se fait ailleurs, dont les voyageurs écrivent sur d’autres cultures non pas dans une approche purement conquérante, mais pour l’intérêt qu’elles ont par elles-mêmes. Cette « curiosité grecque » est un peu l’héritage commun des cultures qui se réclament de l’héritage grec.

              [« J’aurais tendance à dire que la référence « ethnique » est d’autant plus faible que la nation en question a un passé maritime qui l’a conduit à avoir des contacts moins conflictuels avec d’autres « ethnies » et donc à relativiser leur valeur. La France, l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie, le Portugal ne sont pas trop portées sur la référence ethnique, au contraire des pays « continentaux » comme l’Allemagne ou les pays d’Europe centrale. » Je n’avais pas vu les choses sous cet angle, mais votre remarque est intéressante. Ne considérez-vous pas cependant que les règles de « limpieza de sangre » qui avaient cours en Espagne relativisent un peu votre propos ?]

              Pas vraiment. La « limpieza de sangre », contrairement à ce que le terme laisse penser, avait surtout pour objectif de réserver les fonctions publiques aux « vieux chrétiens » en y empêchant l’accès aux convertis récents, juifs ou maures. Pour prouver la « pureté du sang », il fallait montrer des arbres généalogiques prouvant que vos ancêtres avaient été baptisés, et cela indépendamment de tout critère « ethnique »…

              [« La France est un cas très particulier parce que c’est une nation construite autour de l’Etat, et d’un Etat qui n’a jamais eu de référence ethnique. » Ce n’est pas tout à fait exact. Il y a une référence historique à l’ethnie et à la « race » des Francs, qu’on trouve jusque dans des textes du Moyen Âge.]

              C’est-à-dire, aux tous débuts de la construction nationale. Cette référence disparaît à mesure que la construction nationale avance – et pour cause, puisque le royaume de France devient de plus en plus hétérogène du point de vue ethnique. La Révolution, grand moment de la prise de conscience du phénomène national, va plus loin en créant une « ethnie » virtuelle, celle des « gaulois » censés être les ancêtres de tous les Français, y compris ceux des colonies ! Une création qui ne doit rien au hasard : elle fait contrepoids à une aristocratie honnie qui faisait étalage de ses origines « franques »…

              [Et dans chaque cas, on constate que les « dominants » donnent l’ethnonyme mais adoptent la langue des « dominés » sans doute plus nombreux : Bulgares et Russes parlent une langue slave, les Français une langue romane. Mais un tel phénomène n’exclut en rien l’existence d’une identité ethnique bulgare, russe… ou française.]

              Je ne connais pas la Bulgarie, mais dans le cas de la Russie et de la France, on peut difficilement parler d’une « identité ethnique » compte tenu de la diversité des « ethnies » en présence. Quant à l’ethnonyme, c’est moins évident que vous ne l’évoquez. Les Francs n’utilisaient pas le mot « franc » pour se qualifier eux-mêmes en tant que peuple. Ce sont les Romains qui les ont ainsi désignés…

              [Ensuite la France est à la fois un pays largement ouvert sur les espaces maritimes… Tout en étant un pays historiquement très « terrien », très attaché à la terre. D’ailleurs, on ne trouve guère en France l’équivalent des grands conquistadores espagnols, des hardis explorateurs anglais ou portugais ou même des grandes lignées de marins italiens.]

              Je vous trouve un peu sévère : Cartier, Bougainville, La Pérouse… Certes, pour l’Angleterre, les Pays-Bas, la Hanse, Gênes ou Venise la puissance maritime était une question de vie ou de mort, et par conséquent les moyens qui étaient consacrés étaient tout autres. La France ne découvre l’intérêt de la puissance maritime qu’avec Colbert, et ne devient une véritable puissance qu’au début du XVIIIème siècle. Mais vous avez raison de souligner notre côté « terrien ».

              [Je trouve que cet aspect de l’identité française est absent (ou très minoré) dans votre vision de la nation française, et je pense que cela est pour beaucoup dans nos désaccords.]

              Probablement parce que dans le conflit permanent entre la « grande France » urbaine et maritime et la « petite France » terrienne ma tendresse va à la première, alors que la votre va souvent à la seconde. Mais j’ai tort, je le sais : ce qui fait la spécificité de la France, c’est l’interaction entre les deux. C’est le dialogue entre Sully et Colbert…

              [« Rares sont les intellectuels français de premier plan qui se penchent sur ce genre de question. » Gobineau que vous avez cité, Drumont, Maurras, peut-être même Barrès.]

              J’ai du mal à considérer Gobineau ou Drumont comme des « intellectuels français de premier plan ». Maurras a certainement plus de stature mais, comme Barrès d’ailleurs, il rejette tout racisme. Ainsi, il écrit en 1939 dans « l’Action Française » : « Nous ne pouvions manquer, ici d’être particulièrement sensibles : le racisme est notre vieil ennemi intellectuel ; dès 1900, ses maîtres français et anglais, Gobineau, Vacher de Lapouge, Houston Chamberlain, avaient été fortement signalés par nous à la défiance des esprits sérieux et des nationalistes sincères ».

              [« Beaucoup non, mais au moins un (l’un des matelots du bateau pirate). » Pardon, pardon, à aucun moment ce pirate n’est présenté comme « Gaulois ». L’équipage du bateau pirate est en fait un assemblage de gredins d’origine diverse (je me souviens d’un album où il y a un pirate asiatique dans l’équipage ; celui qui boîte parle sans cesse latin, on peut supposer qu’il est d’origine romaine). Rien, je dis bien rien ne laisse entendre que les pirates sont gaulois…]

              Je me suis replongé dans les rares albums d’Astérix que j’ai à la maison… et j’ai fait un constat très drôle sur notre discussion. En fait, qu’est ce qui fait qu’on est « gaulois » ou pas, chez Astérix ? Les habitants du « dernier village gaulois », certainement. Mais quid des habitants du reste de la Gaule, celui qui est sous domination romaine ? Ceux-là n’ont pas les mêmes caractères « ethniques » que les habitants du fameux village : certains ont les cheveux noirs et le nez fin (au sud), d’autres le nez gros et sont roux ou blonds (au nord). Et on y trouve des noirs et des arabes – et même des juifs, si on sait lire les signes… Pour le dire autrement, il y a une ambiguïté de taille chez Goscinny, entre ce que c’est d’être « gaulois » : est-ce simplement habiter la Gaule, est-ce de « vivre comme un gaulois » ? En tout cas, ce n’est pas d’avoir des ancêtres gaulois : l’aspect héréditaire n’est jamais abordé, et nous ne savons rien des origines d’Astérix ou d’Obélix…

              [« Vous noterez d’ailleurs que l’inventeur du personnage et scénariste de cette bande dessinée, quintessence de la culture française contemporaine, est un fils d’immigrés « assimilés » » Vous noterez d’ailleurs que l’inventeur du personnage et scénariste de cette bande dessinée n’élude pas la question de la « couleur de peau »…]

              Non, mais il n’en fait pas un drame non plus. Goscinny me semble représenter cette belle France des trente glorieuses, ou la chape de plomb du politiquement correct n’avait pas encore tombé, et où l’on pouvait aborder avec légèreté ces questions.

              [« Pour répondre à votre question, le choix des auteurs d’Astérix est dans la droite ligne d’une France indifférente aux questions ethniques » Je ne vois pas ce qui vous amène à une telle conclusion. Très franchement, pour le coup, je pense que vous projetez sur Goscinny – peut-être à cause d’une proximité d’origine – vos propres conceptions. Chez Goscinny, tous les Gaulois sont blancs, les Égyptiens sont basanés, Cléopâtre a des serviteurs noirs, les Normands sont blonds aux yeux bleus, etc. Bref, chez Goscinny, les différences ethniques en fonction du lieu où l’on vit sont juste des évidences stéréotypées et donc il n’en fait pas des tonnes. Avez-vous un entretien, un extrait de biographie, quoi que ce soit qui valide votre thèse de l’ « indifférence aux questions ethniques » ?]

              L’indifférence ne se manifeste pas dans le fait d’ignorer une réalité, mais dans les conclusions qu’on en tire. Que les « gaulois » soient en très grande majorité blancs et les égyptiens basanés, les vikings blonds aux yeux bleus est une réalité qui fonde un stéréotype. Mais quelle conséquence tire Goscinny de cette réalité ? Aucune : ses personnages ne fondent aucune action sur cette distinction, ils ne sont pas plus attirés, ils ne se méfient pas plus, ils ne s’identifient pas plus en fonction de ce caractère. La caricature de Goscinny porte plus sur les traits culturels et les façons de faire que sur les caractères ethniques.

              Goscinny a été accusé par les soixante-huitards d’être chauvin et raciste. Voici ce qu’il dit en entretien en 1973 : « Je n’accepte pas, je considère que c’est la plus grave des injures. Qu’on ne vienne jamais me dire ça en face ou c’est tout de suite la baffe sur la gueule ! Moi raciste ! Alors qu’une bonne partie de ma famille a terminé dans les fours des camps de concentration ! Je n’ai jamais regardé la couleur, la race, la religion des gens […] Je ne vois que des hommes, c’est tout ». Difficile de manifester plus explicitement son indifférence.

              [« les français – y compris ceux d’origine immigrée – se sentent parfaitement représentés par cet univers où leur caractère « ethnique » ne figure pas. » Là encore, je ne vois pas comment vous arrivez à une telle conclusion. Disposez-vous de sondages, d’études scientifiques ?]

              Je pense que les chiffres de vente et la place qu’occupe Astérix dans l’imaginaire français valent tous les sondages du monde. Pour ce qui concerne les français d’origine immigrée, je ne peux que constater que dans des communautés musulmanes promptes à condamner tout et n’importe quoi, il me semble significatif que les personnages de Goscinny semblent y échapper. Paradoxalement, ce sont surtout les soixante-huitards bien « de souche » – et socialement privilégiés – qui ont dénoncé Goscinny comme « valet du capital », « xénophobe » et « raciste »…

              [« après je peux comprendre votre angoisse, qui ne doit à mon avis rien à un « refoulé post-colonial » et tout à la peur de l’inconnu. » Pas du tout. Contrairement à beaucoup de gens qui pérorent sur les bienfaits ou les méfaits de l’immigration, je vis, moi, dans un secteur à forte population issue de l’immigration. (…)]

              Je me suis mal exprimé. Quand je parlais de « l’inconnu », je ne faisais pas référence à l’immigré. « L’inconnu » auquel je faisais référence c’est plutôt ce monde nouveau qui vient, si difficile à saisir et si différent à celui qui nous set de référence…

              [« En lisant attentivement vos textes, je retrouve un grand attachement à une certaine « permanence des choses ». » Oui, je ne le nie pas. Mais il faut bien comprendre comment j’en suis arrivé là.]

              Attention, ce n’est pas une critique, juste une constatation. C’est d’ailleurs quelque chose que nous partageons.

              [Quarante ans plus tard, que reste-t-il ? Tout ce que je trouvais beau, grand, admirable, tout ce qui faisait ma fierté en tant que Français, tout a été détruit, sali, dénigré, insulté par l’armée des déconstructivistes et des politicards suivistes, ceux-là même qui mettent en avant l’ « immigré ». Devant ce mouvement de « changement pour le changement » qui sape les fondements même d’une nation et qui rend l’avenir imprévisible – donc dangereux – je choisis en effet de défendre la « permanence des choses ». Il y a ceux qui brûlent tout et ceux qui aimeraient bien que la maison soit à peu près tenue en état…]

              Je vous donne raison, parce que je partage avec vous ce sentiment parce que je conserve intacte cette admiration pour ce qui était « beau, grand, admirable » et qui m’a donné envie de devenir français. Je souffre peut-être moins que vous parce que je suis d’un naturel optimiste et que je viens d’une culture mieux préparée à trouver le bon côté des catastrophes. Nous rejoignons en fait Camus : la priorité du jour n’est pas de refaire le monde, mais de l’empêcher de se défaire…

              [Je pense que nous ne mettons pas les mêmes choses derrière « l’âme de la France », ou du moins ce qui est essentiel pour moi est secondaire pour vous, et vice et versa.]

              J’ose espérer que nous nous retrouvons sur quelques petites choses, quand même…

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