Quand j’étais enfant, le nouvel an était une fête extraordinaire. On se levait le 1er janvier, on regardait par la fenêtre et on voyait un nouveau monde. La sensation était indéfinissable, et pourtant palpable. Le monde au 1er janvier n’était pas le même que celui du 31 décembre. Tout ce qui semblait impossible hier devenait possible, porté par les ailes d’un optimisme renouvelé et des bonnes résolutions. Avec l’âge, ce sentiment s’émousse, bien sûr. A mesure qu’on s’endurcit, on s’aperçoit que cet optimisme tient plus de l’autosuggestion que de la réalité. Et quelle que soit l’envie qu’on a d’y croire, on n’y arrive plus.
La lecture des journaux n’aide pas. Ainsi « Le Monde », le journal des classes intermédiaires qui se prennent pour des élites, offre pour ouvrir une année qu’on voudrait pleine d’espérance une tribune de Dominique Méda (1) qui, à moins que le deuxième degré m’ait échappé, confirmera aux idéalistes les plus volontaires que le passage à la nouvelle année n’a rien changé.
Le titre est prometteur : « Nous avons besoin d’un projet politique qui place les classes populaires en son cœur ». Et le début du texte ne le dément pas : « Nous avons besoin d’un projet. Un projet compréhensible par tous, à la construction et à la réalisation duquel l’ensemble de la population doit être appelé à contribuer et dont les bienfaits collectifs seront visibles. Un projet capable de dessiner les contours d’une société désirable ». Bravo, j’ai envie de dire. Après tout, c’est la position que je défends depuis des années, alors même que la gauche et tout particulièrement les dirigeants socialistes – dont Madame Méda est très proche – avaient laissé tomber les couches populaires pour se concentrer sur les classes intermédiaires, suivant en cela les avis de leur cercle de réflexion Terra Nova. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire.
Mais malheureusement, après ce début en fanfare, on retombe rapidement dans les vieilles obsessions. Pourquoi « avons-nous besoin d’un projet » ? Quelle est la motivation pour « placer les classes populaires » au cœur de celui-ci ? On pourrait penser qu’il s’agit d’améliorer la situation du monde du travail. Ou bien de restaurer un fonctionnement normal des institutions. Ou peut-être même de rétablir la France dans son indépendance et dans sa grandeur, comme on écrivait du temps du CNR. Eh bien, pas du tout, naïfs que vous êtes. Ce n’est ni le monde du travail, ni les institutions, ni la France qui sont l’objet de tant de sollicitudes. Nous « avons besoin d’un projet » pour une raison bien plus banale, et qui apparaît clairement dans le « chapeau » ajouté par le rédacteur en chef du journal : « la France doit construire un projet politique, économique et social, sans quoi l’extrême droite promet de remporter les prochaines élections ».
Diable ! On aurait pu croire que l’appel de Dominique Méda était motivé par un élan de générosité, par sa révolte devant le sort de moins en moins enviable fait aux couches populaires. Eh bien non : si les couches populaires s’abstenaient sagement, ou bien votaient au hasard n’importe quel parti du « cercle de la raison », il n’y aurait aucune raison de s’en occuper. Le problème n’apparaît que parce qu’elles votent « mal », et que du coup « l’extrême droite promet de remporter les prochaines élections » si l’on ne fait pas quelque chose rapidement.
Du temps où l’extrême droite était loin du pouvoir, quand les couches populaires avaient le bon goût de s’abstenir, le think-tank social-libéral « Terra Nova » ne se gênait pas pour expliquer qu’il fallait que la gauche oublie les classes populaires, ces beaufs racistes et sexistes, pour s’adresser à d’autres électorats. Maintenant, parce que le RN semble être aux portes du pouvoir porté précisément par le vote des couches populaires, les élites « de gauche » parlent de « placer les couches populaires au centre » du projet. Le plus amusant, c’est que cet aveu donne finalement raison à ceux qui, dans l’électorat populaire, ont donné leur suffrage au RN. Sans ce geste, on les aurait oubliés. C’est grâce à ce suffrage qu’on réfléchit doctement dans les colonnes du « journal de référence » à mettre les couches populaires « au centre du projet ».
Mais quel pourrait être ce projet « désirable » ? Méda ne le dit pas. Tout au plus, elle cite des travaux de sociologues américains (2), comme Joan C. Williams qui, pour empêcher l’élection de Trump, considérait nécessaire « que les démocrates remettent les attentes des membres de la classe laborieuse au cœur de leur programme, fassent tout pour leur garantir un accès à de bons emplois, permettant de subvenir aux besoins de leurs familles, et parviennent à réconcilier l’élite et la classe laborieuse ».
Vaste programme, aurait dit mongénéral… Comment « garantir un accès à de bons emplois », alors que les « bons emplois » accessibles aux couches populaires disparaissent emportés par la mise en concurrence des travailleurs français avec ceux du reste du monde ? Comment s’assurer que ces emplois « permettent de subvenir aux besoins de leurs familles » alors que la privatisation des services publics reporte de plus en plus la charge sur les ménages modestes, que la politique de subvention aux bas salaires, créant une « trappe à pauvreté », entraîne une « smicardisation » croissante de la pyramide des revenus, que la contrainte de « compétitivité » pousse les salaires vers le bas ?
Et finalement, comment « réconcilier l’élite et la classe laborieuse » alors que l’élite, issue des classes intermédiaires, a perdu toute notion du « noblesse oblige » et n’est prête à rien sacrifier sur l’autel de cette « réconciliation » ? L’article de Dominique Méda est sans ambigüité de ce point de vue. Voici sa conclusion : « Le rapprochement des classes (…) ne pourra pas se faire sans une augmentation de la contribution des plus aisés. Il est de la responsabilité de la droite et du centre de rompre avec le dogme absurde et révoltant de la non-augmentation des impôts des plus riches ». A partir de quel revenu, de quel patrimoine commence cette catégorie ? Madame Méda, pour ne prendre que son exemple, s’inclut-elle dans la catégorie des « plus riches » ou même « des plus aisés » ? Le ton de l’article laisse penser le contraire. Et si elle ne s’y inclut pas, on peut supposer qu’une large portion des classes intermédiaires ne s’y inclut pas non plus. Autrement dit, OK pour toucher au « dogme absurde », tant que cela ne concerne que les autres. Dès lors qu’il s’agit des classes intermédiaires qui, bien entendu, ne sauraient être considérées parmi « les plus aisés » ou « les plus riches », on n’y touche pas. Quand bien même leur niveau de vie est supérieur au niveau de vie médian qui, rappelons-le, correspond à 2050 €/mois de revenu disponible pour un célibataire, à 4250 €/mois pour un couple avec deux enfants de moins de 14 ans (source INSEE). Moins de la moitié de ce que doit toucher Dominique Méda en tant qu’inspecteur général des affaires sociales et professeur des universités.
Si Méda – et plus généralement les élites social-libérales – croient un instant qu’ils arriveront à persuader les couches populaires qu’ils « placent les classes populaires au cœur » de leur projet simplement en criant haro sur « les plus riches » tout en s’affranchissant eux-mêmes de toute contribution, ils se trompent. Non parce que les classes populaires auraient une prévenance particulière envers les Arnault et Pinault de ce monde, mais parce qu’elles savent bien quelles sont les limites de ces discours dans une France asservie aux règles de l’Union européenne. Hollande nous a déjà fait le coup en expliquant que « son ennemi était la finance », et on a vu ce qui en a résulté. Pour faire plus, il faut remettre en cause la « libre circulation des capitaux », ce qu’aucun gouvernement « de gauche » n’a fait ces quarante dernières années, non par manque de courage comme on le dit couramment, mais parce que ce n’est pas dans l’intérêt des classes intermédiaires qui l’ont porté au pouvoir. Il faut beaucoup d’imagination – et peu de mémoire – pour concevoir « la gauche » taxant « les plus riches », au-delà de quelque ISF plus ou moins symbolique.
Dominique Méda nous dit qu’il nous faut « un projet capable de dessiner les contours d’une société désirable », mettant « au cœur du projet les couches populaires », mais oublie un élément essentiel : ce projet doit non seulement être désirable, il doit surtout être crédible. Parce que les couches populaires ont une longue expérience de projets fort désirables promettant de « changer la vie », portés par des dirigeants et des partis qui, une fois élus, leur ont tourné le dos. Et c’est là le problème fondamental : personne n’est capable de dire en quoi pourrait consister un tel projet ni, surtout, qui pourrait l’élaborer. Et cela pour une raison simple : la classe qui a les instruments intellectuels pour proposer un tel projet n’a aucun intérêt à le faire. D’où l’ambigüité du « nous » utilisé par l’auteur de cette tribune. Qui est ce « nous » qui aurait « besoin d’un projet » – dans le but, rappelons-le, d’empêcher l’arrivée du RN au pouvoir ? Est-ce la France ? Les « couches populaires » ? La « gauche » ? Le Parti Socialiste ? Ou tout simplement les classes intermédiaires, soucieuses de préserver un statu quo qui les avantage et que l’arrivée au pouvoir des « populistes » pourrait mettre en danger ?
Soyons sérieux : cet appel à « mettre les classes populaires au centre du projet » c’est une n-ième tentative de donner une légitimité au projet des classes intermédiaires. Dans sa tribune, Dominique Méda ne donne à cette « mise au centre » la moindre traduction pratique. Cela veut dire quoi, exactement, « mettre les classes populaires au centre du projet » ? Mettre en exergue les questions économiques et sociales en faisant passer les questions sociétales au second plan ? Prendre au sérieux les questions d’immigration en revenant à une logique restrictive d’assimilation ? Travailler sur la sécurité en rétablissant des valeurs comme la discipline et l’autorité ? En finir avec une construction européenne qui met en concurrence les travailleurs et aboutit fatalement à un nivellement par le bas ? Remiser aux oubliettes une « écologie punitive » qui taxe les vieux diesels mais exonère le kérosène des avions ? Remettre en route l’ascenseur social en revenant à une logique méritocratique ? Parce que c’est cela que les classes populaires demandent à travers leur vote. Si c’est cela que vous proposez, Madame Méda, il faut le dire clairement – et je doute que dans ce cas on vous réinvite à publier une tribune dans le « journal de référence ». Si par « mettre les couches populaires au centre du projet » vous entendez essayer de les convaincre qu’il faut plus d’écologie, plus d’Europe, plus de tout ce qui nous a amenés là où nous sommes, vous perdez votre temps.
Descartes
(2) On note dans l’article que la situation française semble vue avec le prisme américain, comme si le RN était un avatar du Parti Républicain et la gauche française une image miroir du parti démocrate. Il ne manque pas de sociologues français à citer, surtout lorsqu’il s’agit d’enfoncer des portes ouvertes…
@ Descartes
***Dès lors qu’il s’agit des classes intermédiaires qui, bien entendu, ne sauraient être considérées parmi « les plus aisés » ou « les plus riches », on n’y touche pas. Quand bien même leur niveau de vie est supérieur au niveau de vie médian qui, rappelons-le, correspond à 2050 €/mois de revenu disponible pour un célibataire, à 4250 €/mois pour un couple avec deux enfants de moins de 14 ans (source INSEE). Moins de la moitié de ce que doit toucher Dominique Méda en tant qu’inspecteur général des affaires sociales et professeur des universités.***
Vous êtes, il me semble, le seul a proposer le concept de “classe intermédiaire”, généralement on entend parler de classe populaire, de classe moyenne, de classe aisée, mais avec une classification assez floue, en fonction de critères mal définis (revenus, niveau d’études, patrimoine…).
https://inegalites.fr/Classes-populaires-moyennes-et-aisees-de-quoi-parle-t-on#:~:text=les%20classes%20%C2%AB%20populaires%20%C2%BB%20comprennent%20les,les%2020%20%25%20aux%20revenus%20sup%C3%A9rieurs.
Avez-vous une définition précise des diverses classes qui composent la société ? Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par “classe intermédiaire” ?
@ Manchego
[Vous êtes, il me semble, le seul a proposer le concept de “classe intermédiaire”, généralement on entend parler de classe populaire, de classe moyenne, de classe aisée, mais avec une classification assez floue, en fonction de critères mal définis (revenus, niveau d’études, patrimoine…).]
Il y a d’autres auteurs qui proposent des concepts similaires au mien. La question est justement de sortir des définitions purement statistiques, fondées sur le revenu, ou les définitions sociologiques, qui s’appuient sur les pratiques culturelles, sur les modes de vie, sur le niveau d’études. Le problème de ces définitions, c’est qu’elles sont déconnectées de la question de la production, et ne permettent donc pas de définir une catégorie à laquelle on peut appliquer les puissants instruments d’analyse de la théorie marxienne.
L’observation monter qu’on a aujourd’hui trois groupes qu’on peut constituer en « classes » au sens marxiste du terme (c’est-à-dire, un groupe d’individus occupant la même fonction dans le mode de production). La bourgeoisie, qui se caractérise par le fait qu’elle détient le capital productif, et cherche à le faire fructifier en achetant la force de travail pour un salaire inférieur à la valeur que ce travail produit (la différence étant la plusvalue). Le prolétariat qui se caractérise par le fait qu’il vend cette force de travail à un prix inférieur à la valeur produite, et qui se trouve donc dépossédé de cette différence. Et à côté de ces deux groupes déjà décris par Marx, un troisième groupe semble tirer son épingle du jeu : même si ce groupe est salarié, il récupère la valeur produite et même un peu plus. Comment réussit-il à faire ça ? Ma théorie est que ce groupe a une double fonction : il est à la fois travailleur – souvent salarié – mais il est aussi capitaliste, détenant un « capital immatériel » (connaissances rares, réseaux…) qu’il peut faire fructifier. C’est cela pour moi les classes intermédiaires.
Ce n’est donc pas une question de revenu. Certains membres des classes intermédiaires gagnent moins que certains prolétaires: ainsi, un enseignant gagne moins qu’un bon soudeur…
@ Descartes
***Et à côté de ces deux groupes déjà décris par Marx…***
A côté de la bourgeoisie et du prolétariat, l’analyse Marxiste pointait la survivance de deux classes issues du régime féodal antérieur : Les propriétaires fonciers et la paysannerie.
La paysannerie (petits producteurs possédant leur propre exploitation cultivée avec des techniques arriérées) a quasiment disparue, encore qu’on peut se demander si ce n’est pas une survivance de la paysannerie qu’on retrouve dans les récentes manifestations d’agriculteurs.
Les propriétaires fonciers peuvent sans doute être rattachés au camp de la bourgeoisie, compte tenu que, hier comme aujourd’hui, ils pratiquent sur leurs terres une production de type capitaliste à l’aide de travail salarié.
***un troisième groupe semble tirer son épingle du jeu : même si ce groupe est salarié, il récupère la valeur produite et même un peu plus. Comment réussit-il à faire ça ? Ma théorie est que ce groupe a une double fonction : il est à la fois travailleur – souvent salarié – mais il est aussi capitaliste, détenant un « capital immatériel » (connaissances rares, réseaux…) qu’il peut faire fructifier. C’est cela pour moi les classes intermédiaires.***
Sauriez-vous quantifier ce troisième groupe (en valeur absolue ou bien relative)?
Ce troisième groupe me semble très hétérogène, à côté du chirurgien qui opère à coeur ouvert dans une clinique privée, avec de juteux dépassements d’honoraires, on peut trouver l’auto-entrepreneur qui récupère 100 % de la valeur qu’il produit mais qui tire le diable par la queue. Et puis dans ce troisième groupe il y a des gens qui, sans forcément en être conscients, ont les mêmes intérêts que les classes populaires eu égard à notre modèle social.
C’est pourquoi une classification par les revenus me semble assez pertinente quand-même.
@ Manchego
[La paysannerie (petits producteurs possédant leur propre exploitation cultivée avec des techniques arriérées) a quasiment disparue, encore qu’on peut se demander si ce n’est pas une survivance de la paysannerie qu’on retrouve dans les récentes manifestations d’agriculteurs.]
La paysannerie dont parle Marx a beaucoup d’analogies avec un autre groupe, celui des artisans. Dans les deux cas, ce sont des groupes résiduels, exploitant « avec des techniques arriérées », un gisement économique et qui sont condamnés à disparaître devant l’avance des rapports de production capitalistes. Et la transition s’est très largement faite : les paysans d’aujourd’hui dans la plupart des secteurs tendent à adopter des méthodes industrielles. Je ne pense pas qu’on puisse rattacher les récentes manifestations paysannes à la paysannerie décrite par Marx. C’est plutôt la colère d’une « bourgeoisie pauvre » qui souffre des phénomènes de délocalisation…
[Sauriez-vous quantifier ce troisième groupe (en valeur absolue ou bien relative)?]
Vous voulez dire, estimer son poids dans la population ? Ce n’est pas évident, parce que les classes intermédiaires sont – comme toute classe, d’ailleurs – hétérogène lorsqu’il s’agit d’inscrire ses membres dans des catégories statistiques. Je l’estime quelque part entre 20 et 30% de la population.
[Ce troisième groupe me semble très hétérogène, à côté du chirurgien qui opère à coeur ouvert dans une clinique privée, avec de juteux dépassements d’honoraires, on peut trouver l’auto-entrepreneur qui récupère 100 % de la valeur qu’il produit mais qui tire le diable par la queue.]
Beaucoup d’auto-entrepreneurs ne sont que des salariés déguisés voire, pire, des tâcherons. Il n’y a aucune raison d’inscrire certains auto-entrepreneurs dans les « classes intermédiaires ». Cela étant dit, oui, les classes intermédiaires sont hétérogènes, comme le sont toutes les classes sociales. Entre votre chirurgien et le professeur de lycée il n’y a pas beaucoup plus de distance qu’entre Francis Bouygues et le propriétaire de l’atelier de mécanique d’un village…
[Et puis dans ce troisième groupe il y a des gens qui, sans forcément en être conscients, ont les mêmes intérêts que les classes populaires eu égard à notre modèle social.]
Je ne vois pas quel est ce groupe. Pourriez-vous développer ?
[C’est pourquoi une classification par les revenus me semble assez pertinente quand-même.]
Cela dépend de ce que vous cherchez à caractériser. S’il s’agit d’étudier les modes de consommation, le revenu est un paramètre essentiel. Mais si vous cherchez à caractériser les comportements politiques, la question est celle de l’intérêt de chaque catégorie à faire évoluer dans tel ou tel sens le mode de production. Et dans ce contexte, le fait de savoir quel est l’origine du revenu de chacun est bien plus important que le montant du revenu lui-même. Le soudeur nucléaire et l’échafaudeur ont un revenu très différent. Mais la financiarisation de l’économie est une menace pour les deux. Alors que pour un enseignant, ce n’est pas le cas.
@Descartes,
Bonne année 2025, cher Réné!
Elle promet d’être animée et elle démarre déjà sur les chapeaux de roue: la future administration Trump; les élections générales en Bochie; les difficultés extrêmes, voire la chute du P’tit Cron et de ses clones (Trudeau au Canada, Starmer en GB, Von Der Lahyène pour l’UE, etc…); l’effondrement définitif de l’Ukraine; et cerise sur le gâteau, le décès de Jean-Marie Le Pen, qui symbolise bien la “fin du théâtre antifasciste” (dixit Lionel Jospin).
N’empêche qu’intuitivement, le concept de “bourgeois-bohème” alias “le bobo”, rend assez bien compte de la notion de la classe intermédiaire, selon moi, de la contradiction entre le bourgeois intellectuel qui possède son capital immatériel, et la bohème que le rapproche du prolétariat, sans toutefois subir les inconvénients de l’exploitation.
Marx parlait en son temps de la “petite bourgeoisie”, mais d’un point de vue démographique, les bobos en France et en occident sont, de nos jours, bien plus nombreux.
C’est d’ailleurs une des raisons qui me pousse à utiliser ce vocable certes moins rigoureux que le vôtre, mais qui bien mieux compris par les masses.
@ CVT
[Elle promet d’être animée et elle démarre déjà sur les chapeaux de roue: la future administration Trump; les élections générales en Bochie; les difficultés extrêmes, voire la chute du P’tit Cron et de ses clones (Trudeau au Canada, Starmer en GB, Von Der Lahyène pour l’UE, etc…); l’effondrement définitif de l’Ukraine; et cerise sur le gâteau, le décès de Jean-Marie Le Pen, qui symbolise bien la “fin du théâtre antifasciste” (dixit Lionel Jospin).]
En effet, le monde semble être devenu fou. Après trois ans pendant lesquels on nous expliquait que la menace venait de l’est, on entend Trump qui parle de prendre par la force le Groenland. On ne peut faire la guerre sur deux fronts, alors… peut-être que le moment est venu de chercher un accommodement avec Poutine.
[N’empêche qu’intuitivement, le concept de “bourgeois-bohème” alias “le bobo”, rend assez bien compte de la notion de la classe intermédiaire, selon moi, de la contradiction entre le bourgeois intellectuel qui possède son capital immatériel, et la bohème que le rapproche du prolétariat, sans toutefois subir les inconvénients de l’exploitation.]
Oui, mais le « bobo » représente les couches supérieures des « classes intermédiaires ». Réduire ces dernières à l’univers bobo me paraît exclure toute une population de gens qui partagent avec les bobos des intérêts de classe mais dont le niveau de vie est bien plus bas.
@Manchego
En complément de la réponse de Descartes, je voudrais mentionner deux définitions marxistes de la classe moyenne que j’ai lues dans “Le ménage à trois de la lutte des classes” d’Astrian et Ferro, paru en 2019.
La première a été proposée par Baudelot, Establet et Malemort dans les années 70, et utilise le concept de rétrocession. Dans la théorie marxiste, les travailleurs travaillent une partie de la journée pour reproduire leur force de travail, et le reste de la journée pour produire de la plus-value (gratuitement) pour la bourgeoisie. La rétrocession consisterait à redonner une part de cette plus-value à certains travailleurs, qui constitueraient la classe moyenne. Les auteurs ont notamment donné une quantification de cette classe sociale : environ 17% (selon des données datant des années 60).
La seconde a été proposée par les auteurs du livre (Astrian et Ferro), et utilise le concept de sursalaire. La définition est à peu près la même, mais ils considèrent que le concept de rétrocession n’est pas pertinent car non seulement les travailleurs en question exercent selon eux des activités non productives (surveillance, encadrement, etc.), mais la bourgeoisie ne leur rend pas explicitement une part de la plus-value, leur salaire est simplement plus important que s’ils étaient autant exploités que la classe populaire.
Ce qui est intéressant avec la version de Descartes, en espérant ne pas déformer ses propos, c’est qu’il va un cran plus loin en caractérisant mieux ce qui permet d’accéder à ce qu’il appelle la classe intermédiaire : un capital immatériel. Cela change tout, entre autres choses parce que les professions qui ont un fort pouvoir d’influence sur l’opinion : journaliste, économiste, sociologue, avocat, enseignant, etc. ne sont accessibles qu’avec un tel capital. Cela permet d’expliquer beaucoup de choses. Je regrette qu’il ne se soit pas encore lancé dans l’écriture d’un livre à ce sujet, et ce n’est pas la première fois que je lui dis…
@Descartes
J’ai remarqué que Marx et Engels mentionnent plusieurs fois la classe moyenne dans le Manifeste du Parti Communiste, mais je n’ai pas trouvé de définition précise. Sais-tu s’ils en ont donné une quelque part ?
@ Erwan
[La première a été proposée par Baudelot, Establet et Malemort dans les années 70, et utilise le concept de rétrocession. Dans la théorie marxiste, les travailleurs travaillent une partie de la journée pour reproduire leur force de travail, et le reste de la journée pour produire de la plus-value (gratuitement) pour la bourgeoisie. La rétrocession consisterait à redonner une part de cette plus-value à certains travailleurs, qui constitueraient la classe moyenne. Les auteurs ont notamment donné une quantification de cette classe sociale : environ 17% (selon des données datant des années 60).]
Le défaut de cette description, c’est qu’on voit mal quelle serait l’origine de cette « rétrocession ». Pourquoi la bourgeoisie partagerait avec les classes intermédiaires une partie de la plusvalue extraite, pouvant la garder en entier ? Qu’est ce que la bourgeoisie achète avec ce supplément de salaire ?
[La seconde a été proposée par les auteurs du livre (Astrian et Ferro), et utilise le concept de sursalaire. La définition est à peu près la même, mais ils considèrent que le concept de rétrocession n’est pas pertinent car non seulement les travailleurs en question exercent selon eux des activités non productives (surveillance, encadrement, etc.), mais la bourgeoisie ne leur rend pas explicitement une part de la plus-value, leur salaire est simplement plus important que s’ils étaient autant exploités que la classe populaire.]
Même objection. Pourquoi partager ?
[Ce qui est intéressant avec la version de Descartes, en espérant ne pas déformer ses propos, c’est qu’il va un cran plus loin en caractérisant mieux ce qui permet d’accéder à ce qu’il appelle la classe intermédiaire : un capital immatériel.]
Exactement. C’est l’usage de ce « capital immatériel » que la bourgeoisie achète. L’avantage de ma théorie, est qu’elle explique le pourquoi de cette sur-rémunération.
[Cela permet d’expliquer beaucoup de choses. Je regrette qu’il ne se soit pas encore lancé dans l’écriture d’un livre à ce sujet, et ce n’est pas la première fois que je lui dis…]
Faudra, je le crains, attendre la retraite…
[J’ai remarqué que Marx et Engels mentionnent plusieurs fois la classe moyenne dans le Manifeste du Parti Communiste, mais je n’ai pas trouvé de définition précise. Sais-tu s’ils en ont donné une quelque part ?]
Je ne crois pas. Dans divers textes, Marx et Engels parlent d’une « petite bourgeoisie » qui a grosso modo les traits d’une « classe moyenne ». Mais à l’époque cette classe était très peu nombreuse et occupait une place tellement subalterne qu’il ne semble pas que les pères du matérialisme historique aient pris la peine de la caractériser.
On en a déjà parlé ici-même, je me demandais quelle différence vous faisiez avec ce qu’on appelle “la petite bourgeoisie”, qui semble correspondre à votre classification. J’avoue honteusement que j’ai oublié votre explication. La petite bourgeoisie étant aussi caractérisé par le fait qu’elle fluctue, selon les situations économiques-politiques : pour résumer très superficiellement, quand tout va bien, elle penche du côté de la bourgeoisie, et quand ça va mal, elle bascule “à gauche” et renforce les rangs du prolétariat. Et selon mes très humbles connaissances “marxistes”, c’est une condition sine qua non (l’alliance prolétariat-petite bourgeoisie) pour rendre possible – mais pas obligatoire – l’avènement d’une situation révolutionnaire (sans oublier aussi la présence d’un parti ad hoc, etc etc.).Au risque de vous demander de vous répéter, j’aimerais bien savoir donc, la différence entre les deux dénominations (classes intermédiaires, et petite bourgeoisie). Merci d’avance.
@ Sami
[On en a déjà parlé ici-même, je me demandais quelle différence vous faisiez avec ce qu’on appelle “la petite bourgeoisie”, qui semble correspondre à votre classification.]
La « petite bourgeoisie » chez Marx est un ensemble mal défini. On y trouve d’une façon générale des travailleurs affranchis du salariat (artisans, petits commerçants, professions libérales) mais aussi quelquefois des professions intellectuelles salariées (professeurs…). Le poids de ces couches n’était pas à l’époque suffisamment important pour leur consacrer une étude. Les classes intermédiaires telles que nous les connaissons – c’est-à-dire, qui sont salariées sans pour autant fournir de la plusvalue – ne deviennent puissantes que dans la deuxième moitié du XXème siècle.
[La petite bourgeoisie étant aussi caractérisé par le fait qu’elle fluctue, selon les situations économiques-politiques : pour résumer très superficiellement, quand tout va bien, elle penche du côté de la bourgeoisie, et quand ça va mal, elle bascule “à gauche” et renforce les rangs du prolétariat.]
Une classe ne se « caractérise » que par sa position dans le mode de production. Ses « fluctuations » sont une conséquence de cette position. La « petite bourgeoisie » du XIXème siècle n’était pas à proprement parler une « classe », et ses différents secteurs fluctuaient en fonction de leurs intérêts du moment. Ce n’est plus du tout le cas des « classes intermédiaires », qui sont restées du même côté (celui de la bourgeoisie) depuis bientôt cinquante ans !
[Et selon mes très humbles connaissances “marxistes”, c’est une condition sine qua non (l’alliance prolétariat-petite bourgeoisie) pour rendre possible – mais pas obligatoire – l’avènement d’une situation révolutionnaire (sans oublier aussi la présence d’un parti ad hoc, etc etc.).]
Si c’est le cas, on est mal barrés…
[Au risque de vous demander de vous répéter, j’aimerais bien savoir donc, la différence entre les deux dénominations (classes intermédiaires, et petite bourgeoisie). Merci d’avance.]
La différence essentielle repose sur le fait que les classes intermédiaires, telles que je les ai défini, tirent leur position dans le mode de production de la possession d’un capital immatériel. La « petite bourgeoisie » est un agrégat de gens qui sont trop riches pour être soumis à la misère des prolétaires, mais trop pauvres pour rejoindre la bourgeoisie.
Madame Meda se réveille un peu tard ainsi que le journal qui publie sa tribune. Les catégories populaires même peu diplômées ont une conscience politique plus aigüe que celle que l’on leur attribue. Elles ont compris que le monde mis en place par les élites ne leur était pas favorable depuis longtemps. Elles votent RN ou s’abstiennent encore.
J’ai eu le plaisir de rappeler à l’historien François Delpla que la gauche actuelle dite radicale a eu un vrai précédent dans la mesure où la vraie gauche radicale s’attaquait vraiment au système capitaliste par des nationalisations notamment et une politique sociale bien plus hardie alors que celle incarnée par la FI et les autres partis sous sa férule ne proposent qu’une politique de type sociale-démocrate de meilleure répartition des richesses et que tout son programme économique et social était incompatible avec les engagements européens de la France. S’ils arrivaient au pouvoir ce seraient de petits Tsipras. Parodiant Shakespeare je dirais à propos de la gauche dite radicale “Much ado about nothing”. Il en est de même avec tous les partisans de cette gauche sur les pages Facebook l’économie est leur talon d’Achille comme souvent parce qu’ils ne lisent que les économistes néolibéraux et non les hétérodoxes.
Comme en Autriche où le dirigeant populiste du FPÖ “d’extrême-droite” est proposé par le président pour former une coalition parlementaire avec le parti conservateur. En Allemagne aussi les populistes progressent aussi en vue des élections législatives anticipées du 23 février prochain.
A l’instar de Trump aux USA les formations populistes ont le vent en poupe partout en Europe et il ne serait guère étonnant que la France n’échappe pas à cette vague. Les gauches européennes ont besoin de se refonder totalement et à cet effet une longue cure d’opposition ne leur sera pas inutile voire bénéfique.
@ Cording1
[J’ai eu le plaisir de rappeler à l’historien François Delpla que la gauche actuelle dite radicale a eu un vrai précédent dans la mesure où la vraie gauche radicale s’attaquait vraiment au système capitaliste par des nationalisations notamment et une politique sociale bien plus hardie alors que celle incarnée par la FI et les autres partis sous sa férule ne proposent qu’une politique de type sociale-démocrate de meilleure répartition des richesses et que tout son programme économique et social était incompatible avec les engagements européens de la France.]
Et qu’a-t-il répondu ?
[S’ils arrivaient au pouvoir ce seraient de petits Tsipras. Parodiant Shakespeare je dirais à propos de la gauche dite radicale “Much ado about nothing”. Il en est de même avec tous les partisans de cette gauche sur les pages Facebook l’économie est leur talon d’Achille comme souvent parce qu’ils ne lisent que les économistes néolibéraux et non les hétérodoxes.]
Même pas besoin de lire les hétérodoxes. La simple lecture des keynésiens devrait déjà les faire réfléchir. J’ai même eu l’opportunité d’entendre des dirigeants de gauche demander une politique « keynésienne » sans avoir la moindre idée de ce que cela veut dire. Keynes n’est PAS un apôtre de la redistribution ou du socialisme. Il a mis juste en évidence l’incapacité des marchés à se réguler par eux-mêmes, et le besoin d’une intervention de l’Etat notamment pour atténuer les crises cycliques du capitalisme. En poussant le bouchon, on peut dire que Keynes a sauvé le capitalisme dans les années 1930…
[Les gauches européennes ont besoin de se refonder totalement et à cet effet une longue cure d’opposition ne leur sera pas inutile voire bénéfique.]
Je ne sais pas ce que c’est que « les gauches ». Oui, il faut refonder un « camp du progrès ». Mais un tel camp ne peut être issu des « gauches », tout bêtement parce que celles-ci répondent aux intérêts des classes intermédiaires, et que celles-ci n’ont aucune envie de « progrès », au contraire : elles ont tout intérêt au maintien du statu quo. Il n’est de pire avant-garde que celle qui ne veut pas avancer.
@ Descartes
[le besoin d’une intervention de l’Etat notamment pour atténuer les crises cycliques du capitalisme. En poussant le bouchon, on peut dire que Keynes a sauvé le capitalisme dans les années 1930…].
… et que les États l’ont re-sauvé en 2008.
J’évite de donner des liens de vidéos mais l’interview ci-après de P. Dardot (que j’ai découvert) fourmille d’analyses assez profondes – en tout cas que je n’avais pas entendu aussi clairement formulées – sur les thèmes de l’intervention des États et de leurs relations avec les entreprises dans une économie néolibérale.
@ Bob
[« le besoin d’une intervention de l’Etat notamment pour atténuer les crises cycliques du capitalisme. En poussant le bouchon, on peut dire que Keynes a sauvé le capitalisme dans les années 1930… » et que les États l’ont re-sauvé en 2008.]
Tout à fait. Le « vrai » libéralisme, celui qui était prêt à « laisser faire, laisser passer » devant une crise cyclique comme le fit Hoover en 1929 est mort avec lui. Après la récession massive des années 1930 qui a faille emporter le capitalisme, tout le monde a bien compris. Et si les néolibéraux jouent en théorie avec l’idée de laisser tout à la régulation du marché, en pratique ils sont les premiers à demander l’intervention de l’Etat quand le marché déraille.
En ce sens, il est faux de voir dans le néolibéralisme un retour au libéralisme classique. Le néolibéralisme, c’est plutôt une logique de privatisation des bénéfices et socialisation des pertes.
@ Descartes
Merci pour cette analyse. je n’ai pas accès à l’article en question, mais la partie accessible est déjà assez parlante, je cite: “Il nous faut ensuite disposer des mots justes qui permettront de rendre visibles les avantages du projet en question et donc renoncer à utiliser les formules que nous savons désormais rejetées par une large partie de la population.”
Ce qui transpire de cet extrait est très révélateur: selon Mme Méda, ce que le peuple rejette, ce sont “les formules”, et non les actes. il suffit donc de trouver d’autres “formules” pour nommer l’écologie punitive, la théorie du ruissellement, le pédagogisme exacerbé, le laxisme judiciaire, le communautarisme et j’en passe, des “mots justes”, et le peuple sera convaincu. On est dans la plus pure approche macroniste: si vous n’êtes pas d’accord avec moi, c’est que vous ne m’avez pas compris.
Je n’ai jamais eu le loisir de discuter avec beaucoup de votants RN. Je ne sais pas à quel point on peut être proche ou éloigné d’un ras-le-bol qui pourrait se traduire par des actes, une sorte de réplique des gilets jaunes. D’un coté j’ai l’impression que ce sont des gens qui ne sont pas assez politisés pour réagir de manière épidermique à une outrance démocratique (comme rendre LePen inéligible ou saboter un scrutin).. Contrairement à la thèse orwellienne de la common decency, l’individualisme sévit aussi fortement au sein de la classe populaire, comme partout ailleurs, ceci expliquant cela. En revanche c’est sûr qu’une attaque directe sur leur confort de vie serait à haut risque… Encore que. Est-ce que la résignation concernant la réforme des retraites ne montre pas le contraire ? Dur à dire depuis mon point de vue. Mais je m’étonne chaque jour un peu plus de la relative placidité des classes populaires face au discours dominant…
@ P2R
[Ce qui transpire de cet extrait est très révélateur: selon Mme Méda, ce que le peuple rejette, ce sont “les formules”, et non les actes. Il suffit donc de trouver d’autres “formules” pour nommer l’écologie punitive, la théorie du ruissellement, le pédagogisme exacerbé, le laxisme judiciaire, le communautarisme et j’en passe, des “mots justes”, et le peuple sera convaincu.]
C’est un aspect que je n’ai pas abordé, faute de temps, mais qui est apparent dans l’article, sinon sur les questions de l’école, de la sécurité ou de la richesse, au moins sur celles de l’écologie. On sent bien que pour l’auteur il ne s’agit pas, du moins sur ce sujet-là, de changer de politique mais de « mieux expliquer ». Et on retrouve l’approche macroniste parce que Macron n’a rien inventé : c’est l’approche traditionnelle des classes intermédiaires. Et qu’on pourrait résumer sur le mode « nous sommes dans le vrai, et par conséquent ceux qui ne sont pas d’accord se trompent nécessairement ». Comme si en politique il y avait une « vérité » unique, indépendante des intérêts qu’on défend…
[Dur à dire depuis mon point de vue. Mais je m’étonne chaque jour un peu plus de la relative placidité des classes populaires face au discours dominant…]
Cette « placidité » tient à mon avis à la politique suivie ces trente ou quarante dernières années, qui consiste à acheter la paix sociale par une dépense financée par l’endettement. Les couches populaires ont de bonnes raisons d’avoir peur de la fin du modèle. A cela s’ajoute la mémoire de quarante ans de combats perdus, et le fait que personne ne propose aujourd’hui une alternative crédible aux politiques du « cercle de la raison ». La conjonction de ces éléments ne laisse de la place qu’aux mouvements « expressifs » comme celui des Gilets Jaunes, qui « expriment » un ras le bol et une demande adressé au politique, mais qui n’ont pas de débouché politique possible.
Puisque vous appelez de vos propres voeux la poésie sur ce site, permettez d’agrémenter votre propos de celui d’un écrivain qui partage votre sentiment :
Proust, A l’ombre des jeunes filles en fleur
@ Louis
[« Je revins à la maison. Je venais de vivre le 1er janvier des hommes vieux qui diffèrent ce jour-là des jeunes, non parce qu’on ne leur donne plus d’étrennes, mais parce qu’ils ne croient plus au nouvel an. »]
Merci de me rappeler que je n’ai pas le génie d’un Proust… mais oui, c’est exactement ce sentiment que je voulais exprimer.
Il s’agit peut-être d’un tout petit progrès. Naguère, toute idée, toute proposition était rejetée a priori et sans examen dès lors qu’elle “risquait de faire le jeu de quivousavez”.
Par ailleurs, de plus en plus de mes commentaires sont refusés au prétexte que “je les enverrais trop vite”.
Qu’est-ce que c’est que cette ânerie ?
@ maleyss
[Par ailleurs, de plus en plus de mes commentaires sont refusés au prétexte que “je les enverrais trop vite”.
Qu’est-ce que c’est que cette ânerie ?]
Je pense que vous appuyez plusieurs fois sur le bouton “envoyer”, parce que je reçois souvent vos commentaires en double ou triple exemplaire !
L’aveuglement des thuriféraires du “système” (bouillie néolibérale macrono-social-démocrate-LR-oligarques-médias aux mains de ces derniers, etc…) en est arrivée à son stade final : impossible de défendre rationnellement et honnêtement la situation actuelle : devant une jambe noircie par la gangrène, on ne peut rien faire si ce n’est couper. Les médias aux ordres “bla-blatent”, mais ne proposent aucune solution véritable, puisque c’est impossible.
La situation est telle qu’à moins d’une énième diablerie du “système”, le RN gagnera les prochaines élections présidentielles. J’ai du mal à imaginer que Marine Lepen soit empêchée de se présenter, mais même si cela advenait, la situation est tellement pourrie et “irattrapable” selon les critères politiques traditionnels, eh bien même le post-ado Bardella serait élu. Le grand bug de la 5eme République ne se résoudra que de cette manière (une révolution radicale étant hors de propos en ce moment, qu’on le déplore ou qu’on s’en félicite).
Donc le RN au pouvoir, porté par les couches populaires (lâchées et trahies par la gauche globale) qui n’en peuvent plus des folies destructrices et dangereuses macronistes. Ca sera alors extrêmement intéressant de voir comment va gouverner le RN. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas un parti homogène. Il y a aussi bien une tendance qu’on va dire souverainiste, anti US-soumission, sociale, portée par le jeune et fougueux Tanguy, qu’une tendance ultra pro US et total néolibérale portée par la nièce (planquée en mode guet-apens), etc. Il doit bien rester aussi une tendance carrément anti UE et anti OTAN, silencieuse, portée à l’époque par Philippot, viré car trop radical et ne sachant pas louvoyer entre les écueils/pièges médiatiques !
Le RN est caractérisé en ce moment par une ligne politique très louvoyante, jugée nécessaire par la direction, pour se maintenir à flot, en se laissant porter par une dynamique évidente vers la victoire. Le RN n’est net sur rien, flou sur tout, mais d’évidence, ça marche !
Ce qui sera donc intéressant, c’est de voir comment ça se passera entre ce parti devenu gouvernant donc responsable de la situation, et ceux qui l’auront porté au pouvoir, souvent non par une quelconque conviction politique-idéologique, mais par un vote furieusement protestataire.
Le RN au second tour (sauf 3eme GM), et il n’y aura aucun vote “républicain” de barrage au “nazisme”(humour…) quel que soit le candidat face à Marine ou Jordan.
Tout cela est bien sûr un peu de la politique fiction, et on peut certainement imaginer d’autres scénarios, mais je crois que celui-ci est le plus probable, parce que la situation actuelle est tout simplement inextricable et sans issue, et qu’il faut bien un jour, s’en sortir. Sans oublier que la dynamique est carrément européenne, si ce n’est mondiale.
Le “système” est pleinement responsable de l’avènement du RN aux portes du pouvoir. C’est une évidence.
@ Sami
[La situation est telle qu’à moins d’une énième diablerie du “système”, le RN gagnera les prochaines élections présidentielles. J’ai du mal à imaginer que Marine Le Pen soit empêchée de se présenter, mais même si cela advenait, la situation est tellement pourrie et “irrattrapable” selon les critères politiques traditionnels, eh bien même le post-ado Bardella serait élu. Le grand bug de la 5eme République ne se résoudra que de cette manière (une révolution radicale étant hors de propos en ce moment, qu’on le déplore ou qu’on s’en félicite).]
Je ne sais pas. La situation est critique, pas tant à cause de la dette – on en a vu d’autres – que du délitement qui touche notre société dans tous les aspects de l’économie et du social. Notre industrie, notre recherche, notre système éducatif, nos hôpitaux, notre fonction publique, nos infrastructures faisaient de la France un pays de pointe. Aujourd’hui, après quarante ans de négligence, tout ce capital est dans un triste état et chaque jour qui passe nous reculons encore. Comme en 1958, comme en 1945, il faut faire des choix. Et comme ces choix seront très durs pour tout le monde, seul un gouvernement disposant d’une légitimité et d’une confiance incontestable dans toutes les couches de la société sera en mesure de les mettre en œuvre.
Oui, le candidat RN pourrait arriver au pouvoir à la prochaine élection. Mais une fois élu, aura-t-il la capacité légitimité et de la confiance nécessaire ? Aura-t-il les compétences pour naviguer en eau trouble sans les perdre ? Je crains que ce ne soit pas le cas. J’aimerais bien me tromper, mais une longue expérience m’a rendu méfiant. A supposer même que le RN ait de bonnes intentions – ce qui reste à démontrer – la question de la compétence se pose sérieusement.
[Donc le RN au pouvoir, porté par les couches populaires (lâchées et trahies par la gauche globale) qui n’en peuvent plus des folies destructrices et dangereuses macronistes. Ca sera alors extrêmement intéressant de voir comment va gouverner le RN.]
Oui. Seulement, c’est une expérience dont nous serons les rats de laboratoire…
[Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas un parti homogène. Il y a aussi bien une tendance qu’on va dire souverainiste, anti US-soumission, sociale, portée par le jeune et fougueux Tanguy, qu’une tendance ultra pro US et total néolibérale portée par la nièce (planquée en mode guet-apens), etc. Il doit bien rester aussi une tendance carrément anti UE et anti OTAN, silencieuse, portée à l’époque par Philippot, viré car trop radical et ne sachant pas louvoyer entre les écueils/pièges médiatiques !]
Bien sûr. Aucun parti homogène n’arrive à faire 30% des voix. Pour avoir derrière soi une majorité d’électeurs, il faut être représentatif d’une certaine diversité, avoir des figures qui peuvent tenir des discours légèrement différents tout en restant à l’intérieur d’un cadre général. Mais encore une fois, je suis plus rassuré par ce que les dirigeants du Rassemblement national VEULENT faire que par leur CAPACITE à le faire. Contrairement à ce que croient les gauchistes, il ne suffit pas de s’asseoir sur le trône, tendre le doigt et dire « je le veux » pour que les choses se fassent.
[Le RN est caractérisé en ce moment par une ligne politique très louvoyante, jugée nécessaire par la direction, pour se maintenir à flot, en se laissant porter par une dynamique évidente vers la victoire. Le RN n’est net sur rien, flou sur tout, mais d’évidence, ça marche !]
« On ne sort de l’ambigüité qu’à son détriment », disait le Cardinal de Retz. C’était, si ma mémoire ne me trompe pas, l’une des formules préférées d’un certain François Mitterrand.
[Ce qui sera donc intéressant, c’est de voir comment ça se passera entre ce parti devenu gouvernant donc responsable de la situation, et ceux qui l’auront porté au pouvoir, souvent non par une quelconque conviction politique-idéologique, mais par un vote furieusement protestataire.]
L’ennemi le plus dangereux que le RN aura à affronter, c’est l’impuissance. Si j’étais le conseiller de Marine Le Pen – ce que je ne suis pas – j’insisterais tous les jours sur la nécessité absolue d’attirer les bonnes compétences, de former des cadres, d’être prêt à prendre les rênes de l’Etat. Les premiers jours, les premières semaines seront vitales pour créer de la confiance, pour asseoir une légitimité.
Et si je peux ajouter un point, ce conseil s’applique aussi aux progressistes – les vrais, pas les macronistes qui usurpent ce terme. Parce que si le RN échoue, il faudra bien que quelqu’un prenne les manettes. Aujourd’hui, si le NFP avait à gouverner il ne saurait pas quoi faire du pouvoir – à part la politique du chien crevé au fil de l’eau, avec un gros zeste de démagogie.
Bonjour Descartes,
Allez-vous faire un papier sur le décès et le bilan de Jean-Marie Le Pen ? Je serais fort curieux d’avoir votre analyse sur le personnage et son influence sur le politique française durant cinquante ans.
@ Roman
[Allez-vous faire un papier sur le décès et le bilan de Jean-Marie Le Pen ? Je serais fort curieux d’avoir votre analyse sur le personnage et son influence sur le politique française durant cinquante ans.]
Je ne sais pas. L’actualité se bouscule, et je n’ai pas le temps de traiter tous les sujets qui se présentent… Mais le personnage mérite certainement une analyse. Après tout, c’était le dernier survivant d’un temps presque oublié, celui de la IVème république et des débuts de la Vème. Il avait bien connu les derniers débris des forces qui avaient nourri Vichy et la Révolution nationale, il avait trempé dans les affres de la décolonisation et de la quasi-guerre-civile qui suivit l’indépendance de l’Algérie. Mais son influence sur la politique française aura été finalement très faible. Si Jean-Marie Le Pen réussit à aller au deuxième tour de l’élection présidentielle en 2002, il le doit essentiellement à l’incompétence politique de Jospin. Ses idées ne percutent pas à l’époque dans l’opinion, et il n’arrive guère à imposer ses thèmes dans le débat public. Au deuxième tour, il essuiera d’ailleurs un rejet massif. Le FN n’arrivera à percer que bien plus tard, lorsqu’il tournera le dos à la vision économique libérale qui était celle de Jean-Marie Le Pen, lorsqu’il marquera une rupture avec l’antisémitisme, avec l’antigaullisme, avec les amitiés vichyssoises du patriarche.
Le parti qu’il a fondé triomphe, certes, mais est-ce vraiment le même parti ?
L’ironie du parcours de Jean Marie Le Pen, c’est qu’il est finalement parallèle à celui de François Mitterrand. Tous deux ont eu des amis vichyssois, tous deux se sont engagés pour l’Algérie française, tous deux ont trempé dans les affaires de l’OAS, tous deux ont été des antisémites de salon, tous deux des adversaires résolus de De Gaulle.