Von der Leyen sur canapé

« Poltronne et sofà, la autentica qualità. Et voilà ! » (publicité, circa 2020)

L’affaire du « sofagate » nous donne l’opportunité, si rare ces jours-ci, de nous amuser un peu. Alors profitons-en. Après tout, mieux vaut rire que pleurer.

Les faits sont simples : en visite officielle en Turquie, alors qu’ils sont reçus par Recep Tayyip Erdogan, le président du Conseil européen et la présidente de la Commission européenne – Charles Michel et Ursula Von der Leyen respectivement – se trouvent dans une salle ou deux fauteuils ont été disposés pour les chefs de délégation, et des canapés de part et d’autre pour leurs suites (1). Erdogan conduit Charles Michel vers les fauteuils, où ils prennent l’un et l’autre place. Ursula von der Leyen reste debout, tousse légèrement pour attirer l’attention, et observant que personne ne réagit, s’assied sagement sur un des canapés, alors que le ministre turc des affaires étrangères prend place dans l’autre.

Il n’a pas fallu plus pour que l’eurosphère se déchaîne. Certains font de la présidente de la Commission une victime du sexisme, et affirment qu’Erdogan « n’aurait jamais fait cela à un homme ». Ce en quoi ils ont tort : Jean-Claude Juncker a raconté comment, au cours de ses nombreux déplacements du temps où il était président de la Commission, il avait du céder la préséance à Donald Tusk, alors président du Conseil européen (2). D’autres dénoncent la passivité de Charles Michel, qui n’a guère réagi à « l’humiliation » de la présidente, allant jusqu’à affirmer qu’il aurait dû lui céder son siège. Mais tous sont d’accord au moins sur un point : c’est un « camouflet à l’Europe ».

En fait, lorsqu’on examine les choses sérieusement, on découvre que tout ça est parfaitement normal. N’en déplaise aux eurolâtres, qui veulent nous convaincre du contraire, la présidence de la Commission n’est pas une fonction politique, qui lui donnerait rang de chef de gouvernement. La Commission n’est qu’un organe administratif, comme De Gaulle l’avait vertement rappelé en son temps à Walter Hallstein. Contrairement à un chef de gouvernement qui définit une politique, la présidente de la Commission n’est que l’exécutante des décisions prises par les états membres. Elle est « gardienne des traités », mais les traités sont faits par d’autres. Charles Michel, lui, préside un organe politique, ou siègent ceux qui ont un véritable pouvoir délégué par le souverain pour définir et conduire des politiques. Erdogan a donc parfaitement raison d’établir une hiérarchie entre les deux et de confiner Ursula Von der Leyen dans un rôle secondaire.

Le véritable crime de Recep Tayyip Erdogan, celui qui lui vaut dans cette affaire d’être mis dans le rôle du goujat, c’est donc d’avoir rappelé aux eurolâtres – et accessoirement, à Madame Von der Leyen – quelques réalités désagréables qu’ils n’ont pas envie de regarder en face, et en particulier le fait que la Commission n’est pas un gouvernement, et n’est nullement – contrairement à ce que répètent les journalistes complaisants – le « pouvoir exécutif » de l’Union européenne. C’est toute la différence entre un exécutif et un exécutant.

On comprend la colère des eurolâtres, alors que depuis des années ils essayent de nous persuader du contraire… Mais ceux-ci ont un autre souci : le « sofagate » met en évidence l’incompétence crasse des services de la Commission en général, et d’Ursula Von der Leyen en particulier. Parce que dans ce genre de rencontres, rien n’est laissé au hasard. Le nombre de fauteuils, leur disposition, les participants à la rencontre et la place qu’ils occupent sont toujours discutés à l’avance. Et il semblerait que ces services aient accepté l’arrangement, sans prévenir ou consulter la présidente de la Commission. Von der Leyen avait alors deux options rationnelles. Soit minimiser l’affaire, soit faire un scandale. Elle a été incapable de choisir : elle a minimisé devant Erdogan, se contentant d’un « hum » à peine audible, elle a fait un scandale une fois revenue à Bruxelles. Et ce faisant, elle a le pire des deux options : elle paraît faible et indécise d’abord, et a l’air de vouloir se rattraper aux branches ensuite en crachant sur les petits camarades. Pas très digne pour quelqu’un qui prétend diriger « une puissance de 400 millions de citoyens ».

Cette affaire – qui suit le désastreux voyage de Borrell à Moscou – montre encore une fois la lente glissade de l’Union européenne dans l’insignifiance dans le concert des nations. Tout le monde sait que pour Erdogan, le vrai interlocuteur n’est pas Michel ou Von der Leyen, mais Angela Merkel, tétanisée à l’idée qu’on puisse ouvrir les vannes de l’immigration à quelques mois des élections allemandes. A partir de là, on voyait mal Von der Leyen faire un scandale à Ankara. Les turcs l’auraient ignoré, et la faiblesse de sa position serait apparue encore plus évidente. Et tout cela arrive au moment où l’on apprend que Berlin négocie directement l’achat de vaccins avec Moscou, jetant par-dessus les moulins la doctrine de l’unité européenne dans la négociation avec les fournisseurs. Heureusement qu’il reste des gens pour continuer à être les « bons élèves de l’Europe », n’est-ce pas, Emmanuel ?

Descartes

(1) Ce n’est d’ailleurs pas une disposition extraordinaire, elle se retrouve dans presque toutes les rencontres internationales, parce qu’on suppose assez raisonnablement qu’une délégation diplomatique est toujours conduite par une personne qui est seule habilitée à engager l’Etat ou l’organisme que sa délégation représente.

(2) Jean Claude Juncker le reconnaît : « il était clair pour tout le monde, d’un point de vue protocolaire, que le chef du Conseil européen était numéro 1 et le président de la Commission européenne numéro 2. Quand je voyageais avec Donald Tusk ou Herman Van Rompuy, j’ai toujours respecté ce protocole. J’avais normalement une chaise à côté du président du Conseil, mais il arrivait parfois que je sois assis sur un canapé ».

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

80 réponses à Von der Leyen sur canapé

  1. mr dit :

    Bonjour,
    C’est la première que j’interviens sur ce blog, et j’en profite d’abord pour vous remercier pour la qualité exceptionnelle de vos billets, que je lis assidument depuis quelques temps.
    Après lecture de votre papier, je trouve intéressant le traitement que Le Monde donne de cette affaire :
    https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/08/ursula-von-der-leyen-victime-d-une-faute-sexiste-de-protocole-la-turquie-blame-l-union-europeenne_6076084_3210.html
    On parle, dans le titre et le résumé, d’une “faute protocolaire sexiste”, de “réactions indignées”, et ainsi de suite. Cependant, l’information essentielle est glissée, l’air de rien, dans ce paragraphe au milieu de l’article : 
    “Mme von der Leyen a fait connaître son mécontentement d’avoir été placée en retrait et a exigé d’être traitée comme l’égale du président du Conseil. « Les présidents des deux institutions ont le même rang protocolaire », a affirmé son porte-parole, mais le Conseil européen, l’organe représentant les Etats membres, a toutefois fait savoir que son président avait la préséance sur la Commission pour le protocole international.”
    Donc, comme vous le rappelez parfaitement, le président du Conseil a bien la préséance sur la commission, c’est le Conseil lui-même qui le rappelle ! Bref, sur le fond, et quoi qu’on puisse penser d’Erdogan par ailleurs, dans toute cette affaire il n’y a aucune faute, c’est un non-événement. Ce qui me désole, c’est que l’auteur de l’article (ainsi que tous les protagonistes de l’affaire) manifestement le sait très bien. Cependant, on dirait que le journaliste a décidé de mettre la sourdine sur cela… puissance de la dictature du politiquement correct, qui ferait qu’il est impossible de parler de cette affaire autrement qu’à travers le prisme du “sexisme” et de l’ “affront” d’un dictateur à l’UE (symbole de démocratie, justice etc.) ? Décision cynique de présenter les choses de la manière la plus adaptée à faire le “buzz” ? C’est bien triste aussi de constater la parfaite hypocrisie et mauvaise foi de certaines réactions indignées, citées à la fin de l’article…   

    • Descartes dit :

      @ mr

      [On parle, dans le titre et le résumé, d’une “faute protocolaire sexiste”, de “réactions indignées”, et ainsi de suite. Cependant, l’information essentielle est glissée, l’air de rien, dans ce paragraphe au milieu de l’article : “Mme von der Leyen a fait connaître son mécontentement d’avoir été placée en retrait et a exigé d’être traitée comme l’égale du président du Conseil. « Les présidents des deux institutions ont le même rang protocolaire », a affirmé son porte-parole, mais le Conseil européen, l’organe représentant les Etats membres, a toutefois fait savoir que son président avait la préséance sur la Commission pour le protocole international.”]

      Effectivement, « l’exigence » de Von der Leyen montre bien où est le problème. Les eurolâtres font depuis des années tout ce qu’ils peuvent pour faire reconnaître la Commission comme un véritable « pouvoir exécutif » de l’Union européenne, ce qu’elle n’est pas. Et dans ce combat, le protocole est un élément fondamental, puisqu’en matière de rapports politiques, ce que vous êtes tient en grande partie à ce que les autres reconnaissent en vous. On comprend donc la furie des eurolâtres de voir Von der Leyen ramenée à son rôle réel…

      [Donc, comme vous le rappelez parfaitement, le président du Conseil a bien la préséance sur la commission, c’est le Conseil lui-même qui le rappelle ! Bref, sur le fond, et quoi qu’on puisse penser d’Erdogan par ailleurs, dans toute cette affaire il n’y a aucune faute, c’est un non-événement.]

      C’est exactement ce que dit Jean-Claude Juncker. C’est un peu comme si chez nous le secrétaire général du gouvernement, accompagnant le premier ministre à l’étranger, s’insurgeait de ne pas être placé à égalité avec celui-ci. Le Conseil est un organe politique, la Commission un organe administratif. Le président du premier organisme passe donc toujours devant le président du second.

      Normalement, le protocole existe précisément pour que le placement des différentes autorités soit un « non-évènement ». Quand vous voyez le président de la République marcher en premier avec le premier ministre deux pas derrière, vous ne vous dites pas « il a humilié le premier ministre ». Un tel positionnement ne transmet aucun message. C’est quand le protocole n’est pas respecté qu’on transmet un message, soit positif (en donnant à quelqu’un une place meilleure que ce que fixe le protocole) soit négatif (lorsque quelqu’un se voit offrir une place inférieure à celle que le protocole lui donne droit). Dans le cas présent, les turcs ont donné à chacun sa place protocolaire. C’est Von der Leyen qui, par sa prétention à une place qui n’était pas la sienne, crée l’incident.

      Que Mme Von der Leyen veuille créer un incident pour imposer la Commission comme interlocuteur, c’est dans l’ordre des choses. C’est le b-a-ba du combat politique et institutionnel, et on ne saurait lui reprocher. Ce qu’on peut lui reprocher, c’est de l’avoir mal fait. Soit elle allait au clash à Ankara, en quittant la salle et refusant sa position subordonnée – mais je suspecte que les turcs l’auraient superbement ignorée et qu’elle aurait perdu plus qu’elle n’aurait gagné – soit elle fermait sa gueule. La fermer à Ankara et faire un scandale à Bruxelles montre un peu trop la ficelle…

      • Vercors dit :

        Bonjour,
        en ce qui me concerne je trouve cette histoire navrante ; elle nous prouve toutefois que l’Europe est dirigée par des Guignols. 

      • Claustaire dit :

        Et pourquoi ne voulez-vous pas lire cet incident, aussi insignifiant selon les uns que hautement symbolique selon les autres, comme la preuve que l’UE est bien un espace politique international vivant, comme l’est tout chantier en cours, travaillé (aux deux sens du mot) par de puissants courants politiques tantôt convergents tantôt divergents, comme bien d’autres espaces politiques nationaux ? 

        • Descartes dit :

          @ Claustaire

          [Et pourquoi ne voulez-vous pas lire cet incident, aussi insignifiant selon les uns que hautement symbolique selon les autres, comme la preuve que l’UE est bien un espace politique international vivant, comme l’est tout chantier en cours, travaillé (aux deux sens du mot) par de puissants courants politiques tantôt convergents tantôt divergents, comme bien d’autres espaces politiques nationaux ?]

          Cela me semble tellement trivial de dire que l’UE est un « espace politique international » traversé par des luttes de pouvoir et d’influence de toutes sortes que je ne voyais pas trop l’intérêt de le relever. De là à dire que ce serait un espace « vivant »… cela dépend du sens que vous donnez à ce terme. Pour moi, un espace est intellectuellement vivant lorsqu’il crée du nouveau. Et franchement, je suis assez sceptique sur la capacité de l’UE à faire autre chose que resservir les vieilles recettes réchauffées. Quelle est la dernière fois que vous avez vu les débats européens produire une idée nouvelle ?

  2. Vincent dit :

    @Descartes
     

    (1) Ce n’est d’ailleurs pas une disposition extraordinaire, elle se retrouve dans presque toutes les rencontres internationales, parce qu’on suppose assez raisonnablement qu’une délégation diplomatique est toujours conduite par une personne qui est seule habilitée à engager l’Etat ou l’organisme que sa délégation représente.

    Il me semble que la seule exception est la France en période de cohabitation, représentée par le Président et le premier ministre ; et que ça donne des choses assez déroutantes pour nos partenaires internationaux (on les comprend).
    Ce qui me permet de dériver sur le débat de la cohabitation… A mon sens, celle ci ne devrait pas exister. Mais je ne veux pas non plus d’un Président qui soit responsable devant le Parlement. Quelle autre solution serait imaginable ?

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [Il me semble que la seule exception est la France en période de cohabitation, représentée par le Président et le premier ministre ; et que ça donne des choses assez déroutantes pour nos partenaires internationaux (on les comprend).]

      Même si la France est représentée en temps de cohabitation par le président et le Premier ministre, il n’y a pas d’ambiguïté sur l’ordre protocolaire : c’est le président, et non le Premier ministre, qui prend le fauteuil. La Constitution est aussi très précise : c’est le président, et non le Premier ministre, qui « négocie et ratifie les traités » (art 52). Cet article suggère qu’en matière de négociation internationale, c’est le président qui a la prééminence…

      [Ce qui me permet de dériver sur le débat de la cohabitation… A mon sens, celle-ci ne devrait pas exister. Mais je ne veux pas non plus d’un Président qui soit responsable devant le Parlement. Quelle autre solution serait imaginable ?]

      Je pense que la solution est une règle non-écrite : un président qui n’a pas de majorité pour gouverner dissout l’Assemblée. Si les électeurs confirment leur choix, c’est à lui de partir.

  3. xc dit :

    Dans la tribune publiée hier sur lemonde.fr (accessible aux non-abonnés), il est dit que Conseil et Commission ont chacun leur service du protocole (assurément, un gage de bonne coordination…), que celui de la Commission n’a pas participé à la préparation de la rencontre, et que celui du Conseil ne s’est pas du tout soucié du sort de Mme Von der Leyen.
    Sur le point de savoir si cette dernière aurait pu être traitée autrement, il semble y avoir divergence avec ce que vous écrivez, à savoir que “Le président du Conseil a théoriquement la préséance protocolaire sur la présidente de la Commission, mais la tradition veut qu’ils soient traités à égalité.”.
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/04/10/turquie-ue-l-affaire-du-sofa-un-triple-faux-pas_6076289_3232.html

    • Descartes dit :

      @ xc

      [Dans la tribune publiée hier sur lemonde.fr (accessible aux non-abonnés), il est dit que Conseil et Commission ont chacun leur service du protocole (assurément, un gage de bonne coordination…),]

      Il est logique que chaque institution ait son service du protocole – service qui peut se réduire à une seule personne d’ailleurs. Si vous étiez le patron d’une institution, feriez-vous confiance à un service que vous ne contrôlez pas le soin de négocier votre position protocolaire ?

      [Sur le point de savoir si cette dernière aurait pu être traitée autrement, il semble y avoir divergence avec ce que vous écrivez, à savoir que “Le président du Conseil a théoriquement la préséance protocolaire sur la présidente de la Commission, mais la tradition veut qu’ils soient traités à égalité.”.]

      La « tradition » a bon dos. Le fait que le président de la Commission ait réussi avec la complicité de partenaires bienveillants à se faire reconnaître une position qui n’est pas la sienne n’oblige pas les autres à reprendre cette façon de faire. La règle protocolaire est claire : le politique a le pas sur l’administratif. Les institutions européennes reconnaissent elles-mêmes que le président du Conseil a le pas sur celui de la Commission ? Si les turcs avaient ignoré cette règle, on aurait pu les accuser d’avoir manqué de respect envers le président du Conseil, en ignorant son rang protocolaire…

  4. BolchoKek dit :

    @ Descartes
     
    [Jean Claude Juncker le reconnaît : « […] J’avais normalement une chaise à côté du président du Conseil, mais il arrivait parfois que je sois assis sur un canapé ».]
     
    Remarque, je ne sais pas si dans le cas de Juncker, il s’agit d’une question protocolaire. Pour décuver, un canapé c’est quand même mieux…

    • Descartes dit :

      @ BolchoKek

      [Remarque, je ne sais pas si dans le cas de Juncker, il s’agit d’une question protocolaire. Pour décuver, un canapé c’est quand même mieux…]

      Ce n’est pas gentil!

  5. Bougalouga dit :

    Il a suffit que la présidente de la Commission toussote discrètement pour que la meute journalistique se lance dans des commentaires qui, nécessairement, s’opposent au premier des machos turques (mon propos est impertinent bien entendu).
    Les sous-entendus polémiques se cristallisent par une attitude d’un ridicule incommensurable des pseudo-pouvoirs européistes qui s’offusquent des initiatives d’un pays souverain, fier de ses positions et qui, surtout, exerce ses stratégies politiques avec un certain brio. Je n’acclame pas Erdogan, mais on peut se désoler que les eurolâtres n’ont plus que ces ruses-là pour condamner somme toute un dirigeant politique… qui dirige.
    Comment contraindre ce dirigeant à suivre l’exemple de tous les autres dirigeants des pays de l’Union européenne et qui ne consent pas à renoncer à ses pouvoirs ? Tel est, à mon sens, la question que se posent matin, midi et soir nos technocrates bruxo-strasbourgeois.

    • Vincent dit :

      @Bougalouga
       

      Il a suffit que la présidente de la Commission toussote discrètement pour que la meute journalistique se lance dans des commentaires qui, nécessairement, s’opposent au premier des machos turques (mon propos est impertinent bien entendu).

       
      Je ne suis pas dans le secret des Dieux, mais je ne pense pas qu’il s’agisse simplement d’un emballement médiatique qui aurait démarré tout seul.
      Je pense qu’il s’agit d’un incident monté en épingle par les européistes pour “attaquer” la Turquie. Et pourquoi utiliser ce type de prétexte plutôt que des sujets de fond, qui ne manquent pas ? (l’influence sur des groupes religieux situés dans l’UE ; les menaces sur Chypre et sur la Grèce ; le trafic d’armes et de mercenaires vers la Lybie ; le financement du terrorisme en Syrie ; la coopération militaire avec la Russie,  etc.)
      Je crois tout simplement parce que sur aucun de ces sujets les pays de l’UE ne sont capables de définir une position commune, et qu’il porte moins à conséquences de s’arquebouter sur un sujet comme celui ci.
      Cf. la déclaration de notre secrétaire aux Affaires européennes :
      “C’est un affront de la part de la Turquie. Je pense” fait sciemment. “Entre celui qui a tendu le piège et celui qui est tombé dedans, je préfère qu’on mette la culpabilité sur celui qui a tendu le piège”.
       
      Si on prend un peu de recul, c’est assez ironique que ceux qui pointent cet incident soient les mêmes que ceux qui parlent d’une Europe puissance… Alors que le fait qu’on ne parle que de cela est bien une illustration de son impuissance…

      • Descartes dit :

        @ Vincent

        [Je ne suis pas dans le secret des Dieux, mais je ne pense pas qu’il s’agisse simplement d’un emballement médiatique qui aurait démarré tout seul. Je pense qu’il s’agit d’un incident monté en épingle par les européistes pour “attaquer” la Turquie.]

        Je pense que l’incident a été monté en épingle, mais que la cible n’est nullement la Turquie. C’est à mon sens un chapitre de plus du combat entre les « fédéralistes » de la Commission et les nations (dont le Conseil est l’émanation). Un combat qui dure depuis les débuts de la Commission européenne, et qui donna naguère lieu au rappel que De Gaulle avait fait à Hallstein.

        Les nouvelles déclarations des porte-parole de Von der Leyen, exigeant l’égalité protocolaire des présidents de la Commission et du Conseil et affirmant que la présidente de la Commission « ne permettra jamais qu’une telle situation se reproduise », ainsi que le rappel par les services du Conseil que « La Commission profite de l’incident pour remettre en cause les traités, notamment l’article 15 » montre bien où se trouve l’objet du conflit. La Turquie n’est qu’un élément accessoire.

        [Je crois tout simplement parce que sur aucun de ces sujets les pays de l’UE ne sont capables de définir une position commune, et qu’il porte moins à conséquences de s’arquebouter sur un sujet comme celui-ci.]

        C’est bien pour cela que l’idée d’une « politique extérieure commune » est illusoire. Un gouvernement national représente une collectivité dans laquelle la solidarité inconditionnelle rend possible des compromis. Une politique extérieure qui avantage Paris au détriment de Marseille est possible parce que les citoyens savent que les Parisiens accepteront par ailleurs des transferts inconditionnels vers Marseille si le besoin se fait sentir. Mais en Europe, cette solidarité n’est pas garantie. Et du coup, une « position commune » est très difficile parce que ceux que cette position désavantage n’ont aucune garantie de bénéficier de la solidarité de ceux qu’elle avantage. On l’a bien vu dans la négociation sur le Brexit : ce sont les pêcheurs français qui paieront le prix de l’intransigeance européenne dans d’autres domaines, sans pouvoir compter sur la moindre solidarité de Bruxelles.

        [Cf. la déclaration de notre secrétaire aux Affaires européennes : “C’est un affront de la part de la Turquie. Je pense” fait sciemment. “Entre celui qui a tendu le piège et celui qui est tombé dedans, je préfère qu’on mette la culpabilité sur celui qui a tendu le piège”.]

        Encore un qui a tout compris… “quand le sage signale la lune, l’imbécile regarde le doigt”.

        • Vincent dit :

          Un combat qui dure depuis les débuts de la Commission européenne, et qui donna naguère lieu au rappel que De Gaulle avait fait à Hallstein

           
          Est-ce que vous pourriez s’il vous plaît préciser ce qu’était ce rappel ? 
           
          Merci d’avance 

          • Descartes dit :

            @ Vincent

            [Est-ce que vous pourriez s’il vous plaît préciser ce qu’était ce rappel ?]

            Je fais référence au “plan Hallstein” présenté le 31 mars 1965, et qui conduisit la France à se retirer des institutions communautaires (“politique de la chaise vide”). A l’époque, De Gaulle reprocha à la Commission de vouloir exercer des fonctions politiques qui n’étaient pas les siennes.

      • Claustaire dit :

        Je crois que l’actuel président de la R.F. n’a pas besoin d’être “européiste” pour défendre les intérêts nationaux de la France face aux provocations de l’autocrate turc qui se rêve en nouveau sultan d’un néoimpérialisme ottoman.
         
        De Gaulle n’avait pas eu à être “européiste” pour développer sa propre arme nucléaire, sortir de l’OTAN ou engager un bras de fer “tous azimuts” contre d’autres puissances impérialistes de son époque…

        • Descartes dit :

          @ Claustaire

          [Je crois que l’actuel président de la R.F. n’a pas besoin d’être “européiste” pour défendre les intérêts nationaux de la France face aux provocations de l’autocrate turc qui se rêve en nouveau sultan d’un néoimpérialisme ottoman.]

          Je dirais même le contraire… si notre président veut défendre les « intérêts nationaux de la France » (j’ignorais que « la France » avait d’autres intérêts que « nationaux ») il aurait intérêt à se débarrasser rapidement de son « européisme ». Parce que s’il attend que l’UE « affronte les provocations de l’autocrate turc », il risque d’attendre très, très longtemps.

          [De Gaulle n’avait pas eu à être “européiste” pour développer sa propre arme nucléaire, sortir de l’OTAN ou engager un bras de fer “tous azimuts” contre d’autres puissances impérialistes de son époque…]

          Je ne me souviens pas que De Gaulle ait suspendu une vaccination parce que de l’autre côté du Rhin on avait pris peur…

          • claustaire dit :

            Je crois que Macron a bien plus peur du peuple français et de ses gaulois réfractaires en gilets jaunes que de ce qu’on pourrait penser de lui outre-Rhin.

            • Descartes dit :

              @ Claustaire

              [Je crois que Macron a bien plus peur du peuple français et de ses gaulois réfractaires en gilets jaunes que de ce qu’on pourrait penser de lui outre-Rhin.]

              Ne croyez pas ça… il s’est montré bien plus prompt à céder aux ordres venus d’outre-Rhin qu’aux injonctions de “gaulois refractaires en gilets jaunes”. Pensez à la suspension de la vaccination avec l’AstraZeneca…

            • Vincent dit :

              Ou à la fermeture de Flamanville…

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [Ou à la fermeture de Flamanville…]

              Fessenheim, vous voulez dire…

        • Vincent dit :

          @Claustaire

          De Gaulle n’avait pas eu à être “européiste” pour développer sa propre arme nucléaire, sortir de l’OTAN ou engager un bras de fer “tous azimuts” contre d’autres puissances impérialistes de son époque…

          Il a eu besoin de financer des programmes d’armement extrèmement dispendieux, de consacrer une part importante du PIB aux secteurs de l’aéronautique et de l’armement.
          Bref, de renoncer à la “compétition” avec le mark, et à accepter de dévaluer, pour pouvoir financer cette politique…
           

          • Descartes dit :

            @ Vincent

            [Il a eu besoin de financer des programmes d’armement extrêmement dispendieux, de consacrer une part importante du PIB aux secteurs de l’aéronautique et de l’armement. Bref, de renoncer à la “compétition” avec le mark, et à accepter de dévaluer, pour pouvoir financer cette politique…]

            Tout à fait. La “grandeur” a un coût. Elle rapporte aussi, mais en général bien plus tard. C’est un investissement à long terme.

  6. Steph dit :

    Merci pour cette analyse et ce rappel des faits sur le rôle lié à a présidence de la commission : il est effectivement très facile de se tromper de grille de lecture et de choisir une ligne “féministe” (hé oui, il est nettement moins rigolo aujourd’hui qu’il y a 50 ans !)
    Et oui, les turcs retiennent des millions de candidats potentiels à notre eldorado européen, ils nous tiennent par la barbichette

    • Descartes dit :

      @ Steph

      [Merci pour cette analyse et ce rappel des faits sur le rôle lié à a présidence de la commission : il est effectivement très facile de se tromper de grille de lecture et de choisir une ligne “féministe” (hé oui, il est nettement moins rigolo aujourd’hui qu’il y a 50 ans !)]

      Tout à fait. D’ailleurs, je vous livre une réflexion : à l’occasion de cette affaire, on nous a montré des vidéos ou l’on voit trois fauteuils installés, avec le président de la Commission et celui du Conseil à égalité. Personne ne semble noter qu’un tel arrangement est injurieux pour le président du Conseil, qui se trouve rabaissé au niveau du président de la Commission. Mais peut-être que si Conseil était présidé par une femme et la Commission par un homme, on nous le ferait remarquer ?

      [Et oui, les turcs retiennent des millions de candidats potentiels à notre eldorado européen, ils nous tiennent par la barbichette]

      Le mot que j’aurais en tête n’est pas « barbichette »… Mais vous n’avez pas tort : l’Union européenne et incapable d’assumer les décisions difficiles. Alors, elle paye d’autres pour le faire à sa place. C’est le stade ultime de l’hypocrisie.

      • cd dit :

        [Personne ne semble noter qu’un tel arrangement est injurieux pour le président du Conseil, qui se trouve rabaissé au niveau du président de la Commission. Mais peut-être que si Conseil était présidé par une femme et la Commission par un homme, on nous le ferait remarquer ?]
        Il y a toujours une hiérarchie possible : dans ces cas-là, le plus élevé est assis à la droite de l’hôte et le moins élevé à la gauche.  D’ailleurs dans cette histoire il a été dit que dans cette histoire que la présidente de la Commission et le président du Conseil étaient à égalité dans l’ordre protocolaire, or cela n’arrive jamais. Au pire si deux personnes ont la même fonction : deux députés ou deux ambassadeurs par exemple, il y a toujours un ordre : leur date d’entrée en fonction ou leur âge par exemple. Dans le protocole il y  a toujours une hiérarchie.

      • Ian Brossage dit :

        @Descartes

        Personne ne semble noter qu’un tel arrangement est injurieux pour le président du Conseil, qui se trouve rabaissé au niveau du président de la Commission.

        Je note qu’en face de Leyen, il y avait dans un autre canapé le ministre truc des affaires étrangères. Il est quasiment toujours coupé au montage et jamais évoqué dans le texte qui accompagne la photo. Pourtant, rien ne dit qu’il a moins de pouvoir que Leyen, surtout en politique étrangère…
         

  7. Luc dit :

    [Erdogan conduit Charles Michel vers les fauteuils, où ils prennent l’un et l’autre place. Ursula von der Leyen reste debout]Michel a courru ,tout seul,trop content,un vrai Charlot!Revisionnezhttps://theconversation.com/le-sofagate-ou-la-faillite-de-la-politique-etrangere-de-lunion-europeenne-158638
     

  8. Jovien dit :

    Vous évoquez la tétanie d’Angela Merkel… Ce qu’on pourrait vous demander, c’est ceci : Que préconisez-vous, si Erdogan recommence le coup de 2015 et lâche des migrants par centaines de mille ou par millions sur les îles grecques, en particulier dans les mois qui viennent puisque ce sont ceux des élections allemandes et françaises ?
    1° Laisser les Grecs se débrouiller ? (Au risque que la Grèce transporte les migrants sur les côtes de l’Épire grecque et les laisse s’embarquer pour l’Italie ; au risque que l’Italie les transporte sur les plages de la Riviera ligure et les laisse s’embarquer pour la France).
    2° Aider les Grecs à construire des murs flottants au large de leurs côtes ?
    3° Se joindre aux Grecs pour couler les embarcations chargées de migrants ?
    4° Soumettre la Turquie à un embargo ?
    5° Expulser les Turcs présents en France, et inviter les autres Européens à faire de même ?

    • Descartes dit :

      @ Jovien

      [Vous évoquez la tétanie d’Angela Merkel… Ce qu’on pourrait vous demander, c’est ceci : Que préconisez-vous, si Erdogan recommence le coup de 2015 et lâche des migrants par centaines de mille ou par millions sur les îles grecques, en particulier dans les mois qui viennent puisque ce sont ceux des élections allemandes et françaises ?]

      Je préconise qu’on sache ce qu’on veut, et qu’on l’assume :

      Si la position est de ne pas accueillir ces migrants, alors on fait ce que font aujourd’hui les turcs par procuration : empêcher l’arrivée de ces migrants sur le sol européen, y compris par des moyens que certains qualifieront « d’inhumains ». Cela ne changera rien par rapport à aujourd’hui, puisque les turcs le font déjà en tant que sous-traitants. Ce qui permet aux européens de garder nos mains propres et revendiquer le droit de donner des leçons au monde entier…

      Et si la position est de les accueillir, alors on crée les conditions d’accueil et on assume publiquement le coût économique et social correspondant.

      Le problème n’est pas tant de choisir une solution, mais de l’assumer politiquement. L’hypocrisie permet d’éviter de prendre les responsabilités.

      • Jovien dit :

        Vous répondez… et ne répondez pas.
        Pour choisir, il faut savoir quels sont les termes du choix.
        Vous dites qu’on peut choisir de ne pas accueillir les migrants et que dans ce cas on peut faire comme les Turcs.
        Mais les Turcs ne sont pas menacés d’une migration par voie de mer. Contre une migration terrestre on construit un mur. C’est notamment ce qu’ont fait les Bulgares à la frontière turque.
        Contre des migrants qui montent sur des rafiots en provenance des plages turques, que préconisez-vous ? Il me semble que le mieux serait de construire des murs flottants – mais je ne sais pas si c’est techniquement faisable – tout en prenant des mesures de rétorsion contre la Turquie, en particulier en décidant un embargo. Je crois qu’il y a trois millions de réfugiés en Turquie, et trois millions d’autres dans la poche d’Idlib.
        Et même question pour des migrants en provenance de Tripoli, région contrôlée par des Libyens protégés des Turcs. Vous les laissez se noyer ?
        Je ne dis pas que j’ai la réponse, et c’est d’ailleurs pourquoi avoir la vôtre m’intéresse.

        • Descartes dit :

          @ Jovien

          [Vous répondez… et ne répondez pas. Pour choisir, il faut savoir quels sont les termes du choix. Vous dites qu’on peut choisir de ne pas accueillir les migrants et que dans ce cas on peut faire comme les Turcs.]

          Ce que je dis, c’est qu’il faut choisir ET ASSUMER POLITIQUEMENT les buts, et qu’ensuite seulement on peut se donner les moyens. Et si le but est d’empêcher les migrants de poser le pied sur le sol européen, alors on se donne les moyens qui permettent d’atteindre ce but.

          [Contre des migrants qui montent sur des rafiots en provenance des plages turques, que préconisez-vous ? Il me semble que le mieux serait de construire des murs flottants – mais je ne sais pas si c’est techniquement faisable – tout en prenant des mesures de rétorsion contre la Turquie, en particulier en décidant un embargo. Je crois qu’il y a trois millions de réfugiés en Turquie, et trois millions d’autres dans la poche d’Idlib.]

          Comme vous, je ne suis pas un technicien de la chose. Peut-on monter des murs flottants ? Je ne sais pas. On pourrait certainement envoyer des navires pour empêcher les embarcations de toucher les côtes grecques. Cela ferait des morts ? Oui, probablement. La politique c’est aussi d’assumer des choix tragiques. Et si on n’est pas prêt à assumer les moyens, alors on ne se donne pas les objectifs qui les nécessitent.

          Il faut rappeler la formule de Sun Tzu : la victoire ne va pas aux plus puissants, mais aux plus décidés. Les migrants sont prêts à mourir pour atteindre le territoire européen. Sommes-nous prêts à tuer pour les en empêcher ? Si la réponse est « non », alors autant ouvrir les portes.

          • Claustaire dit :

            Et si, sur cette question comme d’autres, la réponse n’était pas de se laisser enfermer dans un faux dilemme entre un mauvais “oui” et un méchant “non”, entre une porte ouverte et une porte fermée, mais avec des portes entrouvertes qui tantôt acceptent, tantôt refusent ?
            Toute frontière est-elle forcément front ?

            • Descartes dit :

              @ Claustaire

              [Et si, sur cette question comme d’autres, la réponse n’était pas de se laisser enfermer dans un faux dilemme entre un mauvais “oui” et un méchant “non”, entre une porte ouverte et une porte fermée, mais avec des portes entrouvertes qui tantôt acceptent, tantôt refusent ?]

              Je ne dis pas non, tant que nous restons maîtres du choix des critères pour accepter celui-ci, refuser celui-là. Je ne crois pas avoir jamais défendu une logique de « zéro immigration ».

              [Toute frontière est-elle forcément front ?]

              Je n’ai rien dit, il me semble, sur « toute frontière ». On parlait ici d’une frontière bien particulière…

        • Ian Brossage dit :

          @Jovien

          Mais les Turcs ne sont pas menacés d’une migration par voie de mer.

          Pourquoi donc ? La Turquie a des côtes méditerranéennes tout comme l’Italie, l’Espagne ou la France. Des migrants peuvent très bien tenter de passer en Turquie par la mer si la Turquie ferme ses frontières terrestres.
          Si les migrants cherchent à aller en Europe de l’Ouest plutôt qu’en Turquie, ce n’est pas une question de difficulté, c’est simplement parce que les conditions y sont beaucoup plus attirantes.
           

  9. Vincent dit :

    Mes remarques suivantes concernent les conclusions que “le Monde” tire de cette affaire (*), à savoir que, au final, il résulte de cet imbroglio que “les valeurs d’égalité entre les sexes défendues par l’UE ont été bafouées et l’image de « l’Europe puissance » tournée en dérision.”
     
    1°) Sur le premier point, ils se moquent totalement du monde : en matière protocolaire, ce serait la galanterie qui exigerait de laisser les femmes au premier plan, au détriment des fonctions exercées ?
    Il y a ici une incohérence totale de la pensée féministe, qui veut à la fois que les femmes soient mises en avant dans des fonctions de pouvoir, parcequ’elles sont des femmes, et qu’on considère les femmes à égalité des hommes, à poste égal. Même si une femme est premier ministre, ça ne sera pas elle qui présidera le Conseil des Ministre, au nom de la galanterie. Et le Président ne laissera jamais la décision de la force de frappe au secrétaire général de l’Elysée, même si c’est une femme !
     
    2°) Sur le second point la remarque est plus intéressante : elle sous-entend que la présidence du Conseil est impuissante, alors que la présidence de la Commission est puissante, et que mettre la première en avant est un moyen de rendre l’Europe impuissante.
    Cette interprétation rejoint celle qu’en fait ici le secrétaire français aux Affaires européennes, quand il explique : « Il serait bien dans les années qui viennent (..) qu’il y ait une seule présidence de l’exécutif européen. Il faut qu’on ait des institutions européennes plus fortes, mieux incarnées ».
     
    Mais cette manière de raisonner occulte totalement ce qu’est l’Union Européenne elle même. Si elle disposait d’un réel exécutif disposant de sa propre légitimité… Cela impliquerait un basculement total dans une Europe fédérale, alors que l’UE reste avant tout une organisation internationale chargée de faciliter la coopération entre les Etats membres.
    On a, comme le dit l’expression familière, “le cul entre 2 chaises” : officiellement l’UE n’est qu’une organisation internationale, mais dans la pratique, les administrations internes de l’UE (la Commission n’est au final pas autre chose) ont pris tellement de pouvoir qu’elles aimeraient pouvoir s’affranchir de la tutelle des Etats membres.
     
    On pourrait comparer cela à un Directeur de cabinet d’une mairie qui, à force d’avoir pris trop d’importance dans sa ville, en vient à éclipser le maire sans que ça n’offusque personne. Et qui finirait par expliquer qu’il faudrait arrêter de laisser le maire représenter la commune aux cérémonies, pour éviter d’avoir une double représentation de la commune…
    Autre comparaison, en revenant à l’Histoire de France : à l’époque des rois fainéants et des maires du palais, sortes de premiers ministres, qui ont fini par prendre tous les pouvoirs, au point de finalement se mettre la couronne sur la tête.
     
     
    3°) En étant un peu taquin, on pourrait remarquer que personne n’avait fait cette remarque, à l’époque de la Géorgie, en 2008, quand Sarkozy, comme Président du Conseil, avait pris la question géorgienne à bras le corps, et totalement occulté la Commission.
     
    On avait à l’époque : Présidence du Conseil : France ; de la Commission : Portugal. Il était évident qu’en matière internationale, le pouvoir diplomatique appartenait exclusivement au Conseil.
    Aujourd’hui : Présidence du Conseil : Belgique ; de la Commission : Allemagne. Et il semble évident aux observateurs européistes que le pouvoir diplomatique appartient essentiellement à la Commission.
     
    Est ce que cela voudrait dire que, derrière un Président du Conseil ou de la Commission, ce qui compte en terme de pouvoir est, non pas l’UE, mais le pays dont il est originaire ?
    A tous ces européistes qui veulent se comparer avec les USA : Est ce que quelqu’un considère que la parole de Joe Biden n’a que peu d’importance en matière de politique internationale, puisqu’il est élu du Delaware (un des plus petits Etats en superficie et en population ; moins du quart de la Belgique en superficie, et moins du dixième en population) ?
     
    Je sais bien que cette impuissance du Conseil était voulue, et que depuis 2009, que cette fonction est dissociée de la présidence tournante, il y a un accord tacite pour y mettre des personnes sans poids politique majeur (que 2 des 3 personnes ayant occupé la fonction soient belges me semble significatif), et surtout d’un pays qui n’a pas de diplomatie (ou alors exclusivement atlantiste) (**).
     
    En résumé, l’UE se trouve ici encore face à une contradiction :
    – Elle veut peser diplomatiquement, mais elle remplace la présidence tournante, qui pouvait parfois avoir du poids diplomatique, par des personnes dont on peut être certains qu’elles ne pèseront pas. Car pour peser, il faudrait faire la diplomatie d’un vrai pays avec une vraie diplomatie (France, Allemagne, Espagne, ou Italie en gros). Mais en mettant quelqu’un d’un de ces pays, cela risquerait de mettre en position de faiblesse les autres pays avec une diplomatie ; donc le consensus possible est de mettre quelqu’un qui n’a pas de ligne directrice, et à qui on imposera de limiter la politique étrangère de l’UE au plus petit dénominateur commun entre les politiques des Etats membres (**)
    – Elle dispose d’un organe qui est -dans les faits- capable d’engager un bras de fer avec les Etats : la commission. Mais celui ci n’est pas censé avoir de direction propre, d’orientation politique. Du coup, en absence d’orientation politique ou de direction propre, il ne peut pas non plus avoir de diplomatie.
    – Au final, c’est triste à dire mais on en est au même point qu’il y a 60 ans, et de Gaulle résumait déjà le problème  : 
     
    “Je voudrais parler plus spécialement de l’objection de l’intégration. On nous l’oppose en nous disant : « Fondons ensemble les six États dans une entité supranationale ; ainsi ce sera très simple et très pratique. » Mais cette entité-là est impossible à découvrir faute d’un fédérateur qui ait aujourd’hui en Europe la force, l’adresse et le crédit suffisants. Alors on se rabat sur une espèce d’hybride dans lequel les six États acceptent de s’engager à se soumettre à ce qui sera décidé par une certaine majorité. (…)
    Ce sont des idées qui peuvent peut-être charmer quelques esprits, mais je ne vois pas du tout comment on pourrait les réaliser pratiquement, quand bien même on aurait six signatures au bas d’un papier. Y a-t-il une France, une Allemagne, une Italie, une Hollande, une Belgique, un Luxembourg, qui soient prêts à faire, sur une question importante pour eux au point de vue national et au point de vue international, ce qui leur paraîtrait mauvais parce que cela leur serait commandé par d’autres ? Est-ce que le peuple français, le peuple allemand, le peuple italien, le peuple hollandais, le peuple belge, le peuple luxembourgeois, songeraient à se soumettre à des lois que voteraient des députés étrangers, dès lors que ces lois iraient à l’encontre de leur volonté profonde ? Ce n’est pas vrai ! Il n’y a pas moyen, à l’heure qu’il est, de faire en sorte qu’une majorité étrangère puisse contraindre des nations récalcitrantes. Il est vrai que, dans cette Europe « intégrée » comme on dit, il n’y aurait peut-être pas de politique du tout. Cela simplifierait beaucoup les choses. En effet, dès lors qu’il n’y aurait pas de France, pas d’Europe, qu’il n’y aurait pas une politique faute qu’on puisse en imposer une à chacun des Six États, on s’abstiendrait d’en faire.”
     
    (*) Article en accès libre :
    “Le Monde
    Turquie-UE : l’affaire du sofa, un triple faux pas
    La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a été privée de siège lors d’une rencontre officielle. Les valeurs d’égalité défendues par l’UE ont été écornées.”
    J’adore l’allusion aux “valeurs d’égalité” dans le titre, sans qu’on précise de quoi il s’agit…
     
    (**) Sur l’insignifiance des personnes nommées à ces fonction, on peut écouter le début de l’intervention de Nigel Farage au Parlement européen le 25/11/2009, quelques jours avant la première prise de fonction du président. On peut retrouver (en anglais) ici, au début de cette vidéo :

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [Mais cette manière de raisonner occulte totalement ce qu’est l’Union Européenne elle même. Si elle disposait d’un réel exécutif disposant de sa propre légitimité… Cela impliquerait un basculement total dans une Europe fédérale, alors que l’UE reste avant tout une organisation internationale chargée de faciliter la coopération entre les Etats membres.]

      Tout à fait. C’est pourquoi le « sofagate » fait couler autant d’encre. Par la logique des « petits pas », on cherche à créer dans l’opinion l’illusion que le président de la Commission est une personne très importante, quasiment l’égal d’un chef de gouvernement. Ainsi, j’ai entendu hier au 20 heures de France 2 la présidente de la Commission qualifiée de « présidente de l’Europe ». Ce qui revient, comme vous le soulignez fort justement, à donner l’illusion d’une construction fédérale. Or, ce n’est pas le cas : la Commission n’a aucune compétence en matière politique, c’est un simple organe administratif de proposition et d’application des décisions. Et le « faux pas » des turcs a mis le projecteur sur cette incongruence.

      3°) En étant un peu taquin, on pourrait remarquer que personne n’avait fait cette remarque, à l’époque de la Géorgie, en 2008, quand Sarkozy, comme Président du Conseil, avait pris la question géorgienne à bras le corps, et totalement occulté la Commission.

      [On avait à l’époque : Présidence du Conseil : France ; de la Commission : Portugal. Il était évident qu’en matière internationale, le pouvoir diplomatique appartenait exclusivement au Conseil.
      Aujourd’hui : Présidence du Conseil : Belgique ; de la Commission : Allemagne. Et il semble évident aux observateurs européistes que le pouvoir diplomatique appartient essentiellement à la Commission. Est-ce que cela voudrait dire que, derrière un Président du Conseil ou de la Commission, ce qui compte en terme de pouvoir est, non pas l’UE, mais le pays dont il est originaire ?]

      Je ne crois pas qu’il faille aller aussi loin. A mon avis, ce qui fait scandale ici, c’est que l’épisode jette une lumière crue sur le véritable statut de la Commission. Barroso était de ce point de vue plus intelligent : il avait laissé Sarkozy y aller tout seul, ce qui avait l’avantage de ne pas faire apparaître par le biais du protocole la hiérarchie entre les deux. C’est une vieille règle de la diplomatie : si vous ne voulez pas que votre condition de N°2 apparaisse, il ne faut jamais se retrouver dans la pièce avec le N°1. L’erreur de Von der Leyen est d’avoir accompagné Michel à Ankara. Le faire, c’était prendre le risque de ce qui est arrivé.

      [En résumé, l’UE se trouve ici encore face à une contradiction :
      – Elle veut peser diplomatiquement, mais elle remplace la présidence tournante, qui pouvait parfois avoir du poids diplomatique, par des personnes dont on peut être certains qu’elles ne pèseront pas. Car pour peser, il faudrait faire la diplomatie d’un vrai pays avec une vraie diplomatie (France, Allemagne, Espagne, ou Italie en gros). Mais en mettant quelqu’un d’un de ces pays, cela risquerait de mettre en position de faiblesse les autres pays avec une diplomatie ; donc le consensus possible est de mettre quelqu’un qui n’a pas de ligne directrice, et à qui on imposera de limiter la politique étrangère de l’UE au plus petit dénominateur commun entre les politiques des Etats membres.]

      La contradiction va beaucoup plus loin que cela. Ne vous faites pas d’illusion : lorsque Sarkozy est allé voir Poutine à propos de la Géorgie, c’est avec la France que Poutine discutait, et non avec l’Europe. Les relations internationales sont d’abord régies par les rapports de force. Et ceux qui discutent avec un président du Conseil européen savent qu’ils sont en train de discuter avec quelqu’un dont le pouvoir en tant que président se réduit à sa capacité à proposer quelque chose à ses homologues du Conseil, et guère plus. En tant que président du Conseil, combien de divisions ? Il n’a ni la possibilité de mobiliser des moyens civils ou militaires, d’imposer des sanctions, de conclure des accords, comme l’aurait le chef du gouvernement de n’importe quel pays souverain. En fait, le président du Conseil en tant que tel n’est qu’un ambassadeur de luxe, avec 1/27ème du pouvoir de décision…

      [– Au final, c’est triste à dire mais on en est au même point qu’il y a 60 ans, et de Gaulle résumait déjà le problème : « (…) Y a-t-il une France, une Allemagne, une Italie, une Hollande, une Belgique, un Luxembourg, qui soient prêts à faire, sur une question importante pour eux au point de vue national et au point de vue international, ce qui leur paraîtrait mauvais parce que cela leur serait commandé par d’autres ?]

      Malheureusement, De Gaulle avait largement sous-estime la veulerie de certaines élites, et surestimé leur attachement à l’intérêt de leur nation plutôt qu’à celui de leur classe…

    • Ian Brossage dit :

      Est ce que quelqu’un considère que la parole de Joe Biden n’a que peu d’importance en matière de politique internationale, puisqu’il est élu du Delaware (un des plus petits Etats en superficie et en population ; moins du quart de la Belgique en superficie, et moins du dixième en population) ?

      Pour l’anecdote, le Delaware est un paradis fiscal à l’intérieur des États-Unis : nombre d’entreprises américaines y ont leur domiciliation, bien qu’elles n’aient aucune activité concrète dans cet État. Il ressemble donc de ce point de vue à certains pays de l’UE…
      (et cette possibilité de créer des paradis-fiscaux au sein même d’un État-Nation est peut-être une inspiration pour les fédéralistes européens ?)
       

    • Claustaire dit :

      Merci pour ces utiles rappels.
       
      On pourrait aussi signaler que la pertinente analyse de De Gaulle décrivait la situation d’il y a 60 ans (comme vous le rappelez)… et qu’entre temps bien des choses ont changé, tant hors d’Europe qu’en Europe (où le vaste chantier d’auto-institution hétérogène certes toujours en cours et diversement en souffrance -aux deux sens du terme- n’en est pas moins vivant).
       
      Ce n’est pas parce que tous les paris ne sont pas toujours et tout de suite gagnants qu’il serait interdit de parier, non ?

      • Descartes dit :

        @ Claustaire

        [Ce n’est pas parce que tous les paris ne sont pas toujours et tout de suite gagnants qu’il serait interdit de parier, non ?]

        Tout à fait. Par contre, lorsque le calcul vous montre que vous n’avez aucune chance de gagner, ce n’est pas seulement imprudent, c’est idiot.

        • Claustaire dit :

          “C’est idiot” ne rimerait-il pas avec “nom d’oiseau” ? 😁

          • Descartes dit :

            @ Claustaire

            [“C’est idiot” ne rimerait-il pas avec “nom d’oiseau” ?]

            Vous me faites un mauvais procès. Le qualificatif “idiot” s’appliquait dans mon commentaire à celui qui parierait alors qu’il peut déterminer qu’il n’a aucune chance de gagner. Ce n’était nullement une attaque ad-hominem… sauf dans l’hypothèse ou vous parieriez sur la construction européenne en sachant qu’elle n’a aucune chance de réussir, bien entendu…

            • claustaire dit :

              Comme je vous l’ai déjà dit, l’UE réussira d’autant moins que moins d’Européens parieront sur elle.
              Et à qui me rappellerait qu’il n’y a même pas d’Européens sur ses billets de banque, je répondrais que c’est bien la preuve que cette UE est une vue de l’esprit… qui, pour virtuelle qu’elle soit, manque d’autant moins de potentialités. 

            • Descartes dit :

              @ claustaire

              [Comme je vous l’ai déjà dit, l’UE réussira d’autant moins que moins d’Européens parieront sur elle.]

              « Reussira » à quoi, exactement ? Tant que vous n’avez pas éclairci ce point, on peut difficilement savoir si le fait qu’elle ne « réussisse » pas est à regretter ou à célébrer. Personnellement, je suis convaincu que si tout le monde pariait sur l’Europe, elle « réussirait » certainement bien mieux à nous imposer un ordre néolibéral et autoritaire. Cela vous explique peut-être pourquoi je n’ai aucune envie que l’UE « réussisse »…

              [Et à qui me rappellerait qu’il n’y a même pas d’Européens sur ses billets de banque, je répondrais que c’est bien la preuve que cette UE est une vue de l’esprit…]

              Plutôt une vue du portefeuille… je ne vois pas ce que « l’esprit » vient faire là.

              [qui, pour virtuelle qu’elle soit, manque d’autant moins de potentialités.]

              Et qui, selon toute vraisemblance, restera potentielle très, très longtemps. Et pendant tout ce temps, il faudra supporter ce qu’elle a de réel : la privatisation des services publics, l’abaissement devant le grand frère américain, la « concurrence libre et non faussée » et son cortège de délocalisations… mais attention, il faut continuer à “croire”, c’est la condition de la “réussite”. C’est un peu comme le catholicisme médieval, dans lequel la croyance dans le paradis dans l’autre monde servait d’argument pour que rien ne change dans celui-ci.

  10. cdg dit :

    Il faut quand meme noter que tout ca n aurait pas fait de vague si Von der Leyen n etait pas une femme.
    Sur le fond, oui l UE est un machin qui fonctionne mal mais a la difference de notre hote, je pense que la solution n est pas de dissoudre l UE et de retrouver des etats nations mais au contraire d aller vers fonctionnement plus integré (par ex on pourrait s inspirer de la Suisse ou les cantons seraient remplacé par les etats et l UE serait l etat federal suisse).
    PS: il n y a pas que Merkel qui est terrifiee par un lacher massif d immigrants sur l europe. Il ne vous a surement pas echappé que nous avons des elections cette annee et surtout la presidentielle l annee prochaine (ou Macron espere bien etre reelu). Merkel elle ne se represente plus et je suis meme pas sur qu elle serait tres triste si le candidat de son parti (pas encore connu, 2 se disputent le poste) perde
    A ce propos on pourra noter que Merkel est au pouvoir depuis 2005 (soit 16 ans) alors que nos presidents ont une forte tendance a se faire ejecter au bout de 5 ans

    • Descartes dit :

      @ cdg

      [Sur le fond, oui l UE est un machin qui fonctionne mal mais a la difference de notre hote, je pense que la solution n est pas de dissoudre l UE et de retrouver des etats nations mais au contraire d aller vers fonctionnement plus integré (par ex on pourrait s inspirer de la Suisse ou les cantons seraient remplacé par les etats et l’UE serait l’etat federal suisse).]

      Ou peut-être plutôt comme l’Allemagne, ou les länder seraient remplacés par les états, et l’UE serait l’état fédéral allemand ? Le seul problème, c’est que les états fédéraux comme la Suisse, l’Allemagne ou les Etats-Unis admettent quand même un principe fondamental: le transfert financier entre états fédérés. Ce qui suppose une forme de solidarité inconditionnelle entre concitoyens, moins étendue peut-être que celle d’un Etat unitaire comme la France, mais suffisamment forte pour admettre comme naturel que les plus riches payent pour les plus pauvres sans poser des conditions. C’est cette solidarité inconditionnelle qui n’existe pas – et n’existera pas dans un avenir prévisible – à l’intérieur de l’UE, comme l’exemple grec l’a abondamment prouvé.

      [PS: il n y a pas que Merkel qui est terrifiée par un lâcher massif d’immigrants sur l’Europe. Il ne vous a surement pas échappé que nous avons des élections cette année et surtout la présidentielle l’année prochaine (ou Macron espère bien être réélu). Merkel elle ne se représente plus et je suis mémé pas sur qu elle serait très triste si le candidat de son parti (pas encore connu, 2 se disputent le poste) perde.]

      Il n’y a pas que Merkel, c’est certain. Mais elle se trouve dans une position particulièrement difficile, d’abord parce qu’elle avait pris sur la question migratoire des positions particulièrement ouvertes, et qu’une vague migratoire l’obligerait à prendre des mesures orthogonales aux principes qu’elle avait proclamé il y a quelques années; ensuite parce que la communauté turque a en Allemagne un poids qu’elle n’a pas dans les autres pays européens. Et finalement, même si Merkel ne se représentait pas – et cela n’est pas aussi évident que vous le dites, car plus le temps passe sans qu’un successeur s’impose, plus il semble possible qu’elle cède à d’amicales pressions et reste en place – elle n’a pas envie de finir son mandat sur un désastre et laisser ce souvenir pour l’histoire.

      [A ce propos on pourra noter que Merkel est au pouvoir depuis 2005 (soit 16 ans) alors que nos présidents ont une forte tendance a se faire éjecter au bout de 5 ans]

      Ce n’est pas nouveau… entre 1933 et 1945, la France a connu plus d’une dizaine de gouvernements, alors que l’Allemagne n’a eu qu’un seul chancelier. Je vous laisse juger si ce fut une bonne ou une mauvaise chose…

      • cdg dit :

        La suisse et la RFA sont 2 etats federaux mais les cantons suisses ont bien plus d autonomie que les länder allemands. Pour vous en convaincre : qui connait le president suisse ?
        “Ce qui suppose une forme de solidarité inconditionnelle entre concitoyens, moins étendue peut-être que celle d’un Etat unitaire comme la France, mais suffisamment forte pour admettre comme naturel que les plus riches payent pour les plus pauvres sans poser des conditions. C’est cette solidarité inconditionnelle qui n’existe pas – et n’existera pas dans un avenir prévisible – à l’intérieur de l’UE, comme l’exemple grec l’a abondamment prouvé.”
        Il y a deja des transferts entre etats (le plus connu est la PAC). Et dans le cas de la grece, vous croyez sincerement que la grece va rembourser les prets que les autres etats lui ont fait ? Il est evident que non
        Par contre si vous acceptez des transferts financiers entre etat il faut aussi accepter que les autres vous critiquent et vous demandent de mettre vos finances en ordre. Dans les cas de la grece ca signifiait par ex mettre en place un cadastre ou arreter d embaucher des fonctionnaires pour s assurer des votes.
        Si on aurait renflouer la grece sans condition, pourquoi auraient ils changé de comportement ?
        “la communauté turque a en Allemagne un poids qu’elle n’a pas dans les autres pays européens”
        Le gros des turcs n ont pas la nationalité allemande et donc ne votent pas. Et ceux qui ont la nationalité doivent etre assez peu suceptible de voter CDU (et encore moins CSU)
        De toute facon le gros des immigres qui attendent en turquie ne sont pas turcs. Si on suit votre raisonnement l impact doit etre plus fort en france ou nous avons de nombreux electeurs issus d afrique (d ou viennent de nombreux candidats a l immigration)
         
        “elle cède à d’amicales pressions et reste en place” Elle doit bien etre consciente que c est faire le mandat de trop. Aux dernieres elections ca a deja ete limite

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [La suisse et la RFA sont 2 états fédéraux mais les cantons suisses ont bien plus d’autonomie que les länder allemands. Pour vous en convaincre : qui connait le président suisse ?]

          Je ne vois pas très bien le rapport. Je ne connais pas non plus le nom d’un quelconque président de canton suisse, et en général, d’aucun politicien suisse. Je ne connais pas non plus le nom du président du Népal, et je ne saurais vous dire si les régions népalaises ont beaucoup d’autonomie ou pas.

          [Il y a déjà des transferts entre états (le plus connu est la PAC). Et dans le cas de la Grèce, vous croyez sincèrement que la Grèce va rembourser les prêts que les autres états lui ont fait ? Il est évident que non]

          Supposons que la Grèce ne rembourse jamais. Ce serait dans ce cas un transfert. Mais ce transfert n’a rien d’inconditionnel : pour l’avoir, la Grèce a du imposer un plan d’austérité, réformer le régime de retraites, privatiser les services publics, le tout sous le contrôle étroit de la « troika ».

          Dans l’expression « transfert inconditionnel », le mot « inconditionnel » n’est pas moins important que le mot « transfert ». Oui, bien sûr, il y a des transferts à l’intérieur de l’UE : la PAC, les fonds structurels… mais TOUS ces transferts sont CONDITIONNES. Quand l’UE vous donne de l’argent, c’est pour que vous le dépensiez dans ce qu’elle décide et à ses conditions. Lorsque la région parisienne « transfère » à la Corse de l’argent sous forme de dotation au fonctionnement des collectivités, elle n’impose pas de conditions.

          [Par contre si vous acceptez des transferts financiers entre états il faut aussi accepter que les autres vous critiquent et vous demandent de mettre vos finances en ordre. Dans les cas de la Grèce ça signifiait par ex mettre en place un cadastre ou arrêter d’embaucher des fonctionnaires pour s’assurer des votes.]

          L’UE a demandé bien plus que ça. Elle a exigé un retour à l’équilibre budgétaire de la Grèce. C’est là le point fondamental qui différentie la construction européenne de la construction nationale : dans une nation, il est admis que certaines régions seront STRUCTURELLEMENT en déficit. Personne n’exige en France que chaque région soit en équilibre budgétaire. Nous admettons que pour assurer à nos concitoyens des régions les plus pauvres, il y ait des transferts PERMANENTS des régions les plus riches. C’est cette acceptation qui caractérise la « solidarité inconditionnelle ». Le système européen, lui, n’accepte aucun transfert inconditionnel et permanent. Chaque pays est censé atteindre l’équilibre budgétaire à l’intérieur de ses frontières. Et toute aide est « conditionnelle » aux mesures prises pour revenir à cet équilibre. C’est pourquoi on ne s’est pas contenté de demander à la Grèce de « mettre de l’ordre dans ses finances » : on lui a imposé la privatisation des services publics ou la réforme dans un sens néolibéral du code du travail ou du régime de retraites.

          Vous imaginez en France la Région parisienne exigeant que la Corse ou la Guadeloupe équilibrent leurs recettes et leurs dépenses… ?

          [Si on aurait renfloué la Grèce sans condition, pourquoi auraient-ils changé de comportement ?]

          En d’autres termes, c’est aux régions riches d’imposer le « bon comportement » aux régions pauvres en refusant éventuellement leur solidarité à celles qui ne se soumettraient pas à leurs conditions. Je pense que vous décrivez très exactement ce qu’est la logique européenne qui est la négation justement de ce qui fait la nation, c’est-à-dire, la solidarité inconditionnelle.

          La nation est une collectivité de citoyens, et aucune partie ne peut se constituer pour imposer sa volonté à une autre partie. L’idée qu’une région puisse imposer sa volonté à une autre région est la négation même de la nation, parce qu’elle suppose que la solidarité entre des citoyens appartenant à des sous-ensembles différents n’est pas inconditionnelle, mais purement contractuelle. Or, la puissance du sentiment national, sa capacité d’une nation à rassembler des forces dans la poursuite d’un projet commun tient précisément à la confiance que chaque citoyen peut avoir dans la solidarité des autres…

          [“la communauté turque a en Allemagne un poids qu’elle n’a pas dans les autres pays européens” Le gros des turcs n’ont pas la nationalité allemande et donc ne votent pas.]

          Je ne sais pas. Auriez-vous des chiffres ? J’étais sous l’impression que les enfants des immigrés turcs, lorsqu’ils sont nés en Allemagne, ont la double nationalité.

          [Et ceux qui ont la nationalité doivent etre assez peu suceptible de voter CDU (et encore moins CSU)]

          Pourquoi dites-vous ça ? Si je crois mes informations, la communauté turque résidente en Allemagne est particulièrement conservatrice. Je la vois mal votant SPD, Verts ou Die Linke.

          [De toute façon le gros des immigres qui attendent en Turquie ne sont pas turcs.]

          Je ne vois pas le rapport. La question ici n’était pas celle de l’immigration, mais des rapports avec la Turquie. Vu l’influence de la Turquie sur l’immigration turque en Allemagne, on voit mal Merkel se fâcher avec Erdogan. Un peu comme Macron fait risette au gouvernement algerien…

          • cdg dit :

             
            [[ qui connait le président suisse ?]
            Je ne vois pas très bien le rapport.]
            Disons qu on connais le nom des personnes qui ont du pouvoir. Le gouvernement federal suisse en ayant peu, ses membres sont assez peu connu
            [ Lorsque la région parisienne « transfère » à la Corse de l’argent sous forme de dotation au fonctionnement des collectivités, elle n’impose pas de conditions.]
            Il y a des conditions : le respect du code des marchés public par exemple et plus generalement le respect des lois francaises (un maire ne peut pas decider d embaucher comme agent municipaux la moitie de ses electeurs pour etre reelu). Et si vous les respectez pas vous avez des problemes avec la justice francaise (certes surtout en theorie dans le cas corse) : https://www.nouvelobs.com/justice/20161126.OBS1764/proces-des-gites-corses-petites-magouilles-et-clientelisme.html
            [En d’autres termes, c’est aux régions riches d’imposer le « bon comportement » aux régions pauvres en refusant éventuellement leur solidarité à celles qui ne se soumettraient pas à leurs conditions. Je pense que vous décrivez très exactement ce qu’est la logique européenne qui est la négation justement de ce qui fait la nation, c’est-à-dire, la solidarité inconditionnelle.]
            Il y a quand meme une difference majeure entre l UE et un etat comme la France. La corse ou la creuse est financee a fond perdu par les contribuables des regions riches mais elles doivent se soumettre a pas mal de regles. La corse ne peut decider d etre un paradis fiscal pour les armateurs ou d avoir un age de la retraite different du reste de la France
            Et si un corse viole les regles, il y a une police pour enqueter, une justice pour le condamner et une prison pour qu il purge sa peine. Dans le cas de l UE, il n y a rien de tout ca
            [L’idée qu’une région puisse imposer sa volonté à une autre région est la négation même de la nation, parce qu’elle suppose que la solidarité entre des citoyens appartenant à des sous-ensembles différents n’est pas inconditionnelle, mais purement contractuelle. ]
            Un grand nombre de corses vous dirons qu il sont brimés (les autonomistes ont gagnés les derniers elections). Et si on regarde dans l histoire, il est arrivé que des regions se fasse imposer des choix (sans remonter jusqu aux chouans, l etat central a exterminé les langues regionales il y a un peu plus de 100 ans)
            [J’étais sous l’impression que les enfants des immigrés turcs, lorsqu’ils sont nés en Allemagne, ont la double nationalité.]
            A l origine la RFA avait le droit du sang, de memoire c est Schröder qui a changé et facilité l acquisition de la nationalité allemande. Comme c est assez recent, on a encore pres de la moitié des turcs qui n ont pas la nationalité et ne peuvent voter (https://www.srf.ch/news/infografik/groesste-minoritaet-deutschlands-tuerken-in-deutschland-zahlen-und-fakten)
            Si vous consultez (https://de.wikipedia.org/wiki/T%C3%BCrkeist%C3%A4mmige_in_Deutschland) vous verrez que les naturalisations sont peu nombreuses (16 700 en 2018)
            [[Et ceux qui ont la nationalité doivent etre assez peu suceptible de voter CDU (et encore moins CSU)]
            Pourquoi dites-vous ça ? Si je crois mes informations, la communauté turque résidente en Allemagne est particulièrement conservatrice. Je la vois mal votant SPD, Verts ou Die Linke.]
            sur la page wikipedia que je vous ai indiqué ci dessus il y a «Am häufigsten werden von türkeistämmigen Deutschen die Parteien SPD (ca. 39 Prozent) und Grüne (ca. 13 Prozent) gewählt»
            Ce qui traduit donne «les allemands d origine turcs votent en le plus pour le SPD (39%) et les verts (13%). Ce qui se comprend car le critere majeur n est pas le societal mais le social (le gros des turcs sont en bas de l echelle sociale) ou la position vis a vis de l immigration. Autrement dit, l allemand d origine turc va voter nettement plus SPD que l allemand moyen meme si le SPD/les verts veulent legaliser le cannabis ou les meres porteuses
            Pour la CDU/CSU, courtiser l electorat d origine turc est se tirer une balle dans le pied. Peu de gain et un risque de fuite des ses electeurs habituels vers l AfD
            [[De toute façon le gros des immigres qui attendent en Turquie ne sont pas turcs.]
            Je ne vois pas le rapport. ]
            Je parlais ici de l hypothese ou erdogan ouvrait les vannes des migrants
            Comme la plupart des migrants ne sont pas turcs, ca doit peu jouer electoralement.
            Et si Merkel a un clash avec Erdogan, ca peu meme etre favorable electoralement a la CDU : les allemands turque votent peu pour eux (donc peu de pertes) et certains electeurs de l AfD vont revenir au bercail
             
             
             

            • Descartes dit :

              @ cdg

              [Disons qu’on connais le nom des personnes qui ont du pouvoir. Le gouvernement fédéral suisse en ayant peu, ses membres sont assez peu connus.]

              Connaissez-vous le nom du premier ministre letton, ou du chef du gouvernement slovaque ? Et pourtant ils ont le pouvoir dans leurs pays, unitaires comme la France.

              [« Lorsque la région parisienne « transfère » à la Corse de l’argent sous forme de dotation au fonctionnement des collectivités, elle n’impose pas de conditions. » Il y a des conditions : le respect du code des marchés public par exemple et plus généralement le respect des lois francaises]

              Tout à fait. Mais les « lois françaises » en question ne sont pas faites par l’Ile de France… elles sont faites par le gouvernement français. Les conditions imposées à la Grèce n’ont pas été faites par une autorité représentant l’ensemble de l’Europe, mais par l’Allemagne.

              [« En d’autres termes, c’est aux régions riches d’imposer le « bon comportement » aux régions pauvres en refusant éventuellement leur solidarité à celles qui ne se soumettraient pas à leurs conditions. Je pense que vous décrivez très exactement ce qu’est la logique européenne qui est la négation justement de ce qui fait la nation, c’est-à-dire, la solidarité inconditionnelle. » Il y a quand même une différence majeure entre l’UE et un état comme la France. La corse ou la creuse est financée a fond perdu par les contribuables des régions riches mais elles doivent se soumettre a pas mal de règles.]

              Sans doute. Mais ces « règles » ne sont pas imposées par les régions les plus riches. Elles sont issues d’une souveraineté extra-régionale.

              [Et si un corse viole les règles, il y a une police pour enquêter, une justice pour le condamner et une prison pour qu’il purge sa peine. Dans le cas de l’UE, il n y a rien de tout ça]

              Et il ne peut pas y avoir. Pour que les Grecs acceptent une police européenne pour enquêter, une justice européenne pour juger, il faudrait que les Grecs aient confiance dans le fait que cette police et cette justice ne sont pas contrôlées par les Allemands et utilisées pour faire avancer leurs intérêts. Et cette confiance n’est concevable que s’il existe une solidarité inconditionnelle entre citoyens européens. C’est cela la condition sine qua non pour que tous les citoyens se soumettent à une autorité commune. Le Corse sait que les règles en France ne sont pas faites dans l’intérêt exclusif des Parisiens.

              [« L’idée qu’une région puisse imposer sa volonté à une autre région est la négation même de la nation, parce qu’elle suppose que la solidarité entre des citoyens appartenant à des sous-ensembles différents n’est pas inconditionnelle, mais purement contractuelle. » Un grand nombre de corses vous dirons qu’il sont brimés (les autonomistes ont gagnés les derniers élections).]

              C’est vrai. Mais cela tient au fait que l’on adore dans notre pays se placer dans le rôle de victime et de se trouver un bouc émissaire. Le fait est que quand il y a une crise, un accident, on s’adresse au Préfet. Pourquoi s’adresser à une autorité qui n’a d’autre rôle que de vous « brimer » ? Regardez les Marseillais : ils proclament jour et nuit qu’ils sont brimés par le pouvoir central. Mais quand les immeubles s’effondrent Rue d’Aubagne, vers qui se tournent-ils ? Vers leur maire ? Vers le président du Conseil départemental ? Non, ils se tournent vers l’Etat, et disent pis que pendre de leurs autorités locales…

              [Et si on regarde dans l’histoire, il est arrivé que des régions se fasse imposer des choix (sans remonter jusqu’aux chouans, l’état central a exterminé les langues régionales il y a un peu plus de 100 ans)]

              Oui. Mais c’est l’Etat central qui a imposé, pas la région la plus riche. Contrairement à l’UE, l’Etat central représente en France tous les citoyens. Des citoyens qui acceptent son autorité parce qu’ils savent que celle-ci s’exerce dans l’intérêt général, et non l’intérêt de telle ou telle région.

  11. Luc Laforets dit :

    Bonjour,
    Je n’ai pas tout à fait la même lecture que vous de cet incident.
    Pour ma part, je pense bien qu’il s’agit d’un geste délibéré de la Turquie et de Charles Michel
    Malheureusement, je n’ai pas pu retrouver la vidéo intégrale de l’arrivée dans cette salle (ne subsiste plus sur internet que la version tronquée). On y voyait notamment l’attitude très “confortable”, ostentatoire de Charles Michel.
    J’ai fait part de mon point de vue dans cette vidéo : https://youtu.be/CGj3hL4hsJ8?t=1011
    Merci encore de vos excellentes analyses que je me permets souvent de citer.
    Cordialement.
    Luc Laforets.

    • Descartes dit :

      @ Luc Laforets

      [Je n’ai pas tout à fait la même lecture que vous de cet incident. Pour ma part, je pense bien qu’il s’agit d’un geste délibéré de la Turquie et de Charles Michel.]

      Mais « délibéré » pour quoi faire ? Quel aurait pu être le but de Michel et Erdogan ?

      Imaginons un instant que la présidente de la Commission, au lieu de faire « hum » et de rester plantée là dans un geste évident de mécontentement, soit allée d’elle-même s’asseoir sur le canapé. Et qu’en revenant à Bruxelles, au lieu de faire du scandale, elle ait répondu aux journalistes que dans la mesure où le président du Conseil a la préséance sur elle, le déroulement de la rencontre était tout à fait normal. Il n’y aurait pas eu de quoi fouetter un chat.

      Ce qui crée l’incident – et ridiculise la présidente de la Commission – ce n’est pas l’attitude de Michel et Erdogan, mais la prétention de Von der Leyen à occuper une place protocolaire qui n’est pas la sienne, sans avoir les moyens de ses ambitions, et de faire ensuite à Bruxelles le scandale qu’elle n’a pas osé faire à Ankara.

      [Malheureusement, je n’ai pas pu retrouver la vidéo intégrale de l’arrivée dans cette salle (ne subsiste plus sur internet que la version tronquée). On y voyait notamment l’attitude très “confortable”, ostentatoire de Charles Michel.]

      Je conçois que Michel ait pu être agacé de la prétention de Von der Leyen, et qu’il y ait vu avec grand plaisir une opportunité de lui faire un chien de sa chienne, et c’est tout à son honneur, d’ailleurs, parce que lui aussi a un rang protocolaire à tenir. Mais de là à imaginer un complot, je pense que c’est aller un peu loin.

      • Claustaire dit :

        Naguère il y eut des gens assez déterminés pour dire, contrairement au protocole, qu’ils étaient là “par la volonté du peuple et qu’il ne se bougeraient que par la force des baïonnettes”. C’est bien par de telles poussées anti-protocolaires que des peuples on su se faire nation. Et si un jour une nation européenne se constitue à partir de peuples européens, ce pourrait bien être grâce aux coups de main ou de griffes de certaines Ursula.
         
        Que ce soit une femme qui doive nous rappeler que toute (r)évolution politique est affaire de volontarisme, de rapports de forces voire de révoltes nous rappellera utilement que la femme est la moitié du ciel.

        • Descartes dit :

          @ Claustaire

          [Naguère il y eut des gens assez déterminés pour dire, contrairement au protocole, qu’ils étaient là “par la volonté du peuple et qu’il ne se bougeraient que par la force des baïonnettes”.]

          Je ne vois pas le rapport qu’il y a dans le cas que vous citez avec la question du protocole. Le refus des Etats généraux d’accepter la dissolution ordonnée par le roi n’était pas une violation du protocole, mais un conflit de pouvoirs. Vous noterez par ailleurs que lors de la séance royale du 23 juin 1789, les formes ont été respectées. Les députés ont refusé de se séparer, mais aucun ne s’est assis dans le fauteuil du roi.

          Par ailleurs, si Von der Leyen a eu l’air ridicule c’est précisément parce qu’elle n’était nullement prête à affirmer son autorité. Le « nous ne sortirons que par la force des baïonnettes » de Mirabeau a un peu plus de classe, tout de même, que le « hummm » appuyé de la présidente de la Commission. Si elle avait foutu son poing sur la gueule de Michel, l’avait poussé hors du fauteuil et s’était installée à sa place, j’aurais été en désaccord sur le fond mais je l’aurais admirée sur la forme. Mais elle s’est contenté d’un « humm » à Ankara, puis a donné de la trompette une fois revenue dans le confort et la protection de son bureau à Bruxelles. N’est pas Mirabeau qui veut…

          [C’est bien par de telles poussées anti-protocolaires que des peuples ont su se faire nation.]

          C’est vrai. Et c’est par des « humm » qu’on démontre son incapacité à le faire…

          [Et si un jour une nation européenne se constitue à partir de peuples européens, ce pourrait bien être grâce aux coups de main ou de griffes de certaines Ursula.]

          Et les « hummm », ça compte aussi ?

          [Que ce soit une femme qui doive nous rappeler que toute (r)évolution politique est affaire de volontarisme, de rapports de forces voire de révoltes nous rappellera utilement que la femme est la moitié du ciel.]

          Je ne vois pas très bien de quelle femme vous parlez. Celle qu’on a vu à Ankara n’avait ni volonté, ni rapporte de force. Et si la « révolte » en reste au niveau du « humm », on n’est pas prêt de voir quelque chose avancer. Vous parlez comme si Von der Leyen avait gagné une bataille, alors qu’elle l’a piteusement perdue par déroute.

          • Jordi dit :

            [ Celle qu’on a vu à Ankara n’avait ni volonté, ni rapporte de force. Et si la « révolte » en reste au niveau du « humm », on n’est pas prêt de voir quelque chose avancer. Vous parlez comme si Von der Leyen avait gagné une bataille, alors qu’elle l’a piteusement perdue par déroute.]
             
            Erreur d’analyse je le crains. Notre société aime les victimes, et Ursula a été une digne victime du machisme réactionnaire, c’est une femme courageuse qu’il faut consoler. Une survivante de la misogynie. Ce lamentable épisode a pu consterner certains observateurs un peu vieux jeu dans  notre genre, mais elle a acquis des points victimitude dans les médias et sur les réseaux sociaux. 
             
            Ce faisant, elle s’est positionné au dessus de Charles Michel (le vrai cocu de l’affaire). Dans la pétaudière européenne, le seul but de la politique étrangère est bien évidemment de marquer des points auprès de l’opinion publique “qui compte” (vos bien aimées classes intermédiaires, pas ceux qui puent la clope et roulent en diesel. Et d’avancer dans la course aux intrigues bureaucrabiques de Berlaymont. Peu importe les conséquences sur la position diplomatique de l’Europe.
             
            Quand à l’ordre protocolaire, contrairement au fauteuil d’Erdogan, on peut s’asseoir dessus. Charles Michel est une sorte de sous-François Hollande belge. Ce qu’on appelle poliment un candidat de compromis, et qui est surtout un plus petit dénominateur commun. Là ou UvL est une des adjointes du tout premier cercle de la chancelière Merkel, vraie dirigeant de l’EuroReich. Frexit, vite !

            • Descartes dit :

              @ Jordi

              [Erreur d’analyse je le crains. Notre société aime les victimes, et Ursula a été une digne victime du machisme réactionnaire, c’est une femme courageuse qu’il faut consoler.]

              C’est bien le coup qu’elle a essayé de jouer au départ, mais cela n’a pas vraiment pris. Et on le comprend : on ne peut tenir en même temps le discours de la « femme forte » capable de diriger la Commission à l’égal d’un homme, et le discours de la faible femme qu’il faut consoler parce que Erdogan a été impoli avec elle. Ségolène Royal avait déjà eu ce problème : elle a essayé de jouer les victimes alors que sa capacité à jouer des coudes et marcher sur la tête des gens – hommes ou femmes d’ailleurs – était bien connue. C’est pour cette raison je pense que la Commission a abandonné rapidement la veine « féministe » pour des reproches bien plus virils et des menaces voilées adressées au président du Conseil.

              C’est vrai, notre société aime les victimes. Encore faut-il un certain talent pour jouer le rôle. Si Von der Leyen avait éclaté en sanglots et perdu connaissance, cela aurait pu se faire. Mais un « hummm » ne suffit pas.

              [Ce faisant, elle s’est positionné au-dessus de Charles Michel (le vrai cocu de l’affaire). Dans la pétaudière européenne, le seul but de la politique étrangère est bien évidemment de marquer des points auprès de l’opinion publique “qui compte” (vos bien aimées classes intermédiaires, pas ceux qui puent la clope et roulent en diesel. Et d’avancer dans la course aux intrigues bureaucrabiques de Berlaymont. Peu importe les conséquences sur la position diplomatique de l’Europe.]

              On verra avec le temps. Je reste persuadé qu’elle a raté son coup, parce qu’elle n’a pas fait assez à Ankara pour en faire trop ensuite à Bruxelles. « De partout on revient, sauf du ridicule » comme disait Peron…

          • claustaire dit :

            Hummmm !
            🙂

  12. Peltier Martin dit :

    Les faits sont exacts, l’analyse juste, la rectification salubre. Peut-être pourrait-on cependant ajouter que la réaction générale découle du projet “européen” lui-même, dès l’origine : Monnet, Schuman, De Gasperi, et même Churchill, ont choisi, pour construire leur utopie, la stratégie de l’usurpation permanente, des mille usurpations successives et constitutives. La Commission, fille des Hautes autorités, était un simple organe administratif et le parlement un organe consultatif, mais ils se sont considérés tout de suite comme exécutif et délibératif, empiétant sans cesse sur les compétences du Conseil des ministres, qui, lui n’a cessé de décroître (Il faut s’appeler Charles Michel pour s’imaginer détenir un pouvoir). Le rappel de De Gaulle à Hallstein était de bon sens, mais n’a rien empêché. Le compromis de Luxembourg, en rassurant les Etats par la possibilité d’un veto qu’ils n’utilisent jamais, a en quelque sorte tranquillisé le processus d’abandon de souveraineté. Le théâtre de Mme Von der Leyen et de m. Michel marche bien, l’Europe progresse, elle fait nos lois, et, par son impuissance même, exerce le pouvoir qu’il lui revient d’exercer, celui d’assurer la soumission de l’Europe à l’empire. Les quelques misérables écarts de Mme Merkel assurent sa subsistance, ils ne font pas une politique étrangère.

    • Descartes dit :

      @ Peltier Martin

      [Les faits sont exacts, l’analyse juste, la rectification salubre. Peut-être pourrait-on cependant ajouter que la réaction générale découle du projet “européen” lui-même, dès l’origine : Monnet, Schuman, De Gasperi, et même Churchill, ont choisi, pour construire leur utopie, la stratégie de l’usurpation permanente, des mille usurpations successives et constitutives.]

      Tout à fait. C’était la logique des « petits pas » décrite par Monnet. Le projet européen est dès le départ un projet aristocratique, mené par un groupe d’hommes persuadés de savoir ce qui était bon pour les peuples européens mieux que les peuples eux-mêmes, convaincus qu’on ne pouvait pas laisser un tel projet dans les mains des vulgaires citoyens. A partir de là, il fallait imposer le carcan européen par petits pas, pour éviter d’éveiller la vigilance démocratique, de manière à enfermer les gens dans des procédures et des règles avant qu’ils réalisent à quoi ils s’engageaient.

      Le projet européen n’est pas antidémocratique par accident. Son caractère antidémocratique est inscrit dans ses buts et dans sa structure. Dès le départ, l’objectif est de retirer le pouvoir de décision aux représentants des peuples pour les confier à une élite qui sait ce qui est bon pour tous. C’était le crédo de la CECA : confier les décisions aux politiques, c’était la guerre, alors que les confier à une bureaucratie, c’était la garantie de la paix.

      Ce projet de rendre le lion herbivore est inhérent à la construction européenne. Alors, il a fallu lui couper les pattes pour qu’il ne puisse chasser, et puis lui enlever les dents pour qu’il ne puisse pas mordre… et on s’étonne qu’il soit devenu impuissant.

    • claustaire dit :

      @ P.M. Merci d’avoir rappelé que la construction de l’UE implique forcément, fût-ce tacitement, sournoisement ou diplomatiquement, certains processus d’abandon de souverainetés nationales.
      Et si abandon de souverainetés nationales il y a ici, c’est qu’il y a nécessairement gain de souveraineté supranationale ailleurs. Même si dans ce “work in progress“, certains (les divers pays) auront le sentiment d’avoir déjà perdu ce que l’autre (l’UE) n’aurait pas encore gagné. 

      • Descartes dit :

        @ claustaire

        [@ P.M. Merci d’avoir rappelé que la construction de l’UE implique forcément, fût-ce tacitement, sournoisement ou diplomatiquement, certains processus d’abandon de souverainetés nationales.]

        C’est fatigant… mais on dit que la pédagogie est à 99% de la répétition, alors je vais me répéter : Parler de « abandon de souverainetés nationales » est un non-sens. Dans la mesure où la souveraineté fait partie de l’essence de la nation (« la souveraineté réside essentiellement dans la nation », art 4 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789), son « abandon » est impossible. Une nation peut cesser d’exister, et sa souveraineté disparaît alors. Mais une nation ne peut continuer d’être et se séparer ou abandonner ce qui fait partie de son essence.

        On peut déléguer des pouvoirs ou des compétences, mais la souveraineté est indivisible.

        [Et si abandon de souverainetés nationales il y a ici, c’est qu’il y a nécessairement gain de souveraineté supranationale ailleurs.]

        Pour la raison expliquée plus haut, l’idée des fédérastes selon laquelle la souveraineté « supranationale » se construirait à partir de l’agrégation des souverainetés nationales « abandonnées » et transférées à l’échelon supranational est aussi un contresens. La souveraineté fait partie de l’essence d’une nation. Il n’y a donc pas de souveraineté « supranationale » : la seule façon pour une entité « supranationale » d’acquérir la souveraineté est de devenir elle-même une nation.

        • claustaire dit :

           Juste entre nous : 
           
          “fédérastes” ?
           
          N’en rougirez-vous pas ? Surtout dans ce contexte d’Union putative ? 🙂

          • Descartes dit :

            @ claustaire

            [Juste entre nous : “fédérastes” ? N’en rougirez-vous pas ? Surtout dans ce contexte d’Union putative ?]

            Le néologisme “fédéraste” est un néologisme hétérogène, composé à partir du mot contemporain “fédéralisme” et de la racine grecque “erastos” qui a pour signification l’amour, la passion amoureuse. C’est un peu plus fort que “fédérophilie”, construit à partir de la racine grecque “philae” (l’affinité, l’amitié). Je ne vois pas pourquoi les “amoureux du fédéralisme” devraient voir un sens injurieux…

    • claustaire dit :

      Nous direz-vous ce que vous trouvez “rigolo” dans l’exposition par la presse d’inévitables tensions politiques au sein d’un espace politique aussi vaste et donc aussi fragile que tendu que constitue l’UE ?

      • Descartes dit :

        @ claustaire

        [En réponse à Philippe Simon: Nous direz-vous ce que vous trouvez “rigolo” dans l’exposition par la presse d’inévitables tensions politiques au sein d’un espace politique aussi vaste et donc aussi fragile que tendu que constitue l’UE ?]

        Je ne sais pas ce que Philippe Simon trouve rigolo, mais personnellement je trouve très amusant ce petit théâtre de vanités. Et je trouve que l’exposition dans la presse du nanisme politique de Von der Leyen est rafraichissante, dans le flot de propagande bruxelloise qui s’abat sur nous chaque jour. Castigat ridendo mores…

        • Philippe Simon dit :

          C’est exactement ça. Maintenant la dame est furieuse et fait la leçon alors qu’elle n’a pas moufté à l’instant T. Elle veut être traitée en grande et ça s’étale dans la presse. Oui, je trouve ça ridicule et risible.

        • Ian Brossage dit :

          Tout de même : quand Charles Michel (qui n’est pas une station de métro) affirme « je ne vous cache pas que je ne dors pas bien la nuit depuis », il plaisante, non ?
          Et les journalistes qui nomment « sofagate » cet insignifiant épisode…
           

          • Descartes dit :

            @ Ian Brossage

            [Tout de même : quand Charles Michel (qui n’est pas une station de métro) affirme « je ne vous cache pas que je ne dors pas bien la nuit depuis », il plaisante, non ?]

            Ca s’appelle “ironie”, je pense…

            • Ian Brossage dit :

              Oui. Mais je me demandais s’il osait ridiculiser ainsi publiquement un peu plus sa concurrente de la Commission. Je ne sais pas quelle est habituellement l’ambiance entre ces deux-là…
               

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [Oui. Mais je me demandais s’il osait ridiculiser ainsi publiquement un peu plus sa concurrente de la Commission. Je ne sais pas quelle est habituellement l’ambiance entre ces deux-là…]

              Quelque soit l’ambiance, Von der Leyen et ses services on cherché à rejeter la faute sur Michel en le faisant passer au mieux pour un idiot manipulé par Erdogan, au pire pour un affreux machiste. Vous auriez un collègue qui vous fait un coup de ce genre, vous le lui rendez sans hésiter. Et franchement, je trouve que le rendre par l’ironie, cela a de la classe. Ca me rendrait Michel presque sympathique…

  13. Cherrytree dit :

    @Descartes
    Édifiant…
    Cette tempête dans un verre d’eau appelle pourtant quelques réflexions sur un sujet que vous avez abordé précédemment, je veux parler du féminisme ou ce qui se range sous ce grand n’importe quoi.
    D’abord, quand on prétend incarner, dans de hautes fonctions institutionnelles ou politique, l’égalité entre hommes et femmes, on ne s’en va pas couiner (à tort, d’ailleurs) que l’on a été traitée comme une potiche, et que la prochaine fois ça ne se passerait pas comme ça. Si on estime avoir été méprisée, on le manifeste clairement et immédiatement, le courage n’étant pas une exclusivité masculine. 
    Ensuite, on ne laisse pas dire que Charles Michel aurait pu, par courtoisie,  céder sa chaise. D’abord ce n’est pas une question de courtoisie, mais de galanterie, qui, pour autant qu’elle soit agréable en privé, n’a rien à faire dans un sommet ou une réunion de travail. À ces conditions on envoie une jolie fille négocier les traités🤭
     
    Ceci me rappelle une anecdote :j’ ai eu un chef d’établissement qui, lorsqu’il me convoquait dans son bureau, ne me priait jamais de m’asseoir, et je ne m’asseyais pas, bien que le trouvant très impoli, car il était mon supérieur hiérarchique. Le hasard voulut qu’un jour, dans une réunion culturelle, je retrouve ce monsieur, et à son arrivée j’étais assise. Je le saluai donc courtoisement, mais sans me lever. Il trouva spirituel de me le faire remarquer, en public et à haute voix. Je répondis alors qu’une dame ne devait se lever pour saluer un homme que s’il s’agissait d’une personne âgée ou d’un ecclésiastique, et qu’il n’entrait dans aucune de ces catégories. 
    Bon, c’était juste pour aller dans le sens de l’humour de ce billet.
    Et puis flûte, ce n’est quand même pas le coup d’éventail du Dey d’Alger, et Ursula ne va pas saisir le prétexte pour envahir la Turquie, si?😄
     

    • Descartes dit :

      @ Cherrytree

      [Ceci me rappelle une anecdote :j’ ai eu un chef d’établissement qui, lorsqu’il me convoquait dans son bureau, ne me priait jamais de m’asseoir, et je ne m’asseyais pas, bien que le trouvant très impoli, car il était mon supérieur hiérarchique. Le hasard voulut qu’un jour, dans une réunion culturelle, je retrouve ce monsieur, et à son arrivée j’étais assise. Je le saluai donc courtoisement, mais sans me lever. Il trouva spirituel de me le faire remarquer, en public et à haute voix. Je répondis alors qu’une dame ne devait se lever pour saluer un homme que s’il s’agissait d’une personne âgée ou d’un ecclésiastique, et qu’il n’entrait dans aucune de ces catégories.]

      Vous n’auriez pas dû lui dire qu’il n’entrait dans aucune des deux catégories, vous auriez du lui dire “est-ce votre cas ?”. C’eut été bien plus ironique… Mais vous avez parfaitement raison. La courtoisie et la galanterie font partie des rapports privés. Lorsqu’on incarne une fonction politique, c’est à la fonction qu’on s’adresse, et non à la personne.

  14. Cherrytree dit :

    @Descartes
     
    “Poltronne et sofa, la autentica qualità. Et voilà”.😏

Répondre à Claustaire Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *