Quand j’étais enfant, le nouvel an était une fête extraordinaire. On se levait le 1er janvier, on regardait par la fenêtre et on voyait un nouveau monde. La sensation était indéfinissable, et pourtant palpable. Le monde au 1er janvier n’était pas le même que celui du 31 décembre. Tout ce qui semblait impossible hier devenait possible, porté par les ailes d’un optimisme renouvelé et des bonnes résolutions. Avec l’âge, ce sentiment s’émousse, bien sûr. A mesure qu’on s’endurcit, on s’aperçoit que cet optimisme tient plus de l’autosuggestion que de la réalité. Et quelle que soit l’envie qu’on a d’y croire, on n’y arrive plus.
La lecture des journaux n’aide pas. Ainsi « Le Monde », le journal des classes intermédiaires qui se prennent pour des élites, offre pour ouvrir une année qu’on voudrait pleine d’espérance une tribune de Dominique Méda (1) qui, à moins que le deuxième degré m’ait échappé, confirmera aux idéalistes les plus volontaires que le passage à la nouvelle année n’a rien changé.
Le titre est prometteur : « Nous avons besoin d’un projet politique qui place les classes populaires en son cœur ». Et le début du texte ne le dément pas : « Nous avons besoin d’un projet. Un projet compréhensible par tous, à la construction et à la réalisation duquel l’ensemble de la population doit être appelé à contribuer et dont les bienfaits collectifs seront visibles. Un projet capable de dessiner les contours d’une société désirable ». Bravo, j’ai envie de dire. Après tout, c’est la position que je défends depuis des années, alors même que la gauche et tout particulièrement les dirigeants socialistes – dont Madame Méda est très proche – avaient laissé tomber les couches populaires pour se concentrer sur les classes intermédiaires, suivant en cela les avis de leur cercle de réflexion Terra Nova. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire.
Mais malheureusement, après ce début en fanfare, on retombe rapidement dans les vieilles obsessions. Pourquoi « avons-nous besoin d’un projet » ? Quelle est la motivation pour « placer les classes populaires » au cœur de celui-ci ? On pourrait penser qu’il s’agit d’améliorer la situation du monde du travail. Ou bien de restaurer un fonctionnement normal des institutions. Ou peut-être même de rétablir la France dans son indépendance et dans sa grandeur, comme on écrivait du temps du CNR. Eh bien, pas du tout, naïfs que vous êtes. Ce n’est ni le monde du travail, ni les institutions, ni la France qui sont l’objet de tant de sollicitudes. Nous « avons besoin d’un projet » pour une raison bien plus banale, et qui apparaît clairement dans le « chapeau » ajouté par le rédacteur en chef du journal : « la France doit construire un projet politique, économique et social, sans quoi l’extrême droite promet de remporter les prochaines élections ».
Diable ! On aurait pu croire que l’appel de Dominique Méda était motivé par un élan de générosité, par sa révolte devant le sort de moins en moins enviable fait aux couches populaires. Eh bien non : si les couches populaires s’abstenaient sagement, ou bien votaient au hasard n’importe quel parti du « cercle de la raison », il n’y aurait aucune raison de s’en occuper. Le problème n’apparaît que parce qu’elles votent « mal », et que du coup « l’extrême droite promet de remporter les prochaines élections » si l’on ne fait pas quelque chose rapidement.
Du temps où l’extrême droite était loin du pouvoir, quand les couches populaires avaient le bon goût de s’abstenir, le think-tank social-libéral « Terra Nova » ne se gênait pas pour expliquer qu’il fallait que la gauche oublie les classes populaires, ces beaufs racistes et sexistes, pour s’adresser à d’autres électorats. Maintenant, parce que le RN semble être aux portes du pouvoir porté précisément par le vote des couches populaires, les élites « de gauche » parlent de « placer les couches populaires au centre » du projet. Le plus amusant, c’est que cet aveu donne finalement raison à ceux qui, dans l’électorat populaire, ont donné leur suffrage au RN. Sans ce geste, on les aurait oubliés. C’est grâce à ce suffrage qu’on réfléchit doctement dans les colonnes du « journal de référence » à mettre les couches populaires « au centre du projet ».
Mais quel pourrait être ce projet « désirable » ? Méda ne le dit pas. Tout au plus, elle cite des travaux de sociologues américains (2), comme Joan C. Williams qui, pour empêcher l’élection de Trump, considérait nécessaire « que les démocrates remettent les attentes des membres de la classe laborieuse au cœur de leur programme, fassent tout pour leur garantir un accès à de bons emplois, permettant de subvenir aux besoins de leurs familles, et parviennent à réconcilier l’élite et la classe laborieuse ».
Vaste programme, aurait dit mongénéral… Comment « garantir un accès à de bons emplois », alors que les « bons emplois » accessibles aux couches populaires disparaissent emportés par la mise en concurrence des travailleurs français avec ceux du reste du monde ? Comment s’assurer que ces emplois « permettent de subvenir aux besoins de leurs familles » alors que la privatisation des services publics reporte de plus en plus la charge sur les ménages modestes, que la politique de subvention aux bas salaires, créant une « trappe à pauvreté », entraîne une « smicardisation » croissante de la pyramide des revenus, que la contrainte de « compétitivité » pousse les salaires vers le bas ?
Et finalement, comment « réconcilier l’élite et la classe laborieuse » alors que l’élite, issue des classes intermédiaires, a perdu toute notion du « noblesse oblige » et n’est prête à rien sacrifier sur l’autel de cette « réconciliation » ? L’article de Dominique Méda est sans ambigüité de ce point de vue. Voici sa conclusion : « Le rapprochement des classes (…) ne pourra pas se faire sans une augmentation de la contribution des plus aisés. Il est de la responsabilité de la droite et du centre de rompre avec le dogme absurde et révoltant de la non-augmentation des impôts des plus riches ». A partir de quel revenu, de quel patrimoine commence cette catégorie ? Madame Méda, pour ne prendre que son exemple, s’inclut-elle dans la catégorie des « plus riches » ou même « des plus aisés » ? Le ton de l’article laisse penser le contraire. Et si elle ne s’y inclut pas, on peut supposer qu’une large portion des classes intermédiaires ne s’y inclut pas non plus. Autrement dit, OK pour toucher au « dogme absurde », tant que cela ne concerne que les autres. Dès lors qu’il s’agit des classes intermédiaires qui, bien entendu, ne sauraient être considérées parmi « les plus aisés » ou « les plus riches », on n’y touche pas. Quand bien même leur niveau de vie est supérieur au niveau de vie médian qui, rappelons-le, correspond à 2050 €/mois de revenu disponible pour un célibataire, à 4250 €/mois pour un couple avec deux enfants de moins de 14 ans (source INSEE). Moins de la moitié de ce que doit toucher Dominique Méda en tant qu’inspecteur général des affaires sociales et professeur des universités.
Si Méda – et plus généralement les élites social-libérales – croient un instant qu’ils arriveront à persuader les couches populaires qu’ils « placent les classes populaires au cœur » de leur projet simplement en criant haro sur « les plus riches » tout en s’affranchissant eux-mêmes de toute contribution, ils se trompent. Non parce que les classes populaires auraient une prévenance particulière envers les Arnault et Pinault de ce monde, mais parce qu’elles savent bien quelles sont les limites de ces discours dans une France asservie aux règles de l’Union européenne. Hollande nous a déjà fait le coup en expliquant que « son ennemi était la finance », et on a vu ce qui en a résulté. Pour faire plus, il faut remettre en cause la « libre circulation des capitaux », ce qu’aucun gouvernement « de gauche » n’a fait ces quarante dernières années, non par manque de courage comme on le dit couramment, mais parce que ce n’est pas dans l’intérêt des classes intermédiaires qui l’ont porté au pouvoir. Il faut beaucoup d’imagination – et peu de mémoire – pour concevoir « la gauche » taxant « les plus riches », au-delà de quelque ISF plus ou moins symbolique.
Dominique Méda nous dit qu’il nous faut « un projet capable de dessiner les contours d’une société désirable », mettant « au cœur du projet les couches populaires », mais oublie un élément essentiel : ce projet doit non seulement être désirable, il doit surtout être crédible. Parce que les couches populaires ont une longue expérience de projets fort désirables promettant de « changer la vie », portés par des dirigeants et des partis qui, une fois élus, leur ont tourné le dos. Et c’est là le problème fondamental : personne n’est capable de dire en quoi pourrait consister un tel projet ni, surtout, qui pourrait l’élaborer. Et cela pour une raison simple : la classe qui a les instruments intellectuels pour proposer un tel projet n’a aucun intérêt à le faire. D’où l’ambigüité du « nous » utilisé par l’auteur de cette tribune. Qui est ce « nous » qui aurait « besoin d’un projet » – dans le but, rappelons-le, d’empêcher l’arrivée du RN au pouvoir ? Est-ce la France ? Les « couches populaires » ? La « gauche » ? Le Parti Socialiste ? Ou tout simplement les classes intermédiaires, soucieuses de préserver un statu quo qui les avantage et que l’arrivée au pouvoir des « populistes » pourrait mettre en danger ?
Soyons sérieux : cet appel à « mettre les classes populaires au centre du projet » c’est une n-ième tentative de donner une légitimité au projet des classes intermédiaires. Dans sa tribune, Dominique Méda ne donne à cette « mise au centre » la moindre traduction pratique. Cela veut dire quoi, exactement, « mettre les classes populaires au centre du projet » ? Mettre en exergue les questions économiques et sociales en faisant passer les questions sociétales au second plan ? Prendre au sérieux les questions d’immigration en revenant à une logique restrictive d’assimilation ? Travailler sur la sécurité en rétablissant des valeurs comme la discipline et l’autorité ? En finir avec une construction européenne qui met en concurrence les travailleurs et aboutit fatalement à un nivellement par le bas ? Remiser aux oubliettes une « écologie punitive » qui taxe les vieux diesels mais exonère le kérosène des avions ? Remettre en route l’ascenseur social en revenant à une logique méritocratique ? Parce que c’est cela que les classes populaires demandent à travers leur vote. Si c’est cela que vous proposez, Madame Méda, il faut le dire clairement – et je doute que dans ce cas on vous réinvite à publier une tribune dans le « journal de référence ». Si par « mettre les couches populaires au centre du projet » vous entendez essayer de les convaincre qu’il faut plus d’écologie, plus d’Europe, plus de tout ce qui nous a amenés là où nous sommes, vous perdez votre temps.
Descartes
(2) On note dans l’article que la situation française semble vue avec le prisme américain, comme si le RN était un avatar du Parti Républicain et la gauche française une image miroir du parti démocrate. Il ne manque pas de sociologues français à citer, surtout lorsqu’il s’agit d’enfoncer des portes ouvertes…
@ Descartes
***Dès lors qu’il s’agit des classes intermédiaires qui, bien entendu, ne sauraient être considérées parmi « les plus aisés » ou « les plus riches », on n’y touche pas. Quand bien même leur niveau de vie est supérieur au niveau de vie médian qui, rappelons-le, correspond à 2050 €/mois de revenu disponible pour un célibataire, à 4250 €/mois pour un couple avec deux enfants de moins de 14 ans (source INSEE). Moins de la moitié de ce que doit toucher Dominique Méda en tant qu’inspecteur général des affaires sociales et professeur des universités.***
Vous êtes, il me semble, le seul a proposer le concept de “classe intermédiaire”, généralement on entend parler de classe populaire, de classe moyenne, de classe aisée, mais avec une classification assez floue, en fonction de critères mal définis (revenus, niveau d’études, patrimoine…).
https://inegalites.fr/Classes-populaires-moyennes-et-aisees-de-quoi-parle-t-on#:~:text=les%20classes%20%C2%AB%20populaires%20%C2%BB%20comprennent%20les,les%2020%20%25%20aux%20revenus%20sup%C3%A9rieurs.
Avez-vous une définition précise des diverses classes qui composent la société ? Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par “classe intermédiaire” ?
@ Manchego
[Vous êtes, il me semble, le seul a proposer le concept de “classe intermédiaire”, généralement on entend parler de classe populaire, de classe moyenne, de classe aisée, mais avec une classification assez floue, en fonction de critères mal définis (revenus, niveau d’études, patrimoine…).]
Il y a d’autres auteurs qui proposent des concepts similaires au mien. La question est justement de sortir des définitions purement statistiques, fondées sur le revenu, ou les définitions sociologiques, qui s’appuient sur les pratiques culturelles, sur les modes de vie, sur le niveau d’études. Le problème de ces définitions, c’est qu’elles sont déconnectées de la question de la production, et ne permettent donc pas de définir une catégorie à laquelle on peut appliquer les puissants instruments d’analyse de la théorie marxienne.
L’observation monter qu’on a aujourd’hui trois groupes qu’on peut constituer en « classes » au sens marxiste du terme (c’est-à-dire, un groupe d’individus occupant la même fonction dans le mode de production). La bourgeoisie, qui se caractérise par le fait qu’elle détient le capital productif, et cherche à le faire fructifier en achetant la force de travail pour un salaire inférieur à la valeur que ce travail produit (la différence étant la plusvalue). Le prolétariat qui se caractérise par le fait qu’il vend cette force de travail à un prix inférieur à la valeur produite, et qui se trouve donc dépossédé de cette différence. Et à côté de ces deux groupes déjà décris par Marx, un troisième groupe semble tirer son épingle du jeu : même si ce groupe est salarié, il récupère la valeur produite et même un peu plus. Comment réussit-il à faire ça ? Ma théorie est que ce groupe a une double fonction : il est à la fois travailleur – souvent salarié – mais il est aussi capitaliste, détenant un « capital immatériel » (connaissances rares, réseaux…) qu’il peut faire fructifier. C’est cela pour moi les classes intermédiaires.
Ce n’est donc pas une question de revenu. Certains membres des classes intermédiaires gagnent moins que certains prolétaires: ainsi, un enseignant gagne moins qu’un bon soudeur…
@ Descartes
***Et à côté de ces deux groupes déjà décris par Marx…***
A côté de la bourgeoisie et du prolétariat, l’analyse Marxiste pointait la survivance de deux classes issues du régime féodal antérieur : Les propriétaires fonciers et la paysannerie.
La paysannerie (petits producteurs possédant leur propre exploitation cultivée avec des techniques arriérées) a quasiment disparue, encore qu’on peut se demander si ce n’est pas une survivance de la paysannerie qu’on retrouve dans les récentes manifestations d’agriculteurs.
Les propriétaires fonciers peuvent sans doute être rattachés au camp de la bourgeoisie, compte tenu que, hier comme aujourd’hui, ils pratiquent sur leurs terres une production de type capitaliste à l’aide de travail salarié.
***un troisième groupe semble tirer son épingle du jeu : même si ce groupe est salarié, il récupère la valeur produite et même un peu plus. Comment réussit-il à faire ça ? Ma théorie est que ce groupe a une double fonction : il est à la fois travailleur – souvent salarié – mais il est aussi capitaliste, détenant un « capital immatériel » (connaissances rares, réseaux…) qu’il peut faire fructifier. C’est cela pour moi les classes intermédiaires.***
Sauriez-vous quantifier ce troisième groupe (en valeur absolue ou bien relative)?
Ce troisième groupe me semble très hétérogène, à côté du chirurgien qui opère à coeur ouvert dans une clinique privée, avec de juteux dépassements d’honoraires, on peut trouver l’auto-entrepreneur qui récupère 100 % de la valeur qu’il produit mais qui tire le diable par la queue. Et puis dans ce troisième groupe il y a des gens qui, sans forcément en être conscients, ont les mêmes intérêts que les classes populaires eu égard à notre modèle social.
C’est pourquoi une classification par les revenus me semble assez pertinente quand-même.
@ Manchego
[La paysannerie (petits producteurs possédant leur propre exploitation cultivée avec des techniques arriérées) a quasiment disparue, encore qu’on peut se demander si ce n’est pas une survivance de la paysannerie qu’on retrouve dans les récentes manifestations d’agriculteurs.]
La paysannerie dont parle Marx a beaucoup d’analogies avec un autre groupe, celui des artisans. Dans les deux cas, ce sont des groupes résiduels, exploitant « avec des techniques arriérées », un gisement économique et qui sont condamnés à disparaître devant l’avance des rapports de production capitalistes. Et la transition s’est très largement faite : les paysans d’aujourd’hui dans la plupart des secteurs tendent à adopter des méthodes industrielles. Je ne pense pas qu’on puisse rattacher les récentes manifestations paysannes à la paysannerie décrite par Marx. C’est plutôt la colère d’une « bourgeoisie pauvre » qui souffre des phénomènes de délocalisation…
[Sauriez-vous quantifier ce troisième groupe (en valeur absolue ou bien relative)?]
Vous voulez dire, estimer son poids dans la population ? Ce n’est pas évident, parce que les classes intermédiaires sont – comme toute classe, d’ailleurs – hétérogène lorsqu’il s’agit d’inscrire ses membres dans des catégories statistiques. Je l’estime quelque part entre 20 et 30% de la population.
[Ce troisième groupe me semble très hétérogène, à côté du chirurgien qui opère à coeur ouvert dans une clinique privée, avec de juteux dépassements d’honoraires, on peut trouver l’auto-entrepreneur qui récupère 100 % de la valeur qu’il produit mais qui tire le diable par la queue.]
Beaucoup d’auto-entrepreneurs ne sont que des salariés déguisés voire, pire, des tâcherons. Il n’y a aucune raison d’inscrire certains auto-entrepreneurs dans les « classes intermédiaires ». Cela étant dit, oui, les classes intermédiaires sont hétérogènes, comme le sont toutes les classes sociales. Entre votre chirurgien et le professeur de lycée il n’y a pas beaucoup plus de distance qu’entre Francis Bouygues et le propriétaire de l’atelier de mécanique d’un village…
[Et puis dans ce troisième groupe il y a des gens qui, sans forcément en être conscients, ont les mêmes intérêts que les classes populaires eu égard à notre modèle social.]
Je ne vois pas quel est ce groupe. Pourriez-vous développer ?
[C’est pourquoi une classification par les revenus me semble assez pertinente quand-même.]
Cela dépend de ce que vous cherchez à caractériser. S’il s’agit d’étudier les modes de consommation, le revenu est un paramètre essentiel. Mais si vous cherchez à caractériser les comportements politiques, la question est celle de l’intérêt de chaque catégorie à faire évoluer dans tel ou tel sens le mode de production. Et dans ce contexte, le fait de savoir quel est l’origine du revenu de chacun est bien plus important que le montant du revenu lui-même. Le soudeur nucléaire et l’échafaudeur ont un revenu très différent. Mais la financiarisation de l’économie est une menace pour les deux. Alors que pour un enseignant, ce n’est pas le cas.
@ Descartes
***Je ne vois pas quel est ce groupe. Pourriez-vous développer ?***
Le mieux c’est de mettre en exergue un des domaines où les intérêts de la classe intermédiaire et ceux de la classe populaire peuvent coïncider. Ce domaine c’est celui de la santé. Si vous avez la malchance d’avoir un cancer ou une crise cardiaque (pour moi c’est du vécu dans les deux cas…), à l’hôpital public on va tout faire pour vous sauver, on ne vous demandera pas la carte bleue pour les soins, uniquement la carte vitale. Sur des pathologies de ce type, ce sont des sommes énormes qui sont engagées et payées grâce à la solidarité collective, ce sont des sommes qui sont quasiment impossible à assumer à titre personnel, que vous soyez professeur de Lycée ou manoeuvre.
@ Manchego
[Le mieux c’est de mettre en exergue un des domaines où les intérêts de la classe intermédiaire et ceux de la classe populaire peuvent coïncider. Ce domaine c’est celui de la santé. Si vous avez la malchance d’avoir un cancer ou une crise cardiaque (pour moi c’est du vécu dans les deux cas…), à l’hôpital public on va tout faire pour vous sauver, on ne vous demandera pas la carte bleue pour les soins, uniquement la carte vitale.]
Votre raisonnement s’applique autant à la classe intermédiaire qu’à la bourgeoisie. Pourquoi ne pas conclure que dans ce domaine les intérêts de la bourgeoisie et des classes populaires coïncident eux aussi ?
En fait, vous faites une erreur de raisonnement. Tout le monde a bien entendu intérêt à pouvoir se faire soigner gratuitement. Mais cette « gratuité » n’est qu’apparente : quelqu’un paye ces soins, par ses cotisations et ses impôts. Et c’est là que les intérêts divergent. Le système de la sécurité sociale est un système de transfert, les plus riches payant pour les plus pauvres : en effet, vos cotisations sociales sont proportionnelles à votre revenu, alors que le traitement d’un cancer ou d’une maladie cardiaque coûte la même chose dans les deux cas. Autrement dit, pour le cadre il serait bien plus avantageux d’avoir un système assurantiel, ou les cotisations sont les mêmes pour tout le monde, alors que pour les couches populaires un système universel financé par des cotisations proportionnelles est nettement plus avantageux… Comme vous pouvez le constater, les intérêts des couches populaires et ceux des classes intermédiaires ne convergent pas vraiment sur ce sujet !
@Descartes,
Bonne année 2025, cher Réné!
Elle promet d’être animée et elle démarre déjà sur les chapeaux de roue: la future administration Trump; les élections générales en Bochie; les difficultés extrêmes, voire la chute du P’tit Cron et de ses clones (Trudeau au Canada, Starmer en GB, Von Der Lahyène pour l’UE, etc…); l’effondrement définitif de l’Ukraine; et cerise sur le gâteau, le décès de Jean-Marie Le Pen, qui symbolise bien la “fin du théâtre antifasciste” (dixit Lionel Jospin).
N’empêche qu’intuitivement, le concept de “bourgeois-bohème” alias “le bobo”, rend assez bien compte de la notion de la classe intermédiaire, selon moi, de la contradiction entre le bourgeois intellectuel qui possède son capital immatériel, et la bohème que le rapproche du prolétariat, sans toutefois subir les inconvénients de l’exploitation.
Marx parlait en son temps de la “petite bourgeoisie”, mais d’un point de vue démographique, les bobos en France et en occident sont, de nos jours, bien plus nombreux.
C’est d’ailleurs une des raisons qui me pousse à utiliser ce vocable certes moins rigoureux que le vôtre, mais qui bien mieux compris par les masses.
@ CVT
[Elle promet d’être animée et elle démarre déjà sur les chapeaux de roue: la future administration Trump; les élections générales en Bochie; les difficultés extrêmes, voire la chute du P’tit Cron et de ses clones (Trudeau au Canada, Starmer en GB, Von Der Lahyène pour l’UE, etc…); l’effondrement définitif de l’Ukraine; et cerise sur le gâteau, le décès de Jean-Marie Le Pen, qui symbolise bien la “fin du théâtre antifasciste” (dixit Lionel Jospin).]
En effet, le monde semble être devenu fou. Après trois ans pendant lesquels on nous expliquait que la menace venait de l’est, on entend Trump qui parle de prendre par la force le Groenland. On ne peut faire la guerre sur deux fronts, alors… peut-être que le moment est venu de chercher un accommodement avec Poutine.
[N’empêche qu’intuitivement, le concept de “bourgeois-bohème” alias “le bobo”, rend assez bien compte de la notion de la classe intermédiaire, selon moi, de la contradiction entre le bourgeois intellectuel qui possède son capital immatériel, et la bohème que le rapproche du prolétariat, sans toutefois subir les inconvénients de l’exploitation.]
Oui, mais le « bobo » représente les couches supérieures des « classes intermédiaires ». Réduire ces dernières à l’univers bobo me paraît exclure toute une population de gens qui partagent avec les bobos des intérêts de classe mais dont le niveau de vie est bien plus bas.
@Manchego
En complément de la réponse de Descartes, je voudrais mentionner deux définitions marxistes de la classe moyenne que j’ai lues dans “Le ménage à trois de la lutte des classes” d’Astrian et Ferro, paru en 2019.
La première a été proposée par Baudelot, Establet et Malemort dans les années 70, et utilise le concept de rétrocession. Dans la théorie marxiste, les travailleurs travaillent une partie de la journée pour reproduire leur force de travail, et le reste de la journée pour produire de la plus-value (gratuitement) pour la bourgeoisie. La rétrocession consisterait à redonner une part de cette plus-value à certains travailleurs, qui constitueraient la classe moyenne. Les auteurs ont notamment donné une quantification de cette classe sociale : environ 17% (selon des données datant des années 60).
La seconde a été proposée par les auteurs du livre (Astrian et Ferro), et utilise le concept de sursalaire. La définition est à peu près la même, mais ils considèrent que le concept de rétrocession n’est pas pertinent car non seulement les travailleurs en question exercent selon eux des activités non productives (surveillance, encadrement, etc.), mais la bourgeoisie ne leur rend pas explicitement une part de la plus-value, leur salaire est simplement plus important que s’ils étaient autant exploités que la classe populaire.
Ce qui est intéressant avec la version de Descartes, en espérant ne pas déformer ses propos, c’est qu’il va un cran plus loin en caractérisant mieux ce qui permet d’accéder à ce qu’il appelle la classe intermédiaire : un capital immatériel. Cela change tout, entre autres choses parce que les professions qui ont un fort pouvoir d’influence sur l’opinion : journaliste, économiste, sociologue, avocat, enseignant, etc. ne sont accessibles qu’avec un tel capital. Cela permet d’expliquer beaucoup de choses. Je regrette qu’il ne se soit pas encore lancé dans l’écriture d’un livre à ce sujet, et ce n’est pas la première fois que je lui dis…
@Descartes
J’ai remarqué que Marx et Engels mentionnent plusieurs fois la classe moyenne dans le Manifeste du Parti Communiste, mais je n’ai pas trouvé de définition précise. Sais-tu s’ils en ont donné une quelque part ?
@ Erwan
[La première a été proposée par Baudelot, Establet et Malemort dans les années 70, et utilise le concept de rétrocession. Dans la théorie marxiste, les travailleurs travaillent une partie de la journée pour reproduire leur force de travail, et le reste de la journée pour produire de la plus-value (gratuitement) pour la bourgeoisie. La rétrocession consisterait à redonner une part de cette plus-value à certains travailleurs, qui constitueraient la classe moyenne. Les auteurs ont notamment donné une quantification de cette classe sociale : environ 17% (selon des données datant des années 60).]
Le défaut de cette description, c’est qu’on voit mal quelle serait l’origine de cette « rétrocession ». Pourquoi la bourgeoisie partagerait avec les classes intermédiaires une partie de la plusvalue extraite, pouvant la garder en entier ? Qu’est ce que la bourgeoisie achète avec ce supplément de salaire ?
[La seconde a été proposée par les auteurs du livre (Astrian et Ferro), et utilise le concept de sursalaire. La définition est à peu près la même, mais ils considèrent que le concept de rétrocession n’est pas pertinent car non seulement les travailleurs en question exercent selon eux des activités non productives (surveillance, encadrement, etc.), mais la bourgeoisie ne leur rend pas explicitement une part de la plus-value, leur salaire est simplement plus important que s’ils étaient autant exploités que la classe populaire.]
Même objection. Pourquoi partager ?
[Ce qui est intéressant avec la version de Descartes, en espérant ne pas déformer ses propos, c’est qu’il va un cran plus loin en caractérisant mieux ce qui permet d’accéder à ce qu’il appelle la classe intermédiaire : un capital immatériel.]
Exactement. C’est l’usage de ce « capital immatériel » que la bourgeoisie achète. L’avantage de ma théorie, est qu’elle explique le pourquoi de cette sur-rémunération.
[Cela permet d’expliquer beaucoup de choses. Je regrette qu’il ne se soit pas encore lancé dans l’écriture d’un livre à ce sujet, et ce n’est pas la première fois que je lui dis…]
Faudra, je le crains, attendre la retraite…
[J’ai remarqué que Marx et Engels mentionnent plusieurs fois la classe moyenne dans le Manifeste du Parti Communiste, mais je n’ai pas trouvé de définition précise. Sais-tu s’ils en ont donné une quelque part ?]
Je ne crois pas. Dans divers textes, Marx et Engels parlent d’une « petite bourgeoisie » qui a grosso modo les traits d’une « classe moyenne ». Mais à l’époque cette classe était très peu nombreuse et occupait une place tellement subalterne qu’il ne semble pas que les pères du matérialisme historique aient pris la peine de la caractériser.
@Descartes
Je viens de refaire un tour sur le document, et en fait je crois qu’il n’y a que deux passages où la classe moyenne est mentionnée.
Dans ce passage, il est question d'”habileté technique”, qui est une forme de capital immatériel. Ils donnent aussi une liste de professions qui correspondent à ce qu’ils entendent par “classe moyenne” : “Petits industriels, marchands et rentiers, artisans et paysans”.
Dans celui-ci, ils donnent aussi une liste de professions : “les petits fabricants, les détaillants, les artisans, les paysans”. Si j’ai bien compris, il s’agit de ceux dont la profession n’est pas encore rendue obsolète par l’amélioration des moyens de production mais qui risque de le devenir. Peut-être que cela colle à ta définition : si on considère qu’un chirurgien fait aujourd’hui partie de la classe moyenne, il se peut qu’il tombe dans le Prolétariat plus tard, par exemple si des robots finissent par faire son travail mieux que lui.
C’est d’ailleurs peut-être pour cela que la crainte de l’intelligence artificielle est tellement présente dans les médias en ce moment, c’est un progrès qui menace directement le capital immatériel de la classe moyenne. Qu’est-ce que tu en penses ?
@ Erwan
[« Petits industriels, marchands et rentiers, artisans et paysans, tout l’échelon inférieur des classes moyennes de jadis, tombent dans le prolétariat; d’une part, parce que leurs faibles capitaux ne leur permettant pas d’employer les procédés de la grande industrie, ils succombent dans leur concurrence avec les grands capitalistes; d’autre part, parce que leur habileté technique est dépréciée par les méthodes nouvelles de production. De sorte que le prolétariat se recrute dans toutes les classes de la population ».]
Vous noterez que la référence pointe à un objet disparu. Marx et Engels parlent ici des « classes moyennes de jadis », autrement dit, d’une entité que le capitalisme fait disparaître, qui sera absorbée inévitablement par le prolétariat. Et pourquoi cela ? parce que leur « capital matériel » est trop faible pour « employer les procédés de la grande industrie », mais aussi parce que leur « capital immatériel » se trouve « dépréciée par les méthodes nouvelles de production ». Autrement dit, les « classes moyennes » ne sont pas une véritable classe, mais un groupe social divers et résiduel condamné à la disparition.
[« La classe moyenne, les petits fabricants, les détaillants, les artisans, les paysans combattent la Bourgeoisie, parce qu’elle compromet leur existence en tant que classe moyenne. Ils ne sont donc pas révolutionnaires, mais conservateurs ; qui plus est, ils sont réactionnaires ; ils demandent que l’histoire fasse machine en arrière. S’ils agissent révolutionnairement, c’est par crainte de tomber dans le Prolétariat : ils défendent alors leurs intérêts futurs et non leurs intérêts actuels ; ils abandonnent leur propre point de vue pour se placer à celui du prolétariat ».]
Là encore, ces « classes moyennes » apparaissent comme un groupe social résiduel, condamné à disparaître puisque le fondement matériel de son existence comme classe sociale a disparu. Ce n’est pas du tout la logique des classes intermédiaires d’aujourd’hui, dont le capital immatériel, loin de se « dévaloriser », est essentiel au fonctionnement de l’économie capitaliste.
[Dans celui-ci, ils donnent aussi une liste de professions : “les petits fabricants, les détaillants, les artisans, les paysans”. Si j’ai bien compris, il s’agit de ceux dont la profession n’est pas encore rendue obsolète par l’amélioration des moyens de production mais qui risque de le devenir. Peut-être que cela colle à ta définition : si on considère qu’un chirurgien fait aujourd’hui partie de la classe moyenne, il se peut qu’il tombe dans le Prolétariat plus tard, par exemple si des robots finissent par faire son travail mieux que lui.]
Pas du tout. Il s’agit de professions qui, dans le présent de Marx, sont DEJA obsolètes. Pour Marx, ces gens se battent dans un combat d’arrière garde perdu d’avance, celui qui consiste à ce que l’histoire fasse machine arrière. Cela ne colle pas du tout à ma définition : pour moi, le capital immatériel détenu par les classes intermédiaires n’est nullement en voie de « dévalorisation ». Si des robots font demain le boulot du chirurgien mieux que lui, cela libérera le chirurgien en question qui pourra se consacrer à des opérations plus complexes ou plus innovantes, que le robot ne saura pas faire (voire la « destruction créatrice » de Schumpeter). La modernisation capitaliste dévalorise certains savoirs… mais crée de nouveaux !
[C’est d’ailleurs peut-être pour cela que la crainte de l’intelligence artificielle est tellement présente dans les médias en ce moment, c’est un progrès qui menace directement le capital immatériel de la classe moyenne. Qu’est-ce que tu en penses ?]
D’une frange des classes intermédiaires, sans aucun doute. Mais si l’intelligence artificielle détruit certains emplois, elle en créera d’autres. Souvenez-vous du raisonnement de Schumpeter : si on accepte que la mécanisation détruit des emplois, alors nous devrions avoir aujourd’hui moins de gens employés qu’il n’y en avait au début de la révolution industrielle. Pensez-vous que ce soit le cas ?
@Descartes
[Vous noterez que la référence pointe à un objet disparu.]
Il me semble que ce n’est pas tout à fait clair. Dans le premier passage ils disent que la classe moyenne tombe dans le Prolétariat, pas forcément qu’elle y est déjà tombée ; et dans le second passage ils parlent de crainte de tomber dans le Prolétariat, donc la classe moyenne n’y est pas encore, c’est un processus en cours, ou à venir.
[Marx et Engels parlent ici des « classes moyennes de jadis », autrement dit, d’une entité que le capitalisme fait disparaître, qui sera absorbée inévitablement par le prolétariat. Et pourquoi cela ? parce que leur « capital matériel » est trop faible pour « employer les procédés de la grande industrie », mais aussi parce que leur « capital immatériel » se trouve « dépréciée par les méthodes nouvelles de production ». Autrement dit, les « classes moyennes » ne sont pas une véritable classe, mais un groupe social divers et résiduel condamné à la disparition.]
Pourquoi considères-tu que cela les disqualifierait en tant que « véritable classe » ?
[Là encore, ces « classes moyennes » apparaissent comme un groupe social résiduel, condamné à disparaître puisque le fondement matériel de son existence comme classe sociale a disparu. Ce n’est pas du tout la logique des classes intermédiaires d’aujourd’hui, dont le capital immatériel, loin de se « dévaloriser », est essentiel au fonctionnement de l’économie capitaliste.]
Pourtant, leur profil me paraît similaire : ils possèdent une forme de capital immatériel, et grâce à cela ils ne sont pas (encore) dans le Prolétariat. Si j’ai bien compris, pour toi, il n’était à l’époque pas possible de faire valoir ce type de capital autant qu’aujourd’hui ? Si oui pourquoi pas ? Ou bien s’agit-il d’un capital immatériel fondamentalement différent ?
[Cela ne colle pas du tout à ma définition : pour moi, le capital immatériel détenu par les classes intermédiaires n’est nullement en voie de « dévalorisation ». Si des robots font demain le boulot du chirurgien mieux que lui, cela libérera le chirurgien en question qui pourra se consacrer à des opérations plus complexes ou plus innovantes, que le robot ne saura pas faire (voire la « destruction créatrice » de Schumpeter). La modernisation capitaliste dévalorise certains savoirs… mais crée de nouveaux !]
Bien sûr, mais il me semble que l’on peut appliquer la même logique au temps de Marx et Engels : ceux dont l’habileté technique était sur le point d’être dépréciée par les nouveaux moyens de production pouvaient aussi se consacrer à des choses plus complexes ou plus innovantes.
@ Erwan
[« Vous noterez que la référence pointe à un objet disparu. » Il me semble que ce n’est pas tout à fait clair. Dans le premier passage ils disent que la classe moyenne tombe dans le Prolétariat, pas forcément qu’elle y est déjà tombée ; et dans le second passage ils parlent de crainte de tomber dans le Prolétariat, donc la classe moyenne n’y est pas encore, c’est un processus en cours, ou à venir.]
Je pense que c’est au contraire très clair. Le texte parle à propos de ce groupe de « l’échelon inférieur des classes moyennes DE JADIS » (c’est moi qui souligne). Il ressort clairement de cette phrase que ces « classes moyennes » sont un objet du passé, même si certains de leurs membres « orphelins » continuent leur existence dans le présent.
[Pourquoi considères-tu que cela les disqualifierait en tant que « véritable classe » ?]
Parce que le nouveau mode de production capitaliste n’a pas de place pour eux. Ces « classes moyennes » avaient « jadis » un rôle dans la production et l’échange de richesses. Ce rôle a disparu.
[Pourtant, leur profil me paraît similaire : ils possèdent une forme de capital immatériel, et grâce à cela ils ne sont pas (encore) dans le Prolétariat. Si j’ai bien compris, pour toi, il n’était à l’époque pas possible de faire valoir ce type de capital autant qu’aujourd’hui ? Si oui pourquoi pas ? Ou bien s’agit-il d’un capital immatériel fondamentalement différent ?]
Non, le capital immatériel en question est fondamentalement différent. Le premier capitalisme, celui de la révolution industrielle, celui que Marx a connu, avait besoin d’un nombre relativement limité de professions « intellectuelles ». Les ingénieurs, les scientifiques engagés dans le processus de production étaient peu nombreux, et les professeurs pour les former étaient eux aussi rares. Ce capital était facile à renouveler et avait donc peu de valeur. Après la deuxième révolution industrielle, on commence à avoir besoin de compétences intellectuelles de masse, dont l’accumulation demande des années d’études. Le métier mécanique, qui pouvait être opéré par un ouvrier non qualifié, a réduit à néant la valeur du « capital immatériel » du maître tisserand. Mais le métier piloté par électronique capable de tisser les dernières fibres synthétiques nécessite, pour atteindre sa pleine productivité, d’être surveillé par un ingénieur.
[Bien sûr, mais il me semble que l’on peut appliquer la même logique au temps de Marx et Engels : ceux dont l’habileté technique était sur le point d’être dépréciée par les nouveaux moyens de production pouvaient aussi se consacrer à des choses plus complexes ou plus innovantes.]
Non, justement, parce que la première révolution industrielle ne créait pas une véritable demande pour « des choses plus complexes ou plus innovantes ».
On en a déjà parlé ici-même, je me demandais quelle différence vous faisiez avec ce qu’on appelle “la petite bourgeoisie”, qui semble correspondre à votre classification. J’avoue honteusement que j’ai oublié votre explication. La petite bourgeoisie étant aussi caractérisé par le fait qu’elle fluctue, selon les situations économiques-politiques : pour résumer très superficiellement, quand tout va bien, elle penche du côté de la bourgeoisie, et quand ça va mal, elle bascule “à gauche” et renforce les rangs du prolétariat. Et selon mes très humbles connaissances “marxistes”, c’est une condition sine qua non (l’alliance prolétariat-petite bourgeoisie) pour rendre possible – mais pas obligatoire – l’avènement d’une situation révolutionnaire (sans oublier aussi la présence d’un parti ad hoc, etc etc.).Au risque de vous demander de vous répéter, j’aimerais bien savoir donc, la différence entre les deux dénominations (classes intermédiaires, et petite bourgeoisie). Merci d’avance.
@ Sami
[On en a déjà parlé ici-même, je me demandais quelle différence vous faisiez avec ce qu’on appelle “la petite bourgeoisie”, qui semble correspondre à votre classification.]
La « petite bourgeoisie » chez Marx est un ensemble mal défini. On y trouve d’une façon générale des travailleurs affranchis du salariat (artisans, petits commerçants, professions libérales) mais aussi quelquefois des professions intellectuelles salariées (professeurs…). Le poids de ces couches n’était pas à l’époque suffisamment important pour leur consacrer une étude. Les classes intermédiaires telles que nous les connaissons – c’est-à-dire, qui sont salariées sans pour autant fournir de la plusvalue – ne deviennent puissantes que dans la deuxième moitié du XXème siècle.
[La petite bourgeoisie étant aussi caractérisé par le fait qu’elle fluctue, selon les situations économiques-politiques : pour résumer très superficiellement, quand tout va bien, elle penche du côté de la bourgeoisie, et quand ça va mal, elle bascule “à gauche” et renforce les rangs du prolétariat.]
Une classe ne se « caractérise » que par sa position dans le mode de production. Ses « fluctuations » sont une conséquence de cette position. La « petite bourgeoisie » du XIXème siècle n’était pas à proprement parler une « classe », et ses différents secteurs fluctuaient en fonction de leurs intérêts du moment. Ce n’est plus du tout le cas des « classes intermédiaires », qui sont restées du même côté (celui de la bourgeoisie) depuis bientôt cinquante ans !
[Et selon mes très humbles connaissances “marxistes”, c’est une condition sine qua non (l’alliance prolétariat-petite bourgeoisie) pour rendre possible – mais pas obligatoire – l’avènement d’une situation révolutionnaire (sans oublier aussi la présence d’un parti ad hoc, etc etc.).]
Si c’est le cas, on est mal barrés…
[Au risque de vous demander de vous répéter, j’aimerais bien savoir donc, la différence entre les deux dénominations (classes intermédiaires, et petite bourgeoisie). Merci d’avance.]
La différence essentielle repose sur le fait que les classes intermédiaires, telles que je les ai défini, tirent leur position dans le mode de production de la possession d’un capital immatériel. La « petite bourgeoisie » est un agrégat de gens qui sont trop riches pour être soumis à la misère des prolétaires, mais trop pauvres pour rejoindre la bourgeoisie.
@ Descartes
Je rebondis sur votre définition de la classe intermédiaire.
[Et à côté de ces deux groupes déjà décris par Marx, un troisième groupe semble tirer son épingle du jeu : même si ce groupe est salarié, il récupère la valeur produite et même un peu plus. Comment réussit-il à faire ça ? Ma théorie est que ce groupe a une double fonction : il est à la fois travailleur – souvent salarié – mais il est aussi capitaliste, détenant un « capital immatériel » (connaissances rares, réseaux…) qu’il peut faire fructifier. C’est cela pour moi les classes intermédiaires.]
Si je résume bien, il y a deux classes qui tirent leur épingle du jeu et une classe qui se fait tondre. L’ensemble est donc censé produire une richesse donnée, partagée en trois (pour faire simple), la part des deux premières classes étant surévaluée par rapport à ce qu’elles produisent réellement, cette surévaluation se faisant au détriment de la part de la troisième.
Ce qui m’interpelle, c’est qu’à côté d’une bourgeoisie réellement productive, il existe aussi une grande part de la classe bourgeoise qui ne produit pas de richesses, ni directement, ni indirectement, ni par son capital, ni par son patrimoine, ni rien, puisqu’elle spécule. Elle produit donc une « richesse » ex nihilo, qui a la fin est plus ou moins financée par les banques centrales, si j’ai bien compris. En d’autres termes, la production de richesse, ici, c’est la planche à billets !
Du côté des classes intermédiaires, à côté de gens productifs qui accouchent d’une richesse tangible grâce à leur « connaissances rares » (je pense ici à la révolution de l’ordinateur et d’Internet, mais il y a sans doute d’autres exemples), on trouve d’immenses régiments d’inutiles qui passent leur vie professionnelle à occuper l’espace, pour ne rien produire, mais en ponctionnant un salaire bien réel, lui.
Je ne prétends pas que le système actuel ne produit aucune richesse, bien au contraire, mais je m’étonne de cette part énorme de parasitisme dont il accouche. Tout système a son lot de parasites, mais ici, nous atteignons des proportions qui me semblent étonnantes. D’ailleurs, la dette immense et grandissante dont le système a besoin pour tenir me semble la preuve qu’il consomme plus qu’il ne crée.
Cette description vous semble-t-elle juste ?
@ Phael
[Si je résume bien, il y a deux classes qui tirent leur épingle du jeu et une classe qui se fait tondre. L’ensemble est donc censé produire une richesse donnée, partagée en trois (pour faire simple), la part des deux premières classes étant surévaluée par rapport à ce qu’elles produisent réellement, cette surévaluation se faisant au détriment de la part de la troisième.]
Globalement oui.
[Ce qui m’interpelle, c’est qu’à côté d’une bourgeoisie réellement productive, il existe aussi une grande part de la classe bourgeoise qui ne produit pas de richesses, ni directement, ni indirectement, ni par son capital, ni par son patrimoine, ni rien, puisqu’elle spécule.]
La bourgeoisie, du moins si l’on se place dans le cadre de l’économie classique – qui ne se réduit pas à Marx – ne produit pas de richesses, puisque la SEULE source de valeur est le travail. Le fait de posséder du capital ne « produit » absolument rien. Après, vous me direz qu’il y a des membres de la bourgeoisie qui travaillent. Mais en travaillant, ils sortent de leur simple condition de bourgeois, pour assumer une personnalité mixte.
[Elle produit donc une « richesse » ex nihilo, qui a la fin est plus ou moins financée par les banques centrales, si j’ai bien compris. En d’autres termes, la production de richesse, ici, c’est la planche à billets !]
Non. Là encore, la SEULE source de valeur est le travail. L’utilisation de la planche à billets ne fait que changer la distribution de la valeur produite par le travail.
[Je ne prétends pas que le système actuel ne produit aucune richesse, bien au contraire, mais je m’étonne de cette part énorme de parasitisme dont il accouche. Tout système a son lot de parasites, mais ici, nous atteignons des proportions qui me semblent étonnantes. D’ailleurs, la dette immense et grandissante dont le système a besoin pour tenir me semble la preuve qu’il consomme plus qu’il ne crée.]
Mais pourquoi paye-t-on ces « parasites » ? Pourquoi partage-t-on de la valeur avec eux, alors qu’on pourrait les laisser crever – ce qui les obligerait à travailler ? C’est cet aspect que vous négligez à mon avis. Ce que vous appelez « parasitisme », c’est en effet le prélèvement de plusvalue sur le travail. Il présuppose l’existence d’un capital.
Madame Meda se réveille un peu tard ainsi que le journal qui publie sa tribune. Les catégories populaires même peu diplômées ont une conscience politique plus aigüe que celle que l’on leur attribue. Elles ont compris que le monde mis en place par les élites ne leur était pas favorable depuis longtemps. Elles votent RN ou s’abstiennent encore.
J’ai eu le plaisir de rappeler à l’historien François Delpla que la gauche actuelle dite radicale a eu un vrai précédent dans la mesure où la vraie gauche radicale s’attaquait vraiment au système capitaliste par des nationalisations notamment et une politique sociale bien plus hardie alors que celle incarnée par la FI et les autres partis sous sa férule ne proposent qu’une politique de type sociale-démocrate de meilleure répartition des richesses et que tout son programme économique et social était incompatible avec les engagements européens de la France. S’ils arrivaient au pouvoir ce seraient de petits Tsipras. Parodiant Shakespeare je dirais à propos de la gauche dite radicale “Much ado about nothing”. Il en est de même avec tous les partisans de cette gauche sur les pages Facebook l’économie est leur talon d’Achille comme souvent parce qu’ils ne lisent que les économistes néolibéraux et non les hétérodoxes.
Comme en Autriche où le dirigeant populiste du FPÖ “d’extrême-droite” est proposé par le président pour former une coalition parlementaire avec le parti conservateur. En Allemagne aussi les populistes progressent aussi en vue des élections législatives anticipées du 23 février prochain.
A l’instar de Trump aux USA les formations populistes ont le vent en poupe partout en Europe et il ne serait guère étonnant que la France n’échappe pas à cette vague. Les gauches européennes ont besoin de se refonder totalement et à cet effet une longue cure d’opposition ne leur sera pas inutile voire bénéfique.
@ Cording1
[J’ai eu le plaisir de rappeler à l’historien François Delpla que la gauche actuelle dite radicale a eu un vrai précédent dans la mesure où la vraie gauche radicale s’attaquait vraiment au système capitaliste par des nationalisations notamment et une politique sociale bien plus hardie alors que celle incarnée par la FI et les autres partis sous sa férule ne proposent qu’une politique de type sociale-démocrate de meilleure répartition des richesses et que tout son programme économique et social était incompatible avec les engagements européens de la France.]
Et qu’a-t-il répondu ?
[S’ils arrivaient au pouvoir ce seraient de petits Tsipras. Parodiant Shakespeare je dirais à propos de la gauche dite radicale “Much ado about nothing”. Il en est de même avec tous les partisans de cette gauche sur les pages Facebook l’économie est leur talon d’Achille comme souvent parce qu’ils ne lisent que les économistes néolibéraux et non les hétérodoxes.]
Même pas besoin de lire les hétérodoxes. La simple lecture des keynésiens devrait déjà les faire réfléchir. J’ai même eu l’opportunité d’entendre des dirigeants de gauche demander une politique « keynésienne » sans avoir la moindre idée de ce que cela veut dire. Keynes n’est PAS un apôtre de la redistribution ou du socialisme. Il a mis juste en évidence l’incapacité des marchés à se réguler par eux-mêmes, et le besoin d’une intervention de l’Etat notamment pour atténuer les crises cycliques du capitalisme. En poussant le bouchon, on peut dire que Keynes a sauvé le capitalisme dans les années 1930…
[Les gauches européennes ont besoin de se refonder totalement et à cet effet une longue cure d’opposition ne leur sera pas inutile voire bénéfique.]
Je ne sais pas ce que c’est que « les gauches ». Oui, il faut refonder un « camp du progrès ». Mais un tel camp ne peut être issu des « gauches », tout bêtement parce que celles-ci répondent aux intérêts des classes intermédiaires, et que celles-ci n’ont aucune envie de « progrès », au contraire : elles ont tout intérêt au maintien du statu quo. Il n’est de pire avant-garde que celle qui ne veut pas avancer.
@ Descartes
[le besoin d’une intervention de l’Etat notamment pour atténuer les crises cycliques du capitalisme. En poussant le bouchon, on peut dire que Keynes a sauvé le capitalisme dans les années 1930…].
… et que les États l’ont re-sauvé en 2008.
J’évite de donner des liens de vidéos mais l’interview ci-après de P. Dardot (que j’ai découvert) fourmille d’analyses assez profondes – en tout cas que je n’avais pas entendu aussi clairement formulées – sur les thèmes de l’intervention des États et de leurs relations avec les entreprises dans une économie néolibérale.
@ Bob
[« le besoin d’une intervention de l’Etat notamment pour atténuer les crises cycliques du capitalisme. En poussant le bouchon, on peut dire que Keynes a sauvé le capitalisme dans les années 1930… » et que les États l’ont re-sauvé en 2008.]
Tout à fait. Le « vrai » libéralisme, celui qui était prêt à « laisser faire, laisser passer » devant une crise cyclique comme le fit Hoover en 1929 est mort avec lui. Après la récession massive des années 1930 qui a faille emporter le capitalisme, tout le monde a bien compris. Et si les néolibéraux jouent en théorie avec l’idée de laisser tout à la régulation du marché, en pratique ils sont les premiers à demander l’intervention de l’Etat quand le marché déraille.
En ce sens, il est faux de voir dans le néolibéralisme un retour au libéralisme classique. Le néolibéralisme, c’est plutôt une logique de privatisation des bénéfices et socialisation des pertes.
@ Descartes
Merci pour cette analyse. je n’ai pas accès à l’article en question, mais la partie accessible est déjà assez parlante, je cite: “Il nous faut ensuite disposer des mots justes qui permettront de rendre visibles les avantages du projet en question et donc renoncer à utiliser les formules que nous savons désormais rejetées par une large partie de la population.”
Ce qui transpire de cet extrait est très révélateur: selon Mme Méda, ce que le peuple rejette, ce sont “les formules”, et non les actes. il suffit donc de trouver d’autres “formules” pour nommer l’écologie punitive, la théorie du ruissellement, le pédagogisme exacerbé, le laxisme judiciaire, le communautarisme et j’en passe, des “mots justes”, et le peuple sera convaincu. On est dans la plus pure approche macroniste: si vous n’êtes pas d’accord avec moi, c’est que vous ne m’avez pas compris.
Je n’ai jamais eu le loisir de discuter avec beaucoup de votants RN. Je ne sais pas à quel point on peut être proche ou éloigné d’un ras-le-bol qui pourrait se traduire par des actes, une sorte de réplique des gilets jaunes. D’un coté j’ai l’impression que ce sont des gens qui ne sont pas assez politisés pour réagir de manière épidermique à une outrance démocratique (comme rendre LePen inéligible ou saboter un scrutin).. Contrairement à la thèse orwellienne de la common decency, l’individualisme sévit aussi fortement au sein de la classe populaire, comme partout ailleurs, ceci expliquant cela. En revanche c’est sûr qu’une attaque directe sur leur confort de vie serait à haut risque… Encore que. Est-ce que la résignation concernant la réforme des retraites ne montre pas le contraire ? Dur à dire depuis mon point de vue. Mais je m’étonne chaque jour un peu plus de la relative placidité des classes populaires face au discours dominant…
@ P2R
[Ce qui transpire de cet extrait est très révélateur: selon Mme Méda, ce que le peuple rejette, ce sont “les formules”, et non les actes. Il suffit donc de trouver d’autres “formules” pour nommer l’écologie punitive, la théorie du ruissellement, le pédagogisme exacerbé, le laxisme judiciaire, le communautarisme et j’en passe, des “mots justes”, et le peuple sera convaincu.]
C’est un aspect que je n’ai pas abordé, faute de temps, mais qui est apparent dans l’article, sinon sur les questions de l’école, de la sécurité ou de la richesse, au moins sur celles de l’écologie. On sent bien que pour l’auteur il ne s’agit pas, du moins sur ce sujet-là, de changer de politique mais de « mieux expliquer ». Et on retrouve l’approche macroniste parce que Macron n’a rien inventé : c’est l’approche traditionnelle des classes intermédiaires. Et qu’on pourrait résumer sur le mode « nous sommes dans le vrai, et par conséquent ceux qui ne sont pas d’accord se trompent nécessairement ». Comme si en politique il y avait une « vérité » unique, indépendante des intérêts qu’on défend…
[Dur à dire depuis mon point de vue. Mais je m’étonne chaque jour un peu plus de la relative placidité des classes populaires face au discours dominant…]
Cette « placidité » tient à mon avis à la politique suivie ces trente ou quarante dernières années, qui consiste à acheter la paix sociale par une dépense financée par l’endettement. Les couches populaires ont de bonnes raisons d’avoir peur de la fin du modèle. A cela s’ajoute la mémoire de quarante ans de combats perdus, et le fait que personne ne propose aujourd’hui une alternative crédible aux politiques du « cercle de la raison ». La conjonction de ces éléments ne laisse de la place qu’aux mouvements « expressifs » comme celui des Gilets Jaunes, qui « expriment » un ras le bol et une demande adressé au politique, mais qui n’ont pas de débouché politique possible.
Puisque vous appelez de vos propres voeux la poésie sur ce site, permettez d’agrémenter votre propos de celui d’un écrivain qui partage votre sentiment :
Proust, A l’ombre des jeunes filles en fleur
@ Louis
[« Je revins à la maison. Je venais de vivre le 1er janvier des hommes vieux qui diffèrent ce jour-là des jeunes, non parce qu’on ne leur donne plus d’étrennes, mais parce qu’ils ne croient plus au nouvel an. »]
Merci de me rappeler que je n’ai pas le génie d’un Proust… mais oui, c’est exactement ce sentiment que je voulais exprimer.
Il s’agit peut-être d’un tout petit progrès. Naguère, toute idée, toute proposition était rejetée a priori et sans examen dès lors qu’elle “risquait de faire le jeu de quivousavez”.
Par ailleurs, de plus en plus de mes commentaires sont refusés au prétexte que “je les enverrais trop vite”.
Qu’est-ce que c’est que cette ânerie ?
@ maleyss
[Par ailleurs, de plus en plus de mes commentaires sont refusés au prétexte que “je les enverrais trop vite”.
Qu’est-ce que c’est que cette ânerie ?]
Je pense que vous appuyez plusieurs fois sur le bouton “envoyer”, parce que je reçois souvent vos commentaires en double ou triple exemplaire !
L’aveuglement des thuriféraires du “système” (bouillie néolibérale macrono-social-démocrate-LR-oligarques-médias aux mains de ces derniers, etc…) en est arrivée à son stade final : impossible de défendre rationnellement et honnêtement la situation actuelle : devant une jambe noircie par la gangrène, on ne peut rien faire si ce n’est couper. Les médias aux ordres “bla-blatent”, mais ne proposent aucune solution véritable, puisque c’est impossible.
La situation est telle qu’à moins d’une énième diablerie du “système”, le RN gagnera les prochaines élections présidentielles. J’ai du mal à imaginer que Marine Lepen soit empêchée de se présenter, mais même si cela advenait, la situation est tellement pourrie et “irattrapable” selon les critères politiques traditionnels, eh bien même le post-ado Bardella serait élu. Le grand bug de la 5eme République ne se résoudra que de cette manière (une révolution radicale étant hors de propos en ce moment, qu’on le déplore ou qu’on s’en félicite).
Donc le RN au pouvoir, porté par les couches populaires (lâchées et trahies par la gauche globale) qui n’en peuvent plus des folies destructrices et dangereuses macronistes. Ca sera alors extrêmement intéressant de voir comment va gouverner le RN. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas un parti homogène. Il y a aussi bien une tendance qu’on va dire souverainiste, anti US-soumission, sociale, portée par le jeune et fougueux Tanguy, qu’une tendance ultra pro US et total néolibérale portée par la nièce (planquée en mode guet-apens), etc. Il doit bien rester aussi une tendance carrément anti UE et anti OTAN, silencieuse, portée à l’époque par Philippot, viré car trop radical et ne sachant pas louvoyer entre les écueils/pièges médiatiques !
Le RN est caractérisé en ce moment par une ligne politique très louvoyante, jugée nécessaire par la direction, pour se maintenir à flot, en se laissant porter par une dynamique évidente vers la victoire. Le RN n’est net sur rien, flou sur tout, mais d’évidence, ça marche !
Ce qui sera donc intéressant, c’est de voir comment ça se passera entre ce parti devenu gouvernant donc responsable de la situation, et ceux qui l’auront porté au pouvoir, souvent non par une quelconque conviction politique-idéologique, mais par un vote furieusement protestataire.
Le RN au second tour (sauf 3eme GM), et il n’y aura aucun vote “républicain” de barrage au “nazisme”(humour…) quel que soit le candidat face à Marine ou Jordan.
Tout cela est bien sûr un peu de la politique fiction, et on peut certainement imaginer d’autres scénarios, mais je crois que celui-ci est le plus probable, parce que la situation actuelle est tout simplement inextricable et sans issue, et qu’il faut bien un jour, s’en sortir. Sans oublier que la dynamique est carrément européenne, si ce n’est mondiale.
Le “système” est pleinement responsable de l’avènement du RN aux portes du pouvoir. C’est une évidence.
@ Sami
[La situation est telle qu’à moins d’une énième diablerie du “système”, le RN gagnera les prochaines élections présidentielles. J’ai du mal à imaginer que Marine Le Pen soit empêchée de se présenter, mais même si cela advenait, la situation est tellement pourrie et “irrattrapable” selon les critères politiques traditionnels, eh bien même le post-ado Bardella serait élu. Le grand bug de la 5eme République ne se résoudra que de cette manière (une révolution radicale étant hors de propos en ce moment, qu’on le déplore ou qu’on s’en félicite).]
Je ne sais pas. La situation est critique, pas tant à cause de la dette – on en a vu d’autres – que du délitement qui touche notre société dans tous les aspects de l’économie et du social. Notre industrie, notre recherche, notre système éducatif, nos hôpitaux, notre fonction publique, nos infrastructures faisaient de la France un pays de pointe. Aujourd’hui, après quarante ans de négligence, tout ce capital est dans un triste état et chaque jour qui passe nous reculons encore. Comme en 1958, comme en 1945, il faut faire des choix. Et comme ces choix seront très durs pour tout le monde, seul un gouvernement disposant d’une légitimité et d’une confiance incontestable dans toutes les couches de la société sera en mesure de les mettre en œuvre.
Oui, le candidat RN pourrait arriver au pouvoir à la prochaine élection. Mais une fois élu, aura-t-il la capacité légitimité et de la confiance nécessaire ? Aura-t-il les compétences pour naviguer en eau trouble sans les perdre ? Je crains que ce ne soit pas le cas. J’aimerais bien me tromper, mais une longue expérience m’a rendu méfiant. A supposer même que le RN ait de bonnes intentions – ce qui reste à démontrer – la question de la compétence se pose sérieusement.
[Donc le RN au pouvoir, porté par les couches populaires (lâchées et trahies par la gauche globale) qui n’en peuvent plus des folies destructrices et dangereuses macronistes. Ca sera alors extrêmement intéressant de voir comment va gouverner le RN.]
Oui. Seulement, c’est une expérience dont nous serons les rats de laboratoire…
[Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas un parti homogène. Il y a aussi bien une tendance qu’on va dire souverainiste, anti US-soumission, sociale, portée par le jeune et fougueux Tanguy, qu’une tendance ultra pro US et total néolibérale portée par la nièce (planquée en mode guet-apens), etc. Il doit bien rester aussi une tendance carrément anti UE et anti OTAN, silencieuse, portée à l’époque par Philippot, viré car trop radical et ne sachant pas louvoyer entre les écueils/pièges médiatiques !]
Bien sûr. Aucun parti homogène n’arrive à faire 30% des voix. Pour avoir derrière soi une majorité d’électeurs, il faut être représentatif d’une certaine diversité, avoir des figures qui peuvent tenir des discours légèrement différents tout en restant à l’intérieur d’un cadre général. Mais encore une fois, je suis plus rassuré par ce que les dirigeants du Rassemblement national VEULENT faire que par leur CAPACITE à le faire. Contrairement à ce que croient les gauchistes, il ne suffit pas de s’asseoir sur le trône, tendre le doigt et dire « je le veux » pour que les choses se fassent.
[Le RN est caractérisé en ce moment par une ligne politique très louvoyante, jugée nécessaire par la direction, pour se maintenir à flot, en se laissant porter par une dynamique évidente vers la victoire. Le RN n’est net sur rien, flou sur tout, mais d’évidence, ça marche !]
« On ne sort de l’ambigüité qu’à son détriment », disait le Cardinal de Retz. C’était, si ma mémoire ne me trompe pas, l’une des formules préférées d’un certain François Mitterrand.
[Ce qui sera donc intéressant, c’est de voir comment ça se passera entre ce parti devenu gouvernant donc responsable de la situation, et ceux qui l’auront porté au pouvoir, souvent non par une quelconque conviction politique-idéologique, mais par un vote furieusement protestataire.]
L’ennemi le plus dangereux que le RN aura à affronter, c’est l’impuissance. Si j’étais le conseiller de Marine Le Pen – ce que je ne suis pas – j’insisterais tous les jours sur la nécessité absolue d’attirer les bonnes compétences, de former des cadres, d’être prêt à prendre les rênes de l’Etat. Les premiers jours, les premières semaines seront vitales pour créer de la confiance, pour asseoir une légitimité.
Et si je peux ajouter un point, ce conseil s’applique aussi aux progressistes – les vrais, pas les macronistes qui usurpent ce terme. Parce que si le RN échoue, il faudra bien que quelqu’un prenne les manettes. Aujourd’hui, si le NFP avait à gouverner il ne saurait pas quoi faire du pouvoir – à part la politique du chien crevé au fil de l’eau, avec un gros zeste de démagogie.
@Sami
[Donc le RN au pouvoir, porté par les couches populaires (lâchées et trahies par la gauche globale) qui n’en peuvent plus des folies destructrices et dangereuses macronistes. Ca sera alors extrêmement intéressant de voir comment va gouverner le RN.]
Pour cela il faudrait qu’ils puissent avoir une majorité parlementaire et constituer un gouvernement digne de ce nom.
La progression du nombre de sièges obtenus par le FN/RN donne ceci :
En extrapolant, cela fait environ 190 sièges en 2027, il en manque encore une centaine. Je pense que ce ne sera donc pas pour tout de suite. À moins qu’on passe à la proportionnelle entre temps. J’espère que ce ne sera pas le cas.
Effectivement, le RN à l’Élysée sans dominer l’AN, serait une victoire à la Phyrrus. Cela dit, il n’est pas difficile d’imaginer qu’une bonne partie des LR, en plus de ceux qui ont déjà franchi le Rubicon, rejoigne les députés RN. Faudrait-il encore qu’il y en ait environ une centaine. Ce n’est pas gagné. Mais les choses vont tellement vite, que d’ici 2027 (en supposant qu’on y arrive sans rupture préalable du “câble”) tout est possible : un Retalieau (orthographe ??…) se sentirait comme un poisson dans l’eau, dans une alliance RN-LR ; faudra même peut-être le brider ! 😀
Et oui, l’adoption da la proportionnelle, en mode “la Quatrième II, le Retour”, serait la manière la plus “logique” de sortir du bug actuel. Et entre nous, elle arrangerait tout le monde, même les LR, enfants illégitimes du gaullisme. Alors, qui sait…
@ Sami
[Effectivement, le RN à l’Élysée sans dominer l’AN, serait une victoire à la Phyrrus.]
Pas forcément. Ce serait contrôler un lieu de pouvoir important sans pour autant avoir à prendre la responsabilité de gouverner. Souvenez-vous des deux cohabitations : dans les deux cas, les présidents qui les ont expérimentées ont été réélus…
[Cela dit, il n’est pas difficile d’imaginer qu’une bonne partie des LR, en plus de ceux qui ont déjà franchi le Rubicon, rejoigne les députés RN. Faudrait-il encore qu’il y en ait environ une centaine.]
Je pense que vous faites la même erreur que beaucoup de commentateurs télévisuels : regarder le comportement des élus comme s’ils étaient parfaitement autonomes, comme s’ils ne devaient pas tenir compte de leurs électeurs. Si le RN arrive au pouvoir porté par un électorat populaire, il devra faire des politiques conformes aux intérêts de cet électorat, sans quoi il sera vite balayé. Au-delà de l’intérêt personnel que peuvent avoir tel ou tel élu LR à joindre une coalition avec le RN, quelle serait la réaction de son électorat, en particulier si le RN fait une politique « populaire » ?
[Et oui, l’adoption da la proportionnelle, en mode “la Quatrième II, le Retour”, serait la manière la plus “logique” de sortir du bug actuel. Et entre nous, elle arrangerait tout le monde, même les LR, enfants illégitimes du gaullisme. Alors, qui sait…]
Il n’y a aucune garantie que la proportionnelle produise une assemblée plus gouvernable que celle qu’on a aujourd’hui…
@ Erwan:
Attention à votre courbe qui peut être trompeuse: la progression du résultat du RN ne tient qu’à un paramètre, qui est le front républicain, dont rien ne garantit qu’il fonctionne à chaque élection.
@ Sami et Descartes:
A moins d’être assortie d’une forte prime majoritaire (et ce n’est pas l’idée qu’en ont ses promoteurs), la proportionnelle ne changerait rien du tout. Si ce n’est qu’elle contribuerait à déconnecter encore plus les élus du terrain..
@ P2R
[A moins d’être assortie d’une forte prime majoritaire (et ce n’est pas l’idée qu’en ont ses promoteurs), la proportionnelle ne changerait rien du tout. Si ce n’est qu’elle contribuerait à déconnecter encore plus les élus du terrain…]
Le problème, c’est qu’une fois qu’on dit “proportionnelle”, il faut préciser quelle “proportionnelle”, parce qu’il y en a beaucoup. Une proportionnelle sur liste départementale ? Cela aurait un sens dans les départements les plus peuplés, mais dans les départements qui n’élisent que deux ou trois députés, cela reviendrait à un système majoritaire à un tour – ce qui pousse à une très forte polarisation. On aurait donc une France à deux vitesses. Une proportionnelle nationale avec seuil ? Cela donne le pouvoir aux partis, puisque ce sont eux qui font les listes et que les premiers de liste sont sûrs d’être élus. Une proportionnelle nationale sans seuil ? Dans ce cas, on provoque la fragmentation absolue du spectre politique, puisque aujourd’hui n’importe qui peut faire campagne sur les réseaux sociaux à un coût faible…
Bonjour Descartes,
Allez-vous faire un papier sur le décès et le bilan de Jean-Marie Le Pen ? Je serais fort curieux d’avoir votre analyse sur le personnage et son influence sur le politique française durant cinquante ans.
@ Roman
[Allez-vous faire un papier sur le décès et le bilan de Jean-Marie Le Pen ? Je serais fort curieux d’avoir votre analyse sur le personnage et son influence sur le politique française durant cinquante ans.]
Je ne sais pas. L’actualité se bouscule, et je n’ai pas le temps de traiter tous les sujets qui se présentent… Mais le personnage mérite certainement une analyse. Après tout, c’était le dernier survivant d’un temps presque oublié, celui de la IVème république et des débuts de la Vème. Il avait bien connu les derniers débris des forces qui avaient nourri Vichy et la Révolution nationale, il avait trempé dans les affres de la décolonisation et de la quasi-guerre-civile qui suivit l’indépendance de l’Algérie. Mais son influence sur la politique française aura été finalement très faible. Si Jean-Marie Le Pen réussit à aller au deuxième tour de l’élection présidentielle en 2002, il le doit essentiellement à l’incompétence politique de Jospin. Ses idées ne percutent pas à l’époque dans l’opinion, et il n’arrive guère à imposer ses thèmes dans le débat public. Au deuxième tour, il essuiera d’ailleurs un rejet massif. Le FN n’arrivera à percer que bien plus tard, lorsqu’il tournera le dos à la vision économique libérale qui était celle de Jean-Marie Le Pen, lorsqu’il marquera une rupture avec l’antisémitisme, avec l’antigaullisme, avec les amitiés vichyssoises du patriarche.
Le parti qu’il a fondé triomphe, certes, mais est-ce vraiment le même parti ?
L’ironie du parcours de Jean Marie Le Pen, c’est qu’il est finalement parallèle à celui de François Mitterrand. Tous deux ont eu des amis vichyssois, tous deux se sont engagés pour l’Algérie française, tous deux ont trempé dans les affaires de l’OAS, tous deux ont été des antisémites de salon, tous deux des adversaires résolus de De Gaulle.
@Descartes,
Merci cher camarade, je me sens moins seul😊!!
Je pense depuis un certain temps (pas loin de 20 ans, en fait) que Mitterrand et Le Pen sont en fait l’avers et l’envers de la même pièce, celle du pessimisme à l’égard de la destinée de notre pays. Ces deux personnages ne croyaient pas (ou plus) au destin de la France, ce qui peut se comprendre quand on a assisté à la débâcle de juin 1940 (Mitterrand) ou à la chute de Dien-Bien-Phu (Le Pen).
A tous ceux (oui, “tous ceux”, et non “cellzéceux”, scrogneugneu! ) qui serait intéressés par ce qu’il faudrait bien appeler les “tribulations du Menhir”, je recommande vivement l’ouvrage “Le Pen, une histoire française” écrit par les très regrettés Philipe Cohen et Pierre Péan. Ce livre fait écho à un autre paru en 1994, “Une jeunesse française” qui retrace la jeunesse trouble de… François Mitterrand, qui a eu le retentissement que l’on sait.
L’un des passages les plus savoureux de cette biographie sur Le Pen est celui des motivations qui ont poussé ce dernier à embrasser la cause de l’Algérie Française: en bon décliniste, Le Pen pensait que l’apport des populations nord-africaines (comme on disait alors) du département algérien allait revigorer et régénérer la nation française!!!! Evidemment, De Gaulle était d’un point de vue diamétralement opposé: il souhaitait le divorce entre deux peuples qu’il estimait non miscibles (“l’eau et l’huile”). De ce point de vue, De Gaulle était “identitaire” là où Le Pen était… Pour le métissage😬😏!
D’ailleurs, c’est une autre ironie: vous ne trouvez pas que le raisonnement de Le Pen version Algérie Française ressemble furieusement… à celui de la gauche immigrationniste depuis 1981? Qui depuis, est devenu un dogme indiscutable qui se retrouve sous divers avatars (intégration, inclusion, diversité, etc…).
Ce discours qui fleure bon la résignation sur le sort de la France, est d’ailleurs mis en exergue dans la conclusion de l’ouvrage de Péan et Cohen, faisant une fois encore le parallèle avec Mitterrand: en dehors de leur caractère opportuniste et jouisseur, ces deux “politichiens” (dixit De Gaulle) ont toute leur vie douté d’un pays qu’ils prétendaient défendre. Hélas, leur pessimisme a fini par avoir raison de l’optimisme méthodologique d’un De Gaulle qui était persuadé que l’histoire de France pouvait se poursuivre…
Pour l’anecdote, on pourrait rappeler l’existence d’un personnage-clé dans la vie politique de ces deux hommes, Jean-Louis Tixier-Vignancour, ami proche de Mitterrand et mentor politique de Le Pen: j’ai l’impression qu’on pourrait parler des heures des points communs entre Tonton et Le Menhir…
@ CVT
[Je pense depuis un certain temps (pas loin de 20 ans, en fait) que Mitterrand et Le Pen sont en fait l’avers et l’envers de la même pièce, celle du pessimisme à l’égard de la destinée de notre pays. Ces deux personnages ne croyaient pas (ou plus) au destin de la France, ce qui peut se comprendre quand on a assisté à la débâcle de juin 1940 (Mitterrand) ou à la chute de Dien-Bien-Phu (Le Pen).]
Je ne sais pas si on peut faire cette comparaison. Le Pen était certainement pessimiste sur l’avenir de la France, avec la perte de l’empire colonial et ce qu’il voyait comme une décadence des mœurs. Mais le cas de Mitterrand est très différent. Je ne pense pas que pour Mitterrand la « destinée du pays » fut aussi importante. Mitterrand était avant tout un opportuniste.
[Ce discours qui fleure bon la résignation sur le sort de la France, est d’ailleurs mis en exergue dans la conclusion de l’ouvrage de Péan et Cohen, faisant une fois encore le parallèle avec Mitterrand: en dehors de leur caractère opportuniste et jouisseur, ces deux “politichiens” (dixit De Gaulle) ont toute leur vie douté d’un pays qu’ils prétendaient défendre. Hélas, leur pessimisme a fini par avoir raison de l’optimisme méthodologique d’un De Gaulle qui était persuadé que l’histoire de France pouvait se poursuivre…]
Pour ce qui concerne « avoir eu raison de l’optimisme méthodologique d’un De Gaulle », c’est vrai pour Mitterrand, beaucoup moins vrai pour Le Pen. L’influence de ce dernier a été finalement bien mince dans la chute de notre dernier grand homme…
[Pour l’anecdote, on pourrait rappeler l’existence d’un personnage-clé dans la vie politique de ces deux hommes, Jean-Louis Tixier-Vignancour, ami proche de Mitterrand et mentor politique de Le Pen: j’ai l’impression qu’on pourrait parler des heures des points communs entre Tonton et Le Menhir…]
Tout à fait. Et sur l’amnésie sélective de la gauche…
@ Descartes
[L’ironie du parcours de Jean Marie Le Pen, c’est qu’il est finalement parallèle à celui de François Mitterrand. Tous deux ont eu des amis vichyssois, tous deux se sont engagés pour l’Algérie française, tous deux ont trempé dans les affaires de l’OAS, tous deux ont été des antisémites de salon, tous deux des adversaires résolus de De Gaulle.]
Quel lumineux parallèle ! (jamais entendu nulle part).
Mitterrand a en revanche eu l’occasion de peser sur notre destinée.
@ Bob
[Quel lumineux parallèle ! (jamais entendu nulle part).]
Comme un autre intervenant l’a relevé, il figure dans la biographie que Pierre Péan et Philippe Cohen avaient consacré à Jean Marie Le Pen. Biographie qui porte le titre “Le Pen, une histoire française”. Quelques années plus tard, le même Pierre Péan commettra un recit de la jeunesse de Mitterrand intitulé “Une jeunesse française”. La ressemblance serait-elle le résultat d’une coïncidence ?
Bonjour, c’est la première fois que j’écrit sur votre site. Comme la majorité de vos commentateurs et de vous même sans doute, je cherche à comprendre et voir comment sortir de l’impasse politique actuelle, de ce découragement, de cette apathie qui semble frapper le pays tout entier. Je me réfère essentiellement à la période depuis le covid. Même le mouvement sur les retraites n’a pas constitué, pour moi du moins, un rebond: j’ai surtout vu des cortèges amorphes derrière les ballons syndicaux. Les piquets de grèves auxquels j’ai participé, beaucoup de très bon matin, m’ont vite posé problème: l’impression que les syndicats utilisaient des renforts extérieurs (je suis retraité cheminot) aux boites pour compenser une mobilisation salariale déficiente. En 95, nos piquets de grèves, c’est nous qui les tenions! Tout ça pour dire que je suis plus que jamais en demande de points de vue variés, les moins dépourvus possible de dogmatisme insupportable.
Donc voilà: cela m’a conduit à des lectures auxquelles rien ne m’encourageait. Ainsi Clouscard que vous devez connaître et dont je n’avais jamais entendu parler, contrairement à Todd dont j’ai lu beaucoup de bouquins! Et la façon dont vous abordez la question des classes intermédiaires m’a fait penser à un article (le seul d’ailleurs!) que le Grand Soir m’a fait l’honneur de publier en octobre dernier. Il me semble que le rapprochement entre ce que j’ai compris de ces deux auteurs et ce que vous développez, est faisable. Je vous donne le lien de l’article, si cela vous interesse bien sûr.
https://www.legrandsoir.info/classes-moyennes-societe-de-consommation-et-decadence-occidentale-avec-la-participation-involontaire-d-emmanuel-todd-et-michel.html
@ marti michel
[Bonjour, c’est la première fois que j’écrit sur votre site.]
J’ose espérer que cela vous donnera envie de recommencer !
[Donc voilà: cela m’a conduit à des lectures auxquelles rien ne m’encourageait. Ainsi Clouscard que vous devez connaître et dont je n’avais jamais entendu parler, contrairement à Todd dont j’ai lu beaucoup de bouquins! Et la façon dont vous abordez la question des classes intermédiaires m’a fait penser à un article (le seul d’ailleurs!) que le Grand Soir m’a fait l’honneur de publier en octobre dernier. Il me semble que le rapprochement entre ce que j’ai compris de ces deux auteurs et ce que vous développez, est faisable. Je vous donne le lien de l’article, si cela vous interesse bien sûr.]
Je l’ai lu bien entendu avec attention, comme tous les textes que me recommandent mes lecteurs. J’aime beaucoup Clouscard, qui était quelqu’un d’une grande culture marxiste et d’une grande rigueur intellectuelle. J’aime moins Todd, qui malgré quelques intuitions géniales tombe très vite dans le café du commerce. Cela étant dit, je pense que dans votre article vous faites quelques contresens, notamment à propos de « l’embourgeoisement de la classe ouvrière ».
Il y a, dans le cadre idéologique de la gauche, une tendance tenace au misérabilisme. L’ouvrier n’est révolutionnaire qu’aussi longtemps qu’il est misérable. Dès lors que son niveau de vie s’élève, il devient un « petit bourgeois » plus soucieux de ses petits intérêts que d’aller militer dans un syndicat ou faire grève. Ce qui crée une contradiction fondamentale : le but de toute politique « populaire » est bien d’améliorer les conditions de vie des couches populaires, de donner à ses membres plus de possibilités, plus de choix, non ? Or, une telle politique ne peut « qu’embourgeoiser » les prolétaires, et éloigne donc la révolution. On arrive au traditionnel slogan trotskyste qui veut que plus les choses vont mal pour les couches populaires, plus la révolution est proche. Un slogan que l’expérience a contredit maintes fois…
Et je retrouve les traces de ce misérabilisme dans votre diatribe sur le capitalisme. La critique raisonnée du capitalisme est indispensable, mais plutôt que de se lancer dans une diatribe qui mélange un peu tout, il importe de bien comprendre qu’est ce qui fait sa résilience. Parce que force est de constater que malgré toutes les crises, malgré toutes ses contradictions, le capitalisme est toujours là. L’explication est, bien entendu, à chercher dans la formidable capacité du capitalisme, déjà repérée par Marx, à libérer les forces productives. Jamais on n’a produit autant, avec aussi peu de travail humain. Jamais on n’avait autant satisfait les besoins et les désirs des hommes. Les expériences socialistes ou communistes ont cela en commun : leur incapacité à concurrencer le capitalisme dans le domaine matériel. C’est tout de même un problème qui mérite qu’on s’y penche…
D’abord merci de votre réponse. Et l’objection que vous soulevez est une vrai question.
Disons que ce qui m’a intéréssé chez l’un et l’autre m’obligeant d’ailleurs à lire et relire entièrement leurs livres plusieurs fois, c’est qu’ils traitent du déclin, de la démission, du fatalisme, du fractionnement artificiel, je ne sais comment le dire, de l’ensemble de nos sociétés occidentales actuelles, liée à la perte de toute valeur qui fait une communauté humaine: le travail tourné vers la collectivité. En tant que syndicaliste, et militant dit “révolutionnaire” (eh oui, formation trotskyste, bien deviné!), j’ai toujours tenu à bien faire mon boulot, ne devant, dans mon esprit, des comptes qu’à la communauté, pas à mon patron (j’étais métallo avant de me retrouver cheminot). Il m’apparaît incroyable qu’on puisse maintenant accepter un monde fondé sur la barbarie, la corruption, le mensonge banalisé, la lâcheté devant l’horreur. C’est pourquoi le chant des Gilets Jaunes, que je suis toujours, est lourd de sens: pour un monde meilleur…
Le véritable choc a été pour moi le covid et le Pass: me faire jeter des cafés ou de ma médiathèque que je fréquentais depuis des années. On revenait aux années noires, certes pas avec les mêmes consequences, mais le mécanisme était similaire: des quantités de salariés se sont tranformés du jour au lendemain en auxiliaires de police. Je comprenais comment les français ont pu cotoyer des étoiles jaunes dans la rue sans moufter.
Mais comment était-ce possible? D’où ma quête auprès de chercheurs, et mon intrusion dans la philosophie…
Alors oui, ce qu’il nous manque c’est un programme collectif crédible, qui nous permette de refaire bloc. Je rejoins totalement votre article. De nous donner envie de nous remobiliser. Pas des formules creuses.
Sauf que notre société me paraît bien mal en point: et quand Todd voit dans celle ci, plus une une société parasitaire sur le reste de la planète qu’une civilisation inventive et productrice, ben, que voulez vous, je partage tristement ce point de vue…
Hélas…
@ marti michel
[Disons que ce qui m’a intéréssé chez l’un et l’autre m’obligeant d’ailleurs à lire et relire entièrement leurs livres plusieurs fois, c’est qu’ils traitent du déclin, de la démission, du fatalisme, du fractionnement artificiel, je ne sais comment le dire, de l’ensemble de nos sociétés occidentales actuelles, liée à la perte de toute valeur qui fait une communauté humaine: le travail tourné vers la collectivité.]
Mais si vous parlez de « perte », c’est que cela a existé à une époque. Comment expliquez-vous que ces valeurs aient pu se développer alors que le capitalisme était déjà bien installé ? Force est de constater – c’est ce que dit Castoriadis – que le capitalisme a conservé des structures mentales aristocratiques qui lui étaient antérieures…
[Il m’apparaît incroyable qu’on puisse maintenant accepter un monde fondé sur la barbarie, la corruption, le mensonge banalisé, la lâcheté devant l’horreur.]
Mais qui « accepte » ici ? Il ne faut pas confondre la résignation et l’acceptation. Cinquante ans de combats perdus ont laissé des traces. Les gens ont appris par expérience que le rapport de forces ne permettait pas, aussi longtemps que le capitalisme néolibéral était triomphant, de peser sur les évènements. On le voit bien dans les luttes ouvrières : il y a quatre décennies, devant l’annonce d’une fermeture d’usine les travailleurs se battaient pour la sauver. Aujourd’hui, ils se battent pour obtenir la meilleure indemnisation possible. Après quarante ans de défaites, les gens ont compris qu’il est futile de s’opposer aux délocalisations, à la désindustrialisation…
[C’est pourquoi le chant des Gilets Jaunes, que je suis toujours, est lourd de sens: pour un monde meilleur…]
Oui, mais quel est ce « monde meilleur » ? Et à quoi est on prêt à renoncer pour le construire ?
[Le véritable choc a été pour moi le covid et le Pass: me faire jeter des cafés ou de ma médiathèque que je fréquentais depuis des années. On revenait aux années noires, certes pas avec les mêmes conséquences, mais le mécanisme était similaire : des quantités de salariés se sont transformés du jour au lendemain en auxiliaires de police. Je comprenais comment les français ont pu côtoyer des étoiles jaunes dans la rue sans moufter.]
Là, je ne vous suis plus. Ainsi, demander aux citoyens de faire respecter les lois, expression de la volonté générale, ce serait « les transformer en auxiliaires de police » (ce qui, sous votre plume, ne me semble guère être un compliment) ? Quant à comparer le Pass à l’étoile jaune… sans vouloir vous offenser, c’est une comparaison grotesque. L’étoile jaune avait pour objectif de stigmatiser des hommes et des femmes, de les séparer de leurs concitoyens. Le Pass avait pour objectif de réduire la probabilité de contagion d’une maladie dangereuse. Il faut savoir dépasser le trotskysme…
[Alors oui, ce qu’il nous manque c’est un programme collectif crédible, qui nous permette de refaire bloc. Je rejoins totalement votre article. De nous donner envie de nous remobiliser. Pas des formules creuses.]
Il faut savoir ce qu’on veut. On ne peut pas parler de « programme collectif » et défendre en même temps le droit sacré de chacun à ne pas se vacciner et de mettre en danger ses concitoyens.
@ Descartes
Ce discours, qui lève selon moi un point absolument capital (si j’ose dire), n’a pas dû vous rapporter que des amis dans le cercle du PCF, je suppose. Avez-vous déjà des pistes de réflexion qui permettraient à un système socialiste de concurrencer le capitalisme sur le plan de la productivité ? Ou cela passera t’il fatalement par une inversion des courbes, quand le capitalisme aura définitivement sapé les fondements qui lui permettent d’exister et qu’il ne sait pas entretenir ?
@ P2R
[Ce discours, qui lève selon moi un point absolument capital (si j’ose dire), n’a pas dû vous rapporter que des amis dans le cercle du PCF, je suppose.]
Ca, vous pouvez le dire. Mais cela ne m’a pas fait autant d’ennemis que vous le pensez. Contrairement à ce que vous semblez penser, la question de l’inefficacité des économies des pays du « socialisme réel » était abordée et débattue dans les partis communistes. Même en Union Soviétique on trouvait des travaux d’économistes « orthodoxes » concernant cette question. Pensez par exemple au débat sur les « incentifs matériels » à Cuba.
[Avez-vous déjà des pistes de réflexion qui permettraient à un système socialiste de concurrencer le capitalisme sur le plan de la productivité ? Ou cela passera t’il fatalement par une inversion des courbes, quand le capitalisme aura définitivement sapé les fondements qui lui permettent d’exister et qu’il ne sait pas entretenir ?]
Je ne sais pas, mais je penche pour la deuxième solution.
@ Descartes
***Autrement dit, pour le cadre il serait bien plus avantageux d’avoir un système assurantiel, ou les cotisations sont les mêmes pour tout le monde, alors que pour les couches populaires un système universel financé par des cotisations proportionnelles est nettement plus avantageux… ***
Avec un système d’assurance où les cotisations seraient les mêmes pour tous on rentre dans un autre système, moins collectif et plus individualiste, et même très probablement semblable à l’assurance privée que vous souscrivez pour votre voiture où que vous souscrivez dans certains pays pour votre couverture santé. On rentre dans une logique de profits, de malus-bonus, de franchise médicale et d’exclusion pour les cas “non rentables”… La classe populaire serait clairement perdante, et là je vous rejoins, mais dans les classes intermédiaires je ne suis pas sûr qu’il n’y ait que des gagnants. Pour un cancer, par exemple, les thérapies ont fait d’énormes progrès en quelques années, très souvent on vous sauve la mise, mais les coûts sont énormes, vous pouvez arriver à 100 000 € /an/patient, parfois beaucoup plus pour les thérapies de pointe. Actuellement l’hôpital public soigne tout le monde de la même manière, quelque soit votre statut social, si demain c’est une assurance privée qui couvre ses soins, le cadre risque d’y laisser des plumes, comme on le voit aux USA où certains sont obligés de vendre la baraque pour payer les soins (ils sont assurés, mais avec des franchises exorbitantes et des assurances privées qui cherchent la petite bête pour ne pas rembourser. ).
***Comme vous pouvez le constater, les intérêts des couches populaires et ceux des classes intermédiaires ne convergent pas vraiment sur ce sujet !***
Vous avez peut-être raison, mais j’ai du mal à en être persuadé.
@ Manchego
[Avec un système d’assurance où les cotisations seraient les mêmes pour tous on rentre dans un autre système, moins collectif et plus individualiste, et même très probablement semblable à l’assurance privée que vous souscrivez pour votre voiture où que vous souscrivez dans certains pays pour votre couverture santé. On rentre dans une logique de profits, de malus-bonus, de franchise médicale et d’exclusion pour les cas “non rentables”…]
Pas nécessairement. On pourrait imaginer un système assurantiel public sans profits, sans malus-bonus, sans franchise et sans sélection. L’assurance chômage est un bon exemple. Ce qui distingue la sécurité sociale d’un régime purement assurantiel, c’est le fait que les cotisations sont indexées sur le revenu, alors que les prestations sont uniformes. C’est en cela que le système de sécurité social est redistributif, alors que l’assurance chômage ne l’est pas.
[La classe populaire serait clairement perdante, et là je vous rejoins, mais dans les classes intermédiaires je ne suis pas sûr qu’il n’y ait que des gagnants.]
Dans la mesure où c’est un jeu à somme nulle, si les classes populaires étaient perdantes, il faut bien qu’il y ait des gagnants…
[Pour un cancer, par exemple, les thérapies ont fait d’énormes progrès en quelques années, très souvent on vous sauve la mise, mais les coûts sont énormes, vous pouvez arriver à 100 000 € /an/patient, parfois beaucoup plus pour les thérapies de pointe. Actuellement l’hôpital public soigne tout le monde de la même manière, quelque soit votre statut social, si demain c’est une assurance privée qui couvre ses soins, le cadre risque d’y laisser des plumes, comme on le voit aux USA où certains sont obligés de vendre la baraque pour payer les soins (ils sont assurés, mais avec des franchises exorbitantes et des assurances privées qui cherchent la petite bête pour ne pas rembourser. ).]
Là, je ne comprends pas votre raisonnement. Tout ce que la sécurité sociale couvre est bien payé par quelqu’un : par les cotisants et, puisque le système est en léger déficit, par ses impôts. Si vous remplacez le système de sécurité sociale par un système assurantiel avec la même couverture, cela ne changera rien au paiement des soins. Seulement, parce que les cotisations ne sont plus indexés sur le revenu mais sont « plates », les hauts revenus paieront moins et les bas revenus plus. Il faut bien comprendre que ce qui fait l’originalité de la sécurité sociale par rapport à un système assurantiel obligatoire, c’est son caractère redistributif. Et cette redistribution se fait forcément au détriment des classes intermédiaires.
@ Descartes
***Dans la mesure où c’est un jeu à somme nulle, si les classes populaires étaient perdantes, il faut bien qu’il y ait des gagnants…***
Ces gagnants sont peut-être à chercher du côté de la bourgeoisie ? J’ai entendu il y a 2 ou 3 jours le patron du MEDEF proposer un financement de notre modèle social par capitalisation, car selon lui les charges patronales (en fait la participation des entreprises à la solidarité nationale) seraient bien trop lourdes.
***Si vous remplacez le système de sécurité sociale par un système assurantiel avec la même couverture, cela ne changera rien au paiement des soins. Seulement, parce que les cotisations ne sont plus indexés sur le revenu mais sont « plates », les hauts revenus paieront moins et les bas revenus plus.***
Très bien, admettons… Mais je vous rappelle que mon propos initial était que les classes intermédiaires peuvent parfois avoir les mêmes intérêts que les classes populaires, sans forcément en avoir conscience, et je prenais le cas de l’accès aux soins. Mais même en se basant sur votre démonstration on peut penser que les classes populaires et les classes intermédiaires ont parfois avoir des intérêts communs. Vous le dites vous même : “Certains membres des classes intermédiaires gagnent moins que certains prolétaires: ainsi, un enseignant gagne moins qu’un bon soudeur…“, alors pourquoi dans la classe populaire il n’y aurait pas des membres ayant interêt à ce que “les cotisations ne soient plus indexées sur le revenu mais plates”, soit un “système assurentiel”… au même titre que ceux des classes intermédiaires ayant des revenus plus faibles ?
@ Manchego
[« Dans la mesure où c’est un jeu à somme nulle, si les classes populaires étaient perdantes, il faut bien qu’il y ait des gagnants… » Ces gagnants sont peut-être à chercher du côté de la bourgeoisie ?]
Pas vraiment. Ce ne sont pas les bourgeois qui font tourner la sécurité sociale avec leurs cotisations…
[J’ai entendu il y a 2 ou 3 jours le patron du MEDEF proposer un financement de notre modèle social par capitalisation, car selon lui les charges patronales (en fait la participation des entreprises à la solidarité nationale) seraient bien trop lourdes.]
Je pense qu’il y a là une confusion. D’abord, dans notre échange on parlait de sécurité sociale, dont la conception même (cotisations proportionnelles au salaire, prestations égalitaires) implique une redistribution. La « capitalisation » ne concerne que la retraite, pas la sécurité sociale.
Ensuite, la capitalisation ne changera rien pour le MEDEF : tout ce que cela change, c’est qu’on paye les cotisations à une caisse de capitalisation plutôt qu’à une caisse de répartition. J’ajoute que passer d’un système à l’autre c’est la double peine : la génération au travail devra A LA FOIS payer les retraites de la génération suivante (par répartition) et constituer le capital qui paiera sa propre retraite (par capitalisation)…
[« Si vous remplacez le système de sécurité sociale par un système assurantiel avec la même couverture, cela ne changera rien au paiement des soins. Seulement, parce que les cotisations ne sont plus indexés sur le revenu mais sont « plates », les hauts revenus paieront moins et les bas revenus plus. » Très bien, admettons… Mais je vous rappelle que mon propos initial était que les classes intermédiaires peuvent parfois avoir les mêmes intérêts que les classes populaires, sans forcément en avoir conscience, et je prenais le cas de l’accès aux soins.]
Mais quel est ici l’intérêt commun ? Bien entendu, les membres des classes intermédiaires comme ceux des classes populaires ont tous « intérêt » à avoir un toit sur leur tête, de la nourriture au frigo, d’avoir chaud l’hiver et frais l’été, et d’être soignés quand ils sont malades. Mais c’est là un intérêt commun à l’ensemble de l’humanité. Les bourgeois aussi partagent cet intérêt. Si vous prenez la communauté d’intérêts dans ce sens-là, votre affirmation est triviale.
Maintenant, si vous parlez d’intérêt dans la mise en œuvre d’une POLITIQUE sanitaire, cela devient très discutable. Parce que les couches populaires ont intérêt à la redistribution, et les classes intermédiaires comme la bourgeoisie, non.
[Vous le dites vous même : “Certains membres des classes intermédiaires gagnent moins que certains prolétaires: ainsi, un enseignant gagne moins qu’un bon soudeur…“, alors pourquoi dans la classe populaire il n’y aurait pas des membres ayant interêt à ce que “les cotisations ne soient plus indexées sur le revenu mais plates”, soit un “système assurantiel”… au même titre que ceux des classes intermédiaires ayant des revenus plus faibles ?]
Mais je ne dis pas le contraire. Que CERTAINS individus des classes intermédiaires aient un intérêt commun avec CERTAINS individus des classes populaires (et vice-versa) est tout à fait possible. Mais de là à conclure que « les classes intermédiaires » et « les couches populaires » prises en tant que classe donc au niveau collectif aient des « intérêts communs », il y a un pas qu’on ne peut pas franchir aussi facilement…
En complément à cet article stimulant, une question :
Quelle est, selon vous, l’influence des classes intermédiaires sur la politique étrangère de la France ?
Ma version : l’alignement pur et simple de la France sur les Etats-Unis (à tel point que l’on est désormais en droit de parler de colonie de facto), lequel n’a cessé de s’accélérer depuis la volte-face de Chirac juste après le baroud d’honneur de 2003 sur l’Irak, a en fait commencé dès la chute de De Gaulle en 1968-1969 (dans cette lecture, mai 68 est une sorte de coup d’état mené par les classes intermédiaires, malencontreusement aidées par la classe ouvrière organisée, laquelle ne semble pas s’être rendu compte qu’en s’alliant aux classes intermédiaires contre le régime gaulliste, elle se liquidait également elle-même). D’ailleurs, de manière intéressante, la liquidation de l’héritage gaulliste en matière de souveraineté nationale a commencé sous De Gaulle lui-même, avec la nomination ô combien symbolique de Couve de Murville à Matignon le 10 juillet 1968 ; Couve de Murville, ancien ponte de Vichy, passé avec armes et bagages dans le camp du nouveau tuteur états-unien en 1943. De Gaulle a ainsi lui-même entamé la liquidation de son propre héritage, tout ça pour pouvoir rester quelques mois de plus au pouvoir : “Encore un instant, monsieur le bourreau de Washington” !
Enfin bref, pourquoi cet attachement forcené des classes intermédiaires envers les Etats-Unis ? Pourquoi ces gens se pensent-ils à ce point comme des états-uniens (cf. le livre de Régis Debray “l’Edit de Caracalla“), ce dont on voyait les prémices dès les années 1960 (la vague “yéyé”, les inénarrables “Johnny Hallyday”, “Eddy Mitchell”, “Dick Rivers”) ? Quel intérêt concret, “matériel” comme vous dites, en tirent-ils ? Car tout le monde dans cette classe sociale n’émarge pas à “l’Atlantic Council”, au “German [sic!] Marshall Fund”, ou aux “Young Leaders” de la “French-American Foundation”… Si je suis prof de base, que m’apporte donc cette dévotion quasi religieuse à tout ce que les Etats-Unis peuvent pondre (je n’ose dire : “produire”), jusqu’à la sous-culture la plus infâme ?
@ MJJB
[Quelle est, selon vous, l’influence des classes intermédiaires sur la politique étrangère de la France ?]
Pour répondre à cette question, il faut se demander quels sont les intérêts spécifiques des classes intermédiaires. Un libre-échange qui leur permet de disposer de biens bon marché grâce à la mise en concurrence des travailleurs de la planète entière, à condition que cela ne provoque pas une concurrence sur leurs propres emplois en est un. Une pression fiscale minimale, incompatible avec le maintien de forces militaires importantes, en est un autre.
Dans cette optique, une économie mondiale ouverte sous la houlette du grand gendarme américain était une solution attractive, d’autant plus que le coût du dispositif – car le gendarme en question n’a aucune raison de faire son travail gratuitement – est resté caché aussi longtemps que les américains avaient besoin de l’Europe comme base avancée pour faire la pièce aux soviétiques. Aujourd’hui, les Etats-Unis n’ont plus besoin de leurs alliés. La Russie est un adversaire de second ordre, et dans la confrontation contre la Chine l’Europe ne leur est d’aucun secours. Alors, ils n’entendent plus assurer la sécurité des européens ou protéger leurs intérêts gratuitement.
Le fait que les Etats-Unis puissent se retirer d’Europe – ou faire payer leur protection au prix fort – changera je pense profondément la vision que les classes intermédiaires peuvent avoir des affaires internationales. On peut se demander si une telle réalisation ne pourrait pas conduire à un changement de position vis-à-vis de la Russie…