Le titre de une du JODF (1) – vulgairement appellé « Le Monde » – était, comme cela arrive de plus en plus souvent, alléchant : « La jeunesse française se sent méprisée et tentée par la révolte ». J’avoue que je suis tombé des nues. Je n’avais pas idée, voyez-vous, que les jeunes filles de bonne famille fréquentant le pensionnat de Notre Dame des Oiseaux, établissement chic du XVIème arrondissement que je croise quelquefois en allant à mon travail se sentaient « méprisées ». Et je dois dire qu’en les entendant papoter sur leurs vacances à Megève, sur leurs projet de stage à Londres ou sur leurs amours adolescentes avec tel ou tel fils de PdG, je n’avais pas détecté la moindre « tentation de révolte » dont nous parle le grand (?) quotidien du soir.
Qu’un journal qui se veut sérieux titre sur les sentiments et les tentations de « la jeunesse » comme si une classe d’age constituait un ensemble homogène du point de vu des sentiments et des tentations, c’est déjà assez curieux. Et le sous-titre est encore plus amusant : « Dans une enquête inédite, 210.000 jeunes dressent leur portrait : une génération « perdue » et non intégrée ». En page intérieure, c’était encore plus explicite : « Frustrée, la jeunesse française rêve d’en découdre : l’enquête « génération quoi ? », menée auprès des 18-34 ans, dessine le portrait d’une jeunesse éduquée, qui enrage de voir les portes se fermer devant elle ». Encore une fois, il m’avait échappé que les jeunes filles de Notre Dame des Oiseaux étaient « perdues et non intégrées », et encore moins qu’elles rêvaient « d’en découdre ». Il faudra que je sois plus attentif la prochaine fois.
En fait, l’enquête à laquelle le JODF fait référence n’a rien de « inédite ». Il s’agit en fait d’une grande opération montée par France Télévisions et qui fait l’objet d’un site internet dédié (http://generation-quoi.france2.fr). Elle n’est qu’un exemple de plus de cette détestable engeance que sont les questionnaires sur Internet. Dans le cas d’espèce, France-Télévisions s’est associé avec la société de production audiovisuelle Yami2 et le concepteur web Upian. Une association qui a elle seule devrait pousser celui qui était naguère le « grand quotidien du soir » à faire preuve de prudence quant à la qualité scientifique des résultats de l’enquête. On peut toujours imaginer que France Télévisions, Yami2 et Upian se sont un jour réveillés en se disant qu’il manquait quelque chose à la connaissance scientifique de la sociologie des jeunes français, et décidé dans un élan de philanthropie ont financé un travail de qualité en payant des statisticiens et des sociologues de haut niveau pour effectuer une étude. Mais les plus cyniques – et je sais qu’ils sont nombreux parmi mes lecteurs – iront chercher la petite bête. Par exemple, en se disant que toute cette opération est un « produit dérivé » destiné à vendre une série documentaire produite – surprise, surprise – par Yami2 et diffusée – surprise, surprise – par France Télévisions. Et tout ça – surprise, surprise encore – fait « en partenariat avec Le Monde » comme l’indique sans fard le site internet de l’enquête. On se demande pourquoi, dans la double page qu’il consacre à cette enquête-événnement, le vénérable journal a oublié de porter à la connaissance des lecteurs ce fait. Un oubli, sans doute.
Il ne me semble pas inutile de rappeler le principe qui préside à toute étude statistique, qui est celui de l’échantillonage. Prenons un exemple : j’ai dans une caisse un million de boules de même taille (c’est ce qu’on appelle « l’univers » en statistique), certains noires, d’autres blanches, d’autres encore rouges. Et je veux savoir combien de combien de boules de chaque couleur je dispose. Je pourrais bien entendu les compter. Mais compter un million de boules, cela prend du temps. J’ai donc une autre possibilité, plus économique : je peux extraire de la caisse une centaine de boules (c’est ce qu’on appelle un « échantillon »), compter combien il y a de rouges, de blanches et de noires, et ensuite multiplier par le facteur approprié (ici 10.000) pour conclure. Tout le problème est de trouver une méthode pour extraire l’échantillon qui garantit que celui-ci est « réprésentatif », c’est à dire, que la proportion de boules de chaque couleur dans l’échantillon est la même que dans l’univers.
Ainsi, par exemple, supposons que je secoue la caisse, puis que je prenne les cent premières boules en haut de la caisse. Si les boules ont toutes le même poids, cela produira un échantillon représentatif. Mais imaginons que les boules rouges soient plus légères : en secouant la caisse, elles remonteront à la surface, et lorsque je prélèverai mon échantillon, elles seront sur-représentées. Dans toute étude statistique, la question fondamentale est celle de la sélection de l’échantillon. Or, le problème des enquêtes par internet est précisément celui-là : l’échantillon est constitué exclusivement de gens « connectés », avec une sur-représentation des individus qui sont à l’aise dans l’univers électronique. Au mieux, une telle enquête effectuée sans précaution reflètera donc l’opinion non pas de « la jeunesse » en général, mais de la « jeunesse connectée ». Et sélectionner en fonction de l’accès à internet revient à sélectionner sur un ensemble de critères qui privilégie singulièrement l’expression de certaines couches sociales… des couches sociales qui par ailleurs ont une certaine tendance non seulement à lire « Le Monde », mais aussi une fâcheuse propension à croire qu’elles peuvent parler au nom de l’ensemble de la population. Et la boucle est bouclée (3).
Vous me direz qu’on put quelquefois corriger cet effet de sélection. Ainsi, par exemple, si l’on demande à chaque répondant son origine socio-professionnelle, on peut ensuite affecter d’un poids statistique différent aux réponses de chaque catégorie de manière à rétablir leur représentativité. Ainsi, par exemple, si les ouvriers représentent 30% de la population mais seulement 10% de l’échantillon, on comptera trois fois leurs réponses pour rétablir la représentativité. Mais pour faire ce travail, encore faut-il poser aux répondant les questions qui permettent ce redressement. Or, curieusement, dans l’enquête « génération quoi ? », une seule question liée à l’origine socio-professionnelle n’est posée (2). Aucune possibilité donc de classer les réponses par profession des parents ou par le revenu et de corriger l’échantillon. Il faut noter d’ailleurs que le logiciel qui permet la consultation des résultats ne permet que trois tris : par age, par « genre » (?), ou par « actif/étudiant ». Aucun tri n’est possible sur des critères tels que le niveau d’études, le revenu, la situation socio-professionnelle… encore une coïncidence, sans doute.
En fait, on est devant une pure opération de « com ». Une sorte de « spectacle statistique », un immense jeu de télé-réalité. Ce côté ludique est d’ailleurs souligné tant sur le site que dans la présentation qui an fait « Le Monde ». Dans un encadré intitulé « Les coulisses du succès de l’opération « Génération quoi ? » », on nous explique les détails de « l’opération » – avez-vous déjà entendu ce terme appliqué à une étude statistique sérieuse – et les raisons de son « succès », mesuré à l’aune du nombre de clients – non, pardon – de participants. Il paraît que les jeunes auraient été séduits en pensant que « personne ne se réapproprierait leurs réponses » et que « l’enquête a donné aux jeunes le sentiment d’être pris au sérieux » (sic, sic, et resic). Mais l’élément le plus révélateur est le suivant : « Beaucoup ont répondu en groupe et en rigolant aux questions les plus gênantes ». Ce fait, à lui même, devrait nous alerter sur la valeur statistique de l’enquête. Car une réponse « en groupe » est forcément soumise à l’effet de la pression des pairs, effet particulièrement fort dans une population jeune. Et cela se confirme : « Se comparer à ses pairs, se rassurer. Les jeunes ont aimé l’image que cela renvoyait d’eux mêmes (…) Cela créait un esprit de génération ». Mais attendez un instant… sommes nous en train de parler d’une enquête statistique, d’un concert de rock ou d’un rituel initiatique ? Quelle valeur donner aux résultats d’une enquête dont l’échantillon est vicié par une sélection sociale qui ne dit pas son nom, dont les réponses sont recueillies sous l’influence des pairs, et qui en plus est construit pour « créer un esprit de génération » ?
Mais contrairement aux déclarations de bonnes intentions, « Le Monde » se réapproprie effectivement les réponses des jeunes, pour tirer des conclusions assez extrêmes en manipulant les données. L’exemple le plus éclatant est l’analyse qui suit la question ainsi posée : « Demain ou dans les prochains mois, participerais-tu à un mouvement de révolte de grande ampleur, type mai 1968 ? ». Cette question obtient 61% de « oui » dans la tranche 15-33 ans, ce qui permet au journaliste de conclure que « la jeunesse française rêve d’en découdre ». Seulement voilà, les auteurs de l’enquête on permis à toutes les tranches d’âge de répondre, et si l’on observe les résultats on constate que paradoxalement, ceux qui seraient les plus nombreux à participer à un éventuel « mouvement de révolte de grande ampleur » seraient ceux de la tranche 56-62 ans. Ils sont 71%, soit dix points de plus que les 15-33 ans, à répondre positivement à la question. Si l’on était logique, on devrait conclure que la « génération quoi ? » a beaucoup moins « envie d’en découdre » que la « génération installée »…
Il faut dire que les réponses au questionnaires sont très souvent contradictoires. Ainsi, par exemple, 68% des 15-35 ans déclarent adhérer à la formule « quand on veut, on peut ». Mais ensuite, ils déclarent à 71% que « la société française ne leur donne pas les moyens de montrer ce dont ils sont réellement capables ». Comment concilier le fait que plus des deux tiers pensent que la volonté suffit au succès, et que plus deux tiers pense que l’on ne peut « montrer ce dont on est capable » que si « la société vous donne les moyens » ? Ce genre de contradiction suggère que les questions sont mal construites. Ou bien que les réponses ne reflètent pas la pensée des répondants, soit que ceux-ci aient répondu automatiquement en fonction du « prêt à penser » distillé par les médias, soit qu’ils aient répondu un peu n’importe quoi sur le mode « ludique ». Mais quelque soit l’explication, quelle confiance peut-on avoir dans les résultats d’une telle enquête ?
Au risque de me répéter, cette « enquête » ne vaut pas tripette en termes d’étude statistique. C’est un spectacle et – accessoirement – une opération publicitaire. Ce soucis de produire un résultat adapté au consommateur est d’ailleurs sensible dans la rédaction des questions. Par exemple, avec l’absence de toute référence à l’Europe ou aux institutions européennes. Une absence qui aurait été inconcevable il y a seulement quelques années. Mais il est vrai que poser la question aujourd’hui c’était s’exposer à des réponses non conformes au résultat visé. La question ne sera donc pas posée à cette jeunesse dont l’Europe fédérale était censée être l’avenir.
Mais le spectacle n’est pas innocent. Par le biais d’une « enquête » et d’une analyse pseudo-scientifique confiée à deux « sociologues de la jeunesse », l’un de l’EHESS, l’autre de Paris VIII, le grand quotidien décliniste offre aux classes moyennes une caution scientifique à leurs préjugés et à leurs fantasmes. La sélection de l’échantillon et la construction de l’enquête garantit pratiquement ce résultat. Et on a donc droit au défilé habituel des poncifs : « les 18-25 ans qui ont participé font voler en éclats le mythe d’une société méritocratique », la famille comme dernier refuge, la méfiance envers les politiques, une « minorité qui campe sur des positions xénophobes », le « besoin de reconnaissance » que la méchante société refuserait à la jeunesse… la routine, quoi. Avec en plus, l’annonce – chérie, fais moi peur – que « la jeunesse rêve d’en découdre », ce qui ne manquera pas de faire plaisir aux « libéraux-libertaires » qui aimeraient tant pimenter leur vie de bobos en montant sur quelque barricade…
Quiconque lit régulièrement « Le Monde » connaît ce discours sur la jeunesse par cœur. C’est celui qui est distillé à longueur de tribunes, d’articles, d’enquêtes. Mais il faut comprendre combien ce discours est lié à la fantasmagorie d’une classe, et non à la « jeunesse » en général. Bertrand Russel disait que les prédictions des astrologues étaient toujours très intéressantes. Non pas en ce qu’elles révèlent de l’avenir, mais en ce qu’elles révèlent du présent puisqu’elles reflètent les peurs, les désirs et les interdits d’une société. L’enquête « génération quoi ? » et le commentaire publié par le JODF sont intéressants parce qu’ils donnent une bonne photographie de l’état mental des classes moyennes et de leur conception fantasmatique de la jeunesse en France aujourd’hui : Une jeunesse dépolitisée, désyndicalisée, ignorant les barrières de classe et les frontières nationales, ne concevant la solidarité que sous le volet de l’humanitaire, « complices » avec leurs parents (5), ayant intégré la vision « victimiste » d’elle même tout en étant « rebelle ».
Mais curieusement, qui a cessé d’être « européenne ». A la fin de l’enquête, on a demandé aux répondants de définir la jeunesse d’aujourd’hui par un mot. « sacrifiée », « perdue », « connectée » et « internet » arrivent en tête. Mais le mot « européenne » ne semble avoir été choisi par personne. Signe des temps ?
Descartes
(1) Journal Officiel du Déclinisme Français
(2) « Dans votre travail, comment êtes vous considéré ». Réponses : « indépendant », « ouvrier », « cadre », « employé », « profession intermédiaire ». La question n’est posée qu’à ceux qui déclarent travailler.
(3) Il y a une question qui révèle d’ailleurs d’une manière éclatante le biais existant dans l’échantillon. Il est demandé si « parmi les gens de ton âge, tu dirais que tu fais partie des gens qui ont le plus de chance de t’en sortir/le moins de chance de t’en sortir ». Six niveaux de réponse sont possibles. Et bien, les trois niveaux « moins de chance de t’en sortir » font respectivement 1%, 3% et 8% dans l’ordre croissant. Les trois niveaux « plus de chance de t’en sortir » font eux 26%, 39% et 23%. En d’autres termes, le centre de la distribution se trouve aux 5/6èmes de ceux qui ont « le plus de chance », et 88% se situent du côté positif de la force… qu’est ce que cela dit, à votre avis, de la composition sociale de l’échantillon ?
(4) Une question dont on voit bien l’ambiguïté : cela veut dire quoi participer à un mouvement « type mai 1968 » ? Faire la grève, comme ce fut le cas des ouvriers ? Aller dans le dortoir des filles, comme les étudiants de Nanterre ? Par ailleurs, poser une telle question a une génération qui par définition ne connaît de 1968 que la légende c’est se placer dans le domaine du fantasme.
(5) Dans les « points de répère » statistiques de l’enquête, on trouve d’ailleurs une formule assez comique : « 75% des enfants avouent avoir de la complicité avec leurs parents, 90% des parents déclarent avoir beaucoup de complicité avec leurs enfants ». On remarquera que les enfants « avouent » là où les parents « déclarent »…
."Cette supériorité de la propagande, même la plus mensongère, sur la puissance des armes de guerre, est encore un hommage indirect aux valeurs morales et l’un des signes du monde nouveau."
"[Ces élites seront ainsi amenées à] se constituer en ordres. La nécessité d’alimenter toujours leurs
forces morales et spirituelles pour les maintenir au niveau indispensable à leurs tâches, celle de se soutenir pour des combats difficiles, obligent les élites de demain à créer de véritables communautés comportant des engagements et un style de vie propre »
"[les jeunes gens] capables de s’opposer à cette décadence, [seront] rudes, robustes de corps, francs de
regard, courageux et tenaces, capables d’engagement et d’honneur, suffisamment libérés de l’excès d’artifice qu’entretiennent et développent les civilisations vieillissantes , … leur rudesse s’alliant tout naturellement à un sentiment fraternel, à une volonté de vivre, d’agir, de travailler et, s’il le faut, de mourir ensemble"
H. Beuve-Mary.
Ils n’ont pas renoncé mais empruntent des chemins différents, tout comme la guerre en Europe n’est plus celle des panzers mais des "berlines allemandes".
@Gérard Couvert
En effet, en effet…
"Les statistiques aussi sont des anecdotes" – Charles Péguy (Par ce demi-clair matin)
On a beau faire des pseudo-statistiques, avec des questions comme cela, on peut faire dire ce qu’on veut aux résultats.
C’était d’une moins grande ampleur, mais je me souviens d’un dossier de l’Express il y a quelques années sur "les jeunes". On y décrivait une jeunesse qui passe son temps à fumer des pétards, jouer à des jeux vidéos, et participer à des orgies. En prime, on avait droit à un glossaire "jeune" dont la moitié était composé d’argot gitan. Étant lycéen à l’époque, j’avais été profondément offensé. Et puis, en voyant plus tard la couverture du même magazine qui titrait "Islam : quel problème ?" avec en illustration une femme en burqa avec cinq enfants qui sortait d’une CAF, j’ai compris que c’était leur procédure habituelle.
Le Monde, vous me direz, est plus sérieux que cette feuille de chou. Je pense que les procédés restent à peu près les mêmes : il s’agit de faire peur ou de conforter le lecteur en utilisant ses préjugés et ses idées reçues. Ce qui me dérange le plus, c’est qu’on titre ce genre de travail "enquête" ou "dossier" alors qu’aucun réel travail journalistique n’est fait.
@BolchoKek
Qu’on soit d’accord ou pas avec l’idéologie du "Monde" de Beuve-Méry, c’était un journal sérieux fait par des gens sérieux pour des gens sérieux. Avec des plumes de qualité, des articles denses et bien informés, et une déontologie sourcilleuse. C’était le cas encore du temps de Fontaine ou de Laurens, même si on a commencé à céder à certaines facilités. Sous le règne du couple Colombani-Plenel, c’est devenu un torchon, mais au moins un torchon bien fait. Aujourd’hui, il est tombé au niveau d’un journal de caniveau. Entre la complaisance qui consiste a publier une tribune de BHL chaque fois qu’il lui vient l’idée d’écrire sur un sujet auquel il ne connaît rien, les opérations commerciales style "génération quoi ?" et des publi-reportages à peine déguisés, il est devenu pénible à lire.
Le plus terrible, c’est de ce dire que "Le Monde" est le journal des élites. Nos élites sont-elles tombées si bas qu’elles se contentent de ce torchon ?
["Le plus terrible, c’est de ce dire que "Le Monde" est le journal des élites. Nos élites sont-elles tombées si bas qu’elles se contentent de ce torchon ?"]
Mais y a-t-il un quotidien français convenable ?
@Ruben
[Mais y a-t-il un quotidien français convenable ?]
Non. Et il peut difficilement en avoir. Le « quotidien de qualité » – et la « presse de qualité » en général tient aujourd’hui du mythe. Et cela pour deux raisons :
La première tient à la qualité et la rigueur dans l’information. Un quotidien qui donne une information de qualité ne peut survivre que s’il y a derrière un lectorat qui a envie de connaître les faits. Or, les faits ont cette désagréable habitude d’aller de temps en temps à l’encontre de nos préjugés, de nos idéologies, et même de nos intérêts. Quel lectorat a envie chaque jour de lire dans le journal que le monde n’est pas tel qu’il le pense ? Personne, bien entendu. C’est pourquoi les journaux, comme tout produit commercial, finissent par donner au consommateur ce que le consommateur veut. C’est-à-dire, des textes qui le confirment dans ses préjugés.
Seules les élites bourgeoises sont poussées à surmonter ce processus, tout simplement parce que pour elles l’information est un outil de travail. L’investisseur qui s’apprête à mettre des millions dans tel ou tel pays a besoin de savoir les faits, même si ceux-ci lui déplaisent. Et il est généralement – mais pas toujours – du risque qu’il y a à prendre des décisions sur des « faits » falsifiés par une vision idéologique. C’est pourquoi les journaux qui s’adressent aux milieux économiques – le « Financial Times », « The Economist » – ont une qualité au niveau information que les journaux qui luttent pour garder un lectorat des classes moyennes n’ont pas. Or, en France la bourgeoisie n’est pas assez nombreuse pour maintenir en vie un quotidien spécifiquement français.
La deuxième raison tient à l’exigence du lectorat, qui n’est pas en proportion à ce qu’il est prêt à payer. Faire un journal de bonne qualité, bien corrigé, avec des plumes de qualité coûte cher. Or, la logique Internent a dévalué l’information. Qui serait prêt à payer cinq euros un quotidien pouvant avoir grosso modo les mêmes informations gratuitement ?
Ne lisant plus « Le Monde » depuis longtemps, sauf si j’ai un peu de temps à perdre à la bibliothèque municipale et envie de rigoler en feuilletant 3 ou 4 pages, je suis tombé il y a peu sur ce « publi-reportage » du journal.
Comme d’habitude, je n’ai pas eu le courage d’aller bien loin tant le coté amusant du journal devient, malgré tout, vite lassant et convenu. On l’aura compris, ce n’est pas l’originalité des angles de vue des éditos ni la qualité des « enquêtes » qui retiennent le lecteur… Merci donc pour votre condensé.
Je n’aime pas être médisant, mais je me suis demandé en vous lisant si les enfants Taubira, Peillon ou Le Drian (pour n’en citer que quelques-uns) ont répondu à cette « enquête inédite » ?
Il me plait d’imaginer qu’ils se sentent « frustrés », « non-intégrés », « perdus » et « rêvent d’en découdre ». Ils ne devraient pas être les seuls d’ailleurs car je les vois assez bien flanqués des « fils et filles de » de nos stars médiatiques ou de nos happy-few du show-biz. (Sans être capable de dire moi-même lesquels sont vraiment dans le show-biz et lesquels se croient journalistes).
Oui, finalement je les vois bien répondre qu’ils se sentent, eux aussi, « complices » avec leurs si talentueux géniteurs qui en ont fait des « winners » dès le berceau. A défaut, au moins je l’espère, se sentent-ils complice de l’utilisation judicieuse du carnet d’adresses familiale.
J’en rigole encore. Le Monde est décidément impayable. C’est bien pour cela qu’on ne l’achète plus.
@Justin
[Ne lisant plus « Le Monde » depuis longtemps,]
Personnellement, je continue à le lire pour deux raisons : la première, c’est que j’en ai besoin dans mes fonctions. Non pas pour savoir ce qui se passe, mais pour savoir comment une certaine classe – qu’on appelle à tort l’élite – voit les choses. Les journaux aujourd’hui collent tellement à leur lectorat qu’on peut connaître celui-ci rien qu’en les lisant. « Dis moi ce que tu lis, et je te dirai ce que tu est ».
[Je n’aime pas être médisant, mais je me suis demandé en vous lisant si les enfants Taubira, Peillon ou Le Drian (pour n’en citer que quelques-uns) ont répondu à cette « enquête inédite » ? Il me plait d’imaginer qu’ils se sentent « frustrés », « non-intégrés », « perdus » et « rêvent d’en découdre ».]
Bien sur que non. Pas plus que les jeunes de banlieue ou les jeunes ouvriers d’usine. Le regard que jette cette enquête sur la jeunesse est, et ne peut-être, qu’un regard d’adulte. Nous avons tous été jeunes, souvenez vous. Et quand on l’était, est-ce qu’on se demandait comment c’était « être jeune » du temps de nos parents ? Bien sur que non. On n’imaginait même mas que nos parents ou nos grands parents avaient été jeunes un jour. C’est cela le paradoxe de ce groupe social qui s’appelle « la jeunesse » : il ne peut être défini que par les autres. Un « jeune » ne sait pas ce que c’est d’être autre chose que « jeune ». Lui demander de se définir, c’est lui demander d’imaginer ce que ce serait de ne pas être ce qu’il est. Un peu comme si on demandait au têtard ce que cela fait de respirer de l’air. Comment pourrait-il savoir ? C’est pourquoi les enquêtes sur la jeunesse ont toujours un côté artificiel. Ce sont des enquêtes ou des gens qui ne sont plus jeunes demandent à des gens qui ne savent qu’être jeunes s’il est dur de l’être. Cela me fait penser à la formule du célèbre philosophe anglais : « chaque fois qu’on me dit « la vie est dure », j’ai envie de répondre « comparée à quoi ? » ».
On voit d’ailleurs pointer à chaque question des préjugés qui ne sont pas ceux des jeunes, mais bien ceux des adultes. Ainsi, par exemple, la question « pensez-vous qu’on vous paye conformément à vos qualifications ». Cette question suppose qu’on doive payer les gens non pas en fonction du travail qu’ils fournissent, non pas en fonction de la valeur qu’ils créent, mais en fonction des « compétences » qu’ils ont dans la tête. Une idée qui fleure bon les « trente glorieuses », l’époque où les compétences étaient encore rares et ou par conséquent on utilisait la main d’œuvre au maximum de ses compétences. Mais une idée qui n’a plus de sens dès lors que les « qualifications » – en fait derrière ce terme se cache le diplôme – sont excédentaires. Lorsqu’on vend des hamburgers, on est payé la même chose qu’on ait un CAP ou un doctorat de sociologie. Et les jeunes comprennent parfaitement cela… sauf ceux des classes moyennes qui voudraient voir dans le diplôme – quelqu’il soit – la garantie du maintien de leur position.
Bonsoir Descartes.
Excusez-moi à l’avance pour cette digression.
Mais la mention suivante a une saveur toute particulière pour moi. "Cette question suppose qu’on doive payer les gens non pas en fonction du travail qu’ils fournissent, non pas en fonction de la valeur qu’ils créent, mais en fonction des « compétences » qu’ils ont dans la tête. Une idée qui fleure bon les « trente glorieuses », l’époque où les compétences étaient encore rares et ou par conséquent on utilisait la main d’œuvre au maximum de ses compétences. Mais une idée qui n’a plus de sens dès lors que les « qualifications » – en fait derrière ce terme se cache le diplôme – sont excédentaires. "
Intéressant ! Je me pose actuellement la question du bon niveau de salaire pour mes conseillers clientèle.
Nous avons un problème de disparité des revenus tiré de l’histoire d’une part et nous avons un problème d’écart des revenus par rapport au marché. L’ancienne direction pour acheter la paix sociale donnait des augmentations à tire-larigot.
J’imagine que le bon niveau de revenu est celui qui permet de fidéliser les conseillers tout en étant rentable.Malheureusement la vie coûte cher à Paris et les conseillers voudraient tous émarger à 1500 € net au moins. De son côté notre client n’entend pas les choses de la même manière.
Une solution pour moi est de développer le self-care de manière à réduire le nombre de conseillers dont nous avons besoin. Ceci permettrait de mieux rémunérer les conseillers restants.
Une autre solution serait de quitter l’île de France pour un lieu où le coût de la vie est plus bas notamment l’immobilier, mais attention à la perte de compétences.
Bref ce n’est pas évident et je n’arrive pas à déterminer ce que vaut réellement leur travail.
@Trubli
[Intéressant ! Je me pose actuellement la question du bon niveau de salaire pour mes conseillers clientèle.]
« Bon » suivant quel critère. Dans une société de marché, les salaires sont en principe fixés par l’équilibre offre-demande, et en pratique par des accords de toute sorte qui associent cet équilibre de marché et les rapports de force capital-travail. Il n’y a pas de place là dedans pour l’adjectif « bon ».
[Bref ce n’est pas évident et je n’arrive pas à déterminer ce que vaut réellement leur travail.]
Quelle importance ? Votre raisonnement montre bien que la question que vous avez à résoudre est celle de les payer le moins possible tout en les fidélisant. La « valeur réelle » de leur travail n’est pas votre problème…
Je sais pas d’où vous vient cette volonté d’écrire de si longs billets, quand vous pourriez, simplement, en économisant un temps que, j’en suis sûr, vous sauriez alors occuper intelligemment, hurler une bonne fois pour toute au monde endoctriné vos convictions – que vous prenez tristement pour la Vérité, mais qui n’en restent pas moins des convictions non moins, ni plus respectables que d’autres -, à savoir que la Gauche (qui ? que ? quoi ?), la Bien-pensance (idem ?), les Bobos, la Pensée Unique, tous ces concepts flous et bien utiles quand on en veut à quelqu’un sans trop savoir pourquoi et, surtout, sans vouloir passer pour ce que l’on est (un fanatique, pardonnez-moi de le dire si crûment ; car s’il suffisait de couvrir trois pages d’une prose hésitante tous les matins pour cesser de l’être, alors M. Soral recevrait mes plates excuses pour toutes les mauvaises plaisanteries que j’ai pu commettre à son propos), sont responsables de tous les malheurs du monde, depuis la disparition des dinosaures jusqu’à Skynet ?
Signé : un sale gauchiste aveugle, endoctriné et irresponsable suppôt de la pensée unique – de votre point de vue.
Ou un simple travailleur assez désabusé par les débats intellectuels, s’ils méritent toujours ce nom, de son temps, apolitique et dont le seul et unique principe est de tenter de comprendre tous les points de vues, et ce avant de hurler à la persécution, à la dictature de la pensée, à la propagande dès qu’un avis contraire est rencontré…..
Ce commentaire ne concerne pas ce billet en particulier, mais tous.
@cogito ?
[Je sais pas d’où vous vient cette volonté d’écrire de si longs billets,]
Croyez-moi, on ne choisit pas d’écrire long ou court. Les idées vous viennent ou ne vous viennent pas. Et contrairement à ce que les gens croient, il faut beaucoup plus de temps pour écrire un billet court que pour écrire un billet long…
[quand vous pourriez, simplement, en économisant un temps que, j’en suis sûr, vous sauriez alors occuper intelligemment, hurler une bonne fois pour toute au monde endoctriné vos convictions – que vous prenez tristement pour la Vérité, mais qui n’en restent pas moins des convictions non moins, ni plus respectables que d’autres -, à savoir que la Gauche (qui ? que ? quoi ?), la Bien-pensance (idem ?), les Bobos, la Pensée Unique, tous ces concepts flous et bien utiles quand on en veut à quelqu’un sans trop savoir pourquoi et, surtout, sans vouloir passer pour ce que l’on est (un fanatique, pardonnez-moi de le dire si crûment ; car s’il suffisait de couvrir trois pages d’une prose hésitante tous les matins pour cesser de l’être, alors M. Soral recevrait mes plates excuses pour toutes les mauvaises plaisanteries que j’ai pu commettre à son propos), sont responsables de tous les malheurs du monde, depuis la disparition des dinosaures jusqu’à Skynet ?]
Je ne peux que vous encourager à revoir votre ponctuation. Si trois pages de prose hésitante tous les matins ne vous permettent pas de « cesser de l’être », une phrase de dix lignes n’est certainement pas le meilleur véhicule pour se faire comprendre.
Je n’ai jamais pris ce que je dis pour « la Vérité », ni triste, ni autrement. J’ai trop de méfiance pour ceux qui prétendent détenir la vérité pour tomber dans ce piège moi-même. Si mon raisonnement ou mon argumentation – car en fait de « convictions », j’en exprime assez peu – ne vous conviennent pas, vous êtes libre de les discuter, en étant assuré que votre contre-argumentation sera lue et obtiendra une réponse argumentée. A partir de là, je trouve votre accusation de « fanatisme » pour le moins paradoxale. Mais bon, je peux me tromper… tout comme vous, n’est ce pas ?
[Signé : un sale gauchiste aveugle, endoctriné et irresponsable suppôt de la pensée unique – de votre point de vue.]
C’est toi qui le dis… (Jean, 18 :37)
[Ou un simple travailleur assez désabusé par les débats intellectuels, s’ils méritent toujours ce nom, de son temps, apolitique et dont le seul et unique principe est de tenter de comprendre tous les points de vues, et ce avant de hurler à la persécution, à la dictature de la pensée, à la propagande dès qu’un avis contraire est rencontré…..]
Ah oui, j’oubliais : les « fanatiques », c’est toujours les autres. Vous, vous ne cherchez qu’à comprendre…
D’habitude, sur ce blog les attaques ad hominem vont à la poubelle. Si j’ai publié celui-ci, c’est parce qu’il me paraît intéressant. J’aimerais vraiment comprendre votre motivation: pensez-vous qu’avec ce commentaire vous avez contribué au débat ? Que vous aurez convaincu quelqu’un – je ne vous parle pas de moi, mais d’un lecteur de ce blog – de quelque chose ? Que vous aurez fait avancer une analyse, une idée, un projet, une proposition ?
Voyez-vous, c’est du boulot de faire un blog. Que ma prose soit "hésitante", je veux bien l’admettre. Mais au moins, je fais l’effort de l’écrire et de la soumettre au scrutin critique de mes concitoyens. Et j’accueille toutes les critiques sous réserve du respect d’un minimum de règles légales et de politesse. C’est pourquoi, en toute franchise, je ressent les inspecteurs de travaux finis qui n’ont rien de mieux à faire que d’attaquer le messager sans se soucier du message. Voilà, j’espère avoir fait honneur à la franchise que vous me témoignez en étant franc à mon tour…
Bonjour à tous,
j’ai comme ma petite idée sur l’identité de "Cogito". Notons quand même qu’il est amusant de voir quelqu’un dont le parti-pris est d’être apolitique et de ne pas avoir d’opinions, tout en se qualifiant lui-même de gauchiste, et qui vient faire des remontrances aux gens qui ont des convictions…