Dix ans déjà…

« En tant qu’extrémiste, je tiens à vous remercier, vous les lâches et les idiots, sans qui nous ne serions rien » (Xavier Gorce)

Dix ans ! Dix ans déjà que Cabu et les autres nous ont quittés, tombés sous les balles de deux fanatiques convaincus qu’ils avaient tous les droits, y compris celui de tuer ceux qui ne partageaient pas leur vision du monde. Dix ans que notre pays a vu la manifestation la plus massive de son histoire, ou du moins, depuis que les comptages existent : deux millions de personnes ont battu le pavé à Paris, deux autres millions en province. Quatre millions de citoyens qui ont risqué leur vie dans un acte de résistance. Et je dis bien « risquer leur vie », parce qu’en ce mois de janvier 2015 nous ne savions pas grand chose du réseau terroriste qui avait frappé Charlie Hebdo et l’Hyper Casher. Il aurait été parfaitement possible que d’autres terroristes « dormants » fussent à l’affut, prêts à tirer sur les foules assemblées dans les rues, et seul dieu sait quel carnage ceux-ci auraient pu faire sur la marée humaine qui s’étalait de la Place de la République jusqu’à celle de la Nation.

En ce 11 janvier 2015, tous les espoirs étaient permis. De ces manifestations monstre, des drapeaux tricolores agités et des « Marseillaises » chantées, de ces policiers embrassés, de ce courage de battre le pavé malgré la menace, on pouvait espérer une prise de conscience. Conscience de notre force comme collectivité, du besoin de renforcer nos institutions, de reconstruire notre nation, de remettre à leur place les valeurs de tolérance et de libre examen contre tous les fanatismes, tous les dogmatismes.

Ces espoirs ont été déçus. Et c’était parfaitement prévisible. La prise de conscience aurait été possible si l’acte des frères Kouachi avait été un acte isolé, une éruption de fanatisme dans un univers de rationalité. Mais ce n’était pas le cas, et c’est pourquoi la condamnation qui s’en est suivie a été bien plus superficielle qu’on ne pourrait le croire. Pour beaucoup, la condamnation portait plus sur les moyens que sur les objectifs. Parce que le fanatisme, sous des formes différentes, était déjà très largement à l’œuvre. Le terrorisme islamiste n’a fait que pousser à son paroxysme une terreur qui était déjà très largement répandue dans la société par des groupes et des coteries qui n’ont pas toujours partie liée avec l’Islam.

Car les frères Kouachi n’ont pas été les premiers à exprimer leur volonté de faire taire Charlie-Hebdo. D’autres les ont précédés dans cette tâche : en 2006, l’UOIF, la grande mosquée de Paris et la Ligue islamique mondiale engagent une procédure judiciaire suite à la publication des caricatures reprises du Jyllands-Posten et d’un dessin de Cabu – elles seront déboutées en première instance et en appel. En 2011, un cocktail molotov lancé contre les locaux du journal provoque un incendie qui détruit les locaux de la rédaction. Et suite à cet acte de terrorisme, un collectif baptisé « les mots sont importants » publie une tribune… pour critiquer ceux qui s’insurgent contre l’attentat (1), accusés de participer « à la confusion générale, à la sarkozisation et à la lepénisation des esprits ». C’est que, voyez-vous, «  il n’y a pas lieu de s’apitoyer sur les journalistes de Charlie Hebdo, [puisque] les dégâts matériels seront pris en charge par leur assurance, que le buzz médiatique et l’islamophobie ambiante assureront certainement à l’hebdomadaire, au moins ponctuellement, des ventes décuplées, comme cela s’était produit à l’occasion de la première “affaire des caricatures” – bref : que ce fameux cocktail molotov risque plutôt de relancer pour un tour un hebdomadaire qui, ces derniers mois, s’enlisait en silence dans la mévente et les difficultés financières ».

On comprend que ce texte soit aujourd’hui presque oublié. Surtout par ses auteurs, qui n’aiment pas du tout qu’on le leur rappelle. C’est qu’il y a dans ce texte une phrase qui sonne aujourd’hui étrangement : « la liberté de critiquer l’islam est tout sauf menacée, et que toute personne dotée d’un minimum de bon sens peut même constater, en inspectant semaine après semaine la devanture de son kiosque ou les programmes de télévision, que concernant l’islam, non seulement la critique mais aussi la caricature et l’injure prospèrent en toute tranquillité et en toute bonhomie depuis au moins une décennie ». Ecriraient-ils, ces doctes intellectuels, ces « militants antiracistes », le même texte aujourd’hui ? Probablement pas : grâce aux frères Kouachi, tout est rentré dans l’ordre. Cabu et les siens ne sont plus là pour « faire prospérer la caricature », et les éditeurs vivants aujourd’hui regarderont à deux fois avant de publier quoi que ce soit qui puisse « offenser ». Non parce qu’ils ont changé de convictions, mais parce qu’ils ont peur. Les signataires de ce texte ont singulièrement manqué de clairvoyance : « la liberté de critiquer l’Islam » était bien « menacée ».

Que reste-t-il de l’esprit de libre examen quand tous les éditeurs ayant pignon sur rue embauchent des « conseillers en diversité » chargés d’expurger les œuvres littéraires de toute référence qui pourrait offenser telle ou telle « communauté » ? Une censure qui ne touche pas que les œuvres contemporaines, mais aussi les écrits du passé, qui nous arrivent donc non pas sous la forme que leur auteur leur ont données, mais sous celle qu’un censeur – appelons les choses par leur nom – estime « acceptable » aujourd’hui. Et croyez-moi, cette démarche n’est en rien motivée par une quelconque contrition spirituelle : c’est la peur qui conduit les éditeurs à ces extrémités. La peur des procès, des appels au boycott, des occupations de locaux, des articles rageurs dans les journaux, du cocktail molotov, du saccage d’une librairie ou d’un théâtre.

Que reste-t-il de l’esprit de libre examen quand une pièce de théâtre classique ne peut être montée à la Sorbonne parce qu’un groupuscule s’estime « offensé » par la mise en scène et empêche par la force les représentations sans que l’autorité publique, chargée de faire respecter la loi et de permettre à chacun de vaquer paisiblement à ses occupations, ne réagisse autrement que par une faible déclaration appelant toutes les parties au « débat » ? Quand un théâtre prestigieux retire de son programme un opéra de Mozart dont la mise en scène pourrait se révéler « dangereuse » puisqu’elle montre sur scène une représentation des grands leaders religieux, dont Mahomet ?

Que reste-t-il de l’esprit de libre examen quand des hommes peuvent voir leurs carrières brisées, leurs œuvres détruites sur la base d’accusations malveillantes, sans respect de la moindre procédure contradictoire, ou même lorsque les juges les ont exonérés ? Quand l’autorité du professeur est remise en cause par des groupuscules qui estiment avoir le droit de décider ce qui doit ou non être enseigné dans nos écoles et nos universités, et qui n’hésitent pas devant le recours à la menace et même la violence lorsque leurs prétentions sont ignorées ? Quand les institutions fonctionnent sous la surveillance de dragons de vertu venus de tous horizons qui s’estiment légitimes à imposer aux autres leurs préjugés et leurs injonctions ?

Le problème n’est pas seulement que tel ou tel intellectuel voie son œuvre détruite, que tel ou tel dirigeant voie sa carrière brisée, que tel ou tel professeur soit blessé ou même tué, tous dommages considérés « collatéraux » par pas mal de militants de causes diverses. Le véritable problème est que ces cas, largement médiatisés, instaurent un climat de terreur – le mot n’est pas trop fort – qui fait que demain l’intellectuel, le dirigeant, le professeur céderont aux injonctions de telle ou telle minorité agissante « pour ne pas avoir d’ennuis ». Dans certaines institutions, c’est une chape de plomb qui couvre tous les échanges. Et puis, est-ce qu’ouvrir les yeux de ses élèves à certains savoirs, présenter au public une mise en scène audacieuse, publier une caricature qui dépasse le conformisme étouffant de « cartooning for peace » vaut la peine de risquer sa vie ? Pour un Xavier Gorce qui ose, combien de dessinateurs préfèrent prudemment mettre de l’eau dans leur crayon pour garder leur emploi ? Pour un Olivier Grenouilleau, combien oseront aujourd’hui parler des traites négrières non-occidentales ? Les livres que nous lisons, les films que nous voyons, les débats qui nous sont présentés sont formatés, uniformisés pour ne déplaire à personne, et surtout pas aux groupuscules agissants.

Dans l’affaire Charlie-Hebdo, il faut éviter une erreur d’analyse qui consisterait à prendre l’équipée sauvage des frères Kouachi pour un évènement isolé, un éclair tombé d’un ciel bleu, un dogmatisme venu d’ailleurs et qu’il suffirait de renvoyer là d’où il vient pour que tout soit résolu. Il s’agit au contraire d’un symptôme paroxystique d’une évolution que nous percevons tous les jours. Oui, la rédaction de Charlie-Hebdo est tombée physiquement sous les balles des islamistes. Mais l’esprit dont la publication était en quelque sorte le symbole, cet esprit si français qui mélangeait l’insouciance, la liberté de ton, le refus de se soumettre aux dogmes, et dans lequel nous avons vécu depuis les années 1960, agonisait déjà sous les coups des fanatismes de tout bord, dont l’action est certes moins violente que celle des islamistes, mais n’est pas moins efficace à l’heure de faire taire ceux pour qui tout écart par rapport à leur dogme préféré est intolérable.

Et ce n’est pas un phénomène exclusivement français : cette vague d’intolérance et de fanatisme est partout. Aux Etats-Unis, avec un terrorisme intellectuel qui a conduit le corps professoral de certaines universités à accepter les injonctions humiliantes de certains groupuscules étudiants, a amené plusieurs journaux – dont le vénérable New York Times – à renoncer à publier toute caricature, a contraint des institutions éducatives à pour supprimer de leurs programmes les grands classiques et les remplacer par des œuvres médiocres mais qui satisfont les préjugés de tel ou tel groupuscule. En Grande Bretagne, où tout spectacle, toute publication est passée au crible des « conseillers en diversité » tout simplement parce que sans cette expertise les assureurs refusent de vous assurer. Cette vague arrive en France, et ses effets sont beaucoup plus visibles tout simplement parce que chez nous la tradition cartésienne et voltairienne était beaucoup plus forte, et le décalage est donc encore plus dramatique. En Grande Bretagne, le délit de blasphème n’a jamais été aboli, alors que chez nous il a été formellement rayé du droit depuis plus de deux cents ans. Son rétablissement de facto n’est donc que plus évident.

Ceux qui ont milité dans le passé contre l’obscurantisme et pour défendre le principe de libre examen ont eu pour ennemi traditionnel les grandes institutions. Les églises d’abord, l’Etat ensuite. C’est de leurs prétentions à imposer une idéologie qu’il fallait se protéger, et nos mentalités ont été formées par cette prévention. Ce qui rend nos catégories obsolètes aujourd’hui, c’est que la menace ne vient pas de ces institutions, mais du fait que leur affaiblissement a ouvert la porte au terrorisme pratiqué par des groupuscules agissants. Si certains sujets ne peuvent pas être discutés dans nos universités, si certains thèmes ne peuvent être traités correctement en cours, si des pièces de théâtre ne peuvent y être représentées et des livres ne peuvent être lus dans leurs bibliothèques, ce n’est pas à l’autorité universitaire qu’on le doit, mais à des groupuscules qui exploitent leur capacité de nuisance et auxquels ces mêmes autorités sont trop faibles – ou trop indifférentes – pour mettre des limites.

Les dix ans qui se sont écoulés depuis 2015 ont permis une prise de conscience partielle. Alors qu’on a nié pendant longtemps le danger que posait l’islamisme – négation dont la tribune ci-dessus citée est un excellent exemple – on a fini par ouvrir les yeux devant la répétition des actes violents. Mais cette prise de conscience a été très partielle. On n’a toujours pas compris que le dogmatisme islamiste se développe dans un contexte de dogmatisme généralisé. Et qu’à force de ne pas combattre l’ensemble de ces dogmatismes, ceux-ci ne peuvent que grandir et rendre la vie intellectuelle et le débat dont elle se nourrit impossibles. Des dogmatismes d’autant plus dramatiques qu’ils sont largement portés ou tolérés par ceux – institutions et partis politiques – qui sont historiquement censés porter l’étendard de l’irrévérence et du libre examen. Quand il se trouve des centaines d’écervelés gauchistes pour déboucher publiquement le champagne pour célébrer la mort d’un homme politique, il faut se souvenir que la formule « viva la muerte » est historiquement suivie de son corollaire : « abajo la inteligencia » (2).

Descartes

(1) Il n’est pas inutile de rappeler ici le nom des signataires de ce texte tels qu’ils se présentent eux-mêmes : « Saïd Bouamama est sociologue et militant antiraciste ; Youssef Boussoumah et Houria Bouteldja sont membres du Parti des Indigènes de la République ; Abdelaziz Chaambi est porte parole du Collectif contre le racisme et l’islamophobie ; Ismahane Chouder et Ndella Paye sont membres du Collectif des Féministes Pour l’Egalité, de Mamans Toutes égales et de Participation et Spiritualité musulmanes ; Christine Delphy et Sylvie Tissot sont sociologues et militantes féministes ; Olivier Cyran, Thomas Deltombe, Rokhaya Diallo, Sébastien Fontenelle et Hassina Mechaï sont journalistes ; Henri Braun et Nawel Gafsia sont avocats ; Arielle Saint Lazare est militante féministe ; Laurent Lévy, Faysal Riad, Karim Tbaili, Pierre Tevanian et Najate Zouggari sont militants antiracistes ». Belle brochette, n’est-ce pas ?  Le texte complet de la tribune est devenu difficile à trouver, on peut le lire sur https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Flmsi.net%2FPour-la-defense-de-la-liberte-d%23auteur441#federation=archive.wikiwix.com&tab=url

(2) La formule « viva la muerte, muera la inteligencia » (« vive la mort, mort à l’intelligence ») a été prononcée par le général franquiste Millán-Astray lors de la dernière conférence de Miguel d’Unamuno à l’Université de Salamanque (alors en zone franquiste) dont il était recteur, le 12 octobre 1936. Il faut dire qu’Unamuno n’était pas allé avec le dos de la cuillère : « Le général Millán-Astray est un invalide, comme le sont hélas beaucoup trop d’Espagnols aujourd’hui. Tout comme l’était Cervantès. […] Un invalide sans la grandeur spirituelle de Cervantès, qui éprouve du soulagement en voyant augmenter autour de lui le nombre des mutilés. Le général Millán-Astray voudrait créer une nouvelle Espagne – une création négative sans doute – qui serait à son image. C’est pourquoi il la veut mutilée, ainsi qu’il le donne inconsciemment à entendre ». C’est à cette occasion qu’Unamuno a prononcé une phrase restée célèbre : « vosotros venceréis, pero non convenceréis » (« vous pouvez vaincre, mais pas convaincre »). Si son immense prestige lui a évité l’exécution ou la prison, il fut à l’issue de cette conférence assigné à résidence, et mourut trois mois plus tard, le 31 décembre 1936. Millán-Astray, qui était alors le « communiquant » de Franco et dirigeant « l’office de presse et propagande » sera renvoyé de son poste pour incompétence en 1937, mais gardera la bienveillance du dictateur et mourra, impénitent, en 1954. Dans le monde hispanophone, son nom est resté synonyme d’obscurantisme.

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6 réponses à Dix ans déjà…

  1. CVT dit :

    @Descartes,

    [Des dogmatismes d’autant plus dramatiques qu’ils sont largement portés ou tolérés par ceux – institutions et partis politiques – qui sont historiquement censés porter l’étendard de l’irrévérence et du libre examen. Quand il se trouve des centaines d’écervelés gauchistes pour déboucher publiquement le champagne pour célébrer la mort d’un homme politique, il faut se souvenir que la formule « viva la muerte » est historiquement suivie de son corollaire : « abajo la inteligencia » (2).]

     
    Ainsi donc les choses sont relativement claires: en 2025, c’est bien toute la gauche qu’il faudra combattre et renvoyer à ses chères études, exactement comme en …1958!! Une cure d’opposition d’un quart de siècle comme à l’époque, ne lui ferait pas du mal, bien au contraire! Surtout pour le salut de notre pays!
     
    Je suis d’avis que la gauche, ainsi qu’une grande partie des macronards, défendent un discours islamo-gauchiste profondément délétère, ressemblant par bien des points à l’idéologie pétainiste et réactionnaire.
    En effet, dans son versant “vert escrologie”,  c’est le “retour à la terre qui ne ment pas” et la lutte contre l'”hérésie climato-sceptique”.  Si on examine du côté  de la “communauté de l’alphabet”, le déni de réalité et de la science sont brandis pour pour accommoder leurs “sensibilités” (“susceptibilités” me paraît plus approprié….) : par exemple,  l’idéologie trans qui nie les différences sexuelles (“sex vs gender”).
    A cause de la face “féministe misandre” (pléonasme…), on ne sait plus où donner de la tête  entre celles qui d’abord nient le dimorphisme sexuel, puis qui le sur-valorisent au gré du vent (raisonnement ad-hoc).
    Pour finir de décrire ce brouet idéologique infâme, voici le plus sanglant et le plus spectaculaire: le côté “salafiste-djihadiste”, qui porte l’interdiction absolue de la liberté de conscience et donc le retour au blasphème, et qui instaure une charia de fait dans notre pays…
    Evidemment, je passe sur le ciment politique qui lie tous ces revendications archi-contradictoires, celui du désir de la déréliction de l’Etat-Nation et la préférence étrangère systématique. 
     
    Ça commence vraiment à faire beaucoup pour un seul camp, d’autant que de nombreux éléments décrits plus haut sont généralement associés à l’extrême-droite au sens classique: je pousserais donc le vice à affirmer que la gauche de 2025 ressemble bien à un avatar de l’extrême-droite. Je fais ce constat d’autant plus amer que  je peine désormais à trouver, dans mon ancien camp, les successeurs idéologiques des stalino-communistes ou socialistes version “Poperen-Chevenement” des années 70 jusqu’en 1981-1983 (la période n’est pas choisie au hasard) qui avaient porté la gauche de jadis au pouvoir…

    • Descartes dit :

      @ CVT

      [Ainsi donc les choses sont relativement claires: en 2025, c’est bien toute la gauche qu’il faudra combattre et renvoyer à ses chères études, exactement comme en …1958!!]

      Vous allez un peu vite en besogne. On n’est pas dans un combat entre une gauche communautariste et une droite universaliste, entre une gauche obscurantiste et une droite illuministe. Si la gauche a ses péchés, la droite a aussi les siens. Si la gauche porte une forme de « suprémacisme noir », la droite porte, elle, le « suprémacisme blanc ». S’il s’agit de « combattre toute la gauche » qui abat les statues de Colbert pour mettre au pouvoir la droite qui veut en finir avec le programme du CNR, ne comptez pas sur moi.

      Puisque vous donnez 1958 en référence, vous remarquerez qu’à l’époque il ne s’agissait pas de « combattre toute la gauche » pas plus que de « combattre toute la droite ». Le retour au pouvoir de De Gaulle n’est pas une victoire de la droite sur la gauche, mais la victoire d’une conception de la France sur une autre. Une conception qui trouvait un large écho à droite, chez les gaullistes, mais aussi à gauche, chez les communistes. Communistes dont les électeurs ont voté assez massivement pour la nouvelle constitution, contre l’avis de leur parti.

      [Une cure d’opposition d’un quart de siècle comme à l’époque, ne lui ferait pas du mal, bien au contraire ! Surtout pour le salut de notre pays !]

      Comme le disait un dirigeant communiste que j’ai bien connu, « la France avance quand la droite est forte au gouvernement, et la gauche est forte dans la rue ». Mais à l’époque, « la gauche » c’était un parti communiste qui représentait effectivement les couches populaires, et un parti socialiste obligé, par la présence de ce voisin encombrant, à respecter certaines limites. Ce qui n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Pour le dire autrement, que la gauche soit au gouvernement ou dans l’opposition ne change aujourd’hui pas grande chose, au point qu’il devient difficile de savoir. Macron, Attal, Borne… de droite ou de gauche ?

      [Je suis d’avis que la gauche, ainsi qu’une grande partie des macronards, défendent un discours islamo-gauchiste profondément délétère, ressemblant par bien des points à l’idéologie pétainiste et réactionnaire.]

      Et la droite ? Vous ne trouvez pas qu’elle aussi est sur beaucoup de points « pétainiste et réactionnaire » ? Au-delà d’une symbolique plus ou moins irritante, voyez-vous une véritable différence aujourd’hui entre ce que défend la droite et de ce que défend la gauche ? Je vous accorde que le discours de la gauche est bien plus provoquant, bien plus clivant. Mais une fois qu’on sort du discours et qu’on revient aux faits, où est la différence ?

      [Evidemment, je passe sur le ciment politique qui lie tous ces revendications archi-contradictoires, celui du désir de la déréliction de l’Etat-Nation et la préférence étrangère systématique.]

      Admettons. Mais la droite fait-elle mieux sur ce sujet ? Je vous rappelle que c’est la droite qui a porté sur les fonts baptismaux le traité de Lisbonne, que c’est elle qui s’est lancée avec enthousiasme dans la privatisation de l’électricité et du gaz – héritage du programme du CNR – décidée, il est vrai, sous la cohabitation. Et lorsque Macron a détruit notre haute fonction publique, je ne me souviens pas avoir entendu beaucoup de voix à droite se lever pour la défendre. Alors, il faut être sérieux, et ne pas confondre discours et action. Si le discours de la gauche est plus provocateur, les résultats in fine sont les mêmes.

      [Je fais ce constat d’autant plus amer que je peine désormais à trouver, dans mon ancien camp, les successeurs idéologiques des stalino-communistes ou socialistes version “Poperen-Chevenement” des années 70 jusqu’en 1981-1983 (la période n’est pas choisie au hasard) qui avaient porté la gauche de jadis au pouvoir…]

      Le problème, c’est que les successeurs idéologiques se trouvent aujourd’hui classés plutôt à l’extrême droite. La gauche a rejeté cet héritage, la droite l’a toujours combattu…

  2. Dafdesade dit :

    Pascal Boniface vous répond indirectement : https://youtu.be/U4HdNfy70NQ?si=YxL2YqNCOCdOoyWS

    • Descartes dit :

      @ Dafdesade

      [Pascal Boniface vous répond indirectement : (…)]

      Je ne comprends pas très bien en quoi il me “répond”. On peut reprocher beaucoup de choses à Boniface – dont j’aime beaucoup les travaux – mais pas d’avoir cherché à réduire au silence qui que ce soit. On a le droit de critiquer Charlie Hebdo. Mais vous noterez que dans mon article je ne cite pas des gens qui ont critiqué la revue (j’aurais pu par exemple parler du cas Plenel) mais des gens qui ont cherché à la réduire au silence – ou bien qui ont minimisé les actes de ceux qui ont poursuivi ce but.

      Je précise ma pensée: dans mon papier, je n’attaque pas ceux qui critiquent, mais ceux qui s’arrogent le droit d’empêcher les autres de le faire. Ceux qui décident que toute expression contraire au dogme doit non pas être critiquée, mais être empêchée. Ceux qui cherchent a faire régner la conformité, y compris par la violence. Si les “décoloniaux” trouvent une mise en scène “raciste” et publient leur avis, ils sont dans leur droit. Mais lorsqu’ils empêchent la représentation, ils contribuent à rendre nauséabond le débat public. Lorsque Boniface critique la position de Charlie-Hebdo, il contribue au débat public. Lorsque quelqu’un lance un cocktail molotov sur le siège de la revue, ou bien excuse celui qui le fait, il contribue à l’empêcher.

  3. Cording1 dit :

    Depuis 2015 et l’attentat contre Charlie-Hebdo la situation s’est aggravée, en effet nous sommes passés d’un terrorisme de pseudo-loups solitaires comme le démontre Gilles Kepel à un terrorisme d’ambiance où le moindre individu présumé détraqué peut avec un couteau tuer des gens tels les professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard avec une tolérance des institutions qui confine à la lâcheté, en se réclamant de tel ou tel mouvance islamiste par internet ou tout autre réseau social.
    Elle s’est aussi aggravée parce qu’elle trouve des complaisances à gauche de plus en plus marquées tel Jean-Luc Mélenchon qui, fort dépité de son semi-échec électoral de 2017, a donné dans le communautarisme musulman en espérant y trouver les 600 000 voix manquantes pour se qualifier pour un second tour. De l’influence d’un trotskysme d’origine britannique Chris Harman auteur d’un livre “Le Prophète et la révolution” où les musulmans étaient censés être le nouveau prolétariat, les damnés de la terre auxquels tout serait du en raison de la colonisation occidentale. Des personnes telle Danièle Obono issue du NPA en sont les porteurs, des agents d’influence auprès JLM. ce dernier est renforcé dans une telle analyse par les évènements du Proche-Orient depuis le 7octobre 2023 : lui et les siens  cultivent une ambiguïté sur l’antisémitisme en défense de la cause palestinienne.  Toujours en espérant récupérer un  électorat musulman supplémentaire au nom aussi d’une présumée islamophobie.
    Vous pointez fort justement tout ce terrorisme intellectuel venu et soutenu par le monde universitaire notamment des Etats-Unis où il semble déclinant parce que les grandes entreprises qui avaient succombé à cela en reviennent en raison de l’insuccès des illustrations de ces thèses. Cependant le pire n’est pas sûr, et quoique l’on en pense la défaite claire et nette de Kamala Harris et du parti démocrate qui portaient ces idées. Trump plus par opportunisme qu’autre chose a compris, senti le vent tourner dans une Amérique profonde méprisée par les élites parce qu’hostile à ces idées. D’ailleurs les grands journaux et autres médias tel CNN font leurs auto-critiques parce qu’en perte de vitesse auprès des lecteurs, auditeurs et électeurs. Pour imposer leurs idées ils voulaient censurer les réseaux sociaux mais Elon Musk en rachetant Twitter devenu X y a mis fin suscitant l’aveu du fondateur de Facebook reconnaissant avoir succombé à la volonté de censure de l’administration Biden.  Avec leurs excès les Etats-Unis donnent le ton et il est permis de penser que le retour de bâtons de ces idées devenues folles aura lieu en France plutôt que l’on ne pense. Le succès relatif de Cnews et des idées qu’elle véhicule agace assez tous ces gens porteurs d’un nouveau politiquement et culturellement correct. L’un engendre l’autre. Les excès de Mélenchon et des siens risquent bien de contribuer à son échec en 2027 et celui de toute la gauche. Toutefois il espère être élu face à Marine Le Pen lors du second tour en rassemblant toute la gauche et le bloc bourgeois ou central apeuré dans un nouveau front républicain anti-Le Pen…..

    • Descartes dit :

      @ Cording1

      [Depuis 2015 et l’attentat contre Charlie-Hebdo la situation s’est aggravée, en effet nous sommes passés d’un terrorisme de pseudo-loups solitaires comme le démontre Gilles Kepel à un terrorisme d’ambiance où le moindre individu présumé détraqué peut avec un couteau tuer des gens tels les professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard avec une tolérance des institutions qui confine à la lâcheté, en se réclamant de tel ou tel mouvance islamiste par internet ou tout autre réseau social.]

      Oui, tout à fait. Dans une société ou individualisme forcené – non pas l’individualisme classique des lumières, mais l’individualisme de « l’individu-île » – s’impose dans tous les comportements, il n’est pas étonnant qu’il arrive aussi au terrorisme. On est passé graduellement du terrorisme d’organisations, qui est le fait de militants agissant sur décision de l’organisation dont ils sont membres, à un terrorisme d’individus ou chacun décide individuellement de se venger du monde. Et la tolérance des institutions traduit elle aussi l’individualisme : chacun fait son petit ragoût dans sa petite marmite. Tant que ce n’est pas moi le décapité, pourquoi réagir ?

      [Elle s’est aussi aggravée parce qu’elle trouve des complaisances à gauche de plus en plus marquées tel Jean-Luc Mélenchon qui, fort dépité de son semi-échec électoral de 2017, a donné dans le communautarisme musulman en espérant y trouver les 600 000 voix manquantes pour se qualifier pour un second tour.]

      Rien de nouveau sous le soleil. Dans les années 1980, les ex-trotskystes passés au mitterrandisme avaient créé ce magnifique objet de manipulation qu’était SOS-racisme pour capter l’électorat communautariste au bénéfice de Mitterrand. Mélenchon et une partie de ses troupes était déjà là… et il n’a rien oublié et rien appris.

      [De l’influence d’un trotskysme d’origine britannique Chris Harman auteur d’un livre “Le Prophète et la révolution” où les musulmans étaient censés être le nouveau prolétariat, les damnés de la terre auxquels tout serait dû en raison de la colonisation occidentale. Des personnes telle Danièle Obono issue du NPA en sont les porteurs, des agents d’influence auprès JLM.]

      JLM n’a besoin d’aucune « influence » dans ce domaine. Et s’il a recruté dans sa suite des gens comme Obono, ce n’est pas par hasard. Il ne faut pas oublier ce que fut pour les trotskystes le traumatisme gauchiste de mai 1968 : ils ont essayé de piquer l’électorat ouvrier aux PCF, et l’électorat ouvrier les a rembarrés, préférant les réformistes staliniens plutôt que les révolutionnaires trotskystes ou maoïstes. Depuis, l’ouvrier français a perdu chez les gauchistes son aura, et est devenu un affreux beauf raciste et homophobe. Pour le remplacer, le gauchisme s’est cherché d’autres « damnés de la terre », et les immigrés sont de ce point de vue un public de choix. N’étant pas organisés, n’ayant pas de représentation politique, on peut se permettre de parler en leur nom sans crainte d’être contredit…

      [ce dernier est renforcé dans une telle analyse par les évènements du Proche-Orient depuis le 7octobre 2023 : lui et les siens cultivent une ambiguïté sur l’antisémitisme en défense de la cause palestinienne. Toujours en espérant récupérer un électorat musulman supplémentaire au nom aussi d’une présumée islamophobie.]

      Sur ce point, je suis plus nuancé. Une bonne partie de l’antisémitisme supposé de Mélenchon et les siens est une construction de la propagande israélienne et de ses relais en France, très rapide à se cacher derrière la Shoah chaque fois que la politique israélienne est critiquée. Je vous propose une petite expérience : cherchez une seule voix critique de la politique israélienne envers les palestiniens qui soit reconnue comme légitime par les institutions comme le CRIF, qui ne soit pas qualifiée d’antisémite. Vous ne trouvez aucune ? C’est tout de même étrange, non ?

      [Vous pointez fort justement tout ce terrorisme intellectuel venu et soutenu par le monde universitaire notamment des Etats-Unis où il semble déclinant parce que les grandes entreprises qui avaient succombé à cela en reviennent en raison de l’insuccès des illustrations de ces thèses.]

      Comme disait Coco Chanel, « la mode, c’est ce qui se démode ». Certaines entreprises, certaines institutions reviennent à la raison, et mettent des limites aux manifestations les plus extrêmes de ces dérives. Mais je suis moins optimiste que vous en ce qui concerne le fond. Le débat public, le principe de libre examen sont toujours aussi menacés. Remplacer le terrorisme intellectuel « woke » par le terrorisme intellectuel libertarien n’est pas forcément un progrès.

      [Cependant le pire n’est pas sûr, et quoique l’on en pense la défaite claire et nette de Kamala Harris et du parti démocrate qui portaient ces idées.]

      J’insiste. La défaite de Kamala Harris est peut-être la défaite d’une certaine idéologie « woke », mais ce n’est pas la défaite de l’idéologie de la polarisation et de la « vérité alternative ». La victoire de Trump sur Harris n’est pas la victoire de la raison illuministe sur l’obscurantisme dogmatique. C’est au contraire la victoire d’un dogmatisme sur un autre. Et il ne faut pas perdre de vue cela. On peut se réjouir que les théories délirantes des « woke » soient défaites, mais c’est une joie qu’il faut tempérer parce que l’alternative n’est guère ragoûtante.

      [Avec leurs excès les Etats-Unis donnent le ton et il est permis de penser que le retour de bâtons de ces idées devenues folles aura lieu en France plutôt que l’on ne pense. Le succès relatif de Cnews et des idées qu’elle véhicule agace assez tous ces gens porteurs d’un nouveau politiquement et culturellement correct.]

      Là encore, il faut être lucide. Le problème ici est la confiance qu’on peut avoir dans l’information qui nous est transmise. Moi, dans ma salle à manger, je n’ai aucun moyen de déterminer si les images de Palestine, des Etats-Unis ou de l’Assemblée nationale que je vois à la télé est une vraie image ou une fabrication, si elles sont représentatives de la réalité ou si au contraire elle sont singulières. Je n’ai aucun moyen de savoir si les paroles du ministre que je lis dans un journal ont été effectivement prononcées, ou bien si elles sont une invention ou sont citées hors contexte. La confiance ne peut résulter que d’une confiance dans une institution qui filtre l’information, c’est-à-dire, dans un mécanisme dans lequel on délègue à une institution le soit de séparer ce qui est vrai de ce qui est faux, ce qui est fait de ce qui est bobard.

      Aujourd’hui, ces institutions n’existent plus. L’éthique journalistique – et même la compétence des journalistes – qui était la garantie sur laquelle reposait la confiance des lecteurs des grands journaux n’est qu’un souvenir, et on peut lire dans un journal qui se prétend toujours « de référence » comme « Le Monde » des bobards dignes des réseaux sociaux – je me souviens encore d’un article dans « Le Monde de l’Education » qui prétendait que Nicolas Bourbaki était une personne réelle. Et cette situation aboutit à une logique de méfiance généralisée. Une méfiance qui laisse les gens totalement démunis face au monde. Peut-on avoir confiance dans l’eau du robinet ? Dans les vaccins ? Comment savoir, quand vous pouvez entendre et voir à la télévision, à la radio, dans le discours politique, sur les réseaux sociaux tout et son contraire ?

      « Quand on cesse de croire en dieu, ce n’est pas pour croire en rien, c’est pour croire en n’importe quoi » disait Chesterton. Pendant des siècles, les églises, les partis politiques, les institutions de toutes sortes nous disaient ce qu’il fallait croire. Et ceux qui n’étaient pas d’accord cherchaient à fonder de nouvelles institutions qui tenaient un autre discours et qui établissaient leur légitimité en montrant que leur vision du monde était plus opérationnelle que celle de leurs concurrents. Dans le monde de l’individu-île, ces institutions n’existent pas, et chacun est laissé à se construire sa propre vision du monde avec les moyens dont il ne dispose, c’est-à-dire, pas grande chose. Pas étonnant que de ce processus résultent des visions du monde autocentrées…

      [L’un engendre l’autre. Les excès de Mélenchon et des siens risquent bien de contribuer à son échec en 2027 et celui de toute la gauche. Toutefois il espère être élu face à Marine Le Pen lors du second tour en rassemblant toute la gauche et le bloc bourgeois ou central apeuré dans un nouveau front républicain anti-Le Pen…]

      Je pense qu’il se fait beaucoup d’illusions. Qui plus est, s’il était élu dans cette configuration il serait, comme tout homme politique, l’otage de ses électeurs, c’est-à-dire, d’un rassemblement hétéroclite allant du centre-droit à la gauche radicale, alors que l’essentiel de l’électorat populaire se trouverait de l’autre côté. Quelle politique pourrait-il faire sur une telle base ?

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