A entendre le chœur médiatisé des pourfendeurs du vice et défenseurs de la vertu médiatiques, il est urgent de protéger le « droit à l’interruption volontaire de grossesse » en l’inscrivant dans la constitution. Le protéger de qui, de quoi ? De la récente décision de la Cour suprême des Etats-Unis d’Amérique qui, renversant la décision « Roe v. Wade » de 1973, a redonné aux états fédérés la possibilité de légiférer en la matière et donc de restreindre, s’ils le décident ainsi, les possibilités de recours à l’IVG sur leur territoire.
Mais… attendez un instant. En quoi la décision de la Cour suprême d’un pays étranger nous concerne-t-elle ? Serions-nous devenus le 51ème état des Etats-Unis ? A entendre certaines réactions à cette affaire, on pourrait le croire. Et on retrouve ici une logique devenue familière dans sa répétition, dans laquelle on importe dans notre débat politique ou sociétal des problématiques à la mode outre-Atlantique mais qui n’ont aucun rapport avec notre contexte.
Prenons l’affaire « #metoo ». Une affaire qui s’inscrit logiquement dans l’héritage puritain des Américains. Car dans le pays fondé par les « pilgrim fathers », le sexe fait horreur et le plaisir est toujours suspect. L’idée que les rapports entre hommes et femmes – ou entre hommes et hommes, ou entre femmes et femmes, soyons modernes – puissent s’inscrire dans une logique complexe de séduction et de plaisir réciproque sent le soufre. Là où il y a sexe – en dehors des liens sacrés du mariage et à finalité procréative, s’entend – il y a forcément l’œuvre du malin. La violence, le viol, la manipulation ne peuvent être trop loin. Le consentement ne peut jamais être tout à fait libre, la corruption nous guette. La surveillance et la punition sont indispensables si l’on veut éviter de tomber dans les bras de Satan.
Mais que donne tout cela importé dans un pays comme la France, où seuls quelques indécrottables bigots ont peur du péché et ou la tradition hédoniste fait partie de l’histoire nationale ? Chez nous, le plaisir – que ce soit celui des yeux, de la table ou du lit – n’a rien de sulfureux. On n’imagine pas chez nous un politique les larmes aux yeux demandant pardon à la télévision pour avoir trompé sa femme – ou son mari, soyons modernes – pas plus qu’on n’imagine les électeurs lui refusant leur voix pour cette raison. L’équipée de François Hollande à scooter pour aller chez sa maîtresse et le mélodrame qui s’en est suivi a suscité plus d’amusement que d’indignation – sauf peut-être chez Valérie Trierweiller. Nous, Français, avions une vision joyeuse de la vie en général et du sexe en particulier, une vision qu’on trouvait jusqu’il n’y a pas longtemps dans notre littérature, dans notre théâtre, dans notre cinéma, et surtout, dans notre vie quotidienne. Joyeuse et réaliste : quand cela ne marche pas, qu’on se prend un râteau ou bien que la nuit n’arrive à la cheville de nos espérances… et bien, c’est la faute à pas de chance, et on passe à autre chose.
Plus maintenant : nous sommes bel et bien américanisés, et notre vie politique, sociale, culturelle est devenu un marigot pestilentiel rempli d’accusations, de rumeurs, de cabbales qui n’épargnent personne. Dans une société soumise à l’injonction permanente de la performance, tout rapport insatisfaisant est forcément la faute de quelqu’un, et conduit à la recherche d’un coupable et, avec le temps, le coupable devient dans l’imagination un violeur, car admettre qu’on a consenti implique accepter sa part de responsabilité dans l’échec. Et les accusés sont toujours coupables. Même blanchis par la justice, des directeurs d’institution sont obligés de démissionner, des ministres sont renvoyés, des personnalités sont ostracisées.
Un autre exemple ? Prenez l’affaire « black lives matter ». On comprend que cette affaire ait provoqué un grand émoi de l’autre côté de l’Atlantique, puisqu’elle révèle la persistance d’une réalité tenace : la société américaine s’est construite sur une forme de séparation raciale. On l’oublie souvent en France, mais aux Etats-Unis la ségrégation raciale au niveau fédéral n’a été abolie de jure qu’en 1968, et malgré les décisions de la Cour suprême, les constitutions de certains états conservent des éléments de ségrégation (1), et certains états continuent à la pratiquer, quelquefois avec les plus nobles motivations (2). Bref, si on peut écrire outre-Atlantique que « black lives matter », c’est aussi parce qu’il y a une distinction à tous les étages de la société entre « black lives », « white lives », « native-american lives » et toutes sortes d’autres « lives ».
Peut-on transposer cette problématique chez nous ? Pas vraiment. En France métropolitaine, la ségrégation raciale de jure avait déjà disparu sous l’ancien régime, et la Révolution a fermé toute possibilité de rétablissement. Aucun texte en vigueur ne porte en France la trace d’une volonté de séparation de nature raciale. Le mot « race » n’est mentionné dans nos textes juridiques que pour interdire la discrimination sur cette base. Les derniers textes ayant une connotation raciale – les deux statuts des juifs de 1941 – ont été abrogés depuis belle lurette et ne sont aujourd’hui revendiqués par personne. Bien sûr, il y a dans notre société des individus racistes, mais parler de « racisme systémique » ou de « racisme institutionnel » comme on peut le faire aux Etats-Unis est une insulte à la raison. Chez nous, la police ne tue pas des noirs PARCE QU’ILS SONT NOIRS, même si occasionnellement elle en tue par accident quand des individus – accessoirement noirs – brandissent des armes ou résistent à leur arrestation.
Mais peu importe, parce que là encore nos élites américanisées prétendent importer chez nous des problématiques nées là-bas. Et on se trouve ainsi avec un ministre de l’Education nationale qui doit ce poste à son expertise de l’histoire sociale et des minorités… des Etats-Unis, et qui fut un fervent importateur des « black studies » en France.
Et maintenant, la question de l’interruption volontaire de grossesse. Là encore, la situation n’a rien de comparable. Aux Etats-Unis, il n’y a jamais eu de consensus social en faveur de l’avortement. Et c’est pourquoi le législateur au niveau fédéral n’a jamais réussi à faire une loi sur le sujet. Ce sont donc les états qui ont fait des lois, plus ou moins restrictives, jusqu’à la décision « Roe v. Wade » de 1973. Cette année-là, une Cour suprême particulièrement « libérale » décide, en fonction d’une interprétation particulièrement extensive de la Constitution américaine, que le 14ème amendement, censé protéger le droit à la vie privée, s’étendait à l’interruption volontaire de grossesse, et que par conséquent les lois faites par les états et restreignant cette possibilité étaient contraires à la Constitution. En 2022, une Cour particulièrement conservatrice arrive à la conclusion contraire, et abandonne cette interprétation d’une Constitution qui date, rappelons-le, du XVIIIème siècle et rend aux états la possibilité de légiférer sur la question dans un sens plus restrictif s’ils le souhaitent.
Quel rapport avec la France ? Aucun. Chez nous, le droit à l’interruption volontaire de grossesse est entré dans le droit non pas de la main du juge à travers d’une interprétation plus ou moins légitime d’un texte écrit à une époque où la question ne se posait pas dans les mêmes termes, mais par décision des représentants du peuple souverain examinant les implications de leur décision ici et maintenant. Et cette décision emportait et emporte toujours un large consensus social. On peut se chamailler sur les délais, sur le remboursement, sur la prise en charge, mais ceux qui contestent le principe de l’IVG sont une toute petite minorité marginale.
Ceux qui parlent de constitutionnaliser le droit à l’IVG importent une problématique qui n’a aucun rapport avec nos institutions. L’Amérique s’est construite sur une méfiance presque maladive envers l’Etat, et donc une prééminence donnée au juge sur le législateur qui a fait que, historiquement, beaucoup de questions fondamentales ont été tranchés par le judiciaire plutôt que par le politique. En France, c’est l’inverse : le judiciaire, qui avait joué un rôle néfaste en faisant capoter toutes les réformes de l’Ancien régime, de Maupeou à Turgot, a vu son pouvoir strictement limité à la Révolution, tant vis-à-vis du législatif, avec l’interdiction des arrêts de règlement (3) qu’à l’égard du pouvoir exécutif par la création de la juridiction administrative et l’interdiction du juge judiciaire de se mêler de ces questions (4). Quant à la juridiction constitutionnelle, jusqu’à une période relativement récente elle était regardée avec méfiance et son action strictement encadrée.
C’est pourquoi la volonté de constitutionnaliser l’IVG n’a pas tout à fait le même sens en France. Parce que chez nous ce n’est pas l’interprétation oraculaire du texte constitutionnel qui fonde le droit à l’IVG mais la décision démocratique, le projet de constitutionnaliser ce droit pour soi-disant le protéger aboutit en fait à limiter implicitement le pouvoir du législatif, et donc celui du peuple souverain. C’est tout de même un paradoxe de taille : ceux qui professent être farouchement attachés à la souveraineté populaire et à la décision démocratique proposent de constitutionnaliser le droit à l’IVG avec le but avoué de protéger ce droit de ce que les élus du peuple pourraient décider.
Ce projet est un exemple de plus de la méfiance traditionnelle du bloc dominant pour le processus démocratique. De la même manière que les traités européens servent, selon la formule immortelle de Juncker, à mettre des limites à la « décision démocratique », l’inscription permanente de nouvelles contraintes dans la constitution servent à réduire le champ de décision dont bénéficient les représentants du peuple souverain pour gouverner le pays. La constitutionnalisation de la « charte de l’environnement » permet ainsi, en fonction d’une interprétation judiciaire du principe de précaution, d’interdire telle ou telle expérimentation, telle ou telle recherche. Demain, et sauf à écrire dans la Constitution une disposition affreusement détaillée, la constitutionnalisation du droit à l’IVG donnera au juge – et non plus au législateur – la compétence pour décider si l’IVG est possible dans telle ou telle situation, jusqu’à telle ou telle semaine, si le remboursement fait ou non partie du « droit » en question. Autrement dit, derrière les projets de constitutionnaliser tel ou tel droit se cache la volonté de mettre le pouvoir d’appréciation chez les juges plutôt que chez les élus du peuple.
Au fur et à mesure de ces importations, ce sont les institutions américaines que nous finissons par importer. Avec « #metoo » et « black lives matter », nous finissons par introduire dans notre ordre institutionnel des dispositions de discrimination « positive » par race et par sexe. Avec l’accent mis sur la constitutionnalisation, nous établissons le gouvernement des juges. Il fut un temps où les élites du monde entier regardaient ce qui s’inventait chez nous pour le copier. Maintenant, ce sont nos élites qui jettent leur héritage par-dessus bord et n’ont d’yeux que pour ce qui se fait chez les ricains. Sic transit…
Descartes
(1) Ainsi, la constitution de l’Alabama prévoit toujours que « des établissements scolaires distincts doivent être fournis pour les enfants blancs et les enfants noirs, et aucun enfant de l’une de ces deux races ne doit être autorisé à aller dans un établissement réservé à l’autre », et toutes les propositions pour modifier ce texte ont échoué, la dernière en 2004.
(2) Ainsi, par exemple, le service pénitentiaire californien regroupe les détenus par race « pour leur propre sécurité ». En effet, les gangs se constituant sur une base raciale, mélanger les détenus c’est risquer les affrontements.
(3) « Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises. » (Code civil, article 5).
(4) « Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions » (art 13 du titre II de la loi des 16 et 24 août 1790, toujours en vigueur).
51° état américain, surement pas : ils ne voudraient pas de nous. Par contre, à force macroneries, nous seront peut-être un jour une wilaya algérienne !
@ Jean-Louis COUVERT
[51° état américain, surement pas : ils ne voudraient pas de nous. Par contre, à force macroneries, nous seront peut-être un jour une wilaya algérienne !]
Ne vous laissez pas aller à vos fantasmes. Le plus probable, c’est que nous devenions un Länd allemand.
@Descartes,
Paradoxalement, cette décision de SCOTUS (on va l’appeler par son p’tit nom😬) est DEMOCRATIQUE: elle restitue le pouvoir de décision aux législateurs de chaque état fédéré. Bizarrement, les cousins américains de nos bobos la trouve liberticide🤯, mais en pratique, cela signifie que l’avortement aux Etats-Unis ne sera pas aboli, mais plus difficile pour les femmes issues des couches prétendument populaires, mais tout simplement une légère contrariété pour les féministes, généralement issues des milieux favorisées. Un peu comme si on privait nos bobos de livreurs Uber😈…
La manie des démocrates ricains, qui valent bien nos gauchistes en France, de se servir des prolos et des miséreux pour faire pleurer Margot et légitimer LEURS propres revendications de classe, est tout bonnement écoeurante.
Enfin, peu de gens en parlent, mais il y a une grande variabilité sur le territoire américain du délai maximum pour l’avortement. Il faut savoir que la grande majorité des états l’autorise jusqu’à la…TRENTIEME SEMAINE de grossesse! Pire (et oui, je ne vois pas d’autre mot…), sept états le permettent jusqu’au terme! Dans ce dernier cas, il faudrait ici plutôt parler d’infanticide🤬. A comparer avec les délais en Europe, notamment en France, où l’avortement est possible jusqu’à 14 semaines, le pays le plus laxiste étant les Pays-Bas, avec 22 semaines. Dès lors, avec de tels délais, il est normal que des cas de conscience se posent…
A l’instar de la prostitution, de la naissance sous X ou encore de l’euthanasie, notre vision franco-française de l’avortement, tel que pensée par Simone Veil, était la plus équilibrée, jusqu’à ce que les affreuses féministes gauchistes, décidément mauvaises gagnantes, ont déclaré depuis 2012 que, loin d’être un moyen en dernier ressort, l’avortement faisait partie des droits inaliénables de la femme. D’où la très regrettable suppression de la clause de conscience…
Vous aurez remarqué que j’ai listé plus haut les questions de société qui ont tant fait couler d’encre ces dernières décennies, du fait de l’arrivée de la gauche au pouvoir; et comme par hasard, tous les consensus de l’époque ont été soit remis en cause, ou sont sur le point de l’être, comme l’euthanasie, qui va devenir “active”, comme chez nos voisins belges. Il est troublant de voir que cela va restaurer le rôle de l’Etat comme bourreau: drôle de paradoxe pour les hérauts de l’abolition de la peine de mort !
Cette gauche que certains qualifiaient jadis d’américaine: aujourd’hui, je comprends bien mieux pourquoi🤬😡…
@ CVT
[Paradoxalement, cette décision de SCOTUS (on va l’appeler par son p’tit nom😬) est DEMOCRATIQUE: elle restitue le pouvoir de décision aux législateurs de chaque état fédéré.]
Effectivement. Le plus drôle, c’est que chez nous la gauche bienpensante, qui généralement est la première à pester contre la centralisation et à demander que les décisions soient prises « au plus près des gens » – allant jusqu’à demander pour les collectivités locales le pouvoir d’adapter la législation nationale – qui ici s’opposent à ce que le pouvoir en la matière revienne aux états, au motif que ceux-ci sont souvent plus conservateurs que les juges nationaux… On nous explique que l’autorité de Paris n’est pas capable de faire des lois pour Marseille, mais les juges de Washington sont mieux placés que le législateur de l’Oklahoma pour décider ce qui est le mieux pour les femmes de cet état…
[Bizarrement, les cousins américains de nos bobos la trouvent liberticide, mais en pratique, cela signifie que l’avortement aux Etats-Unis ne sera pas aboli, mais plus difficile pour les femmes issues des couches prétendument populaires, mais tout simplement une légère contrariété pour les féministes, généralement issues des milieux favorisées. Un peu comme si on privait nos bobos de livreurs Uber😈… La manie des démocrates ricains, qui valent bien nos gauchistes en France, de se servir des prolos et des miséreux pour faire pleurer Margot et légitimer LEURS propres revendications de classe, est tout bonnement écoeurante.]
Là, je ne vous suis pas. Pour une fois que les féministes des milieux favorisés s’attaquent à une mesure qui est désastreuse pour celles des couches populaires, je trouve injuste de le leur reprocher. Personnellement, je pense que les juges de la Cour suprême des Etats-Unis ont raison de dire que rien dans la Constitution américaine ne permet de dégager une règle qui s’imposerait au législateur en matière d’avortement, et que c’est donc à ce dernier de l’interdire ou l’autoriser, et dans ce cas d’en définir les règles. Ce que je trouve absurde, c’est que les féministes américaines concentrent leurs flèches sur la Cour suprême, alors que c’est au législateur et non au juge de décider.
[A l’instar de la prostitution, de la naissance sous X ou encore de l’euthanasie, notre vision franco-française de l’avortement, tel que pensée par Simone Veil, était la plus équilibrée, jusqu’à ce que les affreuses féministes gauchistes, décidément mauvaises gagnantes, ont déclaré depuis 2012 que, loin d’être un moyen en dernier ressort, l’avortement faisait partie des droits inaliénables de la femme. D’où la très regrettable suppression de la clause de conscience…]
Je pense que le problème est qu’une bonne partie des bienpensants, de gauche comme de droite, ont importé une vision des droits typiquement américaine, celle de droits « absolus » dont le juge est garant. Je trouve la tradition française qui fait des droits un délicat compromis entre les intérêts des individus et ceux de la société, et qui laisse au législateur le soin de placer le curseur, bien plus intelligente.
Toute notre tradition juridique est constituée sur ce principe. La déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ne dit pas autre chose : « l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi ». Les hommes sont certes libres… mais la liberté consiste « à pouvoir faire ce qui ne nuit pas à autrui ». La propriété est sacrée… mais il peut y être porté atteinte sous réserve de l’utilité publique « légalement constatée », sous réserve d’une « juste et préalable indemnisation ». Publication des idées est libre, « sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ». En d’autres termes, chaque droit est proclamé sous réserve d’un équilibre avec les autres, théorie que nos juridictions appliquent systématiquement, admettant qu’un droit soit restreint à condition que la restriction soit proportionnée.
La loi Veil est un monument à cette conception. Ses rédacteurs étaient très conscients que cette loi se devait d’établir un compromis pragmatique entre les contraintes de santé publique, la liberté de choix d’avoir ou non un enfant, la liberté du médecin de pratiquer ou non l’acte selon sa conscience, et les conséquences sociales de tout cela. C’est une loi d’équilibre, et le fait qu’elle ait finalement très bien répondu au problème posé montre que l’équilibre trouvé n’était pas mauvais. A la place, les partisans de la constitutionnalisation proposent un texte révélateur d’une vision « absolue » : « Nul ne peut être privé du droit à l’interruption volontaire de grossesse ». Autrement dit, quelque soit le contexte, quelque soit la situation, quelque soit le risque que l’exercice de ce droit porte atteinte à d’autres droits eux aussi protégés constitutionnellement, le droit en question doit pouvoir être exercé. On se demande par exemple si, avec une telle rédaction, l’interruption volontaire de grossesse deviendrait possible jusqu’au terme (ce qui pose une question délicate vis-à-vis du droit à la sûreté, car on peut argumenter qu’un fœtus à terme est bien une personne humaine, et c’est la position constante des juridictions françaises).
Bien entendu, il est fort probable que, même si l’article ainsi écrit était inclus dans la Constitution, le juge ferait une interprétation de ce texte conforme à la tradition française, et admettrait que le « droit » en question puisse être limité par le législateur à condition que la limitation soit proportionnée. Mais dans ce cas, il appartiendra au juge d’estimer ce qui est proportionné et ce qui ne l’est pas, et on se trouverait dans la situation américaine ou c’est le juge et non le législateur qui fixe le curseur…
[Vous aurez remarqué que j’ai listé plus haut les questions de société qui ont tant fait couler d’encre ces dernières décennies, du fait de l’arrivée de la gauche au pouvoir; et comme par hasard, tous les consensus de l’époque ont été soit remis en cause, ou sont sur le point de l’être, comme l’euthanasie, qui va devenir “active”, comme chez nos voisins belges.]
C’est un sujet sur lequel j’ai beaucoup réfléchi, suite à plusieurs drames familiaux. Je ne suis pas contre l’euthanasie en tant que telle. Mais je suis convaincu qu’elle ne peut être réglementée. Il me semble dangereux de rompre formellement avec l’idée que le mandat du médecin est de prolonger la vie. Le médecin qui pratique une euthanasie sur l’un de ses patients n’accomplit pas un acte médical, mais un acte humain. Et pour garder cette distinction, il faut que cet acte soit pratiqué « dans le silence de la loi ». Et c’est d’ailleurs ce qui se passe, car il ne faut pas se voiler la face : tous les jours, des médecins avec l’accord de la famille conduisent à la mort des patients en phase terminale, au vu et au su des autorités hospitalières et sanitaires. S’il y a un problème, c’est parce que la judiciarisation croissante de notre société – encore une importation d’outre-Atlantique – fait que les médecins peuvent de moins en moins compter sur la bienveillance des institutions et des familles…
Je pense que la loi Léonetti est d’un équilibre quasiment parfait.
En allant plus loin, on risque de mettre les personnes en fin de vie devant l’alternative de devoir elle même décider souverainement de leur mort ou de leur vie. Et laisser cette possibilité de choix, c’est potentiellement obliger une personne à se demander, par exemple : “vu ce que me coûte l’EPHAD, je ne lèguerai pas de patrimoine à mes enfants, qui m’en voudront d’avoir tout dilapidé en ne m’euthanasiant pas”, etc.
Bref, cela revient à laisser la possibilité d’utiliser l’euthanasie en prenant en compte des facteurs autres que médicaux, et c’est la porte ouverte à tout.
Le problème de l’influence de la judiciarisation de la santé sur le comportement des médecins est réel. Et je dirais même majeur. Mais je crois que ce problème soit au cœur de la question sur l’euthanasie.
Je pense qu’il y a eu au cœur de ce problème la médiatisation de quelques cas très particuliers, absolument pas représentatifs, de la réalité de ce que peut être la question de l’euthanasie. Mélangée avec qu’une tendance libertarienne / 68-tarde de certaines élites, qui étaient trop contentes de s’emparer de ces cas particuliers.
Je crois que c’est vous qui citez souvent ce proverbe britannique : “hard cases make bad laws” (dont je ne me rappelle pas la source, au fait…).
@ Vincent
[Je pense que la loi Léonetti est d’un équilibre quasiment parfait.]
Je dirais plutôt un minimum commun dénominateur. En tout cas, elle établit au moins quelques principes qui peuvent servir de guide dans la plupart des situations.
[En allant plus loin, on risque de mettre les personnes en fin de vie devant l’alternative de devoir elle-même décider souverainement de leur mort ou de leur vie. Et laisser cette possibilité de choix, c’est potentiellement obliger une personne à se demander, par exemple : “vu ce que me coûte l’EPHAD, je ne lèguerai pas de patrimoine à mes enfants, qui m’en voudront d’avoir tout dilapidé en ne m’euthanasiant pas”, etc. Bref, cela revient à laisser la possibilité d’utiliser l’euthanasie en prenant en compte des facteurs autres que médicaux, et c’est la porte ouverte à tout.]
Pour moi, au-delà de la question du choix, il y a un problème bien plus fondamental. La question est : l’individu ne s’appartient-il qu’à lui-même, ou s’insère-t-il dans un ensemble de relations ? Une personne peut-elle décider de mourir et imposer l’exécution de cette décision à son entourage ? N’y a-t-il une « obligation de vivre » qui s’impose à chacun d’entre nous ?
[« S’il y a un problème, c’est parce que la judiciarisation croissante de notre société – encore une importation d’outre-Atlantique – fait que les médecins peuvent de moins en moins compter sur la bienveillance des institutions et des familles… » Le problème de l’influence de la judiciarisation de la santé sur le comportement des médecins est réel. Et je dirais même majeur. Mais je crois que ce problème soit au cœur de la question sur l’euthanasie.]
J’imagine que vous avez voulu écrire « je NE crois PAS que ce soit lau cœur… ». Je ne sais si c’est au cœur de la « question sur l’euthanasie », mais je pense qu’elle est déterminante dans la pression sur le législateur pour qu’il se saisisse de la question. Ne nous cachons pas les yeux : cela fait des années, des siècles même, que l’euthanasie est pratiquée « dans le dos de la loi », par le consensus des familles et du médecin. Pourquoi faut-il légiférer aujourd’hui ?
[Je crois que c’est vous qui citez souvent ce proverbe britannique : “hard cases make bad laws” (dont je ne me rappelle pas la source, au fait…).]
Il s’agit d’un adage juridique, dont l’origine est inconnue. Il apparaît par écrit pour la première fois en 1837, dans le cas « Hodgens v. Hodgens », ou le juge écrit « “We have heard that hard cases make bad law.”. La formule semble suggérer que la formule était déjà bien connue à l’époque.
Bonjour Descartes (cher Monsieur ou chère Madame – ne faisons pas de discrimination !)
Merci pour cet article, très clair à la démonstration parfaite. En lisant la partie consacrée à l’avortement j’ai de suite pensé au principe de précaution dans la constitution que vous n’avez pas manqué de souligner).
Analyse très fine, bravo.
Cordialement.
Sans vous en rendre compte, il me semble que vous êtes en train de discriminer les non-binaires…
[Ne vous laissez pas aller à vos fantasmes. Le plus probable, c’est que nous devenions un Länd allemand…]
Ce danger a été largement vécu depuis 1951, et le traité de Paris créant la CECA..Là dans votre article,vous décrivez l’imparable domination cilturelle dans la Noosphère depuis 1949 et la création de l’Otan toujours aussi agressif comme le montre la zone de tous les dangers qu’elle a créé en Ykraine.
Mais pensez vous que la migration d’une dizaine de millions de populations issues des cultures musulmanes soient sans conséquences pour l’avenir de la France?Lorsque vous évoquiez les idéologies selon Marx dans votre article précédent vous émettez l’hypothèse que seule l’idéologie consumériste habite ces personnes.Au vu des 3000 mosquées construites en 10 ans en france qui seront bientôt 10000 pensez vous que ce soit un fantasme que d’évoquez la France en cours de musulmanisation massive irrévocable ?
Au total entre une Germanisation ,une Américanisation et une Islamisation n’est ce pas un miracle que la France et sa culture existe encore en 2022 ? Cette Anomie extraordinaire n’explique t’elle pas les 52% d’abstenti,ns aux dernières législatives? Au vu de ce tableau affligeant où une Russophobie mortifère s’est installée en plus,quelles sont les chances qu’une politique rationnelle soit mise en oeuvre en France ?
@ Luc
[« Ne vous laissez pas aller à vos fantasmes. Le plus probable, c’est que nous devenions un Länd allemand… » Ce danger a été largement vécu depuis 1951, et le traité de Paris créant la CECA…]
Pas tout à fait. En 1951, la France était le partenaire dominant dans le partenariat franco-allemand. D’une part parce que l’Allemagne était un pays vaincu, occupé et divisé et pouvait difficilement prétendre à jouer un rôle dans les affaires du monde, d’autre part parce que les Allemands postulaient à leur réadmission au sein de l’espèce humaine, et à ce titre étaient prêts à beaucoup de concessions. Après le traité la réunification et le traité de Maastricht, on est revenu à la situation pré-1945, avec une Allemagne dominante qui ne regarde que ses intérêts et n’est prête à faire la moindre concession à ses partenaires au nom d’un « idéal européen » quelconque.
[Là dans votre article, vous décrivez l’imparable domination culturelle dans la Noosphère depuis 1949]
Non. Ce que je décris, c’est « l’imparable » tendance de NOS soi-disant « élites » à se comporter comme si elles vivaient aux Etats-Unis. Ce n’est pas la colonisation américaine qui est ici en cause, mais l’auto-colonisation de nos élites, leur résignation à être la queue d’un lion plutôt que la tête d’un chat.
[Mais pensez-vous que la migration d’une dizaine de millions de populations issues des cultures musulmanes soient sans conséquences pour l’avenir de la France ?]
Non. Là où je ne suis pas d’accord, c’est sur la dimension du phénomène et la nature des conséquences. D’abord, je ne vois pas où est la « migration d’une dizaine de millions de populations issues de cultures musulmanes ». Les flux migratoires de cette nature sont de l’ordre de quelques dizaines de milliers par an, pas plus. Ensuite, les « conséquences » dépendent très largement de la manière dont ces immigrés sont accueillis, et notamment des moyens qu’on est prêt à mettre pour les assimiler.
[Lorsque vous évoquiez les idéologies selon Marx dans votre article précédent vous émettez l’hypothèse que seule l’idéologie consumériste habite ces personnes.]
Je ne crois pas avoir dit pareille chose. Ce que j’ai dit, c’est que si ces immigrés viennent en Europe, ce n’est pas avec on ne sait quel plan diabolique de conquête, mais attirés par les possibilités économiques. Ce n’est pas tout à fait la même chose. Une fois chez nous, on assiste à un conflit entre l’idéologie traditionnelle que ces gens amènent de leur société d’origine, et l’idéologie consumériste qui prédomine chez nous. C’est ce conflit, la peur de perdre les cadre de référence traditionnel dans une société qui ne propose finalement pas de cadre de référence alternatif, qui provoque des réactions identitaires exacerbées que nous pouvons voir.
Ce retour à la « tradition », on le voit autant chez les « souchiens » que chez les immigrés. On peut y voir une réaction, une peur de l’anomie à laquelle nous conduit le capitalisme mondialisé. Partout on remarque une nostalgie du temps où « il y avait des règles ».
[Au vu des 3000 mosquées construites en 10 ans en France qui seront bientôt 10000]
Là encore, j’aimerais voir l’origine de vos chiffres.
[pensez-vous que ce soit un fantasme que d’évoquer la France en cours de musulmanisation massive irrévocable ?]
Oui. D’une part, parce que les chiffres sont très largement exagérées. Et d’autre part, parce que je ne vois pas pourquoi l’Islam serait plus résistant au rouleau compresseur du capitalisme mondialisé que ne l’a été le catholicisme ou le protestantisme. Par quelle magie le mouvement de sécularisation épargnerait certaines croyances et pas d’autres ? La radicalisation des musulmans n’est qu’un réflexe de défense devant un mouvement inexorable. Pour violent qu’il soit, il est condamné à l’échec.
Agiter le croquemitaine de la « musulmanisation », c’est se tromper d’ennemi. Oui, l’islamisation peut être un problème sur le court terme, et il faut le traiter. Mais plus fondamentalement, c’est l’anomie qui constitue une menace bien plus grande, et à laquelle personne n’a l’air de vouloir s’attaquer.
Joschka Fischer (Vice-chancelier et Ministre fédéral des Affaires étrangères de 1998 à 2005) a fait exactement le même constat, dans des termes que je trouve encore plus clairs :
« J’observe un déplacement fatal de perspective dans la politique étrangère et européenne de l’Allemagne. Jusqu’à présent l’Europe était le projet central de la politique étrangère allemande – ce qui était bon pour l’Europe, était également bon pour l’Allemagne, et vice- versa. Mais les gouvernants actuels voient de plus en plus l’Europe comme une simple fonction de la politique de défense des intérêts allemands. Il y a là un risque qui n’est pas mince pour l’Europe, mais aussi avant tout pour l’Allemagne. »
(Extrait d’une interview donné au magazine allemand Der Spiegel en 2008 ; il faudrait que je retrouve la source originale…)
C’est le phénomène que Doan appelle l’acculturation, qu’il distingue bien de l’assimilation. Il s’agit de l’influence à l’étranger d’une culture considérée comme dominante.
Je conseille d’ailleurs vivement son livre (“Le Rêve de l’assimilation: De la Grèce antique à nos jours”), qui replace ces mécanisme (assimilation, acculturation) dans une perspective historique.
Voici le texte original de la citation précédente, issu de l’interview disponible ici (https://www.spiegel.de/spiegel/a-597581.html) :
“Ich beobachte eine fatale Perspektivenverschiebung in der deutschen Außen- und Europapolitik. Bisher war Europa selbst das zentrale Projekt deutscher Außenpolitik – was gut war für Europa, war auch gut für Deutschland, und umgekehrt. Die derzeit Regierenden sehen aber Europa mehr und mehr als eine bloße Funktion zur Umsetzung deutscher Interessenpolitik. Darin liegt ein nicht unerhebliches Risiko für Europa, aber vor allem auch für Deutschland.”
Der Spiegel a également fourni une traduction en anglais de l’ensemble de l’interview:
https://www.spiegel.de/international/germany/spiegel-interview-with-ex-foreign-minister-joschka-fischer-germany-is-failing-as-a-leading-power-in-europe-a-597956.html
@ Vincent
[Joschka Fischer (Vice-chancelier et Ministre fédéral des Affaires étrangères de 1998 à 2005) a fait exactement le même constat, dans des termes que je trouve encore plus clairs :
« J’observe un déplacement fatal de perspective dans la politique étrangère et européenne de l’Allemagne. Jusqu’à présent l’Europe était le projet central de la politique étrangère allemande – ce qui était bon pour l’Europe, était également bon pour l’Allemagne, et vice- versa. Mais les gouvernants actuels voient de plus en plus l’Europe comme une simple fonction de la politique de défense des intérêts allemands. Il y a là un risque qui n’est pas mince pour l’Europe, mais aussi avant tout pour l’Allemagne. » (Extrait d’une interview donné au magazine allemand Der Spiegel en 2008 ; il faudrait que je retrouve la source originale…)]
Joschka Fischer arrive ici au même constat factuel que moi, mais ne s’étend pas sur les raisons de cette mutation. Je ne pense pas que l’Europe ait jamais été le « projet central de la politique étrangère allemande ». La construction européenne a TOUJOURS été pour les élites allemandes « une simple fonction de la politique de défense des intérêts allemands ». Seulement, les priorités tactiques dans la « défense des intérêts allemands » a changé. Dans les années 1950, les intérêts allemands exigeaient d’abord de se réinsérer dans le concert des nations, ce qui supposait de se mettre au mieux avec les vainqueurs de 1945. D’où à l’ouest la réconciliation franco-allemande et l’alignement avec les Américains, mais sans négliger « l’ostpolitik » pour améliorer les rapports avec le Pacte de Varsovie. Dans les années 1990, une fois la chute du camp socialiste consommée, la priorité était la réunification et la prédominance de l’Allemagne sur la Mitteleuropa. Aujourd’hui, on est revenu à l’objectif traditionnel de l’Allemagne, la domination économique du continent.
Fischer semble croire qu’il y avait une Allemagne « généreuse » devenue depuis quelques années une Allemagne « égoïste ». En fait, hier comme aujourd’hui, la politique extérieure de l’Allemagne – comme n’importe quel autre pays européen d’ailleurs – a été gouvernée par les intérêts des classes dominantes allemandes et suivi leurs priorités. C’est simplement que ces intérêts et ces priorités ont changé…
[Fischer semble croire qu’il y avait une Allemagne « généreuse » devenue depuis quelques années une Allemagne « égoïste ».]
Je le crois aussi. Ma différence avec lui est que je pense que l’Allemagne est -et a toujours été- les deux à la fois. A la fois une Allemagne généreuse et “rêveuse”, et une Allemagne égoïste et dominatrice. J’ai l’habitude de dire que l’Allemagne a un double héritage :
– celui de la Germanie, très intellectuelle, qui a eu des apports fondamentaux par exemple dans les domaines de la musique et de la philosophie, qui a inventé l’imprimerie, le protestantisme, le romantisme, etc. Cette Germanie était politiquement divisée, et ne s’intéressait pas aux enjeux de puissance,
– celui de la Prusse, c’est à dire une aristocratie militaire, héritée des chevaliers teutoniques. C’est à dire une armée, obsédée par la puissance, la domination, et l’efficacité, et qui a besoin d’avoir un territoire et les populations qui habitent dessus pour assouvir sa volonté de puissance.
L’Allemagne d’aujourd’hui, c’est la Germanie qui a été annexée par la Prusse. Elle a gardé un fond culturel germanique, mais s’est appropriée la volonté de puissance prussienne. L’Allemagne -et les allemands- sont les deux à la fois.
C’est ce qui explique que les mêmes personnes puissent être à la fois passionnées de grosse mécanique et par l’efficacité de la productivité des grosses usines. Et aller faire le bénévole dans des marchés artisanaux pour vendre des bricoles “culcul la praline” bio et faites à la main le Dimanche.
Les écoles Steiner (secte anthroposophe, qui refuse le progrès) ont un succès considérable en Allemagne, bien plus que dans n’importe quel autre pays. On y apprend à vivre en communion avec la nature, avec des trucs du genre “danse de la pluie”… Cette spécificité tient de l’héritage romantique. Leur opposition au nucléaire, totalement irrationnelle, tient également pour moi de cet héritage.
Mais leur volonté de puissance, qui était au second plan des politiques menées, est repassée au premier plan depuis la réunification.
@ Vincent
[Je le crois aussi. Ma différence avec lui est que je pense que l’Allemagne est -et a toujours été- les deux à la fois. A la fois une Allemagne généreuse et “rêveuse”, et une Allemagne égoïste et dominatrice.]
Quand je dis « l’Allemagne » dans ce contexte, j’entends l’autorité politique allemande. Je ne pense pas que le gouvernement allemand, que la politique allemande ait jamais été particulièrement « généreuse »…
[J’ai l’habitude de dire que l’Allemagne a un double héritage : (…)]
Oui, mais ce double héritage n’a rien de particulièrement « universaliste ». Ce que vous appelez « Germanie », c’est en fait la Suisse en plus grand : un rassemblement de cantons qui regardent d’abord leurs intérêts, et qui ne s’intéressent au reste du monde que lorsqu’il touche ces intérêts. La Prusse, elle est héritière d’une tradition de puissance militaire et terrienne, mais qui n’a jamais été une puissance économique et commerciale.
[L’Allemagne d’aujourd’hui, c’est la Germanie qui a été annexée par la Prusse. Elle a gardé un fond culturel germanique, mais s’est appropriée la volonté de puissance prussienne. L’Allemagne -et les allemands- sont les deux à la fois.]
Oui, mais aucun de ces deux héritages n’est véritablement universaliste.
[C’est ce qui explique que les mêmes personnes puissent être à la fois passionnées de grosse mécanique et par l’efficacité de la productivité des grosses usines. Et aller faire le bénévole dans des marchés artisanaux pour vendre des bricoles “culcul la praline” bio et faites à la main le Dimanche.]
Je ne suis pas persuadé que ce soit une question d’héritage. Je pense qu’on trouve en Allemagne le même phénomène qu’en Grande Bretagne : une révolution industrielle relativement précoce et très puissante, qui a conduit à un bouleversement très rapide des structures traditionnelles. Et en réaction à ce bouleversement, une idéalisation de la nature qui a conduit à la « natuurphilosophie » si caractéristique de l’idéalisme allemand. En France ou l’Italie la révolution industrielle a été bien plus graduelle et a largement préservé les structures traditionnelles jusqu’au milieu du XXème siècle. Du coup, on idéalise chez nous bien plus la paysannerie que la nature, et cette idéalisation ne franchit pas aisément la ligne de l’anti-humanisme, comme c’est le cas en Allemagne.
@ Descartes
En passant, il y a un entretien magistral avec Alain Supiot sur le figaro, don je ne saurait que conseiller la lecture à tous. Beaucoup de concepts chers au maitre des lieux de ce blog y sont abordés.
l’article est réservé aux abonnés, je suis tenté de le copier ici mais j’ai peur d’apporter des ennuis..
https://www.lefigaro.fr/vox/societe/alain-supiot-des-urnes-au-travail-nous-assistons-a-la-secession-des-gens-ordinaires-1-2-20220722?fbclid=IwAR0u5YqGGdvynw26qmIwcghYyGaUnoHXIJD2OVVM722FVVHSL2uVPdqQgrs
Bonne soirée
@ P2R
[l’article est réservé aux abonnés, je suis tenté de le copier ici mais j’ai peur d’apporter des ennuis..]
Et vous avez raison. J’aurais été obligé de le censurer, sans quoi je me serais rendu coupable de violation du droit d’auteur… difficile de commenter donc ce texte, même si je ne serais pas étonné qu’il reprenne des thèmes qui me sont chers. Dès les premières lignes l’auteur fait référence a Lasch, auteur qui a beaucoup nourri ma réflexion…
[c’est l’anomie qui constitue une menace bien plus grande, et à laquelle personne n’a l’air de vouloir s’attaquer.] EN EFFET CHER DESCARTES,Là SE TROUVE LA Question..Or si les adultes cultivés comme ceux qui fréquentent votre blog ,si vivifiant,merci,s’en sortent ,les jeunes sont perdus,surtout ceux qui ne font pas partie de l’Ouma..Du coup,au vu du sentiment de supériorité que filles et garçons de la martice Ouma, affichent les conversions intérieurs sont nombreuses.Filles et garçons souchiens y trouvent leur compte à devenir musulmans tandis qu’arrivent ces invraissemblables migrants qui préfèrent mourir plutôt que de rester dans leur pays islamisé.Une fois installé afin de ne pas être ostracisé eux ou leur famille, dans leur pays d’origine,ils se font les zélotes de l’islam en France traitant de xénophobe ou de racistes les islamophobes revendiqués comme moi alors que je ne le suis pas .Je prône l’assimilation depuis toujours. Pendant ce temps les structures catholiques installées au Maghreb,avec leurs nombreuses écoles,dispensaires,ONG humanitaires,et l’Office de l’Immigration français( fonctionnant actuellement officiellement à Tunis,Casablanca ou Alger),continuent d’envoyer de nouveaus musulmans au pays de Voltaire,le notre..Comment arrêter cette machine infernale à l’islamisation à laquelle le taux de fécondité apparemment plus grand chez les personnes musulmanes rajoute un avantage suppléméntaire par rapport aux athèes dont les femmes ne veulent pas faire des enfants si facilement que ça ?Michel Houlebecq dont la mère abandonnique est devenue musulmane par foucade,ne cesse pas depuis des décennies d’écrire sur ces thèmes;n’est il pas reconnu dans le monde entier comme le plus grand écrivain français actuel ? sans raison ?
@ Luc
[Or si les adultes cultivés comme ceux qui fréquentent votre blog ,si vivifiant,merci,s’en sortent ,les jeunes sont perdus, surtout ceux qui ne font pas partie de l’Ouma…]
Ceux qui n’appartiennent pas à l’Oumma se cherchent d’autres cadres d’autorité : LFI, avec son gourou tout-puissant que personne ne peut contester ni même contredire est un exemple très intéressant de ce point de vue. Comment expliquer qu’autant des jeunes, dont les médias officiels nous expliquent qu’ils veulent faire entendre leur voix, se soumettent ainsi au bon plaisir d’un politicien vieillissant dans un mouvement qui n’a la moindre structure de participation permettant à la voix des militants d’être entendue ? Peut-être qu’il faut chercher l’explication dans la peur de l’anomie qui pousse les jeunes générations à se chercher une figure d’autorité…
[Du coup, au vu du sentiment de supériorité que filles et garçons de la martice Ouma, affichent les conversions intérieures sont nombreuses. Filles et garçons souchiens y trouvent leur compte à devenir musulmans]
Il est clair que dans une civilisation qui tend à l’anomie et au désenchantement, celui qui propose des règles et du sens a un avantage certain. C’est ce qui fait la force de l’Islam en France aujourd’hui : la faiblesse des institutions – laïques ou religieuses – qui traditionnellement proposaient un système cohérent de règles permettant d’organiser la vie et la coexistence entre les gens.
[Je prône l’assimilation depuis toujours. Pendant ce temps les structures catholiques installées au Maghreb, avec leurs nombreuses écoles, dispensaires, ONG humanitaires, et l’Office de l’Immigration français (fonctionnant actuellement officiellement à Tunis, Casablanca ou Alger), continuent d’envoyer de nouveaux musulmans au pays de Voltaire, le nôtre…]
Que voulez-vous, le « bloc dominant » a besoin de travailleurs bon marché…
[Comment arrêter cette machine infernale à l’islamisation à laquelle le taux de fécondité apparemment plus grand chez les personnes musulmanes rajoute un avantage supplémentaire par rapport aux athées dont les femmes ne veulent pas faire des enfants si facilement que ça ?]
Avant de résoudre un problème, il faut bien le caractériser. La « machine a islamisation » s’alimente des faiblesses de la société d’accueil. Il nous faut assimiler, mais pour pouvoir assimiler il faut d’abord sortir de l’anomie. Une société incapable de faire des règles et qui passe son temps à se dénigrer ne peut assimiler, ni même constituer une alternative désirable. Les jeunes « souchiens » qui se convertissent trouvent dans l’Islam quelque chose que ni les religions établies – et d’abord le catholicisme – ni la République leur proposent : un sens d’appartenance, une solidarité charnelle, un récit valorisant, une transcendance. Il faut se demander pourquoi…
[[Je prône l’assimilation depuis toujours. Pendant ce temps les structures catholiques installées au Maghreb, avec leurs nombreuses écoles, dispensaires, ONG humanitaires, et l’Office de l’Immigration français (fonctionnant actuellement officiellement à Tunis, Casablanca ou Alger), continuent d’envoyer de nouveaux musulmans au pays de Voltaire, le nôtre…]
Que voulez-vous, le « bloc dominant » a besoin de travailleurs bon marché… ]
Bons marché… Et productifs. Je ne m’en était pas rendu compte avant l’année dernière, lorsque les aléas de la vie m’ont mis sur la route de plusieurs immigrés subsahariens, mais le migrant bardé de diplômes n’est pas un mythe. J’en connais personnellement trois : une juriste, une chimiste, et une pharmacienne.
Elles ne sont d’ailleurs pas tant venu chercher la prospérité que la sécurité. Deux d’entre elles avaient un travail bien rémunéré, une grande maison et des terrains en Angola, mais qu’est-ce que cela vaut, lorsqu’on n’a aucune certitude que l’acheteur de son terrain va payer ? Qu’on peut se faire braquer dans la rue ? Ou même chez soi (c’est arrivé à l’oncle de l’une d’entre elle il y a moins de trois mois). Qu’un caprice d’un membre du MPLA (le parti au pouvoir) peut vous faire perdre votre poste, ou résilier votre bail ? Le tout avec un système de santé ou de retraite inexistant, et donc un risque important de finir dans la misère si on n’a pas le soutien d’un “clan” familial.
Toutes les trois ont passé deux ans à faire des ménages et de la garde d’enfant en travail illégal (la barrière de la langue les empêchait d’accéder à d’autres postes). L’une des trois va certainement pousser vers des métiers administratifs, mais, à un équivalent de bac +5, quel gâchis de compétence…
Et cette expérience, combinée à la lecture de votre blog, m’a suscité la réflexion suivante : non seulement le flux migratoire fait venir chez nous des travailleurs qualifiés prêts à accepter des salaires misérables, mais il prive également les pays d’origine des mêmes travailleurs qualifiés qui, s’ils n’avaient pas le solution de facilité de la fuite, seraient forcés de créer des structures pour contrer l’insécurité et la corruption, laissant ainsi le champ libre aux régimes autoritaires qui y prospèrent… Toujours, d’ailleurs, au bénéfice de nos classes intermédiaires, puisque cela garanti un accès bon marché à tout plein de matière premières.
@ Renard
[Bons marché… Et productifs. Je ne m’en était pas rendu compte avant l’année dernière, lorsque les aléas de la vie m’ont mis sur la route de plusieurs immigrés subsahariens, mais le migrant bardé de diplômes n’est pas un mythe. J’en connais personnellement trois : une juriste, une chimiste, et une pharmacienne.]
Bardés de diplômes, oui. Bardés de connaissances… à voir. Je ne suis pas sûr que les diplômes en droit, en chimie ou en pharmacie délivrés en Afrique subsaharienne soient du même niveau que ceux délivrés par nos universités… Certes, si on continue comme cela, ce sera bientôt le cas ! Cela étant dit, oui, il y a une immigration de bons professionnels – ou bien d’étudiants qui, une fois complétés leurs études, n’ont pas envie de rentrer chez eux. Mais l’assimilation de ce type de publics n’a jamais vraiment posé de problèmes…
[Elles ne sont d’ailleurs pas tant venu chercher la prospérité que la sécurité. Deux d’entre elles avaient un travail bien rémunéré, une grande maison et des terrains en Angola, mais qu’est-ce que cela vaut, lorsqu’on n’a aucune certitude que l’acheteur de son terrain va payer ? Qu’on peut se faire braquer dans la rue ? Ou même chez soi (c’est arrivé à l’oncle de l’une d’entre elle il y a moins de trois mois).]
Oui et non. Il y a des gens qui viennent chez nous chercher la sécurité et surtout la prévisibilité. Car si notre pays assure un certain niveau de sécurité – qui n’exclut pas la possibilité de se faire braquer dans la rue dans certains quartiers – il assure un haut niveau de prévisibilité. Chez nous, les trains partent et arrivent globalement à l’heure, les fonctionnaires sont globalement honnêtes, et ainsi de suite. Il y a des règles, et elles sont globalement respectées, et lorsqu’on ne les respecte pas, les sanctions sont, elles aussi, prévisibles…
Mais la prévisibilité et la sécurité ne sont pas déconnectées de la prospérité. Se faire braquer dans la rue, avoir des débiteurs qui ne paient pas, cela a un coût.
[Qu’un caprice d’un membre du MPLA (le parti au pouvoir) peut vous faire perdre votre poste, ou résilier votre bail ?]
Oui, enfin… ce qu’un caprice d’un membre du MPLA peut vous faire perdre, le caprice d’un membre du MPLA peut aussi vous donner. Et les gens qui habitent dans ces pays connaissent parfaitement les règles du jeu, et savent comment tirer le jus du système. Le politicien clientéliste n’existe pas sans une clientèle, qui profite elle aussi de la corruption du système. J’ai vécu de longues années dans un pays « en voie de développement » ou la corruption était institutionnalisée. Et je connais pas mal de gens qui ne le quitteraient jamais pour aller dans un pays certes « sûr et prévisible », mais où pour avoir quelque chose il faut bosser sérieusement au lieu de glisser quelques billets à un « membre du MPLA » ou équivalent.
[Et cette expérience, combinée à la lecture de votre blog, m’a suscité la réflexion suivante : non seulement le flux migratoire fait venir chez nous des travailleurs qualifiés prêts à accepter des salaires misérables, mais il prive également les pays d’origine des mêmes travailleurs qualifiés qui, s’ils n’avaient pas le solution de facilité de la fuite, seraient forcés de créer des structures pour contrer l’insécurité et la corruption, laissant ainsi le champ libre aux régimes autoritaires qui y prospèrent…]
Tout à fait. L’immigration n’est pas seulement un problème pour nous, c’est un problème pour les pays d’origine, qui perdent par ce mécanisme leurs citoyens les plus actifs, les plus entreprenants, les plus débrouillards, les plus formés. Des gens qui, s’ils investissaient dans leur pays l’effort qu’ils font pour venir en Europe, pourraient y changer la donne. Ce n’est pas par hasard si beaucoup de pays qui ont pris la question au sérieux – et notamment les pays socialistes – ont mis des barrières à l’émigration.
@ Descartes
[Bardés de diplômes, oui. Bardés de connaissances… à voir. Je ne suis pas sûr que les diplômes en droit, en chimie ou en pharmacie délivrés en Afrique subsaharienne soient du même niveau que ceux délivrés par nos universités… Certes, si on continue comme cela, ce sera bientôt le cas !]
J’ai été amené dans un précédent boulot à faire passer des entretiens d’embauche pour des postes demandant le bac ou équivalent. Eh bien, je ne sais pas pour le supérieur, mais pour le secondaire, de ce que j’ai pu voir, un bac Ivoirien est bien meilleur qu’un bac Français. Surtout le niveau d’expression, la maîtrise de la langue à l’oral comme à l’écrit, ce qui est un peu un comble, et aussi la maturité et la sociabilité adulte nécessaires au monde professionnel. Pour les bacheliers Français, j’avais le sentiment de parler à des collégiens, qui marmonnent, qui n’alignent pas deux phrases correctes… J’ai l’impression que le bac là-bas doit être à peu près au niveau que le bac avait chez nous il y a une trentaine d’années. Précision : je ne parle pas de “migrants” (catégorie de journaliste que j’aimerais bien qu’on définisse enfin) mais d’immigrés tout à fait légaux.
@ BolchoKek
[J’ai été amené dans un précédent boulot à faire passer des entretiens d’embauche pour des postes demandant le bac ou équivalent. Eh bien, je ne sais pas pour le supérieur, mais pour le secondaire, de ce que j’ai pu voir, un bac Ivoirien est bien meilleur qu’un bac Français.]
Beaucoup de gens m’ont dit la même chose. Il semblerait que le niveau d’exigence pour le baccalauréat, qui a chuté dramatiquement chez nous, reste relativement élevé dans ces pays. Par contre, j’ai eu l’occasion de faire passer des entretiens d’embauche à des ingénieurs ou techniciens supérieurs formés en Côte d’Ivoire ou au Sénégal… et le niveau est beaucoup plus bas que pour leurs équivalents français. Je me souviens encore d’un ingénieur venu de Dakar m’expliquant comment dans son université on avait développé une machine pour produire de l’énergie : une pompe faisant monter l’eau jusqu’à un réservoir en hauteur, et l’eau ensuite passait par une turbine pour produire de l’électricité, qui alimentait la pompe et laissait un reliquat pour alimenter une maison. Autrement dit, le mouvement perpétuel…
[Surtout le niveau d’expression, la maîtrise de la langue à l’oral comme à l’écrit, ce qui est un peu un comble, et aussi la maturité et la sociabilité adulte nécessaires au monde professionnel.]
Oui, mais il ne faut pas regarder que les « savoir-être », il y a aussi les savoirs tout court, et sur ce plan le niveau est nettement plus faible.
[Pour les bacheliers Français, j’avais le sentiment de parler à des collégiens, qui marmonnent, qui n’alignent pas deux phrases correctes… J’ai l’impression que le bac là-bas doit être à peu près au niveau que le bac avait chez nous il y a une trentaine d’années.]
Quand même pas. Rares sont les bacheliers africains qui ont fait du grec ou du latin dans leur pays, ou bien des mathématiques modernes, ce qui était encore le cas chez nous il y a trente ans…
Ce qui frappe dans le niveau des élèves venus des pays du tiers-monde est leur hétérogénéité. Souvent, ils ont pu avoir d’excellents professeurs dans certaines matières, de très mauvais dans d’autres. Certains sont devenus passionnés de mathématiques ou d’histoire parce qu’ils ont eu un professeur exceptionnel, et sont totalement ignorants dans les autres matières…
[Beaucoup de gens m’ont dit la même chose. Il semblerait que le niveau d’exigence pour le baccalauréat, qui a chuté dramatiquement chez nous, reste relativement élevé dans ces pays. Par contre, j’ai eu l’occasion de faire passer des entretiens d’embauche à des ingénieurs ou techniciens supérieurs formés en Côte d’Ivoire ou au Sénégal… et le niveau est beaucoup plus bas que pour leurs équivalents français.]
J’ai exactement les mêmes retours sur ces deux éléments. Le Bac qui est resté un bac à l’ancienne en Afrique (du Nord ou subsaharienne). Mais un niveau des universités et grandes écoles qui est… peut-être pas uniformément mauvais (je n’en sais rien), mais en tout cas, on ne peut pas avoir de certitudes sur le bon niveau d’un candidat quand on embauche un Bac+5.
Malheureusement, ce dernier constat devient de plus en plus vrai également chez nous…
@ Vincent
[(…), on ne peut pas avoir de certitudes sur le bon niveau d’un candidat quand on embauche un Bac+5. Malheureusement, ce dernier constat devient de plus en plus vrai également chez nous…]
Tout à fait. Je trouve l’hétérogénéité des niveaux parmi des gens qui ont le même parcours très inquiétant. La plupart des diplômes n’assure pas véritablement un niveau minimal. C’est vrai en matière de connaissances, c’est encore plus vrai en matière de méthodes et savoirs de base. Je reçois des lettres de motivations de diplômés de Sciences-Po bourrées de fautes de français, des juristes qui ne connaissent pas la différence entre la juridiction judiciaire et la juridiction administrative et ne savent pas faire la différence entre une décision et un arrêt, entre appel et cassation. A côte, vous pouvez avoir des gens issus de formations moins prestigieuses mais qui sont bien mieux armés. En dehors des formations sélectionnant par concours, qui arrivent à assurer un socle minimum, les critères pour avoir son diplôme semblent de plus en plus flous…
J’ajoute que ce qui m’étonne le plus lors des entretiens d’embauche, c’est le manque de curiosité des candidats… et leur difficulté à se projeter. Je leur demande systématiquement comment ils se voient dans deux ans, dans cinq ans, dans dix ans. J’ai rarement une réponse qui montre une réflexion personnelle.
[Des gens qui, s’ils investissaient dans leur pays l’effort qu’ils font pour venir en Europe, pourraient y changer la donne. Ce n’est pas par hasard si beaucoup de pays qui ont pris la question au sérieux – et notamment les pays socialistes – ont mis des barrières à l’émigration.]
On se souviendra peut-être combien, en ces temps-là, avaient été critiqués tant par la droite que la gauche démocratique les pays de l’Est communistes qui avaient descendu un “rideau de fer” et construit un “mur de Berlin” pour empêcher que les habitants de ces pays ne fuient le “paradis socialiste” en en affaiblissant l’économie, la démographie et la crédibilité des régimes.
De nos jours toute une gauche qui se veut critique radicale du système capitaliste d’exploitation est pourtant celle qui appuie bruyamment les mouvements migratoires internationaux, en oubliant 1) que tous les efforts faits et prix payés pour émigrer auraient assurément été plus utiles à modifier le régime ou l’économie des pays d’émigration 2) que les migrants sont les proies idéales se prêtant à l’exploitation de leur force de travail par le système capitaliste des pays d’immigration 3) que la critique du système capitaliste international devrait donc tenir un discours tendant à décourager les mouvements migratoires.
@ Claustaire
[« On se souviendra peut-être combien, en ces temps-là, avaient été critiqués tant par la droite que la gauche démocratique les pays de l’Est communistes (…). » De nos jours toute une gauche qui se veut critique radicale du système capitaliste d’exploitation est pourtant celle qui appuie bruyamment les mouvements migratoires internationaux,]
Vous noterez que rien n’a changé. Cette « gauche » à laquelle vous faites référence était d’abord anticommuniste, et seulement accessoirement anticapitaliste. Leurs véritables ennemis étaient les « staliniens » du PCF, et pas les patrons du MEDEF…
[en oubliant 1) que tous les efforts faits et prix payés pour émigrer auraient assurément été plus utiles à modifier le régime ou l’économie des pays d’émigration 2) que les migrants sont les proies idéales se prêtant à l’exploitation de leur force de travail par le système capitaliste des pays d’immigration 3) que la critique du système capitaliste international devrait donc tenir un discours tendant à décourager les mouvements migratoires.]
C’est surtout que cette « gauche » là représente les intérêts des classes intermédiaires. Et pour les classes intermédiaires, l’immigration a un bilan très largement positif. Elle fournit une main d’œuvre formée et bon marché qui permet d’ailleurs de maintenir une saine concurrence salariale et pousser les salaires des travailleurs français peu qualifiés à un niveau intéressant – intéressant pour les employeurs, s’entend. Bien sûr, cela pose quelques problèmes en termes d’insécurité, de trafics, de dégradation du tissu social. Mais cela arrive dans des quartiers que les classes intermédiaires ne fréquentent guère… sauf lorsqu’elles ont besoin de se fournir en produits dont la consommation est reprouvée par la morale et punie par la loi.
@Descartes,
Enfin, et ce n’est pas le plus mince, cela leur permet de s’acheter une bonne conscience, ce qui est extrêmement précieux pour des gens aussi narcissiques (jadis, on aurait parlé de vanité…).
L’anti-racisme des bobos, islamo-gauchistes et autres libéraux-libertaires a de beaux jours devant lui🤬…
@ CVT
[Enfin, et ce n’est pas le plus mince, cela leur permet de s’acheter une bonne conscience, ce qui est extrêmement précieux pour des gens aussi narcissiques]
La conversion des classes intermédiaires aux intérêts de la bourgeoisie est trop récente pour qu’elles puissent l’assumer pleinement et sans complexe. Cela commence dans les générations plus jeunes – Macron est un bon exemple – mais de larges secteurs restent encore attachés à un discours qui en fait le défenseur de la veuve et de l’orphelin. On peut l’appeler “narcissisme”, mais personnellement j’y vois plutôt une forme de se placer parmi les “méritants”, un peu comme ces dames patronnesses de la haute société qui se sentaient obligées de sacrifier une partie de leur temps à la charité pour montrer qu’elles méritaient les bienfaits que leur condition sociale leur réservait.
NON SEULEMENT,LES GENS,pour certains en France en 2022,SONT sont dans l’Anomie ùai Moi aussi,je suis dans le doute,sans cesse.La politique est le viatique pour quitter cette vacuité démoblisatrice,et c’est pertinent n’est ce pas?
Or la lucidité peut être cruelle et douloureuse si certains accomodements ne sont pas faits.Pour moi à chaque enterrement où c’est possible,j’écis des épitaphes que je lis ou que j’envoie.Mais au bout d’une demi douzaine de textes,jai constaté que je suis fatigué par ces deuils.J’envie les enterrements des croyants qui ne pèsent pas sur les accompagnants;les prètres,rabins et imams qui officient dans un rite standard, réalisent une fonction que moi athée,épithaphiste occasionnel effectue avec fatigue et dépression.La fierté qu’au début,je ressentais se transforme en fatigue dont l’échapatoire est pbeut être de ne plus aller au cimetière.En serai je culpabilisé?
Pourtant,il existe des baptèmes républicains,pourquoi n’existe t ‘il pas des rituels standards d’enterrement républicains pour nous les athées?
[ni la République leur proposent : un sens d’appartenance, une solidarité charnelle, un récit valorisant, une transcendance. Il faut se demander pourquoi…] Revenir à Decartes,les lumières et le républicanisme remettrait du Sens au vivre ensemble en France en 2022.C’est parceque la grande révolution de 1789 et de 1793 dans toutes ces interprétations,conséquences,tenants et aboutissants, n’est plus enseignée depuis que la France est passé à droite en 1981-83 que l’anomie se répand en France ,n’est ce pas ?
@ luc
[Or la lucidité peut être cruelle et douloureuse si certains accommodements ne sont pas faits. Pour moi à chaque enterrement où c’est possible, j’écis des épitaphes que je lis ou que j’envoie. Mais au bout d’une demi-douzaine de textes, j’ai constaté que je suis fatigué par ces deuils. J’envie les enterrements des croyants qui ne pèsent pas sur les accompagnants ; les prêtres, rabbins et imams qui officient dans un rite standard, réalisent une fonction que moi athée, épithaphiste occasionnel effectue avec fatigue et dépression.]
Parmi les fonctions de la religion, il y a une fonction « consolatrice ». C’est pourquoi il est plus facile au prêtre, au rabbin ou l’imam de prononcer des paroles de consolation qu’à l’athée : eux peuvent nous assurer que l’être cher que nous avons perdu est quelque part où il est heureux, et où nous le reverrons un jour. Aucune religion « civique » ne peut promettre cela. Tout au plus, elle peut assurer une vie éternelle à travers de la mémoire, du monument, de la commémoration. C’est la raison pour laquelle j’ai cessé de croire que l’athéisme est l’avenir de l’homme. Nous vivrons certainement dans des sociétés de plus en plus sécularisées, où l’influence cléricale sur la vie civile sera de plus en plus faible… mais devant la mort, le prêtre a une fonction pour laquelle il n’y a pas de remplaçant possible.
[Pourtant, il existe des baptèmes républicains, pourquoi n’existe-t ‘il pas des rituels standards d’enterrement républicains pour nous les athées ?]
Pour la raison que je vous ai expliqué plus haut. La République peut marier et protéger l’institution familiale aussi bien que n’importe quelle église. Mais devant la mort, la République n’a à proposer que la mémoire, le monument, la commémoration. Elle ne peut pas vous assurer que l’être que vous avez perdu n’a pas totalement disparu mais vit quelque part, pas plus qu’il ne peut vous promettre des retrouvailles. Les religions le peuvent, et c’est là leur force.
[ni la République leur proposent : un sens d’appartenance, une solidarité charnelle, un récit valorisant, une transcendance. Il faut se demander pourquoi…] Revenir à Descartes, les lumières et le républicanisme remettrait du Sens au vivre ensemble en France en 2022.]
J’en suis convaincu. Reste à persuader le « bloc dominant » de payer les coûts de cette « remise du sens ». Aujourd’hui, cela semble aussi difficile que faire passer un chameau par le chas d’une aiguille…
@Luc
Je vous détrompe un peu. Il y a bien un cadre standard pour les cérémonies d’obsèques chez les Catholiques, mais le célébrant peut l’adapter en fonction des desiderata des proches du défunt. Par exemple, ces derniers peuvent prononcer des hommages ou demander la diffusion de la musique que le disparu aimait. Le célébrant, lui-même, prononce une homélie personnalisée. De sorte qu’il n’y a pas deux cérémonies identiques.
Je ne connais que ce qui se fait chez les Catholiques, mais je suppose qu’il en est de même pour les autres cultes.
Bien sûr, ces rituels religieux sont un plus.
Cependant les non convertis en sont exclus.
Même les agnostiques qui sont les plus belles figures des non-théistes.
Alors essayons les nouveaux rituels dont la description se trouve sur internet puisque nous avons une foi collective,en l’espérance des tissus humains générateurs du progrès ,non?
@ luc
[Bien sûr, ces rituels religieux sont un plus. Cependant les non convertis en sont exclus. Même les agnostiques qui sont les plus belles figures des non-théistes.]
Je ne sais pas ce que vous entendez par « exclus ». Il est clair que si vous n’êtes pas croyant, les promesses de vie éternelle et de rencontre au Paradis vous paraîtront peu crédibles. Il est difficile de bénéficier de la consolation de la foi si vous ne l’avez pas. Mais si vous l’avez, la « conversion » est rarement obligatoire. Je doute que beaucoup de curés refusent de célébrer l’office des morts au motif que le décédé ou sa famille n’étaient pas croyants. Il est probable qu’on vous refuse les sacrements, mais pour le reste, je suis persuadé qu’ils seront ravis d’avoir un client e plus…
[Alors essayons les nouveaux rituels dont la description se trouve sur internet puisque nous avons une foi collective, en l’espérance des tissus humains générateurs du progrès, non?]
La foi collective ou individuelle dans le progrès n’est guère une consolation devant la mort… C’est là une fonction que seule la foi dans l’au-delà peut remplir !
La foi dans l’avenir est une foi dans l’au delà plus raisonnable que la foi en des chimères, représentés par ces fantasmes.. Non?
@ Luc
[La foi dans l’avenir est une foi dans l’au delà plus raisonnable que la foi en des chimères, représentés par ces fantasmes.. Non?]
Plus raisonnable, oui. Mais plus consolatrice ? Je n’en suis pas si sûr.
Merci, Luc, pour ces échanges entre vous et notre hôte (et donc merci à lui), sur des sujets essentiels, sinon terminaux… Je réagis à l’ensemble de vos échanges :
Le manque de lieux publics (aussi communs que les églises de nos communes) permettant d’organiser (dans des environnements aussi proches que les églises) les funérailles de nos concitoyens agnostiques ou athées souhaitant avoir droit à un enterrement civil est à la fois un scandale et sans doute une des preuves du traditionalisme (religieux ou d’un souci bien-pensant de ne pas choquer) toujours triomphant dans nos sociétés (de même que le retour des mariages en robe blanche et costard à haut-de-forme de couples vivant souvent ensemble avec leurs enfants depuis des années, parce qu’il faut bien “marquer le coup” et se la jouer cérémonieux, fût-ce pour en ironiser).
Sur les discours, prêches ou propos consolants à tenir lors de funérailles de proches, il est sûr que quiconque ayant devant lui des gens ayant la foi élémentaire leur permettant de croire (ou du moins permettant qu’on leur prêche au nom de) en la Vie éternelle ou la Résurrection des morts, etc. a beau jeu de se poser en consolateur aussi rituel que ritournelle. Ce qui n’empêche d’ailleurs pas les endeuillés de pleurer en attendant, sans trop y croire sans doute, l’éventuelle réalisation de ces belles promesses (électorales ? de communiquant ?).
Pour les athées, sachant que nul ne peut être conscient d’être mort, et que nous sommes tous, en conscience et en tant que vivants, immortels le temps de notre vie, puisque morts nous ne serons plus là pour le savoir, le problème est autre : celui des proches survivants, qui éventuellement ne pourront trouver dans leur deuil nulle consolation d’ordre surnaturel.
C’est sur ce point que je voudrais, conformément aux réflexions de notre hôte (sur la notion de mémoire et de témoignage public rendu ou à rendre durablement par des monuments ou autres moyens à nos morts) vous rappeler qu’à partir du moment où nous sommes entrés dans la vie, nous avons forcément, que nous le sachions ou non, fût-ce de façon infinitésimale, voire à leur insu, laissé des traces de cette vie dans la vie de ceux qui nous auront connus (ou dont les œuvres de nos vies auront servi ou marqué les leurs). Quelque part, d’avoir participé à la vaste biosphère de notre planète, nous sommes tous immortels (et contributeurs de l’évolution de cette biosphère) aussi longtemps que cette biosphère perdurera, à plus forte raison contributeurs de la noosphère immatérielle propre à l’humanité.
[et pas besoin de “charger leur esprit dans un ordi”, comme l’évoque Géo]
L’autre jour, une amie nous signalant que son mari, malade depuis longtemps, “n’était plus des nôtres”, je lui ai répondu : “toujours des nôtres, en esprit, en cœur et en combat” (puisqu’il s’agissait d’un copain militant).
De toute façon, chacun de nous passe sa vie à la fois à s’accoucher et à s’enterrer au fil des jours et des années de sa vie, tant s’inscrire dans du vivant, c’est s’inscrire dans du changeant (comme le savait déjà un Héraclite, il y a 25 siècles).
Un autre témoignage, celui d’un proche pasteur pratiquant et croyant qui a perdu sa femme. Je lui fais part de mes condoléances : il me répond : “Pour qui a la foi, comme moi, la mort d’un(e) proche est une sereine assurance de vie éternelle et de futures retrouvailles.”. Tant mieux pour lui, me suis-je dit… constatant néanmoins, ces derniers temps, sa tendance, fort compréhensible et fort humaine, chez un veuf un peu esseulé, à la dépression de tout solitaire en perte de repères existentiels au quotidien.
Rares d’ailleurs doivent être les gens vraiment croyants (assez ‘allumés’ pour le croire), persuadés des promesses de Vie éternelle ou de Résurrection, etc. Tant mieux, car des sociétés où des gens étaient persuadés que seule comptait la vie de l’Au-delà, vie à laquelle il fallait être prêt à sacrifier la vie d’ici-bas, formaient des gens qui n’hésitaient pas à vous brûler vivants pour vous sauver du péché mortel d’ici bas au profit de votre Salut dans l’Au-delà.
@ Claustaire
[Le manque de lieux publics (aussi communs que les églises de nos communes) permettant d’organiser (dans des environnements aussi proches que les églises) les funérailles de nos concitoyens agnostiques ou athées souhaitant avoir droit à un enterrement civil est à la fois un scandale et sans doute une des preuves du traditionalisme]
Ces lieux existent : les agnostiques peuvent parfaitement célébrer leurs obsèques dans la salle des fêtes municipale ou dans un gymnase. On n’a même pas besoin que le corps du défunt soit présent : si l’on est athée ou agnostique, le corps d’un mort n’est qu’un objet comme un autre, qu’on pourrait balancer dans une décharge ou même manger.
Votre remarque est très intéressante parce qu’elle montre combien, même pour un athée, le besoin d’une présence du défunt subsiste. Même chez un athée, on traitera avec respect son corps, comme si son esprit y subsistait encore. On respectera les dernières volontés du mort comme si, quelque part, nous avions encore des devoirs avec lui. Bref, on se comporte comme s’il était encore en partie vivant. Et cela aide à élaborer notre deuil parce qu’en soignant le corps du défunt, en réalisant ses volontés, nous avons l’impression de soigner encore cette personne qui n’est plus là.
[de même que le retour des mariages en robe blanche et costard à haut-de-forme de couples vivant souvent ensemble avec leurs enfants depuis des années, parce qu’il faut bien “marquer le coup” et se la jouer cérémonieux, fût-ce pour en ironiser).]
Je ne crois pas. Je pense que loin de « marquer le coup », ce retour de cérémonies est une tentative de renouer avec un passé qui nous glisse entre les doigts. La génération 68, qui avait été instruite dans le culte du passé, a cassé la chaine de transmission. Elle a produit des générations orphelines, qui peinent à trouver une identité qui les insère dans une histoire. Ce n’est pas par hasard si notre société est obsédée par la conservation du patrimoine et la recherche de racines – réelles ou imaginées. Pensez au long débat sur l’anonymat dans l’accouchement sous X. Pendant des siècles, cela n’a posé de problème à personne. Et tout à coup, alors que pendant des années on a répété que la biologie n’était rien et que le social est tout, il faut à tout prix donner aux enfants la possibilité de retrouver leurs parents biologiques…
[Sur les discours, prêches ou propos consolants à tenir lors de funérailles de proches, il est sûr que quiconque ayant devant lui des gens ayant la foi élémentaire leur permettant de croire (ou du moins permettant qu’on leur prêche au nom de) en la Vie éternelle ou la Résurrection des morts, etc. a beau jeu de se poser en consolateur aussi rituel que ritournelle. Ce qui n’empêche d’ailleurs pas les endeuillés de pleurer en attendant, sans trop y croire sans doute, l’éventuelle réalisation de ces belles promesses (électorales ? de communiquant ?).]
Je vous trouve bien manichéen. Il est difficile de savoir comment les gens croient. Ceux qui vont régulièrement à l’église, croient-ils VRAIMENT à la vie éternelle, à la résurrection de la chair, aux récompenses du Paradis et aux châtiments de l’Enfer ? Croient-ils vraiment à un dieu qui les regarde, qui les punit ou les récompense ? Il n’y a pas si longtemps, de gens éduqués chez nous et ayant la perspective d’une vie douce se sont fait sauter avec des ceintures d’explosifs, persuadés que ce gente leur ouvrait la porte des récompenses éternelles. Réduire la foi à un « rituel ou ritournelle », imaginer que ceux qui entendent ce discours le font « sans trop y croire », me semble pour le moins imprudent. Les gens croient à différents niveaux et de différentes manières. Un très grand nombre de gens – y compris des athées pratiquants et militants – laissent des directives pour leurs propres obsèques, ce qui tend à prouver qu’ils croient à une forme de vie après la mort, à moins que ce soit pour emmerder leurs héritiers.
[Pour les athées, sachant que nul ne peut être conscient d’être mort, et que nous sommes tous, en conscience et en tant que vivants, immortels le temps de notre vie, puisque morts nous ne serons plus là pour le savoir, le problème est autre : celui des proches survivants, qui éventuellement ne pourront trouver dans leur deuil nulle consolation d’ordre surnaturel.]
Vous oubliez un point important : celui de la mort des autres. Nous n’avons pas conscience de notre propre mort, et c’est pour cela que l’athée a moins peur de sa mort – qu’il n’aura pas à souffrir, puisqu’il ne sera plus là – mais celle des êtres qui lui sont chers.
[L’autre jour, une amie nous signalant que son mari, malade depuis longtemps, “n’était plus des nôtres”, je lui ai répondu : “toujours des nôtres, en esprit, en cœur et en combat” (puisqu’il s’agissait d’un copain militant).]
Mais ce disant, vous admettez une forme de « vie après la mort ». Comment peut-on parler de « être en esprit » si on n’admet pas qu’il existe un « esprit » au-delà de l’enveloppe matérielle, et qui subsiste quelque soient les avanies que peut souffrir cette dernière ? Encore une fois, votre remarque montre combien ce besoin de transcendance est humain, au point que même les athées cherchent une construction intellectuelle plus ou moins complexe pour contourner l’obstacle…
[Un autre témoignage, celui d’un proche pasteur pratiquant et croyant qui a perdu sa femme. Je lui fais part de mes condoléances : il me répond : “Pour qui a la foi, comme moi, la mort d’un(e) proche est une sereine assurance de vie éternelle et de futures retrouvailles.”. Tant mieux pour lui, me suis-je dit…]
C’est cette sérénité, cette consolation, que j’envie à ceux qui ont la foi… bien entendu, elle se paye à un prix fort : celui du sacrifice de la liberté intellectuelle. Le théisme cartésien est, d’une certaine façon, une tentative d’avoir fromage ET dessert…
[Comment peut-on parler de « être en esprit » si on n’admet pas qu’il existe un « esprit » au-delà de l’enveloppe matérielle ?]
Malentendu que je m’empresse de lever : l’esprit dans lequel le disparu persiste est celui des vivants, qui continuent de le penser ou l’aimer, en coeur, en esprit, et éventuellement en combat lorsqu’on poursuit le combat mené par le défunt.
L’athée, matérialiste, s’il en est, n’ignore pas qu’il participe néanmoins du patrimoine culturel immatériel de l’humanité tel qu’il s’est transmis et enrichi depuis des siècles et des millénaires (cf. la “noosphère” à la Teilhard de Chardin).
Matériellement, Démocrite ou Lucrèce n’ont jamais rien eu de commun avec nous, mais immatériellement, par le savoir et les réflexions transmises, ils ont participé à ma construction spirituelle.
@ Claustaire
[Malentendu que je m’empresse de lever : l’esprit dans lequel le disparu persiste est celui des vivants, qui continuent de le penser ou l’aimer, en cœur, en esprit, et éventuellement en combat lorsqu’on poursuit le combat mené par le défunt.]
Sans vouloir vous offenser, vous voyez bien que vous cherchez désespérément un moyen de concilier deux choses fondamentalement contradictoires. Pour un athée, nous disparaissons avec notre mort. Et nous disparaissons TOTALEMENT. Il n’existe pas une particule de notre « moi », pas d’âme, pas d’esprit qui nous survive. Il y a des gens qui se souviendront de nous – pour louer notre nom ou pour le maudire, d’ailleurs – mais ce souvenir ne prolonge en rien notre vie. Mais comme cette réalité est trop effrayante, on s’invente une métaphore de vie éternelle en postulant qu’un disparu « vit dans la mémoire » ou bien qu’il continue à vivre dans ses œuvres.
Ne croyez pas que je critique cette approche. Elle est en fait la seule voie par laquelle l’athée peut échapper à la peur du néant, peur qui est bâtie dans notre psyché et à laquelle nul ne peut échapper.
[Matériellement, Démocrite ou Lucrèce n’ont jamais rien eu de commun avec nous, mais immatériellement, par le savoir et les réflexions transmises, ils ont participé à ma construction spirituelle.]
Certes. Mais ils sont morts quand même. Le fait que vous ayez lu et apprécié leurs œuvres ne leur permet pas de revivre…
Permettez-moi d’insister, afin de lever le malentendu existentiel sinon métaphysique sur lequel notre échange pourrait s’assourdir :
Tout athée matérialiste (comme moi) sait que nous ne sommes qu’un organisme physique vivant et sensible (comme des millions d’autres espèces d’organismes physiques, du plus modeste brin d’herbe au plus bel arbre, de la minuscule fourmi à la gigantesque baleine) et donc comme tel susceptible d’interagir avec son environnement par toutes sortes d’échanges physico-chimiques. Et après que cet organisme n’est plus en état de vie (et que ses cellules ne disposant plus de l’oxygène nécessaires se décomposent), il se dégrade bien sûr entièrement, pendant que ses molécules ou atomes se dissipent dans l’environnement. Et donc de l’organisme vivant, sensible et pensant dont fut constitué celui qui disait “je” ou “moi je”, ne restera rien, ni âme, ni esprit, ni spectre.
Et comme ce moi ne sera plus là pour savoir qu’il n’est plus, comme nous l’enseignaient déjà il y a des siècles des Démocrite, Epicure et autres Lucrèce (pourtant matériellement tout à fait disparus mais nous enseignant toujours), nous savons, même si la formule peut prêter à sourire, que nous serons, en conscience, à jamais vivants… puisque, une fois morts, nous ne serons plus là pour le savoir.
Mais, de même qu’un mot sur une feuille n’est, matériellement qu’une tache d’encre, je lui donne, spirituellement, par les savoirs qu’on m’en a transmis, des sens par lesquels je peux construire, par le fonctionnement matériellement biologique de ma conscience, des concepts eux- même totalement immatériels que je peux échanger avec d’autres, et grâce à l’écriture (et ses supports matériels, et maintenant encore davantage par la facilité des vidéos et enregistrements conservés), échanger même après ma mort (quand je n’y serai bien sûr plus).
Aussi longtemps que durera une pierre (surtout si elle est de Rosette !) gravée de mots, donc de signifiants possiblement compréhensibles par des gens suffisamment intéressés par ce qu’ils pourraient avoir à dire, à transmettre, etc. le mot gravé peut faire sens et le mort, qui le grava, pourra symboliquement ou métaphoriquement parler (même si évidemment lui-même, matériellement et spirituellement totalement anéanti, n’en saura rien…
Bref, si l’ensemble des hommes physiques et matériels qui en se succédant au fil des siècles et millénaires, constituant ainsi ce que nous appelons l’humanité (et son histoire), ont disparu, le patrimoine immatériel constitué par tous les savoirs et expériences transmises, mais aussi oeuvres, littérature, etc. reste vivant en nous par la transmission dont nous bénéficions (et souvent à notre insu, via les habitus voire archétypes dans lesquels nous aurons été immergés). Et je ne parle même pas des myriades d’échanges contemporains de savoirs et connaissances (utiles ou dangereuses) par lesquels notre humanité continue l’expansion immatérielle de sa sphère spirituelle, laquelle, évidemment, imploserait, disparaîtrait avec l’espèce humaine elle-même lorsqu’elle aurait rendu la planète inhabitable ou parce que celle-ci serait devenue inhabitable suite à quelque aléa cosmique ou que notre soleil serait devenu une naine rouge.
Ce n’est pas par volonté naïve de se consoler de disparaître ou échapper au néant (puisque je ne me connaîtrai jamais que comme vivant présent à soi et à la vie) que l’on peut être conscient que toute vie, de même que tout phénomène physique, n’est que de rencontres et d’intersections et que nulle vie ne saura jamais d’où lui sera venu ce qu’elle en sait ou en vit, ni ce qu’elle transmettra ou non à la vie autour d’elle.
Ce n’est pas pour rien qu’on parle de biosphère (ensemble des échanges physico-chimiques entre du vivant, se faisant et se défaisant) et qu’on pourrait parler, pour l’humanité, de ‘noosphère’ (non pas comme Teilhard de Chardin pour évoquer l’ensemble des spiritualisations progressives menant à Christ), comme étant l’ensemble des productions immatérielles de savoirs et connaissances dont l’humanité se sera constituée en se les transmettant.
Bref, selon l’autre bonne vieille formule : “nous ne sommes rien, soyons tout !” (que nous le voulions, le sachions ou non).
@ Claustaire
[Mais, de même qu’un mot sur une feuille n’est, matériellement qu’une tache d’encre, je lui donne, spirituellement, par les savoirs qu’on m’en a transmis, des sens par lesquels je peux construire, par le fonctionnement matériellement biologique de ma conscience, des concepts eux- même totalement immatériels que je peux échanger avec d’autres, et grâce à l’écriture (et ses supports matériels, et maintenant encore davantage par la facilité des vidéos et enregistrements conservés), échanger même après ma mort (quand je n’y serai bien sûr plus).]
Pensez à Homère. Personne ne sait s’il a vraiment existé, ou s’il n’est qu’un mythe. Peut-être qu’il n’a jamais chanté les textes dont on lui attribue la paternité, et qui ont d’ailleurs été compilés sous Pisistrate plusieurs siècles après sa mort supposée. Diriez-vous que Homère « vit toujours dans son œuvre », alors qu’on ne sait même pas s’il a vraiment « vécu » tout court ?
On lit toujours les œuvres d’Aristote ou Descartes. Mais les lisons-nous et les comprenons-nous comme l’auraient voulu leurs auteurs ? Il est permis d’en douter. Et si notre interprétation n’a plus rien à voir avec leurs intentions, pouvons-nous dire qu’ils sont « toujours vivants » à travers leurs écrits ?
Je persiste et signe. L’idée qu’une fois mort on continue à vivre à travers son œuvre n’est qu’une argutie intellectuelle pour échapper au néant.
[Aussi longtemps que durera une pierre (surtout si elle est de Rosette !) gravée de mots, donc de signifiants possiblement compréhensibles par des gens suffisamment intéressés par ce qu’ils pourraient avoir à dire, à transmettre, etc. le mot gravé peut faire sens et le mort, qui le grava, pourra symboliquement ou métaphoriquement parler (même si évidemment lui-même, matériellement et spirituellement totalement anéanti, n’en saura rien…]
Sauf que, comme pointé plus haut, devant ces signes qui nous paraissent compréhensibles, nous ne sommes pas sûrs de comprendre ce que leur auteur a voulu dire. Autrement dit, il nous parle dans une langue, et nous le comprenons dans une autre… dans ces conditions, peut-on encore parler d’un dialogue ?
[Ce n’est pas par volonté naïve de se consoler de disparaître ou échapper au néant (puisque je ne me connaîtrai jamais que comme vivant présent à soi et à la vie)]
Mais vous connaitrez la disparition des autres, de ceux qui vous entourent. Ce néant-là m’inquiète bien plus, personnellement, que mon destin personnel.
Oui cette question de la consolation .. Essentielle..Elle peut être résolue par un psychologue spécialisée..ou un fils,une femme,un ami non?
Quand aux fantasmes,leur explicitations n’est elle pas une grand fierté chez nous,les agnostiques? Mais comment est ce reconnu si ce n’est par l’absence d’office religieux?
@ Luc
[Oui cette question de la consolation .. Essentielle..Elle peut être résolue par un psychologue spécialisée..ou un fils, une femme, un ami non?]
Pas aussi efficacement. Un fils, une femme, un ami ou un psychologue peuvent vous aider à vivre avec une perte, mais la perte est toujours là. Seule la foi peut d’une certaine façon abolir la perte, vous assurer que la personne aimée est toujours “vivante” quelque part, et que des retrouvailles sont possibles. C’est pour cette raison que la croyance religieuse recule dans presque tous les domaines sauf un: celui de la mort. Nous ne mettons plus de crucifix dans les bâtiments publics ou les chambres à coucher, mais nous en mettons toujours sur les tombes.
[Quand aux fantasmes, leur explicitations n’est elle pas une grand fierté chez nous, les agnostiques ? Mais comment est ce reconnu si ce n’est par l’absence d’office religieux ?]
Les institutions laïques ont su créer des cérémonies civiques. Pensez à la cérémonie de la flamme sous l’Arc de triomphe, par exemple, qui se poursuit quotidiennement depuis les années 1920. Et si l’iconoclasme de la fin des années 1960 en a fait disparaître beaucoup, elles ont une tendance à reprendre le poil de la bête…
Un psychologue peut aussi accompagner et consoler s’il effectué une prise de parole publique ritualisée pour consoler..
Quant à la fierté des agnostiques à déjouer les supercheries,elle constitue en lien qui est pérenne et sublime notre existence,non?
@Descartes et Luc
Il y a bien une sorte de version athée de l’au-delà: celle de certains transhumanistes qui rêvent de télécharger leur esprit dans un ordinateur avant leur mort. Passionnant phantasme qui prouve que la religion peut facilement se passer de Dieu et se déguiser en technique.
C’est cauchemardesque ? Ce n’est pas la première fois que la religion l’est.
@ Geo
[Il y a bien une sorte de version athée de l’au-delà: celle de certains transhumanistes qui rêvent de télécharger leur esprit dans un ordinateur avant leur mort. Passionnant phantasme qui prouve que la religion peut facilement se passer de Dieu et se déguiser en technique.]
Ce genre de croyance la peut soulever un espoir de vaincre la mort, mais dire “un jour on y arrivera” ne nous aide pas à nous consoler d’un deuil présent. Quelque soient les exploits qu’on puisse accomplir dans ce domaine dans l’avenir, aucun ne nous permet de rencontrer une personne disparue aujourd’hui.
Ami et camarade, je crois qu’une philosophie de la raison peut aider à surmonter un deuil tout aussi bien, voire mieux, que la promesse religieuse.
Bien entendu, la perte d’un être cher est fort douloureuse. Mais ne croyez pas qu’elle le soit moins pour un croyant, quelle que soit sa foi dans une résurrection ou un paradis.
Peut-être un théiste trouve-t-il un réconfort dans cet espoir.
Mais moi, athée, je trouve un réconfort tout aussi grand dans l’idée que je me fais de la vie et de la mort, pour moi comme pour les autres.
Je ne pense pas que la religion apporte dans ce domaine une “consolation” supérieure à la sérénité (relative quand même) que m’apporte ma conception de l’existence consciente d’elle-même.
@ Gugus69
[Je ne pense pas que la religion apporte dans ce domaine une “consolation” supérieure à la sérénité (relative quand même) que m’apporte ma conception de l’existence consciente d’elle-même.]
On est là dans un domaine très personnel, et c’est pourquoi je ne m’étendrai pas là-dessus, pudeur oblige. Tout ce que je peux dire, c’est que rationaliste de toujours, je n’ai trouvé qu’une maigre consolation dans la « conception de l’existence consciente », et j’avoue avoir beaucoup envié ceux qui « ont de la religion » lorsque j’ai perdu des proches. Je n’ai pas honte de le dire, la perte de mes parents m’a ouvert pas mal les yeux sur la fonction des religions, et je suis devenu moins bien manichéen dans mon anticléricalisme que je ne l’étais en étant jeune.
Oui bien malheureusement ,chaque être humain se perd lui même.Le deuil de soi même est douloureux.Les religions nous consolent un peu par le lien avec les autres mais pas à 100%
Le foetus de sa quiétude suprême l’enfant et son innocence,l’ado et son inconscience,le jeune amoureux et sa fougue,le parent omnipotent ..Il nous faut en définitive nous consoler du temps qui passe…La la méthode cartésienne nous rassemble et elle a 400ans.L’attribut d’éternité et d’universalité peut lui être attribué.
Alors cher René comment imagineriez vous des rituels d’enterrement cartésiens ?
@ Luc
[Oui bien malheureusement, chaque être humain se perd lui même. Le deuil de soi même est douloureux. Les religions nous consolent un peu par le lien avec les autres mais pas à 100%]
Justement, comme le dit si justement Baruch, le “deuil à la première personne” ne m’inquiète pas trop. Je souffre moins de l’idée que mon destin est le néant qu’à l’idée de perdre ceux que j’aime. Ce n’est pas le deuil de moi-même qui me pose problème, c’est le deuil des autres.
[Alors cher René comment imagineriez vous des rituels d’enterrement cartésiens ?]
Pour le rationaliste cartésien, la seule réponse à la mort est la mémoire. Élever des monuments, donner à des institutions le nom d’un mort, c’est la seule forme de consolation que la Raison puisse offrir. Je trouve par exemple magnifique l’idée de la Bibliothèque Nationale, qui lors de la restauration du site Richelieu proposait, contre un don raisonnable, d’apposer une plaque avec le nom choisi par le donateur sur une étagère. Je me console un peu en pensant que mon père, qui a passé tant d’heures merveilleuses dans cette salle de lecture, a son nom attaché pour longtemps à ce lieu.
Vladimir Jankélévitch dans un beau petit livre “la mort” distingue trois façon dont la mort se présente à la pensée de chacun: ce qu’il appelle “la mort à la première personne” (celle où je pense ma propre fin), la mort à la “deuxième personne” (la mort de mon proche, de celui que j’aime), la “mort à la troisième personne” (celle de tous ceux que je ne connais pas ou le problème de la mort “en général”).Nous n’appréhendons pas du tout les choses de la même façon sur chacun de ces trois plans…pour ma part, j’essaye de m’efforcer, (mais c’est là chose toute personnelle, que je vous livre sans pudeur), à intégrer la pensée de Baruch Spinoza :”L’homme libre ne pense à rien moins qu’à la mort, et sa sagesse est une méditation non de la mort, mais de la vie.”Quand la mort à la deuxième personne surgit, je quitte toute velléité de sagesse.
@ Baruch
[Quand la mort à la deuxième personne surgit, je quitte toute velléité de sagesse.]
Tout à fait. C’est là que j’envie ceux qui “ont de la religion”…
Je n’ai pas honte de le dire, la perte de mes parents m’a ouvert pas mal les yeux sur la fonction des religions
C’est normal, et il n’y a évidemment aucune honte. Ma « conception de l’existence consciente d’elle-même » est un peu ma formulation du Cogito ergo sum, affirmation de base qui n’a jamais conduit Descartes à réfuter l’existence de Dieu.
Mais comme le disait Axel Kahn, “Je ne fais pas mienne l’hypothèse théiste”… C’est pourquoi, envier la foi des croyants pour le réconfort qu’elle leur apporte, ce serait, d’une certaine façon, me mentir à moi-même.
@ Gugus69
[C’est pourquoi, envier la foi des croyants pour le réconfort qu’elle leur apporte, ce serait, d’une certaine façon, me mentir à moi-même.]
Je n’irai pas jusque là. L’athéisme nous donne incontestablement une liberté absolue de pensée dont ne bénéficient pas ceux qui croient devoir se plier aux caprices d’un dieu quelconque. Mais d’un autre côté, cette liberté se paye au prix fort devant la mort, quand il faut l’affronter sans la consolation de l’au-delà.
Consolez-vous plutôt, comme athée cohérent, de vous savoir immortel : vous ne saurez jamais que vous êtes mort 😉
De toute façon, la liberté n’a d’autre prix à payer que d’assumer le réel.
Par contre, le chemin à parcourir jusqu’à notre mort risque, lui, d’être tragique et calamiteux, surtout de la faute de ceux qui, croyant aux dieux, nous imposeraient leur culte de la vie, si insupportable fût-elle à ceux qui voudraient qu’on leur épargne certains chemins de Croix, que les Croix-yants trouvent normal de nous imposer dans l’idée que nos souffrances actuelles nous en éviteraient de plus graves dans leur Au-delà.
Or, comme athée cohérent, vous n’aurez pas à craindre quelque punition éternelle dans un Au-delà à la croyance duquel vous avez heureusement renoncé 🙂
Ce qui est déjà (et je vous parle en connaissance de cause) un immense soulagement.
@ Claustaire
[De toute façon, la liberté n’a d’autre prix à payer que d’assumer le réel.]
C’est un prix tellement élevé qu’on peut se demander si cela vaut la peine. Vous noterez d’ailleurs qu’ils sont nombreux à refuser de le payer.
[Par contre, le chemin à parcourir jusqu’à notre mort risque, lui, d’être tragique et calamiteux, surtout de la faute de ceux qui, croyant aux dieux, nous imposeraient leur culte de la vie, si insupportable fût-elle à ceux qui voudraient qu’on leur épargne certains chemins de Croix, que les Croix-yants trouvent normal de nous imposer dans l’idée que nos souffrances actuelles nous en éviteraient de plus graves dans leur Au-delà.]
J’imagine que vous faites référence là à l’euthanasie. Permettez-moi de ne pas partager votre idée. Vous me rappelez la formule de Bertrand Russel : « quand on me dit ‘la vie est dure’, j’ai toujours envie de demander ‘comparée à quoi ?’ ». Une société qui n’admet pas comme principe fondateur que la vie, même diminuée, même misérable, même douloureuse, est toujours préférable au néant, est une société très dangereuse. Parce que dès lors que vous admettez que certaines vies ne valent pas la peine d’être vécues, vous ouvrez la porte à toutes sortes d’aberrations. Pour commencer, qui est juge à l’heure de savoir si une vie vaut ou non la peine d’être vécue ?
Vous me direz que chacun peut décider pour lui-même. Admettons. Maintenant, imaginez que votre fils de vingt ans vous annonce, suite à une rupture amoureuse, qu’il a décidé de mettre fin à ses jours. Quelle serait votre réaction ? Chercheriez-vous à faciliter son suicide, ou bien chercheriez-vous au contraire à l’empêcher ? J’ose espérer que vous choisiriez la deuxième option. Maintenant, posons-nous la même question dans le cadre d’un malade souffrant de terribles douleurs, et qui demanderait à ce qu’on mette fin à ses jours. En quoi cette requêter serait-elle plus rationnelle, en quoi exprimerait-elle une volonté plus réfléchie que celle de votre enfant dans le paragraphe précédent ?
La question de l’euthanasie pose des dilemmes complexes même à ceux qui n’ont aucune religion.
[Or, comme athée cohérent, vous n’aurez pas à craindre quelque punition éternelle dans un Au-delà à la croyance duquel vous avez heureusement renoncé]
D’une certaine façon, oui. Pas sous la forme d’une punition divine, bien entendu. Mais n’est-ce pas une punition terrifiante que de vivre dans une société qui admet par principe que dans certaines circonstances il vaut mieux être mort que vivant ?
Comme dit la fable : « Plutôt souffrir que mourir, c’est la devise des hommes »
La conscience de l’au-delà est un fantasme.Notre espèce,notre système solaire disparaîtront et tous nous le savons même les theistes.. L’au-delà pour les cartésiens est le néant en quoi cela peut il nous consoler en notre for intérieur, que l’officiant promette la rencontre avec notre cher défunt dans au delà fantasme d’opérette.
La consolation véritable pour moi est que la transmission de l’esprit cartésien où d’okham issu de temps immémoriaux soit transmis..Ce sont des rituels standardisés qu’il faudrait pour cet effet ou personnalisé par chaque rationaliste comme le’cogito ergo sum’ le présumé ?
Une incinération,ou une inhumation avec 3 belles chansons de Ferrat,Ferré,et Barbara ou un concerto de violoncelles ,avec un texte(de moi ou d’un ami) a mon assentiment actuellement.
@ Luc
[La conscience de l’au-delà est un fantasme. Notre espèce, notre système solaire disparaîtront et tous nous le savons même les theistes…]
Certes, mais ce sera dans trèeeees longtemps. C’est donc un problème théorique, et non tripal. Je peux me réveiller la nuit avec la peur de mourir, la peur de perdre ma femme, mes parents, mes enfants. Mais ceux qui se réveillent la nuit en se disant « notre espèce va disparaître » ou « notre soleil va s’éteindre » ont une araignée au plafond…
[L’au-delà pour les cartésiens est le néant en quoi cela peut-il nous consoler en notre for intérieur, que l’officiant promette la rencontre avec notre cher défunt dans au-delà fantasme d’opérette.]
La question ici n’était pas la consolation que peuvent procurer les promesses d’un officiant, mais celle que procure la croyance elle-même. Si vous croyez à l’au-delà, à la vie éternelle et la résurrection, alors les promesses de l’officiant vous procureront certainement une consolation importante. C’est la croyance qui fait l’efficacité consolatrice du discours ou du rituel. Et sur ce plan là, le rationalisme athée ne propose pas de véritable alternative.
[Une incinération, ou une inhumation avec 3 belles chansons de Ferrat, Ferré, et Barbara ou un concerto de violoncelles, avec un texte (de moi ou d’un ami) a mon assentiment actuellement.]
Soyons rationnels : s’il n’y a pas d’au-delà, alors la cérémonie qui sera suivie lors de vos obsèques ne devrait avoir pour vous la moindre importance, puisque vous ne serez pas là pour l’observer…
C’est la moindre des manifestations d’amour pour ceux qui seront venus partager le deuil ensemble.
Vous savez, la générosité exigeante permet bien des consolations,comme ce genre de cérémonies à laquelle les athées de mon temps assistent de plus en plus souvent..
Aucune église n’enterre des athées n’est ce pas ?
@ Luc
[Aucune église n’enterre des athées n’est ce pas ?]
Et pourquoi le feraient-elles ? Après tout, si vous voulez être couvert par une assurance, il faut payer les primes…
@Luc
“Aucune église n’enterre des athées n’est ce pas ?”
Je n’expose que ce qui se passe chez les Catholiques. J’ignore ce qu’il en est pour les autres cultes chrétiens ou pas.
Les obsèques peuvent être célébrées si le défunt était baptisé dans l’Église catholique, et s’il a exprimé dans ses dernières volontés le désir d’avoir des obsèques religieuses, ou si ces obsèques sont demandées par la famille. Dans ce dernier cas, on peut présumer que la famille a de bonnes raisons.
En conclusion, si Athée, mais baptisé, vous ne voulez pas d’obsèques religieuses, faites-le savoir sans ambigüité à vos proches.
@Descartes
“Une société qui n’admet pas comme principe fondateur que la vie, même diminuée, même misérable, même douloureuse, est toujours préférable au néant, est une société très dangereuse. ”
Surtout quand un prétendu “droit de mourir dans la dignité” suggère fortement qu’il est des morts indignes. Je ne suis pas opposé au choix de se donner la mort; je suis très gêné par cette formule, et d’autres aspects du débat sur l’euthanasie.
@ Geo
[Je ne suis pas opposé au choix de se donner la mort; je suis très gêné par cette formule, et d’autres aspects du débat sur l’euthanasie.]
Je ne suis pas non plus opposé à la possibilité de se donner la mort – ou de la donner à une personne pour qui la vie a perdu tout sens. Mais je pense qu’on ne peu enfermer ce genre de situations dans une matrice réglementaire. C’est un choix individuel, que la société ne doit ni organiser, ni encourager. C’est un acte fondamentalement intime et secret, et doit le rester.
EVIDEMMENT QU’AUCUN D’ENTRE NOUS?PENSE QUE DANS L’AU DELA,LES MORTS VIVENT ETERNELLEMENT;;Aucune prime d’assurance d’églises monothéistes n’est efficace.Avec ou sans chapelle chacun d’entre nous doit être consolé en partie,par la perte d’une personne amie.Dès le Paléolithique et peut être avant les humains ont eu besoin de manifester collectivement leur deuil:La tome de l’homme de Teutavel contenait des restes de fleurs déposées par ses congénères en deuil,il y a 400000 ans..Les Mammifères marins eux aussi,accompagnent leurs défunts:
https://baleinesendirect.org/les-baleines-la-mort-et-le-deuil/
Les vieux monothéismes sont dépassés et j’ai moi même organisé une demi douzaine de deuils d’athées..en partenariat avec les pompes funèbres qui maintennat se chargent de la sono,de retrouver les extraits musicaux voire video dans les salles des funérariums..C’est fatiguant mais vivre,faire évoluer les pratiques,lutter est fatiguant..Quand la mort vous fauche,la fatigue est finie..
Alors autant mourir en athée,fier,positiv porteur de valeurs bien plus précieuses que les balivernes sur ‘un au delà,paradis ou enfer,dans les idéologies viellotes des monothéismes et autres sectes.
Erathostène a montré que la Terre était une sphère il y a 2500 ans,là se trouve notre idéologie,le rationnalisme.Il est lègitime que nous souhaitions être enterrés selon nos idées rationalistes sons obliger quiconque à le faire.Vous semblez négliger les engagements de personnes comme moi,certes fatiguées mais qui se ressourcent avec les autres rationnalistes comme vous,je metrompe ?
@ Luc
[EVIDEMMENT QU’AUCUN D’ENTRE NOUS PENSE QUE DANS L’AU DELA, LES MORTS VIVENT ETERNELLEMENT;]
Le « penser », peut-être. Mais le croire ? Là, je ne suis pas si sûr… Si j’en juge par les comportements, c’est moins évident que vous ne le pensez. Combien de fois j’ai vu des gens s’abstenir de faire telle ou telle chose sur le mode « j’ai promis à mon père » ou « mon père n’apprécierait pas », alors que le père en question est mort depuis longtemps ? Pourquoi nous soucier de promesses où de l’opinion de celui qui n’existe plus, si nous n’avions pas, quelque part dans notre psyché, l’idée que « dans l’au-delà », la personne vit toujours et surveille nos actions ?
La mort est un mystère, de par sa structure même ce mystère ne peut être résolu. Il ne peut recevoir de réponse scientifique puisqu’aucune hypothèse dans ce domaine n’est « falsifiable » au sens poppérien. On en est réduit donc à la foi. On peut faire l’hypothèse qu’il y a un « au-delà » où les morts continuent à vivre et regardent nos actions, ou bien que nous revenons sur terre sous une forme différente, ou bien qu’il n’y a rien après la mort, que nous retournons au néant d’où un rare miracle nous a tiré. Toutes ces hypothèses sont, rationnellement, équivalentes. Nous n’avons aucun instrument pour décider laquelle est la plus vraisemblable, si ce n’est le rasoir d’Ockam qui, dans cette affaire, trouve vite ses limites.
[Aucune prime d’assurance d’églises monothéistes n’est efficace. Avec ou sans chapelle chacun d’entre nous doit être consolé en partie, par la perte d’une personne amie.]
Mais la consolation n’est pas du même ordre si vous croyez ce qui se passe dans la chapelle ou si vous n’y croyez pas. Dans le premier cas, vous sortez soulagé de savoir que la personne en question est bien là où elle est – car tous les morts sont des braves types et vont au paradis, aucun prêtre ne dira le contraire – et que vous la retrouverez un jour. Dans le second, il ne vous reste comme consolation que la mémoire.
[Dès le Paléolithique et peut être avant les humains ont eu besoin de manifester collectivement leur deuil: La tombe de l’homme de Tautavel contenait des restes de fleurs déposées par ses congénères en deuil, il y a 400000 ans..]
Comme je vous le dis, c’est le plus grand mystère de notre existence, et une des rares questions qui n’aient pas de réponse.
[Les Mammifères marins eux aussi,accompagnent leurs défunts:]
Là, par contre, c’est n’importe quoi. Ce genre de pensée magique plaque sur des animaux des sentiments humains sur le fondement branlant que certains de leurs comportements peuvent ressembler aux nôtres. Oui, certains animaux restent un certain temps à côté de leurs morts, on a observé des baleines ou des orques porter ou empêcher la submersion de leurs congénères morts. Mais peut-on dire qu’ils « portent le deuil » ? Cela supposerait de prouver qu’ils SAVENT, lorsqu’ils ont ces gestes que leur congénère est mort. Car il se pourrait très bien que ces gestes soient des réflexes qui conduisent à porter secours à un animal qu’ils croient toujours vivant… réflexes parfaitement explicables par la théorie de l’évolution, sans avoir à attribuer aux animaux en question des « pensées ».
[Les vieux monothéismes sont dépassés]
Ne les enterrez pas trop vite, ils peuvent encore servir. Et pour ce qui concernent les rituels funéraires, ils restent largement dominants…
[et j’ai moi-même organisé une demi-douzaine de deuils d’athées.. en partenariat avec les pompes funèbres qui maintenant se chargent de la sono, de retrouver les extraits musicaux voire video dans les salles des funérariums…]
Ouais… mais j’avoue que ces cérémonies donnent toujours une impression d’inachevé. C’est très sympa de passer une chanson de Johnny Holiday ou de Bobby Lapointe au prétexte que c’était le morceau préféré du défunt, mais cela n’a pas la dignité du Requiem de Mozart ou la beauté d’une cantate funèbre de Bach. Les seuls qui ont réussi à constituer des rituels qui valent ceux des églises sont les francs-maçons, et même eux ont largement emprunté à la tradition religieuse.
[C’est fatiguant mais vivre, faire évoluer les pratiques, lutter est fatiguant… Quand la mort vous fauche, la fatigue est finie…]
Qu’est-ce que vous en savez ? Si ça se trouve, nous serons punis en retournant sur cette terre comme caissière chez Carrefour ?
[Alors autant mourir en athée, fier, positiv porteur de valeurs bien plus précieuses que les balivernes sur ‘un au-delà, paradis ou enfer, dans les idéologies veillottes des monothéismes et autres sectes.]
Vous insistez lourdement sur le caractère « dépassé » ou « vieillot » des monothéismes. D’abord, j’ignorais que les idées et les croyances avaient une date de péremption ou qu’elles fussent soumises à une sorte d’obsolescence programmée qui oblige à adopter de nouvelles idées au seul motif qu’elles sont nouvelles. Ensuite, je vous ferai remarquer que l’au-delà n’est pas une invention des monothéismes. Les polythéismes, eux aussi, imaginent une vie éternelle sous des forme diverses…
[Eratosthène a montré que la Terre était une sphère il y a 2500 ans,]
Non. Eratosthène a fait l’hypothèse que la terre était une sphère, et à partir de cette hypothèse a estimé sa courbure. Mais il n’avait aucun moyen de « montrer » que la terre était une sphère : si elle avait été une calotte sphérique, sa mesure aurait marché tout aussi bien. La terre était d’ailleurs considérée comme sphérique déjà par les pythagoriciens, idée reprise par Platon, non pas sur des arguments scientifiques mais philosophiques. Aristote est le premier qui apporte des arguments rationnels, notamment la forme de l’ombre portée par la terre sur la lune.
[là se trouve notre idéologie, le rationnalisme.]
Seulement, comme je vous l’ai dit plus haut, aucun processus « rationnel » ne vous permet d’exclure l’idée de vie après la mort. Si vous voulez être « rationnaliste » jusqu’au bout, vous ne pouvez pas exclure l’existence de dieu, pas plus que vous ne pouvez la prouver. Vous devez vous contenter de la formule de Laplace : « je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse » (1).
[Il est légitime que nous souhaitions être enterrés selon nos idées rationalistes sons obliger quiconque à le faire.]
Dans ce cas, il faut se faire enterrer en chrétien, et faire don de tous ses biens à l’église. Le raisonnement pascalien est, d’un point de vue rationnel, imparable : si dieu n’existe pas, vous n’aurez rien perdu. Si dieu existe, alors vous vous assurez une raisonnable chance d’aller en haut plutôt qu’en bas.
[Vous semblez négliger les engagements de personnes comme moi, certes fatiguées mais qui se ressourcent avec les autres rationalistes comme vous, je me trompe ?]
Là où vous vous trompez, je pense, c’est lorsque vous vous qualifiez de « rationaliste », alors que votre position vis-à-vis de la religion est tout sauf rationnelle. Vous faites de l’inexistence de dieu (ou de la vie après la mort) un article de foi, de la même manière que d’autres font de son existence un article de foi. Le véritable rationaliste regarde la question et constate qu’il n’existe pas de voie rationnelle pour résoudre ce dilemme, que la question de l’existence ou l’inexistence de dieu, du paradis ou de l’enfer n’est pas du domaine rationnel, et qu’on est donc libre de croire ou de ne pas croire ce qu’on veut.
J’ajoute qu’un rationaliste peut réfléchir à l’intérêt qu’il a à croire ou ne pas croire en termes sociaux, aux avantages sociaux qu’apporte la religion constituée, et aux désavantages et dangers auxquels elle expose. Mais ce raisonnement utilitariste est le seul appui « rationnel » au combat contre le cléricalisme. Pour le dire autrement, on combat l’église non parce que son discours est faux – au fond, on n’en sait rien – mais parce qu’il est dangereux.
(1) Pour ceux qui ne connaitraient pas la référence : « Comme le citoyen Laplace présentait au général Bonaparte la première édition de son Exposition du Système du monde, le général lui dit : « Newton a parlé de Dieu dans son livre. J’ai déjà parcouru le vôtre et je n’y ai pas trouvé ce nom une seule fois. » À quoi Laplace aurait répondu : « Citoyen premier Consul, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse. » On attribue aussi à Laplace (mais aussi à Lagrange) la réponse « « Dieu est une jolie hypothèse qui explique bien des choses »…
[Pourquoi nous soucier de promesses où de l’opinion de celui qui n’existe plus, si nous n’avions pas, quelque part dans notre psyché, l’idée que « dans l’au-delà », la personne vit toujours et surveille nos actions ?]
Pas besoin qu’elle vive dans l’au-delà, la personne défunte à laquelle nous restons fidèle, puisqu’elle vit en nous, non pas comme un ‘esprit’ flottant ou une ‘âme’ éthérée dans quelques lumineuses limbes ou ténébreux shéol, mais en notre esprit, exactement comme le dieu invisible des chrétiens qui disent “Per ipsum, et cum ipso, et in ipso”. Et pour rester fidèle à ce défunt que nous portons en nous, pas besoin de penser qu’il nous surveille, il nous suffit d’être fidèle à nous. Pas besoin qu’un dieu existe pour qu’il existe et soit vécu in petto par ceux qui croient en lui.
A propos de l’hypothèse d’un Dieu nécessaire ou non : nous savons à quel point croyance et science relèvent de deux champs différents. L’une permet n’importe quelles spéculations (à accepter l’hypothèse d’entités surnaturelles, on ne s’interdit plus rien, licences poétiques ou mythiques – même s’il y a plus de soumissions et de contraintes que de libertés dans les religions, mais ça, ce sont les autoproclamées Saintes Autorités parlant au nom de Dieu qui viendront vous le rappeler), l’autre implique le strict respect de règles et de dialogiques communes, où nul argument d’Autorité ne peut valoir. Dieu, chacun peut en penser ce qu’il veut, l’essentiel est qu’il ne veuille pas en imposer à autrui. Alors que la logique scientifique (dans sa rationalité) s’impose à tous ou plutôt offre les mêmes libertés de recherche à tous.
Quel serait d’ailleurs l’intérêt d’une hypothèse qui expliquerait n’importe quoi et qui saurait trouver sens à tout hasard, voire à toute absurdité ?
Que l’on puisse être éduqué à croire ou à tomber en foi (comme on peut tomber malade dans un milieu contaminé ou en émotion amoureuse) ne relève pas de la liberté, mais le plus souvent, soit d’une tradition familiale (voire d’un conditionnement culturel), soit, parfois, d’une émotion existentielle que nul ne choisit : nul ne choisit de tomber amoureux ou de tomber en foi. Par contre, on peut entreprendre de se déniaiser ou de se ressaisir lorsqu’on se sentirait tomber dans l’irrationnel… Oh, mais quel dommage ce serait ! diront certains : être amoureux ou avoir la foi, quoi de plus sublime ou de plus fou à vivre !? A condition bien sûr que l’amoureux en question ne passe pas ses journées à vous harceler de son amour… ni ne veuille vous sauver de vous-même, voire vous tuer pour vous apprendre à vivre ou à l’aimer…
@ claustaire
[« Pourquoi nous soucier de promesses où de l’opinion de celui qui n’existe plus, si nous n’avions pas, quelque part dans notre psyché, l’idée que « dans l’au-delà », la personne vit toujours et surveille nos actions ? » Pas besoin qu’elle vive dans l’au-delà, la personne défunte à laquelle nous restons fidèle, puisqu’elle vit en nous,]
Désolé, mais ce « elle vit en nous » est une formule creuse. En quoi se manifeste cette « vie en nous » ? La personne disparue peut-elle manifester une volonté ? Exprimer un sentiment ? Peut-elle apprécier un acte de tendresse ou au contraire ressentir la douleur d’un rejet ? Non ? Alors qu’est ce que vous appelez « vivre » ?
Se souvenir d’une personne, ou même suivre ses enseignements ne la fait pas « vivre ». On peut d’ailleurs se souvenir ou rester fidèle à une personne qui n’a pas existé – pensez à Homère. Est-ce que cela le fait « vivre » ? Non, bien sur que non. « Vivre », c’est avoir une capacité d’agir sur son environnement. Et si nous nous soucions des promesses faites à un mort, c’est parce que dans notre psyché nous ne sommes pas tout à fait sûrs que ce mort ne peut revenir et agir sur nous.
[non pas comme un ‘esprit’ flottant ou une ‘âme’ éthérée dans quelques lumineuses limbes ou ténébreux shéol, mais en notre esprit, exactement comme le dieu invisible des chrétiens qui disent “Per ipsum, et cum ipso, et in ipso”.]
Sauf que « le dieu invisible des chrétiens » est capable d’agir sur nous, de nous récompenser ou de nous punir, de faire des miracles. Si dieu n’agit plus, alors vous arrivez à la formule utilisée par Laplace et l’athéisme n’est pas loin.
[Et pour rester fidèle à ce défunt que nous portons en nous, pas besoin de penser qu’il nous surveille, il nous suffit d’être fidèle à nous. Pas besoin qu’un dieu existe pour qu’il existe et soit vécu in petto par ceux qui croient en lui.]
En d’autres termes, vous pensez qu’il suffit qu’on croie pour que cela existe ? Mickey est vivant parce que mon petit neveu croit en lui ?
[Quel serait d’ailleurs l’intérêt d’une hypothèse qui expliquerait n’importe quoi et qui saurait trouver sens à tout hasard, voire à toute absurdité ?]
Quel intérêt ? Celui de permettre aux gens de vivre leurs vies sans se poser des questions, sans angoisses, convaincus qu’une autorité supérieure et bienveillante a tout prévu et donc que tout finira par s’arranger. Pourquoi pensez-vous que les hommes y croient depuis l’antiquité, et que quatre cent ans après Descartes on y croit encore, à cette hypothèse ?
Et si nous nous soucions des promesses faites à un mort, c’est parce que dans notre psyché nous ne sommes pas tout à fait sûrs que ce mort ne peut revenir et agir sur nous.
Ami et camarade, autant je suis d’accord dans l’ensemble avec vous dans ce débat, autant je ne vous suis pas sur ce point.
Moi, je chéris le souvenir, mais je ne rends aucun culte aux disparus. D’ailleurs, je ne vais pas dans les cimetières, où selon moi, il n’y a… rien. Ou parfois quelques beaux monuments.
Cependant, il y a des promesses sacrées faites aux morts. Celles faites par les poilus survivants en 1918, ou celles des rescapés des camps nazis en 1945. Cette promesse de lutter tout le restant de leur vie pour que les horreurs ne recommencent jamais, ils l’ont prononcée au nom de leurs compagnons tombés.
Mais cette promesse, qui n’engageait que les vivants, reste une promesse sacrée. Même si je suis convaincu, évidemment, que les morts s’en foutent bien. Ce n’est pas une raison pour ne pas la tenir.
Je garde le souvenir de très vieux camarades, anciens déportés de la FNDIRP, qui témoignaient naguère dans les collèges. Ils étaient de vieux athées indécrottables, persuadés que le néant suivait le trépas. Ils ont tenu leur promesse jusqu’à leur dernier souffle.
La conscience du néant n’interdit pas l’éthique ! C’est peut-être ça, être un homme.
Mais bien entendu, ils ont tenu cette promesse d’abord pour protéger l’humanité à venir…
@ Gugus69
[Moi, je chéris le souvenir, mais je ne rends aucun culte aux disparus. D’ailleurs, je ne vais pas dans les cimetières, où selon moi, il n’y a… rien. Ou parfois quelques beaux monuments.]
Dois-je comprendre que lorsqu’un parent décède, vous ne seriez pas choqué si son corps était jeté dans une décharge ou envoyé à un incinérateur de déchets ? Si vous ne rendez aucun culte aux morts, en quoi un cadavre humain est différent de celui d’une vache ou d’un chien ? Désolé, mais avec quelques exceptions – que j’hésite à qualifier de pathologiques – TOUS les humains rendent culte aux morts, sous une forme ou sous une autre. Vous n’allez peut-être pas dans les cimetières – c’est aussi mon cas – mais nous ne traitons pas le corps de nos morts comme des simples objets, nous gardons précieusement certains objets qui leur ont appartenu, et ainsi de suite.
[Cependant, il y a des promesses sacrées faites aux morts. Celles faites par les poilus survivants en 1918, ou celles des rescapés des camps nazis en 1945. Cette promesse de lutter tout le restant de leur vie pour que les horreurs ne recommencent jamais, ils l’ont prononcée au nom de leurs compagnons tombés.]
Je ne comprends pas comment on peut faire une « promesse » à un être qui n’existe pas, et comment une promesse impossible peut être « sacrée ». Encore une fois, si nous pouvons « promettre » aux morts, c’est parce que dans notre psyché ils sont toujours un peu vivants. Sans une forme de vie éternelle, il n’y a pas d’engagement possible envers eux…
[Mais cette promesse, qui n’engageait que les vivants, reste une promesse sacrée. Même si je suis convaincu, évidemment, que les morts s’en foutent bien.]
Mais si vous êtes si convaincu que les morts « s’en foutent bien », pourquoi les convoquer ? Pourquoi leur adresser cette « promesse », pourquoi les en rendre témoins ?
[La conscience du néant n’interdit pas l’éthique !]
Non. Mais elle interdit, en toute cohérence, de tenir les morts pour témoins et dépositaires de cette « éthique ». Si vous croyez vraiment qu’après la mort vient le néant, alors « promettre aux morts » devient un geste dépourvu de sens. Le simple fait qu’on continue à promettre aux morts, à préserver des ossuaires et à raviver la flamme devant une tombe vous montre que, quelle que soit nos convictions rationnelles, nous avons quelque part enfouie dans notre inconscient la croyance que les morts vivent.
Dois-je comprendre que lorsqu’un parent décède, vous ne seriez pas choqué si son corps était jeté dans une décharge ou envoyé à un incinérateur de déchets ?
Finalement, ami et camarade, votre position est assez paradoxale pour un rationaliste. Au bout du compte, vous faites reposer la civilisation humaine sur la seule transcendance divine.
Si ! Je serais choqué qu’on envoie un corps sur un tas d’ordure. Nous sommes des êtres sensibles et policés.
Nous ne nous construisons pas que sur notre raison, mais aussi sur une symbolique collective et multimillénaire.
Cette culture est souvent d’essence religieuse, mais pas toujours. Si nous refusons qu’un corps humain soit maltraité, ce n’est pas parce que le disparu pourrait en souffrir, c’est en raison d’une certaine idée que nous nous sommes forgée de l’humanité.
Sous l’Arc de triomphe repose le corps sans nom d’un combattant mort pour la France. Ce cadavre se fiche bien de nos célébrations ! Et pourtant, ne sentez-vous pas que porter atteinte à ce petit tas d’ossements, ce serait attaquer la Patrie elle-même ?
Je suis un rationaliste militant. Je ne crois pas à un au-delà. Mais j’ai des valeurs, une morale, des principes hérités de siècles de patient tissage d’une civilité.
Cet héritage a des apports religieux. Je fais avec. C’est ce qui construit notre communauté, avec les apports aussi des philosophes rationalistes.
@ Gugus69
[Finalement, ami et camarade, votre position est assez paradoxale pour un rationaliste. Au bout du compte, vous faites reposer la civilisation humaine sur la seule transcendance divine.]
En tant que « rationaliste », je ne peux que constater rationnellement que l’être humain, depuis le début de son histoire, cherche une forme de transcendance qui aille au-delà de la mort. Aucune civilisation, et je dis bien aucune, ne s’est contenté de dire « après la mort, il n’y a rien ». Et même notre civilisation hyper-matérialiste conserve des pratiques qui montrent qu’on a du mal à croire en ce néant.
[Si ! Je serais choqué qu’on envoie un corps sur un tas d’ordures. Nous sommes des êtres sensibles et policés.]
Que nous soyons sensibles et policés envers les vivants, je peux le comprendre. Mais qu’on soit « policé » envers un objet – et si l’on croit qu’après la mort c’est le néant, le corps d’un mort n’est plus qu’un objet – cela me paraît plus difficile à admettre…
[Nous ne nous construisons pas que sur notre raison, mais aussi sur une symbolique collective et multimillénaire.]
C’est bien mon point. Cette « symbolique collective » ne se construit pas au hasard. Elle se construit aussi en fonction de nos espoirs et de nos peurs. Et l’une des peurs les plus fondamentales, celle que l’ensemble des humains partagent, c’est celle du néant.
[Cette culture est souvent d’essence religieuse, mais pas toujours. Si nous refusons qu’un corps humain soit maltraité, ce n’est pas parce que le disparu pourrait en souffrir, c’est en raison d’une certaine idée que nous nous sommes forgée de l’humanité.]
Mais nous ne refusons pas que le corps humain soit maltraité. Le corps de Mussolini fut pendu par les pieds. Quel sens a cet acte si on considère qu’une fois mort l’esprit de Mussolini n’était plus, et que son corps est finalement identique à tout autre corps ? Et vous pouvez trouver des centaines d’exemples : le corps de X n’est pas équivalent au corps de Y. Pourquoi à votre avis ? Personnellement, je ne vois qu’une seule explication : parce que nous croyons au fond que le corps d’une personne garde quelque part un certain lien avec un esprit qui survit à la mort. Dans le corps de Mussolini il reste quelque chose de Mussolini.
[Sous l’Arc de triomphe repose le corps sans nom d’un combattant mort pour la France. Ce cadavre se fiche bien de nos célébrations ! Et pourtant, ne sentez-vous pas que porter atteinte à ce petit tas d’ossements, ce serait attaquer la Patrie elle-même ?]
Mais… si ce corps se fiche éperdument de nos célébrations, pourquoi l’avoir mis là ? Pourquoi n’avoir pas fait un simple cénotaphe ?
Mais nous ne refusons pas que le corps humain soit maltraité. Le corps de Mussolini fut pendu par les pieds. Quel sens a cet acte si on considère qu’une fois mort l’esprit de Mussolini n’était plus, et que son corps est finalement identique à tout autre corps ?
Les symboles, camarade ! les symboles !
C’est précisément parce que profaner un corps humain est inadmissible que profaner celui de Mussolini le retranche de l’Humanité. Le corps du Duce n’est pas “un corps humain”. Qu’ils croient au Ciel ou qu’ils n’y croient pas, les résistants italiens pouvaient se retrouver unis dans cette condamnation du fascisme et de la mémoire de son chef.
Voyez comme il fut difficile de donner une sépulture aux terroristes islamistes en France. “Ces monstres ne sont pas humains !” Vous n’avez jamais entendu cette phrase ?
Et l’une des peurs les plus fondamentales, celle que l’ensemble des humains partagent, c’est celle du néant.
Non. Je n’ai pas peur du néant. L’idée m’est rassurante que je n’existerai plus comme je n’existais pas avant ma naissance. Ce n’est pas effrayant. Au loto du hasard, la vie est une expérience miraculeuse. La mort me fait peur seulement en ce qu’elle peut être une expérience douloureuse…
@ Gugus69
[« Mais nous ne refusons pas que le corps humain soit maltraité. Le corps de Mussolini fut pendu par les pieds. Quel sens a cet acte si on considère qu’une fois mort l’esprit de Mussolini n’était plus, et que son corps est finalement identique à tout autre corps ? » Les symboles, camarade ! les symboles !]
Je ne vois pas où est le « symbole ». Il y a symbolisation lorsqu’une entité prend la place d’une autre. Pendre Mussolini en effigie a un caractère symbolique, puisque l’effigie prend la place du corps réel. Mais ici, de quoi le corps de Mussolini prendrait la place ? Je ne pense pas que ceux qui l’ont pendu aient eu en tête un « symbole ». Je pense plutôt que ce genre d’actes a un caractère rétributif : on pense en pendant le corps qu’on « punit » d’une certaine manière celui qui l’occupait. Ce qui suppose qu’il soit quelque part capable de ressentir la punition, autrement dit, de survivre à sa propre mort…
[C’est précisément parce que profaner un corps humain est inadmissible que profaner celui de Mussolini le retranche de l’Humanité.]
Mais pourquoi « profaner un corps humain » est inadmissible ? Encore une fois, si avec la mort notre esprit disparaît définitivement, le corps n’est plus qu’un tas de viande. Pour qu’il y ait profanation, il faut qu’il y ait sacralisation. Or, pourquoi voulez-vous sacraliser un tas de viande ? La sacralisation du corps humain manifeste la croyance que d’une certaine manière le corps garde un lien avec l’esprit qui l’a occupé bien après la mort…
[Voyez comme il fut difficile de donner une sépulture aux terroristes islamistes en France. “Ces monstres ne sont pas humains !” Vous n’avez jamais entendu cette phrase ?]
Mais justement, si l’on croit qu’après la mort il n’y a rien, alors cela ne devrait pas poser de problème. Quelle différence entre le tas de viande qui a appartenu à un terroriste et celui qui a appartenu à un saint ? Tout ce qui les rendait différents a disparu à jamais. Alors, où est le problème ? Si problème il y a, c’est encore une fois parce que nous ne croyons pas vraiment que le lien entre le corps et l’esprit disparaisse avec la mort…
[« Et l’une des peurs les plus fondamentales, celle que l’ensemble des humains partagent, c’est celle du néant. » Non. Je n’ai pas peur du néant. L’idée m’est rassurante que je n’existerai plus comme je n’existais pas avant ma naissance.]
La peur du néant est une « peur anthropologique », elle est profondément inscrite dans notre psyché… et l’une des rares choses que nous partageons avec tous les autres êtres humains. Vous en trouvez d’innombrables traces dans toutes les cultures…
@ Descartes
[Mais justement, si l’on croit qu’après la mort il n’y a rien, alors cela ne devrait pas poser de problème. Quelle différence entre le tas de viande qui a appartenu à un terroriste et celui qui a appartenu à un saint ?]
Tes réflexions dans cette discussion ont une prémisse cachée : tout le monde, athées impénitents compris, aurait pour position philosophique que l’on a un corps, que l’on occupe ou possède, mais ce que l’on est, c’est l’esprit ; je pense que tu trouverais pas mal de monde pour penser au contraire que l’on est un corps, et que l’esprit n’est qu’une construction abstraite, ou une propriété émergente du corps. A ce moment là, humilier le corps de Mussolini, même mort, c’est toujours humilier Mussolini – l’absence de vie lui a certes ôté son pouvoir de nuisance, mais c’est toujours Mussolini…
@ BolchoKek
[Tes réflexions dans cette discussion ont une prémisse cachée : tout le monde, athées impénitents compris, aurait pour position philosophique que l’on a un corps, que l’on occupe ou possède, mais ce que l’on est, c’est l’esprit ;]
Oui, tout à fait. Mais cette « prémisse cachée » me semble assez triviale. Pour ceux qui adhèrent à une religion abrahamique, cette séparation est un article de foi. C’est évidement vrai pour les animistes. Cela couvre déjà une proportion massive de la population. Pour les athées, c’est une évidence expérimentale : lorsqu’on meurt, on cesse « d’être », mais le corps est toujours là.
En fait, la séparation entre le corps et l’esprit est peut-être l’une des croyances les plus constantes de l’humanité, et cela depuis les temps préhistoriques. Nous savons que les cultures préhistoriques vivaient dans la crainte que les esprits des ancêtres reviennent les hanter. Cette idée de retour survit largement jusqu’à nos jours, à travers les histoires de fantômes et le culte des morts.
[je pense que tu trouverais pas mal de monde pour penser au contraire que l’on est un corps, et que l’esprit n’est qu’une construction abstraite, ou une propriété émergente du corps.]
Je n’y crois pas un instant. D’ailleurs, si l’esprit était « une propriété émergente du corps », une jambe ou un bras amputé devraient être traités avec le même respect que le corps humain d’un défunt. Après tout, en quoi l’esprit serait plus « émergent » de la tête que du petit orteil ?
pour l IVG je crois que la raison est plus prosaique: tout le monde en france (ou presque) est d accord -> risque electoral nul,ca permet d occuper les medias (pendant ce temps il ne parleront pas de chose qui fachent). Apres c est sur que ca aurait pu etre mettre dans la constitution le droit des filles a aller a lecole (apres tout les talibans veulent l interdire)
Quand a l americanisation de la societe, on l a de plus en plus via la TV/film puis internet. je suis persudade qu une bonne partie de la population connait mieux les regles judiciaires US (grace aux differents films) que francaises. a partir de la on importe aussi leurs problematiques (blm, mee too) surtout si celle ci servent une minorité dans la lutte des places (soyez honnete si vous etes une femmes et “racisée” vous allez le mettre en avant pour avoir un poste vu qu on tourne au systeme de quota)
@ cdg
[pour l’IVG je crois que la raison est plus prosaïque : tout le monde en France (ou presque) est d’accord -> risque électoral nul, ça permet d’occuper les médias (pendant ce temps il ne parleront pas de chose qui fâchent).]
Je ne suis pas tout à fait d’accord. Bien sûr, pour les militantes du « genre » qui proposent cette chose, c’est un pari sûr : cela ne peut que plaire à leur électorat, et si cela choque ce sera des gens qui de toute façon ne voteront jamais pour elles. Cela permet d’ailleurs de réveiller les clivages manichéens que ce genre de militant adore.
Mais au-delà de ces raisons socio-politiques, il ne reste pas moins qu’on continue à importer des débats toujours chez le même fournisseur, les Etats-Unis.
[Quand a l’américanisation de la société, on l’a de plus en plus via la TV/film puis internet. Je suis persuadé qu’une bonne partie de la population connait mieux les règles judiciaires US (grâce aux différents films) que françaises.]
Certainement. Mais je suis aussi persuadé qu’on connaît mieux en France les règles qui régissent la vie à Poudlard que dans n’importe quelle université, et je ne pense pas qu’on puisse parler d’une « potterisation » de la société. Contrairement à une opinion bien établie, je pense qu’il ne faut pas confondre l’américanisation comme mode, comme on a pu la connaître dans les années 1950-60, et l’américanisation de la pensée, telle qu’elle se manifeste aujourd’hui. En 1960, on avait beau importer le rock ou les jeans, regarder « autant emporte le vent » ou « la petite maison dans la prairie », cela n’avait pas vraiment du poids sur les modes de pensée. On n’avait pas ce réflexe d’importer chez nous des problématiques américaines. A l’époque, un ministre déclarant qu’il lui avait fallu croiser l’Atlantique pour prendre conscience d’un problème français se serait couvert de ridicule.
Ce n’est pas de la TV ou d’Internet que vient le problème. Ce qui est atteint, c’est la fabrique des élites, ce qui est infiniment plus sérieux. Allez à une cérémonie de remise des diplômes dans nos grandes écoles, et vous verrez de plus en plus souvent les heureux récipiendaires revêtir « l’oxford hat », ce mortier carré qu’on porte dans les universités américaines. Regardez les associations regroupant les diplômés de ces écoles : dans les dix dernières années, presque toutes ont remplacé l’expression « anciens élèves », bien de chez nous, par celle « d’alumni », copiée des universités américaines – et même l’ENA, devenue INSP, s’y met…
Et ces éléments symboliques se retrouvent largement dans l’enseignement. Nous sommes en train de former des élites dans un cadre de pensée qui énonce comme vérité d’évangile que tout ce qui est bon vient d’ailleurs, et que tout ce qui vient de chez nous est ringard/poussiéreux/rance/dépassé. Et que cet « ailleurs » a pour Mecque les Etats-Unis, même si l’Allemagne, la Finlande ou la Grande-Bretagne peuvent, selon les cas, être un substitut acceptable.
Bonjour à tous,
Je poste rarement mais je suis beaucoup ces échanges très enrichissants.
[Tout ce qui vient de chez nous est ringard/poussiéreux/rance/dépassé.]Ca c’est évident désormais. Pourtant, l’actualité se charge de nous rappeler constamment que la France dispose encore de ressources considérables. Nous venons ainsi de décrocher une treizième médaille Fields (!) mais curieusement personne ou presque n’en a parlé (oui je sais il a fait 40 degrés, en plein après-midi, à Nîmes, au mois de juillet, et un Thalys a percuté une biche et a eu 7h de retard, ça ce sont des sujets bien plus prioritaires…). Je peux vous dire que c’est une performance hors du commun et tout cela est le résultat du fonctionnement des dernières institutions véritablement méritocratiques dans ce pays: les classes préparatoires et les grandes écoles. Mais en parler serait justement mettre à l’honneur ces institutions séculaires (ENS d’Ulm en particulier mais aussi X ou Mines-Ponts) et reconnaître que les réformes de l’éducation de ces 50 dernières années ont été de lamentables échecs. Il est d’ailleurs assez révélateur que certains politiques veuillent remettre tout cela en cause: l’Ecole Polytechnique par exemple commence à accueillir des étudiants sur dossier. L’élitisme, les concours, la méritocratie, tout cela est poussiéreux et ringard comme vous dites. Et puis surtout, là où je vous suis, ça fait que le fils de l’ouvrier peut concurrencer le fiston, alors il faut en finir avec ça…
[Ce qui est atteint, c’est la fabrique des élites, ce qui est infiniment plus sérieux.]L’exemple classique est la quantité d’anglicismes inutiles dans les entreprises. Le phénomène a pris une ampleur considérable ces 10 dernières années à tel point que si certains n’emploient que des mots français dans leurs phrases, ils sont regardés de travers avec un sourire condescendant. Or la langue structure un mode de pensée et de toute façon, calquer la langue d’un autre, c’est déjà se soumettre. A ce titre, on ne sait trop s’il faut rire ou pleurer lorsque L’Obs ou L’Express font leurs gros titres sur les réseaux du Kremlin ou de l’influence de Poutine en France. Personne ne semble remarquer que nous sommes complètement gangrénés par les Etats-Unis (pardon maintenant il faut dire les US, pauvre français nul et ringard que nous sommes).
@ FB
[« Tout ce qui vient de chez nous est ringard/poussiéreux/rance/dépassé. » Ca c’est évident désormais. Pourtant, l’actualité se charge de nous rappeler constamment que la France dispose encore de ressources considérables.]
En fait, notre « haine de soi » se construit sur une vision idéalisée des autres. On se flagelle ponctuellement sur les retards de l’EPR sur le mode « cela n’arriverait pas en Allemagne ». Mais cela arrive bien en Allemagne : prenez par exemple le nouvel aéroport de Berlin – Willy Brandt, dont le chantier débute en 2006, avec une ouverture prévue en 2010 et un coût prévisionnel de 2 Md€. Il ne sera inauguré qu’en octobre 2020, après 14 ans de travaux et plusieurs scandales, et aura coûté près de 10 Md€.
Nous disposons, oui, de ressources considérables, notamment au niveau de la formation. Mais nous nous appliquons systématiquement à les détruire, en cassant ce qui marche et en promouvant ce qui ne marche pas. La suppression du doctorat d’Etat, titre reconnu de par le monde, pour le remplacer par un diplôme aligné avec le système européen/américain est un bon exemple. La transformation de l’ENA et des écoles d’ingénieurs en cursus de « management » en est un autre…
[Il est d’ailleurs assez révélateur que certains politiques veuillent remettre tout cela en cause: l’Ecole Polytechnique par exemple commence à accueillir des étudiants sur dossier. L’élitisme, les concours, la méritocratie, tout cela est poussiéreux et ringard comme vous dites. Et puis surtout, là où je vous suis, ça fait que le fils de l’ouvrier peut concurrencer le fiston, alors il faut en finir avec ça…]
Exactement !
[« Ce qui est atteint, c’est la fabrique des élites, ce qui est infiniment plus sérieux. » L’exemple classique est la quantité d’anglicismes inutiles dans les entreprises.]
Ce n’est pas ça qui m’inquiète le plus. C’est là une forme de snobisme qui, comme tout snobisme, aboutit souvent au ridicule. On a toujours tort de se faire passer pour ce qu’on n’est pas, et la sous-traitance, même appelée « outsourcing », sentira toujours aussi mauvais, pour paraphraser Shakespeare. Ce qui m’inquiète plus, c’est l’adoption de modes de pensée colonisés, et pour commencer cette conviction que tout ce qui est bon vient nécessairement d’ailleurs, que tout ce qui est pensé chez nous est forcément ringard. Au point que l’utilité du fil à couper le beurre n’est admise que s’il reçoit la bénédiction d’un cabinet de consultants anglo-saxon.
[Or la langue structure un mode de pensée et de toute façon, calquer la langue d’un autre, c’est déjà se soumettre.]
Le problème c’est qu’on ne calque pas la langue de l’autre, on invente une espèce de Volapük intégré, comme disait mongénéral, qui est d’une pauvreté affligeante. De ce point de vue, il faut lire et relire « 1984 » de Orwell. L’appauvrissement de la langue est un moyen de limitation de la pensée bien plus efficace que n’importe quelle officine de censure.
Merci, c’est un texte très élaboré.
Cependant, il est possible que vous acceptiez que la prière des morts,mais que pensez vous d’autres façons de faire comme la mienne ?ou celles ci dessous?
“Parcourez la terre depuis Cadix jusqu’au Gange, voisin des portes de l’Aurore, vous trouverez peu d’hommes capables de discerner les vrais biens des maux réels ; car enfin la raison règle-t-elle nos craintes ? Qui jamais conçut un projet sous des auspices assez heureux pour ne s’être pas repenti de l’entreprise et du succès ? Les dieux trop faciles ont souvent ruiné des familles entières en exauçant leurs désirs. A la ville ou dans les camps, nous n’adressons au ciel que de funestes voeux. Plus d’un orateur fut victime de sa propre éloquence. Milon périt pour avoir trop compté sur la vigueur de son bras. Mais ce qui est plus dangereux que tout le reste, c’est la possession de ces trésors qui ont déjà coûté tant de soucis, de ces immenses- revenus qui surpassent les autres fortunes autant que la baleine de l’Océan britannique surpasse les dauphins. Témoin ces jours funèbres, où, par l’ordre de Néron, une farouche cohorte envahit la maison de Longinus, les vastes jardins du trop riche Sénèque et le palais magnifique de Latéranus. Le soldat assiège rarement la cabane du pauvre. Voyagez-vous la nuit avec le moindre vase d’argent, il vous faudra craindre le glaive d’un assassin ; l’ombre d’un roseau agité au clair de lune vous fera trembler, tandis que le voyageur sans bagage chantera en présence du voleur.
Le voeu le plus général, celui que nous faisons entendre le plus souvent dans nos temples, c’est que nos richesses s’accroissent sans cesse, que notre coffre-fort soit le plus grand de tous ceux que l’on dépose au Forum. Cependant ce n’est pas dans l’argile que l’on boit le poison : ne tremblez que lorsque vous touchez des lèvres une coupe enrichie de pierreries, ou que vous voyez le sétine pétiller dans l’or étincelant. ”
(Juvénal, Satire X, trad. Jean Dusault, 1770)
@ Luc
[“Cependant ce n’est pas dans l’argile que l’on boit le poison : ne tremblez que lorsque vous touchez des lèvres une coupe enrichie de pierreries, ou que vous voyez le sétine pétiller dans l’or étincelant”.]
Autrement dit, le véritable bonheur n’appartient qu’aux pauvres, les riches vivent une vie faite de stress et de malheurs. Un discours que les riches ont toujours encouragé, puisqu’il persuade les pauvres qu’ils ont la meilleure part. Les formules du genre “bienheureux les pauvres, le royaume des cieux leur appartient” a permis pendant des siècles de persuader les pauvres de se contenter d’une maigre pitance, convaincus de gagner ainsi le bonheur éternel…
Bonsoir, merci pour ce papier ;
Autant, je vous rejoins totalement sur l’importation de problématiques sociétales et politiques état-unienne par nos élites politiques et médiatiques, mais pourquoi réduisez-vous cette “américanisation de la pensée” aux “élites”.
Malheureusement, cette fascination pour les USA, sa civilisation et son mode de pensée (pour lequel j’assume la plus profonde des détestations), touche l’ensemble des classes socioéconomiques de notre pays.
Au-delà de la consommation par les classes populaires de la soupe culturelle US, qui véhicule l’”américan way of life” (téléréalité, série ect…), vous pouvez voir que les valeurs US (individualisme forcené, définition de l’individu par la possession monétaire…) se retrouve autant chez les riches que chez les pauvres et particulièrement chez les jeunes.
Je vais prendre en illustration un exemple personnel (qui vaut ce qu’il vaut):
L’année dernière, j’étais revenue en France, étant convié à une réception “alumni”de mon ancienne école, afin de partager l’expérience de mon parcours pro avec les élèves. J’ai été frappé par l’attirance de ces étudiants pour le marché du travail US dans notre secteur, avec plusieurs jeunes me confiant vouloir “monter une boite là-bas” (ils semblaient toutefois bien embêter quand je leur demandais une boite de quoi exactement) ou simplement être salarié car “las bas les jeunes travailleurs de notre niveau commencent avec un salaire de 80 ou 100 000 dollars par an !” (affirmation qui vous fera franchement rigoler, pour peu que vous ayez déjà travaillé avec des yankees… )
Vous me direz que cela confirme votre postulat des élites américanisées, mais je discutais justement récemment avec un ami resté au pays et travaillant comme enseignant dans un collège à la population “populaire”. Et bien, cet ami voyait chez ses élèves “prolos” exactement la même fascination pour les US et leur mode de fonctionnement que j’avais constaté chez les étudiants de mon école parisienne. L’attrait de l’individualisme, du mythe du self made man, l’argent (ou plutôt l’argent facile), comme valeur cardinale sont présents dans TOUTE notre société.
Je comprends qu’il est tentant d’accuser nos élites de tous les vices et maux possibles, mais je me permets de me demander à chaque fois par qui ces fameuses élites (du moins politique” ont été fichues dans leurs fauteuils ?
@ Lingons
[Autant, je vous rejoins totalement sur l’importation de problématiques sociétales et politiques état-unienne par nos élites politiques et médiatiques, mais pourquoi réduisez-vous cette “américanisation de la pensée” aux “élites”.]
Je ne « réduis » nullement aux élites la question de l’américanisation. Mais le fait est que ce sont les « élites » qui fabriquent l’idéologie dominante. L’américanisation des « élites » n’a donc pas tout à fait les mêmes effets que l’américanisation du vulgum pecus. J’ajoute qu’il ne faut pas confondre une américanisation « culturelle » avec l’américanisation de la pensée. Au cours de notre histoire, les élites françaises se sont intéressées à diverses influences culturelles venues d’ailleurs. De Rameau et ses « Indes galantes » en passant par le « japonisme » ou l’art africain jusqu’au Jazz, le Country ou le Rock (venus respectivement des Etats-Unis ou de l’Angleterre) nous avons toujours été une culture ouverte aux influences. Mais ce n’est pas pour autant que nos universités, nos académies, nos institutions politiques ont considéré nécessaire de singer celles de la Chine, l’Afrique, la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis, d’importer chez nous les conflits de ces pays.
Ce à quoi nous assistons aujourd’hui est totalement différent de l’américanisation qu’on a pu dénoncer dans les années 1960. Il ne s’agit pas ici de styles musicaux ou artistiques, mais d’institutions.
[Au-delà de la consommation par les classes populaires de la soupe culturelle US, qui véhicule l’”américan way of life” (téléréalité, série ect…), vous pouvez voir que les valeurs US (individualisme forcené, définition de l’individu par la possession monétaire…) se retrouve autant chez les riches que chez les pauvres et particulièrement chez les jeunes.]
Je ne le crois pas. Pensez par exemple au « droit aux études » que notre jeunesse défend bec et ongles. Pensez-vous que ce soit un mode de pensée très « américain » ? Non, pas du tout : les Américains considèrent tout à fait normale la sélection par l’argent à l’entrée des universités, et le fait que ceux qui n’ont pas de quoi payer s’arrêtent après le bac n’est pas vu là-bas comme une injustice, mais comme un « fact of life ». Pensez-aussi à la colère de la France périphérique contre le retrait des services publics. Rien de bien « américain » là-dedans…
La révolte des « Gilets Jaunes » est impensable dans un contexte américain. Elle montre combien les « valeurs US » véhiculés par les médias ont finalement une prise assez limitée en dehors des cercles privilégiés. Nos ingénieurs, nos diplômés d’école de commerce rêvent peut-être de vivre aux Etats-Unis, mas je doute que vous trouviez beaucoup d’ouvriers français pour faire le voyage…
[Je vais prendre en illustration un exemple personnel (qui vaut ce qu’il vaut) : L’année dernière, j’étais revenue en France, étant convié à une réception “alumni” de mon ancienne école, afin de partager l’expérience de mon parcours pro avec les élèves.]
Première remarque : j’ignore quelle est votre ancienne école, mais je pense que nous parlons ici d’une « élite ». Même si l’on ne parle pas de Centrale, HEC ou de Polytechnique, même les écoles moins prestigieuses entretiennent parmi les élèves l’image d’une appartenance à « l’élite ».
[J’ai été frappé par l’attirance de ces étudiants pour le marché du travail US dans notre secteur, avec plusieurs jeunes me confiant vouloir “monter une boite là-bas” (ils semblaient toutefois bien embêter quand je leur demandais une boite de quoi exactement) ou simplement être salarié car “las bas les jeunes travailleurs de notre niveau commencent avec un salaire de 80 ou 100 000 dollars par an !” (affirmation qui vous fera franchement rigoler, pour peu que vous ayez déjà travaillé avec des yankees… )]
Là encore, j’ignore quel est votre domaine d’activité. Mais ce que vous décrivez tient en fait à ce qu’on peut appeler « l’effet de moyenne ». En France, les mécanismes de redistribution et de prévision font que la pyramide des bénéfices est aplatie : les « premiers de cordée » sont moins riches, et les « derniers de cordée » moins pauvres que dans un système « à l’américaine ». Maintenant, on peut excuser les jeunes sortant d’une « grande école » de s’imaginer qu’ils seront toujours parmi les « premiers de cordée », et qu’ils ont donc intérêt à aller vers le pays ou les inégalités sont plus fortes.
En fait, les Américains ne sont guère plus productifs que les Français. La différence tient à la manière dont on fait face aux risques. Chez nous, vous payez pour un système de protection obligatoire, qui vous assure un filet de protection. Aux Etats-Unis, on vous donne l’argent et vous décidez si vous voulez ou non cette protection – et si vous la refusez et que vous ayez un accident de la vie, c’est pour votre pomme. Or, il est clair que cette idée « d’accident de la vie » n’est pas perçue de la même manière par un jeune, par un adulte et par un senior… quand j’avais vingt ans, je ne voyais pas l’intérêt d’avoir une bonne mutuelle, aujourd’hui, si.
On peut donc excuser les jeunes cons d’aujourd’hui de s’imaginer qu’ils seront toujours du bon côté du manche, et de regarder donc avec les yeux de Chimène ce pays ou ceux qui sont du bon côté du manche ont tous les droits. Mais cela n’a rien à voir avec une quelconque « américanisation ». Juste avec un calcul d’intérêt. Certains font le même calcul pour aller en Chine.
[Vous me direz que cela confirme votre postulat des élites américanisées, mais je discutais justement récemment avec un ami resté au pays et travaillant comme enseignant dans un collège à la population “populaire”. Et bien, cet ami voyait chez ses élèves “prolos” exactement la même fascination pour les US et leur mode de fonctionnement que j’avais constaté chez les étudiants de mon école parisienne. L’attrait de l’individualisme, du mythe du self made man, l’argent (ou plutôt l’argent facile), comme valeur cardinale sont présents dans TOUTE notre société.]
Oui, mais pourquoi parler à ce sujet « d’américanisation » ? Prenons par exemple « l’argent facile ». Ce n’est en rien une question américaine, au contraire : le mythe américain est d’abord celui d’une richesse qui recompense un travail acharné. Le « self-made-man » à l’américaine est un homme qui travaille tout le temps, qui se donne tout entier à son « business ». Dans son image autoconstruite, qui doit tout à l’éthique protestante, l’Amérique est le « pays des opportunités » pour ceux qui travaillent dur, et non le pays de cocagne pour ceux qui se tournent les pouces.
L’individualisme, le mythe du self-made-man, l’argent comme mesure de toute chose sont les valeurs cardinales du capitalisme. Oui, ces valeurs se sont imposées d’abord en Amérique, parce que dans notre vieille Europe le poids des pratiques culturelles « aristocratiques » héritées d’une longue histoire on un poids plus important et ont modéré le développement du capitalisme. Mais si elles s’imposent aujourd’hui, cela traduit pour moi plus un approfondissement du capitalisme qu’une « américanisation ».
[Je comprends qu’il est tentant d’accuser nos élites de tous les vices et maux possibles, mais je me permets de me demander à chaque fois par qui ces fameuses élites (du moins politique” ont été fichues dans leurs fauteuils ?]
Mais… par leur contrôle du capital, bien entendu. Dans une société capitaliste, c’est d’abord ce critère qui détermine la répartition des fauteuils…
[Le problème c’est qu’on ne calque pas la langue de l’autre, on invente une espèce de Volapük intégré, comme disait mongénéral, qui est d’une pauvreté affligeante. De ce point de vue, il faut lire et relire « 1984 » de Orwell. L’appauvrissement de la langue est un moyen de limitation de la pensée bien plus efficace que n’importe quelle officine de censure.]
Nuance importante entre notre situation et le 1984 d’Orwell: aucun état-parti n’a imposé à personne d’appeler la sous-traitance “outsourcing”. La dynamique en cours n’a aucun besoin du schéma totalitaire.
@ Geo
[Nuance importante entre notre situation et le 1984 d’Orwell: aucun état-parti n’a imposé à personne d’appeler la sous-traitance “outsourcing”. La dynamique en cours n’a aucun besoin du schéma totalitaire.]
Non, et de ce point de vue Orwell, en bon anarchiste, s’est largement trompé d’ennemi. Pour lui, le danger venait de l’Etat – qui ne pouvait que devenir totalitaire au fur et à mesure que les contradictions du capitalisme se développaient. Il n’a pas compris que le processus était l’inverse, que l’imposition d’une “novlangue” passait par la destruction de l’Etat et des institutions en général, et non par leur renforcement. Il faut dire qu’il était homme de son temps…
@ Lingons
Pour illustrer la réponse de Descartes,à toutes les élections de ces dernières années,
c ‘est le candidat qui a le plus le soutien financier,et mé(r)diatiques qui l’emporte,non ?
Il vous sera peut être impossible de le contredire.
Un autre exemple;Prenez le conflit Est/Ouest actuel, de quels côtés se font les choix de l’opinion française?
Du côté des médias dominants car ils sont aussi ceux qui ont le plus de financements,n’est ce pas ? Même s’il m’arrive à juste raison de me féliciter que la liberté de s’exprimer existe en France comme l’illustre ce blog,je suis souvent remis en question par la brutalité extrème des conflits entre les différents agents internationaux et nationaux qui sont souvent de simples marionnettes de commanditaires gérants de capitaux colossaux.
Pour compléter mes propos je vous suggère ce livre , en pleine actualité:
http://gesd.free.fr/stadesup.pdf
@ Luc
[Pour illustrer la réponse de Descartes, à toutes les élections de ces dernières années,
c’est le candidat qui a le plus le soutien financier, et mé(r)diatiques qui l’emporte, non ?]
Non, pas vraiment… Lors de l’élection de 1995, c’était Balladur qui avait le plus grand soutien de la finance et des médias… et c’est Chirac qui l’emporte. En 2012, on ne peut pas dire que les médias ou la finance étaient derrière Hollande, et pourtant il a gagné.
[Un autre exemple; Prenez le conflit Est/Ouest actuel, de quels côtés se font les choix de l’opinion française?]
Mais il y a un gros contre-exemple : en 2005, les médias, les puissances d’argent étaient favorables à la ratification du traité constitutionnel européen. Il a été quand même largement rejeté.
Il ne faut pas exagérer la puissance des médias. Dans la logique de concurrence qui est la nôtre, les médias suivent bien plus qu’ils ne précèdent l’opinion. Car le public regarde et écoute les médias qui confirment ses propres opinions. On imagine mal les électeurs de LFI regardant CNews ou les électeurs de Zemmour écoutant France Inter. A partir de là, quelle peut être l’influence sur l’opinion d’un média qui n’est écouté que par les convaincus ?
[Pour compléter mes propos je vous suggère ce livre , en pleine actualité: (…)]
Ca a quand même pas mal vieilli, notamment parce que l’impérialisme dont parlait Lénine, celui des empires coloniaux, a cessé d’exister. Je ne sais pas ce qu’aurait dit Lénine si on lui avait expliqué qu’une fois libérés du joug des méchants impérialistes, les citoyens des pays ainsi libérés n’auraient d’ambition plus haute que d’aller s’installer chez leurs anciens colonisateurs…
Bonjour Descartes
Je crois que vous sous estimez l’influence des médias
Les journaux TV de TF1 et France2 écrasent de très loin la concurrence, suivis par France3 et ses journaux régionaux
Ce sont ces trois chaînes qui décident de ce qui existe ou non et comment ça existe : si ça ne passe pas au 20H, ça n’existe pas, sauf pour ceux qui suivent la PQR (Presse quotidienne régionale) ou les journaux régionaux de F3
Ce sont ces trois médias qui choisissent de diffuser tel ou tel extrait du discours des candidats à l’élection présidentielle.
Et MLP a d’ailleurs remarquablement utilisé les antennes régionales de France3 et de France Bleue
Et le matin, France Inter (ou France Info) cartonne, car c’est la seule radio où il n’y a pas de publicité (voire pour certaines radios plus de pub que de contenu)
CNews ne représente que 2% de l’audience TV globale en 2021 : c’est une chaîne qui ne touche que les convaincus (BFMTV est à 2,9)
https://www.mediametrie.fr/fr/laudience-de-la-television-en-2021
@ Philippe Dubois
[Je crois que vous sous estimez l’influence des médias]
Peut-être, mais vous m’accorderez que c’est un domaine où il est difficile d’avoir des mesures d’influence qui permettraient d’avoir un avis scientifique sur la question. Personnellement, c’est le référendum de 2005 qui m’ont fait douter de l’influence réelle des médias en matière politique. Souvenez-vous : en 2005 pratiquement TOUS les medias (et TOUS les médias mainstream) ont fait activement campagne pour le « oui ». A France Inter c’était tellement flagrant que les auditeurs – même ceux favorables au « oui » – s’en sont émus et ont obtenu le départ d’un certain nombre d’animateurs. Et pourtant, le « non » l’a emporté. Comment cela cadre avec l’idée d’une influence déterminante des médias ?
[Les journaux TV de TF1 et France2 écrasent de très loin la concurrence, suivis par France3 et ses journaux régionaux]
Certes. Mais qui les regarde, et avec quel état d’esprit ? Les gens y croient ce qu’ils entendent ? Vous noterez par ailleurs que les informations politiques sont de plus en plus rares sur ces chaines : maintenant, les journaux ne durent que 15 minutes (le reste est pris par des reportages sur la saucisse de Toulouse ou sur la restauration d’un château par des bénévoles en Ardèche). Et sur ces 15 minutes, on peut enlever les faits divers plus ou moins sordides, la canicule, les départs en vacances, les scandales… il ne reste pas grand-chose qui puisse influencer directement l’opinion.
Après, il y a une influence « indirecte » des médias, qui se fait plus insidieusement par l’ensemble des émissions qui, toutes, voient le monde sous le prisme de l’idéologie dominante. De « Joséphine ange gardien » (tous les problèmes ont une solution individuelle, est on la trouverait facilement si les gens étaient gentils les uns avec les autres) à « sale temps pour la planète » qui vend une vision antihumaniste de l’écologie. Mais c’est là une autre histoire.
[Ce sont ces trois chaînes qui décident de ce qui existe ou non et comment ça existe : si ça ne passe pas au 20H, ça n’existe pas, sauf pour ceux qui suivent la PQR (Presse quotidienne régionale) ou les journaux régionaux de F3]
Il ne faut pas prendre les gens pour des imbéciles. Outre la PQR, il y a les réseaux sociaux. Mais surtout, il y a concurrence entre les chaînes. Si une nouvelle qui intéresse les gens est passée sous silence sur TF1 ou FR2, BFM ou CNEWS se feront un plaisir de la passer pour faire le « scoop » et grappiller des parts d’audience… et TF1 ou FR2 seront obligés de suivre. Pensez à l’affaire Benalla. Pensez-vous qu’un média, quel qu’il fut, aurait pu éviter d’en parler ?
[Ce sont ces trois médias qui choisissent de diffuser tel ou tel extrait du discours des candidats à l’élection présidentielle.]
Franchement, qui écoute les discours des candidats ? Vous pensez vraiment qu’on change le résultat d’une élection présidentielle en diffusant ce genre de discours ? Qui plus est, n’oubliez pas que les chaines sont d’abord des entreprises, qui doivent équilibrer leurs comptes. Elles diffusent donc ce que le public veut entendre. A une époque, on ne voyait que Mélenchon sur les médias. Même Hanouna l’a invité. Non parce qu’il était d’accord avec ses idées, mais parce qu’il ramenait de l’audience.
[Et MLP a d’ailleurs remarquablement utilisé les antennes régionales de France3 et de France Bleue]
Oui, parce que l’électorat qu’elle vise écoute plutôt les informations régionales que les nationales. Mais encore une fois, c’est le téléspectateur qui choisit ce qu’il regarde, et non la direction de la chaine. Il faut sortir de la logique qui pouvait être celle des années 1960 ou 1970, quand la télévision était un monopole et qu’il y avait deux chaines qui ne se faisaient pas concurrence. Dès lors qu’il y a concurrence, c’est le consommateur qui choisit, et non le vendeur.
[Et le matin, France Inter (ou France Info) cartonne, car c’est la seule radio où il n’y a pas de publicité (voire pour certaines radios plus de pub que de contenu)]
Mais pensez-vous que les auditeurs qui l’écoutent pour cette raison en sont influencés ? Personnellement, c’est mon cas et je n’ai pas voté « oui » au TCE pour autant…
[CNews ne représente que 2% de l’audience TV globale en 2021 : c’est une chaîne qui ne touche que les convaincus (BFMTV est à 2,9)]
Certes. Mais leur existence tient les autres en respect. Quand TF1 était la seule chaine, on pouvait se permettre d’occulter une information. Aujourd’hui, TF1 ne peut se permettre de donner l’impression qu’on est mieux informé en regardant BFM…
https://www.cairn.info/revue-etudes-sur-la-mort-2005-2-page-83.htm
Cher Descartes en résumé dans l’article ci dessus, il est spécifié que dans le judaïsme,l’âme est immortelle,que le paradis et l’enfer des musulmans et des chrétiens,n’existent pas et que le Monde sera détruit dans quelques milliers d’années,n’est ce pas ?
@ Luc
[Cher Descartes en résumé dans l’article ci-dessus, il est spécifié que dans le judaïsme, l’âme est immortelle, que le paradis et l’enfer des musulmans et des chrétiens, n’existent pas et que le Monde sera détruit dans quelques milliers d’années, n’est-ce pas ?]
La Torah est assez vague sur la question. Tout ce qu’on peut en tirer est que l’âme – autrement dit, l’esprit de chaque homme. La question de savoir où cette âme réside après la mort en attendant la venue des temps messianiques et la forme que prendra alors la résurrection est matière de débat entre les différentes sectes juives – car le judaïsme n’a pas d’autorité centrale en matière d’interprétation théologique.
En 1953 à Tarbes,dans une halle gigantesque drapée par les pompes funèfres locales,plus de 20000 personnes renraient hommage au mythe Staline,à Tarbes dans une cérémonie ‘athée’ mais un peu religieuse,non?
Georges Duby et d’autres ont réfléchi de façon ‘ultime pour moi’ sur les cérémonies liées à la mort,
voici le lien:
https://books.openedition.org/pub/15531?lang=fr
Face à l’effroi lorsque la mort d’un proche est constatée,la violence,la destruction d’un groupe humain peuvent advenir. Ainsi dans les temps archaïques du paléolithique,les clans ont vécu cette violence,et destruction d’un groupe ;catastrophique !
Pour éviter ça,des idées ce sont élaborés ,des rites liés afin de maintenir uni un groupe en cas de décès.Les religions sont nées pour relier les gens entre eux face aux trauma de la mort d’un proche ..
Or en ce 19 Août 2022,en France , existent des pompes funèbres qui associent les proches endeuillés dans les rituels de la cérémonie funéraire,enterrement ou incinération. Prises de paroles,mises en scènes,fleurs,bougies..
Du coup pour les athèes aussi , la possibilité existe de procéder ,avec les pompes funèbres à une cérémonie
funéraire athée qui unit les personnes endeuillées même après la mort des proches.
Là est une posibilité de consolation,pour les rationnalistes du 1er quart du 21ième siècle en France,non?
Assez loin des fantsames (par ailleurs,opérants comme leurs longévités le montre), d’enfers,d’un paradis ou d’âmes immortelles,imaginées dans l’antiquité et comment ne pas le comprendre?
Aujourd’hui pour nombre d’entre nous,c’est peu en accord avec l’état actuel de la noosphère cartésienne,peut être,qu’une cérémonie,funéraire athée existe, non ?
Associer une entreprise de pompes funèbres qui entre autres fait un trou,qui fournit une sono,un cercueil , tentures , porteurs de cercueils et la possibilité d’hommages par des texttes ou musique ou autre signes d’afflictions, n’est ce pas l’essentiel car les rituels sont la base des interactions humaines,n’est ce pas ?
@ luc
[En 1953 à Tarbes, dans une halle gigantesque drapée par les pompes funèfres locales,plus de 20000 personnes rendaient hommage au mythe Staline, à Tarbes dans une cérémonie ‘athée’ mais un peu religieuse, non?]
Il ne faut pas confondre un hommage rendu à un dirigeant politique par des personnes qui en fin de compte n’avaient avec lui aucun rapport personnel, et une cérémonie de deuil à laquelle participent les personnes qui ont eu avec le défunt des rapports personnels profonds.
La cérémonie à laquelle vous faites allusion est effectivement une cérémonie « religieuse » au sens qu’elle sert d’abord à relier ceux qui participent. Vous noterez d’ailleurs que ces hommages sont souvent une opportunité d’insister sur le fait que la personne décédée est toujours quelque part « vivante ». Pensez à ce rituel politique d’appeler le nom de la personne décédée, appel auquel la foule répond « présent »…
[Les religions sont nées pour relier les gens entre eux face aux trauma de la mort d’un proche ..
Or en ce 19 Août 2022, en France, existent des pompes funèbres qui associent les proches endeuillés dans les rituels de la cérémonie funéraire, enterrement ou incinération. Prises de paroles, mises en scènes, fleurs, bougies… Du coup pour les athées aussi , la possibilité existe de procéder ,avec les pompes funèbres à une cérémonie funéraire athée qui unit les personnes endeuillées même après la mort des proches. Là est une possibilité de consolation, pour les rationalistes du 1er quart du 21ième siècle en France, non ?]
Non. Ces cérémonies peuvent vous aider à élaborer le deuil, mais elles ne peuvent pas vous « consoler » parce que l’athéisme ne peut vous proposer une solution à votre problème. La croyance peut vous affirmer que votre deuil n’est que temporaire, que dans l’autre monde vous retrouverez la personne que vous avez perdue. L’athéisme ne peut rien vous proposer de tel. Pour l’athée, le deuil est définitif.
Bonjour Descartes
Longtemps simple lecteur, j’ai enfin du temps libre pour commenter vos excellents billets.
J’approuve les grandes lignes de ce billet. Le fait de parler des événements outre-Atlantique permet soit d’éviter de parler des problèmes particuliers en France, soit de faire de la récupération politique.
Là où je ne suis pas d’accord c’est avec vos références historiques. La réforme du chancelier Maupéou avait pour objet de remodeler l’organisation judiciaire mais avec des effets limités. Seules les juridictions nouvellement créées étaient dotés de juges inamovibles, payé par l’État et rendant la justice gratuitement. Les anciennes juridictions, tant leur fonctionnement et recrutement, étaient maintenues. Surtout que le pouvoir d’enregistrement des parlements n’avait pas été supprimé. Enfin cette réforme fut combattue certes, par les parlementaires, mais la résistance a été brisé d’abord par le mécanisme du lit de justice pour forcer l’enregistrement de la réforme, ensuite par l’exil des magistrats contestataires et le rachat de leur office.
Cette réforme a été détruite par le renvoi du chancelier, première décision de Louis XVI sur les conseils de Maurepas. Maupéou dira d’ailleurs : « J’avais fait gagner au roi un procès qui durait depuis trois siècles. S’il veut le perdre encore, il est bien le maître ».
Les réformes de Turgot ont été enregistré par un lit de justice du 12 mars 1776. C’est un mécontentement populaire dû à la « guerre des farines » et à sa vision trop absolutiste du pouvoir qui provoqua son renvoi. Comble d’ironie, Turgot s’était associé au renvoi de Maupéou.
Le fait est que les réformes n’auraient pas sauvé l’Ancien Régime. Car l’Ancien Régime était une société féodale où les privilèges (personnels et territoriaux) étaient une limite aux pouvoirs du Roi.
Les états provinciaux obligeaient le Roi à discuter les levés d’impôts et les affaires locales. Les corporations permettaient à ces derniers de défendre leurs libertés et indépendances. Les parlements avaient pour fonctions de veiller aux respect des lois fondamentales du Royaume de France.
Remettre en cause ces privilèges et les parlements, c’était supprimé toute protection contre l’arbitraire royal or, en l’absence d’un contre-pouvoir, la population n’aurait pas supporté un pouvoir exorbitant. Voyez la journée des Tuiles à Grenoble en 1788 où les Grenoblois ont défendu le parlement et ont chassé la troupe royale.
La tragédie de la monarchie au XVIIIème, c’est que la France avait une âme d’un État moderne mais dans un corps d’une société féodale. L’incapacité de la monarchie à se réformer venait plus d’une incapacité à comprendre que les réformes auraient dû être le fruit d’une collaboration entre le Roi et d’une assemblée d’élue qu’imposé via les cours de justices. Ce qui sera fait en 1789.
Aussi, il est faux de dire que les parlements ont provoqué la chute de l’Ancien Régime, car le Roi avait grâce au « lit de justice » le dernier mot et que cette société était de toute façon condamnée.
De même, je voudrais nuancer votre interprétation du rôle du juge dans la société française et américaine. Dans les deux cas, il y a eu une peur d’un état trop arbitraire. En France, les révolutionnaires ont eu une conception rousseauiste des institutions, avec l’idée que la loi ne peut mal faire, accordant une place prépondérante au législatif vis-à-vis de l’exécutif et du judiciaire. Cela à donné naissance au « légicentrisme ». Les Américains ont une vision proche de Montesquieu avec la recherche d’un équilibre des pouvoirs. Craignant un législateur trop puissant, ils l’ont borné dans une déclarations des droits et une constitution, même si cela n’a pas toujours été accepté. En France, jusqu’à récemment, c’était la loi le meilleur gardien des droits et libertés.
Également sur votre analyse concernant la « méfiance du juge » qu’avaient les révolutionnaires. Ces derniers avaient pour objectif de ramener les acteurs dans leur place naturelle, celle du juge qui consiste à trancher des litiges. Ils avaient davantage peur de confier trop de prérogative au Roi, d’où plusieurs décrets qui limitent les relations entre le Roi et les juges :
suppression de la grâce royale
réorganisation du ministère public entre un accusateur public élu et un commissaire du Roi réduit à surveiller le respect des formes légales.
Les révolutionnaires ont certes interdit aux juges de prendre part à l’exercice du pouvoir législatif ni suspendre l’exécution des lois (art 10 loi du 16 et 24 août) mais ils ont accordé à ceux-ci le droit d’exprimer leurs points de vue sur l’état des lois (art 12). La Constitution de 1791 interdisait aux administrateurs d’entreprendre quoique ce soit sur l’ordre judiciaire.
L’art 13 condamne le principe que « juger, c’est administrer et administrer, c’est juger en quelque sorte ». Voulant mettre de la clarté, ils ont interdit d’exercer une fonction administrative en même temps que d’exercer une fonction judiciaire, mais ils n’ont pas interdit le fait qu’une institution puisse exercer une fonction administrative pour une matière et une fonction judiciaire pour une autre. (par exemple la surveillance des officiers de police judiciaire par les juges)
Parler d’un juge administratif en 1791 est anachronique. La surveillance et l’annulation des actes administratifs étaient du ressort de l’administration. Mais l’art 13 n’interdit pas au juge de connaître certains contentieux administratifs, par exemple le litige sur les contributions indirects (art 20 loi 27 avril-25 mai 1791 relative à l’organisation du ministère), la voie de fait ou l’expropriation.
La créations des juridiction administratives ( loi de 1872 et 1953) a entraîné une dépossession du contentieux administratif des fonctionnaires en faveur des juges certes distincts des juges judiciaires mais des juges indépendants de l’exécutif.
Aussi je ne suis pas d’accord sur la conclusion que la Révolution de 1789 est fondé sur une peur des juges. Il est vrai que le légicentrisme a permis le retrait du juge de la scène politique et une liberté totale des assemblées législatives. Mais le légicentrisme avait aussi des défauts et les régimes successifs sont revenus sur la plupart de ces idées.
Aujourd’hui le légicentrisme est mort. La Vème, en délimitant le domaine de la loi et en reconnaissant son infériorité sur les traités et de la constitution l’a condamné et enterré. Néanmoins, je vous rejoins sur la difficulté et les risques sur une dérive que cela entraîne sur notre conception de la démocratie. À savoir, comme aux USA, le fait de donner une trop grande place à la constitution, en ajoutant des sujets qui ne devraient pas y être (environnement, sujets sociétaux, budget), dépossédant ainsi le parlement de ces questions. Également la question du pouvoir d’interprétation du Conseil Constitutionnel.
Ce qui est ironique, c’est que sous l’Ancien régime, le Roi préférait les parlements pour passer ces réformes plutôt que les États généraux tout en contestant aux parlementaires de se mêler des affaires de l’État et qu’aujourd’hui, nous avons une classe politique (toute tendance politique confondue) qui veut introduire dans la constitution leurs thèmes de prédilection, contournant le législateur, et en même temps crier au « gouvernement des juges ». Ce qui place le pouvoir judiciaire dans une situation délicate.
Certaines choses ne changent pas, visiblement.
@ Skotadi
[Longtemps simple lecteur, j’ai enfin du temps libre pour commenter vos excellents billets.]
Merci de l’encouragement, et bienvenu dans la communauté des commentateurs !
[La réforme du chancelier Maupéou avait pour objet de remodeler l’organisation judiciaire mais avec des effets limités. Seules les juridictions nouvellement créées étaient dotés de juges inamovibles, payés par l’État et rendant la justice gratuitement. Les anciennes juridictions, tant leur fonctionnement et recrutement, étaient maintenues. Surtout que le pouvoir d’enregistrement des parlements n’avait pas été supprimé.]
Vous avez en partie raison… mais en partie seulement. Il est clair que la réforme de Maupeu avait dans l’immédiat des effets limités. Mais a moyen terme, elle était de nature à remettre en cause l’ensemble de l’institution judiciaire. En effet, si les « nouvelles juridictions » étaient plus efficaces et moins corrompues que les « anciennes », il deviendrait de plus en plus difficile de résister leur multiplication et in fine d’éviter qu’elles remplacent les anciens Parlements. Dans ces domaines, c’est souvent le premier pas qui est le plus difficile. Déposer Louis XVI fut toute une affaire, posant toute une série de questions complexes de philosophie politique. Mais une fois qu’on dépose le roi et que le ciel ne vous tombe pas sur la tête, on s’y habitue : la déposition de Charles X, Louis-Philippe ou Napoléon III fut une formalité…
[Enfin cette réforme fut combattue certes, par les parlementaires, mais la résistance a été brisé d’abord par le mécanisme du lit de justice pour forcer l’enregistrement de la réforme, ensuite par l’exil des magistrats contestataires et le rachat de leur office. Cette réforme a été détruite par le renvoi du chancelier, première décision de Louis XVI sur les conseils de Maurepas. Maupéou dira d’ailleurs : « J’avais fait gagner au roi un procès qui durait depuis trois siècles. S’il veut le perdre encore, il est bien le maître ».]
Oui, mais Louis XVI était bien moins le maître que la formule ne le laisse penser. Le renvoi de Maupéou n’est pas simplement le résultat d’un mauvais conseil. Si Maurepas le conseille – et si le roi suit son conseil – c’est avant tout parce qu’il est l’objet d’une pression politique irrésistible de la part de la noblesse tant d’épée que de robe.
[Le fait est que les réformes n’auraient pas sauvé l’Ancien Régime. Car l’Ancien Régime était une société féodale où les privilèges (personnels et territoriaux) étaient une limite aux pouvoirs du Roi.
Les états provinciaux obligeaient le Roi à discuter les levés d’impôts et les affaires locales. Les corporations permettaient à ces derniers de défendre leurs libertés et indépendances. Les parlements avaient pour fonctions de veiller au respect des lois fondamentales du Royaume de France. Remettre en cause ces privilèges et les parlements, c’était supprimé toute protection contre l’arbitraire royal or, en l’absence d’un contre-pouvoir, la population n’aurait pas supporté un pouvoir exorbitant.]
Cela dépend ce que vous appelez « l’ancien régime ». Bien évidemment, rien ne pouvait « sauver » la féodalité, puisque les transformations économiques rendaient inéluctable le remplacement du mode de production féodal par le mode de production capitaliste, et donc la prise du pouvoir par la bourgeoisie. Ce qui aurait pu être sauvé, ce sont les institutions de l’ancien régime, ou du moins leur apparence, comme ce fut le cas en Grande Bretagne.
Pour le reste, je ne partage pas cette idée d’un « arbitraire royal » contre lequel corporations, parlements et états auraient été une « protection ». Parlements et états étaient d’abord les lieux de pouvoir des potentats locaux. Est-ce qu’il vaut mieux être soumis à « l’arbitraire » d’un roi lointain exercé à travers d’une administration professionnelle, ou à « l’arbitraire » du potentat local ? Toute l’histoire de France est résumée par cette question. Si la France est devenue un pays centralisé, c’est parce que les Français ont vu l’administration royale comme moins corrompue, plus efficace et moins arbitraire que celle des « potentats ». Vous noterez d’ailleurs que Louis XIV ou Richelieu ont pu mettre au pas ces potentats sans trop de difficulté.
La journée des Tuiles, comme d’autres révoltes qui servent de prélude à la révolution de 1789 traduisent moins une résistance à « l’arbitraire royal », que l’affaiblissement de celui-ci, qui donnait aux potentats locaux la possibilité de relever la tête.
[La tragédie de la monarchie au XVIIIème, c’est que la France avait une âme d’un État moderne mais dans un corps d’une société féodale. L’incapacité de la monarchie à se réformer venait plus d’une incapacité à comprendre que les réformes auraient dû être le fruit d’une collaboration entre le Roi et d’une assemblée d’élue qu’imposé via les cours de justices. Ce qui sera fait en 1789.]
J’ai du mal à voir en quoi la « collaboration avec une assemblée élue » aurait changé grande chose. Lorsqu’une telle collaboration s’établit en 1789, elle abouti non pas à une « réforme », mais à une révolution. Ce qui rendait la réforme impossible était moins la position du roi que celle de la noblesse, qui n’avait pas compris que la logique féodale était condamnée et qu’elle ne pouvait survivre qu’à condition de se transformer elle-même. Ou pour le dire avec la formule du « Guépard », « qu’il fallait tout changer pour que rien ne change ». Lorsqu’elle le comprit, c’était déjà trop tard.
[Aussi, il est faux de dire que les parlements ont provoqué la chute de l’Ancien Régime, car le Roi avait grâce au « lit de justice » le dernier mot et que cette société était de toute façon condamnée.]
Formellement, oui. Mais la procédure du « lit de justice » était relativement lourde, et le roi ne pouvait pas se permettre de faire le tour des parlements chaque fois qu’il fallait faire enregistrer un édit. Qui plus est, le roi ne faisait pas face aux parlements seuls, mais à une alliance entre les parlements et la noblesse pour empêcher toute réforme.
Je suis d’accord que « l’Ancien Régime », si l’on entend par là la société féodale, était condamné. Mais si l’on entend par « Ancien Régime » une certaine logique institutionnelle, je pense qu’elle aurait pu être conservée – comme ce fut le cas en Grande Bretagne – si les états privilégiés avaient compris que la réforme était la seule voie pour conserver ne serait-ce qu’une partie de leurs avantages. Au lieu de quoi ils se sont accrochés à leurs privilèges comme une moule à son rocher. Quand ils ont compris que le rocher allait s’effondrer, c’était trop tard.
[De même, je voudrais nuancer votre interprétation du rôle du juge dans la société française et américaine. Dans les deux cas, il y a eu une peur d’un état trop arbitraire. En France, les révolutionnaires ont eu une conception rousseauiste des institutions, avec l’idée que la loi ne peut mal faire, accordant une place prépondérante au législatif vis-à-vis de l’exécutif et du judiciaire. Cela à donné naissance au « légicentrisme ». Les Américains ont une vision proche de Montesquieu avec la recherche d’un équilibre des pouvoirs.]
Il y a bien plus que ça. Il y a dans la vision des révolutionnaires une volonté claire de réduire au maximum le pouvoir d’appréciation du juge. Ainsi, par exemple, les premiers projets de code pénal prévoyaient une peine automatique pour chaque délit, de façon à éviter que le juge puisse avoir une marge d’appréciation au moment de dicter la peine. De même, l’interdiction du juge de se prononcer en matière administrative va bien plus loin que la question du « légicentrisme », et montre bien une méfiance envers le juge et sa propension à bloquer l’action du gouvernement.
[Également sur votre analyse concernant la « méfiance du juge » qu’avaient les révolutionnaires. Ces derniers avaient pour objectif de ramener les acteurs dans leur place naturelle, celle du juge qui consiste à trancher des litiges.]
La fonction du juge n’est pas seulement de « trancher les litiges », mais de les trancher conformément aux lois. Ce qui suppose le pouvoir d’interpréter les lois, et crée le risque que le juge se substitue au législateur. La méfiance des révolutionnaires est clairement exprimée comme je l’ai dit plus haut en matière pénale avec l’idée de peines fixes, ne donnant au juge aucune latitude sur la question. En matière administrative, l’interdiction faite au juge de se mêler d’administration, qui n’existe à ma connaissance dans les autres traditions juridiques, est encore une expression de cette méfiance.
[Ils avaient davantage peur de confier trop de prérogative au Roi, d’où plusieurs décrets qui limitent les relations entre le Roi et les juges : suppression de la grâce royale]
Le droit de grâce ne change en rien le rapport avec les juges. La grâce est un acte administratif, et non judiciaire.
[Les révolutionnaires ont certes interdit aux juges de prendre part à l’exercice du pouvoir législatif ni suspendre l’exécution des lois (art 10 loi du 16 et 24 août) mais ils ont accordé à ceux-ci le droit d’exprimer leurs points de vue sur l’état des lois (art 12).]
Exprimer un avis, cela ne mange pas de pain…
[La Constitution de 1791 interdisait aux administrateurs d’entreprendre quoique ce soit sur l’ordre judiciaire. L’art 13 condamne le principe que « juger, c’est administrer et administrer, c’est juger en quelque sorte ». Voulant mettre de la clarté, ils ont interdit d’exercer une fonction administrative en même temps que d’exercer une fonction judiciaire, mais ils n’ont pas interdit le fait qu’une institution puisse exercer une fonction administrative pour une matière et une fonction judiciaire pour une autre. (par exemple la surveillance des officiers de police judiciaire par les juges)]
Là, je ne comprends plus rien. Le contrôle (parler de « surveillance » est excessif) des officiers de police judiciaire par les juges est une fonction judiciaire, et non administrative. L’interdiction de mélanger les fonctions administratives et judiciaires est une mesure destinée à protéger le pouvoir exécutif des empiètements des juges, et non l’inverse.
[Parler d’un juge administratif en 1791 est anachronique. La surveillance et l’annulation des actes administratifs étaient du ressort de l’administration.]
Jusqu’à un certain point, oui. Mais la fonction existe même si elle n’était pas assumée par un « juge » formellement désigné comme tel.
[Mais l’art 13 n’interdit pas au juge de connaître certains contentieux administratifs, par exemple le litige sur les contributions indirects (art 20 loi 27 avril-25 mai 1791 relative à l’organisation du ministère), la voie de fait ou l’expropriation.]
Il est vrai qu’on a conservé au juge judiciaire en tant que « garant des libertés » un certain nombre de contentieux touchant essentiellement aux atteintes à la propriété. Mais vous m’accorderez que ce sont là des exceptions qui confirment la règle.
[La création des juridiction administratives (loi de 1872 et 1953) a entraîné une dépossession du contentieux administratif des fonctionnaires en faveur des juges certes distincts des juges judiciaires mais des juges indépendants de l’exécutif.]
Une indépendance relative, puisqu’ils ne bénéficient pas à cette époque de l’inamovibilité. Ce n’est que récemment que la juridiction administrative s’est proclamé « indépendante »… et à mon avis, c’est une évolution désastreuse.
[Aussi je ne suis pas d’accord sur la conclusion que la Révolution de 1789 est fondé sur une peur des juges.]
Je ne crois pas avoir dit ça. Ce que j’ai dit, c’est que le blocage de toute réforme rendue possible par les juges a joué un rôle important dans la Révolution, ce qui n’est pas la même chose. Une opinion d’ailleurs largement partagée par les historiens.
[Il est vrai que le légicentrisme a permis le retrait du juge de la scène politique et une liberté totale des assemblées législatives. Mais le légicentrisme avait aussi des défauts et les régimes successifs sont revenus sur la plupart de ces idées.]
Ah bon ? Pourriez-vous donner un exemple ?
[Aujourd’hui le légicentrisme est mort. La Vème, en délimitant le domaine de la loi et en reconnaissant son infériorité sur les traités et de la constitution l’a condamné et enterré.]
Pas tout à fait. D’abord, la Vème a fait du juge une « autorité », et non un « pouvoir », reprenant en ce sens la tradition de tous les régimes qui l’ont précédée. Ensuite, si la constitution est supérieure aux lois, le contrôle de constitutionnalité prévu par la constitution de 1958 était très limité, ce qui rend cette supériorité largement théorique. Enfin, la supériorité des traités par rapport aux lois ne porte en rien atteinte au légicentrisme, dans la mesure où la ratification des traités nécessite une loi, et qu’une loi peut les dénoncer.
Ce qui « condamne » le légicentrisme, c’est moins la Vème que ses évolutions : la facilitation de la saisine du Conseil constitutionnel (par 60 parlementaires dans les années 1970, par QPC dans les années 2000) redonne au juge une partie du pouvoir législatif. Plus encore, la signature de traités soumettant notre droit aux décisions d’organismes étrangers, que ce soit dans le domaine exécutif, législatif ou judiciaire…
[Néanmoins, je vous rejoins sur la difficulté et les risques sur une dérive que cela entraîne sur notre conception de la démocratie. À savoir, comme aux USA, le fait de donner une trop grande place à la constitution, en ajoutant des sujets qui ne devraient pas y être (environnement, sujets sociétaux, budget), dépossédant ainsi le parlement de ces questions. Également la question du pouvoir d’interprétation du Conseil Constitutionnel.]
Donner une « trop grande place à la Constitution », c’est donner une trop grande place au juge qui a le pouvoir de l’interpréter. Et je préfère infiniment l’arbitraire d’un pouvoir élu qui est in fine responsable devant les citoyens, que l’arbitraire d’une coterie qui n’est responsable devant personne. Ce qui nous ramène aux Parlements d’ancien régime…
[Ce qui est ironique, c’est que sous l’Ancien régime, le Roi préférait les parlements pour passer ces réformes plutôt que les États généraux tout en contestant aux parlementaires de se mêler des affaires de l’État et qu’aujourd’hui, nous avons une classe politique (toute tendance politique confondue) qui veut introduire dans la constitution leurs thèmes de prédilection, contournant le législateur, et en même temps crier au « gouvernement des juges ». Ce qui place le pouvoir judiciaire dans une situation délicate. Certaines choses ne changent pas, visiblement.]
Je pense que votre parallèle se fonde sur une erreur d’analyse. Ce n’est pas le « roi » qui veut aujourd’hui introduire des choses dans la constitution, ce sont les oppositions. Autrement dit, les groupuscules qui n’ont aucune chance d’accéder à une majorité politique préfèrent, très logiquement, s’en remettre au juge. Mais le « roi », c’est-à-dire le parti qui est au pouvoir, est rarement ravi de voir le juge se mêler de ses affaires…
J’ajoute que lorsque vous écrivez que « le roi préférait les parlements pour passer ses réformes plutôt que les états généraux », j’aurais tendance à répondre que cela dépend de la nature de la réforme…
Merci pour ce débat passionnant !
Est-ce que vous pourriez, l’un ou l’autre, donner quelques références de livres qui traitent de ces questions ? L’amateur que je suis vous serait reconnaissant.
@ KerSer
[Est-ce que vous pourriez, l’un ou l’autre, donner quelques références de livres qui traitent de ces questions ? L’amateur que je suis vous serait reconnaissant.]
Sur quelle question en particulier ?
Dans mon commentaire, je voulais nuancer la «légende noire» des parlements. Il est vrai que les états provinciaux, corporations et les autres institutions étaient loin d’être «démocratique».
La particularité de la monarchie sous l’Ancien Régime, c’est que les prérogatives du Roi étaient modérées par l’intervention de multiples institutions, ainsi que les fondamentales du royaume et loi dérogatoire (priva Lex ou privilège), faisant du Roi un « despote éclairé ».
Évidemment, toute la difficulté pour le Roi, était d’assurer la continuité de l’État, éviter de tomber sous l’influence du clergé et de la noblesse, l’impuissance des assemblées, de veiller au bonheur de ses sujets, sans pour autant devenir un tyran. Un équilibre assez précaire.
La différence avec la Grande-Bretagne, c’est que très tôt, ils se sont doté d’un parlement et les pouvoir du monarque bien défini. La loi du monarque pouvait sans problème être au-dessus des coutumes et particularités locales. En France, c’est la crainte de tomber dans une monarchie à l’anglaise et le souvenir de la Grande ordonnance de 1357 qui à donner aux cours de justice et aux droits coutumiers un rôle important. Préférer construire un état par une administration et le droit plutôt que par une assemblé d’élu.
« Ce qui aurait pu être sauvé, ce sont les institutions de l’ancien régime, ou du moins leur apparence, comme ce fut le cas en Grande Bretagne. »
Possible. On se serait retrouvé avec une Charte de 1814. Dommage qu’il ait fallu tant de sang répandu pour en arriver là.
« Vous noterez d’ailleurs que Louis XIV ou Richelieu ont pu mettre au pas ces potentats sans trop de difficulté. »
Tout à fait, ils les ont maintenus mais ils sont parvenus à limiter leurs influences. Louis XVI n’a jamais eu de ministres dignes d’un Richelieu, Colbert ou d’un Cardinal de Fleury.
« La journée des Tuiles, comme d’autres révoltes qui servent de prélude à la révolution de 1789 traduisent moins une résistance à « l’arbitraire royal », que l’affaiblissement de celui-ci, qui donnait aux potentats locaux la possibilité de relever la tête. »
Il est vrai qu’en recourant à la force, le pouvoir royal s’est aliéné les classes populaires (car c’est les classes populaires qui ont été l’acteur clés des événements). Ces derniers considéraient alors les privilèges comme une protection (même si c’étaient des mauvaises protections) qu’il fallait défendre. Si Louis XVI et ses ministres avaient su faire preuve d’astuce, ils auraient pu obtenir le soutient des classes populaires et bourgeoises contre la noblesse conservatrice. Mais bon avec des si, on mettrait Paris en bouteille.
« Lorsqu’une telle collaboration s’établit en 1789, elle abouti non pas à une « réforme », mais à une révolution. »
Mes excuses, c’était «à se transformer» et non «à se réformer» que je voulais écrire, car ces réformes auraient changé les fondements de la monarchie. Quant au reste, il est vrai que la noblesse, dans sa majorité était hostile à la réforme, mais Louis XVI à sa part de responsabilité. Son aïeul avait réussi à domestiquer la noblesse et a pu concentrer le pouvoir. Louis XVI, certes par manque d’expérience et de caractère, s’est laissé influencer par la noblesse. Il s’est entouré de ministres, préoccupé à maintenir l’Ancien Régime plutôt que de préparer la transformation des institutions. Lui-même s’est résigné à convoquer les États généraux. Ce n’est pas pour rien que j’ai cité la journée des Tuiles.
« La fonction du juge n’est pas seulement de « trancher les litiges », mais de les trancher conformément aux lois. »
Miséricorde. J’avais écrit «trancher les litiges conformément aux lois» mais ce passage a été supprimé par mégarde quand je réorganisais mon commentaire. Encore une fois, mes excuses.
Quant à la méfiance des juges, je reste sur ma conviction que les révolutionnaires pensaient que la loi, sacralisé par le fait qu’elle « l’expression de la volonté générale », ne pouvait être atténuée ni par l’exécutif et le judiciaire. Vous citez le Code pénal de 1791 qui instaure les peines fixes, mais si on entre dans le détail, cela ne concerne que les peines de nature criminelle (supérieur à deux ans emprisonnements). Pour les peines correctionnelles ( supérieur à trois jours d’emprisonnement et inférieur à deux d’emprisonnements), le juge gardait une latitude dans la détermination de la peine. En outre, l’introduction de l’intime conviction des juges et des jurés ainsi que le fait que la recherche et la poursuite des infractions étaient entre les mains des juges élus et non du ministère public, bien affaiblie par les révolutionnaires.
C’est pourquoi je nuance le fait que les révolutionnaires avaient peur des juges. Il y avait une exclusion de ces derniers dans les affaires politiques et administratives, mais dans l’exercice de leur fonction judiciaire, les révolutionnaires ont laissé une grande marge de manœuvre.
« Le droit de grâce ne change en rien le rapport avec les juges. La grâce est un acte administratif, et non judiciaire. »
Mais la grâce permet de modérer les peines prononcer par les juges et donc d’avoir une certaine influence sur l’application de la loi. C’est pourquoi les révolutionnaires l’ont supprimé. Dans leurs conceptions de la séparation des pouvoirs, les rapports entre les trois pouvoirs étaient très limités, au point que toute influence était impossible. D’ailleurs Louis XVI s’en était plein dans son testament politique ( celui qui justifie sa fuite à Varennes).
« Là, je ne comprends plus rien. »
Sincèrement, moi non plus. Et pour cause, les révolutionnaires n’ont pas défini la fonction administrative et la fonction judiciaire. Mon exemple sur la surveillance des OPJ était fondé sur le Codes des délits et des peines attribuant la surveillance de ceux-ci à l’accusateur public et au directeur du jury. Aujourd’hui, effectivement, on parle du contrôle de la chambre de l’Instruction.
D’autres exemple de cette difficulté ? La libération conditionnelle, qui concerne l’exécution de la peine d’emprisonnement, était accordé par l’administration pénitentiaire puis, après la loi du 15 juin 2000, au juge d’application des peines.
La Cour des Comptes, qui veille à la régularité des comptes des comptables, fonction administrative ou judiciaire ?
J’avais également cité l’art 20 loi 27 avril-25 mai 1791 relatives à l’organisation du ministère qui attribuant le contentieux des contributions indirectes aux juges mais le contentieux des contributions directs était attribué à l’administration.
« Il est vrai qu’on a conservé au juge judiciaire en tant que « garant des libertés » un certain nombre de contentieux touchant essentiellement aux atteintes à la propriété. Mais vous m’accorderez que ce sont là des exceptions qui confirment la règle. »
Tout à fait. Mais mon objectif était de démontrer que pour certain contentieux, les politiques n’ont pas craint l’intervention du juge dans certains contentieux. Parce que l’importance de ces contentieux ne pouvait être confiée aux administrateurs.
« Ce n’est que récemment que la juridiction administrative s’est proclamé « indépendante »… et à mon avis, c’est une évolution désastreuse. »
Pourquoi donc ? À partir du moment où un juge administratif a été instauré, il a bien fallu lui donner les mêmes garantis que le juge judiciaire. À moins que ce soit le concept même de juridiction administrative qui vous pose problème ?
« Ce que j’ai dit, c’est que le blocage de toute réforme rendue possible par les juges a joué un rôle important dans la Révolution, ce qui n’est pas la même chose. Une opinion d’ailleurs largement partagée par les historiens. »
C’est là où j’ai un désaccord. Certes les parlements ont formulé des remontrances. Mais sous bénéfices d’inventaires, ils fraudaient déterminé lesquelles et les raisons de ces remontrances. L’opposition parlementaire concernait les réformes fiscales, or d’après les lois fondamentales du Royaume de France, l’impôt devait être consenti. De même pour les privilèges, que le Roi devait jurer le respect lors de son sacre et qui sont un rapport entre lui et les territoires et personne qui acceptait son autorité. Toute modification devait être négociée et non modifiée unilatéralement. La journée des Tuiles avait pour origine que le statut du Dauphiné était menacé par les réformes imposées par le Roi. Le parlement de Grenoble avait conclu qu’une telle atteinte pourrait délier les Grenoblois de l’obéissance au Roi.
J’ignore pas que ces arguments juridiques étaient des prétextes. Mais c’étaient des prétextes qui avaient une certaine logique. Et comme nous l’avons discuté, le véritable problème de la monarchie, c’est que les structures de l’Ancien Régime n’étaient plus adaptées. Il fallait faire une révolution juridique en passant d’une société fondée sur la distinction des trois ordres et les privilèges par une société fondée sur la loi. Seulement les tergiversations de Louis XVI et de ses ministres n’ont pas permis une révolution en douceur (ou plutôt moins violente).
« Ah bon ? Pourriez-vous donner un exemple ? »
Un. Je vais vous en donner plus.
Vous avez cité le Code pénal de 1791 et le système des peines fixes. Mais le Code pénal de 1810 et la loi du 28 avril 1832 a corriger le défaut de ce système en donnant aux juges une plus marge de manœuvre dans la détermination de la peine.
Les constitutions de 1791 et 1795 faisaient du corps législatif l’interprète suprême de la loi et instauraient à son profit une surveillance sur le Tribunal de Cassation. Aujourd’hui c’est la Cour de Cassation, en assemblée plénière, qui l’interprète suprême. Le législateur peut toujours la corriger par une nouvelle loi (voyez l’arrêt Perruche)
La création d’un sénat conservateur lors des deux régimes bonapartistes.
Si on est d’accord pour définir le légicentrisme comme la suprématie de la loi (et donc du législateur) ainsi que l’inexistence de norme au-dessus d’elle, alors la Vème a bien signé la mort du légicentrisme. D’abord par le fait que le domaine de la loi est strictement délimité par l’art 34 de la constitution, alors que dans les régimes antérieurs, surtout la IIIème et la IVème , il n’y avait pas de telle limite.
La reconnaissance d’un pouvoir réglementaire autonome et élargie est une particularité à noter. Car le gouvernement n’a plus besoin d’une loi préalable pour agir, or cas fixé à l’art 34 alors que dans la constitution de 1791, le pouvoir du Roi et des ministres était limité à faire des proclamations et à l’exécution stricte de la loi.
Les traités, même ratifié par une loi du parlement, à une force supérieure aux lois ordinaires, introduisant une hiérarchie et permettant aux juges d’écarter les secondes quand elles contredisent les premières.
La création du Conseil Constitutionnel est aussi une nouveauté, si on excepte le sénat conservateur des régimes bonapartistes. Puisque la constitution est désormais une norme invocable, qui ne permet plus au parlement, sous prétexte d’être une assemblée d’élu, d’ignorer une constitution adoptée par référendum.
Quant aux défauts du légicentrisme, la suprématie du législateur a rapidement dégénéré en régime d’assemblée, ne laissant à l’exécutif que peu de marge d’action. La Vème est justement la réaction aux dérives de la IIIème et de la IVème.
D’un autre côté, je n’ignore qu’il reste une «âme légicentriste» dans nos juridictions ( je pense à la question du mariage entre personne de même sexe ou du sexe neutre), mais quand vous comparez la situation en 1791 et aujourd’hui, il y a eu beaucoup d’évolution.
« Pas tout à fait. D’abord, la Vème a fait du juge une « autorité », et non un « pouvoir », reprenant en ce sens la tradition de tous les régimes qui l’ont précédée. »
Là c’est moi qui ne comprend pas. La constitution de 1791, 1795 et 1848 mentionnent bien un pouvoir judiciaire, un pouvoir législatif et un pouvoir exécutif.
De plus il s’agit d’un style de rédaction. Soit on mentionne les pouvoirs dans les titres et dans les articles on attribue à telle institution l’exercice de ce pouvoir, soit on fait l’inverse, on mentionne les institutions dans les titres et on précise les pouvoirs attribués.
Dans le cas de la Vème, c’est le deuxième choix qui a été fait. C’est pourquoi vous ne trouverez pas la mention d’un pouvoir judiciaire, pas plus que vous trouverez de pouvoir exécutif, ni de pouvoir législatif. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de pouvoir judiciaire, ni pouvoir législatif, ni de pouvoir exécutif. Au contraire il y en a, et il est exercé par l’autorité judiciaire, terme pour désigner les juridictions.
Dans les états modernes, c’est-à-dire organisé autour de la loi, il y a un pouvoir de la faire (législatif), de la mettre en œuvre (exécutif) et un autre de la dire dans les litiges (judiciaire). Judiciaire, qui signifie en latin dire le droit, ce qui le pouvoir naturel du juge.
Reconnaître un pouvoir judiciaire ne changera rien car cela ne lui donnera pas une légitimité égale au politique. C’est juste une simple question d’organisation
Pour finir, le général De Gaulle, mentionne bien un pouvoir judiciaire dans ses « Mémoires d’espoir Le renouveau» chapitre Le Chef de l’État:
“Les mêmes épreuves nationales, qui bouleversèrent les pouvoirs exécutif et législatif, n’avaient pas laissé d’ébranler le pouvoir judiciaire…..
« En somme, j’exerce ma fonction de manière à conduire l’exécutif, à maintenir le législatif dans les limites qui lui sont imparties, à garantir l’indépendance et la dignité du judiciaire »
« Donner une « trop grande place à la Constitution », c’est donner une trop grande place au juge qui a le pouvoir de l’interpréter. Et je préfère infiniment l’arbitraire d’un pouvoir élu qui est in fine responsable devant les citoyens, que l’arbitraire d’une coterie qui n’est responsable devant personne. Ce qui nous ramène aux Parlements d’ancien régime… »
Sauf quand les élus votent une loi qui restreigne le droit de vote. Dans ce cas les élus sont bien responsables devant un corps électoral, mais un corps remodelé à leur avantage, laissant de coté une bonne partie de la population dans l’arbitraire d’une assemblée qui ne les représente plus. Et ce n’est pas une simple affirmation mais une référence à la IIeme république où une majorité conservatrice a remis en cause la porté suffrage universel, pourtant garanti par la constitution, écartant de ce fait une bonne partie de la population du droit de vote.
Quant à la responsabilité, les juges de la cour suprême américaine peuvent être destitués par une procédure d’impeachment (même si je n’ignore pas que c’est difficile à mettre en œuvre). En France, le Conseil Constitutionnel est renouvelé régulièrement avec un mandat non renouvelable pour justement éviter la création d’une coterie.
La référence aux Parlements n’est pas pertinente car les magistrats devaient acheter leurs charges, ce qui supposait de constituer une richesse préalable, limitant l’accès à la classe aisée, appliquant un droit complexe. Actuellement la magistrature est une fonction publique, accessible par concours principalement, appliquant les lois. (même si je vous l’accorde, se pose la question de la démocratisation de l’enseignement supérieur).
Le problème n’est pas l’arbitraire des élus ou des juges. Ce n’est pas de savoir « qui » est le meilleur gardien des droits et libertés fondamentales mais plutôt « comment ». Le qui est facile à répondre, c’est le constituant.
Le vrai problème, avec la constitution américaine et la DDHC de 1789 est le style de rédaction. Il laisse place à trop d’interprétation. Par exemple l’art 7 de la DDHC « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. » Autrement dit, si le législateur vote une loi qui permet la détention pendant six mois avant la présentation à un juge, c’est conforme aux droits de l’homme. Je préfère des règles plus strictes comme celle de la constitution belge: »Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu d’une ordonnance motivée du juge qui doit être signifiée au plus tard dans les quarante-huit heures de la privation de liberté et ne peut emporter qu’une mise en détention préventive. . »(art 12). Dans cet exemple, la règle est suffisamment claire et précise, ne nécessitant nulle interprétation.
Je concède que rédiger de cette manière n’est pas une tâche aisée.
« Mais le « roi », c’est-à-dire le parti qui est au pouvoir, est rarement ravi de voir le juge se mêler de ses affaires… »
Pourtant, il y a de nombreux exemples où le parti au pouvoir s’est tourné vers le juge. Par exemple la Charte de l’environnement 2005. Sans parler des traités européens comme Maastricht ou Lisbonne, permettant l’intervention du juge européen.
« J ’ajoute que lorsque vous écrivez que « le roi préférait les parlements pour passer ses réformes plutôt que les états généraux », j’aurais tendance à répondre que cela dépend de la nature de la réforme… »
C’est vrai, c’est notamment lors des réformes fiscales qu’il y avait une forte opposition entre le Roi et les Parlements.
Merci pour cette discussion et désolé pour la longueur de mes commentaires. Le rôle des juges, en démocratie, est toujours une question délicate. Et vu les propositions de la classe politique actuellement, il y a de quoi être inquiet.
@ Skotadi
[La différence avec la Grande-Bretagne, c’est que très tôt, ils se sont doté d’un parlement et les pouvoir du monarque bien défini. La loi du monarque pouvait sans problème être au-dessus des coutumes et particularités locales.]
Je renverserai la proposition. La différence est surtout qu’en Grande Bretagne, avec la Magna Carta, ce sont les « barons » qui ont affirmé leur autorité sur celle du souverain. A partir de là, la Grande Bretagne s’est construite essentiellement comme un état oligarchique. La France au contraire s’est construite autour d’un état central qui a progressivement mis au pas les « barons ». Pour le dire autrement, la Grande Bretagne s’est construite par l’érosion progressive du pouvoir royal, alors que la France s’est construite au contraire par son expansion.
[En France, c’est la crainte de tomber dans une monarchie à l’anglaise et le souvenir de la Grande ordonnance de 1357 qui à donner aux cours de justice et aux droits coutumiers un rôle important. Préférer construire un état par une administration et le droit plutôt que par une assemblé d’élus.]
Oui, mais cette « crainte » témoigne d’une différence sociale. En Grande Bretagne, peut-être parce que la tradition saxonne leur avait constitué des contre-pouvoirs efficaces, la noblesse et les fonctionnaires locaux étaient perçus comme une protection contre un pouvoir central tyrannique. En France, c’est l’inverse : le pouvoir central est vu comme une protection contre une noblesse et des fonctionnaires locaux rapaces et contre lesquels il n’y a pas au niveau local de véritable contre-pouvoir. Et cette vision demeure largement encore aujourd’hui : le poids et la permanence de l’institution préfectorale – héritière des intendants d’ancien régime et des « missi dominici » carolingiens – en témoigne.
[« Vous noterez d’ailleurs que Louis XIV ou Richelieu ont pu mettre au pas ces potentats sans trop de difficulté. » Tout à fait, ils les ont maintenus mais ils sont parvenus à limiter leurs influences.]
Oui, mais cela nous dit quelque chose. Si Louis XIV ou Richelieu ont pu mettre au pas les potentats locaux, c’est parce qu’ils pouvaient compter avec un certain soutien populaire. La toute petite noblesse, les artisans, les paysans aisés pouvaient constater que le pouvoir central était bien plus efficace et soucieux de leurs intérêts que les potentats locaux, ce qui ne les empêchait pas de se révolter contre des impôts qu’ils jugeaient trop lourds…
[Quant au reste, il est vrai que la noblesse, dans sa majorité était hostile à la réforme, mais Louis XVI à sa part de responsabilité. Son aïeul avait réussi à domestiquer la noblesse et a pu concentrer le pouvoir. Louis XVI, certes par manque d’expérience et de caractère, s’est laissé influencer par la noblesse. Il s’est entouré de ministres, préoccupé à maintenir l’Ancien Régime plutôt que de préparer la transformation des institutions.]
C’est vrai. Mais mon biais matérialiste me fait chercher des causes profondes dans les transformations économiques plutôt que dans les défaillances personnelles. Si Louis XIV avait pu mettre au pas la vieille noblesse réactionnaire, c’est parce qu’il avait l’appui d’une bourgeoisie naissante. Louis XIV va chercher ses ministres dans cette proto-bourgeoisie : Colbert, Vauban, Louvois sont des parvenus – il faut lire à ce propos Saint Simon, grand défenseur de la « vraie noblesse ». A l’époque de Louis XVI, la bourgeoisie n’est plus disposée à se contenter d’une promotion sociale pour quelques bourgeois, elle veut tout le pouvoir. Certes, Louis XVI n’était pas l’homme de la situation. Mais la situation n’était pas non plus celle de l’époque de Louis XIV.
[Quant à la méfiance des juges, je reste sur ma conviction que les révolutionnaires pensaient que la loi, sacralisé par le fait qu’elle « l’expression de la volonté générale », ne pouvait être atténuée ni par l’exécutif et le judiciaire. Vous citez le Code pénal de 1791 qui instaure les peines fixes, mais si on entre dans le détail, cela ne concerne que les peines de nature criminelle (supérieur à deux ans emprisonnements). Pour les peines correctionnelles ( supérieur à trois jours d’emprisonnement et inférieur à deux d’emprisonnements), le juge gardait une latitude dans la détermination de la peine.]
Ce qui vous montre que plus l’affaire est importante, moins on laissait de latitude au juge. Si ce n’est pas là de la méfiance, je me demande ce que c’est…
[En outre, l’introduction de l’intime conviction des juges et des jurés ainsi que le fait que la recherche et la poursuite des infractions étaient entre les mains des juges élus et non du ministère public, bien affaiblie par les révolutionnaires.]
La question de la recherche et la poursuite des infractions n’a rien à voir là-dedans. La méfiance envers le « gouvernement des juges » tient à la possibilité que le juge outrepasse ses pouvoirs dans l’interprétation de la loi et devienne législateur secondaire en s’éloignant de la volonté du législateur primitif. Mais cette interprétation ne se manifeste que dans l’acte de juger, et non dans celui de rechercher ou poursuivre les infractions…
[C’est pourquoi je nuance le fait que les révolutionnaires avaient peur des juges.]
« Méfiance » me paraît un mot plus approprié.
[Il y avait une exclusion de ces derniers dans les affaires politiques et administratives, mais dans l’exercice de leur fonction judiciaire, les révolutionnaires ont laissé une grande marge de manœuvre.]
Oui, mais ils ont cantonné soigneusement cette « fonction judiciaire » pour empêcher le juge de déborder sur le domaine législatif ou gêner l’action de l’exécutif : interdiction des arrêts de règlement, interdiction de se mêler d’administration…
[« Le droit de grâce ne change en rien le rapport avec les juges. La grâce est un acte administratif, et non judiciaire. » Mais la grâce permet de modérer les peines prononcées par les juges et donc d’avoir une certaine influence sur l’application de la loi. C’est pourquoi les révolutionnaires l’ont supprimé.]
Certes, mais vous noterez qu’ils l’ont supprimé, et non conféré à une autorité judiciaire. Au risque de me répéter, le droit de grâce est un acte administratif, et non judiciaire. Que les révolutionnaires n’aient pas voulu accorder au souverain le pouvoir de modifier les peines, c’est un fait. Mais cela n’a aucun rapport avec la problématique du « gouvernement des juges ».
[Sincèrement, moi non plus. Et pour cause, les révolutionnaires n’ont pas défini la fonction administrative et la fonction judiciaire.]
Montesquieu l’avait fait avant eux, et ils ont grosso modo suivi les mêmes lignes, du moins en théorie. En pratique, les besoins de la guerre révolutionnaire ont brouillé les frontières entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire…
[D’autres exemple de cette difficulté ? La libération conditionnelle, qui concerne l’exécution de la peine d’emprisonnement, était accordé par l’administration pénitentiaire puis, après la loi du 15 juin 2000, au juge d’application des peines.]
Je ne vois pas la difficulté. La loi du 15 juin 2000 a changé la NATURE de la décision. Avant, c’était une décision administrative, depuis c’est une décision judiciaire. Les frontières entre l’administration et la justice ne sont pas toujours fixées par la nature de l’acte, ils peuvent l’être aussi par détermination de la loi.
[La Cour des Comptes, qui veille à la régularité des comptes des comptables, fonction administrative ou judiciaire ?]
Judiciaire, sans discussion.
[« Il est vrai qu’on a conservé au juge judiciaire en tant que « garant des libertés » un certain nombre de contentieux touchant essentiellement aux atteintes à la propriété. Mais vous m’accorderez que ce sont là des exceptions qui confirment la règle. » Tout à fait. Mais mon objectif était de démontrer que pour certain contentieux, les politiques n’ont pas craint l’intervention du juge dans certains contentieux.]
Je n’ai pas dit le contraire. Mais lorsqu’on a confié au juge certains contentieux, c’est par détermination de la loi et toujours dans des conditions restrictives, ce qui montre à quel point on craint la tendance du juge à s’accorder toujours plus de pouvoirs.
[« Ce n’est que récemment que la juridiction administrative s’est proclamé « indépendante »… et à mon avis, c’est une évolution désastreuse. » Pourquoi donc ? À partir du moment où un juge administratif a été instauré, il a bien fallu lui donner les mêmes garanties que le juge judiciaire. À moins que ce soit le concept même de juridiction administrative qui vous pose problème ?]
Cela me pose problème parce que le juge administratif a une fonction politique : il doit concilier les droits des individus avec l’intérêt général. Et une fonction politique ne peut s’exercer de manière « indépendante ». Ce n’est pas un hasard si le droit administratif est essentiellement prétorien, contrairement au droit pénal ou civil…
[C’est là où j’ai un désaccord. Certes les parlements ont formulé des remontrances. Mais sous bénéfices d’inventaires, ils fraudaient déterminer lesquelles et les raisons de ces remontrances. L’opposition parlementaire concernait les réformes fiscales, or d’après les lois fondamentales du Royaume de France, l’impôt devait être consenti. De même pour les privilèges, que le Roi devait jurer le respect lors de son sacre et qui sont un rapport entre lui et les territoires et personne qui acceptait son autorité. Toute modification devait être négociée et non modifiée unilatéralement.]
Les Parlements avaient une certaine tendance à interpréter les « lois fondamentales du Royaume de France » en fonction de leurs intérêts de leurs mandants. Car ces « lois fondamentales » n’étaient pas écrites, et on peut faire dire beaucoup de choses à la coutume – surtout quand il n’y a pas de contrepouvoir. Par exemple, d’où ressort que l’impôt devait « être consenti » ? « consenti » par qui et dans quelles conditions ? Tous les impôts ? Ou seulement certains ? Le roi pouvait modifier le taux sans « consentement » ? Et l’assiette ?
[La journée des Tuiles avait pour origine que le statut du Dauphiné était menacé par les réformes imposées par le Roi. Le parlement de Grenoble avait conclu qu’une telle atteinte pourrait délier les Grenoblois de l’obéissance au Roi. J’ignore pas que ces arguments juridiques étaient des prétextes.]
Exactement mon point. Les juges utilisaient des « prétextes » juridiques pour prendre une position POLITIQUE. Ils se substituaient donc au législateur. CQFD
[« Ah bon ? Pourriez-vous donner un exemple ? » Un. Je vais vous en donner plus. (…)]
Vous m’en donnez plusieurs, mais ils ne répondent pas à la question posée, qui je vous rappelle, était celle de « l’abandon de la plupart des idées légicentristes par les régimes successifs ». Oui, on a abandonné tel ou tel point technique, mais la centralité de la loi demeure et le juge reste cantonné au rôle d’une autorité d’application (du moins jusqu’à il y a vingt ou trente ans). Et les idées fondamentales demeurent : l’interdiction des arrêts de règlement, la séparation des fonctions administratives et judiciaires…
[Si on est d’accord pour définir le légicentrisme comme la suprématie de la loi (et donc du législateur) ainsi que l’inexistence de norme au-dessus d’elle, alors la Vème a bien signé la mort du « légicentrisme ».]
Mais qu’est ce qu’on appelle la « loi » ? Je ne pense pas que retenir une définition purement formelle soit éclairant. J’aurais tendance a renverser la formule « la loi est l’expression de la volonté générale ». Autrement dit, à définir le légicentrisme comme le régime ou les actes des pouvoirs « élus » ont prééminence sur ceux des pouvoirs « nommés ». Autrement dit, ou le législateur (au sens large du terme) a prééminence sur le juge.
Si vous vous tenez à la définition juridique classique, les régimes « légicentristes » ne peuvent avoir de constitution – puisque celle-ci est supérieure à la loi. Et dans ce cas, le légicentrisme est mort en 1946…
[« Pas tout à fait. D’abord, la Vème a fait du juge une « autorité », et non un « pouvoir », reprenant en ce sens la tradition de tous les régimes qui l’ont précédée. » Là c’est moi qui ne comprend pas. La constitution de 1791, 1795 et 1848 mentionnent bien un pouvoir judiciaire, un pouvoir législatif et un pouvoir exécutif.]
Vous avez raison. J’aurais du écrire « des régimes qui l’ont précédé », sans le TOUS. Je pensais à la IIIème République.
[Dans le cas de la Vème, c’est le deuxième choix qui a été fait. C’est pourquoi vous ne trouverez pas la mention d’un pouvoir judiciaire, pas plus que vous trouverez de pouvoir exécutif, ni de pouvoir législatif.]
Certes, mais je ne trouve pas non plus « d’autorité exécutive » ou « d’autorité législative ». Et je trouve bien une « autorité judiciaire ». Cette différence est significative : il est clair que le judiciaire n’a pas tout à fait le même statut que le législatif et l’exécutif. Cette différence est d’ailleurs voulue par les rédacteurs de la Constitution. Je vous conseille de lire les comptes rendus de la commission de la constitution, édités par la Documentation Française, c’est absolument passionnant.
[Dans les états modernes, c’est-à-dire organisé autour de la loi, il y a un pouvoir de la faire (législatif), de la mettre en œuvre (exécutif) et un autre de la dire dans les litiges (judiciaire). Judiciaire, qui signifie en latin dire le droit, ce qui le pouvoir naturel du juge.]
Sauf que, dans certains états, à l’occasion des litiges le juge peut faire la loi ou la modifier. Par exemple, en autorisant l’avortement (arrêt « Roe vs. Wade »).
[Reconnaître un pouvoir judiciaire ne changera rien car cela ne lui donnera pas une légitimité égale au politique. C’est juste une simple question d’organisation]
Ce n’était pas l’avis des rédacteurs de la Constitution de 1958…
[Pour finir, le général De Gaulle, mentionne bien un pouvoir judiciaire dans ses « Mémoires d’espoir Le renouveau» chapitre Le Chef de l’État: “Les mêmes épreuves nationales, qui bouleversèrent les pouvoirs exécutif et législatif, n’avaient pas laissé d’ébranler le pouvoir judiciaire…..]
Dans ce texte, il fait référence à quelle période ?
[« Donner une « trop grande place à la Constitution », c’est donner une trop grande place au juge qui a le pouvoir de l’interpréter. Et je préfère infiniment l’arbitraire d’un pouvoir élu qui est in fine responsable devant les citoyens, que l’arbitraire d’une coterie qui n’est responsable devant personne. Ce qui nous ramène aux Parlements d’ancien régime… » Sauf quand les élus votent une loi qui restreigne le droit de vote.]
Même. La responsabilité des élus devant le peuple ne se limite pas à l’acte électoral. Les citoyens ont aussi le droit de pétition, de manifestation, et in fine de « résistance à l’oppression ». A votre avis, que se passerait-il si demain nos députés votaient une réforme constitutionnelle abolissant le suffrage universel ?
[Quant à la responsabilité, les juges de la cour suprême américaine peuvent être destitués par une procédure d’impeachment (même si je n’ignore pas que c’est difficile à mettre en œuvre). En France, le Conseil Constitutionnel est renouvelé régulièrement avec un mandat non renouvelable pour justement éviter la création d’une coterie.]
Il n’empêche qu’ils ne sont pas responsables devant le peuple. Pour ce qui concerne les juges de la cour suprême américaine, ils peuvent être révoqués par le pouvoir législatif, mais seulement pour leur COMPORTEMENT, et non pour le CONTENU DE LEURS DECISIONS. Autrement dit, on peut les renvoyer pour corruption, parjure, etc. Mais lorsqu’ils jugent, ils ne sont responsables que devant leur conscience. D’ailleurs, la procédure est tellement difficile à mettre en œuvre qu’aucun juge de la Cour suprême n’a jamais été renvoyé. Pour ce qui concerne le Conseil constitutionnel, si le mandat est non renouvelable ce n’est pas pour éviter la constitution d’une coterie, mais pour éviter que la recherche d’un renouvellement éventuel puisse influencer les décisions… les Américains on résolu ce problème en nommant les juges de la Cour suprême à vie.
[La référence aux Parlements n’est pas pertinente car les magistrats devaient acheter leurs charges, ce qui supposait de constituer une richesse préalable, limitant l’accès à la classe aisée, appliquant un droit complexe. Actuellement la magistrature est une fonction publique, accessible par concours principalement, appliquant les lois. (même si je vous l’accorde, se pose la question de la démocratisation de l’enseignement supérieur).]
Ce n’est pas le cas du Conseil constitutionnel, où les juges sont nommés par les présidents des assemblées et le président de la République et sans aucune condition de compétence ou d’expérience. Si les postes ne s’achètent pas avec de l’argent, il faut se constituer une « richesse préalable » de réseaux et de connaissances pour arriver à se faire nommer. Pour ce qui concerne la magistrature, on accède à la magistrature par concours. Mais pour accéder à la Cour de Cassation… c’est une autre histoire !
[Le vrai problème, avec la constitution américaine et la DDHC de 1789 est le style de rédaction. Il laisse place à trop d’interprétation. Par exemple l’art 7 de la DDHC « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. » Autrement dit, si le législateur vote une loi qui permet la détention pendant six mois avant la présentation à un juge, c’est conforme aux droits de l’homme. Je préfère des règles plus strictes comme celle de la constitution belge: »Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu d’une ordonnance motivée du juge qui doit être signifiée au plus tard dans les quarante-huit heures de la privation de liberté et ne peut emporter qu’une mise en détention préventive. . »(art 12). Dans cet exemple, la règle est suffisamment claire et précise, ne nécessitant nulle interprétation.
Je concède que rédiger de cette manière n’est pas une tâche aisée.]
Je pense que vous vous faites beaucoup d’illusions quant vous écrivez que le texte « ne nécessite nulle interprétation ». Prenons le cas de « l’ordonnance motivée du juge ». Si le juge écrit « je l’arrête parce que je n’aime pas sa gueule », l’ordonnance est-elle conforme ? Formellement oui, puisque c’est là une « motivation ». Mais vous me direz que lorsqu’on dit « motivée » cela implique une motivation raisonnable et ayant un rapport avec l’affaire. Et là… vous faites une interprétation.
Ma deuxième objection, est qu’il n’y a pas véritablement de différence de fond entre une constitution précise et une constitution vague précisée par la loi. La seule différence, c’est qu’en remontant les précisions de la loi à la constitution, vous ne faites que substituer à l’arbitraire du législateur l’arbitraire du constituant…
[Merci pour cette discussion et désolé pour la longueur de mes commentaires.]
Ne vous excusez pas, je les ai lu et commenté avec grand plaisir…
[Le rôle des juges, en démocratie, est toujours une question délicate. Et vu les propositions de la classe politique actuellement, il y a de quoi être inquiet.]
En effet, mais je doute que nous soyons inquiets pour la même raison. Personnellement, je crains plus pour ce qui concerne l’exécutif, l’excès de faiblesse que l’excès de force. Je pense toujours à la formule de Adlai Stevenson : « le pouvoir corrompt, mais l’impuissance corrompt absolument ». Mon idéal, c’est un pouvoir fort et responsable devant les citoyens. La multiplication « d’autorités indépendantes » de toute sorte dont le pouvoir n’est pas d’agir mais d’empêcher est pour moi un grave problème, parce que du coup le politique n’est plus responsable de rien. Et le juge participe de cette logique de freinage, surtout lorsqu’il oublie – comme tend à le faire le juge administratif aujourd’hui – qu’il est autant le protecteur des droits des individus que de ceux des autorités qui représentent l’intérêt général.
Une question personnelle, si vous le permettez : seriez-vous par hasard un professionnel du droit ?
Concernant la Grande-Bretagne, je partais d’un constat. Effectivement, la situation politique était différente dans ces deux pays. En Grande-Bretagne, l’arrivée des Normands et l’introduction de leur droit ont bouleversé les coutumes anglo-saxonnes, accordant au monarque des droits que n’avaient pas leurs prédécesseurs. De plus, « pays de boutiquier » dixit napoléon, les artisans avaient besoin de liberté pour pratiquer le commerce.
La France s’est construite par incorporation davantage par la diplomatie, mariage que par la guerre. L’intégration fut facilitée par la promesse de maintenir les droits provinciaux (j’avais cité le Dauphiné mais on peut citer la Bretagne), en contrepartie de la reconnaissance de l’autorité du Roi. De plus pays à l’économie agraire, le pouvoir royal s’est légitimé par le besoin d’ordre et de protection que ne pouvaient remplir les seigneurs. (on pense à la juridiction prévôtale et l’extension des pouvoirs de la maréchaussée, l’ancêtre de la gendarmerie nationale.)
J’entends la critique concernant «les lois fondamentales du royaume de France ». C’est que l’État s’est construit progressivement, passant d’un Roi « seigneur parmi les seigneurs » puis Roi suzerain suprême pour finir Roi détenteur de la souveraineté. Les règles « constitutionnelles » se sont précisé davantage quand la nécessité s’imposait. (L’exclusion des femmes dans l’accession et la transmission de la couronne en réaction à une suspicion de bâtardise.)
Les Parlements avaient un rôle politique car ils ont participé a la construction de la monarchie. Ce n’est pas par hasard que l’on trouve un Parlement dans les pays d’États (pays qui ont gardé un statut particulier et une assemblée). Un exemple avec le Traité de Madrid de 1526, grâce à l’intervention du Parlement de Paris, François 1er avait pu dénoncer ce traité humiliant.
Une fois achever la construction de l’État achevé, il aurait fallu mener cette « révolution juridique » en achevant le système féodal. Seulement était-ce aux Parlements de mener cette révolution ? On pouvait demander à ceux-ci de consacrer des règles à partir des coutumes, de la pratique ou de la raison d’État. Mais changer tout un système aurait nécessiter une autorité plus grande, celle des États généraux. C’est pourquoi j’accepte la critique selon laquelle ils défendaient leurs privilèges, mais ils ne faisaient que défendre des principes de leur époque et ils n’ont pas tout les torts que l’on peut leurs attribuer.
Quant au légicentrisme, je parlais effectivement de la définition juridique classique.
Concernant les Mémoires d’espoirs, c’est la période 1958-1962. Le seul qu’il ait pu terminer car il est décédé au cours de la rédaction du deuxième tome.
« Même. La responsabilité des élus devant le peuple ne se limite pas à l’acte électoral. Les citoyens ont aussi le droit de pétition, de manifestation, et in fine de « résistance à l’oppression ». A votre avis, que se passerait-il si demain nos députés votaient une réforme constitutionnelle abolissant le suffrage universel ? »
Je m’étais contenté de citer un exemple historique. À l’époque en Europe, le suffrage universel, était une exception. Le suffrage censitaire la règle. Aujourd’hui, ça serait un suicide politique. Mais comme vous le rappelez, il y a d’autres droits des citoyens …… qui sont menacés actuellement. La liberté de la presse par exemple. À quoi sert la responsabilité des élus devant le peuple si ce dernier n’est pas informé ? Regarder la situation dans les pays d’Europe de l’est.
« je pense que vous vous faites beaucoup d’illusions quant vous écrivez que le texte « ne nécessite nulle interprétation ». Prenons le cas de « l’ordonnance motivée du juge ». Si le juge écrit « je l’arrête parce que je n’aime pas sa gueule », l’ordonnance est-elle conforme ? Formellement oui, puisque c’est là une « motivation ».
Ici j’évoquais les rapports entre le juge constitutionnel et le législateur. Je cherche à trouver un moyen de préserver les libertés fondamentales avec deux difficultés : un législateur qui pourrait vider de sa substance un droit constitutionnel et l’inverse, celle d’un législateur à la marge de manœuvre trop réduite. Dans l’exemple, le constituant belge interdit au législateur de faire une loi qui autoriserait la détention sans intervention d’un juge au-delà de quarante huit heures, donc prévient l’arbitraire par l’action rapide d’un juge.
Quant à votre exemple, votre motivation n’est pas conforme au regard des formalités car il faudrait que vous citiez le texte qui vous autorise à agir de cette façon (règle de procédure et de fond). De plus, il me rappelle un exemple très connu dans le monde du droit : Cour de Cassation, Chambre civile 2, du 14 septembre 2006, 04-20.524. Le juge devait vraiment être de mauvaise humeur.
« Ma deuxième objection, est qu’il n’y a pas véritablement de différence de fond entre une constitution précise et une constitution vague précisée par la loi. »
Le fond, non. Mais un droit dans la constitution est mieux protégé, car il faudrait d’une part une procédure particulière pour la modifier, ce qui est un signal fort, et d’autre part tenir compte des dispositions prévues. Après, il est vrai que cela dépend de la rédaction, si la constitution proclame un droit et renvoi à la loi toutes les modalités d’application, avoir un juge constitutionnel n’a aucun d’intérêt.
« En effet, mais je doute que nous soyons inquiets pour la même raison. »
Détrompez-vous. Si je souhaite des règles constitutionnelles claires, c’est pour borner l’action du juge constitutionnel et préserver une marge de manœuvre prévisible aux politiques. Si je critique le légicentrisme, c’est la trop grande place accordée à la loi et au législateur et le peu de marge d’action de l’exécutif. ( Je reprends l’exemple de la Constitution de 1791). De même, je souhaite un pouvoir fort et responsable devant les citoyens car quand on regarde l’histoire de France, les régimes où le pouvoir exécutif est fort et stable à été des périodes de grandeur. (Le second empire est ma période historique préférée).
Concernant les juges, ce n’est pas qu’ils oublient qu’ils sont autant protecteurs des droits des individus que de l’intérêt général mais plutôt que le foisonnement de textes (loi, traités et bientôt la constitution) les placent dans une situation délicate. Quand des normes supérieures à la loi garantissent des prérogatives individuelles, le juge est bien obligé de concilier tout cela. Aggravé par le fait que le politique se décharge sur le juge et qu’en plus il peut faire l’autruche à la différence du juge qui doit trancher le litige sous peine de poursuite pour déni de justice. Ma plus grande peur, c’est que les politiques s’attaque au mode recrutement des juges. La réforme Maupéou aurait été autant un danger qu’un progrès, car des juges nommés par le Roi et payés par l’État aurait corrigé les abus du système des offices, mais aurait posé la question l’impartialité et l’indépendance. (Le Roi se serait-il gardé de nommer des juges favorables à sa cause ? Les réformes enregistrées auraient-elles été quand même accepté par la population?). La réforme de 1958 instaurant le concours a permis un recrutement qui repose plus sur des critères de compétence que de proximité sociale ou politique. Mais certain propose de remettre en cause tout cela.
“L’élection des magistrats, c’est l’apaisement de la société française” (marianne.net)
D’où mon souci de vouloir retrouver une clarté dans notre droit, de renvoyer les institutions à leur mission et responsabilité respective comme le faisait les grands chefs d’État, qu’ils soient Roi, Empereur ou Président de la République.
La loi est « l’expression de la volonté générale », moi je dois avouer que dans certains domaine, dont le droit l’application des peines, je ne comprends rien, ou du moins une volonté hypocrite consistant à emprisonner plus mais à libérer le plus vite pour ne pas à avoir à payer le coût de l’incarcération.
« Une question personnelle, si vous le permettez : seriez-vous par hasard un professionnel du droit ? »
J’ai fait des études de droit et obtenu des diplômes. J’ai passé des concours dans la fonction publique (vous devinerez facilement lesquels). Mais actuellement, je ne suis pas un « professionnel du droit » dans le sens « occupe une profession ».
PS : j’ignore si vous êtes abonné à Marianne, mais il y a un article publié au même moment où j’ai publié mon premier commentaire concernant le thème des droits fondamentaux. ( actuellement je suis dans l’incapacité de le lire en ligne, je dois attendre la version papier)
Michel Bouleau : “La Constitution ignore la notion de ‘droits fondamentaux’ ” (marianne.net)
@ Skotadi
[Une fois achever la construction de l’État achevé, il aurait fallu mener cette « révolution juridique » en achevant le système féodal. Seulement était-ce aux Parlements de mener cette révolution ? On pouvait demander à ceux-ci de consacrer des règles à partir des coutumes, de la pratique ou de la raison d’État. Mais changer tout un système aurait nécessiter une autorité plus grande, celle des États généraux.]
Vous raisonnez en juriste, pas en politique. Les Parlements ne faisaient pas que du droit, ils faisaient aussi de la politique en interprétant (ou en inventant) les « lois fondamentales du royaume » dans le sens qui convenait aux groupes sociaux qui les contrôlaient. La question n’est pas tant de savoir si c’était ou non aux Parlement de construire les institutions modernes, mais de comprendre pourquoi ils se sont opposés à partir du XVIIème siècle à cette construction, pourquoi ont-ils pris la défense de l’ordre ancien.
Pour moi la question n’est pas morale. Elle n’est pas de savoir si les Parlements ont bien ou mal agi. J’essaye de comprendre l’histoire. En France, le juge s’est mis en travers de l’évolution de la société. Et je pense que c’est là que se trouve l’origine de la méfiance des Français envers la constitution d’un « pouvoir judiciaire », et le souci constant de notre système politique de tenir la laisse courte aux juges.
[Concernant les Mémoires d’espoirs, c’est la période 1958-1962. Le seul qu’il ait pu terminer car il est décédé au cours de la rédaction du deuxième tome.]
Ma question était plus précise : lorsqu’il parle du « pouvoir judiciaire » dans la formule que vous citez, est-ce celui d’avant la Constitution de 1958, ou celui d’après ?
[Je m’étais contenté de citer un exemple historique. À l’époque en Europe, le suffrage universel, était une exception. Le suffrage censitaire la règle. Aujourd’hui, ça serait un suicide politique. Mais comme vous le rappelez, il y a d’autres droits des citoyens …… qui sont menacés actuellement. La liberté de la presse par exemple. À quoi sert la responsabilité des élus devant le peuple si ce dernier n’est pas informé ? Regarder la situation dans les pays d’Europe de l’est.]
Encore une fois, vous raisonnez en juriste là où je raisonne en politique. Vous voyez comme essentielle la protection juridique des droits, alors que pour moi ce qui protège nos droits c’est la vigilance du peuple souverain, à travers des institutions qui l’organisent. Si la liberté de la presse ou présomption d’innocence sont menacés aujourd’hui, ce n’est pas parce que les textes juridiques ont changé, mais parce que des minorités agissantes portent atteinte sans que pour autant le peuple réagisse.
« je pense que vous vous faites beaucoup d’illusions quant vous écrivez que le texte « ne nécessite nulle interprétation ». Prenons le cas de « l’ordonnance motivée du juge ». Si le juge écrit « je l’arrête parce que je n’aime pas sa gueule », l’ordonnance est-elle conforme ? Formellement oui, puisque c’est là une « motivation ».
[Ici j’évoquais les rapports entre le juge constitutionnel et le législateur. Je cherche à trouver un moyen de préserver les libertés fondamentales avec deux difficultés : un législateur qui pourrait vider de sa substance un droit constitutionnel et l’inverse, celle d’un législateur à la marge de manœuvre trop réduite. Dans l’exemple, le constituant belge interdit au législateur de faire une loi qui autoriserait la détention sans intervention d’un juge au-delà de quarante huit heures, donc prévient l’arbitraire par l’action rapide d’un juge.]
Personnellement, je pense qu’aujourd’hui le danger vient plutôt du deuxième risque que du premier. Je suis plus préoccupé par l’impuissance du politique que par sa toute-puissance…
[Quant à votre exemple, votre motivation n’est pas conforme au regard des formalités car il faudrait que vous citiez le texte qui vous autorise à agir de cette façon (règle de procédure et de fond).]
Non. Lorsqu’il est indiqué qu’une mesure doit être « motivée », il ne s’en suit pas qu’elle doive être motivée EN DROIT. Elle peut parfaitement l’être EN FAIT. Là encore, vous faites une interprétation…
[Le fond, non. Mais un droit dans la constitution est mieux protégé, car il faudrait d’une part une procédure particulière pour la modifier,]
Mais pour porter atteinte à un droit inscrit dans la constitution, point n’est besoin de modifier le texte constitutionnel. Il suffit qu’un juge « l’interprète ». Ainsi, par exemple, la Constitution de 1946 dans son préambule précise que « Chacun (…) a le droit d’obtenir un emploi ». Avec presque cinq millions de chômeurs, je ne peux que conclure que ce droit, malgré son inscription dans la Constitution, n’est guère « protégé ». Il a suffi que le juge constitutionnel estime que cette formule du préambule ne créait pas une obligation, et le tour est joué…
Je pense que l’idée que la « constitutionnalisation » des droits les protège est en grande partie une illusion. Lorsque le rapport de forces social ne protège pas un droit, même mis noir sur blanc dans la Constitution, n’a guère de chances d’être mis en œuvre.
[Détrompez-vous. Si je souhaite des règles constitutionnelles claires, c’est pour borner l’action du juge constitutionnel et préserver une marge de manœuvre prévisible aux politiques.]
Mais qu’est-ce que cela change ? Même si les règles constitutionnelles sont « claires » – comment être plus clair que « chacun a le droit d’obtenir un emploi » ? – le juge constitutionnel a les mains libres pour les écarter ou les interpréter dans le sens qui l’arrange. La seule limite au pouvoir du juge constitutionnel, c’est la menace que le constituant – c’est-à-dire, le peuple souverain – fait reposer sur eux.
[Si je critique le légicentrisme, c’est la trop grande place accordée à la loi et au législateur et le peu de marge d’action de l’exécutif. ( Je reprends l’exemple de la Constitution de 1791). De même, je souhaite un pouvoir fort et responsable devant les citoyens car quand on regarde l’histoire de France, les régimes où le pouvoir exécutif est fort et stable à été des périodes de grandeur. (Le second empire est ma période historique préférée).]
Sur ce point, je suis d’accord avec vous. Je donnais au terme « légicentriste » un sens un peu plus large que vous.
[Concernant les juges, ce n’est pas qu’ils oublient qu’ils sont autant protecteurs des droits des individus que de l’intérêt général mais plutôt que le foisonnement de textes (loi, traités et bientôt la constitution) les placent dans une situation délicate. Quand des normes supérieures à la loi garantissent des prérogatives individuelles, le juge est bien obligé de concilier tout cela.]
Je ne suis pas d’accord. D’une part, n’oubliez pas que ce foisonnement de textes est en grande partie une invention des juges. Rien n’obligeait au juge de reconnaître la primauté du droit européen sur le droit national. Si la Constitution proclame la supériorité des traités sur la loi, elle n’accorde pas le même statut aux décisions des organismes créés par ces traités.
Mais surtout, la comparaison des jurisprudences actuelles avec les jurisprudences anciennes par exemple en matière de travaux publics montre clairement une évolution entre une vision d’équilibre entre droits individuels et intérêt général vers une vision qui privilégie les premiers. On voit la même évolution pour ce qui concerne les expulsions d’étrangers.
[Aggravé par le fait que le politique se décharge sur le juge et qu’en plus il peut faire l’autruche à la différence du juge qui doit trancher le litige sous peine de poursuite pour déni de justice.]
Je vous accorde ce point. Mais le juge pourrait dans ce cas renvoyer au politique – comme le fit le Conseil d’Etat dans son avis sur le voile à l’école…
[Ma plus grande peur, c’est que les politiques s’attaquent au mode recrutement des juges.]
Bien sûr, cela pourrait toujours être pire. Je pense que la magistrature de carrière faite de juges inamovibles est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres. En particulier, l’élection des juges leur donnerait un mandat populaire, ce qui légitimerait leur prétention à se substituer au législateur… on le voit bien d’ailleurs aux Etats-Unis, ou le juge peut inventer des peines à sa discrétion.
[J’ai fait des études de droit et obtenu des diplômes. J’ai passé des concours dans la fonction publique (vous devinerez facilement lesquels).]
Je ne suis pas très bon pour les devinettes, mais je crois savoir…
[PS : j’ignore si vous êtes abonné à Marianne, mais il y a un article publié au même moment où j’ai publié mon premier commentaire concernant le thème des droits fondamentaux. (actuellement je suis dans l’incapacité de le lire en ligne, je dois attendre la version papier)]
Non, je ne suis pas abonné… et du coup je ne peux pas le lire !
@Descartes & Skotadi, je me permets de m’immiscer dans votre intéressante conversation.
J’abonde dans le sens de Descartes sur la nécessaire restriction du rôle du juge, qu’il soit administratif, judiciaire ou plus encore, constitutionnel. Le juge n’est pas élu et en tant qu’irresponsable devant le peuple il n’a pas à s’octroyer le pouvoir de colégislateur.
Une fois qu’on a dit ça, comment procéder pour éviter que les juges prennent le pouvoir, sans non plus supprimer leur existence, nécessaire?
Pour ce qui est du juge constitutionnel, on peut constater qu’il est assez répandu de par le monde, même si les modes de saisine varient d’un pays à l’autre. Je ne sais pas si vous avez vu passer une décision récente en Slovénie, la Cour constitutionnelle a affirmé dans une décision la légalité du mariage homosexuel au nom du respect des DDHC (en gros), cela même alors qu’on a fait voter 3 fois en dix ans par référendum les Slovènes sur ce sujet et qu’il ont répondu par la négative… Pour moi il s’agit de la dérive type. Les juges appartiennent à une classe sociale favorable à ce principe, ils motivent donc de façon fallacieuse en usant de textes larges et abscons, et “fuck” le peuple. En un sens, aux USA en 1973 avec l’IVG c’était déjà le cas… On s’offusque du revirement actuel, mais sur le plan strictement démocratique, renvoyer la décision aux législateurs fédérés me semble une bonne chose.
Selon vous, avons-nous réellement besoin d’un juge constitutionnel? Et si oui, pourquoi ne serait-il pas élu par le peuple? Ou bien, pourquoi ne serait-ce pas une prérogative du PR? Imaginons, une loi est votée par le Parlement, mais elle apparaît aux yeux du peuple manifestement inconstitutionnelle, le PR peut mettre son véto. Ou alors, un tiers des parlementaires saisissent le PR pour lui demander si c’est constitutionnel… Aujourd’hui, le PR représentant un clan plus que la Nation, on pourrait moquer ma proposition en disant qu’il n’irait pas contre le vote de sa majorité, mais bon, sur le papier… Aussi, si le PR met son véto sur une loi régulière, de façon déconnante, comme dit Descartes il est responsable et on peut le sanctionner dans la rue ou ailleurs… Je ne nie pas qu’il existe des libertés fondamentales qu’ils faillent préserver mais je ne vois pas mon Parlement aller contre et je ne ferai jamais confiance à une autorité non élue pour me les garantir.
Par ailleurs, quand vous regardez les sources des décisions de justice, il y a d’une part les fictions juridiques, du genre le Conseil constitutionnel qui décide de lui-même l’existence de PFRLR et qui met ce qu’il veut dedans… Comment on évite ça? Mais surtout, et vous l’avez dit, il y a tout un tas de choses que le législateur a voté (conventions internationales, droit européen…) et sur lequel le juge peut légalement s’appuyer… Et je ne parle même pas des lois torchées, volontairement absconses… Je vois encore mon député me dire “le juge se démerdera avec”…
Comment faire pour toucher au juge, qui apparaît aujourd’hui, avec la complicité du législateur, comme un des fossoyeurs de l’idéal démocratique dans ce pays? Quels mécanismes instaurer ?
Derrière la figure du juge il y a aussi le fameux “totem” : “l’Etat de droit”, auquel on fait dire n’importe quoi… Un juriste fameux disait d’ailleurs que cette expression est une tautologie vaseuse car là où il y a un Etat il y a de fait un droit, que ce soit en Iran, aux USA, ou en Corée du Nord. Les sources et le contenu ne sont simplement pas les mêmes. De fait, cette notion essentielle, car en France rattachée à certaines libertés fondamentales, est aussi manipulée…
Dans la bouche des journalistes et dans tout le bas clergé intellectuel, “s’attaquer” aux juges revient à attaquer l’Etat de droit… L’ancien Premier président de la Cour de cassation, qui se disait colégislateur (discours de rentrée…), affirmait que s’attaquer aux juges revenait à s’attaquer à la démocratie… Selon moi l’Etat de droit est l’interdiction de l’arbitraire, l’existence d’une société fondée sur des lois, votées par nos représentants, et aussi, la permanence de certaines libertés. Les juges n’y occupent pas la première place.
Je ne sais plus quel philosophe disait que la pente naturelle d’un gouvernement était de s’accaparer le plus en plus de prérogatives au détriment de ses sujets (ça pourrait être du Rousseau ça…). Aujourd’hui on a l’impression que c’est le judiciaire, érigé de fait en pouvoir, qui suit cette pente, là où les deux autres se défaussent…
@ Bruno
[Pour ce qui est du juge constitutionnel, on peut constater qu’il est assez répandu de par le monde, même si les modes de saisine varient d’un pays à l’autre.]
Il faut faire une différence entre les pays fédéraux et les autres. Dans les pays fédéraux, les cours constitutionnelles sont indispensables parce qu’il faut bien une institution pour régler les conflits entre l’Etat central et les Etats fédérés, conflits qui sont d’ordre constitutionnel. Pour les états unitaires, comme la France, la question de son intérêt se pose. Après tout, ni la IIIème ni la IVème républiques n’ont eu de juge constitutionnel, et on ne s’en est pas portés plus mal.
[Je ne sais pas si vous avez vu passer une décision récente en Slovénie, la Cour constitutionnelle a affirmé dans une décision la légalité du mariage homosexuel au nom du respect des DDHC (en gros), cela même alors qu’on a fait voter 3 fois en dix ans par référendum les Slovènes sur ce sujet et qu’il ont répondu par la négative… Pour moi il s’agit de la dérive type. Les juges appartiennent à une classe sociale favorable à ce principe, ils motivent donc de façon fallacieuse en usant de textes larges et abscons, et “fuck” le peuple. En un sens, aux USA en 1973 avec l’IVG c’était déjà le cas… On s’offusque du revirement actuel, mais sur le plan strictement démocratique, renvoyer la décision aux législateurs fédérés me semble une bonne chose.]
Si l’on sort du débat juridique pour se placer sur un plan politique, l’engouement pour les cours constitutionnelles tient à ce qu’elles limitent le pouvoir du nombre, et donc celui des couches populaires, et donc de préserver les intérêts des classes dominantes. Elles permettent de résoudre le paradoxe démocratique : comment des couches dominantes minoritaires peuvent, dans une logique de suffrage universel, s’assurer de leur pouvoir face à des couches dominées largement majoritaires ? Il y a pour cela de multiples mécanismes, mais dans l’hypothèse où les couches populaires arriveraient par la force du nombre à imposer leur loi, le juge constitutionnel serait là pour la mettre bas.
[Selon vous, avons-nous réellement besoin d’un juge constitutionnel? Et si oui, pourquoi ne serait-il pas élu par le peuple?]
Je ne suis pas sûr qu’on en ait besoin. Mais si c’était le cas, il ne faut SURTOUT PAS qu’il soit élu par le peuple. En effet, une telle élection lui donnerait la légitimité qui lui manque aujourd’hui pour usurper la fonction législative. Si l’on veut une cour constitutionnelle faible, alors il faut que son mode de nomination lui donne une faible légitimité. Personnellement, je ferais du conseil constitutionnel une section particulière du Conseil d’Etat…
Pour moi , c’est surtout le mode de saisine qu’il faut modifier. Supprimer la QPR, pour commencer !
[Par ailleurs, quand vous regardez les sources des décisions de justice, il y a d’une part les fictions juridiques, du genre le Conseil constitutionnel qui décide de lui-même l’existence de PFRLR et qui met ce qu’il veut dedans… Comment on évite ça?]
Il faut reconnaître qu’aussi longtemps que le pouvoir exécutif était fort, le Conseil constitutionnel a fait très attention à ne pas encourir le reproche de se mêler de politique. Ce n’est que la faiblesse des politiques qui a créé un vide que le juge s’est empressé de remplir…
[Comment faire pour toucher au juge, qui apparaît aujourd’hui, avec la complicité du législateur, comme un des fossoyeurs de l’idéal démocratique dans ce pays? Quels mécanismes instaurer ?]
Je ne vois qu’un moyen : le renforcement des pouvoirs élus. Seulement, il faut être conscient que c’est exactement le contraire de ce que souhaitent les classes dominantes…
[Derrière la figure du juge il y a aussi le fameux “totem” : “l’Etat de droit”, auquel on fait dire n’importe quoi… Un juriste fameux disait d’ailleurs que cette expression est une tautologie vaseuse car là où il y a un Etat il y a de fait un droit, que ce soit en Iran, aux USA, ou en Corée du Nord. Les sources et le contenu ne sont simplement pas les mêmes. De fait, cette notion essentielle, car en France rattachée à certaines libertés fondamentales, est aussi manipulée…]
Là, je ne suis pas d’accord. Il est vrai qu’on fait dire n’importe quoi à l’expression « Etat de droit », mais cette expression a en fait un sens très précis. Bien sûr, là où il y a un Etat il y a du droit, mais un « Etat de droit » est un Etat qui s’astreint lui-même à respecter le droit qu’il fait. Autrement dit, un « Etat de droit » se considère contraint par les règles qu’il fait lui-même. Un Etat de droit n’est donc pas forcément démocratique, pas plus qu’il n’est tenu de respecter tel ou tel droit de l’homme…
[Dans la bouche des journalistes et dans tout le bas clergé intellectuel, “s’attaquer” aux juges revient à attaquer l’Etat de droit…]
Cela dépend. S’agit-il de s’attaquer au juge COMME INSTITUTION, ou de s’attaquer à la manière comme tel ou tel juge exerce ses fonctions ? Dans le premier cas, cela se tient – mais le même est vrai pour les députés, les ministres ou le président de la République…
[L’ancien Premier président de la Cour de cassation, qui se disait colégislateur (discours de rentrée…),]
Je pense que de tels discours devraient donner lieu à des sanctions. Ce n’est rien de moins qu’un discours séditieux. La Constitution ne confère aux juges un quelconque pouvoir législatif, et la DDHC interdit explicitement à quiconque de se prévaloir d’un pouvoir qui ne lui a pas été conféré par le peuple.
@ Descartes
[Oui, mais cette « crainte » témoigne d’une différence sociale. En Grande Bretagne, peut-être parce que la tradition saxonne leur avait constitué des contre-pouvoirs efficaces, la noblesse et les fonctionnaires locaux étaient perçus comme une protection contre un pouvoir central tyrannique.]
Je pense que Guillaume le Conquérant était un personnage plus intelligent que l’historiographie ne retient habituellement. Il a non seulement conquis l’Angleterre, mais complètement bouleversé le système institutionnel du pays. Alors que les rois Anglo-Saxons (et Anglo-Danois) étaient avant tout des “primus inter pares”, des chefs gouvernant des collections de burghs (des petites villes fortifiées autour desquelles s’organisait l’autorité provinciale) et plus ou moins élus parmi les “grands”, Guillaume introduit la féodalité brutalement, construit des châteaux tenus par des nobles dont l’autorité, en pratique, ressemble avant tout à l’extorsion armée de la population, tout en ne copiant pas pour autant l’organisation du royaume de France ; ses obligés se voient confier des seigneuries assez petites, et dispersées en confetti sur le territoire anglais, de sorte qu’aucun noble n’a vraiment une continuité de terres à son nom, ce qui favorise le souverain dans le rapport de forces. De plus, les titres qui en France désignent alors de grands nobles qui souvent sont de facto souverains sur leur terre ont en Angleterre une valeur plus proche de leur origine franque : les comtes de Guillaume (les Earls) sont avant tout des officiers nobles, représentants de l’autorité royale, et révocables à volonté par le souverain. On a globalement l’impression que si Guillaume a compris l’intérêt de la féodalité, il a aussi identifié ce qui dans son organisation rendait le roi de France très faible… Et pendant tout le moyen-âge, malgré la différence en termes de démographie et de développement économique avec la France, l’Angleterre sera une puissance concurrente notamment parce que la couronne avait une autorité sur son territoire bien plus importante qu’en France.
@ BolchoKek
[Je pense que Guillaume le Conquérant était un personnage plus intelligent que l’historiographie ne retient habituellement.]
L’historiographie n’est pas trop sévère avec Guillaume. Elle lui reconnaît de grandes qualités d’homme d’Etat et d’administrateur. A juste titre, à mon avis : le « Doomesday book », à lui seul, est une remarquable innovation !
[ses obligés se voient confier des seigneuries assez petites, et dispersées en confetti sur le territoire anglais, de sorte qu’aucun noble n’a vraiment une continuité de terres à son nom, ce qui favorise le souverain dans le rapport de forces.]
Je partage un peu votre vision du règne du Conquérant, mais je ne crois pas que les institutions britanniques et la mentalité qui va avec doive tant que ça à la rupture de 1046. En fait, l’organisation judiciaire de l’Angleterre médiévale prolonge la tradition anglo-saxonne des cours manoriales, notamment avec les « magistrates courts » créées en 1285, sous le règne de Henri I, et des juges ambulants ou juges de « circuit » – le système des « assizes » crées en 1166 qui sont le fondement de la « common law ».
On notera que déjà à l’époque la question d’empêcher les juges de se mêler de politique se posait. Henri VIII n’aura pas de juges dans ses Conseils, et Elizabeth les y exclut explicitement.
[De plus, les titres qui en France désignent alors de grands nobles qui souvent sont de facto souverains sur leur terre ont en Angleterre une valeur plus proche de leur origine franque : les comtes de Guillaume (les Earls) sont avant tout des officiers nobles, représentants de l’autorité royale, et révocables à volonté par le souverain. On a globalement l’impression que si Guillaume a compris l’intérêt de la féodalité, il a aussi identifié ce qui dans son organisation rendait le roi de France très faible…]
Il y a aussi une question économique. Les « barons » anglais étaient beaucoup trop pauvres pour disputer le pouvoir au roi, comme pouvaient le faire les Bourguignons ou les Armagnacs…
Oui était la réponse logique,puisque les rituels athées,partagés,par le groupe des endeuillés permettre d’exprimer la perte, de la partager , l’affliction est allégé.
L’expérience de 7 enterrements athées me permet d’énoncer cela.Là est notre différence..🌄
« Vous raisonnez en juriste, pas en politique. »
Dans ma réponse oui. Mais au début de la conversation, j’avais invoqué des raisons politiques.
Pour moi, le bourgeois et une partie de la noblesse inspiré des Lumières étaient favorables à une évolution des institutions vers le modèle britannique. Mais en attendant, pour tempérer l’action du Roi et de ses agents c’étaient les « lois fondamentales », les privilèges territoriaux et les Parlements qui étaient défendus. Les protestations des Parlements n’avaient réellement de poids que parce qu’elles étaient soutenu par la population, comme durant la Fronde parlementaire ou la journée des Tuiles. Ces revendications concernaient moins la défense des privilèges ou l’opposition aux réformes que le souhait d’un partage du pouvoir. D’ailleurs, quand les Grenoblois ont empêché physiquement le départ des parlementaires, ils ont demandé la convocation des États généraux. Ce que fera Louis XVI, qui acceptera que toutes les réformes, et pas seulement fiscale, soient examinées par ces cerniers. Par la suite le rôle des juges a été ramené dans sa sphère naturelle et éloigné des questions politiques, conformément à la vision de Montesquieu.
« Ma question était plus précise : lorsqu’il parle du « pouvoir judiciaire » dans la formule que vous citez, est-ce celui d’avant la Constitution de 1958, ou celui d’après ? »
Il parle bien de la Constitution de 1958. Entre les deux extraits, ils y avaient plusieurs paragraphes ayant trait à la magistrature et aux réformes mises en place depuis 1958 (création de l’ENM et du concours, réforme du CSM, de la carte judiciaire, rapport avec les magistrats).
« Encore une fois, vous raisonnez en juriste là où je raisonne en politique. Vous voyez comme essentielle la protection juridique des droits, alors que pour moi ce qui protège nos droits c’est la vigilance du peuple souverain, à travers des institutions qui l’organisent. »
Pour moi, il faut les deux. Car sans texte pour rappeler et défendre ces droits, le peuple pourrait les oublier. Sans la vigilance du peuple, les assemblées pourraient les vider de sa substance et opposer leur légitimité à la fonction du juge constitutionnel. Je rappelle mes deux exemples avec la Fronde parlementaire et la journée de Tuiles. Sans le soutien populaire, l’opposition des Parlements aurait été facilement anéantie.
Concernant l’interprétation du juge, oui il est possible qu’il puisse l’interpréter comme il le souhaite. Mais en pratique il ne le fera pas. Car le rôle du juge, et vous l’avez rappelé, c’est de trancher des litiges en application des règles de droit. Sinon, il sort de son rôle. S’il fait dire à la loi n’importe quoi, c’est comme s’il sciait la branche sur laquelle il est assis. Et le juge interprète les textes selon l’intention du législateur. La Cour suprême américaine a perdu beaucoup avec l’arrêt Roe vs Wade et la conséquence d’une politisation des nominations.
« Rien n’obligeait au juge de reconnaître la primauté du droit européen sur le droit national. »
Pas même l’intention du l’intention du législateur ? Ni même le traité ? Certes la suprématie du droit européen sur le droit national n’est pas stipulée expressément, mais avec le transfert de compétences, la création d’instance de décision et d’une juridiction européenne, outre la volonté des dirigeants, je ne vois pas comment les juges auraient pu soutenir l’inverse.
Enfin concernant le foisonnent des textes, d’une part c’est le politique qui est à l’origine de ces textes. D’autre part, le problème que je voudrais souligner, c’est qu’il existe des textes (constitution, traitées) qui contient des droits qui sont purement déclaratoires et d’autres qui sont invocables. Mais comment faire la distinction ? Pose également le souci de la hiérarchie de ces droits et de leurs limites. Mais est-ce au juge de le faire ? Parfois, cela peut entraîner des controverses (voire l’affaire Vincent Lambert et l’invocation de la voie de fait et du Pacte internationale relatif aux droits civils et politique). L’exemple du droit des étrangers est un bon exemple. (d’ailleurs Michel Bouleau, de l’article sur Marianne que vous n’avez pas pu lire, a fait un bon article là-dessus.)
C’est pourquoi, je souhaite un toilettage de notre droit. Au niveau de la Constitution, pour ne garder que les droits et libertés fondamentales nécessaire dans une démocratie. Pour les traités, là aussi un réexamen est nécessaire. C’est pour revoir l’équilibre entre les droits et la défense des intérêts de la société.
« Je vous accorde ce point. Mais le juge pourrait dans ce cas renvoyer au politique – comme le fit le Conseil d’État dans son avis sur le voile à l’école… »
Dans l’affaire de Creil, c’est Lionel Jospin, ministre de l’Éducation nationale, qui avait saisi le Conseil d’État, mais dans sa fonction consultative et non dans sa fonction juridictionnelle. D’ailleurs vous parlez d’un avis et non d’un arrêt.
Concernant la saisine du politique par le juge, ce n’est pas pour rien que j’ai cité l’art 12 de loi des 16 et 24 août 1790 dans son intégralité, ni la Constitution de 1791 qui fait du législateur l’interprété suprême de la loi.
Mais ces mécanismes n’existent plus aujourd’hui. Et il n’existe pas un référé législatif, tout au plus la saisine du ministère des affaires étrangères pour l’interprétation des traités. Maintenant, c’est l’article 4 du code civil « Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice. »
En pratique, je dirais que ça dépend du droit que l’on traite. Le droit administratif est un droit prétorien. Pas le droit privé qui a la base un droit écrit. Et dans ce dernier cas, seules les dispositions couvertes par l’ordre public laissent au juge de se désister au profit du législateur (comme l’arrêt concernant le sexe neutre ou encore sur la notion de parent biologique), mais pas dans les autres cas où le législateur a laissé une marge d’appréciation au juge.
@ Skotadi
[« Vous raisonnez en juriste, pas en politique. » Dans ma réponse oui. Mais au début de la conversation, j’avais invoqué des raisons politiques.]
Ce que je voulais dire, c’est que vous attribuez une importance démesurée aux textes, en négligeant les rapports de force qui font que ces textes sont appliqués ou au contraire ignorés.
[Pour moi, le bourgeois et une partie de la noblesse inspirée des Lumières étaient favorables à une évolution des institutions vers le modèle britannique.]
Je suis d’accord avec vous. Montesquieu résume assez bien cette « anglophilie », et ses travaux sont très influencés par Locke ou l’idéologie britannique de la « glorious révolution ». Il faut d’ailleurs noter que les œuvres de Montesquieu reçoivent un accueil très favorable en Angleterre. Cela étant dit, la « partie de la noblesse inspirée par les Lumières » était relativement minoritaire, et son poids politique à Versailles était faible.
[Mais en attendant, pour tempérer l’action du Roi et de ses agents c’étaient les « lois fondamentales », les privilèges territoriaux et les Parlements qui étaient défendus. Les protestations des Parlements n’avaient réellement de poids que parce qu’elles étaient soutenues par la population, comme durant la Fronde parlementaire ou la journée des Tuiles.]
Encore faut-il s’entendre sur ce qu’on appelle « la population ». Il ne faut pas oublier qu’à la fin de l’Ancien régime, le lien d’autorité reste encore très fort entre le seigneur local et ses « dépendants », c’est-à-dire les paysans qui labouraient ses terres ou qui les avaient à bail. Et de la même manière, les corporations avaient une autorité relativement forte sur les apprentis et autres employés des maîtres artisans. En d’autres termes, certaines révoltes « populaires » sont moins le fait du « peuple » que des ordres ou des encouragements par la noblesse ou les corporations pour défendre leurs intérêts. Il n’est donc pas évident que des évènements comme la « journée des tuiles » soient le signe d’une révolte du « peuple » pour la préservation des privilèges locaux…
[Ces revendications concernaient moins la défense des privilèges ou l’opposition aux réformes que le souhait d’un partage du pouvoir.]
Mais le partage avec qui et pour quoi faire ? Il est trivial de dire que les potentats locaux ressentent le pouvoir central et qu’ils préféreraient avoir tout le pouvoir dans leurs mains – surtout si ce pouvoir vient sans responsabilité. On l’a bien vu lors des différentes vagues de décentralisation à la fin du XXème siècle… et il n’y a aucune raison que la chose ait été très différente au XVIIème. Mais il ne faut pas confondre la revendication des potentats avec une revendication populaire : la théorie selon laquelle le « partage du pouvoir » conduit à améliorer la vie du « peuple » est largement sujette à caution…
[Par la suite le rôle des juges a été ramené dans sa sphère naturelle et éloigné des questions politiques, conformément à la vision de Montesquieu.]
Pas vraiment. Je ne crois pas que Montesquieu ait envisagé une situation où l’Etat serait placé hors d’atteinte du juge… tout à fait contraire au principe défendu par Montesquieu selon lequel « le pouvoir doit arrêter le pouvoir ». Et pourtant, c’est la solution retenue à la Révolution. Encore une fois, je pense que vous sous-estimez la méfiance des élites politiques qui ont connu la fin de l’Ancien régime envers le juge. Il est possible qu’ici ou là et dans un contexte particulier les élites locales aient pris la défense du juge contre le pouvoir central, mais la conception du juge qui fut celle de la Révolution et de l’Empire montrent au contraire une grande méfiance, notamment sur la capacité du juge à se limiter dans ses interventions politiques.
[« Ma question était plus précise : lorsqu’il parle du « pouvoir judiciaire » dans la formule que vous citez, est-ce celui d’avant la Constitution de 1958, ou celui d’après ? » Il parle bien de la Constitution de 1958. Entre les deux extraits, ils y avaient plusieurs paragraphes ayant trait à la magistrature et aux réformes mises en place depuis 1958 (création de l’ENM et du concours, réforme du CSM, de la carte judiciaire, rapport avec les magistrats).]
Donc, lorsqu’il parle des mutations du « pouvoir judiciaire », il parle bien du judiciaire préexistant aux réformes de 1958. En tout cas, le qualificatif « autorité » inscrit dans la constitution à propos du judiciaire, et qui ne s’applique ni à l’exécutif, ni au législatif, n’est pas le fruit du hasard…
[« Encore une fois, vous raisonnez en juriste là où je raisonne en politique. Vous voyez comme essentielle la protection juridique des droits, alors que pour moi ce qui protège nos droits c’est la vigilance du peuple souverain, à travers des institutions qui l’organisent. » Pour moi, il faut les deux. Car sans texte pour rappeler et défendre ces droits, le peuple pourrait les oublier.]
Le peuple ou les juges ? Je pense que si le peuple oublie un droit, son inscription dans un texte n’y changera pas grande chose. Je vais vous répéter mon exemple : « chacun a le droit d’obtenir un emploi ». C’est écrit dans la Constitution, non ?
[Sans la vigilance du peuple, les assemblées pourraient les vider de sa substance et opposer leur légitimité à la fonction du juge constitutionnel. Je rappelle mes deux exemples avec la Fronde parlementaire et la journée de Tuiles. Sans le soutien populaire, l’opposition des Parlements aurait été facilement anéantie.]
Oui, mais vos deux exemples prouvent le contraire de ce que vous soutenez. La fronde parlementaire comme la « journée des tuiles » visaient à défendre des droits QUI N’ETAIENT ECRITS DANS AUCUN TEXTE, mais dont le peuple se souvenait très bien…
[Concernant l’interprétation du juge, oui il est possible qu’il puisse l’interpréter comme il le souhaite. Mais en pratique il ne le fera pas. Car le rôle du juge, et vous l’avez rappelé, c’est de trancher des litiges en application des règles de droit. Sinon, il sort de son rôle.]
Et alors ? Quelle est la sanction qui l’attend lorsqu’il « sort de son rôle » ?
[S’il fait dire à la loi n’importe quoi, c’est comme s’il sciait la branche sur laquelle il est assis.]
Il faut quand même qu’il scie beaucoup, et très longtemps, pour que la branche casse. Ainsi, lorsque la CJUE décide que le droit européen prévaut sur les droits nationaux, elle n’a pour elle ni les textes, ni la « volonté du législateur ». Et pourtant, elle l’a décidé et que je sache aucune sanction n’a été prise…
[Et le juge interprète les textes selon l’intention du législateur.]
Et selon la volonté des classes dominantes. A votre avis, quand le conseil constitutionnel décide que la formule « chacun a le droit d’obtenir un emploi » dans le préambule de la Constitution de 1946 n’a qu’une valeur déclarative, son interprétation reflète la volonté du constituant de 1946 ? Bien sûr, un « bon » juge est censé interpréter conformément à la volonté du législateur. Mais tous les juges sont-ils « bons » ? Souvenez-vous : « tout système bâti sur la conviction que le gouvernant est bon et le juge incorruptible est intrinsèquement mauvais »…
[La Cour suprême américaine a perdu beaucoup avec l’arrêt Roe vs Wade et la conséquence d’une politisation des nominations.]
Qu’est-ce qu’elle a perdu, exactement ?
[« Rien n’obligeait au juge de reconnaître la primauté du droit européen sur le droit national. » Pas même l’intention du l’intention du législateur ? Ni même le traité ? Certes la suprématie du droit européen sur le droit national n’est pas stipulée expressément, mais avec le transfert de compétences, la création d’instance de décision et d’une juridiction européenne, outre la volonté des dirigeants, je ne vois pas comment les juges auraient pu soutenir l’inverse.]
Pourtant ils l’ont soutenu assez longtemps. Nos cours souveraines, que ce soit le Conseil d’Etat ou la Cour de Cassation ont assez longtemps refusé de reconnaître cette primauté. Et le Conseil constitutionnel tient toujours bon…
Et maintenant sur le fond : les traités européens ne sont pas les seuls à créer des « instances de décision » ou des « juridictions ». La Charte des Nations Unies, par exemple, fait de même. Et personne à ma connaissance ne prétend que les décisions de la CIJ ou les résolutions de l’Assemblée générale s’imposent aux juridictions françaises. Pour aboutir à l’idée de prééminence du droit européen, il faut faire une lecture « politique » de la construction européenne, lecture qui n’est certainement pas conforme à la « volonté du législateur », puisque son vote a été acquis (notamment au référendum sur le traité de Maastricht) avec la promesse explicite que cette interprétation n’aurait pas cours.
[Enfin concernant le foisonnent des textes, d’une part c’est le politique qui est à l’origine de ces textes. D’autre part, le problème que je voudrais souligner, c’est qu’il existe des textes (constitution, traitées) qui contient des droits qui sont purement déclaratoires et d’autres qui sont invocables. Mais comment faire la distinction ?]
Pour le moment, cela se fait en fonction de l’intérêt de la corporation judiciaire. Plus il y a des droits « invocables », et plus le juge a le pouvoir de s’immiscer dans le choix politique. Par le biais du « droit au logement opposable », le juge peut évaluer la politique du logement. Par le biais des « droits environnementaux », le juge peut prescrire des actes de politique environnementale. Je vous accorde que le politique est complice de cette dépossession, comme il est complice de sa dépossession au bénéfice des institutions européennes. Mais cela ne change rien au fait que les juges s’y prêtent, eux aussi.
[C’est pourquoi, je souhaite un toilettage de notre droit. Au niveau de la Constitution, pour ne garder que les droits et libertés fondamentales nécessaire dans une démocratie. Pour les traités, là aussi un réexamen est nécessaire. C’est pour revoir l’équilibre entre les droits et la défense des intérêts de la société.]
Pour cela, je suis d’accord. La Constitution devrait se contenter de définir le fonctionnement des institutions, et consacrer des « libertés » et non des « droits » – je pense que la distinction est très importante…
[« Je vous accorde ce point. Mais le juge pourrait dans ce cas renvoyer au politique – comme le fit le Conseil d’État dans son avis sur le voile à l’école… » Dans l’affaire de Creil, c’est Lionel Jospin, ministre de l’Éducation nationale, qui avait saisi le Conseil d’État, mais dans sa fonction consultative et non dans sa fonction juridictionnelle. D’ailleurs vous parlez d’un avis et non d’un arrêt.]
Tout à fait. Dans l’acte juridictionnel, le juge ne peut renvoyer au politique – sous peine de « déni de justice » – qu’en faisant du zèle, c’est-à-dire, en appliquant la lettre de la loi pour aboutir à une décision tellement absurde qu’elle oblige le politique à intervenir.
@ Descartes
Et encore, je pense que tu as été gentil avec ton exemple, la constitution de 1946 dit aussi :
On sent que le texte a été conçu à un moment où les communistes faisaient 30%… et on voit aussi mal comment cela serait applicable dans une économie néolibérale !
@ BolchoKek
[Et encore, je pense que tu as été gentil avec ton exemple, la constitution de 1946 dit aussi :]
Ce n’est pas une question de “gentillesse”. Si j’ai choisi la disposition “chacun a (…) le droit d’obtenir un emploi”, c’est parce que cette disposition crée explicitement et avec un minimum d’ambiguïté un droit personnel, et que l’intention du législateur – ou pour être plus précis, du constituant – est assez claire. Pour les paragraphes que vous citez, le premier crée bien un droit, mais dont l’interprétation est bien plus obscure (qu’est ce que cela veut dire “participer” dans ce contexte ? Donner un avis ? Avoir un droit de vote ? De Véto ?), et le second prescrit une règle mais ne crée pas de droit. Or, c’est de la fonction du juge en tant que gardien des droits personnels qu’on était en train de discuter.
Je me demande d’ailleurs ce que donnerait une action devant le Conseil d’Etat ou le Conseil constitutionnel sur le fondement de l’incompétence négative lié à un refus de nationalisation de “services publics nationaux”…
Plus haut, j’avais écrit« qu’ils n ‘avaient pas tous les torts »j’aurais dû écrire « les critiques formulé par les historiens ». Je n’étais bien évidemment pas dans une posture morale mais dans la remise e n cause de cette « légende noire » que l’on attribue aux parlements.
De plus, concernant l’impeachment, vous avez raison de préciser que cela concerne les comportements, mais vous me concéderez que parfois la décision d’un juge est le reflet d’un comportement.
« Ce que je voulais dire, c’est que vous attribuez une importance démesurée aux textes, en négligeant les rapports de force qui font que ces textes sont appliqués ou au contraire ignorés. »
J’avais des exemples historiques en tête, mais je ne voulais pas rendre mes réponses trop longues. J’espère vous convaincre lors de vos prochains billets que je n’ai pas qu’une vision de juridique des choses.
« Mais le partage avec qui et pour quoi faire ? »
Le souhait de la bourgeoisie et d’une noblesse éclairée minoritaire) étaient que les lois et le budget soient discutés dans une assemblée élue.
« Il n’est donc pas évident que des évènements comme la « journée des tuiles » soient le signe d’une révolte du « peuple » pour la préservation des privilèges locaux… »
« Mais il ne faut pas confondre la revendication des potentats avec une revendication populaire : la théorie selon laquelle le « partage du pouvoir » conduit à améliorer la vie du « peuple » est largement sujette à caution… »
Je n’ai pas écrit que les classes populaires, ni la bourgeoisie souhaitaient le maintien des privilèges locaux comme objectifs, mais plutôt qu’ils étaient contre la suppression des privilèges et des institutions locales en l’absence d’une contrepartie (comme la création d’une assemblée élue convoquée régulièrement). Il suffit de consulter les cahiers de doléances, notamment du tiers état. Il y a un certain consensus sur les réformes à faire (comme réforme judiciaire, le droit pour un accusé d’avoir un défenseur gratuit désigné d’office). Il est vrai que les classes populaires ont été influencé par les idées de la bourgeoisie.
« Pas vraiment. Je ne crois pas que Montesquieu ait envisagé une situation où l’Etat serait placé hors d’atteinte du juge… tout à fait contraire au principe défendu par Montesquieu selon lequel « le pouvoir doit arrêter le pouvoir » »
Pourtant, Montesquieu a écrit : »La puissance de juger ne doit pas être donnée à un sénat permanent, mais exercée par des personnes tirées du corps du peuple dans certains temps de l’année, de la manière prescrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure qu’autant que la nécessité le requiert. De cette façon, la puissance de juger, si terrible parmi les hommes, n’étant attachée ni à un certain état, ni à une certaine profession, devient, pour ainsi dire, invisible et nulle. On n’a point continuellement des juges devant les yeux; et l’on craint la magistrature, et non pas les magistrats » (chapitre VI De la constitution d’Angletterre). C’est une critique des parlements et du système des offices.
Dans cette considération, l’expression « le pouvoir arrête le pouvoir » doit être vu ici comme le juge qui, par application de la loi, veille à ce que les agents de la couronne restent dans les limites de celle-ci (comme avec l’habeas corpus) et non de donner un veto de nature « politique »
sur les actions du législatif et de l’exécutif.
« Encore une fois, je pense que vous sous-estimez la méfiance des élites politiques qui ont connu la fin de l’Ancien régime envers le juge. »
A vrai dire, c’est le mot méfiance qui me pose problème. Ramener un pouvoir dans sa sphère originelle et le borner par des limites, est-ce de la méfiance ? Dans ce cas on pourrait affirmer que, la justice ne pourra être exercée ni par le Roi, ni par le corps législatif comme une méfiance des révolutionnaires à l’égard du corps législatif.
Encore une fois, si les révolutionnaires avaient vraiment une méfiance des juges, ils auraient fait bien plus que de le cantonner à sa sphère juridictionnelle. Par exemple ils n’auraient pas choisi l’élection comme mode de recrutement (avec les risques que vous avez cités) mais la nomination par le corps législatif et la possibilité pour ce dernier de les destituer.
« Donc, lorsqu’il parle des mutations du « pouvoir judiciaire », il parle bien du judiciaire préexistant aux réformes de 1958. En tout cas, le qualificatif « autorité » inscrit dans la constitution à propos du judiciaire, et qui ne s’applique ni à l’exécutif, ni au législatif, n’est pas le fruit du hasard… »
Il parle du judiciaire de la Constitution de la Ivème et de la Veme. Le général De Gaulle était un pragmatique et les débats de la commission sur la définition d’un « pouvoir judiciaire » ne l’intéressaient pas. Pour lui, (et comme moi d’ailleurs), il y a bien un pouvoir judiciaire, celui de dire le droit et de rendre la justice et il importait pour lui que ce pouvoir soit bien constitué (recrutement, statut, finance, organisation) pour que « s’affermit le pouvoir judiciaire dont dépendent, à tant d’égards, la condition de l’homme et les assises de l’État. En somme, j’exerce ma fonction de manière à conduire l’exécutif, à maintenir le législatif dans les limites qui lui imparties, à garantir l’indépendance et la dignité du judiciaire ».
« La fronde parlementaire comme la « journée des tuiles » visaient à défendre des droits QUI N’ETAIENT ECRITS DANS AUCUN TEXTE, mais dont le peuple se souvenait très bien… »
Mais pourquoi des textes en particulier? Le droit (surtout sous l’Ancien Régime) n’est pas composé que de texte mais aussi des coutumes, issu de la pratique. Le principe de masculinité et de l’aînesse vient du « miracle capétien », donc de la pratique, au point d’être élevé comme coutume élevée comme « lois fondamentales ». Idem avec l’impôt, car les Rois avaient pris l’habitude de convoquer les États généraux pour obtenir des revenus, d’où cette coutume que l’impôt devait être consenti. Les protestations ne demandaient que le respect de cet usage.
Vous remarquerez d’ailleurs que les conflits entre le Roi et les parlementaires prennent de l’importance quand les États Généraux ont cessé d’être convoqué. Dernier fois 1789, avant denier fois 1614-1615.
« Et alors ? Quelle est la sanction qui l’attend lorsqu’il « sort de son rôle » ? »
Une liste de possibilité. Déjà, la nullité de son jugement. Ensuite selon la gravité du cas, une sanction disciplinaire. N’oublions pas la théorie des « baïonnettes intelligentes » (ne pas exécuter d’ordre manifestement illégal). Mais le pire est une « sanction politique » par le fait que le législateur pourrait réagir en conséquence.
« A votre avis, quand le conseil constitutionnel décide que la formule « chacun a le droit d’obtenir un emploi » dans le préambule de la Constitution de 1946 n’a qu’une valeur déclarative, son interprétation reflète la volonté du constituant de 1946 ? »
Il suffit de lire les travaux de rédaction et de garder en tête que si le constituant voulait que ce soit un droit effectif, il aurait créé un juge constitutionnel pour veiller à son respect.
« Souvenez-vous : « tout système bâti sur la conviction que le gouvernant est bon et le juge incorruptible est intrinsèquement mauvais »… «
Mais je n’ai pas dit le contraire, justement. Le fait pour le législateur de corriger la jurisprudence et le constituant de pouvoir réviser la constitution évite tout risque d’un « gouvernement des juges »
« Qu’est-ce qu’elle a perdu, exactement ? »
Sa plus grande force, sa respectabilité. Dans un pays de Common law, la jurisprudence joue un rôle très important et la « stare decisis » (règle du précédent) permet de mettre de la cohérence et de la prévisibilité d’où le rôle de la Cour Suprême. Si à force de nomination politique, les juges de cette cour reviennent trop sur leurs précédents, cela va créer un chaos juridique.
Souvenez-vous que de la proposition des démocrates qui voulaient augmenter le nombre de juges à la Cour suprême pour contrebalancer les nominations faite par Trump. Franklin Roosevelt avait la même proposition.
« Mais cela ne change rien au fait que les juges s’y prêtent, eux aussi. »
Mais pensez-vous qu’ils soient ravis de cette situation ? peuvent s’extasier de la construction européenne mais cela ne veut pas dire que les juges sont du même point de vue. La reconnaissance de la suprématie du droit européen sur le droit national a pour conséquence que les arrêts de nos cours souveraines peuvent être déferrés devant les juridictions européennes, avec le risque d’être contredit. Idem avec la QPC et du Conseil Constitutionnel. De plus, avec un pouvoir en extension, il pourrait y avoir un débat sur le recrutement ds juges que nous avons évoqué.
Je voulais vous remercier pour cette discussion et aussi pour la qualité de votre blog. J’ai beaucoup appris grâce à vos billets. J’espère pouvoir être actif sur d’autres thèmes.
Cordialement
@ Skotadi
Plus haut, j’avais écrit « qu’ils n ‘avaient pas tous les torts » j’aurais dû écrire « les critiques formulées par les historiens ». Je n’étais bien évidemment pas dans une posture morale mais dans la remise en cause de cette « légende noire » que l’on attribue aux parlements.]
La « légende noire » n’est pas tout à fait une légende. Même dans l’exercice de leurs compétences judiciaires, les Parlements étaient connus et reconnus pour leur corruption. Ce n’est pas pour rien qu’on disait à l’époque « mieux vaut un mauvais arrangement qu’un bon procès ». Et si vous ajoutez leurs empiètements dans le domaine politique…
[De plus, concernant l’impeachment, vous avez raison de préciser que cela concerne les comportements, mais vous me concéderez que parfois la décision d’un juge est le reflet d’un comportement.]
J’ai du mal à vous le concéder. Pourriez-vous donner un exemple ?
Admettre que le comportement personnel et le fond du jugement ne peuvent pas être séparés conduirait à remettre en cause l’indépendance du juge, puisque-il serait sous la menace d’un impeachment dès lors que ses jugements déplaisent au pouvoir politique, puisque ces décisions pourraient être associés à un comportement, et à ce titre sujettes à empêchement…
« Mais le partage avec qui et pour quoi faire ? »
[Le souhait de la bourgeoisie et d’une noblesse éclairée minoritaire étaient que les lois et le budget soient discutés dans une assemblée élue.]
Je pense que vous faites un anachronisme. Si le consentement à l’impôt est un sujet abondamment discuté depuis des temps anciens, la notion de « budget » – c’est-à-dire, la possibilité d’étendre le contrôle aux dépenses – est beaucoup plus récente. Je ne me souviens pas que cette question ait été discutée avant la Révolution. Même chose pour « la discussion de lois ». La loi, telle que la conçoit notre droit positif, est une vision très moderne. Avant la Révolution, le roi faisait très peu de véritables « lois » : le domaine pénal et civil était largement régulé par des lois coutumières et la jurisprudence, et les édits royaux étaient plus d’ordre réglementaire. Ce n’est qu’en matière fiscale que le roi exerçait une forme de pouvoir législatif.
Je pense qu’il est anachronique d’attribuer à la bourgeoisie – accompagnée par une partie de la noblesse – une vision aussi ambitieuse. Pour la plupart, le principe de consentement à l’impôt par une assemblée élue aurait probablement été suffisant.
[Je n’ai pas écrit que les classes populaires, ni la bourgeoisie souhaitaient le maintien des privilèges locaux comme objectifs, mais plutôt qu’ils étaient contre la suppression des privilèges et des institutions locales en l’absence d’une contrepartie (comme la création d’une assemblée élue convoquée régulièrement).]
Mais même cela me paraît contestable. Pour les « classes populaires », que l’impôt fut décidé par le roi ou par une « assemblée » dominée la bourgeoisie et la noblesse ne changeait pas fondamentalement les choses. Je doute que les « classes populaires » se soient mobilisées pour défendre leurs intérêts.
[Il suffit de consulter les cahiers de doléances, notamment du tiers état. Il y a un certain consensus sur les réformes à faire (comme réforme judiciaire, le droit pour un accusé d’avoir un défenseur gratuit désigné d’office). Il est vrai que les classes populaires ont été influencé par les idées de la bourgeoisie.]
Surtout, il est vrai que les cahiers de doléances du tiers-état ont été essentiellement écrits par des bourgeois. Combien de paysans – qui constituaient tout de même l’essentiel du tiers-état – savaient lire et écrire suffisamment pour écrire un cahier de doléances ou même de prendre connaissance de son contenu ? Aux états généraux réunis en 1789, parmi les députés du tiers-état il n’y avait qu’un seul paysan…
[Dans cette considération, l’expression « le pouvoir arrête le pouvoir » doit être vu ici comme le juge qui, par application de la loi, veille à ce que les agents de la couronne restent dans les limites de celle-ci (comme avec l’habeas corpus) et non de donner un veto de nature « politique » sur les actions du législatif et de l’exécutif.]
Mais dès lors que le magistrat est juge des actions du législatif et de l’exécutif – comme c’est le cas dans les pays anglo-saxons – comment pourrait-il ne pas avoir un « véto de nature politique » ? Le système de Montesquieu rend cette « politisation » de la fonction judiciaire inévitable. La Révolution s’en est écarté en interdisant au juge de se mêler d’administration (ce qui protège le pouvoir exécutif), en lui interdisant les arrêts de règlement (ce qui protège l’exécutif ET le législatif) et en lui interdisant de juger les actes du pouvoir législatif.
[« Encore une fois, je pense que vous sous-estimez la méfiance des élites politiques qui ont connu la fin de l’Ancien régime envers le juge. » A vrai dire, c’est le mot méfiance qui me pose problème. Ramener un pouvoir dans sa sphère originelle et le borner par des limites, est-ce de la méfiance ?]
D’une certaine façon, oui. C’est montrer qu’on ne fait pas confiance à ce pouvoir pour s’autoréguler. Car il faut bien voir que lorsque la Révolution puis l’Empire mettent l’administration en dehors de la compétence du juge, cela implique implicitement que l’administration est appelée à s’autoréguler, ce que d’ailleurs elle a fait pendant deux siècles assez efficacement… Par ailleurs, la Révolution ne s’est pas contentée de ramener le juge « à sa sphère originelle ». Il a restreint considérablement cette « sphère »…
[Dans ce cas on pourrait affirmer que, la justice ne pourra être exercée ni par le Roi, ni par le corps législatif comme une méfiance des révolutionnaires à l’égard du corps législatif.]
Possible. Mais curieusement, les révolutionnaires ne sont pas allés aussi loin. Ainsi, par exemple, ils ont confié à l’exécutif le pouvoir de trancher les conflits entre l’administration et le citoyen, une compétence clairement « judiciaire » dans la logique de Montesquieu. Et Louis XVI fut jugé non pas par un juge, mais par la Convention, c’est-à-dire, l’assemblée législative. Robespierre lui-même s’insurge contre cette logique. Le discours vaut d’être cité :
« L’Assemblée a été entraînée, à son insu, loin de la véritable question. Il n’y a point ici de procès à faire. Louis n’est point un accusé ; vous n’êtes point des juges ; vous n’êtes, vous ne pouvez être que des hommes d’État et les représentants de la nation. Vous n’avez point une sentence à rendre pour ou contre un homme : mais une mesure de salut public à prendre, un acte de providence nationale à exercer. Un roi détrôné, dans la république, n’est bon qu’à deux usages, ou à troubler la tranquillité de l’État, et à ébranler la liberté ; ou à affermir l’une et l’autre. Or, je soutiens que le caractère qu’a pris jusqu’ici votre délibération va directement contre ce but. (…) »
« Louis fut roi, et la république est fondée ; la question fameuse qui vous occupe est décidée par ces seuls mots. Louis a été détrôné par ses crimes ; Louis dénonçait le peuple français comme rebelle ; il a appelé, pour le châtier, les armes des tyrans, ses confrères ; la victoire et le peuple ont décidé que lui seul était rebelle : Louis ne peut donc être jugé ; il est déjà jugé. Il est condamné, ou la république n’est point absoute. Proposer de faire le procès à Louis XVI, de quelque manière que ce puisse être, c’est rétrograder vers le despotisme royal et constitutionnel ; c’est une idée contre-révolutionnaire ; car c’est mettre la révolution elle-même en litige. En effet, si Louis peut être encore l’objet d’un procès, Louis peut être absous ; il peut être innocent. Que dis-je ? Il est présumé l’être jusqu’à ce qu’il soit jugé. Mais si Louis est absous, si Louis peut être présumé innocent, que devient la révolution ? Si Louis est innocent, tous les défenseurs de la liberté deviennent des calomniateurs. Tous les rebelles étaient les amis de la vérité et les défenseurs de l’innocence opprimée ; tous les manifestes des cours étrangères ne sont que des réclamations légitimes contre une faction dominatrice. La détention même que Louis a subie jusqu’à ce moment est une vexation injuste ; les fédérés, le peuple de Paris, tous les patriotes de l’empire français sont coupables ; et ce grand procès pendant au tribunal de la nature entre le crime et la vertu, entre la liberté et la tyrannie, est enfin décidé en faveur du crime et de la tyrannie. Citoyens, prenez-y garde ; vous êtes ici trompés par de fausses notions ; vous confondez les règles du droit civil et positif avec les principes du droit des gens ; vous confondez les relations des citoyens entre eux avec les rapports des nations à un ennemi qui conspire contre elle ; vous confondez encore la situation d’un peuple en révolution avec celle d’un peuple dont le gouvernement est affermi ; vous confondez une nation qui punit un fonctionnaire public, en conservant la forme du gouvernement, et celle qui détruit le gouvernement lui-même. » (discours à la Convention, le 3 décembre 1792)
Il n’empêche que Robespierre ne fut pas suivi, et que le « procès » de Louis XVI fut instruit comme un procès judiciaire, ce qui revenait à faire exercer des prérogatives judiciaires au législatif. Pourquoi, à votre avis ? Pourquoi n’a-t-on pas confié le sort du roi à un tribunal judiciaire, si ce n’est par méfiance ?
[Encore une fois, si les révolutionnaires avaient vraiment une méfiance des juges, ils auraient fait bien plus que de le cantonner à sa sphère juridictionnelle.]
De fait, ils ont fait plus : ils ont exclu de la « sphère juridictionnelle » les actes du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif…
[Le général De Gaulle était un pragmatique et les débats de la commission sur la définition d’un « pouvoir judiciaire » ne l’intéressaient pas.]
Je doute beaucoup que la qualification « d’autorité judiciaire » soit passée sans que De Gaulle s’y intéresse. D’autant plus que De Gaulle avait une piètre opinion des juges, tant judiciaires (souvenez-vous ses remarques sur la soumission de la magistrature française à Pétain) qu’administratifs (citons à ce propos sa colère après l’arrêt Canal).
[Pour lui, (et comme moi d’ailleurs), il y a bien un pouvoir judiciaire,]
Pour moi, non. Pour moi, tout « pouvoir » émane du peuple et est contrôlé par lui. Dès lors qu’un « pouvoir » est exercé par des personnes irresponsables – et l’inamovibilité est un élément d’irresponsabilité – on ne doit parler de « pouvoir ». C’est d’ailleurs pourquoi le pouvoir exécutif repose sur le Premier ministre, et non sur le président de la République…
[« La fronde parlementaire comme la « journée des tuiles » visaient à défendre des droits QUI N’ETAIENT ECRITS DANS AUCUN TEXTE, mais dont le peuple se souvenait très bien… » Mais pourquoi des textes en particulier? Le droit (surtout sous l’Ancien Régime) n’est pas composé que de texte mais aussi des coutumes, issu de la pratique.]
C’était bien mon point. Vous parliez de l’intérêt d’écrire les droits dans la Constitution sur le fondement du « risque que le peuple les oublie » s’ils ne l’étaient pas. Je vous montre avec votre propre exemple que le peuple n’a aucune raison d’oublier des droits, quand bien même ils ne seraient écrits nulle part…
[Vous remarquerez d’ailleurs que les conflits entre le Roi et les parlementaires prennent de l’importance quand les États Généraux ont cessé d’être convoqués. Dernier fois 1789, avant denier fois 1614-1615.]
Une coïncidence n’implique pas une causalité. Il est parfaitement logique que les conflits entre le Roi et les parlementaires et le renoncement à convoquer les états-généraux coïncident : tous deux sont la manifestation de la centralisation croissante du pouvoir et de la mise au pas des « barons » locaux qui, de Richelieu à Louis XV, façonnent une France modernisée par rapport à la période féodale.
[« Et alors ? Quelle est la sanction qui l’attend lorsqu’il « sort de son rôle » ? » Une liste de possibilité. Déjà, la nullité de son jugement.]
Lorsqu’il s’agit d’une cour souveraine – conseil constitutionnel, cour de cassation, conseil d’Etat – ce risque est nul. Par ailleurs, la nullité sanctionne la décision, pas le juge. Un juge peut voir mille décisions annulées, il reste inamovible.
[Ensuite selon la gravité du cas, une sanction disciplinaire.]
On revient à la logique de « l’impeachment ». Une sanction disciplinaire ne peut concerner qu’un COMPORTEMENT. Un juge qui aura respecté toutes les règles de procédure, qui n’aura pas par son comportement jeté le discrédit sur sa fonction, ne peut faire l’objet d’une sanction disciplinaire sur la base du fond de ses décisions.
[N’oublions pas la théorie des « baïonnettes intelligentes » (ne pas exécuter d’ordre manifestement illégal).]
N’oublions pas surtout que cette théorie ne trouve à s’appliquer que dans des cas exceptionnels. Et que c’est le juge in fine qui juge ce qui est « manifestement illégal ».
[Mais le pire est une « sanction politique » par le fait que le législateur pourrait réagir en conséquence.]
Ah bon ? Comment ? Le législateur ne peut déplacer les juges, il ne peut remettre en cause la chose jugée. Quelle pourrait être la sanction du législateur au juge « qui sort de son rôle » ? Le problème est encore plus sérieux pour le juge constitutionnel, dont les décisions prévalent sur les votes du législateur lui-même…
[« A votre avis, quand le conseil constitutionnel décide que la formule « chacun a le droit d’obtenir un emploi » dans le préambule de la Constitution de 1946 n’a qu’une valeur déclarative, son interprétation reflète la volonté du constituant de 1946 ? » Il suffit de lire les travaux de rédaction et de garder en tête que si le constituant voulait que ce soit un droit effectif, il aurait créé un juge constitutionnel pour veiller à son respect.]
Mais justement, il n’y a pas d’ambiguïté sur le fait que le constituant de 1946 en rédigeant ce texte entendait en faire un droit effectif. Quant au constituant de 1958, il a décidé de reprendre tel quel le texte de 1946 et a bien créé ce juge constitutionnel pour veiller à son respect. Comment ce constituant pouvait marquer autrement sa volonté que ce droit soit mis en œuvre ?
[Mais je n’ai pas dit le contraire, justement. Le fait pour le législateur de corriger la jurisprudence et le constituant de pouvoir réviser la constitution évite tout risque d’un « gouvernement des juges »]
Pas vraiment. Tous les pouvoirs sont soumis au contrôle du constituant, et cela n’empêche pas à tel ou tel pouvoir de « gouverner ». Le fait que le constituant ait le pouvoir de réviser la Constitution lui permettrait éventuellement de mettre fin au « gouvernement des juges », mais n’évite pas le risque qu’en attendant une telle modification les juges sortent de leur rôle et empiètent sur les pouvoirs exécutif ou législatif. J’ajoute que le législateur n’a le pouvoir de « corriger la jurisprudence » que dans la mesure où le juge interprète la nouvelle loi dans ce sens…
« Qu’est-ce qu’elle a perdu, exactement ? »
[Sa plus grande force, sa respectabilité. Dans un pays de Common law, la jurisprudence joue un rôle très important et la « stare decisis » (règle du précédent) permet de mettre de la cohérence et de la prévisibilité d’où le rôle de la Cour Suprême. Si à force de nomination politique, les juges de cette cour reviennent trop sur leurs précédents, cela va créer un chaos juridique.]
Pourquoi ? Après tout, c’est le propre de tous les pouvoirs : lorsque la majorité change dans le législatif, on revient sur des décisions prises par l’ancienne majorité. Lorsque le président change, on change les politiques. Et pourtant, je ne vois pas que l’exécutif ou le législatif perdent leur « respectabilité » dans l’affaire. La seule chose qu’une politisation affichée pourrait détruire, c’est la FICTION qui veut que le judiciaire est un pouvoir « apolitique », dont les jugements sont guidés par l’interprétation juridique des textes, et non par de basses considérations politiques. Et encore : il est admis que les juges américains doivent interpréter un texte qui, faut le rappeler, date du XVIIIème siècle, en fonction de l’évolution « moderne » de la société. Que cette évolution conduise sur cinquante ans à revenir sur une jurisprudence n’est en rien étonnant, non ?
[Souvenez-vous que de la proposition des démocrates qui voulaient augmenter le nombre de juges à la Cour suprême pour contrebalancer les nominations faites par Trump. Franklin Roosevelt avait la même proposition.]
Et cela a abouti ? Non ? Pourquoi à votre avis ?
[« Mais cela ne change rien au fait que les juges s’y prêtent, eux aussi. » Mais pensez-vous qu’ils soient ravis de cette situation ?]
J’en connais quelques-uns, et oui, ils sont ravis. Je constate d’ailleurs que les rapports annuels du Conseil d’Etat se réjouissent régulièrement des possibilités supplémentaires que cette multiplication des droits invocables leur offre d’élargir leurs pouvoirs. Je ne me souviens pas d’ailleurs d’un seul cas où le Conseil ait critiqué un texte en se fondant sur le risque de créer un « gouvernement des juges »…
[peuvent s’extasier de la construction européenne mais cela ne veut pas dire que les juges sont du même point de vue. La reconnaissance de la suprématie du droit européen sur le droit national a pour conséquence que les arrêts de nos cours souveraines peuvent être déférés devant les juridictions européennes, avec le risque d’être contredit.]
Non. La reconnaissance de la suprématie du droit européen implique que les juridictions nationales doivent appliquer le droit européen, y compris lorsqu’il contredit le droit national, et qu’en cas de difficulté d’interprétation du droit européen elles doivent poser la question préjudicielle à la juridiction européenne et attendre sa réponse. Mais ce n’est pas pour autant que les décisions prises par la Cour de Cassation ou le Conseil d’Etat sont appelables devant la juridiction européenne.
[Idem avec la QPC et du Conseil Constitutionnel. De plus, avec un pouvoir en extension, il pourrait y avoir un débat sur le recrutement des juges que nous avons évoqué.]
Je ne vois pas le rapport. Là encore, les décisions des cours souveraines ne sont pas appelables devant le Conseil constitutionnel, et la QPC est une forme de question préjudicielle. Je ne pense pas que les juges ressentent ces procédures, qui après tout les libèrent encore plus de leurs responsabilités, sans pour autant réduire leurs pouvoirs…
[Je voulais vous remercier pour cette discussion et aussi pour la qualité de votre blog. J’ai beaucoup appris grâce à vos billets. J’espère pouvoir être actif sur d’autres thèmes.]
C’est tout le mal que je vous souhaite ! Merci aussi du temps que vous avez mis a commenter, cette discussion a été pour moi aussi très instructive.