On ne ment jamais autant qu’après la chasse, pendant
la guerre et avant les élections (Bismarck)
L’un des problèmes fondamentaux de notre civilisation, est la perte du sens critique. Ainsi, on peut entendre chaque jour des affirmations surprenantes ou franchement contradictoires, qui sont répétées à l’infini sans que personne prenne la peine d’arrêter une minute pour faire un test de cohérence.
Dernier exemple: l’article paru sur Médiapart le 14 octobre dernier sous le titre “Retraite: la joint-venture des frères Sarkozy contre les régimes de répartition”. Dans cet article, on nous raconte en détail les projets de Guillaume Sarkozy, le frère de l’autre, pour constituer une “joint venture” avec la Caisse des Dépots afin de créer une caisse de retraite complémentaire. L’ennui, c’est que dans toute cette affaire l’autre “frère Sarkozy”, Nicolas, n’y apparaît pas. Il fallait donc, pour justifier un titre croustillant, lier cette affaire avec la réforme des retraites en cours. Ce que Laurent Mauduit, l’auteur de l’article, fait au moyen de la phrase suivante:
Pourtant, beaucoup de grands opérateurs privés intervenant dans le domaine de la protection sociale sont convaincus que la réforme, telle qu’elle se dessine, va conduire à l’asphyxie financière des grands régimes par répartition. Elle va donc être propice à l’éclosion de ces grands fonds de pension (…)
L’affaire est donc entendue: l’affreux Nicolas a fait une réforme qui va bien arranger les affaires de son frère Guillaume. Cependant, cette phrase pose un grave problème de logique. La réforme, “telle qu’elle se dessine”, va avoir pour effet de réduire les dépenses des régimes de retraite par répartition: une retraite plus tardive implique moins de pensions à payer pendant moins longtemps. Côté recettes, la reforme prévoit de les augmenter. Une augmentation cosmétique, certes, mais augmentation enfin. Et la question qui se pose est: comment une réforme qui réduit les dépenses et augmente les recettes peut-elle “conduire à l’asphyxie financière des grands régimes par répartition” ?
Si quelque chose doit conduire à l’asphyxie des régimes par répartition, ce sera le déséquilibre entre les ressources et les dépenses, et ce déséquilibre est aujourd’hui pire qu’il ne le sera après la réforme. En d’autres termes, ce n’est pas la réforme qui conduit à l’asphyxie. Tout au plus, on peut lui reprocher de ne pas corriger suffisamment un déséquilibre préexistent. Mais cette formulation ne serait pas aussi racoleuse que celle retenue par Mauduit, et surtout montrerait que les alliés de Guillaume Sarkzoy ne sont pas ceux qui proposent la réforme actuelle, mais ceux qui demandent son retrait… Pas du tout ce que Médiapart cherche à démontrer.
Une lecture critique de cet article devrait conduire, pour le moins, à la prudence. Malhereusement, ce n’est pas le cas. Ainsi, par exemple, on trouve Jean-Luc Mélenchon qui enfourche l’âne déterré par Médiapart pour attaquer de sa lance les moulins. Sur son blog, il cite abondamment le texte de Mauduit puis écrit: “La seconde [conclusion] est que cette affaire vaut mieux que mille discours pour démontrer ce que nous répétons et argumentons depuis bientôt six mois à savoir que la réforme n’a pas de raison d’être s’il s’agit vraiment de raisons comptables ou démographiques. Ce n’est qu’un épisode de la lutte pour la répartition de la richesse dans laquelle l’oligarchie qui tient les rênes de notre pays veut capter une nouvelle part“. En d’autres termes, non seulement notre Quichotte reprend sans le moindre regard critique l’affirmation de Médiapart, mais il en tire une théorie de complot. Ne voit-il pas que si le but était de hâter “l’asphyxie des régimes par répartition”, le mieux ce serait de ne rien faire, voire même d’avancer l’âge de la retraite disons à 58 ans ? (1)
Oui, la réforme des retraites telle qu’elle est proposée est injuste. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut bâtir des théories de complot ou d’inventer des arrières pensées que rien ne justifie. Il faudrait m’expliquer en quoi le fait de reculer l’âge de la retraite bénéficierait aux fonds de pension. Au contraire: si le but avait été de favoriser les régimes par capitalisation, on aurait conservé le départ à 60 ans et on aurait rétabli l’équilibre en programmant la réduction des pensions, poussant ainsi les futurs retraités à se constituer des réserves de capitalisation. Même si la retraite par capitalisation est une bonne affaire pour Malakoff-Médéric, elle est loin d’être une bonne affaire pour l’ensemble du patronat et pour le capital en général, notamment à cause de ses effets pro-cycliques.
Rien, dans la réforme proposée, ne va favoriser les retraites par capitalisations. Il faut arrêter de fantasmer, et devant les marchands de croquemitaines, faire preuve d’un minimum de sens critique.
Descartes
(1) On peut remarquer d’ailleurs que sur le blog de Jean-Luc Mélenchon les commentaires critiques de l’article de Médiapart sont impitoyablement censurés. Quand on n’a pas la conscience tranquille, mieux vaut faire taire les hérétiques.
La réforme sarko-woerth est le troisième étage “d’une fusée” qui en comportera 4 ou 5 à minima.
Les deux premiers étages étant les réformes Balladur et Fillion (1993 et 2003, avec une harmonisation partielle pour le secteur public en 2008, si mes souvenirs sont exacts).
Tous ces paliers ont un point commun : – Réduire la pension moyenne des français (je ne rentre pas dans les détails, mais, par exemple, une référence sur “les 10 meilleures années” ce n’est pas le
même impact que sur “les 25 meilleures années”, il peut y avoir un delta de 20 % sur une pension).
Et bien sur ce n’est pas fini, la réforme en cours “sauve” le système jusqu’en 2018, au delà il faut impérativement un 4ème étage (Fillion lui-même en a fait l’aveu dans les médias).
Si le niveau moyen des pensions par répartition (CNAV + complémentaires) est durablement orienté à la baisse, ceux qui en ont les moyens vont souscrire une assurance retraite supplémentaire,
complément qui sera d’autant plus fort que sera forte l’incertitude sur le régime par répartition.
Voilà pourquoi, à mon sens, toutes ces réformes sont bonnes pour les fonds de pension en général (y compris pour malakoff-médéric), car elles drainent des clients vers ces organismes.
Est-ce qu’il y avait d’autres options pour sauver le régime de retraite par répartition? A l’évidence oui, la taille du gâteau n’est pas en cause, c’est sa répartition qui pose problème. Par
exemple, les 10 points de PIB qui ont été transférés du salariat vers le capital depuis 30 ans (stat INSEE) cela représente tout de même 200 milliards €/an, largement de quoi pérenniser le système
de retraites par répartition.
C’est un modèle de civilisation qui nous est imposé, il nous appartiendra en 2012 de le valider ou bien de le rejeter, ensuite nous aurons ce que nous méritons.
PS : J’ai aussi noté une drôle de censure sur le blog de Mélenchon. Si dans un post tu as le mot “Le siècle”, c’est radical (j’ai testé 4 ou 5 fois, sous différentes approches), ni une ni deux, le
Webmestre dégaine, même si le ton du post est courtois et respectueux …. Dommage!
Je pense que ta manière de procéder par amalgame, en faisant de la réforme en cours un élément d’un “complot” dont toutes les réformes non seulement passées mais aussi à venir, feraient partie
(“le troisième étage d’une fusée qui comportera 4 ou 5 à minima”) n’est pas la bonne si on veut analyser les choses.
Il faudrait d’ailleur m’expliquer en quoi la réforme en cours “réduit la pension moyenne des français”. Que je sache, elle ne touche pas la méthode de calcul des pensions. Elle ne fait que
rétarder leur versement de deux ans. Aussi longtemps que tu n’auras pas abordé ce point, l’affirmation selon laquelle cette réforme fait le jeu des retraites par capitalisation reste un fantasme.
Quand à la théorie selon laquelle “10 points de PIB ont été transférés du salaria tvers le capital depuis 30 ans” (affirmation qu’on retrouve souvent dans la bouche de Mélenchon, d’ailleurs),
j’aimerais avoir une référence statistique. Puisque tu mentionnes l’INSEE, pourrais-tu m’indiquer où se trouve précisement la statistique en question ? Pas que je soit méfiant, non…
Sur ton PS: je t’avoue que je n’essaye même plus de participer au blog de JLM. On ne retrouve plus que les messages à la gloire du Chef entre deux interventions gauchistes prédisant la révolution
prolétarienne pour demain matin. Plus aucun intérêt. L’actuelle politique de modération a tué tout débat, toute expression d’un point de vue argumenté. Si c’est ça que Jean-Luc veut, grand bien
lui fasse.
Bonsoir,
C’est le 2° volet qui va concerner les retraites complémentaires qui représentent env. 150 milliard d’€ de cotisations.
D’ailleurs le frère de l’autre représente le groupe Médéric spécialisé dans les retraites complémentaires des VRP et cadres. Sur le site de la CGT, une analyse de la spécialiste de ce secteur
l’expliquait dans le détail. Je n’ai pas pu le retrouver.
A+
Les faits, rien que les faits!
Où se trouve ce “2ème volet” ?
“Puisque tu mentionnes l’INSEE, pourrais-tu m’indiquer où se trouve précisement la statistique en question ? Pas que je soit méfiant, non… “
Sur internet on trouve des centaines de pages qui confirment ces 10 points de PIB (tu n’auras aucune difficultés à les retrouver).
Sur le site INSEE j’ai trouvé une stat où il est question de 10 points de valeur ajoutée, et non de PIB.
Voire fig. 1.5 page 30
http://www.insee.fr/fr/publications-et-services/dossiers_web/partage_VA/rapport_partage_VA.pdf
Mais je ne suis pas un expert de la question, je l’avoue bien humblement. J’imagine toutefois qu’il y a une forte corrélation entre PIB et valeur ajoutée?
Au sujet des réformes retraite, il n’y a pas de complot, la démarche est claire. Les réformes passées ont déjà amputé le niveau moyen des pensions (c’est une évidence que personne ne nie),
l’actuelle réforme le fera aussi car ils seront nombreux ceux qui seront obligés de liquider leur retraite avant 67 ans avec une carrière incomplète (passé 50 ans il est très difficile de se
maintenir dans un emploi, c’est la triste réalité).
Il est toujours important de contrôler ses sources. Il y a certainement “des centaines de pages” pour confirmer n’importe quel bobard, et une erreur n’en est pas moins une pour être partagé. Il
faut aller aux sources et regarder les chiffres, non seulement parce que cela permet d’éloigner un certain nombre de bobards, mais aussi parce qu’en regardant comment les données sont construites
on évite des contresens. Or, sur cette question des “10 points” on fait deux énormes contresens. D’une part, parce que le transfert n’atteint pas, en 30 ans, les “10 pour cent”: la part du
travail était en 1979 de 62% et celle du capital (en fait, l’excédent brut d’exploitation) de 23%. En 2009, ces chiffres étaient passés à 58% et 31% respectivement (tu peux charger la série
longue sur le site de l’INSEE ici). Cela fait un déplacement de 7%, et non pas de 10%. Ce qui fait tout
de même une différence.
Second élément: le tableau donne le partage entre salaires (directs et indirects) et excédent brut d’exploitation. Mais tout l’excédent n’est pas utilisé pour rémunérer le
capital. Une partie non négligéable va à l’investissement autofinancé, aux impôts sur les sociétés, au payement des intérêts d’emprunts. On ne peut pas donc déduire que le 7% enlevé aux salaires
est allé exclusivement “au capital”.
Mais surtout, comment doit-on interpréter ce chiffre ? Faut-il conclure que le capital est aujourd’hui mieux rémunéré qu’hier ? Pas forcément. Car en 30 ans, le stock de capital a lui même
évolué. Or, si la part du capital augmente dans l’équilibre des facteurs de production, même en maintenant la rémunération des facteurs constante la part de valeur ajoutée qui ira à la
rémunération du capital augmentera elle aussi. Le texte que tu cites mentionne clairement ce fait, en montrant combien les activités faiblement capitalistiques (comme les services) peuvent verser
jusqu’à 89% de leur valeur ajoutée en salaires, alors que les activités fortement capitalistiques n’en versent sous forme de salaires que 44%.
Or, il est difficile de contester que le stock de capital a augmenté considérablement en 30 ans, et que les activités sont devenues globalement bien plus capitalistiques aujourd’hui qu’elles ne
l’étaient il y a trente ans. Même le livreur de colis a aujourd’hui sur lui un mini-ordinateur là où hier il n’avait qu’un bloc de papier… En fait, pour savoir si l’exploitation s’est ou non
renforcé, c’est la rentabilité du capital qu’il faut regarder, et non pas la part de la valeur ajoutée qui le rémunère. Or, si l’on regarde les chiffres on voit qu’après une augmentation de 12% à
16% pendant les années 1980 (rappellez moi qui était au pouvoir…), cette rémunération est restée relativement stable depuis. Ce qui semble indiquer que le “transfert de 10%” en fait reflète
l’augmentation du capital et de l’intensité capitalistique de la production, et non pas un transfert “du travail au capital”, du moins depuis le début des années 1990…
Pour ce qui concerne les retraites, encore une fois tu essayes de faire l’amalgame entre les réformes précédentes (qui visaient clairement le niveau des pensions) et la réforme en cours, qui
ne les modifie pas. Ton argument selon lequel le report de l’âge de départ modifierait le montant des retraites est fallacieux, parce qu’il repose sur des chiffres erronés. Il
est absurde d’affirmer qu’il est “très difficile de se maintenir dans un emploi passé 50ans”, et il suffit de regarder les tableaux sur le chomage par âge (ici)pour s’en convaincre: le taux de chômage des 50-64 est de 5%. C’est d’ailleurs la tranche d’âge
qui a le plus faible taux de chômage. Là encore, on lit mal les chiffres: si le taux d’activité des plus de 50 ans est faible en France, cela tient aux nombreux dispositifs de
pre-retraite ou de départ anticipé, et non pas parce qu’il serait “très difficile de se maintenir dans l’emploi” passés les 50 ans. On exagère trop la difficulté des plus de 50 ans à trouver du
travail: là encore, il est salutaire d’aller vérifier les faits avant de croire ce que tout le monde répète.
Il n’y a aucune raison de penser qu’il y aura plus de gens qui “seront obligés de liquider leur retraite avant 67 ans avec une carrière incomplète” qu’il y en a aujourd’hui à 65. Car le report
des seuils aura aussi un effet bénéfique sur l’emploi des plus de 50 ans: aujourd’hui, les entreprises cessent d’investir dans la formation ou dans la carrière à partir des 57-58 ans, parce
qu’elles considèrent que l’investissement ne se justifie pas pour le temps qui reste avant la retraite. Après la réforme, ce seuil sera naturellement reporté de deux ans, ce qui risque de
neutraliser la qustion que tu soulèves…
Moralité: Il faut arrêter de tirer des conclusions sans avoir fait auparavant les calculs et regardé les chiffres !
Moralité, vous défendez cette réforme…
Arrêtons avec cette détéstable théorie du “celui qui n’est pas avec moi est contre moi”. Ce n’est pas parce qu’on dénonce les bobards dans les arguments des opposants à la réforme qu’on “défend
la réforme”. Non, je trouve cette réforme injuste. Mais je ne pense pas que la meilleure manière de combattre une réforme injuste ce soit de raconter n’importe quoi. Le mensonge, voyez vous, à
les pattes courtes. Il est toujours en fin de compte rattrapé par la vérité. A force de raconter n’importe quoi, les opposants se décrédibilisent.