Le temps d’apprendre à vivre, il est déjà trop tard…

« J’ai appris que les conséquences de nos actes passés sont toujours intéressantes ;
j’ai appris à considérer le présent en envisageant l’avenir ». (John Irving)

Avez-vous entendu parler de la satisfaction qu’éprouve un oracle dont les prédictions commencent à se réaliser ? Je peux vous assurer par expérience qu’il s’agit d’une satisfaction fort ambiguë. A la satisfaction du travail bien fait se mêle le sentiment d’impuissance de ne pas avoir pu empêcher le mal qu’on prédit. Je doute que Cassandre ait éprouvé une grande satisfaction en voyant Troie en flammes.

C’est cette sensation que j’ai éprouvé devant les deux faits divers qui ont rempli les gazettes et occupé cette semaine la langue des experts-en-tout des chaines d’information continue. Je parle, vous l’aurez compris, de l’agression de la jeune Samara à Montpellier, et de celle – mortelle – du jeune Shamseddine à Viry-Châtillon. Samara a 13 ans, Shamseddine en avait 15. Dans les deux cas, les victimes ont été agressées par plusieurs personnes, battues et laissées inconscientes dans la voie publique, pendant que les agresseurs rentraient tranquillement chez eux, comme si de rien n’était. Sans regrets, sans remords. Aucun n’a appelé les secours, aucun n’est allé se dénoncer à la police.

Ces deux actes illustrent à mon sens à la perfection un débat que nous avions eu sur ce blog il n’y a pas si longtemps, celui qui tournait autour de la notion d’empathie. Pensez-y : qu’est ce qui fait que vous frémissez devant la simple image de la souffrance d’un dauphin ? Le dauphin n’est rien pour vous, sa souffrance ne vous enlève et ne vous rapporte rien. Dans le monde, des milliers d’animaux meurent chaque minute – la plupart d’entre eux pour servir d’en-cas à d’autres animaux. Et pourtant, le voir souffrir, même de manière décalée à la télévision, même dans une œuvre de fiction – vous fait souffrir vous-même.  Cette capacité à se mettre dans la peau de l’autre et à souffrir de sa souffrance, est le mécanisme fondamental qui contrôle notre violence et permet la construction d’une société.

Et cette empathie est, en principe, plus naturelle lorsque l’autre nous ressemble. Nous souffrons plus facilement de la souffrance d’un dauphin que d’un cafard. Pourquoi l’être humain a une réaction d’horreur lorsqu’il découvre un cadavre humain ? Après tout, ce n’est qu’un bout de viande, n’est-ce pas ? Seulement voilà, dans ce bout de viande, nous nous reconnaissons nous-mêmes. Ce bout de viande, c’est un peu nous.

Ces ingrédients ne semblent pas avoir joué dans les affaires qui nous occupent. Pourtant, les victimes n’étaient pas seulement des êtres humains. Dans l’état actuel de l’enquête – et avec toute la prudence que réclame la situation – il semblerait que les auteurs soient à peine plus âgés que les victimes, qu’agresseurs et victimes n’étaient pas des étrangers. Ils habitent dans les mêmes quartiers, vont aux mêmes écoles, connaissent les mêmes situations, appartiennent à la même communauté. Autrement dit, agresseurs et victimes auraient pu, dans d’autres circonstances, se retrouver dans la position de l’autre. Cela ne suffit plus, semble-t-il, à créer de l’empathie. Et c’est inquiétant, parce que si nous ne sommes pas capables à sentir de l’empathie pour l’être qui nous ressemble, quelle chance il y a à ce que nous la ressentions pour celui qui est un peu plus éloigné de nous ?

Le mécanisme d’empathie repose jusqu’à un certain point sur une inscription instinctive. Une espèce dont les individus évitent de s’agresser à tout bout de champ a plus de chance de survivre et de se propager, et la sélection naturelle fait le reste. Mais à partir de ces fondements réflexes, l’empathie est chez l’homme une construction sociale. Elle se transmet donc, par les parents d’abord, par la société ensuite. Depuis la plus tendre enfance, l’enfant est en principe confronté à un discours qui l’appelle à modérer son égoïsme, à se reconnaître en l’autre. « Ne fais pas aux autres ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse » reste l’un des principes fondamentaux de l’éducation. On apprend depuis le plus jeune âge que faire souffrir, c’est mal : on ne dit pas à mémé que sa cuisine est immangeable, cela la ferait pleurer ; on ne marche pas sur la queue du chat, cela lui fait mal ; on ne frappe pas sa petite sœur, cela la fait pleurer. Et souvent, celui qui fait souffrir l’autre reçoit en retour une souffrance équivalente pour soi-même :  toute la logique sociale de la rétribution est construite sur cette équivalence. Même si la loi du Talion a été adoucie, elle reste quelque part la clé de voute de notre imaginaire. Et c’est par ce processus que nous finissons par internaliser ce principe : faire souffrir nous fait souffrir.

Si ce qu’on appelle « l’ultra-violence » – caractérisée moins par le niveau de violence que par la disproportion entre la motivation et le niveau de violence utilisé – se répand chez les mineurs de plus en plus jeunes, c’est parce que la digue que constituait l’empathie, et qui canalisait le fleuve de la violence humaine, a sauté. Et elle a sauté parce qu’elle n’a pas sa place dans la logique du capitalisme avancé, qui ne connaît d’autre rapport que « le paiement au comptant ». Le capitalisme avancé nécessite des individus qui n’agissent que par intérêt, sans aucune digue morale. Et cela transparait logiquement dans l’idéologie dominante. Dans les organisations, tant publiques que privées, on a même trouvé une formule méprisante pour désigner l’empathie. Le directeur de ressources humaines qui rechigne à licencier, le vendeur qui a des scrupules à fourguer un produit dangereux, se verront vite reprocher d’avoir des « états d’âme ». Et ce n’est pas là un compliment, loin de là : avoir des « états d’âme », c’est très mauvais pour son avenir, parce qu’on exige de chacun qu’il fasse ce que le bizness exige sans se poser des questions, qu’il s’agisse de licencier des centaines de travailleurs ou de mitrailler le point de deal d’un concurrent à la Kalachnikov. Souffrir de la souffrance de l’autre vous rend faible, et la société capitaliste avancée dans laquelle nous vivons ne rend culte qu’à la force. « Le plus important, c’est de gagner », nous dit le slogan affiché pendant des semaines sur les murs de Paris par un site de paris en ligne sans que personne ne trouve à redire.

Comment voulez-vous transmettre à la jeunesse une forme d’empathie, alors que la société transmet le message inverse ? Comment voulez-vous qu’elle éprouve de la pitié alors que les « modèles » qu’on lui propose sont impitoyables et n’hésitent devant aucun obstacle pour atteindre leur but ? Comment voulez-vous que dans un univers idéologique où il n’y a que moi qui compte, on puisse souffrir de la souffrance de l’autre ?

Mais au-delà de la question de l’empathie, ces faits divers mettent en évidence un autre ressort, tout aussi inquiétant sinon plus, et qu’on voit apparaître sous des formes très diverses dans les rapports sociaux. C’est la question du rapport au temps, celle de la relation que nous entretenons avec le présent, le passé et l’avenir. Pour le dire autrement, la question de notre capacité à nous projeter dans le futur et donc de mesurer les conséquences de nos actes.

Que s’est-il passé dans la tête des agresseurs de Samara ou de Shamseddine, lorsqu’ils ont laissé leurs corps inertes dans la rue ? Que pensaient-ils qu’il allait se passer ensuite ? Ont-ils eu conscience des conséquences possibles ? Ont-ils anticipé qu’en frappant à mort un autre, ils se condamnaient eux-mêmes à l’isolement social, à la détention, à une peine potentiellement lourde, à la vengeance des familles des victimes ? Pensaient-ils vraiment que la vie allait continuer comme si rien ne s’était passé ? Qu’après avoir tué ou blessé gravement un autre être humain, ils pourraient continuer leur vie comme d’habitude ?

On peut, à partir de l’analyse qui a été faite des cas analogues, répondre à cette question. Lors d’autres agressions, les psychologues ont pu constater que les jeunes agresseurs sont souvent surpris lorsque la police vient les arrêter, et ne comprennent même pas pourquoi on vient leur chercher des poux dans la tête. Dans leur caboche, il n’y a pas de conséquences à leurs actes, pas « d’après ». L’agression est un « présent », le moment où l’on vient les arrêter aussi, et les deux « présents » sont disjoints. Rien ne les relie, ils ne font pas partie d’une séquence. Un peu comme dans ce dessin animé bien connu où un coyote poursuit vainement un oiseau coureur. Le personnage est aplati par la chute d’un rocher ou réduit en morceaux par une explosion, mais revient à la minute suivante tout pimpant pour de nouvelles aventures. Et sans avoir rien appris de ses échecs précédents. Les différentes séquences peuvent être projetées dans n’importe quel ordre, puisque les personnages ne sont pas modifiés par l’expérience et ne peuvent donc évoluer : ce sont des « présents » qui ne sont reliés par aucun temps linéaire.

Le temps linéaire est celui de l’histoire. C’est l’histoire – la grande comme la petite – qui nous enseigne que les actes ont des conséquences, et que toute décision, tout choix est irréversible parce qu’il change la réalité sans possibilité de retour en arrière. Et ce rapport au temps est indispensable à tout apprentissage. Pour revenir au dessin animé précité, les personnages ne peuvent rien apprendre de leurs erreurs, puisqu’il n’y a pas de passé d’où tirer des enseignements. N’ayant pas de mémoire, le personnage ne peut évoluer, il est condamné à répéter les mêmes erreurs. Il est piégé dans un présent continu. Contrairement, par exemple, au personnage du très beau film « un jour sans fin », où le personnage est piégé dans une journée qui se répète à l’identique sans fin, mais peut apprendre de ses erreurs parce qu’il conserve la mémoire des jours passés.

Le désintérêt de notre société pour l’histoire, et notamment pour une histoire chronologique, n’est pas une simple question de choix scientifique ou didactique. Cela fait partie d’une idéologie. Là encore, l’évolution est intimement liée à celle du mode de production. La société de consommation est par essence une société où les choses sont faites pour être oubliées et remplacées par d’autres, elles-mêmes rapidement oubliées et remplacées dans une ronde infernale. C’est une société de mémoire courte et, à la limite, une société sans mémoire. Or, l’amnésie nous emprisonne dans le présent. On ne sort du présent que par la mémoire. Un homme qui oublierait tout à chaque instant ne pourrait que vivre dans le présent. Non seulement parce que le passé serait pour lui un livre fermé, mais parce que nous ne pouvons imaginer un futur qui serait fils du présent que si nous avons conscience que le présent est fils du passé.

Aujourd’hui tout pousse les gens – et c’est particulièrement vrai pour les jeunes – à ne vivre que dans le présent. Le passé c’est poussiéreux, c’est démodé, c’est archaïque, c’est sexiste, c’est raciste, bref, on n’a rien à apprendre de lui. Le mieux, c’est de l’oublier. Le prix de cet oubli, c’est la perte de toute capacité d’anticipation et donc de projection. De plus en plus les choix – de ceux de madame Michu à ceux du président de la République – se font sous le coup d’une émotion, autrement dit, sont le fruit du moment présent, et non d’une projection sur le futur. Ce que les experts en marketing appellent « l’achat d’impulsion », et qui s’étend à tous les domaines de l’échange humain. On fait ce que nous commande sur l’instant la colère, le désir, la peur, sans penser à l’après. Pas étonnant, dans ces conditions, que les conséquences de nos actes nous surprennent.

Cette surprise, on l’observe chaque jour, dans les grandes affaires comme dans les petites. Pensez à ces étudiants qui s’orientent vers la médecine ou le droit parce qu’ils ont vu à la télévision telle ou telle série et cela leur a donné l’envie de ressembler au bon docteur ou de défendre la veuve et l’orphelin, et qui abandonnent pour aller voir ailleurs au bout de quelques mois, lorsqu’ils comprennent que la réalité de ces métiers n’est pas celle des petits écrans. Pensez à votre collège qui se permet d’insulter son chef, et qui est tout surpris lorsque celui-ci le pousse vers la porte ou le convoque pour une sanction. A tel autre qui fait le service minimum, et s’indigne ensuite d’être pris pour un tire-au-flanc par ses collègues. A un autre encore qui part en congé sabbatique laissant ses affaires en plan, et ne comprend pas ensuite pourquoi ses collègues, qui ont fait son boulot, lui sont passés devant question promotion. Et par charité chrétienne je ne donnerai pas des exemples de notre président de la République, dont les déclarations intempestives faites sur une impulsion et sans tenir compte des conséquences ne surprennent même plus.  Des cas comme ceux-ci, j’en ai vu des centaines tout au long de ma carrière. Et à chaque fois, lorsque ces gens viennent pleurer sur mon épaule – car j’ai, parait-il, une épaule compatissante – je me demande à quoi ils s’attendaient. Et j’ai souvent une envie – à laquelle l’empathie m’empêche de céder – de leur répondre un peu comme dans le sketch ou le faux journaliste demandait à Mitterrand – joué par Thierry le Luron – ce qu’il avait à dire aux électeurs de gauche déçus après avoir voté pour lui, ce à quoi le faux Mitterrand répondait « je leur dirais… qu’ils n’avaient qu’à réfléchir avant ! ». Si les agresseurs de Samara ou de Shamseddine avaient « réfléchi avant », on n’en serait pas là.

Seulement voilà, le fait de « réfléchir avant » n’est pas naturel. Il est le résultat d’une éducation qui implique qu’on mette le principe de réalité au-dessus du principe de plaisir, ce qui suppose un rapport au temps particulier. C’est-à-dire, de comprendre que le temps est irréversible, et que de la même manière que les actes passés ont façonné notre présent, nos actes présents façonnent notre avenir. Une forme de pensée que notre société décourage systématiquement. Pensez à tout le discours, à l’école comme ailleurs, encourage les individus à faire preuve de « spontanéité », à « suivre leur cœur », qui fait de la « transgression » une valeur à promouvoir, et du calcul et de la règle des freins à l’émancipation de l’individu. C’est ce discours qu’ont suivi à la lettre les agresseurs de Samara ou de Shamseddine : ils ont « suivi leur cœur », en toute « spontanéité ». Et on ne peut pas leur reprocher de ne pas avoir été « transgressifs ».

Le problème, c’est que contrairement à ce que pensent les promoteurs de l’idéologie « libérale-libertaire », ce que le « cœur » nous dicte n’est pas forcément la chose à faire, la « spontanéité » aboutit souvent à blesser, et la « transgression » réduit généralement à néant des règles qui sont indispensables à la vie en société. Et on revient là au rapport au temps : la « spontanéité », la « transgression » sont des catégories qui se situent dans l’instant présent. Le calcul, la règle sont au contraire des catégories qui projettent dans l’avenir à partir des connaissances acquises dans le passé. 

C’est la spontanéité qu’aucun calcul, aucune empathie ne bride qui rend possibles des agressions comme celles de la semaine dernière. Ceux qui ont affiché – là encore, sans que personne ne s’émeuve – une publicité encourageant à « casser les codes » ne se rendent pas compte, eux non plus, de l’avenir qu’ils sont en train de nous préparer.

Descartes

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28 réponses à Le temps d’apprendre à vivre, il est déjà trop tard…

  1. Magpoul dit :

    @Descartes
    Bonjour et merci pour ce papier !
    Le manque d’empathie que vous décrivez est d’autant plus attristant quand on s’intéresse à certains individus des classes intermédiaires. Je me permet ici de parler de la misanthropie ambiante qui règne dans le discours de certains de mes collègues. J’ai entendu plusieurs fois certains dire que “l’Homme est pourri” que nous sommes une espèce horrible. J’avais posé la question suivante à une collègue: qui sauverez-vous entre un homme et un loup en cage (sauver l’un tue l’autre)? Elle m’avait répondu sans hésité: le loup ! Combien de fois ai-je entendu dire qu’il était plus supportable de faire souffrir un homme qu’un chien? Il y a chez certains cette haine envers l’Homme qui est terrible. Enlevez donc cette empathie envers le voisin, souhaitez la destruction de notre espèce, et on se retrouve avec des individus qui ne seront pas choqués quand il faudra partir en guerre, qui l’encourageront même. Car pour moi, l’absence d’empathie est un terreau fertile pour tout discours guerrier, et, en ce moment, l’état du monde est très préoccupant à ce sujet. 

    Lors d’autres agressions, les psychologues ont pu constater que les jeunes agresseurs sont souvent surpris lorsque la police vient les arrêter, et ne comprennent même pas pourquoi on vient leur chercher des poux dans la tête. Dans leur caboche, il n’y a pas de conséquences à leurs actes, pas « d’après ». 

    J’ai cru comprendre que notre justice et notre police ne vont pas au mieux. Il se peut également que certains de ces meurtriers puissent concevoir les conséquences de leurs actes…sauf qu’elles sont trop peu punitives pour les dissuader. Cette violence que vous décrivez est non seulement le fruit d’un manque d’empathie, mais aussi d’une faillite de notre capacité à punir. 
     

    • Descartes dit :

      @ magpoul

      [Je me permet ici de parler de la misanthropie ambiante qui règne dans le discours de certains de mes collègues. J’ai entendu plusieurs fois certains dire que “l’Homme est pourri” que nous sommes une espèce horrible. J’avais posé la question suivante à une collègue : qui sauverez-vous entre un homme et un loup en cage (sauver l’un tue l’autre) ? Elle m’avait répondu sans hésiter: le loup !]

      Je vous conseille une petite expérience. Demandez à votre collègue si sa réponse serait la même si l’homme à sacrifier… c’était elle. Et vous verrez ce qu’elle vous répond. Je ne sais pas s’il faut voir dans ce phénomène, inquiétant en effet, un rapport avec l’empathie. Je le rattacherais plutôt à la « haine de soi ». Ce réflexe national qui consiste à dire « les Français sont des veaux », avec le caveat implicite « sauf moi-même ».

      [Combien de fois ai-je entendu dire qu’il était plus supportable de faire souffrir un homme qu’un chien ? Il y a chez certains cette haine envers l’Homme qui est terrible.]

      Oui, mais cette haine exclut généralement celui qui parle. La catégorie « homme » ne semble jamais inclure celui qui énonce ce genre de propos. A l’heure de souffrir à la place du chien, personne n’est volontaire. Autrement dit, cette haine des « hommes » est en fait la haine des « autres hommes ». OU comme le disait Sartre, « l’enfer, c’est les autres ». C’est là plus une question d’égoïsme que d’empathie.

      Lors d’autres agressions, les psychologues ont pu constater que les jeunes agresseurs sont souvent surpris lorsque la police vient les arrêter, et ne comprennent même pas pourquoi on vient leur chercher des poux dans la tête. Dans leur caboche, il n’y a pas de conséquences à leurs actes, pas « d’après ».

      [J’ai cru comprendre que notre justice et notre police ne vont pas au mieux. Il se peut également que certains de ces meurtriers puissent concevoir les conséquences de leurs actes…sauf qu’elles sont trop peu punitives pour les dissuader.]

      Il ne faut pas exagérer. Si l’application des peines est irrégulière, on ne peut pas dire que notre système pénal ne soit pas dissuasif. Si vous avez eu l’opportunité de visiter une prison, vous aurez pu constater que les conditions de vie ne sont pas idylliques. La perspective de passer des mois voire des années dans ces conditions a de quoi faire peur. Seulement voilà, pour que cela vous fasse peur au moment de commettre le crime, il faut avoir de l’imagination, être capable d’anticiper les conséquences, et c’est là le problème. On voit des cas de gens qui, lorsqu’ils passent au tribunal, sont terrifiés par l’idée d’aller en prison. S’ils avaient été aussi terrifiés à l’heure de commettre leur crime, ils n’en seraient pas là.

      • Magpoul dit :

        @Descartes

        Je vous conseille une petite expérience. Demandez à votre collègue si sa réponse serait la même si l’homme à sacrifier… c’était elle. Et vous verrez ce qu’elle vous répond. Je ne sais pas s’il faut voir dans ce phénomène, inquiétant en effet, un rapport avec l’empathie. Je le rattacherais plutôt à la « haine de soi ». Ce réflexe national qui consiste à dire « les Français sont des veaux », avec le caveat implicite « sauf moi-même ».

        Malheureusement, cette collègue est partie de notre groupe de recherche…C’est celle-là même qui m’avait un jour dit qu’elle ne sentait pas avoir une dette envers la société Allemande pour lui avoir permis de faire son doctorat. Elle a terminé son doctorat précipitamment à cause d’un conflit avec mon superviseur. Coïncidence? 
        La haine de soi (ou haine des autres) est, je pense, une façon de montrer une supériorité morale, trait typique de notre classe sociale: “Nous sommes tous pourri mais MOI je l’admet et le reconnais, regardez donc comme je suis au-dessus de la mêlée”. C’est une façon de se distinguer qui ne demande pas le moindre effort. Pourquoi travailler si l’on peut parler?
        Ne pensez-vous pas que l’égoïsme peut mener à un manque d’empathie? Il est vrai que je n’oserai pas accuser ma collègue de cela. Elle avait des discours misanthrope terribles, mais elle pouvait se montrer tout à fait adorable et disponible pour aider, moi le premier. Néanmoins, un individu qui pense avant tout à lui peut tout à fait tomber dans le manque d’empathie si sa situation personnelle est en danger. J’ai déjà vu des personnes douces comme des brebis se transformer en granit quand il s’agissait de faire preuve d’empathie envers quelqu’un qui leur a causé tort. 

        Il ne faut pas exagérer. Si l’application des peines est irrégulière, on ne peut pas dire que notre système pénal ne soit pas dissuasif. Si vous avez eu l’opportunité de visiter une prison, vous aurez pu constater que les conditions de vie ne sont pas idylliques. La perspective de passer des mois voire des années dans ces conditions a de quoi faire peur. Seulement voilà, pour que cela vous fasse peur au moment de commettre le crime, il faut avoir de l’imagination, être capable d’anticiper les conséquences, et c’est là le problème. On voit des cas de gens qui, lorsqu’ils passent au tribunal, sont terrifiés par l’idée d’aller en prison. S’ils avaient été aussi terrifiés à l’heure de commettre leur crime, ils n’en seraient pas là.

        J’admet que j’ai commencé cette discussion sur les conséquences des actes et la punition. Néanmoins, je m’en rend compte maintenant: est-ce vraiment en relation avec l’empathie? Si ce qui dissuade un meurtrier de passer à l’acte est uniquement la conséquence POUR LUI, alors je crois que nous sommes hors-sujet. Au fond, ce qui devrait dissuader est en effet qu’il se mette à la place de sa victime, et qu’il comprenne les torts qu’il s’apprête à lui faire. Vous avez écrit que l’empathie s’apprend dès le plus jeune âge. Comment pourrait-on, chez des personnes comme ces meurtriers, la réimplémenter? Sont-ils complètement incapables d’empathie? Ou seulement envers les gens de leurs communauté et de leur clan? 

        • Descartes dit :

          @ Magpoul

          [La haine de soi (ou haine des autres) est, je pense, une façon de montrer une supériorité morale, trait typique de notre classe sociale : “Nous sommes tous pourri mais MOI je l’admet et le reconnais, regardez donc comme je suis au-dessus de la mêlée”. C’est une façon de se distinguer qui ne demande pas le moindre effort. Pourquoi travailler si l’on peut parler ?]

          Je ne l’avais jamais vu sous cet angle, mais je trouve celui-ci intéressant. Effectivement, c’est une manière de se distinguer, de se séparer de la masse. Mais c’est en même temps un raisonnement paradoxal, puisqu’il consiste à dévaloriser le groupe auquel on appartient tout en s’excluant implicitement de celui-ci. Il est vrai que vous distinguer en dévalorisant un groupe auquel vous n’appartenez pas vous expose à l’accusation de racisme/sexisme/xénophobie/validisme/etc., alors qu’un français qui dit « les français sont des imbéciles » peut difficilement tomber dans l’une de ces catégories. Peut-être est-ce là qu’il faut chercher l’explication au fait que la « haine de soi » est en France bien plus répandue à gauche qu’à droite ?

          [Ne pensez-vous pas que l’égoïsme peut mener à un manque d’empathie?]

          Vaste question. Par certains côtés, la réponse est positive. Si vous voulez prendre les biens de votre voisin par la force, vous devez au préalable désarmer les mécanismes qui vous feraient souffrir de sa souffrance. On l’a bien vu avec l’idéologie nazie : pour rendre possible la déportation des juifs ou des communistes, il fallait d’abord les des-humaniser, en faire des « virus » ou des « insectes » nuisibles qu’on pouvait exterminer sans souffrir. La lecture des mémoires de Rudolf Höss, le chef du camp d’Auschwitz est de ce point de vue passionnante, parce qu’elle montre un homme qui a fait un effort tout à fait conscient pour bannir tout sentiment d’empathie, alors qu’il n’en était pas totalement dépourvu.

          [Il est vrai que je n’oserai pas accuser ma collègue de cela. Elle avait des discours misanthrope terribles, mais elle pouvait se montrer tout à fait adorable et disponible pour aider, moi le premier.]

          Ne soyez pas trop sévère avec elle. Il y a beaucoup de gens qui répètent les discours tous faits qu’ils entendent dans les médias sans même en comprendre les conséquences logiques. Combien de fois entend-t-on des gens répéter que le monde serait meilleur si les hommes « gardaient leur âme d’enfant », sans jamais réaliser que ce qui caractérise l’enfant c’est l’égoïsme, l’ignorance, l’irresponsabilité ? Combien d’écologistes proclament que « le monde serait meilleur sans l’homme », sans se rendre compte que l’idée même de « meilleur » est une création humaine…

          [Néanmoins, un individu qui pense avant tout à lui peut tout à fait tomber dans le manque d’empathie si sa situation personnelle est en danger. J’ai déjà vu des personnes douces comme des brebis se transformer en granit quand il s’agissait de faire preuve d’empathie envers quelqu’un qui leur a causé tort.]

          Il y a dans votre raisonnement une confusion sur le mot « empathie ». L’empathie est le mécanisme psychologique par lequel vous souffrez de la souffrance de l’autre. Si cette souffrance est une barrière qui nous dissuade de faire souffrir l’autre, ce n’est nullement une barrière absolue. Beaucoup de gens sont prêts à souffrir si la récompense est suffisante. Et dans ce cas, on fait souffrir l’autre malgré l’empathie, et non parce qu’elle est absente.

          [J’admets que j’ai commencé cette discussion sur les conséquences des actes et la punition. Néanmoins, je m’en rend compte maintenant : est-ce vraiment en relation avec l’empathie ? Si ce qui dissuade un meurtrier de passer à l’acte est uniquement la conséquence POUR LUI, alors je crois que nous sommes hors-sujet.]

          Je n’ai pas dit que ce qui dissuade les hommes de commettre des actes de délinquance soit UNIQUEMENT l’empathie. C’est, il est vrai, un frein puissant lorsqu’il s’agit d’un acte qui fait souffrir quelqu’un d’autre. Mais cela ne peut pas être le seul, entre autres choses parce qu’il y a beaucoup d’actes de délinquance qui ne font souffrir – du moins directement – personne. En quoi l’empathie pourrait vous empêcher par exemple de voler une boite de raviolis dans un hypermarché ? Quelle serait la souffrance de l’autre qui pourrait vous en dissuader ? Non, dans ce cas ce qui vous dissuade, ce sont les conséquences POUR VOUS que vous projetez. Conséquences que souvent vous avez internalisé par votre éducation, et qui ne se posent même pas en tant que telles.

          L’empathie et la capacité de projection se complémentent donc. Ce que les faits divers dont je parle dans mon papier nous montrent c’est que les DEUX mécanismes sont aujourd’hui de moins en moins opérants.

          [Au fond, ce qui devrait dissuader est en effet qu’il se mette à la place de sa victime, et qu’il comprenne les torts qu’il s’apprête à lui faire.]

          Cela fonctionne lorsque les torts retombent sur une victime désignée qui en souffre. Mais dans les cas comme le vol dans un supermarché ou la fraude fiscale, le « tort » est tellement dilué qu’il est difficile pour quiconque de souffrir de la souffrance de l’autre… Et vous noterez d’ailleurs que cela fonctionne très bien en pratique : il est plus difficile de voler un commerçant de quartier qu’on connaît personnellement que de le faire dans un hypermarché.

          [Vous avez écrit que l’empathie s’apprend dès le plus jeune âge. Comment pourrait-on, chez des personnes comme ces meurtriers, la réimplémenter ? Sont-ils complètement incapables d’empathie ?]

          Je ne sais pas, je ne connais pas assez le sujet. Je sais que les psychopathes sont en général incapables d’empathie, et qu’il n’y a pas vraiment de traitement qui répare ça. Peut-être existe-t-il des moyens de développer l’empathie chez ceux qui n’ont pas eu une éducation « empathique » ? J’avoue ma crasse ignorance sur le sujet.

          [Ou seulement envers les gens de leur communauté et de leur clan ?]

          Il est clair que l’empathie est d’autant plus forte qu’on peut s’identifier à l’autre – autrement dit, que l’autre nous ressemble, qu’on a une histoire commune.

  2. Manchego dit :

    @ Descartes
    ***Le capitalisme avancé nécessite des individus qui n’agissent que par intérêt, sans aucune digue morale.***
    Je me souviens d’un slogan du PCF des années 70 : “Le capitalisme est malade, qu’il crève!
    50 ans plus tard, on observe que le capitalisme n’est pas mort, il a su s’adapter et évoluer. J’ai tendance à penser que si le capitalisme n’a aucun mal à trouver des individus qui n’agissent que par intérêt, c’est qu’il est en phase avec la nature profonde d’Homo sapiens, c’est ce qui fait sa force.
    A contrario, une organisation basée sur le collectif, la solidarité, la décence dans les rapports humains… c’est un système pensé où la raison prend le pas sur l’instinct, mais si à ce jour le socialisme ne s’est pas imposé c’est qu’il s’accorde mal avec notre nature humaine.
    Pour reprendre l’expression célèbre de Rosa Luxembourg, nous avions le choix entre socialisme ou barbarie, nous avons pris la mauvaise pente je crois (ou plutôt c’est la gravité qui nous a poussé dans le sens de la pente).

    • Descartes dit :

      @ Manchego

      [Je me souviens d’un slogan du PCF des années 70 : “Le capitalisme est malade, qu’il crève!”]

      Je ne me souviens pas de ce slogan. Mais le moins qu’on peut dire c’est que celui qui l’a inventé a manqué de clairvoyance. Cela me rappelle une autre blague : « savez-vous pourquoi le capitalisme est au bord du précipice ? Parce qu’il regarde le communisme, qui est au fond ».

      A la fin des années 1960, lorsque le niveau de vie remonte en flèche en URSS alors qu’en occident les « trente glorieuses » arrivent à leur fin, on pouvait imaginer que le capitalisme entrait en crise. Seulement voilà, on n’a pas compris à l’époque que les « classes intermédiaires » que la croissance était en train de produire en URSS n’allaient pas longtemps supporter l’inefficacité du modèle productif, et que le capitalisme occidental avait des ressources pour continuer son expansion en se débarrassant des contraintes du modèle keynésien.

      [50 ans plus tard, on observe que le capitalisme n’est pas mort, il a su s’adapter et évoluer. J’ai tendance à penser que si le capitalisme n’a aucun mal à trouver des individus qui n’agissent que par intérêt, c’est qu’il est en phase avec la nature profonde d’Homo sapiens, c’est ce qui fait sa force.]

      C’est à mon sens une observation très importante. Je ne partage pas l’idée que le capitalisme soit « en phase avec la nature profonde d’Homo Sapiens », en tout cas pas plus que n’importe quel mode de production antérieur. Par contre, je pense que les idéologues du mouvement ouvrier se sont beaucoup trop reposé dans une vision volontariste, dans une capacité à créer un « homme nouveau » miraculeusement débarrassé de tout égoïsme, alors qu’il faut partir toujours de l’homme tel qu’il est – et qui n’est pas toujours beau à voir. C’est une part d’idéalisme dont même ceux qui par ailleurs adhéraient au matérialisme marxiste n’ont pas réussi à se débarrasser.

      La force du capitalisme, c’est de prendre les hommes comme ils sont. Et si le socialisme veut le remplacer, il doit faire de même.

      [A contrario, une organisation basée sur le collectif, la solidarité, la décence dans les rapports humains… c’est un système pensé où la raison prend le pas sur l’instinct, mais si à ce jour le socialisme ne s’est pas imposé c’est qu’il s’accorde mal avec notre nature humaine.]

      Je ne suis pas d’accord. Le socialisme ne s’imposera que s’il est capable de satisfaire les désirs et les besoins humains mieux que le capitalisme. Or, on sait que dans certains contextes la solidarité, la décence, le collectif permet de mieux satisfaire l’homme que le chacun pour soi. La preuve en est que depuis qu’on est sorti de l’état de nature, les civilisations humaines se sont constituées en renforçant le collectif, la solidarité, la décence dans les rapports. Le capitalisme n’est peut-être pas très bon de ce point de vue, mais il est nettement meilleur que la féodalité ou le mode de production antique. Si la « nature humaine » était telle que vous la pensez et s’imposait, on serait encore dans la « guerre de tous contre tous ».

      [Pour reprendre l’expression célèbre de Rosa Luxembourg, nous avions le choix entre socialisme ou barbarie, nous avons pris la mauvaise pente je crois (ou plutôt c’est la gravité qui nous a poussé dans le sens de la pente).]

      Si Rosa Luxembourg a dit ça – et je veux parler d’un travail théorique, pas d’une déclaration de tribune – alors elle va contre tout ce que soutient Marx. Le capitalisme, ce n’est pas « la barbarie ». Lisez le « Manifeste », et vous verrez.

  3. marc.malesherbes dit :

    votre avis est biaisé par le désir de voir le réel à partir de votre idéologie.
     
    De tous temps les criminels, isolés ou en groupe, ne sont jamais allés « appeler les secours » « se dénoncer à la police » « ne se sont souciés des conséquences »
     
    Cela n’a rien à voir avec le capitalisme, l’idéologie libérale, marchande. D’ailleurs en France depuis l’après guerre le taux d’homicide n’a cessé de baisser, bien que le capitalisme, le libéralisme se soient considérablement développés.
     
    nb : d’après A Bauer, il y aurait une tendance récente en France à la remontée du taux d’homicide, qui n’a rien avoir avec le développement du capitalisme, du libéralisme, mais tout à voir avec la présence numériquement plus importante de populations venant du Sud et de leurs descendants ou la tradition de « tuer au couteau ou autrement » est encore bien vivante. Les indications ethnoculturelles, approximatives, corroborent le phénomène (prenons le cas des deux agressions que vous signalez)

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [votre avis est biaisé par le désir de voir le réel à partir de votre idéologie.]

      Si on va par-là, le vôtre aussi. Qui peut se prévaloir d’un avis qui ne serait pas influencé par son idéologie ? Ce point étant établi, on peut regarder vos arguments sur le fond. Parce que ce n’est pas parce qu’un avis est « biaisé par l’idéologie » qu’il est pour autant faux…

      [De tous temps les criminels, isolés ou en groupe, ne sont jamais allés « appeler les secours » « se dénoncer à la police » « ne se sont souciés des conséquences »]

      Bien sur que si. Ainsi, on connaît beaucoup d’affaires où le criminel a cherché par tous les moyens à effacer ses traces. Pourquoi le faire, sauf si on « anticipe les conséquences » ? Et vous avez tort de croire que les auteurs de délits ou de crimes ne se dénoncent « jamais » : dans le cas d’un crime commis dans un moment d’égarement, ou bien de coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner (ce qui semble être le cas dans l’affaire qui nous occupe), il n’est pas rare que le criminel appelle lui-même les secours ou la police. Certains criminels se punissent d’ailleurs eux-mêmes : combien de meurtriers dans le cadre de violences familiales se suicident sitôt leur forfait accompli ?

      [Cela n’a rien à voir avec le capitalisme, l’idéologie libérale, marchande.]

      Si vous le dites… mais je note que j’ai écrit quatre pages pour exposer ma théorie, et que vous vous permettez de l’effacer en une phrase. Sans me vanter, je pense avoir argumenté ma position mieux que vous.

      Cela étant dit, je vous invite à une petite réflexion. La perte d’empathie, le rapport présentiste au temps n’est pas un phénomène purement français. C’est un phénomène mondial, même s’il prend des formes différentes selon les cultures et l’histoire de chaque pays. Comment expliqueriez-vous cela ? Qu’est ce qui a changé, ET QUI A CHANGE PARTOUT EN MEME TEMPS OU PRESQUE, pour provoquer un tel phénomène ? Si ce n’est pas la transformation du mode de production qui en est à l’origine, alors quoi ?

      [D’ailleurs en France depuis l’après-guerre le taux d’homicide n’a cessé de baisser, bien que le capitalisme, le libéralisme se soient considérablement développés.]

      Je ne sais pas d’où vous sortez vos chiffres. Si je crois les chiffres du service statistique ministériel de la sécurité intérieure, entre 2016 et 2022, les tentatives d’homicide ont augmente en moyenne de 8% l’an. Elles étaient 2259 en 2016, 3584 en 2022. Les victimes fatales ont aussi augmenté de 17% sur la même période : elles étaient 816 en 2020, 959 en 2022. Et je ne vous parle même pas, pour ne pas vous stresser, des meurtres tentés ou commis par des mineurs.

      Il est vrai qu’il y a un recul continu des violences sur les personnes en général pendant les « trente glorieuses », c’est-à-dire, quand les visions libérales de l’avant-guerre étaient marginalisées par le keynésianisme… mais ça, c’est du passé. Depuis longtemps la courbe s’est inversée…

      [nb : d’après A Bauer, il y aurait une tendance récente en France à la remontée du taux d’homicide,]

      Attendez… vous me dites plus haut que « en France depuis l’après-guerre le taux d’homicide n’a cessé de baisser », et maintenant vous cherchez une explication à la « remontée du taux d’homicides » ? Faudrait savoir…

      [(…) qui n’a rien avoir avec le développement du capitalisme, du libéralisme, mais tout à voir avec la présence numériquement plus importante de populations venant du Sud et de leurs descendants ou la tradition de « tuer au couteau ou autrement » est encore bien vivante.]

      Je ne sais pas. Est-ce que la « présence des populations venant du Sud » est plus importante aujourd’hui que dans les années 1950, quand espagnols, italiens, portugais et maghrébins venaient chez nous en masse ? Est-ce que pour un même niveau social le taux d’homicides chez les « populations venant du Sud » est plus élevé que chez les autres ?

      [Les indications ethnoculturelles, approximatives, corroborent le phénomène (prenons le cas des deux agressions que vous signalez)]

      Ou pas. Parce que si vous postulez que les pauvres s’entretuent plus que les riches, les deux exemples corroboreront tout aussi bien la théorie.

  4. Guy dit :

    Ce phénomène de désintégration de l’empathie et d’absence totale d’imaginer les conséquences d’un assassinat n’est pas si récent que cela. Vous souvenez-vous de l’affaire Hattab-Sarraud-Subra, dont Bertrand Tavernier fit un film ? Elle remonte à fin 1984, il y donc presque 40 ans. Ce n’est qu’au moment de sa condamnation à perpétuité (dont elle ne fera que les 18 années incompressibles) que Valérie Subra réalisera la réalité de son acte.

    • Descartes dit :

      @ Guy

      [Ce phénomène de désintégration de l’empathie et d’absence totale d’imaginer les conséquences d’un assassinat n’est pas si récent que cela. Vous souvenez-vous de l’affaire Hattab-Sarraud-Subra, dont Bertrand Tavernier fit un film ? Elle remonte à fin 1984, il y donc presque 40 ans.]

      Bien sûr. Mais l’affaire en question apparaissait à l’époque comme une situation exceptionnelle, pathologique. Et si elle avait provoqué une émotion considérable dans l’opinion, c’était précisément parce qu’elle apparaissait comme tout à fait exceptionnelle. Ce qui est nouveau, ce n’est pas la situation en tant que telle, c’est qu’elle devient presque banale, au point qu’on peut avoir deux affaires de ce type la même semaine. Et je doute fort qu’un Tavernier vienne faire un film sur elles, tant elles font partie d’une certaine « normalité » (et ne parlons même pas de l’épouvantail « il ne faut pas faire le jeu de l’extrême droite »).

      Vous noterez d’ailleurs que le film ne date pas des années 1980 mais bien du milieu des années 1990. La révolution néolibérale et les “années fric” étaient passées par là. Morgan Sportes, à qui on doit le livre “l’Appat” d’où es tiré le film, voyait l’affaire moins sous l’angle de la perte de l’empathie que de la manière dont l’appât du gain s’impose dans notre société capitaliste comme raison valable de violer toutes les règles morales. C’est là à mon avis une analyse qui ne va pas assez loin dans l’examen des mécanismes par lesquels ce résultat est atteint.

  5. Reddawks dit :

    Votre article me fait beaucoup réfléchir. Votre notion du présent comme valeur cardinale du capitalisme est rafraîchissante. Elle n’est pas sans me rappeler la thèse du philosophe Peter Sloterdijk, exposée en français dans son livre “Après nous, le déluge”. Ce dernier explore toutes les ramifications du maintenant et de l’ici. C’est d’ailleurs un livre relativement abordable, dont je ne peux que vous conseiller la lecture.Merci encore pour la stimulation intellectuelle!

    • Descartes dit :

      @ Reddawks

      [Votre notion du présent comme valeur cardinale du capitalisme est rafraîchissante. Elle n’est pas sans me rappeler la thèse du philosophe Peter Sloterdijk, exposée en français dans son livre “Après nous, le déluge”.]

      En effet… j’aime beaucoup lire Sloterdkijk, même si on ne peut pas dire qu’idéologiquement il soit de la même crémerie que moi.

  6. Paul dit :

    “Je sais que les psychopathes sont en général incapables d’empathie, et qu’il n’y a pas vraiment de traitement qui répare ça. Peut-être existe-t-il des moyens de développer l’empathie chez ceux qui n’ont pas eu une éducation « empathique » ?”
    Cette question rejoint le sujet du film “l’orange mécanique”. Les structures de soins psychiatriques se sont toujours trouvées dans l’impuissance quant à ces sujets, qui en outre mettent à mal les structures elles-mêmes. Les structures carcérales ne sont pas mieux loties.
    Cependant, j’ai tendance à me méfier de la tendance à étiqueter ces sujets: psychopathes, états limites, pervers narcissiques, pathologies narcissiques, etc… Où comment plaquer des mots “savants” mais vulgarisés, en fait pour mieux rejeter des sujets en souffrance.
    Car souffrance il y a chez ces personnes, souffrance si insupportables pour eux qu’ils doivent les extérioriser. Soit en s’excluant, se scarifiant, se suicidant, se clochardisant, soit en projetant la responsabilité de leur souffrance sur l’autre, et donc en l’éliminant ou en jouant comme d’un objet.
    On peut penser, et je le pense, que c’est la résultante d’un système familial dont le père est exclu en tant que tiers reconnu comme vecteur d’une transcendance sociétale. La fonction paternelle (qui ne se résume pas au père réel) est de faire vivre dans la cellule familiale le pacte social qui assure l’autorité. Sans ce tiers, pas d’autre possible pour celui qui n’est que dans le corps à corps. L’un et l’autre ne font guère plus qu’un. L’empathie supposant la reconnaissance de l’autre distinct, difficile de la développer.
    La solution, individuelle bien sûr, ne peut être qu’à la source: élever le sujet, l’amener à se situer membre, avec ses pairs, d’un système dont le respect de soi et de l’autre sont dynamiques.  
    Sur le plan collectif, c’est une des données de l’assimilation, adhérer à notre culture qui reconnait le principe de l’autorité paternelle comme élément fondamental du pacte hobbesien. Mais notre culture le reconnait-elle encore ?

    • Descartes dit :

      @ Paul

      [Cette question rejoint le sujet du film “l’orange mécanique”.]

      Pas tout à fait. Le sujet de Burgess est plutôt celui du libre arbitre : le personnage se voit privé de la possibilité de mal agir et de l’amour du beau, les deux choses qui pour Burgess font notre humanité.

      [Les structures de soins psychiatriques se sont toujours trouvées dans l’impuissance quant à ces sujets, qui en outre mettent à mal les structures elles-mêmes. Les structures carcérales ne sont pas mieux loties.]

      Alors qu’est-ce qu’on fait ? La peine de mort ?

      [Cependant, j’ai tendance à me méfier de la tendance à étiqueter ces sujets: psychopathes, états limites, pervers narcissiques, pathologies narcissiques, etc… Où comment plaquer des mots “savants” mais vulgarisés, en fait pour mieux rejeter des sujets en souffrance.]

      En êtes-vous si sûr ? A quoi voyez-vous la « souffrance » chez le psychopathe ? Qu’ils font souffrir les autres, c’est certain. Mais souffrent-ils eux-mêmes de leur condition – au-delà des souffrances qui font partie de la vie de tout être humain ? Certains probablement, mais d’autres mènent des vies tout à fait satisfaisantes…

      [On peut penser, et je le pense, que c’est la résultante d’un système familial dont le père est exclu en tant que tiers reconnu comme vecteur d’une transcendance sociétale. La fonction paternelle (qui ne se résume pas au père réel) est de faire vivre dans la cellule familiale le pacte social qui assure l’autorité. Sans ce tiers, pas d’autre possible pour celui qui n’est que dans le corps à corps. L’un et l’autre ne font guère plus qu’un. L’empathie supposant la reconnaissance de l’autre distinct, difficile de la développer.]

      Tout à fait d’accord. Ce n’est pas par hasard si ces pathologies sociales se multiplient lorsque la figure symbolique du père s’efface. Le père est effectivement celui qui rompt la fusion du cocon familial pour y amener la loi de la société, et c’est aussi lui qui amène l’enfant à sortir de ce cocon. Lorsque la mère occupe tout l’espace symbolique, il n’y a personne pour rompre cette fusion.

      [Sur le plan collectif, c’est une des données de l’assimilation, adhérer à notre culture qui reconnait le principe de l’autorité paternelle comme élément fondamental du pacte hobbesien. Mais notre culture le reconnait-elle encore ?]

      Excellente question…

      • Paul dit :

        (Alors qu’est-ce qu’on fait ? La peine de mort ?)
        Ce n’est pas ce que je dis. La solution est éducative, le plus précocement possible. Dès le plus jeune âge, avec également un accompagnement familial. 
        Ensuite, des centres éducatifs, avec ou sans contrainte ou placement. C’est du ressort alors de la PJJ
         

        • Descartes dit :

          @ Paul

          [Ce n’est pas ce que je dis. La solution est éducative, le plus précocement possible. Dès le plus jeune âge, avec également un accompagnement familial.]

          Je vous rappelle que ma remarque suivait votre commentaire concernait les psychopathes. Je crains donc qu’une “solution éducative” ne soit pas suffisante, accompagnement familial ou pas. Je crains qu’à un certain moment il nous faille admettre que certains problèmes n’ont pas de solution, que certaines pathologies ne peuvent pas être guéries, que certains individus sont dangereux pour le reste d’entre nous et le resteront, quoi qu’on en fasse.

          Je sais que cette limitation n’est pas facile d’accepter, parce qu’il est difficile d’admettre notre impuissance. Et c’est particulièrement difficile d’admettre pour les personnels soignants, parce que la logique du soin nécessite de la part de celui qui la pratique une forme de toute-puissance, et pour les familles parce qu’il leur faut continuer à vivre avec la personne en question. Mais il reste que le traitement de ces individus est un choix social. Si nous les laissons en liberté, alors il nous faut admettre le risque qu’ils blessent ou tuent quelqu’un, et lorsque cela arrive ne pas aller chercher des coupables.

  7. maleyss dit :

    On en revient donc au sujet que nous évoquions récemment : l’effondrement de la notion de responsabilité individuelle, autrement dit, de la conscience d’une relation entre nos actes et les conséquences d’iceux. Lorsque vous accusez la société “libérale-libertaire”, vous conviendrez que c’est plus le volet “libertaire” qui est en cause, le libéralisme dans son acception première supposant des citoyens libres, donc ipso facto responsables de leurs actes.
    J’y vois pour ma part la conjonction de facteurs très variés :
    – Le laxisme généralisé de la justice : plus que la sévérité de la peine, c’est à mon avis la certitude de la punition qui est la plus dissuasive, ainsi que la “vérité” de la peine : un individu condamné à cinq ans de prison doit, sauf conduite exceptionnelle, faire cinq ans de prison, le contraire conduisant à un sentiment d’impunité.
    – L’omniprésence et omnipotence de l’Etat-providence qui induit un comportement de type “je peux me permettre de faire tout ce qui me passe par la tête, l’état sera là pour ramasser les morceaux et payer les pots cassés.”
    – La disparition d’instances tutélaires : je ne pense pas forcément  à l’Eglise, du moins pas uniquement, mais plus à la famille, au village, au quartier : lorsqu’on vivait sous le regard permanent de la communauté, il était recommandé de “bien se tenir”, non seulement à cause du qu’en-dira-t’on, mais aussi parce que, dans une société basée sur l’entraide, on était moins enclin à porter assistance à un fainéant, à un ivrogne ou à un malhonnête. 
    – La “libération des mœurs”, qui n’est rien d’autre que la disparition de la  notion de responsabilité. D’où l’effondrement de la famille en tant que construction durable. D’où la multiplication de ces “familles” décomposées, issues de personnes ne semblant pas imaginer qu’avoir des enfants emporte certaines obligations.
    – Sans préjudice de certaines causes mineures telles que la pseudo-bienveillance qui est demandée aux enseignants, par exemple dans leur notation, avec comme corollaire  la disparition de la récompense de l’effort et du mérite.
    Certes, la société marchande favorisant le consommateur, plutôt que le citoyen, et flattant son ego (”parce que je le vaux bien” et autres) est peut-être la première des responsables de cet état de fait qui, vous l’avouerez, est multifactoriel.
     

    • Descartes dit :

      @ maleyss

      [On en revient donc au sujet que nous évoquions récemment : l’effondrement de la notion de responsabilité individuelle, autrement dit, de la conscience d’une relation entre nos actes et les conséquences d’iceux.]

      Là, vous passez un peu trop rapidement d’un concept à l’autre. Ce n’est pas parce qu’on a conscience des conséquences de nos actes que nous nous sentons « responsables » de celles-ci. Pensez par exemple au criminel qui assassine une personne pour lui voler, et qui ensuite explique que son geste est la conséquence de la maltraitance à laquelle il a été soumis de la part de ses parents et de la société. Le fait d’être conscient que c’est son coup de poignard qui a causé la mort ne le fait pas pour autant se sentir « responsable » de cette dernière.

      A l’inverse, on peut se sentir « responsable » d’une conséquence imprévue – et même imprévisible. On peut se sentir responsable du suicide d’un proche, alors qu’on n’avait aucun moyen de l’empêcher.

      [Lorsque vous accusez la société “libérale-libertaire”, vous conviendrez que c’est plus le volet “libertaire” qui est en cause, le libéralisme dans son acception première supposant des citoyens libres, donc ipso facto responsables de leurs actes.]

      Je ne crois pas qu’on puisse séparer les deux volets. Avec l’approfondissement du capitalisme, le libéralisme classique ne pouvait que dériver vers la logique « libérale-libertaire ».

      [– Le laxisme généralisé de la justice : plus que la sévérité de la peine, c’est à mon avis la certitude de la punition qui est la plus dissuasive, ainsi que la “vérité” de la peine : un individu condamné à cinq ans de prison doit, sauf conduite exceptionnelle, faire cinq ans de prison, le contraire conduisant à un sentiment d’impunité.]

      En tant que pétition de principe, je ne peux qu’être d’accord. Cependant, la punition n’est « dissuasive » que si vous êtes capable de l’anticiper. Or, c’est bien là que le bât blesse : vous vous trouvez devant une part de la population de plus en plus importante qui agit par impulsion, sans aucun calcul. Or, il est très difficile de « dissuader » une impulsion…

      [– L’omniprésence et omnipotence de l’Etat-providence qui induit un comportement de type “je peux me permettre de faire tout ce qui me passe par la tête, l’état sera là pour ramasser les morceaux et payer les pots cassés.”]

      Je pense que vous exagérez « l’omniprésence et l’omnipotence de l’Etat -providence ». Je veux bien qu’on lui attribue bien des pouvoirs qu’il n’a pas, mais personne ne pense qu’il ait le pouvoir de ressusciter les morts. Ceux qui ont tué Shamseddine savent parfaitement que c’est au-dessus des pouvoirs de l’Etat de « ramasser les morceaux ». Et même sur des questions plus banales : l’Etat pourvoit jusqu’à un certain point à votre santé, peut vous aider sur le logement… mais si vous ne foutez rien à l’école et sortez sans diplôme, vous aurez un boulot de merde – ou pas de boulot du tout – et personne n’ira vous rattraper. Il ne faut pas exagérer la puissance ou la présence de l’Etat. Même si un filet de sécurité existe, il ne vous garantit que la survivance.

      [– La disparition d’instances tutélaires : je ne pense pas forcément à l’Eglise, du moins pas uniquement, mais plus à la famille, au village, au quartier : lorsqu’on vivait sous le regard permanent de la communauté, il était recommandé de “bien se tenir”, non seulement à cause du qu’en-dira-t’on, mais aussi parce que, dans une société basée sur l’entraide, on était moins enclin à porter assistance à un fainéant, à un ivrogne ou à un malhonnête.]

      Je trouve drôle que parmi les « instances tutélaires », vous ne fassiez pas mention de l’Etat… Vous ne pouvez pas avoir le beurre et l’argent du beurre : si vous voulez la « responsabilité individuelle », alors il vous faut un individu totalement libre – car comment serait-on responsable des conséquences de ses décisions alors qu’on ne les prend pas librement ? Or, les « instances tutélaires » portent par définition une attente à la liberté individuelle lorsqu’elles exercent leur « tutelle ». Si je prend une décision sous la pression de ma communauté, suis-je « responsable » de ses conséquences ?

      [– La “libération des mœurs”, qui n’est rien d’autre que la disparition de la notion de responsabilité. D’où l’effondrement de la famille en tant que construction durable. D’où la multiplication de ces “familles” décomposées, issues de personnes ne semblant pas imaginer qu’avoir des enfants emporte certaines obligations.]

      Là encore, vous tombez sur la même contradiction. Si nos décisions ne sont pas libres, si nos choix moraux sont liés à une pression communautaire, alors nous ne pouvons pas être considérés comme « responsables », et la notion même de « responsabilité individuelle » s’effondre.

  8. cdg dit :

    Diable, la disparition de l empathie est liee au liberalisme… Si les gens assassinaient (souvent de facon atroce) leurs voisins pendant les guerres de religion, c est a cause du liberalisme. Si les agents du NKVD torturaient des innocents pour leur extorquer des aveux ca n a rien a voir avec le demande de remplir le quota de traitres et saboteurs demandé par moscou mais c est a cause d Adam Smith …
     
    Quant a la debilite de certains acteurs, qui se rendent meme pas compte des consequences de leurs actes, je suis pas sur que ca soit aussi particulier a notre epoque. J avais lu un livre sur les affaires criminelles au XIX en savoie (c etait basé sur les archives judiciaires). J en etait resté confondu par la stupidité des coupables. C etait du genre a fendre la tete du voisin et  apres dissumuler le corps juste derriere chez soi hiszoire qu il soit facilement retrouve et que les soupcons se portent tout de suite sur vous
     
    Il y a certes dans nos societes une glorification de la triche et de l argent facile (cf Tapie), mais n oubliez pas que si Tapie ets devenu riche c est pas grace au liberalisme (ses affaires n ont jamais bien marché) mais grace a l etat (Mitterrand puis Sarkozy)
     

    • Descartes dit :

      @ cdg

      [Diable, la disparition de l’empathie est liée au libéralisme… Si les gens assassinaient (souvent de façon atroce) leurs voisins pendant les guerres de religion, c’est à cause du libéralisme. Si les agents du NKVD torturaient des innocents pour leur extorquer des aveux ça n’a rien à voir avec la demande de remplir le quota de traitres et saboteurs demandé par Moscou mais c’est à cause d’Adam Smith …]

      Je ne comprends pas très bien votre raisonnement – si on me pardonne l’abus de langage. Au cours de l’histoire, les gens ont tué ou torturé leurs semblables pour beaucoup de raisons différentes. Qu’est ce qui vous fait penser qu’il y a une motivation commune aux tortionnaires du NKVD et à ceux qui assassinaient leurs voisins pendant les guerres de religion ?

      Votre « argument » ici, c’est la bonne technique de faire dire à l’autre ce qu’il n’a pas dit, pour ensuite le réfuter. Je n’ai pas dit que le libéralisme soit lié à tous les actes de violence de l’histoire. J’ai dit que le libéralisme – dans sa variante néolibérale – est intimement lié à une forme de violence très précise, à savoir, ce qu’on appelle « l’ultra violence ». Alors, laissons de côté le NKVD, les fanatiques catholiques et protestants, et revenons au présent…

      [Quant à la débilite de certains acteurs, qui se rendent même pas compte des conséquences de leurs actes, je ne suis pas sûr que ça soit aussi particulier à notre époque. J’avais lu un livre sur les affaires criminelles au XIX en Savoie (c’était basé sur les archives judiciaires). J’en était resté confondu par la stupidité des coupables. C’était du genre à fendre la tète du voisin et après dissimuler le corps juste derrière chez soi histoire qu’il soit facilement retrouve et que les soupçons se portent tout de suite sur vous]

      L’acte est stupide… mais il montre exactement le contraire que ce que vous affirmez. Si les auteurs du crime cherchent à cacher le corps du délit, c’est qu’ils anticipent les conséquences de leur acte. Autrement, pourquoi chercher – fut ce stupidement – à le cacher ? A contrario, dans les deux affaires évoquées dans mon papier, les auteurs du crime n’ont fait aucun effort pour occulter le corps de leur victime, pas plus qu’ils n’ont cherché à occulter leur identité aux caméras de surveillance.

      Il y a certes dans nos sociétés une glorification de la triche et de l’argent facile (cf Tapie), mais n’oubliez pas que si Tapie est devenu riche c est pas grâce au libéralisme (ses affaires n’ont jamais bien marché) mais grâce à l’état (Mitterrand puis Sarkozy)]

      Non. Tapie a fait fortune à la fin des années 1970 et début des années 1980 en rachetant a bas pris des entreprises mises en faillite, puis en les dépeçant pour en vendre les actifs. Et cette activité respectait toutes les règles de la concurrence libérale… ce sont ses succès – et son argent – qui l’ont mis en contact avec le personnel politique.

      • cdg dit :

         
        [Je ne comprends pas très bien votre raisonnement]
        Votre raisonnement etait qu il y a plus de violence a cause du capitalisme «Si ce qu’on appelle « l’ultra-violence » – caractérisée moins par le niveau de violence que par la disproportion entre la motivation et le niveau de violence utilisé – se répand chez les mineurs de plus en plus jeunes, c’est parce que la digue que constituait l’empathie, et qui canalisait le fleuve de la violence humaine, a sauté. Et elle a sauté parce qu’elle n’a pas sa place dans la logique du capitalisme avancé,»
        Pour invalider relation de cause (capitalisme) a effet (ultra violence), je vous donnait juste des exemples d ultra violence qui n avaient rien a voir avec le capitalisme (vous conviendrez avec moi que le capitalisme est innocent pour la St Bartelemy)
        Un autre commentateur vous a fait une reponse similaire (invalider votre raisonnement) en signalant que l explosion d ultra violence pourrait tres bien etre liee a l immigration africaine et non pas au capitalisme
        [J’ai dit que le libéralisme – dans sa variante néolibérale – est intimement lié à une forme de violence très précise, à savoir, ce qu’on appelle « l’ultra violence ».]
        Le liberalisme est une doctrine essentiellement economique, je serai curieux de lire une deomonstration rationelle comme quoi elle genere un type specifique de violence ? C est pas parce que 2 phenomenes apparaissent en meme temps qu ils sont liés (prenez par ex le taux de divorce et le % de francais ayant le telephone. Allez vous dire que la telephonie fixe a ete une cause de l explosion des divorces?)
        [Si les auteurs du crime cherchent à cacher le corps du délit, c’est qu’ils anticipent les conséquences de leur acte. Autrement, pourquoi chercher – fut ce stupidement – à le cacher ? A contrario, dans les deux affaires évoquées dans mon papier, les auteurs du crime n’ont fait aucun effort pour occulter le corps de leur victime, pas plus qu’ils n’ont cherché à occulter leur identité aux caméras de surveillance.]
        Peut etre tout simplement parce que cacher le corps au XIX sciecle etait facile et que detruire un enregistrement video (ou faire disparaître un corps) est hors de porté de nos cretins du XXI
        Et si on se refere de nouveau a la St Barthelemy, les meurtriers se sont debarassés des corps dans la seine alors qu ils ne risquaient rien. Donc on peut vouloir se debarasser du corps meme sans craindre les consequences d un meurtre
        [Tapie a fait fortune à la fin des années 1970 et début des années 1980 en rachetant a bas pris des entreprises mises en faillite, puis en les dépeçant pour en vendre les actifs. Et cette activité respectait toutes les règles de la concurrence libérale… ce sont ses succès – et son argent – qui l’ont mis en contact avec le personnel politique.]
        Tapie (comme Trump) essaie de passer pour un homme d affaire doué. Si vous lisez https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2021/10/03/mort-de-bernard-tapie-ancien-ministre-et-homme-d-affaires_6096929_3382.html vous voyez que c est surtout une apparence (comparez le a Niel ou Daniel Křetínský) . Il fut plusieurs fois condamné et sa derniere affaire (adidas) a faillit le ruiner. Il a ete renfloué grace a Sarkozy et le fameux arbitrage frelaté
         
         

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [Votre raisonnement était qu’il y a plus de violence à cause du capitalisme]

          Certainement pas. Mon raisonnement aboutissait à la conclusion que l’augmentation de la violence chez les mineurs AUJOURD’HUI est liée à l’EVOLUTION du capitalisme vers une forme particulière, celle du « capitalisme avancé ». Je n’ai jamais dit que « il y a plus de violence » EN GENERAL « à cause du capitalisme ». Relisez le paragraphe que vous citez, c’est écrit en toutes letters.

          [Pour invalider relation de cause (capitalisme) a effet (ultra violence), je vous donnait juste des exemples d ultra violence qui n avaient rien a voir avec le capitalisme (vous conviendrez avec moi que le capitalisme est innocent pour la St Bartelemy)]

          C’est bien ce que je ne comprends pas. Vous ne pouvez pas invalider une relation de cause à effet en donnant des exemples d’autres causes qui provoquent le même effet. Si je vois une personne morte avec un trou dans la poitrine, je ne peux exclure qu’elle soit morte par balle simplement parce que d’autres personnes meurent pour d’autres causes.

          Accessoirement, on ne peut pas dire que pour la Saint Barthélémy il y ait eu une telle disproportion entre les moyens utilisés et les motivations…

          [Un autre commentateur vous a fait une réponse similaire (invalider votre raisonnement) en signalant que l’explosion d’ultra violence pourrait très bien être liée à l’immigration africaine et non pas au capitalisme]

          Et là encore, cette explication n’invalide rien. Il ne suffit pas de proposer une autre explication, encore faut-il proposer un mécanisme par lequel cette explication fonctionne. Et il faut que ce mécanisme explique pourquoi le phénomène se produit ici et maintenant. Parce que l’ultra-violence n’est pas un phénomène exclusivement français : on l’observe dans l’ensemble des pays ayant participé de la révolution néolibérale. Et qui, pour beaucoup d’entre eux, ne connaissent guère d’immigration africaine.

          [« J’ai dit que le libéralisme – dans sa variante néolibérale – est intimement lié à une forme de violence très précise, à savoir, ce qu’on appelle « l’ultra violence ». » Le libéralisme est une doctrine essentiellement économique, je serai curieux de lire une démonstration rationnelle comme quoi elle génère un type spécifique de violence ?]

          Alors relisez mon article. Je n’ai nullement écrit que le néolibéralisme « génère » quoi que ce soit. Ce que j’ai écrit, c’est que l’idéologie néolibérale – qui n’est que l’expression dans le plan des idées d’un mode de production, le « capitalisme avancé » – fait sauter les digues qui empêchaient cette violence de s’exprimer, les individus de passer à l’acte. Lorsque le discours social me persuade que « le plus important c’est de gagner », qu’il me répète « just do it », qu’il m’encourage à « casser les codes », qu’il ne m’offre comme « modèle » que des personnages qui, grâce à un gros flingue, peuvent se permettre de faire ce qu’ils veulent, on ne peut pas s’étonner que ce discours soit pris au mot.

          [« Si les auteurs du crime cherchent à cacher le corps du délit, c’est qu’ils anticipent les conséquences de leur acte. Autrement, pourquoi chercher – fut ce stupidement – à le cacher ? A contrario, dans les deux affaires évoquées dans mon papier, les auteurs du crime n’ont fait aucun effort pour occulter le corps de leur victime, pas plus qu’ils n’ont cherché à occulter leur identité aux caméras de surveillance. » Peut etre tout simplement parce que cacher le corps au XIX siècle était facile et que détruire un enregistrement vidéo (ou faire disparaître un corps) est hors de portée de nos crétins du XXI]

          Je ne vous parle pas de REUSSIR à cacher le corps, mais au moins d’ESSAYER de le faire – ou d’occulter son visage ou changer de vêtements pour éviter les caméras de surveillance. Non, ce qui différentie les deux affaires, c’est bien que dans votre exemple les meurtriers ont fait ce qu’ils ont pu pour cacher leur forfait, et dans le cas que je vous cite ils n’ont fait aucun effort. Ce qui me semble montrer de façon assez convaincante que dans un cas on anticipait des conséquences, et pas dans l’autre.

          [Et si on se réfère de nouveau à la St Barthelemy, les meurtriers se sont débarrassés des corps dans la seine alors qu’ils ne risquaient rien. Donc on peut vouloir se débarrasser du corps même sans craindre les conséquences d’un meurtre]

          D’abord, comment savaient-ils « qu’ils ne risquaient rien » ? Et ensuite, s’ils ont jeté les corps c’est probablement pour des raisons sanitaires, et non pour cacher leur forfait. Ce qui semble encore suggérer un minimum de capacité d’anticipation.

          [« Tapie a fait fortune à la fin des années 1970 et début des années 1980 en rachetant a bas pris des entreprises mises en faillite, puis en les dépeçant pour en vendre les actifs. Et cette activité respectait toutes les règles de la concurrence libérale… ce sont ses succès – et son argent – qui l’ont mis en contact avec le personnel politique. » Tapie (comme Trump) essaie de passer pour un homme d affaire doué.]

          Sauf qu’il est beaucoup plus facile de se faire passer pour un homme d’affaires doué quand on hérite quelques milliards, ce qui était le cas de Trump, et pas de Tapie. Tapie a fait de très bonnes affaires au début de sa carrière, en exploitant une « niche », celle des entreprises en difficulté particulièrement nombreuses à la fin des années 1970. Sans ce capital de départ, il n’aurait jamais été remarqué par la politique.

  9. Geo dit :

    à Descartes:
    [L’acte est stupide… mais il montre exactement le contraire que ce que vous affirmez. Si les auteurs du crime cherchent à cacher le corps du délit, c’est qu’ils anticipent les conséquences de leur acte. Autrement, pourquoi chercher – fut ce stupidement – à le cacher ? A contrario, dans les deux affaires évoquées dans mon papier, les auteurs du crime n’ont fait aucun effort pour occulter le corps de leur victime, pas plus qu’ils n’ont cherché à occulter leur identité aux caméras de surveillance.]
     
    Peut-être simplement parce qu’ils vivent dans l’univers de certains films de gangsters, ces fims dans lesquels la police semble ne tout simplement pas exister. (Par exemple Millers crossing, des frères Cohen.) Alors bien sûr, quand les flics déboulent chez moi, je suis choqué: la police, c’est pas du jeu.
    Le manque d’empathie peut aider à ce genre de déréalisation, mais je ne crois pas qu’il en soit la clé. Certains en sont venus à penser qu’il faudrait être bien naïf pour croire à l’existence d’une chose aussi ringarde que la police. C’est en tout cas se que me suggèrent les affaires que vous évoquez. Aucune prédisposition à l’indifférence ne suffit à un tel résultat. C’est bien le sens du réel qui est attaqué. Le mauvais roman a gagné, mais comment a-t’il pu gagner à ce point?
     

    • Descartes dit :

      @ Geo

      [Peut-être simplement parce qu’ils vivent dans l’univers de certains films de gangsters, ces fims dans lesquels la police semble ne tout simplement pas exister. (Par exemple Millers crossing, des frères Cohen.) Alors bien sûr, quand les flics déboulent chez moi, je suis choqué : la police, c’est pas du jeu.]

      Dans les cas dont j’ai lu les analyses, la « surprise » des intéressés ne vient pas tant du fait que la police les ait retrouvés, que dans le fait que les mis en cause n’ont pas conscience d’avoir fait quelque chose qui justifie son intervention. Cela tend à faire penser que le mécanisme n’est pas celui que vous signalez.

      Je pense que ce à quoi nous assistons, c’est à ce qu’on pourrait appeler un détachement de la réalité. Autrement dit, beaucoup de jeunes – et d’adolescents – confondent la réalité avec le film ou les jeux vidéo dont ils sont friands. Les gens qu’ils blessent ou qu’ils tuent ne sont pas « réellement » morts, comme ne sont pas morts les gens qu’on voit dans les films ou qu’on tue dans les jeux vidéo. Si la police venait vous arrêter pour avoir tué quelqu’un dans un jeu vidéo, ne seriez-vous pas surpris ?

      [Aucune prédisposition à l’indifférence ne suffit à un tel résultat. C’est bien le sens du réel qui est attaqué. Le mauvais roman a gagné, mais comment a-t’il pu gagner à ce point?]

      Vous allumez aujourd’hui la télé, et vous voyez des gens mourir au moins une fois toutes les demi-heures, souvent de manière horrible, et ce qui est encore plus remarquable, sans que les autres personnages soient particulièrement émus. Je me suis toujours demandé quel effet à terme ce genre d’accoutumance pouvait avoir sur notre société…

  10. François dit :

    Bonjour Descartes,
    Admettons comme vous le prétendez, que ce seraient les politiques « néolibérales » qui seraient responsables de la perte d’empathie des individus, et donc de la montée des violences physiques.
    Pouvez vous m’expliquer dans ce cas, pourquoi le Chili, pays qui a sanctifié les préceptes de l’école de Chicago dans sa constitution, a le taux de criminalité le plus faible d’Amérique du Sud, plus faible que l’étatiste Argentine pré-Milei ?
    Pourquoi le libéral Nayeb Bukele a t-il éradiqué en un temps record les homicides au Salvador ? A t-il institué des « cours d’empathie » ?
     
    Bref, c’est à se demander pourquoi on paye des criminologues, des psychiatres, etc, pour comprendre puis contenir ces phénomènes, si la doxa marxiste-léniniste les explique parfaitement et donne la solution clefs en main.

    • Descartes dit :

      @ François

      [Admettons comme vous le prétendez, que ce seraient les politiques « néolibérales » qui seraient responsables de la perte d’empathie des individus, et donc de la montée des violences physiques.]

      Encore une fois, ce n’est pas cela que j’ai dit. Ce que j’ai dit, c’est qu’il y a une transformation du capitalisme, et que cette transformation a pour effet secondaire de saper l’empathie parce qu’elle construit un individu-consommateur centré dans sa bulle. Les « politiques néolibérales » ne sont que la traduction sur le plan politique/idéologique de cette transformation.

      [Pouvez-vous m’expliquer dans ce cas, pourquoi le Chili, pays qui a sanctifié les préceptes de l’école de Chicago dans sa constitution, a le taux de criminalité le plus faible d’Amérique du Sud, plus faible que l’étatiste Argentine pré-Milei ?]

      Parce que, contrairement à ce que l’on pense habituellement, le Chili n’a rien d’un pays « néolibéral ». Il ne faut pas confondre un discours idéologique avec la réalité économique. Le Chili, quelque soient les préceptes de sa constitution, est loin d’être le paradis de la concurrence libre et non faussée. C’est au contraire un pays semi-féodal, dont l’économie est dominée par quelques grandes familles – et quelques corporations étrangères pour ce qui concerne le cuivre, qui est la première ressource naturelle du pays.

      Après, la question est moins de comparer les niveaux de violence entre les pays que l’évolution de ce niveau à l’intérieur de chaque pays. Les traditions politiques et sociales sont différentes selon les pays, tout comme leur histoire. On sait que les périodes de répression massive ou de terrorisme d’Etat ont un effet anesthésiant sur les sociétés, et que les niveaux de criminalité après un tel traumatisme restent relativement faibles pendant des années.

      Enfin, vous noterez que dans mon papier je parlais de « violence » et non de « criminalité ». Or, ce sont deux choses très différentes. Ainsi, par exemple, l’URSS stalinienne était une société où la criminalité était extrêmement faible. Peut-on pour autant dire que c’était une société peu violente ? Je vous laisse répondre à la question…

      [Pourquoi le libéral Nayeb Bukele a t-il éradiqué en un temps record les homicides au Salvador ?]

      Bukele a réduit radicalement le taux d’homicides au prix d’une extraordinaire augmentation de la violence – et tout particulièrement de la violence exercée par l’Etat. Or, mon argumentation portait sur la violence, et non sur les homicides ou n’importe quel autre crime ou délit.

      [A t-il institué des « cours d’empathie » ?]

      Probablement pas, et ce n’est pas moi qui lui en ferais le reproche. Je pense que ces « cours », c’est une vaste fumisterie. L’empathie s’apprend – ou plutôt s’internalise – par la pratique sociale. Quand la société proclame que « le plus important c’est de gagner », difficile d’attendre un comportement empathique de ses membres. Et les « cours » n’y changeront rien.

      [Bref, c’est à se demander pourquoi on paye des criminologues, des psychiatres, etc, pour comprendre puis contenir ces phénomènes, si la doxa marxiste-léniniste les explique parfaitement et donne la solution clefs en main.]

      Le problème, c’est que la solution proposée par « la doxa marxiste léniniste » ne convient pas vraiment aux classes dominantes. Alors celles-ci payent des criminologues et des psychiatres avec l’espoir qu’ils trouveront une solution différente, qui ne remette pas en cause leurs privilèges. Ou plus banalement, elles les payent pour fabriquer un discours qui permet de justifier leur inaction…

  11. Damien dit :

    Bonjour,
     
    J’interviens tardivement pour vous signaler (1) cet entretien “format long” avec Maurice Berger, pédo psychiatre qui est ancien (2012) mais qui reste pertinent: https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-psychologie-clinique-2012-2-page-209.htm et (2) une version plus contemporaine et plus brève https://www.lefigaro.fr/vox/societe/maurice-berger-non-la-violence-gratuite-n-est-pas-due-a-la-ghettoisation-20191115
    Je retiens surtout de cet entretien la “déliaison” entre parents et enfants qui ne permet pas la construction de l’empathie pour des raisons culturelles ou autres … Je suis frappé de mon coté par la poursuite par chaque parent de son accomplissement propre, l’enfant étant quelque part un gêneur auquel on accorde peu de temps. On a affaire à des enfants qui, pour le dire vite, n’ont pas été élevés.
    Bien à vous

    • Descartes dit :

      @ Damien

      [J’interviens tardivement pour vous signaler (1) cet entretien “format long” avec Maurice Berger, pédo psychiatre qui est ancien (2012) mais qui reste pertinent: (…) et (2) une version plus contemporaine et plus brève (…)]

      Merci pour ces textes très intéressants. L’entretien au Figaro – devenu l’un des rares journaux lisibles aujourd’hui, tant Libération comme Le Monde sont devenus des usines à conformisme – est particulièrement intéressant. L’analyse de Berger réjoint sur beaucoup de points la mienne. Lorsqu’il dit « Ces adolescents ne comprennent pas le mot «rêvasser». Quand je demande ce qu’ils feraient s’ils gagnaient un million d’euros au loto, rêverie universelle, la réponse est «votre question est bête, je n’y penserai que lorsque j’aurai le million posé devant moi» », je retrouve la question de la capacité à se projeter, que j’avais abordée dans mon papier. Je retrouve aussi la question – dont j’avais parlé dans un papier précédent – de la capacité, ou plutôt de l’incapacité, à symboliser lorsqu’il écrit que sans symboles il ne reste plus des actes. Peut-être la différence est que Berger, en psychologue, pose le diagnostic mais ne s’intéresse pas à l’articulation avec le fonctionnement de la société. Autrement dit, il constate les fonctionnements claniques ou la position de l’individu-roi, mais ne cherche pas la genèse de ces comportements, qui se trouve dans une évolution sociale.

      [Je retiens surtout de cet entretien la “déliaison” entre parents et enfants qui ne permet pas la construction de l’empathie pour des raisons culturelles ou autres …]

      Son analyse de la problématique de la « famille clanique » est très intéressant. Quant à la question de la « déliaison », elle me semble être un phénomène social, et non pas individuel. Berger le souligne d’ailleurs quand il parle de l’affaiblissement du contrôle social.

      [Je suis frappé de mon coté par la poursuite par chaque parent de son accomplissement propre, l’enfant étant quelque part un gêneur auquel on accorde peu de temps. On a affaire à des enfants qui, pour le dire vite, n’ont pas été élevés.]

      C’est ambigu. D’un côté, on a l’enfant roi – qui devient vite un enfant tyran – que les parents couvent et dont ils satisfont tous les caprices. Le stress des parents, qui les conduit quelquefois à attaquer physiquement les enseignants lorsqu’ils perçoivent une menace pour leur rejetons, illustrent bien ce problème. De l’autre côté, ces mêmes parents « parquent » leur enfant devant la télé ou le jeu vidéo pour ne pas avoir à leur consacrer du temps. En fait, le parent aujourd’hui a peur de ne pas être aimé de son enfant, et cette peur rend toute éducation impossible. Parce que pour éduquer, il faut prendre le risque d’être détesté – au moins temporairement.

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