Ca y est, le distracteur Dieudonné s’est usé. On découvre brusquement que si le comique ne payait pas ses amendes, c’est parce que personne en fait n’avait actionné les leviers de la procédure pénale. On aurait pu commencer par là, au lieu de fabriquer une argumentation liberticide qui pourrait à court terme se retourner contre tous. Quoi qu’il en soit, il fallait donc à notre Landerneau médiatique trouver une autre affaire pour mettre en scène l’éternelle lutte du Bien contre le Mal et accessoirement nous faire oublier l’incapacité – ou plutôt le désintérêt – des princes qui nous gouvernent et des élites qui les entourent pour les véritables problèmes. En effet, quelle importance peuvent avoir le chômage, la désindustrialisation, le désespoir de larges couches de notre société comparés aux remarques vaseuses d’un comique ?
Heureusement que nous avons Soral & Co. pour fournir un réservoir quasi-illimité d’opportunités de scandale. Nous aurons donc droit à la n-ième séquence sur le « féminisme de genre » à l’école. Cela pourrait paraître sans importance. C’est au contraire terriblement important : le risque est que nos apprentis sorciers, dans leur course pour marquer des points politiques, piétinent sans s’en rendre compte des choses précieuses pour la société toute entière. L’affaire Dieudonné a conduit au Conseil d’Etat à fragiliser la jurisprudence libérale issue de l’arrêt Benjamin et de couvrir l’idée d’une « police préventive », idée dont il est superflu de souligner le potentiel liberticide. Dans l’affaire du « féminisme de genre », on risque de mettre par terre le pacte fondamental sur lequel repose l’école.
Il n’est pas à mon sens inutile de revenir sur ce pacte. L’école de la République a été conçue pour être une institution consensuelle. Elle repose fondamentalement sur le fait que les parents acceptent de confier leurs enfants à une institution. La contrepartie évidente est que cette institution ne fera rien qui pourrait heurter leur conscience. Jules Ferry, dans sa « lettre aux instituteurs » (1) a merveilleusement résumé ce pacte :
La loi du 28 mars se caractérise par deux dispositions qui se complètent sans se contredire : d’une part, elle met en dehors du programme obligatoire l’enseignement de tout dogme particulier ; d’autre part, elle y place au premier rang l’enseignement moral et civique. L’instruction religieuse appartient aux familles et à l’Église, l’instruction morale à l’école. Le législateur n’a donc pas entendu faire une œuvre purement négative. Sans doute il a eu pour premier objet de séparer l’école de l’Église, d’assurer la liberté de conscience et des maîtres et des élèves, de distinguer enfin deux domaines trop longtemps confondus : celui des croyances, qui sont personnelles, libres et variables, et celui des connaissances, qui sont communes et indispensables à tous, de l’aveu de tous.
L’école est là donc pour enseigner les connaissances acceptées – sinon partagées – par tous. Elle n’a pas à se faire l’héraut d’une opinion, d’un dogme particulier. Ce n’est pas un détail, pas plus que ce n’est un choix idéologique. C’est la condition fondamentale pour qu’existe une école de la République. Si les parents acceptent de confier leurs enfants à l’école en toute confiance, c’est dans la mesure où ils ne sont pas heurtés par les messages que l’école transmet. L’Ecole publique tient sa légitimité de cette confiance. Si cette confiance est brisée, si les parents craignent que l’Ecole publique mette dans la tête de leurs enfants des idées contraires aux convictions qu’ils entendent transmettre à leurs enfants, alors l’institution scolaire est condamnée. Les parents qui auront les moyens préféreront envoyer leurs enfants dans les écoles privées, qui pour des raisons économiques évidentes collent aux idées des parents. Les autres retireront leurs enfants de l’école, ou continueront à les envoyer mais dans une posture de défiance qui rendra le processus éducatif impossible.
Jules Ferry était si conscient de cette problématique qu’il écrit dans sa « lettre » :
« J’ai dit que votre rôle, en matière d’éducation morale, est très limité. Vous n’avez à enseigner, à proprement parler, rien de nouveau, rien qui ne vous soit familier comme à tous les honnêtes gens. Et, quand on vous parle de mission et d’apostolat, vous n’allez pas vous y méprendre ; vous n’êtes point l’apôtre d’un nouvel Évangile : le législateur n’a voulu faire de vous ni un philosophe ni un théologien improvisé. Il ne vous demande rien qu’on ne puisse demander à tout homme de cœur et de sens. Il est impossible que vous voyiez chaque jour tous ces enfants qui se pressent autour de vous, écoutant vos leçons, observant votre conduite, s’inspirant de vos exemples, à l’âge où l’esprit s’éveille, où le cœur s’ouvre, où la mémoire s’enrichit, sans que l’idée vous vienne aussitôt de profiter de cette docilité, de cette confiance, pour leur transmettre, avec les connaissances scolaires proprement dites, les principes mêmes de la morale, j’entends simplement cette bonne et antique morale que nous avons reçue de nos pères et mères et que nous nous honorons tous de suivre dans les relations de la vie, sans nous mettre en peine d’en discuter les bases philosophiques. Vous êtes l’auxiliaire et, à certains égards, le suppléant du père de famille : parlez donc à son enfant comme vous voudriez que l’on parlât au vôtre ; avec force et autorité, toute les fois qu’il s’agit d’une vérité incontestée, d’un précepte de la morale commune ; avec la plus grande réserve, dès que vous risquez d’effleurer un sentiment religieux dont vous n’êtes pas juge.
Si parfois vous étiez embarrassé pour savoir jusqu’où il vous est permis d’aller dans votre enseignement moral, voici une règle pratique à laquelle vous pourrez vous tenir. Au moment de proposer aux élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve à votre connaissance un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire, sinon, parlez hardiment : car ce que vous allez communiquer à l’enfant, ce n’est pas votre propre sagesse ; c’est la sagesse du genre humain, c’est une de ces idées d’ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l’humanité. Si étroit que vous semble peut-être un cercle d’action ainsi tracé, faites-vous un devoir d’honneur de n’en jamais sortir ; restez en deçà de cette limite plutôt que vous exposer à la franchir : vous ne toucherez jamais avec trop de scrupule à cette chose délicate et sacrée, qui est la conscience de l’enfant (2). »
Là encore, il s’agit d’établir un principe inviolable : l’Ecole n’est pas là pour heurter les parents, elle n’est pas faite pour dresser les enfants contre eux, pour contredire l’éducation et les valeurs transmises par les parents, pour mettre à nu leurs « stéréotypes », en un mot, pour révolutionner la société. La « morale républicaine » que Ferry veut transmettre ne se fait pas contre les gens. C’est au contraire l’ensemble des préceptes, des maximes, des comportements qui appartiennent par consensus au « patrimoine de l’humanité ».
Si l’école de Ferry a réussi à s’enraciner, si en une génération cette institution est devenue consensuelle malgré l’opposition radicale de l’Eglise, c’est aussi parce qu’elle a réussi le pari fait par Jules Ferry. L’immense majorité des parents français, qu’ils fussent catholiques ou communistes, juifs ou « Action Française », n’ont pas vu dans l’école publique une menace pour l’éducation de leurs enfants. La qualité de l’enseignement, la discipline, la composition sociale ont pesé tout au long du XXème siècle bien plus lourd dans le choix de l’immense majorité des parents que la question des valeurs ou des dogmes transmis par l’Ecole.
C’est ce délicat équilibre qui est menacé aujourd’hui. De plus en plus et sous la pression de groupuscules idéologiques ou communautaires l’école abandonne le cœur de sa mission, qui est la transmission du savoir et accessoirement une « instruction morale » consensuelle, et prétend faire des instituteurs et des professeurs « les apôtres d’un nouvel Evangile », pour reprendre la formule de Jules Ferry. Alors que le succès de l’Ecole républicaine venait en grande partie du fait que c’était le temple de la Raison, où dogmes – tous les dogmes – n’étaient pas combattus mais ignorés, on est en train de réintroduire un enseignement dogmatique. Le tout paré, bien entendu, des meilleures intentions. Comme si la lutte pour « l’antiracisme », la « diversité » ou « l’égalité » (entendez l’égalité entre hommes et femmes, parce que l’autre égalité, la vraie, a quitté depuis longtemps le langage de la bienpensance) justifiaient n’importe quoi.
De ce point de vue, l’offensive du « féminisme de genre » est révélatrice. Les partisans de la chose affirment que la « théorie du genre », qui hérisse leurs contempteurs, n’existe pas. Ils ont raison : parler de « théorie du genre » donnerait une prétention scientifique à ce qu’il faudrait plutôt appeler le « dogme du genre ». Ou plutôt une famille de dogmes. Et il y en a pour tous les goûts : les anthropo-sociologues broderont sur l’affirmation « les différentiations sexuelles sont de simples conventions sociales », les militantes féministes préféreront « les hommes sont méchants et les femmes des victimes ». Le tout supporté par des interprétations partiales et partielles d’éléments historiques choisis arbitrairement pour aller dans le sens de la thèse soutenue. Et bien entendu par un terrorisme intellectuel permanent associant tout contestataire du dogme révélé à un suppôt de l’extrême droite.
Oui, il y a beaucoup de rumeurs et de fantasmes dans toute cette affaire. Raison de plus pour aller regarder les faits. Je vous conseille donc, cher lecteur, de faire un petit tour sur le site du ministère de l’Education nationale, plus particulièrement dans la section réservée aux « ABC de l’égalité » (3). De cette manière, au lieu de croire les rumeurs de seconde main tu pourras constater, cher lecteur, constater de visu ce que nos brillants pédagogues proposent pour nos chères têtes blondes.
Le site en question contient une explication du projet en question. Après avoir proclamé que « Transmettre des valeurs d’égalité et de respect entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes, est une des missions essentielles de l’école » (sic) on survole le programme de formation et d’évaluation des enseignants. Rien là dedans de très explicite. Il y a aussi une section « instruments de formation » ou l’on peut télécharger sept conférences et neuf interviews. Seize vidéos donc, qui tous sans exception mettent en scène des femmes qui tiennent le discours uniforme du « féminisme de genre ». Comme quoi charité bien ordonnée, du moins en matière d’égalité comme de diversité, ne commence pas par soi.
Mais la section la plus intéressante pour juger le discours qu’on voudrait infliger à nos chères têtes blondes se trouve dans la section « outils pédagogiques ». Et là, c’est un festival. Je me permets de citer la première fiche, celle concernant le tableau « Madame Charpentier et ses deux enfants » d’Auguste Renoir (4), mais les autres sont du même acabit. On notera toutefois que les fiches ne concernent que trois disciplines : « histoire de l’art », « maîtrise de la langue » et « éducation physique et sportive ». Faut croire que les disciplines ou l’on transmet des « vrais » savoirs ne se prêtent pas très bien à ce genre de manipulation.
Mais revenons à « Madame Charpentier et ses deux enfants ». Il s’agit, pour ceux qui ne connaissent pas le tableau, d’une peinture représentant une dame de la bonne bourgeoisie en robe de soirée accompagnée de ses deux enfants, un garçon et une fille, tous deux habillés « en fille » (cheveux longs, robe), comme c’était l’usage pour les petits enfants de la bourgeoisie de l’époque. Au regard moderne, les deux enfants semblent être deux petites filles L’objectif de la fiche pédagogique paraît assez innocent : « amener les élèves à se poser la question de l’égalité entre les filles et les garçons ». Un objectif fort louable… mais nous verrons que loin de se contenter de « poser la question », la fiche impose – le mot « propose » serait faible – une réponse assez précise à la question.
Après une séquence où l’on regarde le tableau du point de vue esthétique et technique (5), l’enseignant est invité à révéler l’identité des enfants en donnant leurs prénoms, Georgette et Paul. On demande à l’enseignant de laisser quelques minutes aux élèves pour exprimer leur étonnement devant cette « révélation », puis on leur indique le catéchisme à débiter :
« Expliquer qu’à cette époque (deuxième moitié du xixe siècle), on habillait les petits enfants, jusqu’à six ou sept ans, avec les mêmes vêtements. Les garçons et les filles portaient des robes avec les mêmes couleurs et les mêmes formes. À partir de six ou sept ans, les petits garçons portaient des culottes courtes. Ils devaient commencer à « sortir des jupes de leur mère » pour « porter la culotte » et passer dans le monde des hommes.
Les filles, elles, restaient en robe, ce qui les maintenait symboliquement à leur état premier.
On commençait alors à distinguer les garçons et les filles en différenciant leurs tenues vestimentaires et en les éduquant différemment.
Un peu plus tard et jusqu’à 15 ans, les garçons portaient des culottes bouffantes serrées à mi-mollet, qu’on appelait knickerbockers. À partir de 15 ans, les garçons portaient le pantalon »
Cette explication appelle deux remarques. La première, c’est qu’on parle des « petits garçons » et des « petites filles » comme si la question sociale n’existait pas. Or, il est évident que toute cette analyse ne s’applique qu’aux enfants des couches privilégiées de la société. On imagine mal les enfants du prolétariat industriel porter des « culottes bouffantes » jusqu’à quinze ans, ces culottes étant fort peu commodes pour travailler à l’usine (6). Mais c’est une constante des « féministes de genre » que de supposer que le standard des classes moyennes supérieures est le standard universel. La deuxième remarque, est que cette explication mélange des « faits » (même s’ils sont tronqués) et des interprétations de nature morale (« les filles, elles, restaient en robe ce qui les maintenait symboliquement à leur état premier »).
Mais la pédagogie continue et on passe aux travaux pratiques. Les élèves reçoivent comme consigne de « Imaginer qu’Auguste Renoir vive aujourd’hui et réalise le portrait de Mme Charpentier et de ses deux enfants en découpant des tenues vestimentaires pour enfants dans des catalogues et magazines divers et en transformant (par collages) les tenues portées par Paul et Georgette Charpentier ». A la fin du travail, on contemplera les œuvres des élèves et on invite l’enseignant à « Amener les élèves à constater que Paul porte des pantalons ou un short sur toutes les productions, alors que Georgette porte une robe ou une jupe » (c’est moi qui souligne). Et là, une question cruciale se pose : comment les concepteurs de la fiche peuvent être certains par avance que toutes les productions auront cette caractéristique ? C’est d’autant plus absurde qu’à supposer même que tous les enfants aient cette intention, le tableau est très ambigu et on ne sait pas vraiment lequel des deux enfants est Georgette et lequel est Paul. La probabilité qu’un élève se trompe et mette des pantalons à Georgette en croyant les mettre à Paul est donc importante. La seule manière de s’assurer que l’exercice aboutit à la conclusion souhaitée est que l’enseignant veille à ce que jupe et pantalon aillent au « bon » endroit. Pour ensuite constater le « stéréotype » chez les élèves. N’est-ce pas magnifique ?
Après avoir ainsi « amené les élèves à s’interroger sur les stéréotypes » (sic rigoureux), on leur donne une nouvelle consigne : « À présent, vous allez, comme Renoir, habiller les enfants de la même façon, mais à la mode d’aujourd’hui ». Et là encore, le résultat est écrit à l’avance : « On peut attendre alors des productions avec des enfants en jeans, en pull, en tee-shirt rayé, en tennis, par exemple. Amener les élèves à comprendre qu’on peut représenter les filles autrement qu’en jupe ou en robe aujourd’hui. Elles portent à présent aussi le pantalon ».
On reste sans voix devant une telle conclusion. Les enfants voient tous les jours des femmes en pantalon dans les transports en commun. Ont-ils besoin de tout ce tralala pour « comprendre qu’elles portent aujourd’hui le pantalon » ? En fait, l’exercice pose une question bien plus intéressante sur les stéréotypes : pourquoi on peut représenter les filles en jupe, en robe mais aussi en pantalon, alors que les garçons on peut les représenter en pantalon… mais jamais en robe ? Que dira le professeur si l’un de ses élèves met une jupe à Paul Charpentier ? Si le but de toute cette comédie était de dénoncer les « stéréotypes », en voilà un qui est bien plus puissant que celui des « femmes en robe ». Pourquoi la figure d’un homme « actuel » en jupe et collant nous impressionne bien plus que celle d’une femme en pantalon ? Pourquoi l’un des sexes peut prendre les insignes de l’autre, mais pas l’inverse ?
Mais bien entendu, la question ne sera pas posée. Pourquoi ? Tout simplement parce que ce « stéréotype » particulier tend à contredire les « féministes de genre ». Voici que les stéréotypes donnent à la femme la liberté de s’habiller comme elle le veut, mais condamnent les hommes à respecter un canon rigide. En d’autres termes, le femmes sont, sur cet aspect au moins, plus libres que les hommes. Une évidence qui est très gênante pour la vision victimiste que le « féminisme de genre » entend propager. A la trappe donc.
Cette fiche fait partie non pas d’un projet éducatif, mais d’un projet militant. Il ne s’agit pas de convaincre par l’usage de la raison, mais de faire rentrer chez les élèves un dogme. Pour le constater, il n’y a qu’à examiner comment le raisonnement est construit : on se contente de constater des « stéréotypes » et de les condamner, mais ne s’interroge jamais sur leur genèse. Pourquoi on habillait jusqu’à six ans les enfants garçons et filles de la même manière dans certaines classes sociales et pas dans d’autres ? Et d’une manière plus profonde, pourquoi portons nous des habits et des accessoires qui ont pour finalité de signifier à l’autre notre rang social, notre âge, notre appartenance, notre statut et oui, notre sexe ? Pourquoi portons nous des alliances, des cravates, des boucles d’oreille et toute sorte d’autres éléments qui n’ont aucune autre utilité que d’envoyer aux autres des messages ? Pourquoi l’habillement féminin au travail change tous les ans et l’habit masculin n’a changé que très peu en deux siècles ? Voilà des questions qu’il serait intéressant de poser à l’école.
Mais ces questions n’intéressent pas les militants, dont le but n’est pas de comprendre le monde mais de le changer pour l’adapter à leurs vues. « L’ABC de l’égalité » fait partie d’un projet d’ingénierie sociale, qui comme la plupart des projets de ce type est condamné à tomber dans une logique totalitaire dans laquelle un groupe convaincu de détenir la vérité prétend imposer à la société sa vision. Il est normal qu’à un moment donné ce dogmatisme provoque la réaction des gens, fatigués qu’on leur impose ce qu’ils doivent penser. Que ce mouvement puisse être récupéré par tel ou tel courant politique ou religieux, c’est bien entendu un risque. Mais au-delà de la récupération, l’inquiétude a un sujet légitime. Non, contrairement aux rumeurs alarmistes, « l’ABC de l’égalité » ne prétend pas enseigner la masturbation ou habiller les enfants en filles. Il prétend, par contre, faire rentrer à l’école un catéchisme nouveau, qui n’est pas moins détestable que n’importe quel autre. A ce titre, il doit être combattu, comme doivent être combattues toutes les tentatives de faire de l’Ecole l’instrument d’endoctrinement d’un dogme particulier, qu’il soit religieux, social ou politique. La laïcité implique l’indifférence de l’Ecole aux croyances. Et de ce point de vue, les croyances « de genre » valent bien les autres. Il y a des voiles qui sont invisibles, mais qui ne sont pas moins réels.
Descartes
(1) Il s’agit en fait d’une circulaire ministérielle du 17 novembre 1883. Le terme « lettre » est donc trompeur : il ne s’agit pas d’une demande de monsieur Jules Ferry à ses amis, mais d’une directive du ministre de l’instruction publique Jules Ferry à ses subordonnés. Pour ceux qui ont l’habitude de lire les circulaires ministérielles de l’Education nationale, le chemin parcouru depuis 1883 semble cauchemardesque… le texte complet est disponible ici : http://www2.cndp.fr/laicite/pdf/Jferry_circulaire.pdf
(2) Désolé de cette citation un peu longue, mais on a du mal à couper la parole à Jules Ferry. Quel dommage que nos ministres actuels soient incapables de tenir un discours comme celui-là, se réfugiant en permanence dans une langue de bois pour ne fâcher personne.
(3) http://www.cndp.fr/ABCD-de-l-egalite/accueil.html
(5) Détail comique, pour permettre de mieux situer Mme Charpentier, la fiche précise qu’elle animait un salon « fréquenté par l’élite du monde lettré » et par les grands artistes du moment. Et la fiche propose la comparaison suivante (rigoureusement sic) : « On pourrait la comparer aujourd’hui à Françoise Nyssen, une femme présidente du directoire des éditions Actes Sud, dont le fondateur était son père, Hubert Nyssen. Cette maison d’édition publie de grands auteurs tels que Paul Auster, Alice Ferney, Nancy Houston (prix Femina en 2006), Jérôme
Ferrari (prix Goncourt en 2012) ou Jeanne Benameur (grand prix RTL-Lire en 2013) » (rigoureusement sic). Indépendamment de la question de savoir s’il incombe à l’Education nationale de faire de la publicité pour les auteurs d’une maison d’édition sur ses fiches pédagogiques, on pourrait se demander si Nancy Houston ou Jeanne Benameur font vraiment partie de « l’élite du monde lettré »…
(6) Car il ne faut pas oublier qu’en 1878, pendant que Renoir peignait Mme Charpentier, la loi du 19 mai 1874 avait fixé l’âge minimum pour le travail industriel à 12 ans pour une journée de travail de 6 heures et une semaine de six jours. Cette loi a d’ailleurs été très mal appliquée, et la pratique antérieure dérivée de la loi du 21 mars 1841 qui permettait l’embauche dès 8 ans a continué pratiquement jusqu’à la loi de 1881 instituant la scolarisation obligatoire jusqu’à douze ans.
Je crois que vous n’avez pas tort de parler de logique totalitaire : le slogan féministe historique datant des années MLF et proclamant que "Le privé est politique" m’a toujours semblé effrayant car c’est le propre des régimes totalitaires que de refuser toute séparation entre sphère publique et sphère privée.
Donner l’impression d’une immixtion de l’État dans l’intimité familiale est très maladroit et il ne faut pas s’étonner que ça puisse provoquer des réactions bruyantes, voire outrancières
Je me demande si la fameuse formule d’Althusser sur l’ institution scolaire comme appareil idéologique d’État n’est pas en train de se vérifier.
@Mohican
[Je crois que vous n’avez pas tort de parler de logique totalitaire : le slogan féministe historique datant des années MLF et proclamant que "Le privé est politique" m’a toujours semblé effrayant car c’est le propre des régimes totalitaires que de refuser toute séparation entre sphère publique et sphère privée.]
Tout à fait. Toute idéologie qui propose de réguler socialement les comportements ou les pensées privés a nécessairement une vision totalitaire. Parce que justement ce qui caractérise le totalitarisme, au sens propre du terme, c’est la capacité donnée à une institution de dire aux gens non seulement ce qu’ils doivent faire chez eux, mais ce qu’ils doivent penser.
[Donner l’impression d’une immixtion de l’État dans l’intimité familiale est très maladroit et il ne faut pas s’étonner que ça puisse provoquer des réactions bruyantes, voire outrancières.]
C’est ça un peu le problème que je n’ai pas eu le temps d’aborder dans mon papier. L’immense majorité des français sont passifs devant les « ABC de l’égalité » et autres initiatives du même genre. Et ils n’ont pas tout à fait tort : après tout, les rapports réels finissent toujours par s’imposer : les petits garçons continueront à se différentier des petites filles, quelque soient les efforts des dragons de vertu pour s’y opposer. On n’est pas prêts de voir les petits garçons demander à porter une jupe. Alors, à quoi bon perdre son temps à protester ? Est-ce vraiment la peine encourir les foudres du terrorisme intellectuel des dragons pour obtenir un résultat qui sera le même ? Pas vraiment. Seuls les militants d’un autre dogme sortiront dans la rue protester.
Ce comportement donne aux dragons du genre l’illusion qu’ils ont la masse avec eux, suivant l’adage « qui ne dit mot consent ». Et ils peuvent mettre en scène la petite minorité qui s’oppose bruyamment comme des indécrottables passéistes qui n’ont pas encore vu la lumière. Mais cette vision est fausse. De plus en plus les citoyens sont exaspérés par ces communautés militantes qui utilisent leur pouvoir de nuisance pour imposer leurs vues aux institutions, et particulièrement à l’éducation nationale. Cette exaspération se manifester pour le moment de manière désordonnée, mais on ferait bien de réaliser qu’à force de provocations, ce seront les populistes qui ramasseront la mise.
[Je me demande si la fameuse formule d’Althusser sur l’ institution scolaire comme appareil idéologique d’État n’est pas en train de se vérifier.]
Je ne le crois pas. Ce n’est pas « l’Etat » qui cherche a idéologiser l’école, mais des minorités agissantes qui ont acquis un pouvoir totalement disproportionné du fait du contrôle du champ politique par les classes moyennes.
@Descartes,
en fait, le vrai problème vient que ce soit les réactionnaires, qui pour le coup, ont des raisons de se soulever contre le projet pédagogique du couple diabolique Peillon-Vallaud-Belkacem. L’ennui, c’est qu’ils le font au travers de rumeurs, et surtout, dans le but d’ébranler l’école républicaine pour faire revenir par la fenêtre le fait religieux.
C’est toujours pareil, avec les socialistes: ils servent des oripeaux de la république pour mieux la discréditer: j’estime que ce projet, passablement totalitaire, de la théorie du genre, n’a rien à faire dans les écoles, et qu’il correspond au point de vue d’un lobbie hyper-influent mais ultra-minoritaire, celui des LGBTQI. Dès lors, le gouvernement agit de manière parfaitement anti-républicaine car son projet nuit profondément à l’intérêt général en voulant imposer un point de vue particulier.
Un mot sur l’une des figures de proue du mouvement anti-théorie du genre à l’école, et à l’origine de cette rumeur: la personne en question s’appelle Farida Belghoul, ancienne porte-parole du mouvement Convergences, celui qui fut à l’origine de la Marche des Beurs fin 1983. Elle tient un discours anti-républicain et réactionnaire (elle milite pour le retrait des enfants de l’école publique car celle-ci enseignerait l’athéisme et la haine de dieu…) alors qu’elle fut à l’origine des mouvements anti-racistes, quoi que depuis toujours opposées aux idéologies victimaires et aux discours différencialistes (i.e. celui du droit à la différence). C’est une ancienne militante communiste, qui à l’époque, militait contre les ratonnades et autres vexations que subissaient les immigrés d’origine algérienne. Elle a divergé de ses compagnons du jour où son mouvement fut noyauté puis récupéré par SOS Racisme, dont elle ne partageait pas les tropismes trotskistes (différentialisme, haine de la nation, haine des Français bon teint, xénophilie, etc…).
A l’instar de Dieudonné, Belghoul est désormais une compagne de routes d’Alain Soral: il est étrange que ces derniers temps, des personnes issues de l’immigration relativement instruites et ayant fait leurs armes dans l’anti-racisme se retrouvent mises en avant par les socialistes pour être diabolisées. Et moi qui croyais que la France était un pays horriblement raciste: même chez les réactionnaires, on accepte des descendants d’immigrés… Voilà pourquoi le discours de la gauche sur la diversité est en train de tomber à plat: les électeurs des couches populaires, quelle que soit leur origine, ne croient plus du tout en la gauche, qu’elle fusse de gouvernement, ou d’extrême-gauche. Quels meilleurs symboles que ces deux ex-militants anti-racistes ralliés à l’extrême-droite pour montrer à quel point le discours Terra-Nova (celui qui prétend maintenir un équilibre entre les aspirations contradictoires des LGBTQI et des coutumes parfois rétrogrades des immigrés) est en train de tomber à plat….
@CVT
[en fait, le vrai problème vient que ce soit les réactionnaires, qui pour le coup, ont des raisons de se soulever contre le projet pédagogique du couple diabolique Peillon-Vallaud-Belkacem.]
Seuls les dogmatiques de l’autre bord ont en fait la force de protester publiquement. L’immense majorité des citoyens regarde ces expériences avec un regard vaguement ironique quand il n’est pas indifférent. Et s’ils sont indifférents, c’est parce qu’ils sont convaincus que tout ça est inutile, que les petits enfants continueront à porter des pantalons et les filles des robes (ou bien des pantalons, mais pas les mêmes). A quoi bon perdre son temps à combattre des gens que la réalité se chargera de combattre elle-même ? Le problème, à mon sens, c’est que personne ne réalise que l’objectif n’est pas là : sous couvert de « diversité » ou « d’égalité », c’est l’institution scolaire comme lieu de transmission de savoirs et du « roman national » qui est visée.
[Un mot sur l’une des figures de proue du mouvement anti-théorie du genre à l’école, et à l’origine de cette rumeur: la personne en question s’appelle Farida Belghoul, ancienne porte-parole du mouvement Convergences, celui qui fut à l’origine de la Marche des Beurs fin 1983 (…) A l’instar de Dieudonné, Belghoul est désormais une compagne de routes d’Alain Soral: il est étrange que ces derniers temps, des personnes issues de l’immigration relativement instruites et ayant fait leurs armes dans l’anti-racisme se retrouvent mises en avant par les socialistes pour être diabolisées.]
C’est drôle, non ? J’avais pointé aussi le cas Dieudonné, qui fut un comique « diversitaire » et « antiraciste » parfaitement dans la ligne bienpensante dans les années 1980 et 90. C’est drôle de voir combien cette dogmatisme « politiquement correcte » devient de plus en plus l’antichambre de dogmatismes de l’autre signe. Il avait raison, Goya : « le sommeil de la Raison engendre des monstres ».
[Et moi qui croyais que la France était un pays horriblement raciste: même chez les réactionnaires, on accepte des descendants d’immigrés…]
Bonne remarque. Ces affaires vous montrent combien la France est un pays ou l’idéologique est bien plus forte que l’ethnique. On s’embrasse entre gens de même idéologie, quelque soit l’origine. On se déteste lorsqu’on adhère à des idéologies opposées, même si on est de la même « ethnie ». Et chez nous les discours soi-disant « racistes » cachent en général des affrontements idéologiques. Si Taubira était de droite, ceux qui la comparent à un singe la porteraient aux nues, et vice-versa…
[Voilà pourquoi le discours de la gauche sur la diversité est en train de tomber à plat: les électeurs des couches populaires, quelle que soit leur origine, ne croient plus du tout en la gauche, qu’elle fusse de gouvernement, ou d’extrême-gauche. Quels meilleurs symboles que ces deux ex-militants anti-racistes ralliés à l’extrême-droite pour montrer à quel point le discours Terra-Nova (celui qui prétend maintenir un équilibre entre les aspirations contradictoires des LGBTQI et des coutumes parfois rétrogrades des immigrés) est en train de tomber à plat….]
Tout à fait d’accord. La gauche continue à agir comme si les « minorités » et les « diversités » lui étaient par définition acquises. Elle le fait parce que la vision « sociétale » a remplacé la vision sociale. La gauche a oublié que la structure – c’est-à-dire les rapports économiques – impose les rapports sociétaux, et non l’inverse. La gauche est le parti de l’écrasement des couches populaires – y compris immigrées – par les couches moyennes. Et les couches populaires immigrées apprécient certes les discours « diversitaires » et compatissants, mais ont fini par réaliser que les belles paroles ne remplissent pas la marmite.
Bonjour Descartes,
Nous avions déjà eu un échange il y a longtemps sur cette question…
Tu écris : "les anthropo-sociologues broderont sur l’affirmation « les différentiations sexuelles sont de simples conventions sociales », les militantes féministes préféreront « les hommes sont méchants et les femmes des victimes ». Le tout supporté par des interprétations partiales et partielles d’éléments historiques choisis arbitrairement pour aller dans le sens de la thèse soutenue."
Je suppose que je me situe dans la case "anthropo-sociologues", ce qui n’est pas une question de "goût". Toute société est une construction sociale à partir d’invariants limités. De ce point de vue les rôles sexuels (les "genres") sont éminemment variables, alors que la différentiation sexuelle fait partie des invariants. C’est à partir de cette dernière que se construisent les rôles, qui jusqu’à aujourd’hui sont contraints au moins par la maternité et ses conséquences matérielles. C’est du moins ce qu’enseignent depuis près d’un siècle les "anthropo-sociologues", et qui amène à distinguer "sexe" (biologique) et "genre" (social) sans en déduire nécessairement les lubies modernes selon lesquelles toute différence est une "oppression". Tout au contraire, la plupart en déduisent que la différence des "genres" est dans les sociétés étudiées un élément essentiel de la solidarité sociale, à commencer par la famille.
Il se trouve que des fanatiques instrumentalisent certains éléments de cette analyse pour la tourner en son contraire : la construction ex nihilo d’un monde dont le social aurait disparu, où ne demeurerait que des entités interchangeables, sans sexe ni culture, que n’unirait que le divin marché (les "particules élémentaires" de Michel Houellebecq). Faut-il pour autant jeter la pierre au projet d’analyse scientifique du social qui, ne t’en déplaise, fournit une boîte à outils intellectuels pour tout le monde, à commencer par les progressistes ? Par pitié, ne jette pas la connaissance avec l’eau sale du féminisme libéral !
@J. Halpern
[Je suppose que je me situe dans la case "anthropo-sociologues", ce qui n’est pas une question de "goût". Toute société est une construction sociale à partir d’invariants limités. De ce point de vue les rôles sexuels (les "genres") sont éminemment variables, alors que la différentiation sexuelle fait partie des invariants.]
Oui et non. D’abord, les « rôles sexuels » ne sont pas, historiquement, « éminemment variables ». Si l’on fait une revue des sociétés qui connaissent la division du travail (disons l’agriculture, pour faire court), on remarque une notable similarité des « rôles » attribués à chacun des sexes. Les sociétés ou les femmes font la guerre et les hommes la layette sont rares – ou plutôt inexistantes. Les sociétés où les hommes règnent sur l’espace domestique et les femmes sur l’espace public aussi. On trouvera toujours un anthropologue pour dire qu’au fin fond de l’Afrique ou de l’Amazone il a trouvé une civilisation de quelques centaines d’individus qui ne correspond pas à ce modèle. Mais il faut bien admettre que l’immense majorité des civilisations suit un modèle semblable.
Ce n’est pas parce qu’un rôle est attribué socialement que cette attribution est « arbitraire ». Bien sur, nous pourrions tous marcher sur nos mains, ou ramper sur notre ventre. Mais peut-on dire que le fait de marcher sur ses pieds est une « construction sociale », sous-entendant qu’on pourrait faire différemment si seulement on avait la volonté ? Bien sur que non. Les conventions sociales ne sont pas arbitraires. Elles résultent d’une recherche d’efficacité sociale. Si les sociétés d’amazones ont existé, elles ont depuis longtemps disparu. Peut-être parce que les femmes étaient moins efficientes que les hommes comme combattants…
Le propre des dogmes est de ne jamais se poser des questions sur les raisons pour lesquelles le monde est comme il est. Le fidèle juif, chrétien ou musulman est prié de croire que les choses sont comme elles sont parce que Dieu l’a ainsi décidé, et que les raisons de cette décision lui sont incompréhensibles. Là où la « théorie du genre » devient dogme, c’est lorsqu’elle se refuse de s’interroger sur le pourquoi de la différentiation des « rôles » au-delà d’une explication du genre « parce que les hommes sont méchants », l’homme – au sens d’individu du sexe masculin – devenant le deus ex machina (ou plutôt le diable ex machina) du monde. C’est d’ailleurs flagrant dans « l’ABC de l’égalité » : les « inégalités » se constatent, mais la question « pourquoi » n’est jamais posée. Et si cette question n’est pas posée, c’est précisément parce qu’admettre que les rôles de chaque arbitraire ne sont pas arbitraires mais obéissent à une logique limite la toute-puissance du projet des « féministes de genre » de les modifier conformément à leurs désirs.
[C’est à partir de cette dernière que se construisent les rôles, qui jusqu’à aujourd’hui sont contraints au moins par la maternité et ses conséquences matérielles. C’est du moins ce qu’enseignent depuis près d’un siècle les "anthropo-sociologues", et qui amène à distinguer "sexe" (biologique) et "genre" (social) sans en déduire nécessairement les lubies modernes selon lesquelles toute différence est une "oppression".]
Je ne vois pas très bien à quels « anthropo-sociologues » vous faites référence. Qui a distingué le « sexe » et le « genre » dans les années 1920 ? Je pense que vous faites un anachronisme : l’idée de « genre » est bien plus récente, et date du milieu des années 1950. Et encore, son utilisation est confidentielle jusqu’à ce que Robert Stoller – qui était psychologue et non anthropologue – publie en 1968 (notez la date) un texte évoquant la possibilité que le sexe et le genre d’un individu puissent ne pas se correspondre. Ce rappel est important parce qu’on voit que la « théorie du genre » n’apparaît pas comme la conséquence de travaux scientifiques, mais dans le sillon d’un courant militant qui avait besoin d’une idéologie pour justifier ses revendications.
[Faut-il pour autant jeter la pierre au projet d’analyse scientifique du social qui, ne t’en déplaise, fournit une boîte à outils intellectuels pour tout le monde, à commencer par les progressistes ?]
C’est une question hypothétique. D’abord, je ne vois nulle part un « projet d’analyse scientifique » dans toute cette affaire. La science s’appuie sur une méthode. Elle fait des hypothèses et cherche à les vérifier. Et lorsque l’expérience contredit les conséquences de l’hypothèse, elle accepte qu’elle s’est trompée et remet la théorie sur le métier. La « théorie du genre » n’est pas un projet scientifique, mais un projet militant. C’est un dogme, c’est-à-dire, une proposition vraie par définition et qui n’a pas besoin de se confronter aux faits.
Je ne crois pas non plus qu’elle fournisse une « boîte à outils intellectuels pour tout le monde », et encore moins pour les « progressistes ». Si elle fournit des outils à quelqu’un, c’est plutôt aux « libéraux-libertaires » dans leur combat anti-institutionnel. Je voudrais un exemple d’avancée « progressiste », un seul, qui dérive de la « théorie du genre ».
[Par pitié, ne jette pas la connaissance avec l’eau sale du féminisme libéral !]
Pas de risque. Il n’y a dans la « théorie du genre » aucune « connaissance » à jeter.
[[[ Je ne vois pas très bien à quels « anthropo-sociologues » vous faites référence. Qui a distingué le « sexe » et le « genre » dans les années 1920 ? Je pense que vous faites un anachronisme : l’idée de « genre » est bien plus récente, et date du milieu des années 1950. Et encore, son utilisation est confidentielle jusqu’à ce que Robert Stoller – qui était psychologue et non anthropologue – publie en 1968 (notez la date) un texte évoquant la possibilité que le sexe et le genre d’un individu puissent ne pas se correspondre. Ce rappel est important parce qu’on voit que la « théorie du genre » n’apparaît pas comme la conséquence de travaux scientifiques, mais dans le sillon d’un courant militant qui avait besoin d’une idéologie pour justifier ses revendications. ]]]
Avez-vous par hasard eu l’occasion de parcourir le livre d’Otto Weininger, "Sexe et caractère", publié en 1903 ? Je suis en train de le lire en ce moment et je le trouve très intéressant mais aussi très actuel puisque la théorie du genre et la réflexion sur la différence entre le sexe biologique et le "genre" (qui est un terme que Weininger n’utilise pas, ou pas encore puisque je n’ai pas terminé l’ouvrage).
Weininger y présente ses théories sur les différences hommes-femmes mais il part du principe que chaque individu à une part de féminité et une part de masculinité et qu’il arrive parfois qu’un individu soit né "femelle" mais se "sente" homme, etc. Peut-être que J. Halpern faisait référence à d’autres ouvrages de ce type ?
Weininger y défend aussi, vers le début de l’ouvrage, une position selon laquelle les femmes que les féministes mettaient en avant à l’époque étaient parmi celles qui présentaient de nombreux traits de caractères masculins (curieusement, le masculin est généralement "positif" et le féminin "négatif" pour lui, et le livre est d’ailleurs controversé car "sexiste et antisémite"), et que les féministes veulent donc ressembler à l’homme au lieu d’accepter leur condition de femme. Je ne peux pas exprimer parfaitement ce qu’il dit et je m’en excuse, c’est assez caricatural. Je trouve que c’est un point de vue intéressant, et cela me fait un peu penser à votre commentaire plus bas à propos des "métiers d’hommes" et donc prestigieux qui seraient tant prisés par les femmes qui finiraient en quelque sorte par les "normaliser".
@Courtial des Pereires
[Weininger y présente ses théories sur les différences hommes-femmes mais il part du principe que chaque individu à une part de féminité et une part de masculinité et qu’il arrive parfois qu’un individu soit né "femelle" mais se "sente" homme, etc. Peut-être que J. Halpern faisait référence à d’autres ouvrages de ce type ?]
Je ne le crois pas. Weininger pense dans un cadre complètement différent. Pour lui, au contraire des « théoriciens du genre », il existe une « essence féminine » qui s’oppose à une « essence masculine ». La première se caractérise par un côté passif, inconscient, intuitif tandis que l’autre concentre le côté actif, conscient et logique. Et Weininger conclut que chaque être humain est un mélange de ces deux « essences », mélange qui peut être en contradiction avec le sexe biologique, et que les seules femmes (biologiquement) qui puissent s’émanciper sont celles chez qui « l’essence » masculine prédomine, c’est à dire les « femmes masculines » et notamment certaines lesbiennes.
Je doute fort que ces élucubrations puissent emporter l’adhésion de nos « féministes de genre »…
Bonjour,
Les mouches à merde – pardonnez cette vulgarité largement usitée dans nos campagnes – ont la particularité, lorsqu’on a l’imprudence de leur prêter attention, de s’agiter dans tous les sens, dans un mouvement brownien effréné. La plus célèbre étant, bien entendu, la fameuse mouche du coche de la fable. Une fois mis en mouvement, ces insectes occupent tout l’espace, toute l’attention des occupants – hommes, femmes, enfants, chiens et chats – et mobilisent quantité de moyens pour s’en débarrasser.
Mais souvent rien n’y fait, et le seul moyen véritablement efficace pour s’en débarrasser, consiste à ouvrir grandes les fenêtres tout en leur envoyant sur le paletot un répulsif énergique.
Pour certains homo sapiens, quelques contrôles fiscaux ou procédures discrètes et énergiques d’application de la loi et des règlements ont un effet tout aussi efficace. On ne peut que s’étonner que ce n’ait pas été mis en œuvre depuis des années, bien avant mai 2012.
Et sans leur recours, les Dieudonné, Solal et consorts, pondent leurs œufs sur tous les supports médiatiques qu’on leur présente, sous prétexte d’audimat, à longueur d’année.
Vous écrivez:
[ Il ne s’agit pas de convaincre par l’usage de la raison, mais de faire rentrer chez les élèves un dogme.]
Cette phrase résume et contient tout ce qu’il est nécessaire de bien retenir de cette énième péripétie politicomédiatique. Pour paraphraser Desproges, on peut parler de tout , à l’école ou ailleurs, mais pas avec n’importe qui et pas n’importe comment.
Outre cette manie de lancer des débats à sujets sociétaux en dépit des priorités essentielles, avec imprudence et maladresse, il me paraît très dangereux et contreproductif d’entretenir l’excitation d’une fraction grandissante de la population qui s’enflamme pour un oui ou pour un non.
Imprudence et maladresse, mais peut être volonté délibérée, car il était tout à fait prévisible que ce type de question abordée à l’école primaire allait faire l’objet de toutes les interprétations, les plus tendancieuses et manipulatrices particulièrement.
Est-ce pour chercher à tirer son "épingle du jeu", possible dans une situation bordélique ou est-ce par manque de courage face aux remous que pourraient engendrer les décisions qui s’imposent au pays, ou encore la simple conséquence d’un état de lévitation des dirigeants, les maintenant hors sol sans contact concret avec la réalité ?… Je cherche encore la réponse.
@Marcailloux
[Pour certains homo sapiens, quelques contrôles fiscaux ou procédures discrètes et énergiques d’application de la loi et des règlements ont un effet tout aussi efficace. On ne peut que s’étonner que ce n’ait pas été mis en œuvre depuis des années, bien avant mai 2012.]
Si j’étais partisan de la théorie du complot, je vous dirai qu’on l’avait gardé pour une occasion. Mais comme je ne le suis pas, je vous dirai qu’on ne peut tirer qu’une seule conclusion : que les déblatérations de Dieudonné ne gênaient personne. Et que si on a fait monter cette affaire en neige, c’est avec des arrières pensées politiques évidentes.
‘..sans que l’idée vous vienne aussitôt de profiter de cette docilité, de cette confiance..’,
Je souris en lisant cette phrase car je suis enseignant actuellement et les adolescents sont de toute nature sauf ‘ dociles, et confiants’.
Il suffit de regarder la série débilitante PEP’S ou de lire la BD ‘profs’ pour s’en rendre compte.Je n’en dirai pas plus.
L’objet de ce texte ne concerne pas le dénigrement catastrophique et pro-audimat dont sont victimes trés souvent les enseignants dans les médias.
Je ne développe pas plus sur le sujet malheureux du naufrage organisé de la profession d’enseignant.
Pourtant l’affaire de la théorie du genre est symptomatique de ce naufrage.Elle en est même exemplaire.
Effectivement le bricolage sociologique dogmatique appelé ‘théorie du genre’ est aujourd’hui enseigné en 1°L et T°L .Cette’ théorie du genre’ ascientifique est dans les programmes de l’éducation nationale depuis 3 ou 4 ans au lycée .
Plus grave, ce sont les enseignants de SVT qui sont chargés de cet enseignement qui ne repose que sur les cas biologiques trés rares d’Hermaphrodisme .Cette théorie du genre est généralisés dogmatiquement à l’ensemble de la société.
D’où,le nom usurpé,scientifiquement de Téorie.
Ainsi en contrebande,avec la caution ‘scientifique’ des SVT,ces dogmes ‘sociologiques’ ou ‘idéologiques’ de ‘la théorie du genre’ sont enseignés depuis l’époque de Sarkozy.
Le plus grave,c’est que les inspectrices de SVT ont accepté cette mystification sous Chatel,ministre de Sarkozy,contre l’avis des enseignants de SVT.
Pourquoi ?
Justement,je serai curieux de connaitre leurs motivations .Qui me les expliquera ?
Peut être parceque la démarche scientifique accepte et se nourrit de la ‘Réfutation des dogmes’?
C’est une hypothèse ,peu rationnelle ,hors sujet en SVT dans le cas de ces dogmes sociologiques et non biologiques.
Plus prosaîquement,je pense que ces inspectrices de SVT ont préféré, obéir aux consignes de l’administration sarkozienne.
Ceci de façon mesquine,par intérêts,dans l’objectif d’éventuelles promotions.
En aucune façon l’intégrité scientifique n’a été respectée sûres que leurs consignes pourtant ‘a-scientifiques’ seraient appliquées tant l’esprit de docilité est imposé aux enseignants.
Quels dogmes,quelle démarche scientifique, résistent aux espèces sonnantes et trébuchantes même en Sciences de la Vie et de la Terre ?
Merci à ce Blog d’exister’ pour ceux qui sont fatigués du discours politiquement correct et de la bienpensance à gauche’..
Oui,je suis fatigué même trés,trés fatigué car vous l’aurez compris je suis enseignant de SVT en Lycée,investi pour enseigner ces inepties(mais les programmes sont si chargés qu’il est impossible de les terminer..).
.Merci aux parents d’avoir soulevé ce lièvre.
Que Peillon qui s’est prononcé contre cet enseignement mis en place sous Sarkozy, supprime cette ‘théorie du genre’ des programmes de SVT. Le plus vite sera le mieux mais je suis sceptique…
@bovard
[‘..sans que l’idée vous vienne aussitôt de profiter de cette docilité, de cette confiance..’,
Je souris en lisant cette phrase car je suis enseignant actuellement et les adolescents sont de toute nature sauf ‘ dociles, et confiants’.]
La ligne est extraite d’une « lettre aux instituteurs ». C’est donc des enfants qu’il s’agit, et pas des adolescents…
[L’objet de ce texte ne concerne pas le dénigrement catastrophique et pro-audimat dont sont victimes trés souvent les enseignants dans les médias. Je ne développe pas plus sur le sujet malheureux du naufrage organisé de la profession d’enseignant.]
C’est dommage, parce que c’est un sujet particulièrement intéressant de suicide professionnel. Les enseignants se sont symboliquement suicidés en sciant avec application la branche sur laquelle ils étaient assis, opération de sciage commencée dans les années 1960 et qui se poursuit allègrement jusqu’à nos jours. Qui a été à la pointe de la contestation de l’institution scolaire, de l’autorité du maître, de la sélection au mérite ? Qui a aboli la distance nécessaire à tout rapport pédagogique en admettant le tutoiement, en décidant que les élèves n’avaient plus à se lever et faire silence lorsqu’un adulte rentre dans la classe ? Qui a « brisé les murs » de l’école en prétendant qu’il fallait y faire entrer « la réalité » ? Qui a voulu que l’école cesse de se concentrer sur la transmission des savoirs pour devenir une sorte de MJC ?
Alors, plutôt que de pleurnicher sur le « dénigrement » et le « naufrage de la profession », les enseignants feraient bien de faire un petit retour critique sur la contribution de leur propre corporation au désastre.
[Le plus grave,c’est que les inspectrices de SVT ont accepté cette mystification sous Chatel, ministre de Sarkozy, contre l’avis des enseignants de SVT. Pourquoi ? Justement, je serai curieux de connaître leurs motivations .Qui me les expliquera ?]
Ce n’est pas à un humble mortel comme moi de démêler le pourquoi des décisions des inspecteurs de l’Education nationale… mais on peut en imaginer quelques hypothèses. La « théorie du genre » fait moderne, « chébran ». Enfourcher ce cheval, c’est montré qu’on est de son temps, et permet de marquer des points « progressistes ». Car la « maffia du genre » veille, et à l’heure de postuler à certains postes (« délégue au droit des femmes », par exemple) le fait d’avoir participé à ce genre de projet aide.
[Plus prosaîquement,je pense que ces inspectrices de SVT ont préféré, obéir aux consignes de l’administration sarkozienne.]
L’administration n’est ni « sarkozienne » ni « hollandienne ». Elle a une logique propre qui va beaucoup plus loin que le nom du gouvernant du jour…
[Oui,je suis fatigué même trés,trés fatigué car vous l’aurez compris je suis enseignant de SVT en Lycée,investi pour enseigner ces inepties(mais les programmes sont si chargés qu’il est impossible de les terminer..).]
Profitez donc du véritable privilège de l’enseignant : la liberté de chaire… Même si vous devez coller au programme, vous êtes libre de la manière de l’aborder. On peut parfaitement expliquer la "théorie du genre" en montrant que c’est une idéologie militante et anti-scientifique.
Remarquable! Moi qui souhaitais écrire un papier sur ce sujet… Ça va être dur de passer après vous…
@Bruno
Flatteur, va… 😉
Un autre exemple : au PCF, le travail visiblement le plus important lors des amendements à porter à un texte de congrès consiste à mettre des "Ils / elles" à toutes les phrases, et des " – e – " à tous les substantifs et tous les adjectifs.
De la sorte, le texte devient illisible, sauf pour ceux habitués à ce gloubi-boulga, ce qui permet du reste d’éviter de voir l’indigence de la "pensée" qui s’en dégage. Du reste, vous observerez que la Commission "Femmes et féminisme" du PCF n’est composée que de… femmes.
@Jo
[Un autre exemple : au PCF, le travail visiblement le plus important lors des amendements à porter à un texte de congrès consiste à mettre des "Ils / elles" à toutes les phrases, et des " – e – " à tous les substantifs et tous les adjectifs.]
Pas tous, non. Seulement ceux qui ont une connotation positive. Ainsi, par exemple, on parlera de "travaille-ur-se" ou de "citoyen-ne", mais jamais de "patron-ne" ou de "exploite-ur-se". Cette curiosité montre combien derrière le discours de l’égalité entre les sexes se cache en fait la défense d’un intérêt bassement catégoriel.
[Du reste, vous observerez que la Commission "Femmes et féminisme" du PCF n’est composée que de… femmes.]
Ce n’est pas une commission, c’est un syndicat.
Je souscris à votre commentaire, merci d’avoir fait ces références aux "fiches pédagogiques" (que je suis allée voir) qui témoignent d’une bêtise digne de Bouvard et Pécuchet !
J’ai particulièrement apprécié votre analyse sur les classes sociales, c’est une chose qui me frappe: l’élimination par les militantes féministes actuelles de toute référence aux différences et à la domination sociale comme fondamentale: la domination de classe.
Par exemple sur le travail des femmes,il n’est vrai que pour les bourgeoises que le travail soit le fait des générations du XXème siècle, mes grands mères nées vers 1885, mes arrières grands mères nées vers 1865, ont toujours travaillé et ailleurs qu’à la maison, ouvrières tantôt elles étaient à l’usine, tantôt ouvrières à façon à la maison, aux pièces et le travail donnait un salaire de misère. Elles étaient féministes, mais leurs revendications étaient les mêmes que celles des grands-pères et elles n’auraient pas eu l’idée de s’opposer à eux en tant que femmes, mais elle s’opposaient au patronat en tant que patronat.
Cependant je crois que les robes pour petits garçon jusqu’à trois quatre ans n’étaient pas une question de classe, avant la guerre de 14, tous les enfants garçons et filles avaient des robes jusqu’à l’âge de la propreté (mon père, mes oncles, les hommes de ma belle famille dont nous avons des photos, tous de la classe ouvrière), dans un monde où les cabinets étaient au fond du jardin, où il n’y avait pas de couches jetables , ceci pour l’explication pratique, peut-être aussi faudrait-il dire par une explication plus "symbolique" jusqu’à l’âge où l’enfant reconnait clairement la différence des sexes, et où de lui même il se situe par rapport à cette différence.
Ces féministes en mettant l’accent "pédagogique" sur les robes des petits garçons semblables à ceux des petites filles veulent peut-être gommer le fait que la "différence" sexuelle est une réalité matérielle et que la "réalité symbolique" comme la "réalité imaginaire" de la différence sexuelle se construit dans l’histoire du sujet mais à partir de la "matière" des corps. Le "matérialisme dialectique" fait bel et bien défaut à ces "théories" qui de ce fait ne sont que des variantes de ce qu’on appelait dans ma jeunesse l’"idéologie bourgeoise".
Cette vision mécaniste des choses qu’est l’usage pédagogique d’une théorie loin d’être "sanctionnée" selon l’adjectif que l’on applique aux théories scientifiques, cette vision mécaniste, donc est la conclusion d’un sophisme bien plat : 1-"il y a des stéréotypes selon leur langage, disons des comportements, des objets, des habitus qu’une société appréhende comme féminins ou masculins
2- Il y a une domination masculin/ féminin structurant primordialement les sociétés
3-Donc il faut changer à la source les "stéréotypes",
Mais comme le disaient les logiciens "ex falso sequitur quodlibet" du faux suit n’importe quoi,les prémisses du pseudo-syllogisme n’étant pas établies et d’autre part l’école ne peut rien à ces changements, et la société ne peut attendre de l’école qu’elle opère une émancipation quelconque. L’école n’étant pas faite pour cela comme vous l’avez magistralement montré.
@Baruch
[Je souscris à votre commentaire, merci d’avoir fait ces références aux "fiches pédagogiques" (que je suis allée voir) qui témoignent d’une bêtise digne de Bouvard et Pécuchet !]
On a honte de voir que sur le site du ministère de l’Education on puisse publier ce genre de bêtises sous couvert de proposer des « fiches pédagogiques » aux enseignants. Non seulement par le côté idéologique du projet, mais parce qu’elles sont mal faites. Elles véhiculent des préjugés pires que ceux qu’elles entendent combattre.
[J’ai particulièrement apprécié votre analyse sur les classes sociales, c’est une chose qui me frappe: l’élimination par les militantes féministes actuelles de toute référence aux différences et à la domination sociale comme fondamentale: la domination de classe.]
Curieux, non ? Dans les fiches de « l’ABCD de l’égalité », on part de l’examen de tableaux représentants des femmes de la haute bourgeoisie et on tire des conclusions sur le sort « des femmes » en général. C’est d’ailleurs une constante lorsque les classes moyennes prennent le pouvoir sur le champ politique : les déterminants de classe disparaissent. On parle ainsi des « femmes », comme si toutes les femmes avaient les mêmes problèmes, de la même manière qu’on parlera du « peuple » ou des « gens » en oubliant qu’il y a des « gens » riches et des « gens » pauvres, et qu’elles n’ont ni les mêmes intérêts, ni les mêmes problèmes.
[Cependant je crois que les robes pour petits garçon jusqu’à trois quatre ans n’étaient pas une question de classe, avant la guerre de 14, tous les enfants garçons et filles avaient des robes jusqu’à l’âge de la propreté (mon père, mes oncles, les hommes de ma belle famille dont nous avons des photos, tous de la classe ouvrière), dans un monde où les cabinets étaient au fond du jardin, où il n’y avait pas de couches jetables , ceci pour l’explication pratique,]
Oui et non. Pour des raisons pratiques, les enfants portaient des robes jusqu’à l’âge de la propreté. Mais dans les classes populaires, ces robes n’étaient pas particulièrement « féminines ». Ce n’est que dans les couches aisées qu’on décorait ces robes avec de la dentelle, des broderies etc. qui leur donnaient une apparence particulièrement féminine, comme sur le tableau de Renoir.
[peut-être aussi faudrait-il dire par une explication plus "symbolique" jusqu’à l’âge où l’enfant reconnait clairement la différence des sexes, et où de lui même il se situe par rapport à cette différence.]
Bien entendu. D’ailleurs cette indifférenciation chez les enfants existe aussi aujourd’hui : les nouveaux nés portent souvent des vêtements unisex, et cela continue jusqu’à l’âge de deux ou trois ans. A ces âges, on admet aussi la nudité publique, ce qu’on n’admet plus à l’âge ou l’enfant commence à avoir lui-même conscience des différences sexuelles. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si lorsque Adam et Eve mangent le fruit de l’arbre de la connaissance, leur première réaction est de prendre conscience de leur nudité et de la cacher.
[Le "matérialisme dialectique" fait bel et bien défaut à ces "théories" qui de ce fait ne sont que des variantes de ce qu’on appelait dans ma jeunesse l’"idéologie bourgeoise".]
Oui. Le problème des « théoriciennes du genre » est qu’elles confondent « social » et « arbitraire ». Elles ont l’air de croire qu’à partir ou un fait ne vient pas de la nature il peut être changé à volonté. Ce n’est pas le cas : la différentiation des rôles n’est pas quelque chose que l’être humain a choisi, mais une construction qui optimise l’efficacité sociale. Une société ou ceux qui enfantent gardent la maison et les enfants alors que ceux qui n’enfantent pas vont chasser le mammouth est plus « efficiente » que l’inverse.
Bonjour Descartes.
Ce texte est excellent, du grand Descartes 2.0, je m’empresse de le partager le plus possible. Je vous remercie au passage pour « Hobbes 1 – Rousseau 0 » qui était tout aussi passionnant.
Je ne connaissais « évidemment » pas ce texte de Jules Ferry mais il est très fort. Comment faites-vous pour sortir précisément vos extraits et citations ? Avez-vous une mémoire hors-norme ? Vos choix sont systématiquement pertinents et proviennent de nombreuses sources. J’ai encore beaucoup à faire pour me construire une bibliothèque de références…
Bien, fini la lèche, et puis je vous ai déjà fait le coup. Je voulais revenir sur un passage de votre billet. Vous avez écrit :
[[[ En fait, l’exercice pose une question bien plus intéressante sur les stéréotypes : pourquoi on peut représenter les filles en jupe, en robe mais aussi en pantalon, alors que les garçons on peut les représenter en pantalon… mais jamais en robe ? Que dira le professeur si l’un de ses élèves met une jupe à Paul Charpentier ? Si le but de toute cette comédie était de dénoncer les « stéréotypes », en voilà un qui est bien plus puissant que celui des « femmes en robe ». Pourquoi la figure d’un homme « actuel » en jupe et collant nous impressionne bien plus que celle d’une femme en pantalon ? Pourquoi l’un des sexes peut prendre les insignes de l’autre, mais pas l’inverse ?
Mais bien entendu, la question ne sera pas posée. Pourquoi ? Tout simplement parce que ce « stéréotype » particulier tend à contredire les « féministes de genre ». Voici que les stéréotypes donnent à la femme la liberté de s’habiller comme elle le veut, mais condamnent les hommes à respecter un canon rigide. En d’autres termes, le femmes sont, sur cet aspect au moins, plus libres que les hommes. Une évidence qui est très gênante pour la vision victimiste que le « féminisme de genre » entend propager. A la trappe donc. ]]]
Je vois justement dans cet exemple un excellent moyen pour le professeur de faire réfléchir les enfants sur les stéréotypes, puisque le fait qu’un homme portant une robe soit plus choquant qu’une femme portant un pantalon est précisément ce que les partisans de la « construction de genre » aimeraient changer. En tout cas c’est comme ça que j’ai compris leur projet. Un homme doit pouvoir porter une robe si ça lui chante sans que les badauds n’en soient interrogés. J’admets que cette différence de jugement est un argument en faveur d’une plus grande liberté des femmes par rapport aux hommes quant au choix de leurs vêtements et qu’il ne soit donc pas en faveur des « féministes » de genre, mais il rentre quand même bien en compte dans l’étude des stéréotypes. Peut-être votre extrait était-il orienté uniquement contre les « féministes » ou que quelque chose m’a échappé.
Permettez moi de faire un léger hors-sujet et de vous conter une anecdote vécue aujourd’hui même. Un cousin de 11 ans m’a affirmé que sa professeure d’histoire leur avait appris que « les grecs avaient une femme pour faire des enfants et des hommes pour assouvir des plaisirs sexuels ». Je suppose qu’il a reformulé un peu la chose avec son vocabulaire mais j’avoue que j’ai été quelque peu frappé par cette information. Dans le fond, je ne vois pas de problème à ce qu’on apprenne les particularités des mœurs de la Grèce antique à des collégiens mais je n’ai pas le souvenir d’avoir appris ça à son âge, et surtout pas en des termes aussi directs.
Ce qui m’a posé problème, au delà du fait que l’on parle de plaisirs sexuels à des enfants de 11 ans (qui soit dit en passant savent probablement très bien de quoi il s’agit et on probablement tous déjà vu du contenu pornographique par le biais des copains, grand-frères, etc., si ce n’est par eux-mêmes), c’est qu’en ces temps de grands « bouleversements » sociétaux et de mise en avant de l’homosexualité – il n’y a qu’à voir les films qui ont le plus de nominations pour les césars 2014 : La Vie d’Adèle et Les garçons et Guillaume à table, où le biopic sur Yves Saint-Laurent sorti récemment à grand renfort de réclame – je n’ai pas pu m’empêcher de me demander s’il ne s’agissait pas d’un énième moyen de « normaliser » l’homosexualité à travers l’Histoire cette fois-ci.
Je n’ai pas de problème avec le fait que des gens soient homosexuels, de condition ou de loisir, mais quelque part j’en ai marre que ce sujet qui touche pourtant une petite partie de la population soit autant sur le devant de la scène, comme si l’on pendait des gays tous les quatre matins en France. Les « militants » LGBT ou sympathisants m’agacent de plus en plus, et je suis quelqu’un de plutôt calme et non-violent. Je ne sais pas si ce que je ressens est partagé par un grand nombre de Français mais je doute que la cause des homosexuels soit bien servie par ses thuriféraires du moment (tout comme l’antisémitisme qui est selon moi entretenu par le CRIF, la complaisance des hommes politiques avec le gouvernement Israélien et la dernière offensive sans précédent et bien tombée à l’approche des municipales contre Dieudonné de la part de Manuel Valls, suivi à l’unisson par le système médiatico-politique).
Ah, aussi, « (sic rigoureux) » m’a beaucoup fait rire :D.
@Courtial des Pereires
[Je ne connaissais « évidemment » pas ce texte de Jules Ferry mais il est très fort. Comment faites-vous pour sortir précisément vos extraits et citations ? Avez-vous une mémoire hors-norme ? Vos choix sont systématiquement pertinents et proviennent de nombreuses sources. J’ai encore beaucoup à faire pour me construire une bibliothèque de références… ]
J’ai eu un grand-père journaliste à l’ancienne, de ceux qui disaient « il faut de la mémoire pour accuser, et de l’archive pour prouver ». Et j’adore lire…
[Je vois justement dans cet exemple un excellent moyen pour le professeur de faire réfléchir les enfants sur les stéréotypes, puisque le fait qu’un homme portant une robe soit plus choquant qu’une femme portant un pantalon est précisément ce que les partisans de la « construction de genre » aimeraient changer. En tout cas c’est comme ça que j’ai compris leur projet. Un homme doit pouvoir porter une robe si ça lui chante sans que les badauds n’en soient interrogés.]
Mais justement, le fait qu’ils ne posent la question que dans un seul sens vous montre que le « projet » derrière l’activisme des « théoriciens du genre » n’est pas tout à fait celui-là. En fait, malgré la proclamation de vouloir « combattre les stéréotypes » on découvre qu’en fait il y a certains stéréotypes qu’on « combat », et d’autres qu’on renforce. Le but est que les filles puissent porter le pantalon, pas que les garçons portent la robe. Il s’agit de persuader les filles de devenir pilote d’avion ou légionnaire, pas de persuader les garçons de devenir assistante sociale ou sage-femme.
Pourquoi ? Parce que les « féministes de genre » sont en fait aliénées : elles sont convaincues que les métiers « nobles » sont ceux que font les hommes. Et que la libération des femmes passe par l’invasion par les femmes du domaine masculin. Le problème de cette logique, c’est qu’elle ne peut que détruire ses propres conquêtes. Prenons un exemple : la magistrature était une profession prestigieuse lorsqu’elle était un « métier d’hommes ». Aujourd’hui elle est une profession majoritairement féminine. Et qu’entend-t-on ? Est-ce que les féministes sont satisfaites ? Non. Elles regrettent que la profession soit « dévalorisée »… et il ne peut en être autrement, puisqu’elle est féminisée…
Les anglais ont une très jolie formule : « the hand that rocks the cradle rules the world » (« la main qui bouge le berceau gouverne le monde ». La division du travail traditionnelle entre les sexes n’est pas un rapport de subordination, mais un rapport ou chaque sexe avait sa sphère réservée. Mais chacun avait son pouvoir, ne serait-ce que parce que chacun avait besoin de l’autre, non pas du point de vue sentimental, mais du simple point de vue économique. C’est cette réalité historique que les « féministes de genre » refusent de voir.
[Ce qui m’a posé problème, au delà du fait que l’on parle de plaisirs sexuels à des enfants de 11 ans (qui soit dit en passant savent probablement très bien de quoi il s’agit (…)]
Non, ils ne savent pas « de quoi il s’agit ». Bien sur, ils ont certainement vu à la télévision un acte sexuel explicite – de nos jours, c’est devenu banal – mais ce n’est pas parce que les enfants voient quelque chose qu’ils comprennent ce que cela signifie. L’enseignant qui a raconté cette histoire à votre cousin mériterait une bonne réprimande, non pas parce qu’elle a violé je ne sais quelle règle pudibonde – quoique… – mais parce qu’elle montre une ignorance sidérante de la psychologie d’un enfant de 11 ans. A cet âge là , les enfants peuvent mémoriser un discours « sexuel », mais ils ne le comprennent pas véritablement.
[Je n’ai pas de problème avec le fait que des gens soient homosexuels, de condition ou de loisir, mais quelque part j’en ai marre que ce sujet qui touche pourtant une petite partie de la population soit autant sur le devant de la scène, comme si l’on pendait des gays tous les quatre matins en France.]
Comme disait mon grand-père, ce n’est pas une honte mais il n’y a pas non plus de quoi être fier. C’est d’ailleurs toute l’ambiguïté de l’homosexualité militante : d’un côté, les militants voudraient être traités comme les autres, de l’autre ils exigent qu’on tienne compte de leur différence. En cela, ils rejoignent toutes sortes de groupes ou communautés qui exigent d’être « reconnues » par la société. Ajoutez à cela le fait que dans notre société cela rapporte d’être une « victime », et vous comprendrez la situation…
@Descartes
[Le but est que les filles puissent porter le pantalon, pas que les garçons portent la robe. Il s’agit de persuader les filles de devenir pilote d’avion ou légionnaire, pas de persuader les garçons de devenir assistante sociale ou sage-femme.]
La vision selon laquelle le but recherché serait de persuader les femmes d’accéder à des métiers d’homme et pas l’inverse n’est peut-être pas exacte.
L’idée me semble au contraire de persuader aussi les garçons de devenir assistante sociale ou sage-femme.
Dans la réalité, aujourd’hui, un nombre encore faible mais significatif et croissant d’hommes deviennent aides soignants, infirmiers, sages-femmes (si si sages-femmes).
Dans votre réponse à Barcuch, vous parlez de différentiation des rôles plus efficiente, héritée de l’histoire, et même de la préhistoire, puisque vous évoquez le fait que les hommes chassaient le mammouth pendant que les femmes s’occupaient des gosses. Et bien derrière l’idée de casser les stéréotypes, il y l’idée de dire « puisqu’on ne chasse plus le mammouth, certaines divisions traditionnelles ne se justifient plus ».
Le raisonnement se tient et, sur le long terme, l’évolution se fait bien dans ce sens.
L’erreur de l’opération "ABCD de l’égalité" c’est de croire que l’école peut et doit être un outil pour modifier la société alors que, comme vous l’avez démontré, elle doit respecter l’état de la société tel qu’il est à un moment donné.
Bonjour,
[ L’ administration n’est ni « sarkozienne » ni « hollandienne ». Elle a une logique propre qui va beaucoup plus loin que le nom du gouvernant du jour…]
Pour autant, cette administration est – elle impartiale, aussi intègre que nous pourrions le souhaiter ? Quels sont les arcanes qui organisent ou inspirent son fonctionnement? Existe – t – il, à votre connaissance un document objectif qui décrive ce qui se passe dans la haute administration, en terme de pouvoir technocratique qui usurpe une partie du pouvoir démocratique ?
[ Prenons un exemple : la magistrature était une profession prestigieuse lorsqu’elle était un « métier d’hommes ». Aujourd’hui elle est une profession majoritairement féminine. Et qu’entend-t-on ? Est-ce que les féministes sont satisfaites ? Non. Elles regrettent que la profession soit « dévalorisée »… et il ne peut en être autrement, puisqu’elle est féminisée…]
Poussons le raisonnement jusqu’à l’absurde: demain, pouvons nous imaginer une armée de métier composée à 90% par des femmes ?, avec notamment le remplacement du battle dress par le kilt. Par milliers, elles seront sans doutes tentées d’aller faire le "sale boulot" dans des endroits tous plus ou moins insalubres de la planète.
[ En cela, ils rejoignent toutes sortes de groupes ou communautés qui exigent d’être « reconnues » par la société. Ajoutez à cela le fait que dans notre société cela rapporte d’être une « victime », et vous comprendrez la situation…]
Ras le bol de ces étendards brandis à tout bout de champ par des minorités militantes pour des sujets personnels, intimes, marginaux, qui veulent imposer par l’outrance leur névrose ou autre cause de malaise.
Au delà d’être "reconnues", c’est peut être même à l’espoir d’être protégés ou plus, d’être promus par l’appartenance à telle ou telle communauté, que tant d’individus revendiquent ostensiblement leur particularité. Le mérite et la vertu sont des valeurs en décrépitude. J’entendais ce matin même à la radio, l’évocation d’une étude selon laquelle, en France, les petites infractions à la probité, à la civilité, étaient telles qu’elles plaçaient notre pays parmi les plus performants dans ce domaine…. Cocorico ! ! !
@vent2sable
[La vision selon laquelle le but recherché serait de persuader les femmes d’accéder à des métiers d’homme et pas l’inverse n’est peut-être pas exacte. L’idée me semble au contraire de persuader aussi les garçons de devenir assistante sociale ou sage-femme.]
J’ai vu des dizaines de reportages destinés à glorifier des femmes qui ont choisi des « métiers d’homme ». Il y a même des séries télé (« Une femme d’honneur », « Le juge est une femme ») qui jouent sur ce ressort. Il y a même des prix tout à fait officiels pour distinguer les femmes qui réussissent dans des métiers traditionnellement masculins. Je ne me souviens pas d’une série télé du genre « la sage-femme est un homme », pas plus que d’un homme récompensé pour avoir embrassé la profession d’aide-soignante…
[Dans votre réponse à Barcuch, vous parlez de différentiation des rôles plus efficiente, héritée de l’histoire, et même de la préhistoire, puisque vous évoquez le fait que les hommes chassaient le mammouth pendant que les femmes s’occupaient des gosses. Et bien derrière l’idée de casser les stéréotypes, il y l’idée de dire « puisqu’on ne chasse plus le mammouth, certaines divisions traditionnelles ne se justifient plus ».]
Je ne suis pas contre, au contraire. Je suis progressiste, et comme tout progressiste ouvert à l’évolution de la division traditionnelle du travail entre les sexes en fonction des transformations sociales et économiques. Mais remettre en cause la division du travail traditionnelle c’est une chose, et remettre en cause le principe même d’une division du travail c’en est une autre. On peut défendre un nouveau partage des tâches sans pour autant estimer que ce partage doit être parfaitement identique pour les deux sexes.
[L’erreur de l’opération "ABCD de l’égalité" c’est de croire que l’école peut et doit être un outil pour modifier la société alors que, comme vous l’avez démontré, elle doit respecter l’état de la société tel qu’il est à un moment donné.]
J’ajouterais qu’elle se doit de respecter l’état de la société pas seulement par principe, mais parce que c’est la condition de son fonctionnement comme institution. Si nous voulons que les parents confient – et dans « confient » il y a « confiance » – leurs enfants à l’Ecole publique pour y être instruits, il faut qu’ils soient rassurés sur le fait que l’Education nationale ne profitera pas pour leur inculquer des principes et valeurs qui ne sont pas celles des parents. Si on ne respecte pas ce principe, les parents qui le peuvent mettront leurs enfants dans des écoles privées, parce qu’ils auront ainsi un certain contrôle sur l’éducation que leurs enfants reçoivent, et l’école publique deviendra l’école des pauvres.
@Marcailloux
[Pour autant, cette administration est – elle impartiale, aussi intègre que nous pourrions le souhaiter ?]
On peut toujours espérer mieux… mais dans l’ensemble, oui, elle est raisonnablement « impartiale et intègre ».
[Quels sont les arcanes qui organisent ou inspirent son fonctionnement? Existe – t – il, à votre connaissance un document objectif qui décrive ce qui se passe dans la haute administration, en terme de pouvoir technocratique qui usurpe une partie du pouvoir démocratique ?]
Trouver des « documents objectifs » dans un domaine aussi chargé idéologiquement me paraît relever du vœu pieu… Il y a par contre beaucoup de publications sur le fonctionnement de la haute administration. Il y a des travaux de sociologie administrative, qui en général sont pauvres et se contentent de reprendre les poncifs habituels sur le « pouvoir technocratique ». Plus intéressants sont les travaux des historiens, qui éclairent sur l’histoire de notre haute administration. Dans ce domaine, la thèse de Marc-Olivier Baruch (« Servir l’Etat français : l’administration en France entre 1940 et 1944 », Fayard, 1997) est particulièrement intéressante, non seulement pour l’étude de l’époque, mais parce qu’elle montre les constantes de notre structure administrative.
En fait, la littérature autant que mon expérience m’amènent à conclure que si l’on peut reprocher quelque chose à notre administration, c’est moins le fait d’usurper le pouvoir politique que l’inverse : nos hauts fonctionnaires ont du mal, surtout depuis quelques années, à protéger le domaine administratif de la politisation.
[Poussons le raisonnement jusqu’à l’absurde: demain, pouvons nous imaginer une armée de métier composée à 90% par des femmes ?, avec notamment le remplacement du battle dress par le kilt. Par milliers, elles seront sans doutes tentées d’aller faire le "sale boulot" dans des endroits tous plus ou moins insalubres de la planète.]
Pourquoi serait-ce « absurde » ? Attention, vous allez commettre le crime de sexisme en supposant que les femmes seraient moins cruelles, moins agressives, moins pourvues de « killer instinct » que les hommes. Comme d’habitude, les américains nous précèdent dans cette voie : souvenez-vous de Lyndie England. Curieusement, cette réussite dans un métier typiquement masculin – celui de tortionnaire – n’est jamais évoquée lorsqu’on liste les progrès de la condition féminine. Etonnant, non ?
Avec la bonne éducation d’une école véritablement égalitaire, on devrait pouvoir produire une Aussaresses au féminin sans la moindre difficulté. Il suffit d’attendre…
Il ne me parait pas anodin que la grande papesse de la théorie du genre, Mme Butler, soit…une homosexuelle.
Wahou !! Voilà du très grand Descartes !
Un immense merci pour être aller rechercher ces textes de jules Ferry qui, à eux seuls, disent ce qu’il faut savoir sur cette désolante actualité de l’ABCD de l’égalité. (J’espère ne pas tomber dans l’idolâtrie à votre égard en ne vérifiant pas vos citations, elles collent tellement bien au sujet, qu’on n’aurait pas fait mieux en les inventant.)
Avant de lire votre article, j’avais beaucoup échangé « ailleurs » sur le sujet. Même si mes réflexions sont bien pâles comparées à votre texte, modestement je vous les livre.
Cette histoire est très agaçante.
Depuis 40 ans, est-ce que le machisme à régressé ? OUI beaucoup
Est-ce que et la condition féminine s’est améliorée ? OUI beaucoup
Est-ce qu’on est arrivé à l’égalité parfaite ? NON bien sûr, et en particulier dans les différences de salaire dans les entreprises, et dans beaucoup d’autres domaines comme les violences faites aux femmes.
Est-ce qu’il faut continuer à évoluer ? OUI bien sûr.
L’école, en bon relais de la morale républicaine, n’est-elle pas déjà à la pointe de cette lutte contre les inégalités ? Avec des accès aux études réellement identiques pour les garçons et les filles, et des pourcentages garçons / filles dans toutes les filières qui se rapprochent ? Même si des différences subsistent (exemple ingénieurs filles 35%, garçons 65%), l’évolution en 40 ans est colossale.
Faut-il réellement rayer tous les stéréotypes de genre garçons/filles chez les tout petits ? Est-ce le rôle de l’école ? Est-ce la priorité du ministère de l’EN de réécrire les règles des jeux dans les cours de récréation, de réécrire les contes de fées et le petit Chaperon rouge ? (je n’invente rien, consulter les outils pédagogiques du site officiel du ministère). Pour moi clairement NON.
Bien sûr, il faut continuer de progresser, bien sûr les enseignants doivent s’opposer à toute discrimination entre élèves, à tout comportement sexistes, (je suis convaincu qu’en bons éducateurs ils le font déjà !) mais de là à consacrer du temps et de l’argent pour réécrire les contes de fées, et entraîner coûte que coûte les filles à faire du rugby, je trouve que les technocrates de l’EN ont mieux à faire et qu’ils n’ont pas à entraîner les enseignants dans cette aventure.
Je dis volontairement « les technocrates », parce que, dans cette affaire il semblerait que le dossier ait été largement ficelé par les équipes du précédent gouvernement, indépendamment d’une soit disant idéologie PS. Les idéologues de l’Education Nationale ne sont pas arrivés avec l’élection de Hollande, ils sont installés là depuis longtemps.
Quant à l’équipe ministérielle actuelle elle n’a pas su déminer, désamorcer la grogne, pas su en faire une opportunité pour expliquer ce qui se passe vraiment dans les écoles, pas su faire son mea-culpa sur le caractère idéologique de cette opération ABCD de l’égalité.
Quand la gronde monte, on explique, on dialogue, on ne menace pas (voir l’épisode « je demande aux chefs d’établissement de convoquer les parents … »).
Contrairement au déni du ministre, si on lit avec attention l’énorme documentation officielle, on voit bien que, au fond, les initiateurs, les rédacteurs de cette opération ABCD, sont réellement convaincus du bien fondé de cette fameuse théorie du genre. Réellement convaincus que les différences de genre ne sont « que » des constructions culturelles. Comme si les vraies différences physiologiques garçon/ fille n’existaient pas.
Continuer à travailler pour une égalité parfaite, c’est très très bien. Croire que les différences physiologiques ne conditionnent absolument pas les différences de genre, c’est une position idéologique, dont l’EN a tort de faire une vérité absolue. Dépenser de l’argent pour faire passer cette idéologie par l’école, c’est abusif et c’est aussi un gaspillage de moyens.
Gaspillage d’autant plus condamnable qu’on cherche les moyens pour sortir de cette « fatalité », pour le coup vraiment révoltante, qui fait que 20% des élèves en fin de CM2 ont de « graves lacunes » dans les savoirs de base, math et français.
@vent2sable
[Wahou !! Voilà du très grand Descartes !]
Venant de vous, l’éloge me touche encore plus. « sans liberté de blâmer, il n’y a pas d’éloge flatteur »…
[Depuis 40 ans, est-ce que le machisme à régressé ? OUI beaucoup]
Je ne sais pas. C’est quoi, exactement, le « machisme » ? Pourrait-on avoir une définition ? Parce que autrement cela devient un mot valise. Tenir préférentiellement la porte au passage d’une femme, lui céder le siège, est-ce du « machisme » ? Suivre du regard une belle femme dans la rue, c’est du « machisme » ? Lui adresser un compliment ? Si vous suivez les discours de certaines soi-disant « féministes », la réponse est oui. Et dans ces conditions, je serai d’accord avec vous : le machisme a beaucoup régressé. Quant à savoir si c’est une bonne chose…
[Est-ce que et la condition féminine s’est améliorée ? OUI beaucoup]
Là encore, la réponse à votre question n’est pas évidente. Il faudrait commencer par définir ce que c’est exactement la « condition féminine ». Tout au plus, on peut dire que les femmes ont aujourd’hui accès à des carrières et des emplois qui leur étaient fermés il y a de cela quelques années à égalité avec les hommes. Mais dans le processus, les femmes ont perdu aussi toute une série d’avantages et de protections. L’exemple le plus dramatique est celui des guerres : les grandes guerres du XIXème et de la première moitié du XXème siècle ont été des hécatombes masculines. Cela change à partir des années 1960…
[Est-ce qu’on est arrivé à l’égalité parfaite ? NON bien sûr, et en particulier dans les différences de salaire dans les entreprises, et dans beaucoup d’autres domaines comme les violences faites aux femmes.]
C’est tout à fait vrai. En matière de violence domestique, les femmes sont scandaleusement privilégiées. Elles bénéficient de toutes sortes de dispositifs d’aide et de soutient, leur parole est écoutée et leurs maris violents vont en prison. Mais essayez, si vous êtes un homme, d’aller au commissariat pour expliquer que votre femme vous bat, qu’elle vous jette les assiettes à la figure (sans parler des violences psychologiques), et vous verrez la réaction des policiers. Il y a une mythologie de la violence domestique : plusieurs études montrent qu’elle est le fait des deux sexes, avec des méthodes qui sont différentes – chez les femmes la violence psychologique est beaucoup plus répandue, alors que les hommes ont plus recours à la violence physique – et que « les violences faites aux hommes » sont le délit le moins reporté parmi les violences contre les personnes…
J’ajoute qu’il y a aussi une mythologie de « la violence faite aux femmes ». L’expression elle même fleure bon l’époque victorienne, avec l’idée de la « faible femme » qui ne peut-être que victime de forces qui la dépassent. Dans notre société occidentale, les victimes de violences sont dans leur très grande majorité – autour de 80% si ma mémoire ne me trahit pas – des hommes. Curieusement, personne ne parle de « violences faites aux hommes », ni propose des services pour les aider à se « reconstruire ».
Quant à la question salariale, là aussi il faut arrêter les pleurnicheries. Une femme qui fait la même carrière qu’un homme a aujourd’hui le même salaire. Si les femmes font le choix d’arrêter de travailler pour élever leurs enfants, c’est leur choix. Un homme qui ferait le même choix aurait lui aussi une réduction de salaire en fin de carrière. On ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre, les joies de la maternité – ou de la paternité – et celles de la réussite professionnelle.
[Est-ce qu’il faut continuer à évoluer ? OUI bien sûr.]
Heureusement ! Mais pas nécessairement dans le bon sens, à supposer qu’il y ait un « bon » sens. La famille existe non pas parce que « les gens s’aiment », comme le veut la bienpensance, mais parce que le rapport d’interdépendance entre deux êtres était nécessaire économiquement. C’est cette nécessité qui a façonné le partage des rôles. Quand cette nécessité économique disparaît, quand la qualité de vie est la même qu’on soit seul ou en couple, alors le partage des rôles perd de son sens… mais cela touche aussi le couple. C’est la complémentarité qui cimente le couple, pas l’égalité. Si on sait tout faire, alors on n’a plus besoin de l’autre.
[Bien sûr, il faut continuer de progresser, bien sûr les enseignants doivent s’opposer à toute discrimination entre élèves,]
« toute » discrimination ? Y compris la discrimination entre ceux qui font leurs devoirs et ceux qui ne les font pas ? S’il vous plaît, ne tombons pas dans le discours bienpensant qui veut qu’il faille combattre « toutes les discriminations ». Il y a des discriminations qui sont non seulement utiles, mais nécessaires et parfaitement justifiées. Lorsque j’exige que le professeur ait lui même un diplôme et passe un concours, je « discrimine ». Lorsque je récompense celui qui bosse et pénalise celui qui ne bosse pas, je « discrimine ».
[Je dis volontairement « les technocrates », parce que, dans cette affaire il semblerait que le dossier ait été largement ficelé par les équipes du précédent gouvernement, indépendamment d’une soit disant idéologie PS. Les idéologues de l’Education Nationale ne sont pas arrivés avec l’élection de Hollande, ils sont installés là depuis longtemps.]
Oui. Sous Mitterrand… mais je trouve suspecte votre tentative d’exonérer le PS sous cette variante du discours « tous pourris ». On peut reprocher beaucoup de choses au « précédent gouvernement », pas d’avoir implanté la « théorie du genre » à l’Ecole. Que les idéologues fussent déjà sur place et attendissent patiemment la bonne opportunité pour faire passer leurs idées, c’est très probable. Mais c’est bien ce gouvernement qui a ouvert les vannes.
[Quant à l’équipe ministérielle actuelle elle n’a pas su déminer, désamorcer la grogne, pas su en faire une opportunité pour expliquer ce qui se passe vraiment dans les écoles, pas su faire son mea-culpa sur le caractère idéologique de cette opération ABCD de l’égalité.]
Pourquoi ferait-il son « mea culpa » alors qu’il est persuadé que cette opération fait partie de l’excellence éducative ? Pour faire un « mea culpa » il faut ressentir la « culpa », ce qui n’est pas du tout le cas ici. Par ailleurs, je vois mal comment on pourrait calmer la rue en « expliquant ce qui se passe vraiment dans les écoles », dans la mesure où ce qui se passe est grave. Car si les folles rumeurs propagées par les groupuscules d’extrême droite radicale sont fausses, la vérité n’est guère plus réjouissante.
[Continuer à travailler pour une égalité parfaite, c’est très très bien.]
Non, c’est très, très mal. « L’égalité parfaite » est un concept totalitaire, qui veut ignorer que nous sommes tous différents et qui veut nous imposer de force l’uniformité. Travailler pour une « égalité parfaite » des droits, des possibilités, des opportunités, oui. Mais une « égalité parfaite » dans l’absolu ? Non, non, et non.
[Dépenser de l’argent pour faire passer cette idéologie par l’école, c’est abusif et c’est aussi un gaspillage de moyens. Gaspillage d’autant plus condamnable qu’on cherche les moyens pour sortir de cette « fatalité », pour le coup vraiment révoltante, qui fait que 20% des élèves en fin de CM2 ont de « graves lacunes » dans les savoirs de base, math et français.]
Ah… mais c’est justement pour cela qu’on fait des « ABCD de l’égalité ». Centrer le projecteur sur l’inégalité entre les filles et les garçons permet de laisser dans l’ombre les inégalités sociales. De la même manière que les classes moyennes ont fait du SDF le substitut symbolique du prolétaire, elles ont fait de l’égalité homme/femme le substitut de l’inégalité capital/travail…
Descartes, Il me semblait bien que c’était louche que l’on soit d’accord. (clin d’œil)
[C’est la complémentarité qui cimente le couple, pas l’égalité. Si on sait tout faire, alors on n’a plus besoin de l’autre.]
Donc votre slogan, ce serait :
« Touche pas à notre complémentarité, touche pas à nos stéréotypes de genre ! »
Nous sommes un couple de paisibles retraités. Moi je suis l’homme, je lis, je réfléchis je passe mes journées sur Internet à échanger de grandes idées sur les blogs. Elle, c’est ma femme, elle fait la chambre, entretient le linge et le repasse, nous fait à manger et fait la vaisselle… Le soir elle se repose devant sa série américaine ou sa télé réalité.
Nous sommes complémentaires, nous sommes heureux !
Alors NON ! Surtout, « touche pas à notre complémentarité, touche pas à nos stéréotypes de genre ! »
Vous trouvez ça caricatural ? Mais non … enfin, pas plus que votre émouvante défense des hommes battus.
Mais plus sérieusement, comme vous l’avez fort bien expliqué, la grandeur de l’école de la république et surtout [la condition de son fonctionnement comme institution], c’est précisément que des parents convaincus d’idéologies différentes, voire opposées (comme nous), puissent confier leurs enfants à l’institution en totale confiance.
Bonjour,
Désolé de faire légèrement dévier le débat, mais un de vos propos m’a interloqué.
"Dans notre société occidentale, les victimes de violences sont dans leur très grande majorité – autour de 80% si ma mémoire ne me trahit pas – des hommes"
Ceci est très intéressant. Mais ne vous souviendrez-vous pas de la source ? Car parmi celles que j’ai pu trouver, aucune n’indique un écart aussi important.
http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1473#inter2
http://www.drees.sante.gouv.fr/IMG/pdf/violence_sante_2010.pdf (p75)
Ainsi, dans l’enquête EVS (second lien), on voit que les hommes sont effectivement un peu plus nombreux à déclarer avoir été victime de violence physique (4% contre 3%). L’écart est même assez fort pour les populations "jeunes" (18-29 ans) où les hommes déclarent environ deux fois plus avoir été victime de violence physique. Mais dans tous les cas, jamais il n’est atteint (ni proche de l’être) un ratio de 4 pour 1.
@Marcel
Vous avez raison. J’ai confondu les statistiques d’homicides, et celles de la violence en général. La différence entre les sexes est bien moins marquée pour la deuxième que pour la première de ces catégories. Toutes mes excuses.
J’ajoute que les enquêtes de victimation ont tendance à sous-estimer la "violence faite aux hommes", pour la simple raison que le niveau de violence nécessaire pour qu’un homme estime avoir été agressé – et encore plus le niveau auquel il pense à porter plainte – est bien plus élevé que celui des femmes…
@vent2sable
[« C’est la complémentarité qui cimente le couple, pas l’égalité. Si on sait tout faire, alors on n’a plus besoin de l’autre ». Donc votre slogan, ce serait : « Touche pas à notre complémentarité, touche pas à nos stéréotypes de genre ! »]
Non. Tout au plus « bâtissons une nouvelle complémentarité ». On peut considérer qu’il faut une complémentarité tout en état très ouvert à un débat sur le partage exacte des tâches et des rôles. Cela étant dit, on ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre. Le parent qui représente la Loi est toujours plus loin de l’enfant que celui qui représente la transgression.
Pour ce qui concerne les « stéréotypes »… il faudrait quand même rappeler que le mot « stéréotype », qu’un certain terrorisme intellectuel a transformé en sceau d’infamie, correspond à une fonction mentale nécessaire. C’est parce que nous mémorisons des stéréotypes que nous sommes capables de reconnaître les membres d’une catégorie avec une utilisation minimale des ressources intellectuelles. Dire qu’on reconnaît un policier à son uniforme ou un éléphant à sa trompe est un « stéréotype ». Et grâce à ces stéréotypes, nous pouvons reconnaître un éléphant ou un policier sans qu’il soit besoin d’une analyse poussée de leurs propriétés. Si les hommes construisent des stéréotypes, c’est parce que ceux-ci lui sont utiles. Alors il faudrait arrêter de croire que « stéréotype=mauvais ».
[Nous sommes un couple de paisibles retraités. Moi je suis l’homme, je lis, je réfléchis je passe mes journées sur Internet à échanger de grandes idées sur les blogs. Elle, c’est ma femme, elle fait la chambre, entretient le linge et le repasse, nous fait à manger et fait la vaisselle… Le soir elle se repose devant sa série américaine ou sa télé réalité.
Nous sommes complémentaires, nous sommes heureux !]
Si vous êtes heureux, quel est le problème ? Pensez-vous que l’Etat devrait envoyer votre femme au camp de rééducation pour lui expliquer qu’il ne faut surtout pas de différence, qu’elle doit impérativement participer à des blogs – qui ne l’intéressent pas – au lieu de regarder sa télé-réalité – qui l’intéresse ? De quel droit quelqu’un d’autre que votre femme pourrait décider ce qui est bon pour elle ?
D’ailleurs, vous savez bien que les choses ne sont jamais aussi simples. Si votre femme vous supporte, si elle fait la chambre, le linge ou la cuisine pendant que vous surfez sur Internet, c’est soi qu’elle aime ça, et alors il n’y a rien à dire, soit qu’elle tire de votre relation une compensation dans un autre domaine. Sinon, pourquoi diable reste-t-elle avec vous, à votre avis ?
[Vous trouvez ça caricatural ? Mais non …]
Non. Pourquoi, je devrais ?
[enfin, pas plus que votre émouvante défense des hommes battus.]
Mon « émouvante défense des hommes battus » n’a rien de « caricatural ». Enfin, pas plus que l’émouvante défense des femmes battues qu’on peut entendre quotidiennement sur nos médias. Je vous trouve bien léger lorsque vous balayez du revers de la manche un problème qui n’a rien d’imaginaire.
[Mais plus sérieusement, comme vous l’avez fort bien expliqué, la grandeur de l’école de la république et surtout [la condition de son fonctionnement comme institution], c’est précisément que des parents convaincus d’idéologies différentes, voire opposées (comme nous), puissent confier leurs enfants à l’institution en totale confiance.]
Je ne sais pas si je pourrais aujourd’hui confier mes enfants à l’Ecole publique en toute confiance. J’avoue que sur cette question, je préfère ne pas m’engager. En tout cas, je vous prie de croire que si on avait cherché à endoctriner mes enfants avec les « ABCD de l’égalité », j’aurais vigoureusement protesté autant auprès des enseignants et de la direction et alerté les autres parents. Bien sur, cela n’aurait rien changé pour mes enfants : lorsqu’on vit dans un foyer privilégié, l’apport de l’Ecole à l’éducation des enfants est faible. Mais je pense surtout aux parents qui n’ont ni les moyens ni le temps pour compenser à la maison ce genre d’endoctrinement.
"C’est la complémentarité qui cimente le couple, pas l’égalité. Si on sait tout faire, alors on n’a plus besoin de l’autre."
Oui et Non.
Oui, et ceci explique l’évolution du couple "à vie" vers le couple "CDD".
Non, car la complémentarité n’est pas que matérielle, elle est aussi biologique, hormonale…Sinon, on apporte de l’eau au moulin des "indifférentialistes"- ce qui est peut-être l’avenir, si on continue à déconner comme les théoriciens du genre, mais un avenir cauchemardesque à mon avis.
@Albert
[Non, car la complémentarité n’est pas que matérielle, elle est aussi biologique, hormonale…]
Heureusement pour la perpétuation de notre espèce, il existe effectivement une complémentarité biologique qui est socialement irréductible. Mais cette complémentarité ne permet pas la formation de couples durables. Chez la plupart des mammifères, même les mammifères sociaux, les couples durent le temps de l’accouplement, à la rigueur la période de gestation ou d’élevage des petits, mais très rarement au delà. On est donc obligés de constater que ce qui fonde le couple durable chez l’homme, c’est une complémentarité – j’irais même jusqu’à dire une interdépendance – sociale et économique, en d’autres termes, une spécialisation des tâches qui fait que chacun a besoin de choses que seul l’autre sait ou peut faire.
[mais un avenir cauchemardesque à mon avis.]
Certainement. L’idéal des "libéraux-libertaires" est celui d’un individu jouissant d’une totale liberté. Ce qui suppose un individu libre de toute attache et tout-puissant dans ses choix. Or, comme l’avait déjà montré Daniel Defoe, le seul homme totalement libre est l’homme seul, car c’est le seul qui ne demande rien à personne et qui ne peut faire du tort à personne.
Le slogan "lutter contre toutes les dominations, contre toutes les aliénation", qui fut celui de la "gauche radicale" sous diverses formes, est lui même révélateur. Vivre en couple – ou en société – implique nécessairement une "aliénation", puisque nous sommes obligés à limiter notre liberté pour respecter les droits de l’autre. Cela suppose nous soumettre à une loi commune (c’est drôle comme on retrouve la problématique hobbésienne…) qui nous est extérieure, et donc de nous "aliéner". Refuser cette aliénation, c’est se condamner à une société "d’individus-îles", n’ayant entre eux que des rares contacts toujours négociés. C’est cela, malheureusement, que ces idéologies nous préparent.
Heureusement, la réalité a ses contraintes. Sauf dans une société infiniment riche ou les biens poussent dans les arbres, la division du travail reste l’organisation la plus rationnelle. Et cette division du travail s’imposera quelque soient les délires prônant le contraire.
Apres avoir beaucoup aimé et approuvé sans réserve votre article je voudrais revenir sur un des paragraphes de J. Ferry que vous citez :
« Vous n’avez à enseigner, à proprement parler, rien de nouveau, rien qui ne vous soit familier comme à tous les honnêtes gens. … Au moment de proposer aux élèves un précepte, une maxime quelconque, …. demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. »
A l’heure ou tout « honnête homme » curieux et moyennement cultivé se régale littéralement des émissions hebdomadaires de JC Hameisen, je veux parler de son émission « Sur les épaules de Darwin », à l’heure ou la théorie de l’évolution de Darwin est devenue aussi « familière » pour tout un chacun que pouvaient l’être les « leçons de choses » enseignées aux élèves en 1883, quelle doit être en 2014 l’attitude de l’instituteur qui compte dans sa classe des enfants dont les parents, musulmans ou chrétiens évangélistes ou juifs fondamentalistes sont créationnistes ?
@vent2sable
[quelle doit être en 2014 l’attitude de l’instituteur qui compte dans sa classe des enfants dont les parents, musulmans ou chrétiens évangélistes ou juifs fondamentalistes sont créationnistes ?]
Il n’y a là aucune ambiguïté sur cette question chez Jules Ferry, pas plus qu’il n’y en a chez moi : on enseigne la connaissance scientifique, point à la ligne. Lorsque dans la « lettre aux instituteurs » Ferry incite ceux dernier à s’abstenir de tout enseignement qui pourrait « froisser un seul honnête homme », il parle d’un cas très spécifique, celui de « l’éducation morale ». Dans ce domaine, dit Ferry, le rôle de l’instituteur se limite à l’enseignement de règles morales consensuelles auxquelles n’importe quel honnête homme ne peut que consentir. Mais cette limitation ne s’applique qu’à « l’éducation morale ». Lorsqu’il s’agit de transmettre des connaissances, qui ne sont pas des opinions mais des résultats et des lois scientifiquement établis, l’enseignant n’a pas à céder aux préjugés des parents.
La théorie de l’évolution n’est pas un « précepte » ou une « maxime » morale. C’est une théorie scientifique. En l’enseignant, le professeur est dans son rôle. Il en sortirait par contre s’il prétendait tirer de cette théorie une quelconque conséquence morale.
[[[ La théorie de l’évolution n’est pas un « précepte » ou une « maxime » morale. C’est une théorie scientifique. En l’enseignant, le professeur est dans son rôle. Il en sortirait par contre s’il prétendait tirer de cette théorie une quelconque conséquence morale. ]]]
Les partisans de la théorie du genre vous diront que c’est aussi une théorie scientifique puisqu’elle est étudiée, discutée, etc. et qu’à se titre l’école peut tout à fait l’enseigner aux élèves, au lycée par exemple où les "apprenants" (un mot merveilleux que je trouvais dans mes cours de FLE à l’université… et qui fleur bon la bien-pensance) sont en âge de l’aborder avec un certain recul.
Qu’en pensez-vous ?
Pour ma part, je pense que l’on peut discuter de la construction sociale liée au sexe biologique si la matière si prête et que les élèves ont l’âge d’en comprendre les enjeux. Cependant, je trouve que comparer la théorie de l’évolution et la théorie du genre est un peu osé, peut-être parce que je vis à une époque et dans un pays pour qui cette théorie est indiscutable. Peut-être dans cent ans la théorie du genre aura-t-elle la même crédibilité ^^.
@Courtial des Pereires
[Les partisans de la théorie du genre vous diront que c’est aussi une théorie scientifique puisqu’elle est étudiée, discutée, etc.]
Lorsqu’ils le diront, on examinera leurs arguments. Je vous fais remarquer que pour le moment la ligne de défense des partisans de la « théorie du genre » serait plutôt de nier qu’une telle « théorie » existe. Ils prétendent au contraire enseigner des « évidences ».
La théologie est enseignée, discutée… et ce n’est pas pour autant une science. Ce qui fait une science, c’est d’abord une méthode. Une méthode qui suppose en particulier que les énoncés de la théorie en question soient « falsifiables », c’est à dire, qu’ils puissent être contredits par une expérience (réelle ou imaginaire).
[Pour ma part, je pense que l’on peut discuter de la construction sociale liée au sexe biologique si la matière si prête et que les élèves ont l’âge d’en comprendre les enjeux.]
L’Ecole n’est pas un club de débat. C’est une institution qui transmet des connaissances et – avec les réserves exprimées par Ferry – un enseignement moral. L’école n’est pas un endroit ou l’on confronte des opinions plus ou moins justifiées, c’est un endroit ou l’on transmet des connaissances établies. Tout au plus on peut présenter l’état d’un débat entre scientifiques, lorsqu’un connaissance n’est pas encore tout à fait établie. Mais en matière de « construction sociale liée au sexe biologique », le niveau des connaissances est fort maigre. Parler de ce sujet à l’école devient inévitablement une confrontation d’opinions idéologiques. Pourquoi pas discuter le sexe des anges, puisqu’on y est ?
[Cependant, je trouve que comparer la théorie de l’évolution et la théorie du genre est un peu osé, peut-être parce que je vis à une époque et dans un pays pour qui cette théorie est indiscutable. Peut-être dans cent ans la théorie du genre aura-t-elle la même crédibilité.]
Dans ce cas, attendons cent ans. Rien ne presse.
"Dans ce cas, attendons cent ans. Rien ne presse."
Excellent, Descartes!
Je ne connais pas bien ces sujets (féminisme, "théorie" du genre, programme scolaire) mais j’avoue avoir du mal à suivre le fil de votre démonstration.
Le fait d’attendre que *tous* les enfants dessinent le garçon et la fille de telle façon est certes maladroit dans un document pédagogique (mais on comprend bien l’esprit, et les enseignants n’étant pas plus abrutis que les autres, ils seront je pense capables d’ouvrir la discussion et de ne pas engueuler un enfant qui fera autrement). Je suis d’accord aussi sur l’ironie de la dénonciation d’un stéréotype pour en passer sous silence un autre. Les questions que vous proposez sont évidemment très intéressantes. Et évidemment ils serait important d’aborder la question sociale (mais notez que si l’école pronait trop l’égalité… elle cesserait d’être consensuelle, et vous avez indiqué à quel point c’était indispensable).
Mais comment arrivez vous à la conclusion que tout cela relève d’un projet totalitaire ? Quelle est selon vous l’idéologie de ce projet d’ingéniérie sociale ? Faire croire qu’un homme et une femme c’est pareil ?
Plus généralement, il me semble qu’il y a quand même des sujets « féministes » importants en France en 2014, comme le viol, la violence, la sexualité… et que ces thèmes ont leur place à l’école.
@tmn
[Le fait d’attendre que *tous* les enfants dessinent le garçon et la fille de telle façon est certes maladroit dans un document pédagogique (mais on comprend bien l’esprit, et les enseignants n’étant pas plus abrutis que les autres, ils seront je pense capables d’ouvrir la discussion et de ne pas engueuler un enfant qui fera autrement).]
C’est plus que « maladroit ». Le texte donne une directive à l’enseignant qui repose sur une anticipation du comportement de la classe, comportement qu’on donne pour acquis. Seulement, comme je l’explique dans mon papier, ce comportement n’est pas forcément acquis, en particulier parce que le contexte rend vraisemblable l’erreur de l’élève, qui confondrait dans le tableau les figures des deux enfants. On a donc deux situations possibles : soit l’erreur sera présente et l’expérience aura échoué – car l’enseignant ne pourra pas tirer la conclusion qu’on attend de lui en présence d’un ou plusieurs contre-exemples – soit on demande à l’enseignant de corriger à priori l’erreur, c’est à dire de manipuler le résultat de l’expérience pour que la conclusion soit celle qu’il souhaite. Dans les deux cas, c’est désastreux.
[Et évidemment ils serait important d’aborder la question sociale (mais notez que si l’école pronait trop l’égalité… elle cesserait d’être consensuelle, et vous avez indiqué à quel point c’était indispensable).]
Je n’ai jamais écrit que l’école doive être « consensuelle » en général. Je pense qu’elle doit être « consensuelle » sur le plan des valeurs et du « roman national » qu’elle transmet. Cela ne l’empêche pas d’aborder les conflits qui traversent notre société, à condition de ne pas en faire une question morale. Une école qui dirait que les ouvriers sont « bons » et les patrons « mauvais » serait certainement hors de son rôle. Mais une école qui explique qu’il y a des différences sociales, que les riches et les pauvres ne vivent pas de la même manière, et qu’il y a des possibilités réduites mais néanmoins réelles de promotion sociale par le mérite est parfaitement dans son rôle (je n’ai d’ailleurs pas choisi l’exemple au hasard, ce sont les valeurs qu propageait l’école de la IIIème République).
[Mais comment arrivez vous à la conclusion que tout cela relève d’un projet totalitaire ? Quelle est selon vous l’idéologie de ce projet d’ingéniérie sociale ? Faire croire qu’un homme et une femme c’est pareil ?]
L’idéologie libérale issue des Lumières repose sur la séparation entre la sphère publique et la sphère privée, c’est à dire, entre les domaines dans lesquels la société a le droit d’imposer des règles, et les domaines dans lesquels les individus exercent une totale liberté. L’Etat peut m’imposer de payer des impôts ou m’interdire de tuer mon voisin, mais il ne peut m’imposer de recevoir une personne donnée à mon domicile ou dans mon lit, et encore moins me dire ce que je dois penser. Le totalitarisme, au sens propre du terme, est la caractéristique d’une idéologie qui refuse la séparation de la sphère publique et de la sphère privée en déclarant que toutes les actions et les pensées humaines relèvent de la sphère publique. L’église catholique, pour ne donner qu’un exemple, prétend régler non seulement les comportements de ses fidèles dans la sphère publique, mais aussi leur comportement privé et même leurs pensées. En ce sens, elle est totalitaire.
Le projet du « féminisme de genre » est non seulement de changer les règles qui régissent la sphère publique, mais de modifier les comportements privés et même les pensées des gens. En ce sens, il s’agit d’un projet totalitaire.
[Plus généralement, il me semble qu’il y a quand même des sujets « féministes » importants en France en 2014, comme le viol, la violence, la sexualité… et que ces thèmes ont leur place à l’école.]
Oui, mais à quel titre ? Toute connaissance, au sens scientifique du terme, a sa place à l’école. Cela ne me dérange pas qu’on discute du viol, de la violence ou de la sexualité, à condition qu’il s’agisse de transmettre un savoir, et non une idéologie. Présenter aux enfants des statistiques sur la violence, par exemple, en discutant la manière dont elles sont construites, leur pertinence et les différentes théories qui expliquent l’évolution de tel ou tel type de violence, je suis d’accord. Parler de la sexualité humaine en transmettant ce qu’on sait scientifiquement sur la question – qui est fort peu, la psychanalyse n’ayant pas le statut de science – pourquoi pas, à condition que les enfants soient dans un âge qui leur permette de comprendre de quoi on parle. Mais s’il s’agit d’évoquer viol, violence ou sexualité pour transmettre des « valeurs » morales plus ou moins déguisées, alors je dis non, sauf si les « valeurs » en question sont consensuelles dans la société. Autrement, l’école sort de son rôle et viole les consciences. Les paroles de Jules Ferry que j’ai citées me semblent de ce point de vue être toujours d’actualité.
Il est assez étonnant d’entendre les mêmes vouloir à la fois « sanctuariser l’école » lorsqu’il s’agit de faire appliquer une décision juridique et préconiser une sorte d’ « enseignement » idéologique qui, par nature n’y a pas sa place.
Malheureusement, en ce domaine, depuis de nombreuses années, les digues sont rompues, n’es-ce pas (par exemple, hélas non-exclusif) Sarkozy qui voulait faire parrainer les enfants juifs victimes du génocide nazi par des classes ?
Concernant les niaiseries du « genre », les faits là aussi sont têtus :
– Depuis au moins 1980 (limite de ma statistique) les filles réussissent mieux au bac que les garçons au bac indépendamment du type de ce dernier.
http://cache.media.education.gouv.fr/file/32/2/6322.pdf
– Itou en licence et master…
http://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2013/15/5/NI_MESR_13_02_248155.pdf
Alors le baratin idéologique…
Il est vrai que je dois être un réac inconscient car je félicitais ma fille, alors petite, pour ses dessins où l’élément féminin était toujours vêtu d’une belle robe (dans ce cas, parfois des fleurs)…
@morel
[Malheureusement, en ce domaine, depuis de nombreuses années, les digues sont rompues, n’es-ce pas (par exemple, hélas non-exclusif) Sarkozy qui voulait faire parrainer les enfants juifs victimes du génocide nazi par des classes ?]
Je crois que c’est un mauvais exemple. Sarkozy a bien proposé cette idée dans un discours, mais il faut lui reconnaître une capacité de reconnaître très vite son erreur. La mesure n’a jamais reçu un commencement d’exécution. Dans cette affaire, les « digues » ont plutôt bien tenu. Une des paradoxes de notre pays, c’est que la gauche a plus fait pour détruire l’éducation nationale que la droite. Non pas parce que ses idées soient pires – depuis que les classes moyennes ont pris le pouvoir, de sont les mêmes – mais parce que lorsque la droite est au pouvoir le corps enseignant se raidit et sabote les réformes, alors qu’il les embrasse avec passion lorsque le gouvernement est de gauche.
[Il est vrai que je dois être un réac inconscient car je félicitais ma fille, alors petite, pour ses dessins où l’élément féminin était toujours vêtu d’une belle robe (dans ce cas, parfois des fleurs)…]
Horreur ! Malheur !
@Courtial des Pereires : quand je lis l’anecdote sur l’enseignement concernant les mœurs de la Grèce Antique, les bras m’en tombent. Les élèves ont tellement à apprendre des grands penseurs grecs et des mythes grecs, mais ça fait tellement plus moderne de parler de sexe à des ados tout juste pubères. Si pendant le débat sur le "mariage pour tous", un prof de philo avait donné comme sujet de dissertation le fait que le mariage et la filiation ont toujours été hétérosexuels même dans les sociétés intellectuellement avancées et où la pédérastie était considérée comme normale comme la Grèce Antique, et donné à réfléchir sur la question à des lycéens, là il aurait fait son boulot et lancé un sujet intéressant et polémique.
A propos de la "théorie du genre" : j’ai connu des filles accros qui m’ont raconté qu’elle était d’origine française, issue du fameux "On ne nait pas femme, on le devient" de Simone de Beauvoir. Les penseurs français contemporains de de Beauvoir ou qui sont venus après n’ont pas vraiment lancé d’école "constructionniste" (preuve du "machisme français", selon mes copines), qui s’est surtout beaucoup développée aux Etats-Unis, avec les gender studies (et les délires qui ont avec).
Après je ne sais pas si c’est exact, mais en effet, on pourrait lier la pensée de de Beauvoir à ce mouvement. Il me semble me rappeler du bouquin le 2ème sexe que l’auteur saluait la réflexion matérialiste de Engels concernant l’amélioration de la productivité dans l’histoire indispensable à l’amélioration de la condition des femmes, mais qu’elle lui reprochait de s’en tenir au prisme économique. De plus, il me semble qu’elle considérait que le capitalisme était un ennemi des femmes (alors qu’à mon sens, c’est beaucoup plus ambigu : en sortant les femmes du foyer pour servir de main d’œuvre – même peu qualifiée, il a participé à son émancipation).
Descartes, tu évoques dans tes réponses l’efficacité économique pour expliquer la répartition des rôles dans les sociétés humaines, ce qui est vrai et ne veulent pas admettre certaines féministes pour qui les discriminations à l’égard des femmes venaient d’un grand complot machiste depuis la sortie de la caverne. Ça me rappelle les attaques des communistes de l’époque de de Beauvoir quand elle critiquait le devoir de natalité imposé par l’Etat/l’Eglise au cours des siècles, les communistes la considérant comme une bourgeoise déconnectée des réalités sociales des travailleuses, surtout en pleine période de reconstruction d’un pays ravagé par la guerre.
On observe dans toutes les sociétés qui voient une amélioration du niveau de vie général, de l’espérance de vie et de l’accès aux soins une chute de la natalité (par exemple le Magreb où malgré l’emprise de l’Islam, ils sont passés d’un taux de 6 enfants par femme à 3 en ½ siècle), et donc du temps libre aux femmes pour s’instruire et investir la sphère publique, comme quoi, la réflexion matérialiste d’Engels a toujours sens.
Parler de "complot millénaire" pour des siècles où l’espérance de vie était de 40 ans, où la mortalité infantile était élevée, les femmes mouraient souvent en couches, des sociétés majoritairement agricoles, où la guerre était une réalité tangible, est une aberration. C’est ça qu’on devrait expliquer aux enfants et non les gender studies sans intérêt.
@Descartes et aussi @Courtial des Pereires et @Bannette.
Au sujet de la soi-disant anecdote « Courtial des Pereires » :
« les grecs avaient une femme pour faire des enfants et des hommes pour assouvir des plaisirs sexuels »
Attribuer comme ça, des paroles à « une professeure » qui se serait adressée à « une classe d’enfants de 11 ans », lesquelles paroles « auraient été rapportées » par un de ces élèves de 11 ans … Tout ça me semble assez loin de ce que vous, Descartes, exigez généralement des intervenants sur ce site à savoir : « quelles sources ? Quelles références ? ».
Je connais pas mal de profs de collège, jeunes, moins jeunes, des profs membre ma propre famille, mes sœurs, mes propres filles profs, leurs amis profs que je rencontre. J’ai révisé très récemment l’histoire de la Grèce antique avec une de mes petites filles en classe 6ème.
Et bien, je n’imagine absolument pas un prof de collège prononçant la phrase que vous "citez", face à un auditoire d’enfants de 11ans.
On déplore tous, à juste titre, qu’Internet puisse mettre en ligne des foutaises, méfions nous de ne pas tomber nous-mêmes dans cette facilité.
@bannette
[Les élèves ont tellement à apprendre des grands penseurs grecs et des mythes grecs, mais ça fait tellement plus moderne de parler de sexe à des ados tout juste pubères.]
Tu soulignes là un point auquel je n’avais pas pensé. A notre époque hypersexualisée, ou les enfants entendent parler sexe et peuvent discuter la question avec leurs parents dans un climat de liberté impensable il y a trente ans, on pourrait se demander pourquoi faut-il que l’école aborde le sujet. J’y vois une malheureuse tendance dérivée de la culture de consommation : le client étant roi, l’école se sent obligée de parler des sujets qui intéressent les élèves. Bien sur, en parlant de sexe on attire tout de suite l’attention, alors qu’en parlant de science, de littérature… bof. Or, l’Ecole est précisément là pour intéresser les élèves à des sujets auxquels ils ne penseraient pas spontanément.
[A propos de la "théorie du genre" : j’ai connu des filles accros qui m’ont raconté qu’elle était d’origine française, issue du fameux "On ne nait pas femme, on le devient" de Simone de Beauvoir. Les penseurs français contemporains de de Beauvoir ou qui sont venus après n’ont pas vraiment lancé d’école "constructionniste" (preuve du "machisme français", selon mes copines), qui s’est surtout beaucoup développée aux Etats-Unis, avec les gender studies (et les délires qui ont avec). Après je ne sais pas si c’est exact, mais en effet, on pourrait lier la pensée de de Beauvoir à ce mouvement.]
Oui et non. Au delà de la formule, les idées que de Beauvoir défend dans « Le deuxième sexe » sont assez différentes – voire contradictoires – avec celles propagées par les tenants de la « théorie du genre ». Beauvoir ne nie jamais la différence sexuelle, au contraire. Se plaçant dans une perspective existentialiste, elle considère que les femmes et les hommes « existent » comme deux réalités. Si pour Beauvoir la femme – en tant que stéréotype – se construit socialement, elle admet tout à fait que la différentiation entre les sexes n’est pas une pure construction sociale, mais a une base biologique et matérielle. Mais surtout, et c’est en cela que Beauvoir se distingue des « théoriciens du genre », elle reproche moins aux hommes qu’aux femmes elles-mêmes leur aliénation.
[On observe dans toutes les sociétés qui voient une amélioration du niveau de vie général, de l’espérance de vie et de l’accès aux soins une chute de la natalité (par exemple le Magreb où malgré l’emprise de l’Islam, ils sont passés d’un taux de 6 enfants par femme à 3 en ½ siècle), et donc du temps libre aux femmes pour s’instruire et investir la sphère publique, comme quoi, la réflexion matérialiste d’Engels a toujours sens.]
Oui. En fait, ce n’est pas tant l’amélioration du niveau de vie que l’amélioration de la productivité. Lorsque la productivité est faible, le surplus l’est aussi, et il faut à un couple de nombreux enfants pour garantir sa vieillesse. Dès lors que deux enfants suffisent à assurer les vieux jours des parents – ou que la création des régimes de sécurité sociale et de retraite assurent les gens contre les accidents de la vie et la vieillesse, la natalité diminue rapidement.
[Parler de "complot millénaire" pour des siècles où l’espérance de vie était de 40 ans, où la mortalité infantile était élevée, les femmes mouraient souvent en couches, des sociétés majoritairement agricoles, où la guerre était une réalité tangible, est une aberration. C’est ça qu’on devrait expliquer aux enfants et non les gender studies sans intérêt.]
Tout à fait !
@vent2sable
[Au sujet de la soi-disant anecdote « Courtial des Pereires » : (…) Attribuer comme ça, des paroles à « une professeure » qui se serait adressée à « une classe d’enfants de 11 ans », lesquelles paroles « auraient été rapportées » par un de ces élèves de 11 ans … Tout ça me semble assez loin de ce que vous, Descartes, exigez généralement des intervenants sur ce site à savoir : « quelles sources ? Quelles références ? ».]
Franchement, on peut demander des sources quand on cite la parole d’expert ou un fait historique, mais difficilement pour une anecdote personnelle… C’est pourquoi d’ailleurs, contrairement à une référence aux faits ou aux experts, une anecdote n’a pas la moindre autorité. Ce n’est qu’une illustration, elle ne prouve rien. Entre autres choses, parce que même si elle est vraie, on pourrait rétorquer qu’on peut trouver toujours un professeur fou capable de faire n’importe quel commentaire.
Une anecdote c’est cela : une illustration. Rien de plus.
[Et bien, je n’imagine absolument pas un prof de collège prononçant la phrase que vous "citez", face à un auditoire d’enfants de 11ans.]
Et bien, je trouve que vous avez une imagination très limitée. Je peux parfaitement imaginer un professeur de collège faisant ce type de remarque, parce que j’ai des exemples vécus avec des choses équivalentes ou pires.
[On déplore tous, à juste titre, qu’Internet puisse mettre en ligne des foutaises, méfions nous de ne pas tomber nous-mêmes dans cette facilité.]
Je trouve que vous allez un peu vite en traitant de « foutaise » ce qu’un autre commentateur raconte, alors que vous n’avez aucun élément factuel pour justifier votre méfiance.
@ Descartes
On commence par dire que les profs enseignent aux enfants de 11 ans que « les grecs avaient des hommes pour assouvirent leurs plaisirs sexuels » et puis d’autres affirment qu’on distribue des peluches en forme de phallus en maternelle, et puis qu’on déguise les garçons en fille et les filles en garçon et pour finir on affirme qu’on recommande la masturbation aux enfants de 6 ans.
Il suffit donc d’évoquer une anecdote recueillie par oui dire pour qu’on la commente comme une réalité [les bras m’en tombent] ou encore [L’enseignant qui a raconté cette histoire à votre cousin (…) montre une ignorance sidérante de la psychologie d’un enfant de 11 ans.]
Pas besoin de faits précis donc, une rumeur suffit largement.
@vent2sable
Quel intérêt aurais-je à inventer une telle histoire ? Je n’en vois aucun. Par conséquent, je suppose que ce n’est pas moi que vous accusez d’être un menteur mais mon cousin de 11 ans.
Et bien, sachez que c’est bien possible. Les enfants inventent des choses à cet âge là, surtout pour faire les malins face aux plus grands. Cependant, j’ai assez peu de raison de penser qu’il aurait pu inventer ça tout seul, ou que ses amis le lui auraient dit, ou qu’il l’aurait vu dans un reportage à la télé, et surtout pas que sa mère n’ait pu lui dire quelque chose comme ça.
Je vous rassure, j’ai été très surpris par ce qu’il m’a dit, et c’est aussi pour ça que j’ai précisé qu’il avait peut-être reformulé ce que sa professeure avait dit avec ses mots à lui.
Je vais tout de même en reparler avec lui pour être bien certain de ce qu’il a avancé.
@vent2sable
[On commence par dire que les profs enseignent aux enfants de 11 ans que « les grecs avaient des hommes pour assouvirent leurs plaisirs sexuels » et puis d’autres affirment qu’on distribue des peluches en forme de phallus en maternelle, et puis qu’on déguise les garçons en fille et les filles en garçon et pour finir on affirme qu’on recommande la masturbation aux enfants de 6 ans.]
Corrigez-moi si je me trompe, mais il me semble me souvenir que dans un échange précédent vous aviez critiqué l’argumentation de ce type utilisée par les adversaires de la loi dite « du mariage pour tous ». Ceux-ci affirmaient, là aussi, qu’on commence par ouvrir le mariage aux homosexuels et qu’on finit par autoriser la PMA, la GPA puis par abolir la famille… Alors faudrait savoir : si vous rejetez l’argument de la « pente savonneuse » chez les autres, vous ne pouvez pas ensuite l’utiliser vous même…
La diffusion de ces rumeurs – et le fait que les gens y croient – devrait vous poser des questions. Si quelqu’un vous raconte que des rhinocéros furieux chargent les touristes dans les escaliers de la Tour Eiffel, le plus probable est que la rumeur n’aille pas très loin. Alors pourquoi tout à coup les gens acceptent de croire que dans nos écoles on distribue des peluches en forme de phallus en maternelle, qu’on déguise les garçons en fille et les filles en garçon, ou qu’on y fait la promotion de la masturbation ? Pourtant, ces affirmations ne sont-elles pas aussi absurdes que le rhinocéros de la Tour Eiffel, au point que vous leur refusez le moindre crédit sans même considérer nécessaire de les examiner ?
Pour qu’une rumeur puisse circuler, il faut d’abord qu’elle soit vraisemblable, et ensuite que les gens aient envie d’y croire. Alors, demandez-vous ce qui s’est passé ces dernières années qui rend vraisemblable – à défaut d’être vrai – l’affirmation comme quoi on distribue des peluches en forme de phallus ou on encourage la masturbation dans nos écoles. La réalité est que les discours délirants de nos « pédagogogues » ont fini par entamer la crédibilité de l’institution. Ce qui dans la bouche des Meirieu et consorts n’était que des jeux intellectuels a fini par persuader la population qu’à l’école tout devenait possible, que plus aucune digue n’était sûre devant les assauts des militants de diverses « causes » pédagogiques persuadés de détenir la vérité et décidés à l’imposer quelque en en soient les conséquences.
L’Ecole publique est d’abord un pacte de confiance entre les parents et l’Etat représenté en l’espèce par le corps enseignant. Lorsque les parents sont prêts à croire – que ce soit vrai ou faux importe peu – que les enseignants auxquels ils confient leurs enfants sont susceptibles de leur faire du mal, c’est que l’institution a échoué à préserver cette confiance. C’est cela qui est grave dans cette affaire. Mais comme toujours chez les bienpensants, on prendra le symptôme pour la cause. Tout ça, c’est la faute aux parents « réactionnaires » qui sont prêts à croire n’importe quoi et ne comprennent pas l’excellence des programmes « diversitaires ».
[Il suffit donc d’évoquer une anecdote recueillie par oui dire pour qu’on la commente comme une réalité [les bras m’en tombent] ou encore [L’enseignant qui a raconté cette histoire à votre cousin (…) montre une ignorance sidérante de la psychologie d’un enfant de 11 ans.]]
L’anecdote en question n’est pas recueillie par « ouie-dire », puisque la personne a raconté une anecdote qu’elle à vécu. Vous pouvez l’accuser éventuellement de mensonge, mais certainement de réagir par « ouie-dire ». Je trouve tout de même étrange votre véhémence à dénoncer une « rumeur », d’autant plus que vous n’avez aucun élément factuel pour établir qu’il s’agit bien d’une rumeur.
[Pas besoin de faits précis donc, une rumeur suffit largement.]
Oh… mais il y a dans cette affaire un « fait » très précis : que les gens croient et colportent ces rumeurs. Il n’est pas inutile de se demander qu’est ce qui fait que ces rumeurs sont devenues aujourd’hui vraisemblables…
@ Courtial des Pereires
Je vous en prie, ne prenez pas la peine de tirer les vers du nez de ce charmant bambin de 11 ans pour tenter de reconstituer à postériori les paroles exactes de sa prof d’histoire.
Ma remarque n’avait pas pour but de rétablir une vérité « historique », probablement impossible à établir.
Ce que je voulais pointer du doigt avec ma remarque, c’est qu’il ne faut pas, ici non plus, céder à des préjugés, à des stéréotypes et coller trop rapidement des étiquettes aux profs.
Si vous fréquentez les professeurs, et les profs d’histoire en particulier, vous trouverez chez eux une grande conscience professionnelle, la vocation de transmettre, d’éveiller le sens critique, de faire réfléchir.
Au programme de 6ème, l’étude de la civilisation grecque, en deux, trois heures maximum de cours, en partant du monde grec antique, jusqu’aux conquêtes d’Alexandre, à l’émergence et la monté en puissance de Rome, relève de l’exploit, qui ne laisse guère de place à la fantaisie.
Il n’est pas interdit de penser qu’un élève, en s’appuyant sur le manuel, puisse poser une question sur les représentations explicites qui décoraient les vases grecs. Le prof s’efforcera en général de répondre le plus sobrement possible, parce que, à cet âge là, les évocations sexuelles ont vite fait de dégénérer en fou rire général.
Rabaisser la pédagogie à :
[ …en parlant de sexe on attire tout de suite l’attention, alors qu’en parlant de science, de littérature… bof.]
me semble une critique injuste et surtout injustifiée et pour le coup non documenté.
Pour revenir sur le sujet de l’ABCD de l’égalité, il se pourrait bien que, précisément, la solution vienne des profs sur le terrain. Parce qu’eux, au quotidien, ne laissent pas se développer dans leurs classes des comportements sexistes ou des brimades, qu’elles soient à l’encontre des filles ou d’autres catégories.
Et ils ne se laissent pas non plus déstabiliser par une administration qui leur sort une réforme à chaque changement de ministre.
Pour eux aussi : « Les chiens aboient et la caravane passe ».
@ vent2sable
[Si vous fréquentez les professeurs, et les profs d’histoire en particulier, vous trouverez chez eux une grande conscience professionnelle, la vocation de transmettre, d’éveiller le sens critique, de faire réfléchir.]
Pas tous, malheureusement… mais il est vrai que les professeurs d’histoire, comme ceux de sciences « dures », sont les moins sensibles aux sirènes de l’école post-moderne. Peut-être parce que la formation de l’historien, comme celle du scientifique, vaccine un peu contre le dogmatisme.
[Rabaisser la pédagogie à : « …en parlant de sexe on attire tout de suite l’attention, alors qu’en parlant de science, de littérature… bof » me semble une critique injuste et surtout injustifiée et pour le coup non documenté.]
Désolé, mais l’affaire est bien documentée. Il y a depuis quelques années une tendance quasi-obsessionnelle de certains professeurs – et je vous parle là d’expérience personnelle – de parler de sexe aux bambins. Que ce soit à propos de littérature, d’art plastique, de philosophie… et même de géographie.
[Pour revenir sur le sujet de l’ABCD de l’égalité, il se pourrait bien que, précisément, la solution vienne des profs sur le terrain. Parce qu’eux, au quotidien, ne laissent pas se développer dans leurs classes des comportements sexistes ou des brimades, qu’elles soient à l’encontre des filles ou d’autres catégories.]
Msieu ! Msieu ! et s’il n’appartient à aucune « catégorie », on peut le taper ?
Je ne sais pas si vous vous rendez compte vous-même de ce que vous dites. L’école accueille les enfants comme des individus, pas comme membres d’une « catégorie ». Elle doit les protéger des brimades en tant qu’êtres humains qui ont à ce titre des droits, et non pas en tant qu’avatars d’un « moi » collectif communautaire. Quant aux « comportements sexistes », j’aimerais bien que quelqu’un me les définisse. Moi, quand j’étais au lycée, je ne sortais qu’avec des filles. Aujourd’hui, on m’accuserait-on de « sexiste » parce que je refusais de sortir avec des garçons ?
@Descartes
Fort aimablement, vous me dites:
[Je ne sais pas si vous vous rendez compte vous-même de ce que vous dites]
Donc, vous vous demandez « si je me rends compte moi-même de ce que j’ai dit ».
Qu’ai-je donc dit de si grave ?
[(… les profs ) ne laissent pas se développer dans leurs classes (…) des brimades, qu’elles soient à l’encontre des filles ou d’autres catégories.]
Et de là, vous affirmez que ma phrase suggère que, l’école s’adresse à des « catégories » et non à des « êtres humains ».
Mais non Descartes, dans ma phrase, ce n’est pas l’école qui s’adresse à « des catégories », ce sont les brimades et les vexations des enfants.
Que disent les enfants :
« On ne parle pas à celui-là, c’est un vrai bourge. »
« Toi, le rouquin, tu la fermes »
« T’es un vrai clochard, ton père roule dans une 309 de 15 ans »
« Tu pues, t’habites aux HLM d’en bas »
Les enfants, (les adultes aussi) rangent leurs congénères en catégories.
En quelque sorte, nous rassemblons ceux qui ne sont pas comme nous, pour mieux les exclure.
Exemple : Je n’aime pas Machin, c’est un coco, … ou un catho, …ou un bobo, … ou un syndicaliste, ou un post soixante-huitard, … ou un romanichel, un noir, un arabe, etc etc
Les enfants, spontanément, stigmatisent les catégories auxquelles ils n’appartiennent pas, et les profs ou l’école en général, ne les laissent faire.
Lisez juste pour essayer de comprendre ce que je dis, sans chercher à le déformer, vous verrez qu’il n’y a rien de diabolique dans ma phrase.
@vent2sable
[Donc, vous vous demandez « si je me rends compte moi-même de ce que j’ai dit ».
Qu’ai-je donc dit de si grave ?]
En quelques mots, tu as décrit la fonction des enseignants comme étant de combattre les brimades « à l’encontre des catégories ». Ce n’est donc plus l’individu qui est brimé, c’est la « catégorie » à laquelle il appartient. On ne brimerait plus Mohamed, on brimerait « les musulmans ». Formuler les choses de cette manière, c’est abandonner le principe fondamental de notre République, à savoir, que nous avons des droits en tant qu’individus, et non en tant que membres de tel ou tel groupe. Si Mohamed est brimé, c’est Mohamed qui mérite d’être protégé par l’institution, et non mas « les musulmans » en général.
[Et de là, vous affirmez que ma phrase suggère que, l’école s’adresse à des « catégories » et non à des « êtres humains ».]
Je ne « suggère » rien du tout. Je me contente de citer votre phrase : il s’agit pour l’enseignant de combattre les brimades « à l’encontre des catégories ». Que votre phrase ait dépassé votre pensée, c’est possible – c’est cela que je dis lorsque j’écris que vous ne vous êtres pas rendu compte de ce que vous écriviez – mais le texte est là, en noir sur blanc.
[Mais non Descartes, dans ma phrase, ce n’est pas l’école qui s’adresse à « des catégories », ce sont les brimades et les vexations des enfants.
Que disent les enfants :
« On ne parle pas à celui-là, c’est un vrai bourge. »
« Toi, le rouquin, tu la fermes »
« T’es un vrai clochard, ton père roule dans une 309 de 15 ans »
« Tu pues, t’habites aux HLM d’en bas »
Les enfants, (les adultes aussi) rangent leurs congénères en catégories.]
Et alors ? Diriez-vous qu’il s’agit de brimades contre les bourgeois, les rouquins, les clochards ou les habitants d’HLM ? Bien sur que non. Il y a une différence entre classer ses congénères en catégories, et « brimer une catégorie ». Je doute fort que les collégiens que vous citez aient pour ambition de faire taire les rouquins en général, comme « catégorie ». Avec votre logique, d’ailleurs, tout insulte – tout éloge aussi, d’ailleurs – repose sur une catégorisation, puisque traiter quelqu’un de « sale con » revient à le classer dans la catégorie des sales cons.
[Les enfants, spontanément, stigmatisent les catégories auxquelles ils n’appartiennent pas, et les profs ou l’école en général, ne les laissent faire.]
Je n’ai pas l’impression que les enfants de banlieue aient envie de « stigmatiser spontanément » les stars du rap ou du cinéma, et pourtant on peut difficilement dire qu’ils appartiennent à cette catégorie-là. La mécanique de la stigmatisation est bien plus complexe et moins caricaturale que vous ne le pensez. Je remarque par ailleurs que nous avons passé des « brimades à l’encontre d’une catégorie » à la « stigmatisation d’une catégorie », deux choses radicalement différentes.
[Lisez juste pour essayer de comprendre ce que je dis, sans chercher à le déformer, vous verrez qu’il n’y a rien de diabolique dans ma phrase.]
C’est précisément ce que j’ai fait. Ce que vous me reprochez, c’est précisément d’avoir cherché à comprendre ce que vous disiez, au lieu de chercher à lire dans vos pensées…
Historique de l’ABC de l’égalité.
Au départ, Projet de loi d’orientation pour la refondation de l’école de la République. Le Chapitre 1er Section I Article 3, est à lire : http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r0767-tI.asp#P3692_661732
Extrait significatif :
« En effet, le rapport de la concertation pour la refondation de l’école d’octobre 2012 souligne à juste titre que « l’école française, en son sein comme dans son rapport avec ses partenaires du monde extérieur (collectivités territoriales, associations, entreprises), a encore du mal à gérer les différences de tous ordres : diversités culturelles et religieuses résultant de l’intégration de populations immigrées, bien sûr, mais aussi situations de handicap, normes sociales divergentes, ou encore hétérogénéité des pratiques professionnelles. C’est, trop souvent, davantage sur le mode de la cohabitation conflictuelle que du partage et de l’enrichissement mutuel que se vit à l’École le rapport à l’autre. »
Ce rapport observe également qu’« aux premières heures de la IIIe République, (…) chaque enfant – mais aussi chaque enseignant – fut sommé d’abandonner sa culture régionale, familiale ou étrangère et sa singularité aux portes des établissements scolaires qui ne toléraient pas l’écart à l’égard de la norme. Qu’on le déplore ou non, cette posture de l’institution scolaire n’est plus envisageable dans la société du XXIe siècle. Il s’agit désormais de construire, comme l’atelier "citoyenneté et vie scolaire" l’a appelé, un "pluralisme raisonnable", dans le cadre d’un ensemble de valeurs communes, fortes et structurantes, références centrales de la communauté nationale – au premier rang desquelles figure la laïcité. Cette question est d’ailleurs l’objet de la mission sur la morale laïque mise en place par le ministère. »
La loi adoptée, mise en place d’une convention interministérielle (dont Education et Droits de la femme) : http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=67018
Quelques extraits :
« Préjugés et stéréotypes sexistes, ancrés dans l’inconscient collectif, sont la source directe de discriminations et, à ce titre, doivent être combattus dès le plus jeune âge. »
Forger l’homme nouveau ?
« – Rendre visibles les recherches sur le genre et les expert(e)s à travers la mise en place de recensements nationaux. Réaliser un travail de vulgarisation et de diffusion des recherches sur le genre. Les noms des expert(e)s susceptibles d’intervenir dans les cycles de formation sur l’égalité seront répertoriés. »
Enfin la déclinaison :
http://18b-gouttedor.scola.ac-paris.fr/IMG/pdf/POINT_INFO_-_ABCD_Qu_est_ce_que_c_est_DGESCO_janv2014.pdf
« Comment les ABCD ont-t-ils été élaborés ?
Un comité d’experts de 25 personnes – chercheurs, enseignants, conseilleurs pédagogiques, inspecteurs généraux, acteurs du réseau droits des femmes, associations – a mis au point des outils pédagogiques adaptés. »
@morel
[Historique de l’ABC de l’égalité (…)]
Merci beaucoup de ces rappels, de « ce bilan triste à pleurer qui consacre notre faillite », comme chantait Léo Ferré dans « la vie d’artiste ». Quelques remarques :
[« aux premières heures de la IIIe République, (…) chaque enfant – mais aussi chaque enseignant – fut sommé d’abandonner sa culture régionale, familiale ou étrangère et sa singularité aux portes des établissements scolaires qui ne toléraient pas l’écart à l’égard de la norme. Qu’on le déplore ou non, cette posture de l’institution scolaire n’est plus envisageable dans la société du XXIe siècle ».]
La question évidente que pose cette affirmation est « pourquoi ». Et c’est la question qui tue. Car qu’est ce qui permettait à l’école de la IIIème République – et celle de la IVème et des débuts de la Vème, par parenthèse – de « sommer », alors que celle d’aujourd’hui ne le pourrait pas ? Voilà une question qu’elle est bonne, n’est ce pas ?
Et cette question nous ramène, comme toujours, à l’ascenseur social. L’école de la IIIème République pouvait imposer cette neutralité de l’espace scolaire qui obligeait chacun a laisser sa religion, sa communauté et sa famille à la porte parce qu’elle offrait beaucoup en échange : le savoir, l’intégration à la nation, la promotion sociale. Et si l’Ecole du XXIème siècle pouvait offrait tout cela, elle pourrait exiger autant que celle du XIXème. Postuler qu’elle ne le peut pas, c’est se résigner par avance à l’idée que l’Ecole n’offre plus rien, ou en tout cas pas assez pour imposer ses règles.
[« Il s’agit désormais de construire, comme l’atelier "citoyenneté et vie scolaire" l’a appelé, un "pluralisme raisonnable", dans le cadre d’un ensemble de valeurs communes, fortes et structurantes, références centrales de la communauté nationale – au premier rang desquelles figure la laïcité »]
Tout ça n’est pas très cohérent. Que fera-t-on à chaque fois que les valeurs des élèves entreront en conflit avec ces « valeurs communes, fortes et structurantes, références centrales de la communauté nationale » ? D’un côté on critique l’école de ne pas s’adapter aux « différences », de l’autre on pose un « cadre » unique. Faudrait savoir… Le problème est que ceux qui proposent cette nouvelle école croient qu’il existe un « cadre » raisonnable que tous les élèves, quelque soient leurs origines, leur religion ou leur culture peuvent accepter naturellement, sans conflit. C’est bien entendu faux : ce qui nous paraît « naturel » ne l’est certainement pas pour tout le monde…
[« Rendre visibles les recherches sur le genre et les expert(e)s à travers la mise en place de recensements nationaux. Réaliser un travail de vulgarisation et de diffusion des recherches sur le genre. Les noms des expert(e)s susceptibles d’intervenir dans les cycles de formation sur l’égalité seront répertoriés »]
Les (e) sont particulièrement savoureuses… Remarquez, ce tralala pseudo-féministe n’est pas perdu pour tout le monde. Il fait vivre beaucoup de « expert(e)s », grassement payé(e)s pour pondre des rapports et des fiches, participer dans des commissions et intervenir dans des colloques. Et comme on n’est jamais aussi bien servi que par soi même, pourquoi ne pas mettre dans les documents officiels un paragraphe sur la diffusion des travaux et les repérage des noms des heureux bénéficiaires… qui sont en général les mêmes qui écrivent les textes en question.
@Descartes
Il y aurait trop à dire sur ce fatras idéologique aussi je me suis abstenu à une exception près à commenter…
Accablement ? J’ai oublié de mentionner le saint des saints :
"Le cinquième rapport de la commission européenne sur l’égalité entre les femmes et les hommes invite à accorder une attention particulière à la lutte contre les stéréotypes sexistes dans l’éducation et ce, dès le plus jeune âge."
qui figure dans la convention interministérielle.
Mea culpa.
@ Morel
Merci Morel, le texte de la loi, dont vous nous donnez le lien, ne se lit pas facilement, mais ils est d’un très haut intérêt.
En particulier on y lit un constat sévère, une description minutieuse et sans concession, de ce que nous avons parfois appelé « le naufrage de l’Education Nationale ».
Un citoyen ordinaire, peu habitué à la lecture du journal officiel, peut quand même raisonnablement se demander si les parlementaires lisent ces milliers de pages, ces centaines d’ouvrages de références, ces centaines d’auditions et de rapport d’experts avant de voter.
La lecture de ce texte de loi, nous suggère, au moins, deux grandes familles de réflexions :
1/ Sur le sujet du jour, l’ABCD de l’égalité, Morel nous rappellent que cette convention interministérielle n’est pas que la mise en pratique d’idéologies issues d’un groupe politique ou d’un groupe de technocrates du ministère. C’est la mise en pratique d’une loi de république, votée par le législateur.
Et donc, mettre en évidence aujourd’hui, comme le fait Descartes, des contradictions entre cette loi et des directives de Jules Ferry, au XIXème siècle, peut s’avérer intellectuellement intéressant, mais ne retire rien au fait que cette loi a été étudiée, votée par le parlement et que donc elle s’applique.
2/ La lecture du projet de loi, devenu loi, nous interpelle sur un autre point : S’il est bien exacte que cette loi parle un peu d’égalité homme/femme, ce n’est qu’une toute petite partie de l’objet de cette loi.
Cette loi dite de refonte de l’Education Nationale, a été rendue nécessaire par un constat d’échec, largement repris dans l’introduction de la loi. Sans reproduire le catalogue du long préambule à la loi, je citerai pour exemple :
…
– Une part croissante d’élèves en difficulté
– Une école qui transforme les inégalités sociales en inégalités scolaires
– Un échec scolaire massif
– Une école qui oriente par l’exclusion
– Une formation professionnelle des maîtres, sacrifiée
– etc … il y en a comme ça plusieurs pages.
Comment en partant d’un tel constat catastrophique, au moment de passer à l’action, nos dirigeants finissent par accoucher de cette fameuse convention interministérielle qui, certes, se propose de traiter de l’intéressant sujet des inégalités Hommes / Femmes, mais ne fait pas beaucoup, voire pas du tout, progresser le redressement de notre système éducatif.
On en retire une fois de plus l’impression désagréable que, pendant que les politiques, et toute l’opinion publique avec eux, se passionnent et se partagent sur des sujets dits « sociétaux », le paquebot continue de foncer dans l’indifférence générale vers les icebergs et le naufrage annoncé.
@ vent2sable
[1/ Sur le sujet du jour, l’ABCD de l’égalité, Morel nous rappellent que cette convention interministérielle n’est pas que la mise en pratique d’idéologies issues d’un groupe politique ou d’un groupe de technocrates du ministère. C’est la mise en pratique d’une loi de république, votée par le législateur.]
Et alors ? Franchement, je vois mal le sens de cet argument. Personne n’a dit que « l’ABCD de l’égalité » soit illégal. Mais de la même manière que la loi permet de mettre « l’ABCD » en question au programme, la loi permet aux parents qui n’auraient pas confiance dans l’éducation nationale de mettre leurs enfants dans des écoles privées ou de les instruire à la maison. C’est de ça que nous avons envie ?
[Et donc, mettre en évidence aujourd’hui, comme le fait Descartes, des contradictions entre cette loi et des directives de Jules Ferry, au XIXème siècle, peut s’avérer intellectuellement intéressant,]
Je ne crois pas avoir « mis en évidence » aucune « contradiction entre la loi et les directives de Jules Ferry ». S’il vous plaît, ne m’attribuez pas des actions ou des paroles qui ne sont pas les miens. Si j’ai cité le texte de Ferry, c’est d’une part parce que je pense qu’il résume ma pensée avec une qualité littéraire que – hélas ! – je ne possède pas, et d’autre part parce que je pense que ce texte reste la meilleure analyse qu’on ait fait de la question de l’enseignement moral à l’école. En cent trente ans elle n’a pas pris une ride.
[mais ne retire rien au fait que cette loi a été étudiée, votée par le parlement et que donc elle s’applique.]
Personne, à ma connaissance, n’a contesté ce point. Cela étant dit, ce n’est pas parce que le Parlement a voté une loi que celle-ci devient incontestable. Le Parlement vote un grand nombre de textes imbéciles, réactionnaires ou clientélistes. Qui s’appliquent, bien entendu.
[2/ La lecture du projet de loi, devenu loi, nous interpelle sur un autre point : S’il est bien exacte que cette loi parle un peu d’égalité homme/femme, ce n’est qu’une toute petite partie de l’objet de cette loi.]
Vous avez raison. La loi en question contient un grand nombre de conneries, en addition à celles sur la soi disant « égalité homme/femme ».
[Cette loi dite de refonte de l’Education Nationale, a été rendue nécessaire par un constat d’échec, largement repris dans l’introduction de la loi. Sans reproduire le catalogue du long préambule à la loi, je citerai pour exemple (…)]
Objection, votre honneur. Les difficultés dont vous parlez ont peut-être rendue nécessaire UNE loi. Mais avant d’affirmer qu’elles ont rendu nécessaire CETTE loi, il faudrait démontrer a) que cette loi résout les difficultés en question et b) qu’aucune autre loi aboutissant à ce résultat n’était possible. Je vous souhaite bien du plaisir…
[- Une part croissante d’élèves en difficulté
– Une école qui transforme les inégalités sociales en inégalités scolaires
– Un échec scolaire massif
– Une école qui oriente par l’exclusion
– Une formation professionnelle des maîtres, sacrifiée
– etc … il y en a comme ça plusieurs pages.]
Eh bien, attendons quelques années. Le chemin de l’enfer scolaire est pavé de lois qui depuis bientôt quarante ans ont toutes « été rendues nécessaires » par ces difficultés, et qui étaient censées les résoudre. Et depuis quarante ans, chaque loi est un clou de plus dans le cercueil de l’Education nationale. Normal, depuis quarante ans, toutes les lois reposent sur les mêmes principes : En finir avec la transmission des savoirs, casser la méritocratie, protéger les positions acquises des classes moyennes.
[Comment en partant d’un tel constat catastrophique,]
Faudrait tout de même pas exagérer. S’il est vrai que l’école laisse de côté un 20% des élèves, elle instruit tout de même raisonnablement le 80% restant. Parler de « catastrophique » me paraît noircir inutilement le tableau.
[On en retire une fois de plus l’impression désagréable que, pendant que les politiques, et toute l’opinion publique avec eux, se passionnent et se partagent sur des sujets dits « sociétaux », le paquebot continue de foncer dans l’indifférence générale vers les icebergs et le naufrage annoncé.]
Ce n’est pas une impression. Les politiques et ceux qui les font rois – c’est-à-dire, pour une large part, les classes moyennes – ont tout intérêt à ce que le paquebot se fracasse contre les icebergs. Dites moi, quel intérêt peuvent les classes moyennes avoir dans une école qui corrigerait les inégalités sociales, en donnant aux enfants des couches populaires les mêmes instruments qu’aux enfants des classes moyennes pour entrer dans la compétition pour les postes, les carrières, les opportunités ? Aucun, bien entendu. Au contraire : elles ont tout intérêt à ce que l’école soit impuissante à favoriser la promotion de ceux qui pourraient concurrencer leurs propres rejetons.
L’école que nous avons n’est pas le fruit de la négligence ou de l’accident. C’est le fruit d’une volonté. Celle des classes moyennes de détruire l’institution qui leur avait permis de s’élever socialement et qui aujourd’hui les menace de déclassement. Mais la destruction se passe dans les formes : on la fait au nom de « l’égalité », de « l’ouverture » et autres « valeurs » toutes plus séduisantes les unes que les autres. Il est d’ailleurs cocasse de constater que « l’ABCD de l’égalité » n’est pas mis en œuvre dans les écoles de prestige. Curieux, non ? Si cette pédagogie est si efficace, si elle apporte un « plus » à la réussite des élèves, pourquoi à votre avis les écoles de prestige – celles dans lesquelles les classes moyennes envoient leurs rejetons – évitent soigneusement de la mettre en œuvre ?
@Descartes
[la loi permet aux parents qui n’auraient pas confiance dans l’éducation nationale de mettre leurs enfants dans des écoles privées ou de les instruire à la maison]
Oui, peut-être plus pour longtemps, si j’en crois ce projet de loi, nous pourrions bientôt être privés de cette liberté.
http://www.senat.fr/leg/ppl13-245.html
[Cela étant dit, ce n’est pas parce que le Parlement a voté une loi que celle-ci devient incontestable.]
Oui, dans notre pays, nos sommes libres de contester et c’est tant mieux. Pour un bon fonctionnement de la démocratie, mieux vaut quand contester les projets de loi avant leur promulgation.
[Si j’ai cité le texte de Ferry, (…) en cent trente ans elle n’a pas pris une ride.]
Mais tout à fait, ce texte est excellent sur le fond comme sur la forme, et comme tous vos lecteurs, je vous ai chaudement remercié de l’avoir mis en avant. Ça n’empêche pas de rappeler que l’opération ABCD s’inscrit dans la loi.
[Mais avant d’affirmer qu’elles ont rendu nécessaire CETTE loi, il faudrait démontrer (…) etc ..]
En utilisant (à tord) les mots « rendu nécessaire », je me référais au long préambule de la loi, qui nous explique quels ont été les motivations du législateur.
Au lieu d’écrire « rendu nécessaire » j’aurais du écrire « motivé par ».
[L’école que nous avons n’est pas le fruit de la négligence ou de l’accident. C’est le fruit d’une volonté. Celle des classes moyennes de détruire l’institution qui leur avait permis de s’élever socialement …]
Revoilà la « volonté » des classes moyennes de se protéger. Revoilà le projet machiavélique, pour ne pas dire le complot, de cette catégorie introuvable : la classe moyenne, définition Descartes.
Vous n’avez plus la « bourgeoisie » pour l’accabler de tous les péchés, alors vous vous découvrez un nouvel ennemi, la classe moyenne. Mais comme cette « classe moyenne » est archi-majoritaire dans notre pays, et qu’il est difficile de dire que 80% du pays a tord, alors vous tordez la définition des classes moyennes pour en extraire artificiellement une petite partie (on connaît votre définition très personnelle de la « mauvaise » classe moyenne, ni exploitée ni exploiteur).
Et bien, je crois, contrairement à vous, que la classe moyenne, dans son ensemble, n’a pas de projet machiavélique, ne fomente aucun complot, qu’elle veut vraiment une école plus égalitaire, qui travaille efficacement contre l’exclusion des enfants des classes défavorisées, avec, entre autre, plus de soutient à l’école élémentaire. Que nos dirigeants, malheureusement, n’y parviennent pas est un autre débat.
Il n’y a pas non plus d’attaque organisée contre la méritocratie, ni contre l’école qui sélectionne et prépare les élites. Mais si on souhaite vraiment que cette méritocratie, cet accès à l’élite, s’offre de façon égalitaire à tous les enfants, même les plus pauvres, il faut bien qu’à un moment, l’école élémentaire gomme les handicapes liés à l’origine familiale.
Prétendre le contraire, ce serait pour le coup protéger les enfants des familles privilégiées.
@vent2sable
[« la loi permet aux parents qui n’auraient pas confiance dans l’éducation nationale de mettre leurs enfants dans des écoles privées ou de les instruire à la maison ». Oui, peut-être plus pour longtemps, si j’en crois ce projet de loi(…), nous pourrions bientôt être privés de cette liberté.]
La proposition de loi en question, à supposer qu’elle fut votée et déclarée conforme à la Constitution (ce qui est loin d’être acquis) interdirait l’instruction à domicile. Il n’est par contre pas question d’interdire les écoles privées, que je sache…
[Oui, dans notre pays, nos sommes libres de contester et c’est tant mieux. Pour un bon fonctionnement de la démocratie, mieux vaut quand contester les projets de loi avant leur promulgation.]
Vous voulez dire que ceux qui ont contesté les lois interdisant l’avortement avaient tort ?
[Ça n’empêche pas de rappeler que l’opération ABCD s’inscrit dans la loi.]
Je ne vois pas trop l’intérêt de rappeler ce sur quoi tout le monde est d’accord. Personne que je sache n’a contesté la légalité de l’opération en question, pas même ses pires détracteurs. Au contraire, les contestataires les plus radicaux de cette aberration soulignent au contraire qu’elle s’inscrit dans une loi tout aussi scélérate…
[« L’école que nous avons n’est pas le fruit de la négligence ou de l’accident. C’est le fruit d’une volonté. Celle des classes moyennes de détruire l’institution qui leur avait permis de s’élever socialement… ». Revoilà la « volonté » des classes moyennes de se protéger. Revoilà le projet machiavélique, pour ne pas dire le complot, de cette catégorie introuvable : la classe moyenne, définition Descartes.]
J’avais écrit ce paragraphe pour tester votre vigilance, et comme d’habitude, je n’ai pas été déçu. Comme je l’ai déjà expliqué, non, il ne s’agit pas d’une « volonté machiavélique ». Il n’y a pas de conseil représentatif des classes moyennes qui se réunit dans une arrière salle ou dans un temple maçonnique pour décider des actions à entreprendre. Parler de la « volonté » d’une classe est un raccourci littéraire pour décrire le fait que les actions des membres d’une classe sont cohérentes et tendent au même but, non pas qu’elles soient coordonnées par un groupe dirigeant, mais parce qu’elles sont guidées par des intérêts communs.
[Vous n’avez plus la « bourgeoisie » pour l’accabler de tous les péchés,]
Pourquoi, elle a disparu, la bourgeoisie ?
La bourgeoisie a aussi ses pêchés. Mais ces pêches font l’objet d’un consensus. Je ne vois pas trop l’intérêt de répéter ce que tout le monde sait. Le rôle des classes moyennes, par contre est nouveau et beaucoup moins consensuel, d’où l’intérêt du débat là-dessus.
[Mais comme cette « classe moyenne » est archi-majoritaire dans notre pays, et qu’il est difficile de dire que 80% du pays a tord, alors vous tordez la définition des classes moyennes pour en extraire artificiellement une petite partie (on connaît votre définition très personnelle de la « mauvaise » classe moyenne, ni exploitée ni exploiteur).]
Ah… je me disais bien que le procès d’intention ne pouvait pas être loin…
Non, je n’ai « tordu » rien du tout, et certainement pas pour les raisons que vous suggérez. Le fait est que la définition classique des classes moyennes, fondée sur le revenu mais excluant le patrimoine matériel et immatériel, n’est pas opérationnelle. Elle conduit à constituer une catégorie qui ne partage ni le mode de vie, ni le positionnement politique, ni les ambitions, ni les intérêts. A quoi peut servir une telle catégorie ?
Mon raisonnement est de revenir à une logique marxiste : dans la mesure où le positionnement politique d’une classe est lié à ses intérêts, et ceux-ci à sa position dans le processus de production, il faut revenir à une définition des groupes sociaux en fonction de ce dernier paramètre. Pour la bourgeoisie comme pour le prolétariat, cela ne pose aucun problème. Mais quid de ceux qui n’ont ni capital suffisant pour exploiter, mais qui en ont suffisamment pour ne pas être exploités ? C’est ce groupe là qui m’intéresse. Si le nom de « classe moyenne » vous dérange, proposez-moi un autre.
[qu’elle veut vraiment une école plus égalitaire, qui travaille efficacement contre l’exclusion des enfants des classes défavorisées, avec, entre autre, plus de soutient à l’école élémentaire. Que nos dirigeants, malheureusement, n’y parviennent pas est un autre débat.]
Voyons si je comprends bien. Vous me dites que les classes moyennes représentent 80% de la population, et qu’elles « veulent vraiment une école plus égalitaire, qui travaille efficacement contre l’exclusion des enfants des classes défavorisées ». Une école qui n’a aucune raison de gêner la bourgeoisie, puisqu’elle a de tout manière la possibilité d’éduquer ses enfants dans des écoles privées de prestige. Cette école « plus égalitaire » a donc derrière elle la quasi-totalité de la société. Et pourtant, « nos dirigeants n’y parviennent pas ». C’est drôle, quand même : voici quelque chose que tout le monde veut, et on n’arrive pas à se donner des dirigeants capables d’y parvenir…
Soyons sérieux : lorsque 80% des gens veulent quelque chose et que celle-ci ne dérange pas les classes dominantes, la chose se fait. Sauf, bien entendu, si elle est impossible, mais cela ne paraît pas ici être le cas. Alors, pourquoi à votre avis cela ne se fait pas ? Ne faut-il pas conclure à contrario que si cela ne se fait pas, c’est parce qu’il n’y a pas 80% pour souhaiter l’Ecole dont vous parlez ?
[Il n’y a pas non plus d’attaque organisée contre la méritocratie, ni contre l’école qui sélectionne et prépare les élites.]
Mais non, mais non. L’effacement progressif de la sélection par concours remplacée par une sélection sur dossier et entretien, voire par pas sélection du tout, l’exigence de « compétences » vagues au lieu de savoirs précis n’est qu’une rumeur propagée par les malveillants…
[Mais si on souhaite vraiment que cette méritocratie, cet accès à l’élite, s’offre de façon égalitaire à tous les enfants, même les plus pauvres, il faut bien qu’à un moment, l’école élémentaire gomme les handicapes liés à l’origine familiale.]
Bien entendu. Ce point n’est à ma connaissance contesté par personne. Mais il faut s’entendre sur ce que veut dire « gommer les handicaps ». S’il s’agit d’apporter en priorité aux enfants défavorisés tous les savoirs que les enfants des milieux privilégies acquièrent à la maison c’est oui. Mais s’il s’agit au contraire de baisser le niveau d’exigence pour que les enfants des milieux défavorisés puissent passer l’examen malgré leurs insuffisances, c’est non. Or c’est plutôt cette voie qu’on a choisi depuis trente ans. Et curieusement, c’est la voie qui permet le mieux de maintenir le statu-quo social, puisque les enfants défavorisés qui auront passé l’évaluation grâce à cette mansuétude se retrouveront défavorisés lorsque la « vraie » sélection, celle de l’emploi, aura lieu. La voie donc qui permet de préserver les intérêts des classes moyennes… mais c’est certainement une coïncidence.
Bonjour,
[[Mon raisonnement est de revenir à une logique marxiste : dans la mesure où le positionnement politique d’une classe est lié à ses intérêts, et ceux-ci à sa position dans le processus de production, il faut revenir à une définition des groupes sociaux en fonction de ce dernier paramètre. Pour la bourgeoisie comme pour le prolétariat, cela ne pose aucun problème. Mais quid de ceux qui n’ont ni capital suffisant pour exploiter, mais qui en ont suffisamment pour ne pas être exploités ? C’est ce groupe là qui m’intéresse. Si le nom de « classe moyenne » vous dérange, proposez-moi un autre.]]…. et bien d’autres réponses à des commentaires.
Combien de fois ne vous a-t-on "titillé" sur ce sujet ? Dérangeante au départ, cette hypothèse – car actuellement, sans démonstration rigoureuse, elle ne peut prétendre à l’appellation de théorie – me semble empreinte de grande pertinence, et elle pourrait expliquer en partie le marigot psychosomatique de beaucoup de citoyens français.
Cependant, si la notion de "classe moyenne" à partir d’une approche de type monétaire, c’est à dire mesurable, est peu contestable, le recours à une dimension comportementale est bien plus aléatoire. Pour évaluer l’ampleur et l’incidence de ce phénomène, il est nécessaire de le quantifier et par conséquent, de le caractériser à partir de nombreux exemples significatifs et stables.
Les comportements de la plupart d’entre nous, selon les situations, sont bien trop erratiques pour pouvoir être catalogués et enregistrés comme une constante.
Nous n’avons pas d’essai ou de thèse sur lesquels il serait possible d’argumenter. Si je peux me le permettre, un débat sur ce sujet, étalé sur une période plus longue que celle d’un billet, serait susceptible de fixer durablement les idées à ce sujet, et, ma foi, peut être constituer un complément de réflexion à cet essai ou cette thèse qui font défaut.
[[ L’effacement progressif de la sélection par concours remplacée par une sélection sur dossier et entretien, voire par pas de sélection du tout, l’exigence de « compétences » vagues au lieu de savoirs précis n’est qu’une rumeur propagée par les malveillants…]]
Votre position me semble un peu caricaturale en ce qui concerne la sélection.
S’il s’agit de sélectionner les participants à l’émission de Julien Lepers: "Questions pour un champion", je suis entièrement d’accord avec vos critères, car nous recherchons alors une étendue de connaissances qu’il faudra régurgiter dans les délais les plus brefs. Mais s’ il s’agit de décider de qui est le plus potentiellement apte à remplir les missions de telle ou telle fonction, la notion de compétence se substitue très largement à celle de connaissances.
Etre compétent implique à la fois, posséder les connaissances requises pour une activité déterminée, mais aussi des capacités mentales, physiques, psychologiques, indispensables pour exercer cette compétence. Le meilleur professeur de chirurgie du monde est un chirurgien incompétent si à la vue du sang, il prend un malaise. La grande difficulté d’une sélection consiste justement à détecter, chez un individu, ces capacités complémentaires au savoir pur et dur associées à un métier. Pour la mesure des savoirs, un matériel un peu sophistiqué peut très bien s’en charger.
Prenons un dernier exemple, aux plus hauts niveaux de la politique,. Que s’agit-il de faire lorsque nous élisons un président qui nommera des ministres? De déterminer qui a le plus de connaissances dans les domaines du gouvernement du pays ? Ce serait faire peu de cas des nombreux experts qui ont consacré toute leur carrière à approfondir leur domaine de prédilection.
A-t-on jamais reproché à nos plus hauts dirigeants leur manque de connaissance dans tel ou tel domaine? Non, bien sur, sauf sans doute à quelques rares exceptions trop criantes. Ce que l’on attend d’eux, c’est, outre une culture et des connaissances étendues pour pouvoir déchiffrer les situations complexes qu’ils ont a gérer, la capacité à choisir des collaborateurs fiables, pertinents, à développer une capacité de vision réaliste et cependant motivante de l’avenir, de choisir les options les plus adaptées à un choix politique – qu’il soit annoncé ou non – le caractère, les "tripes" pour les imposer contre vents et marées, lobbies et cercles d’amis itou.
Mesurer la compétence d’un individu ne se résume pas, et de loin, à tester ses aptitudes à bien se conduire dans la bonne société. Il s’agira d’estimer, avec toute l’incertitude qui s’attache à cette estimation, ses capacités, différentes selon les situations, à être autonome, à prendre du recul intellectuel, à écouter et comprendre un point de vue différent, à motiver son environnement, à sanctionner, à s’adapter aux situations qui se présentent, à rendre compte, à remettre en cause ses certitudes, à résister à des périodes de fortes charges émotives ou physique, à savoir faire appel à des conseils extérieurs, etc……, en un mot, à viser, en permanence l’excellence.
[Mais si on souhaite vraiment que cette méritocratie, cet accès à l’élite, s’offre de façon égalitaire à tous les enfants, même les plus pauvres, il faut bien qu’à un moment, l’école élémentaire gomme les handicapes liés à l’origine familiale.]
D.: Bien entendu. Ce point n’est à ma connaissance contesté par personne. Mais il faut s’entendre sur ce que veut dire « gommer les handicaps ». S’il s’agit d’apporter en priorité aux enfants défavorisés tous les savoirs que les enfants des milieux privilégies acquièrent à la maison c’est oui. Mais s’il s’agit au contraire de baisser le niveau d’exigence pour que les enfants des milieux défavorisés puissent passer l’examen malgré leurs insuffisances, c’est non. Or c’est plutôt cette voie qu’on a choisi depuis trente ans. Et curieusement, c’est la voie qui permet le mieux de maintenir le statu-quo social, puisque les enfants défavorisés qui auront passé l’évaluation grâce à cette mansuétude se retrouveront défavorisés lorsque la « vraie » sélection, celle de l’emploi, aura lieu. La voie donc qui permet de préserver les intérêts des classes moyennes… mais c’est certainement une coïncidence.
@Marcailloux
[Les comportements de la plupart d’entre nous, selon les situations, sont bien trop erratiques pour pouvoir être catalogués et enregistrés comme une constante.]
Quelque soit la variabilité des comportements individuels, cela n’empêche que les comportements collectifs – et notamment politiques et économiques – des groupes dont les membres partagent des intérêts de classe sont in fine assez homogènes.
[Nous n’avons pas d’essai ou de thèse sur lesquels il serait possible d’argumenter. Si je peux me le permettre, un débat sur ce sujet, étalé sur une période plus longue que celle d’un billet, serait susceptible de fixer durablement les idées à ce sujet, et, ma foi, peut être constituer un complément de réflexion à cet essai ou cette thèse qui font défaut.]
Peut-être. J’essaye depuis quelque temps d’écrire un article sur cette question des classes moyennes, en essayant de documenter au mieux. Ce n’est pas simple…
[Votre position me semble un peu caricaturale en ce qui concerne la sélection. S’il s’agit de sélectionner les participants à l’émission de Julien Lepers: "Questions pour un champion", je suis entièrement d’accord avec vos critères, car nous recherchons alors une étendue de connaissances qu’il faudra régurgiter dans les délais les plus brefs. Mais s’ il s’agit de décider de qui est le plus potentiellement apte à remplir les missions de telle ou telle fonction, la notion de compétence se substitue très largement à celle de connaissances.]
Je ne le crois pas un instant. D’abord, parce que les missions et les fonctions évoluent rapidement dans le temps. Ce sont les connaissances qui permettent aux personnes de s’adapter à l’évolution de leur métier. C’est d’ailleurs une constatation largement partagée : lorsqu’une activité cesse et que le personnel doit être reconverti, cette reconversion est d’autant plus facile que le personnel en question a une formation théorique plus riche. Par ailleurs, je vous rappelle que dans mon commentaire je n’avais pas parlé de « compétences », mais de « vagues compétences », ce qui change beaucoup de choses…
[Etre compétent implique à la fois, posséder les connaissances requises pour une activité déterminée, mais aussi des capacités mentales, physiques, psychologiques, indispensables pour exercer cette compétence.]
Non. La « compétence » est la capacité de faire quelque chose, d’obtenir un résultat. Mais elle n’implique aucune « connaissance » à priori. Une compétence peut être fondée sur un pur automatisme.
[Le meilleur professeur de chirurgie du monde est un chirurgien incompétent si à la vue du sang, il prend un malaise.]
Je vous fait remarquer que vous donnez vous-même un exemple de « compétence » qui ne nécessite aucune connaissance…
[La grande difficulté d’une sélection consiste justement à détecter, chez un individu, ces capacités complémentaires au savoir pur et dur associées à un métier.]
Mais avant de détecter « ces capacités complémentaires », il faut au préalable s’assurer que l’individu sélectionné possède « le savoir pur et dur », non ? Parce que les « capacités complémentaires » sont un plus, elles ne se substituent pas au savoir.
[Prenons un dernier exemple, aux plus hauts niveaux de la politique,. Que s’agit-il de faire lorsque nous élisons un président qui nommera des ministres? De déterminer qui a le plus de connaissances dans les domaines du gouvernement du pays ? Ce serait faire peu de cas des nombreux experts qui ont consacré toute leur carrière à approfondir leur domaine de prédilection.]
La sélection des élus en général et du président en particulier n’est pas, par définition, un choix au mérite. C’est une conséquence évidente du principe de souveraineté populaire. Un régime méritocratique n’est pas un régime ou tous les choix se font au mérite. Ce serait proprement impossible. C’est un système dans lequel les fonctions ayant un contenu technique sont accessibles « sans autre limite que les vertus et les talents »…
[Mesurer la compétence d’un individu ne se résume pas, et de loin, à tester ses aptitudes à bien se conduire dans la bonne société. Il s’agira d’estimer, avec toute l’incertitude qui s’attache à cette estimation, ses capacités, différentes selon les situations, à être autonome, à prendre du recul intellectuel, à écouter et comprendre un point de vue différent, à motiver son environnement, à sanctionner, à s’adapter aux situations qui se présentent, à rendre compte, à remettre en cause ses certitudes, à résister à des périodes de fortes charges émotives ou physique, à savoir faire appel à des conseils extérieurs, etc……, en un mot, à viser, en permanence l’excellence.]
Vous venez de faire le portrait de Bernard Tapie.
A Descartes et @ Marcailloux
[ J’essaye depuis quelque temps d’écrire un article sur cette question des classes moyennes, en essayant de documenter au mieux. Ce n’est pas simple…]
Je fais parti de ceux qui, comme l’écrit Marcailloux, vous « titillent » sur votre théorie de la classe moyenne qui bloque la société parce qu’elle défend ses intérêts ou ceux de sa progéniture.
Au risque de vous surprendre, je vais vous avouer que si j’ai souvent contester votre approche, c’est surtout parce que j’aimerais beaucoup vous la voir développer. Telle qu’elle est, elle ne convainc pas, mais pourtant, j’ai le sentiment que vous avez mis le doigt sur une explication intéressante de l’enlisement de la société française.
J’écoutais JC Ameisen expliquer que Darwin avait élaboré sa théorie de l’évolution en s’inspirant, entre autre, de ce qu’Adam Smith disait de « la main invisible » :
A partir de la 21ème minute ici :
http://www.canal-u.tv/video/universite_de_nice_sophia_antipolis/la_pensee_de_darwin_aujourd_hui_permanence_et_metamorphoses_d_un_heritage_jean_claude_ameisen.5839
Selon Ameisen, ce que dit Adam Smith dans « De la richesse des nations », c’est que quand chacun va à son propre intérêt économique, il est comme mu par une main invisible, en train de réaliser des événements, dont il n’a aucunement conscience. De petites activités construisent l’équilibre (dans le cas d’Adam Smith, le marché) dont aucun des acteurs n’a la moindre idée.
En écoutant ça, j’ai repensé à la classe moyenne qui modifie (ou refuse de modifier) la société, sans pour autant qu’il y ait une volonté affichée, un complot, une stratégie.
Une multitude de « petits » comportements individuels, sans être concertés, sans être parfois conscients, finissent par changer profondément le résultat final.
Ramené à l’école dans la société française, ça donne ça :
Je suis pour, je vote pour l’égalité à l’école et ailleurs, mais au moment de scolariser mes enfants je surveille scrupuleusement ce qui se passe à l’école proche de chez moi. Si ce qui se passe (désordre, grande quantité d’échecs scolaires) me suggère que mes enfants pourraient avoir un risque de faire une mauvaise scolarité dans l’école à coté de chez moi, alors, je vais chercher soit à contourner la carte scolaire, soit à les inscrire dans le privé, soit à leur organiser un soutien scolaire à la maison ou des cours particuliers. Et comme il s’agit du bien de mes enfants, je n’en ressentirai aucune culpabilité vis-à-vis de mes convictions égalitaires.
La classe moyenne est profondément égalitaire dans le discours et elle perpétue les inégalités dans les faits.
Par contre, ce phénomène s’applique à toute la classe moyenne, indépendamment de cette différence que vous introduisez « pas exploitée mais pas exploiteur non plus », qui pour moi reste totalement idéologique et ne s’inscrit pas dans ce que je vois dans la vraie vie.
@vent2sable
[Au risque de vous surprendre, je vais vous avouer que si j’ai souvent contester votre approche, c’est surtout parce que j’aimerais beaucoup vous la voir développer. Telle qu’elle est, elle ne convainc pas, mais pourtant, j’ai le sentiment que vous avez mis le doigt sur une explication intéressante de l’enlisement de la société française.]
Cela ne me surprend pas vraiment. Même si je peux être quelquefois brusque ou sarcastique dans la chaleur du débat, je ne prête jamais de mauvaises intentions à mes interlocuteurs sauf preuve contraire. D’ailleurs, si mes idées ne vous intéressaient pas vous ne perdriez pas votre temps à échanger avec moi pour le simple plaisir de me dire que j’ai tort, et la réciproque est bien entendu vraie. Je pense, moi aussi, avoir trouvé une idée intéressante, et j’essaie de travailler dessus. Mais ce travail est bien plus difficile que je ne le croyais. Par exemple, on ne trouve presque pas de statistiques faites avec des critères qui permettent d’évaluer l’importance des classes moyennes telles que je les ai définies. J’essaye d’intéresser quelque professeur de sociologie qui a, lui, les moyens de faire des enquête statistiques sur le terrain… sans grand succès jusqu’ici.
[Selon Ameisen, ce que dit Adam Smith dans « De la richesse des nations », c’est que quand chacun va à son propre intérêt économique, il est comme mu par une main invisible, en train de réaliser des événements, dont il n’a aucunement conscience. De petites activités construisent l’équilibre (dans le cas d’Adam Smith, le marché) dont aucun des acteurs n’a la moindre idée. En écoutant ça, j’ai repensé à la classe moyenne qui modifie (ou refuse de modifier) la société, sans pour autant qu’il y ait une volonté affichée, un complot, une stratégie.]
J’aime beaucoup les émissions d’Ameisen, mais sur ce point je suis plus proche de l’analyse faite par Marx : il n’y a pas de « complot » ou de « stragégie », mais il existe une conscience d’appartenir à une classe, et cette conscience se traduit aussi dans des actes collectifs, dans la fondation d’institutions, de syndicats, de partis politiques qui font avancer les intérêts de cette classe. Tout n’est pas aussi angélique et spontané que ne le croyait Adam Smith.
[Ramené à l’école dans la société française, ça donne ça : Je suis pour, je vote pour l’égalité à l’école et ailleurs, mais au moment de scolariser mes enfants je surveille scrupuleusement ce qui se passe à l’école proche de chez moi. Si ce qui se passe (désordre, grande quantité d’échecs scolaires) me suggère que mes enfants pourraient avoir un risque de faire une mauvaise scolarité dans l’école à coté de chez moi, alors, je vais chercher soit à contourner la carte scolaire, soit à les inscrire dans le privé, soit à leur organiser un soutien scolaire à la maison ou des cours particuliers. Et comme il s’agit du bien de mes enfants, je n’en ressentirai aucune culpabilité vis-à-vis de mes convictions égalitaires.]
Certes, certes… mais comment expliquez vous que les parents ouvriers ne fassent pas exactement le même raisonnement et n’agissent pas de la même manière ? Encore une fois, le fait que le comportement de classe ne soit pas « coordonné » par quelque Comité Central ne veut pas dire que ce soit un comportement purement spontané. Une classe produit collectivement une idéologie qui lui permet de justifier ses comportements. Cette idée que « puisque c’est pour le bien de mes enfants je n’en ressent aucune culpabilité » n’est pas naturelle. Elle fait partie d’une idéologie que les classes moyennes ont fabriqué pour pouvoir vivre avec leurs contradictions.
C’est cette capacité à produire une idéologie qui fait qu’une « classe » n’est pas n’importe quelle catégorie sociale. Et cette production est difficile à expliquer avec le raisonnement d’Ameisen. Par exemple, ne trouvez-vous pas étonnant que les classes moyennes aient produit cette idéologie « libertaire » de l’école qui rejette l’exigence, les notes, la transmission du savoir, toutes idées qu’elles souhaitent voir appliquer à l’école des couches populaires, mais pas à celle ou vont leurs propres enfants ?
[Par contre, ce phénomène s’applique à toute la classe moyenne, indépendamment de cette différence que vous introduisez « pas exploitée mais pas exploiteur non plus », qui pour moi reste totalement idéologique et ne s’inscrit pas dans ce que je vois dans la vraie vie.]
Je ne le crois pas. Vous aviez dit dans un autre message que la « classe moyenne » prise dans le sens ou vous la définissez couvrait 80% de la population. Pensez-vous vraiment que 80% des parents sont sensibles à l’éducation de leurs enfants au point de les enlever de « écoles d’à côté » pour les inscrire dans les écoles de prestige, dans le privé ou se ruinent en soutien scolaire ?
Vent2sable
Faire la genèse d’un phénomène me semble être une bonne méthode pour mieux l’appréhender (encore qu’ici, il manque celle de l’idée polically correct qui préside).
« En particulier on y lit un constat sévère, une description minutieuse et sans concession, de ce que nous avons parfois appelé « le naufrage de l’Education Nationale ».
Méfiez-vous, le diction populaire ne dit-il pas ; qui veut noyer son chien, l’accuse d’avoir la rage.
L’Education Nationale n’est tout de même pas le radeau de la Méduse. Il est bon de souligner les problèmes mais il est mieux encore de les analyser rationnellement et proposer des solutions adaptées.
Au sujet « des contradictions entre cette loi et des directives de Jules Ferry, au XIXème siècle, peut s’avérer intellectuellement intéressant, mais ne retire rien au fait que cette loi a été étudiée, votée par le parlement et que donc elle s’applique. »
Il s’agit hélas, d’une loi votée dans un cadre démocratique, ce qui n’empêche nullement de réclamer un texte meilleur en remplacement, démocratiquement aussi.
La différence entre la lettre de Ferry qui n’est pas parfaite mais exprime les directives d’un ministre qui demande à ses fonctionnaires en matière de morale d’être droits et scrupuleux dans leur enseignement et celle de ministres qui n’hésitent pas à signer une convention ou figure la phrase suivante : « Préjugés et stéréotypes sexistes, ancrés dans l’inconscient collectif, sont la source directe de discriminations et, à ce titre, doivent être combattus dès le plus jeune âge. » est flagrante et si je dénonce les agissements d’une extrême droite qui, sous un autre angle contribue aussi à casser notre école publique, je suis en droit de me révolter contre ce scénario à tendance orwellienne.
Dites-moi, suis-je anormal d’être effaré ?
« La lecture du projet de loi, devenu loi, nous interpelle sur un autre point : S’il est bien exacte que cette loi parle un peu d’égalité homme/femme, ce n’est qu’une toute petite partie de l’objet de cette loi. »
Oui mais le reste est du même tonneau. Les « rythmes scolaires » sont au centre de la loi. Le constat des difficultés en lecture et maths mène à…introduire le centre aéré en primaire. Activités ludiques, garderie, pas plus d’heures d’enseignement, pas de remise en cause du pédagogisme etc…
J’ai des relations de sympathie avec le directeur d’école où allaient mes enfants, il est loin d’être emballé par les échos parvenant des villes qui ont choisi les nouveaux rythmes.
@morel
[La différence entre la lettre de Ferry qui n’est pas parfaite mais exprime les directives d’un ministre qui demande à ses fonctionnaires en matière de morale d’être droits et scrupuleux dans leur enseignement et celle de ministres qui n’hésitent pas à signer une convention ou figure la phrase suivante : « Préjugés et stéréotypes sexistes, ancrés dans l’inconscient collectif, sont la source directe de discriminations et, à ce titre, doivent être combattus dès le plus jeune âge. » est flagrante]
La comparaison est intéressante aussi parce que la mythologie ambiante veut nous faire croire que Jules Ferry et consorts étaient d’affreux extrémistes, persuadés de détenir la vérité et pour qui la fin justifiait les moyens. C’est tout le contraire, en fait : la « lettre » de Ferry montre un souci de mesure, une préoccupation de ne pas heurter qui devient rare aujourd’hui, à l’heure ou chaque groupuscule est persuadé de détenir seul la vérité et s’estime mandaté pour l’imposer aux autres. De ce point de vue, le débat sur le « mariage pour tous » est éclairant : à aucun moment les partisans de la loi n’ont montré la moindre préoccupation – ni le moindre intérêt, en fait – pour ce que ses adversaires pouvaient ressentir. A aucun moment n’a été proposé de faire une concession, ne serait-ce symbolique, aux « tendres consciences » pour rendre plus consensuel le changement proposé.
La lettre de Ferry est intéressante à un deuxième titre : elle montre toute la confiance que le ministre a dans ses fonctionnaires pour appliquer ses directives avec sagesse. Ce n’est pas le sec « je le veux » qui est aujourd’hui le style de la plupart des circulaires ministérielles, mais celui d’un ministre qui semble persuadé que pour être obéi il faut convaincre…
Descartes, vous avez besoin de repos.
Vous avez mis votre réponse à Denis dans le mauvais article.
"Dogme contre dogme"
Au lieu de
"Christiane, ou les malheurs de la vertu"
@vent2sable
Erreur corrigée… mais ce n’est pas moi qui a besoin de repos, c’est plutôt l’interface de gestion d’over-blog qui a besoin d’une remise à niveau urgente!
Pierre d’achoppement continuelle : la « classe moyenne ».
J’ai l’impression que vous vous référez à ce que certains auteurs appellent l’ « upper middle class ».
Les mutations du capitalisme ont vu la petite bourgeoisie traditionnelle régresser en poids : petits agriculteurs, petits commerçants et même les artisans font l’objet d’attaques par des groupes puissants (par ex dans le domaine de la réparation automobile : Nord auto, Midas y compris aussi dans des domaines inattendus comme la boulangerie etc…).
Cette dernière se caractérisait (et se caractérise encore) par son conservatisme dans presque tous les domaines (ce qui se conçoit puisqu’il s’agissait de préserver ses positions acquises) : politique, sociétal,…
La poursuite de l’expropriation mise en évidence par Marx s’est accompagnée du développement de nouvelles couches qui ont tant posé de problème à de nombreux analystes résumées sous le nom d’ingénieurs techniciens.
La différence, me semble-t-il, c’est que si le lien à la propriété (encore qu’on peut s’interroger sur le patrimoine y compris intellectuel légable ) est moins évident, le rapport à la société n’est plus le même : la catégorie précédente pouvait être protectionniste, républicaine tant qu’il lui semblait ne pas être menacée dans son existence ; la seconde plus instruite, volontiers mondialiste, individualiste (surtout dans un monde où le mérite individuel peut s’affranchir du devoir social – toute « réussite » s’appuie sur un monde construit avec des milliers de « soutiers »), libertaire en matière sociétale etc…
J’arrête à ces constatations sans prétentions. Avouez qu’un changement de concept doit être très sérieusement soupesé.
@morel
[Pierre d’achoppement continuelle : la « classe moyenne ».]
Oui, tout à fait. Je pense sincèrement que l’apparition des classes moyennes – ou plutôt leur renforcement et leur prise de pouvoir dans les années 1960 – est probablement la modification la plus importante du paysage social du siècle dernier. Si l’on veut faire vivre l’analyse faite par K. Marx dans « Le Capital », il faut nécessairement intégrer ce paramètre. Si un jour j’ai le temps, j’aimerais écrire un livre sur cette question.
[J’ai l’impression que vous vous référez à ce que certains auteurs appellent l’ « upper middle class ».]
Par certains côtés, cela peut ressembler. Mais il y a une différence fondamentale : la « upper middle class » est définie sur ces considérations de revenu, alors que ma position est de les caractériser a partir de leur position dans le processus de production et dans le rapport capital/travail. Pour illustrer mon propos : si vous vous fondez sur le revenu, beaucoup de petits patrons seraient dans la même catégorie que l’aristocratie ouvrière. Mais la catégorie ainsi constituée n’est pas très utile pour conduire une analyse, parce que les petits patrons et l’aristocratie ouvrière n’ont pas les mêmes intérêts, et par conséquent pas les mêmes comportements politiques. On a au contraire intérêt à classer les petits patrons avec les gros puisqu’ils partagent une communauté d’intérêts… même s’ils ont des niveaux de vie très différents !
[La poursuite de l’expropriation mise en évidence par Marx s’est accompagnée du développement de nouvelles couches qui ont tant posé de problème à de nombreux analystes résumées sous le nom d’ingénieurs techniciens.]
Ce ne sont pas elles qui me posent problème, justement… ces couches ont posé des problèmes aux sociologues, parce qu’il est évident que ces acteurs industriels n’ont pas le même comportement sociologique que les ouvriers. Mais du point de vue de l’analyse marxiste, il n’y a pas de véritable problème à condition de regarder finement le pouvoir de négociation de chacun : entre le technicien/ingénieur hautement qualifié – c’est à dire, qui dispose d’un capital – capable de négocier un salaire élevé et qui représente l’essentiel de la valeur qu’il créé, et le technicien/ingénieur à la qualification plus faible, il y a une ligne qui place les seconds à côté de la classe ouvrière, et les premiers dans un « no man’s land » marxiste que j’appelle, moi, « classe moyenne »…
[La différence, me semble-t-il, c’est que si le lien à la propriété (encore qu’on peut s’interroger sur le patrimoine y compris intellectuel légable ) est moins évident, le rapport à la société n’est plus le même : la catégorie précédente pouvait être protectionniste, républicaine tant qu’il lui semblait ne pas être menacée dans son existence ; la seconde plus instruite, volontiers mondialiste, individualiste (surtout dans un monde où le mérite individuel peut s’affranchir du devoir social – toute « réussite » s’appuie sur un monde construit avec des milliers de « soutiers »), libertaire en matière sociétale etc…]
Par « catégorie précédente » j’imagine que vous entendez la « petite bourgeoisie » (petits industriels, petits commerçants, agriculteurs, artisans, etc.). Vous en faites une catégorie volontiers « conservatrice », mais avant de faire cette analyse il faut se souvenir que nous avons connu ces couches alors qu’elles étaient déjà en régression. Cette « petite bourgeoisie » a connu son heure de gloire dans la première moitié du XIXème siècle. A l’époque, c’était une classe « volontiers mondialiste, individualiste, libertaire en matière sociétale », tout comme les « ingénieurs/techniciens » aujourd’hui. C’est elle, après tout, qui a fait la Révolution française. Mais toute couche sociale devient « conservatrice » lorsqu’elle sent que son heure arrive, que le sens de l’histoire est contre elle. Et ce sera le cas des « classes moyennes » si d’aventure la mondialisation commençait à la toucher dans ses retranchements. Ca commence, d’ailleurs…
[J’arrête à ces constatations sans prétentions. Avouez qu’un changement de concept doit être très sérieusement soupesé.]
Je ne dis pas le contraire… c’est pourquoi je m’y mets, à le « soupeser »…
@Descartes
[Si l’on veut faire vivre l’analyse faite par K. Marx dans « Le Capital », il faut nécessairement intégrer ce paramètre.]
C’est surprenant de se fixer comme objectif de « faire vivre l’analyse faite par K. Marx ». Les avancées, des sciences ou de la pensée, se font au contraire dans la remise en cause et pas dans le « faire vivre l’existant ».
@ Descartes
>Oui, tout à fait. Je pense sincèrement que l’apparition des classes moyennes – ou plutôt leur renforcement et leur prise de pouvoir dans les années 1960 – est probablement la modification la plus importante du paysage social du siècle dernier.<
Je pense bien que tu es au courant, mais cette analyse du rôle prépondérant des classes moyennes a été également faite par d’autres "marxistes orthodoxes". Cette définition nécessite beaucoup de travail, mais je suis sur que ça commence à attirer un peu d’attention. Je suis tombé hier soir sur un texte destiné à des membres du CC du CPI(m) :
http://www.cpim.org/marxist/201101-postmodernism-Aijaz.pdf
La critique du "postmodernisme" et le rôle des classes moyennes – et par extension de certains penseurs – dans son arrivée dans le champ politique est assez proche de la tienne. Tu n’es pas seul !
@vent2sable
Vous savez, j’ai conscience de mes limites… Même les plus grands, les plus révolutionnaires des penseurs ont construit sur les épaules de ceux qui les ont précédé. Même pour eux, on peut se demander jusqu’ou leur "remise en cause" de l’existant n’était en fait une manière de l’enrichir, de le faire fructifier, en un mot, "de le faire vivre". Alors pour moi, qui ne suis qu’un amateur et certainement pas un grand, l’ambition de "faire vivre" le travail des plus grands que moi me suffit amplement…
@ Descartes ‘et @ Morel)
[… les petits patrons et l’aristocratie ouvrière n’ont pas les mêmes intérêts, et par conséquent pas les mêmes comportements politiques. On a au contraire intérêt à classer les petits patrons avec les gros puisqu’ils partagent une communauté d’intérêts… même s’ils ont des niveaux de vie très différents !]
Mouai …admettons, mais comme vous dites, nous n’avons pas de statistiques.
En l’absence de statistiques sur l’existence, et encore plus sur les comportements respectifs de ces supposées « deux » classes moyennes, je vous livre ma perception à travers ce que je vois autour de moi.
Ça ne remplacera jamais les statistiques mais, en attendant, ça permet de réfléchir.
Il se trouve que je suis marié à une fille d’immigrés italiens. Les deux familles italiennes, dont sont issues mon beau père et ma belle mère, sont arrivées en France vers 1930 en fuyant Mussolini. Ils poussaient littéralement une charrette, les enfants n’avaient pas de chaussures. Ils étaient en Italie ouvriers agricoles et ne possédaient rien.
Les enfants (dont mes beaux parents) avaient une dizaine d’années, pour les plus vieux et ne parlaient pas un mot de français.
Ma belle mère a appris le français, a préparé le certificat d’études en 2 ans, et grâce à son instituteur, qu’elle considère encore aujourd’hui comme un saint (elle a 93 ans) elle a eu son certif avec mention très bien.
Donc la première génération arrive en France en poussant la charrette, travaille comme journalier agricole, loue une petite maison avec un pré, dans le jura, et élève 4 vaches tout en éduquant 6 enfants dans la même chambre et les toilettes dans l’écurie.
La seconde génération, du coté de mon beau père, devient ouvrier d’usine et le reste jusqu’à la retraite. Ma belle mère, des l’âge 14 ans, certif en poche, est placée bonne chez des bourgeois, médecins, notaires. Une fois mariée à son ouvrier d’usine, tout en élevant ses 6 enfants elle continue de travailler comme employée de maison, jusqu’à sa retraite.
La troisième génération (ses 6 enfants) ont connus des fortunes diverses.
L’aînée (ma belle sœur) a épousé un agent EDF, syndicaliste CGT et a travaillé comme secrétaire chez un architecte.
Le second, après un CAP d’électricien, rentre à la SNCF, mais ne se syndique pas, devient en fin de carrière, conducteur de TGV, (l’aristocratie ouvrière ?), aujourd’hui à la retraite.
La troisieme, ma femme, CAP de couturière, abandonne sans état d’âme son métier, payé à la pièce, dans une maison de couture lyonnaise (en 68, l’arrivée du nouveau SMIC a obligé son patron à quasiment doubler ses maigres salaires aux pièces), pour m’épouser et me suivre autour du monde en élevant nos enfants.
Les trois derniers frères et sœurs , venus au monde près de 10 ans après leurs aînés, ont tous les trois faits des études supérieures, grâce aux bourses, à toutes les possibilités qu’offraient la France des trente glorieuses et aussi (et surtout) à la volonté de leur mère. Résultat: une fille infirmière, un prof des école, un BTS industrie du bois. Tous aujourd’hui proche de la retraite.
La quatrième génération, mes enfants et leurs nombreux cousins, sont dispersés un peu partout. On retrouve des profs, des artisans, un chercheur, des patrons restaurateurs, des infirmières, un opticien, et même un conseiller pour les questions énergétiques auprès du sultan de Brunaye, basé dans un cabinet anglais à Singapour.
Tout ce petit monde, arrières petits enfants, petits enfants aujourd’hui retraités, rare arrières grands parents survivants, disent tous appartenir, sans exception, à la classe moyenne, (voire à l’élite pour certains). Aucun à ma connaissance ne se revendique de la classe ouvrière de ses ancêtres. Tous sont pourtant descendants directs de ces ouvriers arrivés pieds nus en poussant la charrette il y a un siècle.
Je pourrais vous parler du capital mobilier et immobilier que tout ce petit monde a accumulé en un siècle. Certes, aucun palais, aucune villa à Saint Barth, mais tous sont propriétaires d’un appartement, d’une maison, parfois de résidences secondaires ou d’immeubles locatifs, qu’ils ont achetés, rénovés, parfois hérités par alliance (tous ces gens se sont bien sûr mariés).
Evidemment un exemple ne fait pas une statistique. Mais ce n’est pas non plus une exception. En Savoie, les sagas familiales d’Italiens arrivés « pieds nus en poussant la brouette » se retrouvent à plusieurs exemplaires, dans chaque village.
Pendant les trente glorieuses et jusque dans les années 80, l’ascenseur social a propulsé des masses de pauvres dans les classes moyennes. L’ascension s’est faite parfois par l’école et les diplômes, mais beaucoup plus souvent par l’esprit d’entreprise, et par le travail au quotidien.
Et rien, selon moi, ne montre que leur comportement soit différent de celui des classes moyennes « historiques ».
Il reste que le comportement conservateur de la classe moyenne, de toute la classe moyenne, d’en haut jusqu’en bas, ancienne ou nouvelle, pourrait bien être à l’origine des blocages de la société française. En particulier, être l’une des causes de l’échec de l’intégration de la dernière vague d’immigrants et de nombreux autres dysfonctionnements comme le naufrage de l’éducation nationale. Selon le mécanisme que j’essayais d’expliquer plus haut.
@BolchoKek
[La critique du "postmodernisme" et le rôle des classes moyennes – et par extension de certains penseurs – dans son arrivée dans le champ politique est assez proche de la tienne. Tu n’es pas seul !]
Oui enfin, je suis pas sur à partir de ton exemple d’être très bien accompagné… 😉
l’article est intéressant et fait une analyse similaire à la mienne sur un certain nombre de points. Mais comme beaucoup d’articles venant du marxisme « orthodoxe », il profite pour régler des comptes d’une manière qui rendent certaines démonstrations suspectes. A-t-on vraiment besoin de rappeler que tel ou tel philosophe « postmoderne » a été trotskyste ou « luxemburgiste » dans sa jeunesse sur un ton qui suggère qu’il s’agit d’un pêché mortel qui explique le reste de son histoire ?
Le problème de cette analyse, c’est qu’il parle du rôle des « classes moyennes » sans chercher véritablement à les définir. On comprend qu’il s’agit d’une classe enrichie par les « bons salaires » payés pendant les « trente glorieuses » et par la redistribution organisée par « l’état providence ». Mais on n’aborde pas la question, cruciale à mon sens, des raisons pour lesquelles cette classe a pu maintenir sa position bien après la fin des « trente glorieuses » et alors que « l’état providence » s’affaiblit chaque jour. Un phénomène qui ne peut à mon avis s’expliquer qu’en admettant que cette couche possède un capital…
@Descartes
Comme me dit ma femme : « mais pourquoi éprouve-tu le besoin de polémiquer avec les communistes. Aujourd’hui, il n’y en plus, des communistes ! »
Et si les Marxistes, en voulant refaire le monde tel que l’avait pensé leur champion, avaient juste oublié un point essentiel : L’être humain n’est pas seulement une position dans le processus productif. C’est d’abord et surtout un être autonome, capable de réflexions, de réactions individuelles, de courage, de volonté, d’esprit de compétition, d’esprit d’entreprise.
Dans la vraie vie, quand ils n’en sont pas empêchés par un système totalitaire de type communiste, les ouvriers pauvres, cherchent à échapper à leur condition de pauvres, soit par de grandes études dont peu d’individus sont capables, soit, beaucoup plus fréquemment en se lançant dans des activités les plus éloignées possibles de la condition d’ouvriers de leurs parents. En dehors des pays communistes qui leur interdisaient de créer leur propre emploi, en créant leur propre entreprise, les pauvres se lancent dans le petit commerce, l’artisanat, les services … les marxistes feignent d’ignorer que vivre et prospérer c’est aussi, vendre des frites et des sandwichs, s’installer comme maçon et comme plombier … On peut trouver sa place et s’épanouir autrement qu’en étant « exploiteur » ou « exploité ».
Dans la vraie vie, il existe des marchands de journaux, des primeurs sur les marchés, des jongleurs de rue, des livreurs de pizzas, des loueurs de pédalos, des moniteurs de ski … Quelle place y a-t-il dans une société marxiste pour les baraques à frites et les laveurs de vitres indépendants ?
De façon naturelle, instinctive, pour survivre et prospérer l’homme est un entrepreneur, le marxisme voudrait le réduire à un rôle de protestataire, de manifestant.
Pour revenir un instant sur la monté des classes moyennes :
Hier en discutant avec l’arabe marchand de primeurs sur mon marché de village, je lui demandais des nouvelles de sa famille. Et il me disait « J’ai mis ma fille à l’école privée, parce que, près de chez moi, le collège il n’est pas bon ». Comme je lui faisais remarqué que l’école privée était catholique, il m’a répondu « oh, vous savez, il n’y a qu’un seul Bon Dieu, l’important c’est que ma fille soit bien éduquée ». C’était juste une petite anecdote pour dire que quiconque, non marxiste, se rebelle contre sa condition de pauvre, compte dans un premier temps avant tout sur lui-même pour en sortir. Et dès qu’il s’en est sorti, il fait tout pour assurer le meilleur à sa progéniture.
@vent2sable
[En l’absence de statistiques sur l’existence, et encore plus sur les comportements respectifs de ces supposées « deux » classes moyennes, je vous livre ma perception à travers ce que je vois autour de moi. Ça ne remplacera jamais les statistiques mais, en attendant, ça permet de réfléchir.]
Voyons voir :
[(…) Donc la première génération arrive en France en poussant la charrette, travaille comme journalier agricole, loue une petite maison avec un pré, dans le jura, et élève 4 vaches tout en éduquant 6 enfants dans la même chambre et les toilettes dans l’écurie. La seconde génération, du coté de mon beau père, devient ouvrier d’usine et le reste jusqu’à la retraite. Ma belle mère, des l’âge 14 ans, certif en poche, est placée bonne chez des bourgeois, médecins, notaires. Une fois mariée à son ouvrier d’usine, tout en élevant ses 6 enfants elle continue de travailler comme employée de maison, jusqu’à sa retraite.]
En d’autres termes, on est toujours dans un contexte ouvrier. Il y a une très petite accumulation de capital domestique, une augmentation du niveau de vie qui suit celui de la productivité.
[La troisième génération (ses 6 enfants) ont connus des fortunes diverses. L’aînée (ma belle sœur) a épousé un agent EDF, syndicaliste CGT et a travaillé comme secrétaire chez un architecte. Le second, après un CAP d’électricien, rentre à la SNCF, mais ne se syndique pas, devient en fin de carrière, conducteur de TGV, (l’aristocratie ouvrière ?), aujourd’hui à la retraite. La troisieme, ma femme, CAP de couturière, abandonne sans état d’âme son métier, payé à la pièce, dans une maison de couture lyonnaise (en 68, l’arrivée du nouveau SMIC a obligé son patron à quasiment doubler ses maigres salaires aux pièces), pour m’épouser et me suivre autour du monde en élevant nos enfants. Les trois derniers frères et sœurs , venus au monde près de 10 ans après leurs aînés, ont tous les trois faits des études supérieures, grâce aux bourses, à toutes les possibilités qu’offraient la France des trente glorieuses et aussi (et surtout) à la volonté de leur mère. Résultat: une fille infirmière, un prof des école, un BTS industrie du bois. Tous aujourd’hui proche de la retraite.]
En d’autres termes, pour l’exprimer économiquement, il y a eu une accumulation variable de capital. Certains ont fait des métiers ouvriers – plus ou moins « aristocratiques » et suivi l’augmentation de niveau de vie de la classe ouvrière française – d’autres, ceux qui ont pu bénéficier à plein des « trente glorieuses », on accumulé des capitaux plus importantes en faisant des études supérieures.
[Tout ce petit monde, arrières petits enfants, petits enfants aujourd’hui retraités, rare arrières grands parents survivants, disent tous appartenir, sans exception, à la classe moyenne, (voire à l’élite pour certains).]
Oui, mais ce que les gens « disent » reflète plus une ambition que la vérité. Si tu poses la question aux gens, l’immense majorité « disent » être plus intelligents que la moyenne, ce qui de toute évidence conduit à une contradiction.
[Aucun à ma connaissance ne se revendique de la classe ouvrière de ses ancêtres. Tous sont pourtant descendants directs de ces ouvriers arrivés pieds nus en poussant la charrette il y a un siècle.]
Et ça vous étonne ? Après trente ans de discours présentant l’ouvrier comme un « beauf » mal dégrossi, machiste, incapable, alcoolique, raciste, fasciste et en plus en train de disparaître, je vois mal qui pourrait avoir envie de se « revendiquer » de la sorte. Aujourd’hui, se revendiquer ouvrier équivaut à se revendiquer comme un raté. Les gens qui réussissent ne sont jamais « ouvriers ». Mais la question n’est pas ce qu’on se revendique, mais ce qu’on est.
[Je pourrais vous parler du capital mobilier et immobilier que tout ce petit monde a accumulé en un siècle. Certes, aucun palais, aucune villa à Saint Barth, mais tous sont propriétaires d’un appartement, d’une maison, parfois de résidences secondaires ou d’immeubles locatifs, qu’ils ont achetés, rénovés, parfois hérités par alliance (tous ces gens se sont bien sûr mariés).]
Bien sur. Cela traduit les énormes surplus produits durant les « trente glorieuses », qui ont ouvert le processus d’accumulation de capital même aux plus modestes.
[Pendant les trente glorieuses et jusque dans les années 80, l’ascenseur social a propulsé des masses de pauvres dans les classes moyennes. L’ascension s’est faite parfois par l’école et les diplômes, mais beaucoup plus souvent par l’esprit d’entreprise, et par le travail au quotidien.
Et rien, selon moi, ne montre que leur comportement soit différent de celui des classes moyennes « historiques ».]
C’est là ou je pense que vous faites erreur : les trente glorieuses ont propulsé beaucoup de gens vers le revenu moyen. Mais cela ne veut pas dire propulsé vers les « classes moyennes ». Et on le voit d’ailleurs très bien lorsqu’on voit ce qui arrive lorsque la mer des « trente glorieuses » s’est retirée. Pour certains, cela s’est traduit par un retour aux faibles revenus. Pour d’autres, non. C’est peut-être là qu’on voit la différence entre les classes moyennes au sens ou je l’entend et au sens du revenu. Lorsque l’on est « classe moyenne » par le capital accumulé, on est protégé du phénomène. Lorsqu’on l’est par le revenu, non.
[Il reste que le comportement conservateur de la classe moyenne, de toute la classe moyenne, d’en haut jusqu’en bas, ancienne ou nouvelle, pourrait bien être à l’origine des blocages de la société française.]
Mais le comportement des classes moyennes au sens ou je l’entends n’a rien de « conservateur », au contraire. C’est là où à mon avis vous faites erreur en attribuant à l’ensemble des gens qui ont un revenu « moyen » un même comportement. Non : les « classes moyennes » n’ont rien de « conservateur ». Elles ont embrassé la construction européenne, l’Euro, les réformes de l’école, la décentralisation…
@vent2sable
[Et si les Marxistes, en voulant refaire le monde tel que l’avait pensé leur champion, avaient juste oublié un point essentiel : L’être humain n’est pas seulement une position dans le processus productif. C’est d’abord et surtout un être autonome, capable de réflexions, de réactions individuelles, de courage, de volonté, d’esprit de compétition, d’esprit d’entreprise.]
Je ne comprends pas le reproche. Marx était d’abord un philosophe de l’histoire, un économiste – et accessoirement un sociologue – mais certainement pas un métaphysicien. La question de savoir ce qu’est l’être humain n’était pas de son domaine. La théorie marxiste est une analyse de l’évolution des modes de production et des conflits entre les classes qui les sous-tendent. Pas une réflexion sur l’être humain individuel. Et les tentatives de faire du marxisme à l’échelle des individus m’ont toujours parues désastreuses.
[Dans la vraie vie, quand ils n’en sont pas empêchés par un système totalitaire de type communiste, les ouvriers pauvres, cherchent à échapper à leur condition de pauvres, soit par de grandes études dont peu d’individus sont capables, soit, beaucoup plus fréquemment en se lançant dans des activités les plus éloignées possibles de la condition d’ouvriers de leurs parents.]
Je ne comprends pas que vous commenciez par critiquer les « marxistes » pour ensuite reprendre exactement l’un des piliers du raisonnement marxiste, à savoir, que les individus agissent dans un système de contraintes en fonction de leurs intérêts. Il n’y a rien dans votre raisonnement que Marx aurait pu rejeter…
[En dehors des pays communistes qui leur interdisaient de créer leur propre emploi, en créant leur propre entreprise, les pauvres se lancent dans le petit commerce, l’artisanat, les services … les marxistes feignent d’ignorer que vivre et prospérer c’est aussi, vendre des frites et des sandwichs, s’installer comme maçon et comme plombier … On peut trouver sa place et s’épanouir autrement qu’en étant « exploiteur » ou « exploité ».]
Au contraire, les marxiste n’ont jamais ignoré que « vivre et prospérer c’est aussi vendre des frites et des sandwichs ». Et pas que cela, la prostitution est aussi un commerce fort lucratif et assez ancien, qui a nourri des générations et des générations d’êtres humains. Par contre, pour « créer sa propre entreprise » il faut du capital. Et ce capital ne peut venir que d’un processus d’accumulation, dans lequel un surplus est thésaurisé. Or, ce qui caractérise les pauvres, c’est précisément qu’ils ne bénéficient que d’un surplus très faible, puisqu’une fois qu’ils on satisfait leurs besoins essentiels, il ne leur reste rien. Le processus d’accumulation est donc très lent, et la productivité du travail augmente par conséquent très lentement. Le pauvre a donc tout intérêt, plutôt qu’à attendre jusqu’à la Saint Glinglin d’avoir accumulé suffisamment de capital pour atteindre une productivité suffisante, d’aller travailler chez le riche qui, lui, a le capital. Même s’il est exploité – c’est à dire, si le capitaliste empoche une partie de la valeur produite – ce qui lui reste est bien plus intéressant que s’il allait installer à son compte, tout bêtement parce que le capital que le capitaliste apporte permet un productivité plus élevée. C’est d’ailleurs pourquoi des millions de villageois ont quitté entre 1800 et 1950 leur petite ferme, leur petite échoppe, pour aller travailler à l’usine. Il faut croire qu’on s’épanouit bien mieux comme « exploité » dans une usine à forte productivité que dans « le petit commerce, l’artisanat et les services » à la faible productivité parce que sans capital…
En fait, le processus réel est l’inverse de celui que vous décrivez. Lorsque les pauvres se lancent « à vendre des frites et des sandwichs », ce n’est pas parce qu’ils fuient le travail salarié, mais au contraire parce qu’ils n’arrivent pas à y rentrer. En France, les « petits métiers » ont progressivement disparu avec les « trente glorieuses » et réapparu avec la crise. Ailleurs, c’est dans les pays où le chômage sévit et ou le capital est insuffisant pour faire travailler tout le monde que ces métiers font vivre une partie importante de la population. La loi économique qui veut que les facteurs de production aillent aux activités les plus productives est assez bien vérifiée.
[Dans la vraie vie, il existe des marchands de journaux, des primeurs sur les marchés, des jongleurs de rue, des livreurs de pizzas, des loueurs de pédalos, des moniteurs de ski … Quelle place y a-t-il dans une société marxiste pour les baraques à frites et les laveurs de vitres indépendants ?]
Je ne sais pas ce que vous entendez par « une société marxiste ». A ma connaissance, le marxisme est un ensemble d’outils d’analyse de l’histoire et de l’économie. Marx est avant tout un théoricien du capitalisme, et non le prophète d’une autre forme de société.
Cela étant dit, quelle est la place des livreurs de pizza dans la société capitaliste ? Si votre enfant venait vous dire qu’il a décidé d’abandonner ses brillantes études de médecine ou d’ingénieur pour être livreur de pizza, quelle serait votre réaction ? Seriez-vous fier que votre enfant se consacre à un travail aussi utile ? Diriez-vous à vos amis avec joie « mon fils, il a choisi un beau métier : livreur de pizza » ? Bien sur que non. Les gens qui font livreur de pizza font ça parce qu’ils ne trouvent rien de mieux. Parce qu’ils n’ont pas le choix. Ils ne sont guère différents de ceux qui hier descendaient dans les mines pour la même raison. Une société qui serait capable d’offrir à chacun un emploi bien rémunéré n’aurait pas la place pour des jongleurs de rue ou des livreurs de pizza, tout bêtement parce que personne ne serait prêt à payer la livraison de sa pizza au prix qu’elle coûterait si le livreur était bien rémunéré.
[De façon naturelle, instinctive, pour survivre et prospérer l’homme est un entrepreneur, le marxisme voudrait le réduire à un rôle de protestataire, de manifestant.]
Vous parlez du « marxisme » comme si vous y connaissiez quelque chose. De grâce, dites-moi, avez vous lu « Le Capital » ? Le « manifeste du Parti Communiste » peut-être ? Non ? Alors sur quoi vous appuyez vous pour proférer une affirmation aussi absurde que celle-ci ? Dans quel texte « marxiste » on réduirait l’homme « à un rôle de protestataire, de manifestant » ?
Pour le reste, je suis toujours étonné qu’il y ait encore des gens pour croire la mythologie entrepreneuriale. Mais là, vous allez plus loin : l’entrepreneuriat serait en quelque sorte inscrit dans la nature humaine. Ce qui bien entendu nous conduit à la conclusion canonique : aller contre l’entrepreneuriat, c’est aller – horreur, malheur – contre la Nature. Bien entendu, tout ce discours s’appuie sur l’ambiguïté du mot « entrepreneur », et surtout sur l’illusion que toute « entreprise » est par essence privée. En quoi Napoléon était-il moins « entrepreneur » que Bill Gates ?
[Hier en discutant avec l’arabe marchand de primeurs sur mon marché de village, je lui demandais des nouvelles de sa famille. Et il me disait « J’ai mis ma fille à l’école privée, parce que, près de chez moi, le collège il n’est pas bon ». Comme je lui faisais remarqué que l’école privée était catholique, il m’a répondu « oh, vous savez, il n’y a qu’un seul Bon Dieu, l’important c’est que ma fille soit bien éduquée ». C’était juste une petite anecdote pour dire que quiconque, non marxiste, se rebelle contre sa condition de pauvre, compte dans un premier temps avant tout sur lui-même pour en sortir. Et dès qu’il s’en est sorti, il fait tout pour assurer le meilleur à sa progéniture.]
Pardon, mais… comment savez-vous que votre marchand de primeurs est « non marxiste » ? Lui avez-vous posé la question ? Si la réponse est « non », je vous surprends dans un magnifique exemple de raisonnement à rebours… Ensuite, j’aimerais que vous précisiez en quoi consiste pour vous le fait d’être « marxiste », parce que j’ai l’impression que chez vous règne une grande confusion sur cette question.
Votre conclusion par contre est risible. Si votre marchand « comptait avant tout sur lui même pour en sortir », pourquoi envoie-t-il sa fille à l’école, plutôt que l’instruire lui même dans son magasin ? Votre exemple montre au contraire que votre marchand a dépassé le stade de « faire confiance à lui même » pour transférer cette confiance sur une institution. Et enfin, Marxistes et non-marxistes se rejoignent sur le fait de vouloir le meilleur pour leurs progénitures. C’est d’ailleurs une des rares choses qui restent chez l’être humain de sa condition animale. Mais pensez-vous vraiment que les « marxistes » souhaitent du mal à leurs propres enfants ?
@Descartes
[Au contraire, les marxiste n’ont jamais ignoré que « vivre et prospérer c’est aussi vendre des frites et des sandwichs ». Et pas que cela, la prostitution est aussi un commerce fort lucratif et assez ancien …]
Pour vous, l’entreprise individuelle des commerçants, artisans, marchands de marché … de ceux qui créent une petite entreprise individuelle, pour vous Descartes, c’est la même chose que de se prostituer.
C’est à ce genre de remarque qu’on comprend mieux la nature et la profondeur de votre pensée.
@Descartes
[Votre conclusion par contre est risible]
Risible ?
« Mon » marchand commence par s’en sortir tout seul, puis il aide sa progéniture. Alors j’écris :
[…dans un premier temps (il compte) avant tout sur lui-même pour en sortir. Et dès qu’il s’en est sorti, il fait tout pour assurer le meilleur à sa progéniture]
Un pauvre, pour échapper à sa condition, comptera sur sa volonté, sur sa force, pour s’en sortir par lui-même, ce qui n’a rien de contradictoire avec le fait qu’une fois sorti de la misère il fera tout pour aider sa progéniture.
Je ne vois là rien de risible ni de contradictoire.
Pourquoi cette remarque méprisante ?
@vent2sable
[Pour vous, l’entreprise individuelle des commerçants, artisans, marchands de marché … de ceux qui créent une petite entreprise individuelle, pour vous Descartes, c’est la même chose que de se prostituer. C’est à ce genre de remarque qu’on comprend mieux la nature et la profondeur de votre pensée.]
Je pourrais vous retourner le compliment.
Je vous cite : « En dehors des pays communistes qui leur interdisaient de créer leur propre emploi, en créant leur propre entreprise, les pauvres se lancent dans le petit commerce, l’artisanat, les services … ». C’est vrai, les gens cherchent à gagner leur vie du mieux possible. Et pour cela ils deviennent non seulement livreurs de pizza ou vendeurs de frites, mais aussi prostitués, tenanciers de bordels, marchands d’armes, contrebandiers de cigarettes, trafiquants de drogues, braqueurs. Sauf, bien entendu, lorsque le (méchant ?) Etat les en empêche. Et même alors, c’est une question d’analyse du rapport risque/bénéfice.
Pour vous, il semble y avoir une hiérarchie entre les « entreprises individuelles ». Certaines, celles que vous jugez moralement conformes, relèveraient de ce noble instinct naturel de l’être humain qui est l’entrepreuneriat et auquel les hommes ont recours « pour survivre et prospérer ». Et d’autres, celles qui ne correspondent pas à ce que vous jugez être moralement acceptable, non. Mais qui vous permet de les séparer ? De décider que telle entreprise releve de la saine volonté de l’homme de s’élever, et telle autre d’une intention antisociale ?
Au delà des excès et des absurdités, l’intention des « pays communistes » était d’interdire les activités qui permettent à certains hommes d’exploiter d’autres hommes. Cette interdiction bride certes l’instinct d’entreprise, mais pas plus que la législation qui interdit le trafic de drogue ou d’êtres humains. Et si vous estimez justifiée l’interdiction de ces trafics au nom de la morale, pourquoi n’admettez vous pas qu’on puisse juger l’exploitation de l’homme par l’homme tout aussi immorale ?
@vent2sable
[Risible ?]
Oui : qui fait rire.
[« Mon » marchand commence par s’en sortir tout seul, puis il aide sa progéniture.]
Mais « s’en sortir » de quoi ? Il fait exactement ce que font des millions et des millions de français : il va au boulot tout le jour. Quelle différence entre votre marchand et l’ouvrier de Renault ? C’est cela « s’en sortir » ?
[Pourquoi cette remarque méprisante ?]
Relisez vos remarques sur « les marxistes », et vous comprendrez pourquoi. Quand on crache en l’air, faut pas s’étonner que ça retombe.
« Vous en faites une catégorie volontiers « conservatrice » ^
Loin de moi d’en faire une essence mais de souligner par contraste avec les nouvelles couches à un moment historique donné.
« Mais du point de vue de l’analyse marxiste, il n’y a pas de véritable problème à condition de regarder finement le pouvoir de négociation de chacun : entre le technicien/ingénieur hautement qualifié – c’est à dire, qui dispose d’un capital – capable de négocier un salaire élevé et qui représente l’essentiel de la valeur qu’il créé, et le technicien/ingénieur à la qualification plus faible, il y a une ligne qui place les seconds à côté de la classe ouvrière, et les premiers dans un « no man’s land » marxiste que j’appelle, moi, « classe moyenne »…
Voilà aussi une difficulté qui pourrait nous ramener au problème que vous voulez éviter : « Mais il y a une différence fondamentale : la « upper middle class » est définie sur ces considérations de revenu, ».
D’un côté, plus le salaire lié au travail s’approche de sa valeur, plus élevée est sa rémunération.
De l’autre comment chiffrer la valeur surtout dans un monde économique complexe et ouvert ?
Par ailleurs, l’on sait que le degré de « confiscation » varie selon différents paramètres dont l’état de la lutte des classes. Rien, en théorie n’interdit qu’à un moment donné la plus-value, dans un monde fermé et à pénurie de personnel, soit extrêmement réduite, boom de la « classe moyenne » ?
En d’autres termes, imaginons qu’une catégorie de travailleurs manuels arrive à réduire de façon drastique la plus-value concédée, cela ferait-il de celle-ci une nouvelle fraction des « classes moyennes » ?
C’est ma façon (bien modeste) de « soupeser ».
@morel
[D’un côté, plus le salaire lié au travail s’approche de sa valeur, plus élevée est sa rémunération. De l’autre comment chiffrer la valeur surtout dans un monde économique complexe et ouvert ?]
Justement, parce que ce chiffrage est extrêmement difficile (voire impossible), je fais un raisonnement inverse que j’essaye de schématiser simplement :
1) S’il existe d’un côté une bourgeoisie qui a suffisamment de capital pour pouvoir empocher plus de valeur qu’elle ne produit, et d’un autre une classe ouvrière qui n’ayant pas de capital est obligée de vendre sa force de travail à un prix inférieur à la valeur produite, il doit y avoir au milieu une couche ayant suffisamment de capital pour pouvoir empocher la valeur qu’elle produit. C’est l’application du théorème de Rolle à l’économie politique…
2) Si cette couche existe, alors elle partage des intérêts communs qui en font une classe. Il faut donc rechercher dans la société un groupe qui économiquement occupe cette position intermédiaire et dont on peut constater qu’il a des comportements qui tendent à défendre les mêmes intérêts.
3) C’est donc à partir de ces comportements qu’on peut essayer de délimiter cette classe, dont la délimitation sur des critères économiques impliquerait d’avoir accès à des données qui n’existent pas actuellement.
[Par ailleurs, l’on sait que le degré de « confiscation » varie selon différents paramètres dont l’état de la lutte des classes. Rien, en théorie n’interdit qu’à un moment donné la plus-value, dans un monde fermé et à pénurie de personnel, soit extrêmement réduite, boom de la « classe moyenne » ?]
C’est un point important. Les « classes moyennes » au sens ou je les entend ont un pouvoir de négociation important du fait du capital matériel mais surtout immatériel qu’elles détiennent. Mais dans des circonstances particulières, des couches ouvrières peuvent se trouver temporairement avoir un pouvoir de négociation important pour d’autres raisons. Dans le cas des classes moyennes, le pouvoir de négociation est structurel, alors qu’il n’est que conjoncturel dans le deuxième cas. Mais il est vrai que ces phénomènes peuvent faire penser à un « boom de la classe moyenne » alors qu’il s’agit d’autre chose.
Par contre, un « boom » conjoncturel permet à certaines couches populaires d’accéder aux classes moyennes en accumulant du capital : l’ouvrier des « trente glorieuses » qui a pu envoyer son fils à Polytechnique a fait ce saut en une génération.
[En d’autres termes, imaginons qu’une catégorie de travailleurs manuels arrive à réduire de façon drastique la plus-value concédée, cela ferait-il de celle-ci une nouvelle fraction des « classes moyennes » ?]
Non, sauf s’il s’agit d’une réduction structurelle. Prenons un exemple : un ouvrier se procure les preuves que son patron trompe sa femme, et réussit, en le faisant chanter, à doubler son salaire. Rentre-t-il pour autant dans les « classes moyennes » ? Non : son salaire est purement conjoncturel, et si la femme du patron passe sous un rouleau compresseur, sa situation reviendra au point de départ. Par contre, s’il économise le salaire pour accumuler un capital, c’est autre chose…
Je prends bonne note de votre réponse. La réflexion a besoin d’être étayée sans préjugé.
Quelques constats :
1 le tournant a bien eu lieu dans les années 60 (voir graphique Insee 2) :
http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1312
2 le terme « classe moyenne » me semble trop sujet à confusion
Puis-je vous avouer que Rolle ? Bon, avec l’aide (ma fille qui ne semble pas avoir gardé des séquelles de ses anciens dessins !) je crois avoir saisi l’esprit ; de même pour les citations latines où je cherche sur internet en ne me limitant pas à une traduction littérale mais ne changez rien, apprendre, comprendre c’est toujours gratifiant.
@morel
[1 le tournant a bien eu lieu dans les années 60 (voir graphique Insee 2) :]
En fait, le graphique semble indiquer plutôt que le tournant a eu lieu au milieu des années 1970. Jusqu’à 1975, le poids du bloc « ouvriers + employés » augmente régulièrement. Il y a certes un transfert entre ces deux catégories, mais cela tient en partie à une requalification de certains métiers qu’on peut considérer « ouvriers » en « employés » du fait de la sous-traitance. Pour l’INSEE, une femme de ménage employée par Peugeot pour nettoyer un atelier industriel est un « ouvrier », une femme de ménage employée par ELIO pour nettoyer ce même atelier dans le cadre d’un contrat de sous-traitance est considérée comme « employée ».
C’est en 1975 que la tendance s’inverse, avec un développement rapide des « professions intermédiaires » et des « professions supérieures » qui remplissent le creux. On peut interpréter cela comme l’arrivée sur le marché du travail des générations nées après 1945, qui ont bénéficié à plein de l’ascenseur social des « trente glorieuses » et qui arrivent donc sur le marché à un niveau supérieur à celui de leurs parents.
[2 le terme « classe moyenne » me semble trop sujet à confusion]
Possible, mais je n’ai pas trouvé de meilleur pour désigner cette couche « intermédiaire » entre ceux qui empochent la plusvalue et ceux qui la fournissent… si vous trouvez un terme qui soit également parlant, je veux bien le reprendre.
[Puis-je vous avouer que Rolle ? Bon, avec l’aide (ma fille qui ne semble pas avoir gardé des séquelles de ses anciens dessins !) je crois avoir saisi l’esprit ;]
Une autre formulation est celle du théorème des valeurs intermédiaires : si f est une fonction continue, alors sur l’intervalle [a,b] f prend toutes les valeurs de l’intervalle [f(a), f(b)]. Pour l’appliquer à mon problème : si pour les ouvriers la plusvalue encaissée est négative, et pour les bourgeois elle est positive, alors il faut bien qu’il y ait quelqu’un au milieu pour laquelle elle est nulle…
[de même pour les citations latines où je cherche sur internet en ne me limitant pas à une traduction littérale mais ne changez rien, apprendre, comprendre c’est toujours gratifiant.]
Je ne voudrais pas que vous ayez l’impression que c’est de la pédanterie. J’adore les citations en général, d’autre part parce que les grands auteurs disent en général les choses d’une manière infiniment plus belle que je ne pourrais les dire moi-même, et d’une part parce que je trouve toujours intéressant de rattacher une réflexion contemporaine à ce qui s’est dit par le passé. Quant aux citations latines… je les trouve très belles et je regrette infiniment de n’avoir pas eu l’opportunité de faire du latin quand j’étais enfant. Alors, maintenant, je me venge… mais j’essaye à chaque fois de mettre la traduction en référence.
@Descartes
En 1850, le capital des ménages, comme le capital de toute l’économie, était presque entièrement dans les mains de la bourgeoisie.
Aujourd’hui le patrimoine moyen des ménages est de 380000€ (en France)
L’ensemble des actifs des ménages est passé en 10 ans, de 3900 milliards en 1995 à 9000 milliards en 2005. (10500 milliards aujourd’hui). Les ménages se sont enrichi aussi vite l’ensemble du pays.
Les ouvriers possèdent du capital, comme les employés, les cadres ou les professions libérales.
Si on cumule l’effet des mariages et des héritages, il n’est pas rare de voir des familles « modestes » à la tête de patrimoines immobiliers conséquents. Si deux enfants uniques, possédant leur propre maison, ont hérité des maisons ou appartements achetés à crédit par leur parents ou grands-parents, ils peuvent se retrouver avec 2, 3 voire 4 maisons.
En ville, des familles de maçons italiens ou portugais, on réhabilité des immeubles entiers, ils ont créés des SCI et leurs enfants se retrouvent "grands" propriétaires, voire rentiers !
Rien ne montre que le comportement de tous ces nouveaux riches, ou de ces anciens pauvres, si vous préférez, soit différent de celui des bourgeois.
Quant au capital immatériel qui permettrait de négocier un meilleur salaire … on peut etre sceptique. La qualité de la négociation entre un salarié, cadre ou pas, et son employeur, ne dépend pas que d’éléments objectifs. Par exemple, à fonction égale, certains secteurs payent mieux que d’autres. Et surtout, ceux qui ont travaillé dans le privé, savent bien que, dans une même fonction, d’énormes disparités existent, en fonction d’une multitude de critères, liés à l’historique de la carrière des uns et des autres.
Là où nous pourrions encore trouver une classe qui s’apparenterait au prolétariat, (voire au sous- prolétariat) c’est chez les émigrés des dernières décennies.
Ceux qui sont arrivés après la panne de l’ascenseur social, après l’arrivée du chômage de masse.
Et eux, pour le coup, sont la bête noire des classes moyennes inférieures à qui ils font peur.
Avec la situation actuelle, les classes moyennes inférieures, craignent d’être déclassées, craignent de reculer d’une case.
La "classe" qui bloque la société, ce serait plutôt la classe moyenne inférieure.
Ce phénomène est même l’un des piliers de la monté du FN.
Mais quand, par bonheur, une de ces familles d’immigrés, s’arrache à la misère, son comportement se calque immédiatement sur celui de la classe moyenne.
@vent2sable
[En 1850, le capital des ménages, comme le capital de toute l’économie, était presque entièrement dans les mains de la bourgeoisie.]
D’où tirez vous cette idée ? D’abord, j’ai l’impression que vous confondez « capital » et « patrimoine ». Ce n’est pas du tout la même chose. Un collier de perles n’est pas un « capital ».Un château de famille est un patrimoine, il ne devient « capital » que si vous le mettez au travail, par exemple en faisant un hôtel.
[Aujourd’hui le patrimoine moyen des ménages est de 380000€ (en France). L’ensemble des actifs des ménages est passé en 10 ans, de 3900 milliards en 1995 à 9000 milliards en 2005.]
Vous confondez allègrement « actifs », « capital » et « patrimoine »…
[Les ménages se sont enrichi aussi vite l’ensemble du pays.]
Quels ménages ? Les plus pauvres ? Les plus riches ? Tous ? De ce point, les chiffres de l’INSEE sont très intéressantes. Ainsi, on constate qu’entre 2004 et 2010 que les trois premiers déciles se sont en fait appauvris légèrement (de l’ordre de 2%). Le troisième s’est enrichi de 25%, et ensuite tous les autres ont gagné de l’ordre de 45%… difficile dans ces conditions de dire que « les ménages se sont enrichis aussi vite que l’ensemble du pays ». CERTAINS se sont enrichis, d’autres pas. Ce qui est intéressant, c’est que les classes moyennes et la bourgeoisie se sont enrichis à la même vitesse…
(pour le tableau complet voir http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=patrmoyendecile).
[Les ouvriers possèdent du capital, comme les employés, les cadres ou les professions libérales.]
Oui, et c’était déjà vrai en 1850. Un four, c’est du capital. Une bicyclette pour aller au travail, c’est du capital. Et alors ?
[Si on cumule l’effet des mariages et des héritages, il n’est pas rare de voir des familles « modestes » à la tête de patrimoines immobiliers conséquents.]
Oui. Mais encore une fois vous confondez « patrimoine » et « capital ».
[En ville, des familles de maçons italiens ou portugais, on réhabilité des immeubles entiers, ils ont créés des SCI et leurs enfants se retrouvent "grands" propriétaires, voire rentiers !]
Mais bien sur. On dirait que vous découvrez que les capitalistes d’aujourd’hui sont des ouvriers de la veille. Vous savez, les capitalistes ne sont pas d’une essence différent de celle des autres hommes…
[Rien ne montre que le comportement de tous ces nouveaux riches, ou de ces anciens pauvres, si vous préférez, soit différent de celui des bourgeois.]
Je suis ravi que vous soyez d’accord sur ce point avec Marx et les marxistes… c’est l’appartenance de classe qui détermine en dernière instance les comportements. Je savais bien qu’on finirait par être d’accord sur quelque chose…
[Quant au capital immatériel qui permettrait de négocier un meilleur salaire … on peut etre sceptique. La qualité de la négociation entre un salarié, cadre ou pas, et son employeur, ne dépend pas que d’éléments objectifs. Par exemple, à fonction égale, certains secteurs payent mieux que d’autres. Et surtout, ceux qui ont travaillé dans le privé, savent bien que, dans une même fonction, d’énormes disparités existent, en fonction d’une multitude de critères, liés à l’historique de la carrière des uns et des autres.]
Cela ne veut nullement dire que la distinction ne se fasse pas sur la base de critères objectifs. D’une manière générale, le patron ne paye pas un salaire donné s’il peut acheter la même force de travail à un prix inférieur. S’il accepte de payer plus à un salarié plutôt qu’un autre en fonction de « l’historique de carrière », c’est aussi parce qu’il n’achète pas la même chose selon l’expérience du salarié.
[Là où nous pourrions encore trouver une classe qui s’apparenterait au prolétariat, (voire au sous- prolétariat) c’est chez les émigrés des dernières décennies.]
Vous assenez cette affirmation comme si c’était une vérité d’évangile. Et bien non : ce qui caractérise « le prolétariat », c’est le fait qu’il se voit obligé de vendre sa force de travail pour une fraction seulement de la valeur qu’il produit. A partir de là, je vois autour de nous beaucoup de « prolétaires » qui n’ont rien à voir avec l’immigration. C’est drôle comment on a cherché à exorciser la lutte de classe en prétendant qu’il n’y aurait plus de prolétaires, qu’ils seraient devenus « autre chose »…
[Avec la situation actuelle, les classes moyennes inférieures, craignent d’être déclassées, craignent de reculer d’une case.]
Je crains qu’on fasse là encore une confusion entre « appauvrir » et « déclasser ». Un médecin de campagne qui gagne à peine sa vie se « déclasse » en prenant un emploi de soudeur bien payé, mais ne « s’appauvrit » pas. J’ai l’impression que vous confondez les ouvriers qui craignent de perdre leur niveau de vie et les véritables « classes moyennes » (au sens que je leur donne) qui, elles, forment une classe différente du fait de leur position dans le mode de production, et qui peuvent craindre, elles, d’être « déclassées ».
[La "classe" qui bloque la société, ce serait plutôt la classe moyenne inférieure.]
C’est à dire, les ouvriers bien payés qui ne veulent pas perdre leur niveau de vie. Tiens, tiens… j’ai déjà entendu cet argument quelque part…
[Ce phénomène est même l’un des piliers de la monté du FN. Mais quand, par bonheur, une de ces familles d’immigrés, s’arrache à la misère, son comportement se calque immédiatement sur celui de la classe moyenne.]
En d’autres termes, elle devient le frein qui « bloque la société » et qui est « le pilier de la montée du FN » ? Et vous trouvez cela « un bonheur » ?
Ce dernier commentaire montre combien vous même vous acceptez finalement l’idée d’une « classe moyenne » spécifique et qui a « par bonheur » les bons comportements. Et que vous séparez d’une « classe moyenne inférieure », qui n’est en fait rien d’autre que la classe ouvrière qui a réussi historiquement à arracher des concessions sociales et qui craint de les perdre et qui, elle, vote FN et « bloque » la société ». Exactement l’idéologie des « classes moyennes » telles que je les ai définies…
@ventdesable
Bonjour,
[[Aujourd’hui le patrimoine moyen des ménages est de 380000€ (en France)]]
Je ne peux m’empêcher de protester lorsqu’en matière socioéconomique en particulier, on utilise une moyenne arithmétique, sans l’assortir, au moins de valeurs complémentaires comme l’écart type, la variance, la médiane, etc… qui éclairent plus objectivement l’argumentation.
Comme nous sommes dans le domaine politique, qu’il s’agit des Français, c’est à dire près de 22 millions de ménages, le chiffre de 380 000€ que vous citez, ne correspond qu’à moins de 15% (de mémoire et approximativement) des ménages. Cela ne reflète pas et de loin l’immense majorité de nos concitoyens.
En raisonnant par l’absurde, et en utilisant des ordres de grandeur, si 1000 ménages possèdent chacun 10MD€ et que 22 millions ne possèdent rien, on arrive à la même moyenne arithmétique.
Dans la réalité, toujours en ordre de grandeur et de mémoire, les 10% les plus riches possèdent 1000 fois plus que les 10% les plus pauvres. A méditer lorsque dans nos propos, nous généralisons.
Par ailleurs, vos sollicitations concernant la question de la classe moyenne, incitent et permettent un très bon éclairage de son concept à notre mentor préféré.
@Descartes, pour revenir au dogmatisme de Peillon
Je voudrais tenter de vous réconcilier avec les profs "bobos-socialos-classe moyenne et pensée unique.."
Un prof blogueur, Ali Devine, a publié un article dans le Figaro :
http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2014/02/12/31003-20140212ARTFIG00191-trois-conseils-d-un-enseignant-au-professeur-peillon.php
Pour ceux qui n’ont pas le temps de tout lire, voici deux des trois recommandations qu’il fait au ministre, pour l’école primaire :
1● Plus de Français, de mathématique, d’histoire, moins de prêchi-prêcha
Extraits :
« par rapport à ce qui se faisait il y a vingt ans, un élève de cours élémentaire consacre 100 heures de moins chaque année aux matières fondamentales (français, mathématiques, éveil, devoirs). Par rapport à un élève d’il y a cinquante ans, la différence est de 250 heures… »
« Il faut donc faire le ménage. Je pense en particulier à l’anglais, pardon, à la «langue étrangère ou régionale», qui ne donne lieu, dans l’immense majorité des cas, à aucun apprentissage réel et qui se voit pourtant offrir 54 heures par an. Et si on pouvait aussi soulager les maîtres du prêchi-prêcha sur les questions de genre, ou le tri des déchets, ce ne serait pas plus mal. »
2● Mettre l’accent sur la discipline
Extraits :
« si l’école doit se montrer bienveillante, c’est surtout à l’égard de l’immense majorité d’élèves qui désirent travailler, ou qui du moins respectent l’institution scolaire, et qu’elle a le devoir de protéger de ceux qui ne viennent en cours que pour les saboter. »
« Quant aux élèves normaux, car il y en a (…) ils sont comme des otages qui attendent leur libération tout en sachant qu’elle n’aura pas lieu avant le bac »
C’est un prof qui parle !
Et bien, après des années de réflexions aussi fumeuses qu’incompréhensibles, ces quelques remarques simples, qui semblent bien plaire au corps enseignant, font beaucoup de bien à entendre.
Voici une réaction de lecteur prof qui résume toutes les autres :
« C’est clair, c’est évident et c’est important. Débarrassons-nous de tous les pseudo chercheurs en pédagogie … »
@vent2sable
[Je voudrais tenter de vous réconcilier avec les profs "bobos-socialos-classe moyenne et pensée unique.."]
Vous avez du boulot…
[Un prof blogueur, Ali Devine, a publié un article dans le Figaro :]
Une hirondelle ne fait malheureusement pas le printemps, et je ne suis pas sur que Ali Devine représente la masse des professeurs. On a des raisons d’en douter d’ailleurs : chaque fois qu’un gouvernement a mis l’accent sur les questions qu’il soulève, il s’est pris les organisations représentatives des enseignants sur le paletot sauf, bien entendu, lorsqu’il s’agit du "conseil" N°3 que par un malheureux hasard de copier-coller, sans doute, vous avez oublié de citer : « Mieux rémunérer les enseignants ».
Je fais le point :
Une fraction des anciennes catégories relevant de la petite bourgeoisie : les plus traditionnelles, qui lui donnait un caractère de masse (agriculteurs, commerçants, artisans) sont depuis des décennies en perte de vitesse en conséquence, leur poids politique a largement diminué.
En « revanche », on a assisté à la montée des catégories « professions intermédiaires » et « professions supérieures ». Cette augmentation semble revêtir un caractère relativement massif mais :
Cela mérite d’être analysé de près : les « professions intermédiaires » semblent avoir un côté « fourre-tout » : on y trouve des professions du social dont on sait qu’il n’est pas un domaine reluisant…en matière sociale (ce qui n’en fait pas des ouvriers ni des « classes moyennes » au sens que vous l’entendez) avec des professions mieux loties.
Par ailleurs, la proportion de cadres et cadres supérieurs a aussi fortement augmenté. Mais ne s’agit-il pas, là, d’une catégorie plus traditionnelle de la petite et moyenne bourgeoisie ?
Par ailleurs, en suivant l’hypothèse « ni-ni » (entendez par là, ni exploiteur, ni exploité) cette catégorie n’a-t-elle pas toujours existé ? La nouveauté consisterait alors en la montée de cette couche et, surtout au-delà, à sa capacité de leadership sur des couches qui lui sont plus proches en fonction des données d’un instant historique ?
Autre réflexion, quand le PS est qualifié de parti de cadres sup et qui est largement porteur de la nouvelle idéologie alliée à la plus basse soumission au « marché »…
Je prends votre hypothèse au sérieux mais des transformations sociales, quelle interprétation ?
@Morel
[Cela mérite d’être analysé de près : les « professions intermédiaires » semblent avoir un côté « fourre-tout » : on y trouve des professions du social dont on sait qu’il n’est pas un domaine reluisant…en matière sociale (ce qui n’en fait pas des ouvriers ni des « classes moyennes » au sens que vous l’entendez) avec des professions mieux loties.]
C’est le problème des statistiques disponibles : soit elles sont fondées sur le revenu, soit sur un répertoire des métiers calé essentiellement sur les niveaux de formation. Difficile à partir de là de tirer des conclusions sur des couches définies en fonction de la plusvalue qu’elles produisent.
[Par ailleurs, la proportion de cadres et cadres supérieurs a aussi fortement augmenté. Mais ne s’agit-il pas, là, d’une catégorie plus traditionnelle de la petite et moyenne bourgeoisie ?]
Non. Les cadres et cadres supérieurs n’ont pas de « capital » matériel permettant de faire travailler les autres, ce qui était le propre de la petite et moyenne bourgeoisie. Les cadres supérieurs sont d’une certaine manière le cœur des « classes moyennes » au sens ou je l’entends : ils font fructifier un capital – intellectuel – qui par définition ne peut être mis en valeur que par eux.
[Par ailleurs, en suivant l’hypothèse « ni-ni » (entendez par là, ni exploiteur, ni exploité) cette catégorie n’a-t-elle pas toujours existé ? La nouveauté consisterait alors en la montée de cette couche et, surtout au-delà, à sa capacité de leadership sur des couches qui lui sont plus proches en fonction des données d’un instant historique ?]
C’est une question intéressante. D’une certaine manière, oui, je pense qu’elle est née avec le capitalisme. Mais elle était beaucoup plus petite et bien plus instable, parce que l’ascension vers la bourgeoisie restait possible. On pouvait, à partir du capital intellectuel, constituer un capital matériel permettant d’exploiter les autres. C’est ce qu’on fait d’ailleurs la plupart des pionniers de la révolution industrielle. D’une certaine manière, il y avait là un autre ascenseur social qui s’est lui aussi arrêté.
[Autre réflexion, quand le PS est qualifié de parti de cadres sup et qui est largement porteur de la nouvelle idéologie alliée à la plus basse soumission au « marché »…]
Cela vous étonne ?
[Je prends votre hypothèse au sérieux mais des transformations sociales, quelle interprétation ?]
Je ne sais pas. Si mon hypothèse est fructueuse, alors il faudra un énorme travail pour la mettre en forme et en faire un véritable outil d’analyse. Mais on peut toujours essayer de l’appliquer schématiquement à une transformation sociale pour voir si elle colle. A quelle transformation social pensiez vous ?
@Descartes
[Mais bien sur. On dirait que vous découvrez que les capitalistes d’aujourd’hui sont des ouvriers de la veille. Vous savez, les capitalistes ne sont pas d’une essence différent de celle des autres hommes…]
Mais non, je ne découvre rien ! au contraire, c’est mon credo et, pour moi, c’est même une immense source d’espoir et de satisfaction.
Ne feignons pas de croire que le capitalisme et le libéralisme, ce ne serait que le fait de grands groupes internationaux.
En France, seuls 28% des salariés sont dans de grands groupes. Et La France de ce point de vue, est même en décalage avec ses voisins ou le reste de l’OCDE, ou le pourcentage de PME, TPE est encore plus beaucoup grand que chez nous.
Il se crée en France 45 000 entreprises par mois.
Contrairement à ce que vous affirmez, il n’y a aucune différence entre le patrimoine et le capital. Si vous voulez créer une entreprise, qu’il s’agisse d’un MacDO en franchise, d’une agence d’assurances ou d’un cabinet de conseil en informatique, la première chose que la banque vérifiera, avant de vous avancer les fonds nécessaires, c’est précisément le patrimoine que vous pourrez apporter en caution. Que ce soit des immeubles ou tout autre placement. Et de ce point de vue, l’ouvrier qui dispose d’un héritage immobilier, ou le marchand de légumes arabe, ou le fils de médecin ou de notaire, sont tous placés sur un pied d’égalité absolu, lorsqu’il veulent ouvrir un Mac Do.
[Marx était d’abord un philosophe de l’histoire, un économiste – et accessoirement un sociologue]
Ce n’est ni le philosophe, ni l’historien, ni l’économiste, et encore moins le sociologue qui me dérange.
Ce qui est choquant, ce n’est pas Marx, ce sont ses admirateurs, les Marxistes, qui voudraient faire de ses analyses un cadre pour organiser le monde.
Vous répétez souvent, « aucun discours moraliste, aucun jugement moral ».
Mais lorsque vous écrivez :
[On pouvait, à partir du capital intellectuel, constituer un capital matériel permettant d’exploiter les autres]
Il faudrait alors nous confirmer que, sous votre plume, les mots « exploiter les autres » n’ont aucune connotation négative.
Parce que, si tout votre discours revient à dire :
« tout individu cherche à améliorer sa condition, et celle de sa famille, et il le fait avec d’autant plus de volonté et de motivation qu’il part de bas dans l’échelle »
Alors il devient très facile d’être d’accord.
Mais je crains malheureusement qu’il y ait de votre part, un regard tres négatif envers les libéraux et les capitalistes.
Il faudrait aussi revenir sur cette notion de partage de la plus value entre "exploiteurs" et "exploités". Voila encore un discours tout à fait théorique, qui ne résiste pas à l’observation dans l’économie réelle.
La plus value s’apprécie par la différence entre la valeur des coûts directs hors main d’œuvre, c.à.d. matières premières et énergie, et la valeur du produit fini.
Or, ceux qui ont un peu étudié le marketing, savent que la valeur finale d’un produit, c’est simplement sa valeur sur le marché, c.à.d. le prix le plus élevé qu’un consommateur est prêt à payer ce produit.
Si vous fabriquez des galettes des rois, à la frangipane, vous pourrez les vendre dans un même village, 17€ ou 28€ (voire 35 ou 40€ !). Pourtant les ingrédients sont les mêmes à 1 ou 2€ près, et les mitrons qui les fabriquent, fourniront exactement le même travail. Donc, le matériel de production étant grosso modo le même tout autour de la France, le montant de la plus value est totalement déconnecté du travail du mitron. Et la part de la plus value qui revient au mitron, dépendra d’une multitude d’éléments, dont le moindre ne sera pas la bonne santé de l’entreprise du boulanger : c’est plus facile de distribuer ce que l’on a que que l’on a pas.
Et je ne parle même pas de l’effet volume, qui selon que le boulanger vendra 300 galettes ou 600 fera varier considérablement la part main d’œuvre dans le produit final. Ce qui ne change rien à la valeur ajoutée mais augmente considérablement la marge, que le boulanger pourra décider de garder pour lui, ou de partager avec son équipe sous forme d’intéressement ou de primes pour encourager et motiver aussi bien le mitron que la vendeuse, dont le sourire et les qualités d’accueil influeront directement, tant sur le volume que sur le prix acceptable par le client.
La valeur d’un produit, et donc la valeur ajoutée qui va avec, dépend d’éléments « irrationnels » et dépend très peu du travail de l’ouvrier.
Ce raisonnement, valable pour les gâteaux est le même pour toute la production. Y compris les biens d’équipement, les automobiles, les appartements … et même les machines outils. La réputation des constructeurs Allemands ou Suisses leur ont permis de vendre des machines plus chers que nous, et d’en vendre plus. Ce qui leur a permis, de rayer de la carte les constructeurs français de presses à injecter, par exemple, qui au départ, n’étaient pas pire que les autres.
Donc le problème, ce n’est pas que Marx ait fait ou non une analyse qui reste vraie ou pas aujourd’hui, le problème, c’est que des idéologues et des politiciens croient pouvoir bâtir une société communiste au nom de la justesse des idées de Marx.
C’est au contraire parce que Marx a raison qu’il faut tordre le cou à l’idéologie communiste.
@vent2sable
[Ne feignons pas de croire que le capitalisme et le libéralisme, ce ne serait que le fait de grands groupes internationaux.]
Cette phrase n’a aucun sens. Le capitalisme n’est « le fait » de personne. C’est un mode de production dans lequel le travailleur salarié est dépossédé d’une partie de la valeur qu’il produit par le propriétaire du capital.
[Contrairement à ce que vous affirmez, il n’y a aucune différence entre le patrimoine et le capital. Si vous voulez créer une entreprise, qu’il s’agisse d’un MacDO en franchise, d’une agence d’assurances ou d’un cabinet de conseil en informatique, la première chose que la banque vérifiera, avant de vous avancer les fonds nécessaires, c’est précisément le patrimoine que vous pourrez apporter en caution.]
Mais pourquoi allez-vous à la banque ? Si « patrimoine » et « capital » étaient la même chose, pourquoi n’utiliser directement votre « patrimoine » au lieu d’aller chercher à la banque du « capital » ?
[Que ce soit des immeubles ou tout autre placement. Et de ce point de vue, l’ouvrier qui dispose d’un héritage immobilier, ou le marchand de légumes arabe, ou le fils de médecin ou de notaire, sont tous placés sur un pied d’égalité absolu, lorsqu’il veulent ouvrir un Mac Do.]
Beh… pas vraiment. Créer une entreprise, c’est un pari. Et tous les spécialistes vous le diront, il ne faut jamais jouer ce qui est essentiel pour vous. L’ouvrier qui dispose d’un héritage immobilier habite en général son héritage. Si son entreprise périclite, il perd son logement. Le fils du médecin ou du notaire, lui, possède en général un patrimoine qui dépasse ses besoins de base. Il n’est donc pas tout à fait dans la même position.
[« Marx était d’abord un philosophe de l’histoire, un économiste – et accessoirement un sociologue ». Ce n’est ni le philosophe, ni l’historien, ni l’économiste, et encore moins le sociologue qui me dérange.]
Je vous ai déjà demandé dix fois, et je vous le demande encore : quels sont les ouvrages de Karl Marx que vous avez lu ? L’absence de réponse me fait penser que vous n’avez lu aucun. Je me demande alors comment vous faites pour commenter une philosophie que vous ne connaissez pas…
[Ce qui est choquant, ce n’est pas Marx, ce sont ses admirateurs, les Marxistes, qui voudraient faire de ses analyses un cadre pour organiser le monde.]
Vous parlez de qui, précisément ? Des noms, des noms…
[Vous répétez souvent, « aucun discours moraliste, aucun jugement moral ».
Mais lorsque vous écrivez : « On pouvait, à partir du capital intellectuel, constituer un capital matériel permettant d’exploiter les autres ». Il faudrait alors nous confirmer que, sous votre plume, les mots « exploiter les autres » n’ont aucune connotation négative.]
Pourquoi ? On peut être négatif sans être pour autant moral, et viceversa. Au demeurant, lorsque Marx parle d’exploitation, il décrit un processus économique. Il ne fait aucun jugement de valeur. D’autant plus que pour Marx le capitalisme est une étape nécessaire dans l’évolution des sociétés humaines.
[« tout individu cherche à améliorer sa condition, et celle de sa famille, et il le fait avec d’autant plus de volonté et de motivation qu’il part de bas dans l’échelle ». Alors il devient très facile d’être d’accord.]
Je ne crois pas que la motivation de votre vendeur de légumes soit très supérieure à celle de Bill Gates, qui est né, lui, avec une cuiller d’or dans la bouche. L’idée que les pauvres ont plus de volonté et de motivation que les riches pour s’en sortir relève de la légende…
[Il faudrait aussi revenir sur cette notion de partage de la plus value entre "exploiteurs" et "exploités".]
Il n’y aucun « partage de la plusvalue ». Par définition, la « plusvalue » est la partie de la valeur créé par le travail qui est empochée par le capital. Elle n’est donc jamais « partagée » et va dans la poche du capitaliste.
[La plus value s’apprécie par la différence entre la valeur des coûts directs hors main d’œuvre, c.à.d. matières premières et énergie, et la valeur du produit fini.]
Vous confondez « plusvalue » et « valeur ajoutée ».
[Or, ceux qui ont un peu étudié le marketing, savent que la valeur finale d’un produit, c’est simplement sa valeur sur le marché, c.à.d. le prix le plus élevé qu’un consommateur est prêt à payer ce produit.]
Là vous confondez « prix » et « valeur ». Franchement, trouvez-vous un bon livre d’économie et regardez le chapitre « théorie de la valeur ». C’est Ricardo – un économiste libéral, cela devrait vous plaire – qui comprend le premier que la « valeur » est liée au travail nécessaire pour produire un bien (matières premières et machines étant elles mêmes le produit du travail humain). Marx raffine la théorie de Ricardo en apportant un raffinement supplémentaire : c’est le travail socialement nécessaire – c’est-à-dire, celui qu’un travailleur moyen doit investir dans les conditions technologiques d’une société donnée pour produire un bien – qui est la valeur du bien en question.
[C’est au contraire parce que Marx a raison qu’il faut tordre le cou à l’idéologie communiste.]
Mon instinct est de me méfier des gens qui prétendent « tordre le cou » à une idéologie. Particulièrement lorsque c’est une idéologie qu’ils ne connaissent pas.
@Descartes
[Mon instinct est de me méfier des gens qui prétendent « tordre le cou » à une idéologie. Particulièrement lorsque c’est une idéologie qu’ils ne connaissent pas.]
Mon instinct est de me méfier des gens qui continuent de défendre une idéologie dont ceux qui l’ont expérimentée ont eu tant de mal à se débarrasser.
Faut-il "connaitre" la peste et le choléra pour savoir que ce sont des calamités? Les conséquences visibles ne suffisent-elles pas pour se faire une opinion ?
@vent2sable
[Mon instinct est de me méfier des gens qui continuent de défendre une idéologie dont ceux qui l’ont expérimentée ont eu tant de mal à se débarrasser.]
Dans ce cas, vous devriez vous méfier encore plus des néo-libéraux. Une idéologie dont il semble être bien plus difficile de se débarrasser que de n’importe quel dérivé du marxisme… beaucoup de peuples ont essayé, pour le moment aucun n’a réussi.
[Faut-il "connaitre" la peste et le choléra pour savoir que ce sont des calamités?]
J’attire votre attention sur le fait que la comparaison d’une idéologie à une maladie est une des caractéristiques les plus notables des idéologies totalitaires. C’est ce qui réunit le nazisme, le McCarthysme, le stalinisme…
[Les conséquences visibles ne suffisent-elles pas pour se faire une opinion ?]
Non. Entre autres choses, parce que le lien entre les « conséquences visibles » et les idéologies sont loin d’être aussi triviales que vous ne le pensez. Le régime de Pinochet a fait bien plus de morts et de misères que celui d’Allende. Pourtant, c’est le « néo-libéral » Pinochet que les grandes « démocraties » ont aidé, et c’est le « marxiste » Allende qu’elles ont renversé. Quelle conclusion tireriez-vous des « conséquences visibles » dans cette affaire ?
[Autre réflexion, quand le PS est qualifié de parti de cadres sup et qui est largement porteur de la nouvelle idéologie alliée à la plus basse soumission au « marché »…]
Cela vous étonne ?
Voyons, cher Descartes, il n’y a que des langues de vipère pour souscrire à pareil propos 😉
Les « transformations sociales » auxquelles je me référais sont celles citées plus haut : recul de la petite bourgeoisie traditionnelle + montée des 2 catégories Insee. Je voulais en fait écrire : quelles conséquences. Votre réponse montre en fait que nous nous sommes compris.
Vous avez raison sur cadres et cadres sup : non-détenteurs de capital au sens de Marx. Je crois comprendre ce qui a pollué mon propos : j’ai intuitivement télescopé la position de couche intermédiaire à celle de la petite bourgeoisie traditionnelle. Besoin de repos pour être plus clair…
[Si parfois vous étiez embarrassé pour savoir jusqu’où il vous est permis d’aller dans votre enseignement moral, voici une règle pratique à laquelle vous pourrez vous tenir. Au moment de proposer aux élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve à votre connaissance un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire, sinon, parlez hardiment]
Ca me semble assez faiblard comme raisonnement. Un père de famille pourrait être raciste de bonne foi. La pirouette serait alors de dire qu’il n’est pas un "honnête homme", mais cela implique alors de définir "honnête homme" comme "non raciste". Ce qui serait tautologique, puisque ça reviendrait à dire que le professeur est justifié à enseigner l’égalité des races car ça ne va pas choquer les homme qui ne sont pas racistes.
@stu
[Ca me semble assez faiblard comme raisonnement. Un père de famille pourrait être raciste de bonne foi. La pirouette serait alors de dire qu’il n’est pas un "honnête homme", mais cela implique alors de définir "honnête homme" comme "non raciste". Ce qui serait tautologique, puisque ça reviendrait à dire que le professeur est justifié à enseigner l’égalité des races car ça ne va pas choquer les homme qui ne sont pas racistes.]
Il faut lire le texte de Ferry avec attention. Dans le paragraphe que vous citez il énonce une règle qu’il applique seulement et exclusivement pour « savoir jusqu’où il vous est permis d’aller dans votre ENSEIGNEMENT MORAL » (c’est moi qui souligne). L’égalité des races n’est pas une question « morale », c’est un résultat scientifique.
Ferry ne dit nulle part que l’école doive s’abstenir d’enseigner des connaissances qui pourraient offenser un « honnête homme ». Cette règle ne s’applique qu’à l’enseignement moral, et cela parce que contrairement au domaine des connaissances, où il existe une méthode scientifique pour séparer le vrai du faux, en matière de morale il n’existe pas de « vrai » ou de « faux », et chacun est libre de ses choix. Pour Ferry, les parents n’ont pas un droit acquis à ce qu’on enseigne à leurs enfants que la terre est plate s’ils le souhaitent. Par contre, il leur reconnaît le droit d’éduquer leurs enfants dans les valeurs morales de leur choix, sans interférence de l’Etat.
C’est pour moi l’un des problèmes des dragons de vertus postmodernes qui veulent faire entrer la théorie du genre à l’école : ces gens-là ignorent la différence qui existe entre les savoirs – qui sont soumis à la validation scientifique – et les opinions qui, elles, sont le privilège de chacun. Les dragons en question veulent enseigner ce qui n’est finalement que leur opinion morale comme si c’était une vérité universelle. C’est précisément ce que voulait éviter Ferry.
Je reformule avec un jugement moral en bonne et due forme : "La discrimination raciale c’est mal". Le professeur doit-il s’abstenir d’enseigner cela sous prétexte qu’un père de famille raciste (de bonne foi) serait choqué ?
[en matière de morale il n’existe pas de « vrai » ou de « faux », et chacun est libre de ses choix]
D’accord, mais le souci avec le raisonnement de Ferry, c’est que je peux facilement trouver des pères de famille qui de bonne foi vont penser tout et n’importe quoi en terme de morale. Ce qui réduit l’enseignement moral du professeur au néant. C’est ça que je trouve faiblard dans son raisonnement. Pour moi, il ne fait que repousser le problème au niveau de l’"honnête homme" qui partagerait certaines valeurs et jugements moraux, sans jamais les définir.
@stu
[Je reformule avec un jugement moral en bonne et due forme : "La discrimination raciale c’est mal". Le professeur doit-il s’abstenir d’enseigner cela sous prétexte qu’un père de famille raciste (de bonne foi) serait choqué ?]
Si dans le contexte dans lequel il vit et tenant compte de l’état de l’opinion, il existe un doute sur le fait qu’un seul « honnête homme » pourrait être choqué, oui, il doit s’abstenir. Il peut toujours enseigner que « la discrimination raciale est un délit », car il ne fait là qu’établir un fait juridique. Il peut expliquer que la discrimination raciale n’a pas de base biologique, car c’est là un résultat scientifique. Mais il n’a pas à dire ce qui est « bien » ou « mal » en l’absence d’un consensus social sur ces questions.
Encore une fois, la règle qu’énonce Ferry n’est pas elle même une règle morale. L’instituteur ne doit pas s’abstenir parce que ce serait « mal » de choquer les parents. C’est une règle de bon sens : si l’on veut que les parents confient les enfants à l’institution en toute confiance, il faut leur garantir que l’école n’a pas la prétention de contester leur autorité en matière morale. J’ajoute que si la discrimination raciale et l’incitation à la haine raciale sont des délits, le fait d’avoir des opinions « racistes » est lui, est un droit constitutionnel.
[D’accord, mais le souci avec le raisonnement de Ferry, c’est que je peux facilement trouver des pères de famille qui de bonne foi vont penser tout et n’importe quoi en terme de morale.]
Pas vraiment. Par exemple, si vous enseignez aux enfants que c’est « mal » de désobéir aux lois, de cracher sur les voisins ou de manquer de respect aux personnes âgées, vous ne trouverez pas facilement des parents – qui soient des « honnêtes hommes » – pour être en désaccord, et encore moins pour être « choqués ». Il y a un certain nombre de principes et de règles qui font consensus quasi-universellement dans notre société. Même les voleurs savent que « c’est mal » de voler.
[Ce qui réduit l’enseignement moral du professeur au néant.]
Non. Ce qui le réduit à ce corpus de règles et de valeurs qui sont consensuelles. Et si Ferry défend cette idée, encore une fois, ce n’est pas pour des questions de principe, mais par pragmatisme : si l’on veut une école unique, alors il faut que cette école respecte rigoureusement les différences d’opinion en matière morale. Autrement, chaque parent choisira pour ses enfants l’école qui correspond à ses vues, et c’en est fini de l’école de la République. Le pacte fondateur de notre école républicaine est celui-là : la famille accepte que l’école enseigne les savoirs – même si ceux-ci peuvent « choquer » – et l’école s’astreint par contre à respecter les choix des parents en matière morale. C’est une division qui reflète la séparation entre la sphère publique et la sphère privée. La sphère publique est celle du savoir qui, comme la loi, décrit le monde tel qu’il est et échappe donc à notre volonté. La sphère privée est celle de la morale, domaine dans lequel nous faisons librement nos choix sans interférence.
[Pour moi, il ne fait que repousser le problème au niveau de l’"honnête homme" qui partagerait certaines valeurs et jugements moraux, sans jamais les définir.]
Je vous ai montré qu’au contraire, la logique proposée par Ferry n’est pas un moralisme déguisé derrière un « honnête homme » auquel on fait penser ce qu’on veut. Pour Ferry, cet « honnête homme » est en fait le plus petit dénominateur des valeurs consensuelles. Il n’exclut que les fous, les criminels, et ceux qui adopteraient une position par intérêt.
[Par exemple, si vous enseignez aux enfants que c’est « mal » de désobéir aux lois, de cracher sur les voisins ou de manquer de respect aux personnes âgées, vous ne trouverez pas facilement des parents – qui soient des « honnêtes hommes » – pour être en désaccord, et encore moins pour être « choqués ». Il y a un certain nombre de principes et de règles qui font consensus quasi-universellement dans notre société. Même les voleurs savent que « c’est mal » de voler.]
En bon conséquentialiste, ces jugements moraux à portée générale me choquent profondément ! Il y a probablement quelques voisins qui méritent des crachats ! Pour le respect des lois, un bon anarchiste fera l’affaire. Quant aux voleurs, Robin des bois ne serait pas d’accord ! Hélas, je ne vois toujours pas en quoi consiste ce fameux dénominateur commun.
@stu
[En bon conséquentialiste, ces jugements moraux à portée générale me choquent profondément ! Il y a probablement quelques voisins qui méritent des crachats !]
Possible, mais vous admettrez qu’une société ou chacun choisit qui mérite les crachats et qui ne les mérite pas est moins agréable à vivre qu’une société où l’on s’abstient de cracher sur son voisin, même s’il le mérite. C’est pourquoi certains parents peuvent éventuellement estimer que certains voisins méritent qu’on leur crache dessus, mais ne seront pas « choqués » si l’école enseigne à leurs rejetons qu’il ne faut pas le faire. Encore une fois, Ferry demande aux instituteurs de s’abstenir d’enseigner ce qui pourrait « choquer » un honnête homme. Il ne leur demande pas pour autant d’enseigner des choses sur lesquelles tout le monde est d’accord. Lorsque je dis que l’école doit se limiter à une instruction morale « consensuelle », cela n’implique pas un consensus sur les règles enseignées, mais un consensus sur le fait qu’on peut les enseigner.
[Pour le respect des lois, un bon anarchiste fera l’affaire.]
Encore une fois, je ne pense pas que vous trouverez beaucoup d’anarchistes qui seraient « choqués » qu’on enseigne à leurs enfants le respect des lois, même s’ils ne partagent pas cette vision. J’ai l’impression que vous étendez la vision de Ferry excessivement. Là ou Ferry appelle à ne pas choquer les parents, vous voyez un appel à n’enseigner que des choses avec lesquelles ils sont d’accord. Ce n’est pas tout à fait la même chose.
[Quant aux voleurs, Robin des bois ne serait pas d’accord !]
Eh bien, si. Je doute que Robin des Bois (du moins la version romantique qui est celle que nous a transmis la littérature) assumerait ses actes comme du « vol ». Au contraire, il soutiendrait qu’en soustrayant à un maître tyrannique l’argent qu’il a lui-même volé à la population, il ne fait que rétablir le droit sacré à al propriété de cette dernière. J’ai connu un certain nombre de voleurs. Aucun ne m’a soutenu que voler était une attitude moralement soutenable. En général, ils vous disent « c’est mal, mais je n’avais pas le choix ». Et surtout, ils ne tenaient pas du tout à voir leurs enfants suivre le même chemin.
[Hélas, je ne vois toujours pas en quoi consiste ce fameux dénominateur commun.]
Posez vous la question de ce qui est pour les parents le « bon » comportement de leur enfant, celui qu’ils voudraient que celui-ci ait, et vous aurez votre réponse. Pensez-vous qu’il y a ait beaucoup de parents qui soient fiers lorsque leur enfant vole son camarade, blesse un voisin ou refuse de céder son siège dans le bus à une vielle dame ? Bien sur que non. Ce n’est pas parce que nous faisons ce qui est « mal » que nous n’avons pas conscience de mal agir. Et sur ce qui est « mal agir », le consensus social est assez fort…
A partir du moment où je refuse mon assentiment à ce que toi tu trouves consensuel, il semble y avoir trois possibilités :
– je ne suis pas un "honnête homme" et on en revient à cette expression douteuse
– je ne suis pas de bonne foi quand je refuse mon assentiment à ce que toi tu trouves consensuel
– je prends Ferry trop au pied de la lettre quand il dit "un seul", mais alors ça ouvre une brèche par rapport à l’idée de consensus. Où se trouverait alors le seuil ?
@stu
[A partir du moment où je refuse mon assentiment (…)]
Pour la n-ième fois, il ne s’agit pas « d’assentiment », mais de ne pas être choqué. Ferry sur ce point est très clair : il faut s’abstenir d’enseigner ce qui pourrait « choquer la conscience d’un seul honnête homme ». Pas ce qui n’obtiendrait pas son assentiment.
Maintenant, en toute honnêteté et la main sur le cœur, est que tu serais « choqué » si l’enseignant apprenait à ton enfant qu’il faut protéger les plus faibles et céder son siège aux personnes âgées ? Connais tu « un seul honnête homme » que cela pourrait choquer ? Non ? Alors on peut l’enseigner. Maintenant, si cela te choque, explique moi pourquoi, de manière que je puisse juger s’il s’agit d’une réaction « d’honnête homme » ou au contraire une manifestation de mauvaise foi…
[( …) à ce que toi tu trouves consensuel,]
Il ne s’agit pas d’un consensus sur le fond, mais un consensus sur le fait que l’opinion en question peut être enseignée sans choquer. Encore une fois, je pense que vous faites une confusion entre les deux.
[Pour la n-ième fois, il ne s’agit pas « d’assentiment », mais de ne pas être choqué. Ferry sur ce point est très clair : il faut s’abstenir d’enseigner ce qui pourrait « choquer la conscience d’un seul honnête homme ». Pas ce qui n’obtiendrait pas son assentiment.]
Je ne comprends pas… Jules Ferry parle bien d’assentiment : "Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire".
Quant à la citation que tu sembles faire (« choquer la conscience d’un seul honnête homme »), je n’en ai trouvé aucune source. Qui est-ce que tu cites ?
[Maintenant, si cela te choque, explique moi pourquoi, de manière que je puisse juger s’il s’agit d’une réaction « d’honnête homme » ou au contraire une manifestation de mauvaise foi…]
C’est simple, dire "ne pas céder son siège aux personnes âgées est mal" est un jugement moral à portée universelle. Il suffit de trouver un exemple où le faire serait bien pour détruire la portée universelle. Or il existe des tas de contre-exemples… Par exemple si je suis unijambiste et que la personne âgée pète la forme, je ne pense pas que ce soit mal de ne pas céder ma place à cette personne. Moi ça me choque d’enseigner que c’est mal que les unijambistes ne cèdent pas leur place à des personnes âgées en pleine forme, pas toi ? Avec une petite pirouette, on pourrait dire que ma position est consensuelle, mais quid de cas plus compliqués où par exemple la personne âgée est un ancien dirigeant nazi.
[Il ne s’agit pas d’un consensus sur le fond, mais un consensus sur le fait que l’opinion en question peut être enseignée sans choquer. Encore une fois, je pense que vous faites une confusion entre les deux.]
Etrange interprétation de la lettre de Ferry. Quelles phrases justifient cette interprétation ? Quand il parle de "sagesse du genre humain", de "morale usuelle" ou de "refuser son assentiment", j’ai bien l’impression qu’il s’agit d’un consensus sur le fond.
@stu
[Je ne comprends pas… Jules Ferry parle bien d’assentiment : "Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire". Quant à la citation que tu sembles faire (« choquer la conscience d’un seul honnête homme »), je n’en ai trouvé aucune source. Qui est-ce que tu cites ?]
Voici la citation complète : « Au moment de proposer aux élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve à votre connaissance un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire ». J’ai commis une erreur en modernisant le « froissé » par « choqué », je m’en excuse.
Le sens de ce paragraphe me paraît clair. Il ne s’agit pas d’obtenir un accord universel sur ce que l’instituer dit, mais au moins un consensus sur ce qu’on accepte que l’instituteur dise.
[C’est simple, dire "ne pas céder son siège aux personnes âgées est mal" est un jugement moral à portée universelle. Il suffit de trouver un exemple où le faire serait bien pour détruire la portée universelle. Or il existe des tas de contre-exemples… Par exemple si je suis unijambiste et que la personne âgée pète la forme, je ne pense pas que ce soit mal de ne pas céder ma place à cette personne.]
Aucune règle morale n’est « à portée universelle » dans ce sens. Même le « tu ne tueras point », pourtant une règle fondamentale au point d’être sacralisée par l’ensemble des religions monothéistes admet des exceptions (la guerre, la légitime défense…). Tout le monde, y compris les enfants, comprennent que la règle « ne pas céder son siège aux personnes âgées est mal » s’entend « sauf si des circonstances particulières font que ce faire entraînerait un mal supérieur », de la même manière que la règle « tu ne voleras point » n’empêche pas d’excuser celui qui vole pour manger.
[Moi ça me choque d’enseigner que c’est mal que les unijambistes ne cèdent pas leur place à des personnes âgées en pleine forme, pas toi ?]
Moi aussi. Et comme il y a consensus sur ce point, on peut enseigner comme règle morale à l’école que « les unijambistes sont exclus de l’obligation de céder leur place aux personnes âgées ». Et c’est exactement ce qu’on enseigne. Aucun instituteur qui suivrait les conseils de » Ferry n’enseignerait les règles morales comme générales et absolues… tout simplement parce que cela pourrait « froisser » un parent !