Retour au collège…

La n-ième « réforme » de l’enseignement est en marche, et aujourd’hui c’est le collège qui s’y colle. Mais pourquoi tant de haine ? Pourquoi tant d’anathèmes jetés à la figure, de noms d’oiseau échangés ? Ne peut-on pour une fois débattre tranquillement et sérieusement d’une affaire qui nous concerne tous ? Après tout, ne voulons-nous tous la même chose, à savoir, la meilleure école possible pour nos enfants ?

Poser la question, c’est y répondre. Non, nous ne pouvons pas débattre sereinement de ces questions. Et la raison, bien entendu, c’est que nous ne voulons pas, mais alors pas du tout, la même chose. Nous voulons bien entendu tous la meilleure école pour nos enfants. Mais sommes nous – et la question s’adresse d’abord à ceux qui ont le plus – prêts à payer pour la meilleure école pour les enfants des autres ? Rien de moins évident. Et dès lors qu’on pose la question en ces termes, on quitte la question pédagogique, celle de savoir comment le mieux former nos jeunes, pour entrer dans la question compliquée de savoir qui doit accéder à quelles connaissances et qui doit en être privé pour des questions d’économie. Une question qui est intimement associée à celle de la citoyenneté.

De ce point de vue, il n’est pas inintéressant de lire la tribune publiée par un groupe d’enseignants dans le journal « Le Monde » du jeudi 14 mai, sous le titre « Enseignement de l’histoire au collège : halte aux mensonges et aux fantasmes ». Parmi les signataires de cette tribune, on ne reconnaît aucune personnalité de premier plan. Mais on sait bien que le vulgus pecum n’a pas tribune ouverte dans le vénérable journal du soir, et la tribune en question reprend d’une manière tellement mécanique les arguments brandis par les ténors du Parti Socialiste, qu’il est assez évident que cette tribune fait partie d’une campagne politique. Mais ce qui est intéressant, comme souvent dans ce genre de tribune, c’est la vision qui sous-tend l’argumentation, et qui transparaît quelquefois sans que les auteurs s’en aperçoivent. Et ici, on n’est pas déçu. Voici le paragraphe le plus intéressant :

Au-delà, ces prises de position reflètent une erreur plus fondamentale. Il faut n'avoir pas mis les pieds depuis très longtemps dans une salle de classe pour croire que ce qui se joue dans un cours d'histoire est de l'ordre de l'adhésion à la nation (…) N'en déplaise à beaucoup, il y a longtemps que l'inculcation du patriotisme n'est plus la mission première de l'école républicaine. Les enseignants d'histoire-géographie n'ont pas pour vocation de fabriquer la loyauté nationale de leurs élèves, quand bien même ils le pourraient, mais de les aider à se construire comme de futurs citoyens, c'est-à-dire comme des libres acteurs du présent et du futur à partir d'une connaissance critique du passé.

Les signataires de la tribune – tous enseignants du supérieur – « n’ont pas mis les pieds depuis très longtemps dans une salle de classe », ce qui donne une saveur particulière à leur remarque. Goûtons aussi à ce délicieux « n’en déplaise à certains », qui prétend nous faire accepter comme inévitable ce qui n’est qu’un état de fait. Ce n’est pas parce que « il y a longtemps » qu’on fait les choses en dépit du bon sens qu’il faut continuer, et « n’en déplaise à certains » ce qui n’est pas aujourd’hui vrai pourrait le devenir – ou le redevenir – demain. Mais ce n’est pas là le plus intéressant.

Admettons que la « mission primaire » de l’école soit, comme nous le disent ces éminents professeurs, « aider les élèves à se construire comme des futures citoyens » en dehors de toute « adhésion à la nation ». Mais c’est quoi, être « citoyen » ? Pour ces éminents professeurs, il semblerait que la « citoyenneté » se réduise à être « libre acteur du présent et du futur ». A croire les tenants de cette vision, le « citoyen » se construit en lui-même. C’est oublier que le terme « citoyen » se réfère d’abord à une « cité ». Peut-on être « citoyen » hors-sol, pour ainsi dire ? Peut-on parler de « citoyenneté » alors qu’on voue aux gémonies toute loyauté envers une « cité » au nom d’une conception purement individualiste du citoyen ?

Le professeur d’histoire-géographie n’est pas un envoyé des dieux. Son droit à se mettre devant sa classe et d’exiger de ses élèves attention et écoute n’est pas de droit divin. S’il peut le faire, c’est qu’il est institué par la collectivité nationale. C’est pourquoi il enseigne dans un bâtiment dont l’entré est décoré du drapeau tricolore et de la devise « Liberté, Egalité, Fraternité ». Et qu’à la fin de chaque mois il reçoit un virement payé par l’argent de nos impôts. Dans ces conditions, comment pourrait-il ne pas avoir pour « fonction primaire » de susciter « l’adhésion à la nation », puisque cette adhésion est la condition nécessaire de sa propre autorité dans la classe ? Que fera le professeur lorsque l’élève « citoyen », « libre acteur du présent et du futur », utilisera cette « liberté » pour affirmer que Dieu a créé le ciel et la terre, et que la théorie du Big Bang comme celle de l’évolution ne sont que des inventions – qui plus est blasphématoires ?

L’élève, parce que c’est un être inachevé, immature, ne peut assumer la responsabilité que les pédagogues prétendent placer en lui. S’il était capable d’utiliser son sens critique pour séparer le vrai du faux, il ne serait plus un élève. L’élève n’est « citoyen » qu’en puissance, et il le devient au fur et à mesure qu’il intègre le savoir mais aussi la mémoire et les comportements développés par les générations qui l’ont précédé. Mais cette intégration nécessite de la part de l’élève une attitude d’écoute, d’attention, de respect. Et pourquoi l’élève respecterait-il, écouterait-il, ferait-il attention au maître ? Parce qu’il « sait » ? Mais d’abord, qui certifie que le maître « sait » ? Qui certifie qu’il faut apprendre ce que le professeur enseigne, même si ce qu’il dit contredit wikipédia, monsieur le curé ou l’imam, ou même les parents ? Comment le professeur pourrait se passer de l’institution symbolique que seule la Nation peut conférer ? Et comment cette institution symbolique pourrait-elle fonctionner si l’élève ne ressent aucune « loyauté » envers la Nation qui la confère ? Comment les professeurs ne réalisent-ils pas qu’en renonçant à constituer la « loyauté à la nation » ils scient la branche sur laquelle ils sont eux-mêmes assis ?

Ce n’est pas par hasard à mon avis si cette tribune est signée par des professeurs d’histoire exerçant dans le supérieur. Les enseignants universitaires exercent auprès d’étudiants qui, étant des citoyens de plein exercice, viennent au cours volontairement et s’en vont si le cours ne leur convient pas. Contrairement aux professeurs du secondaire, leur travail ne consiste pas à faire entrer des savoirs et des méthodes de travail dans la tête d’élèves qui n’ont jamais demandé à être là. Mais les professeurs secondaires, eux, ne sont protégés que par le respect du à leur investiture. Qu’il cède, et c’en est fini de leur autorité – et ce qui est plus grave, de leur capacité à transmettre.

Si « erreur fondamentale » il y a, c’est bien cette conception de l’école qui la place « hors-sol », comme si une institution symbolique pouvait exister par elle-même, comme si on pouvait former des « citoyens » sans penser à la « cité », comme si l’élève allait faire confiance au professeur parce que c’est le professeur. Bien pire que la dégradation des moyens et des programmes, c’est cette « erreur fondamentale » qui dégrade les rapports au sein de la « communauté éducative » – expression canonique qui n’a rien d’innocent, et qui montre combien notre société a peur du mot « institution ». Une école qui ne se fixe pas comme objectif de former la "loyauté à la nation" se condamne elle même à n'être qu'un supermarché du savoir. Et on sait qu'au supermarché, seuls ceux qui ont de l'argent peuvent emporter la marchandise. Mais c'est peut-être là le but ?

Descartes

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135 réponses à Retour au collège…

  1. Jean-François dit :

    Bonjour Descartes,

    [A croire les tenants de cette vision, le « citoyen » se construit en lui-même. C’est oublier que le terme « citoyen » se réfère d’abord à une « cité ». Peut-on être « citoyen » hors-sol, pour ainsi dire ? Peut-on parler de « citoyenneté » alors qu’on voue aux gémonies toute loyauté envers une « cité » au nom d’une conception purement individualiste du citoyen ?]

    Ce passage me paraît un peu confus et imprécis, et il ne me semble pas que c’est ce que les auteurs de la tribune ont voulu dire. Je pense que ce qu’ils ont écrit peut être traduit à peu près comme ça :

    Les enseignants d’histoire-géographie n’ont pas pour vocation d’inculquer une loyauté envers la nation, mais d’aider les élèves à comprendre pourquoi les lois et le respect des lois sont importants pour le bon fonctionnement d’une nation à partir d’une connaissance critique du passé.

    La différence entre les deux tient à la différence entre « inculquer » et « aider à se construire ». Je suppose qu’ils pensent que la deuxième façon de faire produit de meilleurs citoyens, car pourvus d’un meilleur sens critique, alors que la première produit des robots qui obéissent sans réfléchir.

    • Descartes dit :

      @ Jean-François

      [La différence entre les deux tient à la différence entre « inculquer » et « aider à se construire ». Je suppose qu’ils pensent que la deuxième façon de faire produit de meilleurs citoyens, car pourvus d’un meilleur sens critique, alors que la première produit des robots qui obéissent sans réfléchir.]

      Malheureusement, ce n’est pas le cas. Pourquoi ? Parce que pouvoir « aider a se construire », encore faut-il que celui qui est en face accepte cette aide. Et pourquoi le ferait-il ? Pourquoi préférerait-il écouter la parole du professeur plutôt que celle de l’imam, du curé, du gourou, de « l’opinion publique » façon wikipédia, de tel ou tel site complotiste ?

      A mon sens, vous faites la même erreur que les auteurs de l’article. Vous faites comme si l’autorité du professeur allait de soi. Vous supposez que le professeur sera écouté, que sa parole s’imposera à toutes les autres par définition. Mais vous ne vous demandez pas comment cette autorité se constitue. Cette autorité existe parce que le professeur est mandaté par une institution qui détient, elle, sa légitimité de la Nation. Et c’est parce que nous avons une loyauté envers la Nation que ce mandat est opérant. Déclarer que l’école n’a plus pour fonction « d’inculquer la loyauté à la Notion », c’est déclarer que l’école n’a plus à défendre sa propre légitimité. C’est un suicide.

      Les enseignants sont – ou du moins ont été longtemps – sous l’impression que leur légitimité était incontestable. Qu’ils pouvaient encourager leur élèves à avoir un regard critique sur tout – l’histoire, la géographie, le « roman national », la religion, les principes, l’Etat, les institutions – sans mettre en danger leur propre position. Mais lorsqu’on encourage l’élève à se montrer critique envers tout, il arrive un moment où l’élève s’attaquera à la parole de l’enseignant lui-même. Et une fois qu’on atteint ce stade, la communication est coupée. L’enseignant ne peut plus rien faire, puisque son discours n’est plus écouté.

      Encourager le sens critique des élèves, pourquoi pas. Mais en ayant conscience que les élèves n’ont pas, dans de larges domaines, ni la maturité, ni la connaissance, ni l’expérience qui leur permettrait d’exercer ce sens critique à bon escient. Faire croire aux élèves le contraire, c’est de la pure démagogie. Et une démagogie très dangereuse, parce que cela légitime la contestation par les élèves de la légitimité de l’école elle-même.

    • Jean-François dit :

      [Malheureusement, ce n’est pas le cas. Pourquoi ? Parce que pouvoir « aider a se construire », encore faut-il que celui qui est en face accepte cette aide. Et pourquoi le ferait-il ? Pourquoi préférerait-il écouter la parole du professeur plutôt que celle de l’imam, du curé, du gourou, de « l’opinion publique » façon wikipédia, de tel ou tel site complotiste ?]

      Je n’enseigne pas dans le primaire ou le secondaire, et je ne sais pas exactement combien il est difficile de faire en sorte que l’élève accepte l’aide de l’enseignant dans ces cadres. Mais je pense pouvoir donner une réponse à la question : « pourquoi le ferait-il ? ». Je crois que cela dépend du respect de l’élève envers l’enseignant, et que ce respect est dépendant de l’implication et de la compétence de l’enseignant dans son domaine d’enseignement aux yeux de l’élève. Quand l’élève voit que l’enseignant se démène pour ses élèves et qu’il a une connaissance poussée de son sujet, je crois qu’il y a une plus grande probabilité qu’il le respecte. Je ne dis pas pour autant que cela est suffisant, ne serait-ce que parce qu’il me paraît évident qu’il existe des élèves imperméables à l’engagement et la compétence de l’enseignant.

      [A mon sens, vous faites la même erreur que les auteurs de l’article.]

      Je précise que je ne partage pas forcément l’opinion des auteurs de l’article. J’ai juste dit qu’il me semblait que vous aviez un peu déformé leur propos. En matière de pédagogie, ma seule véritable opinion est que personne ne sait ce qui est préférable entre une pédagogie plutôt constructiviste (celle défendue par les auteurs de l’article) ou une pédagogie plutôt transmissive (celle que vous défendez). En tout cas, malgré mes quelques lectures, je n’ai rien trouvé qui me fournisse une base convaincante. Au contraire, chaque lecture m’a conforté dans cette idée, la dernière en date étant celle du livre de Brighelli que vous m’aviez recommandé.

      [Vous faites comme si l’autorité du professeur allait de soi. Mais vous ne vous demandez pas comment cette autorité se constitue. Cette autorité existe parce que le professeur est mandaté par une institution qui détient, elle, sa légitimité de la Nation.]

      La base de notre questionnement ici me semble être « comment faire pour que l’élève accepte l’aide de l’enseignant ? ». Vous répondez que cela n’est possible que par le biais de l’autorité conférée par l’institution à l’enseignant. Je pense que ce n’est pas forcément le seul moyen, comme je l’ai expliqué plus haut.

      [Et c’est parce que nous avons une loyauté envers la Nation que ce mandat est opérant. Déclarer que l’école n’a plus pour fonction « d’inculquer la loyauté à la Notion », c’est déclarer que l’école n’a plus à défendre sa propre légitimité. C’est un suicide.]

      C’est un suicide uniquement si la méthode « aider à se construire » fonctionne tellement mal que trop peu d’élèves acquièrent cette loyauté. Comme je l’ai dit, je ne suis pas forcément de l’avis des auteurs de l’article. Je pense qu’il est possible que leur approche ait une utilité, mais je suis d’accord pour dire qu’il est peut-être dangereux de l’appliquer exclusivement.

    • Descartes dit :

      @ Jean-François

      [Mais je pense pouvoir donner une réponse à la question : « pourquoi le ferait-il ? ». Je crois que cela dépend du respect de l’élève envers l’enseignant, et que ce respect est dépendant de l’implication et de la compétence de l’enseignant dans son domaine d’enseignement aux yeux de l’élève. Quand l’élève voit que l’enseignant se démène pour ses élèves et qu’il a une connaissance poussée de son sujet, je crois qu’il y a une plus grande probabilité qu’il le respecte.]

      D’abord, quelle référence a l’élève pour juger des connaissances de l’enseignant ? Ce qu’il lit sur wikipédia ou sur facebook ? Les prêches du curé, de l’imam ? Puisque par définition l’élève « ne sait pas », comment pourrait-il juger des connaissances de celui qui « sait » ?

      Mais à supposer même que les élèves soient en mesure d’évaluer ce que l’enseignant fait pour eux – ce qui suppose une prise de recul dont peu d’adolescents sont capables – il y a une deuxième difficulté bien pire. Encore une fois – et très amicalement – vous faites une erreur en pensant que l’enseignant peut « s’instituer de lui-même ». Mais ça ne marche pas comme ça. Pour que l’enseignant puisse démontrer son savoir et son dévouement, encore faut-il qu’il y ait une écoute. Si pour obtenir cette écoute il lui faut avoir au préalable démontré ses connaissances et son dévouement, vous voyez bien qu’on est dans un cercle vicieux. Non : lorsque l’enseignant entre dans sa classe pour la première fois, il faut que les élèves l’écoutent, alors qu’il n’a encore rien démontré. Tout simplement parce qu’il porte le petit tampon qui dit « enseignant ». Et pour que ce tampon soit honoré, il ne peut venir que d’une institution qui elle-même se porte garante de lui.

      [En matière de pédagogie, ma seule véritable opinion est que personne ne sait ce qui est préférable entre une pédagogie plutôt constructiviste (celle défendue par les auteurs de l’article) ou une pédagogie plutôt transmissive (celle que vous défendez).]

      A cette question, je vais vous donner la réponse du dialecticien : lorsque vous dites « préférable », vous voulez dire « préférable » pour qui ? Parce qu’une pédagogie « constructiviste » marche très bien dans les écoles de prestige, tout simplement parce que les enfants arrivent avec un socle solide transmis par leurs parents.. Par contre, pour des enfants qui n’ont pas cet avantage, la pédagogie « constructiviste » est un véritable désastre.

      [Au contraire, chaque lecture m’a conforté dans cette idée, la dernière en date étant celle du livre de Brighelli que vous m’aviez recommandé.]

      Pourtant Brighelli fournit, à partir de sa propre expérience d’enseignant, des arguments très forts contre les pédagogies « constructivistes »…

      [La base de notre questionnement ici me semble être « comment faire pour que l’élève accepte l’aide de l’enseignant ? ». Vous répondez que cela n’est possible que par le biais de l’autorité conférée par l’institution à l’enseignant. Je pense que ce n’est pas forcément le seul moyen, comme je l’ai expliqué plus haut.]

      Et je vous ai expliqué plus haut pourquoi votre « alternative » n’est pas opératoire. En fait, elle repose sur un raisonnement circulaire : si les élèves écoutent, alors le professeur pourra leur démontrer qu’ils ont intérêt à l’écouter…

    • Jean-François dit :

      [Pour que l’enseignant puisse démontrer son savoir et son dévouement, encore faut-il qu’il y ait une écoute. Si pour obtenir cette écoute il lui faut avoir au préalable démontré ses connaissances et son dévouement, vous voyez bien qu’on est dans un cercle vicieux.]

      Bien sûr, je n’ai pas dit que je pensais le contraire. Ce que j’ai dit c’est que l’acceptation de l’aide est dépendante du respect de l’élève envers l’enseignant, je n’ai pas dit que c’est le seul facteur.

      [A cette question, je vais vous donner la réponse du dialecticien : lorsque vous dites « préférable », vous voulez dire « préférable » pour qui ?]

      Préférable du point de vue de l’intérêt général. Même de ce point de vue, je n’ai jamais trouvé de base qui me paraisse convaincante.

      [Parce qu’une pédagogie « constructiviste » marche très bien dans les écoles de prestige, tout simplement parce que les enfants arrivent avec un socle solide transmis par leurs parents.. Par contre, pour des enfants qui n’ont pas cet avantage, la pédagogie « constructiviste » est un véritable désastre.]

      Je crois que c’est exactement ce qu’on ne sait pas. Cela peut dépendre de beaucoup facteurs : de la manière dont est interprétée et mise en pratique cette pédagogie, de combien d’élèves il y a par classe, etc.

      Au-delà de savoir si les pédagogies constructivistes sont meilleures que les pédagogies transmissives, je pense qu’il est probable que ce qui est préférable est un mélange bien dosé des deux. D’ailleurs, il me semble inévitable d’avoir un mélange des deux : on ne peut pas simplement transmettre la connaissance de manière complète, l’élève doit nécessairement en reconstituer une partie seul ; et l’élève ne peut pas construire toute sa connaissance seul, l’enseignant doit nécessairement transmettre une base, des corrections…

      [Pourtant Brighelli fournit, à partir de sa propre expérience d’enseignant, des arguments très forts contre les pédagogies « constructivistes »…]

      Il fournit des arguments, mais qui peuvent être contredits. Et il le dit lui-même : son but est de donner « matière à réflexion pour les non-spécialistes ». Et je crois qu’il est possible de faire la même chose dans les deux sens.

      Un autre élément qui m’a conforté dans mon idée est le passage où il parle de Rousseau et de Freinet (si je me souviens bien, je n’ai pas le livre sous la main). Il y dit indirectement ce que j’ai dit plus haut : cela dépend de comment la théorie est interprétée et mise en pratique. Dit autrement, ce qu’il critique, ce n’est pas la pédagogie constructiviste, c’est ce qui est appliqué actuellement à l’école, et qui ne correspond pas forcément à de la pédagogie constructiviste bien interprétée et bien implémentée.

    • Descartes dit :

      @ Jean-François

      [Je crois que c’est exactement ce qu’on ne sait pas. Cela peut dépendre de beaucoup facteurs : de la manière dont est interprétée et mise en pratique cette pédagogie, de combien d’élèves il y a par classe, etc.]

      Je pense qu’on le sait très bien, au contraire. Le « constructivisme » ne marche pas avec les élèves qui n’ont pas un socle intellectuel très solide transmis à la maison, du moins dans des conditions normales de scolarisation. Bien entendu, si vous mettez un enseignant par élève vous arriverez peut-être à la faire marcher. Mais je ne vois pas l’intérêt de consacrer d’énormes moyens – moyens qu’il faudrait aller prendre ailleurs – simplement pour faire marcher une marotte pédagogique.

      [Au-delà de savoir si les pédagogies constructivistes sont meilleures que les pédagogies transmissives, je pense qu’il est probable que ce qui est préférable est un mélange bien dosé des deux.]

      Possiblement. C’est une question d’âge, aussi. A l’université, on peut laisser l’étudiant – s’il a acquis les bonnes bases au secondaire – « construire » son savoir ou ses méthodes. Mais je ne crois pas que ce soit le cas pour un enfant et très partiellement pour un adolescent.

      [D’ailleurs, il me semble inévitable d’avoir un mélange des deux : on ne peut pas simplement transmettre la connaissance de manière complète, l’élève doit nécessairement en reconstituer une partie seul ; et l’élève ne peut pas construire toute sa connaissance seul, l’enseignant doit nécessairement transmettre une base, des corrections…]

      « Corrections » ? Ah non, s’il y a « correction », on n’est plus dans une méthode « moderne ». L’idée de « correction » implique qu’il y a une réponse correcte, que le professeur connaît et que l’élève peut – ou pas – trouver.

    • BJ dit :

      @ Descartes
      [Pourquoi préférerait-il écouter la parole du professeur plutôt que celle de l’imam, du curé, du gourou, de « l’opinion publique » façon wikipédia, de tel ou tel site complotiste ?]
      Dans votre article, et à plusieurs occasions dans vos commentaires, il semble que vous n’appréciez pas Wikipedia, au point de le mettre au même niveau que Facebook ou les sites complotistes. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?

    • Jean-François dit :

      [Je pense qu’on le sait très bien, au contraire. Le « constructivisme » ne marche pas avec les élèves qui n’ont pas un socle intellectuel très solide transmis à la maison, du moins dans des conditions normales de scolarisation.]

      Je crois qu’on ne peut pas simplement dire « le constructivisme ne marche pas avec les élèves qui n’ont pas un socle intellectuel très solide transmis à la maison ». C’est une affirmation vague, et qui peut être facilement invalidée. Mais vous connaissant un peu, je pense que vous avez derrière cette affirmation des références particulières, et je suis preneur 🙂

      [Bien entendu, si vous mettez un enseignant par élève vous arriverez peut-être à la faire marcher. Mais je ne vois pas l’intérêt de consacrer d’énormes moyens – moyens qu’il faudrait aller prendre ailleurs – simplement pour faire marcher une marotte pédagogique.]

      Si l’on en croit les défenseurs de cette pédagogie, il y a beaucoup d’intérêts possibles : cela peut produire des élèves plus autonomes et plus curieux, cela peut rendre les choses plus motivantes pour les élèves, cela peut rendre la connaissance acquise plus durable, etc. Et il ne faut peut-être pas tant de moyens que ça, si l’on sort de la vision où il n’est possible de faire que de la pédagogie constructiviste ou que de la pédagogie transmissive, et que l’on va vers celle où il est possible de mélanger les deux.

      [[Au-delà de savoir si les pédagogies constructivistes sont meilleures que les pédagogies transmissives, je pense qu’il est probable que ce qui est préférable est un mélange bien dosé des deux.]
      Possiblement. C’est une question d’âge, aussi. A l’université, on peut laisser l’étudiant – s’il a acquis les bonnes bases au secondaire – « construire » son savoir ou ses méthodes. Mais je ne crois pas que ce soit le cas pour un enfant et très partiellement pour un adolescent.]

      Je suis déjà très content que vous ayez écrit ce commentaire 🙂

      [« Corrections » ? Ah non, s’il y a « correction », on n’est plus dans une méthode « moderne ». L’idée de « correction » implique qu’il y a une réponse correcte, que le professeur connaît et que l’élève peut – ou pas – trouver.]

      Une méthode moderne peut tout à fait inclure la notion de correction, surtout avec les nouvelles technologies…

    • Descartes dit :

      @ BJ

      [Pourquoi préférerait-il écouter la parole du professeur plutôt que celle de l’imam, du curé, du gourou, de « l’opinion publique » façon wikipédia, de tel ou tel site complotiste ?][Dans votre article, et à plusieurs occasions dans vos commentaires, il semble que vous n’appréciez pas Wikipedia, au point de le mettre au même niveau que Facebook ou les sites complotistes. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?]

      Pas tout à fait. Je mets « l’opinion publique façon wikipédia » au même niveau que facebook ou les sites complotistes, mais pas wikipédia lui-même. Mais vous avez raison, je n’ai pas de grande considération pour wikipédia. Pourquoi ? Parce wikipédia, c’est le café du commerce. Chacun écrit ce qui lui passe par la tête, et le seul contrôle qui s’exerce sur lui est celui des autres piliers de zinc. Conséquence : les articles tendent naturellement vers le « consensus mou ». Ce n’est pas trop grave dans les articles sur les sciences « dures », par exemple, puisque le « consensus mou » correspond généralement à l’opinion des savants – les gens qui ont des opinions alternatives à la théorie de la relativité sont tout de même rares. Mais en matière de sciences humaines, de philosophie, d’histoire, on peut trouver n’importe quoi. Y compris des personnages inexistants, comme BHL l’a découvert à ses dépens.

      Le problème de Wikipédia n’est pas tant le fait qu’elle contient des erreurs. C’est le fait que c’est une école du conformisme. Elle est bâtie sur l’idée que le consensus des ignorants peut fabriquer de la connaissance. Ce n’est malheureusement pas vrai.

      Cela ne veut pas dire que Wikipédia soit totalement inutile. Non: c’est un outil parfait lorsqu’on veut vérifier une connaissance qu’on a déjà (par exemple des dates ou des chiffres). Mais pour ceux qui ne sont pas en mesure de faire un contrôle de cohérence, c’est un outil plutôt dangereux.

    • BJ dit :

      Tout d’abord, j’espère avoir cliqué au bon endroit pour répondre. Je ne comprends rien à l’organisation des commentaires.

      Je ne suis pas là pour défendre Wikipedia, et ce n’est pas l’objet de cet article. Je ne dirai donc que quelques mots.

      Je trouve qu’il s’agit peut-être de la plus belle entreprise – entreprise au sens d’œuvre, pas au sens commercial – qu’a permis internet. Si Wikipedia contient des erreurs – et il n’y en a sûrement pas plus que dans n’importe quelle autre encyclopédie – tout un chacun peut proposer une rectification. Et je dis bien proposer, pas rectifier. Si votre rectification est erronée, elle ne passera pas. Traiter les intervenants de Wikipédia de “piliers de comptoir” est méprisant. Je me suis intéressé plus particulièrement à la partie Wiktionnaire de Wikipedia, et j’ai trouvé que les responsables des rubriques sont érudits et, ce qui ne gâche rien, tout à fait à même de reconnaitre une erreur. Il doit en être de même pour le reste de l’encyclopédie. Sur des sujets où vous vous sentez compétents, vos éventuelles rectifications seront surement accueillies avec bienveillance. Mais il vous faudra argumenter et “défendre votre bout de gras”. Et ça va vous prendre du temps…

      Mettre sur le même plan Wikipedia et Facebook, je n’en reviens pas. Facebook est le pire de ce qu’a permis internet. D’un côté une entreprise privée et exclusivement commerciale, de l’autre, une entreprise collaborative sans aucun but mercantile. Quant vous traitez les intervenants de Wikipedia d’ignorants, j’en arrive à me demander si vous ne seriez pas vous aussi un peu ignorant sur la manière dont est conduit Wikipedia…

      Je dirai, à l’instar de la célèbre phrase de Churchill : « Wikipedia est la pire des encyclopédies, à l’exception de toutes les autres. »

      Le seul reproche que j’aurais à faire, c’est que tout le contenu de Wikipedia est stocké sur des ordinateurs américains. Et donc soumise au “patriot act”…

    • Descartes dit :

      @ Jean-François

      [Je crois qu’on ne peut pas simplement dire « le constructivisme ne marche pas avec les élèves qui n’ont pas un socle intellectuel très solide transmis à la maison ». C’est une affirmation vague, et qui peut être facilement invalidée. Mais vous connaissant un peu, je pense que vous avez derrière cette affirmation des références particulières, et je suis preneur :-)]

      J’avoue qu’il fut un temps ou je me suis passionné par ce débat et j’avais pas mal lu sur la question. Mais cela fait un bout de temps et il faudrait que je me mette à exhumer de vieux livres pour vous donner des références précises. Je trouve que cela ne vaut pas la peine, d’autant que n’importe lequel de ces livres peut être considéré comme étant « partisan ». Dans ces questions, finalement, c’est l’expérience qui seule peut trancher entre « ce qui marche » et « ce qui ne marche pas ». Et si partisans et adversaires du « constructivisme » sont d’accord sur une chose, c’est sur le fait que leur bilan est désastreux. La différence d’opinion porte sur le fait de savoir si elles ont échoué parce qu’on n’y a pas mis assez de moyens ou si elles ont n défaut structurel qui fait qu’elles ne marcheront jamais. Ma conclusion personnelle est qu’on peut toujours faire marcher une méthode à condition de mettre des moyens infinis. La question est donc avant tout une question économique.

      [Si l’on en croit les défenseurs de cette pédagogie, il y a beaucoup d’intérêts possibles : cela peut produire des élèves plus autonomes et plus curieux, cela peut rendre les choses plus motivantes pour les élèves, cela peut rendre la connaissance acquise plus durable, etc.]

      Je n’ai jamais vu une démonstration rationnelle de ces prémisses. Pourquoi les pédagogies « constructivistes » devraient-elles produire des élèves plus « curieux », par exemple ? J’aurais tendance à penser le contraire : les pédagogies fondées sur la transmission lèvent en permanence un voile sur un vaste monde dont le professeur ne peut traiter qu’une petite partie. Cela donne assez naturellement à l’élève l’envie d’aller plus loin, de faire connaissance avec ces choses que le professeur à eu à peine le temps d’esquisser. Quant aux « connaissances acquises plus durables », c’est plutôt tout le contraire : je me souviens que ma mère était capable de réciter par cœur des poèmes et des textes appris dans son enfance, et je suis moi-même toujours capable de réciter « par cœur ». Je doute que beaucoup de jeunes adultes aujourd’hui en soient capables.

      [Et il ne faut peut-être pas tant de moyens que ça, si l’on sort de la vision où il n’est possible de faire que de la pédagogie constructiviste ou que de la pédagogie transmissive, et que l’on va vers celle où il est possible de mélanger les deux.]

      Mais justement, la position des « constructivistes » est qu’il ne faut pas mélanger les deux.

      [« Corrections » ? Ah non, s’il y a « correction », on n’est plus dans une méthode « moderne ». L’idée de « correction » implique qu’il y a une réponse correcte, que le professeur connaît et que l’élève peut – ou pas – trouver.][Une méthode moderne peut tout à fait inclure la notion de correction, surtout avec les nouvelles technologies…]

      Certainement pas. La « correction » risque d’endommager irréparablement « l’estime de soi » de l’élève, bien précieux entre tous. En plus, elle impliquerait qu’il y a une façon « correcte » de faire les choses, qui est celle du professeur, ce qui représente un inacceptable abus d’autorité. Non : une « méthode moderne » implique de ne jamais parler à l’élève de ses insuffisances, mais de souligner au contraire ses réussites, et d’accepter que le professeur n’a pas toujours raison, et que si l’élève écrit « que » pour « queue », c’est qu’il a une bonne raison. Comment voulez-vous concilier cette noble idée avec la bassesse d’une « correction » ?

    • Jean-François dit :

      [Dans ces questions, finalement, c’est l’expérience qui seule peut trancher entre « ce qui marche » et « ce qui ne marche pas ».]

      Je suis contre cette idée. L’expérience ne correspond qu’à une généralisation de cas particuliers qui peut être faussée par de trop nombreux facteurs. La preuve est que l’on peut trouver des enseignants convaincus par leur expérience que les pédagogies constructivistes sont meilleures, et d’autres non. Le sujet me paraît trop important pour se contenter de cela. Il peut être traité aussi rationnellement que possible, avec des protocoles expérimentaux sérieux, des analyses statistiques dignes de ce nom, etc. Mais comme je vous l’ai dit, je n’ai encore jamais rien trouvé qui me paraisse convaincant. Mais je ne suis pas du tout spécialiste.

      [[Si l’on en croit les défenseurs de cette pédagogie, il y a beaucoup d’intérêts possibles : cela peut produire des élèves plus autonomes et plus curieux, cela peut rendre les choses plus motivantes pour les élèves, cela peut rendre la connaissance acquise plus durable, etc.]
      Je n’ai jamais vu une démonstration rationnelle de ces prémisses.]

      Moi non plus.

      [Pourquoi les pédagogies « constructivistes » devraient-elles produire des élèves plus « curieux », par exemple ? J’aurais tendance à penser le contraire : les pédagogies fondées sur la transmission lèvent en permanence un voile sur un vaste monde dont le professeur ne peut traiter qu’une petite partie. Cela donne assez naturellement à l’élève l’envie d’aller plus loin, de faire connaissance avec ces choses que le professeur à eu à peine le temps d’esquisser.]

      Parce qu’être curieux peut être considéré comme avoir le désir de (re)construire la connaissance. Donc on peut considérer que donner l’habitude de faire cette démarche peut être équivalent à favoriser la curiosité.

      [Quant aux « connaissances acquises plus durables », c’est plutôt tout le contraire : je me souviens que ma mère était capable de réciter par cœur des poèmes et des textes appris dans son enfance, et je suis moi-même toujours capable de réciter « par cœur ». Je doute que beaucoup de jeunes adultes aujourd’hui en soient capables.]

      A ces cas particuliers, je peux opposer celui des poèmes que j’ai écrits moi-même dans mon enfance. Je les ai beaucoup mieux retenus que les poèmes de Victor Hugo, Jacques Prévert, La Fontaine, etc. que je connaissais par coeur. Mes poèmes n’ont évidemment pas la même qualité, mais la connaissance que j’ai d’eux a été beaucoup plus durable.

      [[Et il ne faut peut-être pas tant de moyens que ça, si l’on sort de la vision où il n’est possible de faire que de la pédagogie constructiviste ou que de la pédagogie transmissive, et que l’on va vers celle où il est possible de mélanger les deux.]
      Mais justement, la position des « constructivistes » est qu’il ne faut pas mélanger les deux.]

      Peut être, je ne sais pas s’il y a vraiment une position officielle des constructivistes à ce sujet. Mais quelle importance ? Cela n’empêche pas la pédagogie constructiviste d’avoir une utilité possible dans ce cadre.

      [[Une méthode moderne peut tout à fait inclure la notion de correction, surtout avec les nouvelles technologies…]
      Certainement pas. La « correction » risque d’endommager irréparablement « l’estime de soi » de l’élève, bien précieux entre tous. En plus, elle impliquerait qu’il y a une façon « correcte » de faire les choses, qui est celle du professeur, ce qui représente un inacceptable abus d’autorité. Non : une « méthode moderne » implique de ne jamais parler à l’élève de ses insuffisances, mais de souligner au contraire ses réussites, et d’accepter que le professeur n’a pas toujours raison, et que si l’élève écrit « que » pour « queue », c’est qu’il a une bonne raison. Comment voulez-vous concilier cette noble idée avec la bassesse d’une « correction » ?]

      Vous exagérez un peu… Ou alors vous définissez le mot « moderne » d’une manière bien particulière. Ce qui est certain, c’est que la pédagogie constructiviste est tout à fait conciliable avec la correction, et plus généralement avec la transmission, qui est inévitable.

    • Descartes dit :

      @ BJ

      [Si Wikipedia contient des erreurs – et il n’y en a sûrement pas plus que dans n’importe quelle autre encyclopédie – tout un chacun peut proposer une rectification.]

      D’abord, Wikipédia contient bien plus d’erreurs que « n’importe quelle autre encyclopédie ». Connaissez-vous beaucoup d’encyclopédies contenant des articles donnant pour réels des personnages fictifs ? Bien sur que non. Les articles des encyclopédies « traditionnelles » sont écrits par des experts de leur domaine. Ils peuvent contenir des « biais » qui dépendent de l’opinion de l’expert. Mais très rarement des erreurs.

      Quant à la rectification, comme vous dites, tout le monde peut en proposer une. Le risque de cette procédure est qu’il conduit immanquablement vers la position consensuelle. Mais le consensus n’a pas forcément raison. Au XIIIème siècle, Wikipédia aurait affirmé que la terre était plate.

      [Et je dis bien proposer, pas rectifier. Si votre rectification est erronée, elle ne passera pas.]

      Mais qui juge si une proposition de rectification est « erronée » ?

      [Traiter les intervenants de Wikipédia de “piliers de comptoir” est méprisant. Je me suis intéressé plus particulièrement à la partie Wiktionnaire de Wikipedia, et j’ai trouvé que les responsables des rubriques sont érudits et, ce qui ne gâche rien, tout à fait à même de reconnaitre une erreur.]

      Pourriez-vous me dire comment vous êtes arrivé à la conclusion que les responsables de rubrique sont « érudits » ?

      [Mettre sur le même plan Wikipedia et Facebook, je n’en reviens pas. Facebook est le pire de ce qu’a permis internet.]

      Je vous accorde que j’ai été un peu loin en comparant les deux. Wikipédia, quelque soient ses limitations de son modèle, est un projet collectif à visée culturelle et éducative. Facebook, au contraire, est dans une logique de marchandisation de l’égo. Mais du point de vue de la formation intellectuelle des jeunes, ils présentent tous les deux des dangers considérables, même si ils sont différents. Par certains côtés, Wikipédia peut se révéler plus dangereux que Facebook, précisément parce que son autorité est plus grande.

      [Je dirai, à l’instar de la célèbre phrase de Churchill : « Wikipedia est la pire des encyclopédies, à l’exception de toutes les autres. »]

      Vous auriez tort. Il y a de très bonnes encyclopédies.

    • Descartes dit :

      @ Jean-François

      [Dans ces questions, finalement, c’est l’expérience qui seule peut trancher entre « ce qui marche » et « ce qui ne marche pas ».][Je suis contre cette idée. L’expérience ne correspond qu’à une généralisation de cas particuliers qui peut être faussée par de trop nombreux facteurs. La preuve est que l’on peut trouver des enseignants convaincus par leur expérience que les pédagogies constructivistes sont meilleures, et d’autres non.]

      Je ne parlais pas de l’expérience individuelle, mais d’une expérience scientifique. On ne peut trancher le débat sur ce qui marche et ce qui marche pas dans la salle de classe par un simple débat théorique. Il faut faire des expériences. Mais de véritables expériences. Essayer la méthode « constructiviste » dans une classe du lycée Henri IV avec des professeurs agrégés volontaires et enthousiastes ne vaut rien. Une expérience conduite dans une classe ou les élèves ont une base solide par des enseignants enthousiastes marche toujours. La question est de faire un véritable essai, dans une classe moyenne prise au hasard, avec des enseignants moyens pris au hasard. A ma connaissance aucune expérience de ce type n’a été faite.

      [Pourquoi les pédagogies « constructivistes » devraient-elles produire des élèves plus « curieux », par exemple ? (…)][Parce qu’être curieux peut être considéré comme avoir le désir de (re)construire la connaissance. Donc on peut considérer que donner l’habitude de faire cette démarche peut être équivalent à favoriser la curiosité.]

      Je trouve ce raisonnement baroque. D’abord, parce que pour fonctionner la méthode « constructiviste » a besoin que l’élève soit « curieux » ab initio. Si l’élève n’a rien à foutre de « construire sa connaissance », comment la construirait-il ? Mais surtout, je ne fais pas cette identification entre la curiosité et le désir de « construire sa connaissance ». Enfant, je passais mon temps à interroger les adultes, et j’attendais des réponses, c’est-à-dire, une transmission. N’étais-ce pas de la curiosité ? En quoi l’enfant qui demande « comment marche un moteur » est moins curieux que celui qui essaye de comprendre comment il marche en le regardant tourner ?

      [A ces cas particuliers, je peux opposer celui des poèmes que j’ai écrits moi-même dans mon enfance. Je les ai beaucoup mieux retenus que les poèmes de Victor Hugo, Jacques Prévert, La Fontaine, etc. que je connaissais par coeur. Mes poèmes n’ont évidemment pas la même qualité, mais la connaissance que j’ai d’eux a été beaucoup plus durable.]

      Et surtout, vos poèmes ne sont pas de la « connaissance ». Victor Hugo, Jacques Prévert ou La Fontaine font partie de la civilisation humaine. Vos poèmes d’enfance, j’ai le regret de vous le dire, non. Et d’ailleurs, pour écrire vos poèmes, avez-vous reconstruit vous-même les règles de la rime et de la métrique ? Ou les avez-vous apprises en lisant Hugo et Prévert ?

      [Certainement pas. La « correction » risque d’endommager irréparablement « l’estime de soi » de l’élève, bien précieux entre tous. En plus, elle impliquerait qu’il y a une façon « correcte » de faire les choses, qui est celle du professeur, ce qui représente un inacceptable abus d’autorité. Non : une « méthode moderne » implique de ne jamais parler à l’élève de ses insuffisances, mais de souligner au contraire ses réussites, et d’accepter que le professeur n’a pas toujours raison, et que si l’élève écrit « que » pour « queue », c’est qu’il a une bonne raison. Comment voulez-vous concilier cette noble idée avec la bassesse d’une « correction » ?][Vous exagérez un peu…]

      Je me demande si vous avez saisi l’ironie…

    • BJ dit :

      @ Descartes à propos de Wikipédia

      Je vois que vous avez une opinion bien tranchée sur Wikipédia. Je pense pour ma part que cela vient d’un manque de pratique de votre part sur la manière dont sont élaborés les articles. Je ne vais essayer ici de vous convaincre – ça n’est pas l’objet de ce billet – et faire long sur Wikipédia. Le sujet ne peut pas se traiter par une simple digression dans un billet ayant un tout autre thème.
      Je ne peux que vous encourager à passer de l’autre côté de la barrière : proposez sur Wikipédia un article, ou proposez une rectification dans un article où vous estimez qu’il y a des erreurs. Et n’ayez crainte, les “piliers de comptoir” sauront vous accueillir avec bienveillance 😉

    • Descartes dit :

      @ BJ

      [Je vois que vous avez une opinion bien tranchée sur Wikipédia. Je pense pour ma part que cela vient d’un manque de pratique de votre part sur la manière dont sont élaborés les articles.]

      Vous vous trompez. Sans dévoiler de secret, j’ai participé à l’élaboration de quelques articles sur Wikipédia, et j’en ai corrigé pas mal. C’est au contraire la voix de l’expérience qui parle…

      Même lorsque vous avez une référence solide, il est extrêmement difficile d’aller contre la « vox populi », surtout sur des sujets politiquement sensibles.

    • Jean-François dit :

      [Je ne parlais pas de l’expérience individuelle, mais d’une expérience scientifique. On ne peut trancher le débat sur ce qui marche et ce qui marche pas dans la salle de classe par un simple débat théorique. Il faut faire des expériences. Mais de véritables expériences. Essayer la méthode « constructiviste » dans une classe du lycée Henri IV avec des professeurs agrégés volontaires et enthousiastes ne vaut rien. Une expérience conduite dans une classe ou les élèves ont une base solide par des enseignants enthousiastes marche toujours. La question est de faire un véritable essai, dans une classe moyenne prise au hasard, avec des enseignants moyens pris au hasard. A ma connaissance aucune expérience de ce type n’a été faite.]

      Alors on est d’accord, à cela près que je pense que même “une classe moyenne prise au hasard, avec des enseignants moyens pris au hasard” ce ne serait pas satisfaisant. En particulier, une classe n’a pas assez d’élèves pour être sûr que l’échantillon n’est pas biaisé sans faire de correction. Mais comme je l’ai dit dans mes messages précédents, il n’y a pas d’expérimentation qui me paraisse convaincante à ma connaissance non plus.

      [Je trouve ce raisonnement baroque. D’abord, parce que pour fonctionner la méthode « constructiviste » a besoin que l’élève soit « curieux » ab initio.]

      Seulement si on considère que la méthode constructiviste doit exclure tout autre méthode. Par exemple, si l’élève a la menace d’avoir une mauvaise note, il aura intérêt à essayer de construire la connaissance qu’on lui demande de construire.

      [Mais surtout, je ne fais pas cette identification entre la curiosité et le désir de « construire sa connaissance ». Enfant, je passais mon temps à interroger les adultes, et j’attendais des réponses, c’est-à-dire, une transmission. N’étais-ce pas de la curiosité ? En quoi l’enfant qui demande « comment marche un moteur » est moins curieux que celui qui essaye de comprendre comment il marche en le regardant tourner ?]

      Je pense qu’il y a dans ce cadre une forme de reconstrucion : il est impossible de lui transmettre tout le fonctionnement d’un moteur directement, et il devra reconstruire le reste. Il est d’ailleurs souvent impossible de transmettre de l’information d’une personne à une autre sans que cette information ne passe par une étape de reconstruction, du moins tant qu’on ne pourra pas se brancher de cerveau à cerveau avec des cables. Si on accepte ce prémisse, la différence entre les deux méthodes est peut-être que l’enfant a plus de reconstruction à faire dans le cadre des pédagogies constructivistes que dans celui des pédagogies transmissives ; et aussi qu’on s’intéresse à l’itinéraire qu’il a suivi pour faire sa reconstruction, qu’elle soit bonne ou mauvaise.

      [Et surtout, vos poèmes ne sont pas de la « connaissance ».]

      Je pense qu’on peut dire que mes poèmes sont bien de la connaissance, mais que cette connaissance n’a bien sûr pas la même importance que celle des poèmes d’Hugo, Prévert et La Fontaine. Cela ne change rien à l’argument : si l’on peut généraliser mon exemple, si le constructivisme a cette utilité au-delà de mes poèmes d’enfance et au-delà de ma personne, alors cela vaut le coup de l’utiliser.

      [Et d’ailleurs, pour écrire vos poèmes, avez-vous reconstruit vous-même les règles de la rime et de la métrique ? Ou les avez-vous apprises en lisant Hugo et Prévert ?]

      Un peu des deux. J’ai reconstruit ces règles, de manière imparfaite, à partir des poèmes que j’avais lus. J’ai ensuite ajusté mes constructions chaque fois que j’ai été confronté à des poèmes ou quand les instituteus parlaient de ces règles.

      [Certainement pas. La « correction » risque d’endommager irréparablement « l’estime de soi » de l’élève, bien précieux entre tous. En plus, elle impliquerait qu’il y a une façon « correcte » de faire les choses, qui est celle du professeur, ce qui représente un inacceptable abus d’autorité. Non : une « méthode moderne » implique de ne jamais parler à l’élève de ses insuffisances, mais de souligner au contraire ses réussites, et d’accepter que le professeur n’a pas toujours raison, et que si l’élève écrit « que » pour « queue », c’est qu’il a une bonne raison. Comment voulez-vous concilier cette noble idée avec la bassesse d’une « correction » ?][Vous exagérez un peu…][Je me demande si vous avez saisi l’ironie…]

      Ah OK pardon… Il semble que les structures conceptuelles que j’ai construites à partir de la lecture de vos mots devaient être corrigées 😉 Mais il y a dans votre message une part de vérité : du point de vue constructiviste, il n’y a pas forcément de réponse correcte, mais plutôt des connaissances “viables”, puisque la connaissance est souvent le résultat d’un reconstruction, qui est subjective.

    • Descartes dit :

      @ Jean-François

      [Je pense qu’il y a dans ce cadre une forme de reconstruction : il est impossible de lui transmettre tout le fonctionnement d’un moteur directement, et il devra reconstruire le reste. Il est d’ailleurs souvent impossible de transmettre de l’information d’une personne à une autre sans que cette information ne passe par une étape de reconstruction, du moins tant qu’on ne pourra pas se brancher de cerveau à cerveau avec des câbles.]

      Mais on n’est pas pour autant dans une logique « constructiviste ». La logique « constructiviste » ne se satisfait pas d’une « reconstruction » de la connaissance guidée par la transmission. Au contraire, la transmission est considérée comme bridant le processus d’apprentissage, et soutien que la seule « vrai » connaissance est celle que l’élève « construit » par lui-même. Vous remarquerez d’ailleurs qu’on parle d’un élève qui « construit » – et non pas « reconstruit » la connaissance.

      [Et surtout, vos poèmes ne sont pas de la « connaissance ».][Je pense qu’on peut dire que mes poèmes sont bien de la connaissance,]

      Et lorsque vous faites un gâteau, c’est aussi de la connaissance ? Et lorsque vous passez l’aspirateur ? Non, soyons sérieux. Tout ce qu’on produit n’est pas « connaissance ». La connaissance implique d’inscrire un contenu dans une systématique historique ou scientifique. Apprendre un poème de Hugo c’est acquérir une connaissance, parce que Hugo s’inscrit dans une histoire littéraire.

      [Cela ne change rien à l’argument : si l’on peut généraliser mon exemple, si le constructivisme a cette utilité au-delà de mes poèmes d’enfance et au-delà de ma personne, alors cela vaut le coup de l’utiliser.]

      Mais vous n’avez rien « construit »… vous semblez penser que tout processus dans lequel on produit quelque chose qui n’était pas là avant est « constructiviste ». Mais ce n’est pas le cas… l’imitation ne « construit » pas de la connaissance. Si vous avez écrit vos poèmes en ayant décortiqué les poèmes de Hugo ou de La Fontaine pour comprendre comment la rime et le mètre fonctionnent, alors vous avez suivi une pédagogie « constructiviste ». Mais si vous avez simplement copié le style, non.

      [Mais il y a dans votre message une part de vérité : du point de vue constructiviste, il n’y a pas forcément de réponse correcte, mais plutôt des connaissances “viables”, puisque la connaissance est souvent le résultat d’un reconstruction, qui est subjective.]

      Et dès lors qu’il n’y a pas de « réponse correcte », comment pourrait-il y avoir de « correction » ?

  2. Manaranche louis dit :

    L’idée de vouloir faire de l’histoire un roman national est dérangeante”, affirmait le président du Conseil supérieur des programmes (CSP) mercredi dans Le Monde. Que répondre à cela ?

    Ces propos illustrent parfaitement la crise de l’enseignement que l’on traverse aujourd’hui, en particulier en histoire. Que doit-on en dire ? Comment le dire ? Une vision caricaturale voudrait faire croire qu’il s’agit de choisir entre une histoire fléchée, enfermée dans la célébration d’un génie national exclusif, vectrice d’une fierté patriotique qui a tôt fait de dégénérer en nationalisme mortifère et, d’un autre côté, une histoire plurielle et déconstruite, qui serait porteuse d’un universalisme humaniste. Or faire connaître l’histoire, ce n’est pas livrer un récit mythifié, une légende dorée. Bien au contraire, c’est offrir les éléments pluriels de compréhension du passé, sans a priori, sans anachronismes, permettant de reconstituer une chronologie qui ait du sens. Cette connaissance du passé commun est l’élément indispensable d’un projet éducatif qui se veut national, en particulier là où l’appartenance nationale est récente ou fragile. Elle est nécessaire aussi pour préparer la faculté de juger : l’histoire met en contact pêle-mêle avec les vices et les vertus l’abomination et la splendeur, le mal et le bien. L’éducation de la conscience indispensable à un vrai esprit civique y trouve alors son meilleur terreau.

    • Descartes dit :

      @ Manaranche Louis

      [L’idée de vouloir faire de l’histoire un roman national est dérangeante”, affirmait le président du Conseil supérieur des programmes (CSP) mercredi dans Le Monde. Que répondre à cela ?]

      Moi, je lui répondrais que personne n’a jamais proposé de « faire de l’histoire un roman national ». Il y a d’un côté l’Histoire, discipline scientifique qu’il faut laisser aux historiens, et d’un autre côté le « roman national », qui est un objet politique et doit être traité comme tel. L’école transmet des savoirs scientifiques. Mais elle a aussi une fonction de formation du citoyen, de faire de l’élève un adulte capable de vivre dans notre société. Et cela implique aussi de former chez l’élève une certaine loyauté envers cette même société. Il n’y a rien de scandaleux là dedans : après tout, un minimum de reconnaissance du ventre – car c’est la collectivité nationale qui paye les écoles – ne fait pas de mal.

      [Or faire connaître l’histoire, ce n’est pas livrer un récit mythifié, une légende dorée. Bien au contraire, c’est offrir les éléments pluriels de compréhension du passé, sans a priori, sans anachronismes, permettant de reconstituer une chronologie qui ait du sens.]

      Ce n’est pas aussi simple. Il est difficile de transmettre l’histoire sans faire implicitement des jugements de nature éthique ou morale. Pensez-vous qu’on puisse parler du génocide nazi sans prendre position, en décrivant cliniquement les faits, en faisant lire autant les textes nazis que les textes anti-nazis « sans a-priori » ? C’est déjà très difficile avec des adultes, mais c’est carrément impossible avec des enfants.

    • Marcailloux dit :

      @ Descartes
      [Pensez-vous qu’on puisse parler du génocide nazi sans prendre position, en décrivant cliniquement les faits,]
      Nous parlons bien du collège, donc à de jeunes adolescents. Sans être pédopsychiatre, par la simple observation de mes petits enfants, et des adolescents de mon entourage, à leur âge, ils ont besoin de savoir “brut” et ne possèdent que la seule capacité d’enregistrer les faits d’un tel cataclysme civilisationnel. S’agissant, à bien des égards, du mal absolu, aller plus loin nécessite, comme vous le soulignez des capacités d’analyse qu’aucun d’entre eux, pratiquement, n’ont.
      Cela implique de la part des enseignants une prudence élémentaire dans l’évocation de cette période encore trop troublée par la proximité temporelle, prudence partagée par les parents qui doivent éviter, à quelque titre que ce soit, d’interférer dans l’enseignement fait par le professeur d’histoire, mais en incitant leurs jeune ado à visionner des reportages et documents présélectionnés, très bien réalisés sur le sujet.
      L’opinion d’un adolescent, surtout sur de tels sujets, doit prendre beaucoup de temps pour se constituer, et ne doit pas se cristalliser trop rapidement car il s’agit là de réflexion qui dépasse et de loin la seule discipline historique.
      Ce qui, par contre, me parait tout a fait indispensable, c’est l’enseignement de « la Méthode », par uniquement celle de René Descartes, mais tout ce qui permet d’acquérir plus d’autonomie de réflexion. Les questions soulevées par les lectures, les visionnages, les discussions, seront d’autant plus pertinents et le rôle du professeur en sera plus qualifié. On est là dans le débat de la tête bien faite plutôt que la tête bien pleine.

    • Descartes dit :

      @ marcailloux

      [Cela implique de la part des enseignants une prudence élémentaire dans l’évocation de cette période encore trop troublée par la proximité temporelle, prudence partagée par les parents qui doivent éviter, à quelque titre que ce soit, d’interférer dans l’enseignement fait par le professeur d’histoire, mais en incitant leurs jeune ado à visionner des reportages et documents présélectionnés, très bien réalisés sur le sujet.]

      Lesquels ? Ou trouvez-vous des reportages et documents sur cette « période troublée » – ou sur n’importe quelle autre – ou ne transparaisse pas une prise de position éthique ou morale ? Le projet qui consiste à offrir aux adolescents une histoire « neutre » où ils pourraient piocher à loisir pour se faire « leur propre opinion » est pour moi un projet condamné d’avance. C’est déjà difficile pour un adulte de s’affranchir des préjugés et des dogmes sociaux, alors pensez vous qu’un enfant puisse faire ce travail ?

      Je pense qu’il faut être réaliste. Dès lors que l’adolescent n’a pas les instruments intellectuels pour « se faire sa propre opinion », il en est réduit à s’approprier l’opinion d’autres. L’école doit donc proposer une « opinion » canonique. Et tant qu’à faire, une opinion qui aide l’adolescent à s’insérer dans la société, en lui offrant des exemples de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas. Une opinion qui donne au jeune « le souvenir des grandes choses faites ensemble et le désir d’en accomplir de nouvelles ». Ce qui n’exclue pas qu’on lui fournisse aussi une connaissance méthodologique sur la manière dont l’histoire se fait.

      Devenu adulte, l’adolescent découvrira que l’histoire n’est pas tout à fait comme on lui a appris à l’école, de la même manière qu’il apprendra qu’il y a dans sa famille des sombres secrets qu’on ne raconte pas aux enfants. Il aura alors tout loisir de se plonger dans la complexité de la véritable histoire – qu’elle soit nationale ou familiale – et, ayant acquis les instruments intellectuels que seule donne l’expérience, il pourra avoir une vision plus nuancée des choses. Mais il me semble absurde de prétendre à ce résultat alors que l’enfant n’est pas encore devenu l’adulte.

      [Ce qui, par contre, me parait tout a fait indispensable, c’est l’enseignement de « la Méthode », par uniquement celle de René Descartes, mais tout ce qui permet d’acquérir plus d’autonomie de réflexion. Les questions soulevées par les lectures, les visionnages, les discussions, seront d’autant plus pertinents et le rôle du professeur en sera plus qualifié. On est là dans le débat de la tête bien faite plutôt que la tête bien pleine.]

      Mais cet enseignement doit être aussi un enseignement de la modestie. On fait une mauvaise lecture de Descartes lorsque le « doute systématique » conduit l’élève à supposer qu’il peut « mettre en doute » Einstein ou Darwin comme si ces hommes de science étaient ses égaux, que son opinion de petit être inculte vaut celle de ces géants. Ou même la parole de son professeur. De ce point de vue, « l’autonomie de la réflexion » est un mythe. Notre réflexion est toujours marquée par ceux qui ont réfléchi avant nous, et souvent bien plus profondément que nous. Il n’est donné à personne de reconstruire par lui-même l’ensemble du savoir humain. Et l’école doit enseigner aux élèves cette limitation. Elle doit prêcher la modestie au lieu d’encourager chez les élèves la tentation de la toute-puissance. Oui, Einstein, Darwin, le professeur peuvent avoir tort. Mais tout bien considéré, ils ont bien plus de chances d’avoir raison que facebook ou que l’élève lui-même.

      Lorsqu’on explique à l’élève que l’homme – comme toutes les espèces vivantes – doit sa forme actuelle au processus d’évolution, la « Méthode » lui donne le droit de demander au professeur « comment le sait-on ? ». Et tout professeur digne de ce nom devrait être capable de répondre à cette question. Mais la « Méthode » ne donne pas à l’élève le droit de s’imaginer qu’il peut balayer d’un coup de manche l’explication du professeur et lui substituer son « opinion », acquise à des sources aussi respectables que l’imam du coin ou le site « créationniste » sur internet.

      Je veux bien admettre qu’il ne faut pas sacraliser la parole du professeur ou celle du scientifique au-delà du raisonnable. Mais il faut que l’élève comprenne que si le professeur peut se tromper, son erreur est exceptionnelle, alors que celle de l’élève est courante. Lorsqu’il y a désaccord entre la parole de l’un et de l’autre, il est raisonnable donc de conclure prima facie que c’est l’élève qui se trompe, et non le professeur. La démagogie éducative, issue de l’idéologie soixante-huitarde à laquelle on doit en grande partie l’effondrement de notre école, a convaincu les élèves – et même certains professeurs, c’est dire à quel point on est arrivé – du contraire. Au point que, confrontés à une question épineuse, certains enseignants disent enseigner les deux options et « laisser leurs élèves choisir ». Une position qui est une totale aberration pédagogique : si les élèves pouvaient choisir, ils ne seraient pas élèves.

    • Marcailloux dit :

      [Ou trouvez-vous des reportages et documents sur cette « période troublée » – ou sur n’importe quelle autre – ou ne transparaisse pas une prise de position éthique ou morale ? Le projet qui consiste à offrir aux adolescents une histoire « neutre » où ils pourraient piocher à loisir pour se faire « leur propre opinion » est pour moi un projet condamné d’avance.]

      Évidemment, nulle évocation aussi objective que souhaitée par ses auteurs n’est à l’abri des critiques. Même un enseignement officiel, dument estampillé par les autorités compétentes prêtera toujours à discussion. Néanmoins, comme je l’indique, si une sélection préalable est opérée, la multiplicité des approches permettra d’englober, à terme, une certaine mais relative exhaustivité sur le sujet.
      En dehors des domaines qui relèvent des sciences exactes, l’acquisition des connaissances par les erreurs successives n’est pas à proscrire, et même quelquefois à encourager. En histoire, il serait souhaitable de préciser en début de chaque ouvrage, que l’enseignement diffusé l’est toujours, à toutes les époques, du point de vue des sommités nationales qui en rédigent les textes. L’histoire est comme le plomb, lourde et malléable.
      Quand vous parlez de doute systématique, vous suggérez l’idée d’un rejet absolu de tout savoir institutionnalisé.
      Si on peut rencontrer cette tendance – qui n’est pas pour autant constante et universelle – chez certains individus à la limite de pathologie mentale préoccupante, ce n’est qu’assez rarement le cas d’adolescents, je présume.
      Si je partage votre exigence de la subordination de l’élève à l’enseignant, et cela ne doit pas être discutable ni dans la presse, ni dans les textes officiels, ni surtout à la maison, cela ne doit pas se transformer en un dictat permanent.
      J’ai, comme beaucoup d’entre nous, vécu cela dans les années 50 et 60. Je ne pense pas que cela ait favorisé outre mesure la satisfaction de ma curiosité et les rares exemples contraires que je garde en mémoire, sont ceux d’enseignant laissant tout de même poindre une altération de leur certitude sur tel ou tel point? Cela me les rendaient bien plus accessibles et enrichissaient par là même la relation d’enseignant à enseigné. La rigidité est souvent ressentie comme un manque de confiance et induit un doute sur la profondeur de la connaissance. Et le doute est matière contagieuse.
      Et puis,chez un supérieur, on éprouve, en général, plus de compassion pour ses faiblesses que pour son autorité, surtout si elle frise l’autoritarisme. Qu’a fait Socrate, lui même, en exerçant sa maïeutique, sinon d’accepter de se rapprocher intellectuellement de ses disciples pour leur faire découvrir par eux mêmes ce qu’il aurait pu leur asséner comme la vérité venue d’en haut.
      Vous aussi, ne la pratiquez vous pas quelquefois avec vos lecteurs ???

    • Descartes dit :

      @ Marcailloux

      [Même un enseignement officiel, dument estampillé par les autorités compétentes prêtera toujours à discussion. Néanmoins, comme je l’indique, si une sélection préalable est opérée, la multiplicité des approches permettra d’englober, à terme, une certaine mais relative exhaustivité sur le sujet.]

      Oui mais… comment l’élève pourrait choisir entre la « multiplicité des approches » ?

      [En dehors des domaines qui relèvent des sciences exactes, l’acquisition des connaissances par les erreurs successives n’est pas à proscrire, et même quelquefois à encourager.]

      C’est le contraire : en physique ou en biologie la méthode hypothetico-deductive peut fonctionner par essai et erreur. Mais je vois mal comment cette approche pourrait fonctionner pour l’histoire ou le droit…

      [En histoire, il serait souhaitable de préciser en début de chaque ouvrage, que l’enseignement diffusé l’est toujours, à toutes les époques, du point de vue des sommités nationales qui en rédigent les textes. L’histoire est comme le plomb, lourde et malléable.]

      Mais pourquoi limiter cette approche à l’Histoire ? En biologie, on pourrait aussi expliquer par exemple que la théorie de Darwin, qu’on enseigne à l’école, n’est finalement que « le point de vue des sommités nationales qui rédigent les textes ». Je suis sur que les obscurantistes qui prétendent que le monde a été créé en sept jours seront ravis…

      Expliquer aux adultes que l’état des connaissances historiques est toujours précaire et révisable me paraît tout à fait juste. Expliquer la même chose à des enfants me paraît une très grave erreur pédagogique.

      [Quand vous parlez de doute systématique, vous suggérez l’idée d’un rejet absolu de tout savoir institutionnalisé. Si on peut rencontrer cette tendance – qui n’est pas pour autant constante et universelle – chez certains individus à la limite de pathologie mentale préoccupante, ce n’est qu’assez rarement le cas d’adolescents, je présume.]

      Je pense que vous êtes d’un grand optimisme… D’abord, le rejet absolu de tout « savoir institué » fait partie de l’idéologie dominante. Et si vous ne me croyez pas, lisez les programmes officiels d’histoire. Ensuite, ce rejet se retrouve très couramment chez les jeunes. Pourquoi croyez-vous que les discours complotistes ont le vent en poupe ?

      [J’ai, comme beaucoup d’entre nous, vécu cela dans les années 50 et 60. Je ne pense pas que cela ait favorisé outre mesure la satisfaction de ma curiosité et les rares exemples contraires que je garde en mémoire, sont ceux d’enseignant laissant tout de même poindre une altération de leur certitude sur tel ou tel point?]

      Je ne sais pas comment c’était dans les années 50, je suis trop jeune pour ça. Mais de ma scolarité des années 1970, je retiens quelques professeurs de la « vieille génération », qui assumaient leur enseignement sans la moindre « altération de leurs certitudes ». Ils étaient capables de répondre à n’importe quelle question sans hésitation, et je dois dire qu’ils ont toujours satisfait ma curiosité. J’ai aussi qu quelques jeunes professeurs soixante-huitards, férus de psychanalyse et qui prêchaient la « liberté de réflexion ». D’eux, je ne retiens pas grande chose en dehors des chahuts.

      [La rigidité est souvent ressentie comme un manque de confiance et induit un doute sur la profondeur de la connaissance.]

      Mais pourquoi pensez-vous que l’autorité devrait aller de pair avec la rigidité ? J’ai eu des professeurs qui nous enseignaient le « roman national » avec une parfaite bonne conscience, sans la moindre « rigidité » mais sans non plus permettre les ignorants que nous étions de contester les vérités qu’ils nous enseignaient…

      [Vous aussi, ne la pratiquez vous pas quelquefois avec vos lecteurs ???]

      Oui, mais mes lecteur sont des adultes. Pas des adolescents.

    • Marcailloux dit :

      [C’est le contraire : en physique ou en biologie la méthode hypothetico-deductive peut fonctionner par essai et erreur. Mais je vois mal comment cette approche pourrait fonctionner pour l’histoire ou le droit…]
      Ah! vous êtes infernal. En effet, mais je pensais plus particulièrement à l’acquisition culturelle en général. La preuve en est d’ailleurs sous vos yeux: de ma propre approximation, j’acquiers qu’avant d’affirmer le bien fondé d’une procédure, je dois, surtout avec vous, bien étarquer mon affirmation et préparer les références. lol.

  3. bovard dit :

    Autre méfait collatéral,celui porté à l’intelligence du débat ,par Jean Christophe Cambadélis.
    Le chef de sosPS , a d’emblée qualifié toutes les personnes critiques envers Naket vallaud Belkacem,de Xénophobe !
    Comme si notre ministre n’avait pas la nationalité française!
    de qui se moque t on,à moins qu’en guise de légitime réponse les protestataires ne se rebiffent et décident de réclamer une expertise psychiatrique de ce député blanchi sous le harnais des ors de la république depuis des décennies.Qu’il aille devant une classe déchainée de 4ième pour mesurer le degré de xénophobie,des enseignants…Cambadélis,démission ou en Mission de la pensée unique du nivellement par le bas à l’aide du terrorisme culpabilisateur en racisme?

  4. Bonjour Descartes,

    Il me semble qu’il manque un ou plusieurs mots dans la première phrase du 7ème paragraphe (« L’élève, parce que c’est un être inachevé, immature. »)

    Histoire de ne pas poster pour rien, je vous offre aussi un extrait de l’Introduction à Antonio Gramsci (de George Hoare et Nathan Sperber), qui entre en résonnance avec vos propres réflexions :

    « Il y a bien un fil directeur dans les écrits de Gramsci sur l’éducation : celui d’un passage –à la fois progression et va-et-vient- de l’apprentissage d’un conformisme social à la réalisation d’une spontanéité critique. L’opposition de ces deux termes –conformisme et spontanéité- , qui est d’ailleurs canonique dans les études contemporaines de pédagogie et de didactique, Gramsci va tenter de la transformer en association dynamique.

    Il en va ainsi de l’éducation de la jeunesse, qui doit passer par une première phase conformiste, voire coercitive, par laquelle l’enfant doit assimiler de nouvelles dispositions corporelles et psychiques, ainsi qu’une certaine forme de socialité, comme préalables à une éducation plus riche et positive. Cette opération de conformisation sera d’autant plus laborieuse et pénible que l’enfant vient d’un milieu social peu éduqué. Et, s’il est issu du monde paysan –Gramsci insiste là-dessus en pensant à sa propre vie-, une mission première de l’école élémentaire sera de déraciner les superstitions, les croyances folkloriques en la magie auxquelles l’enfant aura peut-être été exposé dans sa famille et au village. Mais, à mesure que le cursus avance, aux niveaux secondaire puis universitaire, Gramsci note que l’élément disciplinaire laisse peu à peu la place à l’exercice de la réflexion critique spontanée. A terme, le conformisme engendre donc son contraire : la liberté de jugement. Les deux ne sont jamais que les faces d’une même pièce. » (p.38-39)

    • Descartes dit :

      @ Jonhathan R .Razorback

      [Il me semble qu’il manque un ou plusieurs mots dans la première phrase du 7ème paragraphe (« L’élève, parce que c’est un être inachevé, immature. »)]

      Merci beaucoup ! La fin de la phrase avait sauté dans mon traitement de texte…

      [Histoire de ne pas poster pour rien, je vous offre aussi un extrait de l’Introduction à Antonio Gramsci (de George Hoare et Nathan Sperber), qui entre en résonance avec vos propres réflexions : (…)]

      Je vous remercie beaucoup de ce texte. J’avais confusément le souvenir des réflexions de Gramsci sur l’éducation. Pas étonnant donc qu’elles rentrent en résonance avec mes propres réflexions. Je ne prétends pas que mes écrits soient d’une grande originalité. S’ils l’étaient, je serais un philosophe de l’éducation, ce que je ne suis pas. Je me contente de mettre en forme des réflexions que suscitent mes différentes lectures. Vous trouverez donc chez moi beaucoup d’éléments glanés de-ci de-là, chez des penseurs bien plus profonds et plus intelligents que moi…

      Quoi qu’il en soit, ce texte résume admirablement ma position : pour que la révolte intellectuelle ait un sens, il faut qu’il y ait d’abord conformité. Pour reprendre la magnifique formule de Newton, si nous voyons plus loin que nos prédécesseurs ce n’est pas parce que nous sommes plus grands qu’eux, mais parce que nous sommes assis sur leurs épaules. Et avant de voir plus loin, il nous faut par force faire l’effort de monter sur leurs épaules. Marx a pu « renverser » Hegel parce qu’il en a été le disciple, Descartes a pu mettre à bas la scolastique parce qu’il la connaissait sur le bout des doigts, et les Bourbaki ont révolutionné les mathématiques après avoir été formés à l’Ecole Normale Supérieure auprès des plus grands « mandarins » de leur époque. Les grands penseurs sont généralement devenus contestataires une fois leur formation achevée, après avoir été conformistes jusque là. Ceux qui ont été contestataires à vingt ans ont rarement produit grande chose…

      Comme le disent les auteurs que vous citez : « a terme, le conformisme engendre donc son contraire : la liberté de jugement ». Et la réciproque est vraie : l’anti-conformisme encouragé à un jeune âge engendre lui aussi son contraire : un jugement enchaîné aux préjugés. Ceux qui ont imposé à l’école une idéologie qui encourage la contestation dès le plus jeune âge devraient être tenus responsables de la stérilisation intellectuelle d’une génération. Ils ont transformé une école qui avait montré son efficacité à l’heure de « déraciner les superstitions, les croyances folkloriques en la magie auxquelles l’enfant aura peut-être été exposé dans sa famille et au village » en une école qui, au contraire, sous prétexte de « autonomie » et de « diversité » non seulement encourage l’élève à conserver ses « superstitions », mais à en être « fier » sous prétexte qu’elles constituent son identité.

  5. DemOs dit :

    Il me semble que ces “éminents” professeurs considèrent le collégien d’aujourd’hui comme un collégien-consommateur, comme individu indépendant du groupe, qui se comporte face au savoir comme il le fait dans un commerce ou devant sa télévision quand il passe ses tweets. Il choisit ce à quoi il adhère sur le mode : “j’achète/je n’achète pas”.
    Savoir et comprendre n’ont aucun sens dans ce monde-là dans lequel chaque individu exerce ses droits. Librement. Ce n’est quand même pas l’autre, qu’il soit professeur ou citoyen lambda, qui va lui dire ce qu’il doit penser.
    Notre monde va vraiment mal.

    DemOs

    • Descartes dit :

      @ DemOs

      [Il me semble que ces “éminents” professeurs considèrent le collégien d’aujourd’hui comme un collégien-consommateur, comme individu indépendant du groupe, qui se comporte face au savoir comme il le fait dans un commerce ou devant sa télévision quand il passe ses tweets. Il choisit ce à quoi il adhère sur le mode : “j’achète/je n’achète pas”.]

      Je ne suis pas sûr que ces « éminents professeurs » aillent aussi loin. Je veux bien croire qu’ils aient une vision moins schématique que celle-là. Mais dans la pratique, leur vision aboutit à ce résultat.

      [Savoir et comprendre n’ont aucun sens dans ce monde-là dans lequel chaque individu exerce ses droits. Librement. Ce n’est quand même pas l’autre, qu’il soit professeur ou citoyen lambda, qui va lui dire ce qu’il doit penser.]

      C’est tout le paradoxe. Ca rappelle à contrario la scène du film « La vie de Brian », ou Brian commande à ses disciples de penser par eux-mêmes, et se voit répondre « maître, comment on fait pour penser par soi même » ? Les enseignants demandant à leurs élèves de faire preuve d’esprit critique. Et ils sont ulcérés lorsque cette critique aboutit à ce que leurs élèves rejettent les valeurs et les principes qui leur sont chers. Au fond, cela traduit chez les enseignants un manque de culture. Ils s’imaginent que leurs valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité sont « naturels », que tout esprit bien fait ne peut que les adopter. Ils ont oublié – ou n’ont jamais su – que ces valeurs sont culturelles, qu’elles se sont construites au cours d’une longue histoire…

      [Notre monde va vraiment mal.]

      Oui, mais c’est déjà arrivé. Et on s’en est toujours sortis…

  6. Françoise dit :

    Cette tribune du Monde que vous critiquez si volontiers n’est qu’un avis de plus dans ce gloubiboulga médiatique et ne concerne que l’enseignement de l’Histoire. Elle n’a pas plus de valeur que la vôtre, où vous vous permettez en plus d’introduire une suspicion financière vraiment déplacée, sans parler de votre marotte élève apprenant / professeur sachant, thèmes qui sont hors sujet dans le débat sur les programmes. Sur ces derniers, si vous n’êtes pas content (du contenu bien sûr, pas du reste) vous pouvez le faire savoir jusqu’à la mi juin par la consultation nationale sur internet.

    Revenez plutôt au texte initial, ce fameux projet de programmes, qui explique clairement l’ojectif de l’enseignement de l’Histoire :

    “L’élève poursuit au cycle 3 la construction progressive de son rapport au temps et à l’espace, dont il doit convenablement maîtriser les bases à la fin de la 6ème. Pour ce faire, le programme propose une éducation d’abord générale et qui va peu à peu aborder explicitement ce rapport à partir des contributions de deux enseignements disciplinaires liés : l’histoire et la géographie, dont l’élève doit bien cerner les contours et les finalités civiques et culturelles à la fin du cycle.
    En travaillant sur des faits historiques, le jeune élève, apprendra d’abord à distinguer l’histoire de la fiction et commencera à comprendre que le passé est source d’interrogations.
    Le programme n’a pas pour ambition une connaissance linéaire et exhaustive de l’histoire. Les moments historiques retenus visent à construire des repères historiques communs qui, élaborés progressivement, enrichis tout au long des cycles 3 et 4, permettent de comprendre que le monde d’aujourd’hui et la société dans laquelle nous vivons ensemble sont les héritiers de longs processus, de ruptures, de choix effectués par les acteurs du passé.
    Si l’élève est dans un premier temps confronté aux traces concrètes de l’histoire et à leur sens, en lien avec son environnement, il est peu à peu initié à d’autres types de sources et à d’autres vestiges, qui parlent de mondes plus lointains dans le temps et l’espace. Il comprend que les récits de l’histoire sont constamment alimentés par de nouvelles découvertes archéologiques et scientifiques et des lectures renouvelées du passé.”

    “L’enseignement de l’histoire au cycle 4 propose, dans la continuité et la complémentarité du travail mené en cycle 3, une approche
    élargie et approfondie du passé ouvrant sur la compréhension du présent et la capacité à s’y confronter, à s’y intégrer, et à mieux
    tirer profit des savoirs sociaux, familiaux, quotidiens, également mobilisés par les élèves : « connaître le passé pour comprendre le
    monde actuel ».
    Les repères annuels de programmation proposent des démarches globales qui pour autant ne font pas fait disparaître de cet
    enseignement le cadre national ni la perspective chronologique propre à l’histoire.”

    Vous verrez ainsi qu’il n’est pas question:
    – de situer l’école hors sol sans référence à la cité
    – de former à la loyauté à la nation, sujet qui entre dans le domaine des nouveaux programmes d’éducation civique et morale (oops, la consultation nationale par internet est fermée depuis trois mois sur ce sujet, le texte est bouclé, tant pis pour vous si vous n’y avez pas contribué!)

    “Que fera le professeur lorsque l’élève « citoyen », « libre acteur du présent et du futur », utilisera cette « liberté » pour affirmer que Dieu a créé le ciel et la terre, et que la théorie du Big Bang comme celle de l’évolution ne sont que des inventions – qui plus est blasphématoires ?”
    il est drôle votre exemple… pas vraiment du domaine de l’enseignement de l’Histoire… eh ben le professeur lui expliquera gentiment qu’on peut affirmer librement ce qu’on veut, à condition d’en apporter la preuve scientifique (parce que la preuve historique est impossible puisque l’Homme était absent).

    • Descartes dit :

      @ Françoise

      [Cette tribune du Monde que vous critiquez si volontiers n’est qu’un avis de plus dans ce gloubiboulga médiatique et ne concerne que l’enseignement de l’Histoire. Elle n’a pas plus de valeur que la vôtre,]

      Pas tout à fait. Les « avis » publiés dans « Le Monde » arrivent à un lectorat auquel mon humble blog ne saurait prétendre, ni en qualité, ni en quantité. Par ailleurs, « Le Monde » ne publie pas des tribunes par hasard. Il ne suffit pas d’envoyer un texte par la poste.

      [où vous vous permettez en plus d’introduire une suspicion financière vraiment déplacée,]

      Quelle « suspicion financière » ? Parce que je me demande si tout le monde est prêt à payer pour l’éducation des enfants des autres ? Vous n’exagérez pas un petit peu ?

      [sans parler de votre marotte élève apprenant / professeur sachant, thèmes qui sont hors sujet dans le débat sur les programmes.]

      Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, mon papier – contrairement à celui que je commente – ne concerne pas le débat sur les programmes. Ce qui m’intéresse – et je l’ai dit explicitement – c’est moins l’argumentation sur les programmes que la vision de l’enseignement que ces arguments sous-entendent. Et dans cette vision, la question de l’élève apprennant/professeur sachant a toute sa place…

      [Sur ces derniers, si vous n’êtes pas content (du contenu bien sûr, pas du reste) vous pouvez le faire savoir jusqu’à la mi juin par la consultation nationale sur internet.]

      Je n’y manquerai pas, croyez le bien. Plus par acquit de conscience que parce que j’aie confiance dans le fait qu’il en sera tenu le moindre compte…

      [Revenez plutôt au texte initial, ce fameux projet de programmes, qui explique clairement l’ojectif de l’enseignement de l’Histoire :]

      Si vous voulez discuter des programmes, à votre disposition. Mais je vous le répète, ce n’est pas l’objectif de mon papier. Comme je l’ai expliqué, les programmes ont moins d’importance que la logique de transmission qu’on met en œuvre. Par ailleurs, il est inutile de citer longuement le texte des programmes – d’autant plus que celui-ci est particulièrement mal rédigé. Un lien suivi de vos commentaires suffit largement.

      [Vous verrez ainsi qu’il n’est pas question: – de situer l’école hors sol sans référence à la cité]

      Pourtant, je ne vois pas dans tout ce fatras la moindre référence à la « cité ». Je vois que l’élève doit pouvoir se « situer dans l’espace et dans le temps », « comprendre que le monde d’aujourd’hui et la société dans laquelle nous vivons ensemble sont les héritiers de longs processus, de ruptures, de choix effectués par les acteurs du passé » et finalement, on résume son objectif dans une formule : « connaître le passé pour comprendre le monde actuel ». Mais il n’y a aucune référence à la Nation, qui est après tout la « cité » dont l’élève aspire à devenir le « citoyen ».

      [Vous verrez ainsi qu’il n’est pas question: – de former à la loyauté à la nation, sujet qui entre dans le domaine des nouveaux programmes d’éducation civique et morale (…)]

      Mais c’est bien là le problème : il n’est pas question de former à la loyauté à la Nation. Contrairement à ce que vous dites, cela ne rentre nullement dans le domaine des nouveaux programmes d’éducation civique et morale. Le terme « nation » n’y figure qu’une seule fois, et pas du tout dans le contexte d’une quelconque « loyauté ». La conception générale du programme d’éducation civique est plutôt d’évacuer totalement l’idée de « Nation » pour ne conserver que les formes politiques et juridiques.

      [(oops, la consultation nationale par internet est fermée depuis trois mois sur ce sujet, le texte est bouclé, tant pis pour vous si vous n’y avez pas contribué!)]

      Vous pensez que cela aurait changé quelque chose ?

      [il est drôle votre exemple… pas vraiment du domaine de l’enseignement de l’Histoire…]

      Je n’ai jamais prétendu le contraire. Mon papier n’était pas consacré à l’enseignement de l’Histoire. Si vous avez mal lu, ce n’est pas ma faute.

      [eh ben le professeur lui expliquera gentiment qu’on peut affirmer librement ce qu’on veut, à condition d’en apporter la preuve scientifique.]

      Une affirmation qui est auto-contradictoire, à moins que le professeur puisse apporter la preuve scientifique du fait que « on peut affirmer librement ce qu’on veut, à condition d’en apporter la preuve scientifique », ce qui me semble en pratique très difficile. D’autant que l’élève peut apporter très facilement la contre-preuve : on entend tous les jours des gens affirmer librement ce qu’ils veulent sans apporter la moindre « preuve scientifique ».

      Le professeur peut expliquer « gentiment » à l’élève tout ce qu’il veut, mais pour que cette explication ait la moindre utilité encore faut-il que l’élève écoute cette explication, et qu’il y croie. Et s’il ne croit pas le professeur lorsque celui-ci lui explique que la terre n’a pas été créée en sept jours, pourquoi voulez-vous qu’il le croie lorsqu’il explique qu’il faut apporter une preuve scientifique pour avoir le droit d’affirmer quoi que ce soit ?

      Pour que l’élève écoute, il faut au professeur une autorité. Et cette autorité n’est pas naturelle, elle est instituée. Si vous encouragez vos élèves à remettre en cause les institutions, vous ne pouvez pas lui demander de faire exception pour l’institution scolaire…

    • Jean-François dit :

      [Les « avis » publiés dans « Le Monde » arrivent à un lectorat auquel mon humble blog ne saurait prétendre, ni en qualité, ni en quantité.]

      Votre lectorat est de mauvaise qualité ?

    • Descartes dit :

      @ Jean-François

      [Les « avis » publiés dans « Le Monde » arrivent à un lectorat auquel mon humble blog ne saurait prétendre, ni en qualité, ni en quantité.][Votre lectorat est de mauvaise qualité ?]

      J’entendais ironiquement « qualité » au sens de l’Ancien Régime… Mes lecteurs – du moins ceux que je connais – sont d’excellente qualité, mais je doute qu’il y ait parmi eux beaucoup de ministres, de députés, de hauts fonctionnaires…

  7. Françoise dit :

    Mouais… un peu bancale votre justification “je commente une tribune sur les programmes d’histoire mais j’extrapole au-delà sur la transmission en général” car vous ne faites qu’en critiquer chaque phrase.
    Si ces profs vous disent que l’adhésion à la Nation ne se fait pas en Histoire, car c’est le lieu où on apprend le passé (plus ou moins glorieux) pour comprendre le présent, non un lieu où on inculque le patriotisme, même si l’élève devenu mûr et adulte devra être citoyen et se rappellera, j’espère, tous ses cours de jeunesse et pas seulement en Histoire.
    Je vous laisse piocher dans ce lien http://eduscol.education.fr/consultations-2014-2015/events/programmes-denseignement-moral-et-civique/ toutes les infos nécessaires (projet+consultation) pour vous montrer que vous pleurez pour rien et que vos chers enfants auront tout dans leur tête et dans leurs mains pour être de bons citoyens.
    Pour la suspicion déplacée, veuillez m’excuser d’être nulle en lecture: “Une école qui ne se fixe pas comme objectif de former la “loyauté à la nation” se condamne elle même à n’être qu’un supermarché du savoir. Et on sait qu’au supermarché, seuls ceux qui ont de l’argent peuvent emporter la marchandise. Mais c’est peut-être là le but ?”

    • Descartes dit :

      @ Françoise

      [Mouais… un peu bancale votre justification “je commente une tribune sur les programmes d’histoire mais j’extrapole au-delà sur la transmission en général” car vous ne faites qu’en critiquer chaque phrase.]

      J’ai au contraire extrait de cette tribune un seul paragraphe, celui qui, au-delà de la question de l’enseignement de l’histoire, parle de la « fonction de l’école » en général. Et j’ai pris la peine d’annoncer la couleur en soulignant que ce qui m’intéressait dans cette tribune, c’était la conception de l’enseignement qu’elle sous-tend. C’est votre lecture qui semble « bancale », et non ma « justification ».

      [Si ces profs vous disent que l’adhésion à la Nation ne se fait pas en Histoire, car c’est le lieu où on apprend le passé (plus ou moins glorieux) pour comprendre le présent, non un lieu où on inculque le patriotisme, même si l’élève devenu mûr et adulte devra être citoyen et se rappellera, j’espère, tous ses cours de jeunesse et pas seulement en Histoire.]

      Je ne suis pas sur d’avoir compris le sens de cette phrase, qui commence par un « si » conditionnel mais se termine sans subordonnée. Mais ce n’est pas parce que ces profs le disent que c’est vrai, et à supposer que ce soit vrai, ce n’est pas parce qu’aujourd’hui le cours d’histoire n’est pas – ou plus – le lieu ou l’on inculque le patriotisme que a) c’est une bonne chose et b) ce sera le cas demain.

      Personnellement, je vois mal comment on pourrait traiter la question de la Nation autrement qu’en histoire. La traiter dans le cours d’instruction civique reviendrait à réduire la Nation à un concept institutionnel et juridique.

      [Je vous laisse piocher dans ce lien http://eduscol.education.fr/consultations-2014-2015/events/programmes-denseignement-moral-et-civique/ toutes les infos nécessaires (projet+consultation) pour vous montrer que vous pleurez pour rien et que vos chers enfants auront tout dans leur tête et dans leurs mains pour être de bons citoyens.]

      Si vous aviez lu avec attention les documents dont vous me recommandez la lecture, vous seriez moins assurée. Et si mes enfants avaient vraiment besoin de l’école pour devenir des bons citoyens – ce qui est le cas de beaucoup d’enfants des couches populaires – alors je serais bien inquiet pour eux.

      [Pour la suspicion déplacée, veuillez m’excuser d’être nulle en lecture:]

      Et encore, vous n’avez pas eu droit aux nouveaux programmes de français…

      [“Une école qui ne se fixe pas comme objectif de former la “loyauté à la nation” se condamne elle même à n’être qu’un supermarché du savoir. Et on sait qu’au supermarché, seuls ceux qui ont de l’argent peuvent emporter la marchandise. Mais c’est peut-être là le but ?”]

      Je ne vois pas ou est la « suspicion ». Il est de notoriété publique que l’enseignement privé a le vent en poupe, et que de plus en plus de parents des « classes moyennes » – enseignants inclus – envoient leurs enfants dans l’enseignement privé pour leur assurer un enseignement de meilleure qualité. Je me demande pourquoi ils dépensent autant d’argent alors que, si je crois votre merveilles optimisme, les nouveaux programmes assurent aux enfants « tout avoir dans leur tête et dans leurs mains pour être de bons citoyens »… peut-être savent-ils quelque chose que vous ignorez ?

  8. Françoise dit :

    c’est bien ce que j’avais cru lire dans vos phrase: la menace de “partir dans l’privé”
    l’enseignement privé aurait “le vent en poupe”? du quel enseignement privé? le sous contrat ou le hors contrat?
    les Français savent-ils que l’enseignement sous contrat est tenu d’appliquer les programmes nationaux et par ailleurs, que le directeur de l’enseignement catholique approuve la réforme?
    ou alors parlez vous du hors contrat qui n’est que marginal?

    • Descartes dit :

      @ Françoise

      [l’enseignement privé aurait “le vent en poupe”? du quel enseignement privé? le sous contrat ou le hors contrat?]

      Les deux mon général. Même si le « sous contrat » reste dominant, on voit se multiplier des écoles « de prestige » qui souvent sont « hors contrat ».

      [les Français savent-ils que l’enseignement sous contrat est tenu d’appliquer les programmes nationaux (…)]

      S’ils le savent, ils se trompent. Rien n’oblige l’enseignement sous contrat « d’appliquer les programmes nationaux ». Leur seule obligation, est de dispenser AU MINIMUM les contenus indiqués par les programmes officiels. Mais rien ne leur interdit de les enrichir. Vous me direz que c’est aussi le cas pour l’enseignement public, sauf que l’enseignement public est borné par les contingents horaires, ce qui n’est pas le cas de l’enseignement privé.

      [et par ailleurs, que le directeur de l’enseignement catholique approuve la réforme?]

      Je ne suis pas surpris. Pourquoi n’approuveraient-ils pas une réforme qui encouragera encore plus de parents de mettre leurs enfants dans le privé ? Chaque appauvrissement de l’enseignement public est un cadeau du ciel pour l’enseignement privé…

      J’avoue que je trouve curieux que vous, qui dites défendre un enseignement public de qualité, soyez rassurée par le vote de confiance du directeur de l’enseignement catholique…

    • Françoise dit :

      vous racontez n’importe quoi,
      la seule heure en plus, non rémunérée, est celle du “caractère propre”, c’est à dire le catéchisme, tout le reste est kif-kif avec le public, horaires, contenus et inspections; et les profs sont payés par le Trésor Public, donc vous les payez de la même façon que vous payez les salaires de ceux du public (merci donc de contribuer à mon bien-être car je suis dans l’enseignement catholique sous contrat!!!!!!).

    • Descartes dit :

      @ Françoise

      [vous racontez n’importe quoi,]

      Puisqu’on en est aux confidences à cœur ouvert, vous êtes une personne fort mal élevée, en plus de ne pas savoir lire.

      [la seule heure en plus, non rémunérée, est celle du “caractère propre”, c’est à dire le catéchisme, tout le reste est kif-kif avec le public, horaires, contenus et inspections;]

      Non. Dans le cadre du contrat, les professeurs sont rémunérés pour le même nombre d’heures que dans l’enseignement public. Mais si les parents sont prêts à payer, alors une école privée peut embaucher des enseignants supplémentaires et ajouter des heures de cours. Elles sont totalement libres d’ailleurs de ce qu’elles dispensent comme enseignement pendant ces heures-là.

    • Françoise dit :

      Oui, donc cela deviendrait du hors contrat!
      Trouvez-moi un exemple d’école sous contrat qui propose à ses élèves un cours payant supplémentaire (d’histoire ou d’éducation civique hein?, pas de scoubidous ou de théatre!) et je retirerai mes propos.
      bon courage

    • Descartes dit :

      @ Françoise

      [Oui, donc cela deviendrait du hors contrat!]

      Qu’est ce qui deviendrait « hors contrat » ?

      [Trouvez-moi un exemple d’école sous contrat qui propose à ses élèves un cours payant supplémentaire (d’histoire ou d’éducation civique hein?, pas de scoubidous ou de théatre!) et je retirerai mes propos.]

      Mais de quoi vous parlez ? Vous avez – comme souvent – mal compris : il ne s’agit pas d’offrir des « cours payants supplémentaires », mais d’offrir des cours supplémentaires dont le coût est couvert par les parents à travers leur cotisation. Les écoles privées sont généralement payantes. Cet argent sert entre autres à payer les « compléments » aux programmes officiels, puisque l’enseignement de ces derniers est financé par l’Etat dans le cadre du contrat d’association. Il s’ensuit, avec une implacable logique, que tout enseignement complémentaire aux programmes officiels est « un cours payant ». Or, beaucoup d’écoles privées dispensent ces compléments, soit en consacrant à certaines matières plus de temps que les programmes officiels ne le prévoient, soit en ajoutant des matières « hors programme ».

    • Françoise dit :

      Vous dites: “Mais si les parents sont prêts à payer, alors une école privée peut embaucher des enseignants supplémentaires et ajouter des heures de cours.” “Il ne s’agit pas d’offrir des « cours payants supplémentaires », mais d’offrir des cours supplémentaires dont le coût est couvert par les parents à travers leur cotisation.”
      Relisez-vous au calme et expliquez nous ensuite votre subtile distinction???

      Oui, les parents du privé payent l’école, pour les locaux, pour le personnel administratif, pour les surveillances hors temps de classe, pour la cantine éventuellement, pour l’atelier scoubidous ou autres éventuellement (hors temps et matières enseignées dans le cadre du contrat d’association et sans caractère obligatoire), mais je vous demande d’apporter la preuve de ce que vous avancez, c’est à dire un exemple d’école qui embaucherait un prof de “loyauté envers la Nation” puisque l’école de la république ne sait pas le faire et que le privé le sait mieux, non pas les profs du privé mais les personnes embauchées en plus donc hors contrat. Si en plus vous pouviez nous donner le contenu de son cours, cela deviendrait effectivement très intéressant!

    • Descartes dit :

      @ Françoise

      [Vous dites: “Mais si les parents sont prêts à payer, alors une école privée peut embaucher des enseignants supplémentaires et ajouter des heures de cours.” “Il ne s’agit pas d’offrir des « cours payants supplémentaires », mais d’offrir des cours supplémentaires dont le coût est couvert par les parents à travers leur cotisation.” Relisez-vous au calme et expliquez nous ensuite votre subtile distinction???]

      Il n’y a aucune « subtile distinction ». Les parents qui envoient leurs enfants à l’école privée payent une cotisation mensuelle. Si les parents – dans leur ensemble – sont prêts à payer une cotisation suffisamment élevée, l’école peut offrir des heures et des contenus supplémentaires à leurs enfants – dans leur ensemble. Il ne s’agit pas de « cours payants supplémentaires » réservés exclusivement aux enfants de l’école dont les parents qui seraient prêts à payer plus et fermés aux autres enfants de l’école en question.

      [Oui, les parents du privé payent l’école, pour les locaux, pour le personnel administratif, pour les surveillances hors temps de classe, pour la cantine éventuellement, pour l’atelier scoubidous ou autres éventuellement (hors temps et matières enseignées dans le cadre du contrat d’association et sans caractère obligatoire), mais je vous demande d’apporter la preuve de ce que vous avancez, c’est à dire un exemple d’école qui embaucherait un prof de “loyauté envers la Nation”]

      J’ai « avancé » ça, moi ? Non seulement vous êtes mal élevée, mais en plus vous ne savez pas lire. Je vous mets au défi de me montrer l’endroit ou j’aurais parlé de « professeur de loyauté envers la Nation ».

      L’école privée aura les moyens de donner plus d’heures d’histoire, et de compéter les programmes officiels indigents avec les parties qui leur manquent. Ils pourront aussi parler de l’histoire de France en étant attentifs au « roman national » comme on le fait dans les écoles privées de prestige, telles « Notre dame des Oiseaux », puisque vous avez besoin d’un exemple.

    • Françoise dit :

      Hallucinons un peu: Descartes le Rouge incite son lectorat à envoyer sa progéniture aux Oiseaux car c’est une école de prestige et “beaucoup d’écoles privées dispensent ces compléments, soit en consacrant à certaines matières plus de temps que les programmes officiels ne le prévoient, soit en ajoutant des matières « hors programme ».” ??? Et ils sont meilleurs en “loyauté à la nation” (cf vos dernières phrases du texte initial)
      C’est vraiment à se tordre de rire, ou pleurer devant tant d’ignorance…..

    • Descartes dit :

      @ Françoise

      [Hallucinons un peu: Descartes le Rouge incite son lectorat à envoyer sa progéniture aux Oiseaux]

      Mais où voyez-vous que j’ai « incité » qui que ce soit à envoyer sa progéniture quelque part ? D’habitude, j’attribue vos excès à vos difficultés de lecture. Mais ici, la chose est tellement outrancière que je ne peux que conclure à la falsification volontaire. Désolé, mais je ne continue pas l’échange dans ces conditions.

      [C’est vraiment à se tordre de rire, ou pleurer devant tant d’ignorance…..]

      Ce qui me ferait vraiment pleurer, ce n’est pas votre ignorance que l’idée que vous exerciez des fonctions d’enseignement. Je n’envie vraiment pas vos élèves.

  9. bovard dit :

    @Françoise
    Vos certitudes sont remis en cause sur ce blog,l’avez vous remarqué?
    De plus la profession des enseignants du secondaire signe massivement les pétitions du snes:
    -une contre l’autoritarisme,mesquin en cours et la réunionite débilitante.
    -l’autre pour plus de moyens… en fait pour protester contre le mal être considérable,des profs,(le + élevé dans les de l’ocde).
    Ce malaise est très bien cerné par les analyses de Descartes,que votre sentiment d”experte’,éloignée des classes,vous empêchera certainement de comprendre.
    Alors que moi,et mes trente ans d’ancienneté en collège,je me contente de faire cours à des 4ième déchainés et aussi depuis peu de protester,car je suis d’accord avec Descartes.
    L’actualité semble me donner raison,en partie malheureusement..
    L’AFP annonce:’Latin et grec au collège : le gouvernement demande au Conseil supérieur des programmes de revoir ses propositions
    Le programme doit être “plus lisible”. La ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a demandé au Conseil supérieur des programmes de plancher sur les langues anciennes et de remettre ses propositions mi-octobre, dans un courrier consulté par l’AFP, mercredi 13 mai. Alors que des opposants à sa réforme du collège redoutent la disparition du latin et du grec, la ministre de l’Education nationale demande au CSP d’apporter dans son projet de programme de français de la cinquième à la troisième “des articulations plus lisibles avec les langues et cultures de l’Antiquité”.Elle souhaite qu’il travaille également sur le thème “Langues et cultures de l’Antiquité” prévu dans les nouveaux Enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) et enfin qu’il rédige “des programmes pour les enseignements de complément de latin et de grec” prévus dans la réforme du collège, contre laquelle une grève est prévue mardi.’
    Les critiques des protestataires avaient certainement quelques fondements,sinon pourquoi NVB aurait elle changé?

  10. Ribus dit :

    La réforme du collège est la dernière trouvaille que les socialistes ont trouvée pour se réconcilier avec les Français. On est ravi, il n’y a pas d’autres mots. Et puis, chaque réforme depuis un demi-siècle a été une marche supplémentaire vers le sommet de l’Everest de la réussite, de la connaissance et de la paix sur terre.

    Franchement je ne comprends pas ces grincheux qui s’opposent à la suppression de l’enseignement du grec, du latin, de l’histoire et l’allemand. Incompréhensible aussi cette hostilité aux nouvelles méthodes d’enseignement qui offrent la possibilité à l’élève de se passer de son professeur et de transformer la salle de classe en annexe de la cour de récréation.

    D’ailleurs, pour quelle obscure raison faudrait-il faire avorter LA réforme de la délicieuse NVB qui est très contrariée par les beaufs qui ruent dans les brancards. Mais ce qui est incroyable est que même des intellectuels de gauche s’y mettent aussi. Où va-t-on mon pauvre monsieur ?

    J’ai été tenté également par une opposition à ce projet et puis, j’ai un peu réfléchi – cela m’arrive – et je crois à présent que cette réforme est indispensable et que Hollande, notre grand timonier a raison de soutenir et consolé la petite Najat.

    Hollande a déjà ruiné la fonction présidentielle, réveillé la France chrétienne, poursuivi la libanisation du territoire commencé par l’immense Sarkozy, on peut le laisser continuer et achever la destruction de notre veau d’or à savoir l’éducation nationale.

    Avant la fin de son quinquennat, j’espère qu’il aura le temps de réformer le lycée en supprimant la philosophie, la littérature française et les mathématiques. Comme cela, il ne restera rien, un véritable champ de ruine, œuvre magistrale de nos pédagogistes sortis des œufs de tyrannosaure de mai 68.

    • Françoise dit :

      votre humour tombe à plat car nulle part vous ne verrez dans cette réforme “la suppression de l’enseignement du grec, du latin, de l’histoire et l’allemand. Incompréhensible aussi cette hostilité aux nouvelles méthodes d’enseignement qui offrent la possibilité à l’élève de se passer de son professeur et de transformer la salle de classe en annexe de la cour de récréation.”
      votre réaction relève plus du p’tit gars qui répète ce qu’il entend au café du coin que de celui qui veut débattre sur ce blog

    • Descartes dit :

      @ Françoise

      [Incompréhensible aussi cette hostilité aux nouvelles méthodes d’enseignement qui offrent la possibilité à l’élève de se passer de son professeur et de transformer la salle de classe en annexe de la cour de récréation.]

      Ce n’est pas parce que vous ne comprenez pas quelque chose que cela est « incompréhensible ». Le choix de faire de la salle de classe un annexe de la cour de récréation est d’ailleurs assumé par NVB, puisqu’elle appelle à une extension des méthodes « ludiques » d’apprentissage. Nous sommes quelques uns encore – dont plusieurs éminents spécialistes du développement cognitif de l’enfant – à penser que l’apprentissage ne peut être réduit à un « jeu ». Que la transmission impose au contraire une restriction des impulsions naturelles de l’enfant, et que c’est pourquoi il passe par une discipline mentale qui n’a rien de spontanée. Vous avez le droit de ne pas être d’accord avec nous, mais cela n’a rien de « incompréhensible ».

      [votre réaction relève plus du p’tit gars qui répète ce qu’il entend au café du coin que de celui qui veut débattre sur ce blog]

      Confidence pour confidence… je pense que lorsqu’on préface ses commentaires par un “vous racontez n’importe quoi”, on est mal placé pour donner des leçons de maintien.

    • Ribus dit :

      Descartes

      Je crois que vous vous emmêlez les pinceaux dans vos réponses.

      Dans la 1ère partie, vous me répondez effectivement avec référence à «  plusieurs éminents spécialistes du développement cognitif de l’enfant » devant lesquels je m’incline respectueusement mais qui sont pour moi de véritables dangers publics.

      Dans la seconde partie, vous répondez à Françoise  et je crois qu’il y a erreur sur la personne.

      Mon propos était ironique mais je n’ai pas l’impression que vous l’avez compris.

      « Vous avez le droit de ne pas être d’accord avec nous, ». Descartes est pluriel ? Ou est-ce un «  nous » de majesté ?

      Vous parlez de « discipline mentale » et c’est très bien. A la fin des années 60 et dans les années 70, j’ai connu la discipline tout court, dans les écoles et collèges dirigés par des ecclésiastiques et ce n’était pas mal du tout et cela fonctionnait.

      La discipline ne peut pas être que mentale car c’est un ensemble cohérent qui s’applique à toute la vie de l’école et suppose de l’ordre, du respect, des sanctions quand l’ordre est perturbé, l’adhésion des parents. C’était l’école de grand-mère et grand-père et non l’innommable dépotoir d’aujourd’hui.

      Je crois qu’en réalité vous faites un plaidoyer pro domo au profit de la corporation des enseignants qui constatent, comme nous, le désastre mais qui refusent de porter le chapeau.

      Or, par honnêteté les enseignants devraient au moins reconnaître les erreurs du passé récent et commencer à se rebeller contre les inspecteurs généraux de l’éducation nationale. Certains l’ont fait à leur niveau. J’ai entendu parler d’institutrice qui mettait un livre de lecture syllabique avec la couverture de Ratus. C’est un bel exemple de courage, de ténacité et de lucidité, mais je crains que ce ne soit pas la majorité du genre….

    • Françoise dit :

      Descartes,
      je veux bien avoir mis du temps à comprendre le système des réponses mais là, pour une fois que j’avais écrit dans la bonne case, c’est vous qui vous plantez: vous me répondez alors que la phrase est de Ribus.
      Entre nous, “confidence pour confidence”, jeu est-il synonyme de foire?
      Pour le “n’importe quoi”, je maintiens tant que vous maintiendrez vos affirmations.

    • Descartes dit :

      @ Françoise

      [Pour le “n’importe quoi”, je maintiens tant que vous maintiendrez vos affirmations.]

      Fort bien. Et je maintiens que vous êtes une personne mal élevée tant que vous maintiendrez votre “n’importe quoi”. Nous sommes donc quittes.

    • Descartes dit :

      @ Ribus

      [Dans la 1ère partie, vous me répondez effectivement]

      Je ne vous ai pas répondu. Je mets toujours en tête de mes réponses le nom de la personne à qui je m’adresse précédé du signe « @ ». Ne faites pas attention à la disposition des commentaires, elle est assez imprévisible cadeau d’Overblog…

      [« Vous avez le droit de ne pas être d’accord avec nous, ». Descartes est pluriel ? Ou est-ce un « nous » de majesté ?]

      Ni l’un ni l’autre. Dans la mesure ou la phrase précédente était « Nous sommes quelques uns encore – dont plusieurs éminents spécialistes du développement cognitif de l’enfant – à penser que l’apprentissage ne peut être réduit à un « jeu » », la phrase suivante ne pouvait être qu’à la première personne du pluriel.

      [La discipline ne peut pas être que mentale car c’est un ensemble cohérent qui s’applique à toute la vie de l’école et suppose de l’ordre, du respect, des sanctions quand l’ordre est perturbé, l’adhésion des parents. C’était l’école de grand-mère et grand-père et non l’innommable dépotoir d’aujourd’hui.]

      Il ne faut pas confondre la discipline « extérieure » – le fait de respecter des normes, des règles, des sanctions – et la discipline « intérieure » qui est une organisation de la pensée. Les deux sont nécessaires.

      [Je crois qu’en réalité vous faites un plaidoyer pro domo au profit de la corporation des enseignants]

      J’aurais du mal à faire un tel plaidoyer « pro domo » : je ne suis pas enseignant. Par ailleurs, si vous lisez mes papiers et mes commentaires sur ce blog, vous observerez que je suis très critique sur la corporation enseignante.

  11. Françoise dit :

    “éloignée des classes”, moi? Dites cela à d’autres, comme à Descartes par exemple, qui parle de ce qu’il ne connait pas !
    “autoritarisme”: le projet de programmes, avec ses intitulés larges, laissent à chaque prof la possibilité de construire sa programmation d’année comme il le souhaite, sans fil d’Ariane, ce qui, à mon sens, est plutôt risqué car des classes n’auront peut-être du coup pas étudié un point qui sera au brevet des collèges. C’est une des remarques que j’ai soulevées dans ma participation à la concertation. Il vous est difficile, à moins d’être de mauvaise foi, de signer une pétition contre l’autoritarisme (de qui?).
    “réunionite débilitante”: merci et bravo pour ce résumé de nos “journées de concertation”; la formation continue des enseignants a encore des progrès à faire. Mais il va bien falloir s’y atteler et faire des réunions fructueuses car nous avons des EPI à mettre en place et chaque prof doit apprendre à travailler en groupe. Il ne me semble pas que les opposants à cette réforme soient contre les EPI? Donc réunions en plus en perspective, certainement moins “débilitantes”!
    “manque de moyens”: je n’ai pas lu ça dans la critique de la réforme. En revanche, NVB dit qu’elle ouvre d’autres postes pour travailler en petits groupes d’élèves.
    dépêche AFP: le CSP n’a pas pu “revoir” ses propositions car il n’en avait pas encore fait (!), ce qui est maladroit, je vous l’accorde. A force de laisser aux profs une plus large autonomie, ils (gvt+csp) ont été pris à leur propre piège et sont obligés, pour rassurer les opposants, d’affiner le contenu de l’enseignement. NVB n’a rien changé de sa réforme du collège, il y aura bien une partie “civilisation ancienne” en cours de français, en EPI et dans le cadre des 20% d’horaires laissés au choix des établissements.
    “4èmes déchainés”: désolée pour vous mais il n’est jamais trop tard pour se remettre en cause… pas forcément en signant des pétitions!
    Quant à mes certitudes, elles sont étayées donc je les assume pleinement, merci!

    • Descartes dit :

      @ Françoise

      [“éloignée des classes”, moi? Dites cela à d’autres, comme à Descartes par exemple, qui parle de ce qu’il ne connait pas !]

      Je vous invite à indiquer en haut de vos messages le nom de la personne à qui vous répondez. Autrement, le placement des messages étant ce qu’il est sur overblog, il est assez difficile de suivre les échanges.

      [“autoritarisme”: le projet de programmes, avec ses intitulés larges, laissent à chaque prof la possibilité de construire sa programmation d’année comme il le souhaite, sans fil d’Ariane, ]

      Vous avez tout à fait raison. Le problème avec ces programmes n’est pas tellement « l’autoritarisme », mais plutôt le manque d’autorité. L’école devient une sorte de « chacun fait ce qui lui plait », avec un tronc commun « obligatoire » de plus en plus réduit et plein de sujets « facultatifs ». Cette approche est discutable dans beaucoup de matières, mais en Histoire, ou la continuité chronologique est essentielle, cela risque d’être catastrophique.

      [“réunionite débilitante”: merci et bravo pour ce résumé de nos “journées de concertation”;]

      Qu’est ce qu’il en est sorti, de ces « journées de concertation » ? Puisque vous y avez participé, il serait intéressant que vous racontiez votre expérience.

      [Mais il va bien falloir s’y atteler et faire des réunions fructueuses car nous avons des EPI à mettre en place et chaque prof doit apprendre à travailler en groupe. Il ne me semble pas que les opposants à cette réforme soient contre les EPI?]

      Je ne sais pas ce que pensent les « opposants » en général. Personnellement, je suis extrêmement réservé sur les EPI. Le problème de ces dispositifs est qu’ils peuvent être la meilleure et la pire des choses. Le problème dans le domaine pédagogique c’est que les choses qui marchent bien lors des expériences marchent souvent mal lorsqu’elles sont généralisées. Pourquoi ? Parce que les expérimentations sont conduites par des enseignants volontaires, mobilisés et qui en veulent. Alors que la massification doit être conduite par l’enseignant moyen, dont la motivation, la mobilisation et la disponibilité ne sont pas tout à fait les mêmes. C’est toute la différence entre faire fonctionner un procédé en laboratoire et le faire fonctionner dans l’industrie : un procédé qui fonctionne dans le contexte du laboratoire, c’est-à-dire mis en œuvre une fois par des scientifiques hautement formés et motivés, ne marche pas lorsqu’il est mis en œuvre tous les jours par des ouvriers.

      Là ou les enseignants sont bien formés, motivés et « en veulent », les EPI seront certainement de bonne qualité. Mais avec des enseignants formés, motivés et qui « en veulent », tout marche. Par contre, là où l’équipe pédagogique est de qualité moyenne, routinière et peu motivée, cela se réduira à un pompage plus ou moins bien fait de wikipédia, au recyclage des hobbies des élèves, etc… le tout à la sauce numérique.

      [“manque de moyens”: je n’ai pas lu ça dans la critique de la réforme. En revanche, NVB dit qu’elle ouvre d’autres postes pour travailler en petits groupes d’élèves.]

      Je ne crois pas que ce soit le véritable problème. Il faudrait commencer par bien utiliser les moyens disponibles – qui ne sont pas, loin de là, misérables – et ensuite on pourra voir à les augmenter.

      [NVB n’a rien changé de sa réforme du collège, il y aura bien une partie “civilisation ancienne” en cours de français, en EPI et dans le cadre des 20% d’horaires laissés au choix des établissements.]

      Vous y croyez ?

  12. Bonjour,

    J’ai pris connaissance du projet de nouveaux programmes d’histoire-géographie au collège. Honnêtement, je ne vois pas d’énormes changements par rapport aux précédents. La progression chronologique me paraît respectée. Quelques aménagements me semblent intéressants. Pour le reste, j’observe les mêmes errements que pour les programmes actuels.

    En 6ème, la préhistoire, qui avait été abandonnée, est de nouveau au programme, avec la “révolution néolithique”. Ce n’est pas un mal, même si je trouve un peu excessif l’appellation de “principale révolution de l’histoire humaine”. Je pense que la “révolution industrielle” est tout aussi importante. Le premier thème, “une seule humanité” me laisse songeur. Pour le reste, il n’y a pas grand changement, et je ne vois rien de choquant. Les intitulés sont parfois grandiloquents, mais on a l’habitude… En géographie, hormis un thème qui disparaît et quelques reformulations, le programme ne change pas vraiment.

    En 5ème, en histoire, on voit bien que le premier thème sur “la Méditerranée un monde d’échanges” met le monde musulman au centre de la réflexion, mais il est vrai que c’est la civilisation dominante en Méditerranée au début du Moyen Âge. Je trouve intéressant de réintroduire les mondes carolingiens et byzantins (passés en 6ème, à la fin du programme, mais je n’ai jamais le temps de le faire) même si c’est un chapitre facultatif. Je trouve dommage cependant de tout axer sur la Méditerranée alors que les empires carolingiens et byzantins ont des rapports étroits avec l’Europe du Nord et de l’Est. L’autre chapitre facultatif “routes de commerce, échanges culturels” est le type même de sujet qui me hérisse le poil. Mais surtout ce chapitre, si j’en crois son intitulé, évacue un peu vite la dimension guerrière des relations en Méditerranée. J’espère qu’il ne s’agit pas d’expliquer que “oh! comme les musulmans et les chrétiens cohabitaient harmonieusement au Moyen Âge!”.
    Le deuxième thème me laisse songeur: il faut d’abord choisir entre étudier “la société rurale encadrée par l’Eglise” ou l’ “Essor des villes et éducation”. Vu le poids de la ruralité, de la seigneurie, de l’Eglise au Moyen Âge, je vois mal comment on peut évacuer le premier sujet au profit du second. Enfin la Renaissance pose problème: il faut choisir entre “le monde vers 1500” (c’est-à-dire probablement les grandes explorations et les premières colonies) et “Humanisme, Réformes et conflits religieux”. Là, il y a un vrai problème parce que, quel que soit le choix opéré, on fait passer à la trappe un sujet important pour la suite.
    En géographie, pas grand-chose de nouveau: le développement durable encore et toujours, la préservation des ressources, les inégalités. Ce n’est pas de la propagande écolo mais on s’en rapproche. Mais c’est pire en primaire (“recycler”, “habiter un écoquartier”, franchement, ce n’est pas de la géographie).

    En 4ème, les Lumières sont facultatives et on doit choisir entre les étudier ou s’intéresser à la Révolution américaine. Mais expliquer la Révolution américaine, et évidemment la Révolution française sans les Lumières, il faudra m’expliquer… Pour le XIX° siècle, finie l’unité allemande ou italienne et on va sans doute passer plus vite sur l’histoire politique française avant 1870 si j’interprète correctement l’intitulé “Construire, affirmer, consolider la République en France”. Naturellement la colonisation reste elle en bonne place, il serait fâcheux d’oublier la culpabilité de l’ “homme blanc occidental” (même si les instructions précises sont souvent plus nuancées).
    En géographie, pas de grand changement. L’étude de la mondialisation est un bon thème à mon avis.

    En 3ème, en histoire, le programme me paraît surtout allégé: la Grande Guerre est passée en 4ème (avec toujours cette obsession du génocide arménien qui, sans être un détail, est loin d’être un épisode central du conflit, désolé). On a droit au chapitre (facultatif quand même) sans doute réclamé par le lobby féministe “les femmes au coeur de sociétés qui changent”. Faut bien faire plaisir à tout le monde… Le sort de la Révolution de 17 reste mystérieux: en 4ème avec la guerre 14-18 ou en 3ème dans “l’Europe entre démocratie et totalitarismes”? La formulation du chapitre sur la Guerre froide est intéressante au premier coup d’œil. En revanche, la partie sur le monde après la Guerre froide disparaît, ce qui est un peu dommage. Pour la Seconde Guerre Mondiale, l’histoire militaire reste réduite au profit des larmes obligatoires à verser pour la Shoah et le génocide tzigane. Quant à la France sous l’Occupation, elle n’apparaît pas clairement, mais je n’ose imaginer que le sujet ne soit plus traité.
    En géographie pas de gros changements: c’est toujours la France et l’UE qui sont au programme.

    Je n’ai pas regardé l’Education Civique.

    Que conclure? Pas grand-chose de nouveau sous le soleil: l’effacement de l’histoire nationale est confirmée, les sujets “à la mode”: l’esclavage, la colonisation, les femmes trouvent leur place dans les programmes, l’histoire “culturelle et sociétale” prend le pas sur l’histoire événementielle et politique. A noter quand même la disparition de l’Afrique au Moyen Âge en 5ème et la pauvre Union européenne qui n’est plus à la mode (elle disparaît en histoire et est traitée en partie avec la France en géographie, rien à voir avec la place qu’on lui accordait il y a encore quelques années). Mais dans l’ensemble, c’est la même idéologie qui sous-tend ces programmes que les précédents (conçus par la droite…). Cela étant, il faut souligner qu’on ne dispose que des intitulés, souvent assez vagues. Il faudrait voir les répartitions horaires indicatives et surtout les commentaires du programme. Ce sont eux, plus que les intitulés, qui fixent la “ligne” que doit suivre l’enseignant.

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [J’ai pris connaissance du projet de nouveaux programmes d’histoire-géographie au collège. Honnêtement, je ne vois pas d’énormes changements par rapport aux précédents. La progression chronologique me paraît respectée. Quelques aménagements me semblent intéressants. Pour le reste, j’observe les mêmes errements que pour les programmes actuels.]

      Merci de cette analyse. Je ne connais pas aussi bien que vous les programmes actuels, mais il me semble qu’ils avaient moins de parties « facultatives ». Or, on sait bien que lorsqu’on veut faire disparaître un enseignement sans effaroucher parents et enseignants, le premier pas est de la rendre « facultative ». Par ailleurs, je ne trouve pas que la « progression chronologique » soit respectée : il est vrai que les différentes sujets suivent une progression chronologique, mais étant donné les lacunes entre un sujet et l’autre, la chronologie à laquelle auront accès les élèves sera très lacunaire. Mais il est vrai qu’on ne fait que poursuivre une dégradation qui ne date pas d’hier…

      [En 5ème, en histoire, on voit bien que le premier thème sur “la Méditerranée un monde d’échanges” met le monde musulman au centre de la réflexion, mais il est vrai que c’est la civilisation dominante en Méditerranée au début du Moyen Âge. (…) J’espère qu’il ne s’agit pas d’expliquer que “oh! comme les musulmans et les chrétiens cohabitaient harmonieusement au Moyen Âge!”.]

      A votre avis ? Allons, ne vous faites pas plus ingénu que vous ne l’êtes… le but de ce programme, c’est aussi de « exalter nos différences » et de permettre à chaque élève de « retrouver ses origines » (de ce point de vue, la mention du génocide arménien dans le programme de 3ème vaut son pesant en cacahouètes). Vous n’imaginez pas qu’on va parler de guerres, de conflits et d’autres questions qui pourraient dresser les enfants les uns contre les autres, n’est ce pas ? Bien sur que non : il s’agit d’enseigner une histoire façon bisounours, ou les peuples s’aiment et les guerres sont le produit de quelques méchants dirigeants. Si vous regardez les programmes d’histoire du XXème siècle en 3ème, c’est assez évident. Je doute que l’orientation soit très différentes pour les autres niveaux… Vous croyez que les enseignants auront envie de gérer la bataille de Poitiers alors qu’on explique aux élèves qu’ils doivent être « fiers » de leurs origines ?

      [En géographie, pas grand-chose de nouveau: le développement durable encore et toujours, la préservation des ressources, les inégalités. Ce n’est pas de la propagande écolo mais on s’en rapproche.]

      Je ne connaissais pas chez vous ce côté « politiquement correct ». Disons-le sans fard : c’est bien de la propagande.

      [On a droit au chapitre (facultatif quand même) sans doute réclamé par le lobby féministe “les femmes au coeur de sociétés qui changent”. Faut bien faire plaisir à tout le monde…]

      Mais ce chapitre n’a de « facultatif » que le nom. Parce que vous verrez assez rapidement monter la pression – celle des parents, des associations, de l’inspection… – sur les infortunés professeurs qui choisiront de snober un chapitre aussi essentiel.

      [Le sort de la Révolution de 17 reste mystérieux: en 4ème avec la guerre 14-18 ou en 3ème dans “l’Europe entre démocratie et totalitarismes”?]
      Mais… il y a eu une révolution, en 1917 ? Vous en êtes sûr ?

      [La formulation du chapitre sur la Guerre froide est intéressante au premier coup d’œil. En revanche, la partie sur le monde après la Guerre froide disparaît, ce qui est un peu dommage. Pour la Seconde Guerre Mondiale, l’histoire militaire reste réduite au profit des larmes obligatoires à verser pour la Shoah et le génocide tzigane. Quant à la France sous l’Occupation, elle n’apparaît pas clairement, mais je n’ose imaginer que le sujet ne soit plus traité.]

      La formulation de ces chapitres n’est pas innocente. On a la nette impression qu’on va expliquer aux élèves que les guerres sont la faute des méchants totalitarismes, et que sans les méchants dirigeants les peuples auraient vécu dans la paix et la fraternité. C’est la doctrine qui vient de Bruxelles.

      [Que conclure? Pas grand-chose de nouveau sous le soleil: l’effacement de l’histoire nationale est confirmée, les sujets “à la mode”: l’esclavage, la colonisation, les femmes trouvent leur place dans les programmes, l’histoire “culturelle et sociétale” prend le pas sur l’histoire événementielle et politique.]

      Tout a fait d’accord.

      [A noter quand même (…) la pauvre Union européenne qui n’est plus à la mode (elle disparaît en histoire et est traitée en partie avec la France en géographie, rien à voir avec la place qu’on lui accordait il y a encore quelques années).]

      Effectivement, l’UE semble être passée de mode, du moins sur l’aspect institutionnel. Parce que la vision des conflits qui sous-tend ce programme suit d’assez près les directives bruxelloises.

    • @ Descartes,

      “Disons-le sans fard : c’est bien de la propagande.”
      Je serai un peu plus nuancé que vous en disant que certains enseignants en font de la propagande. Mais je me souviens des instructions très claires que nous avaient données les inspecteurs sur cette question du développement durable justement: “vous n’êtes pas là pour diffuser un discours politique ou militant, et les discours catastrophistes sont à proscrire. Le développement durable est un concept complexe et l’aspect environnemental ne doit en aucun cas supplanter les aspects économiques et sociaux qui ont toute leur importance. Le développement durable, ce n’est pas défendre la nature, c’est trouver un équilibre entre les besoins des hommes, leur désir légitime d’avoir un emploi et un niveau de vie confortable et les ressources disponibles. Il n’y a pas de solution simple à des problèmes compliqués.” Dans les faits, en pratique, je suis d’accord avec vous: ça tourne fréquemment à la propagande, du fait des orientations idéologiques de l’enseignant.

      “Je ne connaissais pas chez vous ce côté « politiquement correct ».”
      Vous m’offensez, cher Descartes… Faites attention, je vous rappelle que je suis un dangereux partisan de l’usage de la violence 🙂

      “A votre avis ? Allons, ne vous faites pas plus ingénu que vous ne l’êtes… […] Vous n’imaginez pas qu’on va parler de guerres, de conflits et d’autres questions qui pourraient dresser les enfants les uns contre les autres, n’est ce pas ?”
      Vous avez raison, mais je ne suis pas ingénu, et vous oubliez un élément: il y a encore des universitaires qui veillent. Lors de la première mouture des programmes de Seconde il y a quelques années, le thème sur “la Méditerranée au XII° siècle” omettait les Croisades, figurez-vous, pour ne parler que du commerce et des échanges culturels. Quelques spécialistes ont rué dans les brancards, et croyez-le ou pas, les Croisades sont réapparues dans le programme… Il faut attendre les intitulés définitifs.

      “Parce que vous verrez assez rapidement monter la pression – celle des parents, des associations, de l’inspection… – sur les infortunés professeurs qui choisiront de snober un chapitre aussi essentiel.”
      Dans certains endroits, peut-être. Mais ailleurs, dans les campagnes, les banlieues, vous auriez tort de surestimer le poids de ses facteurs. Les parents? Ils s’en foutent, tant que le bahut fait garderie. Savez-vous qu’il m’arrive couramment de faire des conseils de classe où aucun représentant des parents n’est présent? C’était encore rare il y a quelques années quand j’ai débuté. Les associations? Elles pèseront dans les quartiers bobos des grandes métropoles, là où je travaille, je ne m’inquiète guère. L’inspection? On voit les inspecteurs une fois tous les trois ou cinq ans… Et je dois avouer que j’ai constaté une démoralisation du corps d’inspection ces derniers temps. Les inspecteurs nous cachent à peine leur désarroi de nos jours.
      En revanche, je ne doute pas que le lobby féministe va tâcher de faire passer ce chapitre dans la partie “obligatoire”.

      “Mais… il y a eu une révolution, en 1917 ? Vous en êtes sûr ?”
      Ah, mais! Vous allez me faire douter, cher ami 🙂

      “On a la nette impression qu’on va expliquer aux élèves que les guerres sont la faute des méchants totalitarismes, et que sans les méchants dirigeants les peuples auraient vécu dans la paix et la fraternité.”
      Euh… Je crains que ce soit déjà le cas…

      “Parce que la vision des conflits qui sous-tend ce programme suit d’assez près les directives bruxelloises”
      Auriez-vous les références de ces directives? Si elles sont disponibles en français, j’avoue que ça m’intéresserait beaucoup d’en prendre connaissance.

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [Je serai un peu plus nuancé que vous en disant que certains enseignants en font de la propagande. Mais je me souviens des instructions très claires que nous avaient données les inspecteurs sur cette question du développement durable justement (…)]

      Vous avez raison, j’ai été un peu rapide. Je dois dire que malgré le climat intellectuel maussade et des pressions incessantes de la vulgate bienpensante, une partie non négligeable de la hiérarchie éducative reste fermement attachée à la tradition cartésienne et républicaine. C’est particulièrement vrai pour les « anciens », vieux loups pédagogiques souvent revenus des leurs erreurs de jeunesse et qui ont encore la mémoire d’une époque ou l’enseignement était différent.

      [Dans les faits, en pratique, je suis d’accord avec vous: ça tourne fréquemment à la propagande, du fait des orientations idéologiques de l’enseignant.]

      Je trouve que beaucoup d’enseignants se posent assez peu de questions éthiques et déontologiques quant à le neutralité idéologique de leur enseignement. Je me demande d’ailleurs s’ils sont eux-mêmes conscients de propager une idéologie.

      [« Je ne connaissais pas chez vous ce côté « politiquement correct ». » Vous m’offensez, cher Descartes… Faites attention, je vous rappelle que je suis un dangereux partisan de l’usage de la violence :)]

      Dois-je sortir mon gilet pare-balles et attendre votre visite kalachnikov en main ?

      [L’inspection? On voit les inspecteurs une fois tous les trois ou cinq ans… Et je dois avouer que j’ai constaté une démoralisation du corps d’inspection ces derniers temps. Les inspecteurs nous cachent à peine leur désarroi de nos jours.]

      C’est vrai. J’ai des amis qui sont à l’inspection générale, et qui me rapportent des anecdotes assez révélatrices.

      [« Parce que la vision des conflits qui sous-tend ce programme suit d’assez près les directives bruxelloises » Auriez-vous les références de ces directives? Si elles sont disponibles en français, j’avoue que ça m’intéresserait beaucoup d’en prendre connaissance.]

      Ce ne sont pas des « directives » au sens juridique du terme. Je me souviens d’avoir eu en main des notes de la Commission Européenne dans les années 1990, juste après la ratification du traité de Maastricht. Dans l’une d’elles, on abordait la question de la création d’un véritable « sentiment national européen » – à l’époque, on croyait encore à une future Europe-nation. Une des recommandations était d’adapter les programmes scolaires en faisant disparaître toute référence aux conflits intra-européens, soit en les éliminant pure et simplement, soit en les évacuant vers des boucs émissaires (totalitarismes, dictateurs, etc), pour ne retenir que ce qui pouvait illustrer la coopération entre les peuples européens. Malheureusement, je n’ai pas gardé le document, et je n’ai pas la référence. L’une de ces notes recommandait d’éviter de représenter sur les billets en euros des personnages ou des évènements historiques, icones jugées trop dangereuses puisqu’en général ils sont associés aux conflits.

    • @ Descartes,

      “Je trouve que beaucoup d’enseignants se posent assez peu de questions éthiques et déontologiques quant à le neutralité idéologique de leur enseignement. Je me demande d’ailleurs s’ils sont eux-mêmes conscients de propager une idéologie.”
      Non, ils n’en sont généralement pas conscients, beaucoup sont intimement convaincus de servir la devise républicaine “liberté, égalité, fraternité” et d’être investis d’une mission, celle de faire connaître la “vérité”, sur la situation de l’environnement par exemple, ou sur la misère du monde. Ils se rendent rarement compte qu’ils relaient en réalité des discours émanant de groupes qui ont intérêt à tenir ces discours. Essayer de faire entendre une voix discordante, et vous les agacez rapidement. Vous savez, je crois que nous, les professeurs, aurions besoin d’esprit critique, sans doute plus que nos élèves… Bien sûr, il ne faut pas généraliser, nous sommes nombreux et ne pensons pas tous la même chose. Il n’en demeure pas moins qu’il règne des “dogmes” dans le corps enseignant: essayez de critiquer l’immigration, le multiculturalisme ou l’écologie (ou essayez de dire que Sarkozy est un type bien!) en salle des profs, et vous verrez. Je m’amuse toujours d’entendre des collègues qui prétendent enseigner “l’esprit critique” à leurs élèves être incapables de la moindre réflexion sur leur conception du monde et de la société.

      Je vais vous paraître obséquieux, mais je dois admettre que depuis quelques années maintenant que je vous lis, j’ai beaucoup subi votre influence (parfois à mon corps défendant, j’enrageai que vous ayez eu raison), et cela a changé mon regard sur la société. Votre analyse sociale, classiste, me paraît aujourd’hui très pertinente, et je regrette que cette grille de lecture ne soit pas davantage relayée. Je m’aperçois que les enseignants, ou moins certains d’entre eux, constituent l’archétype du membre de la classe moyenne qui produit et diffuse un discours en parfaite adéquation avec ses intérêts, assimilés évidemment à l’intérêt général, le tout avec une parfaite bonne conscience. Nous, les enseignants, avons des emplois non-délocalisables, nous profitons des produits importés bon marché, nous avons les moyens d’accéder à une large gamme de loisirs. Nous connaissons le système scolaire sur le bout des doigts: nos enfants ne craignent pas grand-chose, et ils profiteront toujours de notre “capital immatériel” que représente l’accès aux livres et à la culture. Enfin, faut-il le rappeler, nous bénéficions en tant que fonctionnaires de la “préférence nationale” par ailleurs abhorrée. Le fait est que l’immigration ne nous gêne pas: les immigrés ne sont pas des concurrents pour nous ou nos enfants. Au contraire: nous ne rechignons pas à embaucher une femme de ménage sénégalaise…

      Les enseignants diffusent en toute bonne foi le discours immigrationniste et ils ne comprennent pas, ils s’offusquent même que certains de nos élèves émettent des réserves, parce que souvent ces élèves-là, eux, sont issus de milieux où la concurrence avec l’immigré existe, de milieux où le libre-échange total et la construction européenne font des ravages en terme d’emplois. Beaucoup de collègues ne comprennent pas, et surtout ne veulent pas écouter ces élèves-là. Et c’est une très grave erreur surtout quand, dans le même temps, ils diffusent un discours larmoyant et culpabilisateur sur le racisme, les discriminations. Il y a une certaine indécence à plaindre les immigrés qui se noient en Méditerranée tout en méprisant royalement les beaufs qui se retrouvent au chômage.

      Là où le bâts commence à blesser, c’est face à l’islam. Comme vous le rappelez, à force de vanter “l’esprit critique” et de cracher sur les institutions, vieux réflexe soixante-huitard, on a fini par décrédibiliser l’institution scolaire elle-même. Du temps où la majorité des élèves étaient issus de milieux catholiques non-pratiquants, agnostiques ou athées, tout allait plutôt bien. Mais à présent que les jeunes de confession musulmane sont nombreux, les professeurs commencent à se heurter à des enfants à qui on inculque des dogmes religieux et une vision du monde, et qui remettent en cause la parole de l’enseignant au nom de leurs valeurs religieuses ou communautaires. Je dois vous avouer qu’après le 7 janvier, j’ai été très amusé de ce que j’ai entendu en salle des profs. La parole refoulée de certains s’est libérée et d’autres, confrontés au refus de respecter la minute de silence, ont commencé à se dire: “on a un problème”…

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [Non, ils n’en sont généralement pas conscients, beaucoup sont intimement convaincus de servir la devise républicaine “liberté, égalité, fraternité” et d’être investis d’une mission, celle de faire connaître la “vérité”, sur la situation de l’environnement par exemple, ou sur la misère du monde.]

      C’est là un énorme problème, parce que comment peut on prêcher la tolérance et le libre examen alors qu’on se place soi-même dans une logique dogmatique ? Paradoxalement, le problème était moins sérieux dans l’école de grand-papa, qui séparait bien plus clairement les domaines qui relevaient du libre examen – l’enseignement des sciences, par exemple – et celui qui n’était pas ouvert à discussion – par exemple, le « roman national ». Au moins, cette position avait l’avantage de la cohérence. Aujourd’hui, l’école transmet aux élèves une injonction paradoxale.

      [Je vais vous paraître obséquieux, mais je dois admettre que depuis quelques années maintenant que je vous lis, j’ai beaucoup subi votre influence (parfois à mon corps défendant, j’enrageai que vous ayez eu raison), et cela a changé mon regard sur la société.]

      C’est très gentil à vous. Sachez que plus que « subir mon influence », vous avez contribué à construire un « intellectuel collectif ». Car si l’analyse était au départ la mienne, elle s’est beaucoup approfondie et raffinée à votre contact et à celui des autres participants à ce blog. Et si – soyons immodestes – j’ai pu avoir « raison » sur vous, j’ai beaucoup appris de vos commentaires et pris conscience de certains angles qui ne m’apparaissaient pas évidents au départ.

      [Les enseignants diffusent en toute bonne foi le discours immigrationniste et ils ne comprennent pas, ils s’offusquent même que certains de nos élèves émettent des réserves, parce que souvent ces élèves-là, eux, sont issus de milieux où la concurrence avec l’immigré existe, de milieux où le libre-échange total et la construction européenne font des ravages en terme d’emplois. Beaucoup de collègues ne comprennent pas, et surtout ne veulent pas écouter ces élèves-là.]

      Je connais beaucoup moins bien que vous le milieu de l’Education Nationale, mais en discutant avec des amis enseignants j’ai eu la même impression. Je trouve que c’est un problème très grave. Car l’autorité de l’école vient aussi du fait que c’est un lieu de science, un lieu où l’on enseigne une vérité scientifique construite à partir d’une analyse de l’expérience, et non à partir d’un dogme. Lorsque l’école donne une lecture de la réalité qui prétend s’imposer dogmatiquement en contradiction avec l’expérience quotidienne de l’élève, on peut difficilement reprocher à ce dernier de mettre en question son autorité ou de lui préférer d’autres autorités dogmatiques.

      [Mais à présent que les jeunes de confession musulmane sont nombreux, les professeurs commencent à se heurter à des enfants à qui on inculque des dogmes religieux et une vision du monde, et qui remettent en cause la parole de l’enseignant au nom de leurs valeurs religieuses ou communautaires.]

      Je ne crois pas que l’islam soit le problème. Auparavant, d’autres religions ont disputé l’autorité de l’enseignant. N’oubliez pas que l’école ne s’est pas toujours adressé à des « catholiques non-pratiquants ». Lorsqu’elle est créée en 1881, la grande majorité des élèves viennent de maisons pratiquantes. Le problème est surtout qu’on a oublié comment l’école a gagné cette bataille-là. Elle l’a gagné en se posant – j’insiste – comme lieu de science. Elle n’a pas disputé à l’Eglise le terrain de la croyance, elle a tout simplement décrété que la croyance était une affaire privée, et qu’à l’école on ne s’en occupe pas. C’est pourquoi il est si important que le professeur évite d’étaler devant les élèves toute « croyance » – qu’elle soit politique, sociale, écologique ou féministe – et se tienne strictement à la transmission du savoir, d’un savoir construit sur l’analyse rationnelle de la réalité et rien de plus. Parce que dès lors que le professeur s’éloigne du « savoir » et entre dans le champ de « l’opinion », l’élève a tout droit de lui opposer l’opinion inverse.

      [Je dois vous avouer qu’après le 7 janvier, j’ai été très amusé de ce que j’ai entendu en salle des profs. La parole refoulée de certains s’est libérée et d’autres, confrontés au refus de respecter la minute de silence, ont commencé à se dire: “on a un problème”…]

      Il faudra voir jusqu’où va cette prise de conscience.

    • Marcailloux dit :

      @ Descartes
      Bonjour,

      [Vous croyez que les enseignants auront envie de gérer la bataille de Poitiers alors qu’on explique aux élèves qu’ils doivent être « fiers » de leurs origines ?]

      Pourriez vous être plus explicite à ce sujet ? La bataille de Poitiers fait l’objet de débats contradictoires entre spécialistes aussi éminents les uns que les autres. Il me semble que les prosélytes de tous poils se sont emparés de ce symbole, l’interprétant à leur guise, ou plutôt à leur intérêt idéologique, et là, le rôle de l’enseignant est de remettre cet évènement dans une perspective objective, en soulignant l’incertitude d’un certain nombre d’éléments de cet épisode marquant de l’histoire de France.
      A moins d’être un jeanfoutre, il ne peut en être autrement pour un individu qui a fait le choix, et de plus est rémunéré pour, de transmettre un savoir, pas un avis.
      Ce qui est la règle sur un blog, ne l’est pas pour l’école. Des enseignants seraient-ils soumis au vertige du débat libre ? D’autre part, et je m’adresse à NJ s’il me lit, quel est le degré de liberté d’un enseignant d’histoire dans sa façon d’aborder son sujet par rapport à un programme, aussi précis soit-il ?
      Et tenir compte de la « fierté »des élèves quant à leur origine, qu’il faudrait sanctuariser, j’ai le sentiment – bien qu’éloigné de ces problèmes – que l’on ferait fi du minimum de conscience professionnelles exigible d’un fonctionnaire de l’instruction publique ?.
      Dans ces conditions, comment l’enseignant en histoire va-t-il « gérer » Crécy, Azincourt, Trafalgar, Dunkerque, Den Bien Phu, etc . . . où les Français n’ont pas particulièrement été glorieux. Nos petits descendants des gaulois vont devoir avaler pas mal de couleuvres.
      Finalement, l’essentiel du billet tient dans le premier paragraphe. C’est précisément ce que disait Luc Ferry il y a trois jour sur Radio Classique.
      Mais alors,, à moins de considérer que nos dirigeants, sur ce sujet au moins, sont des inconscients, donc, à ce niveau, des crétins, ce que je ne crois absolument pas, il me reste, de prime abord, à moi citoyen benoit-lambda, deux réponses plausibles :
      – ou nous avons à faire avec des crapules qui n’ont que faire de la véracité des connaissances et que seul leur parcours politique motive,
      – ou la « machine » Éducation Nationale est devenue ingouvernable, qu’elle est devenue au fil du temps la cour du roi Pétaud, dans laquelle, seul un ouragan d’expulsions peut mettre un terme à la gabegie.
      J’aimerais bien y comprendre quelque chose.

    • @ Descartes,

      “Je ne crois pas que l’islam soit le problème. Auparavant, d’autres religions ont disputé l’autorité de l’enseignant. N’oubliez pas que l’école ne s’est pas toujours adressé à des « catholiques non-pratiquants ».”
      Oui, mais n’oubliez pas que les catholiques, les protestants et les juifs ont toujours disposé d’un réseau d’établissements privés qui fait défaut aux musulmans, ce qui a grandement atténué les conflits. Le catholique rigoriste n’envoie pas son gamin à l’école publique, le musulman, lui, entend que l’école publique s’adapte à sa foi. Je sais que sur cette question vous et moi sommes en profond désaccord. Je persiste à penser, et mon expérience m’y incite, que l’islam nous pose un problème redoutable.

      Je pense que vous ne saisissez pas le degré de déliquescence des institutions, affaiblies autant par la lâcheté que par les offensives communautaristes. Je vous invite à lire l’article suivant qui évoque des atteintes à la laïcité dans les rangs mêmes des professeurs stagiaires et à l’université de manière générale:
      http://www.lesechos.fr/journal20150519/lec1_enquete/02173880610-laicite-a-luniversite-la-lutte-dans-les-classes-1120470.php

      Je ne vois pour ma part qu’une explication à ce type de situation: un incroyable mépris pour le savoir et pour la science. Vous relèverez dans l’article, au passage, le “courage” des administrations et des syndicats, ainsi que l’habituel chantage au “néocolonialisme” et à l’ “islamophobie”. Que certaines universités en arrivent là montrent que les jeunes musulmans, du moins un nombre croissant d’entre eux, se posent en ennemis de la République. Une société d’une telle lâcheté, qui méprise à ce point la science ouvre la porte aux pires obscurantismes…

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [« Je ne crois pas que l’islam soit le problème. Auparavant, d’autres religions ont disputé l’autorité de l’enseignant. N’oubliez pas que l’école ne s’est pas toujours adressé à des « catholiques non-pratiquants ».][Oui, mais n’oubliez pas que les catholiques, les protestants et les juifs ont toujours disposé d’un réseau d’établissements privés qui fait défaut aux musulmans, ce qui a grandement atténué les conflits.]

      Je n’avais jamais entendu cet argument. Pensez-vous vraiment que l’enseignement privé ait servi comme « soupape de sécurité » pour protéger l’enseignement public des intégristes religieux ?

      [Le catholique rigoriste n’envoie pas son gamin à l’école publique, le musulman, lui, entend que l’école publique s’adapte à sa foi.]

      Je ne crois pas que la question se pose dans ces termes. Les difficultés ne viennent pas du musulman rigoriste qui envoie son adolescent à l’école, mais de l’adolescent lui-même qui se radicalise alors même que ses parents n’ont pas de pratique religieuse.

      [Je pense que vous ne saisissez pas le degré de déliquescence des institutions, affaiblies autant par la lâcheté que par les offensives communautaristes.]

      J’en suis tout à fait conscient. La différence entre vous et moi, c’est que vous avez tendance à situer la « menace » au niveau des musulmans, alors que je la place plutôt dans la « lâcheté » à laquelle vous faites allusion. Pour moi, la solution est moins de chasser les musulmans que de renforcer nos institutions.

      [Je vous invite à lire l’article suivant qui évoque des atteintes à la laïcité dans les rangs mêmes des professeurs stagiaires et à l’université de manière générale: ttp://www.lesechos.fr/journal20150519/lec1_enquete/02173880610-laicite-a-luniversite-la-lutte-dans-les-classes-1120470.php]

      Très bon article, qui montre assez bien comment l’université en tant qu’institution à capitulé. Par lâcheté, par aquoibonnisme, parce que « on ne veut pas d’ennuis », par gauchisme impénitent qui ne veut pas comprendre que les opprimés n’ont pas toujours raison, on a laissé faire n’importe quoi. Pas étonnant que certains en aient profité.

      [Je ne vois pour ma part qu’une explication à ce type de situation: un incroyable mépris pour le savoir et pour la science. Vous relèverez dans l’article, au passage, le “courage” des administrations et des syndicats, ainsi que l’habituel chantage au “néocolonialisme” et à l’ “islamophobie”.]

      Nous partageons la même analyse. Si les « radicalisés » font la loi, c’est parce qu’ils ne trouvent pas d’institution forte et sûre d’elle-même en face pour leur mettre des limites. Je persiste dans mon analyse : les enseignants – c’est vrai du secondaire comme du supérieur – ont par idéologie mal placée sciée la branche sur laquelle ils sont assis. Ils en arrivent d’ailleurs à des raisonnements qui laissent songeur : comment la défense du point de vue scientifique et de la laïcité pourrait « faire le jeu de Le Pen » ? Si le FN est devenu le parti de la science et de la laïcité, on a du souci à se faire…

    • Descartes dit :

      @ Marcailloux

      [Vous croyez que les enseignants auront envie de gérer la bataille de Poitiers alors qu’on explique aux élèves qu’ils doivent être « fiers » de leurs origines ?][Pourriez vous être plus explicite à ce sujet ? La bataille de Poitiers fait l’objet de débats contradictoires entre spécialistes aussi éminents les uns que les autres. Il me semble que les prosélytes de tous poils se sont emparés de ce symbole, l’interprétant à leur guise, ou plutôt à leur intérêt idéologique, et là, le rôle de l’enseignant est de remettre cet évènement dans une perspective objective, en soulignant l’incertitude d’un certain nombre d’éléments de cet épisode marquant de l’histoire de France.]

      Sauf que l’injonction paradoxale est qu’il faut être « fier » de ses origines. Comment les élèves d’origine arabe et les élèves d’origine « gauloise » vont pouvoir étudier ensemble cet « épisode marquant de l’histoire de France » ? Parce que quelque soient les « débats contradictoires », le fait demeure que c’est une défaite des troupes arabes conduites par le gouverneur d’Al Andalous, Abdel A1-Rahman devant les troupes d’une coalition de princes chrétiens conduite par Charles Martel, majordome du palais du roi des Francs, et par le duc Eudes. Et que cette défaite marque le début du processus de retraite des troupes arabes jusqu’aux Pyrénées – qui sera complété sous le petit-fils de Charles Martel, Charlemagne – puis plus tard de l’ensemble de la péninsule ibérique. Comment présenter cette défaite arabe, et son importance dans la construction de la France sans froisser cette « fierté » chez les uns et les autres ?

      [A moins d’être un jeanfoutre, il ne peut en être autrement pour un individu qui a fait le choix, et de plus est rémunéré pour, de transmettre un savoir, pas un avis.]

      Ce n’est pas aussi simple. Le professeur parle de l’histoire d’un certain point de vue. Et lorsqu’il parle de la bataille de Poitiers, se considère-t-il un héritier de Charles Martel, où un héritier d’Al-Rahman ? Pour lui, Poitiers c’est le début d’une aventure, celle de la construction du royaume de France, ou l’a fin d’une autre, l’expansion arabe en Europe ? Et lorsqu’il parle à ses élèves, de quel côté se placent-ils ?

      [Et tenir compte de la « fierté »des élèves quant à leur origine, qu’il faudrait sanctuariser, j’ai le sentiment – bien qu’éloigné de ces problèmes – que l’on ferait fi du minimum de conscience professionnelles exigible d’un fonctionnaire de l’instruction publique ?]

      Pardon : la question de la « fierté des origines » n’est pas un choix de l’enseignant, c’est une politique officielle de l’institution.

      [Dans ces conditions, comment l’enseignant en histoire va-t-il « gérer » Crécy, Azincourt, Trafalgar, Dunkerque, Den Bien Phu, etc . . . où les Français n’ont pas particulièrement été glorieux. Nos petits descendants des gaulois vont devoir avaler pas mal de couleuvres.]

      Le problème n’est pas là. Lorsque vous enseignez Azincourt, vous n’avez pas dans votre classe une moitié de petits descendants d’anglais à qui on enjoint d’être « fiers de leurs origines ». Même chose pour Trafalgar, Crécy ou Dunkerque. La difficulté, ce n’est pas d’enseigner une défaite ou une victoire, c’est d’enseigner une bataille qui est une défaite pour la moitié de votre classe, et une victoire pour l’autre.

      [Mais alors, à moins de considérer que nos dirigeants, sur ce sujet au moins, sont des inconscients, donc, à ce niveau, des crétins, ce que je ne crois absolument pas,]

      Ce n’est pas une question de « crétinerie » mais d’intérêt. La dégradation de notre système éducatif est une préoccupation pour certains, mais pas pour tout le monde, loin de là. Beaucoup de groupes sociaux – dont les « classes moyennes », qui dominent aujourd’hui le champ politico-médiatique – s’en accommodent parfaitement.

      Il faut bien comprendre que ce qui terrorise les « classes moyennes », c’est bien un système qui rebattrait les cartes à chaque génération. La bourgeoisie tient sa position sociale de la possession d’un capital matériel, et elle sait bien que ses enfants hériteront ce capital et avec lui leur rang social. Serge Dassault n’est certainement pas un grand ingénieur, mais cela ne l’a pas empêché de bénéficier de la fortune de son grand-père. Pour les « classes moyennes », ce n’est pas la même chose. Leur position sociale ne repose, dans une logique méritocratique, que sur leur « capital immatériel », et dans ce capital immatériel les connaissances et les diplômes figurent aujourd’hui en bonne place. Si demain ces connaissances et ces diplômes étaient accessibles à tous, leur capital serait considérablement dévalué.

      Pour se protéger, les « classes moyennes » ont deux stratégies. La première, est de se réserver l’accès aux connaissances et aux diplômes, en dégradant le système d’éducation public, ce qui leur permet de donner un avantage à leurs enfants du fait de la transmission familiale et d’un meilleur accès à l’enseignement privé. La deuxième stratégie, est de remplacer chaque fois qu’ils le peuvent le recrutement « au mérite » par un recrutement « à la tête du client », qui permet plus facilement faire jouer les réseaux. Ces stratégies garantissent aux enfants des « classes moyennes » une concurrence très limitée des enfants des couches populaires.

      C’est pourquoi la transformation du système scolaire – et universitaire – dans une immense garderie ou les enfants se sentent bien et apprennent un minimum ne dérange guère les « classes moyennes ».

    • @ Marcailloux (et Descartes),

      Concernant la bataille de Poitiers, vous savez, on l’a supprimée des programmes, du collège tout au moins. De nos jours, les élèves ne connaissent ni Clovis, ni Charles Martel, c’est à peine s’ils ont entendu parler de Charlemagne. Toute cette période du Haut Moyen Âge, de “la France avant la France” pourtant si importante pour comprendre la suite, est éliminée du programme. On passe quasiment de l’Empire romain (dont la chute n’est pas évoquée, car cela contredit sans doute le dogme qui veut que toute migration soit bénéfique…) à l’époque de Philippe Auguste. Exit le baptême de Clovis, les Serments de Strasbourg de 842 ou le Traité de Verdun de 843. Un certain nombre de “moments fondateurs” sont passés sous silence. Un scandale.

      “je m’adresse à NJ s’il me lit, quel est le degré de liberté d’un enseignant d’histoire dans sa façon d’aborder son sujet par rapport à un programme, aussi précis soit-il ?”
      Sur le site Eduscol, on trouve des fiches qui commentent le programme et donne des indications parfois assez précises, parfois très vagues, sur ce qu’il faut faire dans tel ou tel chapitre (notion à travailler, documents à utiliser, écueils à éviter). Maintenant, soyons clairs: dans les faits, un professeur est très libre, les inspecteurs ne sont pas sur son dos en permanence. Certains enseignants se moquent du programme. Leur seule contrainte réside dans le temps qui leur est imparti et qui n’est pas extensible.

      Après, il y a des degrés dans la liberté. Ceux qui ne respectent pas du tout le programme et qui traitent des questions extérieures au programme risquent quelques ennuis quand l’inspecteur viendra. Avec les cahiers de texte numérique, les inspecteurs, l’administration, les parents peuvent en théorie contrôler la progression de l’enseignant et les thèmes qu’il aborde en classe. Il devient donc plus difficile de faire comme si les programmes n’existaient pas.

      Ensuite il y a les professeurs qui font… ce que je fais. Je respecte les grandes lignes du programme, même si je ne les approuve pas toujours, parce que j’estime que c’est mon devoir de fonctionnaire. Après je fais des choix: je vais développer un peu plus tel ou tel point du programme parce que ça me paraît important, quitte à laisser de côté des sujets qui me paraissent secondaires. Ainsi, en 6ème, je préfère passer un peu plus de temps sur la Grèce et Rome et ne pas traiter les “mondes lointains” (Chine des Han ou Inde des Gupta). Là je fais un choix, en estimant par exemple que le panthéon gréco-romain leur sera plus utile pour comprendre leur culture (dans les arts notamment) que le panthéon hindouiste.

      Il ne faut pas s’exagérer la “liberté pédagogique”, mais il ne faut pas la nier non plus. Normalement l’angle à adopter pour aborder un thème est fourni par le programme. Mais, sur le développement durable dont nous parlions avec Descartes, il est évident que certains enseignants adoptent un angle plus conforme à leurs intimes convictions qu’aux instructions officielles.

      “Et tenir compte de la « fierté »des élèves quant à leur origine, qu’il faudrait sanctuariser, j’ai le sentiment – bien qu’éloigné de ces problèmes – que l’on ferait fi du minimum de conscience professionnelles exigible d’un fonctionnaire de l’instruction publique ?”
      Là-dessus, je serais très clair: j’ai entendu, de mes oreilles entendu, un Inspecteur Général (le gratin) déclarer, concernant la Première Guerre Mondiale, qu’il fallait “faire une place à toutes les mémoires dans le cours”. Autrement dit parler des tirailleurs sénégalais aux petits noirs, et des goumiers marocains aux petits Arabes (je caricature à peine). Et encore, il s’agit dans ce cas précis d’intégrer différentes mémoires à la trame nationale. Mais on voit bien les dérives d’une telle logique: face à une classe composée à 90 % de petits Maghrébins et Subsahariens, on peut vite être tenté, “pour les intéresser”, de se focaliser sur les troupes coloniales qui ont certes mené un combat honorable mais qui n’ont quand même représenté qu’une petite minorité des hommes engagés dans le conflit…

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [On passe quasiment de l’Empire romain (dont la chute n’est pas évoquée, car cela contredit sans doute le dogme qui veut que toute migration soit bénéfique…) à l’époque de Philippe Auguste. Exit le baptême de Clovis, les Serments de Strasbourg de 842 ou le Traité de Verdun de 843. Un certain nombre de “moments fondateurs” sont passés sous silence. Un scandale.]

      Plus que scandaleux, c’est triste. Non seulement parce que cette époque est, comme tu le dis, fondamentale pour la suite du point de vue historique, mais parce que l’histoire de cette époque a une qualité « esthétique » qu’il ne faut pas négliger. J’avais un professeur de mathématiques qui insistait lourdement sur le fait que la meilleure démonstration se devait d’être juste, mais aussi d’être élégante. C’est un peu vrai pour l’histoire aussi.

      [Là-dessus, je serais très clair: j’ai entendu, de mes oreilles entendu, un Inspecteur Général (le gratin) déclarer, concernant la Première Guerre Mondiale, qu’il fallait “faire une place à toutes les mémoires dans le cours”.]

      Qu’un inspecteur général puisse associer les « mémoires » à l’Histoire, c’est en soi même révélateur de la confusion idéologique qui règne à l’EN. Parce que les « mémoires » n’ont aucune place dans un cours d’Histoire. Les « mémoires », c’est la manière dont les gens s’imaginent le passé. Mais une « mémoire » peut ne garder qu’un rapport lointain avec les événements qu’elle est censé relater, voire les construire de toutes pièces. Ainsi, la « mulâtresse Solitude », mise en avant par les défenseurs de la « mémoire de l’esclavage », et qui reste un personnage largement mythique.

      [Autrement dit parler des tirailleurs sénégalais aux petits noirs, et des goumiers marocains aux petits Arabes (je caricature à peine).]

      Même pas. Il s’agit de « faire une place » non pas aux tirailleurs sénégalais tels qu’ils ont été – avec un rôle somme toute marginale dans la Grande Guerre – mais de « faire une place » à leur « mémoire », c’est-à-dire, à la représentation que les petits noirs peuvent avoir de l’affaire. C’est-à-dire, grâce à des films comme « indigènes », faire place à l’idée que la France a été « sauvée » par les troupes coloniales.

    • Marcailloux dit :

      @ nationalistejacobin,
      Bonjour,
      [ Là-dessus, je serais très clair: j’ai entendu, de mes oreilles entendu, un Inspecteur Général (le gratin) déclarer, concernant la Première Guerre Mondiale, qu’il fallait “faire une place à toutes les mémoires dans le cours”. Autrement dit parler des tirailleurs sénégalais aux petits noirs, et des goumiers marocains aux petits Arabes (je caricature à peine). Et encore, il s’agit dans ce cas précis d’intégrer différentes mémoires à la trame nationale. Mais on voit bien les dérives d’une telle logique: face à une classe composée à 90 % de petits Maghrébins et Subsahariens, on peut vite être tenté, “pour les intéresser”, de se focaliser sur les troupes coloniales qui ont certes mené un combat honorable mais qui n’ont quand même représenté qu’une petite minorité des hommes engagés dans le conflit…]
      Vos réponses m’ont, dans l’ensemble, rassuré. Car voyez vous – et là vous allez peut-être bondir – la noblesse de votre métier réside dans ce caractère “artisanal” qu’il comporte. Dans artisanal, il y a pour moi la racine “art” associée à une noblesse de l’exercice qui fait que l’enseignant ne peut en aucun cas être assimilé au rouage d’une machine ou d’un mécanisme dont le fonctionnement est parfaitement prédéterminé. Plus qu’à ses connaissances on attend de lui de l’intelligence pour s’adapter en permanence – dans le cadre d’un programme – au besoin présumé de l’élève singulier qu’il a face à lui. Là intervient la déontologie de l’enseignant qui doit mettre son intelligence non au service de ses convictions personnelles, mais à celui du besoin d’acquisition de connaissances de l’enfant en devenir de citoyen à part entière. Cela ne se passera – j’imagine – pas tout à fait de la même façon selon qu’il aura devant lui 25 têtes blondes ou 25 têtes crépues. Mais l’écart reste dans la nuance et la ou les digressions éventuelles.
      Cependant, lorsque vous dénoncez les paroles de cet Inspecteur Général, vous êtes vous posé la question de votre réaction s’il avait déclaré ” En aucun cas, il ne faut évoquer la participation des indigènes africains dans cette guerre qui ne concernait ni leur terre d’origine, ni leur culture, ni leur liberté.” Entre faire un cours “à la carte” et tenir compte de la sensibilité naturelle de l’auditeur, il y a une marge, et en supposant qu’ en 4ème la guerre de 14/18 fasse l’objet de 3 fois 1h de cours (supposition à vue de nez de ma part), l’évoquer en 1 ou 2 ou 3 fois pendant quelques secondes selon l’assistance, ne me parait pas être une soumission au besoin présumé de ces élèves.
      C’est là que toute la capacité d’adaptation, c’est à dire l’intelligence, du professeur doit s’appliquer. Ou alors, bientôt, nous n’aurons plus besoin que de machines à enseigner.

    • Descartes dit :

      @ marcailloux

      [Cependant, lorsque vous dénoncez les paroles de cet Inspecteur Général, vous êtes vous posé la question de votre réaction s’il avait déclaré ” En aucun cas, il ne faut évoquer la participation des indigènes africains dans cette guerre qui ne concernait ni leur terre d’origine, ni leur culture, ni leur liberté.”]

      Ma réaction aurait été de dire que cet inspecteur ne sait pas de quoi il parle. D’abord, parce que la guerre en question « concernait » autant les habitants d’Alger que les habitants de Pau. Si les allemands avaient gagné la guerre, une bonne partie des colonies françaises seraient devenues des colonies allemandes. Et cela aurait changé considérablement la vie des colonisés. Il faut arrêter de croire que les « indigènes » voyaient passer les colonisateurs comme les vaches voient passer les trains. Les soldats qui se sont engagés dans les régiments « coloniaux » – car il s’agit d’engagés, et non de conscrits – n’étaient ni plus ni moins « concernés » par l’attaque allemande que les engagés nés dans la Creuse ou la Corrèze.

      Mais surtout, la situation que vous décrivez est invraisemblable – alors que celle décrite par NJ est réelle. Pourquoi un inspecteur général irait donner une directive aussi absurde ? A ma connaissance, dans la longue histoire de l’Education nationale, on n’a jamais interdit aux professeurs d’évoquer un fait historique, même pas sous le gouvernement de Vichy. Au pire, on les a appelés à la prudence, et à remettre les faits dans leur perspective. Et dans le cas des troupes « indigènes », la perspective est très simple : elles ont joué dans les combats un rôle marginal. Dans ces conditions, l’intérêt historique de s’appesantir sur la question est nul. Si on le fait, c’est parce qu’on poursuit un but très différent, qui n’a rien à voir avec l’enseignement de l’histoire. C’est drôle, d’ailleurs, de voir que les opposants les plus radicaux à une histoire qui ferait place au « roman national » français sont les premiers à exiger qu’on bâtisse un « roman communautaire » adaptée à l’origine de chaque élève…

      [Entre faire un cours “à la carte” et tenir compte de la sensibilité naturelle de l’auditeur, il y a une marge, et en supposant qu’ en 4ème la guerre de 14/18 fasse l’objet de 3 fois 1h de cours (supposition à vue de nez de ma part), l’évoquer en 1 ou 2 ou 3 fois pendant quelques secondes selon l’assistance, ne me parait pas être une soumission au besoin présumé de ces élèves.]

      Ah bon ? Mais alors, pourquoi ne pas évoquer de manière individualisée le sort des soldats provençaux, des bretons, des juifs alsaciens, des protestants des Cévennes, des flamands, des languedociens, des pâlois, des lyonnais ? Faudrait-il que le professeur se procure l’arbre généalogique de chacun de ses élèves pour être sûr de « évoquer pendant quelques secondes » les soldats de chaque origine ? Pourquoi les descendants des tirailleurs sénégalais auraient-ils droit à une mention spéciale, et pas les descendants des Corses ou des Messins ? Et si un enfant a quatre grands-parents venant de quatre régions différentes, aura-t-il droit à la mention de ses quatre « origines » ? de deux ?

      Je conteste formellement cette idée de « sensibilité naturelle » des élèves qui les rendrait plus sensibles aux épisodes qui concernent leurs ancêtres. Ce n’est au fond qu’une forme particulière de l’idéologie communautariste qui veut que chacun de nous soit déterminé par ses origines, et qui s’oppose à l’idéologie des Lumières qui veut que chacun de nous soit un être libre et capable de s’intéresser à l’humanité toute entière. Mais surtout, cette idéologie est radicalement fausse, et nous le voyons tous les jours. Je vois chaque jour des petites filles noires jouant avec des poupées Barbie blondes aux yeux bleus. Des petits enfants juifs se passionner pour les histoires de rois et de princesses médiévales qui n’ont rien à voir avec leur héritage « ethnique » ou communautaire. Les figures historiques qui m’ont passionné lorsque j’étais enfant c’était Philippe Auguste, Guillaume le Conquérant, Richelieu, Danton et Robespierre, Denfert-Rochereau, De Gaulle. Aucun d’eux n’a le moindre point commun avec mon passé familial.

      L’enfant reçoit la transmission de ses racines familiales et communautaires à la maison. L’école a justement pour fonction de l’arracher à ce contexte pour le mettre en contact avec l’universel. A la maison, l’enfant est un fils et petit fils de, rattaché à une lignée et à une communauté. A l’école, l’enfant est un membre de l’humanité, en contact avec l’ensemble du savoir humain. Faire place à la « sensibilité naturelle » qui – ce qui n’est nullement demontré – les conduirait à s’intéresser préférentiellement à ce qui se rattache à leurs ancêtres, c’est trahir le rôle fondamental de l’école. Au contraire, l’école est là pour détacher l’élève de sa « sensibilité naturelle » et lui donner une « sensibilité culturelle ».

      [C’est là que toute la capacité d’adaptation, c’est à dire l’intelligence, du professeur doit s’appliquer. Ou alors, bientôt, nous n’aurons plus besoin que de machines à enseigner.]

      Que l’intelligence du professeur doive s’appliquer à adapter la transmission à son public, c’est certain. Mais cette adaptation doit respecter un certain nombre de lignes rouges, notamment celle de la démagogie communautariste.

    • Marcailloux dit :

      @ Descartes,
      Bonsoir,
      [Je conteste formellement cette idée de « sensibilité naturelle » des élèves qui les rendrait plus sensibles aux épisodes qui concernent leurs ancêtres. Ce n’est au fond qu’une forme particulière de l’idéologie communautariste qui veut que chacun de nous soit déterminé par ses origines, et qui s’oppose à l’idéologie des Lumières qui veut que chacun de nous soit un être libre et capable de s’intéresser à l’humanité toute entière.]

      Votre capacité à contester n’a d’égale que celle de Luky Luke à dégainer. Votre affirmation est totalement gratuite et ne concerne probablement que votre personne. Libre à vous d’être totalement indifférent à ce qu’ont fait vos parents, grands-parents, et ancêtres de tous poils. Je ne crois pas, mais n’aurai pas l’impudence de l’affirmer, que la très grande majorité des individus entretient une fibre particulière avec la branche de l’arbre dont ils sont l’aboutissement.
      Etre sensible à…., ne signifie pas se prosterner devant….
      Autre affirmation sans démonstration qui pose le principe de la déconnexion entre ce que nous sommes et ce qu’étaient nos parents dans le contexte qu’ils ont vécu.
      En quoi l’ « idéologie des Lumières » – je connaissais l’esprit des Lumières et j’aimerais beaucoup savoir ce qu’est l’idéologie des Lumières – s’oppose à l’intérêt particulier que pourrait ressentir un descendant de Toussaint Louverture sur les péripéties de son ancêtre. La question est la même pour ceux qui n’ont pas des aïeux aussi prestigieux.
      Justement, il me semble que votre emploi du terme idéologie plutôt que esprit tend à démontrer un absolutisme incompatible avec ce qu’ont développé les penseurs de l’époque. Votre approche est assimilable à un embrigadement à la « Cause » pas du tout garante de la liberté évoquée. Quant à « s’intéresser à l’humanité toute entière », je ne vois pas en quoi le petit descendant de Sénégalais en serait incapable si au cours de sa formation le sort de ses ancêtres a été évoqué.
      La situation de la France en matière d’immigration et d’intégration est assez délicate pour ne pas utiliser des outils linguistiques qui entretiennent et développent la haine, et cela ne parait pas être la meilleure stratégie pour sortir de la nasse.

    • Descartes dit :

      @ Marcailloux

      [Je conteste formellement cette idée de « sensibilité naturelle » des élèves qui les rendrait plus sensibles aux épisodes qui concernent leurs ancêtres. Ce n’est au fond qu’une forme particulière de l’idéologie communautariste qui veut que chacun de nous soit déterminé par ses origines, et qui s’oppose à l’idéologie des Lumières qui veut que chacun de nous soit un être libre et capable de s’intéresser à l’humanité toute entière.][Votre capacité à contester n’a d’égale que celle de Luky Luke à dégainer. Votre affirmation est totalement gratuite et ne concerne probablement que votre personne. Libre à vous d’être totalement indifférent à ce qu’ont fait vos parents, grands-parents, et ancêtres de tous poils.]

      Mais où ais-je dit pareille chose ? S’il vous plait, relisez avec attention mon paragraphe. Je n’ai pas dit que les élèves soient « indifférents à ce qu’on fait » leurs ancêtres. Ce que j’ai dit, c’est que cette « sensibilité » n’a rien de « naturelle ». Elle est acquise par l’éducation. Si l’enfant s’intéresse à ce qu’à fait son grand-père, c’est parce que ses parents lui ont transmis depuis le plus jeune âge l’idée de lignée et d’héritage. La meilleure preuve, est que cette « sensibilité » n’est pas générale et commune à toutes les civilisations – ce qui serait le cas si elle était « naturelle ».

      Mon point est que de la même manière que la famille enseigne la lignée familiale, l’école doit enseigner la lignée humaine. A la maison, on s’intéresse à ce qu’a fait votre arrière grand-père, à l’école à ce qu’a fait Charlemagne ou Napoléon, qui sont nos « arrières grands-pères » symboliques. Mais imaginer qu’on va intéresser les enfants à Napoléon en leur expliquant que des gens de la même couleur de peau qu’eux – car il ne s’agit pas d’ancêtres réels, mais d’ancêtres symboliques – ont combattu à Austerlitz, c’est manquer la cible.

      [Je ne crois pas, mais n’aurai pas l’impudence de l’affirmer, que la très grande majorité des individus entretient une fibre particulière avec la branche de l’arbre dont ils sont l’aboutissement.]

      Certainement. Mais j’attire votre attention sur le fait que les petits noirs auxquels vous parlerez des tirailleurs sénégalais n’en sont pas les descendants. Ils n’ont de commun avec eux que la même couleur de peau et des origines vaguement similaires. Sauf à considérer que tous les noirs sont cousins – ce qui, vous l’admettrez, c’est tomber dans le communautarisme le plus réactionnaire – il ne s’agit pas en cours d’histoire de s’intéresser à « l’arbre dont ils sont issus »…

      [En quoi l’ « idéologie des Lumières » – je connaissais l’esprit des Lumières et j’aimerais beaucoup savoir ce qu’est l’idéologie des Lumières – s’oppose à l’intérêt particulier que pourrait ressentir un descendant de Toussaint Louverture sur les péripéties de son ancêtre. La question est la même pour ceux qui n’ont pas des aïeux aussi prestigieux.]

      Rien dans l’idéologie des lumières (ici « idéologie » est « esprit » sont synonymes, il s’agit seulement d’une modernisation du vocabulaire) ne s’oppose à ce que vous vous intéressiez personnellement aux œuvres et péripéties de votre ancêtre – ou à celles de votre voisine de pallier. Par contre, lorsque je ne m’intéresse QUE aux œuvres et péripéties de mon ancêtre, au point que pour « m’intéresser » à autre chose l’institution scolaire est pratiquement obligée à me parler de lui, lorsque je ne vois le monde qu’à travers de la petite lorgnette de mes « ancêtres » – ou de mon « clan », ou de ma couleur de peau – je suis en contradiction avec l’un des grands principes des Lumières, qui est l’ouverture sur l’universel.

      [Justement, il me semble que votre emploi du terme idéologie plutôt que esprit tend à démontrer un absolutisme incompatible avec ce qu’ont développé les penseurs de l’époque.]

      Pourquoi ? Là, je serais intéressé de savoir en quoi « l’esprit » serait moins « absolutiste » que l’idéologie.

      [Votre approche est assimilable à un embrigadement à la « Cause » pas du tout garante de la liberté évoquée. Quant à « s’intéresser à l’humanité toute entière », je ne vois pas en quoi le petit descendant de Sénégalais en serait incapable si au cours de sa formation le sort de ses ancêtres a été évoqué.]

      Mais s’il est capable de « s’intéresser à l’humanité toute entière », pourquoi le professeur devrait utiliser « la sensibilité naturelle » de l’élève à sa lignée comme voie d’entrée ? Je pense que vous me faites un très mauvais procès : il est assez clair que l’idéologie communautariste est en train de transformer l’enseignement de l’histoire en une sorte de distribution de médailles ou chaque groupe, chaque « clan », chaque « communauté » exige d’avoir sa breloque. Et bien, l’école n’a pas à répondre à cette exigence de « communautariser » l’histoire. Parce que vous voyez bien le problème : à un moment donné, il y aura bien dans la classe un enfant qui, lui, n’a pas de « mémoire » à revendiquer. Et qu’est ce qu’on fait avec lui ? On lui explique qu’il est « moins français » que les autres ?

      Par ailleurs, on comment une monstrueuse falsification de l’histoire en imaginant que les tirailleurs sénégalais sont en quelque sorte les « ancêtres » des petits noirs de nos écoles. Seule une infime minorité des sénégalais ont participé à la première guerre mondiale. Il s’ensuit avec une implacable logique que seule une toute petite portion des enfants noirs de nos écoles peuvent revendiquer une parenté avec un soldat. Ce qui n’est pas le cas des enfants « gaulois », dont l’immense majorité au contraire ont un arrière grand parent qui a fait la guerre.

      [La situation de la France en matière d’immigration et d’intégration est assez délicate pour ne pas utiliser des outils linguistiques qui entretiennent et développent la haine, et cela ne parait pas être la meilleure stratégie pour sortir de la nasse.]

      Je n’ai pas compris cette remarque. De quel « outil linguistique » parlez vous ?

    • Marcailloux dit :

      @ Descartes,
      Bonjour,
      [Et bien, l’école n’a pas à répondre à cette exigence de « communautariser » l’histoire]
      Notre différend porte essentiellement sur la question de la nuance. Je relève le terme d’exigence, et j‘aurais pu le faire tout autant avec ceux d’idéologie ou de naturel . . .
      Exiger se différentie d’espérer, souhaiter, apprécier, etc qui n’ont pas le caractère comminatoire d’ « exiger » Je n’ai pas perçu, à ce jour, de véritable exigence vis-à-vis de la relation de l’histoire de France. Mais peut-être suis-je mal informé. Entre le « clin d’œil » librement consenti par le professeur, destiné à signaler, et il faut bien le dire légèrement flatter son auditoire, et se soumettre à une interprétation falsifiée de la réalité, il y a une marge énorme.
      J’essaie dans ces situations, de me mettre mentalement à la place du jeune adolescent qui à tort ou à raison ressent un sentiment d’exclusion. Un petit geste verbal de l’enseignant, même s’il n’est pas complètement conforme aux instructions officielles, ne pourra- s’il maîtrise son affaire – que lui donner plus de poids dans l’influence qui émanera de lui auprès de ses élèves.
      Sans finesse, et reprenant des mots lus plus haut dans les commentaires, ils (les élèves) seront vaincus, mais pas convaincus.
      Or, que souhaitons-nous ? les contraindre par la force, mais alors il faut employer jusqu’au bout des conséquences prévisibles la manière forte, ou les convaincre et alors, le doigté, la patience, la cohérence et l’altruisme sont indispensable, mais alors là on s’éloigne d’une vision dogmatique de ce que doit être l’enseignement.
      On est dans le débat éternel de la fin et des moyens.
      Concernant la différence entre esprit et idéologie, je ne vois pas de similitude, modernité incluse entre les deux termes.
      L’esprit des Lumières constitue l’aboutissement des pensées diverses – certaines bien antérieures – qui ont fait débat au XVIIIème siècle et qui sont à l’origine des idéologies ultérieures (libéralisme, capitalisme, marxisme, communisme, fascisme, nazisme, etc . . . )
      L’esprit est ouvert, l’idéologie est fermée, pour faire simple.
      Pour naturel, j’admets que le sens de « spontané » que je lui attribuai dans ce contexte, était un peu restrictif.

      [Je n’ai pas compris cette remarque. De quel « outil linguistique » parlez vous ?]
      Dans “outil linguistique”, j’entends les mots, la syntaxe, la démarche dialectique et le style qui peut aller du suggestif à l’impératif, en passant par le radical, et qui n’est pas neutre, et de loin, dans la teneur du message.
      « Les mots sont usés, trop usés d’avoir trop mal servis, à force de n’être ni pensés ni ressentis » écrit le poète pour signifier que les mots, souvent, perdent leur véritable sens, à force d’être galvaudés et « mis à toutes les sauces ».
      La France est comme un beau trois mats, elle se barre avec douceur et finesse. Et les mots du débat, en général, se doivent de tenir compte de cette particularité. Pourquoi parle-t-on souvent de Douce France ?
      C’est pour cela, dans la campagne présidentielle qui se profile, que F. Hollande part avec un atout supérieur à son possible – pas forcément souhaitable – challenger N. Sarkozy.
      Pour faire sourire, Hollande, c’est du gouda, Sarkozy c’est du vitriol.
      Comme beaucoup de Français qui préfèrent le camembert au gouda, il préfèrent ce dernier au vitriol, et c’est dans la culture nationale que manifestement N.S.ne possède pas dans ses gènes.

    • Descartes dit :

      @ marcailloux

      [Exiger se différentie d’espérer, souhaiter, apprécier, etc qui n’ont pas le caractère comminatoire d’ « exiger ». Je n’ai pas perçu, à ce jour, de véritable exigence vis-à-vis de la relation de l’histoire de France. Mais peut-être suis-je mal informé.]

      Je pense que vous êtes mal informé. Il y a des organisations fort actives qui revendiquent à cor et à cri la révision de l’histoire – et pas seulement l’histoire de France, d’ailleurs – pour faire place à « leur » histoire. Les organisations « féministes de genre » – et les lobbies féministes dans les différents partis politiques – font feu de tout bois pour exiger la féminisation de l’Histoire. Le CRAN et autres organisations du même type pour qu’on réécrive l’Histoire à leur avantage. Et ne parlons même pas de la Shoah, devenu l’événement majeur du XXème siècle. Même les homosexuels s’y mettent, et il devient presque obligatoire de parler des préférences sexuelles de telle ou telle figure historique. Nous sommes soumis à un bombardement médiatique permanent sur le thème « l’école ne fait pas assez de place à telle ou telle minorité », nos hommes politiques passent leur temps à s’excuser et à inaugurer des monuments pharaoniques destinés à faire plaisir à telle ou telle minorité en réécrivant l’histoire à son avantage. Et que croyez-vous qu’il arrive aux élèves soumis à ce bombardement, et qui sont à un âge ou l’on se cherche des repères et des « communautés d’appartenance » ? NJ pourra le confirmer, mais si j’en crois un certain nombre d’amis enseignants, cela alimente un demande des élèves qui est proche de l’exigence, et qui va jusqu’à contester toute remarque qui pourrait remettre à sa place la « contribution » de ces minorités qui est, il faut le dire, fort maigre.

      [Entre le « clin d’œil » librement consenti par le professeur, destiné à signaler, et il faut bien le dire légèrement flatter son auditoire, et se soumettre à une interprétation falsifiée de la réalité, il y a une marge énorme.]

      « Dans ces affaires, monseigneur, il n’y a que le premier pas qui coûte ». Une fois qu’on aura consenti cette « légère flatterie », le reste suit fort naturellement.

      [J’essaie dans ces situations, de me mettre mentalement à la place du jeune adolescent qui à tort ou à raison ressent un sentiment d’exclusion. Un petit geste verbal de l’enseignant, même s’il n’est pas complètement conforme aux instructions officielles, ne pourra- s’il maîtrise son affaire – que lui donner plus de poids dans l’influence qui émanera de lui auprès de ses élèves.]

      Oui, et de petit geste en petit geste… Non, le professeur est d’abord gardien de la connaissance. C’est de cette rigueur que dérive son autorité. S’il admet une seule fois que cette connaissance puisse être tordue ou falsifiée – même à la marge – pour faire plaisir à l’élève, il perd le fondement de son investiture.

      [Sans finesse, et reprenant des mots lus plus haut dans les commentaires, ils (les élèves) seront vaincus, mais pas convaincus.]

      La voie de la démagogie ne les convaincra pas non plus, elle ne fera que confirmer leurs préjugés. Une fois que le professeur aura admis que la première guerre mondiale a été gagnée par les « indigènes », comment pourrait-il enseigner une histoire qui ressemble à quelque chose ?

      [Or, que souhaitons-nous ? les contraindre par la force, mais alors il faut employer jusqu’au bout des conséquences prévisibles la manière forte, ou les convaincre et alors, le doigté, la patience, la cohérence et l’altruisme sont indispensable, mais alors là on s’éloigne d’une vision dogmatique de ce que doit être l’enseignement.]

      Le doigté, la patience, la cohérence, je suis pour. L’altruisme, pourquoi pas. Mais la démagogie est à proscrire. Je vois mal comment l’école pourrait être « cohérente » en prêchant d’un côté la méthode scientifique et l’analyse des faits, et en tenant d’un autre côté des discours qui violent la réalité historique pour faire plaisir à telle ou telle « communauté ».

      Oui, l’élève doit être contraint « par la force ». Non pas par la « force » du professeur, mais par la « force » du réel. L’école est là pour ça : pour casser les préjugés et imposer – je dis bien imposer – à leur place des connaissances issues de l’examen scientifique des faits. Elle doit enseigner que le réel s’impose à nous, que les objets tombent du haut vers le bas qu’on le veuille ou pas, que la vie sur terre a plusieurs millions d’années quoi qu’en dise tel ou tel texte dit « sacré », et que la première guerre mondiale a été gagnée par le sacrifice de plusieurs millions de français, dont l’immense majorité étaient blancs et catholiques, même si cela doit froisser des susceptibilités.

      [Concernant la différence entre esprit et idéologie, je ne vois pas de similitude, modernité incluse entre les deux termes. L’esprit des Lumières constitue l’aboutissement des pensées diverses – certaines bien antérieures – qui ont fait débat au XVIIIème siècle et qui sont à l’origine des idéologies ultérieures (libéralisme, capitalisme, marxisme, communisme, fascisme, nazisme, etc . . . )]

      Vous mélangez un peu tout. Le « capitalisme » ou le « communisme » ne sont pas des « idéologies » mais des modes de production. Le libéralisme, le marxisme, le fascisme et le nazisme sont, elles, des idéologies. Mais on peut difficilement dire que fascisme et nazisme aient leur « origine » dans les Lumières si ce n’est par réaction : le nazisme, par exemple, est dans la lignée du romantisme allemand, qui fut une réaction contre les Lumières.

      [L’esprit est ouvert, l’idéologie est fermée, pour faire simple.]

      Je pense que vous n’aimez pas le mot « idéologie » – il est vrai qu’il n’a pas la côte en ce moment – et vous voulez donc éviter aux Lumières ce désagrément. Mais sur le fond, je pense que vous avez tort : l’idéologie au sens stricte est un ensemble de catégories et de règles qui permettent de donner un sens à la réalité. Ce qu’on appelle « l’esprit des Lumières » entre parfaitement dans cette catégorie.

      [La France est comme un beau trois mats, elle se barre avec douceur et finesse. Et les mots du débat, en général, se doivent de tenir compte de cette particularité. Pourquoi parle-t-on souvent de Douce France ?]

      Je n’ai pas l’impression que cette expression soit très utilisée de nos jours… peut-être parce qu’il n’y a personne à la barre pour faire preuve de « douceur et finesse ». Nos officiers sont trop occupés à haranguer la foule sur le pont et à soigner leurs uniformes alors que le « beau trois mats » va sur les récifs…

    • @ Descartes & Marcailloux,

      “NJ pourra le confirmer, mais si j’en crois un certain nombre d’amis enseignants, cela alimente un demande des élèves qui est proche de l’exigence, et qui va jusqu’à contester toute remarque qui pourrait remettre à sa place la « contribution » de ces minorités qui est, il faut le dire, fort maigre”
      Je le confirme.

      Sur le débat que vous menez, messieurs, sur la question de savoir si les élèves s’intéressent davantage à ce qu’ont fait leurs ancêtres, c’est une question intéressante.

      Nous en avons déjà discuté, cher Descartes, et c’est un de nos points de désaccord. Les élèves ne s’intéressent pas forcément à leurs ancêtres réels (qu’ils connaissent peu ou mal) mais ils ont besoin, je crois, de s’identifier un minimum à des ancêtres fictifs. Et, là où nos avis divergent, c’est que pour moi, il faut que la filiation fictive ait un minimum de crédibilité, et paraisse vraisemblable. Dans les églises et cathédrales d’Occident, on a toujours représenté Adam ou Jésus avec des traits européens, alors qu’Adam aurait peut-être dû être noir (je lisais récemment que l’homme blanc n’existe paraît-il que depuis 7 ou 8 000 ans) et que Jésus était très probablement de type proche-oriental. Tout le monde aime bien que ses ancêtres fictifs lui ressemblent, à défaut d’en être les descendants réels, et c’est humain. Le fait est qu’il n’y avait pas de noirs ou d’Arabes à Bouvines, à Marignan ou à Valmy. Un enfant blanc, même s’il est d’origine italienne ou portugaise, peut à mon avis s’identifier plus facilement à un chevalier de Bouvines ou un soldat de Valmy qu’un enfant d’origine marocaine ou sénégalaise, qui aura plus de mal à voir en Philippe Auguste, François 1er ou Kellermann des ancêtres, même fictifs. Je suis d’accord avec vous qu’il ne faut pas “communautariser” l’histoire à outrance, mais je pense que les filiations fictives, pour fonctionner correctement, doivent être plausibles. Pour un Afro-américain, je me demande s’il est facile de se sentir l’héritier de Georges Washington, virginien blanc et propriétaire d’une plantation avec esclaves noirs.

      Il y a des fictions nécessaires, je suis d’accord. Mais il ne faut pas aller trop loin. C’est pourquoi les nations “arc-en-ciel” ou “multicolores” sont condamnées à mon sens à créer des fictions invraisemblables au point d’en être ridicules, tels ces péplums américains qui se sentent obligés de mettre des noirs dans le casting (alors qu’hormis dans la province d’Egypte, les noirs ne devaient pas être courants à Rome…) ou ce film, américain toujours, qui fait camper un dieu nordique par un acteur afro. Certes, il ne s’agit pas là d’histoire nationale, mais on voit bien qu’à force de nager dans le multiculturalisme politiquement correct, certains en viennent à imaginer et à peindre les sociétés du passé comme étant toutes systématiquement multiculturelles et multiraciales… C’est grotesque. Ainsi, des historiens, entendant démontrer que la France est de toute éternité “diverse”, produisent des études sur les 2 000 noirs qui ont vécu en France au XVIII° siècle (en général comme domestiques dans des familles de grands négociants maritimes) ou les Maghrébins capturés en Méditerranée et ramenés à Marseille pour être domestiques ou galériens. Comme si c’était suffisant pour parler de “présence africaine” ou de “présence musulmane” dans la France du XVIII° siècle.

      J’avoue que l’universalisme des Lumières me laisse un peu perplexe. N’est-ce pas une chimère? N’est-ce pas trop demander que de s’intéresser à l’humanité toute entière? Je pense également qu’on s’intéresse mieux aux autres lorsqu’on se connaît soi-même, lorsqu’on est conscient de sa propre spécificité nationale, lorsqu’on est sûr de son identité. Le moins que l’on puisse dire est que l’école aujourd’hui ne diffuse pas une idée claire de notre identité nationale.

      “le nazisme, par exemple, est dans la lignée du romantisme allemand, qui fut une réaction contre les Lumières”
      Je ne suis pas expert dans ces questions, mais il me semble que le nazisme recycle aussi le “racisme scientifique” du XIX° siècle et les théories du darwinisme social. En soi, Darwin est dans la lignée des Lumières, avec l’usage de la raison, le progrès de la science, la volonté d’expliquer et de classifier qui est très présente au XIX° siècle. Certes, le darwinisme social est un dévoiement du darwinisme, mais n’y aurait-il pas justement des éléments dévoyés des Lumières dans la nazisme? J’ai l’impression que vous avez une vision très idyllique des Lumières, mais il me semble qu’il y a dans cette idéologie des ambiguïtés. Je pense que le romantisme allemand, tout en s’inscrivant contre les Lumières, leur emprunte plus qu’on ne l’imagine.

    • Marcailloux dit :

      @ Descartes,
      Bonsoir,
      [Une fois que le professeur aura admis que la première guerre mondiale a été gagnée par les « indigènes », comment pourrait-il enseigner une histoire qui ressemble à quelque chose ?]
      Mais qui peut dire une telle outrance ? Pourquoi écrivez-vous – ce qui justifie le terme d’outrance – que la guerre aurait « été gagnée par les indigènes » alors qu’il s’agit d’inclure dans la narration, le fait que de nombreux indigènes des colonies ont participé de manière non négligeable à l’effort de guerre. Les choses réelles étant dites, il n’y a pas lieu ensuite de s’y étendre ad vitam aeternam.
      Ne travestissez pas, je vous prie, mon propos.
      Je crains, malheureusement que certain, pour des raisons idéologiques, ou par souci de plaire à telle ou telle pression ne fasse l’impasse absolue sur, justement, la réalité des faits.
      Et ces faits sont évoqués dans un passage de l’article de Médiapart, mieux documenté que moi, au sujet du 14 juillet 2014 :
      « Autre chose sont les déclarations nauséabondes d’une droite ultra aux relents factieux qui n’a jamais accepté ce fait historique, la décolonisation et clame « qu’il est inacceptable que le FLN et le Vietminh soient présents à la manifestation du 14 juillet ». Faut-il rappeler que lors de la guerre 14-18, enrôlés de force, enrôlés de la misère ou enrôlés par ralliement, tirailleurs algériens, tunisiens, marocains, sénégalais, malgaches, tonkinois, annamites, cambodgiens, ils furent 565 000 à participer à une guerre pour défendre le sol de leur colonisateur ? Que 35 000 Algériens, 21 000 Tunisiens, 12 000 Marocains, 25 000 Africains subsahariens, principalement Sénégalais, 2500 Malgaches, 1 600 Indochinois, sont morts ou disparus ? Morts non pas pour défendre leur sol, mais pour défendre la France. »
      Je sais que vous ne portez pas spécialement Médiapart dans vos sources favorites, mais je suppose qu’avant d’écrire un article, le journaliste fera en sorte de ne pas être démenti par le premier lecteur venu. D’où, à priori la confiance que je porte –avec prudence toutefois- à leurs affirmations sur des faits facilement vérifiables.
      [. . . . . la première guerre mondiale a été gagnée par le sacrifice de plusieurs millions de français, dont l’immense majorité était blancs et catholiques, même si cela doit froisser des susceptibilités.]

      Il n’y a ni à froisser des susceptibilités, ni à flagorner qui que ce soit. Les faits, rien que les faits, mais tous les faits, pas seulement ceux qui embellissent le roman national idéal que chacun veut bien se construire. Biaiser avec cette conception de la vérité me parait contre-productif du lien qui uni un peuple, car il expose ses auteurs à une contestation éternelle. Ce sont d’ailleurs généralement les partis extrémistes qui pratiquent le déni systématique et tentent toujours de bénéficier du bénéfice du doute.
      Comme l’immense majorité des lecteurs et commentateurs de ce blog, mes deux grands-pères ont eu l’occasion de faire le coup de feu ou de baïonnettes sur le Chemin des Dames et dans les environs de Verdun. Poilus de base, ils ont eu la chance d’en réchapper pas trop éclopés.
      J’honore leur sacrifice et reconnait la valeur de leur contribution à la victoire. Parallèlement, je serais heurté, que pour des raisons idéologiques méprisables, on efface de nos mémoires le fait indéniable, même s’il n’était, bien entendu, faiblement minoritaire, que des étrangers ont contribué de manière non négligeable à l’issue victorieuse de cette guerre, comme de la suivante d’ailleurs. Ils étaient environ 500000, pratiquement tous combattants de 1ère ligne et les Français un peu moins de 8 millions dont une part seulement a combattu ce qui porte à près de 10% le nombre des combattants indigènes dans cette guerre. Plus de 80000 sont morts, faut-il les oublier, eux qui n’avaient rien à défendre sinon leur peau ?
      Le négationnisme que vous dénoncez serait-il préservé dans des domaines particuliers qui touchent à un nationalisme frileux ? Pourquoi lorsque l’on pose la question d’évoquer, en le replaçant à sa juste proportion historique, et à son poids objectif dans les événements qui font débat, vous adoptez un positionnement maximaliste, qui brise dans l’œuf toute discussion raisonnée.
      A vous lire sur le comportement que doivent avoir les enseignants, j’ai le sentiment – peut être erroné – qu’ils n’ont qu’une très faible latitude d’adaptation, ce, même dans le respect de l’esprit républicain. Ce que je ressens, c’est que le fonctionnaire fonctionne, comme une mécanique sans jeu. Le problème, c’est que le manque de jeu en mécanique se traduit généralement par un grippage, un enrayement, un blocage préjudiciable que le moindre grain de poussière peut provoquer.
      De plus, comme le respect strict des consignes ou instructions est censé bien fonctionner – la remise en cause est tabou – les contrôles et sanctions à posteriori sont quasiment inexistants.

      [Le « capitalisme » ou le « communisme » ne sont pas des « idéologies » mais des modes de production ]
      Capitalisme et communisme ne sont pas en effet des idéologies, mes doigts arrivent maintenant à frapper plus vite que mon cerveau ne pense ! Est-ce un progrès ou une décrépitude ???

      [Je pense que vous n’aimez pas le mot « idéologie »]
      Pas vraiment, mais je m’en méfie. D’ailleurs votre définition « au sens strict » est celle de l’idéologie marxiste sur laquelle vous êtes généralement aligné. Sans réfuter le bien fondé de cette idéologie, j’essaie de garder en permanence ma liberté de lecture des événements et des idéologies qui tentent, selon les croyances qui leurs sont propres, d’établir définitivement ce qui est vrai et ce qui est faux.

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [Nous en avons déjà discuté, cher Descartes, et c’est un de nos points de désaccord. Les élèves ne s’intéressent pas forcément à leurs ancêtres réels (qu’ils connaissent peu ou mal) mais ils ont besoin, je crois, de s’identifier un minimum à des ancêtres fictifs. Et, là où nos avis divergent, c’est que pour moi, il faut que la filiation fictive ait un minimum de crédibilité, et paraisse vraisemblable. Dans les églises et cathédrales d’Occident, on a toujours représenté Adam ou Jésus avec des traits européens, alors qu’Adam aurait peut-être dû être noir (je lisais récemment que l’homme blanc n’existe paraît-il que depuis 7 ou 8 000 ans) et que Jésus était très probablement de type proche-oriental.]

      Oui, mais je ne crois pas que ce soit pour la raison que vous pensez. Ceux qui représentaient Adam ou Jésus le faisaient à partir des modèles dont ils disposaient, à la rigueur en corrigeant selon les idées qu’ils se faisaient du type sémite. Ainsi, si la figure du Christ est représentée avec des traits occidentaux, les christs blonds sont très rares, même en Suède.

      Je pense effectivement que les conditions de crédibilité des ancêtres fictifs ne passe pas par la ressemblance physique, tout simplement parce que les ressorts de l’identification, qui est le processus psychique qui permet de se fabriquer ces « ancêtres fictifs » ne nécessite pas cette ressemblance. Des millions de petits japonais s’identifient avec Harry Potter aujourd’hui, à Luc Skywalker hier. D’ailleurs, on voit bien que les enfants d’origine asiatique acceptent Vercingétorix comme ancêtre bien plus facilement que les enfants d’autres origines. Et pourtant, Vercingétorix n’avait pas les yeux bridés, que je sache…

      [Tout le monde aime bien que ses ancêtres fictifs lui ressemblent, à défaut d’en être les descendants réels, et c’est humain.]

      Qu’on « aime bien » c’est une chose, que ce soit obligatoire, c’en est une autre.

      [Le fait est qu’il n’y avait pas de noirs ou d’Arabes à Bouvines, à Marignan ou à Valmy. Un enfant blanc, même s’il est d’origine italienne ou portugaise, peut à mon avis s’identifier plus facilement à un chevalier de Bouvines ou un soldat de Valmy qu’un enfant d’origine marocaine ou sénégalaise, qui aura plus de mal à voir en Philippe Auguste, François 1er ou Kellermann des ancêtres, même fictifs.]

      S’il était ainsi, pourquoi le problème ne se pose pas avec les enfants d’origine juive ou orientale ? Je ne crois pas qu’il y eut beaucoup plus de juifs que d’arabes à Bouvines…

      [Pour un Afro-américain, je me demande s’il est facile de se sentir l’héritier de Georges Washington, virginien blanc et propriétaire d’une plantation avec esclaves noirs.]

      Autant que pour un enfant juif de se sentir héritier d’une longue lignée de monarques qui, outre le fait qu’ils ne leurs ressemblaient pas physiquement, périodiquement pillaient les juifs, les consignaient dans des quartiers fermés ou les expulsaient. Et pourtant, l’assimilation des juifs de France est une réalité.

      [Il y a des fictions nécessaires, je suis d’accord. Mais il ne faut pas aller trop loin. C’est pourquoi les nations “arc-en-ciel” ou “multicolores” sont condamnées à mon sens à créer des fictions invraisemblables au point d’en être ridicules,]

      Oui, mais pas pour la raison à laquelle vous pensez. De la même manière que nous avons trouvé la solution aux conflits religieux en proclamant que l’Etat devait les ignorer toutes, nous avions résolu la question raciale en décidant de l’ignorer. Lorsque l’école française parlait – le temps du verbe est important – de Charlemagne ou de Félix Eboué, elle insistait lourdement sur ses qualités morales ou politiques, pas sur son appartenance ethnique. Pendant des décennies on a enseigné à nos chères têtes blondes les œuvres de Dumas sans souligner qu’il était lui-même métis. Si la France a réussi à faire de Vercingétorix l’ancêtre fictif des juifs, des arabes ou des noirs c’est justement parce qu’elle ne s’est jamais présentée comme une « nation arc-en-ciel », mais comme une nation de citoyens dont l’origine était indifférente. C’est là à mon avis le nœud du problème. Je ne crois pas qu’un enfant noir ne puisse s’identifier à Kellermann ou un enfant blanc à Félix Eboué. A une condition : que l’institution elle-même transmette le message que la couleur de peau n’est pas importante, et qu’on peut donc l’ignorer. A partir du moment ou l’école commence à expliquer que la couleur c’est important, au point qu’il faut « en être fier », on rend l’identification « trans-couleur » impossible.

      [tels ces péplums américains qui se sentent obligés de mettre des noirs dans le casting (alors qu’hormis dans la province d’Egypte, les noirs ne devaient pas être courants à Rome…) ou ce film, américain toujours, qui fait camper un dieu nordique par un acteur afro.]

      Exactement. Mais si on fait cela, c’est parce que la société américaine est convaincue que la couleur de peau est une affaire importante. Si l’on se sent obligé de mettre obsessionnellement des noirs partout, y compris dans la Table Ronde du Roi Arthur, c’est parce que la société américaine est profondément raciste. Mais la dernière chose à faire, c’est de suivre les américains dans cette voie-là. Notre école doit rester fidèle à son esprit : la couleur de peau n’a aucune importance, et on n’a donc pas à en parler.

      [J’avoue que l’universalisme des Lumières me laisse un peu perplexe. N’est-ce pas une chimère? N’est-ce pas trop demander que de s’intéresser à l’humanité toute entière? Je pense également qu’on s’intéresse mieux aux autres lorsqu’on se connaît soi-même, lorsqu’on est conscient de sa propre spécificité nationale, lorsqu’on est sûr de son identité. Le moins que l’on puisse dire est que l’école aujourd’hui ne diffuse pas une idée claire de notre identité nationale.]

      Je ne crois pas que votre position s’éloigne de l’esprit des Lumières. Si l’humanisme des Lumières s’intéresse « à l’humanité toute entière », c’est d’abord une humanité abstraite, dont il s’agit de souligner l’unité. Si les illuministes se sont intéressés à d’autres gens et d’autres cultures, c’est toujours à partir de leur culture nationale, pour laquelle ils ont d’ailleurs souvent exprimé un grand attachement. Diderot ou Voltaire sont profondément français, et ils ne s’en cachent pas.

      [Je ne suis pas expert dans ces questions, mais il me semble que le nazisme recycle aussi le “racisme scientifique” du XIX° siècle et les théories du darwinisme social.]

      Oui, mais le « racisme scientifique » n’a de « scientifique » que le nom. C’est de la pseudo-science, qui consiste à regrouper tous les faits qui justifient un préjugé en ignorant tous ceux qui le réfutent. C’est un travestissement de la tradition encyclopédique, et non sa continuité.

      [Certes, le darwinisme social est un dévoiement du darwinisme, mais n’y aurait-il pas justement des éléments dévoyés des Lumières dans la nazisme?]

      Toute idéologie se construit sur la base du vocabulaire de celles qui l’ont précédé. Mais cela n’implique pas une continuité dans les idées. Le romantisme représente une rupture par rapport à l’illuminisme, même si par certains côtés il en a repris le vocabulaire. Vous trouverez donc certainement dans le nazisme des éléments glanés dans les Lumières, mais aussi dans le marxisme, dans le libéralisme… Par ailleurs, le marxisme emprunte beaucoup de choses aux penseurs libéraux comme Smith et Ricardo… diriez-vous qu’il se place en continuité par rapport à eux ?

    • @ Descartes,

      “Ainsi, si la figure du Christ est représentée avec des traits occidentaux, les christs blonds sont très rares, même en Suède”
      Je vous mets en lien la notice Wikipédia du peintre Raphaël. Vous pourrez constater sur différents tableaux que le Christ est châtain clair tirant sur le blond… mais également que la Vierge est communément représentée avec des cheveux blonds. Ce qui s’éloigne de l’idée que même un homme de la Renaissance pouvait se faire du type sémite…

      http://fr.wikipedia.org/wiki/Rapha%C3%ABl_(peintre)

      “D’ailleurs, on voit bien que les enfants d’origine asiatique acceptent Vercingétorix comme ancêtre bien plus facilement que les enfants d’autres origines.”
      Ah bon?

      “S’il était ainsi, pourquoi le problème ne se pose pas avec les enfants d’origine juive ou orientale ?”
      Parce qu’il y avait probablement des soldats juifs à Valmy, à Austerlitz, en 1870, en 1914-1918, en 1940, etc. A partir de 1789, les juifs sont devenus citoyens français à part entière et ont participé comme tels à la grande aventure nationale. En tant que citoyens et non en tant qu’ “indigènes” recrutés dans les colonies comme les tirailleurs sénégalais ou les goumiers marocains. Je pense que ça fait une différence.

      “Autant que pour un enfant juif de se sentir héritier d’une longue lignée de monarques qui, outre le fait qu’ils ne leurs ressemblaient pas physiquement, périodiquement pillaient les juifs, les consignaient dans des quartiers fermés ou les expulsaient.”
      Oui, mais à partir de la Révolution, tout change. Les Afro-américains ne sont citoyens à part entière que depuis les années 60, et encore… Qui plus est les juifs français ne sont pas descendants d’esclaves amenés pour du travail forcé en France, en dépit des persécutions que vous évoquez et que je ne nie pas. Mais Philippe le Bel a aussi pillé les Templiers ou les banquiers lombards qui étaient bons chrétiens… La race n’a rien à voir. Il faut bien reconnaître que les noirs ont été réduits en esclavage en tant que noirs. Et si Voltaire s’insurge contre ceux qui dénient toute humanité aux noirs, c’est bien parce que ce déni justifie pour une part la traite négrière.

      “nous avions résolu la question raciale en décidant de l’ignorer.”
      Et c’était une sage résolution j’en conviens mais qui, à mon sens, n’est réalisable que dans une société relativement homogène où les “gens de couleur” sont finalement très peu nombreux (ou confinés à des espaces particuliers comme l’Outre-Mer). Pouvez-vous me citer un pays avec de fortes minorités “de couleur” et où la couleur de peau n’a vraiment aucune importance? De plus, derrière la couleur de peau, aujourd’hui, il y a un imaginaire: le descendant d’esclaves, le descendant de colonisés, la victime de racisme et de discriminations,… Peut-on vraiment détruire cet imaginaire qui s’est construit depuis trente ans?

      Plus profondément, je pense que c’est la limite des Lumières et de l’universalisme républicain: l’unité de l’humanité ne saurait faire oublier que nous sommes malgré tout répartis en ethnies, en peuples, en nations distinctes. Les philosophes, comme vous le soulignez, l’avaient sans doute compris. Mais leurs “héritiers” proclamés de la fin du XX° et du début du XXI° siècle ont quelque peu extrapolé en imaginant que différentes cultures et civilisations pouvaient cohabiter harmonieusement dans un même espace politique. C’est Montesquieu je crois qui explique que les modes de gouvernement dépendent des latitudes et des caractères des peuples. Aujourd’hui, en Occident, on croit un peu hâtivement que notre démocratie peut bien fonctionner partout dans le monde, et dans le même temps, on s’imagine que toutes les cultures peuvent cohabiter dans un même pays. Cela me paraît excessif.

      “Si l’on se sent obligé de mettre obsessionnellement des noirs partout, y compris dans la Table Ronde du Roi Arthur, c’est parce que la société américaine est profondément raciste. Mais la dernière chose à faire, c’est de suivre les américains dans cette voie-là”
      Malheureusement, le processus est déjà largement engagé, vous le savez bien. Pas une série française qui n’ait désormais son “représentant des minorités” dans le casting. En politique, chaque liste de candidats doit donner sa place à des citoyens “issus de la diversité”. Même chose au cinéma ou “le noir (ou l’Arabe) de service” s’est généralisé. Pas un comédien, pas un journaliste, pas un écrivain, pas un politique qui ne réclame “plus de diversité” à l’Assemblée nationale, dans la police, parmi les officiers supérieurs de l’armée ou les grands dirigeants d’entreprise. Beaucoup de grandes entreprises mettent à présent en place des “chartes de la diversité”. D’ici peu de temps, nous n’aurons plus grand-chose à envier aux Américains.

      “Notre école doit rester fidèle à son esprit : la couleur de peau n’a aucune importance, et on n’a donc pas à en parler.”
      L’école peut très difficilement lutter contre l’idéologie différentialiste et diversitaire que les média et les élites diffusent à longueur de journée. C’est triste, mais la parole d’une star ou d’un footballeur pèse plus que celle du professeur.

      Cela fait une trentaine d’années maintenant qu’avec l’antiracisme, renforcé par la repentance et l’autodénigrement permanent, on nous sert la rhétorique métissolâtre et différentialiste (ce qui, soulignons-le, est paradoxal: le métissage débouche logiquement à terme sur une réduction de la diversité…) que je qualifie pour ma part de “néoracisme”. Une bonne partie des élites et des classes moyennes sont gagnées par cette vision d’une France “plurielle” et “multiculturelle”, même la France profonde se laisse influencée, en rejetant parfois les minorités, par réaction. Voilà le constat. Comment faire marche arrière? Je suppose que les classes qui prônent la France “multiculturelle” y trouvent leur intérêt. Ajoutons qu’au sein même des minorités, certains en tirent aussi profit: une identité, un statut de victime, un lobby (pardon, des “associations”), etc. Le statut de “minorité” est devenu enviable. Bref, le différentialisme profitent à pas mal de gens. Dans ce cas, que proposeriez-vous pour retourner la tendance?

      Sur quels leviers s’appuyer selon toi pour remédier à la “malédiction de la couleur de peau” qui gagne la société française, comme ses voisines d’ailleurs? Faisons de la politique fiction: Descartes vient d’être nommé Premier ministre. Quelles mesures prendrait-il?

    • Descartes dit :

      @ Marcailloux

      [Mais qui peut dire une telle outrance ? Pourquoi écrivez-vous – ce qui justifie le terme d’outrance – que la guerre aurait « été gagnée par les indigènes » alors qu’il s’agit d’inclure dans la narration, le fait que de nombreux indigènes des colonies ont participé de manière non négligeable à l’effort de guerre. Les choses réelles étant dites, il n’y a pas lieu ensuite de s’y étendre ad vitam aeternam.]

      Pardon, pardon, pardon. Si l’on dit les « choses réelles », on arrive à la conclusion que la participation à l’effort de guerre des différentes catégories « d’indigènes » est bien « négligeable ». Ce n’est qu’en agrégeant les différentes catégories qu’on arrive – péniblement – à leur donner un rôle qui ne soit pas totalement marginal. Mais cette agrégation est totalement artificielle : du point de vue de cette discussion, l’enfant noir s’identifiera aux combattants noirs, et peu lui choit le rôle qu’auraient joué les combattants venus d’Indochine ou d’Afrique du Nord. Or, pour reprendre l’exemple des combattants noirs, ils ne sont sur l’ensemble du premier conflit mondial qu’un peu plus d’une centaine de milliers, dont 25.000 sont morts ou disparus (je prends vos chiffres, même si à mon avis elles sont gonflées, celles de Decool me paraissent plus sérieuses). Sur les 8,6 millions de combattants français, cela représente 1%. Sur les 1,5 millions de morts français, cela représente 1,5%. A partir de quel pourcentage diriez-vous qu’une participation est « non négligeable » ?

      J’ajoute que si l’on commence a catégoriser, il faudrait aussi parler des bretons, des corses, des savoyards… savoyards qui en 1914 étaient français depuis moins longtemps que les algériens, par exemple…

      [Je sais que vous ne portez pas spécialement Médiapart dans vos sources favorites, mais je suppose qu’avant d’écrire un article, le journaliste fera en sorte de ne pas être démenti par le premier lecteur venu. D’où, à priori la confiance que je porte –avec prudence toutefois- à leurs affirmations sur des faits facilement vérifiables.]

      Ne croyez pas ça. Les journalistes « militants » n’hésitent pas à écrire des contrevérités, même lorsqu’elles sont aisément vérifiables. Ils savent pertinemment que le lecteur ne vérifie jamais les affirmations qui vont dans le sens de leurs préjugés. Personnellement, j’utilise plutôt les chiffres de Decool, qui sont plus détaillés et sortent surtout d’un vrai travail d’historien.

      [. . . . . la première guerre mondiale a été gagnée par le sacrifice de plusieurs millions de français, dont l’immense majorité était blancs et catholiques, même si cela doit froisser des susceptibilités.][Il n’y a ni à froisser des susceptibilités, ni à flagorner qui que ce soit. Les faits, rien que les faits, mais tous les faits, pas seulement ceux qui embellissent le roman national idéal que chacun veut bien se construire.]

      Vous voulez dire que les professeurs doivent dire en cours que la victoire de 1914 fut celle d’une armée dont les soldats étaient dans leur immense majorité blanche et catholique ? Qu’il faut qu’il insiste sur la blancheur des soldats de Valmy, des auteurs de l’encyclopédie ou des bâtisseurs de Versailles ? Faut-il qu’il explique que les gloires de la littérature ou des sciences françaises étaient elles aussi, dans leur quasi-totalité, blanches ? Pourtant, ce n’est là « que des faits, rien que les faits »…

      L’école est bien là pour donner « les faits, rien que les faits ». Mais « tous les faits » ? Bien sur que non. L’école hiérarchise les « faits », sépare ceux qui sont importants de ceux qui sont secondaires, mais aussi ceux qui soutiennent une certaine vision de ce que nous sommes et ceux qui, au contraire, sont facteur de destruction. C’est un « fait » que Napoléon ou Marie Curie étaient de race blanche. Mais l’école, à ma connaissance, n’a jamais expliqué ce détail, précisément parce que l’école veut transmettre un message précis : la couleur de peau, l’origine ethnique n’a aucune importance. C’est un « détail » de l’histoire. Mais si on commence à expliquer aux élèves « noirs » que des « noirs » ont contribué à sauver la France, alors pourquoi les élèves « blancs » n’auraient pas eux aussi le droit de voir l’œuvre des « blancs » singularisée en tant que telle ? Et en suivant cette voie on change radicalement le message : si l’on doit singulariser la contribution de telle ou telle « race », c’est que la « race » est un paramètre important. C’est ce genre de société que nous voulons bâtir ?

      [J’honore leur sacrifice et reconnaît la valeur de leur contribution à la victoire. Parallèlement, je serais heurté, que pour des raisons idéologiques méprisables, on efface de nos mémoires le fait indéniable, même s’il n’était, bien entendu, faiblement minoritaire, que des étrangers ont contribué de manière non négligeable à l’issue victorieuse de cette guerre, comme de la suivante d’ailleurs. Ils étaient environ 500000, pratiquement tous combattants de 1ère ligne]

      Vous vouliez les « faits ». Alors, tenez vous aux faits. Non, il n’y eut pas 500.000 « étrangers » dans les armées françaises : plus de la moitié des soldats des troupes coloniales étaient en fait français. Ensuite, je vous fais noter que vous passez subtilement d’un plaidoyer pour la reconnaissance fondée sur une question ethnique à une reconnaissance fondée sur la question de nationalité. Par ailleurs, il est faux de dire que « pratiquement tous » les combattants coloniaux étaient en première ligne. Si je crois Decool, les troupes d’Indochine par exemple ont été affectées essentiellement aux transports et aux infrastructures.

      Par ailleurs, si l’on doit honorer les « étrangers » qui ont « contribué à l’issue victorieuse de cette guerre », il faudrait parler plus longuement des britanniques et des américains, bien plus nombreux que les « indigènes »…

      [et les Français un peu moins de 8 millions dont une part seulement a combattu ce qui porte à près de 10% le nombre des combattants indigènes dans cette guerre.]

      Je trouve cette manière de gonfler le rôle des uns (« pratiquement tous combattants de 1ère ligne ») et de minimiser le rôle des autres (« un peu moins de 8 millions dont une part seulement a combattu ») particulièrement révélatrice. Les français engagés dans le conflit furent non pas « un peu moins de 8 millions » mais 8,6 millions. De ceux-là, un peu moins de 1,5 millions sont morts, soit 17,5%. Selon vos propres chiffres, les « indigènes » furent 560.000, dont 90.000 morts, soit 16%. Les proportions de mortalité entre français et coloniaux ne sont donc pas très différentes, ce qui tendrait à montrer que l’idée que les « coloniaux » étaient envoyés en première ligne de préférence aux français n’est que de la mythologie.

      [Plus de 80000 sont morts, faut-il les oublier, eux qui n’avaient rien à défendre sinon leur peau ?]

      Je ne comprends pas très bien la question. En quoi le paysan de la Creuse avait plus à défendre que le paysan de la Mitidja ? Si l’Allemagne avait gagné la guerre, l’un et l’autre auraient été affectés de la même manière. Il y a même à parier que celui de la Mitidja aurait été bien plus affecté, puisque l’Algérie aurait eu de grandes chances de devenir colonie allemande…

      Par ailleurs, notez qu’en dehors de l’Algérie la conscription n’existe pas. Les troupes coloniales recrutées ailleurs sont formées d’engagés volontaires. Ils avaient donc quelque chose à défendre au-delà de leur peau…

      [Le négationnisme que vous dénoncez serait-il préservé dans des domaines particuliers qui touchent à un nationalisme frileux ? Pourquoi lorsque l’on pose la question d’évoquer, en le replaçant à sa juste proportion historique, et à son poids objectif dans les événements qui font débat, vous adoptez un positionnement maximaliste, qui brise dans l’œuf toute discussion raisonnée.]

      Je n’ai rien contre le fait « d’évoquer, en le replaçant à sa juste proportion historique ». Le problème, c’est que ce qui est demandé aujourd’hui c’est précisément le contraire : de sortir l’événement de sa « proportion historique » pour faire plaisir à telle ou telle communauté. La contribution des troupes coloniales à la victoire de 1918 est marginale : elles représentent moins de 10% des armées françaises, et à peine 1% de l’ensemble des armées alliées qui se sont battues en France. Du point de vue militaire, leur rôle a été tout à fait marginal. Voilà les faits.

      [A vous lire sur le comportement que doivent avoir les enseignants, j’ai le sentiment – peut être erroné – qu’ils n’ont qu’une très faible latitude d’adaptation, ce, même dans le respect de l’esprit républicain.]

      Qu’est ce qui vous donne cette impression ? Malheureusement, les enseignants ont une grande « latitude d’adaptation » vis-à-vis de leur hiérarchie. La conséquence en est qu’ils deviennent esclaves des désirs des élèves et surtout des parents. Comme l’institution ne les protège pas en leur imposant un discours, ils sont obligés individuellement de défendre leur position devant les parents et les élèves. Ils sont donc en position de faiblesse, et finissent par céder pour ne pas avoir d’ennuis.

      Dans l’idéal, l’enseignant doit, comme n’importe quel fonctionnaire, défendre les positions prises par son administration. Et il doit le faire non pas par peur d’une sanction, mais parce qu’il comprend que c’est la seule manière de faire fonctionner un service public. Dès lors qu’un fonctionnaire s’affranchit de ce devoir, il devient vite la proie des pressions.

      [Je pense que vous n’aimez pas le mot « idéologie »][Pas vraiment, mais je m’en méfie. D’ailleurs votre définition « au sens strict » est celle de l’idéologie marxiste sur laquelle vous êtes généralement aligné.]

      Pas vraiment. C’est une définition qui vient plutôt du structuralisme. Mais si vous avez une meilleure définition, je suis preneur…

      [Sans réfuter le bien fondé de cette idéologie, j’essaie de garder en permanence ma liberté de lecture des événements et des idéologies qui tentent, selon les croyances qui leurs sont propres, d’établir définitivement ce qui est vrai et ce qui est faux.]

      Ce que vous formulez est une utopie. Vous ne pouvez « lire les événements » qu’à travers d’un certain nombre de catégories et de règles, c’est-à-dire, d’une idéologie.

    • Descartes dit :

      [« Ainsi, si la figure du Christ est représentée avec des traits occidentaux, les christs blonds sont très rares, même en Suède ». Je vous mets en lien la notice Wikipédia du peintre Raphaël. Vous pourrez constater sur différents tableaux que le Christ est châtain clair tirant sur le blond…]

      Si l’effet de mimétisme que vous signalez était avéré, on devrait trouver des christs blonds en Suède et des christs bruns en Italie. Or, vous m’expliquez que chez Raphaël (peintre italien) les christs et les vierges sont blonds ? En Suède, par contre, on ne voit que des christs bruns…

      En fait, Raphaël comme beaucoup d’autres représentent le christ et la vierge châtain pour des raisons esthétiques : un blond ou un brun franc ne permettent pas la palette de nuances que donne une couleur intermédiaire. Je ne pense pas que Raphaël ait été très influencé par l’idée de faire ressembler ses christs et ses vierges au public de sa peinture.

      [« D’ailleurs, on voit bien que les enfants d’origine asiatique acceptent Vercingétorix comme ancêtre bien plus facilement que les enfants d’autres origines. » Ah bon?]

      C’est ce que me dit un ami qui enseigne dans le XIIIème arrondissement. L’assimilation des enfants d’origine extrême-orientale est très rapide. Si l’on pense que l’assimilation passe par l’intégration des « ancêtres symboliques », on ne peut qu’en déduire que Vercingétorix est relativement bien accepté dans le panthéon des ancêtres.

      [« S’il était ainsi, pourquoi le problème ne se pose pas avec les enfants d’origine juive ou orientale ? »][Parce qu’il y avait probablement des soldats juifs à Valmy, à Austerlitz, en 1870, en 1914-1918, en 1940, etc.]

      Mais certainement pas à Bouvines ou au sacre de Reims. Par ailleurs, vous n’avez pas répondu sur les enfants d’origine orientale. Pensez-vous qu’il y ait eu beaucoup d’indochinois à Valmy ou à Austerlitz ?

      [A partir de 1789, les juifs sont devenus citoyens français à part entière et ont participé comme tels à la grande aventure nationale.]

      Mais quid de la « grande aventure nationale » pré-1789 ?

      [« Autant que pour un enfant juif de se sentir héritier d’une longue lignée de monarques qui, outre le fait qu’ils ne leurs ressemblaient pas physiquement, périodiquement pillaient les juifs, les consignaient dans des quartiers fermés ou les expulsaient. » Oui, mais à partir de la Révolution, tout change. Les Afro-américains ne sont citoyens à part entière que depuis les années 60, et encore…]

      Les afro-américains, peut-être. Mais les afro-français de la métropole sont devenus citoyens en même temps que les juifs. Quant aux noirs des colonies, ils sont pour certains devenus français avant les juifs : ceux des Antilles le sont devenu en 1848, quand les juifs d’Algérie n’accèdent à la citoyenneté qu’en 1870.

      [Qui plus est les juifs français ne sont pas descendants d’esclaves amenés pour du travail forcé en France, en dépit des persécutions que vous évoquez et que je ne nie pas.]

      Les musulmans français non plus. La question de l’esclavage ne s’applique en fait qu’aux noirs des Antilles. Les noirs qui habitent en métropole ne sont pas, pour la l’immense majorité, de descendants d’esclaves. Ils seraient plutôt les descendants de ceux qui ont vendu leurs prisonniers aux blancs pour qu’ils soient réduits en esclavage, si l’on va par là…

      [« nous avions résolu la question raciale en décidant de l’ignorer ». Et c’était une sage résolution j’en conviens mais qui, à mon sens, n’est réalisable que dans une société relativement homogène où les “gens de couleur” sont finalement très peu nombreux (ou confinés à des espaces particuliers comme l’Outre-Mer).]

      Oui. Mais « l’homogénéité » en question n’a pas besoin d’être ethnique ou religieuse. S’il existe une « communauté de destin » suffisamment forte et assumée, on peut « oublier » toutes sortes de « différences ». Si le problème était l’homogénéité ethnique, on verrait se réveiller le différentialisme seulement dans ce domaine. Or, on voit se réveiller toutes sortes de différentialismes : sexuel, régional… C’est pourquoi contrairement à vous je ne pense pas que le problème vienne d’une « inhomogénéité » des couleurs, mais de l’affaiblissement de cette « communauté de destin » qui était notre défense contre le réveil des luttes communautaires.

      [Pouvez-vous me citer un pays avec de fortes minorités “de couleur” et où la couleur de peau n’a vraiment aucune importance?]

      Dans le discours ou dans les faits ? Je vous rappelle que nous parlons ici du discours, pas de la réalité. Il est évident que la couleur de peau, la religion, l’accent ont toujours sur le plan des faits une importance, tant il existe une empathie naturelle pour celui qui nous ressemble. Mais pour que cette « importance » ne dépasse pas une certaine limite, il est bon que le discours public l’ignore.

      [De plus, derrière la couleur de peau, aujourd’hui, il y a un imaginaire: le descendant d’esclaves, le descendant de colonisés, la victime de racisme et de discriminations,… Peut-on vraiment détruire cet imaginaire qui s’est construit depuis trente ans?]

      Bien entendu. Cet « imaginaire » – et c’est bien un imaginaire, parce que l’immense majorité des noirs ne sont pas descendants d’esclaves, mais plutôt descendants de maîtres d’esclaves – n’existe que parce qu’il est utile à quelqu’un. Si au lieu de céder au chantage mémoriel l’Etat faisait la sourde oreille, cet « imaginaire » s’étendrait de lui-même. Pourquoi croyez-vous que toute cette kermesse sur l’esclavage apparait aujourd’hui, et pas dans les années 1950 ?

      [Plus profondément, je pense que c’est la limite des Lumières et de l’universalisme républicain: l’unité de l’humanité ne saurait faire oublier que nous sommes malgré tout répartis en ethnies, en peuples, en nations distinctes. Les philosophes, comme vous le soulignez, l’avaient sans doute compris. Mais leurs “héritiers” proclamés de la fin du XX° et du début du XXI° siècle ont quelque peu extrapolé en imaginant que différentes cultures et civilisations pouvaient cohabiter harmonieusement dans un même espace politique.]

      Je pense que vous faites erreur. La plupart de ceux qui soutiennent les théories « diversitaires » sont en général particulièrement méfiants envers les Lumières, dont ils font en permanence le procès sous les accusations de scientisme, de machisme, de racisme, d’élitisme et d’eurocentrisme. Accusations qui, dans la galaxie postmoderne sont suffisantes pour damner un saint. Appeler ces gens là les « héritiers proclamés » des Lumières me semble être une erreur conceptuelle grave. Au contraire, ces gens reprennent la vision romantique, qui est précisément une réaction contre l’esprit des Lumières.

      [Malheureusement, le processus est déjà largement engagé, vous le savez bien. Pas une série française qui n’ait désormais son “représentant des minorités” dans le casting.]

      Jusqu’à un certain point. On n’a pas encore un équivalent de cette monstruosité qu’est le « Cosby show », et on ne pousse pas le ridicule jusqu’à mettre des noirs dans des fictions qui se passent à la cour de Charlemagne ou à celle de Louix XIV. Mais vous avez raison, la tentation y est…

      [D’ici peu de temps, nous n’aurons plus grand-chose à envier aux Américains.]

      Je suis moins pessimiste que vous. La société française, malgré sa tendance à embrasser les « modes » venues d’outre-Atlantique, sait se montrer assez résiliente quand il le faut. Toutes les tentatives d’institutionnaliser des politiques de « discrimination positive » se sont fracassées sur la résistance d’une société attachée à l’égalité abstraite. Les directives des féministes de genre de féminiser le langage sont strictement appliquées dans les colonnes de « Le Monde » ou de « Libération », mais dans les milliers d’ateliers et de bistrots de l’hexagone sont un sujet de ridicule.

      [« Notre école doit rester fidèle à son esprit : la couleur de peau n’a aucune importance, et on n’a donc pas à en parler. » L’école peut très difficilement lutter contre l’idéologie différentialiste et diversitaire que les média et les élites diffusent à longueur de journée. C’est triste, mais la parole d’une star ou d’un footballeur pèse plus que celle du professeur.]

      Je peux admettre la description d’un état de fait. Mais je ne l’accepte pas comme fatalité. Si l’école a pu lutter contre l’idéologie des élites traditionnelles, diffusée par des curés tous les jours dans chaque village, je ne vois pas pourquoi elle ne pourrait pas lutter contre les conformismes « diversitaires » aujourd’hui. Mais si l’on veut pouvoir combattre, il faut un objectif clair et une mentalité et une discipline de combat. On ne peut pas gagner si la moitié de l’armée scolaire tire dans le dos de l’autre moitié, si les généraux ne savent pas quel est leur objectif et si le général en chef tourne comme une girouette.

      Si l’école ne peut pas lutter contre l’idéologie « diversitaire » et bisounoursienne, c’est parce que c’est l’idéologie des enseignants. Ou plutôt, l’idéologie de leur classe sociale. Mais pas parce qu’il y aurait une « loi d’airain » qui obligerait l’école à suivre les médias.

      [Je suppose que les classes qui prônent la France “multiculturelle” y trouvent leur intérêt.]

      Oui. Et c’est bien là le problème fondamental à mon sens. Les « classes moyennes » n’ont qu’une obsession, c’est d’empêcher que les couches populaires puissent prendre l’ascenseur social et leur disputer leur position. Parce qu’elles savent parfaitement que dans une société à la croissance faible, pour que certains puissent monter d’autres doivent descendre pour leur laisser les places. L’idéologie « diversitaire » sert justement de justification aux politiques qui « congèlent » le spectre social. Alors que l’idéologie des Lumières – qui au passage est celle de la bourgeoisie – insistait sur la désirabilité pour chacun de sortir du cadre que prétend lui imposer sa naissance par le travail, l’effort, le mérite ; l’idéologie « diversitaire » explique que chacun doit être fier de ce qu’il est par sa naissance, ce qui conduit logiquement à l’idée qu’il ne faut pas chercher à être autre chose.

      [Ajoutons qu’au sein même des minorités, certains en tirent aussi profit: une identité, un statut de victime, un lobby (pardon, des “associations”), etc. Le statut de “minorité” est devenu enviable. Bref, le différentialisme profitent à pas mal de gens. Dans ce cas, que proposeriez-vous pour retourner la tendance?]

      Supprimez les « primes à la victime », et le « victimisme » disparaîtra de lui-même, avec les « associations » qui en vivent. Aussi longtemps que l’Etat – c’est-à-dire la collectivité – continuera à subventionner le statut de victime, celui-ci sera désirable.

      [Faisons de la politique fiction: Descartes vient d’être nommé Premier ministre. Quelles mesures prendrait-il?]

      Si Descartes venait à être nommé premier ministre, c’est qu’il y aurait un président de la République et une majorité parlementaire acquise à ses projets. C’est-à-dire, un pays qui serait prêt à les accepter. Vous supposez donc remplie ab initio la condition du succès de ce que je pourrais proposer… Maintenant, pour s’attaquer au problème précis auquel vous faites référence, voici ma proposition : la stricte application des principes d’égalité et de laïcité. Interdiction absolue aux enseignants et aux fonctionnaires de faire la moindre mention de la couleur de peau, de l’origine ou de la religion d’une personne dans un contexte ou cette mention n’est pas significative (on a le droit de dire que Henri IV était protestant, mais pas qu’il était blanc).

      A côté, la définition d’un véritable parcours de citoyenneté, qui institue de véritables « épreuves » et « cérémonies de passage » permettant de donner au jeune une identité sociale qui ne soit pas celle conférée par les pairs – ou pire, par les marques via la publicité. Une politique d’assimilation forte, généreuse sur les droits mais exigeante sur les devoirs, et sur ce dernier point une redéfinition rigoureuse des devoirs du citoyen…

    • Françoise dit :

      Descartes,
      Très drôle votre exemple d’Henri IV!
      Car si l’on peut affirmer sans se tromper qu’il était blanc, il est en revanche plus difficile de donner sa religion, ayant changé 6 fois de profession de foi; lui-même devait en perdre son latin!
      Quant à vos épreuves de citoyenneté, on en attend avec impatience le contenu croustillant et novateur, avec le déroulement de la cérémonie.

    • odp dit :

      @ NJ, Descartes

      Bonjour,

      Veuillez m’excuser pour le caractère tardif et donc un peu réchauffé de mon commentaire mais, alors que je ne pensais pas me mêler de ces débats sur l’éducation, j’ai finalement décidé de me jeter dans la fosse aux lions : comment pouvez-vous tous les deux affirmer que c’est par intérêt de classe que les profs ont, dans l’ensemble, favorisé l’ouverture des frontières aux hommes comme aux marchandises (i.e. voté oui à Maastricht), alors même que toutes les études montrent qu’ils font partie des grand perdants, tant sur le plan matériel que symbolique des évolutions « libérales » des 30 dernières années? Cela me semble bien mystérieux.

    • Descartes dit :

      @ odp

      [comment pouvez-vous tous les deux affirmer que c’est par intérêt de classe que les profs ont, dans l’ensemble, favorisé l’ouverture des frontières aux hommes comme aux marchandises (i.e. voté oui à Maastricht), alors même que toutes les études montrent qu’ils font partie des grand perdants, tant sur le plan matériel que symbolique des évolutions « libérales » des 30 dernières années? Cela me semble bien mystérieux.]

      A quelles « études » faites-vous référence ? Sur le plan matériel, les enseignants sont très loin de faire partie des « grands perdants ». En termes absolus, au contraire, leur pouvoir d’achat par heure travaillée a progressé assez raisonnablement en trente ans. A cette revalorisation monétaire on doit ajouter la revalorisation des éléments non-monétaires : la sécurité de l’emploi vaut aujourd’hui bien plus qu’elle ne valait il y a quelques années… De plus, l’évolution du pouvoir d’achat se calcule sur un panier « moyen » de consommation, qui ne correspond pas nécessairement aux préférences de tel ou tel groupe social. Ainsi, un groupe qui consomme des voyages, des ordinateurs, du multimédia, des biens culturels, des services à la personne a bénéficié ces dernières trente années d’une baisse continue du prix de ces biens, alors que celui dont l’essentiel du salaire passe dans le loyer et l’alimentation a certainement perdu.

      Quant à la dévalorisation symbolique du métier, il est vrai que le métier n’a plus l’aura d’antan, mais là encore il serait exagéré de parler de « grands perdants ». Le métier d’ouvrier métallurgiste ou de docker s’est dévalorisé bien plus fortement.

    • Descartes dit :

      @Françoise

      Je vous mets au défi de m’indiquer ou j’aurais proposé des “épreuves de citoyenneté”. Quand vous aurez appris à lire, faites moi signe. Je vous le rappelle: si vous falsifiez encore ma pensée, vous n’aurez plus de réponse de moi.

      J’ai parlé, oui, d’un “parcours de citoyenneté”, avec des “épreuves” et des “cérémonies de passage”. Il est clair que dans ce contexte les “épreuves” ne sont pas des examens mais les jalons d’un “rite de passage”. Car c’est cela l’idée que je me fais d’un “parcours de citoyenneté”, et non pas d’un cours avec des examens à la fin. Et je dois dire que dans ce domaine je n’invente rien. Dans la plupart des civilisations – y compris la notre jusqu’à il n’y a pas si longtemps – le passage de l’enfance à l’âge adulte est ritualisé, et c’est cette ritualisation qui permet à l’individu de s’intégrer dans une société. Relisez Godelier.

      Quelles pourraient être ces épreuves ? Des défis physiques ou intellectuels. Un voyage, une veillée, le service militaire, aussi. Le premier rapport sexuel, le premier rasoir, la première cuite. On peut trouver beaucoup d’épreuves dans les actes de la vie quotidienne, à condition d’être capable de les ritualiser. Et c’est cette ritualisation qui peut leur donner un contenu “citoyen”.

    • odp dit :

      @ Descartes, NJ

      L’étude à laquelle je fais référence est celle Robert Gary-Bobo de l’Ecole d’Economie de Paris qui estime que le pouvoir d’achat du salaire net des professeurs a baissé de 20% entre 1981 et 2004 et qu’il faudrait augmenter de 40% les salaires de 2014 pour les enseignants d’aujourd’hui retrouvent les même espoirs de gains que ceux de 1981 (compte tenu de l’écrasement des “ratios” hiérarchiques qui s’est produit sur la période). Par contraste, de 1981 à 2004, le pouvoir d’achat du SMIC a progressé de plus de 30%. -20% d’un côté, +30% de l’autre, tout est dit me semble-t-il. Alors oui, les enseignants font partie des (très) grands perdants des évolution des 30 dernières années sur le plan salarial.

      Quant aux conditions de travail, croire que les enseignants ont un intérêt objectif à la médiocrisation des élèves est plus que farfelu. Enseigner à des “sauvageons” n’est pas exactement une sinécure, surtout que sur la période le nombre d’élèves par classe a sensiblement augmenté, et tous les enseignants rêvent du temps béni où les élèves se levaient pour saluer le professeur et étaient moins nombreux… Le métier d’enseignant est, de fait, de plus en plus dur: il n’y a qu’à voir les taux de suicide et d’arrêt maladie ainsi que l’effondrement du nombre de candidats aux concours; et ce, malgré un taux de chômage record.

      Bref, votre analyse strictement matérialiste me paraît, en la matière, complètement erronée.

    • Descartes dit :

      @ odp

      [L’étude à laquelle je fais référence est celle Robert Gary-Bobo de l’Ecole d’Economie de Paris qui estime que le pouvoir d’achat du salaire net des professeurs a baissé de 20% entre 1981 et 2004]

      Vous avez mal lu. L’article (du moins si l’on parle du même, « Les traitements des fonctionnaires français, 1960-1964 : la voie de la démoralisation ? », septembre 2006) ne parle pas du « salaire net » mais du « traitement ». Ce qui est très différent puisque le traitement du fonctionnaire exclut les primes. Or, s’il est exact que diverses mesures – dont le gel du point d’indice – a fait perdre aux fonctionnaires du pouvoir d’achat, on a vu en parallèle fleurir toutes sortes de primes qu’il faudrait prendre en considération avant de conclure, notamment pour les fonctionnaires de catégorie A – dont les enseignants – pour lesquels les primes représentent aujourd’hui une part non négligeable de la rémunération totale. Or, les auteurs de l’article ignorent totalement cet aspect, se contentant de souligner que le manque de transparence sur les primes versées aux différentes catégories de fonctionnaires rend très difficile l’accès aux données. Par ailleurs, la comparaison « grille à grille » ne permet pas de tenir compte de certaines bonifications, par essence individuelles, qui font que la même personne au même âge ne se trouve pas forcément au même échelon qu’il y a trente ans.

      Par ailleurs, comme je l’ai indiqué dans ma réponse précédente, la mesure du pouvoir d’achat utilisé dans l’article est une mesure purement monétaire, qui ne tient pas compte de la consommation réelle des différentes couches sociales. A revenu constant, une personne qui ne consommerait que du matériel électronique aurait vu son pouvoir d’achat progresser considérablement ces trente dernières années…

      [Quant aux conditions de travail, croire que les enseignants ont un intérêt objectif à la médiocrisation des élèves est plus que farfelu.]

      Je ne sais pas ce que vous appelez « médiocrisation ». Vous semblez par exemple intégrer dans ce terme les questions de discipline élémentaire, et sur ce point on ne peut que vous suivre. Mais la « médiocrisation » décharge l’enseignant d’autres obligations : par exemple celle de préparer un cours de qualité, ou d’assurer un suivi individualisé des élèves. Il est beaucoup plus facile de gérer une garderie qu’une école.

      [Le métier d’enseignant est, de fait, de plus en plus dur: il n’y a qu’à voir les taux de suicide et d’arrêt maladie ainsi que l’effondrement du nombre de candidats aux concours; et ce, malgré un taux de chômage record.]

      Tous les métiers sont « de plus en plus durs », et ne je suis pas convaincu que le taux de suicide ou d’arrêt maladie aient augmenté plus vite dans l’Education Nationale qu’à France Télécom, par exemple. Quant à l’effondrement du nombre de candidats aux concours… il faut nuancer. Depuis maintenant cinq ans les chiffres sont à la hausse après dix ans de baisse, autour de +10% par an même si certaines disciplines sont effectivement sinistrées et si les jurys estiment que le niveau des candidats se dégrade. Notez par ailleurs que si au lieu de prendre le nombre de candidats vous prenez le ratio candidants/postes offerts, la hausse des cinq dernières années se trouve moins forte mais la baisse des dix années qui ont précédé se trouve elle aussi très amortie. En fait, on note une corrélation bien connue dans tous les concours de la fonction publique, de celui de cantonier à celui de l’ENA : le nombre de candidats suit avec un petit retard la courbe du chômage.

      Par ailleurs, lorsque vous examinez mon analyse il vous faut prendre en compte les retards à l’allumage : les enseignants qui ont soutenu la construction européenne et le traité de Maastricht ont été dans leur grande majorité recrutés dans les années 1970. Ces enseignants n’ont pas souffert de l’écrasement salarial dont vous parlez… mais ils ont amplement profité des baisses de prix des biens que leur a procuré l’ouverture des frontières. On peut se demander si les enseignants des générations suivantes resteront aussi attachées aux réformes « libérales-libertaires » que l’ont été leurs aînés…

    • odp dit :

      @ Descartes

      Merci pour votre réponse. Nous parlons en effet du même article. Ceci dit, en ce qui concerne les primes, d’après ce que je lis dans l’article, elles représentent, pour les professeurs, au maximum 10% du traitement et par conséquent ne compensent pas les 20% de baisse liée au point d’indice.

      Quant à la structure de la consommation, l’impact de l’inflation sur le pouvoir d’achat peut en effet varier selon la CSP mais ce différentiel est relativement modeste: 0.14% par an entre 1998 et 2013 entre les ouvriers et les cadres d’après l’INSEE, soit 3.38% cumulé sur les 15 années de l’étude. http://www.insee.fr/fr/indicateurs/indic_cons/fcsp.pdf. Là encore, rien qui change réellement la donne.

      Au total, même si la perte de pouvoir d’achat “réelle” des profs entre 1981 et 2004 est probablement inférieure au 20% annoncés dans l’étude et si les gains de pouvoir d’achat “réels” des ouvriers sont inférieurs au 30% affichés par le SMIC sur la période, le tableau général est quand même celui d’un déclassement massif des professeurs par rapport aux ouvriers (ou à n’importe quelle autre classe sociale d’ailleurs).

      Sur un strict plan matériel, l’adhésion des profs aux politiques que vous qualifiez de libéral-libertaire a été suicidaire tant en absolu qu’en relatif. C’est donc bien qu’il y a, dans ce choix, autre chose, et cette autre chose, c’est l’idéologie. Les enseignants français sont de culture humaniste comme, par exemple, les membres du corps médical (autre catégorie fortement déclassée au cours des 30 dernières années), et comme tels, ont une tendance naturelle à favoriser la “liberté”, surtout si elle est pensée comme émancipatrice. Ils furent, dans l’ensemble, pacifistes dans l’entre-deux guerre, internationalistes après la seconde et pro-européen à partir des années 70; rien que de très cohérent et que l’analyse matérialiste ne saurait seule expliquer.

      Que leur choix se soit avéré erroné et que ce qu’ils pensaient être émancipateur se soit révélé aliénant est fort possible; mais je trouve votre explication machiavélique de volonté de déclassement des classes populaires très difficile à valider par les faits et très injuste pour le corps enseignant qui pourtant nettoie une bonne partie du “caca” que notre société produit.

    • Françoise dit :

      “Mais la « médiocrisation » décharge l’enseignant d’autres obligations : par exemple celle de préparer un cours de qualité, ou d’assurer un suivi individualisé des élèves. Il est beaucoup plus facile de gérer une garderie qu’une école.”
      Quand allez-vous arrêter de nous mépriser? Vous ne savez pas ce que vous dites car, au contraire, plus le groupe est difficile, plus l’enseignant déborde d’énergie pour transmettre.
      Votre réflexion devient une véritable bouffonnerie, si j’ajoute à cela vos épreuves initiatiques loufoques; je vous rappelle qu’à la base, le sujet de la discussion était la réforme du collège donc vos idées de service militaire pour des enfants de 11 à 15 ans, ainsi que vos incitations à la débauche de mineurs sont de l’ordre du délire, que j’ose espérer qu’intellectuel.

    • Descartes dit :

      @ Françoise

      [Quand allez-vous arrêter de nous mépriser?]

      C’est qui « nous » ? Vous avez été mandaté par quelqu’un pour parler en son nom ? Ou s’agit-il d’un pluriel de majesté ?

      S’il vous plait, arrêtez de faire le coup de la vierge offensé. Personne ne vous a « méprisé », et si vous vous sentez visée, c’est peut-être parce que vous n’avez pas la conscience tranquille. Brighelli, qui sait de quoi il parle, a expliqué assez savoureusement combien les « gadgets » pédagogiques de ces dernières années – « sorties de classe » de toutes sortes, invitation d’intervenants extérieurs, tablettes numériques, actions « diversité » – permettent aux enseignants de réduire leur charge de travail. Et avant de réagir, s’il vous plait, lisez bien : j’ai écrit « charge de travail » et non « temps de travail ». Parce que ce n’est pas la même chose : passer deux heures à discuter avec des collègues autour d’un café l’organisation de la prochaine visite au musée du tricot, ce n’est pas la même charge que deux heures de travail en bibliothèque pour préparer un cours documenté sur le corps des nombres réels avec des repères historiques.

      [Vous ne savez pas ce que vous dites car (…)]

      Que voulez-vous, tout le monde ne peut se vanter de l’omniscience dont vous faites preuve à chacun de vos commentaires.

      [au contraire, plus le groupe est difficile, plus l’enseignant déborde d’énergie pour transmettre.]

      D’abord, vous confondez ici « médiocre » et « difficile ». La question débattue dans le commentaire auquel vous répondez était celle de la « médiocrisation », et non de la « difficulté ». Ensuite, je pense que vous avez une vision fort idéalisée de l’enseignant. L’expérience quotidienne de parent montre au contraire que plus le groupe est « difficile » (et j’imagine que sous ce vocable vous mettez les difficultés disciplinaires ou d’apprentissage, et non l’exigence du groupe), plus l’enseignant se contente d’exiger le minimum, quitte à tomber dans la démagogie ou dans l’abandon pour avoir la paix. Il y a bien entendu des « perles », des enseignants qui restent militants du savoir et qui ne comptent pas leur temps et leurs efforts pour transmettre à leurs élèves – souvent à leur corps défendant – le meilleur de la culture humaine. Mais ces exemplaires, qui font honneur à la mémoire des « hussards noirs de la République », sont l’exception. La plupart – et c’est normal, tout le monde n’est pas un héros – font honnêtement leurs heures et se débrouillent pour ne pas rentrer à la maison avec un œil au beurre noir. Les enseignants tendent à être plus « débordants d’énergie » dans les grands lycées de prestige parisien, où ils ont un public certes très exigeant, mais qu’on hésiterait à qualifier de « difficile » tant la discipline est donnée pour acquise, que dans les lycées de banlieue ou la transmission est sans cesse perturbée par la question de discipline.

      [Votre réflexion devient une véritable bouffonnerie (…)]

      Venant de vous, le commentaire n’est pas dépourvu d’une certaine ironie. Involontaire, bien entendu.

      [si j’ajoute à cela vos épreuves initiatiques loufoques;]

      Vous semblez croire que parce que vous utilisez une invective vous avez prouvé quelque chose. Je vous assure que ce n’est pas le cas. Ce n’est pas parce que vous traitez de « bouffon » votre interlocuteur ou de « loufoques » ses propositions que cela fait avancer le moins du monde votre position. Si vous avez des arguments, exposez-les. Sinon, arrêtez de cacher leur absence derrière les « vous dites n’importe quoi ».

      [je vous rappelle qu’à la base, le sujet de la discussion était la réforme du collège donc vos idées de service militaire pour des enfants de 11 à 15 ans,]

      Je vous rappelle que « à la base » votre question portait non pas sur le collège, mais sur le « parcours de citoyenneté que je proposais. Et si ce parcours pour moi commence au début de l’adolescence, il ne s’achève qu’à l’entrée dans la vie active. La référence au service militaire était donc parfaitement pertinente. Si c’est le collège qui vous intéresse, je suis sûr que vous êtes capable de concevoir des rituels de passage adaptés à l’âge des élèves. Rituels qui peuvent eux aussi emprunter des éléments à l’imaginaire militaire, comme le fait depuis de très longues années le mouvement scout ou les pionniers.

      [ainsi que vos incitations à la débauche de mineurs sont de l’ordre du délire, que j’ose espérer qu’intellectuel.]

      Ne vous en faites, pas, je sais que le délire total est votre monopole, et je ne songe pas à vous le contester…

    • Descartes dit :

      @ odp

      [Merci pour votre réponse. Nous parlons en effet du même article. Ceci dit, en ce qui concerne les primes, d’après ce que je lis dans l’article, elles représentent, pour les professeurs, au maximum 10% du traitement et par conséquent ne compensent pas les 20% de baisse liée au point d’indice.]

      Ce n’est pas ce que j’entends par ailleurs. Dans beaucoup de corps de catégorie A de la fonction publique, les primes représentent couramment 50% du revenu total. Cela m’étonnerait beaucoup que les enseignants soient très loin de cette norme. Mais il est vrai qu’il est difficile d’obtenir des données fiables, étant donné le maquis des primes et la difficulté de savoir qui en bénéficie. Je découvre par exemple que les enseignants bénéficient d’une indemnité compensatoire appelée « garantie individuelle du pouvoir d’achat » GIPA qui est versée à l’enseignant dont le traitement indiciaire brut aurait évolué moins vite que l’inflation sur une période de quatre années glissante… ce qui semble répondre à votre question.

      [Quant à la structure de la consommation, l’impact de l’inflation sur le pouvoir d’achat peut en effet varier selon la CSP mais ce différentiel est relativement modeste: 0.14% par an entre 1998 et 2013 entre les ouvriers et les cadres d’après l’INSEE, soit 3.38% cumulé sur les 15 années de l’étude. http://www.insee.fr/fr/indicateurs/indic_cons/fcsp.pdf. Là encore, rien qui change réellement la donne. Au total, même si la perte de pouvoir d’achat “réelle” des profs entre 1981 et 2004 est probablement inférieure au 20% annoncés dans l’étude et si les gains de pouvoir d’achat “réels” des ouvriers sont inférieurs au 30% affichés par le SMIC sur la période, le tableau général est quand même celui d’un déclassement massif des professeurs par rapport aux ouvriers (ou à n’importe quelle autre classe sociale d’ailleurs).]

      C’est beaucoup moins évident que vous ne le dites. La comparaison « grille à grille » ne reflète la réalité que si la population dans chaque case de la grille reste la même. Ainsi, le fait que le SMIC ait augmenté de 30% en termes constants en trente ans n’implique pas que l’ensemble des ouvriers ait gagné 30% de pouvoir d’achat : l’augmentation du SMIC a « écrasé » la pyramide salariale, et il y a beaucoup plus de gens aujourd’hui payé au SMIC qu’il n’y avait il y a trente ans, avec beaucoup moins d’heures supplémentaires. De même, si à un grade donné le traitement indiciaire du fonctionnaire a perdu du pouvoir d’achat, il n’est pas évident que le fonctionnaire qui faisait un boulot donné en 1981 ait été classé au même grade que le fonctionnaire qui fait ce même boulot aujourd’hui. Si vous additionnez la multiplication des primes de toutes sortes, il n’est pas évident qu’un enseignant « concret » soit aujourd’hui payé pour le même boulot moins qu’il ne l’était en 1981.

      [Sur un strict plan matériel, l’adhésion des profs aux politiques que vous qualifiez de libéral-libertaire a été suicidaire tant en absolu qu’en relatif.]

      Je vous le répète, je n’en suis pas totalement convaincu. Je n’ai pas l’impression qu’en termes relatifs la situation économique des enseignants soit aujourd’hui beaucoup plus proche de celle des ouvriers qu’elle ne l’était en 1981. Il faut bien entendu tenir compte de la valeur de la sécurité de l’emploi, qui n’est plus tout à fait la même…

      [C’est donc bien qu’il y a, dans ce choix, autre chose, et cette autre chose, c’est l’idéologie.]

      L’idéologie est en rapport dialectique avec les intérêts. On se fabrique une idéologie pour justifier ses intérêts…

      [Les enseignants français sont de culture humaniste comme, par exemple, les membres du corps médical (autre catégorie fortement déclassée au cours des 30 dernières années),]

      A lire cette remarque, j’ai l’impression que vous confondez le « déclassement » économique avec la perte de prestige social d’un métier. Il est incontestable que le médecin, l’enseignant, le haut fonctionnaire, le prêtre ont perdu une bonne partie de leur prestige. Et c’était annoncé. Souvenez vous des paroles prophétiques de Marx : « La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités considérées jusqu’alors, avec un saint respect, comme vénérables. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, l’homme de science, elle en a fait des salariés à ses gages. » (Manifeste du Parti Communiste, 1948). Notre système de « méritocratie républicaine » était, dans le meilleur sens du terme, un système aristocratique. La révolution néolibérale l’a mis à terre. Mais cela n’implique nullement que le médecin, le juriste, le prêtre, le poète ou l’homme de science gagnent moins bien leur vie qu’avant. Au-delà de leur pleurnicherie permanente, je ne vois pas mes amis médecins faire la queue à l’ANPE, ce qui est, ne l’oublions pas, le lot commun de quelque cinq millions de nos concitoyens.

      [et comme tels, ont une tendance naturelle à favoriser la “liberté”, surtout si elle est pensée comme émancipatrice. Ils furent, dans l’ensemble, pacifistes dans l’entre-deux guerre, internationalistes après la seconde et pro-européen à partir des années 70; rien que de très cohérent et que l’analyse matérialiste ne saurait seule expliquer.]

      Vous associez des choses qui n’ont pas de rapport. Oui, les enseignants furent « pacifistes dans l’entre-deux guerres ». Mais ils ont été « va-t-en guerre » de 1881 à 1918. Comment ce dernier fait rentre dans votre théorie d’une « tendance naturelle à favoriser la liberté » ? Non, les enseignants – et l’ensemble de la société française, en fait – ont été « pacifistes » entre les deux guerres simplement en réaction aux massacres des tranchées. Et non du fait d’un esprit « libertaire ».

      [mais je trouve votre explication machiavélique de volonté de déclassement des classes populaires très difficile à valider par les faits]

      Justement, mon hypothèse n’a rien de « machiavélique ». Il n’y a pas de « machiavélisme » dans la manière dont chaque classe sociale défend son beefsteak. Cela fait partie du métabolisme naturel du système : les classes sociales produisent une idéologie qui, par une étrange coïncidence, conduit les individus à faire ce qui est le mieux pour l’intérêt collectif de cette classe – même lorsque cela va potentiellement contre l’intérêt individuel de certains de ses membres. Il n’y a pas de Grand Conseil des Classes Moyennes qui dans une session secrète a décidé de « déclasser les classes populaires ». Il y a par contre une idéologie qui fait que les enseignants assument des positions qui conduisent à ce déclassement.

      [et très injuste pour le corps enseignant qui pourtant nettoie une bonne partie du “caca” que notre société produit.]

      Je serais beaucoup plus tendre avec ce corps s’il n’avait pas collectivement détruit l’institution qu’il était censé garder. Le « caca » qu’ils nettoient, ils ont largement contribué à le produire.

    • @ Descartes,

      “Parce que ce n’est pas la même chose : passer deux heures à discuter avec des collègues autour d’un café l’organisation de la prochaine visite au musée du tricot, ce n’est pas la même charge que deux heures de travail en bibliothèque pour préparer un cours documenté sur le corps des nombres réels avec des repères historiques.”
      Je suis globalement d’accord avec vous. Je pense que le temps passé par les enseignants à élaborer les contenus de leurs cours tend à diminuer, et le programme nous y incite parfois, invitant de plus en plus à traiter brièvement certains thèmes. Du coup, le temps de travail “hors classe” strictement pédagogique (c’est-à-dire sans compter les réunions inutiles, les vaines concertations, etc) est sans doute en baisse.

      Pourtant, je pense que ce temps de travail plus restreint peut parfois être plus fatigant et plus pénible qu’avant: lorsque vous devez “faire la guerre” à une classe rétive, deux heures durant, l’appréhension et la tension nerveuse peuvent vous lessiver, et je parle d’expérience. Ayant eu affaire à une classe vraiment épouvantable (ce qui m’arrive rarement, car je ne travaille pas dans des établissements vraiment difficiles), je puis vous assurer que l’épuisement est réel. Et les conséquences sur le moral et le quotidien sont loin d’être négligeables.

    • odp dit :

      @ Descartes

      Le fait que 5 millions de personnes soient au chômage ne constitue pas une valeur en soi pour ceux qui en sont protégé par leur statut; ne serait-ce que parce que, comme on l’a vu depuis 20 ans, qui dit hausse du chômage dit problèmes budgétaires et par conséquent “austérité”: gel du point d’indice, non remplacement des départs à la retraite et ainsi de suite.

      Par ailleurs, l’appartenance à la fonction publique n’étant pas héréditaire, les enfants de ces professions “protégées” souffriront de cette situation économique dégradée, soit par le biais du chômage ou de salaire faibles s’ils se destinent à travailler dans le privé, soit par le biais de concours plus difficile et moins bien payés s’ils se destinent à la fonction publique. Il n’est donc dans l’intérêt de d’aucune CSP de favoriser un monde de chômage élevé si elle n’en a d’autre gain que le plaisir d’en souffrir un moins que certains. Les “politiques” étaient mieux lotis que les “raciaux” dans les camps, ce n’est pas pour ça qu’ils avaient intérêt à favoriser leur extension. Il me semble que l’économie n’est pas un jeu à somme nulle ou toute perte d’une catégorie se traduit mécaniquement par un gain pour une autre et vice-versa.

      De la même manière, contrairement à ce que vous dites, les profs n’ont pas besoin de dévaloriser l’enseignement pour assurer à leurs enfants une trajectoire sociale supérieure à la moyenne. Que dans un monde structuré, par le biais des concours, autour de la trajectoire scolaire, les enfants d’enseignants soient au dessus du panier n’a rien de surprenant. C’est vrai aujourd’hui et cela l’était avant, même au temps béni des 30 glorieuses. Point n’est besoin pour eux d’enfoncer les classes populaires.

      Par ailleurs, comme vous l’avez dit dans un de vos papiers, et comme le dit Piketty, les 30 glorieuses constituent une anomalie, liée aux destructions de la seconde guerre mondiale, dans l’histoire économique; les prendre comme un présent possible est illusoire. Il est ainsi fort probable que ce bel ascenseur social qui vous manque tant soit le résultat de cette conjoncture plutôt que de la qualité réelle ou supposée de l’enseignement. Je vous rappelle par exemple que les Héritiers date de 1964 et la reproduction de 1970. L’école de “classe” que ces ouvrages décrivent et dénoncent est donc pourtant celle de l’ascenseur social, celle que vous défendez: la prévalence du capital culturel ne date pas des années 80, loin de là. Je n’ai pas sous la main de statistique d’accès à l’enseignement supérieur pour les classes populaires au temps glorieux des “hussards noirs”, mais il est loin d’être évident que le système actuel ait à rougir de la comparaison. J’imagine que si l’on se penchait sur la littérature du PCF de l’entre deux guerre, on en trouverait des vertes et des pas mûres sur l’école de la République. Je note par exemple, au détour d’une lecture, qu’en 1932, la Fédération Unitaire de l’Enseignement affiliée à la CGTU avait refusé de s’associer aux cérémonies du 50ème anniversaire des lois laïques au prétexte que l’école publique était une “école de classe”.

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [Pourtant, je pense que ce temps de travail plus restreint peut parfois être plus fatigant et plus pénible qu’avant: lorsque vous devez “faire la guerre” à une classe rétive, deux heures durant, l’appréhension et la tension nerveuse peuvent vous lessiver, et je parle d’expérience.]

      Je n’en doute pas. Il me semble incontestable que le temps que l’enseignant passe devant sa classe est probablement beaucoup plus pénible aujourd’hui qu’il ne l’était il y a trente ou quarante ans, quand la discipline était un pré-requis assumé par l’institution. L’enseignant d’hier était soutenu par l’institution qui le légitimait et par les parents qui lui déléguaient une bonne partie de leur autorité. L’enseignant d’aujourd’hui est seul. Et c’est en grande partie sa faute, parce que cette solitude est une solitude qu’il a revendiqué.

      [Ayant eu affaire à une classe vraiment épouvantable (ce qui m’arrive rarement, car je ne travaille pas dans des établissements vraiment difficiles), je puis vous assurer que l’épuisement est réel. Et les conséquences sur le moral et le quotidien sont loin d’être négligeables.]

      Je n’en doute pas. Mais c’est le cas de beaucoup de professions. Il y a une véritable dégradation du « vivre ensemble », et cette dégradation a fait disparaître les éléments de courtoisie, de politesse, de respect qui rendaient la vie si agréable…

    • Descartes dit :

      @ odp

      [Le fait que 5 millions de personnes soient au chômage ne constitue pas une valeur en soi pour ceux qui en sont protégé par leur statut;]

      Bien sur que si. On est ici dans la théorie de l’assurance. Imaginez qu’on propose à un enseignant le marché suivante : une augmentation de salaire en échange de son passage du statut de fonctionnaire au statut de CDI. A votre avis, de quelle valeur il faudrait augmenter le salaire pour obtenir l’accord de l’enseignant ? Et bien, ce chiffre vous donne le prix que l’enseignant attache à la sécurité de l’emploi.

      Ce prix peut être calculé rigoureusement comme n’importe quelle prime d’assurance, à partir du coût de l’accident et de sa probabilité. Et il est assez trivial que plus la probabilité est grande, plus la prime pour s’assurer contre un risque est importante.

      [Par ailleurs, l’appartenance à la fonction publique n’étant pas héréditaire, les enfants de ces professions “protégées” souffriront de cette situation économique dégradée, soit par le biais du chômage ou de salaire faibles s’ils se destinent à travailler dans le privé, soit par le biais de concours plus difficile et moins bien payés s’ils se destinent à la fonction publique.]

      Exactement. Et c’est pourquoi les « classes moyennes » font ce qu’il faut pour rendre ces fonctions « héréditaires », de facto sinon de jure. La méthode la plus simple, c’est d’empêcher les enfants des couches populaires, c’est-à-dire les compétiteurs éventuels, d’accéder au « capital immatériel » qui leur permettrait de réussir les concours ou d’être sélectionné pour les bonnes places dans le secteur privé. Par exemple, en les persuadant qu’apprendre les mathématiques ou la danse rap, c’est pareil. Ou en réduisant les heures de cours et en supprimant les enseignements qui permettraient aux enfants des couches populaires d’accéder aux concours. Ou bien en créant des « voies parallèles » de recrutement ou les réseaux familiaux jouent un maximum…

      [Il n’est donc dans l’intérêt de d’aucune CSP de favoriser un monde de chômage élevé si elle n’en a d’autre gain que le plaisir d’en souffrir un moins que certains.]

      Bien sur que si, si ce chômage n’affecte que les autres et que de plus il pousse les prix des biens qu’elle consomme à la baisse.

      [Les “politiques” étaient mieux lotis que les “raciaux” dans les camps, ce n’est pas pour ça qu’ils avaient intérêt à favoriser leur extension.]

      Sauf que la multiplication des « raciaux » n’améliorait en rien la situation des « politiques ». Alors que la multiplication des chômeurs fait baisser les prix des biens et services que consomment les « classes moyennes »…

      [Il me semble que l’économie n’est pas un jeu à somme nulle ou toute perte d’une catégorie se traduit mécaniquement par un gain pour une autre et vice-versa.]

      Cela dépend. Dans une économie en forte croissance, comme celle des « trente glorieuses », non. Mais dans une économie à croissance nulle, la taille du gâteau est par définition constante. Dès qu’une couche sociale accroît la taille de sa part, il faut bien qu’une autre couche voit la sienne diminuer…

      [De la même manière, contrairement à ce que vous dites, les profs n’ont pas besoin de dévaloriser l’enseignement pour assurer à leurs enfants une trajectoire sociale supérieure à la moyenne.]

      Bien sur que si. Un enseignement de qualité permet aux enfants des couches populaires d’entrer en compétition avec les enfants des « classes moyennes » pour les bonnes places. Dans un pays ou la promotion sociale passe par un mécanisme méritocratique, dévaloriser l’enseignement permet de confiner chacun à sa place et de permettre aux différentes couches sociales de se reproduire à l’identique.

      [Que dans un monde structuré, par le biais des concours, autour de la trajectoire scolaire, les enfants d’enseignants soient au dessus du panier n’a rien de surprenant.]

      Il parait que les enfants de PDG, de médecin, d’ingénieur ne s’en sortent pas mal non plus.

      [Il est ainsi fort probable que ce bel ascenseur social qui vous manque tant soit le résultat de cette conjoncture plutôt que de la qualité réelle ou supposée de l’enseignement.]

      Oui et non. C’est la conjoncture qui a permis d’établir une école de qualité pour tous sans que les classes favorisées – la bourgeoisie mais aussi les « classes moyennes » en formation – la sabotent. Avec une forte croissance, on pouvait promouvoir des enfants des couches populaires sans que cela porte atteinte aux intérêts d’une « classe moyenne » encore peu nombreuse. Mais c’est la qualité de l’enseignement qui a permis de promouvoir une élite technique et administrative de grande qualité. D’autres pays, qui ont eu des opportunités de croissance aussi bonnes que la France, ont été freinés dans cet élan par des systèmes éducatifs qui ne permettaient pas de former de telles élites. C’est le cas par exemple de la Grande Bretagne.

      [Je vous rappelle par exemple que les Héritiers date de 1964 et la reproduction de 1970.]

      Je vous rappelle que tant « les Héritiers » comme « La Réproduction » ont été écrits par le fils d’un ouvrier agricole, arrivé par son mérite aux plus hautes distinctions universitaires. Ce qui semble nuancer considérablement la lecture qu’on a fait de ces deux ouvrages, et qui ne correspond pas à mon avis à l’intention première de leur auteur. Personne n’a jamais dit – et ce serait absurde – que l’école des « trente glorieuses » effaçait les différences sociales et faisait de la France une société égalitaire. Mais dans les limites de ce qui est possible dans une société capitaliste, l’école de l’époque permettait une promotion sociale qui n’existe plus aujourd’hui.

      [L’école de “classe” que ces ouvrages décrivent et dénoncent est donc pourtant celle de l’ascenseur social, celle que vous défendez: la prévalence du capital culturel ne date pas des années 80, loin de là.]

      Non, bien entendu. Dans une société de classes, l’école ne peut qu’être une école de classe. Je n’ai jamais dit le contraire, et vous me connaissez suffisamment pour savoir que je n’ai aucune vision idyllique du capitalisme. Mais encore une fois, tous les capitalismes ne se valent pas. Celui de 1950 permettait à un fils d’ouvrier des perspectives qui lui sont bouchées en 2015.

      [Je n’ai pas sous la main de statistique d’accès à l’enseignement supérieur pour les classes populaires au temps glorieux des “hussards noirs”, mais il est loin d’être évident que le système actuel ait à rougir de la comparaison.]

      Et bien, j’ai pris la peine de faire cette comparaison pour ce qui concerne les « grandes écoles », voie royale de la promotion sociale. Ainsi, par exemple, à l’Ecole Centrale le pourcentage de fils d’ouvriers augmente régulièrement de 1945 jusqu’au début des années 1980, ou ils représentent 15% du total. Il recule ensuite et ne représente plus aujourd’hui que 3% (chiffres du Bureau des Eleves de l’ECP, qui m’ont été transmises par un ami). C’est aussi le cas, me dit-on, à Polytechnique et même à l’ENA, ou les premières promotions comptaient plus de gens d’extraction modeste que celles d’aujourd’hui. Il est vrai que ce n’est pas le cas dans les universités, mais là encore les chiffres sont trompeurs : les étudiants qui rentrent dans une « grande école » sont pratiquement toujours diplômés. Ce n’est pas le cas dans l’université. Si vous prenez le nombre de fils d’ouvrier dans les troisièmes cycles scientifiques, vous observerez un peu le même effet : le nombre de fils d’ouvrier diminue régulièrement depuis les années 1980.

      [J’imagine que si l’on se penchait sur la littérature du PCF de l’entre deux guerre, on en trouverait des vertes et des pas mûres sur l’école de la République. Je note par exemple, au détour d’une lecture, qu’en 1932, la Fédération Unitaire de l’Enseignement affiliée à la CGTU avait refusé de s’associer aux cérémonies du 50ème anniversaire des lois laïques au prétexte que l’école publique était une “école de classe”.]

      Probablement. L’anarcho-syndicalisme était très fort dans le PCF au début des années 1930, et le Parti ne s’est défait que très graduellement de ses réflexes gauchistes. Mais je vous l’ai déjà dit, je ne m’estime pas tenu de défendre les conneries qu’a pu faire le PCF à n’importe quel moment de son histoire. Le PCF a mis relativement longtemps à comprendre cette magnifique formule qui veut que « entre le faible et le fort, c’est la liberté qui asservit et la loi qui libère ». Le « mariage du drapeau rouge et du drapeau tricolore », qui marque l’acceptation par le PCF d’une logique institutionnelle et qui est pour moi le véritable acte de naissance du PCF en tant que « parti de la classe ouvrière » ne date que de la fin des années 1930.

    • odp dit :

      @ Descartes

      [Je n’ai pas sous la main de statistique d’accès à l’enseignement supérieur pour les classes populaires au temps glorieux des “hussards noirs”, mais il est loin d’être évident que le système actuel ait à rougir de la comparaison.]

      Et bien, j’ai pris la peine de faire cette comparaison pour ce qui concerne les « grandes écoles », voie royale de la promotion sociale. Ainsi, par exemple, à l’Ecole Centrale le pourcentage de fils d’ouvriers augmente régulièrement de 1945 jusqu’au début des années 1980, ou ils représentent 15% du total. Il recule ensuite et ne représente plus aujourd’hui que 3% (chiffres du Bureau des Eleves de l’ECP, qui m’ont été transmises par un ami). C’est aussi le cas, me dit-on, à Polytechnique et même à l’ENA, ou les premières promotions comptaient plus de gens d’extraction modeste que celles d’aujourd’hui. Il est vrai que ce n’est pas le cas dans les universités, mais là encore les chiffres sont trompeurs : les étudiants qui rentrent dans une « grande école » sont pratiquement toujours diplômés. Ce n’est pas le cas dans l’université. Si vous prenez le nombre de fils d’ouvrier dans les troisièmes cycles scientifiques, vous observerez un peu le même effet : le nombre de fils d’ouvrier diminue régulièrement depuis les années 1980.]

      Plus que les travaux très pointus de Gary-Bobo que vous avez pourtant considérés comme nuls et non avenus, je pense que vos chiffres doivent être pris avec de très longues pincettes si l’on veut juger de l’effet de la qualité de l’enseignement sur la promotion sociale.

      Tout d’abord, puisque le pourcentage d’ouvrier dans la population française a été pratiquement divisé par deux entre la fin des années 70 et l’époque actuelle, il est normal que, toutes choses égale par ailleurs, la proportion de fils d’ouvriers accédant aux grandes écoles soit en chute libre. Le cas de Bourdieu est en l’espèce caricatural. S’il n’y a plus de fils d’ouvrier agricole, ce n’est pas parce que l’enseignement tel qu’il est pratiqué ne permet plus l’ascension sociale des fils d’ouvriers agricoles mais tout simplement parce qu’il n’y a plus d’ouvriers agricoles.

      De la même manière, la composition des “couches populaires” ayant profondément changé entre 1970 et 2015 par addition de populations d’origine étrangère dont les capacités d’ascension sociale ne sont probablement pas équivalentes à celles de leur prédécesseurs “de souche”, il n’est pas surprenant que la proportion d’enfants de classes populaires parmi l’élite scolaire diminue. Le père de Bourdieu a bénéficié de l’école de la République; ce ne fut pas le cas de celui de Najat Valaud-Belkacem. A l’échelle statistique, cela fait la différence.

      Ensuite, vous négligez également les modifications de stratégies des fils des catégories plus aisées qui, en période de “vaches grasses” (et d’idéologie contestataire mais c’est lié) se sont détournées des “grandes écoles” parce que leur capital matériel ou immatériel leur était suffisant pour s’assurer, par d’autres biais moins contraignant, la vie qu’ils recherchaient, créant ainsi un boulevard pour les fils de catégories moins aisées. La conjoncture tournant et le chômage, y compris des cadres, montant, les trajectoires buissonnières s’avérèrent des impasses et l’orthodoxie scolaire. Au fur et à mesure que la compétition scolaire s’accroît, en partie à cause de ces concours que vous chérissez tant, les enjeux montent et s’avèrent impitoyables pour ceux qui n’ont pas tous les atouts dans leur manche. Un exemple: à mon époque (c’est à dire à la fin des années 80), les bons élèves ne prenaient pas, au lycée, de cours particuliers; maintenant c’est pratique courante dès le collège.

      Enfin, vous ne prenez pas en compte l’influence particulièrement délétère de l’environnement et plus particulièrement des médias de masse, télévision en tête, sur l’attractivité de l’école pour les enfants les plus exposés à ce “fléau”; évolution dont les enseignants ne sont clairement pas responsables.

      D’ailleurs, si la différence de chance de promotion scolaire pour les classes populaires ne provenait que de la dégradation de l’enseignement, elle-même identifiée à sa “pédagogisation”, cette détérioration de l’espérance de succès des classes populaires aurait dû apparaître dès le début du siècle dernier, car il est clair que l’école des 30 glorieuses fût plus “centrée sur l’élève” que ne le fût celle de l’entre-deux guerre; elle même l’étant plus que celle du début du siècle.

    • odp dit :

      @ Descartes

      Sur l’idéologie: certes en effet l’idéologie est fréquemment utilisée pour masquer des intérêts, de manière consciente ou non; mais il n’y a pas stricte adéquation entre les deux. Les enseignants ont toujours, depuis les grecs, considéré le savoir comme émancipation – le titre de la publication du principal syndicat des instituteurs fut d’ailleurs longtemps L’école émancipatrice. De 1871 à 1914, cette émancipation fut celle qui permit “d’arracher” les français à “l’obscurantisme” et d’ancrer la République; de 1918 à 1939, après le traumatisme de la première guerre mondiale, cette logique d’émancipation prit la forme d’une défiance à l’égard de la Nation et du militarisme, tandis qu’après 1945 ce fut l’autorité elle même qui se trouva mise en cause. S’émanciper de l’Eglise, puis de la Nation et enfin du Maître, voilà une trajectoire somme toute assez logique, sinon pertinente, qui n’a pas besoin d’intérêt de classe pour trouver sa cohérence. Et point n’est besoin d’aller chercher chez les gauchistes des années post-68 ou chez les classes moyennes pour trouver ces réflexions: Lucien Sève, dans l’Ecole et la Nation, éditée par le PCF se lança dès 1964 dans une critique de la “théorie des dons”, fondement de la méritocratie républicaine, ouvrant par là la voie à Yvan Illich et autres Jacques Rancière.

    • Descartes dit :

      @ odp

      [Plus que les travaux très pointus de Gary-Bobo que vous avez pourtant considérés comme nuls et non avenus,]

      Vous falsifiez mes paroles. Je n’ai jamais considéré les travaux de Gary-Bobo comme « nuls et non avenus ». Ce que j’ai contesté, c’est votre interprétation de ces travaux, et notamment la confusion que vous faites entre « traitement » et « rémunération ». Gary-Bobo compare les grilles de traitements et montre que ceux-ci ont perdu de la valeur au cours de trente dernières années. Ceci est tout à fait exact. Mais c’est vous qui en déduisez que la rémunération des enseignants à diminue dans les mêmes proportions, et là vous avez tort, puisque vous ne prenez pas en compte ni les primes, ni la manière dont les enseignants réels sont classés dans les grilles. Alors, ne vous cachez pas derrière ce pauvre Gary-Bobo : C’est votre raisonnement que j’ai considéré « nul et non avenu », et non pas ses travaux.

      [Tout d’abord, puisque le pourcentage d’ouvrier dans la population française a été pratiquement divisé par deux entre la fin des années 70 et l’époque actuelle, il est normal que, toutes choses égale par ailleurs, la proportion de fils d’ouvriers accédant aux grandes écoles soit en chute libre.]

      Tout dépend de la définition de « ouvrier » que vous utilisez. Si vous considérez « ouvrier » dans les sens marxiste du terme – c’est-à-dire, les travailleurs qui vendent leur force de travail et produisent de la plusvalue – le pourcentage reste à peu près constant. Je me suis renseigné sur la définition des catégories qu’utilise le BdE de l’Ecole Centrale pour faire ses statistiques. Il m’a été répondu qu’il s’agit d’une catégorie unique regroupant tous les travaux salariés d’exécution. La statistique est faite sur quatre catégories : « ouvriers et employés », « commerçants et artisans », « professions libérales », « enseignants », « cadres et dirigeants ».

      [Le cas de Bourdieu est en l’espèce caricatural. S’il n’y a plus de fils d’ouvrier agricole, ce n’est pas parce que l’enseignement tel qu’il est pratiqué ne permet plus l’ascension sociale des fils d’ouvriers agricoles mais tout simplement parce qu’il n’y a plus d’ouvriers agricoles.]

      Ne vous cachez pas derrière votre petit doigt : mon exemple ne requiert nullement qu’on trouve des professeurs parmi les fils d’ouvrier agricole. N’importe quelle autre profession située au bas de l’échelle fera l’affaire. Le fait est qu’en une génération un élève brillant pouvait monter au sommet de la hiérarchie intellectuelle en partant de tout en bas. Le pourrait-il aujourd’hui ? Combien de professeurs au Collège de France ont été nommés ces dix dernières années dont les parents appartiennent au même décile en termes de revenu que ceux de Bourdieu ?

      [De la même manière, la composition des “couches populaires” ayant profondément changé entre 1970 et 2015 par addition de populations d’origine étrangère dont les capacités d’ascension sociale ne sont probablement pas équivalentes à celles de leur prédécesseurs “de souche”, il n’est pas surprenant que la proportion d’enfants de classes populaires parmi l’élite scolaire diminue.]

      Tiens… expliquez moi pourquoi les « populations d’origine étrangère » auraient des « capacités d’ascension sociale » inférieures à celles d’un Bourdieu ou d’un Camus ? A votre avis, cette infériorité dans la « capacité d’ascension sociale » ne doit-elle rien à l’école ?

      [Le père de Bourdieu a bénéficié de l’école de la République; ce ne fut pas le cas de celui de Najat Valaud-Belkacem. A l’échelle statistique, cela fait la différence.]

      Franchement, je ne vois pas où est la « différence ». La mère de Camus n’a pas bénéficié de l’école de la République, et son fils a tout de même été prix nobel. Et il a dédié ce prix à son ancien instituteur, ce qui à mon avis n’était pas une coïncidence. Tiens, je ne me souviens pas que Najat Vallaud-Belkacem ait jamais dédié quoi que ce soit à son instituteur… pourquoi, à votre avis ?

      [Ensuite, vous négligez également les modifications de stratégies des fils des catégories plus aisées qui, en période de “vaches grasses” (et d’idéologie contestataire mais c’est lié) se sont détournées des “grandes écoles” parce que leur capital matériel ou immatériel leur était suffisant pour s’assurer, par d’autres biais moins contraignant, la vie qu’ils recherchaient, créant ainsi un boulevard pour les fils de catégories moins aisées.]

      Je ne suis pas persuadé que ce soit le cas. Oui, une frange des « classes moyennes » ont déserté les études longues et compliquées lorsque les « vaches grasses » permettaient de s’assurer un niveau de vie élevée par le biais du « capital immatériel » transmis par la famille. Mais je ne suis pas persuadé qu’en dehors de certains cas emblématiques ce mouvement ait été véritablement significatif. L’immense majorité des adolescents des « classes moyennes » auraient peut-être aimé jouer de la guitare ou vivre dans une communauté, mais l’injonction « passe ton bac d’abord » – et ensuite « passe ton concours d’abord » est restée très puissante. Les « classes moyennes » ont prêché les « alternatives », mais comme le disait Jouhandeau, leurs enfants sont devenus notaires. En passant par l’école du notariat.

      [Enfin, vous ne prenez pas en compte l’influence particulièrement délétère de l’environnement et plus particulièrement des médias de masse, télévision en tête, sur l’attractivité de l’école pour les enfants les plus exposés à ce “fléau”; évolution dont les enseignants ne sont clairement pas responsables.]

      Je voudrais clarifier mon point : je ne dis pas que les enseignants soient les seuls responsables de la dégradation du niveau de savoir et de culture des jeunes. Ce serait injuste. Ils sont, par contre, en grande partie responsables de la dégradation de l’école, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Peut-être que même si nous avions une école au niveau des années 1950, « l’influence délétère » dont vous parlez aurait un effet négatif sur les performances des élèves issus des couches populaires. Mais la dégradation de l’école elle-même n’aide pas.

    • Descartes dit :

      @ odp

      [Les enseignants ont toujours, depuis les grecs, considéré le savoir comme émancipation – le titre de la publication du principal syndicat des instituteurs fut d’ailleurs longtemps L’école émancipatrice.]

      Vous faites erreur. La publication à laquelle vous faites référence ne s’appelait pas « l’école émancipaTRICE » mais « l’école émancipEE ». Et la différence n’est pas mineure. Il ne s’agissait donc pas de faire de l’école une institution qui « émanciperait » les élèves, mais au contraire de « émanciper » l’institution elle-même par rapport à l’Etat, considéré comme l’instrument des classes dominantes. Il est vrai que les enseignants considèrent, à juste titre, que le savoir libère. Mais le titre du journal n’est pas une bonne illustration.

      [De 1871 à 1914, cette émancipation fut celle qui permit “d’arracher” les français à “l’obscurantisme” et d’ancrer la République; de 1918 à 1939, après le traumatisme de la première guerre mondiale, cette logique d’émancipation prit la forme d’une défiance à l’égard de la Nation et du militarisme, tandis qu’après 1945 ce fut l’autorité elle même qui se trouva mise en cause.]

      Je ne suis pas tout à fait en phase avec cette analyse. Oui, de 1871 à 1914 il s’agissait de libérer les élèves des griffes de l’ignorance, de l’obscurantisme, de l’église. Et cette émancipation allait de pair avec une adhésion aux institutions de la République. De 1918 à 1939, si les enseignants deviennent pacifistes, ils ne contestent nullement le caractère institutionnel de leur magistère pas plus qu’ils ne rejettent la « Nation », même s’ils se méfient du « nationalisme ». Après 1945, les enseignants incorporent des nouvelles idées mais toujours dans une vision institutionnelle, dans laquelle l’école forme des citoyens français. Ce n’est qu’à partir des années 1960 que la contestation anti-institutionnelle se manifeste vraiment avec une remise en cause de « l’autorité elle-même ».

      [S’émanciper de l’Eglise, puis de la Nation et enfin du Maître, voilà une trajectoire somme toute assez logique, sinon pertinente, qui n’a pas besoin d’intérêt de classe pour trouver sa cohérence.]

      Je pense que vous embellissez les faits pour le besoin de la cause. L’émancipation – si l’on peut dire – du Maître et de la Nation ne sont pas deux événements séparés, mais un seul et même mouvement initié dans les années 1960. Les maîtres ont cru qu’ils pouvaient avoir l’un sans l’autre, qu’ils pourraient « s’émanciper » de la Nation tout en conservant leur autorité sur leurs élèves. Ils ont eu tort, précisément parce que leur légitimité n’est pas personnelle mais institutionnelle, et repose donc en dernière instance dans la Nation.

      [Et point n’est besoin d’aller chercher chez les gauchistes des années post-68 ou chez les classes moyennes pour trouver ces réflexions: Lucien Sève, dans l’Ecole et la Nation, éditée par le PCF se lança dès 1964 dans une critique de la “théorie des dons”, fondement de la méritocratie républicaine, ouvrant par là la voie à Yvan Illich et autres Jacques Rancière.]

      Bien entendu. Mais cela se passait en 1964, et non en 1945.

  13. Françoise dit :

    Je voudrais répondre dans un nouveau fil de discussion à la question de savoir si je “crois” NVB quand elle affirme que la culture et les langues anciennes ne disparaissent pas.
    Je pourrais utiliser vos arguments en vous répondant que puisque c’est mon chef hiérarchique et qu’elle a toute l’autorité de sa fonction, je lui fais confiance;
    je peux aussi vous répondre que je me doute bien que le latin étant choisi aujourd’hui par 18% des collégiens et 5% des lycéens (1% pour le grec…), et ce malgré les offres plus qu’alléchantes de points bonus doublés voire triplés au bac, on aura beau l’offrir en enseignement facultatif, cela n’intéresse plus grand monde; la réforme propose ainsi un enseignement obligatoire généralisé a minima (flûte, sacré latin!) qui permet au moins à 100% d’élèves de connaître les bases de leur langue et de leur civilisation, ce qui pour moi est déjà énorme.

    Mais le gros point d’interrogation est ce que vont faire les chefs d’établissement de leurs 20%-horaire d’autonomie: là, la volonté d’égalité de la ministre va s’écrouler. On peut supposer que les lycées parisiens enseigneront, entre autres, le latin et le grec, mais je doute que l’ensemble de la banlieue et province suive le même cursus.
    Au bout du compte, il n’y aura pas un enseignement commun sur tout le territoire mais une adaptation de chaque établissement à la population qui le compose…

    • Descartes dit :

      @ Françoise

      [Je pourrais utiliser vos arguments en vous répondant que puisque c’est mon chef hiérarchique et qu’elle a toute l’autorité de sa fonction, je lui fais confiance;]

      Encore une fois, vous avez une lecture assez curieuse de mes « arguments ». Le rapport hiérarchique vous oblige à obéir les instructions de votre chef, pas à le croire et encore moins à lui « faire confiance ».

      [je peux aussi vous répondre que je me doute bien que le latin étant choisi aujourd’hui par 18% des collégiens et 5% des lycéens (1% pour le grec…), et ce malgré les offres plus qu’alléchantes de points bonus doublés voire triplés au bac, on aura beau l’offrir en enseignement facultatif, cela n’intéresse plus grand monde;]

      A votre avis, si on rendait facultatives au collège et au lycée les mathématiques, quel pourcentage d’élèves choisiraient cette matière ? L’école n’est pas un supermarché. Elle n’est pas là pour enseigner ce qui « intéresse » les élèves. Elle est là pour leur enseigner ce qui leur sera nécessaire. S’il faut continuer à enseigner les langues anciennes – et si cela dépendait de moi, elles seraient obligatoires – ce n’est pas parce que cela « intéresse » du monde, mais parce qu’elles permettent de former une discipline intellectuelle et des références culturelles.

      [la réforme propose ainsi un enseignement obligatoire généralisé a minima (flûte, sacré latin!) qui permet au moins à 100% d’élèves de connaître les bases de leur langue et de leur civilisation, ce qui pour moi est déjà énorme.]

      La réforme, pour le moment ne propose aucun « enseignement obligatoire généralisé ». Le seul engagement pris par NVB est que « les éléments fondamentaux des apports du latin et du grec à la langue française feront l’objet d’un enseignement dans le cadre des cours de français ». C’est de la poudre aux yeux, et je reste poli. La meilleure preuve en est qu’il n’est pas prévu d’augmenter les horaires de français pour pouvoir donner du temps à l’enseignement des « apports du latin et du grec à la langue française ». Ci qui implique donc qu’on sacrifie un autre élément du programme de français pour récupérer les heures nécessaires. Lequel, à votre avis ?

      [Mais le gros point d’interrogation est ce que vont faire les chefs d’établissement de leurs 20%-horaire d’autonomie: là, la volonté d’égalité de la ministre va s’écrouler. On peut supposer que les lycées parisiens enseigneront, entre autres, le latin et le grec, mais je doute que l’ensemble de la banlieue et province suive le même cursus.]

      Mais… qu’est ce qui empêche les chefs d’établissement de banlieue et de province de choisir le latin et le grec, comme le font les « lycées parisiens » ? Vous insinuez que ces chef d’établissement voudraient saboter la « volonté d’égalité de la ministre » ?

      [Au bout du compte, il n’y aura pas un enseignement commun sur tout le territoire mais une adaptation de chaque établissement à la population qui le compose…]

      Exacte. Latin et grec pour ceux qui peuvent se le payer, hip-hop et « graf » pour les autres. Merci l’éducation nationale.

    • Françoise dit :

      Oui, pour les lycées parisiens, cela devrait vous rassurer, les écoles que vous qualifiez de “prestige” seront publiques aussi;
      Non, là où vous vous trompez, c’est que ce choix ne se fera pas sur des questions financières mais culturelles.

  14. Bruno dit :

    Bonjour Descartes,

    Ayant passé mon baccalauréat il y a un bientôt sept ans, je conserve une assez bonne mémoire des enseignements dont j’ai bénéficié en Histoire, tant au collège qu’au lycée. Par ailleurs, plutôt nostalgique (je sais c’est mal vu de nos jours), j’ai conservé l’ensemble de mes cahiers, de la 6ème à la terminale; je dois bien reconnaître que je suis parfois assez sidéré quand je me replonge dedans.

    Pour la sixième, excellente année, une professeur (désolé je n’arriverai pas à finir ce mot avec un “e”, je trouve ça affreusement laid…) passionnée par l’antiquité gréco-romaine, elle nous a délivré un très bon panorama de “notre” civilisation, le tout avec une chronologie claire. En cinquième, rebelote, même professeur, on évoque les différentes religions et notamment l’Islam. Toutefois, on n’a pas (encore) le droit à un truc caricatural, du genre, les chrétiens font des croisades et les musulmans traitent bien les autres, Averroes vs Inquisition, blablabla…

    La fin du collège se gâte un peu, notre nouvel enseignant ayant des opinions politiques fortes, il oriente beaucoup son cours et nous délivre une vision assez “bêbête” du monde, c’est très culturel et sociétal, on parle des femmes etc… Je n’ai même pas de chronologie dans mon cahier de 4ème! En plus il “n’aime pas” Napoléon III (ça m’avait marqué, comme dans un café, le professeur nous donnait son opinion! Et encore, ce n’était que le début!)

    La troisième vire dans la caricature mémorielle et expiatoire, on passe un nombre d’heures sur la Shoah, la France collabo et la colonisation… J’ai eu du mal cette année là je dois le reconnaître, tant ce qu’on essayait de m’inculquer allait à l’encontre de mes préjugés personnels, disons plutôt familiaux. Issu d’une famille de militaires et de résistants, on a toujours eu le respect de chez choses à la maison, 8 mai et 11 novembre en famille, hommage aux défunts, goût de notre histoire.
    Je me rappellerai toute ma vie avoir été outré en entendant notre professeur, à propos de la Shoah, répondre à un élève qui lui avait dit que “quand même on n’était pas des nazis”, que, à l’époque, “nous n’avions pas été mieux”. Précisons tout de même que ce verbiage et les saillies du professeur ne suscitaient que très peu l’intérêt des collégiens, l’immense majorité d’entre nous, pour parler vulgairement, n’en n’ayant strictement rien à foutre. Plus qu’imperméables, les élèves étaient indifférents…

    Je rendrai, pour finir, grâce à mes professeurs de première et de terminale qui m’ont permis d’approfondir ma connaissance du XIXème et du XXème, en France et dans le monde. Les chronologies sont parfaites et les cours clairs. Malgré le manque de temps (je n’ai jamais finis un programme ni utilisé la moindre heure d’histoire-géo pour de l’éducation civique…) l’enseignement délivré est qualitatif. L’élève en sort moins bête et même un peu fier d’être français. N’est-ce pas le but? Ou plutôt ne faudrait-il pas que ce le soit? L’approche à défaut de ne pas être “politique”, demeure équilibrée. J’ai deux “vieux” profs, ils font ce qu’ils veulent avec les programmes.

    Pour conclure, je dirais que l’enseignement que j’ai reçu était plus de bonne qualité, néanmoins, je pense que si mes origines familles ne m’avaient pas poussé dans ce sens, il n’aurait pas suffit à développer en moi une connaissance réelle et critique de notre histoire, l’envie de continuer à approfondir ce sujet pourtant fondamental. Était-ce suffisant pour former des citoyens français critiques? Je ne le crois pas. Pas plus que je n’y croirais demain eu égard aux réformes en cours…

    C’est problématique car sans notre grande et belle Histoire, comment réussirons-nous à créer du liant entre tous les français? Notre société profane a besoin d’un sacré pour persister, on le foule aux pieds. Dommage…

    • Descartes dit :

      @ Bruno

      [La fin du collège se gâte un peu, notre nouvel enseignant ayant des opinions politiques fortes, il oriente beaucoup son cours et nous délivre une vision assez “bêbête” du monde, c’est très culturel et sociétal, on parle des femmes etc… Je n’ai même pas de chronologie dans mon cahier de 4ème! En plus il “n’aime pas” Napoléon III (ça m’avait marqué, comme dans un café, le professeur nous donnait son opinion! Et encore, ce n’était que le début!)]

      Le problème n’est pas tant que l’enseignant ait des opinions politiques fortes. Le problème, c’est lorsque ces « opinions politiques » s’accompagnent d’un manque de véritable culture historique. Une personne qui a de la culture historique ne s’exprime jamais sur le mode « j’aime » ou « je n’aime pas ». J’ai eu en première et en terminale un professeur d’histoire absolument extraordinaire. Il avait des opinions politiques « fortes », et il nous en parlait au café. Mais lorsqu’il était en chaire, il faisait preuve d’une discipline intellectuelle totale et ne laissait pas ses opinions influencer son discours. Et pourtant, dieu sait s’il est difficile d’enseigner l’histoire du XXème siècle en faisant preuve de rigueur…

      [Précisons tout de même que ce verbiage et les saillies du professeur ne suscitaient que très peu l’intérêt des collégiens, l’immense majorité d’entre nous, pour parler vulgairement, n’en n’ayant strictement rien à foutre. Plus qu’imperméables, les élèves étaient indifférents…]

      Je peux comprendre. J’ai du mal à imaginer qu’une approche mémorielle et larmoyante puisse passionner les élèves, d’autant plus qu’ils sont bombardés par cette même approche par la télévision et par les réseaux sociaux. Si l’enseignant ne propose qu’une n-ième version du discours des médias, je comprends que les élèves soient « indifférents ». Paradoxalement, je pense qu’il est plus facile de passionner les élèves avec les aventures de Jules César ou Richelieu, personnages qu’ils ne connaissent pas, qu’avec la Shoah.

      [Je rendrai, pour finir, grâce à mes professeurs de première et de terminale qui m’ont permis d’approfondir ma connaissance du XIXème et du XXème, en France et dans le monde.]

      Gardez précieusement vos cahiers. Quand vous parlerez à vos enfants et à vos petits-enfants et que ceux-ci vous diront que « ça a toujours été comme ça », vous pourrez les convaincre preuves à l’appui qu’un autre enseignement est possible…

      [L’élève en sort moins bête et même un peu fier d’être français. N’est-ce pas le but? Ou plutôt ne faudrait-il pas que ce le soit?]

      Pour moi, oui. Mais je crains d’être dans la minorité…

      [J’ai deux “vieux” profs, ils font ce qu’ils veulent avec les programmes.]

      Malheureusement, il en reste de moins en moins. On trouve malheureusement de plus en plus de jeunes profs qui ont été, eux aussi, victimes du pédagogisme.

      [C’est problématique car sans notre grande et belle Histoire, comment réussirons-nous à créer du liant entre tous les français? Notre société profane a besoin d’un sacré pour persister, on le foule aux pieds. Dommage…]

      Nous sommes d’accord.

  15. Axelzzz dit :

    Bonsoir Descartes,
    Les réformes scolaires sont des rendez-vous politiques toujours conflictuels au point que je me demande si on n’atteint pas le théâtre d’ombre dans lequel droites et gauches jouent à débattre des grands principes éducatifs que l’autre camp est supposé mépriser et par là sacrifier l’avenir de la nation. Lorsque Sarkozy réformait les programmes il était question d’accroissement des inégalités sociales et de fin de la carte scolaire. Lorsque c’est Hollande, on a peur du laxisme et du nivellement par le bas.

    Toujours est-il que notre école ne fonctionne pas suffisamment bien: les élèves y sont plus anxieux qu’ailleurs et surtout maîtrisent moins les connaissances fondamentales, l’école produit une exclusion systématique de 20% d’une classe d’age à chaque passage de niveau, les garçons y sont en échec préoccupant et les inégalités sociales y sont renforcées.

    Pourtant le débat se focalise sur un autre sujet, à un niveau plus conceptuel, mais surtout plus en phase avec les clivages politiques de l’après Charlie: l’enseignement renforce-t-il la cohésion de la nation? Je ne suis pas certain que ce soit la grille de lecture la plus urgente en matière éducative. Mais, après tout, vous en faite votre sujet, pourquoi pas.

    Ma question porte sur une phrase, ou plutôt un mot, de votre papier. Vous écrivez “Comment le professeur pourrait se passer de l’institution symbolique que seule la Nation peut conférer ?”. Cela me rappelle le grand théorème de Fermat cité comme évident en marge d’un ouvrage par P.de Fermat et qui a pris plus de trois siècles pour en obtenir la démonstration. En effet, dire que la nation est la seule source légitimité symbolique à pouvoir instituer un enseignement est à mon avis une affirmation problématique bien plus qu’une évidence.

    Sans doute restreignez-vous la portée de cette assertion à notre époque: si j’en crois d’autres discussion sur ce blog quant à la constitution de la nation française, vous en situez l’apparition bien après celle d’un enseignement légitime sous nos latitudes.
    Parlons donc du présent, et laissez-moi me faire l’avocat du diable afin de vous inviter à développer votre pensée sur ce point. La légitimité des professeurs dans les classes pourrait tout à fait être fondée sur des textes comme une déclaration des droits universels des enfants à l’éducation et des institutions internationales: c’est le cas dans l’aide au développement par exemple, dans d’autre pays. Peut-être l’est-ce également dans certains traités européens, même si la politique éducative est encore une prérogative des Etats membres. On peut également mentionner que la légitimité des universités comme la Sorbonne, ou ailleurs Oxford est très ancienne et n’a pas besoin de la nation d’aujourd’hui pour instituer leur légitimité qui d’ailleurs a résisté à travers plusieurs périodes ou les légitimités étaient disputées.
    Finalement la légitimité du professeur devant sa classe ne consiste-t-elle pas simplement en ce qu’élèves et parents pensent qu’en l’écoutant ils accèderont à une connaissance de valeur? N’est-ce pas avant tout la confiance dans l’exigence du professeur (envers lui-même comme envers ses élèves) qui crée en premier lieu la perception des cette valeur éducative et sa légitimité? On peut même pousser le raisonnement un peu plus loin, et se demander si la nation, croyant détenir un monopôle de la légitimité symbolique, ne se serait en fait affaiblie en sacrifiant l’efficacité éducative de l’école sur l’autel de missions politiques parfois annexes, souvent utopiques (parmi lesquelles on peut citer tout à la fois lutter contre le racisme, les inégalités de classe, l’incivilité, aimer les autres pour les connaitre et les connaitre pour les aimer, organiser la promotion sociale et les conditions de la compétitivité du pays) ?
    Si la troisième république a réussi a vider les églises, ce n’est pas pas la légitimité a priori de la République qui fin 19eme était loin d’être sans rivale, à instituer des professeurs. C’est plutôt en donnant accès à une éducation de qualité qui faisait entendre un discours émancipateur opposé à celui des prêtres, détenteur d’une légitimité rivale. En somme dès lors que l’éducation est une politique de la nation, c’est autant la légitimité symbolique du professeur qui fait la nation que celle de la nation qui fait le professeur.

    Au surplus, si ce qui menace aujourd’hui la légitimité des professeurs est bien celle des imams et des créationnistes, il faudra bien que le discours politique prenne cette concurrence à bras le corps et assume de les combattre sur le terrain politique. Or, demander cela spécifiquement à l’école lorsque ses résultats éducatifs sont faibles est un double piège: pour la nation – où les discours politiques alternent hypocrisie autoritaire à la Sarkosy/Valls et posture d’impuissance type affaire Léonarda pour mieux se défausser de ses responsabilités sur l’EN – et pour l’éducation qui, aux prises avec une liste d’objectifs dont la longueur a depuis longtemps passé la mesure qui fait sourire des plaisanteries, n’a que moins de chance de parvenir à réduire ses dysfonctionnements.

    Bien à vous

    • Descartes dit :

      @ Axelzzz

      [Toujours est-il que notre école ne fonctionne pas suffisamment bien: les élèves y sont plus anxieux qu’ailleurs et surtout maîtrisent moins les connaissances fondamentales, l’école produit une exclusion systématique de 20% d’une classe d’age à chaque passage de niveau, les garçons y sont en échec préoccupant et les inégalités sociales y sont renforcées.]

      Faudrait quand même pas trop exagérer. Si on excluait 20% à chaque passage de niveau, il n’en resterait pas beaucoup à la fin. Or, la scolarité en France est obligatoire jusqu’à 16 ans, et la déscolarisation est relativement marginale. Pour ce qui concerne « l’anxiété », il faudrait arrêter de demander des choses contradictoires. Les élèves sont d’autant plus détendus à l’école que celle-ci est vue comme étant moins importante pour la réussite future. Si on veut partir sur cette voie, c’est-à-dire, faire dépendre la réussite d’autres paramètres que la réussite scolaire – au hasard, le réseau de relations des parents, leur compte en banque, leur origine sociale – on n’a qu’à le dire tout de suite.

      Quant au « renforcement des inégalités sociales »… l’école ne fait que ce que les « classes moyennes » lui demandent. N’oubliez pas que dans une société à croissance faible, pour que ceux d’en bas puissent être promus il faut que ceux d’en haut acceptent d’être dégradés… pensez-vous qu’il y aura beaucoup de professeurs qui verront avec joie leur enfant aller travailler en usine ? Il faut arrêter de charger l’école avec tous nos fantasmes. L’école est à l’image de la société. Dans une société inégalitaire, il est utopique de demander à l’école d’effacer les inégalités sociales.

      L’école doit se concentrer sur ce qui est sa mission : former des hommes et des femmes capables de s’intégrer correctement dans le monde adulte, autant sur le plan civique que professionnel, en leur transmettant des savoirs, des règles, des disciplines. Point à la ligne.

      [Pourtant le débat se focalise sur un autre sujet, à un niveau plus conceptuel, mais surtout plus en phase avec les clivages politiques de l’après Charlie: l’enseignement renforce-t-il la cohésion de la nation? Je ne suis pas certain que ce soit la grille de lecture la plus urgente en matière éducative.]

      Je me permets de différer. Oui, c’est une grille de lecture « urgente » tout simplement parce que sans cette cohésion, l’école elle-même ne peut fonctionner. C’est de cette « cohésion » que dérive sa légitimité.

      [Ma question porte sur une phrase, ou plutôt un mot, de votre papier. Vous écrivez “Comment le professeur pourrait se passer de l’institution symbolique que seule la Nation peut conférer ?”. Cela me rappelle le grand théorème de Fermat cité comme évident en marge d’un ouvrage par P.de Fermat et qui a pris plus de trois siècles pour en obtenir la démonstration. En effet, dire que la nation est la seule source légitimité symbolique à pouvoir instituer un enseignement est à mon avis une affirmation problématique bien plus qu’une évidence.]

      Ma formule n’était pas assez précise, je vous l’accorde. Mais il était implicite que je faisais référence au professeur de l’école publique, et oui, j’insiste, ce professeur ne peut recevoir son investiture que du détenteur de la souveraineté publique, c’est-à-dire, de la Nation. Il est par contre clair que le professeur d’une école communautaire ou religieuse peut recevoir une investiture symbolique d’autres sources : des parents, de Dieu…

      [Parlons donc du présent, et laissez-moi me faire l’avocat du diable afin de vous inviter à développer votre pensée sur ce point. La légitimité des professeurs dans les classes pourrait tout à fait être fondée sur des textes comme une déclaration des droits universels des enfants à l’éducation et des institutions internationales: c’est le cas dans l’aide au développement par exemple, dans d’autre pays]

      Mais qui signe cette « déclaration » ? Qui lui donne force normative ? Les représentants de la Nation. On est toujours ramené au même problème : dans la sphère publique, toute légitimité repose en dernière instance sur la Nation.

      [Peut-être l’est-ce également dans certains traités européens, même si la politique éducative est encore une prérogative des Etats membres.]

      Encore une fois, ces traités n’ont force normative que parce qu’ils sont paraphés et ratifiés par les représentants des nations.

      [On peut également mentionner que la légitimité des universités comme la Sorbonne, ou ailleurs Oxford est très ancienne et n’a pas besoin de la nation d’aujourd’hui pour instituer leur légitimité]

      Vraiment ? Je me demande combien d’étudiants continueraient à aller écouter les professeurs de la Sorbonne si celle-ci n’était pas habilitée par l’Etat à délivrer des titres reconnus par l’Etat… mais plus profondément, aucune université n’a de « légitimité » lui permettant à obliger qui que ce soit à suivre son enseignement. J’ai développé ce point dans mon papier : l’enseignement supérieur n’a pas besoin du même type de légitimité que le secondaire parce que les étudiants universitaires sont volontaires. Et le simple fait d’être volontaire implique une attitude d’écoute. Le professeur universitaire peut toujours demandé à l’étudiant « pourquoi venez-vous dans mon cours puisque vous n’avez pas envie d’écouter ? ». Le professeur secondaire n’a pas cette option. L’écoute de l’élève ne lui est pas acquise à priori. Il a donc besoin d’une investiture symbolique forte pour pouvoir l’obtenir.

      [Finalement la légitimité du professeur devant sa classe ne consiste-t-elle pas simplement en ce qu’élèves et parents pensent qu’en l’écoutant ils accèderont à une connaissance de valeur?]

      Certainement. Mais pour que parents et élèves en soient convaincus, il leur faut un garant, un « tiers de confiance » qui leur dise : « même si vous avez l’impression contraire, ce que le professeur vous dit vous sera précieux plus tard ». Ce « tiers de confiance », c’est l’Etat, l’institution agissante de la Nation.

      [N’est-ce pas avant tout la confiance dans l’exigence du professeur (envers lui-même comme envers ses élèves) qui crée en premier lieu la perception des cette valeur éducative et sa légitimité?]

      Mais comment se créé cette « confiance » ? Ni l’élève ni le parent n’est en mesure d’apprécier la qualité du professeur…

      [On peut même pousser le raisonnement un peu plus loin, et se demander si la nation, croyant détenir un monopôle de la légitimité symbolique, ne se serait en fait affaiblie en sacrifiant l’efficacité éducative de l’école sur l’autel de missions politiques parfois annexes, souvent utopiques (parmi lesquelles on peut citer tout à la fois lutter contre le racisme, les inégalités de classe, l’incivilité, aimer les autres pour les connaitre et les connaitre pour les aimer, organiser la promotion sociale et les conditions de la compétitivité du pays) ?]

      Je suis tout à fait d’accord. La Nation n’a pas à légitimer des choix idéologiques particuliers. Le professeur doit être un agent de transmission du savoir, et rien d’autre. Il n’a pas à se prononcer sur des questions d’éthique ou de morale, au-delà du consensus minimal établi par la société. La « lettre aux instituteurs » de Ferry explique très bien cette question.

      [Si la troisième république a réussi a vider les églises, ce n’est pas la légitimité a priori de la République qui fin 19eme était loin d’être sans rivale, à instituer des professeurs. C’est plutôt en donnant accès à une éducation de qualité qui faisait entendre un discours émancipateur opposé à celui des prêtres, détenteur d’une légitimité rivale.]

      Ne confondez pas « République » et « Nation ». La République, régime politique, n’avait pas une légitimité incontestable. Mais la Nation, communauté d’histoire et de destin, si. Et l’école de la IIIème République n’hésite pas a revendiquer hautement la Nation comme source de sa légitimité. Même du point de vue architectural, on a tout fait pour que les écoles arborent tous les attributs de la Nation.

      [En somme dès lors que l’éducation est une politique de la nation, c’est autant la légitimité symbolique du professeur qui fait la nation que celle de la nation qui fait le professeur.]

      Il y a certainement une dialectique entre les deux. Et cette dialectique va dans les deux sens : lorsque le professeur critique la Nation, c’est aussi sa légitimité qu’il met en cause.

      [Au surplus, si ce qui menace aujourd’hui la légitimité des professeurs est bien celle des imams et des créationnistes, il faudra bien que le discours politique prenne cette concurrence à bras le corps et assume de les combattre sur le terrain politique.]

      Tout à fait, comme elle le fit au début du XXème siècle avec la séparation des églises et de l’Etat. Mais cela passe aussi, je suis d’accord avec vous, par un recentrage de l’école sur sa mission de transmission, et de mettre au rebut la partie « propagande ».

    • Axelzzz dit :

      @Descarte
      Deux précisions tout d’abord:
      – à propos des 20% : mea culpa je me suis mal exprimé, le terme de niveau étant, je m’en rends compte trop tard à la fois imprécis et tout à fait incompréhensible dans le sens que je voulais lui donner vu le contexte. J’avais en tête une ancienne étude de l’institut montaigne qui à propos de l’insertion des jeunes dans la vie active montrait qu’à chaque grande étape de sélection (fin de scolarité obligatoire, orientation filière CAP/BEP vs BAC, BAC vs BCA+2 etc) à peu près 20% des effectifs quittent la voie générale – le plus souvent pour rencontrer des difficultés d’insertion professionnelle. (En fait 17% quittent l”école sans diplôme, 17% suivent la voie professionnelle et s’arrête avant le BAC, 24% s’arrêtent au BAC, etc) voici le lien pour référence:
      http://www.institutmontaigne.org/fr/publications/15-propositions-pour-lemploi-des-jeunes-et-des-seniors

      Ces chiffres ne concernent effectivement que l’après collège. Mais si j’en crois le Rapport du Haut Conseil à l’Education 2012, p. 6, la loi de Pareto frappe aussi le système scolaire en amont: “Le nombre élevé de sortants sans diplôme (environ un jeune sur six chaque année) et la proportion d’élèves ayant des acquis insuffisants (15%) ou fragiles (25%), tant en fin d’école primaire qu’en fin de collège, en témoignent. “.

      – deuxièmement, vous dîtes que si la Sorbonne ne délivrait pas de diplôme reconnu par l’Etat personne n’y viendrait plus. Je note toutefois que lorsque X Niel crée une école d’informatique qui ne délivre pas de diplôme reconnu par l’Etat, les gens s’y pressent et il peut même organiser des épreuves de recrutement (L’EN par contre peine à trouver des candidats à ses concours…). Donc, la Nation n’est pas l’unique source de légitimité en matière éducative. Elle l’est d’autant moins qu’une palette d’offres éducatives concurrente existe pour les niveaux supérieurs. Le succès pour le secondaire des écoles privées n’a rien à voir avec un retour de l’autorité du Pape dans nos contrées, mais avec la qualité perçue de l’enseignement qui y est proposé.

      En revanche, vous estimez, si j’ai bien compris votre réponse, que le fait que les professeurs ne véhiculent pas un discours anti-national est une condition primordiale de leur légitimité, spécifiquement d’ailleurs pour les enseignants du publics, qui d’une certaine manière représentent l’Etat et donc la Nation.
      Sur ce point précis, nous sommes d’accord: un fonctionnaire de police qui se mettrait à danser en chantant CRS SS perdrait aussi en ‘légitimité symbolique’. Mais lui a une arme et le système judiciaire qui ultimement forcent le respect. La légitimité d’un professeur dans une classe est de ce point de vue plus ‘fragile’ et nous sommes bien d’accord qu’expliquer à quel point notre pays – qu’il représente – est méprisable n’est pas un moyen d’obtenir l’attention et encore moins le respect de l’auditoire.

      Par contre, et là nous sommes en désaccord, j’ai beaucoup de mal à croire que le problème des 20% viennent des discours anti-nationaux tenus par les profs d’histoire sous l’injonction des programmes de collège. Mais peut-être ai-je tort. Peut-être aussi succombent-ils aux cajoleries délicates des profs d’anglais, cinquième colonne féminine de l’empire américain multiculturaliste, émoustillées par les rêves de conquête qu’ouvre cette langue de liberté universelle – au demeurant si musicale (tribute to Misses F, my never be forgotten miserable 8th grade teacher)…

      En portant la critique sur la légitimité des professeurs, vous faites le jeu de ceux qui défendent cette réforme en se payant de la fausse monnaie des clivages de principe, invoquant les heures sombres d’un “roman national” maréchaliste qui interdirait au citoyen de devenir “libre acteur du monde présent et futur”, pour diaboliser la critique et éviter le débat. Argument d’ailleurs très Vallsien, qui aime aussi à invoquer l’autorité, la république et les périls qui les menacent.

    • Descartes dit :

      @ Axelzzz

      [J’avais en tête une ancienne étude de l’institut montaigne qui à propos de l’insertion des jeunes dans la vie active montrait qu’à chaque grande étape de sélection (fin de scolarité obligatoire, orientation filière CAP/BEP vs BAC, BAC vs BCA+2 etc) à peu près 20% des effectifs quittent la voie générale – le plus souvent pour rencontrer des difficultés d’insertion professionnelle.]

      C’est déjà plus compréhensible. Mais il faut là aussi revenir aux fondamentaux et se demander ce que l’on veut. Imaginons un instant qu’on arrivait à organiser notre école de telle manière que 100% d’une classe d’âge arrivait au BAC+5. Qu’est ce qu’on ferait ensuite de tous ces mastérisés ? Il faudrait mettre des BAC+5 à ramasser les poubelles, à réparer les voitures, à ranger les marchandises dans les gondoles des supermarchés, à conduire les camions, à installent des câbles électriques, à élaguer les arbres et à travailler à la chaine dans les usines. Tous des honorables métiers qui sont nécessaires au fonctionnement de notre société, et qui resteront nécessaires demain dans une « autre » société, aussi juste soit elle.

      L’école ne peut être qu’à l’image de la société, puisqu’elle est là pour permettre la reproduction de celle-ci. Si le 80% des fonctions dont la société à besoin nécessitent une formation de niveau BAC, alors amener 80% de la population au niveau BAC+5 est une aberration économique. Bien entendu, on peut tout à fait défendre l’idée qu’une société ou tout le monde aurait un tel niveau serait plus agréable à vivre, plus civilisée, plus citoyenne. Mais il faut aussi admettre le fait que dans une telle société, des BAC+5 devront accepter de ramasser les poubelles. Parce que quelqu’un doit le faire. Or, qu’entend-t-on aujourd’hui ? La plainte permanente sur les « diplômés obligés d’accepter un métier en dessous de leur qualification ». Alors, il faudrait savoir ce qu’on veut.

      Alors, je vais vous dire en toute franchise ma position – quitte à me faire traiter d’élitiste : l’école n’a pas pour objectif d’effacer les hiérarchies sociales. S’il y a dans la société 20% de fonctions qui ne nécessitent pas le BAC, alors il y n’y a rien de scandaleux à ce que 20% des élèves sortent sans le BAC. S’il n’y a que 20% de fonctions qui nécessitent un BAC+5, alors il n’y a rien de scandaleux à ce que seulement 20% atteignent ce niveau. Là où l’école doit jouer un rôle social, c’est en permettant que ce 20% qui atteindra les plus hautes marches le fasse au mérite, et non parce que leurs parents ont un capital. C’est le sens même de « l’élitisme républicain ». L’école doit sélectionner l’élite, et la sélectionner au mérite. Parce que si l’école ne le fait pas, l’élite sera quand même sélectionnée… et pas précisément en fonction de ses « talents ».

      Pour le dire autrement, une école « progressiste » n’a pas pour fonction d’abolir les hiérarchies. C’est un objectif inatteignable dans une société hiérarchisée. Ce qu’elle peut faire, c’est faire en sorte que les cartes soient rebattues à chaque génération. C’est pourquoi les « classes moyennes » en ont peur. La dernière chose qu’elles veulent, c’est que les cartes soient rebattues, c’est-à-dire, que leurs enfants se trouvent en compétition avec les enfants des couches populaires pour l’accès aux postes. Et c’est pourquoi elles préfèrent une école faussement « égalitaire », qui permet de faire la sélection sociale ailleurs, dans des lieux ou les réseaux familiaux et sociaux jouent plus que le « mérite ».

      [- deuxièmement, vous dîtes que si la Sorbonne ne délivrait pas de diplôme reconnu par l’Etat personne n’y viendrait plus. Je note toutefois que lorsque X Niel crée une école d’informatique qui ne délivre pas de diplôme reconnu par l’Etat, les gens s’y pressent et il peut même organiser des épreuves de recrutement (L’EN par contre peine à trouver des candidats à ses concours…).]

      X. Niel n’a rien créé de nouveau. Pendant très longtemps il a existé des « écoles corporatives », institutions créées par certaines branches professionnelles et qui garantissaient à leurs élèves un emploi dans la corporation à la sortie. Dans ces cas, ce n’est pas l’Etat qui institue, mais la « corporation », et la chose fonctionne aussi longtemps que celle-ci est capable de tenir sa part du contrat. Or, cela n’est possible que dans des secteurs en forte croissance et pendant un temps relativement limité. On verra ce que deviendront les élèves de « l’école Niel » quand le marché de l’emploi informatique se retournera – cela s’est déjà produit – et que ces étudiants auront à faire valoir leur formation hors de la « corporation ». Nous pouvons chercher la réponse dans les exemples plus anciens : prenons par exemple les « écoles de métier » d’EDF, fondées après la guerre, lorsqu’il fallut trouver rapidement des compétences que l’Education nationale n’était pas en mesure de former. Ces écoles donnaient des « certificats » qui n’étaient reconnues qu’au sein des industries électriques et gazières. Et cela a très bien marché pendant quinze ans. Elles ont ensuite disparu progressivement, et leurs installations reconverties dans la formation continue.

      Je ne doute pas que si l’enseignement de la Philosophie dispensé par la Sorbonne garantissait un emploi à la sortie dans la corporation des philosophes, la Sorbonne n’aurait pas besoin de la reconnaissance de l’Etat pour trouver des étudiants. Mais dans la mesure où elle ne peut donner cette garantie, personne ne viendrait si les diplômes n’étaient pas reconnus.

      [Donc, la Nation n’est pas l’unique source de légitimité en matière éducative.]

      Non, bien sur que non. Les séminaires catholiques ou protestants, par exemple, ont une « légitimité » qui ne doit rien à l’Etat. Tout comme les écoles privées hors contrat, ou les « centres de formation » mises en place par certaines sectes. Mais la source de légitimité est toujours extérieure, elle n’est jamais dans l’enseignant lui-même. Un professeur de théologie qui attaquerait la légitimité de l’Eglise commettrait la même erreur qu’un professeur du public qui s’attaquerait à la Nation.

      [Elle l’est d’autant moins qu’une palette d’offres éducatives concurrente existe pour les niveaux supérieurs. Le succès pour le secondaire des écoles privées n’a rien à voir avec un retour de l’autorité du Pape dans nos contrées, mais avec la qualité perçue de l’enseignement qui y est proposé.]

      Je vous l’ai dit, le cas du supérieur est différent. Les élèves du supérieur sont des adultes, qui assistent aux cours par choix, et peuvent s’en dispenser si le cours ne leur convient pas. Quant au « succès des écoles privées », il reste très dépendant du fait que ces écoles préparent aux examens qui confèrent des diplômes reconnus par l’Etat. Si demain ce dernier décidait que le Bac ne sera plus accordé qu’aux élèves de l’enseignement public, le privé aurait un sérieux problème.

      [En revanche, vous estimez, si j’ai bien compris votre réponse, que le fait que les professeurs ne véhiculent pas un discours anti-national est une condition primordiale de leur légitimité, spécifiquement d’ailleurs pour les enseignants du publics, qui d’une certaine manière représentent l’Etat et donc la Nation.]

      Oui, tout à fait.

      [Par contre, et là nous sommes en désaccord, j’ai beaucoup de mal à croire que le problème des 20% viennent des discours anti-nationaux tenus par les profs d’histoire sous l’injonction des programmes de collège. Mais peut-être ai-je tort.]

      D’abord, je parlerais plus d’un discours « anti-institutionnel » que d’un discours « anti-national ». Ensuite, les professeurs n’ont pas eu besoin dans beaucoup de cas d’une quelconque « injonction » de leurs autorités pour tenir ces discours. « L’esprit de 68 » a souvent été largement suffisant. Quant aux problèmes du « 20% », je vous ai expliqué plus haut pourquoi c’est un faux problème.

      [En portant la critique sur la légitimité des professeurs, vous faites le jeu de ceux qui défendent cette réforme en se payant de la fausse monnaie des clivages de principe, invoquant les heures sombres d’un “roman national” maréchaliste qui interdirait au citoyen de devenir “libre acteur du monde présent et futur”, pour diaboliser la critique et éviter le débat. Argument d’ailleurs très Vallsien, qui aime aussi à invoquer l’autorité, la république et les périls qui les menacent.]

      J’avoue que je ne comprends pas votre remarque. En quoi je « ferais le jeu de ceux qui défendent cette reforme » en remarquant qu’un professeur ne détient sa légitimité que de l’institution, et donc en dernière instance de la Nation ? Et qu’en favorisant l’idée qu’on peut remettre en cause toute institution il ouvre la porte à la relativisation de son propre discours ?

    • Axelzzz dit :

      Bonsoir,
      désolé pour la réponse tardive et sans doute trop rapide dans cette discussion. Après réflexion, je crois que je comprends mieux certaines de vos positions quant à l’éducation, et je suis étonné d’être en fait plus en désaccord avec vous que je ne le pensais initialement.
      A propos des ‘20% qui quittent la voie générale’, votre réponse consiste en gros à prétendre que ce ne serait un problème à condition qu’on ait une demande pour du travail mieux qualifié que l’offre disponible (aujourd’hui et à l’avenir) ou dans le cas où la sélection des happy few qui décrochent un BAC+5 pour entrer dans le royaume des classes moyennes ne soit pas biaisée par les CSP des parents.
      Mon premier désaccord porte sur le premier point: l’argument qui consiste à caricaturer les critique de l’échec scolaire au prétexte qu’il conduirait à faire porter des poubelles par des spécialistes de l’araméen déclassés est tout simplement irréaliste. En effet, il se trouve que les jeunes qui sortent dans diplômes ou avec un diplôme inférieur au BAC se retrouvent bien plus souvent chômeurs que les autres (32% de chômage pour les non diplômés contre6% pour les BAC+5 trois ans après leur sortie du système scolaire – cf le graphique précité). Donc, pour le moment c’est plutôt l’inverse: notre économie recherche bien moins d’emploi non qualifiés que l’offre produite, en revanche les BAC+5 n’ont pas vraiment de difficulté à trouver un emploi (et à 6% de taux de chômage croyez moi ils ne choisissent pas tous de devenir éboueurs). Le phénomène de déclassement des diplôme existent dans le sens où un BAC+5 ne garantit pas un emploi de cadre alors que c’était le cas jusque dans les années 80. Cela est lié au déficit français de formation supérieure dans les générations qui ont passé leur bac jusque dans les années 80 qui s’est résorbé très rapidement dans les années 90-00. En effet, le taux de BAC+3 (College degree) sur les 25-64 ans était en 2013 de 32.1% inférieur à la moyenne OCDE (de 33.26%),alors que dans la classe d’age 25-34 ans, cette proportion est passée à 44% (loin des 80% dont l’inefficacité vous effraie tant) pour un moyenne OCDE de 40.5%. En somme la France a été plus lente à miser sur l’éducation supérieure massive relativement à d’autres pays développés comme le Canada, le Japon mais aussi évidemment les Etats Unis. Le Canada est aussi un cas intéressant puisque son économie parvient à absorber 53.2% des 25-64 ans qui ont un BAC+3 (57.8% pour les 25-34 ans). Bref, je vous engage à regarder un peu les comparaisons OCDE sur ce sujet, la comparaison internationale a plutôt tendance à conclure à une corrélation positive entre croissance potentielle et hausse du niveau éducatif de la population.
      Bref, je pense que l’échec scolaire (puis professionnel) reste un échec de notre système scolaire: produire 15-20% d’une génération de futurs illettrés a un coût économique et social bien plus lourd que la formation des BAC+5 qui ne deviennent pas CSP+.
      – Mon deuxième désaccord concerne votre vision ‘élitiste’ de l’école. Je n’ai rien contre l’élitisme ou disons la promotion de l’excellence. Par contre, je crois qu’il y a une contradiction entre la mission éducative et la mission de sélection sociale, surtout pour les jeunes enfants. En fait, si l’émulation est évidemment un ressort de motivation à tous les ages, je crois qu’il doit être tempéré et encadré surtout auprès d’enfants, potentiellement fragiles, mais aussi parfois agressifs ou violents. D’une certaine manière la guerre à 8 ans est potentiellement plus ‘sale’ qu’à 20ans. Pour que cet encadrement soit légitime, il est risqué que l’enjeu soit autre que l’apprentissage de sorte que l’autorité du professeur en la matière ne soit pas contestable. Or si faire entrer la société à l’Ecole c’est importer la lutte des classes dès l’école primaire et bien tous les moyens seront bons pour avancer dans cette lutte et la parole des professeurs sera bien impuissante face à la détermination de reproduction sociale des classes déjà dominantes. A mon avis, si on veut que la société accepte de donner un pouvoir régulateur au professeur, il ne faut pas que l’enjeu social soit trop élevé sinon les intérêts parleront plus fort que tout et bien trop tôt dans le développement.

      Enfin, je voudrais saluer le développement de NJ à propos des classes moyennes qui m’a permis d’approfondir ma compréhension de cette théorie.

    • Descartes dit :

      @ Axelzzz

      [Après réflexion, je crois que je comprends mieux certaines de vos positions quant à l’éducation, et je suis étonné d’être en fait plus en désaccord avec vous que je ne le pensais initialement.]

      J’espère que cela ne vous dissuadera pas d’intervenir ici… 😉

      [A propos des ‘20% qui quittent la voie générale’, votre réponse consiste en gros à prétendre que ce ne serait un problème à condition qu’on ait une demande pour du travail mieux qualifié que l’offre disponible (aujourd’hui et à l’avenir) ou dans le cas où la sélection des happy few qui décrochent un BAC+5 pour entrer dans le royaume des classes moyennes ne soit pas biaisée par les CSP des parents.]

      Je n’ai pas très bien compris ce paragraphe. Je vais donc essayer de clarifier ma position : il y a dans toute société une pyramide des emplois : il faut des gens pour ramasser les poubelles ou fabriquer des pièces à la chaîne tout comme il faut des gens pour guérir des maladies génétiques ou concevoir des microprocesseurs. A partir de là, si le système éducatif forme une « pyramide des connaissances » qui est très différente de la « pyramide des besoins », il y aura forcément des problèmes. Et en particulier, si la pyramide des connaissances est plus haute que celle des besoins, il faudra « déclasser » certains diplômés. En poussant à l’absurde, si tout le monde allait à BAC+5, il faudrait que des BAC+5 ramassent les poubelles.

      [Mon premier désaccord porte sur le premier point: l’argument qui consiste à caricaturer les critique de l’échec scolaire au prétexte qu’il conduirait à faire porter des poubelles par des spécialistes de l’araméen déclassés est tout simplement irréaliste. En effet, il se trouve que les jeunes qui sortent dans diplômes ou avec un diplôme inférieur au BAC se retrouvent bien plus souvent chômeurs que les autres (32% de chômage pour les non diplômés contre6% pour les BAC+5 trois ans après leur sortie du système scolaire – cf le graphique précité). Donc, pour le moment c’est plutôt l’inverse: notre économie recherche bien moins d’emploi non qualifiés que l’offre produite, en revanche les BAC+5 n’ont pas vraiment de difficulté à trouver un emploi (et à 6% de taux de chômage croyez moi ils ne choisissent pas tous de devenir éboueurs).]

      Votre raisonnement contient une erreur subtile. Imaginons que demain on fasse une loi qui interdit d’embaucher quelqu’un au dessous de sa qualification. En d’autres termes, dès lors que vous aurez un BAC, par exemple, tous les postes qui ne nécessitent pas un tel niveau de formation vous seraient fermés. Que se passerait-il alors à votre avis ? Et bien, vous verriez le chômage des non-qualifiés fondre comme neige au soleil, et celui des diplômés – surtout des BAC+2 – exploser. Le problème aujourd’hui n’est pas tant que la demande de travailleurs non qualifiés est inférieure au nombre d’élèves qui quittent tôt le système scolaire, mais plutôt que les postes non qualifiés sont de plus en plus occupés par des gens qualifiés.

      En fait, dans beaucoup de segments le niveau de formation a augmenté beaucoup plus vite que le niveau de qualifications requis par l’économie.

      [Le phénomène de déclassement des diplômes existent dans le sens où un BAC+5 ne garantit pas un emploi de cadre alors que c’était le cas jusque dans les années 80. Cela est lié au déficit français de formation supérieure dans les générations qui ont passé leur bac jusque dans les années 80 qui s’est résorbé très rapidement dans les années 90-00. En effet, le taux de BAC+3 (College degree) sur les 25-64 ans était en 2013 de 32.1% inférieur à la moyenne OCDE (de 33.26%),alors que dans la classe d’age 25-34 ans, cette proportion est passée à 44% (loin des 80% dont l’inefficacité vous effraie tant) pour un moyenne OCDE de 40.5%. En somme la France a été plus lente à miser sur l’éducation supérieure massive relativement à d’autres pays développés comme le Canada, le Japon mais aussi évidemment les Etats Unis.]

      Vous présentez les choses d’une drôle de façon. Si les diplômes BAC+5 permettaient d’accéder à un emploi de cadre, ce n’est pas parce qu’il y avait un « déficit » mais plutôt une « adéquation » de la formation supérieure aux besoins de l’économie.

      Vous semblez penser que le fait de former plus de diplômés que l’économie ne peut absorber n’a guère d’effet négatif. En fait, il en a un : celui de réduire l’importance de la sélection au mérite. En effet, du temps où tout BAC+5 obtenait un « bon » emploi, accéder à ce niveau était un très bon investissement. Un père ouvrier qui faisait des efforts importants pour que son fils y accède, un étudiant modeste qui faisait l’effort étaient surs d’être récompensés. Mais que se passe-t-il lorsque le diplôme ne garantit plus un « bon » emplois ? Lorsque tout le monde a le diplôme, qui choisit ceux qui ont les « bons » emplois et les autres ? Ce sont les réseaux familiaux…

      [Bref, je pense que l’échec scolaire (puis professionnel) reste un échec de notre système scolaire: produire 15-20% d’une génération de futurs illettrés a un coût économique et social bien plus lourd que la formation des BAC+5 qui ne deviennent pas CSP+.]

      Mais c’est quoi « l’échec scolaire » ? Ne pas avoir les connaissances ou ne pas avoir le diplôme ?

      [- Mon deuxième désaccord concerne votre vision ‘élitiste’ de l’école. Je n’ai rien contre l’élitisme ou disons la promotion de l’excellence. Par contre, je crois qu’il y a une contradiction entre la mission éducative et la mission de sélection sociale, surtout pour les jeunes enfants.]

      Le problème est que si l’école ne fait pas la « sélection sociale », elle se fera par d’autres mécanismes. Des mécanismes qui, on le sait, font beaucoup moins place au mérite et beaucoup plus aux réseaux familiaux et au statut social des parents.

      [En fait, si l’émulation est évidemment un ressort de motivation à tous les ages, je crois qu’il doit être tempéré et encadré surtout auprès d’enfants, potentiellement fragiles, mais aussi parfois agressifs ou violents. D’une certaine manière la guerre à 8 ans est potentiellement plus ‘sale’ qu’à 20ans. Pour que cet encadrement soit légitime, il est risqué que l’enjeu soit autre que l’apprentissage de sorte que l’autorité du professeur en la matière ne soit pas contestable.]

      Sur le principe, vous avez raison. Mais en pratique, si la sélection sociale se fait peu ou prou sur le mérite, alors il est impossible d’isoler l’enjeu de l’apprentissage des autres enjeux. La seule manière de faire que l’enjeu ne soit que l’apprentissage, il faudrait construire une société ou l’apprentissage n’aurait aucune conséquence sur l’avenir social ou professionnel. Est-ce ce type de société que nous voulons ?

      [Or si faire entrer la société à l’Ecole c’est importer la lutte des classes dès l’école primaire et bien tous les moyens seront bons pour avancer dans cette lutte et la parole des professeurs sera bien impuissante face à la détermination de reproduction sociale des classes déjà dominantes. A mon avis, si on veut que la société accepte de donner un pouvoir régulateur au professeur, il ne faut pas que l’enjeu social soit trop élevé sinon les intérêts parleront plus fort que tout et bien trop tôt dans le développement.]

      Oui, mais comment faire ?

    • Axelzzz dit :

      @Descartes

      Clarifions c’est toujours cela de gagné après tout.

      [Votre raisonnement contient une erreur subtile. Imaginons que demain on fasse une loi qui interdit d’embaucher quelqu’un au-dessous de sa qualification. En d’autres termes, dès lors que vous aurez un BAC, par exemple, tous les postes qui ne nécessitent pas un tel niveau de formation vous seraient fermés. Que se passerait-il alors à votre avis ? Et bien, vous verriez le chômage des non-qualifiés fondre comme neige au soleil, et celui des diplômés – surtout des BAC+2 – exploser. Le problème aujourd’hui n’est pas tant que la demande de travailleurs non qualifiés est inférieure au nombre d’élèves qui quittent tôt le système scolaire, mais plutôt que les postes non qualifiés sont de plus en plus occupés par des gens qualifiés.]

      Justement, comme souvent en économie, il ne s’agit pas uniquement de raisonner sur un système d’équations, mais d’identifier quel est le facteur marginal qui détermine l’équilibre. Votre raisonnement n’est pas faux il est inadapté à la situation française : il y a bien une question d’adéquation entre offre et demande de niveau de qualification. Ceci étant craindre un excès de formation en France est à mon avis en contradiction avec l’observation :
      – il n’y a pas en France de rejet de l’emploi non qualifié à cause de la surqualification générale comme vous le prétendez. Il y a simplement moins d’emploi à faible qualification : la part de l’emploi non qualifié (ouvriers et employés non qualifiés selon l’insee) est passée de 46.7% en 2000 à 36.9% en 2013 selon l’insee. Donc c’est plutôt une pénurie d’emploi à faible qualification qui pose des problèmes de chômage que l’excès de formation qui empêcherait les personnes peu qualifiée de trouver un emploi.
      – D’autre part, quand la proportion des diplômés mieux que BAC+3 est plus faible que la moyenne de l’OCDE et qu’au surplus les taux de chômage de cette population sont plus faibles que pour ceux moins bien diplômés, je considère qu’il est fort peu probable qu’on souffre d’un excès de BAC+3 dans ce pays (qui reste une économie développée tout de même). Il ne faut pas confondre perception du déclassement et déclassement réel – statistiquement, cela reste en moyenne un bon investissement de payer des études universitaires pour vos enfants (http://insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATnon03314)
      – Le niveau de compétence moyen de la population active française est en réalité faible relativement à ses concurrents (voir http://www.slate.fr/story/98225/france-probleme-formation-population). Ce n’est certainement pas les 17.5% d’élève qui sorte à 16 ans du système scolaire après un échec au Brevet qui va aider à améliorer cette réalité.
      – Bref, il y a bien un problème d’offre dans l’économie française (et un autre problème de demande lié à l’euro notamment c’est vrai) et une politique publique qui vise à atteindre le même niveau de formation supérieure que nos pays concurrents (le Canada ne serait-il pas un exemple à suivre ? la Corée est-elle en échec économique à cause du déclassement massifs des 67% des 25-34 ans qui ont un niveau licence ou plus ? non c’est plutôt l’inverse…
      – La raison pour laquelle l’emploi peu qualifié s’est proportionnellement réduit est en fait simple à comprendre : le salaire réel est trop élevé pour que ces emplois soient rentables. Il ne reste de plus en plus que ceux dont on ne peut pas se passer.

      [Vous semblez penser que le fait de former plus de diplômés que l’économie ne peut absorber n’a guère d’effet négatif. En fait, il en a un : celui de réduire l’importance de la sélection au mérite. En effet, du temps où tout BAC+5 obtenait un « bon » emploi, accéder à ce niveau était un très bon investissement. Un père ouvrier qui faisait des efforts importants pour que son fils y accède, un étudiant modeste qui faisait l’effort étaient surs d’être récompensés. Mais que se passe-t-il lorsque le diplôme ne garantit plus un « bon » emplois ? Lorsque tout le monde a le diplôme, qui choisit ceux qui ont les « bons » emplois et les autres ? Ce sont les réseaux familiaux…]

      Ah bon, apprendre à lire et à écrire à toute la population a-t-il cassé la promotion au mérite en empêchant ceux qui savaient lire de se distinguer? Peut-être… le bilan a été me semble-t-il bénéfique dans l’ensemble. Créer de nouvelles filières d’excellence n’est en fait pas très difficile. Les Grandes Ecoles sont sans doute inadaptées pour distinguer au mérite une élite au niveau BAC+5, mais au niveau recherche en sciences, par des parcours distinctifs dans d’autres domaines (c’est d’ailleurs en partie le fonctionnement de l’ENA ou des troupes d’élites dans l’armée). Bref, on peut tout à fait inventer des parcours ‘élitistes’ au mérite quel que soit le niveau éducatif moyen.

      [Mais c’est quoi « l’échec scolaire » ? Ne pas avoir les connaissances ou ne pas avoir le diplôme ?]

      Apparemment, les personnes sorties du système scolaire à 16 ans sans le niveau brevet des collèges posent un problème assez lourd de niveau de connaissances et de capacités d’adaptation, à mon avis.

    • Descartes dit :

      @ Axelzzz

      [- il n’y a pas en France de rejet de l’emploi non qualifié à cause de la surqualification générale comme vous le prétendez.]

      Pourtant, « l’observation » – je parle ici d’expérience – montre qu’on a du mal à trouver de jeunes soudeurs, plombiers, robinetiers ou chaudronniers pour travailler dans l’industrie (industrie chimique, installations nucléaires), alors que des diplômés bac+5 en sociologie, en histoire ou en lettres se voient obligés de vendre des chaussures, de travailler dans la restauration rapide ou de faire du centre d’appel.

      Je vous accorde que mon argument était schématique – difficile d’être précis dans un échange de blog. Il y a des grands écarts entre les branches et entre les filières d’études. Il n’y a pas « surqualification » en France dans la filière technique, alors qu’il y a une surqualification évidente dans certaines filières universitaires courtes, dans le droit ou les sciences humaines. Et ce n’est pas un hasard : les filières techniques restent sélectives, et les responsables résistent ongles et dents la politique ministérielle du « free for all ». On pourrait même leur reprocher un certain malthusianisme. Mais là où la sélection a disparu, on produit souvent bien plus de diplômés que l’économie ne peut absorber.

      [Il y a simplement moins d’emploi à faible qualification : la part de l’emploi non qualifié (ouvriers et employés non qualifiés selon l’insee) est passée de 46.7% en 2000 à 36.9% en 2013 selon l’insee.]

      Soit : mais le volant de travailleurs « non qualifiés », il est de combien ? Si l’on admet que notre système scolaire conduira demain 80% d’une classe d’âge à l’université, 37% d’emploi non-qualifié est très largement suffisant pour absorber les 20% restants. Le problème n’est pas qu’il manque des emplois non qualifiés, c’est qu’à salaire égal, les « qualifiés » prendront la place des « non-qualifiés ». Est-il raisonnable de dépenser de l’argent public pour « qualifier » des gens qui en fin de compte feront un travail « non qualifié » ? La question mérite d’être posée. La réponse n’est pas évidente, parce que le fait d’avoir une population hautement éduquée a d’autres conséquences que l’effet purement économique. Mais ce n’est pas une question qu’on peut balayer d’un revers de main.

      [Donc c’est plutôt une pénurie d’emploi à faible qualification qui pose des problèmes de chômage que l’excès de formation qui empêcherait les personnes peu qualifiée de trouver un emploi.]

      Si le niveau de formation était trop bas par rapport aux demandes de l’économie, on verrait plutôt un « effet de promotion » : devant le manque de « qualifiés », on verrait de « non qualifies » accéder à des postes qualifiés – eventuellement après formation maison. C’est ce qu’on observait au début des « trente glorieuses », lorsque les exigences en compétences liées à la reconstruction ne pouvaient être satisfaites par les qualifications disponibles. Pensez-vous qu’on observeaujourd’hui un tel phénomène ? Bien sur que non : on observe au contraire un « effet de déclassement », avec des « qualifiés » occupant des postes au dessous de leur qualification. Tiens, pour donner un exemple : la semaine dernière j’ai embauché dans mon service une secrétaire. En parcourant son CV, je découvre qu’elle a un DUT de comptabilité et un autre en administration des entreprises. A l’entretien, je m’étonne qu’une personne aussi qualifiée postule pour un poste de modeste secrétaire de service. Et en réponse, elle m’explique qu’elle veut travailler, et qu’elle ne trouve rien dans ses compétences depuis un an. Qu’est ce que cela vous suggère ?

      [- D’autre part, quand la proportion des diplômés mieux que BAC+3 est plus faible que la moyenne de l’OCDE et qu’au surplus les taux de chômage de cette population sont plus faibles que pour ceux moins bien diplômés, je considère qu’il est fort peu probable qu’on souffre d’un excès de BAC+3 dans ce pays (qui reste une économie développée tout de même).]

      Méfiez vous des comparaisons. Un « bac+3 » ne vaut pas la même chose ici et en Chine. Et je vous ai expliqué pourquoi les taux de chômage des diplômés sont plus faibles que ceux des non-diplômés : simplement, les « diplômés » prennent les postes des « non-diplômés ». Franchement, si vous aviez à recruter une secrétaire, et vous aviez pour le même prix une candidate qui a un honorable CAP ou Bac professionnel de secrétariat, et une autre avec un DUT de comptabilité et d’administration d’entreprises, laquelle prendriez-vous ?

      Je vous repose la question : si demain on faisait une loi interdisant d’embaucher quelqu’un au dessous de sa qualification, qui seraient à votre avis les gagnants et qui seraient les perdants ?

      [Il ne faut pas confondre perception du déclassement et déclassement réel – statistiquement, cela reste en moyenne un bon investissement de payer des études universitaires pour vos enfants (http://insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATnon03314)]

      Bien entendu, d’autant plus que les études universitaires sont gratuites. Si je paye un BAC+5 en sociologie a mon enfant, il finira vendeur des chaussures, alors qu’avec un BAC il a toutes les chances de finir au chômage. Par contre, je me demande si du point de vue global c’est un bon investissement pour la société.

      [- Le niveau de compétence moyen de la population active française est en réalité faible relativement à ses concurrents (voir http://www.slate.fr/story/98225/france-probleme-formation-population). Ce n’est certainement pas les 17.5% d’élève qui sorte à 16 ans du système scolaire après un échec au Brevet qui va aider à améliorer cette réalité.]

      Je n’attendais pas moins de Slate, l’un des organes les plus militants du « déclinisme » français. L’article de Slate fait référence à l’étude PIIAC de l’OCDE. Or, ces évaluations internationales posent toutes le même problème : in fine, elles examinent la conformité de la population à un modèle prédéfini. L’OCDE définit les « compétences » qu’un « travailleur du XXIème siècle » doit posséder, et examine la conformité à ce modèle. Et bien évidement, la définition du modèle impacte fortement les résultats. Il est d’ailleurs amusant de constater que dans le rapport final, dans les graphiques ou l’on établit la corrélation entre les « compétences » mesurées et la performance économique du pays, le moins qu’on puisse dire est que la corrélation n’est pas évidente.

      Curieusement – mais est-ce une coïncidence ? – on prête aujourd’hui une grande attention aux comparaisons internationales mais personne ne semble regarder l’évolution des indicateurs nationaux dans le temps. Pourtant, il est bien plus facile de comparer la France d’hier et la France d’aujourd’hui que la France et le Japon. Le problème, bien entendu, est idéologique. Si l’on compare hier et aujourd’hui, on arriverait à la conclusion que les performances du système éducatif se sont dégradées, alors même qu’on applique pourtant sans coup férir les injonctions issues des comparaisons internationales…

      [- Bref, il y a bien un problème d’offre dans l’économie française (et un autre problème de demande lié à l’euro notamment c’est vrai) et une politique publique qui vise à atteindre le même niveau de formation supérieure que nos pays concurrents (le Canada ne serait-il pas un exemple à suivre ? la Corée est-elle en échec économique à cause du déclassement massifs des 67% des 25-34 ans qui ont un niveau licence ou plus ? non c’est plutôt l’inverse…]

      Mais… si vous voulez que 67% – ou 80%, ou 100%, pourquoi se priver – des jeunes français aient la licence, le master ou le doctorat, cela ne présente aucune difficulté : il suffit de baisser le niveau d’exigence. Je suis toujours étonné de voir combien la magie du diplôme opère encore sur les gens en général et sur les statisticiens en particulier. Aux Etats-Unis, il y a des universités qui « vendent » le diplôme : j’en ai des publicités toutes les semaines dans ma boite mel. Si j’achète une « licence » pour quelque milliers de dollars, aurais-je augmenté le nombre de « licenciés » en France ?

      Bien sur que le Canada est « l’exemple a suivre » : pas d’euro, pas d’union européenne, une politique protectionniste, une production industrielle en hausse, une sélection rigoureuse des immigrants… c’est cela qui permet d’absorber le flux de diplômés et de les mettre au travail. Avec 10% de chômage, ni la Corée du Sud ni le Canada ne pourraient absorber leurs diplômés. Ils auraient exactement le même problème que nous : la substitution des « non qualifiés » par les « qualifiés », et le chômage pour les premiers.

      [- La raison pour laquelle l’emploi peu qualifié s’est proportionnellement réduit est en fait simple à comprendre : le salaire réel est trop élevé pour que ces emplois soient rentables. Il ne reste de plus en plus que ceux dont on ne peut pas se passer.]

      Bien entendu. Mais il en reste quand même suffisamment d’emplois non qualifiés pour les travailleurs non qualifiés. Le problème, c’est qu’il n’y a pas assez d’emplois qualifiés pour absorber les travailleurs qualifiés, d’où le phénomène de déclassement. Franchement, contestez-vous la réalité de ce phénomène, oui ou non ?

      [Ah bon, apprendre à lire et à écrire à toute la population a-t-il cassé la promotion au mérite en empêchant ceux qui savaient lire de se distinguer?]

      Vous noterez que cela ne s’est fait que lorsque les besoins de l’économie ont été tels que la demande de gens sachant lire et écrire dépasse de très loin l’offre. Et c’est pourquoi l’école primaire est devenue un facteur puissant de promotion sociale. Lorsque la demande et l’offre se sont équilibrées, l’école primaire a cessé d’être ce facteur de promotion. La question n’est pas ce qu’on enseigne, mais l’adéquation entre la demande d’une compétence et l’offre.

      [Créer de nouvelles filières d’excellence n’est en fait pas très difficile. Les Grandes Ecoles sont sans doute inadaptées pour distinguer au mérite une élite au niveau BAC+5, mais au niveau recherche en sciences, par des parcours distinctifs dans d’autres domaines (c’est d’ailleurs en partie le fonctionnement de l’ENA ou des troupes d’élites dans l’armée). Bref, on peut tout à fait inventer des parcours ‘élitistes’ au mérite quel que soit le niveau éducatif moyen.]

      Ce n’est pas si évident que cela. D’abord, parce qu’une « filière d’excellence » a besoin d’être reconnue. Ni Polytechnique, ni l’ENA, ni Oxford, ni Yale ne se sont faites en un jour. Il faut de très longues années pour que les gens issus de ces « formations d’excellence » soient reconnus, et pour que cette reconnaissance en retour pousse les meilleurs à chercher à y rentrer. On peut penser que les Grandes Ecoles – et les autres formations avec sélection – « sont inadaptées », mais elles ont le grand mérite d’exister. Tout casser conduirait à s’imposer une longue traversée du désert. C’est pourquoi à mon avis on ne peut dans ce domaine que construire en enrichissant l’existant.

      Par ailleurs, pendant que nous discutons si les Grandes Ecoles sont ou non adaptées, le système est en train d’être détruit sous nos yeux, avec la remise en cause de l’élément fondamental qui faisait du système un système d’excellence, à savoir, la sélection par concours. Avec la multiplication des « accès parallèles » (bien entendu, toujours sur dossier… ce qui permet un « repêchage » des classes moyennes) et autres « cycles internatinaux » ou « combinés », dans beaucoup d’écoles moins d’un élève sur deux passe par la « voie royale » – en fait la voie exigeante – du concours. Or, dégrader le produit d’entrée c’est dégrader le produit de sortie. Et en retour, si le produit de sortie se dégrade, le diplôme ne garantit plus le niveau d’embauche. Ce qui à son tour réduit l’intérêt pour les étudiants les plus modestes et leur famille de faire l’investissement.

      [Mais c’est quoi « l’échec scolaire » ? Ne pas avoir les connaissances ou ne pas avoir le diplôme ?][Apparemment, les personnes sorties du système scolaire à 16 ans sans le niveau brevet des collèges posent un problème assez lourd de niveau de connaissances et de capacités d’adaptation, à mon avis.]

      C’est le cas en France, parce que les diplômes réflètent – pour quelque temps encore – le véritable niveau de formation des gens. Mais on pourrait facilement réduire « l’échec scolaire » en faisant ce qu’on fait beaucoup de pays autour de nous : donner le diplôme à tout le monde. Ainsi, les personnes sorties du système scolaire à 16 ans sans diplôme ne poseraient plus aucun problème, puisqu’ils auront cessé d’exister. Bien entendu, ce seront certains diplômés qui poseront exactement les mêmes problèmes, mais pour les enquêtes de l’OCDE cela fait une mer de différence, parait-il…

  16. frederic_N dit :

    Bonjour Monsieur,
    Ce coup-ci je suis revenu vers vous par curiosité, et parce que je m’y attendais. Vous voilà frappé au cœur de vos convictions, car nous sommes face ne réforme scolaire, et que dans la vulgate de la gauche, c’est l’école-qui-forme-le-citoyen” ( en fait elle ne sert qu’à transmettre les savoirs fondamentaux) . Mais votre analyse est contradictoire et erronée
    Pourquoi ? Le cœur du débat , vous le savez bien ce sont les valeurs et/ou la transcendance de ces valeurs. Vous savez bien que l’école , l’éducation etc .. cela repose en Occident sur certaines valeurs , elle-même intimement liées à notre civilisation. Et lorsque vous parlez de Descartes vous sentez bien que dans la civilisation occidentale ( et non seulement française) le référent des valeurs communes se trouve être la philosophie ( mais vous avez tort pour Descartes , l’école de la république est kantienne – ou plutôt néokantienne – le maintien d’une tradition cartésienne étant quelque chose qui relève d’une certaine faiblesse française)
    Donc vous le sentez bien : le discours sur le citoyen hors sol , masque en fait l’abandon de l’éducation scolaire pour la masse au profit d’une dégradation sans fin de la transmission ( petite parenthèse ; en France du fait de nos valeurs, les riches payent pour l’éducation des pauvres comme jamais dans l’histoire des classes riches ont pu financer le rattrapage scolaire .. mais passons : dans la France d’aujourd’hui il faut “bouffer du riche” comme hier on “bouffait du curé” pour être entendu )
    Mais la où vous faites un glissement , c’est dans votre analyse des motivations profondes de ces enseignants du supérieur qui n’auraient jamais mis les pieds dans une salle de classe ( qu’Est-ce que vous en savez ? ) . Car bizarrement, vous quittez le terrain des valeurs et de leur abandon ( car c’est de l’abandon des valeurs dont il faut parler à leur propos) , pour celui très hasardeux de la sociologie ou de la psychosociologie , quand il s’git d’expliquer leur comportement
    En somme vous appliquez à ces pétitionneurs professionnels .. exactement ce que vous leur reprochez

    Non . Si vous voulez comprendre d’où vient cette attitude ( comprendre et pas seulement dénoncer). Il faut se situer sur ce fameux terrain de l’appropriation critique de notre histoire. Une appropriation qu’ils n’ont pas faite.
    . Le problème de ces professeurs est celui -là : l’université française a été totalement travaillée par le marxisme qui a irrigué quasi toutes les disciplines de sciences sociales – grâce soient rendues aux Américains, grâce à eux l’économie n’est pas aussi malade. Logiquement – quand on est intellectuel au moins – des événements comme les révolutions à l’est auraient dû interpeler, profondément remettre en question les fondements de disciplines qui se sont réellement montrées permissives à l’idéologie et à l’erreur. Cela aurait dû être la moindre des choses
    Ce travail n’a pas été fait . Il aurait du donner lieu , comme cela a été le cas dans les universités d’Allemagne de l’Est à une réévaluation des diplômes et des carrières effectuées sur le crédo communiste. Et le résultat est la lente déségrégation de cette idéologie qui cherche à perdurer – hier dans un certain structuralisme – aujourd’hui dans la critique à tout crin du passé ( Marx avait quand même raison puisque l’Europe n’a été que domination esclavagisme et brutalité c’est cela le “rationnel” des intellectuels que vous dénoncez ). Voilà où le bat blesse . Il est idéologique
    Or en essayant de refaire le coup de R Debray ‘ la lower intelligentsia’ , contre la ‘upper’ vous ne faites que reculer devant le même problème : comment se réapproprier non pas la tradition occidentale ( la politique en Occident c’est d’abord le libéralisme qui est sorti grandi de l’épisode communiste) mais la tradition de gauche malgré sa propre barbarie.
    Car au moins nous sommes d’accord : cette pétition c’est la barbarie en marche

    (1) Note sur critique. Je fais remarquer que lorsque nos charmants historiens/ sociologues bourdivens parlent de critique ils se trompent sur son sens. Critiquer cela n’a jamais été dénoncer le mal et dénoncer tel ou tel aspect de notre passé. Critiquer veut dire dans la tradition kantienne “limiter” : c’est simplement re-contextualiser ce que notre civilisation a eu de grand pour ne pas l’appliquer bêtement à notre situation
    On en est loin. Mais il vrai que pour les Bourdivens, comme pour les marxistes, Kant n’est qu’un adversaire des pauvres !

    • Descartes dit :

      @Frederic N

      [Pourquoi ? Le cœur du débat, vous le savez bien ce sont les valeurs et/ou la transcendance de ces valeurs. Vous savez bien que l’école, l’éducation etc .. cela repose en Occident sur certaines valeurs , elle-même intimement liées à notre civilisation.]

      Cela semble évident… mais en quoi le débat sur la « transcendance » de ces valeurs à quelque chose à voir avec la choucroute ? Vous me donnez tort un peu trop vite je crois. Plus bas, vous affirmez que l’école de la République serait « néo-kantienne ». Comment concilier cette affirmation avec l’idée que le cœur du débat scolaire serait « la transcendance » des valeurs ? Si ma mémoire ne me trompe pas, le néo-kantiens ne sont pas très partisans des « valeurs transcendantes ».

      [petite parenthèse ; en France du fait de nos valeurs, les riches payent pour l’éducation des pauvres comme jamais dans l’histoire des classes riches ont pu financer le rattrapage scolaire…]

      Faux. En fait, rarement les riches auront payé aussi peu pour l’éducation des pauvres. L’impôt sur le patrimoine est aujourd’hui particulièrement faible, l’impôt sur les sociétés est largement contourné et les riches ont toutes sortes de manières pour éviter l’impôt. La charge fiscale est aujourd’hui portée essentiellement par les classes moyennes à travers l’impôt sur le revenu et les impositions indirectes. J’ajoute qu’il n’y aurait rien de scandaleux à ce que les riches payent pour l’éducation des pauvres. Après tout, ce sont les riches qui en bénéficient largement, puisque cette éducation met à leur disposition une main d’œuvre disciplinée et compétente…

      [mais passons : dans la France d’aujourd’hui il faut “bouffer du riche” comme hier on “bouffait du curé” pour être entendu]

      Vous trouvez ? J’aurais tendance à penser le contraire : je ne me souviens pas avoir entendu depuis belle lurette un membre du gouvernement français « bouffer du riche » publiquement. Au contraire, je crois avoir entendu un des ministres le plus en cours déclarer « il faudrait que les jeunes français aient envie de devenir milliardaires ». Croyez-moi : si les riches étaient persécutés, ça se saurait. Et si la vie du riche est trop dure, il a toujours l’option de devenir pauvre, alors que l’option inverse n’est guère ouverte aux pauvres.

      [Mais là où vous faites un glissement , c’est dans votre analyse des motivations profondes de ces enseignants du supérieur qui n’auraient jamais mis les pieds dans une salle de classe ( qu’Est-ce que vous en savez ? ) .]

      Le cas d’enseignants universitaires qui enseignent aussi dans le secondaire est très exceptionnel. Un tel cumul d’emplois nécessite une autorisation administrative assez difficile à obtenir…

      [Car bizarrement, vous quittez le terrain des valeurs et de leur abandon ( car c’est de l’abandon des valeurs dont il faut parler à leur propos) , pour celui très hasardeux de la sociologie ou de la psychosociologie , quand il s’git d’expliquer leur comportement]

      Je ne vois pas très bien ce que les « valeurs » viennent faire dans cette histoire. Que vous soyez obsédé par les « valeurs », c’est votre droit. Mais je peux vous assurer que ce n’est pas mon cas.

      [En somme vous appliquez à ces pétitionneurs professionnels… exactement ce que vous leur reprochez]

      Je ne leur « reproche » rien du tout. Je note simplement un fait : pour écrire une tribune défendant la réforme du collège proposée par le gouvernement, celui-ci ne trouve de meilleurs avocats que des enseignants du supérieur.

      [Le problème de ces professeurs est celui -là : l’université française a été totalement travaillée par le marxisme qui a irrigué quasi toutes les disciplines de sciences sociales – grâce soient rendues aux Américains, grâce à eux l’économie n’est pas aussi malade.]

      Faudrait savoir. Si le « marxisme » – il n’y a rien à faire, il y a toujours un fantasme qui parcourt l’Europe – a « irrigué toutes les disciplines de sciences sociales » dans l’université française, alors l’Economie devrait elle aussi être « marxisée ». Pour quiconque prend le temps de lire quelques publications d’universitaires français, c’est clair que ce n’est pas le cas. Ce n’est pas non plus le cas dans une autre « discipline de sciences sociales », le Droit. Il faudrait donc nuancer un peu votre propos sur le « travail » fait par le marxisme dans l’université française…

      En fait, le « marxisme » semble jouer pour vous le même rôle que le Diable pour certaines sectes puritaines. Tout ce qui vous déplaît lui est attribuable, sans qu’il soit nécessaire d’argumenter plus avant. Remarquez, vous n’êtes pas le seul, si ça peut vous consoler…

      [Logiquement – quand on est intellectuel au moins – des événements comme les révolutions à l’est auraient dû interpeler, profondément remettre en question les fondements de disciplines qui se sont réellement montrées permissives à l’idéologie et à l’erreur. Cela aurait dû être la moindre des choses]

      Oh, vous savez… l’idéologie du capitalisme néo-libéral s’est montrée fort permissive avec les différentes formes de fascisme. Rappelez-vous de Ronald Reagan qualifiant les Talibans afghans de « combattants de la liberté », ou de Margaret Thatcher défendant bec et ongles le général Pinochet. Et pourtant, je ne me souviens pas que les échecs des uns et des autres aient provoqué une sérieuse remise en cause chez ceux qui portaient cette idéologie. Croyez-moi, l’absence de retour critique n’est pas le monopole des « marxistes ».

      [Ce travail n’a pas été fait. Il aurait du donner lieu, comme cela a été le cas dans les universités d’Allemagne de l’Est à une réévaluation des diplômes et des carrières effectuées sur le crédo communiste.]

      En d’autres termes, une bonne chasse aux sorcières. Pourquoi pas. On pourrait ensuite procéder à la « réévaluation des diplômes et des carrières » effectuées sous le crédo néo-libéral, dont les principes et les conclusions se sont, là aussi, révélées fausses de l’aveu même de figures libérales aussi notables qu’un ancien président de la Réserve Fédérale américaine…

      [Et le résultat est la lente déségrégation de cette idéologie qui cherche à perdurer – hier dans un certain structuralisme – aujourd’hui dans la critique à tout crin du passé (Marx avait quand même raison puisque l’Europe n’a été que domination esclavagisme et brutalité c’est cela le “rationnel” des intellectuels que vous dénoncez ). Voilà où le bat blesse . Il est idéologique]

      Bien. Vous avez fait votre numéro. Le grand coupable de tout, c’est le « marxisme ». Le problème, c’est qu’il ne suffit pas d’affirmer, il faudrait exposer ne serait-ce qu’un rudiment de raisonnement. D’abord, le « marxisme » n’a jamais « affirmé que l’Europe n’a été que domination esclavagisme et brutalité ». Si vous aviez lu Marx, vous ne lui attribueriez probablement pas une affirmation aussi schématique, qui est à l’opposé du raisonnement marxiste. D’abord, pour un marxiste « l’Europe » n’existe pas. Ce sont les rapports de production, et non le cadre géographique qui sont déterminants. Ensuite, Marx s’étend longuement sur le caractère révolutionnaire de la bourgeoisie comme classe, très loin du manichéisme que vous lui attribuez.

      Il est pratiquement impossible de discuter avec quelqu’un qui a du monde une vision paranoïaque. Pour vous, le « marxisme » est une espèce de démon qui concentre et explique tous les maux du monde. Et comme dans toute vision paranoïaque, le démon ne peut jamais être défait. Vous proclamez la victoire des forces du Bien et le triomphe sans partage du « libéralisme », et dans la phrase suivante vous continuez à vous plaindre que le « marxisme » continue à dominer l’université française. Faudrait savoir : on a gagné la guerre froide ou pas ?

      Le problème des « guerriers froids », c’est qu’ils tombent sous la malédiction qu’avait prononcé Unamuno en son temps : « vous pourrez vaincre, mais pas convaincre ». Le libéralisme a beau s’être imposé politiquement, il n’a toujours pas été capable de décrire un futur désirable capable de mobiliser les jeunes et les moins jeunes dans une œuvre collective. L’adhésion au libéralisme est en fait une adhésion du bout des lèvres, une adhésion à « la pire des solutions à l’exclusion des autres », comme l’avait dit, avec un certain sens de la prémonition, ce vieux Churchill.

      Le néo-libéralisme qui vous plaît tant est un fait une idéologie de la mesquinerie, la conviction que puisque nous ne pouvons bâtir un monde meilleur, contentons-nous d’être riches et de consommer. Après, étonnez-vous que les jeunes aillent se chercher un « cause » auprès des mouvements sectaires islamistes ou pas qui sont les seuls à proposer quelque chose qui aille au-delà d’un portefeuille bien rempli comme horizon indépassable de la réalisation personnelle…

      [comment se réapproprier non pas la tradition occidentale ( la politique en Occident c’est d’abord le libéralisme qui est sorti grandi de l’épisode communiste)]

      Pour votre information, Hitler ou Mussolini font partie, eux aussi, de « la politique en occident ». Le libéralisme n’est que l’une des facettes de la tradition occidentale…

    • stu dit :

      @ Descartes :

      [Bien entendu, on peut tout à fait défendre l’idée qu’une société ou tout le monde aurait un tel niveau serait plus agréable à vivre, plus civilisée, plus citoyenne.]

      Réponse humoristique en images : http://www.smbc-comics.com/comics/20150124.png

    • odp dit :

      @ Frédéric_N

      Bonjour,

      Descartes a déjà répondu à votre commentaire, mais je souhaiterais y ajouter quelques compléments.

      Vous dites en effet qu’en France les riches payent “comme jamais” pour les pauvres. J’aimerais savoir sur quelles bases vous effectuez cette affirmation ? Certes les prélèvements obligatoires et les dépenses publiques sont au plus haut depuis 50 ans; mais pour justifier votre assertion, il faudrait que ces prélèvements soient redistributifs.

      Or, comme vous le savez, le seul prélèvement véritablement redistributif dans le système fiscal français est l’IR qui ne représente qu’une très faible part des ressources publiques (moins de 10%). La grande masse des prélèvements est constituée des cotisations sociales qui, pour l’essentiel, constituent des droits différés (retraite, maladie, chômage) et ne sont donc pas redistributives et de la TVA qui, bien que pas aussi anti-redistributive que le dise généralement les gauchistes, n’est pas non plus un modèle de transfert social. Par ailleurs, de nombreuses prestations sont versées sans conditions de revenu (par ex. les allocations familiales) et gomment le caractère redistributif de l’Etat providence.

      De fait, des économistes (Camille Landais, François Bourguignon, Dominique Bureau) ont montré que, contrairement aux idées reçues dont vous vous faites le héraut enthousiaste, la redistribution de l’impôt et des transferts publics sans contrepartie est inférieure en France à celle réalisée en Angleterre, en Belgique, en Allemagne ou encore en Italie. Etonnant non ? Mais vrai. Si vous ne me croyez pas, jetez un coup d’œil à ces études : http://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2007-1-page-116.htm, http://www.cae-eco.fr/IMG/pdf/017.pdf. C’est ainsi l’une des caractéristiques du système fiscal français que de mécontenter tout le monde : les riches parce qu’il est tentaculaire et omniprésent et les pauvres parce qu’il est faiblement redistributif.

      Pour être tout à fait honnête, il y a, dans le raisonnement de nos experts, une légère impasse, qui est de considérer que les prélèvements sociaux sont strictement neutres sur le plan redistributif, ce qui est probablement inexact, surtout pour la branche maladie et, à un degré moindre, pour la branche retraite ; mais le tableau général reste celui d’une redistribution réelle probablement très inférieure aux perceptions et clichés.

      Par ailleurs, au-delà de cette stricte analyse fiscale, il faut, avant de crier au richicide, prendre en compte les éléments de structure, i.e. le cadre général dans lequel se déroule la vie économique ; et, en la matière, je doute que même le lecteur de Valeurs Actuelles que vous êtes probablement puisse contester qu’entre riches et pauvres, le vainqueur de la lutte des classes, ce sont bien les riches. Liberté de circulation des capitaux, abaissement des barrières douanières, mise en concurrence frontale des salariés des pays développés avec ceux des pays en voie de développement, financiarisation de l’économie, baisse des tranches marginales de l’IR : au cours des 50 dernières années, il n’a jamais été aussi bon d’être riche et aussi mauvais d’être pauvre, comme le montre d’ailleurs le creusement constant des inégalités tant de revenus que de patrimoine.

      Aussi, avant de claironner sur un ton par ailleurs péremptoire ce qu’il est difficile de ne pas appeler des âneries, bossez vos dossiers. En économie, c’est bien de faire référence à Kant ; connaître les faits, c’est encore mieux. Je vous engage à vous y atteler.

    • Descartes dit :

      @ odp

      [@ Frédéric_N]

      Je me permets de réintervenir sur votre réponse pour préciser quelques points :

      [Or, comme vous le savez, le seul prélèvement véritablement redistributif dans le système fiscal français est l’IR qui ne représente qu’une très faible part des ressources publiques (moins de 10%).]

      Vous confondez deux choses : le caractère « progressif » et le caractère « redistributif ». Un impôt, par essence, ne peut être « redistributif ». Ce n’est qu’en comparant la distribution sociale du prélèvement et la distribution sociale de la dépense publique qu’on peut conclure au caractère ou non « redistributif » du système. Pour vous donner un exemple extrême : imaginons un système fiscal qui se réduirait à un impôt sur le revenu fortement progressif, mais dont la totalité du prélèvement serait distribuée sous forme de prime aux riches. Diriez-vous qu’un tel système – fortement « progressif » – est pour autant « redistributif » ?

      Vous avez raison de souligner que notre système fiscal est faiblement « progressif », et le devient d’ailleurs de moins en moins au fur et à mesure que taux des taxes « progressives » (impôt sur le revenu, ISF, taxation des plusvalues et des successions) sont réduites, non seulement directement mais aussi par le jeu des « niches » diverses et variées. L’essentiel du budget de l’Etat et des collectivités est alimenté par des taxes « proportionnelles » (TVA, TICPE, CSG, CRDS, taxe d’habitation, taxe foncière, etc.) mais qui ne sont pas, ou alors faiblement, « progressives ».

      Mais cela n’implique nullement que le système ne soit pas redistributif : un système à prélèvements proportionnels mais qui concentre les dépenses sur les couches les plus pauvres de la population resterait fortement redistributif quand bien même les prélèvements seraient purement « proportionnels ».

      [Par ailleurs, de nombreuses prestations sont versées sans conditions de revenu (par ex. les allocations familiales) et gomment le caractère redistributif de l’Etat providence.]

      Là encore, cela dépend. Une allocation servie sans condition de revenu mais qui de facto bénéficie préférentiellement aux couches modestes peut être « redistributive ». Ainsi, par exemple, les subventions aux transports en commun dans certains quartiers ont un effet « redistributif » alors même que ces transports sont accessibles sans condition de revenu.

      [Par ailleurs, au-delà de cette stricte analyse fiscale, il faut, avant de crier au richicide, prendre en compte les éléments de structure, i.e. le cadre général dans lequel se déroule la vie économique ; et, en la matière, je doute que même le lecteur de Valeurs Actuelles que vous êtes probablement puisse contester qu’entre riches et pauvres, le vainqueur de la lutte des classes, ce sont bien les riches.]

      Je pense en effet que c’est l’approche la plus incontestable. Quelque soient les difficultés de la mesure du taux réel de redistribution, il est incontestable que les trente dernières années ont vu une concentration de la richesse, dont témoignent les indicateurs de consommation et de niveau de vie des couches les plus riches. C’est particulièrement vrai lorsqu’on regarde l’accumulation patrimoniale.

    • odp dit :

      @ Descartes

      Toutes les précisions que vous apportez à mon commentaire sont justes. C’est en effet par abus de langage que j’ai (ainsi que les auteurs de ces études) substitué “redistributif” à “progressif” pour parler des différents impôts. C’est le système fiscal dans son ensemble qui est redistributif ou non, pas les impôts (qui ne sont qu’une partie de l’équation) en tant que tels.

      Néanmoins, la logique implicite quand on qualifie un impôt de redistributif au lieu de simplement progressif c’est aussi qu’on part du principe que ce qui est proportionnel au revenu n’est pas redistributif. C’est contestable car on pourrait dire qu’à partir du moment où les contributions au “budget commun” (partons du principe que l’Etat n’exerce que des fonctions régaliennes) ne sont pas équivalentes, l’impôt est redistributif par nature. Néanmoins, tout cela est très théorique, car, à moins d’imaginer une société sans hiérarchie de revenu ou de patrimoine, aucun système fiscal, même le plus archaïque, ne peux “tenir” sur la base d’une contribution “égale” de chacun de ses membres.

      Aussi, il n’est donc pas si illégitime, quand on regarde la partie prélèvement, de considérer qu’un système strictement proportionnel n’est pas “redistributif”, quitte à corriger cette appréciation par la partie “prestation” pour aboutir à un jugement sur le système fiscal dans son ensemble. On pourrait en effet avoir des prélèvements “non redistributif” mais des prestations suffisamment “redistributives” pour que le système dans son ensemble soit redistributif; et vice-versa.

      Dans les faits néanmoins, je ne pense pas, pour des raisons politiques, qu’un système de prélèvement strictement proportionnel puisse être significativement redistributif.

    • Descartes dit :

      @ odp

      [Néanmoins, la logique implicite quand on qualifie un impôt de redistributif au lieu de simplement progressif c’est aussi qu’on part du principe que ce qui est proportionnel au revenu n’est pas redistributif.]

      Exactement. Mais cette idée – malheureusement extrêmement répandue à gauche – est fausse. Ce qui fait la redistribution, c’est que le schéma de prélèvement et le schéma de dépense ne sont pas les mêmes.

      [C’est contestable car on pourrait dire qu’à partir du moment où les contributions au “budget commun” (partons du principe que l’Etat n’exerce que des fonctions régaliennes) ne sont pas équivalentes, l’impôt est redistributif par nature.]

      Non, non, non et non. Si je fais un impôt progressif, et qu’ensuite je dépense cet argent en une prime qui est elle aussi calculée avec la même progressivité (ce qui revient à redonner à chacun ce qu’il a payé), j’ai un impôt « progressif » sans la moindre redistribution. A l’opposé, si j’ai un système d’impôt proportionnel au revenu et que je le distribue ensuite sous forme d’une prime inversement proportionnelle au revenu, j’aurai un système redistributif avec un impôt non progressif. Encore une fois, l’impôt n’est jamais « par nature » redistributif ou pas. C’est la comparaison de la distribution de la perception et de la distribution de la dépense qui fait qu’un système est ou non « redistributif ».

      [Néanmoins, tout cela est très théorique, car, à moins d’imaginer une société sans hiérarchie de revenu ou de patrimoine, aucun système fiscal, même le plus archaïque, ne peux “tenir” sur la base d’une contribution “égale” de chacun de ses membres.]

      Bien sur que si. Certains pays ont – ou ont eu pendant longtemps – des « taxes à la personnne » (la fameuse « poll tax » anglaise) totalement « égale » pour chaque personne. En France, ces taxes existent même si elles sont marginales – et souvent présentées comme des redevances, d’ailleurs. Ainsi par exemple la redevance audiovisuelle est « égale » quelque soit votre revenu.

      [Dans les faits néanmoins, je ne pense pas, pour des raisons politiques, qu’un système de prélèvement strictement proportionnel puisse être significativement redistributif.]

      Je vous le répète, c’est inexact : On pourrait par exemple imaginer parfaitement que l’Etat soit financé exclusivement par des taxes proportionnelles sur la consommation et sur le revenu, et que l’argent ainsi prélevé soit dépensé préférentiellement pour aider les couches populaires. Et politiquement, un tel système est beaucoup plus facile à faire accepter qu’un système de taxation progressive.

    • odp dit :

      @ Descartes

      [[C’est contestable car on pourrait dire qu’à partir du moment où les contributions au “budget commun” (partons du principe que l’Etat n’exerce que des fonctions régaliennes) ne sont pas équivalentes, l’impôt est redistributif par nature.]

      Non, non, non et non. Si je fais un impôt progressif, et qu’ensuite je dépense cet argent en une prime qui est elle aussi calculée avec la même progressivité (ce qui revient à redonner à chacun ce qu’il a payé), j’ai un impôt « progressif » sans la moindre redistribution. A l’opposé, si j’ai un système d’impôt proportionnel au revenu et que je le distribue ensuite sous forme d’une prime inversement proportionnelle au revenu, j’aurai un système redistributif avec un impôt non progressif. Encore une fois, l’impôt n’est jamais « par nature » redistributif ou pas. C’est la comparaison de la distribution de la perception et de la distribution de la dépense qui fait qu’un système est ou non « redistributif ».]

      Franchement, vous me faites un bien mauvais procès et j’ai l’impression que vous n’avez pas pris la peine de bien lire ce que j’avais écris. J’ai indiqué au début de ma réponse que c’était par abus de langage que j’avais qualifié tel ou tel impôt de redistributif plutôt que de progressif et que c’était bien évidemment le système fiscal dans son ensemble qu’il fallait prendre en compte. C’est d’ailleurs ce que j’ai fait, puisque c’est sur la base de l’analyse “transferts”, qui par définition combinent “entrées” et “sorties”, que j’ai qualifié le système français de faiblement redistributif par rapport aux systèmes britanniques, allemands, belges ou italiens.

      En revanche, ceci posé, je me suis interrogé (à voix haute si j’ose dire) sur les raisons qui présidaient à cet abus de langage et je suis arrivé à la conclusion a) que tout système fiscal était au minimum “proportionnel” et non “égalitaire” et b) que tout système de prélèvement strictement proportionnel ne pouvait avoir, pour des raisons politiques, que de maigres effets redistributifs; justifiant, d’une certaine façon, l’abus de langage considéré.

      Vous pouvez contester ces conclusions; mais il est en revanche inutile de rappeler avec autant insistance que c’est le bilan des prélèvements et des transferts qu’il prendre en considération car non seulement j’en ai déjà convenu mais qui plus est c’est évident. Il ne faut pas confondre abus de langage et erreur de raisonnement.

      [[Néanmoins, tout cela est très théorique, car, à moins d’imaginer une société sans hiérarchie de revenu ou de patrimoine, aucun système fiscal, même le plus archaïque, ne peux “tenir” sur la base d’une contribution “égale” de chacun de ses membres.]

      Bien sur que si. Certains pays ont – ou ont eu pendant longtemps – des « taxes à la personne » (la fameuse « poll tax » anglaise) totalement « égale » pour chaque personne. En France, ces taxes existent même si elles sont marginales – et souvent présentées comme des redevances, d’ailleurs. Ainsi par exemple la redevance audiovisuelle est « égale » quelque soit votre revenu.]

      Là encore, pour une raison qui m’échappe, vous me prenez pour un imbécile. Je n’ai jamais dit qu’il n’existait pas d’impôt qui soit égal pour chaque contribuable car de fait il en existe – plutôt des redevances d’ailleurs, comme vous l’avez indiqué, dans presque tous les systèmes fiscaux. J’ai simplement dit qu’un système fiscal (un système, pas un impôt) reposant sur une contribution égale de chacun de ses membres ne pourrait “tenir” (tout simplement parce que si il fallait se “régler” sur la capacité contributive du plus pauvre des contribuables, le produit de l’impôt serait insuffisant, même pour les fonctions les plus basiques de l’Etat régalien) et par conséquent que tout système fiscal était à tout le moins “proportionnel” à la capacité contributive de chacun.

      [[Dans les faits néanmoins, je ne pense pas, pour des raisons politiques, qu’un système de prélèvement strictement proportionnel puisse être significativement redistributif.]

      Je vous le répète, c’est inexact : On pourrait par exemple imaginer parfaitement que l’Etat soit financé exclusivement par des taxes proportionnelles sur la consommation et sur le revenu, et que l’argent ainsi prélevé soit dépensé préférentiellement pour aider les couches populaires. Et politiquement, un tel système est beaucoup plus facile à faire accepter qu’un système de taxation progressive.]

      Et bien je pense que vous vous trompez. D’ailleurs, si c’était plus simple politiquement et aussi efficace socialement, le type de système que vous décrivez aurait déjà fait école.

      De la même manière qu’un système de prélèvement “égalitaire” ne permet pas, dans la vraie vie, la création d’un Etat digne de ce nom, un système de prélèvement strictement proportionnel ne permet pas, dans la vraie vie, la création d’un Etat-providence fortement redistributif; et pour la même raison: on butte sur les capacités contributives des plus pauvres.

      En théorie, on peut bien sûr “imaginer” un système de prélèvements strictement proportionnel et de prestations fortement redistributives, mais dans la pratique ça n’existe pas; car il y aura toujours des trous dans le système de redistribution (i.e. des citoyens défavorisés qui profitent pas des prestations gratuites qui leur sont offertes) qui feront du prélèvement proportionnel une charge trop lourde pour des pans entiers des classes populaires, rendant l’impôt progressif en réalité beaucoup plus efficace.

      La TVA est un bon exemple des limites de la “flat tax”: voilà un bel et bon impôt qui correspond parfaitement à celui que vous décrivez ; et pourtant presque partout il y a plusieurs taux de TVA pour la simple et bonne raison s’il ne devait ne devait y en avoir qu’un il serait soit trop lourd pour les achats “obligatoires” des classes populaires (alimentation, énergie) soit insuffisant pour les caisses de l’Etat.

      Tous les systèmes fiscaux des pays développés incluent une bonne dose de progressivité dans les prélèvements: ce n’est pas un hasard: c’est en effet le plus efficace. D’ailleurs, les partisans des “flat tax” sont en général des libéraux qui veulent réduire l’Etat à sa portion congrue.

    • Descartes dit :

      @ odp

      [Franchement, vous me faites un bien mauvais procès et j’ai l’impression que vous n’avez pas pris la peine de bien lire ce que j’avais écris. J’ai indiqué au début de ma réponse que c’était par abus de langage que j’avais qualifié tel ou tel impôt de redistributif plutôt que de progressif et que c’était bien évidemment le système fiscal dans son ensemble qu’il fallait prendre en compte.]

      Oui. Mais dans le paragraphe suivant, vous avez fait comme si de rien n’était et recommencé cet « abus de langage ». D’où ma réponse.

      [(…) je suis arrivé à la conclusion a) que tout système fiscal était au minimum “proportionnel” et non “égalitaire” et b) que tout système de prélèvement strictement proportionnel ne pouvait avoir, pour des raisons politiques, que de maigres effets redistributifs; justifiant, d’une certaine façon, l’abus de langage considéré.]

      Vous confondez « arriver à une conclusion » et « affirmer ». Pour « arriver à une conclusion », il faut exposer un raisonnement. Or, je vois mal par quel raisonnement vous arrivez à ces conclusions. D’autant plus qu’il est facile de donner des contre-exemples.

      [Vous pouvez contester ces conclusions; mais il est en revanche inutile de rappeler avec autant insistance que c’est le bilan des prélèvements et des transferts qu’il prendre en considération car non seulement j’en ai déjà convenu mais qui plus est c’est évident.]

      Vous avez beau avoir « convenu », dans le paragraphe qui suit vous refaites le même raisonnement comme si de rien n’était. Vous m’obligez donc à rappeler avec une certaine insistance l’erreur sur laquelle ce raisonnement est fondé.

      [Bien sur que si. Certains pays ont – ou ont eu pendant longtemps – des « taxes à la personne » (la fameuse « poll tax » anglaise) totalement « égale » pour chaque personne. En France, ces taxes existent même si elles sont marginales – et souvent présentées comme des redevances, d’ailleurs. Ainsi par exemple la redevance audiovisuelle est « égale » quelque soit votre revenu.][Là encore, pour une raison qui m’échappe, vous me prenez pour un imbécile.]

      Le commentaire me brûle les lèvres… mais je m’abstiendrai au nom de la courtoisie.

      [Je n’ai jamais dit qu’il n’existait pas d’impôt qui soit égal pour chaque contribuable car de fait il en existe – plutôt des redevances d’ailleurs, comme vous l’avez indiqué, dans presque tous les systèmes fiscaux. J’ai simplement dit qu’un système fiscal (un système, pas un impôt) reposant sur une contribution égale de chacun de ses membres ne pourrait “tenir” (tout simplement parce que si il fallait se “régler” sur la capacité contributive du plus pauvre des contribuables, le produit de l’impôt serait insuffisant, même pour les fonctions les plus basiques de l’Etat régalien) et par conséquent que tout système fiscal était à tout le moins “proportionnel” à la capacité contributive de chacun.]

      Vous posez comme principe que « si il fallait se “régler” sur la capacité contributive du plus pauvre des contribuables, le produit de l’impôt serait insuffisant, même pour les fonctions les plus basiques de l’Etat régalien » comme si c’était une évidence. Mais ce n’est pas le cas. Prenons le cas d’un pays dont les citoyens – même les plus pauvres – sont relativement riches et dont les fonctions régaliennes sont relativement limités… tiens, par exemple la Suisse. Pensez-vous que si je divise le coût des fonctions régaliennes de l’Etat fédéral suisse par le nombre de citoyens majeurs j’arriverais à une somme prohibitive pour les couches les plus pauvres de la collectivité ?

      [Je vous le répète, c’est inexact : On pourrait par exemple imaginer parfaitement que l’Etat soit financé exclusivement par des taxes proportionnelles sur la consommation et sur le revenu, et que l’argent ainsi prélevé soit dépensé préférentiellement pour aider les couches populaires. Et politiquement, un tel système est beaucoup plus facile à faire accepter qu’un système de taxation progressive.][Et bien je pense que vous vous trompez. D’ailleurs, si c’était plus simple politiquement et aussi efficace socialement, le type de système que vous décrivez aurait déjà fait école.]

      Mais… ces systèmes ont bien « fait école ». D’abord, c’est le système qui a fonctionné en France jusqu’à la loi Caillaux de1914 qui instaure pour la première fois la progressivité de l’impôt sur le revenu. Et l’année n’est pas innocente : il s’agissait d’un moment où, du fait de la guerre, les besoins de financement de l’Etat étaient tels que les financer simplement avec une taxe proportionnelle aurait écrasé les plus pauvres sous le fardeau de l’impôt. Et ce système continue à « faire école » : plusieurs pays d’Europe orientale ont adopté récemment des systèmes de « flat tax ». En France même, la part des impôts progressifs dans le financement de l’Etat recule régulièrement.

      [De la même manière qu’un système de prélèvement “égalitaire” ne permet pas, dans la vraie vie, la création d’un Etat digne de ce nom, un système de prélèvement strictement proportionnel ne permet pas, dans la vraie vie, la création d’un Etat-providence fortement redistributif; et pour la même raison: on butte sur les capacités contributives des plus pauvres.]

      Bien entendu. Mais une fois encore vous confondez un état « redistributif » avec un « état-providence ». Votre raisonnement est à la base juste : plus la dépense publique est importante, plus on est obligé de passer de l’impôt « égalitaire » à l’impôt « proportionnel » et de celui-ci à l’impôt « progressif » si l’on veut éviter d’écraser les plus pauvres. Mais la conclusion de ce raisonnement est qu’on peut rester à des impôts « proportionnels » voire « égalitaires » à condition de réduire la taille de l’Etat – ou les écarts de richesse – sans nécessairement mettre en cause son caractère « redistributif ».

      [La TVA est un bon exemple des limites de la “flat tax”: voilà un bel et bon impôt qui correspond parfaitement à celui que vous décrivez ; et pourtant presque partout il y a plusieurs taux de TVA pour la simple et bonne raison s’il ne devait ne devait y en avoir qu’un il serait soit trop lourd pour les achats “obligatoires” des classes populaires (alimentation, énergie) soit insuffisant pour les caisses de l’Etat.]

      Oui. Mais la TVA reste, malgré les taux multiples, une « flat tax » et non une taxe proportionnelle. Quand on achète l’électricité, le riche et le pauvre payent la même taxe par kWh consommé. L’exemple que vous donnez montre le contraire de ce que vous voulez démontrer : voilà qu’on peut imaginer une « flat tax » qui n’écrase pas le revenu des pauvres…

      [Tous les systèmes fiscaux des pays développés incluent une bonne dose de progressivité dans les prélèvements: ce n’est pas un hasard: c’est en effet le plus efficace. D’ailleurs, les partisans des “flat tax” sont en général des libéraux qui veulent réduire l’Etat à sa portion congrue.]

      Tout a fait. Mais ce n’est pas parce que ce sont des libéraux que ce qu’ils proposent est impossible. Et ces libéraux font la politique des gouvernements dans plusieurs pays d’Europe orientale…

    • odp dit :

      @ Descartes

      [[(…) je suis arrivé à la conclusion a) que tout système fiscal était au minimum “proportionnel” et non “égalitaire” et b) que tout système de prélèvement strictement proportionnel ne pouvait avoir, pour des raisons politiques, que de maigres effets redistributifs; justifiant, d’une certaine façon, l’abus de langage considéré.]

      Vous confondez « arriver à une conclusion » et « affirmer ». Pour « arriver à une conclusion », il faut exposer un raisonnement. Or, je vois mal par quel raisonnement vous arrivez à ces conclusions. D’autant plus qu’il est facile de donner des contre-exemples.]

      Je pensais que mon raisonnement, implicite, était transparent. Je vois que ce n’est pas le cas, je le précise donc.

      Je suis tout d’abord parti du constat qu’en effet les économistes que j’ai cité (Landais et Bourguignon) considéraient qu’un impôt proportionnel n’était pas redistributif. Puis je me suis tout dit que ce n’était pas forcément vrai et qu’on pouvait en effet considérer que le seul système fiscal qui ne soit pas “redistributif” était un système strictement “égalitaire” où chaque foyer fiscal paierait le même montant au budget commun. De la même manière que la démocratie c’est un homme une voix, l’impôt non redistributif ce serait un homme un euro. J’imagine qu’un libertarien soutiendrait aisément ce raisonnement ; c’est également celui qui est implicite dans l’aphorisme de Lacordaire que vous avez cité (pour le pauvre, c’est la liberté qui oppresse et la loi qui libère).

      Néanmoins, à peine m’étais-je fait cette réflexion que je constatais que les capacités financières d’un tel système fiscal seraient sous-optimales car, à moins d’imaginer une main d’oeuvre servile, il viendrait vite buter sur la capacité contributive maximale du ménage le plus pauvre. Vous avez évoqué la Suisse pour illustrer un Etat où un tel système pourrait être viable, mais je crains que les chiffres ne montrent l’inverse. Le budget des administrations publiques en Suisse est de l’ordre de CHF200 bn pour 3.3 millions de ménages alors que le revenu disponible par ménage situé au 1er décile de la distribution de revenu est de CHF28,121. Même en plaçant le taux d’effort à 20% pour ces ménages, la capacité de collecte d’un tel système ne serait que de CHF19 bn, soit moins de 10% du budget actuel de la Confédération, i.e. pas de quoi entretenir un Etat régalien digne de ce nom. S’il fallait se régler sur les ménages situés dont le revenu ce situe au 1er centile, la capacité de collecte tomberait en deça de CHF5 bn soit moins de 3% du budget actuel.

      En conséquence, j’ai conclu que tout système fiscal d’une organisation sociale “évoluée” était assis sur une contribution au moins proportionnelle à la capacité contributive: i.e. que les plus riches payent plus que les plus pauvres. D’une certaine façon, il faut prendre l’argent où il est comme on dit.

      Poussant un peu plus loin, la “réflexion”, je me suis dit qu’un système de “flat tax” aurait, pour les mêmes raisons (le potentiel fiscal limité des plus pauvres), une capacité de collecte insuffisante pour, sauf exception, être significativement redistributif.

      Enfin, je me suis dit que si l’on pouvait mesurer la redistributivité d’un système fiscal au travers des transferts financiers des plus riches vers les plus pauvres, cette mesure ne prenait pas en compte la plus ou moins grande qualité des biens collectifs (enseignement, santé, transports, justice…) qui pourtant sont en effet presque aussi importants que les transferts monétaires.

    • Descartes dit :

      @ odp

      [Néanmoins, à peine m’étais-je fait cette réflexion que je constatais que les capacités financières d’un tel système fiscal seraient sous-optimales car, à moins d’imaginer une main d’oeuvre servile, il viendrait vite buter sur la capacité contributive maximale du ménage le plus pauvre. Vous avez évoqué la Suisse pour illustrer un Etat où un tel système pourrait être viable, mais je crains que les chiffres ne montrent l’inverse.]

      Vous m’avez convaincu – comme vous pouvez le constater, je peux changer d’avis lorsque les arguments sont bons. Même si je n’ai pas les mêmes chiffres que vous – le budget suisse est de CHF 68 md et non 200 md, distribuer cette charge uniformément sur l’ensemble des ménages aboutirait à écraser les ménages les plus pauvres. Je vous accorde donc que les systèmes fiscaux avec imposition « uniforme » impliquent un état d’une taille trop réduite pour être compatible avec un état moderne. J’ai d’ailleurs vérifié que si certains états conservent des impôts « à la personne » uniformes, aucun ne fonde l’essentiel de son financement par un tel impôt.

      [En conséquence, j’ai conclu que tout système fiscal d’une organisation sociale “évoluée” était assis sur une contribution au moins proportionnelle à la capacité contributive: i.e. que les plus riches payent plus que les plus pauvres. D’une certaine façon, il faut prendre l’argent où il est comme on dit.]

      Je vous accorde ce point.

      [Poussant un peu plus loin, la “réflexion”, je me suis dit qu’un système de “flat tax” aurait, pour les mêmes raisons (le potentiel fiscal limité des plus pauvres), une capacité de collecte insuffisante pour, sauf exception, être significativement redistributif.]

      Là, je ne vous suis plus. Prenons l’exemple de la France : le budget est de l’ordre de 400 md€, alors que le revenu moyen per capita est selon le FMI en moyenne de 25.000 €. Le taux de l’import proportionnel qui couvrirait le budget serait donc de 25%. Ce n’est pas totalement déraisonnable. D’ailleurs, j’ai trouvé plusieurs pays – y compris des pays développés – qui n’ont pas d’impôt progressif (la République Tchèque, pour n’en donner qu’un).

  17. Anne Iversaire dit :

    @ Descartes

    [Si le 80% des fonctions dont la société à besoin nécessitent une formation de niveau BAC, (…)]

    Comment déterminer ce “besoin” ?
    Et cet objectif des “80% d’une classe d’âge au niveau bac” qui a toutes les chances de créer des “sur-diplômés”, n’est-ce pas JP Chevènement qui l’a mis en oeuvre lorsqu’il était ministre de l’EN ?

    • Descartes dit :

      @ Anne Iversaire

      [« Si le 80% des fonctions dont la société à besoin nécessitent une formation de niveau BAC, (…) ». Comment déterminer ce “besoin” ?]

      A partir de projections économiques, par exemple. Et bien entendu, ces projections contiennent toujours une marge d’erreur, qui devient de plus en plus grande au fur et à mesure que l’horizon temporel s’éloigne. Mais même si les prévisions ont une marge d’erreur, c’est toujours mieux que de faire ça au doigt mouillé.

      [Et cet objectif des “80% d’une classe d’âge au niveau bac” qui a toutes les chances de créer des “sur-diplômés”, n’est-ce pas JP Chevènement qui l’a mis en oeuvre lorsqu’il était ministre de l’EN ?]

      D’abord, je ne suis pas totalement persuadé que le fait d’amener 80% d’une classe au niveau du BAC créé beaucoup de « surdiplomés ». Tu estimes à combien le pourcentage de fonctions qui peuvent être remplies avec une efficacité maximale avec un niveau de formation très inférieur au Bac ? Si l’on tient compte que lorsqu’on forme un bachelier c’est pour une vie professionnelle de 40 ans, et que le nombre de ce type de fonctions tend à se réduire, le pari du 80% ne me semble pas absurde.

  18. bovard dit :

    Depuis trente ans ,je travaille en collège.
    Le bilan que je fais de mon activité est trop complexe pour que je l’expose ici.
    Cependant,les textes présentés ici,recueillent mon adhésion,grosso modo,en particulier en ce qui concerne leur pertinence.
    La palme revenant à cette série de posts Axelzzz,Françoise,NJ,ODP,Marcailloux .Chez ces contributeurs,je suis scotché par la hauteur de vue.Bien sûr,Descartes de part la qualité de ses textes donnent le ‘La’,ce pour quoi je le remercie et je le félicite,une fois encore.Car dans les collèges ce sont souvent des relations sado-maso qui règnent à mon trés grand désapointement.Entre les élèves,très souvent où les ‘castagnes’,succèdent aux mauvaises blagues ou mauvaises phrases.Idem entre les personnels,et avec les parents,l’administration,et les inspecteurs.
    Divorces,cancers,dépressions sont trés fréquents .Alors ,quant najet s’attaquent à la dictature des profs de langues,pourquoi pas?
    Ils font les classes,avec les sections européennes,grèvent les budgets sorties,participent aux micros-complots des divers favoritismes qui infectent les relations interpersonnelles dans les établissements scolaires,particulièrement au collège.A l’époque où ggogle traduction,est au point pour les textes écrits et bientôt pour les énoncés oraux,il fallait faire cesser ce ‘favoritisme’ des profs de langue.Châtel avait ce projet dans ces cartons,Peillon l’a fait voter il y a 25 mois.
    Alors ,le snalc,monte au créneau,car il veut 100% d’autonomie pour les collèges,comme l’ump,,De plus,démagogiquement,le snalc fait croire qu’il est possible de remonter le temps,comme avant le collège unique…arrétez d’attaquer injustement Najet,membre du PS,certes mais qui est droit dans ses bottes ,comme un Culboto !
    le collège est en souffrance,mais avec ce gouvernement l’EN est redevenu le premier poste budgétaire.
    C’est bien mieux que sous Sarkozy.
    En aucune façon,le snes ne boycottera le Brevet comme le snalc,soudainement devenu irrédentiste,le propose de façon totalement minoritaire,et gratuite….

    • Descartes dit :

      @ bovard

      [Divorces, cancers, dépressions sont très fréquents. Alors, quand Najat s’attaquent à la dictature des profs de langues, pourquoi pas?]

      J’avoue que le rapport entre les profs de langues et les « divorces, cancers et dépressions » m’échappe. En quoi s’attaquer à la « dictature des profs de langues » réduira le nombre de cancers ?

      [A l’époque où google traduction, est au point pour les textes écrits et bientôt pour les énoncés oraux, fallait faire cesser ce ‘favoritisme’ des profs de langue.]

      Et maintenant qu’on a des ordinateurs, on pourrait aussi supprimer l’enseignement des mathématiques n’est ce pas ? Désolé d’être désagréable, mais j’ai du mal à croire qu’un enseignant puisse tenir pareil discours obscurantiste. On apprend une langue parce que c’est la porte ouverte sur une culture. Ce n’est pas demain que « google traduction » pourra vous traduire les sonnets de Shakespeare.

      [le collège est en souffrance, mais avec ce gouvernement l’EN est redevenu le premier poste budgétaire. C’est bien mieux que sous Sarkozy.]

      Vous vous trompez : sous Sarkozy, l’EN était déjà le premier poste budgétaire.

    • @ bovard,

      “Alors ,le snalc,monte au créneau,car il veut 100% d’autonomie pour les collèges,comme l’ump,”
      Je pense que vous êtes très mal informé. Le Snalc est sans doute le syndicat le plus attaché au maintien d’un cadre national pour les horaires et les programmes. Il est partisan d’un collège “modulaire” prenant davantage en compte les différences de niveau, mais modulaire n’est pas synonyme d’ “autonome”… Le problème, c’est que les gens ne connaissent les positions du Snalc que par les critiques que lui adressent les syndicats rivaux. Tout cela n’est pas sérieux. Mais, au fond, on ne pardonne pas au Snalc de ne pas partager les délires gauchisants des autres organisations.

      “comme le snalc,soudainement devenu irrédentiste,le propose de façon totalement minoritaire,et gratuite…”
      Allons, il est fort peu probable que le Snalc persiste dans cette position. Au demeurant, le boycott du brevet changerait-il quelque chose? Vous savez aussi bien que moi que le brevet, tout comme le socle commun de connaissances et de compétences, est “donné” presque systématiquement pour ne pas faire baisser les “statistiques académiques”…

  19. Descartes,

    Je voudrais revenir, si vous me le permettez, sur nos fameuses classes moyennes.

    Si j’ai bien compris, corrigez-moi si je me trompe, vous divisez la société française en trois catégories principales:
    – la bourgeoisie, qui dispose d’un capital matériel et immatériel considérable et qui exploite les travailleurs des couches populaires;
    – les classes moyennes qui disposent d’un capital immatériel qu’elles tâchent de transmettre à leurs seuls enfants en détraquant l’ascenseur social (et donc l’école); ces mêmes classes moyennes parviennent à récupérer la quasi-totalité de la richesse qu’elles produisent mais ont un capital matériel insuffisant pour exploiter les autres.
    – les classes populaires qui subissent dans ce cadre deux pénalités: l’exploitation par la bourgeoisie, et l’impossibilité d’ascension sociale par la politique des classes moyennes (on pourrait sans doute ajouter une troisième pénalité, à savoir le chômage).
    Ai-je résumé l’essentiel?

    Si j’ai bien compris votre position, vous plaidez pour une relance de l’ascenseur social qui permettrait aux enfants des classes populaires de pouvoir “disputer” les bonnes places aux enfants des classes moyennes. Et, dans le contexte d’une économie à croissance faible comme la nôtre, les places intéressantes n’augmentent guère, par conséquent, l’ascension de certains entraînera mathématiquement la “descente” d’autres, vous l’avez dit plusieurs fois. C’est là-dessus que je voudrais vous poser quelques questions.

    1) Cette question va vous paraître stupide, mais quel est l’intérêt de relancer l’ascenseur social en période de croissance faible? Une fois que quelques fils d’ouvriers auront pris quelques bonnes places et que quelques fils d’enseignants et d’avocats se seront retrouvés ouvriers, en quoi la société sera transformée? Les inégalités auront-elles disparu? Non, puisque l’ascension des uns se sera faite au prix de la régression des autres. Ce que je vais dire est très cynique, mais je me fais sciemment l’avocat du diable, à part une pincée de justice, qu’est-ce qui aura changé fondamentalement, en sachant que, même avec la meilleure volonté du monde, notre école ne peut abolir à elle seule les inégalités sociales? La frustration de quelques enfants des couches populaires passera aux quelques enfants déclassés des classes moyennes. Et après?

    2) En tentant de transmettre à leur seule progéniture leur capital immatériel, il me semble que les classes moyennes ne font qu’imiter… la bourgeoisie qui elle transmet un capital autrement plus important, puisque matériel et immatériel, à ses enfants. Si on relance l’ascenseur social, je doute que cela inquiète la bourgeoisie: son capital la met à l’abri de la concurrence des enfants d’ouvriers. Par conséquent, les classes moyennes devraient au fond renoncer à leur “privilège” et constater que la bourgeoisie conserve les siens, alors même que la position sociale des classes moyennes reste globalement plus précaire que celle de la bourgeoisie. Vous me répondrez sans doute: “mais les bourgeois sont peu nombreux”. Peut-être, mais ils constituent le modèle à atteindre d’une certaine façon, et ils dominent la société. Je vais pousser mon raisonnement plus loin: s’en prendre aux “avantages” des classes moyennes, n’est-ce pas une façon d’admettre qu’on ne peut rien faire contre la bourgeoisie? N’est-ce pas une forme de renoncement?

    3) Vous souhaitez, si j’ai bien compris, renverser la domination idéologique et politique des classes moyennes. Mais, dans ce cas, n’est-il pas nécessaire que les classes populaires nouent une alliance avec… la bourgeoisie? Êtes-vous favorable à une telle entente? Qu’est-ce que la bourgeoisie pourrait y gagner?

    4) Si on ne retient pas l’hypothèse précédente, il faut alors envisager un moyen de “retourner” les classes moyennes. Est-il possible que, dans un avenir pas trop éloigné, les couches populaires et les classes moyennes, que tout semble opposer, se trouvent des intérêts communs? Qu’est-ce qui pourrait pousser les classes moyennes, par exemple, à souhaiter qu’on relance l’ascenseur social?

    5) Connaissez-vous un pays qui serait parvenu à passer d’une phase d’expansion économique à une phase de croissance ralentie sans connaître un changement des rapports de force défavorable aux classes populaires? Ou bien l’ascenseur social (dans les pays développés où il a existé, car vous avez expliqué qu’en Grande-Bretagne par exemple les choses se sont passées différemment) s’est-il systématiquement grippé à la fin de toute phase d’expansion économique?

    Par ailleurs, une fois passé la reconstruction et les Trente Glorieuses (période particulière), n’était-il pas inéluctable que la croissance se ralentisse et, par conséquent, que la société tende à se bloquer? N’est-ce pas une conséquence d’une longue période de paix et d’un enrichissement global de la société? Je n’ai pas étudié précisément la question, mais il me semble que les périodes de l’histoire qui offrent le plus d’opportunités et de possibilités d’ascension (et de déclassement!) se situent très souvent au lendemain de tragédies: guerres, épidémies (des moments où il faut relancer l’appareil productif et où la main-d’oeuvre fait défaut). Durant ces périodes, les cartes sont assez souvent rebattues. Ne faudrait-il pas envisager le blocage de la société (et donc de l’ascenseur social) comme le prix à payer, d’une certaine façon, pour vivre en paix dans une relative opulence?

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [Je voudrais revenir, si vous me le permettez, sur nos fameuses classes moyennes.]

      Revenez, revenez, vous savez que c’est un sujet qui me passionne.

      [Si j’ai bien compris, corrigez-moi si je me trompe, vous divisez la société française en trois catégories principales:]

      Une précision : ce ne sont pas des « catégories principales ». Ce sont des « classes », au sens de la théorie marxiste, c’est-à-dire, des groupes qui occupent une place particulière dans le mode de production et qui de ce fait partagent un intérêt collectif qui n’est pas nécessairement l’addition des intérêts individuels. Mais il existe dans la société des « catégories » qui ne sont pas des classes, et il n’est pas obligatoire que toute personne appartienne à une « classe » donnée.

      [- la bourgeoisie, qui dispose d’un capital matériel et immatériel considérable et qui exploite les travailleurs des couches populaires;]

      Exact. Mais la bourgeoisie repose d’abord sur son capital matériel. Ce capital – machines bâtiments, matières premières, brevets – lui permet d’acheter aux travailleurs leur force de travail en la payant au dessous de la valeur des biens qu’elle produit. La diférence est appelée « plusvalue », et le fait d’extraire de la plusvalue est appelée « exploitation ».

      [- les classes moyennes qui disposent d’un capital immatériel qu’elles tâchent de transmettre à leurs seuls enfants en détraquant l’ascenseur social (et donc l’école); ces mêmes classes moyennes parviennent à récupérer la quasi-totalité de la richesse qu’elles produisent mais ont un capital matériel insuffisant pour exploiter les autres.]

      Exact. Même si je le formulerais plutôt à l’envers. Ce qui les caractérisent, c’est que leur capital matériel et immatériel leur permet de récupérer la totalité de la valeur produite, mais pas d’en extraire du travail d’autrui. Mais contrairement à la bourgeoisie, chez les « classes moyennes » le capital immatériel est généralement dominant. Par contre, la question de « transmission » du patrimoine et de protection de celui-ci contre les concurrents et commune à toutes les classes. Seulement, pour la bourgeoisie cela se fait en protégeant le capital matériel et en assurant sa transmission. Pour les « classes moyennes », cela se fait en France du moins en réservant à ses seuls enfants l’accès à l’institution qui forme le capital immatériel, c’est-à-dire l’éducation.

      [- les classes populaires qui subissent dans ce cadre deux pénalités: l’exploitation par la bourgeoisie, et l’impossibilité d’ascension sociale par la politique des classes moyennes (on pourrait sans doute ajouter une troisième pénalité, à savoir le chômage).]

      Exact.

      [Ai-je résumé l’essentiel?]

      Oui.

      [1) Cette question va vous paraître stupide, mais quel est l’intérêt de relancer l’ascenseur social en période de croissance faible? Une fois que quelques fils d’ouvriers auront pris quelques bonnes places et que quelques fils d’enseignants et d’avocats se seront retrouvés ouvriers, en quoi la société sera transformée? Les inégalités auront-elles disparu? Non, puisque l’ascension des uns se sera faite au prix de la régression des autres.]

      Vous posez je pense LA bonne question. Il y a à cette question deux réponses : la première, c’est que l’ascenseur social permet un brassage des couches sociales. Qu’un père ouvrier ait un fils médecin et un autre mécanicien, qu’un père enseignant ait un fils ingénieur et un autre éboueur fait que chacun connaît personnellement, intimement des gens qui ne sont pas dans sa catégorie sociale. Et cela donne une société bien plus cohésive, ou chacun est bien plus sensible au sort des gens qui ne sont pas « du même monde » que lui. Rawls écrivait qu’une décision « juste » est celle qui serait prise par un individu qui ne saurait pas de quel côté de la décision il se trouve. Le bourgeois serait certainement plus sensible au sort des prolétaires si son fils avait une chance raisonnable d’en être un.

      Il y a une deuxième raison pour démarrer l’ascenseur social : c’est une question de pure efficacité économique. Dès lors qu’on restreint le recrutement des professions supérieures aux enfants de ceux qui les occupent déjà, on se prive d’un énorme vivier de talents. La méritocratie n’est pas seulement un mode de légitimation des élites. Elle permet de recruter ces élites dans le vivier le plus large possible.

      [2) En tentant de transmettre à leur seule progéniture leur capital immatériel, il me semble que les classes moyennes ne font qu’imiter… la bourgeoisie qui elle transmet un capital autrement plus important, puisque matériel et immatériel, à ses enfants.]

      Bien entendu. Il n’y a pas dans mon discours la moindre condamnation morale. Les « classes moyennes » ne font que céder au réflexe le plus humain qui soit, celui de protéger et de transmettre son patrimoine.

      [Si on relance l’ascenseur social, je doute que cela inquiète la bourgeoisie: son capital la met à l’abri de la concurrence des enfants d’ouvriers.]

      Tout à fait d’accord. La méritocratie ne porte pas atteinte aux intérêts de la bourgeoisie – et c’est précisement pourquoi c’est la République des bourgeois qui en a fait le principe recteur. Si vous voulez remettre en cause la bourgeoisie, c’est à l’héritage qu’il faudrait s’attaquer. Je vous fais remarquer qu’aucun parti, qu’il soit de gauche ou de droite, ne propose aujourd’hui l’abolition de l’héritage.

      [Par conséquent, les classes moyennes devraient au fond renoncer à leur “privilège” et constater que la bourgeoisie conserve les siens, alors même que la position sociale des classes moyennes reste globalement plus précaire que celle de la bourgeoisie.]

      On ne peut pas faire ici un raisonnement du type « pourquoi moi et pourquoi pas lui » ? Si je pouvais, je ferais la peau des bourgeois aussi. Mais voilà, je ne peux pas. Nous sommes dans un contexte qui fait que le capitalisme est là pour un certain temps. La question est : comment on fait pour bâtir une société la plus harmonieuse, la plus égalitaire possible à l’intérieur de cette contrainte. Si vous décidez que parce qu’on ne peut pas toucher les privilèges de la bourgeoisie il ne faut pas non plus toucher ceux des classes moyennes, vous vous trouverez bloqué.

      [Vous me répondrez sans doute: “mais les bourgeois sont peu nombreux”. Peut-être, mais ils constituent le modèle à atteindre d’une certaine façon, et ils dominent la société.]

      Ils ne peuvent pas être « le modèle à atteindre », puisque la condition de leur existence est précisément qu’ils soient peu nombreux. Pour qu’il y ait des exploiteurs, il faut bien qu’il y ait des exploités. Et si les exploiteurs sont nombreux et les exploités rares, cela ne rapportera pas grande chose aux exploiteurs. Les bourgeois ne peuvent donc qu’être « peu nombreux ».

      [Je vais pousser mon raisonnement plus loin: s’en prendre aux “avantages” des classes moyennes, n’est-ce pas une façon d’admettre qu’on ne peut rien faire contre la bourgeoisie? N’est-ce pas une forme de renoncement?]

      Plus que de renoncement, de réalisme. Les conditions objectives d’une révolution socialiste ne sont pas aujourd’hui remplies, et ne le seront pas dans un avenir prévisible. Dans ce contexte, ou bien on se retire sous sa tente en attendant le grand soir, ou bien on essaye de construire des choses en ayant conscience que ce ne sera pas parfait, mais que c’est le mieux qu’on puisse faire dans le contexte.

      [3) Vous souhaitez, si j’ai bien compris, renverser la domination idéologique et politique des classes moyennes. Mais, dans ce cas, n’est-il pas nécessaire que les classes populaires nouent une alliance avec… la bourgeoisie? Êtes-vous favorable à une telle entente? Qu’est-ce que la bourgeoisie pourrait y gagner?]

      Dans ce domaine, je ne « souhaite » rien. Je pense que pour faire une politique progressiste aujourd’hui il est nécessaire de remettre en question le monopole des idéologues des classes moyennes. Mais je vous avoue en toute honnêteté que je ne vois pas par quel moyen politique on pourrait aboutir à ce résultat. Si je le voyais, je ne serais pas en train d’écrire mon blog, je serais en train d’essayer de me faire élire…

      La difficulté, c’est que ce sont les classes moyennes qui ont les instruments pour penser. Il faudrait donc imaginer soit une alliance ou des intellectuels appartenant aux classes moyennes iraient travailler dans un parti politique qui aurait à cœur de défendre les intérêts ouvriers. Ce système a marché pendant quelque temps : c’était le modèle du PCF. Mais il a marché parce que le prestige du PCF après la guerre était tel qu’il était valorisant pour un intellectuel de travailler pour lui. Et encore, ce fonctionnement a entraîné des conflits permanents. La deuxième possibilité serait une situation ou le déclassement des classes moyennes serait tel qu’il donnerait à des couches populaires les instruments d’élaboration idéologique.

      Par contre, est-il possible que la bourgeoisie ait elle-même intérêt à redémarrer l’ascenseur social ? Oui, si elle trouve que la reproduction sociale des classes moyennes « sclérose » les élites, que les classes moyennes ne sont pas capables de produire les cadres dont la bourgeoisie a besoin, et que celle-ci décide qu’il faut aller chercher les talents dans un vivier plus large. On voit quelquefois l’ascenseur social se mettre en marche dans des secteurs à très forte croissance, ou le besoin de cadres se fait sentir – l’informatique est un bon exemple.

      [4) Si on ne retient pas l’hypothèse précédente, il faut alors envisager un moyen de “retourner” les classes moyennes. Est-il possible que, dans un avenir pas trop éloigné, les couches populaires et les classes moyennes, que tout semble opposer, se trouvent des intérêts communs? Qu’est-ce qui pourrait pousser les classes moyennes, par exemple, à souhaiter qu’on relance l’ascenseur social?]

      Tant qu’elles restent classes moyennes, rien. Ce n’est qu’un déclassement massif, qui les ferait revenir chez les couches populaires, qui pourrait provoquer cet effet.

      [5) Connaissez-vous un pays qui serait parvenu à passer d’une phase d’expansion économique à une phase de croissance ralentie sans connaître un changement des rapports de force défavorable aux classes populaires? Ou bien l’ascenseur social (dans les pays développés où il a existé, car vous avez expliqué qu’en Grande-Bretagne par exemple les choses se sont passées différemment) s’est-il systématiquement grippé à la fin de toute phase d’expansion économique?]

      Je pense que c’est un phénomène universel. Le ralentissement se traduit toujours par un renversement du rapport de force en faveur du capital et au détriment du travail. Et la conséquence est l’arrêt de l’ascenseur social.

      [Par ailleurs, une fois passé la reconstruction et les Trente Glorieuses (période particulière), n’était-il pas inéluctable que la croissance se ralentisse et, par conséquent, que la société tende à se bloquer? N’est-ce pas une conséquence d’une longue période de paix et d’un enrichissement global de la société?]

      Tout à fait.

      [Je n’ai pas étudié précisément la question, mais il me semble que les périodes de l’histoire qui offrent le plus d’opportunités et de possibilités d’ascension (et de déclassement!) se situent très souvent au lendemain de tragédies: guerres, épidémies (des moments où il faut relancer l’appareil productif et où la main-d’oeuvre fait défaut). Durant ces périodes, les cartes sont assez souvent rebattues. Ne faudrait-il pas envisager le blocage de la société (et donc de l’ascenseur social) comme le prix à payer, d’une certaine façon, pour vivre en paix dans une relative opulence?]

      D’une certaine manière oui. Le problème est que le prix n’est payé que par une partie de la société, et pas celle qui « vit dans l’opulence » justement…

      Mais vous avez raison : une société opulente, à croissance faible et sans une crise qui perturbe sa reproduction ne peut qu’avoir tendance à se bloquer. Ce blocage a son tour génère de forces qui, lorsqu’elles sont contenues trop longtemps, finissent par se manifester d’une manière explosive. Si l’ascenseur social fonctionne, les couches populaires accepteront d’attendre leur tour. Mais si l’ascenseur est bloqué, elles vont finir par essayer de trouver les escaliers, en cassant les portes si nécessaire.

    • @ Descartes,

      Merci de votre réponse détaillée.

      “Ce blocage a son tour génère de forces qui, lorsqu’elles sont contenues trop longtemps, finissent par se manifester d’une manière explosive.”
      Dans ce cas, la révolution n’étant pas envisageable, je suppose que la montée du vote FN parmi les classes populaires correspond pour une part à un mouvement dirigé contre le blocage de la société. Et le fait que les classes moyennes conchient le FN depuis toujours n’est peut-être pas anodin. Au fond, le FN et les classes populaires avaient les mêmes ennemis… Voilà peut-être l’origine du rapprochement qui se traduit maintenant par une influence réciproque.

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [“Ce blocage a son tour génère de forces qui, lorsqu’elles sont contenues trop longtemps, finissent par se manifester d’une manière explosive.”][Dans ce cas, la révolution n’étant pas envisageable, je suppose que la montée du vote FN parmi les classes populaires correspond pour une part à un mouvement dirigé contre le blocage de la société.]

      Je pense qu’on peut l’analyser comme cela. Et en même temps, le FN permet aux couches sociales populaires de faire entendre leur voix, et donc d’entrevoir une possibilité de déblocage. Nous avons encore en France un niveau de redistribution qui fait que même si les couches populaires sont politiquement marginalisées et que le rapport de force leur est défavorable, elles restent encore attachées à ce que le système continue à fonctionner. C’est sur cette fragile base que repose aujourd’hui l’ordre public.

      [Et le fait que les classes moyennes conchient le FN depuis toujours n’est peut-être pas anodin. Au fond, le FN et les classes populaires avaient les mêmes ennemis… Voilà peut-être l’origine du rapprochement qui se traduit maintenant par une influence réciproque.]

      Bien sur. Entendre BHL conchier le FN donne vraiment envie de voter pour ce dernier.

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