Rémi Fraisse: la vie n’est pas un jeu vidéo

J’en suis au 9ème niveau. Je sors de ma hutte. Devant moi, a cinquante mètres environ, les Gomorz casqués et masqués. Je suis entouré par ma bande de Zadistes, prêts à défendre les espèces en péril contre l’Empire. Après une courte attente, l’affrontement commence. Nous lançons sur les Gomorz des pierres et de temps en temps un cocktail molotov. Les Gomorz répondent en lançant des grenades lacrymogènes – car l’Empire leur a donné l’ordre de ne pas faire des blessés chez nous, ça pourrait faire mauvais effet. Les jets de notre côté se font plus nombreux et plus précis. Un Gomorz est en feu. Nous arriverons peut-être à les encercler. Eux cherchent à se dégager. Ils lancent quelque chose. Ce n’est plus des lacrymogènes, c’est différent. L’un d’eux tombe sur moi et se coince entre mon t-shirt et mon sac à dos. Il explose… L’écran devient noir, les lettres « fin de partie » apparaissent, puis un bouton : « voulez-vous rejouer » ? Je clique sur « oui » et je me retrouve dans ma hutte. Il suffit de pousser la porte… Sauf que dans la réalité, il n’y a pas bouton « voulez-vous rejouer ? ». Il n’y a plus rien, zéro, néant, le vide. Quand la grenade explose, il ne reste plus qu’un corps étendu sur l’herbe, celui d’un être à jamais disparu.

Même avant la mort de Remi Fraisse, le chantier du barrage de Sivens était assez symptomatique du fonctionnement – ou plutôt du non-fonctionnement – de nos institutions politico-médiatiques. Projet local, appuyé par la quasi-totalité des élus du coin, le barrage a franchi haut la main toutes les étapes – et dieu sait si elles sont nombreuses – de la procédure de décision publique. Approbation par le conseil général à une écrasante majorité des voix, enquêtes publiques, déclaration d’utilité publique, autorisations diverses au titre de l’urbanisme, de la loi sur l’eau… il ne restait plus qu’à construire. Seulement voilà : il existe un pouvoir supérieur à tous les pouvoirs, un savoir qui s’impose à tous les savoirs, celui du militant écologiste.

D’abord, le militant écologiste sait. Pourvu d’une infaillibilité qui ne cède rien à celle du Pape, son savoir immanent lui dit quels sont les projets d’équipement utiles et respectueux de l’environnement et quels sont les projets qui sont au contraire non seulement inutiles mais ruineux et anti-écologiques. Et non seulement il sait, mais en plus il parle au nom de la Planète, ce dieu moderne qui est au dessus de n’importe quel décideur, fut il sélectionné par le suffrage universel. Dans ce contexte, comment le militant écologiste pourrait accepter que sa voix soit contestée, que sa vérité soit ravalée au rang d’une opinion parmi d’autres ? Non, la vérité a tous les droits, y compris de s’imposer par la force à ceux qui n’accepteraient pas de l’adopter. C’est au nom de cette vision totalitaire que depuis vingt ans des groupuscules convaincus de posséder la vérité détruisent des cultures, saccagent des laboratoires, empêchent la construction d’équipements utiles et même nécessaires, en allègre violation des processus démocratiques de délibération et de décision.

Pourquoi tolérons nous ça ? Pourquoi l’ensemble de cette gauche bienpensante qui frémit chaque fois que la démocratie est en danger quelque part dans le monde reste de marbre – quand elle ne soutient activement – lorsque ces groupuscules se jouent de la démocratie ici et chez nous ? Pourquoi le peuple français admet que quelques centaines de fidèles du nouveau culte millénariste puissent bloquer des projets jugés nécessaires par la délibération démocratique ? Pourquoi notre société admet que les dirigeants cèdent à chaque fois devant toutes sortes d’ayatollahs persuadés chacun que sa vérité est la vérité, la seule et unique vérité, et prêts à le montrer cocktail molotov en main ? Pourquoi le gouvernement qui tolère qu’une ZAD empêche la construction d’un aéoroport, d’un tunnel ou d’un barrage est mollement approuvé par les électeurs, alors que celui qui fait évacuer une ZAD peut compter sur la réprobation de tout ce que la République compte comme commentateurs ?

La réponse est simple : nos hommes politiques, nos élus, nos commentateurs ont peur. La médiatisation à outrance dans notre société joue un peu le même rôle que jouait naguère, du temps des « grandes peurs », la rumeur. C’est un amplificateur qui peut transformer une affaire d’importance minime en « crise de société ». Le barrage de Sivens est de ce point de vue paradigmatique : voici un projet d’importance minime, avec une retenue d’a peine 17 hectares et 5 millions de mètres cubes. Un gros étang, donc, mais devenu par la grâce de l’exposition médiatique une affaire où se joue la vie ou la mort de la planète. Chaque année les incendies de forêt emportent des centaines d’hectares de forêt sans que personne ou presque ne s’en émeuve, mais la coupe d’une dizaine d’hectares de forêt à Sivens devient un dommage irréparable à la nature qui justifie tout et n’importe quoi.. Lorsqu’on arrive à l’idée qu’il est parfaitement justifié de lancer une bouteille d’essence enflammée ou une bouteille d’acide sur un être humain pour « sauver » dix-sept hectares de forêt, il faut commencer à se poser des questions.

Ce qui fait froid dans le dos dans cette affaire, c’est qu’il y ait une partie de notre jeunesse pour vivre le réel comme si c’était un jeu vidéo, et surtout une partie de nos classes bavardantes pour l’encourager. Comment comprendre le manque d’empathie qui permet à un jeune militant de lancer sur un CRS une bouteille enflammée ? A-t-il conscience que cet acte peut infliger des blessures graves – et même la mort – à un être humain ? A-t-il seulement conscience que ce CRS qu’il a devant lui est un être humain, et non une machine où un « avatar » de jeu vidéo ? A-t-il conscience du fait que lui-même n’est pas un « avatar », et qu’il n’y a pas de bouton « reset » qui pourrait lui permettre de récupérer un œil, un doigt, une vie perdue ?

Il est clair que non, puisque lorsque ces jeux dangereux aboutissent à la blessure ou à la mort, tout le monde – médias et leaders politiques bienpensants en tête – pousse des cris d’orfraie en dénonçant les « violences policières », comme si le rôle de la police était d’assurer le droit inaliénable de chacun à leur jeter des boulons, des pierres et des cocktails Molotov en toute sécurité et sans risque.

Notre police, et cela a été largement démontré de mai 1968 jusqu’à nos jours, a une véritable expertise dans la gestion de manifestations, y compris violentes, en minimisant les risques pour les manifestants même lorsque cela suppose une prise de risque plus importante pour les fonctionnaires de police. Nous avons connu depuis lors des événements violents – de la nuit des barricades en 1968 aux émeutes de banlieue en 2005 – avec un nombre de morts et de blessés véritablement minimes. Mais quelque soient les efforts faits par les forces de l’ordre pour ne pas amocher les manifestants – et ces efforts sont très réels – cela ne marche pas à tous les coups. Quelquefois, il y a de la casse. Celui qui va dans une manifestation dont les organisateurs tolèrent – quand ils ne les encouragent pas – la présence d’éléments violents doit savoir qu’il prend un risque. Et lorsque ce risque se réalise et qu’un manifestant est blessé ou pire, il faut se demander si le risque pris en valait la peine. On ne peut pas continuer à se comporter comme si l’on avait à notre disposition un bouton « rejouer ». Et à reporter toutes les fautes sur un tiers, la police, l’école, l’Etat ou les élus, lorsque l’irréparable arrive.

La mort de Rémi Fraisse est une mort stupide. Elle est stupide non pas parce qu’il serait mort pour une idée – ce n’est pas le cas – mais parce qu’il est mort par accident, en prenant en pleine inconscience un risque démesuré pour une cause qui n’en valait certainement pas la peine. Et la stupidité même de cette mort la rend encore plus insupportable. Elle devrait nous pousser collectivement – et ce devoir est encore plus ardent pour ceux qui se prétendent progressiste – à réfléchir sur les valeurs que nous proposons à notre jeunesse. Cette affaire montre une fois de plus l’immense danger qu’il y a à concevoir la politique en termes militaires et à propager un langage et une vision de guerre civile. Et cela ne concerne pas seulement les illuminés de l’extrême gauche : lorsqu’on peut lire dans un grand quotidien du soir un article de sa majesté Edgar Morin sous-titulé « Sivens est une guerre de civilisation », il faut commencer à se poser des questions.

Peindre l’Etat comme l’oppresseur, faire de ses fonctionnaires une armée d’occupation assoiffée de violence contre laquelle tout est permis est non seulement une falsification de la réalité du fonctionnement de notre société, mais prépare des lendemains désastreux. Quel avenir peut avoir une jeunesse qui pense que nous sommes en « guerre de civilisation », et que le débat public se réduit à la formule « tuer ou être tué » ?

Je pense en particulier à ceux qui aujourd’hui cherchent à récupérer la mort de Rémi Fraisse en faisant un martyr et s’indignent des « violences policières » tout en condamnant du bout de la langue – quand ils ne la justifient pas – la violence des manifestants. Imaginez que le sort eut décidé autrement, et que ce fut ce CRS qu’on a pu voir à la télévision engouffré par les flammes d’un cocktail Molotov qui soit mort. Qu’auraient dit les bienpensants ? Aurait-on vu Cécile Duflot dénoncer l’inacceptable et exiger une enquête sur les groupuscules violents ? Aurait-on vu Morin justifier la violence des CRS qui ne feraient que « défendre leur vie » ? Bien sur que non. Chaque mois des CRS sont blessés par des pavés ou des boulons, brûles par des liquides enflammés ou par l’acide. Avez-vous vu une seule fois un politicien de gauche s’indigner ? Un seul d’entre eux visiter le blessé à l’hôpital sous les yeux des caméras ? Pourtant, ces CRS sont des fonctionnaires, chargés d’une mission définie par les lois votées démocratiquement, et soumis aux ordres des gouvernements que nous avons élus. En quoi sont-ils moins légitimes à employer la force que les excités persuadés de détenir la vérité ?

On ne peut pas prétendre gouverner l’Etat tout en mettant en doute la légitimité de l’ordre républicain et des décisions prises après délibération démocratique. Les politiciens qui le font scient la branche sur laquelle ils sont assis. Il faut le dire et le répéter : dans un régime démocratique, rien, absolument rien, ne peut justifier la violence. Il faut le dire et le répéter, dans un état de droit la seule, l’unique violence légitime est celle de l’Etat lui-même. Il faut le dire et le répéter, ceux qui défendent ou excusent la violence sous prétexte que « c’est la seule façon de se faire entendre » commettent une grave erreur : dans notre société, ce n’est pas les moyens de se faire entendre qui manquent. Mais le droit d’être entendu n’inclut pas celui d’imposer son opinion, et encore moins celui d’être pris au sérieux.

Descartes

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105 réponses à Rémi Fraisse: la vie n’est pas un jeu vidéo

  1. bovard dit :

    [Notre police, et cela a été largement démontré de mai 1968 jusqu’à nos jours, a une véritable expertise dans la gestion de man]ifestations, y compris violentes, en minimisant les risques pour les manifestants même lorsque cela suppose une prise de risque plus importante pour les fonctionnaires de police. Nous avons connu depuis lors des événements violents – de la nuit des barricades en 1968 aux émeutes de banlieue en 2005 – avec un nombre de morts et de blessés véritablement minimes].
    Votre texte,cher Descartes,de qualité certaine, provoque quelques réflexions complémentaires.
    D’abord concernant la police.Elle a été très malmenée à Sivens,par une internationale malintentionnée,’les zadistes des blocs noirs’.
    Il est possible qu’excédé un ou des policiers de façon discrète,ait ‘boosté’ ,en rajoutant de la poudre,la grenade offensive pour augmenter son effet.Attendons les résultats de l’enquête d’autant plus qu’il se dit que beaucoup de manifestants étaient saoûls ou sous psychotrope.
    Plaçons nous dans le contexte local,où des bandes d’irresponsables depuis plusieurs semaines harcèlent très violemment ,nuits et jours,avec des pièges,tous les policiers.
    Zadistes fanatiques dans des Miradors,dans des tranchées, en embuscades ,voilà ce qu’affrontait les forces de l’ordre.
    Il n’est pas exclu que le sang froid des forces de l’ordre ait flanché,d’autant plus qu’il se colporte dans des rumeurs locales invérifiables que le préfet du Tarn aurait demandé ‘d’être sans pitié’.
    A Toulouse certains avocats habitués de soutenir les délinquants illuminés proches de Merah ,ne manqueront pas de se saisir de cette affaire.La démagogie va couler à flots.Politiquement,quelles sont les responsabilités?
    Ces jeunes partent avec la caution de certains députés et anciens ministres verts :pour casser du flic afin de ‘sauver la planète’.
    Allons donc! cette petite retenue ne défigurait pas le paysage et permettait de retenir de l’eau (gaspillée dans l’océan sans ce petit barrage),pour qu’une trentaine de cultivateur ne subissent pas la sécheresse très forte dans ce Tarn.
    Un jeune idéaliste est mort,paix à son âme et respect.
    Mais les responsables politiques,verts qui poussent leurs idées au paroxysme ne peuvent pas en rester à la simple accusation de al police.
    Ils doivent faire leur auto-critique.
    En effet leurs discours irresponsables ,depuis des décennies entraînent les jeunes idéalistes vers des sacrifices inutiles,déraisonnables et dramatiques.
    Messieurs Mamère,Placet,Madame Duflot vous devez arrêter de tenir des propos irresponsables car les jeunes les suivent à la lettre.Ils meurent comme Rémy,trop jeune,trop naïf.
    Ces jeunes croient se battre pour sauver la planète alors que ce sont d’autres qui tirent les marrons du feu.
    A ce propos,Monsieur Hollande doit nous expliquer,comment son part,le PSi a pu donner aux verts un groupe parlementaire de plus d’une dizaine de députés alors qu’ Eva Joly n’a pas fait plus de 2% en 2012.Rappelons que le FN n’a que 2 députés pour plus de 25% des votes.
    Est ce parce que les verts sont des eurolatres?

    • Descartes dit :

      @ bovard

      [Il est possible qu’excédé un ou des policiers de façon discrète, ait ‘boosté’ , en rajoutant de la poudre, la grenade offensive pour augmenter son effet.]

      Je n’y crois pas un instant, les grenades offensives – du moins celles que j’ai vu – sont des unités scellées, elles sont impossibles à modifier. Mais je préfère ne pas parler alors que nous n’avons aucun élément de fait. L’enquête dira ce qu’il y aura à dire.

      [A ce propos,Monsieur Hollande doit nous expliquer,comment son part,le PS a pu donner aux verts un groupe parlementaire de plus d’une dizaine de députés alors qu’ Eva Joly n’a pas fait plus de 2% en 2012.Rappelons que le FN n’a que 2 députés pour plus de 25% des votes.
      Est ce parce que les verts sont des eurolatres?]

      C’est surtout parce qu’il fallait au PS des cautions de gauche, et accessoirement parce que dans ce pays médiatisé qui est le nôtre, les Verts ont un pouvoir de nuisance qui dépasse largement leurs 2%…

  2. marc.malesherbes dit :

    Bonjour,
    en tant que commentateur très occasionnel de votre blog, je me sens obligé de vous dire mon désaccord avec la tonalité globale de ce billet. Je ne prétend pas être original, mais ne pas le faire impliquerait un accord tacite.

    1- "Seulement voilà : il existe un pouvoir supérieur à tous les pouvoirs, un savoir qui s’impose à tous les savoirs, celui du militant écologiste." La démocratie n’exige pas que la minorité se taise et n’exprime plus ses idées. Les écologistes sont tout à fait légitimes à dire qu’ils continuent à penser que le barrage de Sivens est inopportun, même si la majorité en a décidé autrement. C’est pourquoi tout ce développement me paraît franchement regrettable ("D’abord, le militant écologiste sait. (…) des groupuscules convaincus de posséder la vérité ") Certes cela peut être vrai pour certains d’entre eux, mais la généralisation est franchement abusive. Moi qui suit un écologiste convaincu, on pourrait me ridiculiser, car je suis aussi plutôt pro-nucléaire. Mais même dans ce cas, je le suis avec un doute réel, bien loin de la certitude.
    2- "des groupuscules convaincus de posséder la vérité détruisent des cultures, saccagent des laboratoires, empêchent la construction d’équipements utiles et même nécessaires, en allègre violation des processus démocratiques de délibération et de décision" Là je vous suis tout à fait. On a le droit de se battre pour ses idées, même minoritaires, mais aller à la contestation violente pose un grave problème.
    Mais à nouveau, il me semble que la position doit être nuancé dans certains cas. Si certains groupes, entreprises ne respectent pas la loi, et que l’Etat (la force publique) ne s’y oppose pas, je ne saurai condamner à priori. Reste à examiner si les actions qui sont engagées sont "proportionnées". Encore une analyse de la situation à faire
    3- "Ce qui fait froid dans le dos dans cette affaire, c’est qu’il y ait une partie de notre jeunesse pour vivre le réel comme si c’était un jeu vidéo" C’est une analogie bien désagréable, pour des jeunes qui savent évidement les risques qu’ils courent.
    "Celui qui va dans une manifestation dont les organisateurs tolèrent – quand ils ne les encouragent pas – la présence d’éléments violents doit savoir qu’il prend un risque" Bien sûr, mais, peut-être parce que j’ai fait beaucoup de bêtises quand j’étais jeune, il me semble qu’il faut souvent protéger la jeunesse d’elle-même. Rouler à moto sans casque, c’est vraiment prendre un risque inutile. C’est l’inconscience de la jeunesse. Dira-t-on "tant pis pour lui, qu’il se tue" A mon avis, on essaie de le dissuader d’agir pareillement, et si il se tue, mon oraison funèbre ne sera pas "Il a pris risque, tant pis pour lui", mais "pourquoi n’avons nous pas su le convaincre de mettre un casque ?"
    4- "La mort de Rémi Fraisse est une mort stupide, (…) parce qu’il est mort par accident, en prenant en pleine inconscience un risque démesuré pour une cause qui n’en valait certainement pas la peine". Et vous éludez totalement la responsabilité des forces de l’ordre. Une grenade offensive (et même des dizaines), on été lancées verticalement, et non horizontalement comme le préconisent les règles d’usage. Cela R Fraisse ne pouvait raisonnablement l’anticiper
    5- "lorsqu’on peut lire dans un grand quotidien du soir un article de sa majesté Edgar Morin sous-titulé « Sivens est une guerre de civilisation » Hélas, la vieillesse peut être un naufrage. E Morin qui a su remettre en cause ses certitudes dans sa jeunesse, et c’était remarquable, sombre depuis quelques années dans des déclarations pitoyables. Paix à sa sénilité.

    Bon je m’arrête, mais j’en aurai encore tant à dire sur ce billet qui me paraît bien mal pensé. Cela ne m’empêche pas de lire et d’apprécier beaucoup de vos billets et de vos commentaires,
    Bien à vous

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [1- "Seulement voilà : il existe un pouvoir supérieur à tous les pouvoirs, un savoir qui s’impose à tous les savoirs, celui du militant écologiste." La démocratie n’exige pas que la minorité se taise et n’exprime plus ses idées. Les écologistes sont tout à fait légitimes à dire qu’ils continuent à penser que le barrage de Sivens est inopportun, même si la majorité en a décidé autrement.]

      Tout à fait. Qui a dit le contraire ? Le problème est que les écologistes ne se contentent pas de dire qu’ils continuent à penser que le barrage de Sivens est inopportun. Ils prétendent empêcher sa construction. En d’autres termes, ils prétendent que leur « opinion » prime non seulement sur toutes les autres, mais même qu’elle s’impose aux décisions prises après débat démocratique. C’est cela que j’ai dénoncé. Je n’a jamais dit que la minorité doive garder le silence.

      [C’est pourquoi tout ce développement me paraît franchement regrettable ("D’abord, le militant écologiste sait. (…) des groupuscules convaincus de posséder la vérité ") Certes cela peut être vrai pour certains d’entre eux, mais la généralisation est franchement abusive.]

      Je regrette, mais je connais très peu d’écologistes aujourd’hui qui aient clairement pris position contre les « ZAD », contre les « faucheurs volontaires » et autres illuminés qui pensent détenir la vérité et agissent en conséquence.

      [Moi qui suit un écologiste convaincu, on pourrait me ridiculiser, car je suis aussi plutôt pro-nucléaire. Mais même dans ce cas, je le suis avec un doute réel, bien loin de la certitude.]

      Je veux bien croire que vous soyez intéressé par les questions touchant à la protection de l’environnement, mais je ne pense pas que vous soyez un « écologiste convaincu ». D’ailleurs, c’est quoi pour vous un « écologiste » ?

      [Mais à nouveau, il me semble que la position doit être nuancé dans certains cas. Si certains groupes, entreprises ne respectent pas la loi, et que l’Etat (la force publique) ne s’y oppose pas, je ne saurai condamner à priori. Reste à examiner si les actions qui sont engagées sont "proportionnées". Encore une analyse de la situation à faire]

      Prenons un exemple, si vous le voulez bien : Les militants de Greenpeace n’appliquent pas la loi en s’introduisant sur des installations nucléaires pour déployer les banderoles, et l’Etat (la force publique) ne s’y oppose pas puisque jusqu’ici rien n’a été fait pour les en empêcher, et les condamnations judiciaires sont ridicules. Me donneriez vous, moi militant pro-nucléaire, donneriez-vous à EDF le droit de jeter des cocktails molotov sur les militants de Greenpeace ? De les frapper avec une barre de fer ? De crever les pneus de leurs voitures ? De leur tirer dessus à la carabine ? Pourquoi admettriez vous que les militants puissent utiliser la violence contre une entreprise « qui ne respecte pas la loi », et niez vous à une personne ou une entreprise d’utiliser la violence contre des militants écologistes qui ne respectent pas la loi ?

      Si les entreprises ne respectent pas la loi, c’est aux juges de le dire. Pas aux militants. Si chaque citoyen a le droit de décider si la loi est ou non bien appliquée et de se faire justice en ayant recours à la violence, on n’est pas sortis de l’auberge.

      [3- "Ce qui fait froid dans le dos dans cette affaire, c’est qu’il y ait une partie de notre jeunesse pour vivre le réel comme si c’était un jeu vidéo" C’est une analogie bien désagréable, pour des jeunes qui savent évidement les risques qu’ils courent.]

      S’ils savent les risques qu’ils courent, pourquoi sont-ils surpris et cherchent un fautif lorsque le risque se réalise ? Franchement, je pense être très gentil avec les jeunes en disant qu’ils n’ont pas conscience du risque. Parce que s’ils ont conscience, alors ils sont véritablement idiots de le prendre.

      ["Celui qui va dans une manifestation dont les organisateurs tolèrent – quand ils ne les encouragent pas – la présence d’éléments violents doit savoir qu’il prend un risque" Bien sûr, mais, peut-être parce que j’ai fait beaucoup de bêtises quand j’étais jeune, il me semble qu’il faut souvent protéger la jeunesse d’elle-même. Rouler à moto sans casque, c’est vraiment prendre un risque inutile. C’est l’inconscience de la jeunesse. Dira-t-on "tant pis pour lui, qu’il se tue"]

      Non, bien sur que non. Mais on dira, comme je l’ai dit pour Rémi Fraisse, « il est mort stupidement ». Et on n’en fera pas un « martyr », pas plus qu’on ne dira « c’est la faute à la direction des routes ». Bien sur que la jeunesse est tentée de se mettre en danger, bien sur qu’il faut la protéger contre elle-même – ne serait-ce que parce que cette protection témoigne aux yeux du jeune que la société n’est pas indifférente à son sort. Mais je suis convaincu que les autorités politiques et administratives et les forces de l’ordre elles mêmes sont dans cette logique-là. Quand on voit la retenue dont font preuve les forces de l’ordre lorsqu’elles reçoivent sur la tête pavés, boulons, cocktails Molotov et bombes à l’acide, je trouve injuste de dire qu’elles ne cherchent pas à protéger la jeunesse contre elle-même. Si les forces de l’ordre utilisaient sans retenue la violence dont ils sont capables, les choses seraient très différentes. Regardez comment on réprime dans d’autres pays, et vous verrez ce que « violence policière » veut dire.

      [4- "La mort de Rémi Fraisse est une mort stupide, (…) parce qu’il est mort par accident, en prenant en pleine inconscience un risque démesuré pour une cause qui n’en valait certainement pas la peine". Et vous éludez totalement la responsabilité des forces de l’ordre.]

      Je n’élude rien du tout. Ce n’est pas à moi d’établir la responsabilité des forces de l’ordre, ce sera à la justice de déterminer si une faute a été commise (car je n’imagine pas qu’on puisse penser un instant que les forces de l’ordre aient cherché à provoquer la mort intentionnellement, hypothèse absurde si l’on pense aux emmerdements que cette mort risque de leur causer) et par qui. Le fait est que si Rémi Fraisse était resté sagement chez lui, il ne serait pas mort.

      [Une grenade offensive (et même des dizaines), on été lancées verticalement, et non horizontalement comme le préconisent les règles d’usage. Cela R Fraisse ne pouvait raisonnablement l’anticiper.]

      Mais ces grenades ont été lancées avec quel objectif ? La chasse au canard ? Un feu d’artifice ? Pour fêter le mariage du brigadier ? Ou en réponse aux jets de pierres et autres objets ? Vous me reprochez « d’éluder la responsabilité de l’ordre », mais vous « éludez » de même la responsabilité de ceux qui ont mis les gendarmes en situation de commettre une erreur de lancement. En d’autres termes, le gendarme est censé rester imperturbable et appliquer les règles sans la moindre erreur, et devient responsable s’il ne le fait pas. Le lanceur de cocktails Molotov, lui, n’est jamais responsable de rien.

      Je vais vous confier un secret : j’ai eu l’opportunité, au cours de ma carrière, de frayer avec la gent gendarmesque, et par curiosité j’ai réussi à les accompagner une ou deux fois sur des opérations de maintien de l’ordre. Cette expérience m’a franchement ouvert les yeux sur la difficulté de la tâche, et m’a rendu très prudent. Lorsqu’on est sous la pluie de boulons, lorsque vous avez un collègue qui vient de recevoir un cocktail Molotov sur le dos, l’erreur – et même la faute – est vite arrivée. Ceux qui crient à la « violence policière » devraient faire un petit stage chez les CRS ou les gendarmes mobiles. Cela les rendrait peut-être plus aptes à faire la part des choses.

      [Bon je m’arrête, mais j’en aurai encore tant à dire sur ce billet qui me paraît bien mal pensé.]

      On ne peut pas toujours contenter tout le monde. Je vous remercie en tout cas de votre franchise et espère que cela ne vous découragera de continuer à commenter.

    • v2s dit :

      @ Descartes et marc.malherbe

      1/ [Je veux bien croire que vous soyez intéressé par les questions touchant à la protection de l’environnement, mais je ne pense pas que vous soyez un « écologiste convaincu ». D’ailleurs, c’est quoi pour vous un « écologiste » ?]
      Ce n’est certainement pas facile d’expliquer en quelques mots ce que c’est qu’être un « écologiste » ou un « écologiste convaincu ».
      Par contre, les écologistes convaincus ne sont ni des [ayatollas] ni des [fidèles du nouveau culte millénariste] comme vous l’affirmez plus haut et avec constance depuis des années sur ce blog.
      Un écologiste convaincu, c’est quelqu’un qui s’interroge sur l’impact exponentiel de l’homme sur son environnement. Qui s’interroge sur la contradiction effrayante qui existe entre le désir « naturel » de l’homme d’améliorer ses conditions de vie sur terre et les conséquences catastrophiques de dégâts collatéraux de toutes ces améliorations.

      2/ [Peindre l’Etat comme l’oppresseur, faire de ses fonctionnaires une armée d’occupation assoiffée de violence contre laquelle tout est permis est non seulement une falsification de la réalité du fonctionnement de notre société, mais prépare des lendemains désastreux.]
      Oui, vous avez raison.
      Noel Mamère et d’EELV nous font un bien moche numéro de récupération démagogique.
      L’écologie mérite un débat d’idée qui débouchera peut-être (je le souhaite) sur une des plus profondes transformations de l’humanité, mais ce n’est pas une guerre contre l’Etat dont les gendarmes seraient les soldats à abattre.

      3/ [le chantier du barrage de Sivens était assez symptomatique du fonctionnement – ou plutôt du non-fonctionnement – de nos institutions politico-médiatiques.]
      Oui, le fonctionnement des institutions est inadapté aux questions liées à l’environnement. La solution consisterait à ajouter des représentants des générations futures lors des délibérations. Ainsi que des élus défenseurs des autres êtres vivants, dont l’extinction menace à terme la vie de nos propres descendants.
      Vous m’avez déjà objecté (non sans ironie) l’impossibilité pour les générations futures de voter donc d’élire des représentants, sans même parler de l’impossibilité pour les insectes ou les batraciens de glisser un bulletin dans l’urne.
      Et pourtant, sommes-nous à l’aise avec la pratique de la fuite en avant qui est aujourd’hui la notre.

    • Manivelle dit :

      Je suis globalement d’accord avec votre article, même si je trouve aussi l’analogie avec le jeu vidéo regrettable. Je trouve qu’un point intéressant a été soulevé dans la discussion sur le rapport des jeunes aux risques :

      [3- "Ce qui fait froid dans le dos dans cette affaire, c’est qu’il y ait une partie de notre jeunesse pour vivre le réel comme si c’était un jeu vidéo" C’est une analogie bien désagréable, pour des jeunes qui savent évidement les risques qu’ils courent.
      S’ils savent les risques qu’ils courent, pourquoi sont-ils surpris et cherchent un fautif lorsque le risque se réalise ? Franchement, je pense être très gentil avec les jeunes en disant qu’ils n’ont pas conscience du risque. Parce que s’ils ont conscience, alors ils sont véritablement idiots de le prendre.]

      Les jeunes d’aujourd’hui, surtout dans les classes moyennes dont sont généralement issus ces jeunes militants, sont confrontés à moins de violence que ceux d’il y a cinquante ans : enfance surprotégée par les parents, fin du service militaire renforcent, entre autres, leur inconscience naturelle face aux risques.
      Je pense que ces jeunes savent intellectuellement qu’il existe toujours un risque qu’il puisse leur arriver un accident, mais sont convaincus que cela n’arrivera pas car ils ont grandi dans un monde où la seule violence à laquelle ils étaient confrontés était celle, factice, qu’ils regardaient via un écran (télé, cinéma, jeu vidéo,…).
      Tout cela pour dire que faire du jeu vidéo le responsable de l’inconscience des jeunes est pour le moins précipité. Mais cela ne m’empêchera pas de continuer à vous lire.

    • Descartes dit :

      @Manivelle

      [Je suis globalement d’accord avec votre article, même si je trouve aussi l’analogie avec le jeu vidéo regrettable.]

      Pourquoi ? On discute beaucoup sur l’effet des jeux vidéos sur la psyché de la génération qui a été éduquée avec eux, mais beaucoup d’études indiquent que certains jeux ont pour effet de diminuer l’empathie. La comparaison me paraît donc tout à fait appropriée.

      Je trouve qu’un point intéressant a été soulevé dans la discussion sur le rapport des jeunes aux risques :

      [Je pense que ces jeunes savent intellectuellement qu’il existe toujours un risque qu’il puisse leur arriver un accident, mais sont convaincus que cela n’arrivera pas car ils ont grandi dans un monde où la seule violence à laquelle ils étaient confrontés était celle, factice, qu’ils regardaient via un écran (télé, cinéma, jeu vidéo,…). Tout cela pour dire que faire du jeu vidéo le responsable de l’inconscience des jeunes est pour le moins précipité.]

      Vous noterez que je n’ai pas écrit cela. Je n’ai pas dit que « faire du jeu vidéo soit responsable de l’inconscience des jeunes ». J’ai écrit au contraire que ce qui était regrettable, c’était que certains jeunes vivaient le réel « comme si c’était un jeu vidéo ». En d’autres termes, avec l’inconscience du risque et surtout de l’irréversibilité de ses conséquences.

      Mais puisque vous évoquez le sujet, oui, je pense que sans être le facteur unique, le jeu vidéo – et en particulier du jeu vidéo hyperviolent – tout comme la série télévisée hyperviolente ont un effet cumulatif qui est double. D’une part, parce que les héros de ces séries sont de fait invulnérables et que le joueur peut recommencer le jeu, ils anesthésient les mécanismes qui chez l’être humain nous poussent naturellement à fuir le danger. Et d’autre part, et c’est pour moi là l’essentiel, ils tendent à réduire l’empathie, à transformer les êtres humains en « avatars » ou en « personnages secondaires » qu’on peut dézinguer sans se poser des questions morales ou éthiques.

      [Mais cela ne m’empêchera pas de continuer à vous lire.]

      Si on arrêtait de lire chaque fois qu’on a un désaccord, le débat serait bien plat !

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [Ce n’est certainement pas facile d’expliquer en quelques mots ce que c’est qu’être un « écologiste » ou un « écologiste convaincu ».]

      Surtout quand on n’a pas les idées claires : « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire vous viennent aisément »…

      [Par contre, les écologistes convaincus ne sont ni des [ayatollas] ni des [fidèles du nouveau culte millénariste] comme vous l’affirmez plus haut et avec constance depuis des années sur ce blog.]

      Mais si, mais si.

      [Un écologiste convaincu, c’est quelqu’un qui s’interroge sur l’impact exponentiel de l’homme sur son environnement. Qui s’interroge sur la contradiction effrayante qui existe entre le désir « naturel » de l’homme d’améliorer ses conditions de vie sur terre et les conséquences catastrophiques de dégâts collatéraux de toutes ces améliorations.]

      Mais non, mais non… Revenez à la formation des mots : « communiste » est celui qui adhère au « communisme », « fasciste » est celui qui adhère au « fascisme ». Et « écologiste » est celui qui adhère à la doctrine qu’est « l’écologisme ». Rien à voir avec « l’écologue », qui est le professionnel qui étudie l’écologie.

      Point n’est besoin d’être « écologiste » pour se poser les questions que vous signalez. Moi-même, je me les pose. Diriez-vous que je suis un « écologiste » ? Je ne le crois pas… tout simplement parce que contrairement à ce que vous avez écrit, pour vous ce ne sont pas les questions qui caractérisent l’écologiste, mais les réponses…

      [Oui, le fonctionnement des institutions est inadapté aux questions liées à l’environnement. La solution consisterait à ajouter des représentants des générations futures lors des délibérations.]

      Je vous ai déjà expliqué plusieurs fois pourquoi cela est impossible. Comment comptez-vous désigner ces « représentants » ? Dans la mesure où il est impossible de consulter les « générations futures » pour qu’elles désignent leurs représentants, je ne vois pas bien quelle méthode vous proposez.

      [Ainsi que des élus défenseurs des autres êtres vivants, dont l’extinction menace à terme la vie de nos propres descendants.]

      Quelle utilité ? Pensez-vous par exemple que pour décider des campagnes de dératisation, d’élimination des moustiques ou de pasteurisation du lait il faudrait faire participer à la délibération des « élus défenseurs » des rats, des moustiques ou de la salmonelle ? En quoi le dauphin serait-il plus digne de vivre que le vulgaire cafard ?

      [Vous m’avez déjà objecté (non sans ironie) l’impossibilité pour les générations futures de voter donc d’élire des représentants, sans même parler de l’impossibilité pour les insectes ou les batraciens de glisser un bulletin dans l’urne.]

      Et je constate, une fois encore, que vous n’avez rien à répondre à cette objection. Dont acte.

      [Et pourtant, sommes-nous à l’aise avec la pratique de la fuite en avant qui est aujourd’hui la notre.]

      Je ne crois pas – et l’affaire du barrage de Sivens le montre – que nous soyons dans une problématique de « fuite en avant ». Je dirais plutôt que ce qui nous menace, c’est la « fuite en arrière ».

    • v2s dit :

      [Mais non, mais non… Revenez à la formation des mots : « communiste » est celui qui adhère au « communisme », « fasciste » est celui qui adhère au « fascisme ». Et « écologiste » est celui qui adhère à la doctrine qu’est « l’écologisme ». Rien à voir avec « l’écologue », qui est le professionnel qui étudie l’écologie.]
      Rien ne sert de faire un cours de sémantique, entre les hurluberlus qui foutent le feu aux forces de l’ordre (et que je condamne sans réserve) et les experts, [ … professionnel qui étudie l’écologie], il existe une masse de gens qui pense que la fuite en avant nous même dans le mur et c’est à eux que l’usage courant à donner le nom d’ « écologistes ».

      [Point n’est besoin d’être « écologiste » pour se poser les questions que vous signalez. Moi-même, je me les pose.]

      Je vous rappelle que les questions que vous dites vous aussi vous poser c’est :
      [ (ceux qui )…s’interrogent sur la contradiction effrayante qui existe entre le désir « naturel » de l’homme d’améliorer ses conditions de vie sur terre et les conséquences catastrophiques de dégâts collatéraux de toutes ces améliorations.]
      Vous dites vous interroger, c’est nouveau ! Je dirais plutôt que vous avez décidé une fois pour toute de ne pas vous interroger, puisque vous avez, à maintes reprise, apporté la réponse définitive à ce genre d’interrogation.
      Souvenez vous nous déclarez avec une belle constance :
      [Si ça doit un jour poser un problème nous trouverons une solution]
      Si les insectes pollinisateurs finissent de disparaître … nous trouverons bien une solution.
      Si, à la suite des 60% qui ont déjà disparu en 30 ans, le reste des oiseaux d’Europe disparaît … nous trouverons bien une solution.
      Si la température moyenne à la fin du siècle s’élève de 4 au lieu de 2 degré … nous trouverons bien une solution.
      Si les captures marines de 80 millions de tonnes par an déclinent régulièrement malgré les progrès techniques de la pêche industrielle et l’accroissement exponentiel des prises dites « accessoires » (c.a.d non comestibles), annonçant ainsi l’épuisement de la ressource halieutique … nous trouverons bien une solution.

      Mais je veux bien vous croire, si, désormais, vous avez rejoint ceux qui s’interrogent sur les conséquences catastrophiques des dégâts collatéraux du progrès technique, tant mieux, bien venu parmi ceux que l’on appelle les écologistes. (même si le terme n’est pas le plus approprié)

    • BolchoKek dit :

      >Et d’autre part, et c’est pour moi là l’essentiel, ils tendent à réduire l’empathie, à transformer les êtres humains en « avatars » ou en « personnages secondaires » qu’on peut dézinguer sans se poser des questions morales ou éthiques.<
      C’est loin d’être le premier divertissement qui se comporte ainsi avec ses personnages secondaires. Je ne pense pas que l’on puisse dire par exemple que les indiens dans les films avec John Wayne soient particulièrement "humanisés"…

    • Manivelle dit :

      @ Descartes

      [Pourquoi ? On discute beaucoup sur l’effet des jeux vidéos sur la psyché de la génération qui a été éduquée avec eux, mais beaucoup d’études indiquent que certains jeux ont pour effet de diminuer l’empathie. La comparaison me paraît donc tout à fait appropriée.]

      Concernant ces études, étant donné qu’elles sont souvent menées par des chercheurs en neurosciences cognitives, qui ont pour particularité de réaliser des expériences avec un échantillon très faible, je reste assez sceptique concernant la pertinence de leurs résultats (qu’ils concernent les aspects positifs ou négatifs de la pratique du jeu vidéo), en tout cas jusqu’ici. Est-il prouvé que la jeune génération a moins d’empathie que les précédentes ? Si oui, est-ce que ce sont les jeux vidéo et / ou d’autres phénomènes qui en sont cause ?

      [Mais puisque vous évoquez le sujet, oui, je pense que sans être le facteur unique, le jeu vidéo – et en particulier du jeu vidéo hyperviolent – tout comme la série télévisée hyperviolente ont un effet cumulatif qui est double. D’une part, parce que les héros de ces séries sont de fait invulnérables et que le joueur peut recommencer le jeu, ils anesthésient les mécanismes qui chez l’être humain nous poussent naturellement à fuir le danger.]

      Il y a une relative incohérence entre d’un coté le héros de série invulnérable et de l’autre le joueur qui surpasse la mort de son personnage en recommençant sa partie, apprenant ainsi de ses échecs. Mais le fait que cette violence virtuelle puisse atténuer notre capacité à éviter le danger me semble discutable. Avez-vous des sources permettant d’étayer cet argument ?

      [Et d’autre part, et c’est pour moi là l’essentiel, ils tendent à réduire l’empathie, à transformer les êtres humains en « avatars » ou en « personnages secondaires » qu’on peut dézinguer sans se poser des questions morales ou éthiques.]

      Je crois que ce raccourci est assez hasardeux. Il est vrai qu’une partie des jeux vidéos (notamment les jeux d’action dans un contexte guerrier) proposent des histoires linéaires, teintées d’une idéologie conservatrice et américano-centrée, qui se passent dans des lieux où le civil est absent et où donc l’autre est forcément un adversaire. Je pense comme vous que ces jeux-là posent problème sur le fond (il me semble me souvenir que vous aviez évoqué la place des civils ou des familles des victimes, absentes de ces films, séries et jeux violents, dans un de vos articles).
      Cependant le jeu vidéo commence enfin à mûrir et certaines productions, notamment indépendantes, se mettent à aborder ces thématiques, remettent en cause la violence aveugle, et proposent aux joueurs des dilemmes moraux où parfois il n’y a pas de "bonne" ou de "mauvaise" réponse, le mettant ainsi face à sa conscience et aux conséquences de ses choix. Et pour en avoir pratiqué certains je peux vous dire qu’on ne prend pas sa décision à la légère, la portée émotionnelle de ces choix n’est pas négligeable. On en arrive à avoir de l’empathie pour des personnages virtuels ! Pas seulement car on est témoin de leur vie, comme pour les personnages de film ou de roman, mais parce qu’on a une influence sur celle-ci. Comment, dans ce cas-là, ne pas en avoir pour des êtres vivants ?
      Je pense que si ces représentations virtuelles de la violence peuvent avoir une influence, ce sont sur des esprits malléables, c’est à dire des enfants ou des personnes ayant un problème psychologique. Pour les premiers, il existe déjà des classifications désignant les jeux violents, et les parents devraient mieux suivre ces recommandations. Pour les seconds, c’est déjà plus compliqué…
      Cependant, pour finir, je remarquerai que cela fait plus de 30 ans que les jeux vidéo existent, et pourtant le nombre de meurtres ne cesse de baisser en France. Si les jeux vidéos ont un effet sur le comportement, j’en conclus qu’il doit donc être très limité.

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [Rien ne sert de faire un cours de sémantique, entre les hurluberlus qui foutent le feu aux forces de l’ordre (et que je condamne sans réserve) et les experts, [ … professionnel qui étudie l’écologie], il existe une masse de gens qui pense que la fuite en avant nous même dans le mur et c’est à eux que l’usage courant à donner le nom d’ « écologistes ».]

      Faut croire que le « cours de sémantique » n’est pas de trop, puisque vous ne semblez pas avoir les idées claires sur ce que c’est un « écologiste ». Dans un message d’hier, vous écriviez qu’un « écologiste » est celui qui se pose un certain nombre de questions que vous avez détaillé. Aujourd’hui, vous expliquez qu’il est « d’usage » de donner le nom de « écologistes » à ceux qui « pensent que », autrement dit, ce n’est pas une affaire des « questions » qu’on se pose mais des réponses qu’on y apporte. Faudrait savoir…

      En fait, comme je l’avais supputé dans un message précédent, pour vous les deux choses se confondent parce que vous ne concevez pas qu’aux « questions » que vous avez listé on puisse apporter d’autres réponses que la votre. C’est bien cet absolutisme qui fait qu’il faut distinguer « l’écologie » – qui se pose des questions – et « l’écologisme » qui connait les réponses. Les seules et uniques réponses possibles, bien entendu.

      [Vous dites vous interroger, c’est nouveau ! Je dirais plutôt que vous avez décidé une fois pour toute de ne pas vous interroger, puisque vous avez, à maintes reprise, apporté la réponse définitive à ce genre d’interrogation.]

      Un peu comme vous, non ? Et pourtant, vous ditez vous-même faire partie de « ceux qui s’interrogent »… La différence entre nous, c’est que je suis parfaitement conscient que les réponses que je peux apporter à ces interrogations ne représentent nullement une « vérité » et sont parfaitement discutables. C’est pourquoi je peux « apporter une réponse » – nullement « définitive » – à ces questionnements sans pour autant cesser de me questionner. Oui, je suis totalement persuadé que nous trouverons une solution à l’ensemble des problèmes que vous décrivez et qui se posent à nous. Cette conviction repose sur mon analyse des situations équivalentes dans l’histoire. Mais je suis tout à fait prêt – et je pense l’avoir montré ici – à en discuter.

      Vous, au contraire, estimez que l’interrogation est fermée. Il y a une réponse, et c’est la votre. Elle n’a pas à être argumentée, elle ne peut être discutée. C’est comme ça et pas autrement. Et la meilleure preuve est que dès que votre réponse est contestée, vous faites appel à l’argument sentimental, déroulant la longue litanie catastrophiste habituelle, sans jamais exposer le moindre raisonnement. Comme si la réponse que vous proposez était une évidence. Cela, c’est de « l’écologisme », et non de « l’écologie »…

      [Si les insectes pollinisateurs finissent de disparaître … nous trouverons bien une solution.
      Si, à la suite des 60% qui ont déjà disparu en 30 ans, le reste des oiseaux d’Europe disparaît … nous trouverons bien une solution.
      Si la température moyenne à la fin du siècle s’élève de 4 au lieu de 2 degré … nous trouverons bien une solution.
      Si les captures marines de 80 millions de tonnes par an déclinent régulièrement malgré les progrès techniques de la pêche industrielle et l’accroissement exponentiel des prises dites « accessoires » (c.a.d non comestibles), annonçant ainsi l’épuisement de la ressource halieutique … nous trouverons bien une solution.]

      Et les bébés phoques ? Avez-vous pensé aux bébés phoques ?

      [Mais je veux bien vous croire, si, désormais, vous avez rejoint ceux qui s’interrogent sur les conséquences catastrophiques des dégâts collatéraux du progrès technique, tant mieux,]

      Pardon, pardon. Comment peut-on « s’interroger » sur les conséquences du progrès technique si on les qualifie par avance de « catastrophiques » ? Faudrait savoir : s’il faut « s’interroger », on voit mal pourquoi faudrait-il poser dogmatiquement que les conséquences en question sont « catastrophiques » a priori. Le qualificatif de « catastrophique » peut être une conclusion de l’examen, pas une prémisse…

      Voilà encore une fois la différence entre « écologie » et « écologisme ». Pour « l’écologue », qui examine les interactions entre les êtres et leur milieu, la caractère « catastrophique » ou non de certaines interactions est une question soumise à l’examen, et non une prémisse. Pour « l’écologiste », c’est l’inverse. L’interaction humaine avec le milieu est forcément « catastrophique ». C’est un dogme qui ne tolère pas de discussion. Oui, je sais, je sais « Les insectes polinisateurs disparaissent… gna gna gna… ».

    • Descartes dit :

      @ BolchoKek

      [C’est loin d’être le premier divertissement qui se comporte ainsi avec ses personnages secondaires. Je ne pense pas que l’on puisse dire par exemple que les indiens dans les films avec John Wayne soient particulièrement "humanisés"…]

      C’est vrai. Mais il y a deux différences de taille : d’une part, dans les films de John Wayne, et contrairement à ce qui se passe avec un jeu vidéo, ce n’est pas le spectateur qui appuie sur la gâchette. Tout au plus, il peut s’identifier à l’acteur qui le fait à l’écran. Ce n’est pas tout à fait la même chose.

      Mais votre exemple est intéressant parce qu’il illustre un changement important : dans les films de John Wayne, il n’y a pas de personnage invulnérable. Au contraire, la mort est souvent présente et dramatisée. Même si on tue les indiens un peu trop facilement et en nombre, on ne trouve pas des « machines à tuer » comme dans les films des dix ou vingt dernières années. Par ailleurs, les films et séries d’aujourd’hui présentent très graphiquement des crimes avec un déploiement sadique de détails réalistes, ce qui n’était pas le cas il y a seulement quinze ou vingt ans. Regardez la télé n’importe quel soir de semaine : c’est un défilé de tortures, de viols, de meurtres avec les instruments les plus variés. Mais lorsque la famille est interviewée par l’enquêteur, la dramatisation est absente. Certains parlent du disparu comme s’ils avaient perdu leur cochon d’inde.

      Il est difficile de quantifier précisément l’effet de ce déferlement de sang et d’entrailles fraîchement coupées. Sur ce point, les études se contredisent souvent. Mais il ne me semble pas irrationnel de penser que cette constitution d’un héros invulnérable tuant tout ce qui se met sur son chemin sans le moindre état d’âme puisse avoir un effet sur nos représentations.

    • Descartes dit :

      @ Manivelle

      [Concernant ces études, étant donné qu’elles sont souvent menées par des chercheurs en neurosciences cognitives, qui ont pour particularité de réaliser des expériences avec un échantillon très faible, je reste assez sceptique concernant la pertinence de leurs résultats (qu’ils concernent les aspects positifs ou négatifs de la pratique du jeu vidéo), en tout cas jusqu’ici.]

      Vous avez raison d’être sceptique. Les études dans ce domaine posent d’énormes problèmes méthodologiques et les résultats sont difficiles à interpréter. Mais s’il faut prendre ces résultats avec précaution, il faut aussi être conscients qu’ils restent pour le moment le meilleur outil dont nous disposons aujourd’hui pour répondre à la question…

      [Est-il prouvé que la jeune génération a moins d’empathie que les précédentes ?]

      Ca, oui. Par exemple, les études faites par le ministère de l’intérieur montrent qu’on retrouve de plus en plus la situation où l’auteur d’un crime ou délit montre un total détachement par rapport aux conséquences de son acte, même lorsqu’il est exposé à la douleur des victimes. L’éducation nationale fait des constats semblables : des enfants qui ayant provoqué volontairement des blessures graves à d’autres enfants montrent une totale incompréhension de la situation. On remarque aussi une agressivité qui n’est plus proportionnée à l’offense ou à l’objectif poursuivi : dans certains quartiers, un regard de travers peut vous valoir un coup de couteau. Tous ces éléments montrent qu’il y a un problème sérieux d’empathie.

      [Si oui, est-ce que ce sont les jeux vidéo et / ou d’autres phénomènes qui en sont cause ?]

      Il n’y a pas de réponse certaine à cette question. C’est presque certainement un phénomène multifactoriel. Et si la corrélation entre les jeux vidéo et certains actes de violence qui montrent une absence totale d’empathie – par exemple, les fusillades dans les écoles américaines – est établi, une corrélation n’implique pas nécessairement une causalité. Mais une telle corrélation invite quand même une sérieuse interrogation.

      [Il y a une relative incohérence entre d’un coté le héros de série invulnérable et de l’autre le joueur qui surpasse la mort de son personnage en recommençant sa partie, apprenant ainsi de ses échecs.]

      Je ne le crois pas. La capacité de résurrection est une forme d’invulnérabilité. Voir à ce sujet la symbolique du phénix.

      [Mais le fait que cette violence virtuelle puisse atténuer notre capacité à éviter le danger me semble discutable. Avez-vous des sources permettant d’étayer cet argument ?]

      En fait, c’est dans la littérature concernant la sécurité du travail que j’ai trouvé les éléments les plus probants sur le rapport entre le sentiment d’invulnérabilité et la capacité à contrôler les risques. On y montre en général que le sentiment d’invulnérabilité va de pair avec ce qu’on appelle « l’illusion du contrôle », c’est-à-dire la croyance dans notre capacité à contrôler n’importe quelle situation. Or, il semble évident que le jeu vidéo alimente ces deux sentiments : le jouer à un contrôle absolu – puisqu’il peut arrêter le jeu et le redémarrer à zéro – et il est indemne de tout ce qui peut arriver à son « avatar ».

      [Cependant le jeu vidéo commence enfin à mûrir et certaines productions, notamment indépendantes, se mettent à aborder ces thématiques, remettent en cause la violence aveugle, et proposent aux joueurs des dilemmes moraux où parfois il n’y a pas de "bonne" ou de "mauvaise" réponse, le mettant ainsi face à sa conscience et aux conséquences de ses choix.]

      Soyons clairs : je n’ai jamais critiqué le jeu vidéo « per se ». On peut certainement utiliser le medium qu’est le jeu vidéo pour produire des objets hautement éducatifs. Je parle des jeux vidéo tels que la grande majorité des jeunes les jouent. Pour le moment, les chiffres de ventes – et de copies… – des jeux hyperviolents dépassent de plusieurs ordres de grandeur celles des jeux plus nuancés.

      [Et pour en avoir pratiqué certains je peux vous dire qu’on ne prend pas sa décision à la légère, la portée émotionnelle de ces choix n’est pas négligeable. On en arrive à avoir de l’empathie pour des personnages virtuels ! Pas seulement car on est témoin de leur vie, comme pour les personnages de film ou de roman, mais parce qu’on a une influence sur celle-ci. Comment, dans ce cas-là, ne pas en avoir pour des êtres vivants ?]

      Mais c’est bien là le problème. L’empathie pour les « êtres vivants » implique une empathie pour un être qu’on ne contrôle pas. La différence fondamentale entre l’être « vivant » et l’être « virtuel », c’est que l’être vivant ne saurait être débranché, pas plus qu’il ne saurait être modifié par nous à volonté. On ne peut pas établir une continuité entre « l’empathie pour un personnage virtuel » et celle pour un être réel, tout simplement parce que notre positionnement n’est pas le même. L’être virtuel est plus ou moins notre création, il est dans notre pouvoir. Nous avons envers lui le rapport que pourrait avoir Dieu avec les hommes, celle du maître avec son chien. Ce n’est pas du tout la même chose que l’empathie que nous pouvons ressentir pour un être humain qui est notre égal.

      C’est dans la confusion de ces deux empathies que réside le danger : Si notre enfant virtuel nous énerve, on peut toujours pousser sur le bouton « reset ». Le risque, est que certains parents pensent qu’on peut faire la même chose avec l’enfant réel. Il y a quelque chose de profondément dérangeant dans l’idée qu’on puisse avoir de « l’empathie » pour un tamagoshi. Qu’on puisse répondre aux « cris de détresse » d’un être qui n’en éprouve aucune, qui n’est que l’assemblage électronique. Et bien, l’empathie « pour un personnage virtuel » relève de la même patho… euh… fonctionnement.

      [Je pense que si ces représentations virtuelles de la violence peuvent avoir une influence, ce sont sur des esprits malléables, c’est à dire des enfants ou des personnes ayant un problème psychologique. Pour les premiers, il existe déjà des classifications désignant les jeux violents, et les parents devraient mieux suivre ces recommandations. Pour les seconds, c’est déjà plus compliqué…]

      Il me semble évident que le danger est plus grand pour les enfants et pour certains profils psychologiques. Mais si vous acceptez ce point, alors vous acceptez que les jeux vidéo ont effectivement un effet sur certains mécanisme mentaux qui régulent l’empathie et l’agressivité…

      [Cependant, pour finir, je remarquerai que cela fait plus de 30 ans que les jeux vidéo existent, et pourtant le nombre de meurtres ne cesse de baisser en France. Si les jeux vidéos ont un effet sur le comportement, j’en conclus qu’il doit donc être très limité.]

      Vous allez un peu vite en besogne. Si les meurtres diminuent effectivement, les agressions violentes, en particulier dans certains contextes ont, elles considérablement augmenté. Et c’est particulièrement vrai pour les plus jeunes, qui sont aussi ceux qui sont les plus exposés aux jeux vidéos hyperviolents. Pour ne présenter qu’un exemple, les agressions physiques contre les enseignants étaient un évènement extrêmement rare il y a trente ans…

    • v2s dit :

      [Pardon, pardon. Comment peut-on « s’interroger » sur les conséquences du progrès technique si on les qualifie par avance de « catastrophiques » ?]

      Oui, il existe, et il ne m’est jamais venu à l’esprit de le contester, d’innombrables effets positifs aux progrès humains.
      Oui, il existe aussi des conséquences positives inattendues aux effets collatéraux du progrès technique.
      Mais ça ne justifie pas qu’on refuse de voir les conséquences catastrophiques.
      A quoi peut bien nous servir de vivre confortablement et en bonne santé si c’est au prix d’une fin tragique, sans lendemains pour notre descendance.
      Quand bien même mille conséquences seraient positives et une seule serait catastrophique au point de remettre en cause notre présence sur terre, ce serait amplement suffisant pour remettre en cause la fuite en avant actuelle.

    • Manivelle dit :

      [C’est dans la confusion de ces deux empathies que réside le danger : Si notre enfant virtuel nous énerve, on peut toujours pousser sur le bouton « reset ». Le risque, est que certains parents pensent qu’on peut faire la même chose avec l’enfant réel. Il y a quelque chose de profondément dérangeant dans l’idée qu’on puisse avoir de « l’empathie » pour un tamagoshi. Qu’on puisse répondre aux « cris de détresse » d’un être qui n’en éprouve aucune, qui n’est que l’assemblage électronique. Et bien, l’empathie « pour un personnage virtuel » relève de la même patho… euh… fonctionnement.]

      Je comprends votre point de vue, mais j’ai toujours eu du mal avec l’argument de la confusion entre mondes virtuels et réels. Pour moi la différence entre ces deux mondes est évidente. Je peux avoir de l’empathie pour un personnage de jeu vidéo, comme pour un personnage de roman, s’il est intégré dans un processus narratif intéressant, y évolue et exprime des émotions (factices, car imaginées par leur créateur, mais qui sont pensées pour jouer sur la corde sensible de chacun) qui me touchent. Après, j’avoue être relativement indifférent face à un être virtuel brut avec qui le niveau d’interaction se limite à la satisfaction de besoins imaginaires. Je suis peut-être trop sentimental.
      Mais il est vrai que dans le jeu vidéo on a la notion de contrôle sur les personnages (le sien et ceux qui l’entourent), mais ce contrôle est limité par plusieurs contraintes (techniques, narratives, règles imposées par le créateur,…), et un jeu sans contraintes perd rapidement tout intérêt. C’est parce que nous ne pouvons pas toujours faire ce que nous voulons, parce que nous suivons des chemins prévus par le créateur (du jeu) qui nous obligent à faire des choix qu’on ne veut pas toujours faire qu’on arrive à avoir de l’empathie pour ces personnages virtuels.
      De même que dans la vie réelle, nous sommes théoriquement libres, mais un ensemble de règles sociales orientent notre comportement.

      [Vous allez un peu vite en besogne. Si les meurtres diminuent effectivement, les agressions violentes, en particulier dans certains contextes ont, elles considérablement augmenté. Et c’est particulièrement vrai pour les plus jeunes, qui sont aussi ceux qui sont les plus exposés aux jeux vidéos hyperviolents. Pour ne présenter qu’un exemple, les agressions physiques contre les enseignants étaient un évènement extrêmement rare il y a trente ans…]

      Effectivement, mais si les jeux vidéos violents ont un rôle là-dedans, je pense qu’il est moindre que la crise de l’autorité qui traverse nos sociétés. J’avais été frappé il y a quelques années en voyant des séries et dessins animés (essentiellement américains) destinés aux enfants où les parents étaient systématiquement montrés comme leur étant égaux voire inférieurs (plus bêtes, moins "cools", ayant une relation d’amitié où l’enfant avait le dessus, etc.). Je peux me tromper, mais je trouve leur potentiel destructeur pour nos sociétés beaucoup plus important.

      En tout cas, je suis heureux d’avoir pu échanger avec vous sur un sujet qui n’est pas aussi frivole qu’il n’en a l’air.

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [Pardon, pardon. Comment peut-on « s’interroger » sur les conséquences du progrès technique si on les qualifie par avance de « catastrophiques » ?][Oui, il existe, et il ne m’est jamais venu à l’esprit de le contester, d’innombrables effets positifs aux progrès humains.]

      La question n’est pas là. Je vous ai posé une question de positionnement : vous ne pouvez pas prétendre en même temps vous « interroger » sur les conséquences du progrès humains, et qualifier par avance ces conséquences de « catastrophiques ». C’est un peu le paradoxe de la Reine de Cœurs : « l’exécution d’abord, le procès ensuite ».

      [A quoi peut bien nous servir de vivre confortablement et en bonne santé si c’est au prix d’une fin tragique, sans lendemains pour notre descendance.]

      Vous faites à mon avis une erreur de raisonnement, celle de croire que les « générations futures » existent, qu’elles ont une matérialité. Ce n’est certainement pas le cas. Si moi et mon épouse décidons de nous stériliser – ou plus banalement de ne pas avoir des enfants – nous ne portons préjudice à personne. L’enfant que nous n’avons pas eu n’a aucun droit de se plaindre ne pas être né. Si les générations vivantes décident en tout état de cause qu’elles préfèrent vivre une vie d’abondance et de ne pas avoir de descendance, c’est leur droit. Personne n’est lésé.

      Vous semblez par ailleurs penser que la vie « sert » à quelque chose. Qu’elle a un « sens » auquel nous manquerions si nous décidions de « vivre confortablement et en bonne santé au prix d’une fin tragique ». C’est encore une fois, inexact. D’abord, nous avons tous une « fin tragique », quoi qu’il arrive. Et deuxièmement, nous faisons le choix que vous citez tous les jours : celui qui choisit de fumer, celui qui monte sur une moto, acceptent le risque de la souffrance et de la mort au nom d’un plaisir ici et maintenant. Et à supposer même que la vie « serve » à quelque chose, à quoi peut bien servir de vivre dans la misère et la maladie si c’est pour assurer aux générations futures une longue vie dans les mêmes conditions ?

      [Quand bien même mille conséquences seraient positives et une seule serait catastrophique au point de remettre en cause notre présence sur terre, ce serait amplement suffisant pour remettre en cause la fuite en avant actuelle.]

      Mais à ma connaissance aucune des conséquences « remet en cause notre présence sur terre ». Tout au plus celle des générations futures non encore nées…

    • Descartes dit :

      @ Manivelle

      [Je comprends votre point de vue, mais j’ai toujours eu du mal avec l’argument de la confusion entre mondes virtuels et réels. Pour moi la différence entre ces deux mondes est évidente.]

      Et bien, elle est moins évidente que vous ne le pensez. L’expérience du Tamagoshi montre qu’il est parfaitement possible de souffrir pour un objet programmé pour ressembler à un être vivant, alors que la personne qui souffre sait pertinemment qu’il s’agit d’un objet programmé.

      [Je peux avoir de l’empathie pour un personnage de jeu vidéo, comme pour un personnage de roman, s’il est intégré dans un processus narratif intéressant, y évolue et exprime des émotions (factices, car imaginées par leur créateur, mais qui sont pensées pour jouer sur la corde sensible de chacun) qui me touchent.]

      Mais un personnage de roman n’est pas un « avatar » de vous-même. C’est l’écrivain qui le contrôle, pas vous. Vous ne pouvez pas lui faire faire des choses, pas plus que vous ne pouvez le ressusciter s’il meurt. Le personnage de roman est, sans ambiguïté, un « autre ». Et même si vous pouvez vous identifier avec un personnage de roman, la frontière entre réalité et fiction est toujours rendu explicite par cette impossibilité de contrôler les personnages. Ce n’est plus du tout la même chose dans un jeu vidéo. Dans ce jeu, vous avez le contrôle du personnage. Et cela rend la frontière entre réalité et fiction beaucoup plus floue.

      [Après, j’avoue être relativement indifférent face à un être virtuel brut avec qui le niveau d’interaction se limite à la satisfaction de besoins imaginaires. Je suis peut-être trop sentimental.]

      Je ne pense pas que le jeu vidéo soit dangereux pour une intelligence construite et dont les mécanismes de contrôle de cohérence sont solides. Mais ne surestimez pas la proportion de ce genre d’intelligence dans la population. En particulier à certains âges, la frontière entre réalité et fiction est beaucoup plus floue que vous ne le croyez. Pensez à la facilité avec laquelle les théories de conspiration sont prises en compte. Le rasoir d’Occam ne fait pas encore partie de la trousse intellectuelle de la majorité.

      [Mais il est vrai que dans le jeu vidéo on a la notion de contrôle sur les personnages (le sien et ceux qui l’entourent), mais ce contrôle est limité par plusieurs contraintes (techniques, narratives, règles imposées par le créateur,…),]

      Oui, mais quelque soient les « contraintes » du jeu et les limites dans le contrôle des personnages, vous conservez toujours deux pouvoirs qui sont absolus : celui d’arrêter le jeu, et celui de le recommencer. Deux pouvoirs que nous n’avons jamais dans la vie réelle…

      [Effectivement, mais si les jeux vidéos violents ont un rôle là-dedans, je pense qu’il est moindre que la crise de l’autorité qui traverse nos sociétés.]

      C’est très difficile à dire. Tous ces éléments entretiennent d’ailleurs un rapport dialectique, puisque les parents ont le pouvoir de contrôler les jeux de leurs enfants. Si les enfants sont autorisés à jouer à des jeux hyperviolents, c’est bien parce que les parents n’utilisent pas leur autorité pour les en empêcher.

      [J’avais été frappé il y a quelques années en voyant des séries et dessins animés (essentiellement américains) destinés aux enfants où les parents étaient systématiquement montrés comme leur étant égaux voire inférieurs (plus bêtes, moins "cools", ayant une relation d’amitié où l’enfant avait le dessus, etc.). Je peux me tromper, mais je trouve leur potentiel destructeur pour nos sociétés beaucoup plus important.]

      Là, je ne vous suis pas. En fait, cette « inversion » entre l’adulte et l’enfant est très ancienne. Pensez aux contes de fées ou c’est souvent l’enfant – et souvent le cadet d’ailleurs – qui en remonte à l’adulte grâce à un pouvoir magique qui lui permet d’inverser la hiérarchie « naturelle ». Je crois que c’est Mircea Eliade, dans « anatomie du conte de fées », qui analyse le mieux cet aspect. Il est vrai que ces contes étaient lus dans un contexte ou la suprématie de l’adulte était incontestable, et non dans une société « jeuniste » d’éternels adolescents.

      [En tout cas, je suis heureux d’avoir pu échanger avec vous sur un sujet qui n’est pas aussi frivole qu’il n’en a l’air.]

      Votre plaisir est aussi le mien ! N’hésitez pas à recommencer !

  3. JMP dit :

    Bien d’accord avec vous ; j’interviens simplement pour signaler que l’attitude que vous dénoncez dans votre article ( non respect de la légitimité républicaine , recours indéfendable a la violence etc) ne concerne pas que ( une partie) de «  la jeunesse » séduite par les thèses écolo : pour preuve cet article du Télégramme relatant une manifestation de partisans de la réunification de la Bretagne le 9 novembre dernier a Morlaix :

    http://www.letelegramme.fr/bretagne/morlaix-300-personnes-manifestent-pour-la-reunification-09-11-2014-10417425.php

    de cet article, je retiens le dernier paragraphe :

    Pendant près d’une heure, le sous-préfet de Morlaix, Philippe Beuzelin, a ensuite reçu une délégation conduite par Jean-François Le Bihan, qui était entouré de Christian Guillemot, cofondateur d’Ubisoft, de Thierry Merret, porte-parole des bonnets rouges, de Christian Derrien, maire de Langonnet (56) et conseiller général, et d’Alan-Erwan Coraud, gérant d’un vignoble nantais. À l’issue de l’entrevue, le président du collectif a rappelé la prochaine mobilisation prévue samedi prochain, à 10 h, devant les permanences des 36 autres députés de Bretagne et de Loire-Atlantique. « Le combat continue », a lancé Jean-François Le Bihan, avant de quitter les lieux dans le calme, vers 16 h 30 : « Ce n’est pas un combat qu’il faut mener, lui a aussitôt rétorqué une militante, mais plutôt la guerre ».

    vous remarquerez qu’il n’y figure aucune remarque, aucun questionnement sur la formule utilisée par cette « militante » … comme si ces propos allaient de soi, n’avaient aucun caractère scandaleux, étaient en somme parfaitement acceptables… et anodins ; a quand la purification ethnique, voire les balles dans la nuque en pleine rue pour les opposants, comme cela a été la grande mode au pays Basque ?
    Les dérives du mouvement identitaire en Bretagne rappellent malheureusement de plus en plus les rhétoriques du Parti National Breton , identitaire, ethniciste, raciste et antisémite, chaud partisan d’une Bretagne » indépendante » dans le cadre d’une Grand Europe nazie , dont les militants ont la plupart fini sous l’uniforme allemand ; nous assistons a une véritable entreprise de falsification de cette histoire , révisionnisme auquel participent activement les journaux régionaux comme Ouest france et Le Télégramme , sous couvert d’une défense dévoyée de la culture bretonne , et en réalité utilisée pour le ralliement a une idéologie européiste faisant la part belle aux régions en échange de la disparition de la nation et de la république ;

    fantasme ? 3 écoles Diwan celles de Brest, Lorient ( municipalités socialistes) , Plescop ( dans le Morbihan , municipalité écolo) portent le nom de 3 militants bretons condamnés a la Libération pour collaboration active avec les nazis : difficile de ne voir là qu’un hasard et une simple distraction…
    pour ceux que le sujet intéresse :

    http://www.lecanardrépublicain.net/spip.php?article622
    Roparz Hemon dans le nazisme, trois faits. Par Pierrik Le Guennec

    http://le-grib.com/wp-content/uploads/2012/10/R%C3%A9%C3%A9criture-de-l%E2%80%A6en-Bretagne1.pdf

    Réécriture de l’histoire et censure (le cas Monjarret, suite)

    • Descartes dit :

      @ JMP

      [Bien d’accord avec vous ; j’interviens simplement pour signaler que l’attitude que vous dénoncez dans votre article (non respect de la légitimité républicaine , recours indéfendable a la violence etc) ne concerne pas que (une partie) de « la jeunesse » séduite par les thèses écolo :]

      Bien entendu. D’une certaine façon, il est normal que la violence exerce cette séduction sur la jeunesse. Après tout, c’est l’âge de la vie ou l’on est impatient, où l’on a du mal à comprendre que « le temps se venge de ce qu’on fait sans lui ». Et la violence donne l’illusion de la toute-puissance, de la possibilité de tout changer et vite. Les sociétés ont d’ailleurs toujours cherché à donner un exutoire à cette séduction : la légion étrangère et les aventures coloniales, les brigades internationales et la guérilla en Bolivie, les « brigades rouges » et « action directe » ont servi en leur temps de focus à cette séduction de la violence, quelquefois avec des résultats désastreux.

      Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est que dans une société d’adolescents attardés les adultes ne jouent plus leur rôle de modérateur de cette violence. Au contraire, ils l’encouragent.

      [« Le combat continue », a lancé Jean-François Le Bihan, avant de quitter les lieux dans le calme, vers 16 h 30 : « Ce n’est pas un combat qu’il faut mener, lui a aussitôt rétorqué une militante, mais plutôt la guerre ». Vous remarquerez qu’il n’y figure aucune remarque, aucun questionnement sur la formule utilisée par cette « militante » … comme si ces propos allaient de soi, n’avaient aucun caractère scandaleux, étaient en somme parfaitement acceptables…]

      Je crois que cet exemple illustre parfaitement mon point. Qu’on puisse dire ce genre de choses est déjà assez grave, mais que des dirigeants politiques, des commentateurs, des intellectuels laissent dire pareille chose, c’est monstrueux. Cette idée que nous vivons une guerre civile – ou pire, qu’il en faudrait une – est bien plus dangereux que n’importe quelle déclaration de Jean-Marie Le Pen. Et pourtant, personne ne semble s’en formaliser…

      [Les dérives du mouvement identitaire en Bretagne rappellent malheureusement de plus en plus les rhétoriques du Parti National Breton , identitaire, ethniciste, raciste et antisémite, chaud partisan d’une Bretagne » indépendante » dans le cadre d’une Grand Europe nazie , dont les militants ont la plupart fini sous l’uniforme allemand ;]

      Les mouvements « identitaires » fondés sur une « identité ethnique » ne peuvent que finir comme ça.

      [fantasme ? 3 écoles Diwan celles de Brest, Lorient ( municipalités socialistes) , Plescop ( dans le Morbihan , municipalité écolo) portent le nom de 3 militants bretons condamnés a la Libération pour collaboration active avec les nazis : difficile de ne voir là qu’un hasard et une simple distraction…]

      Ce n’est certainement pas une « distraction »…

      Merci en tout cas des différentes références, qui montrent assez bien la conception qui se cache derrière les autonomismes « ethniques ». Il est grand temps en tout cas que les adultes assument leur rôle, qui est celui d’expliquer aux jeunes que la paix civile, la possibilité de régler les conflits par des voies institutionnelles, la capacité a permettre aux rapports de force sociaux de s’exprimer sans que le sang coule sont des conquêtes bien trop précieuses pour les jeter au ruisseau au nom d’une « guerre » fantasmatique.

      La guerre de Troie n’aura pas lieu ? Dans le doute, mieux vaut pas tenter le diable.

    • bovard dit :

      Bonjour,Voici un commentaire de plus malgré les ennuis informatiques du site de notre cher Descartes que je salue et remercie pour sa gestion du site dans des conditions pour le moins difficiles.
      Ainsi pour certains,’ le barrage de Sivens peut violer les normes européennes’,selon José Bové.’En Septembre,lorsque Ségolène a nommé les 2 experts,tout était sur la table,on connaissait les points faibles du dossier,d’où notre demande d’arrêter le chantier.’la dépêche p9 du 19/11/2014.José Bové y précise:’Quand l’Etat construit quelque chose,même si c’est mal fait c’est impossible de démolir,comme pour le barrage de Fourogue.Si c’est un particulier,il sera contraint de démolir.’
      Vrai ou Faux ?Quelles gènes le barrage de Fourogue occasionne t il ?
      Ne sommes nous pas dans un état de droit ou le tribunal administratif peut statuer?
      Pourquoi présenter l’UE comme le recours contre ‘d’éventuelles injustices’ si ce n’est pour favoriser l’eurolâtrie ?
      Pourquoi pousser au paroxysme la haine anti-état français?

    • Descartes dit :

      @ bovard

      [José Bové y précise: ‘Quand l’Etat construit quelque chose, même si c’est mal fait c’est impossible de démolir, comme pour le barrage de Fourogue. Si c’est un particulier, il sera contraint de démolir.’ Vrai ou Faux ?]

      Vrai et faux. Une vieille jurisprudence du Conseil d’Etat dit que « l’ouvrage public mal planté ne se détruit pas » (CE, 1853, Robin de la Gimaudière). C’est ce qu’on appelle le principe de « intangibilité de l’ouvrage public », qui empêche les citoyens de demander au juge administratif d’ordonner à l’Etat de détruire d’un ouvrage public, quand bien même sa construction serait entachée d’illégalité. Pour un particulier, ce serait au tribunal civil de juger, et celui-ci peut parfaitement ordonner la destruction. Ainsi, par exemple, un pavillon construit sans permis de construire peut être détruit par ordre d’un tribunal, mais pas un collège. Mais cela n’a rien à voir avec le fait que l’ouvrage soit « bien fait » ou « mal fait ». Seule la légalité ou l’illégalité est examinée par le juge, pas la qualité de l’exécution.

      [Quelles gênes le barrage de Fourogue occasionne t il ?]

      Difficile de savoir.

      [Ne sommes nous pas dans un état de droit ou le tribunal administratif peut statuer?]

      Oui, mais les écologistes se sont toujours assis sur les décisions des tribunaux, administratifs ou autres.

  4. marc.malesherbes dit :

    Bonjour,
    je vous remercie de votre réponse argumentée.à mon commentaire ci-dessus. Je ne reviens pas sur ce qui a déjà été dit, mais sur des éléments nouveaux que vous avez apportés

    1- bien que je ne l’ai pas dit explicitement, il va de soit que je condamne la plupart des formes d’actions pacifiques entravantes, des violences, si elles sont disproportionnées. Simplement, comme vous le faites en mettant en cause certaines déclarations irresponsables (et j’ajouterai souvent stupides), il peut y avoir des circonstances atténuantes. D’une manière générale, il me semble que tout débat, comme tout procès, doit être à charge et à décharge.

    2- au centre du débat, se situe sur la légitimité d’une action, pacifique (à la Gandhi) ou violente, aux décisions d’une majorité élue. Ce débat n’est pas si simple que vous avez tendance à le présenter. Il me semble qu’il y a des tas de circonstances à examiner, et principalement la notion de "proportionnalité". Gandhi est généralement célébré, et pourtant il s’opposait pacifiquement, mais en entravant réellement, les décisions de la "démocratie" anglaise. Mais la démocratie anglaise n’était pas parfaite, et le peuple indien n’était pas représenté. Mon exemple est extrême, mais montre bien que chaque cas doit être examiné. (si je voulais rendre mon exemple plus inattaquable, je devrai parler des citoyens anglais qui soutenaient activement le mouvement de Gandhi en y participant)

    3- à propos de mes convictions écologiques, Je suis un "convaincu", mais qui a le doute en permanence. Je "crois" notamment aux constats du GIEC, et il me semblerait souhaitable de limiter autant que faire se peut l’émission de gaz à effet de serre. Mais il est probable que le Canada et la Russie en bénéficieront grandement. Il est également probable que l’adaptation inévitable à la hausse de la température relancera grandement la machine économique en relançant investissements et consommation (un peu comme les destructions d’une guerre). Et sans doute le Nord de la France redeviendra une grande région vinicole. Mais il y aura également de grands inconvénients. Bref, on peut être convaincu, et ne pas penser en noir et blanc.

    Bien à vous

    • Descartes dit :

      @marc malesherbes

      [1- bien que je ne l’ai pas dit explicitement, il va de soit que je condamne la plupart des formes d’actions pacifiques entravantes, des violences, si elles sont disproportionnées.]

      Mais c’est quoi une « violence proportionnée » ? Je ne connais qu’un seul cas reconnu où la violence est jugée en fonction de sa proportionnalité : c’est la question de la « légitime défense ». Et encore, même dans ce cas là, la violence n’est jamais « légitime » : la légitime défense excuse le délit, mais ne l’efface pas. Et de par son esprit même, la « légitime défense » ne peut s’appliquer qu’à la violence individuelle et jamais à la violence collective. Je vois donc mal comment le principe de proportionnalité pourrait s’appliquer à la violence politique, puisque la présence de l’Etat, seul détenteur de la violence légitime, empêche de légitimer une autre violence, « proportionnée » ou pas.

      [2- au centre du débat, se situe sur la légitimité d’une action, pacifique (à la Gandhi) ou violente, aux décisions d’une majorité élue.]

      Non. Moi je n’ai pas parlé de « majorité élue ». Moi j’ai parlé de « processus démocratique ». Une « majorité élue » peut ne pas être démocratique – par exemple, lorsqu’elle n’est pas élue au suffrage universel de tous les gouvernés, comme c’était le cas dans l’Inde coloniale.

      [Ce débat n’est pas si simple que vous avez tendance à le présenter. Il me semble qu’il y a des tas de circonstances à examiner, et principalement la notion de "proportionnalité". Gandhi est généralement célébré, et pourtant il s’opposait pacifiquement, mais en entravant réellement, les décisions de la "démocratie" anglaise.]

      Seulement lorsque les décisions concernaient l’Inde, et dans ce cas on peut difficilement parler de « démocratie », puisque le Parlement anglais était élu par les anglais, et non par les habitants de l’Inde. Mais dès lors que le processus de décision est véritablement démocratique, entraver les décisions par la violence est un acte de sédition. Et il n’y a « proportionnalité » qui tienne.

      [Mon exemple est extrême, mais montre bien que chaque cas doit être examiné. (si je voulais rendre mon exemple plus inattaquable, je devrai parler des citoyens anglais qui soutenaient activement le mouvement de Gandhi en y participant)]

      Ca ne changerait rien. Le caractère démocratique d’un processus de décision est une donnée objective. Elle ne dépend donc pas du point de vue : le processus par lequel les décisions concernant l’Inde étaient prises du temps de Ghandi était aussi peu démocratique du point de vue d’un Indien que du point de vue d’un Anglais.

      [3- à propos de mes convictions écologiques,]

      « Ecologiques » ou « écologistes » ? Les mots ont leur importance. Vous vous étes proclamé un « écologiste » convaincu, et non un « écologue » convaincu. Ce sont deux choses très différentes. Le terme « Ecologiste » implique un choix militant, et non une interrogation purement scientifique. Un « écologiste » ne se réclame pas de la discipline scientifique qu’est l’écologie – et dont les pratiquants s’appellent les écologues – mais de « l’écologisme », qui est une idéologie. Et une idéologie qui se place dans le courant anti-humaniste et anti-illuministe du romantisme. Je sais bien que les « écologistes » jouent sur cette ambiguïté entre « écologie » et « écologisme », mais il ne faut pas tomber dans le panneau. Et je le répète, je doute que vous soyez un « écologiste » convaincu. Quand à être un « écologue » convaincu, cela n’a pas de sens : c’est un peu comme dire qu’untel est « un physicien convaincu ».

  5. marc.malesherbes dit :

    désolé, mais un complément à mon billet précédent, complément que vous pouvez "coller" pour le rendre plus lisible

    nb: je vais prendre un exemple de ce qu’est pour moi une action "proportionnée"

    Un ancien édile d’Orléans a annexé un chemin communal au profit de sa propriété. La municipalité concernée, par "complicité" ne dit rien, malgré plusieurs manifestations, avec en particulier un sénateur en activité. Je ne sais ou en sont les recours juridiques, si tant est qu’il y en ai eu. Cela dure depuis plusieurs années. Si un jour, lors d’une manifestation, les clôtures installées sont défaites, j’approuverai. Car, même si une telle action est illégale ("nul ne doit se faire justice soi-même") l’action me paraît "proportionnée". Ce qui ne serait pas le cas si on brûlait la maison de l’ancien édile (il a suffisamment d’argent pour la reconstruire et c’est à peu près la valeur du terrain annexé), mais ce ne serait pas "proportionné".

    Dans votre exemple "donneriez-vous à EDF le droit de jeter des cocktails molotov sur les militants de Greenpeace ? De les frapper avec une barre de fer ? De crever les pneus de leurs voitures ? De leur tirer dessus à la carabine ? " je suis d’accord que ce n’est pas proportionné. Mais si les vigiles expulsaient les militants de l’enceinte, je n’y verrai aucun inconvénient, si tant est qu’il le fasse de manière raisonnable, sans casser inutilement bras et jambes.

    • Descartes dit :

      @marc malesherbes

      [Un ancien édile d’Orléans a annexé un chemin communal au profit de sa propriété. La municipalité concernée, par "complicité" ne dit rien, malgré plusieurs manifestations, avec en particulier un sénateur en activité. Je ne sais ou en sont les recours juridiques, si tant est qu’il y en ai eu. Cela dure depuis plusieurs années. Si un jour, lors d’une manifestation, les clôtures installées sont défaites, j’approuverai.]

      Vous formulez votre cas comme si vous déteniez la vérité. En d’autres termes, comme si vous saviez sans l’ombre d’un doute qui a raison et qui a tort. Evidement, s’il y avait un être omniscient capable de voir dans chaque affaire de quel côté est la vérité, on pourrait lui accorder le droit d’utiliser la violence pour redresser les torts. C’est d’ailleurs le raisonnement que font les groupuscules violents : « puisque nous avons la vérité, nous avons tous les droits lorsqu’il s’agit de la faire triompher ».

      Ce raisonnement est fallacieux parce que dans la réalité, personne n’est omniscient, et que chacun est convaincu qu’il est dans le vrai. Pour éviter que chacun utilise la violence pour faire triompher « sa » vérité, on s’est donc mis d’accord pour confier au juge la tâche de décider quelle est la vérité, et à l’Etat le monopole de la violence nécessaire pour faire appliquer sa décision.

      Maintenant, que feriez-vous si dans votre exemple, après avoir démonté les clôtures, le juge décidait que l’édile en question était effectivement propriétaire du chemin, que celui-ci avait été réalisé illégalement par la commune, et qu’il était donc dans son bon droit ? Approuveriez-vous que dans ce cas le juge ordonne à ceux qui ont démonté les clôtures de payer leur remontage, ainsi qu’un dédommagement consistant à l’ancien édile en question ?

      [Car, même si une telle action est illégale ("nul ne doit se faire justice soi-même") l’action me paraît "proportionnée".]

      Mais « proportionnée » à quoi ? Si au lieu de s’agir de la propriété d’un chemin il s’agissait de la propriété de la maison elle-même, la foule persuadée que la propriété toute entière est mal acquise, aurait-elle selon vous le droit de la détruire ? Pourquoi la clôture oui et la maison non ? Ou s’arrête la « proportionnalité » ?

      [Ce qui ne serait pas le cas si on brûlait la maison de l’ancien édile (il a suffisamment d’argent pour la reconstruire et c’est à peu près la valeur du terrain annexé), mais ce ne serait pas "proportionné".]

      Encore une fois, pourquoi pas ? Quelle est la règle qui vous permet de dire « la cloture, c’est proportionné, la maison non ». Et si on laisse la maison sur pied mais on brule les meubles, c’est toujours proportionné ou pas ? Et si on casse les vitres ?

      [Dans votre exemple "donneriez-vous à EDF le droit de jeter des cocktails molotov sur les militants de Greenpeace ? De les frapper avec une barre de fer ? De crever les pneus de leurs voitures ? De leur tirer dessus à la carabine ? " je suis d’accord que ce n’est pas proportionné.]

      Ah bon ? Lorsque les militants de Greenpeace dégradent une clôture, il serait disproportionné de répondre en crevant les pneus de leurs voitures ? Je n’arrive pas très bien à déterminer quel est le critère de « proportionnalité » que vous appliquez. C’est à la tête du client ?
      [Mais si les vigiles expulsaient les militants de l’enceinte, je n’y verrai aucun inconvénient, si tant est qu’il le fasse de manière raisonnable, sans casser inutilement bras et jambes.]

      Je ne vois pas où est la « violence » dans cette réponse. Cela veut dire quoi, « raisonnable » ? On a le droit de leur casser le nez ? De leur donner un coup de poing dans l’œil ?

  6. marc.malesherbes dit :

    encore désolé, mais un complément à mon billet précédent, complément que vous pouvez "coller" pour le rendre plus lisible

    nb: je vais prendre un exemple de ce qu’est pour moi une action "proportionnée"

    il y a quelques années une dame avait tenté poursuivre un voleur qui lui avait volé son sac. Pas de chance, il était tombé et s’était cassé le bras. Il l’a poursuivi en justice, car sa poursuite était illégale ("nul ne doit se faire justice soi-même"). Il avait raison, mais en ce qui me concerne j’ai approuvé l’action illégale de cette dame, car elle me paraissait "proportionnée"

    • Descartes dit :

      @marc malesherbes

      [il y a quelques années une dame avait tenté poursuivre un voleur qui lui avait volé son sac. Pas de chance, il était tombé et s’était cassé le bras. Il l’a poursuivi en justice, car sa poursuite était illégale ("nul ne doit se faire justice soi-même"). Il avait raison, mais en ce qui me concerne j’ai approuvé l’action illégale de cette dame, car elle me paraissait "proportionnée"]

      Très bien. Imaginons que cette dame se soit trompé, et ait provoqué un accident mortel en poursuivant un passant qui n’avait rien à se reprocher alors que le vrai voleur s’enfuyait ailleurs. Quelle aurait été votre réaction ? Auriez vous justifié l’action de cette dame ?

      Si vous voulez être cohérent avec ce que vous avez écrit plus haut, la réponse ne peut être que « oui ». Parce qu’un des grands principes du droit pénal est que vous êtes puni pour ce que vous avez eu la volonté de faire, et non pour ce que vous avez effectivement fait. Si vous administrez à une personne une substance inoffensive en étant persuadé que c’est du poison, la qualification pénale de votre acte est « tentative d’empoisonnement ».

    • CVT dit :

      @Descartes,
      pour moi, la réponse au problème posé par Marc Malesherbes est relativement simple: "Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude".
      En clair, le voleur en question ne peut plus se prévaloir de quoi que ce soit après son acte illégal, surtout s’il y a légitime défense…

    • Descartes dit :

      @ CVT

      [pour moi, la réponse au problème posé par Marc Malesherbes est relativement simple: "Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude". En clair, le voleur en question ne peut plus se prévaloir de quoi que ce soit après son acte illégal, surtout s’il y a légitime défense…]

      Prenons un exemple, si vous le voulez bien : un patron refuse de payer a son salarié les heures supplémentaires qu’il a effectué. Il y a bien là un acte « illégal ». Le salarié prend un poinçon et lui crève un œil. Si vous étiez le juge pénal, quel serait votre jugement ? Relaxeriez-vous le salarié au prétexte que le patron « ne peut se prévaloir de quoi que ce soit après son acte illégal » ? Je suis persuadé que non…

      Quelque soient nos « turpitudes », nous restons des sujets de droit. Le fait que j’ai volé, blessé et même tué une autre personne ne permet pas pour autant qu’on me fasse n’importe quoi. Je reste un être humain, et à ce titre protégé par la loi. Même après le prononcé de ma condamnation, je ne suis pas livré à la foule, et seul l’Etat à le droit de me faire violence. Contester ce principe, c’est revenir très loin en arrière.

      Ce principe, il faut le marteler : dans un Etat de droit, il n’y a d’autre violence légitime que celle ordonnée par l’Etat. La violence privée est toujours, TOUJOURS, illégitime. La « provocation », la « légitime défense » sont, dans notre droit, des excuses. Elles permettent de dispenser l’auteur des violences de poursuites ou de peine, mais ne rendent pas pour autant son acte légitime.

  7. Bruno dit :

    Bonjour Descartes,

    Lecteur assidu de votre blog et commentateur ponctuel, je souhaitais avoir votre avis sur un sujet à mon sens connexe à votre papier : Mai 1968 en France.

    Vous qui semblez être un partisan de l’ordre républicain, en opposition à certaines actions frénétiques de la rue, je me demandais si vous pensiez qu’il existait des insurrections violentes nécessaires ou justifiables, dans une société démocratique?

    Par ailleurs, quel bilan tirez-vous (global) de cette période trouble de notre histoire récente? Jugez-vous qu’il en est ressorti quelque chose de positif? Et, en dépit de l’éphémère victoire gaulliste, politique et démocratique, les étudiants (pas les ouvriers je mets ça à part) ne l’ont-ils pas emporté?

    Né au début des années 90, je ne sais rien de la couverture des événements de cette époque, les médias apportaient-ils déjà une forme de soutiens aux violences, de même que certains membre de la classe politique?

    Merci!

    • Descartes dit :

      @Bruno

      [Lecteur assidu de votre blog et commentateur ponctuel, je souhaitais avoir votre avis sur un sujet à mon sens connexe à votre papier : Mai 1968 en France.]

      Vaste sujet…

      [Vous qui semblez être un partisan de l’ordre républicain, en opposition à certaines actions frénétiques de la rue, je me demandais si vous pensiez qu’il existait des insurrections violentes nécessaires ou justifiables, dans une société démocratique ?]

      La réponse est claire, c’est non. La logique même de l’Etat de droit implique que l’Etat ait « le monopole de la force légitime » selon la formule célèbre de Max Weber. Il faut d’ailleurs noter que cette position est partagée par la quasi-totalité des forces politiques démocratiques. Même ceux qui à l’extrême gauche ou l’extrême droite proposent la violence comme moyen d’action justifient le recours à ce moyen par le fait que nous ne serions pas dans une « véritable » démocratie, dans un « véritable » Etat de droit. Ce qui a contrario montre que même ces organisations estiment que si on se trouvait dans une « vraie » démocratie, le recours à la violence serait indéfendable.

      [Par ailleurs, quel bilan tirez-vous (global) de cette période trouble de notre histoire récente? Jugez-vous qu’il en est ressorti quelque chose de positif? Et, en dépit de l’éphémère victoire gaulliste, politique et démocratique, les étudiants (pas les ouvriers je mets ça à part) ne l’ont-ils pas emporté?]

      Je pense que vous faites une erreur d’analyse en formulant mai 1968 comme une bataille entre les « gaullistes » et « les étudiants », que ces derniers auraient finalement « emporté ». Mai 68 est le symptôme d’une transformation profonde de la société française, avec la fin de la période de croissance des « trente glorieuses » et la prise du pouvoir par les classes moyennes que cette croissance avait créées. Ces classes moyennes, dans une optique de ralentissement de la croissance, ont réagi en détruisant les institutions qui permettaient la promotion sociale – l’éducation et l’enseignement au premier chef – pour protéger leurs propres enfants de la concurrence des enfants venus d’autres couches sociales. Cette destruction s’est poursuivi par des moyens « pacifiques » bien après que les échos des violences du quartier latin se soient éteints. A terme, ce ne sont pas les « étudiants » qui ont gagné sur les « gaullistes », mais la couche sociale à laquelle ces étudiants appartenaient qui a « gagné » sa bataille contre la France républicaine et méritocratique née avec Napoléon, repris par la IIIème République et dont le gaullisme était, sur ce point au moins, le continuateur.

      Peut-on parler d’ailleurs véritablement de « violence » à propos de mai 1968 ? Pas vraiment, du moins pour la très grande majorité des participants. On a cassé du matériel, certes, on a dépavé des rues, coupé des arbres et incendié des voitures. Mais on a « cassé » finalement très peu. Et on a fait preuve de beaucoup de retenue de part et d’autre. Comment sinon expliquer le bilan quasi miraculeux en terme de morts et de blessés ? Il faut noter d’ailleurs que lorsque certains groupuscules comme la « gauche prolétarienne » ont été au bord d’une dérive du type « action directe », leurs dirigeants ont pris peur et ont tout fait pour provoquer une dissolution ordonnée. Avec l’exception de « Action Directe », qui après tout regroupait à peine une poignée de militants, mai 68 n’a pas produit de violence contre les personnes.

      Plus que de « violence », il faut parler à propos de 1968 d’une chorégraphie, d’une mise en scène qui a permis aux enfants des classes moyennes de se donner l’illusion qu’ils étaient les continuateurs des barricades de 1830, de 1848 ou de la Libération, avant de devenir qui patron de presse, qui inspecteur général de l’Education Nationale par œuvre et grâce de Mitterrand…

      [Né au début des années 90, je ne sais rien de la couverture des événements de cette époque, les médias apportaient-ils déjà une forme de soutiens aux violences, de même que certains membre de la classe politique ?]

      Il faut faire la différence entre la « violence » des étudiants ou des écologistes – c’est-à-dire des enfants des classes moyennes – et celle des autres. La violence des classes moyennes a toujours été traitée avec une grande complaisance par les médias et par certains membres de la classe politique. Comme d’ailleurs par les forces de l’ordre, qui reçoivent en général des instructions pour faire preuve de la plus grande modération pour ne pas amocher le matériel.
      Un traitement très différent est réservé aux couches populaires : la violence ouvrière est toujours unanimement dénoncée.

      Mais pour revenir à 1968, la couverture des violences étudiantes fut très complaisante – et ne parlons même pas des politiciens radicaux et socialistes, prêts à lécher les bottes de la « jeunesse révoltée » pour renverser De Gaulle – toujours justifiée avec un discours « victimiste » sur cette « pauvre jeunesse » à qui le monde adulte « refusait un avenir ». Oui, je sais que cela peut sonner bizarrement aujourd’hui, compte tenu du fait que la génération qui a eu 20 ans en 1968 a été celle qui a bénéficié comme aucune autre ni avant, ni après, d’un niveau de vie élevé et d’une insouciance totale. C’est celle qui n’a connu ni les affres de la guerre, ni les sacrifices de la reconstruction, ni la peur du chômage ou du déclassement, ni celle d’une vieillesse misérable.

    • Bruno dit :

      Merci pour votre réponse Descartes. Ne pensez-vous pas qu’indépendamment du fait que la violence en démocratie ne soit pas acceptable car remettant en cause le monopole légitime de l’Etat, elle puisse être bénéfique et in fine souhaitable? Prenons le cas d’un gouvernement impopulaire, impotent et au courage politique pour le moins faible. Imaginons que ce pouvoir, bien que se nécrosant un peu plus de jour en jour, décide, en respectant l’ensemble des procédures légales, de faire adhérer son pays à un traité majeur sans le consulter directement. Pourquoi pas un traité de libre-échange avec une grande puissance. Le gouvernement, dans son bon droit, se verrait opposer une foule virulente et destructrice. Face à elle, acculé, il reculerait et on ne ratifierait pas ledit traité, ou bien on userait du réferendum. Qu’en penseriez-vous?

    • Descartes dit :

      @ Bruno

      [Ne pensez-vous pas qu’indépendamment du fait que la violence en démocratie ne soit pas acceptable car remettant en cause le monopole légitime de l’Etat, elle puisse être bénéfique et in fine souhaitable? Prenons le cas d’un gouvernement impopulaire, impotent et au courage politique pour le moins faible. Imaginons que ce pouvoir, bien que se nécrosant un peu plus de jour en jour, décide, en respectant l’ensemble des procédures légales, de faire adhérer son pays à un traité majeur sans le consulter directement. Pourquoi pas un traité de libre-échange avec une grande puissance. Le gouvernement, dans son bon droit, se verrait opposer une foule virulente et destructrice. Face à elle, acculé, il reculerait et on ne ratifierait pas ledit traité, ou bien on userait du réferendum. Qu’en penseriez-vous?]

      Rappelez vous de Kant : une règle ne saurait être bonne si elle n’est pas susceptible d’être généralisée. Imaginons qu’au lieu de s’agir « pourquoi pas d’un traité de libre-échange avec une grande puissance » il s’agisse « pourquoi pas » d’une loi légalisant l’avortement. Pensez-vous qu’il soit « bénéfique et in fine souhaitable » qu’une « foule virulent et destructrice » puisse empêcher l’application d’une telle loi ? Si la violence est une méthode « souhaitable », alors elle l’est autant pour empêcher la mise en œuvre du TAFTA que pour empêcher la mise en œuvre de la loi Veil.

      Il ne faut pas confondre la question de la légitimité avec celle de ce qui est « bénéfique et souhaitable ». D’ailleurs, lorsque vous parlez de « bénéfique et souhaitable », c’est « bénéfique est souhaitable » pour qui, exactement ? Car la question de ce qui est « bénéfique et souhaitable » est une question subjective. Vendre de la drogue dans une cité est certainement très « bénéfique et souhaitable » du point de vue du vendeur de drogue, et de son point de vue justifie certainement le recours à la violence. In fine, si vous posez la question en termes de « bénéfique et souhaitable », la question du recours à la violence n’est qu’un calcul coût/avantages. Dès lors que les seconds dépassent le premier, pourquoi ne pas tuer la petite vieille d’en face pour lui prendre ses économies ?

      Cette logique, c’est celle de la loi du plus fort et de la « guerre de tous contre tous ». C’est pour sortir de cette subjectivité qui permettrait à chacun de faire subir sa violence aux autres qu’on a cherché à constituer des règles générales et qu’on a décidé de confier à l’Etat le monopole de la force légitime. C’est ce contrat qui fonde notre société. Si vous rompez ce contrat en envoyant une « foule virulente et destructrice » s’opposer au TAFTA, que ferez vous lorsqu’une « foule virulente et destructrice » s’assemblera pour détruire les centres du Planning Familial ?

    • Bruno dit :

      Vous marquez un point concernant le caractère "souhaitable" de la violence. En l’occurrence certes, je la penserais justifiée mais je ne désire en rien qu’elle soit généralisée. En clair, je suis incohérent ou plutôt mon système comprend des contradictions insurmontables.

      Par ailleurs, pour ce qui est du caractère "bénéfique et souhaitable", je me pose toujours au regard de la majorité des citoyens. Si la mesure bénéficie objectivement ou non au plus grand nombre ou si elle n’a lieu d’être que pour une minorité. Après évidemment on peut débattre longtemps des avantages et inconvénients d’une loi. Je pense néanmoins que l’on peut déterminer sur la base de critères objectifs la nocivité ou la bienfaisance d’une loi pour la majorité de nos compatriotes.

      Pour en revenir à la violence, elle m’apparaît davantage comme un moyen, pas meilleur qu’un autre, de mettre en porte-à-faux un système qui se prétend démocratique et dont les pratiques montrent bien qu’il n’est en rien représentatif. Vous évoquez la logique de la loi du plus fort, de la guerre de tous contre tous. Je crains que nous y soyons déjà. Notre contrat me semble vicié depuis maintenant des décennies. Notre démocratie fait figure de farce,

      La politique, au sens noble du terme, celle des grands desseins, de l’utopique projet républicain, tout à la fois, intime, national et universel, est morte.
      Je ne saurais dire précisément quand cela s’est produit, mais il me semble en percevoir le processus; le fruit d’un long et inexorable renoncement des classes dirigeantes de notre pays à la grandeur.

      En l’espace d’une quarantaine d’année à peine, nous sommes passés de la volonté de gouverner aux hommes, de changer leur vie, à une banale gestion des choses, ou plutôt des affaires courantes, de l’économie et des finances publiques.
      Cette aspiration folle et brillante en même temps, d’entrainer dans un même mouvement toute la société française vers ce que l’on pensait alors être son destin s’est muée en une politique qui a fait du primat de l’individu et de ses revendications personnelles un dogme intangible et supérieur.

      L’effondrement du Mur et la chute de l’alternative politique à l’est il y a bientôt 25 ans, ont sonné la fin des grandes idées politiques, et consacré en Occident la place du marché et plus généralement du libéralisme sous toutes ses formes.
      Le postulat selon lequel il ne saurait y avoir de salut en dehors de ce paradigme est depuis lors solidement établi, relayé tant par la classe dirigeante, juge et partie d’un système qui sert indubitablement ses intérêts, et, par l’Union européenne, véritable poisson-pilote du libéralisme anglo-saxon.

      Le président français, désormais roitelet de pacotille, n’apparait que comme l’exécutant plus ou moins complaisant de lois qu’il n’édicte en rien. Soumis à la férule d’une idéologie puissante qui tait son nom par le truchement d’une cohorte cosmopolite de technocrates déracinés qui n’ont que faire des nations, il a volontairement aliéné ses prérogatives.

      Le pouvoir politique français ne transparait plus aujourd’hui comme autre chose qu’un simple agent au service d’une économie libérale et de consommateurs-citoyens.

      D’aucuns se réjouissent de cet état de fait, et moi-même, pas nécessairement perdant dans ces grands bouleversements, le pourrais-je peut-être, si je ne les jugeais pas si néfastes pour notre patrie.

      Il faut dire que s’ils profitent à nos élites et à une partie de la classe moyenne, ces changements ont entrainé un appauvrissement généralisé du pays, une augmentation des inégalités, une croissance ininterrompue du taux de chômage et des transformations profondes, notamment du fait d’une immigration massive qui remet en cause l’identité même de la Nation.

      Ce changement apparait davantage subi que souhaité par les classes populaires, classes dont on a méprisé et bafoué la dernière expression directe en 2005, dans un consensus politique quasi-général.

      Dès lors Descartes, si le système ne correspond pas à ce qu’il prétend être, si notre démocratie représentative, tout en me gratifiant de droits, notamment pour me conforter dans cette société du spectacle, ne me donnait plus les moyens d’avoir une prise réelle sur les grands choix politiques, pourquoi faire semblant? Si le fossé qui s’est creusé entre les intérêts des élites et des classes populaires est tel qu’il n’y a même plus de sens à entériner le non-choix entre deux libéraux détaillant la même politique?

      Que faire?

      La violence n’est pas LA solution mais elle a le mérite de remettre en question cette classe, de lui rappeler qu’elle ne contrôle pas tout. La foule violente ne saurait bien entendu avoir raison, mais ce n’est pas toujours pour servir un intérêt groupusculaire qu’elle se rassemble.

    • Descartes dit :

      @ Bruno

      [Vous marquez un point concernant le caractère "souhaitable" de la violence. En l’occurrence certes, je la penserais justifiée mais je ne désire en rien qu’elle soit généralisée. En clair, je suis incohérent ou plutôt mon système comprend des contradictions insurmontables.]

      Exactement. Une fois que vous légitimez la violence qui vous arrange, le principe d’universalité vous amène nécessairement à légitimer celle qui ne vous arrange pas. Avec pour conséquence la « guerre de tous contre tous » dont parle Hobbes. Si nous renonçons collectivement à la violence individuelle pour la confier à l’Etat, c’est bien pour éviter cela.

      [Par ailleurs, pour ce qui est du caractère "bénéfique et souhaitable", je me pose toujours au regard de la majorité des citoyens. Si la mesure bénéficie objectivement ou non au plus grand nombre ou si elle n’a lieu d’être que pour une minorité. Après évidemment on peut débattre longtemps des avantages et inconvénients d’une loi. Je pense néanmoins que l’on peut déterminer sur la base de critères objectifs la nocivité ou la bienfaisance d’une loi pour la majorité de nos compatriotes.]

      Si on pouvait « objectivement » déterminer la nocivité ou la bienfaisance d’une loi, on n’aurait pas besoin de Parlement ni de système politique. Il suffirait d’un cénacle de techniciens chargés d’appliquer les « critères objectifs », et peut-être un deuxième cénacle chargé de les surveiller. On peut à la rigueur – et dans certaines limites – déterminer ce que sont les intérêts individuels ou les intérêts de classe, mais il est très difficile de déterminer « objectivement » ce qui est dans l’intérêt général. Je vais vous donner un exemple classique : lorsque les allemands attaquent la France ce jour de 1914, la décision de se défendre est-elle « nocive » ou « bienfaisante » ?

      [Pour en revenir à la violence, elle m’apparaît davantage comme un moyen, pas meilleur qu’un autre, de mettre en porte-à-faux un système qui se prétend démocratique et dont les pratiques montrent bien qu’il n’est en rien représentatif.]

      On répète un peu trop cette affirmation à mon goût sans jamais la remettre en cause. Je pense au contraire que notre système est bien plus démocratique que vous ne le pensez. Je ne vois pas les rues remplies de soldats et de CRS. J’en déduis donc que si les gens ne se rebellent pas contre le système, c’est que celui-ci les satisfait ou du moins qu’ils n’en conçoivent pas de meilleur. Je regrette, mais il ne manque pas dans les librairies, dans les émissions de radio et de télévision, dans l’Internet des propositions alternatives. Elles ne rencontrent, il faut bien le dire, que des succès d’estime dans des groupes sociaux réduits. Et lorsque apparaît une organisation qui propose une rupture avec l’existant, elle est rapidement renvoyée dans le ghetto. Pourquoi, à votre avis ? Pensez-vous qu’une telle stabilité serait possible si la grande majorité de nos concitoyens ne se sentait pas représentée par ce système, s’ils ne pensaient pas que celui-ci défend raisonnablement leurs intérêts ?

      Je pense personnellement que l’erreur fondamentale de la « gauche radicale » est de répéter que le système « n’est pas démocratique » sans se rendre compte qu’il l’est. Qu’il défend des intérêts mesquins non pas parce qu’il serait inféodé à tel ou tel groupe social, mais parce que la plupart de nos concitoyens sont centrés sur leurs intérêts mesquins. Il y a derrière votre discours – et celui de la gauche radicale – la croyance que le Peuple est naturellement bon, et qu’un système vraiment démocratique ne pourrait produire qu’une société idéale. Ce n’est pas vrai : le Peuple est fait de gens comme vous et moi, qui aimeraient bien gagner beaucoup d’argent et ne pas payer leur impôts. Je vais être méchant : je trouve que le problème de notre système politique actuel n’est pas qu’il ne serait pas « représentatif », mais qu’il l’est trop. Si l’on veut un parlement véritablement « représentatif », pourquoi devrait-il compter moins de fraudeurs fiscaux – ou d’escrocs, de meurtriers, d’obsédés sexuels – que la moyenne de la population ? Au lieu de chasser DSK, Thévenoud ou Cahuzac, on devrait au contraire les féliciter et les maintenir à leur poste, puisqu’ils contribuent à rendre le Parlement et le gouvernement « représentatifs ». Ceux qui proposent le tirage au sort pour la sélection des élus devraient d’ailleurs se rendre compte qu’une telle procédure fabriquerait une assemblée « représentative » dans tous les sens, y compris celui-là.

      Le simple fait que DSK, Thévenoud ou Cahuzac aient été traînés dans la boue montre que les citoyens en général ne veulent pas d’un système politique « représentatif » au sens sociologique du terme. Ils veulent au contraire que leurs élus soient « meilleurs » qu’eux. Plus honnêtes, plus intelligents, plus formés, plus sérieux. En d’autres termes, ils veulent être gouvernés par « les meilleurs d’entre nous », ce qui correspond à la définition exacte d’une aristocratie.

      Cette erreur fondamentale de la « gauche radicale » la conduit toujours à sous-estimer la solidité de l’édifice social, à croire qu’il y a là dehors un « Peuple » éternellement disponible pour le changement et qui n’attend que le baiser du prince charmant pour se réveiller. Certains ont essayé de le réveiller par la violence, et cela n’a jamais marché : Action Directe, les Brigades Rouges, la RAF sont restés marginales, et le peuple ne les a pas suivies. Et c’était prévisible dès le départ : nos systèmes ne sont pas parfaits, mais ils sont « démocratiques » et, surtout, il n’y a pas d’alternative crédible qui soit meilleure.

      [Vous évoquez la logique de la loi du plus fort, de la guerre de tous contre tous. Je crains que nous y soyons déjà. Notre contrat me semble vicié depuis maintenant des décennies.]

      Arrêtez… Non, nous ne sommes pas en guerre civile. Il faut arrêter de galvauder les mots : il n’y a pas de soldats dans les rues, prêts à tirer sans sommation. Il n’y a pas de cadavres sur les trottoirs, des bâtiments éventrés dans les rues de Paris. La guerre, c’est autre chose.

      [Notre démocratie fait figure de farce. La politique, au sens noble du terme, celle des grands desseins, de l’utopique projet républicain, tout à la fois, intime, national et universel, est morte.]

      Mais qu’est ce qui vous fait penser que cette mort n’était souhaitée par la grande majorité de nos concitoyens ? Une fois encore, je vous conseille la lecture du livre de Alain-Gérard Slama, « le siècle de Monsieur Pétain ». Il explique très bien que la politique des « grands desseins » a un coût, et que le peuple n’est pas toujours prêt à payer. Je vous rappelle que ce sont les français par une grève massive puis par un référendum – deux actes que j’imagine vous considérez essentiellement « démocratiques » – qui ont renvoyé mongénéral à sa retraite. Que ce sont les français qui ont élu François Mitterrand, le syndic de faillite de « l’utopique projet républicain » et des « grands desseins ». Que ce sont les français qui, par référendum, ont ratifié le traité de Maastricht. Pourquoi l’ont-ils fait, s’ils ne voulaient pas la mort de la politique des « grands desseins » ?

      Je constate que vous alimentez encore l’illusion que le peuple est bon, qu’il veut une politique de « grands desseins », et qu’il serait frustré de celle-ci par une poignée de politiciens. La vérité est bien plus sinistre. La politique des « grands desseins » a toujours été l’œuvre d’une aristocratie, une aristocratie qui a la merci de circonstances exceptionnelles – 1804, 1870, 1945, 1958 – a réussi à gagner pendant quelque temps la confiance du peuple en court-circuitant les processus habituellement considérés comme « démocratiques ». Et à chaque fois, le système politique est redevenu « une farce » au fur et à mesure que les bonnes âmes ont souhaité « démocratiser » les procédures, « démocratisation » qui généralement se traduit par la prise du pouvoir par les couches sociales qui s’accommodent parfaitement de l’impuissance de l’Etat parce que le rapport de forces leur est favorable.

      [Je ne saurais dire précisément quand cela s’est produit, mais il me semble en percevoir le processus; le fruit d’un long et inexorable renoncement des classes dirigeantes de notre pays à la grandeur.]

      C’est la conséquence de la prise de pouvoir par les classes moyennes, dont le seul intérêt est d’accaparer la part la plus grande possible du gâteau et de la défendre bec et ongles. Vous me direz que c’est aussi le cas pour la bourgeoisie. Ce n’est pas tout à fait vrai : la bourgeoisie, comme le notait Marx, se souciait aussi d’augmenter la taille du gâteau. C’est cela qui en a fait une « classe révolutionnaire » au XIXème siècle et qui a permis, sous le capitalisme, une élévation générale du niveau de vie. Les classes moyennes, au contraire, ne se soucient guère de la taille du gâteau, elles ne se soucient que de leur part.

      [En l’espace d’une quarantaine d’année à peine, nous sommes passés de la volonté de gouverner aux hommes, de changer leur vie, à une banale gestion des choses, ou plutôt des affaires courantes, de l’économie et des finances publiques.]

      Oui, mais encore une fois, qu’est ce qui vous fait penser que ce n’est pas cela que nos concitoyens veulent ? Pourquoi pensez vous qu’un système « véritablement » démocratique aboutirait nécessairement au résultat contraire ?

      [L’effondrement du Mur et la chute de l’alternative politique à l’est il y a bientôt 25 ans, ont sonné la fin des grandes idées politiques, et consacré en Occident la place du marché et plus généralement du libéralisme sous toutes ses formes. Le postulat selon lequel il ne saurait y avoir de salut en dehors de ce paradigme est depuis lors solidement établi, relayé tant par la classe dirigeante, juge et partie d’un système qui sert indubitablement ses intérêts, et, par l’Union européenne, véritable poisson-pilote du libéralisme anglo-saxon.]

      Admettons. Mais si telle est la situation, il faut se poser quelques questions. Comment les idées « libérales » ont réussi à s’imposer ? Pourquoi les socialistes de 1981, plein de bonne volonté pour « changer la vie » sont rapidement devenus les meilleurs propagandistes et serviteurs du libéralisme triomphant ? Pourquoi l’électorat a-t-il toléré – et même encouragé – par son vote cette trahison ? Pourquoi les penseurs de la « gauche radicale » ont considéré que la priorité était de soutenir la croisade antisoviétique Thatcher-Reagan plutôt que de penser et combattre le néo-libéralisme ?

      Il faut rappeler à ceux qui pleurnichent aujourd’hui leurs responsabilités. La société que nous avons aujourd’hui est celle que les bienpensants ont voulu. Ils ont voulu en finir avec la rigidité institutionnelle de la vision gaullienne pour lui substituer une société hédoniste et individualiste, et ils ont réussi. Ils ont voulu la chute du Mur et il est tombé. Ils ont voulu la peau du PCF « stalinien », et ils l’ont eue. Ils ont voulu l’Europe et l’Euro, et nous l’avons. Ils ont voulu un Etat faible, et il est là. Plus d’une voix s’était élevée quand cette dérive a commencé pour avertir que ces transformations allaient avoir des effets collatéraux désastreux, et personne n’a voulu les écouter. Alors, de quoi se plaignent ils, ces bienpensants ?

      [Le président français, désormais roitelet de pacotille, n’apparait que comme l’exécutant plus ou moins complaisant de lois qu’il n’édicte en rien. Soumis à la férule d’une idéologie puissante qui tait son nom par le truchement d’une cohorte cosmopolite de technocrates déracinés qui n’ont que faire des nations, il a volontairement aliéné ses prérogatives.]

      Mais encore une fois, qu’est ce qui vous fait penser que ce n’est pas ce que les gens veulent ? Qu’attendent-ils pour sortir dans la rue exiger le renforcement de l’institution présidentielle ? Depuis trente ans, l’ensemble du système politique – à l’exception du FN – passe son temps à cracher sur la « toute puissance » supposée du président et propose des réformes constitutionnelles de toutes sortes pour affaiblir l’exécutif. Là encore, on se retrouve à vomir les effets dont on chérit les causes.

      [Dès lors Descartes, si le système ne correspond pas à ce qu’il prétend être, si notre démocratie représentative, tout en me gratifiant de droits, notamment pour me conforter dans cette société du spectacle, ne me donnait plus les moyens d’avoir une prise réelle sur les grands choix politiques, pourquoi faire semblant?]

      Encore une fois, qu’est ce qui vous permet d’affirmer que cette société « ne nous donne plus les moyens d’avoir une prise réelle sur les grands choix politiques » ? Je pense que vous vous trompez de problème. Dans notre système politique, le peuple a parfaitement la possibilité de changer les choix politiques s’il le souhaite. Non seulement par la voie de l’élection, mais par celle de la manifestation et la grève. Si les adversaires des choix politiques actuelles pouvaient mettre deux millions de personnes dans la rue, les choses seraient différentes. Le sujet d’interrogation n’est donc pas l’ordre institutionnel, comme le pensent les partisans d’une « sixième république ». La véritable question est : pourquoi nos concitoyens ne se saisissent pas des instruments dont ils disposent pour infléchir les politiques.

      Cette question, personne ne se la pose, tout simplement parce que les réponses sont très gênantes pour la bienpensance. Le fait est que les classes moyennes ont saisi l’hégémonie idéologique, et l’ont utilisé pour tuer toute proposition qui pourrait constituer une véritable alternative dans l’intérêt des couches populaires. Ou même toute organisation qui pourrait fédérer le vote populaire. Dans les années 1980, il s’agissait de faire la peau du PCF, aujourd’hui c’est le FN qui est dans la ligne de mire. Si la pensée néolibérale a pu devenir dominante, c’est parce que la « pensée alternative » a délaissé le terrain de l’économie et du social, le terrain du réel, pour bâtir des utopies dans les nuages. C’est là que se trouve le problème : nos concitoyens ont tous les instruments institutionnels pour peser sur les choix politiques. Mais pour changer les choix, encore faut-il avoir un projet réaliste. Or, la couche sociale qui a les instruments intellectuels pour fabriquer un tel projet refuse catégoriquement de le faire…

      [La violence n’est pas LA solution mais elle a le mérite de remettre en question cette classe, de lui rappeler qu’elle ne contrôle pas tout. La foule violente ne saurait bien entendu avoir raison, mais ce n’est pas toujours pour servir un intérêt groupusculaire qu’elle se rassemble.]

      Bof. Lorsque la violence se déchaîne, elle profite généralement à ceux que le rapport de forces avantage. Et vous êtes très optimiste lorsque vous imaginez que la violence « met en question cette classe ». Prenez mai 1968. Pensez-vous vraiment que les violences du quartier latin aient remis en question » cause la bourgeoisie ou les classes moyennes ?

    • Bruno dit :

      Je pense que les classes populaires et la société dans son ensemble, subissent depuis des décennies un effroyable lavage de cerveaux qui a complètement annihilé leur capacité à conceptualiser un autre monde, un système bis ou une alternative à ce que nous connaissons actuellement. La domination culturelle de la bourgeoisie et d’une partie de la classe moyenne est telle qu’il est devenu quasiment impossible de penser autrement.

      C’est TF1, le lexomil et la consommation de masse.

      Alors oui, probablement les gens comme vous le dites, ne veulent plus d’une Grande France et se complaisent dans ce qui leur est offert. Je trouve ça dramatique, mais vous avez raison, la majorité silencieuse s’en contente, enfin, de moins en moins j’ai l’impression quand même…

    • Descartes dit :

      @ Bruno

      [Je pense que les classes populaires et la société dans son ensemble, subissent depuis des décennies un effroyable lavage de cerveaux qui a complètement annihilé leur capacité à conceptualiser un autre monde, un système bis ou une alternative à ce que nous connaissons actuellement.]

      Ce commentaire me pose un problème. Si l’on peut « laver le cerveau » du peuple, alors pourquoi défendre la « démocratie » – entendue comme une procédure permettant au peuple de prendre collectivement les décisions qui le concernent ou de déléguer ces décisions à des représentants choisis par lui et qu’il contrôle ? Aucune procédure, aucune constitution, aucune loi électorale ne peut corriger un tel biais. Si le peuple peut être tourné en marionnette, alors la démocratie n’a plus de sens. Autant s’y résigner tout de suite et travailler à l’avènement d’un despote éclairé…

      Une telle conception revient finalement à faire du peuple un mineur incapable, qui aurait besoin d’un tuteur pour le protéger de lui-même. Je n’ai pas besoin de vous expliquer les dangers qu’une telle vision referme. C’est pourquoi je ne pense pas qu’on puisse fonder un combat politique progressiste sur une telle conception. Cela ne veut pas dire qu’il faille tomber dans l’excès inverse, celui du peuple omniscient et infaillible capable en lui-même de rédiger de sages constitutions et de faire de sages lois. Cette idée, devenue la doxa de la « gauche radicale », est aussi dangereuse que celle du peuple au « cerveau lavé » des réactionnaires. Il faut à mon sens revenir à l’image des Lumières : le peuple est une institution humaine, et comme telle, faillible. Elle est incapable d’élaborer elle-même une vision, un projet, mais peut partager et faire sienne celle que lui propose un homme, une femme, une organisation.

      Les « classes populaires », pas plus que les autres, n’ont jamais été « capables de conceptualiser un autre monde » d’elles mêmes. Les projets politiques du passé comme ceux du présent n’ont jamais été élaborés spontanément par une foule. Ils résultent toujours de la réflexion d’un petit groupe qui ensuite à réussi à populariser ses idées. Le problème n’est donc pas l’incapacité des « classes populaires » à conceptualiser un projet, incapacité qui résulterait d’un « lavage de cerveau ». Le problème est l’incapacité des groupes – partis politiques, groupes de réflexion, universités – à proposer une alternative qui soit à la fois attractive et crédible. Nos intellectuels dits « progressistes » s’enferment dans l’imprécation pure, dans la construction de châteaux sur les nuages, ou dans le martelage obsessionnel de tel ou tel détail « sociétal ». Ce n’est pas le peuple qui a le « cerveau lavé », ce sont les élites intellectuelles. Soyons francs : quel est le dernier livre, le dernier travail, la dernière déclaration « progressiste » que vous avez lu qui à votre avis propose un projet à la fois désirable et réalisable ?

      [La domination culturelle de la bourgeoisie et d’une partie de la classe moyenne est telle qu’il est devenu quasiment impossible de penser autrement.]

      Je ne crois pas que ce soit une question de « domination ». Le problème est qu’aujourd’hui les intérêts de ceux qui sont en mesure de penser sont étroitement liés aux intérêts des classes moyennes. C’est à mon sens une nouveauté qu’il faut souligner. Nous savons que dans les années 1930 un universitaire était certainement plus respecté qu’aujourd’hui, mais qu’il était aussi misérablement payé et travaillait dans des conditions qui nous paraissent aujourd’hui surréalistes – pensez aux conditions dans lesquelles Pierre et Marie Curie ont séparé le radium. Dans le film « La vie est à nous », parmi les miséreux qui ont intérêt de voter communiste Renoir fait le portrait d’un ingénieur Supélec au chômage. Pensez-vous qu’il y ait beaucoup d’ingénieurs sortis de Supélec aujourd’hui qui s’identifient ainsi avec la classe ouvrière ? J’ajoute que la promotion sociale par la méritocratie faisait que dans les « couches pensantes » on trouvait beaucoup d’intellectuels et de politiques élevés dans des foyers ouvriers, comme Bourdieu ou Séguin, pour ne donner que deux exemples. Depuis que les classes moyennes ont bloqué la porte de l’ascenseur social, c’est devenu un phénomène rare.

      Or, dès lors que les « classes pensantes » ont les mêmes intérêts et le même univers que les classes moyennes, elles ne peuvent que penser qu’en fonction des expectatives des classes moyennes.

      [Alors oui, probablement les gens comme vous le dites, ne veulent plus d’une Grande France et se complaisent dans ce qui leur est offert. Je trouve ça dramatique, mais vous avez raison, la majorité silencieuse s’en contente, enfin, de moins en moins j’ai l’impression quand même…]

      Cela nous renvoie au raisonnement d’Alain-Gérard Slama. Le peuple français porte en lui en même temps la « grande » et la « petite » France, et c’est pourquoi ces deux catégories alternent dans notre histoire politique. Notre peuple râle sur le coût de la « grandeur », et préfère que cet argent soit consacré à son petit bonheur intime. Mais lorsqu’on va dans ce sens, notre « surmoi républicain » se réveille, on est malheureux et on reproche à nos gouvernants le manque de « grandeur ». C’est cette forme étrange de schizophrénie qui fait le charme et la difficulté de notre histoire politique…

      Le problème aujourd’hui, à mon sens, est le retard à l’allumage des « classes pensantes ». Alors qu’une demande de « grandeur » se réveille, qui remet dans le débat public les notions de nation, de souveraineté, de laïcité, de discipline sociale, d’une politique renouvelée autour de l’idée de « common décency », il n’y a pas d’organisation « progressiste » capable de répondre à cette demande. Tétanisées, les organisations progressistes répètent un discours soixante-huitard plus ou moins remis au goût du jour qui, au nom d’une description manichéenne du monde, refuse d’étudier ou même de constater la demande. Cela laisse un boulevard au FN que celui-ci, après bien des hésitations, est en train d’emprunter.

    • Bruno dit :

      [Si l’on peut « laver le cerveau » du peuple, alors pourquoi défendre la « démocratie » – entendue comme une procédure permettant au peuple de prendre collectivement les décisions qui le concernent ou de déléguer ces décisions à des représentants choisis par lui et qu’il contrôle ?]

      Ne me prêtez pas des intentions qui ne sont en rien les miennes. Je ne constate que trop bien les faiblesses de notre démocratie et n’y ai voit pas la panacée, loin s’en faut. J’ai du mal cependant à conceptualiser une alternative… Comme vous le soulignez dans votre commentaire, c’est vrai je n’ai rien lu de récent me proposant quelque chose de désirable et réalisable. Enfin, il y avait bien ce livre de Chevènement (1914-2014 : l’Europe sortie de l’Histoire?) mais il ne comportait qu’une ébauche un peu floue.

      Je vais être un peu rude mais oui Descartes je pense qu’une grande partie du peuple est incapable, tant de conceptualiser un projet alternatif, que de s’extraire de l’ornière dans laquelle il est embourbé. Mais vous avez raison, c’est en grande partie de la faute de ceux qui sont supposés penser pour lui et qui ne lui proposent rien de crédible.

      Êtes vous démocrate Descartes? Je vous demande cela parce que lorsque je lis votre constat, implacable, que je partage en grande partie, je m’interroge. Pouvez-vous croire en système, notamment en l’état actuel des choses? En souhaiteriez vous un autre?

    • Descartes dit :

      @ Bruno

      [Ne me prêtez pas des intentions qui ne sont en rien les miennes. Je ne constate que trop bien les faiblesses de notre démocratie et n’y ai voit pas la panacée, loin s’en faut. J’ai du mal cependant à conceptualiser une alternative…]

      La démocratie, « le pire des systèmes à l’exception de tous les autres », comme disait Churchill…

      [Êtes vous démocrate Descartes? Je vous demande cela parce que lorsque je lis votre constat, implacable, que je partage en grande partie, je m’interroge. Pouvez-vous croire en système, notamment en l’état actuel des choses? En souhaiteriez vous un autre?]

      La question est compliquée. Il faudrait s’entendre d’abord sur ce que vous appelez un « démocrate ». Si être démocrate revient à croire qu’une procédure démocratique peut magiquement résoudre tous les problèmes, je ne suis certainement pas un démocrate. Je me place toujours dans un cadre matérialiste et marxiste : la société est régie avant tout par des rapports de production qui constituent des rapports de force. C’est cela, la vérité.

      A partir de là, on peut distinguer deux « démocraties » : l’une « réaliste », l’autre « idéaliste ». Commençons par la première. Pour comprendre l’idée, laissez moi utiliser une petite analogie : imaginons que vous pouviez inventer une machine qui pourrait vous dire à coup sur avant la bataille quelle armée sera victorieuse et laquelle serait vaincue. Une telle machine en finirait avec les guerres : Les gouvernants se présenteraient devant la machine, liraient le résultat sur l’écran, et n’auraient plus qu’à négocier le traité de paix. Ce serait leur intérêt : quel dirigeant, quel général a intérêt à aller à une bataille qu’il sait, à coup sûr, devoir perdre ?

      Et bien, la procédure démocratique a l’ambition d’être cette machine. Elle permet de gouverner en fonction des rapports de force sans que pour autant la force brute soit utilisée. C’est pourquoi à mon sens on fait une erreur en imaginant que les institutions démocratiques doivent être représentatives des individus. Elles sont, au contraire, représentatives des forces en présence. C’est un peu comme à l’ONU : on peut considérer qu’il est injuste que les grandes puissances aient un droit de véto, alors que les autres pays n’en ont pas. Mais cet arrangement n’est que la traduction d’un rapport de forces : on sait qu’une décision qui n’a pas l’accord de l’ensemble des grandes puissances risque de rester lettre morte. Le système de l’ONU est peut-être inégalitaire, mais il n’est pas à strictement parler « antidémocratique ».

      Le processus démocratique est un processus qui permet aux rapports de force de s’exprimer sans qu’il soit besoin de casser du matériel et faire couler du sang. Dans l’idéal, il aboutit donc à des décisions que personne n’a intérêt à contester par la violence, puisqu’elles traduisent les rapports de force. C’est de là que découle leur légitimité. Et c’est d’ailleurs ce qui permet à mon avis de « tester » le caractère démocratique d’un système : lorsque la loi est obéie sans qu’il soit besoin d’utiliser massivement la force, lorsque ceux qui usent de la violence sont très minoritaires et systématiquement battus, on peut dire qu’un système est véritablement « démocratique ».

      Sur cette vision « réaliste » se superpose une vision « idéaliste », qui est elle aussi nécessaire en tant que « fiction nécessaire », c’est celle de la démocratie en tant que procédure, celle de la cérémonie de la campagne et du vote. Celle de l’illusion que le nombre peut battre le rapport de forces, que les 51% plus pauvres de la société peuvent imposer leur intérêt au 49% le plus riche. En pratique, cela ne marche jamais comme ça. Le gouvernement élu travaille à l’intérieur des contraintes que lui impose le rapport de forces. Si le résultat sorti des urnes est trop différent du rapport de forces réel, des tensions – souvent fatales au processus démocratique – apparaissent, tout simplement parce que, comme dans l’exemple de la « machine » que j’ai donné plus haut, les généraux que la machine prédit battus ne sont pas vraiment convaincus que la prédiction reflète la réalité et sont prêts à la tester dans le champ de bataille. Cela étant dit, la dialectique sociale est telle que généralement ceux à qui le rapport de forces est favorable ont les moyens de traduire ce rapport de force dans les urnes.

      Cela répond aussi à votre dernière question. Non, je ne "souhaite pas un autre" système parce que je ne crois pas qu’un autre système soit meilleur, en ce sens que dans une vision matérialiste la démocratie est le régime qui minimise le coût lié à la manifestation du rapport de forces.

    • Bruno dit :

      Bonjour Descartes,

      Désolé de revenir longtemps après sur ce sujet, mais une question me trotte dans la tête : qu’entendez-vous par "classes moyennes"? Cette expression étant devenu un fourre-tout, je souhaitais connaitre votre définition précise. Merci

    • Descartes dit :

      @ Bruno

      [Désolé de revenir longtemps après sur ce sujet, mais une question me trotte dans la tête : qu’entendez-vous par "classes moyennes"? Cette expression étant devenu un fourre-tout, je souhaitais connaître votre définition précise. Merci]

      J’ai essayé de définir les classes moyennes de manière à constituer une classe au sens marxiste du terme. Cela implique de les définir à partir de leur position dans le mode de production. Je suis donc parti de l’idée qu’il existe des travailleurs dont le travail est rémunéré en dessous de la valeur qu’ils produisent – le prolétariat – et des gens qui empochent la différence du fait de leur contrôle du capital – la bourgeoisie. Entre les deux, il y a un groupe qui possède suffisamment de capital – matériel et immatériel – pour pouvoir récupérer la valeur qu’il produit, mais pas assez pour extraire de la valeur des autres. C’est cela pour moi les classes moyennes.

  8. Marcailloux dit :

    Bonjour,
    Contrairement à certain commentateur, je trouve ce billet tout à fait pertinent, et j’en partageais les fondements bien avant de le lire.
    J’objecterais cependant deux remarques sur ce qui aurait pu le compléter.
    – La première concerne la duplicité insupportable des média qui, du bout des lèvres, se désolent de ce genre de situation. Elles se repaissent néanmoins du sujet, en se frottant les mains de l’audimat ou des ventes que cela occasionne.
    – La seconde porte sur le symptôme que représente l’importance accordée par l’ensemble des acteurs reconnus dans l’opinion – ceux qui parlent sur les ondes ou décident dans leurs administration -, symptôme d’une société qui s’ennuie, qui égoïstement s’angoisse d’un rien, joue à se faire peur, s’excite à s’alarmer de broutilles, se drape dans des indignations infantiles.
    @ marc.malesherbes,
    Qui, parmi les gens un peu sensés, peut prétendre ne pas se soucier de la préservation de l’environnement, à commencer par le sien tout d’abord. Faut-il impérativement militer dans un parti écologiste et à l’occasion faire le coup de poing pour défendre l’intégrité de la planète qui nous héberge? C’est par un respect quotidien et individuel des préceptes de non gaspillage des matières, de soins apportés à la nature que nous côtoyons, de modération dans notre mode de consommation, etc….que nous entretiendrons un environnement agréable à vivre, en acceptant de modifier la nature pour l’accès à un progrès profitable à tous. J’ai eu l’occasion, dernièrement, de traverser un lieu où s’était déroulée une manifestation contre l’exploitation des gaz de schiste en Ardèche, où je réside. Je partage une part des questionnements que cela occasionne dans notre région, et là n’est pas le problème. Ce qui m’a stupéfait de la part des "écologistes" manifestants, c’est l’état des lieux après leur passage. C’est quoi, au juste, l’écologie?

    • Descartes dit :

      @ Marcailloux

      [La seconde porte sur le symptôme que représente l’importance accordée par l’ensemble des acteurs reconnus dans l’opinion – ceux qui parlent sur les ondes ou décident dans leurs administration -, symptôme d’une société qui s’ennuie, qui égoïstement s’angoisse d’un rien, joue à se faire peur, s’excite à s’alarmer de broutilles, se drape dans des indignations infantiles.]

      Bonne remarque…

      [C’est quoi, au juste, l’écologie?]

      Le terme « écologie » vient de « oikos » (maison, habitat) et « logos » (connaisance). C’est la discipline scientifique qui étude les rapports entre les organismes et leur milieu. Ceux qui pratiquent cette discipline sont appelés « écologues »…

      A l’inverse, « l’écologisme » est un courant de pensée anti-humaniste qui place la « nature » au centre de sa réflexion. Les gens qui adhérent à ce courant de pensée sont appelés « écologistes »…

    • Marcailloux dit :

      Bonjour,
      @ Descartes,
      Merci pour la réponse académique sur ce qu’est l’écologie, elle renforce celles que j’ai eu l’occasion de consulter. En fait, ma question s’adressant précisément à marc.malesherbes, j’attendais de lui une réponse dans la logique de son positionnement personnel, et en regard de l’anecdote que je décris. Aussi, aurai-je dû formuler la question ainsi: "C’est quoi, pour vous marc.malesherbes, l’écologie ?".

  9. Pablito Waal dit :

    Bonsoir Descartes, je suis globalement en grand accord avec votre article. Mais avez-vous une source pour les affirmations suivantes : 1) la grande majorité des élus du Tarn approuvaient le projet de Sivens ; 2) un ou des cocktails Molotov ont été lancés aux policiers lors des affrontements avec des "Zadistes", notamment lors de celui qui vit la mort de Rémi Fraisse ? Cordialement.

    • Descartes dit :

      @ Pablito Waal

      [Bonsoir Descartes, je suis globalement en grand accord avec votre article. Mais avez-vous une source pour les affirmations suivantes : 1) la grande majorité des élus du Tarn approuvaient le projet de Sivens ;]

      Je vous renvoie au vote sur le projet au Conseil Général du Tarn. Si ma mémoire ne me trahit pas, sur 46 membres il y eut 43 votes favorables, deux abstentions et un vote contre. Etant donné le mode d’élection des conseillers généraux, on peut penser que la position des conseillers municipaux n’est probablement pas trop différente.

      [2) un ou des cocktails Molotov ont été lancés aux policiers lors des affrontements avec des "Zadistes", notamment lors de celui qui vit la mort de Rémi Fraisse ?]

      On voit clairement, dans une vidéo amateur présentée comme étant prise le jour ou Rémi Fraisse s’est joint aux manifestant et diffusée sur France 3, un gendarme mobile entouré par les flammes. Dans la mesure où les phénomènes de combustion spontanée sont relativement rares dans la Gendarmerie Nationale, j’en conclus qu’un cocktail Molotov au moins a été lancé contre les forces de l’ordre.

    • Pablito Waal dit :

      Bonjour Descartes,

      merci de cette réponse.

  10. Le petit républicain dit :

    Hélas comme souvent, pour ne pas dire toujours , je partage votre analyse. Je dis "hélas" car oui! Je suis las d’être d’accord avec vous; non pas que la substance même de vos réflexions heurte mon âme sensible, mais c’est qu’en tant qu’esprit coutumier, certains diront coupable, de crises aiguës de malpensance, j’attache, par principe, une importance toute particulière à l’indépendance de ma pensée. Certes, l’indépendance de la pensée n’est pas synonyme de l’isolement de celle-ci, me direz-vous! Et j’en conviens tout à fait. Néanmoins, mon approbation de vos écrits étant devenue presque systématique, je vous reproche, non sans humour, de me faire tomber dans une malpensance chronique. Bien évidemment, en disant cela, d’une part, c’est la faiblesse de mon jugement que je redoute, d’autant plus dans une époque qui veut nous empêcher de penser; d’autre part, je ne veux nullement faire injure à la parcimonie de votre jugement, que, en tant que lecteur assidu, je qualifierais, si vous me le permettez, de radical (au sens latin du terme, c’est donc, pour moi, un compliment); et donc loin de la simple et vaine posture contradictoire à laquelle peut parfois pousser le système "médiatico-politique" mais qui en est en fait, à bien des égards, la caution.

    C’est donc parce que, vous l’aurez compris, je tiens votre pensée en haute estime et que je la crois radicale que je voudrais la lire sur le sujet de fond qui, à mon humble avis, est le nœud gordien du XXIÈME siècle (la personne qui le tranchera sera-t-elle donc le maître du siècle comme Alexandre fut maître de l’Asie?), celle du rapport de notre monde, et plus particulièrement de l’idéologie libérale qui le domine, à sa finitude.

    Je m’explique:

    vous dénoncez le modus operandi et le pouvoir de nuisance d’un certain nombre d’associations anarcho-gaucho-écologistes agissant au mépris des règles les plus élémentaires de la démocratie, cette dénonciation me ravit; vous critiquez la "médiatisation à outrance" qui effraie et paralyse nos politiques et nos élus, cette critique m’enchante; vous fustigez l’indignation à géométrie variable des "médias et leaders bienpensants", je ne saurais mieux dire; vous invoquez le monopole de la violence légitime de l’État, cela m’ébaudit…

    Mais voilà, vous n’évoquez pas ce qui est, à mon sens, le cœur du sujet, à savoir "la pensée des limites" comme le disait Heidegger. Ô je ne vous en fais guère le reproche, vous êtes absolument libre de traiter les sujets que vous voulez sous l’angle qui vous semble le plus pertinent, je ne fais là qu’exprimer un souhait et une interrogation:
    Aussi juste que soit votre analyse du traitement politico-médiatique de ce fait d’actualité, n’est-ce pas justement céder à la frénésie médiatique et à la fébrilité politique que de ne pas traiter le sujet de manière radicale?

    Je ne parle pas en particulier du barrage de Sivens qui comme vous l’avez souligné est un "projet d’importance minime". D’ailleurs, si les opposants à ce barrage bénéficient du soutien à peine voilé des médias et de la frange gaucho-bienpensante de la classe politique, c’est bien que leur critique du système capitaliste est purement formelle, partielle et inoffensive (à ce sujet, les exploitants agricoles à qui est destiné le barrage ne semblent pas vraiment être, d’après ce que j’ai compris, l’incarnation du "prédateur capitaliste"). Pour aller au bout du raisonnement, je dirais même que ces organisations prétendument écologistes ne font que renforcer le capitalisme en cela qu’elles sont pour la plupart libérales (mais attention pas le méchant libéralisme économique) et libertaires. Mais cela n’est finalement que peu surprenant quand on s’intéresse à la composition sociologique de leurs militants: issus des classes moyennes avec un niveau d’instruction assez élevé en général. En somme, en se parant des atours (fort peu crédibles faut-il dire) de l’anti-capitalisme, ces nébuleuses gauchistes se veulent faire le médecin chargé d’amputer le libéralisme de son membre gangrené, alors qu’elles ne sont en fait qu’une des têtes de l’hydre qu’elles se font fort de combattre dans leurs discours.

    À ce stade, ce ne serait plus une révélation que de vous avouer que je voue un mépris singulier à ces organisations, et étant plutôt homme à être économe de son mépris comme le recommandait Chateaubriand ("En ces temps difficiles, il convient d’accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux."), il sera difficile de me faire croire que cela est dû à un manque de de tolérance de ma part. Je pense plutôt que leur incohérence idéologique exaspèrerait tout esprit en quête d’une vision quelque peu radicale des choses en général et de l’écologie en particulier. Pour en revenir à la racine du terme, il faut rappeler que l’écologie est la science qui étudie les relations des hommes avec leur habitat, leur environnement. Un écologiste n’étant pas forcément un scientifique (appelé écologue), c’est donc qu’il souhaite préserver une certaine vision des relations entre l’Homme et son environnement. En d’autres termes, l’écologisme est une idéologie fondamentalement et absolument conservatrice. En particulier, le véritable écologiste devrait se récrier contre le libéralisme en cela que ce dernier se fonde sur une révolution des rapports entre l’Homme et son environnement ainsi que sur une révolution permanente des relations sociales entre les hommes eux-même. En effet, la propagation de la logique libérale à toutes les dimensions de la vie de l’individu révolutionne son rapport à tout ce qui l’entoure dans la mesure où celui-ci n’y voit plus que la possibilité d’une extension infinie de ses droits, aussi bien sur la nature ("l’offre créant sa propre demande" avec l’aide de la publicité, il est permis de tout produire puisque tout se vendra à ce Frankenstein qui a remplacé l’homme: le consommateur) que sur les autres hommes (GPA par exemple). Or, en dépit des illusions d’infini dont l’idéologie libérale nous berce depuis quelques décennies au moins, il faudra tôt ou tard en revenir à la racine, celle si gênante qui fait de nous des êtres finis vivant dans un monde fini, sauf à découvrir le secret de l’immortalité ou à conquérir l’univers (dont Einstein disait qu’il a des chances d’être infini mais tout de même moins que la bêtise humaine). Comprenez-moi bien: il s’agit moins de nier la capacité séculaire de l’homme devenu, selon la préconisation de René Descartes, "maître et possesseur de la nature" à triompher par son intelligence des contraintes naturelles qui s’imposent à lui, que de saisir le renversement anthropologique induit par le libéralisme (et/ou ses dérives).

    Pour finir, j’aimerais ajouter une précision, je ne suis pas foncièrement anti-libéral (en économie par exemple, cela dépend des sujets…) et encore moins écologiste mais je veux simplement me faire le contempteur du libéralisme contemporain, certains diront de sa dégénérescence (c’est un autre débat), par pragmatisme et humanisme. Il s’agit donc bien d’une démarche de questionnement pleine de doute à laquelle il me semble enrichissant (au moins pour moi) que vous participiez.

    • Descartes dit :

      @ Le petit républicain

      [Aussi juste que soit votre analyse du traitement politico-médiatique de ce fait d’actualité, n’est-ce pas justement céder à la frénésie médiatique et à la fébrilité politique que de ne pas traiter le sujet de manière radicale?]

      De quel « sujet » parlez-vous ? J’avoue qu’après avoir relu plusieurs fois votre commentaire, je n’ai toujours pas compris.

    • Le petit républicain dit :

      Avec plus de concision:

      Les militants écologistes dont vous parlez dénoncent le droit infini de l’homme à exploiter des ressources naturelles qui, elles, sont finies. Mais ils ne voient pas ou ne veulent pas voir que cette extension illimitée des droits de l’individu obéit à une logique bien plus large: celle du libéralisme disons contemporain(1) qui étend la logique marchande à toutes les sphères de la société. Par conséquent, critiquer l’action de l’homme sur la nature ne peut, selon moi, être efficace que si l’on questionne le libéralisme dans toutes ses dimensions (tant économique que sociétale). À mes yeux, toute critique partielle du libéralisme contemporain est vaine car elle omet que celui-ci révolutionne le rapport de l’individu à ce qui l’entoure en lui faisant croire que "tout est possible".

      Je crois donc que la question centrale est de savoir quelle limite on doit imposer à l’extension des droits de l’individu sur ce qui l’entoure (y compris les autres hommes).

      Qu’en pensez-vous?

      (1): Parler de libéralisme contemporain est quelque peu abusif, j’en ai conscience. Cependant, je dirais simplement que depuis sa naissance aux 16ème et 17éme siècles (guerres de religions), la pensée libérale a toujours été subordonnée à un pouvoir supérieur (État, religion…), ce qui ne me semble plus être le cas aujourd’hui.

    • Descartes dit :

      @ le petit républicain

      [Les militants écologistes dont vous parlez dénoncent le droit infini de l’homme à exploiter des ressources naturelles qui, elles, sont finies. Mais ils ne voient pas ou ne veulent pas voir que cette extension illimitée des droits de l’individu obéit à une logique bien plus large: celle du libéralisme disons contemporain(1) qui étend la logique marchande à toutes les sphères de la société.]

      « Libéralisme » est devenu un mot-valise qui veut dire tout et n’importe quoi, sur lequel on plaque toute sorte de fantasmes. Il faut donc bien se rappeler ce qu’est le libéralisme, et surtout contre quoi cette théorie politique s’est constituée. Parce que si le combat contre le libéralisme doit aboutit à un retour aux vision holistes, corporatistes ou totalitaires de la société, ce n’est vraiment pas la peine.

      Le libéralisme, c’est la manifestation de l’esprit des Lumières dans le champ politique. La théorie libérale se construit contre deux ennemis : l’Eglise, qui prétend imposer à la société sa vision totalitaire, et l’Etat construit par la monarchie absolue qui proclame la sujétion absolue du sujet à son monarque. Contre ces deux visions, elle met l’homme comme individu au centre du processus. La grande conquête du libéralisme, c’est d’avoir séparé l’homme de la communauté, en le faisant sujet de droits qui lui sont personnels et inaliénables. Ce qui ouvre la voie à la séparation des sphères privée et publique. Nous n’imaginons pas aujourd’hui combien cette vision était révolutionnaire à l’époque.

      Mais il ne faut pas confondre « libéral » et « libertaire ». Paradoxalement, on accuse le libéralisme de « l’extension de la logique marchande à toutes les sphères de la société » alors que le libéralisme n’a jamais défendu une telle position. Pour le libéral, l’Etat exerce des fonctions qui ne sauraient être exercées par quiconque d’autre. Ce sont au contraire les « libertaires », qui par une critique radicale de l’Etat ont ouvert la voie à la « marchandisation » de toutes les sphères de la société.

      Je reviens donc sur votre idée du « droit infini de l’homme à exploiter les ressources naturelles ». Si vous souhaitez contester ce « droit », il faut le faire au nom de quelque chose. Soit il s’agit d’une limite transcendante – imposée par un dieu, par exemple – soit il s’agit d’une limite purement humaine, et il faudrait me dire laquelle…

      [Par conséquent, critiquer l’action de l’homme sur la nature ne peut, selon moi, être efficace que si l’on questionne le libéralisme dans toutes ses dimensions (tant économique que sociétale). À mes yeux, toute critique partielle du libéralisme contemporain est vaine car elle omet que celui-ci révolutionne le rapport de l’individu à ce qui l’entoure en lui faisant croire que "tout est possible".]

      Vous confondez ici « libéralisme » et « humanisme ». La question de l’action de l’homme sur la nature se posera exactement dans les mêmes termes dans une société socialiste ou communiste. L’idée que « tout est possible » est inséparable de la vision humaniste, comme l’a parfaitement résumé Nietzsche : « si Dieu est mort, tout est possible ». Si vous ne voulez pas que « tout soit possible », alors il faut ressusciter Dieu. C’est d’ailleurs ce que font les écologistes, en appelant « nature » leur nouveau dieu.

      [Je crois donc que la question centrale est de savoir quelle limite on doit imposer à l’extension des droits de l’individu sur ce qui l’entoure (y compris les autres hommes).]

      Mais c’est qui ce « on » qui pourrait « imposer des limites à l’extension des droits de l’individu sur ce qui l’entoure » ? Sauf à ressusciter un dieu qui imposerait des limites, vous êtes ramené toujours au même problème : seuls les individus pourraient « imposer » des limites aux individus… ce qui suppose leur reconnaître le pouvoir illimité sur « ce qui les entoure, y compris les autres hommes ».

    • Le petit républicain dit :

      @Descartes

      [Parce que si le combat contre le libéralisme doit aboutir à un retour aux visions holistes, corporatistes ou totalitaires de la société, ce n’est vraiment pas la peine.]

      Il s’agit moins de combattre le libéralisme que de contester sa vision de l’essence de l’homme : le libéralisme considère l’homme comme un animal par essence avide de droits, productif, né pour fabriquer et échanger. J’oppose à cette vision de l’homme l’idée républicaine (implicite) d’un homme par essence raisonnable dont la liberté ne peut passer que par la possession de soi. Or, le libéralisme, censé à l’origine « mettre l’individu au centre du processus » comme vous l’avez rappelé, aboutit paradoxalement aujourd’hui, selon moi, à déposséder l’homme de lui-même. L’idée républicaine de l’homme ne s’oppose pas forcément à la vision libérale mais je dirais qu’elle lui ajoute ce supplément qui permet à l’homme d’être véritablement libre, liberté qui est une conquête de sa raison et non pas une réalisation irraisonnée de ses désirs.

      [Le libéralisme, c’est la manifestation de l’esprit des Lumières dans le champ politique. La théorie libérale se construit contre deux ennemis : l’Eglise, qui prétend imposer à la société sa vision totalitaire, et l’Etat construit par la monarchie absolue qui proclame la sujétion absolue du sujet à son monarque. Contre ces deux visions, elle met l’homme comme individu au centre du processus. La grande conquête du libéralisme, c’est d’avoir séparé l’homme de la communauté, en le faisant sujet de droits qui lui sont personnels et inaliénables. Ce qui ouvre la voie à la séparation des sphères privée et publique]

      Je suis d’accord avec cela. Cependant j’ajouterais que le libéralisme est aussi né de la volonté d’éviter les guerres de religions des 16ème et 17ème siècles en Europe. Ainsi, il promeut l’idée d’une société « axiologiquement neutre » gouvernée par des mécanismes impersonnels (et donc prétendument pacifiques) tels que le droit et le marché. Si le libéralisme « ouvre la voie à la séparation des sphères privée et publique » comme vous le dites, il contraint aussi et surtout l’Etat à limiter son action à la simple assurance du bon fonctionnement de ces mécanismes impersonnels. De ce fait, l’Etat ne peut plus fonder son action sur un socle de valeurs « sacrées » ou sur un idéal philosophique quel qu’il soit puisque seul le « relativisme moral et culturel » devient garantie de paix.

      [Mais il ne faut pas confondre « libéral » et « libertaire ». Paradoxalement, on accuse le libéralisme de « l’extension de la logique marchande à toutes les sphères de la société » alors que le libéralisme n’a jamais défendu une telle position. Pour le libéral, l’Etat exerce des fonctions qui ne sauraient être exercées par quiconque d’autre. Ce sont au contraire les « libertaires », qui par une critique radicale de l’Etat ont ouvert la voie à la « marchandisation » de toutes les sphères de la société.]

      En effet, le libéralisme n’a jamais défendu «l’extension de la logique marchande à toutes les sphères de la société », néanmoins il n’est nullement besoin de « défendre » pour « induire ». Je m’explique : si, par crainte des guerres idéologiques, aucune valeur ne peut servir de fondement à une société libérale, il est tout de même nécessaire de « relier » pour construire une société. Comment faire ? Relier les individus par des liens prétendument neutres et impersonnels comme le marché et le droit, d’où l’extension de la logique marchande à toutes les sphères de la société.

      Comme vous le soulignez, le libéralisme, contrairement au libertarisme, ne formule pas une « critique radicale » de l’Etat car il a besoin de lui pour se développer : les milieux d’affaires sous le second empire étaient majoritairement favorables à l’intervention de l’Etat, seul capable, en pleine révolution industrielle, de doter le territoire des infrastructures nécessaires à la « bonne marche des affaires ». Néanmoins, si libéralisme et libertarisme divergent quant aux moyens, je crois que les fins avouées ou non sont les mêmes : l’extension de la logique juridico-marchande à toutes les sphères de la société.

      [Je reviens donc sur votre idée du « droit infini de l’homme à exploiter les ressources naturelles ». Si vous souhaitez contester ce « droit », il faut le faire au nom de quelque chose. Soit il s’agit d’une limite transcendante – imposée par un dieu, par exemple – soit il s’agit d’une limite purement humaine, et il faudrait me dire laquelle…]

      Je ne conteste pas le « droit infini de l’homme à exploiter les ressources naturelles ». Je souhaite contester la vision de l’homme faisant accroire que celui-ci est assoiffé d’illimité (cette « soif d’illimité » est une construction idéologique qui aboutit au dépassement de l’homme). C’est en ce sens que je critique le libéralisme : en promouvant une certaine idée de l’homme, le libéralisme mène au dépassement de l’humain et à sa transformation en une sorte de « trans-humain » super-consommateur, méga-producteur, sans attaches spatiales, temporelles et spirituelles. A mon sens, l’homme n’est plus homme s’il n’est pas limité.

      Vous me demandez au nom de quoi limiter l’homme et son action sur ce qui l’entoure. Je vous réponds au nom de ce qui en fait un homme. Ce n’est donc pas une limite transcendante mais immanente. Cela peut sembler quelque peu abscons mais prenons un exemple pour rendre l’idée plus concrète : Je crois avoir lu un jour sur votre blog que, d’après vous, on interdit aux hommes de vendre leurs organes, c’est-à-dire d’adopter un rapport marchand à leur corps, car cela dégraderait les rapports sociaux. J’en suis d’accord mais je m’interroge sur la raison pour laquelle cela « dégraderait les rapports sociaux ». De deux choses l’une, soit cette dégradation des rapports sociaux est due à une vision transcendantale de l’homme basée sur une rhétorique du type « le corps est une création de dieu et doit lui revenir… », soit elle se fonde sur l’idée qu’il est profondément déshumanisant pour un individu de se séparer d’une part de son être pour de l’argent. Pour ma part, j’opterais pour la seconde possibilité. Ainsi, comme on le voit dans cet exemple, les rapports entre les hommes sont limités par leur caractère humain.

      [Vous confondez ici « libéralisme » et « humanisme ». La question de l’action de l’homme sur la nature se posera exactement dans les mêmes termes dans une société socialiste ou communiste. L’idée que « tout est possible » est inséparable de la vision humaniste, comme l’a parfaitement résumé Nietzsche : « si Dieu est mort, tout est possible ». Si vous ne voulez pas que « tout soit possible », alors il faut ressusciter Dieu. C’est d’ailleurs ce que font les écologistes, en appelant « nature » leur nouveau dieu.]

      Comme vous l’avez sans doute compris, l’idée que « tout est possible » est pour moi « anti-humaniste ».

      Vous reprenez fort justement la citation de Nietzsche : « si Dieu est mort, tout est possible ». Cela signifie que l’homme se refuse désormais à abandonner l’infini aux sphères célestes et décide de le faire sien. Eh bien, je crois que c’est là l’erreur de l’homme autant que de Nietzsche : ce n’est pas parce que l’infini n’appartient plus à Dieu qu’il tombe dans les mains de l’homme. C’est se bercer d’illusions que de croire l’homme capable d’infini, sauf à vouloir dépasser l’homme. Pour ma part, je préfère le préserver et pour cela nul n’est besoin de ressusciter Dieu : il faut seulement « tuer l’infini en tuant Dieu » !

      D’ailleurs, Nietzsche l’avait d’une certaine façon compris puisqu’il se demande, non sans ironie : « L’homme est-il une erreur de Dieu ou Dieu une erreur de l’homme ? ». Nietzsche touche là un point essentiel : Dieu serait une création de l’homme à la recherche d’une vérité transcendante. Il considère cela comme une erreur limitant l’homme et l’empêchant de devenir « surhomme ». Quant à moi, je crois que c’est la preuve du besoin immanent de l’homme de rejeter l’idée d’infini hors de lui pour demeurer homme.

      [Mais c’est qui ce « on » qui pourrait « imposer des limites à l’extension des droits de l’individu sur ce qui l’entoure » ?]

      Si vous me demandez quelle structure peut imposer de telles limites, je vous répondrai que l’Etat a un rôle essentiel à jouer, et, dans le cas particulier de la France, je dirai que ce rôle s’inscrit dans la continuité philosophique des principes républicains d’émancipation de l’individu par la raison.

      [Sauf à ressusciter un dieu qui imposerait des limites, vous êtes ramené toujours au même problème : seuls les individus pourraient « imposer » des limites aux individus… ce qui suppose leur reconnaître le pouvoir illimité sur « ce qui les entoure, y compris les autres hommes ».]

      Oui, je reconnais à cette structure, quel que soit son nom, le pouvoir de limiter l’homme pour qu’il demeure homme. Et je n’invente rien : la IIIème république a eu ce souci constant au moins jusqu’à la 1ère guerre mondiale (voire jusqu’à la seconde) de préserver la nature des rapports entre les hommes, de ralentir le changement, dans une société confrontée à des évolutions au moins aussi brutales que celles de notre époque.

      Et pourquoi ce pouvoir devrait-il être illimité ? Ce serait un pouvoir humain donc fini, porté par l’homme pour l’homme. L’infini, si l’on considère qu’il existe, ne peut être, selon moi, l’apanage de l’Homme. Toute la responsabilité d’un tel pouvoir consisterait donc justement à renoncer aux rêves d’infini, ce qui ne signifie pas abandonner l’idée de progrès.

    • Descartes dit :

      @ le petit républicain

      [Il s’agit moins de combattre le libéralisme que de contester sa vision de l’essence de l’homme: le libéralisme considère l’homme comme un animal par essence avide de droits, productif, né pour fabriquer et échanger.]

      Mais d’où avez-vous sorti une idée aussi biscornue du « libéralisme » ? Je pense que vous tombez un peu vite dans le travers qui consiste à faire du « libéralisme » un mot-valise, un épouvantail qu’on charge de tout ce qu’on n’aime pas. Non, les penseur libéraux n’ont jamais considéré l’homme un « animal né pour produire et échanger ». Lisez par exemple « La théorie des sentiments moraux » d’Adam Smith, ou l’auteur aborde la question de l’universalité des notions morales. Le libéralisme, il ne faudrait pas l’oublier, est l’idéologie politique des Lumières. Voltaire, Rousseau, Diderot sont des « libéraux ». Et j’ai du mal à trouver chez Voltaire ou Diderot une conception aussi étriquée de l’homme.

      [J’oppose à cette vision de l’homme l’idée républicaine (implicite) d’un homme par essence raisonnable dont la liberté ne peut passer que par la possession de soi.]

      C’est quoi la « possession de soi » ? Vous avez l’air que l’idée d’un homme « par essence raisonnable » s’oppose à la vision libérale. Mais c’est exactement le contraire : ce sont les humanistes libéraux des Lumières qui ont mis une confiance infinie – et certains diront excessive – dans la raison humaine.

      [Or, le libéralisme, censé à l’origine « mettre l’individu au centre du processus » comme vous l’avez rappelé, aboutit paradoxalement aujourd’hui, selon moi, à déposséder l’homme de lui-même.]

      Pourriez-vous s’il vous plait donner un exemple précis ? Je ne suis pas sûr de comprendre – en fait je suis sûr du contraire – cette histoire de « possession » ou de « dépossession » de l’homme par rapport à lui-même.

      [Je suis d’accord avec cela. Cependant j’ajouterais que le libéralisme est aussi né de la volonté d’éviter les guerres de religions des 16ème et 17ème siècles en Europe.]

      Je ne le crois pas. Une idéologie ne nait pas d’une « volonté ». Je ne crois pas un instant que Voltaire, Hume, Locke ou Rousseau se soient dit un jour « tiens, pour éviter les guerres de religion on va inventer une nouvelle théorie politique ». Le libéralisme est l’idéologie produite dialectiquement par l’apparition d’une nouvelle classe sociale, la bourgeoisie, dont les intérêts s’opposent tant au pouvoir de l’Eglise – qui bloque l’extension du progrès scientifique et technique et donc de la productivité du capital – qu’à celui de l’Etat absolutiste qui réserve le pouvoir et les charges à une aristocratie.

      [Ainsi, il promeut l’idée d’une société « axiologiquement neutre » gouvernée par des mécanismes impersonnels (et donc prétendument pacifiques) tels que le droit et le marché.]

      Non. Certains penseurs libéraux, comme Rousseau ou Diderot, ne sont pas hostiles à un gouvernement personnel – c’est encore plus net avec Voltaire. Même Smith, dont on fait le père de « la main invisible du marché », accorde à la société une fonction morale qui va bien plus loin que le simple gouvernement par des « mécanismes impersonnels ».

      [Si le libéralisme « ouvre la voie à la séparation des sphères privée et publique » comme vous le dites, il contraint aussi et surtout l’Etat à limiter son action à la simple assurance du bon fonctionnement de ces mécanismes impersonnels.]

      Pas nécessairement. Les penseurs libéraux n’ont pas tous été « libertaires ». Keynes, pour ne nommer que lui, est d’abord et avant tout un économiste libéral.

      [De ce fait, l’Etat ne peut plus fonder son action sur un socle de valeurs « sacrées » ou sur un idéal philosophique quel qu’il soit puisque seul le « relativisme moral et culturel » devient garantie de paix.]

      Encore une fois, vous faites erreur. Libéralisme n’est pas synonyme de relativisme. Encore une fois, ce sont les penseurs libéraux qui ont émis l’hypothèse de « droits universels » attachés à la condition humaine et ayant un statut « sacré » qui ne tolère aucun « relativisme ».

      [En effet, le libéralisme n’a jamais défendu «l’extension de la logique marchande à toutes les sphères de la société », néanmoins il n’est nullement besoin de « défendre » pour « induire ». Je m’explique : si, par crainte des guerres idéologiques, aucune valeur ne peut servir de fondement à une société libérale, il est tout de même nécessaire de « relier » pour construire une société. Comment faire ? Relier les individus par des liens prétendument neutres et impersonnels comme le marché et le droit, d’où l’extension de la logique marchande à toutes les sphères de la société.]

      Encore une fois, rien n’empêche une société libérale d’avoir un fondement idéologique. Chez les contractualistes comme Rousseau, pour ne donner qu’un exemple, ce fondement est le « contrat social ». La révolution française, révolution avant tout libérale, sacralise les droits de l’homme sans crainte des « guerres idéologiques ». Je crois que vous avez une idée fausse de ce qu’est le « libéralisme ».

      [Je ne conteste pas le « droit infini de l’homme à exploiter les ressources naturelles ». Je souhaite contester la vision de l’homme faisant accroire que celui-ci est assoiffé d’illimité (cette « soif d’illimité » est une construction idéologique qui aboutit au dépassement de l’homme).]

      En d’autres termes, vous pensez que l’homme peut atteindre un degré de développement et de satisfaction de ses besoins où il déclarera spontanément « ça me suffit » et ne cherchera plus a créer rien de nouveau ? Mais c’est une vision d’une tristesse infinie… imaginez-vous, on décidera que les livres déjà écrits nous suffisent, qu’il n’est point besoin d’en écrire d’autres. Que les œuvres d’art déjà produites sont largement suffisantes, et qu’il n’est pas utile d’en faire d’autres. Que le savoir accumulé nous suffit, et qu’il n’y a rien de beau ou d’utile à chercher de nouvelles idées…

      Merci le libéralisme, pour avoir mis au placard les idées « déclinistes » de la pensée médiévale – celui d’un « âge d’or » qu’on ne pourrait jamais égaler – et nous avoir donné cette image d’un être humain « assoiffé d’illimité »…

      [C’est en ce sens que je critique le libéralisme : en promouvant une certaine idée de l’homme, le libéralisme mène au dépassement de l’humain et à sa transformation en une sorte de « trans-humain » super-consommateur, méga-producteur, sans attaches spatiales, temporelles et spirituelles. A mon sens, l’homme n’est plus homme s’il n’est pas limité.]

      Vous voulez dire que l’homme n’est pas homme à partir du moment où il ne vit plus dans une caverne couvert de peaux de bêtes, qu’il ne vit plus de la chasse et de la pêche, qu’il s’accouple en toute saison, en un mot, depuis qu’il a échappé aux déterminations naturelles qui sont le lot du règne animal ? Parce qu’il faut bien être conscient que c’est à cette conclusion que conduit votre raisonnement : si l’homme doit être « limité » pour ne pas devenir un « super consommateur, méga producteur, sans attaches spatiales, temporelles, spirituelles », où mettriez-vous les limites ? Qu’est ce qui vous permet de dire que l’homme du temps de François Ièr n’était pas déjà un « méga producteur… etc. » ?

      [Vous me demandez au nom de quoi limiter l’homme et son action sur ce qui l’entoure. Je vous réponds au nom de ce qui en fait un homme. Ce n’est donc pas une limite transcendante mais immanente.]

      Mais qu’est ce qui est « immanent » dans l’homme ?

      [Cela peut sembler quelque peu abscons mais prenons un exemple pour rendre l’idée plus concrète : Je crois avoir lu un jour sur votre blog que, d’après vous, on interdit aux hommes de vendre leurs organes, c’est-à-dire d’adopter un rapport marchand à leur corps, car cela dégraderait les rapports sociaux.]

      Précision : en France, le législateur – et non pas un « on » impersonnel – a interdit le commerce des organes humains, et cela sur des arguments d’utilité sociale. Dans d’autres pays, ce commerce est parfaitement licite. Ce qui vous montre que c’est une question de l’idée que chaque société se fait de « l’utilité sociale », et du prix qu’elle est prête à payer pour elle. Il n’y a rien « d’immanent » là dedans.

      [J’en suis d’accord mais je m’interroge sur la raison pour laquelle cela « dégraderait les rapports sociaux ». De deux choses l’une, soit cette dégradation des rapports sociaux est due à une vision transcendantale de l’homme basée sur une rhétorique du type « le corps est une création de dieu et doit lui revenir… », soit elle se fonde sur l’idée qu’il est profondément déshumanisant pour un individu de se séparer d’une part de son être pour de l’argent. Pour ma part, j’opterais pour la seconde possibilité. Ainsi, comme on le voit dans cet exemple, les rapports entre les hommes sont limités par leur caractère humain.]

      Vous oubliez une troisième possibilité : que la marchandisation du corps humain puisse générer des effets indésirables en poussant à des comportements qui en dernière instance réduisent l’efficacité de la société dans son ensemble. C’est un peu le même raisonnement que pour le droit de propriété : s’il est sacralisé, c’est parce que dans une société où le droit de propriété n’est pas protégé, personne n’a intérêt à investir…

      [Comme vous l’avez sans doute compris, l’idée que « tout est possible » est pour moi « anti-humaniste ».]

      C’est une vision de l’humanisme qui vous est très personnelle. Pour la plupart des penseurs, l’humanisme est cette doctrine qui justement en chassant Dieu laisse à l’homme totalement libre, et du coup totalement responsable de ses actes.

      [Vous reprenez fort justement la citation de Nietzsche : « si Dieu est mort, tout est possible ». Cela signifie que l’homme se refuse désormais à abandonner l’infini aux sphères célestes et décide de le faire sien. Eh bien, je crois que c’est là l’erreur de l’homme autant que de Nietzsche : ce n’est pas parce que l’infini n’appartient plus à Dieu qu’il tombe dans les mains de l’homme. C’est se bercer d’illusions que de croire l’homme capable d’infini, sauf à vouloir dépasser l’homme. Pour ma part, je préfère le préserver et pour cela nul n’est besoin de ressusciter Dieu : il faut seulement « tuer l’infini en tuant Dieu » !]

      Vous savez, vous avez le droit d’être anti-humaniste si cela vous chante. Ce n’est pas un pêché ni une tare… mais vous ne pouvez pas vous dire « humaniste » et en même temps déclarer que « l’homme est incapable d’infini » et faire appel à une puissance transcendante pour « limiter » l’homme. Car c’est exactement ce que vous proposez : pour « tuer l’infini », il vous faut bien un tueur. Qui ne peut être l’homme, puisque celui-ci est « limité ». Dieu, que vous avez chassé par la porte, retourne par la fenêtre.

      [D’ailleurs, Nietzsche l’avait d’une certaine façon compris puisqu’il se demande, non sans ironie : « L’homme est-il une erreur de Dieu ou Dieu une erreur de l’homme ? ». Nietzsche touche là un point essentiel : Dieu serait une création de l’homme à la recherche d’une vérité transcendante. Il considère cela comme une erreur limitant l’homme et l’empêchant de devenir « surhomme ».]

      Bien entendu. Voltaire l’avait dit dans des termes plus avenants : « si Dieu a fait l’homme à son image, il faut reconnaître que l’homme le lui a bien rendu ».

      [Quant à moi, je crois que c’est la preuve du besoin immanent de l’homme de rejeter l’idée d’infini hors de lui pour demeurer homme.]

      En d’autres termes, vous êtes anti-humaniste. Dont acte.

      [Mais c’est qui ce « on » qui pourrait « imposer des limites à l’extension des droits de l’individu sur ce qui l’entoure » ?][Si vous me demandez quelle structure peut imposer de telles limites, je vous répondrai que l’Etat a un rôle essentiel à jouer, et, dans le cas particulier de la France, je dirai que ce rôle s’inscrit dans la continuité philosophique des principes républicains d’émancipation de l’individu par la raison.]

      En d’autres termes, ce « on » est pour vous humain. C’est l’être humain qui seul peut imposer des limites à l’être humain. Et s’il a le pouvoir de les établir, alors il a aussi le pouvoir de les supprimer. Il est donc bien « illimité ». CQFD.

      Vous ne vous en sortirez pas : si l’homme est « limité », il faut bien que ces limites viennent d’un être extérieur à lui. Et cet ailleurs ne peut être que Dieu, sous une forme ou une autre.

      [Toute la responsabilité d’un tel pouvoir consisterait donc justement à renoncer aux rêves d’infini, ce qui ne signifie pas abandonner l’idée de progrès.]

      Là encore, vous voulez le beurre et l’argent du beurre. Si vous voulez un homme « fini », cela suppose qu’il existe une ligne au delà de laquelle in ne peut aller. Donc un état à partir duquel aucun « progrès » n’est possible.

    • Ruben dit :

      @descartes
      [Encore une fois, vous faites erreur. Libéralisme n’est pas synonyme de relativisme. Encore une fois, ce sont les penseurs libéraux qui ont émis l’hypothèse de « droits universels » attachés à la condition humaine et ayant un statut « sacré » qui ne tolère aucun « relativisme ».]
      La catégorie "droits universels" ne nous dit rien sur ce qu’elle contient, et il faut bien concilier ces droits entre eux dont aucun n’est donc absolu.
      [C’est une vision de l’humanisme qui vous est très personnelle. Pour la plupart des penseurs, l’humanisme est cette doctrine qui justement en chassant Dieu laisse à l’homme totalement libre, et du coup totalement responsable de ses actes.]
      Libre de ce qu’il peut faire (qui est beaucoup avec de l’effort et du travail certes), pas de tout. Tout n’est pas possible. Vous n’avez pas rappelé pour rien, dans un de vos billets, la primauté de l’histoire sur la philosophie en politique, puisque cette dernière dit ce qui est souhaitable et non ce qui est possible.
      [Vous ne vous en sortirez pas : si l’homme est « limité », il faut bien que ces limites viennent d’un être extérieur à lui. Et cet ailleurs ne peut être que Dieu, sous une forme ou une autre.]
      Elles viennent de la réalité, de nos conditions matérielles et de nos limitations temporelles.

    • Descartes dit :

      @Ruben

      [Encore une fois, vous faites erreur. Libéralisme n’est pas synonyme de relativisme. Encore une fois, ce sont les penseurs libéraux qui ont émis l’hypothèse de « droits universels » attachés à la condition humaine et ayant un statut « sacré » qui ne tolère aucun « relativisme ».][La catégorie "droits universels" ne nous dit rien sur ce qu’elle contient, et il faut bien concilier ces droits entre eux dont aucun n’est donc absolu.]

      Il y a je crois ici une petite confusion sémantique. En matière de droits, on appelle « relativiste » l’école qui considère que les droits des hommes sont liés à la culture, à la tradition, à l’histoire de chaque peuple. Pour un relativiste, la légitimité des lois de chaque peuple, de chaque groupe doit être jugée dans le contexte de la culture de ce peuple, et non suivant des canons universels. Ainsi, par exemple, le « relativiste » se refuse à condamner l’excision chez les peuples ou les collectivités qui le pratiquent traditionnellement. A la limite, il pensera que les tribunaux français doivent relaxer ceux qui pratiquent une excision en France, pourvu qu’elle soit pratiquée à l’intérieur d’une collectivité ou cet acte fait partie de la tradition et est considéré comme légitime.

      L’opposé d’un droit « relatif » n’est pas un droit « absolu », mais un droit « universel ». Pour « l’universaliste », au contraire du « relativiste », certains droits dits « universels » sont attachés intrinsèquement à l’être humain et inséparables de lui. Il est titulaire de ces droits « naturellement », alors même qu’aucune loi ni constitution ne lui accordent, et l’acte par lequel un gouvernement viole ces droits est illégitime. Ainsi, par exemple, lorsque la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 proclame que « les hommes naissent libres et égaux en droits », cette affirmation est universelle : elle s’applique à tous les hommes sans exception.

      Les « droits universels » peuvent être selon les auteurs plus ou moins étendus, mais il y a consensus sur les quatre droits dits « fondamentaux » : la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. La plupart des autres droits sont déduits de ceux-ci.

      [C’est une vision de l’humanisme qui vous est très personnelle. Pour la plupart des penseurs, l’humanisme est cette doctrine qui justement en chassant Dieu laisse à l’homme totalement libre, et du coup totalement responsable de ses actes.][Libre de ce qu’il peut faire (qui est beaucoup avec de l’effort et du travail certes), pas de tout. Tout n’est pas possible.]

      La question de la « possibilité » n’entre pas en ligne de compte. On peut sans risque de se tromper dire que vous êtes libre de voler comme un oiseau, même si cela vous est physiquement impossible. Etre libre de faire quelque chose signifie qu’il n’existe pas de règle ni de volonté qui s’y oppose. Pas que je peux effectivement le faire.

      [Vous ne vous en sortirez pas : si l’homme est « limité », il faut bien que ces limites viennent d’un être extérieur à lui. Et cet ailleurs ne peut être que Dieu, sous une forme ou une autre.][Elles viennent de la réalité, de nos conditions matérielles et de nos limitations temporelles.]

      Non. Dans la discussion, on parlait de la liberté de l’homme, et des limites à cette liberté, et non de la question des moyens.

    • @Descartes

      Bonsoir,
      Vous en venez une fois de plus à défendre le libéralisme, en arguant à juste titre que cette philosophie politique sert de bouc-émissaire fréquent à la gauche. Et après la lecture de votre éloge ci-dessus, j’ai envie de vous demander : êtes-vous libéral ? Vous vous êtes défini plus haut comme un démocrate modéré et un matérialiste marxiste. En quoi le marxisme complèterait ou dépasserait-il le libéralisme ? Par exemple, pensez-vous que la socialisation des moyens de production soit souhaitable ? Plus généralement, comment jugez-vous l’intervention de l’État dans l’économie ?

      Votre réponse m’intéresse d’autant plus que le marxisme m’a beaucoup attiré pendant une période mais que la découverte des penseurs libéraux a sérieusement douché mon enthousiasme initial…

    • Descartes dit :

      @ Johnathan R. Razorback

      [Vous en venez une fois de plus à défendre le libéralisme, en arguant à juste titre que cette philosophie politique sert de bouc-émissaire fréquent à la gauche. Et après la lecture de votre éloge ci-dessus, j’ai envie de vous demander : êtes-vous libéral ? Vous vous êtes défini plus haut comme un démocrate modéré et un matérialiste marxiste. En quoi le marxisme complèterait ou dépasserait-il le libéralisme ?]

      Excellente question… Mais la réponse n’est pas simple. Elle tient, comme souvent dans ma réflexion, à la théorie des « fictions nécessaires ».

      Je vous dirai que je suis effectivement un libéral, dans le sens où la société idéale serait pour moi une société régie par les principes fondamentaux du libéralisme classique : séparation de la sphère privée et de la sphère publique, liberté absolue de pensée et de conscience, vision humaniste fondée sur un individu rationnel, libre et donc responsable de ses choix, rejet de toute intervention de la collectivité dans les affaires des individus dès lors que celle-ci ne repose pas sur une utilité sociale. Oui, ma « société rêvée » est certainement « libérale ». Et je suis convaincu qu’en France on arriverait assez facilement à un consensus sur ces principes, tant est profonde l’empreinte cartésienne et celle de l’esprit des Lumières dans notre pays.

      Mais alors, pourquoi être « matérialiste marxiste » ? Parce que l’idéal est une chose, et le réel en est une autre. Et dans le réel du capitalisme, le paradis libéral est impossible, tout simplement parce que les rapports de production qui caractérisent le capitalisme s’opposent frontalement à sa réalisation. Le capitalisme repose schématiquement sur le fait qu’une classe sociale – majoritaire – est dépossédée d’une partie de la valeur qu’elle produit par une autre classe – minoritaire. Pour maintenir cette dépossession, le capitalisme bafoue quotidiennement les principes du libéralisme classique, qu’il réduit à une vision non pas « libérale » mais « libertaire », qui se traduit par le fait que, dans les mots de George Bernard Shaw, les riches et les pauvres sont également libres de vivre sous les ponts.

      Ce que le matérialisme marxiste apporte au libéralisme, c’est les instruments qui permettent de comprendre les limites que la réalité impose à la mise en œuvre des principes libéraux. Faut-il pour autant jeter à la poubelle ces principes au prétexte qu’il serait impossible de les mettre en œuvre intégralement ? Je ne le pense pas. Même si nous savons que notre société est remplie d’escrocs, il est utile qu’elle soit fondée symboliquement sur l’honnêteté. Les idées libérales font partie des « fictions nécessaires » qui permettent à la République de fonctionner.

      [Par exemple, pensez-vous que la socialisation des moyens de production soit souhaitable ?]

      Souhaitable en principe, oui. Je ne vois pas pourquoi il serait « souhaitable » que des gens conservent la possibilité d’extraire de leurs employés une partie de la valeur qu’ils produisent. La fin du rapport d’exploitation nécessite la fin de la propriété privée des moyens de production. C’est une évidence.

      Maintenant, il faut être conscient que tout ce qui est souhaitable n’est pas forcément possible. Dans beaucoup de cas, la gestion privée des moyens de production conduit à une gestion très efficace des moyens de production. Si la socialisation se traduit par une gestion beaucoup moins efficace, il faut se poser des questions : que vaut-il mieux, recevoir 80% d’un gros gâteau ou 100% d’un petit ? La socialisation n’est souhaitable en pratique que si l’on est capable de trouver un mode de gestion qui soit aussi efficace que celui qui découle de la propriété privée. Les exemples – je pense à EDF – montrent que ce n’est pas impossible. Mais les exemples des pays du « socialisme réel » montrent aussi que c’est très loin d’être évident. Pour moi, c’est là l’un des sujets essentiels de réflexion si l’on veut proposer une alternative crédible au capitalisme. Personne – est surtout pas les couches populaires – s’embarquera dans une révolution pour abolir l’exploitation si cela se traduit par une baisse de son niveau de vie.

      [Plus généralement, comment jugez-vous l’intervention de l’État dans l’économie ?]

      Elle est nécessaire. Et ce n’est pas moi qui le dit, c’est Keynes, dont les antécédents libéraux et pro-capitalistes sont par ailleurs incontestables… La question n’est pas tant s’il doit intervenir, mais quels doivent être ses instruments d’intervention. Sur ce point, je ne suis pas dogmatique. Que l’Etat détienne directement certains leviers stratégiques de l’économie – le crédit, l’énergie, les grandes infrastructures – est un mode d’intervention qui me semble avoir fait ses preuves. Mais je pense qu’on peut raisonnablement laisser aux mécanismes de marché la régulation des restaurants ou de l’approvisionnement en pain sans que le peuple en souffre. Je le répète : pour moi l’intervention de l’Etat doit être justifiée par un intérêt public. Sinon, mieux vaut s’abstenir.

      [Votre réponse m’intéresse d’autant plus que le marxisme m’a beaucoup attiré pendant une période mais que la découverte des penseurs libéraux a sérieusement douché mon enthousiasme initial…]

      Je ne crois pas qu’il y ait contradiction. En fait, je pense qu’il faut se méfier des réductions. De la même manière que certains de ses successeurs ont réduit la théorie marxiste à un bréviaire, les libéraux n’ont retenu des la pensée libérale classique que l’injonction au « laissez faire ». Lorsqu’on regarde l’histoire des idées, on voit que marxisme et libéralisme partagent des racines communes qui se trouvent dans les Lumières. Un des problèmes, je pense, est qu’on discute de ces théories sans vision historique. Les idées n’apparaissent pas par génération spontanée : ce sont des armes dans un combat idéologique, et pour comprendre ces idées il faut donc se remettre au contexte historique. Les penseurs libéraux ne se révoltaient pas contre les interventions économiques d’un Etat démocratique et bienveillant, mais contre l’interférence d’un Etat absolutiste appuyé par l’Eglise. La pensée marxienne est née à une époque de suffrage censitaire, alors que l’Etat était complètement dominé par les aristocraties et la bourgeoisie. Etendre leurs critiques et reproches à notre Etat- providence démocratique nécessite au minimum quelques précautions.

    • v2s dit :

      [Si la socialisation se traduit par une gestion beaucoup moins efficace, il faut se poser des questions : que vaut-il mieux, recevoir 80% d’un gros gâteau ou 100% d’un petit ?]

      Vous n’êtes pas loin d’admettre que notre système est le pire qui soit mais qu’il n’en existe pas de meilleur, sauf en théorie.

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [Si la socialisation se traduit par une gestion beaucoup moins efficace, il faut se poser des questions : que vaut-il mieux, recevoir 80% d’un gros gâteau ou 100% d’un petit ?][Vous n’êtes pas loin d’admettre que notre système est le pire qui soit mais qu’il n’en existe pas de meilleur, sauf en théorie.]

      Au contraire, je suis très loin d’admettre pareille chose. C’est que, voyez-vous, je ne suis nullement persuadé qu’une socialisation des moyens de production doive se traduire nécessairement par une gestion moins efficace. Je vais reprendre l’exemple d’EDF, entreprise « socialisée » et qui est devenue tout de même l’un des premiers électriciens mondiaux, sinon le premier, tout en dégageant du bénéfice et en vendant le courant électrique parmi les moins chers d’Europe.

      En fait, je pense que votre erreur est de croire que par définition la propriété privée des moyens de production aboutit nécessairement à la gestion la plus efficiente possible. Or, les exemples montrent que c’est totalement faux : les colonnes nécrologiques des journaux financiers sont remplies du nom d’entreprises parfaitement privées, gérées strictement en fonction des intérêts privés, et qui font faillite. Diriez vous que la gestion de Lehmann Brothers, celle de Boussac-Saint-Frères ou de la Compagnie de Panama était excellente ? Si c’était le cas, comment expliquer leur faillite retentissante ?

      Non, il y a des entreprises publiques bien gérées, et des entreprises privées mal gérées. Et contrairement à la doxa libérale, une entreprise privée peut être mal gérée pendant des décennies sans pour autant disparaître ou mourir. Par ailleurs, lorsqu’on parle de gestion efficace, il faudrait faire intervenir la notion d’efficacité sociale, que l’entreprise privée a du mal – surtout lorsque la propriété privée est financière – à prendre en compte.

    • @Descartes
      « Le capitalisme bafoue quotidiennement les principes du libéralisme classique, qu’il réduit à une vision non pas « libérale » mais « libertaire », qui se traduit par le fait que, dans les mots de George Bernard Shaw, les riches et les pauvres sont également libres de vivre sous les ponts. »

      En d’autres termes le capitalisme ne permet qu’une liberté formelle qui masque l’inégalité réelle, et la vraie liberté est une capacité à pouvoir vivre décemment. C’est la thèse du jeune Marx dans La Question juive. Seulement, cette approche est contradictoire avec ce que vous avez expliqué auparavant : « Etre libre de faire quelque chose signifie qu’il n’existe pas de règle ni de volonté qui s’y oppose. Pas que je peux effectivement le faire. »

      Par ailleurs opposer libéralisme et capitalisme me semble fallacieux, le libéralisme économique étant une défense de l’économie de marché, du contractualisme salarial, etc. Toute cette théorisation appartient au mouvement historique de liquidation du féodalisme et du mercantilisme avec le passage au mode de production capitaliste. Distinguer libéralisme et capitalisme n’a guère de sens, en tout cas ni les libéraux ni la gauche anticapitaliste ne le font. Ou alors il faut expliquer en quoi le capitalisme est fondamentalement autre chose qu’une économie libérale.

      « Je ne vois pas pourquoi il serait « souhaitable » que des gens conservent la possibilité d’extraire de leurs employés une partie de la valeur qu’ils produisent. »

      Parce si le capital n’était pas rémunéré, l’épargne serait consommée plutôt qu’investie, et nous en serions toujours au mode de production féodal. Et peut-être en serions-nous plus heureux, mais force est de constater que nos ancêtres ont choisis différemment.

      Ne pensez-vous pas que la rémunération du capital se justifie parce que, d’une part, l’investissement augmente la productivité, modernise l’appareil de production, diminue les coûts et les prix, etc ; et que d’autre part, les actions achetées sont susceptibles de perdent tout ou partie de leur valeur si la santé de l’entreprise se dégrade ?

      Ne pensez-vous pas que les situations de surprofits sont surtout (je ne dis pas toujours) dues à des anomalies de marché causées par l’intervention de l’État (subventions, barrières à la concurrence, commandes garanties à telles entreprises, corruption politique, clientélisme, etc) ?

      Quand bien même certains surprofits seraient dus au fonctionnement normal du capitalisme, une fiscalité redistributive n’est-elle préférable au collectivisme ?

      Enfin, si les entreprises étaient socialisées, aucun capitaliste ne pourrait risquer son épargne en investissements, ce qui rendraient lesdites entreprises sous-productives, et causerait à terme cette baisse du niveau de vie dont vous ne voulez pas. C’est bien ce qui est arrivé aux pays du socialisme réel, ainsi que dans le cas d’expériences socialistes sans-planification (cf http://www.contrepoints.org/2014/05/05/165163-gary-becker-le-kibboutz-preuve-ultime-de-la-faillite-du-communisme ).

      « Les penseurs libéraux ne se révoltaient pas contre les interventions économiques d’un Etat démocratique et bienveillant, mais contre l’interférence d’un Etat absolutiste appuyé par l’Eglise.»

      L’État étant un ensemble de normes juridiques, il est vain de lui attribuer des attributs anthropomorphiques tels que « bienveillant ». Un humain peut être bienveillant, mais certainement pas une entité juridique. Je note au passage que la État froid et guidé par ses seuls intérêts en matière de politique étrangère devient soudain « bienveillant » dès qu’il s’agit de ses citoyens…

    • LDC dit :

      @Descartes

      Quand vous parlez de détention directe du crédit, faites vous référence à une nationalisation du secteur bancaire ?
      Si vous êtes favorable à une telle politique, je serais très intéressé par l’exposé de votre raisonnement.

    • Descartes dit :

      @ Johnathan R. Razorback

      [Le capitalisme bafoue quotidiennement les principes du libéralisme classique, qu’il réduit à une vision non pas « libérale » mais « libertaire », qui se traduit par le fait que, dans les mots de George Bernard Shaw, les riches et les pauvres sont également libres de vivre sous les ponts.][En d’autres termes le capitalisme ne permet qu’une liberté formelle qui masque l’inégalité réelle, et la vraie liberté est une capacité à pouvoir vivre décemment. C’est la thèse du jeune Marx dans La Question juive.]

      Mais ce n’est pas la mienne dans ce que j’ai écrit plus haut. Mon commentaire ne parle nulle part d’une « liberté formelle ». La « liberté de vivre sous les ponts » à laquelle fait référence GB Shaw n’est pas « formelle », mais bien « réelle ». La question de savoir si les libertés assurées par les régimes capitalistes sont formelles ou réelles est un autre problème, très intéressant certes, mais qui n’est pas la question posée ici. Le capitalisme, j’ai dit, bafoue quotidiennement les principes du libéralisme classique. Prenons un exemple : pour un libéral, la réussite, la richesse d’un individu doit récompenser l’effort, le travail, le mérite. Ce qui en toute logique devrait conduire à l’abolition de l’héritage. Connaissez-vous beaucoup de régimes capitalistes ou l’héritage ait été aboli, en accord avec les principes libéraux ?

      [Seulement, cette approche est contradictoire avec ce que vous avez expliqué auparavant : « Etre libre de faire quelque chose signifie qu’il n’existe pas de règle ni de volonté qui s’y oppose. Pas que je peux effectivement le faire. »]

      Je souligne le mot « volonté ». C’est là que se trouve l’explication.

      [Par ailleurs opposer libéralisme et capitalisme me semble fallacieux, le libéralisme économique étant une défense de l’économie de marché, du contractualisme salarial, etc.]

      Je ne le crois pas. Je pense plutôt que cette vision schématise à l’excès les théories libérales pour les mettre au service d’une cause qui n’est pas la leur. L’exemple le plus caractéristique est celui de l’expression « économie de marché » (qui, si ma mémoire ne me trompe pas, on ne trouve nulle part chez les libéraux « classiques »). Expliquez-moi, c’est quoi une « économie de marché » ? Dans toutes les économies, et cela depuis des temps immémoriaux, on a laissé le marché réguler certains domaines et pas d’autres. Aucun « libéral » classique n’a suggéré que TOUTE activité humaine devrait être régulée par le marché. Imaginez-vous Smith ou Ricardo régulant l’église protestante par le marché ?

      [Ou alors il faut expliquer en quoi le capitalisme est fondamentalement autre chose qu’une économie libérale.]

      Il y a des régimes capitalistes qui ne sont pas libéraux. La France des « trente glorieuses » était férocement dirigiste, et pourtant capitaliste. Keynes était un « libéral ». Il est arrivé au libéralisme un peu ce qui est arrivé au marxisme : certains groupes ont utilisé le prestige intellectuel de la théorie libérale en n’y reprenant que ce qui les arrangeait – voir en falsifiant certains de ses principes fondamentaux. Ce n’est qu’en vertu de ce genre de falsification qu’on peut qualifier Pinochet de « libéral ».

      [Je ne vois pas pourquoi il serait « souhaitable » que des gens conservent la possibilité d’extraire de leurs employés une partie de la valeur qu’ils produisent.][Parce si le capital n’était pas rémunéré, l’épargne serait consommée plutôt qu’investie, et nous en serions toujours au mode de production féodal.]

      Je n’ai rien contre le fait que le capital soit rémunéré. Lisez attentivement ce que j’ai écrit : ce qui me gène, c’est que des GENS touchent cette rémunération. Le fait que le capital socialisé soit rémunéré ne me scandalise nullement. Lorsque EDF fait des bénéfices, je trouve cela parfaitement acceptable…

      [Ne pensez-vous pas que la rémunération du capital se justifie parce que, d’une part, l’investissement augmente la productivité, modernise l’appareil de production, diminue les coûts et les prix, etc ; et que d’autre part, les actions achetées sont susceptibles de perdent tout ou partie de leur valeur si la santé de l’entreprise se dégrade ?]

      La première raison me paraît tout à fait légitime. Je vous le répète, je ne suis pas contre la rémunération du capital, je suis contre la propriété privée du capital. Dès lors que le capital est socialisé, sa rémunération ne me gêne pas le moins du monde. Quant à votre seconde raison, elle semblerait suggérer que la rémunération du capital est la rémunération d’un risque. Mais ce risque est virtuel. En effet, on sait qu’en moyenne la valeur des entreprises augmente toujours sur une longue période.

      [Ne pensez-vous pas que les situations de surprofits sont surtout (je ne dis pas toujours) dues à des anomalies de marché causées par l’intervention de l’État (subventions, barrières à la concurrence, commandes garanties à telles entreprises, corruption politique, clientélisme, etc) ?]

      C’est quoi un « surprofit » ? Y aurait-il un « profit naturel » ? En fait, comme l’ont montré les économistes libéraux classiques, dans un marché « pur et parfait », le prix de vente tend vers le coût de production et le profit tend vers zéro. Tout profit résulte donc d’une « imperfection du marché ». Encore un excellent exemple de combien le capitalisme a besoin, pour survivre, de fouler au pied les véritables principes « libéraux »…

      [Quand bien même certains surprofits seraient dus au fonctionnement normal du capitalisme, une fiscalité redistributive n’est-elle préférable au collectivisme ?]

      Je vous l’ai dit, cela dépend des domaines. Je n’ai jamais pensé qu’il faille « collectiviser » les restaurants et les boulangeries. Ce sont des domaines où la régulation par le marché ne fonctionne en général pas trop mal… et si l’on estime que les « profits » de ces honorables établissements sont excessifs, on peut utiliser la taxation pour redistribuer. Mais il y a des domaines que le marché ne peut réguler, et où la taxation est inopérante parce que le capitaliste qui contrôle ces domaines acquiert un pouvoir tel qu’il peut défier le politique.

      [Enfin, si les entreprises étaient socialisées, aucun capitaliste ne pourrait risquer son épargne en investissements, ce qui rendraient lesdites entreprises sous-productives, et causerait à terme cette baisse du niveau de vie dont vous ne voulez pas.]

      Pourquoi ? Pensez à EDF, une entreprise dans laquelle pendant un demi-siècle aucun capitaliste n’a pu risquer son épargne en investissements. Trouvez-vous qu’elle soit devenue « sous-productive » ? Bien sur que non : elle a pu renouveler presque totalement son outil de production, construire des barrages et des centrales nucléaires dont nous sommes encore fiers aujourd’hui. Les capitalistes ne sont pas la seule source d’investissement.

      [C’est bien ce qui est arrivé aux pays du socialisme réel, ainsi que dans le cas d’expériences socialistes sans-planification (cf http://www.contrepoints.org/2014/05/05/165163-gary-becker-le-kibboutz-preuve-ultime-de-la-faillite-du-communisme ).]

      Ne schématisez pas. D’abord, ce n’est certainement pas ce qui est arrivé aux pays du socialisme réel, du moins pas pendant toute leur histoire. Pensez à l’énorme augmentation de la productivité et du niveau de vie lors des deux premiers plans quinquennaux. Si l’URSS a gagné la guerre en 1945, ce n’est certainement pas avec l’industrie léguée par le régime tsariste. A la fin des années 1950, et malgré les énormes destructions de la guerre, le niveau de vie des soviétiques n’était pas très différent du niveau moyen de l’Europe occidentale.

      Le problème des pays du socialisme réel s’est posé à la fin des années 1950, une fois la reconstruction terminée. Au fur et à mesure qu’une économie voit sa productivité augmenter, il devient de plus en plus difficile de faire de nouveaux gains de productivité. Pour aller plus loin, il faut une optimisation des processus de production et de distribution qui nécessitent une régulation fine. Or, cette régulation fine est pratiquement impossible d’organiser d’une manière centralisée. Un organisme central n’a simplement pas assez d’information pour pouvoir fixer rationnellement l’ensemble des prix, pour ne donner qu’un exemple. On peut organiser la production d’électricité de manière centralisée, mais essayer de faire fonctionner toutes les boulangeries de France et de Navarre avec une planification centralisée ne peut que conduire au désastre. C’est cette incapacité à trouver un mécanisme de régulation adapté à l’état de l’économie qui a provoqué une stagnation alors que le monde occidental décollait…

      [L’État étant un ensemble de normes juridiques, il est vain de lui attribuer des attributs anthropomorphiques tels que « bienveillant ». Un humain peut être bienveillant, mais certainement pas une entité juridique.]

      Permettez-moi d’être en total désaccord. Une institution n’est pas que « un ensemble de normes juridiques ». Ce sont des hommes, c’est une histoire et au dessus de tout, c’est une mission. Lorsque la mission d’une institution est de veiller sur les citoyens et de chercher leur bien, on peut raisonnablement dire qu’elle est « bienveillante ». Ainsi, l’hôpital Pompidou peut être considéré comme une institution « bienveillante ». La banque Goldman Sachs, qui n’a d’autre mission que d’enrichir ses actionnaires, non.

      [Je note au passage que la État froid et guidé par ses seuls intérêts en matière de politique étrangère devient soudain « bienveillant » dès qu’il s’agit de ses citoyens…]

      Bien entendu. Cela vous étonne ? Disons que c’est un peu comme Goldman Sachs… elle est froide et guidée par ses intérêts dans ses rapports avec les autres acteurs économiques, mais elle est d’une "bienveillance" totale envers ses actionnaires…

    • Descartes dit :

      @LDC

      [Quand vous parlez de détention directe du crédit, faites vous référence à une nationalisation du secteur bancaire ?]

      Du secteur bancaire et celui de l’assurance, oui.

      [Si vous êtes favorable à une telle politique, je serais très intéressé par l’exposé de votre raisonnement.]

      On s’éloigne un peu du sujet du billet… mais bon, puisque c’est la règle sur ce blog d’accueillir tous les sujets, allons-y. Je ne suis pas un expert des questions bancaires, mais en tant que citoyen je suis pour le contrôle public du crédit pour plusieurs raisons.

      D’abord, pour une question de régulation. Je ne suis pas un adversaire par principe des mécanismes de marché, et il y a de nombreux secteurs ou ces mécanismes régulent très correctement l’activité. Mais l’expérience des trente dernières années a montré que la régulation du secteur bancaire par le marché est une vaste plaisanterie. Le caractère systémique du risque bancaire fait que les banques sont encouragées à prendre des risques inconsidérées parce qu’elles savent qu’en cas de coup dur les Etats n’auront d’autre choix que d’endosser les pertes. C’est un exemple classique de l’adage « socialiser les pertes et privatiser les bénéfices ». Pour préserver la fiction néo-libérale du marché qui peut tout, on est alors obligé de bâtir aux côtés du marché bancaire toute une architecture de contrôles prudentiels fort coûteux et qui s’avèrent à l’usage inefficaces, étant données les asymétries d’information entre régulateurs et régulés.

      Par ailleurs, nous avons en France une expérience du fonctionnement d’un système de crédit contrôlé par l’Etat sur la période 1945-1985 dont le moins qu’on peut dire c’est qu’il a bien marché. L’ouverture à la concurrence du secteur s’est d’ailleurs traduite par toutes sortes d’excès, par une augmentation des frais bancaires et par une dégradation relative des services.

    • @Descartes
      « Prenons un exemple : pour un libéral, la réussite, la richesse d’un individu doit récompenser l’effort, le travail, le mérite. Ce qui en toute logique devrait conduire à l’abolition de l’héritage. »

      Absolument pas. Vous projetez sur le libéralisme les prescriptions éthiques de la méritocratie républicaine (que l’on peut trouver valables, c’est un autre débat). Le libéralisme ne se limite pas à la valorisation du travail, il inclut le caractère « inviolable et sacré » de la propriété privée (d’après le texte de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen). Si le propriétaire est véritablement maître de sa propriété, cela inclut le droit d’en faire don, et par conséquent le droit de la transmettre en héritage. Le libéralisme ne se soucie pas de corriger les inégalités dues aux différences de fortune.

      « Expliquez-moi, c’est quoi une « économie de marché » ? »

      Si je suis les définitions de Ludwig von Mises, l’économie de marché se caractérise par la propriété privée des moyens de production et l’absence d’interventionnisme. Elle s’oppose au socialisme, dans lequel la propriété privée est supprimée, ainsi qu’à « l’économie de marché entravée, ou interventionnisme [dans laquelle] le gouvernement ne limite pas ses activités à la protection de la propriété privée des moyens de production, contre les atteintes de la violence ou de la fraude. Le pouvoir interfère avec la marche des affaires, au moyen de commandements et d’interdictions. » (L’Action Humaine, 1949).

      « Aucun « libéral » classique n’a suggéré que TOUTE activité humaine devrait être régulée par le marché. »
      Nous sommes d’accords.

      « Il y a des régimes capitalistes qui ne sont pas libéraux. La France des « trente glorieuses » était férocement dirigiste, et pourtant capitaliste. Keynes était un « libéral ». Il est arrivé au libéralisme un peu ce qui est arrivé au marxisme : certains groupes ont utilisé le prestige intellectuel de la théorie libérale en n’y reprenant que ce qui les arrangeait – voir en falsifiant certains de ses principes fondamentaux. Ce n’est qu’en vertu de ce genre de falsification qu’on peut qualifier Pinochet de « libéral ». »

      Le keynésianisme étant un variante d’interventionnisme, on ne peut pas dire de Keynes qu’il était un libéral, économiquement parlant (cf : http://www.contrepoints.org/2014/11/02/186902-capitalisme-sur-arte-5-keyneshayek-un-combat-presque-truque ). Quant à Pinochet, c’est effectivement une farce de le présenter comme un libéral. Son régime était une dictature militaire dans laquelle la population était contrainte à l’épargne forcée et soumises à diverses lois antilibérales. L’association entre Pinochet et le libéralisme est un poncif d’extrême-gauche, pour essayer de nous convaincre que nous subissons nous aussi une dictature.

      « Ce qui me gêne, c’est que des GENS touchent cette rémunération. Le fait que le capital socialisé soit rémunéré ne me scandalise nullement. Lorsque EDF fait des bénéfices, je trouve cela parfaitement acceptable… »

      Encore faut-il que ces bénéfices existent. EDF produit son électricité à un coût très compétitif grâce à son parc nucléaire. Un coût qui n’inclut pas le renouvellement et le démantèlement des centrales ni le traitement des déchets. Par conséquent, il n’est pas possible de savoir si EDF fournit un meilleur service que ses concurrents.

      Même lorsqu’une entreprise publique est plus efficace que ses concurrents privés, les bénéfices ne profitent pas à « la Société » ou « la Nation » mais toujours à des individus concrets. Par conséquent je ne comprends pas bien pourquoi la rémunération du capital socialisé serait plus légitime que la rémunération du capital privé.

      « Quant à votre seconde raison, elle semblerait suggérer que la rémunération du capital est la rémunération d’un risque. Mais ce risque est virtuel. En effet, on sait qu’en moyenne la valeur des entreprises augmente toujours sur une longue période. »

      A long terme nous serons tous morts, et les entreprises meurent aussi. Si j’achète des actions dans un secteur sur le point d’être obsolète (l’industrie du chapeau mettons, peu avant que la mode ne passe), la faillite de l’entreprise me ruinera à hauteur de ma participation. Même chose si j’investis dans un titre peu avant qu’il ne perde l’essentiel de sa valeur. Entre l’achat d’une action et le moment où les dividendes m’ont rapporté la somme initiale, il s’écoule un certain temps. Ce temps constitue une partie du risque.

      Ma famille a investi des sommes importantes juste avant le crash boursier de 1999. Encore aujourd’hui, avec la montée à long terme des actions, nous sommes loin d’avoir récupéré les sommes initiales. Et même si nous y parvenons effectivement, l’inflation nous aura appauvris au bout du compte. Le risque n’est donc pas « virtuel ». Malgré tout je n’en conclus pas qu’il faut fermer la Bourse, comme le propose entre autre Fréderic Lordon.

      « C’est quoi un « surprofit » ? Y aurait-il un « profit naturel » ? En fait, comme l’ont montré les économistes libéraux classiques, dans un marché « pur et parfait », le prix de vente tend vers le coût de production et le profit tend vers zéro. Tout profit résulte donc d’une « imperfection du marché ». »

      Oublions donc cette notion de surprofit qui embrouille tout. Le profit, c’est la richesse qu’on peut obtenir en vendant sur le marché. La rente, c’est un revenu garanti par des entraves au marché. Par conséquent une imperfection au marché est la conséquence d’une action politique. Il n’est guère pertinent de dénoncer l’incapacité du marché à atteindre une situation parfaite imaginaire. Les conditions du marché pur et parfait décrit par la théorie des néoclassiques (et non par les libéraux classiques) ne sont tout simplement pas réalisables dans le monde réel. Les individus ne sont pas omniscients, ils ne peuvent pas connaître les opportunités les plus profitables à tout moment, par conséquent, dans une économie changeante, le taux de profit ne peut jamais égaler zéro. L’imperfection n’est pas dans le « marché », mais dans les individus réels.

      « Encore un excellent exemple de combien le capitalisme a besoin, pour survivre, de fouler au pied les véritables principes « libéraux ». »

      Où se situe l’antagonisme entre capitalisme et libéralisme ? Vous avez donné l’exemple d’économies capitalistes non libérales (la France des Trente Glorieuses), pas d’économies libérales anticapitalistes…

      « Il y a des domaines que le marché ne peut réguler, et où la taxation est inopérante parce que le capitaliste qui contrôle ces domaines acquiert un pouvoir tel qu’il peut défier le politique. »

      L’État disposant par définition du monopole de la violence physique légitime, j’ai peine à me représenter ce que veut dire « défier le politique ».

      « Pensez à EDF, une entreprise dans laquelle pendant un demi-siècle aucun capitaliste n’a pu risquer son épargne en investissements. Trouvez-vous qu’elle soit devenue « sous-productive » ? »

      EDF a-t-elle été plus efficace que ne l’auraient été plusieurs compagnies privées fournissant l’électricité sur un marché concurrentiel où il leur aurait été impossible d’abaisser le prix de vente en faisant payer certains coûts (futurs) par la collectivité ?

      « Une institution n’est pas que « un ensemble de normes juridiques ». Ce sont des hommes, c’est une histoire et au-dessus de tout, c’est une mission. »

      Premièrement, toute institution n’est pas nécessairement juridique. La chevalerie ne l’était pas.

      Ensuite, les institutions sont des outils au travers desquels les hommes agissent. C’est toujours l’homme qui agit. Un outil n’a pas de volonté propre, il est ce qui celui qui agit décide d’en faire. Par conséquent une institution n’est pas « bienveillante », ni malveillante d’ailleurs.

      « Lorsque la mission d’une institution est de veiller sur les citoyens et de chercher leur bien, on peut raisonnablement dire qu’elle est « bienveillante ». »

      C’est une appréciation subjective parfaitement arbitraire. Toute institution trouvera des gens pour la légitimer, en premier lieu ceux à qui elle profite. Les propriétaires d’esclaves vous auraient dit qu’ils agissaient pour prendre soin d’êtres incapables de s’occuper d’eux-mêmes. Cela fait-il de l’esclavage une institution « bienveillante » ?

      Quand bien même une institution aurait le soutien de la majorité de la population pour « veiller sur elle », cela ne prouverait rien du tout en termes de légitimité (sauf à dénier tous droits individuels). Peut-être que les chrétiens du Moyen-âge considérait l’Inquisition comme une institution ayant pour mission de les protéger des mauvaises influences. Cela fait-il de l’Inquisition une institution « bienveillante » ?

      Pourquoi une institution quelconque devrait-elle chercher le bien des citoyens à leur place ? Par quel miracle pourrait-elle savoir mieux qu’eux-mêmes ce qu’ils veulent ?

      « C’est un peu comme Goldman Sachs… elle est froide et guidée par ses intérêts dans ses rapports avec les autres acteurs économiques, mais elle est d’une "bienveillance" totale envers ses actionnaires… »

      Ici encore vous personnalisez une institution comme si c’était une personne en chair et en os. Mais Goldman Sachs ne peut pas être « cupide » ou « généreuse ». Seuls des humains peuvent l’être. La seule chose qu’on peut en dire, c’est qu’elle est gérée efficacement ou inefficacement. Lorsque prête à des agents économiques incapables de lui rembourser, ce n’est pas un comportement généreux, c’est une erreur d’analyse qui va entraîner des pertes. Seul un individu, détournant la banque de sa fonction, peut effectuer une action « altruiste ».

    • Descartes dit :

      @ Johnathan R. Razorback

      [« Prenons un exemple : pour un libéral, la réussite, la richesse d’un individu doit récompenser l’effort, le travail, le mérite. Ce qui en toute logique devrait conduire à l’abolition de l’héritage. »][Absolument pas. Vous projetez sur le libéralisme les prescriptions éthiques de la méritocratie républicaine (que l’on peut trouver valables, c’est un autre débat).]

      Pas du tout. Le libéralisme s’est d’abord construit autour de la notion d’égalité à la naissance et du rejet des privilèges du sang. Pratiquement toutes les constitutions libérales proclament dès le début cette égalité irréductible des hommes.

      [Le libéralisme ne se limite pas à la valorisation du travail, il inclut le caractère « inviolable et sacré » de la propriété privée (d’après le texte de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen). Si le propriétaire est véritablement maître de sa propriété, cela inclut le droit d’en faire don, et par conséquent le droit de la transmettre en héritage. Le libéralisme ne se soucie pas de corriger les inégalités dues aux différences de fortune.]

      Désolé, mais l’héritage n’est pas « le droit de transmettre », mais le DEVOIR de le faire. L’héritage n’est pas un don, puisqu’il prend effet même lorsque le « propriétaire » n’a manifesté aucune volonté de céder la propriété en question à ses héritiers. Pire : dans la très grande majorité des pays « libéraux », il n’est pas possible de disposer comme on l’entend de sa propriété, les héritiers dits « réservataires » ayant un droit légal auquel le propriétaire du bien, tout propriétaire qu’il est, ne peut porter atteinte. En France il est même interdit de faire donation de sa propriété à l’un de ses enfants lorsque cette donation porte atteinte fondamentalement aux droits des autres héritiers. L’héritage n’est donc pas un don, qui est un acte souverain issu de la volonté du donateur, mais un « droit » de l’héritier.

      [« Expliquez-moi, c’est quoi une « économie de marché » ? »][Si je suis les définitions de Ludwig von Mises, l’économie de marché se caractérise par la propriété privée des moyens de production et l’absence d’interventionnisme.]

      En d’autres termes, une économie ou l’ensemble des moyens de production est contrôlé par un cartel « privé » qui fixe les prix à sa convenance est une « économie de marché » ? J’ai du mal à imaginer que Von Mises ait répondu oui à cette question, et pourtant ce système répond parfaitement aux deux critères que vous avez énoncé… et d’ailleurs, la citation qui suit montre que votre définition est incomplète. Pourriez-vous citer la définition de Ludwig von Mises in extenso, s’il vous plait ?

      [« Aucun « libéral » classique n’a suggéré que TOUTE activité humaine devrait être régulée par le marché. »][Nous sommes d’accords.]

      Donc, vous acceptez qu’on peut rester dans une logique libérale tout en consentant un niveau d’intervention de l’Etat dans les domaines de l’activité où la régulation par le marché n’est pas adaptée. Mais par ailleurs, vous m’avez indiqué plus haut qu’une « économie de marché » implique « l’absence d’interventionnisme ». Donc, j’en déduit avec une implacable logique que « économie libérale » et « économie de marché » ne sont pas synonymes. CQFD

      [Le keynésianisme étant un variante d’interventionnisme, on ne peut pas dire de Keynes qu’il était un libéral, économiquement parlant (cf : http://www.contrepoints.org/2014/11/02/186902-capitalisme-sur-arte-5-keyneshayek-un-combat-presque-truque ).]

      Ce genre de débats me rappelle les querelles de chapelle de l’extrême gauche à propos du mot « communisme ». Que Hayek et les siens aient excommunié Keynes de la chapelle libérale ne change rien au fait qu’on retrouve chez Keynes tous les principes qui sont ceux des fondateurs de la théorie libérale, et parmi eux qu’il faut que l’Etat s’abstienne d’intervenir là où son intervention ne se justifie pas, mais qu’il faut au contraire qu’il intervienne là où il est le seul à pouvoir faire le boulot. Car c’est cela que dit Keynes : l’Etat doit intervenir pour créer de la demande non pas parce qu’il serait « bon » que l’Etat intervienne, mais parce qu’il est le seul acteur capable de le faire. L’interprétation que font Hayek et les « libertariens » du crédo libéral n’est nullement la seule interprétation acceptable.

      [Quant à Pinochet, c’est effectivement une farce de le présenter comme un libéral. Son régime était une dictature militaire dans laquelle la population était contrainte à l’épargne forcée et soumises à diverses lois antilibérales. L’association entre Pinochet et le libéralisme est un poncif d’extrême-gauche, pour essayer de nous convaincre que nous subissons nous aussi une dictature.]

      Je regrette, mais l’association entre Pinochet et le libéralisme, loin d’être « un poncif d’extrême gauche », a été d’abord faite… par les libéraux eux-mêmes, qui ont adopté le général comme l’un d’eux. Ce fut en particulier le cas de Milton Friedman, qui attribua la bonne santé de l’économie chilienne aux « politiques résolument libérales » de Pinochet. Thatcher a dit à peu près la même chose.

      [« Ce qui me gêne, c’est que des GENS touchent cette rémunération. Le fait que le capital socialisé soit rémunéré ne me scandalise nullement. Lorsque EDF fait des bénéfices, je trouve cela parfaitement acceptable… »][Encore faut-il que ces bénéfices existent. EDF produit son électricité à un coût très compétitif grâce à son parc nucléaire. Un coût qui n’inclut pas le renouvellement et le démantèlement des centrales ni le traitement des déchets.]

      Révisez vos informations. Le coût de l’électricité nucléaire inclut le démantèlement des centrales et le traitement des déchets. A cet effet, l’entreprise constitue au fur et à mesure du vieillissement du parc des provisions couvrant ces obligations futures. La manière dont ces provisions sont constituées est d’ailleurs précisée par la loi et contrôlée périodiquement par l’administration. Pour ce qui concerne le renouvellement, la logique est que « le parc paye pour le parc ». En d’autres termes, le parc a été financé par l’emprunt, emprunt aujourd’hui remboursé. Le renouvellement sera financé de la même manière. Les bénéfices d’EDF sont donc bien des bénéfices réels, qui prennent bien en compte l’amortissement ainsi que les « liabilities » futures.

      [Même lorsqu’une entreprise publique est plus efficace que ses concurrents privés, les bénéfices ne profitent pas à « la Société » ou « la Nation » mais toujours à des individus concrets. Par conséquent je ne comprends pas bien pourquoi la rémunération du capital socialisé serait plus légitime que la rémunération du capital privé.]

      Je ne comprends pas bien votre point. Si ce que vous voulez dire c’est qu’en dernière instance les seuls qui peuvent profiter d’un bénéfice sont les individus, cela me paraît évident. La « société », la « nation » ne sont pas des êtres sensibles, ils n’éprouvent ni plaisir ni douleur, ils ne mangent pas et ne boivent pas. Lorsqu’on dit qu’un revenu « profite à la société » ou « profite à la nation », on entend qu’ils sont employés dans un but d’intérêt général. Lorsque les bénéfices d’EDF servent à financer des policiers ou des pompiers, ils servent à financer un service dont nous profitons en tant qu’individus, mais qui a un caractère collectif.

      [« Quant à votre seconde raison, elle semblerait suggérer que la rémunération du capital est la rémunération d’un risque. Mais ce risque est virtuel. En effet, on sait qu’en moyenne la valeur des entreprises augmente toujours sur une longue période. »][A long terme nous serons tous morts, et les entreprises meurent aussi. Si j’achète des actions dans un secteur sur le point d’être obsolète (l’industrie du chapeau mettons, peu avant que la mode ne passe), la faillite de l’entreprise me ruinera à hauteur de ma participation.]

      Oui, mais si vous achetez un cocktail d’actions, les pertes que vous aurez à supporter dans l’industrie du chapeau seront largement compensées par les profits que vous encaisserez dans l’industrie du téléphone portable. C’est dans ce sens que le risque est « virtuel » : en dehors de quelques « accidents » de courte durée, l’économie a, depuis deux siècles, une croissance qui a été toujours positive. L’investisseur est donc en moyenne toujours gagnant.

      [Ma famille a investi des sommes importantes juste avant le crash boursier de 1999. Encore aujourd’hui, avec la montée à long terme des actions, nous sommes loin d’avoir récupéré les sommes initiales.]

      Refaisons vos calculs. Il est vrai que l’indice CAC40 était à 6400 points en 2009, alors qu’il est aujourd’hui à 4400 points aujourd’hui. Mais ces chiffres ne racontent pas toute l’histoire : l’indice ne tient compte que de la valeur marchande des actions, mais pas des dividendes capitalisés entretemps. Imaginons que le dividende moyen des actions du CAC40 se situe autour de 5%, et négligeons l’inflation dans le calcul. Dans ce cas, si vous aviez investi 100 € dans un panier d’actions équivalent au CAC40, combien d’argent auriez vous aujourd’hui au total ? D’un côté, vous récupéreriez à la vente 68,75 euros. D’un autre côté, vous aurez récupéré un intérêt composé de 5% pendant 15 ans. On peut estimer cette valeur en calculant le rendement sur la valeur finale, ce qui donne en addition 73,5 €. Pour vos 100 euros investis, vous récupérez donc 142,3 €. Soit un rendement annuel global de 2,4%. Mieux que le livret A, donc. Ce calcul montre que malgré deux crashs boursiers (l’explosion de la bulle internet, puis la crise des subprimes) le rendement perçu par les investisseurs sur une période « longue » mais raisonnable est toujours positive. L’idée du « risque de l’investisseur » est donc très surfaite…

      [Et même si nous y parvenons effectivement, l’inflation nous aura appauvris au bout du compte. Le risque n’est donc pas « virtuel ».]

      Même pas. Comme je l’ai montré plus haut, même en considérant l’inflation sur la période vous êtes toujours gagnant…

      [Oublions donc cette notion de surprofit qui embrouille tout. Le profit, c’est la richesse qu’on peut obtenir en vendant sur le marché. La rente, c’est un revenu garanti par des entraves au marché. Par conséquent une imperfection au marché est la conséquence d’une action politique.]

      Ah bon ? Pourtant les économistes libéraux soulignent qu’il y a des imperfections du marché qui n’ont rien à voir avec l’action politique. Ainsi par exemple la « non-atomicité » (présence d’un acteur dominant capable, par ses décisions, de peser sur les prix), les asymétries d’information, les barrières à l’entrée… Même en l’absence de toute intervention politique, un marché n’est pratiquement jamais « pur et parfait ». Et c’est très heureux pour les capitalistes, parce qu’un marché « pur et parfait » réduirait à zéro le profit qu’on peut tirer d’une activité économique en égalisant les prix et les coûts de production. Relisez Ricardo : dans un contexte de compétition « pure et parfaite », le prix converge vers le coût marginal. Tout profit ne résulte donc que des « avantages productifs » de tel ou tel moyen de production par rapport au moyen de production marginal…

      [Il n’est guère pertinent de dénoncer l’incapacité du marché à atteindre une situation parfaite imaginaire. Les conditions du marché pur et parfait décrit par la théorie des néoclassiques (et non par les libéraux classiques) ne sont tout simplement pas réalisables dans le monde réel.]

      Exactement… Et cette situation est particulièrement avantageux pour les capitalistes, qui empochent les « rentes » résultant des imperfections du marché « réel ». Ce qui vous explique pourquoi le capitalisme n’a aucun intérêt à réaliser le « paradis libéral »…

      [Où se situe l’antagonisme entre capitalisme et libéralisme ? Vous avez donné l’exemple d’économies capitalistes non libérales (la France des Trente Glorieuses), pas d’économies libérales anticapitalistes…]

      Tout simplement parce que les « économies libérales » n’existent pas. Ce qui existe, ce sont des économies capitalistes qui proclament leur adhésion au « libéralisme » mais qui en pratique ne se servent des théories libérales que comme paravent idéologique, alors qu’ils se gardent bien de les mettre en pratique.

      [« Il y a des domaines que le marché ne peut réguler, et où la taxation est inopérante parce que le capitaliste qui contrôle ces domaines acquiert un pouvoir tel qu’il peut défier le politique. »][L’État disposant par définition du monopole de la violence physique légitime, j’ai peine à me représenter ce que veut dire « défier le politique ».]

      Je vous rappelle que le « monopole de la violence légitime » n’équivaut pas au « monopole de la violence ». Je vous rappelle aussi que si l’Etat dispose du monopole de la violence légitime, il n’est pas dit que le politique contrôle toujours l’Etat.

      [« Pensez à EDF, une entreprise dans laquelle pendant un demi-siècle aucun capitaliste n’a pu risquer son épargne en investissements. Trouvez-vous qu’elle soit devenue « sous-productive » ? »][EDF a-t-elle été plus efficace que ne l’auraient été plusieurs compagnies privées fournissant l’électricité sur un marché concurrentiel où il leur aurait été impossible d’abaisser le prix de vente en faisant payer certains coûts (futurs) par la collectivité ?]

      Je vous ai déjà expliqué aucun « coût », qu’il soit passé ou futur, n’est transféré à la collectivité. C’est d’ailleurs la principale conclusion du rapport que la Cour des Comptes à publié sur la question en 2013.

      Sur la question de l’efficacité, il est assez clair qu’EDF a été plus efficace que n’auraient pu l’être plusieurs entreprises agissant sur un marché concurrentiel, et cela pour des raisons autant théoriques qu’empiriques. D’abord, la production d’électricité est ce qu’on appelle un « monopole naturel », l’efficacité augmentant avec la taille du parc puisque d’importants coûts fixes – notamment ceux de l’ingénierie nucléaire – sont mutualisés sur un grand nombre d’unités. Ensuite, parce que la contrainte du secteur électrique de maintenir en permanence un équilibre parfait entre offre et demande et le fait que l’électricité est un bien indispensable fait que l’élasticité prix sur le marché de l’électricité est très grande. Cela pousse naturellement les entreprises du secteur à organiser la pénurie, puisqu’une petite réduction des quantités vendues se traduit par une énorme augmentation des prix. C’est le principal enseignement de la crise électrique californienne de la fin des années 1990.

      D’ailleurs, l’expérience confirme ces éléments : l’électricité en France est depuis de très longues années l’une des moins chères des pays de l’OCDE.

      [« Une institution n’est pas que « un ensemble de normes juridiques ». Ce sont des hommes, c’est une histoire et au-dessus de tout, c’est une mission. »][Premièrement, toute institution n’est pas nécessairement juridique. La chevalerie ne l’était pas.]

      C’est vous-même qui avez écrit qu’une institution était « un ensemble de normes juridiques ». Alors, si vous voulez discuter avec vous-même, je vous laisse…

      [« Lorsque la mission d’une institution est de veiller sur les citoyens et de chercher leur bien, on peut raisonnablement dire qu’elle est « bienveillante ». »][C’est une appréciation subjective parfaitement arbitraire.]

      Ca s’appelle une définition.

      [Toute institution trouvera des gens pour la légitimer, en premier lieu ceux à qui elle profite.]

      Et ceux-là la verront peut-être comme bienveillante. Je n’ai jamais dit que la « bienveillance » d’une institution fut un caractère objectif. L’Etat français est pour nous « bienveillant », mais je conçois parfaitement qu’il puisse être considéré autrement par les ennemis de la France…

      [Quand bien même une institution aurait le soutien de la majorité de la population pour « veiller sur elle », cela ne prouverait rien du tout en termes de légitimité (sauf à dénier tous droits individuels). Peut-être que les chrétiens du Moyen-âge considérait l’Inquisition comme une institution ayant pour mission de les protéger des mauvaises influences. Cela fait-il de l’Inquisition une institution « bienveillante » ?]

      Si tel était l’objectif de l’Inquisition, certainement. L’inquisition peut être considérée comme « bienveillante » envers les vrais chrétiens, et « malveillante » envers les infidèles et les hérétiques. Je ne vois pas très bien ce qui vous choque.

      [Pourquoi une institution quelconque devrait-elle chercher le bien des citoyens à leur place ? Par quel miracle pourrait-elle savoir mieux qu’eux-mêmes ce qu’ils veulent ?]

      Parce qu’elle a été créée à cet effet. Après tout, si les pompiers s’aperçoivent que votre maison est en feu, ils chercheront à l’éteindre et à vous sortir de là sans vous demander votre avis. Si le SAMU vous trouve votre fils inanimé dans la rue après une tentative de suicide, il cherchera à vous ramener à la vie. Pensez vous qu’ils devraient avant d’agir s’assurer que c’est ce que les personnes concernées veulent ? Personnellement, je suis tout à fait disposé à les laisser juges, dans des limites bien définies, de ce que je veux.

      [« C’est un peu comme Goldman Sachs… elle est froide et guidée par ses intérêts dans ses rapports avec les autres acteurs économiques, mais elle est d’une "bienveillance" totale envers ses actionnaires… »][Ici encore vous personnalisez une institution comme si c’était une personne en chair et en os. Mais Goldman Sachs ne peut pas être « cupide » ou « généreuse ».]

      Je vous expliqué le sens que je donne à ces expressions. Je n’y reviens pas.

    • @Descartes
      « Pourriez-vous citer la définition de Ludwig von Mises in extenso, s’il vous plait ? »

      « L’économie de marché est le système social de division du travail, avec propriété privée des moyens de production.
      Chacun agit pour son propre compte ; mais les actions de chacun visent à satisfaire les besoins d’autrui tout autant que la satisfaction des siens. Chacun en agissant sert ses semblables. Chacun, d’autre part, est servi par ses concitoyens. Chacun est à la fois un moyen et un but en lui-même, but final pour lui-même et moyen pour les autres dans leurs efforts pour atteindre leurs propres objectifs.

      Ce système est piloté par le marché. Le marché oriente les activités de l’individu dans les voies où il sert le mieux les besoins de ses semblables. Il n’y a dans le fonctionnement du marché ni contrainte ni répression. L’État, l’appareil social de contrainte et de répression, n’intervient pas dans le marché et dans les activités des citoyens dirigées par le marché. Il emploie son pouvoir d’user de la force pour soumettre les gens, uniquement pour prévenir les actions qui porteraient atteinte au maintien et au fonctionnement régulier de l’économie de marché. Il protège la vie, la santé et la propriété de l’individu contre l’agression violente ou frauduleuse de la part des bandits de l’intérieur et des ennemis de l’extérieur. Ainsi l’État crée et maintient le cadre dans lequel l’économie de marché peut fonctionner en sûreté. »
      -Ludwig von Mises, L’Action Humaine, 1951.

      J’imagine que c’est le critère de « division du travail » qui élimine de la définition le cas de figure d’un cartel privé contrôlant toute l’économie.

      « Ce fut en particulier le cas de Milton Friedman, qui attribua la bonne santé de l’économie chilienne aux « politiques résolument libérales » de Pinochet. Thatcher a dit à peu près la même chose. »

      Peu importe ce qu’on dit Friedman ou Thatcher. Ils n’ont pas imaginés les principes exposés dans L’Esprit des lois, ni ceux de La Richesse des Nations. Leurs propos relèvent de l’opportunisme politique.

      Renverser un gouvernement socialiste démocratiquement élu par un coup d’État militaire n’a rien de libéral. Forcer sa population à épargner pour gonfler les activités financières non plus. Les éloges des Chicago Boys et des conservateurs britanniques n’y changeront rien.

      « Lorsque les bénéfices d’EDF servent à financer des policiers ou des pompiers, ils servent à financer un service dont nous profitons en tant qu’individus, mais qui a un caractère collectif. »
      Ok.

      « Tout simplement parce que les « économies libérales » n’existent pas. Ce qui existe, ce sont des économies capitalistes qui proclament leur adhésion au « libéralisme » mais qui en pratique ne se servent des théories libérales que comme paravent idéologique, alors qu’ils se gardent bien de les mettre en pratique. »

      D’accord aussi. Mais cela tient à l’action de l’État (ou à son inaction, ce qui est la même chose).

      « C’est vous-même qui avez écrit qu’une institution était « un ensemble de normes juridiques ». »
      Non. J’ai écrit que l’État était un ensemble de normes juridiques (entre autres caractéristiques), pas que toute institution présentait un caractère juridique.

      « Je n’ai jamais dit que la « bienveillance » d’une institution fut un caractère objectif. L’Etat français est pour nous « bienveillant », mais je conçois parfaitement qu’il puisse être considéré autrement par les ennemis de la France… »

      Si la « bienveillance » d’une institution n’est pas objective, elle est jugée ainsi par un sujet. Si vous jugez l’État bienveillant, c’est votre opinion. De grâce, ne m’enrôlez pas dans cette appréciation en disant que l’État est bienveillant « pour nous ». Des subjectivités peuvent être en désaccords…

    • Descartes dit :

      @ Jonhathan R. Razorback

      [Pourriez-vous citer la définition de Ludwig von Mises in extenso, s’il vous plait ?][L’économie de marché est le système social de division du travail, avec propriété privée des moyens de production.(…) Chacun agit pour son propre compte ; mais les actions de chacun visent à satisfaire les besoins d’autrui tout autant que la satisfaction des siens. Chacun en agissant sert ses semblables. Chacun, d’autre part, est servi par ses concitoyens. Chacun est à la fois un moyen et un but en lui-même, but final pour lui-même et moyen pour les autres dans leurs efforts pour atteindre leurs propres objectifs. Ce système est piloté par le marché. Le marché oriente les activités de l’individu dans les voies où il sert le mieux les besoins de ses semblables. Il n’y a dans le fonctionnement du marché ni contrainte ni répression. L’État, l’appareil social de contrainte et de répression, n’intervient pas dans le marché et dans les activités des citoyens dirigées par le marché. Il emploie son pouvoir d’user de la force pour soumettre les gens, uniquement pour prévenir les actions qui porteraient atteinte au maintien et au fonctionnement régulier de l’économie de marché. Il protège la vie, la santé et la propriété de l’individu contre l’agression violente ou frauduleuse de la part des bandits de l’intérieur et des ennemis de l’extérieur. Ainsi l’État crée et maintient le cadre dans lequel l’économie de marché peut fonctionner en sûreté. »-Ludwig von Mises, L’Action Humaine, 1951.]

      Désolé, mais cela n’est pas une « définition », mais une profession de foi. Une définition est une liste de critères qu’un objet doit remplir pour être classé dans une catégorie. Il n’y a pas de place dans une définition poru des considérations morales. Ici, on mélange des critères avec des considérations morales. Lorsque Von Mises écrit que « le marché oriente les activités de l’individu dans les voies où il sert le mieux les besoins de ses semblables », doit on considérer que c’est toujours le cas ? Ou qu’il se pourrait qu’une société ou le marché est libre et l’Etat se cantonne aux fonctions régaliennes le marche oriente les activités des individus vers des buts néfastes ?

      [J’imagine que c’est le critère de « division du travail » qui élimine de la définition le cas de figure d’un cartel privé contrôlant toute l’économie.]

      Absolument pas. La « division sociale du travail social » à laquelle fait référence Von Mises est la répartition entre les différents acteurs économiques des fonctions. Cela n’a rien à voir avec le cartel. C’est d’ailleurs le problème de cette « définition » : comme on postule par avance que le marché magiquement « orient les activités de l’individu dans les voies où il sert le mieux se semblables », le cartel ne peut exister. C’est aussi la vision de Hayek, d’ailleurs.

      [« Ce fut en particulier le cas de Milton Friedman, qui attribua la bonne santé de l’économie chilienne aux « politiques résolument libérales » de Pinochet. Thatcher a dit à peu près la même chose. »][Peu importe ce qu’on dit Friedman ou Thatcher. Ils n’ont pas imaginés les principes exposés dans L’Esprit des lois, ni ceux de La Richesse des Nations. Leurs propos relèvent de l’opportunisme politique.]

      Je ne vais pas me mêler des querelles théologiques des libéraux pour déterminer qui sont les « vrais » et qui sont les « faux » libéraux. Des personnalités que la « galaxie libérale » tels Friedman, Thatcher, Reagan, Hayek ont reconnu Pinochet comme l’un des leurs. Maintenant, si vous me dites que Hayek n’était qu’un « opportuniste politique »…

      [Renverser un gouvernement socialiste démocratiquement élu par un coup d’État militaire n’a rien de libéral. Forcer sa population à épargner pour gonfler les activités financières non plus. Les éloges des Chicago Boys et des conservateurs britanniques n’y changeront rien.]

      Nous sommes donc d’accord que les succès économiques remportés par le régime de Pinochet ne peuvent pas être attribués à des politiques libérales ? L’économie la plus solide de l’Amérique Latine à l’époque était donc une économie dirigiste ?

      [Tout simplement parce que les « économies libérales » n’existent pas. Ce qui existe, ce sont des économies capitalistes qui proclament leur adhésion au « libéralisme » mais qui en pratique ne se servent des théories libérales que comme paravent idéologique, alors qu’ils se gardent bien de les mettre en pratique.][D’accord aussi. Mais cela tient à l’action de l’État (ou à son inaction, ce qui est la même chose).]

      Non, ce n’est pas la « même chose », puisque « l’inaction » à laquelle vous faites référence est précisément l’article fondamental du crédo libéral. Il y a une contradiction à soutenir l’idée d’une société « régulée par le marché » sans intervention de l’Etat, et ensuite affirmer que si cette régulation marche mal c’est précisément par la faute de « l’inaction » de l’Etat.

      Oui, on peut dire que si les « économies libérales » n’existent pas, c’est parce que la bourgeoisie, tout en payant ses hommages publiques aux théories libérales, ne perd pas l’opportunité de constituer des monopoles et des cartels, de multiplier les asymétries d’information ou les barrières d’entrée dans les marchés à son avantage. Si je comprends bien votre commentaire, il faudrait que l’Etat intervienne en permanence pour casser monopoles et cartels, pour obliger les entreprises à partager l’information, pour araser les barrières d’entrée… mais dans ce cas, sommes nous toujours dans une « société libérale » ?

      [« Je n’ai jamais dit que la « bienveillance » d’une institution fut un caractère objectif. L’Etat français est pour nous « bienveillant », mais je conçois parfaitement qu’il puisse être considéré autrement par les ennemis de la France… »][Si la « bienveillance » d’une institution n’est pas objective, elle est jugée ainsi par un sujet. Si vous jugez l’État bienveillant, c’est votre opinion. De grâce, ne m’enrôlez pas dans cette appréciation en disant que l’État est bienveillant « pour nous ». Des subjectivités peuvent être en désaccords…]

      Pas plus que les objectivités. Je sais bien qu’on confond « objectif » avec « fait » et « subjectif » avec « opinion », mais ce n’est pas le vrai sens des mots. Un élément objectif peut être une opinion, un élément subjectif peut être factuel. Ainsi, par exemple, l’affirmation « la terre est plate » est objective (puisqu’elle ne dépend pas de l’observateur) et pourtant elle n’est pas moins une opinion.

      La « bienveillance » de l’Etat est subjective, puisqu’elle dépend de l’observateur. Mais cela n’implique pas que je ne puisse juger de la bienveillance de l’Etat qu’à mon égard. Lorsque je constate que l’Etat vous permet de bénéficier d’une sécurité sociale, qu’il vous protège des ennemis extérieurs, qu’il vous a offert une éducation gratuite, qu’il vous protège de l’arbitraire des « notables » locaux, je peux déduire qu’il est « bienveillant » à votre égard sans pour autant me trouver à votre place… de même, je n’ai pas besoin de me trouver à Guantanamo pour considérer que l’Etat américain est « objectivement » malveillant à l’égard des prisonniers qui y sont enfermés.

  11. thierry_st_malo dit :

    La caste médiatico-politique actuelle ( vous remarquerez que je mets le "médiatico" en premier ) n’est pas seulement composée de lâches mais aussi d’imbéciles. Elle pense pouvoir compter indéfiniment sur la police, la gendarmerie et l’armée pour la protéger, et à mon avis elle a tort. En 2017 entre les deux tours de l’élection présidentielle de très graves troubles sociaux vont éclater ( je pense personnellement que cela ira peut-être jusqu’à la guerre civile ) puisque l’un des deux candidats restants sera nécessairement Marine Le Pen, la personnalité de l’autre n’ayant pas d’importance.

    De quel côté vont se ranger l’armée, la gendarmerie et la police ? Pas évident, à mon avis.

    • Descartes dit :

      @ thierry_saint_malo

      [En 2017 entre les deux tours de l’élection présidentielle de très graves troubles sociaux vont éclater ( je pense personnellement que cela ira peut-être jusqu’à la guerre civile ) puisque l’un des deux candidats restants sera nécessairement Marine Le Pen, la personnalité de l’autre n’ayant pas d’importance.]

      Je pense que votre boule de cristal a besoin d’une sérieuse révision : En 2002, Jean-Marie Le Pen était au deuxième tour de l’élection présidentielle. Je ne me souviens pourtant pas qu’il y ait eu « de très graves troubles sociaux ». Je serais donc très prudent avant de vaticiner.

      [De quel côté vont se ranger l’armée, la gendarmerie et la police ? Pas évident, à mon avis.]

      En France, l’armée, la gendarmerie et la police se sont toujours rangé du côté de la légalité. Les très rares militaires, gendarmes et policiers qui se sont embarqués dans la résistance aux pouvoirs constitués n’ont généralement pas fait long feu.

    • thierry_st_malo dit :

      Peut-être que votre boule de cristal à vous aussi à besoin d’une sérieuse révision :-). En 2002, Jean-Marie Le Pen n’avait AUCUNE ( désolé, je ne sais pas comment on met des italiques ) chance d’être élu. En 2017, Marine Le Pen aura de SERIEUSES chances de l’emporter. On peut le regretter mais c’est comme ça.

    • Descartes dit :

      @ thierry_saint_malo

      [En 2002, Jean-Marie Le Pen n’avait AUCUNE (désolé, je ne sais pas comment on met des italiques ) chance d’être élu. En 2017, Marine Le Pen aura de SERIEUSES chances de l’emporter. On peut le regretter mais c’est comme ça.]

      On peut surtout en douter. Croyez-moi, Marine Le Pen n’a qu’une chance infime, absolument infime, d’être élue. Je peux vous l’assurer, ma boule de cristal fonctionne parfaitement…

      D’accord, le Parti socialiste a besoin de rameuter des voix – on commence à nous parler d’une « primaire de toute la gauche », c’est mauvais signe – et pour cela il faut expliquer à l’électeur bienpensant que des grandes calamités nous menacent si la gauche ne se rassemble. Et il semblerait que l’élection de Juppé, de Fillon ou même – horresco referens – de Sarkozy ne soient pas pour nos concitoyens des calamités suffisantes pour pousser l’électeur à mettre un bulletin socialiste dans l’urne. Alors on commence à nous expliquer que le véritable danger ce n’est pas l’élection d’un président UMP, mais de Marine Le Pen herself.

      Tout ça, c’est de la manipulation. En un siècle et demi de vie démocratique, jamais – je dis bien, JAMAIS – le peuple français n’a porté au pouvoir l’un des « extrêmes » du spectre politique, ni même l’a laissé s’approcher du pouvoir. Même pas lorsque Boulanger a réussi a grouper sur son nom bonapartistes et légitimistes contre la République. Même pas après la guerre, lorsque le Parti communiste pouvait compter avec plus d’un électeur sur quatre. La France est, dans les mentalités, une vieille nation paysanne et conservatrice. Comme disait je ne sais plus qui, les français adorent les révolutions mais détestent les changements. Ils donneront probablement un bon score à Marine Le Pen au premier tour, pour protester contre l’establishment et faire pression sur lui. Mais au deuxième tour, les français voteront la solution de prudence. A supposer même qu’une majorité d’entre eux soient pour la sortie de l’Euro, ils fuiront le risque et prendront finalement la solution d’attente. Ce n’est pas par hasard si ce pays est toujours gouverné « au centre » et que les extrêmes, qu’ils soient ultralibéraux ou gauchistes, se font laminer.

  12. Jo dit :

    Encore une fois, Descartes vise juste…
    Une commentaire cependant. Le rapport des deux IGPEF du CGEDD montre que le projet a été mal ficelé. Cela pose à mon sens la question de la pertinence de la décentralisation. En effet, le CG du Tarn, et la CACG, qui a conduit les études préalables à la construction, n’avaient manifestement pas la compétence pour procéder à une analyse fine et pertinente des besoins en eau, de montage financier solide, etc. pour conduire un tel projet, fut-il modeste ; je n’ose imaginer ce qu’il en serait pour des projets plus importants… Ceci ruine totalement la légitimité du discours justifiant les transferts de compétence de l’Etat vers les collectivités territoriales au motif que, plus proches du sacro-saint "terrain", elles seraient plus à même de définir ce qui est bon pour leurs "territoires", nouveau mot magique des politiques. Les collectivités territoriales sont incompétentes, la preuve en est faite, pour conduire l’aménagement du territoire, car elles ne disposent pas du savoir-faire requis pour ça, et qu’elles n’ont pas la légitimité dont bénéficie, en France, l’Etat.

    • Descartes dit :

      @ Jo

      [Une commentaire cependant. Le rapport des deux IGPEF du CGEDD montre que le projet a été mal ficelé.]

      Ouais… mais le problème est que le rapport a été fait lorsque l’affaire était déjà très chaude, à la demande d’une ministre qui avait besoin d’un rapport qui permette de calmer le jeu. Je ne doute pas de la compétence des experts des l’IGPEF… mais je ne doute pas non plus de leur sens politique. La conclusion du rapport est « le projet est mal ficelé, mais il faut le terminer quand même ». Il ne vous aura pas échappé le caractère salomonique de cette conclusion.

      [Cela pose à mon sens la question de la pertinence de la décentralisation. En effet, le CG du Tarn, et la CACG, qui a conduit les études préalables à la construction, n’avaient manifestement pas la compétence pour procéder à une analyse fine et pertinente des besoins en eau, de montage financier solide, etc. pour conduire un tel projet, fut-il modeste ;]

      Vous allez un peu vite en besogne. Il est rare que les experts soient unanimes, et le CGEDD n’a pas la vérité révélée. Peut-être que les experts consultés par le CG du Tarn ont tout simplement abouti à une conclusion différente de ceux du CGEDD. Et même si ce n’était pas le cas, dans un régime démocratique les experts conseillent, et les politiques décident. Si l’on pose comme principe que les politiques doivent toujours faire ce que recommandent les experts, on n’est plus en démocratie, mais en technocratie.

      Ce qui est drôle, dans cette affaire, c’est que des politiques bien connus pour exprimer urbi et orbi leur mépris absolu des « experts » et la primauté du politique sur le technique citent le rapport en question comme parole d’évangile. Il faut croire que les « experts » ne sont pas si mauvais que ça… quand leurs conclusions les arrangent.

      [Ceci ruine totalement la légitimité du discours justifiant les transferts de compétence de l’Etat vers les collectivités territoriales au motif que, plus proches du sacro-saint "terrain", elles seraient plus à même de définir ce qui est bon pour leurs "territoires", nouveau mot magique des politiques.]

      Tout à fait d’accord. Ce point a d’ailleurs été relevé par plusieurs commentateurs. En fait, on découvre – avec trente ans de retard – que « rapprocher la décision du citoyen » par la décentralisation n’est pas forcément une bonne idée, et qu’un fonctionnaire désigné par un pouvoir lointain a souvent les idées plus claires parce qu’il est moins sujet aux pressions des groupes d’influence locaux. On l’avait vu dans l’affaire de la Faute-sur-Mer, avec un maire qui a piétiné les règlements de sécurité au nom du développement de sa commune. On le voit aujourd’hui à Sivens.

      Mais contrairement à vous, je ne crois pas que le problème essentiel soit celui de la compétence ou du savoir-faire. Si ce n’était que cela, on pourrait créer une agence nationale d’expertise permettant aux collectivités de faire appel aux ingénieurs et aux scientifiques pour évaluer leurs projets. Dans certains domaines, comme celui des routes, des corps de l’Etat jouent déjà ce rôle de conseil. Le problème, c’est que les élus locaux sont soumis à toutes sortes de pressions et d’influences qui ne leur permettent pas forcément de prendre les meilleures décisions…

  13. Pyraquadel dit :

    Voici un billet caricatural et mal informé dont nous n’avons heureusement que peu l’habitude sur ce blog. Ne réalisez-vous pas, Descartes, l’ironie de la formule "D’abord, le militant écologiste sait" ? Quiconque connaît des "zadistes" et a pris la peine de discuter avec certains d’entre eux qui ne versent pas dans le fanatisme (et ils sont beaucoup) sait, je crois, que la réflexion politique et philosophique qui est la leur est sans commune mesure avec celle du pseudo-citoyen lambda. Ils doutent comme tout le monde, mais ils ont des convictions et se battent pour de belles idées. Les idéaux anarchistes ou humanistes les empêchent pour la plupart de sombrer dans la violence, même lorsque les lieux où sont envoyées les forces de l’ordre sont choisis délibérément pour qu’il y ait affrontement. Pourquoi présumez-vous que ces gens, qui se revendiquent humanistes, auraient dédaigné la mort d’un gendarme ou d’un policier dans votre expérience de pensée ? Pourquoi pensez-vous qu’ils croient être dans une "guerre de civilisation" ? Et enfin, quelle pertinence a cette étonnante comparaison avec les jeux vidéos, alors même que la plupart de ces zadistes combattent tout ce que l’addiction aux médias et au numérique peut représenter en tant que symbole de notre époque ?
    Je vous ai connu mieux informé et usant d’arguments plus raisonnables qu’une triste somme de préjugés sur la jeunesse et de comparaisons déplacées.
    Malgré tout, je vous souhaite bien sûr une bonne journée. J’espère simplement que vous serez plus honnête intellectuellement à l’avenir ; pourquoi écrire sur un sujet que vous ne maîtrisez évidemment pas ?
    Peace.

    • Descartes dit :

      @ Pyraquadel

      [Voici un billet caricatural et mal informé dont nous n’avons heureusement que peu l’habitude sur ce blog.]

      Je retiens le compliment… et j’oublie le reste !

      [Ne réalisez-vous pas, Descartes, l’ironie de la formule "D’abord, le militant écologiste sait"?]

      Non, je ne réalise pas. Ma remarque serait « ironique » si je me permettais de jeter un pavé ou un cocktail Molotov sur mes critiques. Or, vous aurez remarque que non seulement je ne le fais pas, mais que je publie leurs commentaires sans ajouter ni retrancher une virgule. Je vous mets au défi de trouver un blog « écologiste » ou les opinions contraires soient traitées avec le même respect.

      [Quiconque connaît des "zadistes" et a pris la peine de discuter avec certains d’entre eux qui ne versent pas dans le fanatisme (et ils sont beaucoup) sait, je crois, que la réflexion politique et philosophique qui est la leur est sans commune mesure avec celle du pseudo-citoyen lambda.]

      Je ne saurais pas vous dire. Je prends votre parole que de tels êtres existent, mais j’en ai jamais rencontré un seul. J’ai discuté avec beaucoup de « zadistes », et même si bien entendu, il y a des degrés et des degrés dans le fanatisme, je ne me souviens pas d’avoir trouvé un seul qui soit prêt à écouter un raisonnement qui ne va pas dans son sens jusqu’à la fin, et y répondre autrement que par un discours pré-formaté et rempli de vérités d’évidence. Mais si vous êtes en mesure de m’indiquer quelques documents produits par la « réflexion politique et philosophique » dont vous parlez, je suis prêt à changer d’avis.

      [Ils doutent comme tout le monde, mais ils ont des convictions et se battent pour de belles idées.]

      Comme par exemple ? Le problème est qu’une idée peut être « belle » tout en étant fausse, ou pire encore, dangereuse.

      [Les idéaux anarchistes ou humanistes les empêchent pour la plupart de sombrer dans la violence,]

      Mais les empêchent, semble-t-il, de condamner les agissements des éléments violents ou de les exclure de leur mouvement. Je trouve l’indulgence dont font preuve ces gentils « humanistes anarchistes » envers des actes de violence très suspecte. Pas vous ?

      [même lorsque les lieux où sont envoyées les forces de l’ordre sont choisis délibérément pour qu’il y ait affrontement.]

      Je ne comprends pas très bien votre point. Les forces de l’ordre sont en général envoyées pour déloger les « zadistes » qui s’y sont retranchés. C’est donc les « zadistes » qui choisissent le terrain, pas les forces de l’ordre.

      [Pourquoi présumez-vous que ces gens, qui se revendiquent humanistes, auraient dédaigné la mort d’un gendarme ou d’un policier dans votre expérience de pensée ?]

      Faisons une petite expérience : pourriez-vous me citer trois noms de manifestants morts au cours d’une manifestation dans le dernier demi-siècle et les circonstances de leur mort ? Je suis sur que vous n’aurez pas la moindre difficulté à le faire. Pourriez-vous maintenant me citer le nom de trois policiers ou gendarmes morts dans les mêmes conditions et les circonstances de leur mort ? Non ? Deux alors ? Un ? Non plus ?

      A votre avis, pourquoi cette différence ? La réponse est très simple : parce que lorsqu’un manifestant meurt, « ces gens qui se revendiquent humanistes » font un raffut d’enfer, avec manifestations de protestation, dénonciations dans les journaux des « violences policières » et tout le tintouin. Mais lorsqu’un policier meurt dans les mêmes conditions, il a droit pour tout viatique à une cérémonie officielle dans la cour de la Préfecture de Police et puis c’est tout. Je vous mets au défi de me citer un seul cas ou ces gens « qui se revendiquent humanistes » auront organisé une manifestation, une cérémonie quelconque à la mémoire d’un policier tombé durant une manifestation. Un seul exemple me suffira.

      [Pourquoi pensez-vous qu’ils croient être dans une "guerre de civilisation" ?]

      Pour la même raison que certains croient qu’en égorgeant des journalistes étrangers ils gagneront le paradis et la possession exclusive de 72 – ou etais-ce 96 – vierges. Parce que en simplifiant la complexité du monde par un manichéisme qui réduit tout à un combat entre le « bien » et le « mal » on s’évite le travail de penser, et que cela nous garantit la satisfaction morale d’être automatiquement du côté du « bien ». Parce que les jeunes – et les moins jeunes – ont besoin de sentir qu’ils participent à un œuvre qui les dépasse, et que notre société n’offre guère un exutoire positif à cette envie de faire.

      [Et enfin, quelle pertinence a cette étonnante comparaison avec les jeux vidéos, alors même que la plupart de ces zadistes combattent tout ce que l’addiction aux médias et au numérique peut représenter en tant que symbole de notre époque ?]

      Vous n’êtes pas le seul à m’avoir mal lu. Relisez mon texte, et vous verrez que je n’ai jamais écrit que les zadistes soient des aficionados aux jeux vidéo. Ce que l’ai écrit, c’est qu’une partie de notre jeunesse vivait le réel « comme un jeu vidéo », ce qui n’est pas du tout la même chose. J’ignore si Rémi Fraisse jouait aux jeux vidéo ou pas, et cela n’a aucune importance. Le fait est qu’il a pris le risque d’aller dans une zone d’affrontements entre des manifestants violents et des forces de l’ordre, et cela sans aucune protection, comme si cela ne représentait aucun risque. Comment interpréteriez-vous cela ?

  14. dafdesade dit :

    J’aurais aimé avoir votre avis sur cet anneau de la Mémoire, le mémorial international Notre-Dame-de-Lorette
    http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Anneau_de_la_M%C3%A9moire

    Je m’attendais à ce qu’il y ait des commentaires critiques or personne n’a rien dit.
    Il me semble que c’est un monument commémoratif digne de notre époque.Une longue méditation sur ce que peut bien signifier une telle chose serait nécessaire mais comment une gifle faite à ces morts peut-elle paraître comme le meilleur moyen de rendre hommage à leur sacrifice ? La perversion de la conscience morale contemporaine est toujours un objet d’étonnement pour moi. Combien de temps faudra-t-il pour que nos "élites" édifient à Auschwitz un monument commémoratif du même ordre qui verra bourreaux et victimes réconciliés post-mortem ? Faut-il lancer dés maintenant une souscription ? Le petit Boris Lévy, 10 ans,pourra embrasser par delà la mort, le SS qui l’a jeté au four. A-t-on vu sur cette terre une humanité plus bête et insolente que la notre ?

    • Descartes dit :

      @ dafdesade

      [J’aurais aimé avoir votre avis sur cet anneau de la Mémoire, le mémorial international Notre-Dame-de-Lorette. Je m’attendais à ce qu’il y ait des commentaires critiques or personne n’a rien dit.]

      J’y avais pensé, mais j’avoue qu’en ce moment je n’ai pas beaucoup de temps pour écrire, et puis j’ai déjà développé ce que j’ai à dire sur la question dans un papier que j’avais fait sur la visite du président allemand à Oradour-sur-Glane. Cela m’avait valu d’ailleurs des accusations d’anti-germanisme primaire et d’ennemi de la réconciliation franco-allemande.

      Je ne suis ni l’un ni l’autre, bien entendu. Je ne crois d’ailleurs pas à la « réconciliation » pas plus que je ne crois à « l’inimitié » entre les deux pays. Les nations n’ont pas d’amis, elles n’ont que des intérêts. Si l’Allemagne nous a fait la guerre – car il n’est pas inutile de rappeler que depuis que l’Allemagne existe, ce sont toujours les troupes allemandes qui ont attaqué la France, et non l’inverse – ce n’est pas parce qu’elle ne nous aime pas, mais parce que ses intérêts le commandaient. Quant à nous, nous n’avons fait que nous défendre.

      Maintenant, si l’on veut établir des rapports cordiaux avec l’Allemagne malgré l’histoire mouvementée de nos rapports passés, pourquoi pas, je n’ai rien contre. Même si l’on n’a pas les mêmes intérêts, il est toujours plus sympathique d’échanger des bonjours avec les voisins que de se cracher à la gueule. Mais comme vous j’abhorre cette idée qu’il faudrait pour cela oublier – ou pire, falsifier – notre histoire et la leur. Mettre dans un même monument les noms des soldats français et les soldats allemands c’est vendre une version qui fait de la une calamité envoyée on ne sait pas très bien par quelle divinité malfaisante, et dont soldats allemands et français auraient été victimes au même titre. Cette description est d’ailleurs parfaitement conforme avec la conception « victimiste » de l’histoire devenue aujourd’hui dominante, et qui permet qu’un siècle plus tard les véritables héros médiatiques de la Ière guerre mondiale soient les déserteurs, les « fusillés pour l’exemple », les « fraterniseurs », en un mot tout le monde sauf le bon vieux soldat français qui a quitté son champ pour faire son devoir et qui en est mort.

      [Combien de temps faudra-t-il pour que nos "élites" édifient à Auschwitz un monument commémoratif du même ordre qui verra bourreaux et victimes réconciliés post-mortem ?]

      Je ne connais aucun monument en terre allemande ou les noms des soldats de l’armée allemande partagent les honneurs avec les noms des soldats soviétiques, américains, britanniques ou français. Je doute fort qu’on trouve à Stalingrad ou à Varsovie un monument de cette nature. Je vous rassure : la « haine de soi » qui est derrière ce genre d’idioties est bien caractéristique des « élites » françaises.

    • bovard dit :

      Mon premier post ayant disparu dans les limbes informatiques,voici soumise à l’appréciation de ce remarquable site Descartes,quelques biopics pour ce sujet du monument de Notre Dame de Lorette.
      Mes deux fils ont un arrière arrière grand père (de ma lignée) ayant été dans les tranchées de 14-18 côté français.Côté maternel un arrière grand père ayant été dans les tranchées de 14-18 côtéallemand.Celui-ci,obtint même ‘la croix de guerre allemande’ pour son engagement côté allemand.Or en 1933,comme il était de lignée juive bien que socialiste athée,il fut obligé de quitter l’Allemagne pour venir en France.En 1940,il fut inerné comme apatride par Pétain à Gurs.Il demanda à s’engager dans l’armée française.L’administration refusa.Il s’évada ,alla en Suisse où il mouru en 1965.
      Côté français,l’arrière arrière grand père,disparu en 1942,âgé de 75 ans,aprés avoir été gazé en 1917.
      Alors pour moi et mes fils,Maudite soit la guerre de 1914 et le monument de Notre Dame de Lorette,nous convient.
      Pour Auschwitz,il en est différemment.
      En ce qui concerne la shoah,ni haine ,ni oubli des victimes et de leurs bourreaux.Rien à voir,avec la signification du monument de Notre Dame de Lorette.Entre autre,le film ‘Amen’ le démontre remarquablement.

    • Descartes dit :

      @ bovard

      [Mes deux fils ont un arrière arrière grand père (de ma lignée) ayant été dans les tranchées de 14-18 côté français. Côté maternel un arrière grand père ayant été dans les tranchées de 14-18 côté allemand. Celui-ci, obtint même ‘la croix de guerre allemande’ pour son engagement côté allemand. Or en 1933,comme il était de lignée juive bien que socialiste athée, il fut obligé de quitter l’Allemagne pour venir en France. En 1940, il fut interné comme apatride par Pétain à Gurs.Il demanda à s’engager dans l’armée française. L’administration refusa. Il s’évada, alla en Suisse où il mourut en 1965. Côté français, l’arrière arrière grand père, disparu en 1942,âgé de 75 ans,aprés avoir été gazé en 1917.]

      J’avoue que je vois mal ce que l’histoire de vos arrières grands-pères apporte à ce débat. Oui, il y a des français qui ont des ancêtres allemands, et des allemands qui ont des ancêtres français. Et alors ? Vous trouverez certainement parmi les SS qui gardaient les camps de concentration certains qui avaient des ancêtres français – et même juifs – et cela ne les a pas empêché de garder et de conduire à la mort des détenus qui avaient des ancêtres allemands. Est-ce une raison suffisante pour mêler leurs noms dans les monuments commémoratifs ? Je ne le pense pas. Pire, je pense que c’est insulter leur mémoire que de créer entre eux une « solidarité d’armes » qui n’est qu’imaginaire.

      [Alors pour moi et mes fils, maudite soit la guerre de 1914 et le monument de Notre Dame de Lorette, nous convient.]

      J’ai envie de vous poser une question : pensez-vous qu’il faudrait construire un monument équivalent à celui de Notre-Dame de Lorette à Stalingrad, mettant dans une même liste les noms des soldats de la Wehrmacht et ceux de l’Armée Rouge ? Ou bien un monument aux morts de la bataille d’Alger mettant côté à côté parachutistes et membres du FLN ?

      Tous ces gens-là se sont battus pour des causes qu’ils pensaient justes. De quel droit allons nous déclarer que ce ne sont que des pauvres « victimes » ? Quel droit avons-nous de décider de mélanger dans la mort des gens qui de leur vivant se sont affrontés ?

      [Pour Auschwitz, il en est différemment. En ce qui concerne la shoah, ni haine, ni oubli des victimes et de leurs bourreaux.]

      Je vois mal pourquoi le raisonnement qui vous amène à conclure que « le monument de Notre Dame de Lorette nous convient » ne s’appliquerait pas à Auschwitz. Les soldats français et allemands de la guerre de 1914-18 n’étaient pas dans des positions symétriques. Il y avait aussi des « victimes », qui ont vu leur pays envahi et qui ont du se battre pied à pied pour le défendre, et des « bourreaux » qui ont traversé la frontière dans une tentative de conquête. Je ne vois pas pourquoi il faudrait « oublier » dans un cas et pas dans l’autre.

      [Rien à voir, avec la signification du monument de Notre Dame de Lorette. Entre autre, le film ‘Amen’ le démontre remarquablement.]

      Franchement, je ne vois pas très bien la « démonstration » à laquelle vous faites référence.

    • v2s dit :

      @ Descartes (et @ Bovard)

      [J’ai envie de vous poser une question : pensez-vous qu’il faudrait construire un monument équivalent à celui de Notre-Dame de Lorette à Stalingrad, mettant dans une même liste les noms des soldats de la Wehrmacht et ceux de l’Armée Rouge ? Ou bien un monument aux morts de la bataille d’Alger mettant côté à côté parachutistes et membres du FLN ?]

      Diriez-vous que les soldats qui meurent dans les conflits armés, choisissent, en général, de façon libre et responsable de se trouver là ou ils se trouvent ? À tous ceux, des deux camps, qui sont venus mourir là, contraints et forcés, pourquoi ne pas reconnaître le statut de victimes, égaux dans la mort ?

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [Diriez-vous que les soldats qui meurent dans les conflits armés, choisissent, en général, de façon libre et responsable de se trouver là ou ils se trouvent ? À tous ceux, des deux camps, qui sont venus mourir là, contraints et forcés, pourquoi ne pas reconnaître le statut de victimes, égaux dans la mort ?]

      Mais dans ce cas là, pourquoi ne pas mettre les gardiens d’Auschwitz et les victimes dans le même monument ? Croyez-vous que les soldats qu’on a envoyé garder le camp avaient « choisi de façon libre et responsable de se trouver là où ils se trouvaient » ?

      Lorsqu’on élève un monument, c’est parce qu’on souhaite perpétuer une mémoire. Le fait historique, c’est que ces gens se sont battus les uns contre les autres. Que chacun a fait son possible pour que la liste des victimes dans le camp adverse soit la plus longue possible. Mettre tout le monde sur la même liste, c’est effacer la mémoire de ce fait fondamental. C’est faire croire que tous ces gens sont tombés dans un combat commun, et cela, je suis désolé de le dire, c’est faux.

      Je trouve par ailleurs qu’il est insultant de considérer les soldats comme des victimes. Cela leur enlève leur qualité d’être humain, libre et capable de faire des choix. Oui, les soldats avaient le choix – et certains l’ont fait – de refuser de marcher. Ils pouvaient – et certains l’ont fait – déserter. Bien sur, ils risquaient d’être emprisonnés ou fusillés, mais pour ceux dont les noms figurent sur les monuments aux morts, avouez que le fait d’être fusillé n’aurait pas changé grande chose. Non, l’immense majorité des soldats n’avait peut-être pas « choisi de se trouver là où ils se trouvaient », mais ils n’ont pas non plus été « contraints et forcés ». La plupart a accepté de « faire leur devoir », un devoir qu’ils ont pour l’immense majorité accepté et qu’ils considéraient légitime. De quel droit allons nous, un siècle plus tard, les réduire à la qualité de « victimes » ?

      Faire un monument commun, c’est réduire la guerre à un accident. Lorsqu’un bus tombe dans un ravin, le monument qu’on élève quelquefois porte le nom de tous les passagers. Mais il ne viendrait à l’idée de personne d’y écrire « mort pour la France ». Pensez-vous qu’il faille enlever des monuments aux morts cette mention ? Et si lors d’un accident de car, on ne fait de distinction entre les nationalités ou les origines, c’est parce que la nationalité et l’origine ne sont pas signifiantes dans ce contexte. Mais lorsqu’on parle d’une guerre, la nationalité est LE signifiant, puisque c’est cela qui déterminait qui était en face de qui, et qui tirait sur qui. C’est ce signifiant que le monument de Notre Dame de Lorette essaye de faire oublier, probablement parce que c’est un pré requis pour nous faire accepter l’Europe allemande. Ce qui est tout de même paradoxal pour un mouvement censé perpétuer la mémoire.

    • bovard dit :

      En 2014,les soldats qui meurent au Mali,après ceux qui sont morts en Irak sont ils morts pour la France,dans les mêmes conditions que ceux de 14-18?
      La signification est elle la même alors que l’UE s’est construite avec entre autre l’Allemagne de façon très étroite,plus qu’avec le Mali,l’Irak,le Tchad,et même l’Algérie actuelle?
      Des familles mixtes franco-allemande,ne se sont elles pas constituées entre les anciens ennemis?
      Les centaines de milliers de morts dont les noms sont gravés à notre dame de Lorette,reconnaissables quant à leur pays d’origine,ne signifient ils pas que la France et l’Allemagne ont dépassé leur rivalité guerrière ,fondamentalement?
      Comme les Bourguignons et les Armagnacs ennemis au moyen âge,les allemands et les français sont destinés à cohabiter sans que les diverses responsabilités soient incriminés.C’est le signifiant véritable du monument de Notre Dame de Lorette .

    • v2s dit :

      [Mais dans ce cas là, pourquoi ne pas mettre les gardiens d’Auschwitz et les victimes dans le même monument ? Croyez-vous que les soldats qu’on a envoyé garder le camp avaient « choisi de façon libre et responsable de se trouver là où ils se trouvaient » ?]
      Je n’ai pas entendu dire que beaucoup des gardiens d’Auschwitz soient morts dans des affrontements avec leurs prisonniers dans les camps d’extermination.
      Le débat porte sur la question de savoir s’il fondé, judicieux, acceptable ou pas, de mettre sur un pied d’égalité, sur la liste des morts au combat, des soldats de camps opposés.
      Le parallèle que vous faites avec les camps de la mort n’a aucun sens.

    • Descartes dit :

      @bovard

      [En 2014, les soldats qui meurent au Mali, après ceux qui sont morts en Irak sont ils morts pour la France, dans les mêmes conditions que ceux de 14-18 ? La signification est elle la même alors que l’UE s’est construite avec entre autre l’Allemagne de façon très étroite, plus qu’avec le Mali, l’Irak, le Tchad, et même l’Algérie actuelle?]

      J’avoue que je ne suis pas sûr de bien comprendre la question. D’abord, la « signification » d’une mort ne saurait changer du fait d’événements postérieurs. En quoi la « signification » de la mort du poilu de 14-18 pourrait se trouver changée par une UE construite trente ou quarante ans plus tard ? Ensuite, si ce raisonnement a un sens, pourquoi ne s’applique-t-il pas au déporté de 39-45 ? Et pourtant, vous avez exclu explicitement cette hypothèse…

      [Des familles mixtes franco-allemande, ne se sont elles pas constituées entre les anciens ennemis ?]

      Les « familles mixtes » franco-algériennes restent beaucoup plus nombreuses que les franco-allemandes. Et pourtant, j’ai du mal à imaginer les algériens – ou les français – acceptant de mettre dans un même monument le nom des « paras » et celui des torturés de la « bataille d’Alger ». Je vous rappelle aussi que vous avez exclu l’idée de pratiquer ce genre de oecumenisme dans les monuments aux déportés des camps de concentration. Pourquoi les « familles mixtes » justifieraient-elles qu’on oublie les affrontements de 14-18 et non ceux de 39-45 ?

      [Les centaines de milliers de morts dont les noms sont gravés à notre dame de Lorette, reconnaissables quant à leur pays d’origine, ne signifient ils pas que la France et l’Allemagne ont dépassé leur rivalité guerrière, fondamentalement ?]

      Non. Tout juste que les dirigeants politiques des deux pays veulent imposer une amnésie sur leur propre histoire. Et on sait ce qui arrive aux peuples qui oublient leur histoire.

      [Comme les Bourguignons et les Armagnacs ennemis au moyen âge,les allemands et les français sont destinés à cohabiter sans que les diverses responsabilités soient incriminés.]

      Pourriez-vous me citer un seul monument ou les noms des morts Bourguignons et Armagnacs soient cités ensemble ? Vous n’en trouverez pas. Comme vous ne trouverez pas de monument associant dans une même liste les protestants et catholiques morts en se combattant lors de la Saint Barthélemy, les « bleus » et les « blancs » des guerres de Vendée, les collabos et les résistants. Et pourtant, leurs descendants « sont destinés à cohabiter », et cela ne se passe pas trop mal sans qu’il soit besoin de ce genre de fraudes mémorielles.

      On peut parfaitement dépasser une histoire sans l’oublier. On peut se souvenir que des gens se sont combattus sans nécessairement perpétuer le combat. En fait, le monument de Notre Dame de Lorette, dernier exemple d’une longue suite de manifestations – visite de Joachim Gauck à Oradour, célébrations du débarquement avec Angela Merkel – ou chaque fois on fait l’éloge de l’amnésie démontrent exactement le contraire que ce que vous y voyez. Nos dirigeants politiques n’ont pas besoin de répéter obsessionnellement que protestants et catholiques peuvent vivre ensemble et d’inaugurer des monuments mêlant les noms des uns et des autres, tout simplement parce que c’est une évidence. La hache de guerre a depuis bien longtemps été enterré, le conflit fait partie des livres d’histoire, et on peut trouver dans quelques villages du fond de l’Ardèche, des Cévennes ou des Charentes des monuments qui rappellent les souffrances des protestants, et que les touristes catholiques photographient sans se sentir le moins du monde visés. Si les blessures des affrontements franco-allemands s’étaient refermées comme se sont refermées celles des guerres de religion, si français et allemands marchaient main dans la main vers un avenir radieux, on n’aurait pas besoin de promouvoir à ce point l’amnésie.

      [C’est le signifiant véritable du monument de Notre Dame de Lorette.]

      Le « véritable signifiant » du monument de Notre Dame de Lorette est qu’il faut oublier l’histoire. Qu’il faut se raconter que français et allemands sont tombés ensemble sur ces champs de bataille victimes d’un phénomène naturel, aussi inévitable – et irresponsable – qu’une tempête ou un tremblement de terre. Que personne n’est responsable de rien. Un message très actuel, et parfaitement conforme à l’idéologie « européenne »…

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [Je n’ai pas entendu dire que beaucoup des gardiens d’Auschwitz soient morts dans des affrontements avec leurs prisonniers dans les camps d’extermination.]

      Quand bien même il n’y aurait eu qu’un seul, pensez-vous que son nom aurait sa place dans le monument aux victimes d’Auschwitz ?

      [Le débat porte sur la question de savoir s’il fondé, judicieux, acceptable ou pas, de mettre sur un pied d’égalité, sur la liste des morts au combat, des soldats de camps opposés. Le parallèle que vous faites avec les camps de la mort n’a aucun sens.]

      Une affirmation ne constitue pas un argument. Et encore moins une preuve…

    • bovard dit :

      ‘Effectivement,comme pour v2s,votre affirmation,ci après ,est hors sujet des monuments aux morts,tels qu’ils existent: ‘Mais dans ce cas là, pourquoi ne pas mettre les gardiens d’Auschwitz et les victimes dans le même monument ? ‘ .anglais,ni les guerres Napoléoniennes
      En effet les monuments aux morts ne concernaient ni les multi séculaires guerres contre les anglais,ni les guerres Napoléoniennes,ni les guerres coloniales.
      Les premiers monuments au morts,sont apparus après la guerre de 1870-71,où le souvenir patriotique de reconquête de l’Alsace-Lorraine devait être entretenu.Après,ça a continué sur cette lancée anti-allemande,pour cette fiction actuelle que vous avez remarquablement décrite:'[Qu’il faut se raconter que français et allemands sont tombés ensemble sur ces champs de bataille victimes d’un phénomène naturel, aussi inévitable – et irresponsable – qu’une tempête ou un tremblement de terre. Que personne n’est responsable de rien. Un message très actuel, et parfaitement conforme à l’idéologie « européenne »…].
      C’est justement pour cela que,et je cite v2s:'[Le débat porte sur la question de savoir s’il fondé, judicieux, acceptable ou pas, de mettre sur un pied d’égalité, sur la liste des morts au combat, des soldats de camps opposés. Le parallèle que vous faites avec les camps de la mort n’a aucun sens.]’.
      Remarquez bien qu’une fois de plus,M Descartes, vous m’avez permis d’avancer dans ma réflexion:simplement,Merci!..

    • v2s dit :

      [En quoi la « signification » de la mort du poilu de 14-18 pourrait se trouver changée par une UE construite trente ou quarante ans plus tard ?]
      Pour moi, les listes communes sur le monument de ND de Lorette sont l’une des expressions d’un lent processus de prise de conscience de l’absurdité de se forger un ennemi héréditaire contre lequel il serait glorieux d’aller mourir.
      J’ai, moi aussi, un grand oncle enterré prés de Verdun, il avait 22 ans. En voyant sa croix blanche alignée avec des milliers d’autres, en en voyant dans le champ d’à coté des milliers d’autres croix rappelant, elles, la mort d’autres gamins, allemands de 20 ans également, morts dans la même boucherie, je partage avec les visiteurs allemands qui se trouvent dans le champs d’à coté la même volonté de ne plus me « faire baiser » par les instincts de revanches.
      « même les jeunes allemands, ils veulent plus la faire la guerre », et ça, c’est sans doute aussi parce que des commémorations communes, genre ND de Lorette, nous rappellent l’absurdité, pire, l’inutilité des « solutions » militaires.

    • Descartes dit :

      @ bovard

      [En effet les monuments aux morts ne concernaient ni les multi séculaires guerres contre les anglais, ni les guerres Napoléoniennes, ni les guerres coloniales. Les premiers monuments au morts sont apparus après la guerre de 1870-71, où le souvenir patriotique de reconquête de l’Alsace-Lorraine devait être entretenu.]

      C’est inexact. Le premier monument aux morts connu en France est la porte Desilles à Nancy. Elle mentionne par leur nom les natifs de la ville morts à la bataille de Yorktown pour l’indépendance des Etats-Unis. Elle a été bâtie en 1784. La révolution française construit aussi quelques « colonnes départementales », contenant les noms des natifs du département morts « tous les militaires domiciliés dans les départements qui, après s’être distingués par des actions d’éclats, seraient morts sur le champ de bataille » selon la proposition formulée par Lucien Bonaparte. L’arc de triomphe, qui date lui de 1806, porte aussi le nom de personnes mortes au champ d’honneur…

      Cela n’a d’ailleurs rien à voir avec un quelconque « anti-germanisme » : le mouvement de reconnaissance envers les citoyens tombés pour leur pays se développe en même temps dans l’ensemble du monde occidental. Les américains construisent des monuments aux morts pour commémorer les citoyens tombés au cours de la Guerre de Secession, les britanniques pour commémorer les morts des guerres coloniales. Il n’est pas étonnant que l’idée du monument aux morts soit apparue avec l’idéologie individualiste des Lumières, et qu’elle se soit développée considérablement dès lors que les armées mercenaires ont laissé le pas aux armées citoyennes.

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [Pour moi, les listes communes sur le monument de ND de Lorette sont l’une des expressions d’un lent processus de prise de conscience de l’absurdité de se forger un ennemi héréditaire contre lequel il serait glorieux d’aller mourir.]

      « Se forger un ennemi héréditaire » ? Mais de quoi vous parlez ? Souvenez-vous : en 1870, en 1914, en 1940 ce sont les troupes allemandes qui, sans provocation, ont traversé la frontière franco-allemande. Ce n’est pas la France qui s’est « forgé un ennemi héréditaire », et ce n’est pas la faute des français si trois générations ont été successivement endeuillés par la guerre et son cortège d’horreurs. La France, je le répète, n’a PAS UNE SEULE FOIS attaqué l’Allemagne. Pas UNE SEULE FOIS cherché à annexer la plus petite parcelle de territoire allemand. Si les allemands sont devenus « l’ennemi héréditaire », c’est de par leur propre volonté, et non parce que les français se seraient « forgé » un tel ennemi. Alors le discours bisonours des méchants français qui se seraient fait un « ennemi héréditaire » au lieu d’aller embrasser les gentils allemands, ça suffit !

      [J’ai, moi aussi, un grand oncle enterré prés de Verdun, il avait 22 ans. En voyant sa croix blanche alignée avec des milliers d’autres, en en voyant dans le champ d’à coté des milliers d’autres croix rappelant, elles, la mort d’autres gamins, allemands de 20 ans également, morts dans la même boucherie, je partage avec les visiteurs allemands qui se trouvent dans le champs d’à coté la même volonté de ne plus me « faire baiser » par les instincts de revanches.]

      Ah bon ? Et à votre avis, pour ne pas « se faire baiser par des instincts de revanche », qu’aurait du faire votre grand-père en 1914 ? Laisser les allemands libres d’avancer et d’occuper l’ensemble de notre pays ? Parce que ce n’est pas, comme le signale à juste titre Duroselle, les « instincts de revanche » qui ont provoqué la confrontation de 1914. Les français ne sont pas allés à la guerre pour récupérer l’Alsace et la Lorraine, mais pour défendre leur pays envahi. Pensez-vous qu’ils avaient tort ? Qu’ils auraient plutôt du accueillir les soldats allemands avec des fleurs ?

      [« même les jeunes allemands, ils veulent plus la faire la guerre », et ça, c’est sans doute aussi parce que des commémorations communes, genre ND de Lorette, nous rappellent l’absurdité, pire, l’inutilité des « solutions » militaires.]

      Si les « commémorations communes » pouvaient prévenir les guerres, cela se saurait. D’ailleurs, vous devriez vous souvenir que tout au long des années 1930 les anciens combattants français et allemands avaient déjà organisé des « commémorations communes » et toutes sortes d’échanges avec exactement le même argument que celui que vous exposez : que cela éviterait la guerre. Il faut se rendre à l’évidence, cela n’a rien changé.

      Si « même les jeunes allemands » ne veulent plus faire la guerre aujourd’hui, c’est moins parce qu’on a des « commémorations communes » que parce qu’ils ont encore en tête – et pas pour longtemps, croyez-moi – la défaite totale de l’Allemagne en 1945, avec les énormes destructions et la partition de leur pays. Si en 1945 les alliés s’étaient arrêtés au Rhin, vos « commémorations communes »… D’ailleurs vous noterez que les « commémorations communes » sont fort rares en Allemagne. Mais c’est sûrement une coïncidence.

    • bovard dit :

      dans quelles catégories rangez vous l’attitude de Napoléon 1er puis de Napoléon III qui ont réussi à rendre unis la Prusse et les petits royaumes germaniques ,unis face à un ennemi commun:la France qui avait envahi leurs territoires?

    • Descartes dit :

      @ bovard

      [dans quelles catégories rangez vous l’attitude de Napoléon 1er puis de Napoléon III qui ont réussi à rendre unis la Prusse et les petits royaumes germaniques, unis face à un ennemi commun: la France qui avait envahi leurs territoires ?]

      Napoléon III a « envahi les territoires des petits royaumes germaniques » ? Première nouvelle… Napoléon III avait discuté avec certains royaumes germaniques – la Prusse – des possibilités de se partager les autres. Mais à ma connaissance, jamais les troupes de Napoléon III n’ont traversé les frontières.

      Quant à Napoléon Ier… cela nous ramène un peu loin en arrière, à un temps où la guerre était affaire de professionnels. Les guerres napoléoniennes ont fait, si l’on compare aux guerres modernes, relativement peu de morts et les destructions de guerre sont sans comparaison avec celles des Ière et IIème guerres mondiales. Mais pour répondre complètement à votre question, non, je ne trouverais pas normal qu’on fasse en Allemagne des monuments aux morts des guerres napoléoniennes mélangeant dans une même liste les soldats de napoléon et ceux des princes allemands. Et même chose pour la guerre d’Algérie ou celle d’Indochine.

  15. Trubli dit :

    Bonsoir Descartes.
    Cet échange sur le monument aux morts de Notre Dame de Lorette est symptomatique de la lâcheté des classes moyennes et des élites françaises.

    Une nation sûre d’elle même ne s’humilie pas avec des monuments grotesques qui célèbrent les bourreaux de leurs parents !

    Comme l’écrivait Clausewitz la guerre n’est que la continuation de la politique. Si L’Allemagne a attaqué la France ou forcé celle-ci à vouloir en découdre c’est qu’elle y avait intérêt.
    L’Allemagne de 1914 est la première puissance industrielle européenne et vise l’hégémonie européenne voire mondiale.

    Le problème de la vision portée par V2S, c’est de croire qu’il n’y a que des hommes forcés à combattre contre leur gré par leur gouvernement. Il ne lui vient pas à l’esprit que par patriotisme des hommes puissent vouloir sauver leur pays de l’asservissement.

    La guerre de 14-18 n’aurait pas fait tant de morts français si le pays s’était sur le plan militaire parfaitement préparé.

    Actuellement cette lâcheté française a permis à l’Allemagne d’atteindre ce qu’elle n’avait pu réaliser en deux guerres mondiales, l’hégémonie continentale ! Nous sommes toujours en guerre contre l’Allemagne. Elle est économique !

    • Descartes dit :

      @Trubli

      [Comme l’écrivait Clausewitz la guerre n’est que la continuation de la politique. Si l’Allemagne a attaqué la France ou forcé celle-ci à vouloir en découdre c’est qu’elle y avait intérêt. L’Allemagne de 1914 est la première puissance industrielle européenne et vise l’hégémonie européenne voire mondiale.]

      Bien entendu. Tout comme la France ou l’Angleterre. Mais la France et l’Angleterre, pays ouverts sur les mers, sont allés chercher l’hégémonie dans le vaste monde, en bâtissant des empires coloniaux. L’Allemagne, pays dont l’unité était fragile, avait besoin d’un « ennemi héréditaire » à ses portes pour soutenir son unité.

      [Le problème de la vision portée par V2S, c’est de croire qu’il n’y a que des hommes forcés à combattre contre leur gré par leur gouvernement. Il ne lui vient pas à l’esprit que par patriotisme des hommes puissent vouloir sauver leur pays de l’asservissement.]

      Exactement. On est là dans la vision « victimiste » la plus extrême, celle qui dénie aux individus la moindre capacité à faire des choix et donc la moindre responsabilité. Au fond, nous sommes tous des jouets de forces qui nous dépassent. Ce qui est curieux, c’est qu’on refuse de pousser le raisonnement jusqu’au bout : confronté à Auschwitz, il se refuse tout de même à absoudre les SS de toute responsabilité au prétexte qu’ils étaient « forcés de combattre contre leur gré ».

      [La guerre de 14-18 n’aurait pas fait tant de morts français si le pays s’était sur le plan militaire parfaitement préparé.]

      Probablement. Mais la France est un pays profondément pacifiste. On l’a vu à chaque fois. Malgré les années de propagande sur la « revanche » et la reprise des provinces perdues, la IIIème République ne s’était guère préparée à conduire une guerre de reconquête. Si les allemands n’avaient pas attaqué en 1914, l’Alsace-Moselle seraient peut-être restés allemandes définitivement.

      [Actuellement cette lâcheté française a permis à l’Allemagne d’atteindre ce qu’elle n’avait pu réaliser en deux guerres mondiales, l’hégémonie continentale ! Nous sommes toujours en guerre contre l’Allemagne. Elle est économique !]

      Tout à fait.

    • v2s dit :

      @ Trubli
      [Le problème de la vision portée par V2S, c’est de croire qu’il n’y a que des hommes forcés à combattre contre leur gré par leur gouvernement. Il ne lui vient pas à l’esprit que par patriotisme des hommes puissent vouloir sauver leur pays de l’asservissement.]
      Il n’y a sans doute pas [« que » des hommes forcées à combattre par leur gouvernement], pas « que » mais au moins autant que de patriotes ou de hérauts.
      Un petit Quiz :
      Lorsque nous, Français, avec notre armée, sommes allés démettre puis éliminer physiquement Kadaffi, alors que la résolution de l’ONU n’autorisait rien de plus qu’une exclusion aérienne du territoire, diriez vous que :
      Réponse 1/ Nous étions des patriotes décidés à sauver la France de l’asservissement
      Réponse 2/ Nous voulions sécuriser les contrats d’extraction de TOTAL
      Réponse 3/ Nous voulions aider notre ami le Prince du Qatar à museler un concurrent turbulent sur le marché du gaz naturel ? (Note : plusieurs réponses sont possibles.)
      Mais revenons-en à l’Allemagne, notre ennemi héréditaire :
      Descartes, vous dites [Souvenez-vous : en 1870, en 1914, en 1940 ce sont les troupes allemandes qui, sans provocation, ont traversé la frontière franco-allemande]
      Pourquoi ne pas remonter au delà de 1870 ? En passant par les guerres de Napoléon et de Louis XIV contre l’Autriche et La Prusse et avant cela par les conflits interminables avec le Saint Empire, il faudrait parler de l’origine de cette opposition : la faiblesse du roi Lothaire, incapable de conserver son vaste territoire central, hérité par le traité de Verdun en 843, lors du partage de l’empire de Charlemagne. Chacun peut convoquer l’histoire au secours de sa légitimité, en cherchant bien, on trouve toujours une justification historique.
      La réalité de 2014, c’est que les mentalités ont évolué. Les peuples des grandes nations Européennes, à commencé par La France et l’Allemagne, mais aussi beaucoup d’autres, telles la Pologne et l’Italie pour ne parler que de ceux que je connais le mieux, ont beaucoup mûri, beaucoup appris des dernières guerres mondiales.
      En 2014, le sentiment que partagent les peuples des grandes nations européennes, c’est que la meilleure façon de régler les différents entre grands états européens, c’est la voie diplomatique. C’est, je crois, le sens des commémorations communes que vous détestez tant.
      [Actuellement cette lâcheté française a permis à l’Allemagne d’atteindre ce qu’elle n’avait pu réaliser en deux guerres mondiales, l’hégémonie continentale ! Nous sommes toujours en guerre contre l’Allemagne. Elle est économique !]
      Bigre ! C’est la guerre ! Devrions-nous bombarder les usines Volkswagen pour les empêcher de nous inonder de voitures ? Oui, la guerre économique existe, mais le terme « guerre » est inapproprié. Que nous, et nos dirigeants, n’ayons pas été capables de mener une politique industrielle nationale à la hauteur de la compétition mondiale, c’est un fait. Que les Allemands y soient mieux arrivés que nous, c’est indéniable. Mais s’il doit y avoir une solution, ne la cherchons pas dans le conflit armé. Regardons plutôt comment surmonter nos propres faiblesses industrielles.
      Ce débat sur le monument de ND de Lorette met en évidence une divergence de conviction importante. Vous, Descartes, Trubli, parlez de [la lâcheté des classes moyennes et des élites françaises.] alors que d’autres pensent que le nationalisme n’est pas une solution mais une partie du problème.

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [Un petit Quiz :
      Lorsque nous, Français, avec notre armée, sommes allés démettre puis éliminer physiquement Kadaffi, alors que la résolution de l’ONU n’autorisait rien de plus qu’une exclusion aérienne du territoire, diriez vous que :
      Réponse 1/ Nous étions des patriotes décidés à sauver la France de l’asservissement
      Réponse 2/ Nous voulions sécuriser les contrats d’extraction de TOTAL
      Réponse 3/ Nous voulions aider notre ami le Prince du Qatar à museler un concurrent turbulent sur le marché du gaz naturel ? (Note : plusieurs réponses sont possibles.)]

      Avant de répondre à la question, il faudrait que vous précisiez qui est ce « nous » qui « étions » ou « voulions » à chacune des réponses… Je vous rappelle que les « nous, Français » qui « sommes allés » en Libye, c’est tout au plus quelques centaines d’aviateurs et de personnel d’assistance, tous volontaires. Mais j’ai l’impression que votre « nous » couvre une population bien plus large que celle-là.

      [Mais revenons-en à l’Allemagne, notre ennemi héréditaire :]

      Je vous prie de noter que c’est vous qui qualifiez l’Allemagne de « ennemi héréditaire », pas moi.

      [Descartes, vous dites [Souvenez-vous : en 1870, en 1914, en 1940 ce sont les troupes allemandes qui, sans provocation, ont traversé la frontière franco-allemande]
      Pourquoi ne pas remonter au delà de 1870 ?]

      Pour plusieurs raisons. La première et principale, c’est qu’il ne faut pas confondre les guerres « modernes », conduites par des armées de conscription, amenant avec elles des destructions matérielles de grande importance et de nombreuses victimes civiles, avec les guerres « anciennes » qui étaient, elles, une affaire de soldats professionnels, avec un nombre de victimes civiles et de destructions matérielles bien plus réduits.

      Il y a une deuxième raison, c’est que les conséquences de la guerre ne sont pas les mêmes pour un sujet et pour un citoyen. Avant le XVIIIème siècle, les guerres n’altéraient pas significativement la vie des gens du commun : la victoire du prince X contre le vidame Y se traduisait banalement par le fait qu’au lieu de payer les impôts à Y on les payait à X. Ce n’est que depuis deux-cents ans que le rattachement à une nation plutôt qu’à une autre vous oblige à changer de langue…

      [La réalité de 2014, c’est que les mentalités ont évolué. Les peuples des grandes nations Européennes, à commencé par la France et l’Allemagne, mais aussi beaucoup d’autres, telles la Pologne et l’Italie pour ne parler que de ceux que je connais le mieux, ont beaucoup mûri, beaucoup appris des dernières guerres mondiales.]

      C’est très vrai. La défaite totale de l’Allemagne en 1945 a finalement convaincu les allemands qu’ils n’auraient pas l’hégémonie sur l’Europe par les armes et qu’il fallait trouver d’autres moyens – la monnaie, l’économie. La défaite de 1940 a enseigné à la France qu’il lui fallait l’arme absolue, la dissuasion nucléaire, avant de pouvoir trouver un modus vivendi civilisé avec l’Allemagne.

      [En 2014, le sentiment que partagent les peuples des grandes nations européennes, c’est que la meilleure façon de régler les différents entre grands états européens, c’est la voie diplomatique. C’est, je crois, le sens des commémorations communes que vous détestez tant.]

      Je ne vois pas très bien le rapport. L’URSS et les USA ont très rapidement compris que dès lors qu’ils avaient chacun les moyens de détruire la planète, la meilleure manière de régler leurs différends était la voie diplomatique. Cela nous a donné un demi-siècle de paix, et pourtant je ne me souviens pas qu’il y ait eu beaucoup de « commémorations communes » entre ces deux Grands…

      Si en 2014 les peuples des « grandes nations européennes » – car vous noterez que parmi les « petites » nations ce n’est pas tout à fait le cas – ont convaincus que la meilleure manière de régler les différends entre eux est la voie diplomatique, cela n’a rien à voir avec les « commémorations communes ». C’est lié à des questions purement objectives : le fait est que la guerre coûte trop cher, et que la conquête territoriale ne rapporte plus depuis que, avec les armements modernes, la puissance n’est plus liée à l’étendue. Aujourd’hui, il vaut mieux être petit et riche plutôt que grand et pauvre, et c’est d’ailleurs pour cela qu’on voit se « rompre » les nations européennes les plus fragiles, ou les régions riches préfèrent s’en aller plutôt que de continuer à subventionner les pauvres. Si vous additionnez le fait que parmi les « grandes nations européennes » vous trouvez deux puissances nucléaires, vous comprendrez que la guerre soit devenue difficile. Commémoration ou pas.

      [Bigre ! C’est la guerre ! Devrions-nous bombarder les usines Volkswagen pour les empêcher de nous inonder de voitures ?]

      En tout cas, les allemands ont détruit notre industrie automobile bien plus efficacement que s’ils avaient bombardé nos usines… Le terme « guerre » est probablement excessif, mais si l’on s’en tient à la vision clawsewitzienne, il y a une continuité entre la politique et la guerre. Il y a, c’est incontestable, une confrontation de puissances entre la France et l’Allemagne, confrontation dans laquelle chaque partie utilise les « armes » à sa disposition pour défendre ses intérêts, sans grande préoccupation pour les dégats que ces « armes » peuvent causer à autrui. Lorsque Merkel utilise la puissance allemande pour forcer les autres à pratiquer des politiques économiques désastreuses pour leurs peuples, la « guerre » n’est pas très loin…

      [Que les Allemands y soient mieux arrivés que nous, c’est indéniable. Mais s’il doit y avoir une solution, ne la cherchons pas dans le conflit armé. Regardons plutôt comment surmonter nos propres faiblesses industrielles.]

      Tout à fait d’accord. A la « guerre économique », il faut répondre avec les armes de la guerre économique. Pour commencer, reprenons le contrôle de notre monnaie, de notre crédit, de notre politique économique. Ca vous va pour un début ?

      [Ce débat sur le monument de ND de Lorette met en évidence une divergence de conviction importante. Vous, Descartes, Trubli, parlez de [la lâcheté des classes moyennes et des élites françaises.] alors que d’autres pensent que le nationalisme n’est pas une solution mais une partie du problème.]

      Attendez… c’est Trubli qui parle de « la lâcheté des classes moyennes et des élites françaises », mais vous vous déclarez « que nous, et nos dirigeants, n’ayons pas été capables de mener une politique industrielle nationale à la hauteur de la compétition mondiale, c’est un fait ». Finalement, ce que Trubli attribue à la « lâcheté », vous l’attribuez à « l’incapacité ». Vos deux points de vue ne sont donc pas si éloignés que cela…

    • bovard dit :

      @Trubli,@Descartes
      Non,encore une fois ,les différentes plumes intervenant sous cette signature mystérieuse de Descartes ne se valent pas!
      Ou alors,Descartes un mauvais jour,avez vous oublié les Guerres de Napoléon3 ,celles de Napoléon1er,celle de Bonaparte ,plus généralement de la république de l’an II ?
      Faut il évoquer les guerres de Louis 16, Louis 15, Louis 14, Louis 13, Louis 12 et toutes celles des autres rois.
      Et les guerres de conquêtes coloniales d’Algérie,du Maghreb,Afrique Occidentale,Madagascar,Cochinchine plus la politique des canonnières et des comptoirs au 19° et 20° siècle
      Sans parler de l’expédition au canal de suez,la guerre de Corée,avec l’ONU,celles ou les casques bleus français interviennent,du vietnam pour la 4° république.
      Pour la 5ième,toujours,de mémoire à la volée dans une liste non-exhaustive:Le Tchad,Kolwezi.le Koweit,La première guerre d’Irak,Le Mali,Le Centrafrique,la côte d’Ivoire etc..N’en jetez plus…
      Comment avez vous pus écrire tel un gamin irresponsable?:[…’est symptomatique de la lâcheté des classes moyennes et des élites françaises’.]
      Oui,Descartes votre collectif est composé d’éléments très hétérogènes dont certains ressemblent beaucoup à ces jeunes-vieux nostalgiques des feuilles roses du Larousse ou figurait la carte de l’ex-empire français,du à l’Hyper-militarisme ,ultra violent des français reconnu comme tel par les observateurs et historiens du monde entier.
      Demandez aux Maghrébins Malgaches et populations bombardées au Mali,Centrafrique,Irak,Syrie s’ils pensent que [ ‘la France est un pays profondément pacifiste’].
      Enfin,pourquoi ces inepties ?

    • Descartes dit :

      @ bovard

      [Ou alors, Descartes un mauvais jour, avez vous oublié les Guerres de Napoléon3 ,celles de Napoléon1er,celle de Bonaparte ,plus généralement de la république de l’an II ?
      Faut il évoquer les guerres de Louis 16, Louis 15, Louis 14, Louis 13, Louis 12 et toutes celles des autres rois.]

      Je n’ai rien « oublié » du tout. J’ai expliqué dans un autre message pourquoi les guerres « modernes », faites par des armées de conscription, entrainant des destructions massives, des déplacements de population, des pertes civiles importantes et des changements allant bien au delà d’un simple changement de Prince sont de nature très différentes des guerres qui ont précédé, qui étaient une affaire de professionnels, avec des armes dont la puissance était bien inférieure, des destructions bien moins sensibles, etc. Pour les paysans français, les guerres de Louis XIV n’ont eu d’autre effet que d’alourdir les impôts. Celles de 1870, 1914 ou 1940 ont eu des effets bien différents.

      [Et les guerres de conquêtes coloniales d’Algérie, du Maghreb, Afrique Occidentale, Madagascar, Cochinchine plus la politique des canonnières et des comptoirs au 19° et 20° siècle]

      De quelles « guerres » parlez-vous ? En fait, si l’on excepte l’Algérie, les autres conquêtes coloniales françaises se sont faites sans véritable « guerre ». Ni l’Afrique occidentale, ni Madagascar, ni la Cochinchine n’avaient des véritables Etats, susceptibles de mener une « guerre ». Encore une fois, pour ce qui concerne le sujet de cette discussion, qui est partie je vous le rappelle du monument de Notre Dame de Lorette, il est difficile de comparer les grandes guerres « modernes » en Europe avec les guerres antérieures au XVIIIème siècle ou bien avec la conquête coloniale. Mais à supposer que cette comparaison fut appropriée, il me paraîtrait inapproprié de bâtir des monuments qui mélangeraient les noms des combattants des deux camps. Imaginez-vous un monument sur la conquête de l’Algérie en 1830 qui mettrait côté à côté les noms des soldats d’Abd-El-Kader et ceux de Bougeaud ? Je trouverais personnellement cela franchement obscène.

      [Comment avez vous pus écrire tel un gamin irresponsable?:[…’est symptomatique de la lâcheté des classes moyennes et des élites françaises’.]]

      Ce n’est pas moi qui a écrit ça, c’est Trubli. A César ce qui est à César…

      [Demandez aux Maghrébins Malgaches et populations bombardées au Mali, Centrafrique, Irak, Syrie s’ils pensent que [ ‘la France est un pays profondément pacifiste’].]

      A votre avis, quelle serait leur réponse ? Je pense que vous seriez surpris. Parce que, au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, la France intervient aujourd’hui en Centrafrique et au Mali à la demande des autorités locales, nos soldats sont reçus avec soulagement par les populations qui n’ont qu’une crainte : les voir partir et laisser le pays au chaos.

      Oui, je le répète, la France est un pays profondément pacifiste. Tellement que nos opérations militaires en dehors du territoire métropolitain ont toujours été une affaire de soldats professionnels, d’une petite élite militaire regardée avec méfiance voire avec hostilité par l’immense majorité de la population. Nos guerres coloniales ont été soit l’objet d’indifférence (comme ce fut la guerre d’Indochine) soit de profonde division du de l’opinion publique, et jamais nos troupes ont pu compter avec l’adhésion pleine et entière de la société civile. Nos soldats revenant de ces opérations n’ont jamais été accueillis comme des héros, plutôt tout le contraire. Nos hommes politiques n’ont jamais fait étalage de leurs titres militaires, comme le font couramment les politiciens américains ou britanniques. J’avais eu l’opportunité de le signaler sur ce blog : presque un million et demi de jeunes français ont participé à la guerre d’Algérie. En dehors de l’extrême droite, combien d’hommes politiques de cette génération en ont fait état dans leurs campagnes électorales ? Contrairement aux américains, aux britanniques et aux allemands, les français se sont toujours profondément méfié des militaires. C’est là un héritage de la Révolution, qui en renversant le pouvoir de l’aristocratie a en même temps dévalorisé la fonction qui était traditionnellement celle des aristocrates : le métier des armes. La formule de Clemenceau, « la guerre est quelque chose de trop importante pour être laissée aux militaires » s’étend à toutes les sphères de la politique. Rares sont les pays où les anciens militaires sont aussi peu représentés dans les gouvernements, et où les rares militaires qui y sont cachent soigneusement ce trait de leur passé.

      Les Français n’ont été unis et prêts à aller massivement à la guerre que lorsque le territoire national a été occupé. Jamais, depuis l’établissement de la conscription, le contingent n’a été utilisé en dehors du territoire de la République. Pour toutes ces raisons, je pense pouvoir dire que la France est une nation profondément pacifiste.

    • morel dit :

      Uniquement pour l’histoire :

      « les guerres « anciennes » qui étaient, elles, une affaire de soldats professionnels »

      Faux pour les guerres napoléoniennes et celles de la Révolution (plus le fait des girondins mais…).

      « Avant le XVIIIème siècle, les guerres n’altéraient pas significativement la vie des gens du commun : la victoire du prince X contre le vidame Y se traduisait banalement par le fait qu’au lieu de payer les impôts à Y on les payait à X. Ce n’est que depuis deux-cents ans que le rattachement à une nation plutôt qu’à une autre vous oblige à changer de langue… »

      Pas si simple : la langue française : ordonnance Villers-Cotterêts (Alsace, entre autres…) et même si l’y a eu des ménagements servi par de prudents administrateurs venus de l’intérieur, qui croyez-vous que Louis le quatorzième a favorisé dans un pays majoritairement protestant ? De même la législation ecclésiastique était moins libérale que celle de la maison d’Autriche y compris pour les catholiques.

    • v2s dit :

      [Parce que, au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, la France intervient aujourd’hui en Centrafrique et au Mali à la demande des autorités locales]
      Mais bien sûr, on n’oublie pas non plus que Bush s’est attelé à la chute de Saddam Hussein à la demande du Koweït, menacé par les velléités de (re)conquête territoriales de l’Irak. Et on n’oublie pas non plus que César a commencé la conquête de La Gaule en volant au secours de tribus gauloises menacées, à proximité de Massilia, et ce, à leur demande pressante. En concluriez vous que Rome et les USA sont des [pays profondément pacifistes] ?

      [Imaginez-vous un monument sur la conquête de l’Algérie en 1830 qui mettrait côté à côté les noms des soldats d’Abd-El-Kader et ceux de Bougeaud ? Je trouverais personnellement cela franchement obscène.]
      Il y a un point commun entre tous ces morts, les soldats de Bugeaud, ceux d’Abd el-Kader, ceux du contingent français de 54 à 62 et ceux du FLN et même ceux de l’OAS. Leurs noms pourraient un jour figurer sur même monument érigé en mémoire des victimes du colonialisme.

      [Jamais, depuis l’établissement de la conscription, le contingent n’a été utilisé en dehors du territoire de la République]
      Pour que ces affirmations soient exactes, il faudrait admettre que l’Algérie et l’Indochine, deux guerres ou le contingent a combattu, faisaient partie du territoire de la république.
      Mais, Descartes, il faudrait choisir, d’abord vous commencez par affirmer que [Nos soldats revenant de ces opérations n’ont jamais été accueillis comme des héros, plutôt tout le contraire] pour ensuite dire que [Jamais, …le contingent n’a été utilisé en dehors du territoire de la République]
      Si le contingent a été mal accueilli au retour c’est bien qu’il y avait [été utilisé], non ?

    • Descartes dit :

      @ morel

      [Uniquement pour l’histoire : « les guerres « anciennes » qui étaient, elles, une affaire de soldats professionnels ». Faux pour les guerres napoléoniennes et celles de la Révolution (plus le fait des girondins mais…).]

      La loi Jourdain-Delbrel du 19 fructidor an VI, qui est l’acte fondateur du service militaire en France, prévoit déjà que « l’armée se forme par enrôlement volontaire et par la voie de la conscription ». La conscription ne servait donc qu’à compléter les effectifs au cas où les engagements volontaires ne seraient pas suffisants, et il est révélateur que dans le texte on retrouve toujours les dispositions concernant l’engagement volontaire avant celles concernant la conscription. En pratique, probablement à cause de l’état économique de la France à l’époque, les engagés volontaires étaient fort nombreux. Il est difficile de trouver des chiffres donnant une idée du rapport entre les volontaires et les conscrits.

      [« Avant le XVIIIème siècle, les guerres n’altéraient pas significativement la vie des gens du commun : la victoire du prince X contre le vidame Y se traduisait banalement par le fait qu’au lieu de payer les impôts à Y on les payait à X. Ce n’est que depuis deux-cents ans que le rattachement à une nation plutôt qu’à une autre vous oblige à changer de langue… »][Pas si simple : la langue française : ordonnance Villers-Cotterêts (Alsace, entre autres…)]

      Non. L’ordonnance de Villers-Cotterêts fait du français la langue officielle pour les actes publics, à la place du latin. Elle n’a en rien modifié la langue parlée par les gens du commun, qui ont continué à parler joyeusement leurs patois jusqu’au XIXème siècle. Lorsque l’école obligatoire est instituée par la IIIème République, moins de la moitié des français a le français pour langue usuelle.

      [et même si l’y a eu des ménagements servi par de prudents administrateurs venus de l’intérieur, qui croyez-vous que Louis le quatorzième a favorisé dans un pays majoritairement protestant ? De même la législation ecclésiastique était moins libérale que celle de la maison d’Autriche y compris pour les catholiques]

      Vous avez en partie raison : le domaine religieux était le seul où les fortunes du seigneur dans la guerre avaient un effet décisif sur les sujets. Mais dans les autres domaines, les changements étaient minimes.

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [Mais bien sûr, on n’oublie pas non plus que Bush s’est attelé à la chute de Saddam Hussein à la demande du Koweït, menacé par les velléités de (re)conquête territoriales de l’Irak.]

      Vous feriez mieux de l’oublier, parce que c’est totalement et absolument faux. Bush (père) est intervenu après l’invasion du Koweit par l’Irak et à la demande des autorités koweitiennes pour rétablir l’Etat du Koweit. Mais il ne s’est nullement « attelé à la chute de Saddam Hussein ». Au contraire. Alors que ses « faucons » l’encourageaient à aller jusqu’à Baghdad, Bush (père) s’est prudemment abstenu de suivre leurs conseils et les troupes américaines se sont arrêtées à la frontière. Vous confondez avec Bush (fils) qui envahit l’Irak en réponse au programme (imaginaire et inventé pour l’occasion) de mise au point d’armes de destruction massive de ce pays.

      [Et on n’oublie pas non plus que César a commencé la conquête de La Gaule en volant au secours de tribus gauloises menacées, à proximité de Massilia, et ce, à leur demande pressante. En concluriez vous que Rome et les USA sont des [pays profondément pacifistes] ?]

      Il ne vous aura pas échappé qu’une fois la menace levée sur les trois tribus en question, César ne semble pas être rentré en Gaule. C’est un peu le contraire qui se passe au Mali : l’armée française voudrait bien rentrer à la maison, et ce sont les maliens qui font pression pour qu’elle reste… Maintenant, si vous voulez continuer à croire que la France est allée au Mali afin de se tailler un empire, libre a vous. Je trouve l’affirmation tellement absurde qu’elle ne vaut à mon avis même la peine d’être discutée…

      [Imaginez-vous un monument sur la conquête de l’Algérie en 1830 qui mettrait côté à côté les noms des soldats d’Abd-El-Kader et ceux de Bougeaud ? Je trouverais personnellement cela franchement obscène.][Il y a un point commun entre tous ces morts, les soldats de Bugeaud, ceux d’Abd el-Kader, ceux du contingent français de 54 à 62 et ceux du FLN et même ceux de l’OAS. Leurs noms pourraient un jour figurer sur même monument érigé en mémoire des victimes du colonialisme.]

      Ah, merci maître V2S, je vous avoue que je n’ai pas souvent l’opportunité de rigoler autant. Imaginez que Bugeaud ait été tué lors de l’invasion de l’Algérie. Il serait alors inclus dans ce monument comme « victime du colonialisme » ? Bugeaud ? Non, franchement il faut être de fer pour ne pas se péter une côte. Avec ce genre de critère, je ne comprends pas pourquoi le nom de Heydrich ne serait demain sur un monument avec celui des résistants tchèques, sous le titre « victimes du nazisme »…

      [Jamais, depuis l’établissement de la conscription, le contingent n’a été utilisé en dehors du territoire de la République][Pour que ces affirmations soient exactes, il faudrait admettre que l’Algérie et l’Indochine, deux guerres ou le contingent a combattu, faisaient partie du territoire de la république.]

      Le contingent n’a pas combattu en Indochine. Quant à l’Algérie, elle faisait partie du territoire de la République depuis la départementalisation de 1902. J’ajoute pour être tout à fait exact que mon affirmation ignorait l’utilisation du contingent lors des guerres napoléoniennes, comme l’a signalé un autre commentateur.

      [Mais, Descartes, il faudrait choisir, d’abord vous commencez par affirmer que [Nos soldats revenant de ces opérations n’ont jamais été accueillis comme des héros, plutôt tout le contraire] pour ensuite dire que [Jamais, …le contingent n’a été utilisé en dehors du territoire de la République] Si le contingent a été mal accueilli au retour c’est bien qu’il y avait [été utilisé], non ?]

      Relisez bien : j’ai écrit « nos soldats revenant d’opérations… » et non pas « nos soldats DU CONTINGENT revenant d’opérations ».

    • v2s dit :

      [Ah, merci maître V2S, je vous avoue que je n’ai pas souvent l’opportunité de rigoler autant…. Non, franchement il faut être de fer pour ne pas se péter une côte]
      C’est vous qui parlez d’abord [des soldats d’Abd-El-Kader et ceux de Bougeaud], vous parliez bien des « soldats ». Je vous réponds sur ces mêmes « soldats », pas sur les politiciens qui les ont envoyés se faire trouer la peau, et je continue de penser qu’ils ont été victimes des politiques colonialistes de la France. Je suis heureux que ça vous fasse tellement rire.

      En réalité, ce qui vous agace, c’est que l’on puisse considérer que tous les morts se valent et qu’ils soient, dans les deux camps, victimes de la mauvaise cause politique qui les a entraînée jusque là. c’est pourtant un des fondements de l’antimilitarisme.
      Mais votre point de vue n’est pas surprenant, les communistes ont toujours montré un antimilitarisme "sélectif".

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [C’est vous qui parlez d’abord [des soldats d’Abd-El-Kader et ceux de Bougeaud], vous parliez bien des « soldats ». Je vous réponds sur ces mêmes « soldats », pas sur les politiciens qui les ont envoyés se faire trouer la peau, et je continue de penser qu’ils ont été victimes des politiques colonialistes de la France.]

      Mais d’où sortez vous l’idée que les soldats de Bugeaud ont été « envoyés par les politiciens se faire trouer la peau » ? En 1830, il n’y avait plus de conscription. Les troupes de Bugeaud étaient donc constituées d’engagés volontaires. Ils ne se trouvaient donc pas là par hasard, ou par la volonté des « politiciens » honnis. J’ajoute que Bugeaud lui-même n’était pas un « politicien » mais un général, militaire de carrière, lui aussi soumis aux ordres des « politiciens ». Si vous considérez les soldats de Bugeaud comme des « victimes », alors il n’y a aucune raison d’exclure leur général de ce statut.

      [En réalité, ce qui vous agace, c’est que l’on puisse considérer que tous les morts se valent et qu’ils soient, dans les deux camps, victimes de la mauvaise cause politique qui les a entraînée jusque là.]

      Non. Ce qui m’agace, c’est qu’on se permette de parler à la place des morts en profitant du fait qu’ils ne sont pas là pour se défendre. Car je doute fort que ces morts accepteraient sans broncher qu’on les transforme en « victimes ». De que droit affirmez-vous que la « cause politique » qui les a entraînes au champ de bataille n’était pas la leur, qu’ils ont été trompés ou contraints par des « politiciens » à se faire « trouer la peau » pour une cause qui n’en valait pas la peine ?

      Les hommes ne sont pas des machines, et les soldats n’obéissent pas aux ordres des « politiciens qui les envoient se faire trouer la peau » s’ils ne partagent pas les buts que ces politiciens ont fixé. Les soldats de 1914-18 pensaient dans leur immense majorité qu’il fallait défendre le territoire national contre l’invasion allemande. Ceux qui pensaient qu’il valait mieux déposer les armes, quitte à devenir une province allemande étaient une infime minorité. Combattre les allemands n’était donc pas une décision prise par des « politiciens », c’était une volonté de la nation toute entière. Alors, de quel droit allons nous décider que cette volonté ne compte pour rien ?

      [c’est pourtant un des fondements de l’antimilitarisme. Mais votre point de vue n’est pas surprenant, les communistes ont toujours montré un antimilitarisme "sélectif".]

      Comme toute personne moyennement intelligente. Il faut être très bête pour montrer un « antimilitarisme » général qui ne tient pas compte du contexte concret. Être antimilitariste en 1962, cela avait un sens. Etre antimilitariste en 1940, c’est de la folie.

    • bovard dit :

      @v2s,@Descartes
      Attention,soyons précis;la conscription existait en 1830:exemplepour la garde civile,dont la commune d’Esplechin possède les registres consultables sur Internet.
      Concernant le contingent qui débarqua à sidi Ferruch en 1830,je ne sais pas si c’étaient des conscrits.Mais la forme de conscription par tirage au sort(d’où vient l’expression tirer le bon numéro) existait pour une classe du même village.
      ainsi,j’ai eu un ancêtre qui servit comme simple soldat chez les zouaves,après qu’un riche noble qui avait tiré le mauvais numéro,lui ait acheté le bon.
      Mon ancêtre fit son service plus celui du noble,soit 14 ans sous le général Bugeaud.
      Il est revenu vivant ,avec le surnom de ‘l’Arabe’.
      Son nom ne figure effectivement sur aucun monument aux morts mais il était parti parce qu’il n’avait pas de biens,pas pour ‘se faire trouer la peau’…
      C’est complexe comme dirait à juste titre v2s.

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