Rapport Draghi: les lendemains qui pleurent…

Cette semaine, j’ai consacré une partie de mon temps à améliorer mes chances, je ne dis pas d’entrer au paradis, mais au moins d’aménager mon passage au purgatoire. Pour cela, point de jeûne, pas de cilice, pas de flagellation. Ma pénitence fut la lecture du rapport de Mario Draghi, « The future of european competitiveness – A competitiveness strategy for Europe », qui a mon sens vaut toutes les flagellations du monde. Pensez-y : 397 pages de techno-babble en globish communautaire (aucune version dans une langue civilisée n’est disponible). Si avec ça on ne me donne pas le bon dieu sans confession…

En fait, l’expérience s’est révélée beaucoup plus plaisante que prévue. La lecture du rapport a de quoi provoquer chez tous les vrais républicains une certaine forme de Schadenfreude. Parce que derrière le jargon technocratique et la répétition obsessionnelle des formules rituelles, le bilan que Mario Draghi dresse de l’action européenne est accablant. Devant la description de ce désastre, j’éprouve la satisfaction de l’oracle dont les prédictions se réalisent. Une satisfaction triste, et même tragique. Pensez à Cassandre. Mais une satisfaction tout de même.

Draghi,il faut le dire, se contente de dresser le bilan. Mais en aucun moment il ne pose la question « comment on en est arrivé là ». Question qui l’obligerait à faire le lien entre les résultats – désastreux – et les politiques mises en œuvre par les institutions bruxelloises. Faire cela le conduirait inévitablement à pointer les responsabilités et les promesses non tenues, et garantirait à son rapport un transit rapide vers la poubelle. Sans compter sur le fait que, parmi ceux qui ont conduit ces politiques, l’auteur même du rapport occupe une place signalée. Mais la question est inévitable : on peut difficilement souligner que l’industrie européenne est trop morcelée, ou fait face à des prix de l’électricité pénalisants en oubliant que ce sont les institutions européennes qui depuis vingt ans ont imposé une politique anti-concentration qui empêche la constitution de « champions industriels » européens, et une ouverture du marché de l’électricité qui devait en théorie faire baisser les prix et qui a eu en pratique l’effet inverse, avec la volatilité en prime.

En résumé du rapport, l’Union européenne n’a rien anticipé, rien vu venir. Elle s’est laissée bercer par les faux espoirs de la « fin de l’histoire » et de la mondialisation heureuse sans fin. Elle n’a pas prévu la montée en puissance de la Chine, la fragilité induite par la dépendance au gaz russe. Elle a fait une politique de concurrence dont l’obsession était d’éliminer tout acteur pouvant devenir dominant, laissant du coup le champ libre aux monopoles technologiques américains. Obsédée par la protection du consommateur, elle a oublié que la productivité et le développement scientifique et technique sont les clés de la prospérité.

Certains aveux sont d’ailleurs amusants. Ainsi, on peut lire (page 13 de la première partie) que « Evidence that industrial policies can be effective under certain circumstances is growing » (« les preuves que la politique industrielle peut être efficace sous certaines conditions s’accumulent »). Cette affirmation, qui semble presque un truisme pour un observateur peu informé est, dans le langage codé des couloirs bruxellois, tout à fait révolutionnaire. Depuis presque un demi-siècle, toute la communication de l’Union européenne soutient exactement le contraire : il ne faut surtout pas faire de la politique industrielle. Ce n’est pas à l’Etat de choisir ce qu’on produit ou comment on le produit. C’est au secteur privé de faire ces choix en fonction des signaux donnés par les marchés. Toute intervention étatique qui fausserait ces signaux en perturbant la concurrence nous éloignerait de l’optimum. La fonction du secteur public est donc de s’assurer que les marchés permettent une « concurrence libre et non faussée », en s’abstenant de toute intervention. La « main invisible » fera le reste, canalisant le capital et le travail vers les secteurs les plus rentables, puisque cette rentabilité traduit le besoin des consommateurs. Il faut donc laisser le secteur privé choisir librement quoi et comment produire, et toute intervention de l’Etat ne peut que créer des distorsions, des rentes indues, et in fine de l’inefficacité. La simple admission que la politique industrielle – même avec la précaution du « sous certaines circonstances » – peut être efficace, c’est déjà une révolution copernicienne : c’est l’admission que le marché n’est pas, lorsque « certaines conditions » sont remplies, un régulateur efficace, que le choix collectif des biens à produire et des conditions de leur production est, dans certains cas, bien plus efficace.

Bien sûr, ces concessions faites à la réalité ne font qu’entamer le discours habituel. L’admission que la politique industrielle peut être efficace se trouve tout de suite noyée sous un déluge d’affirmations conformes au dogme accepté. Ainsi, quelques lignes plus tard on peut lire que « The evidence is overwhelming that competition stimulates productivity, investment and innovation » (« les preuves sont écrasantes que la compétition stimule la productivité, l’investissement et l’innovation »). Ici, on n’a pas la prudence de préciser « sous certaines conditions ». Non, c’est partout et toujours. Pourtant, outre le fait que cette affirmation contredit celle sur la politique industrielle, cette généralisation ne résiste pas à l’expérience. Avec un peu de mémoire, on trouve sans problème des exemples où la compétitivité, l’investissement et l’innovation sont le fait de monopoles de fait – pensez à Microsoft, à Apple, à Google – alors que la concurrence « libre et non faussée » a conduit au contraire à la fragmentation avec pour conséquenceune stagnation de la productivité, de l’investissement, de l’innovation.

Le problème est que depuis les débuts de la révolution néolibérale, on a laissé l’économie dans les mains d’économistes qui connaissent finalement très mal l’industrie, qui appréhendent l’économie industrielle sous l’angle purement financier. Or, l’économie industrielle a des horizons de temps qui ne sont pas tout à fait ceux du système financier, et sa gestion de l’incertitude est elle aussi spécifique. La question du progrès technologique est un bon exemple : la mise au point de technologies nouvelles implique des investissements importants. Pour qu’ils aient lieu, il faut que l’entreprise dégage des marges suffisantes pour pouvoir les financer, et que les actionnaires soient disposés à consacrer ces marges à l’investissement sur le très long terme et avec un risque important. Ce qui pose deux problèmes : d’une part, il n’y a pas beaucoup d’actionnaires prêts à ce genre d’investissement, puisque la plupart d’entre eux – et notamment les fonds de pension – ont des obligations de rentabilité sur des termes relativement courts. Mais la principale question est celle des marges. La théorie économique montre que dans un marché « pur et parfait », les marges après rémunération du capital tendent vers zéro. La concurrence « parfaite » empêche en effet les rentes, et force les entreprises à baisser leurs prix pour garder leurs clients jusqu’à atteindre les coûts de production. Ce sont donc les imperfections du marché qui permettent l’apparition de « rentes » pour financer la recherche et le développement.

Pour illustrer ceci, prenons un exemple classique, celui des brevets. Quiconque a un minimum de culture économique sait que le brevet est une barrière à la compétition « libre et non faussée ». Un brevet assure à une entreprise un monopole légal sur une technologie, et empêche donc la concurrence d’y avoir recours. En bonne logique libérale, on devrait donc abolir les brevets, pour permettre la concurrence de déployer ses ailes… et pourtant, aucun pays n’a sauté le pas, pas même les plus thatchériens. Pourquoi ? Parce qu’on sait bien que sans brevets, il y a moins d’innovation, moins d’investissement. Et la raison est simple : le monopole temporaire créé par le brevet permet de dégager des marges supplémentaires qui permettent de couvrir les coûts de l’innovation et les investissements, alors que la « concurrence libre et non faussée » aboutirait à comprimer les marges et donc à limiter les capitaux disponibles.

Mais Draghi ne veut pas, ou ne peut pas, remettre en cause le dogme fondateur de la construction européenne depuis le traité de Maastricht. Et c’est pour cette raison que son rapport est d’abord intéressant pour ce qui n’y figure pas. Draghi constate ainsi le retard pris sur les autres grandes économies depuis vingt ans – tous les graphiques figurant dans le rapport commencent au plus tôt en 2002. Mais que s’est-il passé il y a vingt ans en économie ? Allez, un peu de mémoire… quel est l’évènement marquant, qui promettait de mettre l’Union européenne sur le chemin de la prospérité et qui, si l’on croit le rapport, n’a pas tenu cette promesse ? Vous ne trouvez pas ? Tout le monde semble l’avoir oublié, mais le 1er janvier 2002 l’Euro remplaçait les monnaies nationales des grandes économies européennes – à l’exception de la Grande Bretagne. Et l’ancien président de la BCE qu’est Mario Draghi ne peut ignorer ce détail. Pourtant, le rapport ne fait aucune mention des effets économiques de cette révolution monétaire. Un peu comme s’il s’agissait d’une maladie honteuse qu’on préfère oublier. « L’Euro qui protège », de toute évidence, est passé de mode. Le rapport n’en fait même pas mention.

Et parce qu’on ne veut pas remettre le dogme en cause, Mario Draghi expose un diagnostic lucide de la situation – catastrophique – de l’économie européenne et de son évolution, pour ensuite proposer des solutions qui ne remettent en cause qu’à la marge, souvent sous le ton du vœu pieux, les mécanismes qui ont conduit à cette situation. Prenons, pour ne donner qu’un exemple, le cas de l’énergie. La politique européenne de l’énergie, combinant la casse des monopoles nationaux, l’ouverture des marchés à la concurrence et la subvention massive aux renouvelables a abouti, tous les experts le disent, au désastre dans tous les domaines : risques de pénurie, vieillissement des infrastructures, hausse des prix avec la volatilité en prime, coût des subventions publiques. Dans le domaine du gaz, la recherche du meilleur prix a conduit à une dépendance stratégique au gaz russe qui a mis l’industrie européenne en général et allemande en particulier à l a merci des aléas géopolitiques. Dans le domaine de l’électricité, elle a construit une économie parasitaire, que ce soit dans le développement des renouvelables à coups de subventions publiques ou dans la fourniture qui ne fait qu’acheter de l’électricité produite par l’opérateur historique à vil prix puis la revendre avec un bénéfice. Et cela dans un contexte d’instabilité permanente des prix qui décourage l’investissement, sauf dans le cas où la rentabilité est garantie par la subvention. Le rapport reconnaît cet état de fait : « entre les derniers mois de 2019 et les premiers de 2022, la volatilité dans les marchés du gaz a augmenté significativement, d’abord du fait de l’épidémie de COVID-19 et plus tard de la crise de l’énergie (…). Cette instabilité s’est transmise aux marchés de l’électricité, affectés aussi par une faible production hydraulique et nucléaire en 2022. Cette forte volatilité, qui semblerait être devenue structurelle, est une réelle menace à la compétitivité de l’UE. Une forte volatilité crée une incertitude, augmente le coût de couverture du risque, et peut avoir un effet défavorable sur les investissements dans le secteur énergétique. Ce qui à son tour renforce l’incertitude, y compris du point de vue de la sécurité de fourniture, fait grimper le coût de la transition énergétique (du fait du coût de couverture du risque). Accessoirement, une forte volatilité des marchés de l’énergie put conduire à des revenus fiscaux irréguliers, affectant l’investissement public. » (partie B, page 6)

Pourquoi cette instabilité ? On trouve l’explication dans le paragraphe suivant : « Pendant la crise de 2022, la compétition intra-UE pour le gaz naturel entre des acteurs disposés à payer des prix élevés a contribué à une remontée des prix excessive (et inutile). Cet accroissement des prix dans le contexte de flux limités par la congestion des infrastructures n’a pas entrainé l’arrivée de quantités supplémentaires. Au plus chaud de la crise, la congestion des infrastructures et la compétition intra-UE pour acheter et stocker du gaz avant l’hiver a fait augmenter les prix bien plus qu’en Asie ». Pourtant, le rapport nous avait convaincu plus haut que, partout et toujours, la compétition favorisait l’innovation, la productivité et l’investissement. Mais ici, il semblerait que ce soit le contraire.

Et d’abord, pourquoi cela a mieux marché en Asie ? Lisons le rapport : « Importateurs nets de gaz, le Japon et la Corée ont des problématiques similaires à celles de l’UE, et pourtant il y a des différences notables. En Corée, l’entreprise publique KOGAS détient un monopole de fait, important 90% du gaz dans le pays, ce qui lui permet de négocier en position de force et de minimiser les coûts générés tout au long de la chaîne de valeur. Au Japon, l’entité publique JOGMEC investit dans la production de combustibles fossiles et de minéraux au niveau mondial. JOGMEC fournit du capital et assure les compagnies japonaises sur des projets et des terminaux LNG, assurant en principe un accès sécurisé à l’énergie à des prix proches du prix de production. »

Autrement dit, le marché « libre et non faussé » construit par l’UE depuis vingt ans, avec la dissolution des monopoles et la libéralisation des marchés de l’énergie n’a pas régulé les prix correctement. La « compétition intra-UE » a fait monter « inutilement » les prix, alors que les bons vieux monopoles coréen et japonais, dans un contexte similaire, ont maintenu des prix bas, proches des coûts de production, tout en assurant la sécurité d’approvisionnement, et une moindre dépendance à une seule source d’approvisionnement.

On s’attendrait, après cet explosé, à la conclusion que « l’Europe de l’énergie » construite par la Commission depuis le sommet de Barcelone de 2000 est un échec complet, que le système des monopoles nationaux ne marchait pas si mal, et que finalement la logique serait d’y revenir, voire d’aller vers un monopole européen plutôt qu’un « marché libre et non faussé ». Mais comme le dogme du marché ne saurait être mis en cause, on nous propose une solution bancale, celle de « l’acheteur unique européen » qui n’est finalement qu’un mécanisme d’agrégation de la demande, et le vœu pieux que les fournisseurs concluent des accords d’approvisionnement « de long terme », alors que le modèle économique de marché est fondé justement sur la possibilité de profiter des opportunités offertes par le marché spot.

Et on retrouve la même chose dans la partie consacrée à l’électricité. Le rapport admet – enfin ! – que le coût des renouvelables doit être évalué non pas à partir du coût de l’installation de production, mais doit tenir compte des coûts qu’elle impose au niveau de la gestion du système – qui peut être important pour les renouvelables intermittents et/ou aléatoires, qui imposent au réseau des contraintes considérables. Il reconnait aussi – enfin ! – que les contrats de long terme – radicalement rejetés par les prêtres de la régulation européenne qui y voient une barrière à la « concurrence libre et non faussée » – sont finalement nécessaires pour permettre le financement des infrastructures de production. Mais là encore, comme le dogme de la concurrence ne saurait être mis en cause, même dans un domaine limité où de toute évidence il ne correspond pas à la réalité, les propositions sont… de continuer dans la même direction, celle de la concurrence « libre et non faussée ». On ne change pas une stratégie qui perd.

Ce rapport a quand même un mérite : celui de bien souligner que la question vitale, la cause majeure pour laquelle l’Union européenne est à la traîne, est celle de la productivité. A ce propos, il faut rappeler que toute la doctrine de la construction européenne dans le domaine économique repose sur « l’intérêt des consommateurs ». Le marché unique, la « concurrence libre et non faussée » étaient et justifiés comme des instruments permettant au consommateur de satisfaire ses besoins au meilleur prix. Les autres objectifs – indépendance stratégique, cohésion sociale – n’étaient que des objectifs de deuxième rang, et c’est un euphémisme. C’est ce choix qui nous a conduit là où nous sommes : c’est la « concurrence libre et non faussée » qui a conduit les industriels à rechercher le gaz au prix le plus bas, et a rendu l’Europe dépendante du gaz russe. C’est la « concurrence libre et non faussée » qui a provoqué la délocalisation des investissements productifs vers les pays et les régions où les salaires sont plus faibles, la protection sociale plus sommaire, la réglementation environnementale plus souple. Pas étonnant dans ces conditions que la productivité en Europe stagne, alors qu’elle progresse ailleurs. Aux Etats-Unis ou en Chine, ce sont les marchés imparfaits qui permettent l’apparition de géants comme Google, Apple ou Huawei, et ces géants en position de quasi-monopole sont régulés non pas par des marchés, mais par l’Etat américain qui les menace de démantèlement chaque fois qu’ils dépassent la ligne rouge. C’est aussi l’imperfection du marché qui permet à l’Etat américain de soutenir massivement la recherche et le développement privés à travers les contrats des agences comme la NASA ou le DOE.

Parce que la construction européenne a privilégié le rôle du consommateur et négligé celui du producteur, nous avons une classe politico-administrative qui ne pense, à droite comme à gauche, qu’en termes de redistribution. C’est normal à gauche, puisque le mouvement ouvrier a pour objectif constitutif une meilleure distribution de la valeur produite, dont une partie est accaparée par le capital. C’est moins compréhensible à droite, puisque c’est là qu’était traditionnellement représentée la bourgeoisie industrielle. Mais il est clair qu’aujourd’hui ce n’est pas elle qui mène le débat. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les débats récents : on discute s’il faut augmenter ou réduire la dépense publique ou les impôts, mais avez-vous entendu un débat sur les moyens d’augmenter l’assiette taxable, autrement dit, la richesse créée, de produire plus et mieux ? Non, ce sujet n’intéresse pas grand monde. Depuis trente ans, c’est un sujet qui a été évacué du champ politique, justement parce que la « politique industrielle » est devenue un indicible dans la vague libérale. C’est au marché, et non au politique, de fixer le quoi et le comment de la production, point à la ligne. C’est pourquoi expliquer aujourd’hui que la redistribution devient de plus en plus inextricable si le gâteau à redistribuer diminue, que sans une augmentation de la productivité toute redistribution supplémentaire ne peut que creuser la dette et affaiblir le contrat social, c’est déjà un grand progrès.

Mais parler productivité, c’est parler investissement productif et de sa régulation. Investissement dans la production elle-même, bien sûr. Mais aussi dans les infrastructures, qui jouent un rôle essentiel dans la productivité. Et finalement, et ce n’est pas le moins important, dans la formation d’une main d’œuvre de qualité, que ce soit au niveau des « savoir-faire » ou des « savoir-être ». Parce qu’il ne faut pas se voiler la face : un individu qui a les plus hautes compétences techniques mais qui est incapable de respecter un horaire, d’établir une relation hiérarchique normale, de se soumettre à une discipline de travail est un boulet pour la productivité.

Ces investissements ne peuvent pas être régulés par le marché, parce les choix à faire ont un horizon qui dépasse l’horizon acceptable par l’investisseur privé, et font intervenir des paramètres qui sont éminemment politiques. Lorsqu’il s’agit d’acheter plus cher pour permettre une diversification et réduire la vulnérabilité à long terme, on ne peut pas compter sur des investisseurs qui pensent à récupérer leur investissement sur deux ans. Et aucun investisseur ne payera un SMIC français quand il peut avoir la même chose en payant un SMIC indien, quand bien même on lui expliquerait que la souveraineté européenne est en jeu.

C’est là la grande limite de ce rapport : s’il établit le bilan – je le répète, accablant – de la construction européenne sur le plan économique, s’il constate que l’UE a raté tous les trains, que sa croissance est proche de zéro alors que la Chine ou les Etats-Unis font des bonds, que son retard en termes d’innovation, de recherche, de formation et d’investissement devient difficilement rattrapable, il n’ose remettre en cause les mécanismes qui ont conduit à ce désastre. Pire : il attend de ces mécanismes la solution aux problèmes qu’ils ont eux-mêmes créés. Le contraste est criant entre la sévérité des constats et la mansuétude envers le système qui nous a conduits dans cette impasse. A lire ce rapport, on se dit que nous sommes au fond du trou, mais que ce trou n’a été creusé par personne. Le système, pas plus ceux qui l’ont mis en place et l’ont fait fonctionner, n’ont rien à se reprocher. « Fatalitas, fatalitas », clament nos chers européens. Et on comprend le dilemme de Mario Draghi : pour maintenir la fiction que ce système, que ces gens-là font partie de la solution, il faut occulter le fait qu’ils sont, qu’il est lui-même, la cause du problème.

Descartes

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