Dix ans déjà…

« En tant qu’extrémiste, je tiens à vous remercier, vous les lâches et les idiots, sans qui nous ne serions rien » (Xavier Gorce)

Dix ans ! Dix ans déjà que Cabu et les autres nous ont quittés, tombés sous les balles de deux fanatiques convaincus qu’ils avaient tous les droits, y compris celui de tuer ceux qui ne partageaient pas leur vision du monde. Dix ans que notre pays a vu la manifestation la plus massive de son histoire, ou du moins, depuis que les comptages existent : deux millions de personnes ont battu le pavé à Paris, deux autres millions en province. Quatre millions de citoyens qui ont risqué leur vie dans un acte de résistance. Et je dis bien « risquer leur vie », parce qu’en ce mois de janvier 2015 nous ne savions pas grand chose du réseau terroriste qui avait frappé Charlie Hebdo et l’Hyper Casher. Il aurait été parfaitement possible que d’autres terroristes « dormants » fussent à l’affut, prêts à tirer sur les foules assemblées dans les rues, et seul dieu sait quel carnage ceux-ci auraient pu faire sur la marée humaine qui s’étalait de la Place de la République jusqu’à celle de la Nation.

En ce 11 janvier 2015, tous les espoirs étaient permis. De ces manifestations monstre, des drapeaux tricolores agités et des « Marseillaises » chantées, de ces policiers embrassés, de ce courage de battre le pavé malgré la menace, on pouvait espérer une prise de conscience. Conscience de notre force comme collectivité, du besoin de renforcer nos institutions, de reconstruire notre nation, de remettre à leur place les valeurs de tolérance et de libre examen contre tous les fanatismes, tous les dogmatismes.

Ces espoirs ont été déçus. Et c’était parfaitement prévisible. La prise de conscience aurait été possible si l’acte des frères Kouachi avait été un acte isolé, une éruption de fanatisme dans un univers de rationalité. Mais ce n’était pas le cas, et c’est pourquoi la condamnation qui s’en est suivie a été bien plus superficielle qu’on ne pourrait le croire. Pour beaucoup, la condamnation portait plus sur les moyens que sur les objectifs. Parce que le fanatisme, sous des formes différentes, était déjà très largement à l’œuvre. Le terrorisme islamiste n’a fait que pousser à son paroxysme une terreur qui était déjà très largement répandue dans la société par des groupes et des coteries qui n’ont pas toujours partie liée avec l’Islam.

Car les frères Kouachi n’ont pas été les premiers à exprimer leur volonté de faire taire Charlie-Hebdo. D’autres les ont précédés dans cette tâche : en 2006, l’UOIF, la grande mosquée de Paris et la Ligue islamique mondiale engagent une procédure judiciaire suite à la publication des caricatures reprises du Jyllands-Posten et d’un dessin de Cabu – elles seront déboutées en première instance et en appel. En 2011, un cocktail molotov lancé contre les locaux du journal provoque un incendie qui détruit les locaux de la rédaction. Et suite à cet acte de terrorisme, un collectif baptisé « les mots sont importants » publie une tribune… pour critiquer ceux qui s’insurgent contre l’attentat (1), accusés de participer « à la confusion générale, à la sarkozisation et à la lepénisation des esprits ». C’est que, voyez-vous, «  il n’y a pas lieu de s’apitoyer sur les journalistes de Charlie Hebdo, [puisque] les dégâts matériels seront pris en charge par leur assurance, que le buzz médiatique et l’islamophobie ambiante assureront certainement à l’hebdomadaire, au moins ponctuellement, des ventes décuplées, comme cela s’était produit à l’occasion de la première “affaire des caricatures” – bref : que ce fameux cocktail molotov risque plutôt de relancer pour un tour un hebdomadaire qui, ces derniers mois, s’enlisait en silence dans la mévente et les difficultés financières ».

On comprend que ce texte soit aujourd’hui presque oublié. Surtout par ses auteurs, qui n’aiment pas du tout qu’on le leur rappelle. C’est qu’il y a dans ce texte une phrase qui sonne aujourd’hui étrangement : « la liberté de critiquer l’islam est tout sauf menacée, et que toute personne dotée d’un minimum de bon sens peut même constater, en inspectant semaine après semaine la devanture de son kiosque ou les programmes de télévision, que concernant l’islam, non seulement la critique mais aussi la caricature et l’injure prospèrent en toute tranquillité et en toute bonhomie depuis au moins une décennie ». Ecriraient-ils, ces doctes intellectuels, ces « militants antiracistes », le même texte aujourd’hui ? Probablement pas : grâce aux frères Kouachi, tout est rentré dans l’ordre. Cabu et les siens ne sont plus là pour « faire prospérer la caricature », et les éditeurs vivants aujourd’hui regarderont à deux fois avant de publier quoi que ce soit qui puisse « offenser ». Non parce qu’ils ont changé de convictions, mais parce qu’ils ont peur. Les signataires de ce texte ont singulièrement manqué de clairvoyance : « la liberté de critiquer l’Islam » était bien « menacée ».

Que reste-t-il de l’esprit de libre examen quand tous les éditeurs ayant pignon sur rue embauchent des « conseillers en diversité » chargés d’expurger les œuvres littéraires de toute référence qui pourrait offenser telle ou telle « communauté » ? Une censure qui ne touche pas que les œuvres contemporaines, mais aussi les écrits du passé, qui nous arrivent donc non pas sous la forme que leur auteur leur ont données, mais sous celle qu’un censeur – appelons les choses par leur nom – estime « acceptable » aujourd’hui. Et croyez-moi, cette démarche n’est en rien motivée par une quelconque contrition spirituelle : c’est la peur qui conduit les éditeurs à ces extrémités. La peur des procès, des appels au boycott, des occupations de locaux, des articles rageurs dans les journaux, du cocktail molotov, du saccage d’une librairie ou d’un théâtre.

Que reste-t-il de l’esprit de libre examen quand une pièce de théâtre classique ne peut être montée à la Sorbonne parce qu’un groupuscule s’estime « offensé » par la mise en scène et empêche par la force les représentations sans que l’autorité publique, chargée de faire respecter la loi et de permettre à chacun de vaquer paisiblement à ses occupations, ne réagisse autrement que par une faible déclaration appelant toutes les parties au « débat » ? Quand un théâtre prestigieux retire de son programme un opéra de Mozart dont la mise en scène pourrait se révéler « dangereuse » puisqu’elle montre sur scène une représentation des grands leaders religieux, dont Mahomet ?

Que reste-t-il de l’esprit de libre examen quand des hommes peuvent voir leurs carrières brisées, leurs œuvres détruites sur la base d’accusations malveillantes, sans respect de la moindre procédure contradictoire, ou même lorsque les juges les ont exonérés ? Quand l’autorité du professeur est remise en cause par des groupuscules qui estiment avoir le droit de décider ce qui doit ou non être enseigné dans nos écoles et nos universités, et qui n’hésitent pas devant le recours à la menace et même la violence lorsque leurs prétentions sont ignorées ? Quand les institutions fonctionnent sous la surveillance de dragons de vertu venus de tous horizons qui s’estiment légitimes à imposer aux autres leurs préjugés et leurs injonctions ?

Le problème n’est pas seulement que tel ou tel intellectuel voie son œuvre détruite, que tel ou tel dirigeant voie sa carrière brisée, que tel ou tel professeur soit blessé ou même tué, tous dommages considérés « collatéraux » par pas mal de militants de causes diverses. Le véritable problème est que ces cas, largement médiatisés, instaurent un climat de terreur – le mot n’est pas trop fort – qui fait que demain l’intellectuel, le dirigeant, le professeur céderont aux injonctions de telle ou telle minorité agissante « pour ne pas avoir d’ennuis ». Dans certaines institutions, c’est une chape de plomb qui couvre tous les échanges. Et puis, est-ce qu’ouvrir les yeux de ses élèves à certains savoirs, présenter au public une mise en scène audacieuse, publier une caricature qui dépasse le conformisme étouffant de « cartooning for peace » vaut la peine de risquer sa vie ? Pour un Xavier Gorce qui ose, combien de dessinateurs préfèrent prudemment mettre de l’eau dans leur crayon pour garder leur emploi ? Pour un Olivier Grenouilleau, combien oseront aujourd’hui parler des traites négrières non-occidentales ? Les livres que nous lisons, les films que nous voyons, les débats qui nous sont présentés sont formatés, uniformisés pour ne déplaire à personne, et surtout pas aux groupuscules agissants.

Dans l’affaire Charlie-Hebdo, il faut éviter une erreur d’analyse qui consisterait à prendre l’équipée sauvage des frères Kouachi pour un évènement isolé, un éclair tombé d’un ciel bleu, un dogmatisme venu d’ailleurs et qu’il suffirait de renvoyer là d’où il vient pour que tout soit résolu. Il s’agit au contraire d’un symptôme paroxystique d’une évolution que nous percevons tous les jours. Oui, la rédaction de Charlie-Hebdo est tombée physiquement sous les balles des islamistes. Mais l’esprit dont la publication était en quelque sorte le symbole, cet esprit si français qui mélangeait l’insouciance, la liberté de ton, le refus de se soumettre aux dogmes, et dans lequel nous avons vécu depuis les années 1960, agonisait déjà sous les coups des fanatismes de tout bord, dont l’action est certes moins violente que celle des islamistes, mais n’est pas moins efficace à l’heure de faire taire ceux pour qui tout écart par rapport à leur dogme préféré est intolérable.

Et ce n’est pas un phénomène exclusivement français : cette vague d’intolérance et de fanatisme est partout. Aux Etats-Unis, avec un terrorisme intellectuel qui a conduit le corps professoral de certaines universités à accepter les injonctions humiliantes de certains groupuscules étudiants, a amené plusieurs journaux – dont le vénérable New York Times – à renoncer à publier toute caricature, a contraint des institutions éducatives à pour supprimer de leurs programmes les grands classiques et les remplacer par des œuvres médiocres mais qui satisfont les préjugés de tel ou tel groupuscule. En Grande Bretagne, où tout spectacle, toute publication est passée au crible des « conseillers en diversité » tout simplement parce que sans cette expertise les assureurs refusent de vous assurer. Cette vague arrive en France, et ses effets sont beaucoup plus visibles tout simplement parce que chez nous la tradition cartésienne et voltairienne était beaucoup plus forte, et le décalage est donc encore plus dramatique. En Grande Bretagne, le délit de blasphème n’a jamais été aboli, alors que chez nous il a été formellement rayé du droit depuis plus de deux cents ans. Son rétablissement de facto n’est donc que plus évident.

Ceux qui ont milité dans le passé contre l’obscurantisme et pour défendre le principe de libre examen ont eu pour ennemi traditionnel les grandes institutions. Les églises d’abord, l’Etat ensuite. C’est de leurs prétentions à imposer une idéologie qu’il fallait se protéger, et nos mentalités ont été formées par cette prévention. Ce qui rend nos catégories obsolètes aujourd’hui, c’est que la menace ne vient pas de ces institutions, mais du fait que leur affaiblissement a ouvert la porte au terrorisme pratiqué par des groupuscules agissants. Si certains sujets ne peuvent pas être discutés dans nos universités, si certains thèmes ne peuvent être traités correctement en cours, si des pièces de théâtre ne peuvent y être représentées et des livres ne peuvent être lus dans leurs bibliothèques, ce n’est pas à l’autorité universitaire qu’on le doit, mais à des groupuscules qui exploitent leur capacité de nuisance et auxquels ces mêmes autorités sont trop faibles – ou trop indifférentes – pour mettre des limites.

Les dix ans qui se sont écoulés depuis 2015 ont permis une prise de conscience partielle. Alors qu’on a nié pendant longtemps le danger que posait l’islamisme – négation dont la tribune ci-dessus citée est un excellent exemple – on a fini par ouvrir les yeux devant la répétition des actes violents. Mais cette prise de conscience a été très partielle. On n’a toujours pas compris que le dogmatisme islamiste se développe dans un contexte de dogmatisme généralisé. Et qu’à force de ne pas combattre l’ensemble de ces dogmatismes, ceux-ci ne peuvent que grandir et rendre la vie intellectuelle et le débat dont elle se nourrit impossibles. Des dogmatismes d’autant plus dramatiques qu’ils sont largement portés ou tolérés par ceux – institutions et partis politiques – qui sont historiquement censés porter l’étendard de l’irrévérence et du libre examen. Quand il se trouve des centaines d’écervelés gauchistes pour déboucher publiquement le champagne pour célébrer la mort d’un homme politique, il faut se souvenir que la formule « viva la muerte » est historiquement suivie de son corollaire : « abajo la inteligencia » (2).

Descartes

(1) Il n’est pas inutile de rappeler ici le nom des signataires de ce texte tels qu’ils se présentent eux-mêmes : « Saïd Bouamama est sociologue et militant antiraciste ; Youssef Boussoumah et Houria Bouteldja sont membres du Parti des Indigènes de la République ; Abdelaziz Chaambi est porte parole du Collectif contre le racisme et l’islamophobie ; Ismahane Chouder et Ndella Paye sont membres du Collectif des Féministes Pour l’Egalité, de Mamans Toutes égales et de Participation et Spiritualité musulmanes ; Christine Delphy et Sylvie Tissot sont sociologues et militantes féministes ; Olivier Cyran, Thomas Deltombe, Rokhaya Diallo, Sébastien Fontenelle et Hassina Mechaï sont journalistes ; Henri Braun et Nawel Gafsia sont avocats ; Arielle Saint Lazare est militante féministe ; Laurent Lévy, Faysal Riad, Karim Tbaili, Pierre Tevanian et Najate Zouggari sont militants antiracistes ». Belle brochette, n’est-ce pas ?  Le texte complet de la tribune est devenu difficile à trouver, on peut le lire sur https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Flmsi.net%2FPour-la-defense-de-la-liberte-d%23auteur441#federation=archive.wikiwix.com&tab=url

(2) La formule « viva la muerte, muera la inteligencia » (« vive la mort, mort à l’intelligence ») a été prononcée par le général franquiste Millán-Astray lors de la dernière conférence de Miguel d’Unamuno à l’Université de Salamanque (alors en zone franquiste) dont il était recteur, le 12 octobre 1936. Il faut dire qu’Unamuno n’était pas allé avec le dos de la cuillère : « Le général Millán-Astray est un invalide, comme le sont hélas beaucoup trop d’Espagnols aujourd’hui. Tout comme l’était Cervantès. […] Un invalide sans la grandeur spirituelle de Cervantès, qui éprouve du soulagement en voyant augmenter autour de lui le nombre des mutilés. Le général Millán-Astray voudrait créer une nouvelle Espagne – une création négative sans doute – qui serait à son image. C’est pourquoi il la veut mutilée, ainsi qu’il le donne inconsciemment à entendre ». C’est à cette occasion qu’Unamuno a prononcé une phrase restée célèbre : « vosotros venceréis, pero non convenceréis » (« vous pouvez vaincre, mais pas convaincre »). Si son immense prestige lui a évité l’exécution ou la prison, il fut à l’issue de cette conférence assigné à résidence, et mourut trois mois plus tard, le 31 décembre 1936. Millán-Astray, qui était alors le « communiquant » de Franco et dirigeant « l’office de presse et propagande » sera renvoyé de son poste pour incompétence en 1937, mais gardera la bienveillance du dictateur et mourra, impénitent, en 1954. Dans le monde hispanophone, son nom est resté synonyme d’obscurantisme.

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4 réponses à Dix ans déjà…

  1. CVT dit :

    @Descartes,

    [Des dogmatismes d’autant plus dramatiques qu’ils sont largement portés ou tolérés par ceux – institutions et partis politiques – qui sont historiquement censés porter l’étendard de l’irrévérence et du libre examen. Quand il se trouve des centaines d’écervelés gauchistes pour déboucher publiquement le champagne pour célébrer la mort d’un homme politique, il faut se souvenir que la formule « viva la muerte » est historiquement suivie de son corollaire : « abajo la inteligencia » (2).]

     
    Ainsi donc les choses sont relativement claires: en 2025, c’est bien toute la gauche qu’il faudra combattre et renvoyer à ses chères études, exactement comme en …1958!! Une cure d’opposition d’un quart de siècle comme à l’époque, ne lui ferait pas du mal, bien au contraire! Surtout pour le salut de notre pays!
     
    Je suis d’avis que la gauche, ainsi qu’une grande partie des macronards, défendent un discours islamo-gauchiste profondément délétère, ressemblant par bien des points à l’idéologie pétainiste et réactionnaire.
    En effet, dans son versant “vert escrologie”,  c’est le “retour à la terre qui ne ment pas” et la lutte contre l'”hérésie climato-sceptique”.  Si on examine du côté  de la “communauté de l’alphabet”, le déni de réalité et de la science sont brandis pour pour accommoder leurs “sensibilités” (“susceptibilités” me paraît plus approprié….) : par exemple,  l’idéologie trans qui nie les différences sexuelles (“sex vs gender”).
    A cause de la face “féministe misandre” (pléonasme…), on ne sait plus où donner de la tête  entre celles qui d’abord nient le dimorphisme sexuel, puis qui le sur-valorisent au gré du vent (raisonnement ad-hoc).
    Pour finir de décrire ce brouet idéologique infâme, voici le plus sanglant et le plus spectaculaire: le côté “salafiste-djihadiste”, qui porte l’interdiction absolue de la liberté de conscience et donc le retour au blasphème, et qui instaure une charia de fait dans notre pays…
    Evidemment, je passe sur le ciment politique qui lie tous ces revendications archi-contradictoires, celui du désir de la déréliction de l’Etat-Nation et la préférence étrangère systématique. 
     
    Ça commence vraiment à faire beaucoup pour un seul camp, d’autant que de nombreux éléments décrits plus haut sont généralement associés à l’extrême-droite au sens classique: je pousserais donc le vice à affirmer que la gauche de 2025 ressemble bien à un avatar de l’extrême-droite. Je fais ce constat d’autant plus amer que  je peine désormais à trouver, dans mon ancien camp, les successeurs idéologiques des stalino-communistes ou socialistes version “Poperen-Chevenement” des années 70 jusqu’en 1981-1983 (la période n’est pas choisie au hasard) qui avaient porté la gauche de jadis au pouvoir…

    • Descartes dit :

      @ CVT

      [Ainsi donc les choses sont relativement claires: en 2025, c’est bien toute la gauche qu’il faudra combattre et renvoyer à ses chères études, exactement comme en …1958!!]

      Vous allez un peu vite en besogne. On n’est pas dans un combat entre une gauche communautariste et une droite universaliste, entre une gauche obscurantiste et une droite illuministe. Si la gauche a ses péchés, la droite a aussi les siens. Si la gauche porte une forme de « suprémacisme noir », la droite porte, elle, le « suprémacisme blanc ». S’il s’agit de « combattre toute la gauche » qui abat les statues de Colbert pour mettre au pouvoir la droite qui veut en finir avec le programme du CNR, ne comptez pas sur moi.

      Puisque vous donnez 1958 en référence, vous remarquerez qu’à l’époque il ne s’agissait pas de « combattre toute la gauche » pas plus que de « combattre toute la droite ». Le retour au pouvoir de De Gaulle n’est pas une victoire de la droite sur la gauche, mais la victoire d’une conception de la France sur une autre. Une conception qui trouvait un large écho à droite, chez les gaullistes, mais aussi à gauche, chez les communistes. Communistes dont les électeurs ont voté assez massivement pour la nouvelle constitution, contre l’avis de leur parti.

      [Une cure d’opposition d’un quart de siècle comme à l’époque, ne lui ferait pas du mal, bien au contraire ! Surtout pour le salut de notre pays !]

      Comme le disait un dirigeant communiste que j’ai bien connu, « la France avance quand la droite est forte au gouvernement, et la gauche est forte dans la rue ». Mais à l’époque, « la gauche » c’était un parti communiste qui représentait effectivement les couches populaires, et un parti socialiste obligé, par la présence de ce voisin encombrant, à respecter certaines limites. Ce qui n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Pour le dire autrement, que la gauche soit au gouvernement ou dans l’opposition ne change aujourd’hui pas grande chose, au point qu’il devient difficile de savoir. Macron, Attal, Borne… de droite ou de gauche ?

      [Je suis d’avis que la gauche, ainsi qu’une grande partie des macronards, défendent un discours islamo-gauchiste profondément délétère, ressemblant par bien des points à l’idéologie pétainiste et réactionnaire.]

      Et la droite ? Vous ne trouvez pas qu’elle aussi est sur beaucoup de points « pétainiste et réactionnaire » ? Au-delà d’une symbolique plus ou moins irritante, voyez-vous une véritable différence aujourd’hui entre ce que défend la droite et de ce que défend la gauche ? Je vous accorde que le discours de la gauche est bien plus provoquant, bien plus clivant. Mais une fois qu’on sort du discours et qu’on revient aux faits, où est la différence ?

      [Evidemment, je passe sur le ciment politique qui lie tous ces revendications archi-contradictoires, celui du désir de la déréliction de l’Etat-Nation et la préférence étrangère systématique.]

      Admettons. Mais la droite fait-elle mieux sur ce sujet ? Je vous rappelle que c’est la droite qui a porté sur les fonts baptismaux le traité de Lisbonne, que c’est elle qui s’est lancée avec enthousiasme dans la privatisation de l’électricité et du gaz – héritage du programme du CNR – décidée, il est vrai, sous la cohabitation. Et lorsque Macron a détruit notre haute fonction publique, je ne me souviens pas avoir entendu beaucoup de voix à droite se lever pour la défendre. Alors, il faut être sérieux, et ne pas confondre discours et action. Si le discours de la gauche est plus provocateur, les résultats in fine sont les mêmes.

      [Je fais ce constat d’autant plus amer que je peine désormais à trouver, dans mon ancien camp, les successeurs idéologiques des stalino-communistes ou socialistes version “Poperen-Chevenement” des années 70 jusqu’en 1981-1983 (la période n’est pas choisie au hasard) qui avaient porté la gauche de jadis au pouvoir…]

      Le problème, c’est que les successeurs idéologiques se trouvent aujourd’hui classés plutôt à l’extrême droite. La gauche a rejeté cet héritage, la droite l’a toujours combattu…

  2. Dafdesade dit :

    Pascal Boniface vous répond indirectement : https://youtu.be/U4HdNfy70NQ?si=YxL2YqNCOCdOoyWS

    • Descartes dit :

      @ Dafdesade

      [Pascal Boniface vous répond indirectement : (…)]

      Je ne comprends pas très bien en quoi il me “répond”. On peut reprocher beaucoup de choses à Boniface – dont j’aime beaucoup les travaux – mais pas d’avoir cherché à réduire au silence qui que ce soit. On a le droit de critiquer Charlie Hebdo. Mais vous noterez que dans mon article je ne cite pas des gens qui ont critiqué la revue (j’aurais pu par exemple parler du cas Plenel) mais des gens qui ont cherché à la réduire au silence – ou bien qui ont minimisé les actes de ceux qui ont poursuivi ce but.

      Je précise ma pensée: dans mon papier, je n’attaque pas ceux qui critiquent, mais ceux qui s’arrogent le droit d’empêcher les autres de le faire. Ceux qui décident que toute expression contraire au dogme doit non pas être critiquée, mais être empêchée. Ceux qui cherchent a faire régner la conformité, y compris par la violence. Si les “décoloniaux” trouvent une mise en scène “raciste” et publient leur avis, ils sont dans leur droit. Mais lorsqu’ils empêchent la représentation, ils contribuent à rendre nauséabond le débat public. Lorsque Boniface critique la position de Charlie-Hebdo, il contribue au débat public. Lorsque quelqu’un lance un cocktail molotov sur le siège de la revue, ou bien excuse celui qui le fait, il contribue à l’empêcher.

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