Zone à défendre ? Non, zone à détruire…

C’était un débat public comme j’en ai vu depuis des dizaines. On était à Manosque, dans la vallée de la Durance pour une débat organisé dans le cadre de l’enquête publique pour la construction d’un bâtiment d’entreposage de déchets nucléaires sur le site CEA de Cadarache. Le public, un mélange de gens du coin intéressés par les affaires locales (ou venus regarder le spectacle, vous savez, on s’ennuie ferme dans nos villages), de militants écologistes de diverses obédiences et de représentants de l’administration, victimes sacrificielles d’un rituel que tout le monde sait parfaitement inutile. Car je vous laisse imaginer la teneur du « débat » : des écologistes décrivant avec des trémolos dans la voix la trajectoire des camions « passant à quelques centimètres de vos enfants », les déchets qui « empoisonneront vos terres pendant des générations » et ainsi de suite. Rien de bien nouveau pour ceux qui ne sont pas des cyniques, ce que, jeune ingénieur à l’époque, je n’étais pas encore mais que, les années passant, je suis devenu.

Et puis, sortant de l’ennui habituel, l’intervention d’un « citoyen ». C’était un homme qui pouvait avoir, je ne sais, peut-être 60, 70 ans, et l’accent rocailleux de ceux qui ont vécu dans la région depuis leur enfance. Et voici à quelques mots près son discours : « Vous savez, quand j’étais jeune, le fléau de la région était la Durance. Une, deux fois par an quelquefois, on avait la crue qui inondait la vallée, qui emportait les ponts, qui noyait le bétail et dévastait les cultures. Et puis, un jour, dans les années 1950, les ingénieurs des Ponts et Chaussées sont venus et ils ont dit « on va installer un barrage là, un barrage là, un barrage là… » et puis la Durance, on n’en a plus entendu parler ». Et le vieux monsieur de conclure : « vous savez, si on nous avait demandé notre avis, on y serait encore… ! ».

Pour le jeune ingénieur que j’étais, ce fut une révélation. Et pour le vieil ingénieur que je suis devenu, ce commentaire reste toujours aussi pertinent. Si ce commentaire m’a autant marqué, c’est parce qu’il concentre en une simple phrase deux éléments qui ont fait pendant longtemps la force de notre République : d’une part, la confiance dans les institutions qui portent l’intérêt général pour faire un diagnostic, trouver une solution et la mettre en œuvre ; d’autre part, la conscience aigüe des limites de la démocratie d’opinion.

L’aménagement de la chaîne hydraulique de la Durance n’a pas été de tout repos. Envisagé depuis le milieu du XIXème siècle à la fois pour produire de la force motrice, pour contrôler les crues et pour permettre l’irrigation des vallées, les projets sont abandonnés l’un après l’autre. Ce n’est qu’avec la loi du 5 janvier 1955 qui donne à EDF le mandat de concevoir et mener à bien les aménagements que les choses avancent. La loi fixe trois objectifs : la régulation des crues, la production d’électricité, l’irrigation (1). En trente ans, on a construit 23 ouvrages hydrauliques sur la Durance et ses affluents, alimentant 33 centrales électriques, ainsi qu’un canal de 250 km suivant d’abord le lit de la Durance puis déviant vers le sud pour atteindre l’étang de Berre. Parmi les ouvrages, le barrage de Serre-Ponçon (2), prouesse technique qui, à l’époque de sa construction, est la plus grosse retenue d’eau d’Europe.

Prenons ce dernier ouvrage. Il n’est pas inintéressant de regarder ce que furent les débats avec les populations à l’époque. Car l’impact de l’ouvrage était important : les villages d’Ubaye et de Savines, ont été submergés par la création du lac artificiel, tout comme quelques dizaine d’hameaux et de maisons isolées. D’autres villages risquaient d’être isolés par la coupure des routes et des voies de chemin de fer dans une région qui était déjà passablement enclavée. Enfin, le noyage de la vallée entraînait la perte de 600 hectares de terres agricoles et la fermeture de deux usines. Il s’ensuivra un long contentieux entre les habitants et les communes d’une part, l’Etat de l’autre. Rien de différent à ce que nous voyons aujourd’hui, me direz-vous. Mais lorsqu’on regarde de plus près, on s’aperçoit d’une différence fondamentale : le contentieux porte sur les questions d’indemnisation des expropriés, de reconstruction des villages et des routes. A aucun moment l’ouvrage lui-même n’est remis en question (3). Pas de « ZAD », pas de déclarations rageuses d’élus proclamant l’aménagement « inutile », pas de recours devant le juge administratif pour faire annuler les autorisations. Au contraire, la presse locale porte aux nues le projet ambitieux d’EDF, et l’aménagement est perçu comme porteur de grandes opportunités de développement pour une région plutôt isolée et délaissée. De son côté, l’Etat et EDF mettent en place des mécanismes d’indemnisation exceptionnels, et assurent la reconstruction du réseau routier et ferroviaire de façon que personne ne soit lésée.

Si je rappelle ces éléments, c’est parce qu’ils posent une cruelle analogie par rapport à notre présent, parsemé de groupuscules « anti-tout », dont le discours se situe à l’opposé de celui du vieux monsieur de Manosque : méfiance envers les institutions techniques, et confiance illimitée dans la démocratie d’opinion. Un discours qui est d’ailleurs complaisamment relayé par les médias, par l’establishment universitaire, par les élites politiques. Et pour ceux qui voudraient un exemple, pas la peine de chercher bien loin : la « convention citoyenne sur le climat » illustre parfaitement cette capitulation intellectuelle devant l’obscurantisme. Capitulation intellectuelle qui a des effets délétères sur le réel.

Prenons un exemple si vous le voulez bien. Comme moi, vous avez certainement suivi les reportages sur les effets de la sécheresse sur la Loire. Avec un étiage qui est passé largement en dessous du chiffre minimal pour préserver la biodiversité, ce fut une hécatombe. Tout le contraire de la Seine qui, elle, a conservé un débit suffisant. Pourquoi cette différence ? Parce que le débit de la Seine est régulé par des ouvrages hydrauliques, les quatre lacs-réservoirs de Pannecière (construit en 1949), Seine (1966), Marne (1974), et Aube (1990), qui permettent d’écrêter les crues en hiver et de maintenir le débit en été. La Loire, elle, n’en dispose pas. Pourquoi ? Parce que les projets – qui ont été élaborés dans les années 1980 en réponse aux sécheresses de la fin des années 1970 – ont été systématiquement abandonnés sous la pression écologiste. C’est le cas du barrage de Chambonchard, que le gouvernement socialiste fait mine d’abandonner en 1991… tout en relançant les études en 1992. Et qui traînera dans les tiroirs jusqu’à ce que le gouvernement de la « gauche plurielle », décidément très sensible à la pression écologiste, annule définitivement le projet en 1999. Les projets de Serre de la Fare et de Veurdre auront un destin similaire : ils seront sacrifiés à l’action des groupuscules regroupés dans l’association « Loire Vivante ». Les poissons qui sont morts dans la sécheresse de 2022 savent donc qui ils doivent remercier…

Tout cela nous ramène à notre triste réalité. Nous avons un problème : avec le dérèglement climatique, les régimes climatiques deviennent plus extrêmes. Nous aurons, pour utiliser la formule consacrée, « plus de sécheresses et plus d’inondations ». Ce n’est pas forcément qu’il pleut moins, mais la pluie est moins bien distribuée dans le temps. Bien entendu, on peut manifester à Paris tous les vendredis derrière Gretha Thunberg et d’autres passionarias du climat. On se fait plaisir, mais cela ne change pas grande chose. Quand bien même la France réduirait ses émissions à zéro, cela ne changerait que très marginalement le climat. En attendant donc que les grands émetteurs de carbone aient changé leurs habitudes, il nous faut trouver des solutions aux problèmes que nous pose la nouvelle donne climatique, et parmi eux, la gestion de l’eau. Pour mieux l’utiliser, il nous faut des aménagements qui permettent de stocker. Les barrages, les bassines, les retenues collinaires, les lacs-réservoirs sont des aménagements qui nous permettent d’absorber les précipitations lorsqu’elles sont excessives, et de compenser leur absence lorsqu’elles viennent à manquer. L’heure n’est pas à se demander « à qui la faute », mais qu’est-ce qu’on fait collectivement pour faire face aux problèmes. Et la sécheresse de cette année a montré que les producteurs « bio » sont tout aussi sensibles que l’agriculture intensive.

Seulement voilà, l’idéologie dominante n’est pas aux grands projets, ni même aux projets du tout. Au contraire : les médailles médiatiques vont à ceux qui arrêtent, à ceux qui en obtiennent l’abandon. De quoi sont fiers les militants et sympathisants de l’anti-tout ? D’avoir fait fermer Superphénix, d’avoir arrêté Fessenheim, d’avoir obtenu l’abandon de Notre-Dame-Des-Landes ou de Sivens, d’avoir supprimé l’ENA et les « grands corps ». Et ils ont encore de beaux « projets » à supprimer : CIGEO à Bure, le programme EPR à commencer par celui de Flamanville, des lignes TGV sont dans le collimateur. Et à côté de tous ces abandons, ces suppressions, ces fermetures… ils ont construit quoi ? Où sont les institutions, les ouvrages, les monuments qui ont vu le jour grâce à l’action de ces courageux militants ?

Et le plus triste, c’est que la « gauche », censée être le parti du progrès et de la raison contre les obscurantismes, s’engage derrière ces mouvements (4). On retrouve cette « gauche » plus ou moins engagée derrière ceux qui rêvent des ZAD partout. Un mouvement stérile, fondamentalement aliéné puisque ses objectifs sont définis par la négation de l’objectif de l’autre. Pour ne prendre qu’un exemple récent, on a vu des dirigeants d’EELV, de LFI mais aussi du PCF et du PS faire le déplacement à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres contre les « méga-bassines » (5). Et dans le cas d’EELV ou de LFI, des dirigeants de premier plan : Rousseau, Jadot, et même Mélenchon himself. Des gens qu’on n’a que rarement vus réunis pour soutenir la réalisation de quelque chose, pour célébrer le démarrage d’un chantier.

On connaît la formule nietzschéenne : « j’existe, puisque je peux détruire ». La « gauche », dont les passages successifs au pouvoir se sont à chaque fois traduits par des politiques désastreuses laissant de côté les intérêts des couches populaires qu’elle prétend défendre, n’a plus qu’un moyen de montrer qu’elle existe politiquement. Ce moyen, c’est la destruction. Un tropisme qui va des gauchistes de LFI aux social-libéraux qui tournent autour de Macron. Regardez les programmes : combien de fois on trouve sur des propositions concrètes les mots abolir, supprimer, abroger, arrêter, fermer ; et combien de fois les mots construire, produire, développer, instituer ? Même le mot « réformer » a perdu son sens actif pour revêtir une signification passive : on ne « réforme » pas pour construire, mais pour réagir à une menace.

J’avoue avoir beaucoup de mal à comprendre la psychologie de ces militants. Quelle jouissance peut-on tirer du fait de casser un distributeur de billets, de brûler une voiture, de briser une vitrine, de détruire un abribus ? Quel plaisir peut-on éprouver en voyant partir en fumée un bien utile, fruit du travail humain ? Quel sens du devoir accompli à imaginer que tout ce cirque n’a pour but que d’empêcher l’autre de faire ? Et je ne parle même pas de la violence sur les personnes, et notamment des forces de l’ordre. Et pourtant, il se trouve des gens pour rechercher ces plaisirs, et malheureusement d’autres beaucoup plus nombreux pour les justifier publiquement, pour leur trouver des circonstances atténuantes, pour s’indigner lorsque par un revers du sort ils se trouvent à recevoir dans leur chair ce qu’en toute insouciance ils administrent – ou laissent administrer – aux autres. Au point qu’il est devenu tellement « normal » de voir après une manifestation un spectacle de désolation sur leur parcours que ni les services d’ordre, ni la police, ni les manifestants eux-mêmes n’estiment devoir empêcher (6).

Ne sous-estimons pas la puissance de ces émotions. Nous sommes en train de former une génération de jeunes nourris à l’idée que le militantisme politique est essentiellement un acte de destruction. Que l’objectif du politique n’est pas de gouverner pour construire, mais d’empêcher l’autre de le faire. Qu’il n’y a pas de plus haut titre de gloire que d’être contre.

Descartes

(1) Dans le monde du marché qui est le nôtre, on peut trouver étonnant qu’une entreprise dont le but est de produire de l’électricité se voit fixer des objectifs comme la régulation des crues ou l’irrigation, deux activités qui ne lui rapportaient rien. Il est vrai qu’on n’était pas à l’époque sous l’empire du « marché libre et non faussé »…

(2) Dont la construction commence en 1957 et s’achève en 1959, quatre ans après le vote de la loi. On savait faire vite les choses, à l’époque…

(3) Comme le remarque Virginie Bodon dans un article fort intéressant (https://www.cairn.info/revue-annales-historiques-de-l-electricite-2005-1-page-35.htm)

(4) Certains de mes lecteurs me demanderont « et la droite ? ». On a peut-être la droite la plus bête du monde, mais on peut difficilement lui reprocher une conversion au postmodernisme. Peut-être parce qu’elle est fondamentalement conservatrice, la droite garde encore quelques réflexes venus de la période gaullienne. Et puis, la droite n’est pas au pouvoir chez nous depuis longtemps. Lorsqu’elle l’a été, la dernière fois avec Nicolas Sarkozy ou Jacques Chirac, on a vu un regain, timide certes mais regain quand même, des projets. C’est Chirac qui a lancé l’EPR de Flamanville, c’est Sarkozy qui avait largement avancé celui de Penly. Mais depuis 2012, c’est la gauche qui gouverne. Quelle est la différence de fond entre Emmanuel Macron et Michel Rocard ou François Hollande ? En quoi les politiques de l’un n’auraient pu être faites par les autres ? Souvenez-vous que ce fut Rocard qui accueillit des ministres de droite dans son gouvernement, ébauche de ce « en même temps » que le macronisme n’a certainement pas inventé.

(5) ) On notera que l’envahissement du chantier a laissé 61 gendarmes blessés, dont 22 sérieusement et un très grièvement. Pas un mot pour condamner ces débordements, au contraire : Jadot, Rousseau rejettent la faute sur la police, tout comme Mélenchon. Bien sûr, la réaction aurait été différente si le blessé grave était du côté des manifestants. On a vu même une députée EELV, Lisa Bellucco, aller au contact avec les gendarmes. Pour sa défense, elle prétend s’être placée « dans un cortège central où il y avait des familles avec enfants, des personnes âgées on ne peut plus calmes et pacifiques, qui s’est retrouvé entravé dans sa démarche par les forces de l’ordre très loin de la bassine et alors qu’il n’y avait jaune intention de violence manifeste ». Curieusement, dans la vidéo qui la montre confrontant les gendarmes, aucune « famille avec enfants ou personne âgée » n’est visible…

(6) je ne veux pas jouer au vieux con, mais du temps ou je participais au service d’ordre de la CGT, le gauchiste ou « l’autonome » qui se risquait à casser une vitrine ou un abribus dans une manifestation passait un très mauvais quart d’heure. Car à l’époque, de tels actes étaient considérés comme une provocation qu’il importait de décourager fermement, dans l’intérêt même des manifestants. O tempora, o mores…

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

100 réponses à Zone à défendre ? Non, zone à détruire…

  1. Theisseire Frédéric dit :

    “Et la sécheresse de cette année a montré que les producteurs « bio » sont tout aussi sensibles que l’agriculture intensive.”
    –> l’agriculture labellisée “bio” est aussi une agriculture productiviste et commerciale et, en ce sens, est aussi une agriculture intensive. Il aurait été plus approprié d’utiliser le terme “conventionnelle” à la place d'”intensive” à la fin de la phrase.

    • Descartes dit :

      @ Theisseire Frédéric

      [–> l’agriculture labellisée “bio” est aussi une agriculture productiviste et commerciale et, en ce sens, est aussi une agriculture intensive.]

      J’avoue que je ne comprends pas ce commentaire. Toute agriculture est par essence “productiviste”. Car qu’est ce l’agriculture, sinon une pratique destinée à augmenter la productivité “naturelle” des plantes en sélectionnant les espèces, en les plantant dans les endroits les plus appropriés, en les arrosant et leur fournissant des engrais, en favorisant leur production par des tailles appropriées ? La seule option au “productivisme”, c’est de revenir à la nature, c’est à dire, à la cueillette de ce que les plantes produisent “naturellement”.

      • Theisseire Frédéric dit :

        Je réponds avec retard car n’avais pas vu votre réponse.
        Mon commentaire avait pour but de rappeler qu’il n’y a pas lieu de séparer l’agriculture avec les deux catégories que vous avez employées : “bio” et “intensive”, car ces deux catégories ne sont pas définies selon les mêmes critères. Un peu comme si on disait : “Tous les êtres vivants ont besoin de se nourrir, que ce soient des chats ou bien des animaux”. Le groupe “chat” est inclus dans le groupe “animaux”, comme le groupe “agriculture bio” est inclus dans le groupe “agriculture intensive”.Pourquoi ce rappel ? Car le simple fait de mentionner ces deux catégories induit une confusion chez les lecteurs : celle que l’agriculture “bio” et celle intensive sont différentes, ce qui n’est pas le cas sensus stricto. S’il y a une différence, c’est entre l’agriculture intensive “conventionnelle” et l’agriculture intensive labellisée “bio”.
        Pour info, la principale différence entre l’agriculture intensive “conventionnelle” et l’agriculture intensive labellisée “bio”est que la “conventionnelle” accepte d’utiliser des intrants (pesticides et engrais) inventés et/ou synthétisés par les humains, alors que la “bio” désigne celle qui n’accepte d’utiliser que des pesticides qui existaient déjà avant que les humains n’existent (même s’ils sont synthétisés industriellement, comme le sulfate de cuivre par exemple) et des engrais qui ne sont pas synthétisés par l’industrie.

        • Descartes dit :

          @ Theisseire Frédéric

          [Mon commentaire avait pour but de rappeler qu’il n’y a pas lieu de séparer l’agriculture avec les deux catégories que vous avez employées : “bio” et “intensive”, car ces deux catégories ne sont pas définies selon les mêmes critères.]

          Je n’en suis pas persuadé. La plupart des chartes de production « bio » contiennent des limitations des rendements, soit explicitement, soit implicitement par la renonciation à l’utilisation de certains fertilisants ou produits phytosanitaires. De ce point de vue, on peut dire que la production bio échappe à la production « intensive ».

          [Pour info, la principale différence entre l’agriculture intensive “conventionnelle” et l’agriculture intensive labellisée “bio”est que la “conventionnelle” accepte d’utiliser des intrants (pesticides et engrais) inventés et/ou synthétisés par les humains, alors que la “bio” désigne celle qui n’accepte d’utiliser que des pesticides qui existaient déjà avant que les humains n’existent (même s’ils sont synthétisés industriellement, comme le sulfate de cuivre par exemple) et des engrais qui ne sont pas synthétisés par l’industrie.]

          Oui, mais ce faisant le producteur « bio » accepte sciemment une réduction de la productivité, car les engrais « naturels » et les pesticides « qui existaient avant que les humains n’existent » sont bien moins efficaces. Dans ces conditions, peut-on parler d’agriculture « intensive », dont la caractéristique est précisément la recherche de la plus forte productivité ?

          • Theisseire Frédéric dit :

            Bonjour,La définition de l’agriculture “intensive” par Wikipédia (https://fr.wikipedia.org/wiki/Agriculture_intensive ) est :”L’agriculture intensive est un système de production agricole fondé sur un accroissement de la production agricole optimisé par rapport à la disponibilité des facteurs de production (moyens humains, matériels et surfaces cultivées).“Dans cette définition entre bien l’agriculture labellisée “bio”.Wiki ajoute : “L’agriculture intensive existe dans deux systèmes opposés, l’un traditionnel, l’autre moderne.” Ici, le bio voudrait se rapprocher du “traditionnel” et le “moderne” désignerait l’agriculture conventionnelle.Il est aussi vrai que l’agriculture bio est parfois assimilée à de l’agriculture extensive… Mais alors il faudrait utiliser le terme “extensive” et non “bio”. C’est à ça que je réagissais à la lecture de votre article.
            De plus, si on regarde de plus près (cf mon précédent commentaire), on s’aperçoit qu’il n’y que très peu de différences entre bio et non-bio. D’où ma question : en quoi est-il pertinent de mentionner (et même d’opposer) agriculture bio et non-bio ? Si on veut se pencher sur les différentes modes d’agricultures, la comparaison entre “intensif” (bio, non-bio, etc) et “vivrier” (1,4 milliards d’agriculteurs dans le monde) me semble par exemple plus pertinente.Au delà de ces considérations, je fais un parallèle sémantique entre l’opposition bio/conventionnel et, en santé, à l’opposition médecine allopathique/homéopatique : le mot “allopathique”, qui n’est pratiquement utilisé que par les homéopathes, n’existe que pour valider l’existence de l’homéopathie (ce qui, au passage, la fait se considérer comme une médecine). Le mot “conventionnelle” (ou par erreur “intensive”) n’existe que pour tenter de valider l’existence de l’agriculture bio. Et celle-ci poursuit pourtant les mêmes objectifs : produire de la nourriture en grande quantité pour la vendre (comme, j’espère, l’homéopathe recherche la santé de son patient).Le fait que, comme l’homéopathie, l’agriculture “bio” échoue à prouver son efficacité, tant sur le plan de la santé que sur celui de l’environnement, renforce ce parallèle.[les engrais « naturels » et les pesticides « qui existaient avant que les humains n’existent » sont bien moins efficaces.]C’est souvent vrai et c’est bien un des défauts de l’agriculture bio.Attention cependant, certaines molécules, comme le CuSO4, sont très utilisées également en conventionnel, et sont très efficaces (et même très toxiques aussi).(Question technique : je vous lis depuis quelques années mais je n’ai jamais commenté avant cet article. Y a-t-il un moyen d’avoir une notification en cas de réponse dans le fil de discussion ?)

            • Descartes dit :

              @ Theisseire Frédéric

              Bonjour,La définition de l’agriculture “intensive” par Wikipédia (…) est :”L’agriculture intensive est un système de production agricole fondé sur un accroissement de la production agricole optimisé par rapport à la disponibilité des facteurs de production (moyens humains, matériels et surfaces cultivées).“Dans cette définition entre bien l’agriculture labellisée “bio”.]

              Je ne partage pas : le bio repose en partie sur des pratiques (refus d’utiliser certains produits phytosanitaires ou fertilisants ou des variétés génétiquement modifiées, choix de variétés ou d’espèces rustiques, pratiques agricoles demandant plus de main d’œuvre) dont l’effet est de réduire la productivité. On ne peut donc pas dire que l’agriculture bio cherche un « accroissement de la production agricole optimisée par rapport à la disponibilité des facteurs de production ». Le bio défend l’idée d’un sacrifice quantitatif pour un gain qualitatif. Exactement l’inverse que l’agriculture intensive.

              [De plus, si on regarde de plus près (cf mon précédent commentaire), on s’aperçoit qu’il n’y que très peu de différences entre bio et non-bio. D’où ma question : en quoi est-il pertinent de mentionner (et même d’opposer) agriculture bio et non-bio ?]

              Je n’ai pas compris cette remarque. Je ne suis pas un expert, mais je crois me souvenir que dans les chartes « bio » figure l’interdiction de l’usage de certains produits phytosanitaires ou fertilisants, et celle des OGM. Il me semble donc osé de dire qu’il y a « très peu de différences » entre les deux…

              [Si on veut se pencher sur les différentes modes d’agricultures, la comparaison entre “intensif” (bio, non-bio, etc) et “vivrier” (1,4 milliards d’agriculteurs dans le monde) me semble par exemple plus pertinente.]

              Le propre de l’agriculture vivrière, c’est qu’elle vise à satisfaire les besoins de la famille – ou du village – du cultivateur. C’est donc une catégorie qui n’a pas de rapport avec les méthodes ou les produits utilisés, et les critères d’optimisation.

              [Le mot “conventionnelle” (ou par erreur “intensive”) n’existe que pour tenter de valider l’existence de l’agriculture bio. Et celle-ci poursuit pourtant les mêmes objectifs : produire de la nourriture en grande quantité pour la vendre (comme, j’espère, l’homéopathe recherche la santé de son patient).]

              Je ne suis pas sûr qu’une agriculture qui renonce aux fertilisants minéraux ou aux OGM poursuive comme premier objectif de « produire en grande quantité ».

              [(Question technique : je vous lis depuis quelques années mais je n’ai jamais commenté avant cet article. Y a-t-il un moyen d’avoir une notification en cas de réponse dans le fil de discussion ?)]

              Je ne sais pas, je vais essayer de me renseigner… mais peut-être d’autres lecteurs ont la réponse ?

  2. Vincent dit :

    Un article salutaire !
     
    Un petit commentaire de détail sur les barrages servant à la régulation de la Seine :
    [le débit de la Seine est régulé par des ouvrages hydrauliques, les quatre lacs-réservoirs de Pannecière (construit en 1949), Seine (1966), Marne (1974), et Aube (1990)]
     
    Il y a en réalité plusieurs autres ouvrages qui participent à la régulation de la Seine. Ces 4 ouvrages sont ceux dont le maitre d’Ouvrage initial était le département de la Seine, et leur vocation principale, initialement, était de protéger Paris des crues. Aujourd’hui, la mission de soutien d’étiage est au moins aussi importante.
    Mais d’autres barrages existent dans le bassin versant, qui ont été construits par EDF ou par les VNF, pour d’autres raisons, et qui ont aussi des obligations dans le cadre du soutien d’étiage (Lac des Settons, de Chaumecon, de Crescent, ou de Pont ; je ne suis pas certain que les barrages de Saint Aignan et de Malassis aient aussi une mission de soutien d’étiage).
    Enfin, détail dans le détail : La construction de Pannecière ne peut pas être attribuée au CNR, comme pourrait le laisser penser la date de ‘1949’ : le chantier avait débuté avant la guerre, a été interrompu, et a repris après.
     
    D’un autre côté, même si ce que vous dites sur le bassin de la Loire est vrai :
    – je ne crois pas que la sécheresse de cette année ait été si dramatique qu’on l’a dit dans les médias. Les photos les plus impressionnantes ont été prises sur des bras qui sont asséchés tous les ans,
    – Il existe aussi, sur le bassin de la Loire, des barrages ou lacs importants : Lacs de Villerest, Grangent, Lavalette, ou Naussac.
     
    Ce qui transparait dans ces exemples, c’est qu’est répandue vision erronée de l’écologie : on voit la nature comme quelque chose qui préexistait à l’homme et avait atteint, avant l’arrivée de celui ci, un équilibre et une harmonie qui ont été rompues.
    La réalité est bien différente : déjà, l’homme était présent en ‘France’ il y a plus de 10000 ans, à l’époque des dernières glaciations, quand une calotte glaciaire recouvrait les Alpes jusquà Lyon, et que le reste de la France était couverte d’une sorte de “toundra”. Et pas d’une forêt dense.
    Les forêts sont apparues progressivement, lors du réchauffement, de manière concomitante avec l’élevage et l’agriculture. Et toute une partie des espaces qui sont considérés comme les plus beaux, les plus naturels, ont en réalité été co-façonnés par l’homme. Si on parle, par exemple, des deux principaux refuges pour les oiseaux en France, ce sont les lacs du Der (un des grands lacs de Seine dont vous parliez), et la Camargue… terre qui n’existe qu’en raison des sédiments du Rhône, provenant essentiellement d’une forte érosion des massifs des Cévennes, due à l’abatage des arbres qui s’y trouvaient pas nos ancêtres (le reboisement depuis 1 siècle, pour préserver l’environnement… est largement responsable des menaces d’engloutissement de la Camargue).
    Bref… Il faut admettre que l’homme est légitime pour modeler la nature, puisqu’il l’a de manière fait de tout temps. J’aimerais entendre plus souvent un tel discours !

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [Il y a en réalité plusieurs autres ouvrages qui participent à la régulation de la Seine. Ces 4 ouvrages sont ceux dont le maitre d’Ouvrage initial était le département de la Seine, et leur vocation principale, initialement, était de protéger Paris des crues. Aujourd’hui, la mission de soutien d’étiage est au moins aussi importante.
      Mais d’autres barrages existent dans le bassin versant, qui ont été construits par EDF ou par les VNF, pour d’autres raisons, et qui ont aussi des obligations dans le cadre du soutien d’étiage (Lac des Settons, de Chaumecon, de Crescent, ou de Pont ; je ne suis pas certain que les barrages de Saint Aignan et de Malassis aient aussi une mission de soutien d’étiage).]

      Les quatre ouvrages que j’ai mentionnés sont de très loin les plus importants. Pour donner une idée, le lac de Settons et celui de Chaumeçon ont chacun une capacité de 19 millions de m3, celui du Crescent 14 millions, celui de Pont seulement 6 millions. A côté, Pannecière fait 82 millions de m3, le lac-réservoir Seine 200 millions, le lac-réservoir Aube 170 millions, le lac-réservoir Marne 350 millions.

      [D’un autre côté, même si ce que vous dites sur le bassin de la Loire est vrai :
      – je ne crois pas que la sécheresse de cette année ait été si dramatique qu’on l’a dit dans les médias. Les photos les plus impressionnantes ont été prises sur des bras qui sont asséchés tous les ans,]

      Les gens qui sont chargés du suivi de la biodiversité à l’agence de bassin m’ont dit que l’effet sur la faune a été considérable. Je me fie à leurs analyses.

      [– Il existe aussi, sur le bassin de la Loire, des barrages ou lacs importants : Lacs de Villerest, Grangent, Lavalette, ou Naussac.]

      Beaucoup moins « importants » sur la Seine : Villerest fait il est vrai 170 millions de m3, et Naussac tout autant. Mais Grangent ne fait que 50 millions, et Lavalette seulement 40. Autrement dit, on dispose sur la Loire d’une réserve de 450 millions de m3, alors que sur la Seine on a plus de 860 millions de m3.

      [Ce qui transparait dans ces exemples, c’est qu’est répandue vision erronée de l’écologie : on voit la nature comme quelque chose qui préexistait à l’homme et avait atteint, avant l’arrivée de celui-ci, un équilibre et une harmonie qui ont été rompues.]

      Tout à fait. C’est le romantisme – et tout particulièrement le romantisme allemand – qui a créé cette vision d’une nature harmonieuse et bienveillante, que l’homme serait venu perturber. Bien entendu, la nature n’a rien de « bienveillant », et pendant des millénaires la plus grande lutte de l’homme a été de tenir la nature à distance : il a fallu se protéger des intempéries tout à fait naturelles, éloigner les bêtes féroces elles aussi « naturelles », lutter contre les maladies « naturelles », et essayer d’arracher à la nature – qui ne donne rien gratuitement – de quoi manger. Pour l’homme du temps de Descartes, le fait que la nature était fondamentalement hostile et que l’homme avançait en s’éloignant d’elle était une évidence. Mais au XIXème siècle, on s’était éloigné suffisamment de « l’état de nature » pour pouvoir l’idéaliser sans crainte…

      Aujourd’hui, cette idéalisation domine le discours public jusqu’au ridicule. On trouve même des gens pour vous expliquer que dans la nature les maladies infectieuses n’existaient pas, qu’elles sont la conséquence de l’homme perturbant la nature. Relisez les discours des écologistes au début de la pandémie de Covid-19.

      [Et toute une partie des espaces qui sont considérés comme les plus beaux, les plus naturels, ont en réalité été co-façonnés par l’homme. Si on parle, par exemple, des deux principaux refuges pour les oiseaux en France, ce sont les lacs du Der (un des grands lacs de Seine dont vous parliez), et la Camargue… terre qui n’existe qu’en raison des sédiments du Rhône, provenant essentiellement d’une forte érosion des massifs des Cévennes, due à l’abatage des arbres qui s’y trouvaient pas nos ancêtres (le reboisement depuis 1 siècle, pour préserver l’environnement… est largement responsable des menaces d’engloutissement de la Camargue).]

      Bien entendu. Le paysage « naturel » existe dans d’autres continents, mais en Europe, continent à la population relativement dense depuis très longtemps, il faut vraiment chercher pour le trouver. Depuis des millénaires les hommes ont asséché des marais, construit des canaux et des digues, planté ou coupé des arbres, parsemé le paysage de constructions, depuis les aqueducs romains jusqu’aux lignes haute tension d’EDF.

      [Bref… Il faut admettre que l’homme est légitime pour modeler la nature, puisqu’il l’a de manière fait de tout temps. J’aimerais entendre plus souvent un tel discours !]

      Je ne sais pas si la question se pose en termes de « légitimité ». Les animaux, eux aussi, modifient le paysage. Mais seul l’homme est capable de prévoir les conséquences de ses actes, et par voie de conséquence a une responsabilité. Le castor qui abat un arbre rarissime, le lion qui mange une gazelle d’une espèce en voie d’extinction ne savent pas ce qu’ils font. L’homme si. C’est cette capacité qui fait de lui le « jardinier » de la nature, ou pour reprendre la formule cartésienne, “le maître et possesseur de la nature”.

  3. Gautier dit :

    Bonjour, 
    Mon père était employé à EDF et lorsque le programme des centrales nucléaires a été lancé le plan de construction des grands barrages a été stoppé au grand dam de mon père (dcd en 1979).
    Avez-vous une idée de la liste des projets abandonnés ?

    • Descartes dit :

      @ Gautier

      [Avez-vous une idée de la liste des projets abandonnés ?]

      Je ne me souviens pas qu’on ait arrêté le programme de construction de grands barrages du fait du lancement du programme électronucléaire. Certains grands barrages ont été lancés en même temps que le programme électronucléaire: ainsi, la construction de Grand’Maison débute en 1978, Super-Bissorte en 1980, Montézic en 1976. Le fait est que lorsque le programme nucléaire débute, il ne reste pas beaucoup d’endroits intéressants pour construire de grands équipements. Les projets qui ont été abandonnés, comme Chambonchard, l’ont été à cause de l’opposition des écologistes à partir des années 1990, et non d’une compétition avec le programme électronucléaire.

      • Gautier Pierre-Yves dit :

        Merci pour les infos : j’étais au courant pour Grand Maison mais pas pour les autres

        • ken dit :

          Autre victime des écologistes, le projet de Sainte-Foy-Tarentaise au vallon du Clou.

          • Descartes dit :

            @ ken

            [Autre victime des écologistes, le projet de Sainte-Foy-Tarentaise au vallon du Clou.]

            Là, le dossier est plus discutable. Il ne s’agit pas d’une infrastructure d’intérêt général, mais d’aménagements touristiques…

            • ken dit :

              J’évoque une période antérieure, quand en 1983, EDF veut faire une STEP au vallon du Clou, composée de trois barrages. Des études dans les années 50 étaient concluantes et en 1954, le captage du Nant des Clous fonctionnait. Ce projet sera abandonné fin 1984.
              J’avais rencontré par hasard sur le terrain, le chef de projet. Il déplorait qu’après avoir donné satisfaction aux exigences des écologistes, ces derniers trouvaient toujours à redire…
               

            • Descartes dit :

              @ ken

              [J’évoque une période antérieure, quand en 1983, EDF veut faire une STEP au vallon du Clou, composée de trois barrages. Des études dans les années 50 étaient concluantes et en 1954, le captage du Nant des Clous fonctionnait. Ce projet sera abandonné fin 1984.]

              Vous avez raison, j’avais complètement oublié ce projet, qu’aujourd’hui la CGT est la seule à défendre…

              [J’avais rencontré par hasard sur le terrain, le chef de projet. Il déplorait qu’après avoir donné satisfaction aux exigences des écologistes, ces derniers trouvaient toujours à redire…]

              Ce type d’exercice suppose que les écologistes cherchent à négocier les meilleures conditions possibles d’insertion de l’ouvrage dans le paysage et les écosystèmes. Or, ce n’est pas le cas: l’objectif des écologistes est d’empêcher la réalisation de l’ouvrage. Les “exigences” en question ne sont qu’un moyen. Si le maître d’ouvrage satisfait leurs exigences, ils en trouveront d’autres et cela à l’infini. J’en ai connu, des chefs de projet, qui se sont mis en quatre pour essayer de concilier leur projet avec les demandes des écologistes, et qui se sont fait mener en bateau pendant des années… en fait, pendant le temps qu’il faut pour que la configuration politique permette l’abandon du projet!
               

  4. SCIPIO dit :

    La contestation du nihilisme est largement défendable. celui-ci ne constituant pas un programme ni un projet politique crédible. Cependant je pense que derrière ce nihilisme, dans le monde actuel, il y a autre chose et que la contestation des projets étatiques n’est pas qu’une critique du technicisme. Celle-ci n’étant de toute manière pas une panacée en ce sens qu’un problème politique n’admet pas qu’une solution purement technique.
    Comme vous l’avez rappelé, implicitement, la plupart des grands projets que vous avez cité ont été faits durant les années 60-70 et début des années 80.
    Tous les monde était d’accord et fier aussi (pensons au TGV) de ces projets. Alors pourquoi ce qui ne posait pas problème a commencé à poser fortement problème durant les années 90?
    Je ne peux pas m’empêcher, au delà du fait du changement de génération, de penser qu’il y aurait, en fait l’expression  d’une méfiance du pouvoir politique et donc étatique.
    Qui a proposé les différents projets contestés: les gouvernements du second septennat de Mitterrand (vu la déception du premier), Chirac (l’homme de la fracture sociale), Sarkozy (bafouant la volonté populaire de 2005), Hollande (président socialiste de droite devenu de fait inéligible) et Macron (Guizot du XXI éme siècle).
    Derrière un grand projet étatique, réside aussi la volonté politique (ou une volonté politique) qui est incarné par des hommes politiques et c’est aussi celle-ci et ceux-ci qui sont jugés.

    • Descartes dit :

      @ SCIPIO

      [Cependant je pense que derrière ce nihilisme, dans le monde actuel, il y a autre chose et que la contestation des projets étatiques n’est pas qu’une critique du technicisme. Celle-ci n’étant de toute manière pas une panacée en ce sens qu’un problème politique n’admet pas qu’une solution purement technique.]

      J’ai beaucoup de mal avec ce discours. Même si la technique n’est pas une « panacée », c’est le meilleur remède qu’on a. Les sorcières qui lancent des sorts ont beaucoup moins de chances de trouver les solutions à nos problèmes que les ingénieurs qui construisent des EPR. C’est un peu comme avec la science : la science ne dit pas toujours la vérité, mais elle a plus de probabilité de s’en approcher que n’importe quelle autre méthode.

      Les idéologies ne deviennent pas dominantes par hasard, elles sont l’expression de la lutte des classes. Si l’idéologie anti-scientifique et « critique du technicisme » est devenue dominante, c’est parce qu’elle sert les intérêts d’une classe dominante et justifie ses actions. Vos noterez que chez nous la critique de l’industrie et plus largement de la science deviennent dominantes à un moment où la désindustrialisation de notre pays. Autrement dit, lorsque les classes dominantes liées à l’industrie ont été remplacées par des classes dominantes liées à la finance et aux services.

      [Comme vous l’avez rappelé, implicitement, la plupart des grands projets que vous avez cité ont été faits durant les années 60-70 et début des années 80.]

      Oui, à une époque où la bourgeoisie française était dominée par les empires industriels, qui avaient besoin d’infrastructures de qualité et d’énergie abondante et bon marché. A mon avis, ce n’est pas une coïncidence…

      [Tous les monde était d’accord et fier aussi (pensons au TGV) de ces projets. Alors pourquoi ce qui ne posait pas problème a commencé à poser fortement problème durant les années 90 ?]

      Pour les raisons que j’ai expliquées plus haut : parce que les années 1980-90 ont consacré la prise du pouvoir par les classes intermédiaires alliées à la bourgeoisie financière. Le processus commence à la fin des années 1960, lorsque la croissance commence à ralentir et que les classes intermédiaires constituées pendant les « trente glorieuses » commencent à penser à leur reproduction. Mai 1968 est de ce point de vue significatif : c’est une sorte de « foire aux idéologies nouvelles » qui ont en commun le rejet de la rationalité cartésienne, de la discipline intellectuelle rigoureuse au profit des émotions et des opinions.

      [Je ne peux pas m’empêcher, au-delà du fait du changement de génération, de penser qu’il y aurait, en fait l’expression d’une méfiance du pouvoir politique et donc étatique.]

      Mais une telle explication est un peu du genre « pourquoi votre fille est aveugle ? Parce qu’elle ne voit pas ». Pourquoi se méfie-t-on tout à coup du « pouvoir politique et donc étatique », alors que pendant des années ce fut le contraire ? Le pacte de 1945 entre la bourgeoisie et le prolétariat tenait au fait que tous deux avaient besoin de l’Etat. Pour la bourgeoisie industrielle de l’époque – la bourgeoisie financière avait été laminée par la guerre – le soutien d’un Etat fort était indispensable, que ce soit pour défendre une politique protectionniste, pour accorder des contrats d’équipement ou pour construire des infrastructures. Pour le prolétariat, l’Etat-providence permettait d’acquérir et défendre de nouveaux droits.

      C’est l’irruption des classes intermédiaires et la transformation progressive de la bourgeoisie industrielle en bourgeoisie financière qui a cassé cet équilibre. Pour la bourgeoisie financière et les classes intermédiaires, un Etat fort, capable d’imposer la redistribution et de mettre des obstacles au libre-échange, est un ennemi. Une bourgeoisie qui n’a pas d’usines – ou qui a des usines en Bulgarie ou au Bangladesh – la qualité des infrastructures est secondaire, la formation et la santé de la main d’œuvre ne lui cause aucun souci. Pour des classes intermédiaires essentiellement urbaines, consommatrice de loisirs et travaillant dans les services, l’aménagement du territoire est un coût inutile.

      [Qui a proposé les différents projets contestés : les gouvernements du second septennat de Mitterrand (vu la déception du premier), Chirac (l’homme de la fracture sociale), Sarkozy (bafouant la volonté populaire de 2005), Hollande (président socialiste de droite devenu de fait inéligible) et Macron (Guizot du XXI éme siècle).]

      Je ne vois pas où vous voulez en venir. La trahison des promesses électorales est une constante de la vie politique démocratique. On pourrait étendre votre raisonnement au général De Gaulle (qui a trahi l’Algérie française)… et dont les grands projets n’ont pas eu de problème de crédibilité. Je ne crois pas que les gouvernements de la IVème République, dont on sous-estime systématiquement l’héritage, aient eu plus de crédibilité. La crédibilité de l’Etat et celle de la politique son deux choses très différentes. Si vous relisez l’anecdote que j’ai placé en tête de mon papier, vous verrez que le vieux monsieur manifestait sa confiance non pas au président ou au ministre, mais aux « ingénieurs des Ponts et Chaussées ». Dans sa tête, l’aménagement de la Durance n’était pas l’œuvre du politique, mais de l’Etat.

      Le grand mérite d’un De Gaulle, d’un Pompidou, d’un Giscard – mais aussi d’un Mendes-France sous la IVème République – était de savoir se contenter de fixer un cap, et de laisser les experts et les techniciens travailler ensuite pour trouver les meilleurs moyens de le tenir. Autrement, de préserver la séparation enter ce qui incombe au politique et ce qui incombe à l’Etat en tant que machine administrative et technique.

      Je ne pense pas que les Français aient jamais eu beaucoup de considération pour le politique. Ils sont au contraire assez cyniques quant aux motivations de leurs gouvernants. Mais ils avaient confiance en l’Etat, qui en retour s’efforçait de mériter cette confiance. Cette confiance n’a pas résisté à quarante ans d’affaiblissement, de suppression de postes, de privatisations, de décentralisations successives, de juridisation tatillonne avec la multiplication d’autorités « indépendantes », de réduction permanente des dépenses utiles, de soumission au corset européen. Quand bien même il y aurait un De Gaulle à sa tête, l’Etat n’a plus les moyens de réaliser ce que les ingénieurs des Ponts et Chaussés ont fait pour le vieux monsieur…

      Ce sont ces moyens qu’il faudrait reconstituer. Et pour cela, il faudrait passer sur le corps des classes intermédiaires.

      [Derrière un grand projet étatique, réside aussi la volonté politique (ou une volonté politique) qui est incarné par des hommes politiques et c’est aussi celle-ci et ceux-ci qui sont jugés.]

      Oui, mais comme disait Einstein, c’est 10% d’inspiration et 90% de transpiration. S’il n’y a pas de muscle derrière pour lui donner une réalité, la « volonté politique » tourne à vide. On vote d’autant plus de lois – et de lois plus longues – qu’on ne croit pas à sa capacité à les mettre en œuvre.

  5. DR dit :

    Bonjour !
    Embauché en 1994 à la DE de EDF, au sein de l’ex RET rebaptisé CNEPE, j’ai eu à m’occuper des procédures administratives des Centrales Nucléaires en Production, ainsi que de la fin de la construction de Civaux et des débuts du Carnet…Sur le Carnet, nous y allions en voiture banalisée, les activistes locaux nous envoyant des pierres…J’ai eu des réunions au Ministere de l’Industrie, avec la DRIRE … et on sentait que le projet du Carnet n’allait pas se faire.
    De mon côté, je retiendrais plusieurs choses en complément à ce que vous dites :
    – l’inflation des normes réglementaires. Sur le Carnet, il fallait intégrer les normes françaises (lois, réglements…) et européennes, certaines dont la portée juridique était non définie (ex : portée contraignante d’une zone Natura 2000). Que fait on d’une norme dont la portée contraignante n’est pas définie ? On prie pour qu’un jugement intervienne : car on ne peut même pas s’y préparer.
    – l’inflation des corps de contrôle et hautes autorités diverses,
    – l’inflation des influenceurs (pardon, conseiller de ministres, pardon militants écologistes…) ayant instrumentalisé les questions juridiques, et tel des coucous vivant tranquillement dans l’appareil d’Etat, sans qu’aucune compétence réelle ne leur vaille de tels emplois, 
    – de manière générale l’inflation et le dévoiement du droit, dont profitent sans vergogne les juristes.
    Il est valorisé de faire partie de ses corps, les tâches sont bien payées, tandis que de malheureux opérationnels sont vilipendés, soupçonnés, et luttent désespéramment pour faire avancer leurs sujets.
    C’est encore pire aujourd’hui, les réunions opérationnelles étant polluées par les sujets juridiques (RGPD !).
    On est probablement et insensiblement passé d’une génération de bâtisseurs de cathédrales (nos centrales) à un nouveau clergé complétement idéologisé et dévoyé énonceur de normes.
    On se faisait récemment la réflexion avec un ami de chez PSA du caractère dramatique dans lequel étaient nos industries, soumises des injonctions contradictoires intenables. C’est vrai de l’énergie, de l’industrie, de la restauration collective…
    Tout un méta discours relayé par des médias où personne n’a jamais occupé d’emploi opérationnels fait de la morale à la petite semaine, sans se rendre compte que sans ces activités opérationnels, le pays s’effondrerait.
    Et malheureusement, sans contrefeu, car les opérationnels, eux, sont sur le terrain à essayer de faire avancer leur affaire. Et que les notions de souveraineté, de puissance ne sont défendues par personne.
    A mon sens, la pente va être très dure à relever : qui pour relever le gants d’emplois industriels opérationnels mal payés, mal considérés, en campagne ? personne. Qui pour émettre de la norme à 2 sous, écolo compatible ? Et bien je serai tenté de répondre “toutes les nouvelles promo de ScPo”, mon ancienne école…
     
     

    • Descartes dit :

      @ DR

      [Sur le Carnet, nous y allions en voiture banalisée, les activistes locaux nous envoyant des pierres…J’ai eu des réunions au Ministère de l’Industrie, avec la DRIRE … et on sentait que le projet du Carnet n’allait pas se faire.]

      Une longue série commencée avec l’abandon de Plogoff en 1981. A l’époque on n’a pas compris que cet abandon n’était pas quelque chose de ponctuel, qu’il s’inscrivait dans une transformation économique et politique fondamentale. 1981, c’est le triomphe des classes intermédiaires et de la bourgeoisie financière montante sur la vieille bourgeoisie industrielle façon Pompidou/Giscard. C’est à mon sens à travers ce prisme qu’il faut lire l’abandon successif des différents projets d’infrastructure, et la multiplication concomitante des mécanismes de blocage (réglementation changeante, autorités administratives indépendantes, etc.)

      [De mon côté, je retiendrais plusieurs choses en complément à ce que vous dites : (…)]

      Tout à fait d’accord. La question fondamentale est : à qui profite le crime ?

      [Il est valorisé de faire partie de ses corps, les tâches sont bien payées, tandis que de malheureux opérationnels sont vilipendés, soupçonnés, et luttent désespéramment pour faire avancer leurs sujets.]

      Tout à fait. Le fait que dans l’enseignement universitaire les filières juridiques soient surchargées alors qu’on a de plus en plus de mal à recruter des étudiants dans les filières scientifiques et techniques, au point que des écoles d’ingénieurs prestigieuses deviennent de plus en plus des écoles de commerce déguisées, nous dit beaucoup sur les évolutions en cours. Et je ne parle même pas de la santé insolente du système des IEP…

      [On est probablement et insensiblement passé d’une génération de bâtisseurs de cathédrales (nos centrales) à un nouveau clergé complétement idéologisé et dévoyé énonceur de normes.]

      C’est logique : dans une société obsédée par la recherche de coupables, celui qui empêche prend bien moins de risques que celui qui permet, et ne parlons même pas de celui qui réalise. Un barrage qui n’est pas construit ne tue personne, et ce que vous ne connaissez pas ne vous manque pas. C’est ce que dit le dicton : seuls ceux qui ne font rien ne se trompent jamais.

      La génération des « bâtisseurs de cathédrales » ne reconnaissait en fait que le jugement de leurs pairs, et celui de l’histoire. Ils étaient du coup prêts à défier les préjugés, la démagogie du politique et même la vision étroite du juge. Aujourd’hui, quel est le système de pairs capable de vous protéger ? L’abolition des « grands corps » est de ce point de vue tout à fait dans l’air du temps.

      [Tout un méta discours relayé par des médias où personne n’a jamais occupé d’emploi opérationnels fait de la morale à la petite semaine, sans se rendre compte que sans ces activités opérationnels, le pays s’effondrerait.]

      Tout à fait. Je me souviens avoir lu un rapport du jury de l’ENA où le président constatait qu’interrogés sur ce qu’ils aimeraient faire, la plupart des candidats allait vers le « contrôle des politiques publiques ». Et le président de remarquer qu’avant de contrôler une quelconque politique publique, il fallait la mettre en œuvre… Ces étudiants n’étaient pas responsables, ils ne faisaient que mimer le discours dominant, qui place la fonction de contrôle au-dessus de la fonction opérationnelle.

      [A mon sens, la pente va être très dure à relever : qui pour relever le gants d’emplois industriels opérationnels mal payés, mal considérés, en campagne ? personne. Qui pour émettre de la norme à 2 sous, écolo compatible ? Et bien je serai tenté de répondre « toutes les nouvelles promos de ScPo », mon ancienne école…]

      De toute façon, on pourra remonter la pente seulement lorsque le bloc dominant aura changé de nature…

  6. luc dit :

    Le sujet est difficile.
    Une hypothèse:
    l’esprit de sarcasme en lequel nombre de compatriotes pense trouver l’esprit critique,n’est il pas la source de la confusion entre ces zones à défendre qui se substituent au zone à détruire ?
    Dans ce blog,nombre de contributeurs privilégient l’esprit d’analyse et de propositions ,sérieux et réalistes.L’esprit cartésien d’une certaine façon.
    Or ce nest pas un état d’esprit spontané cet esprit cartésien,contrairement à la’ schade freude’ fondatrice des ZAD,stérile et non productive.Ces ZAD sont utilisées par nos concitoyens écoeurés par nos dirigeants dédaigneux de la parole du peuple comme en 2005 pour le référendum sur la constitution de l’UE.

    • Descartes dit :

      @ luc

      [Ces ZAD sont utilisées par nos concitoyens écœurés par nos dirigeants dédaigneux de la parole du peuple comme en 2005 pour le référendum sur la constitution de l’UE.]

      Je ne crois pas. Après tout, ceux qui soutiennent les zadistes viennent souvent du même camp qui à « dédaigné la parole du peuple ». Qu’est ce qui vous fait penser que Mélenchon, Jadot ou Rousseau ont quelque chose à faire de la « parole du peuple » ?

      • Luc dit :

        [Qu’est ce qui vous fait penser que Mélenchon, Jadot ou Rousseau ont quelque chose à faire de la « parole du peuple”,] ……Simplement…. le jeu théatral du politique oblige le personnel politique a prendre un air sérieux voire pathétique pendant qu’ils son entrain d’égrenner des idioties. Vous avez souligné ici ,avec un talent remarquable,ce travers..Cependant pour Plogoff situé en visibilité de la pointe du Ras et au loin de l’île de Sein,,quelle beauté extraordinaire au milieu des embruns au bout du monde..En serait il ainsi si les tours gigantesques en bèton de refroidissement y avaient été construites aves la centrale ? Et construire une centrale en bord de mer est ce autorisé après Fukoshima ?

        • Descartes dit :

          @ Luc

          [Cependant pour Plogoff situé en visibilité de la pointe du Ras et au loin de l’île de Sein, quelle beauté extraordinaire au milieu des embruns au bout du monde…]

          J’imagine que la colline de l’Acropole avait une beauté sauvage magnifique avant la construction des monuments antiques qui la coiffent. Pourtant, j’ai du mal à me dire que la construction du Parthénon était une mauvaise idée…

          La beauté, comme disent les Anglais, est dans l’œil de celui qui regarde. Je ne trouve pas que les phares construits dans les côtes sauvages enlaidissent le paysage, au contraire. Pas plus que le magnifique ouvrage du viaduc de Millau ou de Garabit, des ponts de Tancarville ou de Normandie. Pourquoi en irait-il autrement pour une centrale nucléaire ? Que l’on exige du constructeur qu’il respecte le lieu, qu’il fasse en sorte que l’objet qu’il construit soit esthétique et s’insère dans le paysage, je suis d’accord. Mais l’idée que le paysage « sauvage » aurait une beauté particulière que la construction humaine ne peut que dégrader… non, je ne suis pas d’accord.

          [En serait-il ainsi si les tours gigantesques en béton de refroidissement y avaient été construites aves la centrale ?]

          Aucune chance. Les centrales en bord de mer sont refroidies en circuit ouvert, et n’ont jamais de tour de refroidissement. Ces tours servent à réduire le débit d’eau pompé sur la source froide, et seules les centrales en bord de rivière, qui sont limitées dans le débit qu’elles peuvent pomper pour refroidir, en ont.

          [Et construire une centrale en bord de mer est ce autorisé après Fukushima ?]

          Bien sur que si. L’accident de Fukushima tient à ce que l’amplitude d’un éventuel tsunami et ses conséquences n’avaient pas été bien anticipées, et non à une impossibilité structurelle. Il ne faut pas oublier qu’il y avait quelques dizaines de km de la centrale de Fukushima Daichi, celle qui a été accidentée, la centrale de Fukushima Daini qui, elle, a parfaitement résisté. De l’accident de Fukushima on a tiré des leçons sur la manière de calculer les installations, et sur les systèmes de sécurité nécessaires pour faire face à un tel accident. Chez nous, cela a conduit à équiper les centrales d’un moteur diesel dit « d’ultime secours », et de mettre en place une « force d’intervention rapide » disposant d’équipements permettant d’assurer le refroidissement d’un réacteur lorsque les systèmes locaux ne fonctionnent plus. Mais on n’en a nullement déduit qu’il ne faudrait pas construire en bord de mer. D’ailleurs, sur les trois sites choisis pour la construction des nouveaux EPR, deux (Penly et Gravelines) sont en bord de mer, sans compter l’EPR de Flamanville…

  7. cdg dit :

    La grosse difference entre 1950 et maintenant, c est qu a l epoque la science etait dotée d une aura positive. On revait d aller sur mars par ex. Maintenant la science est vue comme une auxiliaire de l oppression. Lisez des romans de SF c est frappant.
    Bon pour etre tout a fait honnete, une bonne part des avancees technologiques recentes l ont pas ete pour ameliorer la vie du citoyen moyen mais pour le pister, le controler (le best of etant ce que les chinois ont reussi, et qu au moins une partie de nos dirgeants revent de porter ici (j exagere pas, regardez certains rapports du senat))
    En ce qui concerne les bassines (https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/11/27/dans-la-vienne-un-programme-de-trente-megabassines-lance-en-toute-discretion_6151850_3244.html) c est quand meme nationalisation des pertes, privatisation des profits. Le contribuable paie pour que 120 paysans profitent… Et inutile de dire que la FNSEA se moque des poissons
     
    Pour en revenir a votre idee initiale. Que proposez vous ? passez outre l opinion des locaux en considerant qu ils sont trop cons pour comprendre ? Vous etes conscient que ca risque de deraper et aller jusqu a de vrais sabotages ?
    Personellement je prefererai qu on fasse comme les suisses: des votations. Vous etes contre, vous rassemblez les signatures et on fait un referendum (en suisse vous en avez au niveau de la commune, du canton ou de l etat selon le projet). C est sur que ca prend plus de temps, mais au final tout le monde peut s exprimer et ca evite les emeutes

    • Descartes dit :

      @ cdg

      [La grosse différence entre 1950 et maintenant, c’est qu’à l’époque la science était dotée d’une aura positive. On rêvait d’aller sur mars par ex. Maintenant la science est vue comme une auxiliaire de l’oppression. Lisez des romans de SF c’est frappant.]

      La question est « pourquoi ». Pourquoi la science a changé de statut ? Pourquoi le scientifique, qui était le bon génie, est devenu le mauvais génie ?

      Comme je l’ai dit ailleurs, les idéologies n’apparaissent pas par hasard : leur développement dépend du besoin que peut avoir une couche sociale d’une justification de ses intérêts. La science et la technologie étaient valorisées parce que les intérêts de la bourgeoisie industrielle étaient intimement liés aux développements scientifiques et techniques. Aujourd’hui, la bourgeoisie industrielle a été remplacée par une bourgeoisie financière… qui a d’autres priorités.

      [Bon pour être tout à fait honnête, une bonne part des avancées technologiques récentes l’ont pas été pour améliorer la vie du citoyen moyen mais pour le pister, le controler]

      D’où vous sortez ça ? Pensez par exemple les avancées dans les domaines de la santé, de l’agriculture, de l’aéronautique… en quoi servent-ils à « pister » ou « contrôler » ?

      [En ce qui concerne les bassines (…) c’est quand même nationalisation des pertes, privatisation des profits. Le contribuable paie pour que 120 paysans profitent…]

      Moi j’habite dans un cul de sac. Autrement dit, la route qui arrive dans ma maison ne sert qu’aux gens qui habitent dans ma cité, quelque 150 appartements. Pensez-vous que lorsque la mairie paye l’entretien de cette route pour que 150 foyers en profitent, c’est de la « privatisation des profits et la nationalisation des pertes » ?

      [Pour en revenir à votre idée initiale. Que proposez-vous ? passez outre l’opinion des locaux en considérant qu’ils sont trop cons pour comprendre ?]

      Mais c’est quoi, « tenir compte de l’opinion des locaux ». Ainsi, par exemple, lorsqu’on a fait voter les citoyens de la Loire-Atlantique, ils ont majoritairement voté pour la construction de l’aéroport de Notre Dame des Landes. Si je suis votre raisonnement, il aurait fallu construire l’aéroport ?

      Souvent les « locaux », comme le petit vieux de mon histoire, sont pour les aménagements. Je suis sûr que si vous faites voter les paysans du coin – qui dans leur grande majorité bénéficieront de la réserve d’eau – ils seront d’accord pour la construction. Ceux qui s’y opposent sont souvent des gens venus d’ailleurs…

      [Vous êtes conscient que ça risque de déraper et aller jusqu’à de vrais sabotages ?]

      Vous voulez dire qu’il faut céder aux chantages ? Que dès qu’un groupe menace de « déraper jusqu’à de vrais sabotages », on lui donner satisfaction ? Avec ce genre de raisonnement, on aura effectivement des « vrais sabotages ». Si cela suffit à vous avoir gain de cause, pourquoi se priver ?

      [Personnellement je préfèrerai qu’on fasse comme les suisses: des votations.]

      Et que faites vous de ceux qui n’acceptent pas le résultat de la votation ? Encore une fois, la Loire-Atlantique a voté « oui » à l’aéroport. Pensez-vous que l’Etat aurait dû utiliser la force pour faire exécuter la volonté du peuple sur le terrain ?

      [Vous êtes contre, vous rassemblez les signatures et on fait un referendum (en suisse vous en avez au niveau de la commune, du canton ou de l’état selon le projet). C’est sûr que ça prend plus de temps, mais au final tout le monde peut s’exprimer et ça évite les émeutes]

      Ça n’évite rien du tout. En France, si le référendum donne le « mauvais » résultats, les groupuscules d’opposants refusent de le reconnaître, et puis c’est tout. Est-ce que les « zadistes » de ND des Landes se sont retirés lorsque le référendum sur l’aéroport organisé par le conseil général leur a donné tort ? Vous rêvez…

      Pourquoi n’a-t-il pas eu « d’émeutes » lorsqu’on a construit les centrales nucléaires ou les grands barrages ? Parce qu’à l’époque, on savait que l’Etat ne céderait pas devant l’obstruction d’un groupuscule. S’il y a des émeutes aujourd’hui, c’est parce que les groupuscules savent que l’Etat baissera pavillon.

      • cdg dit :

         
        [La question est « pourquoi ». Pourquoi la science a changé de statut ? Pourquoi le scientifique, qui était le bon génie, est devenu le mauvais génie ?]
        je ne sais pas. Maintenant on a plus d echo negatif. Il y avait avant des ratés (sans aller jusqu aux cathédrales qui s écroulaient, dans les années 50-60 on a eut des barrages qui s effondrent, des essais nucléaire en surface (avec le vent qui va du mauvais coté et renvoie les radiations sur les spectateurs) … Peut être qu on est repus, ou qu on tolère plus le risque : on a arrêté d envoyer des navettes spatiales quand une a explosée. On envoyait des bateaux aux ameriques même si le taux de perte est estimé a 33%)
        [Aujourd’hui, la bourgeoisie industrielle a été remplacée par une bourgeoisie financière… qui a d’autres priorités.]
        je crois que vous prêtez trop d influence a la bourgeoisie (financière ou non). Et même en admettant que celle ci a d autres priorités, en quoi le dénigrement de la science y serait liés ?
        La recherche scientifique ne coûte quasiment rien sur le budget de l état. Même si on y ajoute l ingénierie (les ponts ou les centrales) c est minime par rapport au coût du social. Mais c est vrai que politiquement c est plus facile de ne pas construire un pont que de baisser les APL de 5 €. Ou c ets plus facile de se faire mousser en offrant des tampax qu en construisant un barrage (que votre successeur inaugurera)
        [[Bon pour être tout à fait honnête, une bonne part des avancées technologiques récentes l’ont pas été pour améliorer la vie du citoyen moyen mais pour le pister, le controler]
        D’où vous sortez ça ? Pensez par exemple les avancées dans les domaines de la santé, de l’agriculture, de l’aéronautique… en quoi servent-ils à « pister » ou « contrôler » ?]
        La grosse avancée des 20 dernières années c est quand même internet et la digitalisation. Les avancées dans l aéronautique ont été mineures (les commandes de vol électrique ?). Pour la santé je suis pas compétant mais je vois pas de gros progrès. Si j étais méchant je dirais qu on permet a des gens grabataires de vivre plus longtemps sur leur chaise percée
        En ce qui concerne internet (ce qui est quand même plus mon domaine), c était au début un espace de liberté supplémentaire (regardez votre blog, vous avez une audience bien plus grande que sans a moyens constant). Mais ça l est de moins en moins. La technologie permet de faire des choses qui étaient impossible avant car trop consommatrices de ressource. Vous avez un téléphone portable ? On sait a tout moment ou vous êtes (un telephone de base via votre opérateur, un smartphone moucharde votre position GPS a Facebook, Google ou Apple).
        C est juste une question de temps pour que ces données soient vendues (je suis prêt a parier que c est déjà fait). Aux USA ils ont déjà des cas de personnes dont les crédits ont été refusés a cause de l endroit ou ils faisaient leurs courses …
         
        [Moi j’habite dans un cul de sac. Autrement dit, la route qui arrive dans ma maison ne sert qu’aux gens qui habitent dans ma cité, quelque 150 appartements. Pensez-vous que lorsque la mairie paye l’entretien de cette route pour que 150 foyers en profitent, c’est de la « privatisation des profits et la nationalisation des pertes » ?]
        Si on construit une 2*2 voies (vu le montant en jeu) avec une barrière afin que personne d autre ne puisse passer autre que les 150 personnes, oui c est “nationalisation des couts, privatisation des profits”.
        On parle ici de 30 réservoirs pour 120 paysans. Soit si on garde votre comparaison ça fait une route pour 4 personnes … La comparaison serait plus juste avec une route pour une usine. Le contribuable peut payer, mais après comment justifier que l usine en question refuse de payer des impôts et demande des subventions (ce qui est un classique de la FNSEA).
        Et qu on ne parle pas de protection de l environnement, la FNSEA s en moque complètement et n hésitera pas a mettre un fleuve a sec.
        C est d ailleurs la limite de ce raisonnement. Si on admet qu on fait fasse a un changement climatique, doit on dépenser l argent a retarder l echeance (qui arrivera de toute façon) ou a s adapter aux nouvelles conditions (ce qui veut par ex dire changer de méthode d irrigation ou de plantation. On va peut être faire pousser de la vigne en Angleterre et des oranges a Bordeaux …)
         
        [Ainsi, par exemple, lorsqu’on a fait voter les citoyens de la Loire-Atlantique, ils ont majoritairement voté pour la construction de l’aéroport de Notre Dame des Landes. Si je suis votre raisonnement, il aurait fallu construire l’aéroport ?]
        si un referendum donne un oui, il faut le faire. Par contre il faut être honnête et pas ne faire voter que ceux que ça arrange. Par ex, pour les JO, il y eut un referendum en suisse. C était le canton qui finançait et donc tout le canton a pu voter (et le résultat a été non). Si vous auriez fait voter juste les stations qui auraient eut les manifestations, le résultat aurait été différent : on est toujours généreux avec l argent des autres ;-).
        Vous allez m objecter que dans ce cas, aucun projet ne passe car personne en veut payer. C est pas le cas, par ex https://www.srf.ch/news/regional/ostschweiz/abstimmung-alstaetten-2-5-millionen-fuer-geschichte-und-kultur (desolé en allemand, c est 2.5 millions pour un batiment culturel dans une petite ville, donc pas un pourcentage infime du budget)
        [Vous voulez dire qu’il faut céder aux chantages ? Que dès qu’un groupe menace de « déraper jusqu’à de vrais sabotages », on lui donner satisfaction ? Avec ce genre de raisonnement, on aura effectivement des « vrais sabotages ». Si cela suffit à vous avoir gain de cause, pourquoi se priver ?]
        Je pense qu en France on a encore une culture démocratique qui fait que la minorité n ira pas prendre les armes si elle perd. Et si c est le cas, je ne vois aucun problème a ce qu il y est répression et prison. Par contre si dès que quelqu un conteste, on lui répond qu il n a qu a se taire et obéir, la on va forcement avoir des tensions, qui a un moment peuvent dégénérer. Si le projet est bon, je pense que vous pouvez convaincre l immense majorité des gens. Si votre argument majeur c est ma matraque et la contrainte, celui qui s oppose va être un résistant et non pas un abruti arriéré.
        Le système suisse a mon avis a fait ses preuves. Le temps de décision est plus long qu en France mais vous avez pas de ZAD ou de projets juste pour servir de rampe de lancement a un politicien (qui a d ailleurs fait piteusement 3%)
        [Pourquoi n’a-t-il pas eu « d’émeutes » lorsqu’on a construit les centrales nucléaires ou les grands barrages ? Parce qu’à l’époque, on savait que l’Etat ne céderait pas devant l’obstruction d’un groupuscule.]
        Il me semble qu a plogoff il y avait eut de grosses manifs. A l inverse pas de manif a Flammanville ou pour Iter a ma connaissance. Vous aurez toujours des illuminés ou des gens malhonnêtes qui veulent en profiter (genre J Dray). Mais pour que la mayonnaise prenne, il faut un minimum de crédibilité. C est la ou un débat sur les + et – du projet permet de dégonfler la baudruche.
         

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [Peut être qu on est repus, ou qu on tolère plus le risque : on a arrêté d’envoyer des navettes spatiales quand une a explosée. On envoyait des bateaux aux Amériques même si le taux de perte est estimé a 33%)]

          Ce que vous dites vaut pour les technologies, et encore, il y en a beaucoup qui sont sans risque. Mais pourquoi la science ?

          [« Aujourd’hui, la bourgeoisie industrielle a été remplacée par une bourgeoisie financière… qui a d’autres priorités. » je crois que vous prêtez trop d’influence a la bourgeoisie (financière ou non).]

          C’est tout de même la classe dominante, non ? Aujourd’hui, elle partage le pouvoir avec les classes intermédiaires, mais cela ne change rien au fait que c’est elle d’abord qui occupe la place dominante.

          [Et même en admettant que celle-ci a d’autres priorités, en quoi le dénigrement de la science y serait lié ? La recherche scientifique ne coûte quasiment rien sur le budget de l’Etat. Même si on y ajoute l’ingénierie (les ponts ou les centrales) c est minime par rapport au coût du social.]

          Ah… mais je n’ai jamais dit que ce fut une question de coût. Le fait est que les sorcières qui jettent des sorts ont beaucoup moins de chances de renverser l’ordre établi – celui de la bourgeoisie – que les ingénieurs capables de construire des EPR. Ce n’est pas une coïncidence si la science a toujours été promue par les révolutionnaires et conchiée par les réactionnaires… le savoir scientifique, c’est un instrument d’émancipation, et en tant que tel, dangereux pour n’importe quelle classe dominante.

          [La grosse avancée des 20 dernières années c’est quand même internet et la digitalisation.]

          La grosse avancée technologique, sans doute. Mais la digitalisation n’est que l’aboutissement des révolutions scientifiques dont la grande majorité date d’avant 1945.

          [Pour la santé je ne suis pas compétent mais je ne vois pas de gros progrès. Si j’étais méchant je dirais qu’on permet à des gens grabataires de vivre plus longtemps sur leur chaise percée]

          Méchant et ignorant, parce que ce que vous dites-là c’est une bêtise. Quand je compare mon état de santé à celui de mes parents ou mes grands parents au même âge, je peux vous assurer que je vois la différence. Et je peux vous assurer que je ne suis en rien « grabataire », alors qu’eux, ils l’étaient ou presque !

          [En ce qui concerne internet (ce qui est quand même plus mon domaine), c’était au début un espace de liberté supplémentaire (regardez votre blog, vous avez une audience bien plus grande que sans a moyens constant).]

          Je ne sais pas. Avant l’internet, j’écrivais des articles dans un journal local. Et je pense qu’à l’époque mes écrits avaient bien plus d’influence sur les évènements que ceux que je peux proférer aujourd’hui… vous savez, quelquefois la dictature du « ferme ta gueule » est préférable à la démocratie du « cause toujours »… et quand les dominants vous laissent parler contre eux, c’est en général parce que vous ne représentez aucun danger.

          [« Moi j’habite dans un cul de sac. Autrement dit, la route qui arrive dans ma maison ne sert qu’aux gens qui habitent dans ma cité, quelque 150 appartements. Pensez-vous que lorsque la mairie paye l’entretien de cette route pour que 150 foyers en profitent, c’est de la « privatisation des profits et la nationalisation des pertes » ? » Si on construit une 2*2 voies (vu le montant en jeu) avec une barrière afin que personne d’autre ne puisse passer autre que les 150 personnes, oui c’est “nationalisation des couts, privatisation des profits”.]

          Mais vous ne répondez pas à ma question. Est-ce que construire une rue toute simple pour que seuls 150 foyers profitent n’est pas une « privatisation des profits, nationalisation des pertes » ?

          [On parle ici de 30 réservoirs pour 120 paysans. Soit si on garde votre comparaison ça fait une route pour 4 personnes …]

          A partir de combien d’agriculteurs considéreriez-vous que le réservoir se justifie ? Même question pour la route.

          [La comparaison serait plus juste avec une route pour une usine. Le contribuable peut payer, mais après comment justifier que l’usine en question refuse de payer des impôts et demande des subventions (ce qui est un classique de la FNSEA).]

          N’exagérons rien. A l’heure de refuser de payer des impôts, la FNSEA n’est guère plus virulente que le MEDEF. Et pourtant, c’est l’Etat qui paye les routes qui raccordent les usines…

          [Et qu’on ne parle pas de protection de l’environnement, la FNSEA s’en moque complètement et n’hésitera pas à mettre un fleuve à sec.]

          Je ne crois pas avoir parlé de protection de l’environnement à propos de la FNSEA.

          C’est d’ailleurs la limite de ce raisonnement. Si on admet qu’on fait face a un changement climatique, doit on dépenser l’argent a retarder l’échéance (qui arrivera de toute façon) ou a s’adapter aux nouvelles conditions (ce qui veut par ex dire changer de méthode d’irrigation ou de plantation. On va peut-être faire pousser de la vigne en Angleterre et des oranges a Bordeaux …)]

          Construire des bassines ou des retenues collinaires, c’est une façon de « changer les méthodes d’irrigation », non ?

          [Vous allez m objecter que dans ce cas, aucun projet ne passe car personne en veut payer.]

          En France, ce serait le contraire. Comme l’essentiel des impôts chez nous sont nationaux, il faudrait faire voter l’ensemble des Français. Et je pense qu’un référendum sur Notre Dame des Landes serait bien plus facile à gagner sur le plan national que sur le plan local. Je vous objecterai surtout que si vous proposez que seuls votent ceux qui payent, alors faut vous appelez à rétablir le suffrage censitaire.

          [Je pense qu’en France on a encore une culture démocratique qui fait que la minorité n’ira pas prendre les armes si elle perd.]

          C’est tout de même ce qu’a fait la « minorité » des zadistes de Notre Dame des Landes, non ?

          [Et si c’est le cas, je ne vois aucun problème à ce qu’il y est répression et prison.]

          A ND des Landes, c’est l’inverse qui s’est passé. Les violents ont eu gain de cause, les pacifiques ont été se rhabiller avec leurs urnes…

          [Si le projet est bon, je pense que vous pouvez convaincre l’immense majorité des gens.]

          Si votre projet est « bon » pour qui ? Vous savez, si vous avez contre vous les classes intermédiaires, et donc les médias, l’Ecole, l’Université, vous aurez beaucoup de mal à convaincre « l’immense majorité » qu’il fait jour à midi. Mais à supposer même que vous y arriviez, le fait d’avoir convaincu la majorité des gens ne vous sera d’aucun secours si vous avez devant vous une minorité décidée à aller jusqu’au bout, et que la majorité, tout en étant convaincue des mérites de votre projet, n’est pas prête à utiliser les grands moyens pour le mener à bien.

          [Le système suisse à mon avis a fait ses preuves.]

          Oui, dans un pays très riche, au territoire morcelé en petites unités autonomes. Mais pourquoi pensez-vous que ce genre de modèle, qui selon vous a « fait ses preuves », ne se soit généralisé dans aucun grand pays ?

          [Le temps de décision est plus long qu’en France mais vous n’avez pas de ZAD ou de projets juste pour servir de rampe de lancement a un politicien (qui a d’ailleurs fait piteusement 3%)]

          Mais les décisions prises sont-elles meilleures ? Je ne vois pas qu’on réalise plus de grands projets en Suisse qu’en France…

          [« Pourquoi n’a-t-il pas eu « d’émeutes » lorsqu’on a construit les centrales nucléaires ou les grands barrages ? Parce qu’à l’époque, on savait que l’Etat ne céderait pas devant l’obstruction d’un groupuscule. » Il me semble qu’à Plogoff il y avait eu de grosses manifs. A l’inverse pas de manif a Flamanville ou pour Iter à ma connaissance.]

          Vous noterez que Flamanville et Iter ont été construits sur des sites nucléaires existants, ce qui n’était pas le cas de Plogoff. Or, construire sur un site déjà nucléarisé est beaucoup plus facile, parce que les populations locales sont acquises au nucléaire, d’une part parce qu’elles ont expérimenté eux-mêmes le fait qu’il n’y a pas de nuisances, et d’autre part parce qu’ils bénéficient des retombées économiques.

          Quant aux manifestations, elles avaient été bien plus importantes et violentes contre Superphénix, et le réacteur a été construit quand même. Lorsque le projet de construire à Plogoff est lancé, l’élection de 1978 a eu lieu, et on voit bien que l’Etat est prêt à tout céder – il le fera dès que Mitterrand aura été élu.

          • Simon dit :

            Cher Descartes, les suisses font plus de projets que nous, et mieux gérés, en matière ferroviaire.
            Il y a des votations, et une fois le projet voté, l’on ne revient pas dessus.
            Ainsi, ils ont pu construire les NLFA (Nouvelles Lignes Ferroviaires à travers les Alpes) sans opposition, et avec une stratégie : les camions sur les trains plutôt que sur les routes, en taxant les camions sur les routes et en développant le fret ferroviaire. En France, il n’y a tout simplement pas de stratégie ferroviaire (ou alors des incantations de type “faire de l’ultra mass transit à 99% de ponctualité car ça marche à Hong-Kong”)
             
            En Suisse, une vraie stratégie, des objectifs, des moyens au service de ces objectifs, et une fois voté cela avance (certes, avec des subventions au réseau 10 fois plus élevées qu’en France de mémoire, et surtout avec une rigueur d’exploitation qui rend impossible la copie directe du modèle).

            • Descartes dit :

              @ Simon

              [Cher Descartes, les suisses font plus de projets que nous, et mieux gérés, en matière ferroviaire.]

              Je ne connais pas de TGV ou de Concorde suisse. Pourriez-vous élaborer ? Quels sont les derniers grands projets d’équipement adoptés par votation ?

              [Il y a des votations, et une fois le projet voté, l’on ne revient pas dessus.]

              Vous voulez dire qu’aucun projet voté n’a jamais été remis en cause ? Vous en êtes sûr ? Prenons par exemple le référendum du 9 février 2014, dans lequel les suisses votent pour une politique d’immigration restrictive qui remet en cause les accords de libre circulation avec l’Union européenne. Une politique qui risque de coûter très cher à l’économie suisse… In fine, les accords avec l’UE ne seront pas remis en cause, et les modifications de la politique d’immigration seront cosmétiques.

              Il ne faudrait pas trop idéaliser le système suisse. Comme souvent, on cache derrière une procédure qui est FORMELLEMENT démocratique des fonctionnements qui SUBSTANTIELLEMENT le sont beaucoup moins.

              [Ainsi, ils ont pu construire les NLFA (Nouvelles Lignes Ferroviaires à travers les Alpes) sans opposition,]

              C’est inexact : les Verts suisses se sont opposés au projet. J’ajoute que la construction de tunnels ferroviaires déclenche rarement les passions : en France aussi on a construit à la même époque le tunnel sous la Manche sans grabuge. Et accessoirement, à côté des dérives du projet en termes de délais, nous n’avons pas à rougir de notre bon vieux EPR de Flamanville…

              [En Suisse, une vraie stratégie, des objectifs, des moyens au service de ces objectifs, et une fois voté cela avance]

              Il est beaucoup plus facile de définir une stratégie dans un petit pays montagnard que dans un grand pays qui mélange toutes sortes de situations, et donc d’intérêts contradictoires. Définir une stratégie qui plaise à tous les Savoyards, c’est bien plus aisé que d’en définir une qui plaise à tous les Français…

              [(certes, avec des subventions au réseau 10 fois plus élevées qu’en France de mémoire, et surtout avec une rigueur d’exploitation qui rend impossible la copie directe du modèle).]

              Que voulez-vous, l’argent ne fait pas le bonheur… de ceux qui ne l’ont pas.

          • cdg dit :

             
            [Ah… mais je n’ai jamais dit que ce fut une question de coût. Le fait est que les sorcières qui jettent des sorts ont beaucoup moins de chances de renverser l’ordre établi – celui de la bourgeoisie – que les ingénieurs capables de construire des EPR.]
            La ca reste a voir. Deja je suis pas sur que les ingenieurs soeint particulierement revolutionnaires et a l opposé sous sous estimez les forces de l obscurantisme. La religion, la superstition sont des moteurs puissants. Khomeni est arrivé au pouvoir grace a ca. Faites trembler le peuple, dites lui qu il risque d aller rotir en enfer et il vous suivra !
            [[La grosse avancée des 20 dernières années c’est quand même internet et la digitalisation.]
            La grosse avancée technologique, sans doute. Mais la digitalisation n’est que l’aboutissement des révolutions scientifiques dont la grande majorité date d’avant 1945. ]
            Pas vraiment. La digitalisation sur le plan theorique c est l algebre de boole, soit le XIX. Sur le plan technique c est les microprocesseurs (annees 70) TCP/IP (annees 60) et surtout la diffusion massive de PC (IBM PC c est 1981)
             
            [Méchant et ignorant, parce que ce que vous dites-là c’est une bêtise. Quand je compare mon état de santé à celui de mes parents ou mes grands parents au même âge, je peux vous assurer que je vois la différence. ]
            Est ce que c est du a la medecine ou tout simplement au fait que nous avons une vie bien meilleure. Mes grands parents ont connu la faim, ont du travailler a la ferme dès l enfance. L eau courante, les salles de bains etaient inconnues. Forcement ca laisse des traces et on avait des gens qui arrivaient usés a 60 ans. Pouvez vous me citer une seule invention medicale majeure dans ces 30 dernieres annees, comme par ex les antibiotiques dans les annees 40 ?
            [Mais vous ne répondez pas à ma question. Est-ce que construire une rue toute simple pour que seuls 150 foyers profitent n’est pas une « privatisation des profits, nationalisation des pertes » ?]
            non a partir du moment ou tout le monde peut emprunter la rue. Si vous barrez la rue pour que seul les habitants puissent s y garer par ex, c est « privatisation des profits, nationalisation des pertes ». Les bassines en question etaient al usage exclusif d une poignee de paysans
            [N’exagérons rien. A l’heure de refuser de payer des impôts, la FNSEA n’est guère plus virulente que le MEDEF. Et pourtant, c’est l’Etat qui paye les routes qui raccordent les usines…]
            J ai encore jamais vu des patrons remplir de purin une sous prefecture. Que le Medef essaie de payer moins d impots est une chose, mais les blocage de route et les emeutes c est pas leur methode
             
            [Je ne crois pas avoir parlé de protection de l’environnement à propos de la FNSEA.]
            Vous evoquiez la loire et le fait que la faune & flore a ete decimée par la secheresse. Si bassines ils y a, la FNSEA refusera d utiliser de l eau pour sauver des poissons. On peut meme arriver a des situations conflictuelles inter-paysans si l eau retenues en aval est necessaire en amont ou pompée dans les nappes (ce qui etait d apres ce que j ai lu la facon de les remplir)
            [Construire des bassines ou des retenues collinaires, c’est une façon de « changer les méthodes d’irrigation », non ?]
            Non, c est faire pareil mais simplement aller chercher l eau ailleurs. Changer les methode d irrigation serait mettre du goutte a goutte
            [Comme l’essentiel des impôts chez nous sont nationaux, il faudrait faire voter l’ensemble des Français. Et je pense qu’un référendum sur Notre Dame des Landes serait bien plus facile à gagner sur le plan national que sur le plan local.]
            je suis pas un specialiste de notre dames des landes mais il me semblait que c etait l aeroport de Nantes. Pourquoi diable etait il financé par l etat et non la ville & region ? On est pas dans une region desherité la ! Je suppose ici que le financement de l etat etait conséquent et non juste symbolique. Et de memoire c etait un PPP (une autre heresie) qui fait que le financement devait venir du privé
            [Je vous objecterai surtout que si vous proposez que seuls votent ceux qui payent, alors faut vous appelez à rétablir le suffrage censitaire. ]
            C est quand meme pas a vous que je vais apprendre que l impot ne se resume pas a l IR ! L IR est meme qu une partie tres faible des recettes de l etat. Je vais meme vous faire une confidence. Je serai pour un IR plus musclé et moins de cotisation sociales ou de TVA. Histoire que les gens comprennent que l etat c est pas gratuit
            [Oui, dans un pays très riche, au territoire morcelé en petites unités autonomes. Mais pourquoi pensez-vous que ce genre de modèle, qui selon vous a « fait ses preuves », ne se soit généralisé dans aucun grand pays ?]
            Quel dirigeant francais et quelle administration est volontaire pour se saborder ?
            Mais si la suisse est assez unique (un pays avec 4 langue officielles, 2 religions …) vous avez des pays qui sont quand meme bien moins centralisé que la France. La RFA par ex
            [Mais les décisions prises sont-elles meilleures ? Je ne vois pas qu’on réalise plus de grands projets en Suisse qu’en France…]
            Le tunnel du gothard en 2020 (https://fr.wikipedia.org/wiki/Tunnel_de_base_du_Saint-Gothard) . Un autre commentateur vous la deja signalé
            La suisse etant un petit pays, c est sur qu ils vont avoir du mal a envoyer un homme sur mars ou meme un concorde alors qu ils ont aucune tradition aeronautique (surtout que le concorde s appuyait sur du militaire, pour les reacteurs par ex)
             
            [Lorsque le projet de construire à Plogoff est lancé, l’élection de 1978 a eu lieu, et on voit bien que l’Etat est prêt à tout céder – il le fera dès que Mitterrand aura été élu.]
            Ca c est une interpretation a posteriori. En 78 il etait pas evident que Mitterrand soit elu (c etait un loser a l epoque : il avait déjà perdu 2 fois). Et en 81 je me rappelle des affiches electorales de giscard avec un casque de chantier et un reacteur nucleaire en arriere plan (en fait c etait une tour de refroidissement mais qui faisait la distinction?). Une reelection de giscard aurait signifié la continuation du programme.
             
             

            • Descartes dit :

              @ cdg

              [« Ah… mais je n’ai jamais dit que ce fut une question de coût. Le fait est que les sorcières qui jettent des sorts ont beaucoup moins de chances de renverser l’ordre établi – celui de la bourgeoisie – que les ingénieurs capables de construire des EPR. » La ça reste à voir. Déjà je ne suis pas sûr que les ingénieurs soient particulièrement révolutionnaires (…)]

              En tout cas, ils ont été souvent très actifs dans les phases de consolidation des révolutions. Ce fut le cas en France, où les ingénieurs ont été bonapartistes, en URSS ou le régime soviétique naissant s’est massivement appuyé sur eux…

              [(…) et a l’opposé sous sous-estimez les forces de l’obscurantisme. La religion, la superstition sont des moteurs puissants. Khomeni est arrivé au pouvoir grâce à ça.]

              Je n’en doute pas. Mais ici on parlait de « renverser l’ordre établi – celui de la bourgeoisie ». Je doute que l’arrivée de Khomeini aux affaires ait été très négative pour les affaires de la bourgeoisie iranienne.

              [« La grosse avancée technologique, sans doute. Mais la digitalisation n’est que l’aboutissement des révolutions scientifiques dont la grande majorité date d’avant 1945. » Pas vraiment. La digitalisation sur le plan théorique c’est l’algèbre de boole, soit le XIX.]

              Pourquoi dites-vous « pas vraiment », alors que vous dites la même chose que moi ? Oui, la digitalisation repose sur des bases scientifiques antérieures à 1945. Je pensais à l’algèbre de Boole, mais aussi au résultat fondamental pour le passage de l’analogique au digital qu’est le théorème d’échantillonnage (dit de Shannon-Nyquist, et dont la première démonstration est due à Wittaker en 1914).

              [« Méchant et ignorant, parce que ce que vous dites-là c’est une bêtise. Quand je compare mon état de santé à celui de mes parents ou mes grands-parents au même âge, je peux vous assurer que je vois la différence. » Est ce que c’est dû à la médecine ou tout simplement au fait que nous avons une vie bien meilleure.]

              Les deux, mon général. Ma grand-mère a trainé toute sa vie un problème cardiaque, séquelle d’une rubéole je crois. Aujourd’hui, nous avons un vaccin. A mon âge, mon grand-père avait une artériosclérose qui aujourd’hui aurait été efficacement traitée. Après, il y a des choses qui sont à la limite de la médecine et des conditions de vie. La fluoration de l’eau, par exemple, grâce à laquelle j’arrive avec toutes mes dents à un âge où mes grands parents avaient déjà perdu les leurs !

              Bien entendu, les conditions de vie se sont beaucoup améliorées, notamment pour ce qui concerne le contrôle sanitaire des aliments. Mais là encore, c’est grâce aux découvertes de la médecine que ce contrôle sanitaire a été rendu possible.

              [Pouvez-vous me citer une seule invention médicale majeure dans ces 30 dernières années, comme par ex les antibiotiques dans les années 40 ?]

              Les antirétroviraux. Les vaccins contre le paludisme.

              [« Mais vous ne répondez pas à ma question. Est-ce que construire une rue toute simple pour que seuls 150 foyers profitent n’est pas une « privatisation des profits, nationalisation des pertes » ? » non à partir du moment où tout le monde peut emprunter la rue.]

              Si c’est un cul de sac – ce qui était bien mentionné dans mon exemple – seuls les gens ayant affaire chez les 150 foyers emprunteront la voie, même si EN THEORIE tout le monde peut le faire.

              [Les bassines en question étaient al usage exclusif d’une poignée de paysans]

              Une rue qui conduit à un cul de sac est à l’usage exclusif des habitants du cul de sac…

              [« N’exagérons rien. A l’heure de refuser de payer des impôts, la FNSEA n’est guère plus virulente que le MEDEF. Et pourtant, c’est l’Etat qui paye les routes qui raccordent les usines… » Je n’ai encore jamais vu des patrons remplir de purin une sous-préfecture. Que le Medef essaie de payer moins d’impôts est une chose, mais les blocages de route et les émeutes ce n’est pas leur méthode]

              Parce qu’ils n’en ont pas besoin. Pourquoi s’embêter à remplir de purin une sous-préfecture, alors qu’un simple coup de téléphone vous permet d’obtenir du gouvernement tout ce que vous désirez ? Mais quand les patrons ont besoin de l’émeute pour se faire entendre, ils n’hésitent pas. Souvenez-vous de la grève des transporteurs routiers…

              [« Je ne crois pas avoir parlé de protection de l’environnement à propos de la FNSEA. » Vous évoquiez la Loire et le fait que la faune & flore a été décimée par la sécheresse. Si bassines ils y a, la FNSEA refusera d’utiliser de l’eau pour sauver des poissons.]

              J’ai parlé de la Loire et de ses poissons à propos de la construction des barrages de régulation. Les mégabassines, tout méga qu’elles soient, sont beaucoup trop petites pour faire une différence lorsqu’il s’agit de maintenir l’étiage sur un fleuve…

              [je suis pas un spécialiste de notre dames des landes mais il me semblait que c’était l’aéroport de Nantes. Pourquoi diable était-il financé par l’état et non la ville & region ?]

              D’où sortez-vous que l’aéroport était financé par l’Etat ? A ma connaissance, ce sont les collectivités locales (ville et régions) qui financent 21%, le concessionnaire à hauteur de 56%, et l’Etat seulement 24%. Que l’Etat contribue aux tours de table de ce genre d’équipements me semble une bonne chose : ce genre d’infrastructure a des effets sur l’équilibre des territoires, et sa participation permet à l’Etat de faire valoir des priorités nationales et d’aménagement du territoire.

              [Je suppose ici que le financement de l etat etait conséquent et non juste symbolique. Et de memoire c etait un PPP (une autre heresie) qui fait que le financement devait venir du privé]

              Non. Ce n’était pas un PPP, mais une concession de service public, ce qui n’a rien d’une hérésie. C’est d’ailleurs le cas de la plupart des aéroports d’intérêt régional.

              [« Je vous objecterai surtout que si vous proposez que seuls votent ceux qui payent, alors faut vous appelez à rétablir le suffrage censitaire. » Ce n’est quand même pas à vous que je vais apprendre que l’impôt ne se résume pas à l’IR ! L’IR est même qu’une partie très faible des recettes de l’etat.]

              Mais dans ce cas, ce n’est pas à vous que je vais apprendre que les impôts locaux ne représentent qu’une partie relativement faible des ressources des collectivités locales. Autrement dit, l’essentiel des projets locaux est payé par des impôts nationaux… et du coup, toute votation sur un projet local devrait consulter l’ensemble des Français…

              [Je vais même vous faire une confidence. Je serai pour un IR plus musclé et moins de cotisations sociales ou de TVA. Histoire que les gens comprennent que l’état ce n’est pas gratuit]

              Ca pose un petit problème : si vous musclez l’IR, vous encouragez la fraude des plus riches – qui ont les moyens de l’organiser – et vous finissez par faire peser l’essentiel sur les revenus moyens. L’avantage des impôts indirects, c’est qu’ils sont plus faciles à contrôler. Personnellement, je pense que du point de vue pédagogique, il vaudrait mieux créer une « carte de contribuable » donnant à tous ceux qui payent des impôts en France le droit à des réductions dans les services publics.

              [« Oui, dans un pays très riche, au territoire morcelé en petites unités autonomes. Mais pourquoi pensez-vous que ce genre de modèle, qui selon vous a « fait ses preuves », ne se soit généralisé dans aucun grand pays ? » Quel dirigeant français et quelle administration est volontaire pour se saborder ?]

              Cela vaut autant pour la France que pour la Suisse…

              [Mais si la suisse est assez unique (un pays avec 4 langue officielles, 2 religions …) vous avez des pays qui sont quand même bien moins centralisé que la France. La RFA par ex]

              Je ne vois pas bien le rapport avec la centralisation. On parlait ici de la question des votations, non ?

              [« Mais les décisions prises sont-elles meilleures ? Je ne vois pas qu’on réalise plus de grands projets en Suisse qu’en France… » Le tunnel du gothard en 2020]

              En France, on a fait le tunnel sous la Manche. Et alors ?

              [« Lorsque le projet de construire à Plogoff est lancé, l’élection de 1978 a eu lieu, et on voit bien que l’Etat est prêt à tout céder – il le fera dès que Mitterrand aura été élu. » Ca c’est une interprétation a posteriori. En 78 il n’était pas évident que Mitterrand soit élu (c etait un loser a l epoque : il avait déjà perdu 2 fois). Et en 81 je me rappelle des affiches électorales de Giscard avec un casque de chantier et un réacteur nucléaire en arrière-plan (en fait c’était une tour de refroidissement mais qui faisait la distinction ?). Une réélection de Giscard aurait signifié la continuation du programme.]

              Après l’élection de 1978, tout le monde a compris que la victoire de Giscard était très improbable. Si la droite conserve une majorité, elle est minoritaire dans le pays. Le conflit entre le RPR et les centristes est sanglant et il apparait évident que Chirac va saboter sa réélection. En 1979 éclate l’affaire des diamants… non, on savait que la victoire de Mitterrand était très probable. A EDF, on avait plié les gaules, et on n’y croyait plus.

            • cdg dit :

              @decartes
              [où les ingénieurs ont été bonapartistes, en URSS ou le régime soviétique naissant s’est massivement appuyé sur eux…]
              Les ingénieurs a l epoque de Bonaparte étaient ultra minoritaire, la France était un pays agricole et l industrie n existait pas. C ets un peu la même chose pour l URSS. La Russie était un pays encore sous developpé, avec donc peu d ingénieurs (dont la plupart devaient d ailleurs venir des classe bourgeoise aisée). Et durant les premières années de l URSS, on peut pas dire que les ingénieurs se soient illustrés. Ni Lenine, ni Trotsky ni Staline ne l étaient. Ni même Djerzinki ou plus tard Kroutchev, Beria, Molotov
              [Mais ici on parlait de « renverser l’ordre établi – celui de la bourgeoisie ». Je doute que l’arrivée de Khomeini aux affaires ait été très négative pour les affaires de la bourgeoisie iranienne.]
              Avez-vous vu l etat de l economie iranienne ? Khomeni a été une catastrophe pour son pays. La bourgeoisie a une perdante avec la chute du Shah.
              [Si c’est un cul de sac – ce qui était bien mentionné dans mon exemple – seuls les gens ayant affaire chez les 150 foyers emprunteront la voie, même si EN THEORIE tout le monde peut le faire.]
              Pas forcement. Vers chez mes parents il y a une rue qui est un cul de sac (ca mene a la mer). Et je peux vous assurer que pas mal de gens vont se promener par la
              Et même sans activité touristique, vous pouvez avoir des gens qui viennent s y garer (argument souvent utilisé pour barrer une rue : empêcher le parking des non residents). Et une rue qui était un cul de sac aujourd hui peut demain être prolongée et être connecté a une autre
              [Mais dans ce cas, ce n’est pas à vous que je vais apprendre que les impôts locaux ne représentent qu’une partie relativement faible des ressources des collectivités locales. Autrement dit, l’essentiel des projets locaux est payé par des impôts nationaux… et du coup, toute votation sur un projet local devrait consulter l’ensemble des Français…]
              On pourrait aussi soutenir que c est l inverse qu il faut faire et avoir un système suisse. Un impot local, cantonal et federal. Quitte a avoir des perequations entre canton riches et pauvres. Parce que si créer la salle de fete ou une patinoire est payé par le contribuable de l autre bout du pays, en effet il n y a pas de raison de se gener
              [Ca pose un petit problème : si vous musclez l’IR, vous encouragez la fraude des plus riches – qui ont les moyens de l’organiser – et vous finissez par faire peser l’essentiel sur les revenus moyens.]
              Je pense que c est déjà le cas : l effort porte sur les categories moyennes. Les pauvres sont subventionnés et consomment majoritairement des produit a TVA réduite. Les plus riches peut frauder/optimiser que ca soit le simpots direct ou indirects. Quand vous achetez quelque chose, vous le faite passer sur le compte de la société ou vous allez simplement consommer a l etranger
               [L’avantage des impôts indirects, c’est qu’ils sont plus faciles à contrôler. ]
              Aujourd hui je lisait que 30 % des cigarettes sont de contrebande et que les trafiquants montent carrément des usines de production clandestines. A partir d un niveau, augmenter les taxes ne rapporte plus et vous ne controlez plus rien, la tentation est trop forte. C est pas nouveau, Louis XVI avait le probleme avec la gabelle et Mandrin
              [Personnellement, je pense que du point de vue pédagogique, il vaudrait mieux créer une « carte de contribuable » donnant à tous ceux qui payent des impôts en France le droit à des réductions dans les services publics.]
              Le seul probleme c est que la plupart des gens n utilisent pas de services de l etat payant (a moins de rendre l ecole payante). Et vous pensez aux soins médicaux, ca risque d être contreproductif. Une partie se diraient qu il vaut mieux payer le plein tarif et être exempte d impôts (le gros des soins médicaux sont consommé par des gens très âgés. personnellement je vois un medecin au pire 2 fois dans l année)
              [[Quel dirigeant français et quelle administration est volontaire pour se saborder ?]
              Cela vaut autant pour la France que pour la Suisse…]
              En suisse, ils ont pas forcement le choix avec les referendums.
              Les votes peuvent forcer une administration ou un politique a faire des choix qu il n aurait pas fait sinon. Par ex, il y a eut un referendum sur la redevance et l audiovisuel. Avant celui-ci, le discours était le même qu en France : c est pas assez d argent, il faut l augmenter. Arrive un referendum avec la menace de supprimer la redevance. Du coup  changement de discours. La suppression de la redevance a été refusée mais les organismes suisse qui en vivaient ont été contrait de se remettre en question et a la diete
              [Je ne vois pas bien le rapport avec la centralisation. On parlait ici de la question des votations, non ?]
              Ca revient a ce que vous disiez plus haut. Si vous etes centralisé tout est décidé d en haut et financé d en haut. Donc il faut faire voter tous les francais pour la creation d un pont sur une riviere au fin fond de la creuse
              [[Je ne vois pas qu’on réalise plus de grands projets en Suisse qu’en France… » Le tunnel du gothard en 2020]
              En France, on a fait le tunnel sous la Manche. Et alors ? ]
              C était un exemple de grand projet suisse. Si j étais mechant je vous ferai remarque que le tunnel sous la manche c est franco/anglais, entièrement privé et que ca date de Mitterrand
              [Après l’élection de 1978, tout le monde a compris que la victoire de Giscard était très improbable. Si la droite conserve une majorité, elle est minoritaire dans le pays. Le conflit entre le RPR et les centristes est sanglant et il apparait évident que Chirac va saboter sa réélection. En 1979 éclate l’affaire des diamants… non, on savait que la victoire de Mitterrand était très probable. ]
              J étais un enfant a l époque mais j ai pas ces souvenirs.
              Si en effet en 78 Giscard a faillit perdre, il a au final gagné. Mitterrand était vu par certain comme un loser qui avait déjà perdu 2 fois. Et si Chirac/Giscard étaient a couteau tiré, le PCF était pas au mieux avec le PS (rappelez vous du vote revolutionnaire a droite).
              3 ans avant l election, il est de toute façon dur de faire des pronostics : Balladur aurait du être élu. Le second tour en 2007 aurait du se jouer entre Hollande et Sarkozy, Macron était un illustre inconnu
              Au final Mitterrand a gagné mais pas avec une avance si considerable : 51.7 contre 48.2. Si giscard aurait par ex utilisé le passé collabo de Mitterrand et tenté ensuite susciter une sécession au PS (style Chirac contre Chaban avec cette fois Rocard), il n aurait jamais été elu
               

            • Descartes dit :

              @ cdg

              [« où les ingénieurs ont été bonapartistes, en URSS ou le régime soviétique naissant s’est massivement appuyé sur eux… » Les ingénieurs à l’époque de Bonaparte étaient ultra minoritaire, la France était un pays agricole et l’industrie n’existait pas. C’est un peu la même chose pour l’URSS.]

              Je vous rappelle que le sujet en discussion n’était pas de savoir si les ingénieurs étaient nombreux, mais s’ils étaient « particulièrement révolutionnaires ». Les ingénieurs étaient peu nombreux à l’époque de Bonaparte, mais pas tant que vous ne le croyez. L’industrie était certes naissante, mais on formait déjà des ingénieurs pour les travaux publics (le corps des Ponts et Chaussées apparaît au milieu du XVIIIème siècle) et dans le domaine militaire (le corps des fortifications nait avec Vauban, tout comme la sape et l’artillerie).

              Aussi minoritaires soient-ils, ils ont souvent pris parti pour les révolutions. Ce fut le cas sous Bonaparte, qui avait lui-même une formation scientifique, et aussi dans l’URSS naissante.

              [La Russie était un pays encore sous-développé, avec donc peu d’ingénieurs (dont la plupart devaient d’ailleurs venir des classe bourgeoise aisée).]

              Certes, mais à partir du milieu des années 1920, un pays en développement rapide voulant se donner des infrastructures et une industrie moderne, avec un appel d’air très important pour les ingénieurs. Et beaucoup d’ingénieurs qui « venaient des classes bourgeoises aisées » ont embrassé ce mouvement qui leur donnait des possibilités professionnelles exceptionnelles.

              [Et durant les premières années de l URSS, on peut pas dire que les ingénieurs se soient illustrés. Ni Lénine, ni Trotsky ni Staline ne l’étaient. Ni même Djerzinki ou plus tard Khroutchev, Beria, Molotov.]

              Ce n’est pas tout à fait exact : Khroutchev fit des études d’ingénieur au Rabfak (Rabotchi Fakultet : faculté ouvrière, organisme destiné à donner une formation technique supérieure aux ouvriers pour satisfaire le besoin pressant d’ingénieurs). Mais cela n’a pas d’importance : j’ai dit que les ingénieurs ont souvent soutenu les mouvements révolutionnaires, pas qu’ils ont pris la tête.

              [« Mais ici on parlait de « renverser l’ordre établi – celui de la bourgeoisie ». Je doute que l’arrivée de Khomeini aux affaires ait été très négative pour les affaires de la bourgeoisie iranienne. » Avez-vous vu l’état de l’économie iranienne ? Khomeni a été une catastrophe pour son pays. La bourgeoisie a une perdante avec la chute du Shah.]

              Je ne sais pas. L’économie de la République islamique est certes plus faible que celle du temps du Shah. Mais les prélèvements des multinationales, notamment pétrolières, étaient exorbitants à l’époque. Autrement dit, l’Iran du Shah produisait plus, mais une plus grande partie de la production partait dans les poches étrangères. Tout chose considéré, je ne suis pas persuadé que la bourgeoisie nationale iranienne ait tant perdu…

              [« Si c’est un cul de sac – ce qui était bien mentionné dans mon exemple – seuls les gens ayant affaire chez les 150 foyers emprunteront la voie, même si EN THEORIE tout le monde peut le faire. » Pas forcement. Vers chez mes parents il y a une rue qui est un cul de sac (ca mene a la mer). Et je peux vous assurer que pas mal de gens vont se promener par la]

              Autrement dit, ce n’est pas un cul de sac, puisqu’elle mène quelque part !

              [« Mais dans ce cas, ce n’est pas à vous que je vais apprendre que les impôts locaux ne représentent qu’une partie relativement faible des ressources des collectivités locales. Autrement dit, l’essentiel des projets locaux est payé par des impôts nationaux… et du coup, toute votation sur un projet local devrait consulter l’ensemble des Français… » On pourrait aussi soutenir que c’est l’inverse qu’il faut faire et avoir un système suisse. Un impôt local, cantonal et fédéral. Quitte a avoir des péréquations entre canton riches et pauvres.]

              Je ne me souviens pas qu’il y ait de péréquation en Suisse. Comment dans un pays fédéral l’Etat central pourrait-il prélever un impôt pour financer des activités qui ne sont pas de sa compétence ? Ce système peut fonctionner dans un petit pays, mais dans un grand pays comme le nôtre, avec des différences très importantes, entre régions riches et pauvres, cela n’a pas de sens.

              [Parce que si créer la salle de fête ou une patinoire est payé par le contribuable de l’autre bout du pays, en effet il n y a pas de raison de se gêner]

              Oui, mais si les citoyens de la Seine Saint Denis doivent payer leur salle de fêtes, et les habitants de Neuilly sur Seine la leur, les uns n’auront rien et les autres auront tout.

              [« L’avantage des impôts indirects, c’est qu’ils sont plus faciles à contrôler. » Aujourd’hui je lisais que 30 % des cigarettes sont de contrebande et que les trafiquants montent carrément des usines de production clandestines. A partir d un niveau, augmenter les taxes ne rapporte plus et vous ne controlez plus rien, la tentation est trop forte.]

              Mais cela vaut pour les impôts directs comme pour les impôts indirects. Il ne reste pas moins que l’impôt sur le revenu ou sur les bénéfices des sociétés sont beaucoup plus faciles à frauder que les taxes sur les carburants ou la TVA.

              [« Personnellement, je pense que du point de vue pédagogique, il vaudrait mieux créer une « carte de contribuable » donnant à tous ceux qui payent des impôts en France le droit à des réductions dans les services publics. » Le seul problème c’est que la plupart des gens n’utilisent pas de services de l’état payant (a moins de rendre l’école payante).]

              Au contraire : pensez aux transports collectifs, par exemple, qui sont largement subventionnés par l’impôt.

              [Et vous pensez aux soins médicaux, ça risque d’être contreproductif. Une partie se diraient qu’il vaut mieux payer le plein tarif et être exempte d’impôts (le gros des soins médicaux sont consommés par des gens très âgés. Personnellement je vois un médecin au pire 2 fois dans l’année)]

              Oui, mais vous savez que vous serez âgé un jour… les Américains choisiront peut-être de payer très peu quand ils sont jeunes en acceptant l’incertitude lorsqu’ils seront vieux, mais je ne pense pas que les Français feront un tel choix.

              [« Quel dirigeant français et quelle administration est volontaire pour se saborder ?]
              Cela vaut autant pour la France que pour la Suisse… » En suisse, ils ont pas forcément le choix avec les referendums.]

              Bien sur que si. Une administration peut parfaitement détourner le résultat d’un référendum, et cela et vrai en Suisse comme en France. Pensez au référendum sur la politique migratoire, par exemple…

              [Les votes peuvent forcer une administration ou un politique à faire des choix qu’il n’aurait pas fait sinon. Par ex, il y a eu un referendum sur la redevance et l’audiovisuel. Avant celui-ci, le discours était le même qu en France : ce n’est pas assez d’argent, il faut l’augmenter. Arrive un referendum avec la menace de supprimer la redevance. Du coup changement de discours. La suppression de la redevance a été refusée mais les organismes suisses qui en vivaient ont été contrait de se remettre en question et a la diète]

              Je ne comprends pas l’exemple. Si la suppression a été refusée, pourquoi les organismes ont été contraints de se remettre en question et de se mettre à la diète ?

              [« Je ne vois pas bien le rapport avec la centralisation. On parlait ici de la question des votations, non ? » Ca revient a ce que vous disiez plus haut. Si vous etes centralisé tout est décidé d en haut et financé d en haut. Donc il faut faire voter tous les francais pour la creation d un pont sur une riviere au fin fond de la creuse]

              Oui, mais comme les gens de la creuse n’ont pas assez d’argent pour construire un pont, cela ne sert à rien de les faire voter sur la question. Et ils n’auront pas de pont.

              [« Je ne vois pas qu’on réalise plus de grands projets en Suisse qu’en France… » Le tunnel du gothard en 2020 » En France, on a fait le tunnel sous la Manche. Et alors ? C était un exemple de grand projet suisse.]

              Et je vous donne l’exemple d’un grand projet français. Moralité, on ne fait guère plus de grands projets en Suisse et en France. CQFD

              [Si j’étais méchant je vous ferai remarque que le tunnel sous la manche c est franco/anglais, entièrement privé et que ca date de Mitterrand]

              Si j’étais méchant, je vous rappellerais que le projet en question n’était pas « entièrement privé », et qu’il n’aurait jamais pu être construit sans une déclaration d’utilité publique. Le tunnel sous la Manche a été financé par le privé, mais ce n’est pas un projet privé.

              [J’étais un enfant a l’époque mais je n’ai pas ces souvenirs.]

              Moi j’étais adolescent, j’étais déjà engagé en politique, et je m’en souviens très bien !

              [Si en effet en 78 Giscard a failli perdre, il a au final gagné. Mitterrand était vu par certain comme un loser qui avait déjà perdu 2 fois. Et si Chirac/Giscard étaient à couteau tiré, le PCF était pas au mieux avec le PS (rappelez-vous du vote révolutionnaire à droite).]

              Le PCF était prisonnier de son engagement dans l’union de la gauche, incapable d’expliquer qu’on fasse gagner Giscard alors que par deux fois (1965, 1974) on avait soutenu Mitterrand. Je me souviens très bien de cette époque : après 1979, on savait que Mitterrand allait gagner.

              [3 ans avant l’élection, il est de toute façon dur de faire des pronostics : Balladur aurait du être élu.]

              Pas si dur que ça. En 1993, on savait que la droite allait gagner l’élection de 1995. On ne pouvait savoir si ce serait Chirac ou Balladur, mais on savait que ce serait la droite, et sur ce point il n’y avait le moindre doute. Au point que la gauche avait eu du mal à trouver un candidat, tant la défaite paraissait inévitable. En 1979, on savait que la gauche allait gagner en 1981. C’aurait pu être Rocard ou Mitterrand, mais le résultat ne faisait pas vraiment de doute.

              [Le second tour en 2017 aurait dû se jouer entre Hollande et Sarkozy, Macron était un illustre inconnu]

              Possible. Mais le paysage politique de 2017 n’était pas celui de 1981. Dans les années 1981, les institutions étaient encore fortes et solides. En 2017, Macron a profité de leur délitement.

              [Au final Mitterrand a gagné mais pas avec une avance si considérable : 51.7 contre 48.2.]

              Compte tenu du phénomène de « rappel vers la moyenne » (quand on sait que quelqu’un va gagner, on ne voit pas de raison de voter pour lui), c’est une grosse différence.

              [Si Giscard aurait par ex utilisé le passé collabo de Mitterrand et tenté ensuite susciter une sécession au PS (style Chirac contre Chaban avec cette fois Rocard), il n’aurait jamais été élu]

              Bien sur que non. D’une part, le passé collabo de Mitterrand était connu de tous. Les électeurs de gauche ne voulaient tout simplement pas y croire, et quand les gens ne veulent pas voir le réel, il n’y a pas de moyen de les y obliger. Quant à la division… la gauche avait été éloignée du pouvoir pendant vingt ans. Tous ces gens avaient trop envie d’être ministres pour prendre le risque d’une division qui les aurait privé de toute influence encore pour sept ans…

      • DR dit :

        @descartes.
        Vos propos m’ont remis en mémoire ce qu’avait dit Bernard Tapie (la référence peut effrayer) à propos de Segolene Royal, avec un sens de la formule qui me parait heureux, et qui fait écho à vos propos sur la démocratie d’opinion.
        Vous aviez confié avoir un “faible” pour Mme Royal que vous jugiez “sérieuse” (Le Monde du 23 janvier 2006). Aujourd’hui, vous doutez de sa méthode “participative”….
         
        Elle a été ministre, députée, elle est présidente de région, et elle ne sait pas de quoi souffrent les gens? Mais on ne construit pas la France de l’avenir en faisant le tour des cafés du commerce, en réunissant deux cents à trois cents pékins dans un préau pour leur demander quels sont leurs problèmes. Ces débats participatifs, c’est le contraire de ce que réclament les gens en souffrance, ils veulent des réponses, des solutions.
         
        La référence : https://www.lemonde.fr/societe/article/2007/02/14/bernard-tapie-si-je-devais-voter-nicolas-sarkozy-je-le-ferais-sans-etats-d-ame_867149_3224.html
         

        • Descartes dit :

          @ DR

          [« Elle a été ministre, députée, elle est présidente de région, et elle ne sait pas de quoi souffrent les gens? Mais on ne construit pas la France de l’avenir en faisant le tour des cafés du commerce, en réunissant deux cents à trois cents pékins dans un préau pour leur demander quels sont leurs problèmes. Ces débats participatifs, c’est le contraire de ce que réclament les gens en souffrance, ils veulent des réponses, des solutions. »]

          Pour une fois, on ne peut que donner raison à Tapie. Quand vous êtes malade, vous alez voir un médecin pour que, à partir de son savoir et de sa compétence, il vous propose un ou plusieurs traitements. Que bien entendu, en tant que souverain, vous pourrez toujours choisir de suivre ou de ne pas suivre. Mais quelle serait votre réaction si, au lieu de vous dire son avis d’expert, votre médecin réunissait dix pékins dans une salle pour leur demander quel serait à leur avis la chose à faire ? Et seriez-vous prêt à vous soumettre au traitement qu’ils auraient prescrit ?

          Le peuple est souverain, et à ce titre il décide. Mais le souverain ne peut se substituer à l’expert. Il en a besoin pour guider les décisions. Et l’intervention de l’ancien dans l’histoire que je raconte dans mon papier montre d’ailleurs que les Français « d’en bas » en sont parfaitement conscients. La « démocratie participative » n’est qu’un rideau de fumée, une manière de légitimer des décisions en fait déjà prises en donnant aux citoyens l’illusion qu’on a pris en compte leur avis. Elle est à la véritable démocratie ce que la musique militaire est à la musique.

          Dans un état moderne, la complexité des problèmes est telle que le souverain ne peut se passer de l’expert. C’est donc dans la construction de véritables institutions d’expertise capables de conseiller utilement le souverain qu’est la clé de la démocratie.

          • DR dit :

            Merci pour votre réponse.
            Des experts oui, mais la floraison de hautes autorités n’a abouti qu’à créer des baronnies, finalement capturées par des militants (CRE). D’un côté l’Etat s’est volontairement dépossédé de lambeaux de souveraineté (Europe, Hautes Autorités…), de l’autre il laisse, via la magistrature, opérer sans sanctions des militants adeptes de saccages violents. Dans les 2 cas, ce sont les productifs qui se retrouvent victimes…

            • Descartes dit :

              @ DR

              [Des experts oui, mais la floraison de hautes autorités n’a abouti qu’à créer des baronnies, finalement capturées par des militants (CRE).]

              Pour moi, ce n’est pas ça le plus grave. Le plus grave, c’est que ces autorités ont un pouvoir considérable mais n’assument aucune responsabilité. Du temps où le ministre décidait sur la sûreté nucléaire, il entendait les experts de son administration, il entendait les experts « indépendants », et puis il tranchait. Et assumait la responsabilité politique de sa décision. Aujourd’hui, si l’autorité de sûreté nucléaire laisse la moitié de la France sans électricité, ce n’est pas elle qui prendra les tomates, c’est le ministre. Conséquence : les autorités administratives indépendantes deviennent des « monsieur plus », exigeant toujours plus pour se couvrir…

              [D’un côté l’Etat s’est volontairement dépossédé de lambeaux de souveraineté (Europe, Hautes Autorités…), de l’autre il laisse, via la magistrature, opérer sans sanctions des militants adeptes de saccages violents. Dans les 2 cas, ce sont les productifs qui se retrouvent victimes…]

              Tout à fait. L’effacement de l’Etat, c’est le retour à la loi du plus fort…

  8. Vladimir dit :

             Dommage que votre grande culture ne vous permette pas de faire une hypothèse sur cette soif de destruction de cette gauche-là. C’est anormal et vous avez peut-être une sorte d’angle mort, une hypothèse, une donnée que vous ne prenez pas en compte. 
             Cette gauche est la gauche girondine, la gauche des régions contre-révolutionnaires. Y avait-il une pulsion destructrice dans la SFIO? Et chez les cathares et les protestants?
             

    • Descartes dit :

      @ Vladimir

      [Dommage que votre grande culture ne vous permette pas de faire une hypothèse sur cette soif de destruction de cette gauche-là. C’est anormal et vous avez peut-être une sorte d’angle mort, une hypothèse, une donnée que vous ne prenez pas en compte.]

      Anormal ? Je ne sais pas. Le plaisir de la destruction est tout de même quelque chose de fort courant dans l’espèce humaine. Pensez à ces gens qui enlaidissent à la bombe à peinture les murs de nos villes, les trains, les bus. Pensez à ceux qui vandalisent le mobilier urbain. Ceux qui déchirent au couteau les sièges du métro. Quel gain tirent-ils de ces actes, sinon le plaisir, le sentiment de puissance auquel faisait référence Nietzche ?

      Pour tout vous dire, j’ai beaucoup de mal à comprendre les instincts de destruction de mes semblables. Et je vous parle même au niveau psychologique : j’éprouve depuis l’enfance une véritable souffrance à voir un objet cassé, souillé, dégradé. Au point que quand on m’offre un cadeau dans une belle boîte, j’ai beaucoup de mal à jeter la boîte. Détruire un bel objet, qui a coûté du travail humain à fabriquer, me semble presque une injure à la raison…

      Maintenant, je reviens à votre question. Pourquoi la gauche, qui est censé être le parti du renouveau et donc de la construction, en est arrivé à s’identifier avec une vision destructrice ? Je pense que cela tient – vous me direz que c’est pour moi une obsession, mais je crois sincèrement que c’est là la clé de l’affaire – à l’hégémonie des classes intermédiaires sur le plan des idées en général, et sur la gauche en particulier. Le fait est que la gauche, sous le pilotage des classes intermédiaires, ne veut plus changer la société – au-delà du choix de la couleur de la moquette. Les rapports économiques de la société issue de la révolution néolibérale des années 1980-2000 lui conviennent pleinement. A partir de là, la « gauche » s’est progressivement scindé en deux courants : l’un qu’on pourrait qualifier de « social libéral » qui a conquis le pouvoir en épousant la logique néolibérale, honteusement avec Hollande puis ouvertement avec Macron ; un autre qu’on qualifiera de « gauchiste » autour de LFI et ses alliés plus ou moins réticents de la NUPES.

      Mais comment le courant « gauchiste » peut-il exister politiquement ? Quel projet constructif peut-il porter ? Pas un projet au service des intérêts des couches populaires : un tel projet ferait peur aux classes intermédiaires, hégémonique à gauche. Pas un projet ouvertement porteur des intérêts des classes intermédiaires : ce terrain est déjà occupé par Macron et les siens. Devant ce dilemme, le courant « gauchiste » choisit de ne porter aucun projet précis, mais de se concentrer sur l’attaque de l’existant. Il faut abattre cette société… et après on verra.

      Le discours « Mélenchon premier ministre » vise à faire croire que cette « gauche » là veut gouverner. La répétition presque obsessionnelle de la ritournelle « nous sommes prêts à exercer le pouvoir » a la même fonction. Mais ces discours, comme souvent, servent à occulter une réalité : cette gauche-là ne veut ni ne peut gouverner. Si elle arrivait au pouvoir, elle ferait probablement la même chose – toujours à la couleur de la moquette près – que Macron & Co. Parce que gouverner, c’est une affaire sérieuse : on ne gouverne pas à coups de « le smic à 1600 € », « on abolit la corrida », « on rend gratuits les premiers 50 litres d’eau » et « on constitutionnalise l’avortement » (voir les projets de loi déposés par LFI lors de sa dernière « niche parlementaire », c’est révélateur). Gouverner, cela veut dire définir des politiques qui touchent les grands équilibres économiques et sociaux, c’est construire des systèmes d’alliances au niveau international.

      Et surtout, gouverner c’est trouver un équilibre entre les différents intérêts qui traversent notre société. Imaginer que parce qu’on gagne une élection on pourra imposer à ceux qui l’ont perdu n’importe quoi est un fantasme de gauchiste. Cela ne fonctionne que dans la tête enfiévrée de quelques révolutionnaires de salon. Le pouvoir n’est pas, et n’a jamais été, au bout du fusil, et Talleyrand avait raison de dire qu’on peut se faire un trône avec des baïonnettes, mais qu’il est très dangereux ensuite de s’asseoir dessus.

      Or, un groupe qui ne peut ni ne veut gouverner ne peut exister que par l’appel à la destruction. L’extrême droite façon Jean-Marie Le Pen était dans cette logique, et on l’a vu à l’œuvre quand les premiers maires lépénistes ont été élus : ils ont commencé par tout casser et cela s’est très mal passé. Cela n’a changé que parce que l’ancienne génération a été remplacée par une nouvelle qui, elle, veut gouverner. Et c’est pour cela que la deuxième vague de maires FN s’est abstenue de tout casser : pas de chasse aux sorcières, pas de liquidation des associations existantes… et du coup, ils ont été réélus. La gauche LFI se place aujourd’hui dans la même logique que le FN hier, c’est-à-dire, celle du « je suis contre » et du « il faut tout casser ». Parce que c’est sa seule moyen d’exister politiquement.

  9. Patriote Albert dit :

    [J’avoue avoir beaucoup de mal à comprendre la psychologie de ces militants. Quelle jouissance peut-on tirer du fait de casser un distributeur de billets, de brûler une voiture, de briser une vitrine, de détruire un abribus ? Quel plaisir peut-on éprouver en voyant partir en fumée un bien utile, fruit du travail humain ? Quel sens du devoir accompli à imaginer que tout ce cirque n’a pour but que d’empêcher l’autre de faire ?]
    Je crois qu’il y a là la jouissance du consommateur, qui est le modèle dominant dans notre société. Car qu’est-ce que consommer sinon détruire? Je me faisais la réflexion que les blockbusters américains représentent quasiment exclusivement des héros qui passent leur temps à détruire leur environnement dans de gigantesques scènes d’action. Ce ne sont pas des constructeurs: ils sont intronisés héros, et à partir de là tous les moyens sont bons pour vaincre le mal, quitte à raser des routes, des bâtiments, des villes, des moyens de transport en tout genre… Idem dans les clips musicaux qui dépeignent des gens profitant de la vie, consommant, détruisant, mais  sans jamais faire le moindre effort. Je pense qu’il y a là un lien: le fonds culturel de notre civilisation est bien la destruction. Et je rajouterais aussi la fuite, avec l’importance des mondes virtuels, version moderne des paradis artificiels, et la représentation romantique du départ, de celui qui s’en va, qu’on retrouve dans de nombreux films (road movie) ou chansons.
    Bref, on sent bien l’ascendance bourgeoise dans les contestataires anti-tout: les jeunes habitués à consommer sans produire, comme dirait Clouscard, qui poursuivent par leur attitude politique leur condition de classe. C’était déjà le cas d’ailleurs du temps de la rapine dans les années 70, qui consistait à politiser le vol, quitte à faire risquer la faillite aux librairies qui fournissaient les manuels d’extrême-gauche aux militants. Le problème, c’est que cette idéologie tend aujourd’hui à se répandre dans toutes les classes sociales, comme on le voit avec les mondes d’expression des jeunes de banlieue (casser et incendier des voitures et des bâtiments publics) ou encore dans l’effondrement généralisé du civisme qui fait que chaque événement collectif, comme une victoire sportive, transforme le lieu de la manifestation en dépotoir.
    Enfin, tout cela est un peu emmêlé et demanderait sûrement des analyses plus rigoureuses.
    Pour terminer sur une note d’espoir, je pense tout de même que l’idéologie de la consommation – destruction génère un grand mal-être dans notre jeunesse, car on ne peut pas se construire uniquement sur le négatif. “La nature a horreur du vide” comme dirait l’autre. Ainsi, il y a un grand besoin de modèles positifs, de personnes qu’on peut admirer car ils ont bâti des choses qui durent. Par exemple, j’ai l’impression de rencontrer de plus en plus d’admirateurs de Napoléon. Tâche à nous militants politiques de fournir les bons modèles que les nouvelles générations attendent: des Ambroise Croizat plutôt que des Karim Benzema.

    • Descartes dit :

      @ Patriote Albert

      [Je crois qu’il y a là la jouissance du consommateur, qui est le modèle dominant dans notre société. Car qu’est-ce que consommer sinon détruire ?]

      Je crois que vous mettez là le doigt sur l’élément manquant à ma réflexion. Oui, vous avez raison, l’idéologie de la société de consommation porte en germe l’acceptation de la destruction des objets. Nos grands-parents avaient avec les objets un rapport de conservation : il s’agissait de les soigner, de les bichonner pour qu’ils durent le plus longtemps possible. Ma grand-mère couchait encore dans les draps de sa « corbeille de mariée », qu’elle avait reçu quarante ans auparavant. Notre rapport aux objets est différent : point besoin de les soigner, de les bichonner, puisqu’ils sont destinés à être rapidement remplacés par d’autres. On le voit d’ailleurs très bien dans la dernière transformation, celle qui fait du « propriétaire » un « usager ». On ne soigne jamais la voiture ou le vélo qu’on loue – et dont on n’est qu’usager temporaire – que celui dont on est propriétaire…

      [Je me faisais la réflexion que les blockbusters américains représentent quasiment exclusivement des héros qui passent leur temps à détruire leur environnement dans de gigantesques scènes d’action. Ce ne sont pas des constructeurs : ils sont intronisés héros, et à partir de là tous les moyens sont bons pour vaincre le mal, quitte à raser des routes, des bâtiments, des villes, des moyens de transport en tout genre…]

      Exact. Et non seulement on nous offre des scènes de destruction, mais des héros qui n’ont aucune empathie pour la chose détruite. On voit détruire des monuments emblématiques (le Capitole semble être une cible habituelle), des villes entières, on ne voit jamais le héros pleurer cette destruction. Comme si ces monuments, ces lieux n’avaient pour lui aucune charge émotionnelle. Mais le plus surprenant pour moi, c’est que le spectateur puisse lui-même entrer dans cette logique, et regarder toute cette destruction sans verser une larme sur ce qui disparaît…

      [Et je rajouterais aussi la fuite, avec l’importance des mondes virtuels, version moderne des paradis artificiels, et la représentation romantique du départ, de celui qui s’en va, qu’on retrouve dans de nombreux films (road movie) ou chansons.]

      Pas la peine d’aller chercher dans la fantaisie : cette glorification de la fuite est même présente dans les émissions documentaires. On trouve presque quotidiennement des portraits de gens qui ont « changé de vie », genre « j’ai quitté mon travail dans une banque et mon appartement parisien pour devenir éleveur de chèvres sur le Larzac ou boucher-charcutier dans le Cantal ». J’avais commenté cela dans un article, en soulignant que ce mouvement se fait TOUJOURS vers des métiers moins qualifiés mais plus « authentiques ». Je suis d’ailleurs étonné que personne n’ait encore analysé ce phénomène.

      [Bref, on sent bien l’ascendance bourgeoise dans les contestataires anti-tout: les jeunes habitués à consommer sans produire, comme dirait Clouscard, qui poursuivent par leur attitude politique leur condition de classe. C’était déjà le cas d’ailleurs du temps de la rapine dans les années 70, qui consistait à politiser le vol, quitte à faire risquer la faillite aux librairies qui fournissaient les manuels d’extrême-gauche aux militants.]

      Tout à fait. L’idéologie dominante déconnecte la production de la consommation. Et notre rapport aux objets du coup fait abstraction du travail nécessaire à leur production. Cela a un effet puissant sur nos représentations. Il faut là encore rappeler le discours de nos grands-parents, celui du respect des choses fondé sur le respect de l’effort qu’il avait fallu faire pour les produire. On mangeait la nourriture de mémé non seulement parce qu’elle était délicieuse, mais parce que nous savions qu’elle avait passé toute la matinée à la préparer. Dans un monde idéalisé où les objets tombent tout cuits du ciel, sans qu’il faille le moindre effort pour les produire, il n’y a aucune raison de les respecter. S’il ne faut aucun effort pour produire le livre, le libraire qui prétend vous faire payer pour l’avoir est, effectivement, un voleur. Un peu comme s’il vous facturait l’air que vous respirez.

      Le gauchiste vit dans le royaume de la liberté sans passer par le royaume de la nécessité. Il bénéficie d’objets qui, dans sa tête, ne sont pas produits par l’effort humain mais sont disponibles dans les rayons des magasins par un processus magique. Et c’est pourquoi la question de la propriété de ces objets ne se pose pas.

      [Le problème, c’est que cette idéologie tend aujourd’hui à se répandre dans toutes les classes sociales, comme on le voit avec les mondes d’expression des jeunes de banlieue (casser et incendier des voitures et des bâtiments publics) ou encore dans l’effondrement généralisé du civisme qui fait que chaque événement collectif, comme une victoire sportive, transforme le lieu de la manifestation en dépotoir.]

      C’est le propre d’une idéologie dominante : elle tend à s’imposer à tous, y compris ceux dont les intérêts sont antagoniques à ceux de la classe dominante. C’est cela, le processus d’aliénation. Aujourd’hui, les jeunes de banlieue sont totalement aliénés à cette idéologie : dominés, ils se vivent comme dominants…

      [Enfin, tout cela est un peu emmêlé et demanderait sûrement des analyses plus rigoureuses.]

      Ce serait le boulot d’un vrai parti révolutionnaire… hélas !

      [Pour terminer sur une note d’espoir, je pense tout de même que l’idéologie de la consommation – destruction génère un grand mal-être dans notre jeunesse, car on ne peut pas se construire uniquement sur le négatif. “La nature a horreur du vide” comme dirait l’autre. Ainsi, il y a un grand besoin de modèles positifs, de personnes qu’on peut admirer car ils ont bâti des choses qui durent. Par exemple, j’ai l’impression de rencontrer de plus en plus d’admirateurs de Napoléon. Tâche à nous militants politiques de fournir les bons modèles que les nouvelles générations attendent : des Ambroise Croizat plutôt que des Karim Benzema.]

      C’est l’espoir du dialecticien marxiste : c’est l’approfondissement des contradictions du capitalisme qui seront génératrices des progrès à venir. Et oui, il y a dans la jeunesse une recherche de modèles positifs. Pour le moment, cette recherche aboutit à gauche – parce qu’elle est manipulée – à des impasses du genre Greta Thunberg ou Jean-Luc Mélenchon. Mais elle existe, et comme vous dites, elle offre une prise aux militants politiques comme nous.

      • Mals'Foeroad dit :

        (Je suspecte mon message du dernier week-end de ne pas être passé, j’envoie à nouveau donc)

        @ Patriote Albert @ Descartes
         
        [[J’avoue avoir beaucoup de mal à comprendre la psychologie de ces militants. Quelle jouissance peut-on tirer du fait de casser un distributeur de billets, de brûler une voiture, de briser une vitrine, de détruire un abribus ? Quel plaisir peut-on éprouver en voyant partir en fumée un bien utile, fruit du travail humain ? Quel sens du devoir accompli à imaginer que tout ce cirque n’a pour but que d’empêcher l’autre de faire ?]Je crois qu’il y a là la jouissance du consommateur, qui est le modèle dominant dans notre société. Car qu’est-ce que consommer sinon détruire?]
         
        Plus banalement la jalousie s’exprime le plus souvent par la volonté de détruire ce que possède l’autre, d’où cette jouissance dans la destruction. Descartes a plusieurs fois dans ses billets mentionné combien les jeunes générations peinent à gérer leur ressentiment et leur frustration de ne pas obtenir ce qu’ils veulent. Non pas que ce ressentiment soit plus élevé que ce qu’il put être autrefois, mais détruire les biens communs c’est en quelque sorte dénier à la société ce qu’elle nous refuse en tant qu’individu dans une vision victimiste.
         
        [[Je me faisais la réflexion que les blockbusters américains représentent quasiment exclusivement des héros qui passent leur temps à détruire leur environnement dans de gigantesques scènes d’action. Ce ne sont pas des constructeurs : ils sont intronisés héros, et à partir de là tous les moyens sont bons pour vaincre le mal, quitte à raser des routes, des bâtiments, des villes, des moyens de transport en tout genre…]
        Exact. Et non seulement on nous offre des scènes de destruction, mais des héros qui n’ont aucune empathie pour la chose détruite. On voit détruire des monuments emblématiques (le Capitole semble être une cible habituelle), des villes entières, on ne voit jamais le héros pleurer cette destruction. Comme si ces monuments, ces lieux n’avaient pour lui aucune charge émotionnelle. Mais le plus surprenant pour moi, c’est que le spectateur puisse lui-même entrer dans cette logique, et regarder toute cette destruction sans verser une larme sur ce qui disparaît… ]
         
        Je serais tenté de nuancer ici, les blockbuster sont avant tout des moments de grand spectacle mettant en scène des démonstrations de force et de puissance. Il met donc en valeur le combat et les destructions qui l’accompagnent soulignant visuellement la puissance de ceux qui y participent.
        Je ne crois pas que les grecs anciens vivaient dans une société de consommation. Pourtant beaucoup de leurs mythes mettent en scène ce même genre de démonstration de force physique. Même Héraclès lorsqu’il nettoie les écuries d’Augias, ce qui est assez proche d’un travail honnête de “construction”, le fait en déchainant les eaux du fleuve. Ce n’est la foudre de Zeus mais quand même.
        J’ajoute que les enjeux des blockbusters sont censés s’extirper de l’amour des basses choses matérielles, ce qui est un peu amusant quand on sait combien l’américain moyen est matérialiste. Difficile de s’attarder à pleurer le capitole quand on se bat pour la survie de l’humanité, et sa liberté of course.
        Enfin j’ai quand même cherché des contre-exemples, et je me suis souvenu assez rapidement du film Titanic de Cameron. On y voit quand même un ingénieur qui souffre du désastre humain mais aussi de la mort du navire, le véritable personnage central du film.
         
        [[Enfin, tout cela est un peu emmêlé et demanderait sûrement des analyses plus rigoureuses.]
        Ce serait le boulot d’un vrai parti révolutionnaire… hélas !]
        Je voulais conclure en mettant en avant l’explication du ressentiment et de la frustration plutôt que la socitété de consommation, mais je me suis rendu compte en écrivant ces dernières lignes que les deux sont sûrement en fait très liées. Ce qui fait que mon commentaire est sans doute plus confus que je ne l’aurais voulu.

        • Descartes dit :

          @ Mals’Foeroad

          [(Je suspecte mon message du dernier week-end de ne pas être passé, j’envoie à nouveau donc)]

          Pour des raisons mystérieuses, il avait été placé par le filtre parmi les « indésirables », et comme je ne les regarde pas tous les jours, je ne le récupère qu’aujourd’hui.

          [Plus banalement la jalousie s’exprime le plus souvent par la volonté de détruire ce que possède l’autre, d’où cette jouissance dans la destruction.]

          Non, je ne le crois pas. J’ai du mal à voir dans la destruction d’un DAB ou d’un abribus la « volonté de détruire ce que possède l’autre » par « jalousie ». D’ailleurs, on trouve cette fascination pour la destruction dans toutes les classes sociales, y compris celles qui ont tout et qui par conséquence peuvent difficilement être « jalouses » de ce que « possède l’autre ».

          [Descartes a plusieurs fois dans ses billets mentionné combien les jeunes générations peinent à gérer leur ressentiment et leur frustration de ne pas obtenir ce qu’ils veulent. Non pas que ce ressentiment soit plus élevé que ce qu’il put être autrefois, mais détruire les biens communs c’est en quelque sorte dénier à la société ce qu’elle nous refuse en tant qu’individu dans une vision victimiste.]

          Mais là encore, j’ai un problème avec cette explication. D’une part, parce que la destruction ne satisfait en rien la recherche de la satisfaction immédiate, caractéristique de notre temps. D’autre part, parce que la destruction ne touche pas que les « biens communs », elle touche aussi les biens privés, et notamment les voitures…

          [Je serais tenté de nuancer ici, les blockbuster sont avant tout des moments de grand spectacle mettant en scène des démonstrations de force et de puissance. Il met donc en valeur le combat et les destructions qui l’accompagnent soulignant visuellement la puissance de ceux qui y participent.]

          Mais qu’est ce qui fait que la destruction est dans notre société plus fortement liée à « la force et la puissance » que la construction ? Après tout, il est infiniment plus difficile de construire la tour Eiffel que de la détruire, non ?

          [Je ne crois pas que les grecs anciens vivaient dans une société de consommation. Pourtant beaucoup de leurs mythes mettent en scène ce même genre de démonstration de force physique.]

          Oui, mais sur le mode tragique. La destruction de Troie n’est pas racontée par Homère de manière à amuser le lecteur, mais de l’émouvoir. Ce qui est plus curieux dans notre époque, c’est que la destruction est traitée de manière détachée, sans la moindre empathie pour la chose détruite. Vous noterez par ailleurs que les mythes antiques mettent autant en relief la capacité de destruction des dieux que leur capacité de construction. La véritable puissance de Yahvé n’est pas d’avoir détruit telle ou telle ville, telle ou telle armée, mais d’avoir créé le monde en sept jours.

          [J’ajoute que les enjeux des blockbusters sont censés s’extirper de l’amour des basses choses matérielles, ce qui est un peu amusant quand on sait combien l’américain moyen est matérialiste. Difficile de s’attarder à pleurer le capitole quand on se bat pour la survie de l’humanité, et sa liberté of course.]

          Pourtant, ce qui caractérise l’être humain est précisément d’être capable de s’attarder à pleurer sur le Capitole tout en se battant pour sa survie. Pensez à ceux qui en pleine débâcle ont risqué leurs vies pour sauver les trésors du Louvre des griffes des Allemands…

          [Enfin j’ai quand même cherché des contre-exemples, et je me suis souvenu assez rapidement du film Titanic de Cameron. On y voit quand même un ingénieur qui souffre du désastre humain mais aussi de la mort du navire, le véritable personnage central du film.]

          Je n’ai pas vu le film, alors je ne saurais pas vous répondre. Cet ingénieur, est-il un personnage positif ?

          [Je voulais conclure en mettant en avant l’explication du ressentiment et de la frustration plutôt que la socitété de consommation, mais je me suis rendu compte en écrivant ces dernières lignes que les deux sont sûrement en fait très liées. Ce qui fait que mon commentaire est sans doute plus confus que je ne l’aurais voulu.]

          C’est tout l’intérêt du débat : en écrivant ses arguments, on s’aperçoit souvent des failles…

          • Mals'Foeroad dit :

            @ Descartes
            [Non, je ne le crois pas. J’ai du mal à voir dans la destruction d’un DAB ou d’un abribus la « volonté de détruire ce que possède l’autre » par « jalousie ». D’ailleurs, on trouve cette fascination pour la destruction dans toutes les classes sociales, y compris celles qui ont tout et qui par conséquence peuvent difficilement être « jalouses » de ce que « possède l’autre ».]
             
            Je pensais au lien entre la destruction et la jalousie en général, je tombe à côté vu le contexte. Dans les cas de destructions du mobilier urbain il n’y a en effet pas de jalousie pour l’objet détruit, il y a peut être le plaisir de s’afficher en train d’enfreindre les règles? L’esprit de meute?
            Par contre je ne suis pas d’accord avec la deuxième phrase. Si des gens peuvent se penser comme de victimes alors qu’ils sont objectivement en situations privilégiées, rien ne les empêche d’être persuadés (à torts) d’avoir moins que d’autres et donc de développer un sentiment de jalousie. Je pense aux comparaisons systématiques sur les réseaux sociaux ou certains gonflent leur valeur (matérielle, célébrité etc) et font ainsi beaucoup d’envieux. La jalousie est un peu comme une mauvaise herbe, si on n’arrache pas régulièrement ca dégnénère en frustration, ressentiment …
             
             
            [[Descartes a plusieurs fois dans ses billets mentionné combien les jeunes générations peinent à gérer leur ressentiment et leur frustration de ne pas obtenir ce qu’ils veulent. Non pas que ce ressentiment soit plus élevé que ce qu’il put être autrefois, mais détruire les biens communs c’est en quelque sorte dénier à la société ce qu’elle nous refuse en tant qu’individu dans une vision victimiste.]
            Mais là encore, j’ai un problème avec cette explication. D’une part, parce que la destruction ne satisfait en rien la recherche de la satisfaction immédiate, caractéristique de notre temps. D’autre part, parce que la destruction ne touche pas que les « biens communs », elle touche aussi les biens privés, et notamment les voitures…]
             
            Mais pour celui qui détruit il y a satisfaction immédiate justement. La destruction des biens fragiles est tellement plus rapide que leur construction, au point d’être quasi-instantanée. J’ignore la source exacte de cette satisfaction, cela peut être la jalousie, la frustration, le ressentiment mais aussi le frisson de l’interdit et l’esprit de meute, ou un mélange de tout ca.
            Par contre je ne comprends pas la séparation entre bien privés et publics, tant que celui qui détruit n’en est pas directement propriétaire, quelle différence?
             
             
            [Mais qu’est ce qui fait que la destruction est dans notre société plus fortement liée à « la force et la puissance » que la construction ? Après tout, il est infiniment plus difficile de construire la tour Eiffel que de la détruire, non ?]
             
            Je dirai que la destruction est plus simple à mettre en scène et en valeur, encore cette question d’instantanéité. Il y a un “moment” précis de la destruction, ce qui permet tout un tas d’aménagement pour créer du suspense et de la tention dramatique. Dans un film cela permet de contrôler l’intervalle entre la promesse de l’événement et l’événement lui même. C’est vrai aussi dans le monde réel si vous voulez faire un spectacle de la destruction d’un bâtiment, ou de l’explosion d’un feu d’artifice. En contraste la création souffre d’être étalée dans le temps, ce qui est incompatible avec “la recherche de la satisfaction immédiate, caractéristique de notre temps” comme vous dites. Vous pouvez inaugurer la tour Eiffel, mais pour lier l’inauguration à sa construction il faut un effort de symbolisation car le public la verra toute entière et non en construction. Pour sa destruction par contre…
             
             
            [[Je ne crois pas que les grecs anciens vivaient dans une société de consommation. Pourtant beaucoup de leurs mythes mettent en scène ce même genre de démonstration de force physique.]
            Oui, mais sur le mode tragique. La destruction de Troie n’est pas racontée par Homère de manière à amuser le lecteur, mais de l’émouvoir. Ce qui est plus curieux dans notre époque, c’est que la destruction est traitée de manière détachée, sans la moindre empathie pour la chose détruite.]
             
            Je crois qu’au début de son Odyssée, Ulysse met à sac et brûle une ou deux cités anonymes. L’accent est alors plus sur l’exaltation de la conquête et du pillage, et donc la destruction, que sur le tragique.
             
             
            [Vous noterez par ailleurs que les mythes antiques mettent autant en relief la capacité de destruction des dieux que leur capacité de construction. La véritable puissance de Yahvé n’est pas d’avoir détruit telle ou telle ville, telle ou telle armée, mais d’avoir créé le monde en sept jours.]
             
            Pour un dieu, la création du monde c’est un peu le minimum syndical. C’est en grande partie la raison de leur existence et ce n’est généralement pas pour cela que les mortels les craignent. Personnellement la puissance de Yavhé m’évoque d’avantage une liste bien gratinée de fléaux et de catastrophes, mais c’est peut être juste moi qui pense comme un homme de notre époque.
             
             
            [Pourtant, ce qui caractérise l’être humain est précisément d’être capable de s’attarder à pleurer sur le Capitole tout en se battant pour sa survie. Pensez à ceux qui en pleine débâcle ont risqué leurs vies pour sauver les trésors du Louvre des griffes des Allemands…]
             
            Merci pour cette comparaison, j’étais passé complètemnt à côté de l’attachement à la valeur symbolique du bâtiment.
             
             
            [[Enfin j’ai quand même cherché des contre-exemples, et je me suis souvenu assez rapidement du film Titanic de Cameron. On y voit quand même un ingénieur qui souffre du désastre humain mais aussi de la mort du navire, le véritable personnage central du film.]
            Je n’ai pas vu le film, alors je ne saurais pas vous répondre. Cet ingénieur, est-il un personnage positif ?]
             
            Le personnage en question est Thomas Andrews, l’architecte naval du RMS Titanic. Il explique clairement l’étendue de l’avarie et le destin du navire au capitaine, il participe à l’évacuation en guidant les passagers vers les bateaux de sauvetages et en distribuant des gilets, difficile de faire plus positif (d’après wikipedia cela correspont aux témoignages historiques le concernant).
            Dans sa scène finale, on le voit regarder sa montre à gousset, seul dans un salon de luxe. Le navire est alors parfaitement en train de sombrer, la coupure de courant est imminente, et il remonte l’horloge qui surplombe la cheminée face à lui. Je me souviens avoir été frappé par cette image que j’interprétais comme l’ingénieur marquant l’heure du décès de son oeuvre.
             
             
            [C’est tout l’intérêt du débat : en écrivant ses arguments, on s’aperçoit souvent des failles…]
             
            C’est ce que j’appércie tout particulièrement dans cet espace commentaires que vous avez instauré, et aussi ce qui m’a rendu pénible les débats télévisuels.

            • Descartes dit :

              @ Mals’Foeroad

              [Je pensais au lien entre la destruction et la jalousie en général, je tombe à côté vu le contexte. Dans les cas de destructions du mobilier urbain il n’y a en effet pas de jalousie pour l’objet détruit, il y a peut-être le plaisir de s’afficher en train d’enfreindre les règles ? L’esprit de meute ?]

              Je ne sais pas. Personnellement, ce plaisir de détruire m’est totalement étranger, et cela depuis l’enfance. Je dirais même que je pêche par l’excès inverse : j’éprouve une peine profonde lorsqu’un objet est cassé. C’est pourquoi j’ai du mal à vous apporter une vue personnelle de ce phénomène, et franchement j’ai très peu lu sur le sujet. Il y a probablement un élément d’exhibitionnisme, puisqu’on casse pour que cela se voie. Et aussi un phénomène d’émulation, puisqu’on casse en meute. Mais j’avoue ne pas très bien comprendre le phénomène.

              [Par contre je ne suis pas d’accord avec la deuxième phrase. Si des gens peuvent se penser comme de victimes alors qu’ils sont objectivement en situations privilégiées, rien ne les empêche d’être persuadés (à torts) d’avoir moins que d’autres et donc de développer un sentiment de jalousie.]

              Je n’avais pas considéré ce point de vue. En effet, si l’idéologie peut faire de nous des victimes, elle peut susciter en nous les sentiments qu’aurait la véritable victime.

              [Mais pour celui qui détruit il y a satisfaction immédiate justement. La destruction des biens fragiles est tellement plus rapide que leur construction, au point d’être quasi-instantanée. J’ignore la source exacte de cette satisfaction, cela peut être la jalousie, la frustration, le ressentiment mais aussi le frisson de l’interdit et l’esprit de meute, ou un mélange de tout ca.]

              C’est bien ce que j’aimerais comprendre… nous ne pouvons ici que constater que ce phénomène est pour nous mystérieux.

              [Par contre je ne comprends pas la séparation entre bien privés et publics, tant que celui qui détruit n’en est pas directement propriétaire, quelle différence ?]

              La destruction d’un bien privé peut toujours être perçue comme un message adressé au propriétaire, ou même une vengeance. Mais la destruction d’un gymnase ou d’une bibliothèque qui est le patrimoine commun de tous les citoyens – y compris de celui qui le détruit, comment l’interpréter ?

              [« Mais qu’est ce qui fait que la destruction est dans notre société plus fortement liée à « la force et la puissance » que la construction ? Après tout, il est infiniment plus difficile de construire la tour Eiffel que de la détruire, non ? » Je dirai que la destruction est plus simple à mettre en scène et en valeur, encore cette question d’instantanéité.]

              C’est une bonne observation, mais elle me laisse un peu sur ma faim. Oui, la destruction est plus « dramatique », plus cinématographique que la construction… Quoique le lancement d’un navire ou le premier record d’un TGV puissent là aussi être mis en scène de manière « instantanée ». Mais cela ne répond pas à la question : pourquoi la destruction est associée dans notre société « à la force et la puissance » ?

              [Je crois qu’au début de son Odyssée, Ulysse met à sac et brûle une ou deux cités anonymes. L’accent est alors plus sur l’exaltation de la conquête et du pillage, et donc la destruction, que sur le tragique.]

              J’avoue ne pas me souvenir de l’épisode. Mais d’une façon générale, la destruction et la mort chez Homère – comme chez la plupart des auteurs grecs – est traitée sur le mode tragique. L’humour noir est une invention relativement moderne.

      • luc dit :

        @DESCARTES
        […Je crois que vous mettez là le doigt sur l’élément manquant à ma réflexion. Oui, vous avez raison, l’idéologie de la société de consommation porte en germe l’acceptation de la destruction des objets…] Je partage en grand , cette assertion ..A partir des années 1960,j’ai ressenti la montée en hégémonie de la société de consommation où on jette comme une violence par rapport à ce que vivaient mes grands parents qui étaien fiers d’utiliser des objets et outils vieux parfois de plus de 100ans..Pour moi,les consommateurs étaient des gens modernes,i,telligents mais bêtes..Prenez le nucléaire,pour les consommateurs puisque cette source d’énergie n’est pas fun,pas sexy;;alors jetons la ,et prenons l’héolien,le solaire etc..Ce n’est pas autre chose que de la bètise pure chez des gens que l’on peut approximativement qualifié d’instruit.Dans les années 1970 , cette bêtise des ‘sachants ‘ qui nous dirigent étaient souvent mis en exergue par les Cartésiens,au plus grand profit de tous.L’économiste J.Généreux reprend cette recherche sr les niveaux de bêtise ches nos dirigeants et c’est passionnant,non?
        https://www.les-crises.fr/la-connerie-a-pris-le-pouvoir-comprendre-le-cerveau-de-nos-elites/

        • Descartes dit :

          @ luc

          [L’économiste Généreux reprend cette recherche sur les niveaux de bêtise chez nos dirigeants et c’est passionnant, non?]

          Ce qui est surtout « passionnant », c’est de voir Généreux fustiger les « élites » dont il fait quand même partie. Un peu la formule « toutes de putains, sauf ma mère et ma femme » adaptée à la politique. Moi, je n’ai pas oublié le Généreux qui a pris position pour le traité de Maastricht et la monnaie unique, et qui à ma connaissance n’a jamais fait de retour critique sur cet épisode…

      • Kto-to dit :

        [On trouve presque quotidiennement des portraits de gens qui ont « changé de vie », genre « j’ai quitté mon travail dans une banque et mon appartement parisien pour devenir éleveur de chèvres sur le Larzac ou boucher-charcutier dans le Cantal ». J’avais commenté cela dans un article, en soulignant que ce mouvement se fait TOUJOURS vers des métiers moins qualifiés mais plus « authentiques ». Je suis d’ailleurs étonné que personne n’ait encore analysé ce phénomène.]
        Je suis justement en train de « changer de vie » pour aller élever des légumes, alors je réponds ;). Je vois exactement ce que tu veux dire, et je dois dire que ça m’exaspère un peu, beaucoup de gens qui font la même démarche que moi le font dans cette optique de « se relier à la nature mère » et « être plus autonome »… Dans mon cas, c’est plus en lien avec ça :
        [
        Pourquoi les paysans de la Durance faisaient confiance aux ingénieurs des Ponts et Chaussées hier, et pas aujourd’hui ? On peut supputer plusieurs raisons. La première, est que ces ingénieurs étaient beaucoup plus proches des paysans que ne le sont les ingénieurs d’aujourd’hui: la logique méritocratique faisait permettait d’intégrer dans les grands corps techniques de l’Etat des individus venant de toutes les couches de la société. Il y avait plus de fils d’ouvriers ou de paysans à l’école Polytechnique en 1950 qu’en 2020. La seconde raison, est que les élites d’Etat étaient corsetées par la discipline de leur corps et isolés des intérêts privés. Le “pantouflage” était relativement rare et mal vu, et les ingénieurs des corps techniques consacraient leur vie au service de l’Etat. La troisième raison, c’est que les hauts fonctionnaires étaient protégés par leurs corps, et pouvaient donc dire au politique – et aux citoyens – leurs quatre vérités sans craindre trop les représailles…]
        J’ai bossé pendant plus de 15 ans dans un domaine technique dans la fonction publique, et les 3 raisons que tu donnes pour les Ponts & Chaussées sont assez similaires ailleurs. On peut ajouter que les décisions politiques prises nous demandent de travailler de plus en plus contre ce qu’on pourrait voir comme l’intérêt général de la société. J’ai essayé de batailler en interne, mais lutter contre une hiérarchie administrative et politique et en plus contre sa propre classe (intermédiaire), ça devient trop compliqué. Du coup, je vais faire de la vraie production, qui me demandera pas de réflexion longue et à moitié bancale pour me convaincre que ce que je fais sert la société.

        • Descartes dit :

          @ Kto-to

          [Je suis justement en train de « changer de vie » pour aller élever des légumes, alors je réponds ;).]

          Surtout ne vous sentez pas visé personnellement. Ma critique vise plutôt une société qui encourage et porte aux nues ce type de démarche. Après, les choix personnels sont complexes et ce n’est pas moi qui irai m’immiscer là dedans.

          [Je vois exactement ce que tu veux dire, et je dois dire que ça m’exaspère un peu, beaucoup de gens qui font la même démarche que moi le font dans cette optique de « se relier à la nature mère » et « être plus autonome »… Dans mon cas, c’est plus en lien avec ça :]

          J’imagine qu’il y avait là un lien… mais il n’est pas passé à l’envoi !

          [J’ai bossé pendant plus de 15 ans dans un domaine technique dans la fonction publique, et les 3 raisons que tu donnes pour les Ponts & Chaussées sont assez similaires ailleurs. On peut ajouter que les décisions politiques prises nous demandent de travailler de plus en plus contre ce qu’on pourrait voir comme l’intérêt général de la société. J’ai essayé de batailler en interne, mais lutter contre une hiérarchie administrative et politique et en plus contre sa propre classe (intermédiaire), ça devient trop compliqué.]

          L’histoire de ma vie… je me console en me disant que si je n’avais pas été là, ça aurait été pire. Mais je vous concède que c’est une piètre consolation.

          • Kto-to dit :

            [ Surtout ne vous sentez pas visé personnellement. Ma critique vise plutôt une société qui encourage et porte aux nues ce type de démarche. ]
            On est bien d’accord (et je me sens visé, mais je n’en prends pas ombrage 😉 ). Ceci dit, en ce qui concerne le « retour » (entre guillemets parce que pour la plupart, c’est plutôt 2 ou 3 générations en arrière qu’il faut regarder) à la terre, il me semble aussi que ça devrait être mieux organisé. Depuis 2022, la France n’est plus autosuffisante en alimentation, et ça me paraît encore plus problématique que la désindustrialisation…
            Il n’y avait pas de lien, c’était juste en relation avec ce que j’ai collé dessous sur la perte d’influence des experts/techniciens qui aboutit à des décisions médiocres.
            [ L’histoire de ma vie… je me console en me disant que si je n’avais pas été là, ça aurait été pire. Mais je vous concède que c’est une piètre consolation. ]
            Voilà, y’a un moment où la piètre consolation ne suffit plus.
             
             

            • Descartes dit :

              @ Kto-to

              [Ceci dit, en ce qui concerne le « retour » (entre guillemets parce que pour la plupart, c’est plutôt 2 ou 3 générations en arrière qu’il faut regarder) à la terre, il me semble aussi que ça devrait être mieux organisé. Depuis 2022, la France n’est plus autosuffisante en alimentation, et ça me paraît encore plus problématique que la désindustrialisation…]

              De toute façon, la France ne sera jamais « autosuffisante en alimentation » avec un « retour ». La ferme artisanale, c’est comme l’âne dont nous parle Bloch dans « l’Etrange défaite ». C’est charmant, mais ce n’est pas comme ça qu’on avance. L’introduction des méthodes industrielles en agriculture est une nécessité.

  10. Phael dit :

    Bonjour,
     
    Je voudrais tout d’abord vous remercier pour vos articles, toujours si roboratifs intellectuellement.
    À la lecture de celui-ci et de vos réponses à certains commentaires, me vient une question.
    Dans l’équation, le problème ne provient pas des anti-tout. Ceux-là ont toujours existé. Pour étrange que cela soit, la soif de détruire est une composante de l’espèce humaine. Le problème vient du fait que la société met désormais en avant ces destructeurs, leur donne la parole et le pouvoir d’agir. « La société », c’est ceux que vous nommez – avec pertinence, je crois – les classes intermédiaires. Le constat de cette tendance à la destruction appelle donc la question : pourquoi ? Au-delà de savoir à qui profite le crime, il faut comprendre en quoi il lui profite. Quel est l’intérêt des classes intermédiaire à cette destruction ?
    Car après tout, il s’agit bien de détruire une richesse, ou de rendre impossible son extraction. On conçoit bien que les classes intermédiaires rechignent au partage, maintenant que la croissance s’essouffle, mais de là à détruire une richesse, dont malgré tout elles recevraient une part, même trop modeste à leurs yeux, il y a un changement de paradigme. Un peu ne vaut-il pas mieux que rien du tout ?
     
    [Le pouvoir n’est pas, et n’a jamais été, au bout du fusil, et Talleyrand avait raison de dire qu’on peut se faire un trône avec des baïonnettes, mais qu’il est très dangereux ensuite de s’asseoir dessus.]
    Je ne connaissais pas, merci ! 🙂
     
     
    Bien à vous,

     

    • Descartes dit :

      @ Phael

      [Je voudrais tout d’abord vous remercier pour vos articles, toujours si roboratifs intellectuellement.]

      Je vous remercie, ces encouragements m’aident à continuer. Mais la moitié de l’intérêt de ce blog – au moins ! – vient des échanges avec les commentateurs. Alors, n’hésitez pas à participer !

      [À la lecture de celui-ci et de vos réponses à certains commentaires, me vient une question.
      Dans l’équation, le problème ne provient pas des anti-tout. Ceux-là ont toujours existé. Pour étrange que cela soit, la soif de détruire est une composante de l’espèce humaine. Le problème vient du fait que la société met désormais en avant ces destructeurs, leur donne la parole et le pouvoir d’agir.]

      Tout à fait. La question de savoir d’où vient l’instinct de destruction de notre espèce est une question passionnante en philosophie, mais la véritable question politique n’est pas de savoir d’où vient cet instinct, mais pourquoi une société qui pendant des siècles a tout fait pour mettre sous contrôle cet instinct tout à coup se met au contraire à l’encourager. Pourquoi tout à coup on appelle « réformateur » celui qui se contente de supprimer telle ou telle institution, tel ou tel statut, tel ou tel projet sans rien bâtir à la place. Pourquoi on offre comme exemple à notre jeunesse ceux qui ont dit « non » plutôt que ceux qu’y ont dit « oui ».

      [« La société », c’est ceux que vous nommez – avec pertinence, je crois – les classes intermédiaires. Le constat de cette tendance à la destruction appelle donc la question : pourquoi ? Au-delà de savoir à qui profite le crime, il faut comprendre en quoi il lui profite. Quel est l’intérêt des classes intermédiaire à cette destruction ?]

      Les classes intermédiaires sont les grandes gagnantes de la révolution néolibérale des années 1980-2000. La mondialisation leur a permis d’accéder à des biens toujours meilleur marché, grâce au déplacement de la production dans des pays à la main d’œuvre moins chère et à la réglementation plus accommodante, alors que la transformation de l’économie de production en économie de services a multiplié ses possibilités d’insertion.

      Cette révolution, comme toute révolution, nécessitait de détruire toutes les institutions, tous les statuts, tous les processus qui empêchaient la mondialisation d’avancer : la nation, avec sa logique de solidarité entre les citoyens qui conduisait à établir une préférence nationale ; le système éducatif qui portait ce « récit national » et qui formait non pas un simple travailleur, mais un citoyen ; les statuts qui limitaient les possibilités de mettre les travailleurs en concurrence ; les institutions politiques qui pouvaient s’opposer à des intérêts purement économiques.

      Pour les classes intermédiaires, il y avait une contrainte supplémentaire : dans un contexte de faible croissance, l’ascenseur social ne peut amener des gens vers le haut que si ceux du haut acceptent la possibilité d’être ramenés vers le bas, sans quoi tout le monde finirait par être en haut. Il fallait donc détruire l’ascenseur social, c’est-à-dire, l’ensemble des processus qui permettaient aux classes populaires de devenir d’éventuels concurrents.

      D’où cette alliance bizarre entre la bourgeoisie et les classes intermédiaires pour détruire tout ce qui constituait « l’ordre ancien » – celui du pacte gaullo-communiste issu de 1945, pour faire vite – pour établir un « ordre nouveau ». Et cette alliance avait besoin d’une idéologie, une idéologie qui ne peut qu’encourager la destruction, puisque c’est par là que la « révolution » commence. Mais comme toute révolution, l’idéologie qui lui a servi au départ à avancer devient au bout d’un certain temps un boulet. Il faut un Napoléon à la place de Robespierre, un Staline à la place de Lénine et Trotski. Maintenant qu’on a tout détruit, et qu’il faudrait peut-être songer à reconstruire, il faudrait un 8 thermidor et un 18 brumaire…

      • Phael dit :

        [Pour les classes intermédiaires, il y avait une contrainte supplémentaire : dans un contexte de faible croissance, l’ascenseur social ne peut amener des gens vers le haut que si ceux du haut acceptent la possibilité d’être ramenés vers le bas, sans quoi tout le monde finirait par être en haut. Il fallait donc détruire l’ascenseur social, c’est-à-dire, l’ensemble des processus qui permettaient aux classes populaires de devenir d’éventuels concurrents.]
        Ce point-là, qui me semble juste par ailleurs, ne me paraît pas répondre au problème. Qu’ils prennent tout, c’est logique. Cruel pour les autres, mais logique. En revanche, cela n’explique pas leur nihilisme, leur soif de destruction d’une richesse qui leur profiterait tout de même, même mal, même trop peu.
         
        [Cette révolution, comme toute révolution, nécessitait de détruire toutes les institutions, tous les statuts, tous les processus qui empêchaient la mondialisation d’avancer : la nation, avec sa logique de solidarité entre les citoyens qui conduisait à établir une préférence nationale ; le système éducatif qui portait ce « récit national » et qui formait non pas un simple travailleur, mais un citoyen ; les statuts qui limitaient les possibilités de mettre les travailleurs en concurrence ; les institutions politiques qui pouvaient s’opposer à des intérêts purement économiques.]
        Ce point-là, en revanche, m’apparaît répondre à la question. Pour reconstruire autre chose qui leur convient, ils doivent détruire ce qui ne leur convient pas. On peut formuler ce point autrement : ce qu’ils détruisent (ou empêchent) les prive, mais prive aussi leurs concurrents, les classes populaires. Or, ce qui est créé ailleurs à la place leur profite exclusivement, ou disons très majoritairement. Ce que je détruis m’affaiblit, mais affaiblit aussi mon adversaire, ce que je construis me profite à moi seul… Le calcul est bon !
         
        Le problème, car pour moi il y en a tout de même un qui demeure, vient de la nature de la substitution. Je vais me permettre un petit développement, car la question nécessite à mon avis une vue plus vaste. J’espère que mon propos sera clair.
         
        Par leur nihilisme (appelons-le comme ça) ils remplacent la richesse produite ici par une richesse produite ailleurs. Seulement, un état étranger, une classe dominante étrangère, ne vous accordera une part de sa richesse qu’en contrepartie d’un avantage que vous lui concédez, ou sous la menace. Cette part de l’équation, on sent que des pays comme les États-Unis sont encore capables de l’assumer, plus ou moins bien d’ailleurs, mais au moins ils en ont conscience. Mais quant à l’Europe, quant à la France… À aucun moment, nos gagnants de la mondialisation ne semblent se rendre compte à quel point ils sont évinçables. Les services qu’ils offrent, d’autres peuvent les offrir, et pour ce qui est de la menace, ils ne se soucient même plus d’en représenter une.
         
        S’ils ne sont pas encore évincés, c’est que leur révolution n’est qu’imparfaite. Ce qui les protège encore, c’est ce qu’ils n’ont pas encore détruit, quelques lambeaux de notre industrie qui subsistent, quelques souvenirs de notre armée qui demeurent. Ce sont les restes de l’ancien monde qui les garde, ce monde qu’ils veulent pourtant toujours anéantir. On a vu avec le covid à quel point le système qu’ils ont construit est diaphane, à quel point il laisse tout le monde démuni, les classes populaires tout comme eux-mêmes, rassemblant les perdants et les gagnants dans la même fragilité. En somme, ils bâtissent avec cette mondialisation et ce libéralisme un système qui ne leur profite qu’un moment, mais va les éradiquer ensuite.
         
        Pourquoi ? En quoi le crime leur profite-t-il ? Sont-ils si bêtes qu’ils croient à leurs propres mensonges ?
         

        • Descartes dit :

          @ Phael

          [Ce point-là, en revanche, m’apparaît répondre à la question. Pour reconstruire autre chose qui leur convient, ils doivent détruire ce qui ne leur convient pas. On peut formuler ce point autrement : ce qu’ils détruisent (ou empêchent) les prive, mais prive aussi leurs concurrents, les classes populaires. Or, ce qui est créé ailleurs à la place leur profite exclusivement, ou disons très majoritairement. Ce que je détruis m’affaiblit, mais affaiblit aussi mon adversaire, ce que je construis me profite à moi seul… Le calcul est bon !]

          Je pense que c’est plus complexe que cela. Il y a une dialectique entre l’idéologie et la réalité. Quand une classe dominante ou en passe de le devenir veut détruire l’ordre établi, elle produit une idéologie qui justifie cette destruction. Mais souvent, cette idéologie s’emballe et dépasse les intérêts de ses créateurs, un peu comme la création de l’apprenti sorcier. C’est pourquoi les révolutions subissent souvent un processus de radicalisation qui finit par dévorer ses propres créateurs, et qu’elles sont suivies de périodes de stabilisation qui apparaissent comme des retours en arrière. Pour ne prendre qu’un exemple, la Révolution française commence avec une contestation bourgeoise des privilèges nobiliaires, elle se radicalise au point d’abolir toutes les institutions de l’ancien régime (la monarchie, la noblesse, l’église, la propriété), puis après l’épisode paroxystique de la dictature de Robespierre revient à une logique plus modérée d’un régime bourgeois…

          On peut penser que la « révolution néolibérale » suit la même logique : destinée au début à consacrer la prise du pouvoir par la nouvelle alliance entre la bourgeoisie et les classes intermédiaires – ce qui supposait d’abolir un certain nombre de mécanismes de redistribution et de protection – elle atteint un stade paroxystique de privatisation et de dérégulation massive, détruisant au passage comme vous le signalez des choses utiles aux classes dominantes. Peut-être entrons nous maintenant dans une phase de reconstruction ?

          [À aucun moment, nos gagnants de la mondialisation ne semblent se rendre compte à quel point ils sont évinçables. Les services qu’ils offrent, d’autres peuvent les offrir, et pour ce qui est de la menace, ils ne se soucient même plus d’en représenter une.]

          N’oubliez pas que les classes intermédiaires n’ont pas naturellement de vision de long terme. C’est un peu « après nous, le déluge ». Mais la prise de conscience commence, même si pour le moment elle est tâtonnante et confuse. Il y a vingt ans, prononcer le mot « souveraineté » vous classait immédiatement parmi les méchants nationalistes condamnés à l’ostracisme médiatique. Aujourd’hui, même Macron, cet épitomé des classes intermédiaires, l’utilise. A tort et à travers, me direz-vous ? Oui, mais il l’utilise. Et d’autres mots reviennent : puissance, industrialisation…

          [Pourquoi ? En quoi le crime leur profite-t-il ? Sont-ils si bêtes qu’ils croient à leurs propres mensonges ?]

          Comme disait Marx, les hommes font l’histoire mais ne savent pas l’histoire qu’ils font. Il ne faut pas voir dans la lutte des classes un mécanisme machiavélique, ou chaque classe planifierait soigneusement ses actions. Ce sont des mécanismes, et non des volontés. Parler de « mensonges » supposerait que les gens qui les profèrent sont conscients qu’ils prêchent le faux. Mais ce n’est pas le cas : la classe qui génère l’idéologie dominante y croit sincèrement… au point de se laisser quelquefois entrainer par elle. La bourgeoisie allemande avait intérêt à soutenir le nazisme pour contrer le mouvement ouvrier… au départ. Mais la machine que cette idéologie a mis en route a fini par leur coûter très, très cher…

          • Phael dit :

            Merci pour ces éclaircissements. Le problème me semble bien posé. Si les classes intermédiaires basculent dans ce mouvement de stabilisation, maintenant que la nocivité pour elles-mêmes du monstre qu’elles ont libéré ne fait plus guère de doute, nous sommes alors devant le mécanisme en quelque sorte classique d’un épisode révolutionnaire, tel que vous le décrivez. Si en revanche, elles remettent des pièces dans la machine, nous serons alors devant quelque chose qui me semble assez inédit à cette échelle : une auto-immolation. Un peu comme ce que certaines sectes et certains groupuscules politiques ont pu produire, mais en beaucoup plus grand.
             

            • Descartes dit :

              @ Phael

              [Merci pour ces éclaircissements. Le problème me semble bien posé. Si les classes intermédiaires basculent dans ce mouvement de stabilisation, maintenant que la nocivité pour elles-mêmes du monstre qu’elles ont libéré ne fait plus guère de doute, nous sommes alors devant le mécanisme en quelque sorte classique d’un épisode révolutionnaire, tel que vous le décrivez.]

              Le retour de certains concepts – souveraineté, nation, sécurité, autorité – dans le débat public, la prise de conscience des effets délétères de certains extrémismes – « diversitaires », féministes, « anti-racistes » – semble indiqué qu’une stabilisation est à l’œuvre. Mais pour le moment, les effets ne se font pas sentir d’une manière décisive…

            • Phael dit :

              Désolé, le bouton répondre n’apparaissait pas sous votre commentaire, je suis donc obligé de me répondre à moi-même pour vous répondre… C’est compliqué 🙂
              De ce que je comprends, cette stabilisation ne peut prendre que deux formes : soit ils rétablissent une société ouverte, (j’entends par là ouverte à l’intérieur, entre les classes), en rétablissant un état à peu près égalitaire, soit ils rétablissent ce même état, mais en installant une société stratifiée, plus ou moins sous une forme ploutocratique, cette fois-ci assumée. Dans le premier cas, ils renoncent à la quiétude de leur reproduction assurée, dans le second, ils abandonnent la quiétude de leur moraline si commode. Dans le second cas, surtout, ils figent la société dans un conflit sourd, mais permanent, ce qui n’est jamais très bon pour l’épanouissement d’une nation, ni d’ailleurs pour la survie de la classe dominante, l’histoire en a montré de nombreux cas.
              Soit ils ne renoncent à rien et continuent leur dégringolade, accrochés à leurs mythes délétères jusqu’à leur disparition en tant que force.
              Pour l’heure, effectivement, les mots reviennent dans le débat, mais seulement sous forme de slogans publicitaires que tout le monde se garde bien de traduire en actes. Les slogans peuvent être les prémisses d’une prise de conscience, ou seulement une façon d’amuser le gogo pendant que tout continue, à l’image des promesses d’Europe sociale du PS à chaque élection européenne.
               

            • Descartes dit :

              @ Phael

              [Désolé, le bouton répondre n’apparaissait pas sous votre commentaire, je suis donc obligé de me répondre à moi-même pour vous répondre… C’est compliqué 🙂]

              Quand on dépasse un certain nombre de niveaux dans les commentaires, on arrive à la limite. Dans ce cas, il vaut mieux recommencer à commenter directement au niveau de l’article.

              [De ce que je comprends, cette stabilisation ne peut prendre que deux formes : soit ils rétablissent une société ouverte, (j’entends par là ouverte à l’intérieur, entre les classes), en rétablissant un état à peu près égalitaire, soit ils rétablissent ce même état, mais en installant une société stratifiée, plus ou moins sous une forme ploutocratique, cette fois-ci assumée.]

              Il semblerait que c’est la deuxième solution qui est choisie… sauf qu’ils n’ont aucune raison de « l’assumer ». On peut parfaitement installer une société de castes tout en prétendant qu’on est en train de construire une société égalitaire. C’est ainsi par exemple qu’on s’attaque à la méritocratie (qu’on remplace par la plutocratie) en prétendant que la méritocratie perpétue les inégalités…

  11. Paul dit :

    Le gauchisme n’est-il pas la maladie infantile du communisme ?
    Je pense là aux enfants, à certains âges, qui n’existent que par le « non », voire par la destruction de leurs joujoux.
    Je travaille ponctuellement, en apportant mon expérience aux projets périscolaires de la municipalité de ma ville, et me retrouve souvent voire opposer des arguments idéologiques des représentants des parents d’élèves qui d’une part me consternent, d’autre part conduisent à rendre impossibles les projets sur lesquels nous travaillons. Ces arguments sont révélateurs d’une volonté absurde de vouloir ignorer tout ce qui est de la loi. S’appuyant sur des structures dépendant de l’Education Nationale qui, dans le pédagogisme ambiant, propagent la supériorité de la parole de l’enfant. Il est vrai que ces représentants de la FCPE appartiennent tous à la petite bourgeoisie (même si la mairie pour laquelle je travaille régit un quartier populaire outre celui de ces classes dominantes. « Tout bouger pour que rien ne bouge » semble en être le principe. C’est aussi le reflet de l’éducation qu’ils livrent à leurs enfants.
    Ces enfants ainsi éduqués dans la « bienveillance » institutionnelle (famille et parents), je n’ai pas de difficultés à deviner leur avenir. Je suis parfois épouvanté du manque de réflexion des jeunes actuellement, de la toute-puissance qu’ils peuvent afficher, et de leur soumission inconsciente aux pensées dominantes.
    Que ce soient les « black blocs » ou les zadistes, c’est agir avant de penser (ou en croyant penser parce qu’ils agissent). C’est bien dans la pensée de Nietzsche que vous citez.
    Je suis ainsi régulièrement amené à discuter avec des militants LFI. Discuter est un bien grand mot ! Ils ne peuvent pas voir ce qu’ils voient. Toute autre vision, lecture réfléchie et contextualisée, conduisent à un « non ». Il me semble que le moindre doute dans leur construction idéologique mettrait celle-ci en danger. Même pour des militants sincères.
    A ne voir le réel que par le prisme de l’idéologie ne me donne pas grand espoir pour la gauche.

    • Descartes dit :

      @ Paul

      [Le gauchisme n’est-il pas la maladie infantile du communisme ?]

      Oui… sauf que je ne vois pas beaucoup de « communisme » dans les environs. Que devient une maladie s’il n’y a pas de malade ?

      Plus sérieusement : la formule de Lénine s’applique à un contexte précis, celui qui voit s’opposer au sein du mouvement ouvrier les « réalistes », qui utilisent tous les moyens qu’offre la démocratie bourgeoise pour les mettre au service de leurs luttes, et les « radicaux » qui refusent de s’insérer dans ce système au nom de la pureté révolutionnaire. Ce débat n’est pas d’actualité aujourd’hui : nos « gauchistes » sont parfaitement intégrés dans le système.

      [Je pense là aux enfants, à certains âges, qui n’existent que par le « non », voire par la destruction de leurs joujoux.]

      Ici, la comparaison est pertinente. Le problème de nos « gauchistes », c’est qu’ils n’ont pas de véritable projet constructif, tout simplement parce qu’au fond la société telle qu’elle est leur convient assez bien. Ne pouvant pas être « pour », ils ne peuvent exister qu’en étant « contre ».

      [Je travaille ponctuellement, en apportant mon expérience aux projets périscolaires de la municipalité de ma ville, et me retrouve souvent voire opposer des arguments idéologiques des représentants des parents d’élèves qui d’une part me consternent, d’autre part conduisent à rendre impossibles les projets sur lesquels nous travaillons. Ces arguments sont révélateurs d’une volonté absurde de vouloir ignorer tout ce qui est de la loi. S’appuyant sur des structures dépendant de l’Education Nationale qui, dans le pédagogisme ambiant, propagent la supériorité de la parole de l’enfant.]

      Je ne vois pas très bien à quoi vous faites allusion. Pouvez-vous être plus précis ?

      [Ces enfants ainsi éduqués dans la « bienveillance » institutionnelle (famille et parents), je n’ai pas de difficultés à deviner leur avenir. Je suis parfois épouvanté du manque de réflexion des jeunes actuellement, de la toute-puissance qu’ils peuvent afficher, et de leur soumission inconsciente aux pensées dominantes.]

      Je ne peux que partager. Je reviens à la formule de Jacques Lacan : « là ou tout est permis, rien n’est subversif ». La « bienveillance institutionnelle » à laquelle vous faites allusion est en fait une maltraitance, qui empêche le jeune de se construire. Parce qu’on se construit forcément « contre » quelque chose. On ne peut comprendre la nécessité de la loi ou la contester s’il n’y a pas de loi.

      [Que ce soient les « black blocs » ou les zadistes, c’est agir avant de penser (ou en croyant penser parce qu’ils agissent). C’est bien dans la pensée de Nietzsche que vous citez.]

      Tout à fait. Et si vous revenez au début de l’aventure LFI, vous retrouverez des discours du gourou théorisant la primauté de l’action sur la réflexion. Il a récidivé il n’y a pas si longtemps, lorsqu’il a décrété que les postes dirigeants dans LFI devaient aller à ceux qui « s’illustraient dans l’action »… Une action qui est d’ailleurs très liée à un « principe de plaisir » et opposé – par Pierre Laurent, rien de moins – au « principe de réalité ».

      [Je suis ainsi régulièrement amené à discuter avec des militants LFI. Discuter est un bien grand mot !]

      Moi, qui pourtant ai toujours discuté avec tout le monde, j’y a renoncé. C’est cette impossibilité d’un échange qui me renforce dans l’idée que LFI a un fonctionnement sectaire. Les adeptes, puisqu’il faut les appeler par leur nom, sont isolés de la réalité par un discours qui les enjoint à fermer leurs yeux et leurs oreilles dès qu’un discours alternatif se présente, dès qu’un fait vient contredire le dogme.

      [Ils ne peuvent pas voir ce qu’ils voient. Toute autre vision, lecture réfléchie et contextualisée, conduisent à un « non ». Il me semble que le moindre doute dans leur construction idéologique mettrait celle-ci en danger. Même pour des militants sincères.]

      C’st là où on voit l’importance de la matrice de formation qui fit la force du PCF. Quant un militant a en tête une construction idéologique solide, il peut trouver des réponses aux objections que peut lui opposer un contradicteur. C’est pourquoi le doute ne présente pas pour lui un danger, puisqu’il a les instruments pour combler ce vide. Quand les militants n’ont dans la tête que des slogans, ils en sont réduits à les répéter. Et admettre le moindre doute est destructeur, parce qu’il n’y a dans le système aucun moyen d’y répondre.

      [A ne voir le réel que par le prisme de l’idéologie ne me donne pas grand espoir pour la gauche.]

      On voit toujours le réel à travers le prisme de l’idéologie. C’est d’ailleurs à cela que servent les idéologies. Mais ici, ce n’est pas le problème. Le problème est que l’idéologie de la gauche aujourd’hui est particulièrement incohérent, notamment parce qu’il prétend défendre les intérêts d’une classe alors qu’il protège les intérêts d’une autre.

      • Paul dit :

        Vous me demandez à juste titre de préciser. En effet, j’ai été imprécis. Nous travaillons à l’organisation du temps méridien à l’école, temps pendant lequel les enfants sont sensés manger bien sûr, et aussi se détendre, avec les possibilités de jeux, de lecture, d’isolement pour ceux qui le souhaitent. Ceci dans des locaux qui ne sont pas toujours adaptés… mais nous devons faire avec. C’est le personnel municipal qui est en charge de ce temps et non le corps enseignant. Nous travaillons avec les directeurs pour qu’ils énoncent aux élèves le transfert d’autorité. Nous bâtissons également une charte de droits et devoirs. Jusque là pas de souci sauf: les représentants des parents d’élèves qui s’immiscent dans les. temps scolaires d’une part, ce qui évidemment provoque des conflits avec les enseignants, pourtant impliqués. Ce qui devient vraiment absurde, c’est quand ils veulent que des enfants occupent des fonctions telles que la gestion de conflits, alors que leur maturité n’est pas établie bien sûr. Il est très difficile de leur faire entendre ( aux RPE) que l’adulte est dépositaire de l’autorité. Je faisais le rapprochement avec le pédagogisme ayant placé l’enfant au centre de l’enseignement, en lieu et place de la transmission des savoirs qui de fait donne son autorité au maître d’école. 

        • Descartes dit :

          @ Paul

          [Il est très difficile de leur faire entendre (aux RPE) que l’adulte est dépositaire de l’autorité. Je faisais le rapprochement avec le pédagogisme ayant placé l’enfant au centre de l’enseignement, en lieu et place de la transmission des savoirs qui de fait donne son autorité au maître d’école.]

          Effectivement, on trouve beaucoup de parents « adulescents », qui ont eux-mêmes rejeté la figure de l’adulte en voulant rester à jamais « djeunes ». L’autorité de l’adulte a deux sources. La première est matérielle : c’est l’adulte qui gagne la croûte. La seconde est immatérielle : c’est l’adulte qui détient le savoir et l’expérience. L’ennui, c’est que l’idéologie dominante rejette la vision matérialiste qui est sous-jacente dans le premier pilier, et nie le caractère cumulatif dans le temps long du savoir et de l’expérience…

  12. Paul dit :

    Les politiques et les media axent leur discours sur l’inquiétude des Français par rapport aux coupures d’électricité à prévoir. Pour ma part, c’est la colère qui prime. Ce manque d’anticipation qui a conduit un modèle performant basé sur le nucléaire à venir dépendre de l’électricité largement carbonée des allemands, et qui remonte au moins à la “gauche plurielle” de Jospin est en soi destructeur. Et on continue à nous bassiner avec les renouvelables !

    • Descartes dit :

      @ Paul

      [Ce manque d’anticipation qui a conduit un modèle performant basé sur le nucléaire à venir dépendre de l’électricité largement carbonée des allemands, et qui remonte au moins à la “gauche plurielle” de Jospin est en soi destructeur. Et on continue à nous bassiner avec les renouvelables !]

      Et s’il n’y avait que l’électricité ! Partout où l’on se tourne, on voit la même logique à l’œuvre : dans le système sanitaire, dans le système éducatif, dans les chemins de fer… partout on voit le service publique se dégrader à grande vitesse, incapable de faire face aux chocs externes. Cela fait quarante ans qu’on mange le capital accumulé par la génération précédente, et le simple fait qu’on ait pu le faire aussi longtemps sans que le système craque donne une petite idée de la masse de capital matériel et immatériel accumulé par ces générations. Et tout cela était prévisible – et d’ailleurs dénoncé depuis longtemps par des Cassandres comme celui qui écrit ces mots. A force de couper dans les budgets, de réduire les personnels, de supprimer les statuts, de bloquer les projets, il fallait bien que les fissures apparaissent. Il ne nous reste plus beaucoup de temps si nous voulons éviter de devenir un pays du tiers monde.

      Le pire, c’est d’entendre les éternels donneurs de leçons politico-médiatiques qui pendant des décennies ont conduit et accompagné le processus pleurer sur le lait versé – et chercher à culpabiliser les Français.

  13. Vladimir dit :

    Je vous avais demandé pourquoi la gauche était destructrice. J’aurais du employer le mot “haine”. Mélenchon vient d’appeler à la violence. Des femmes de gauche appellent les femmes à haïr “Le mâle blanc cisgenre”, des gens de gauche encouragent les “Arabes” et les Noirs à haïr les Blancs. Pourquoi, ce que vous persistez à appeler gauche, pousse à la haine plus qu’à une simple destruction? Avez-vous une hypothèse?

    • Descartes dit :

      @ Vladimir

      [Je vous avais demandé pourquoi la gauche était destructrice. J’aurais dû employer le mot “haine”.]

      Je pense que vous faites porter à « la gauche » un manteau bien trop grand pour elle. On peut difficilement considérer les socialistes ou les communistes comme porteurs de « haine », et les courants majoritaires de la gauche se sont construits par opposition à la violence individuelle qui est le corollaire évident de la haine.

      La haine a une fonction : c’est de déshumaniser l’autre, et donc de préparer sa destruction. L’homme est un animal social, et cela suppose que nous avons une capacité naturelle, atavique, à l’empathie. C’est cette capacité qui fait que les êtres humains, quand ils se rencontrent, tendent à établir des liens sociaux plutôt qu’à s’entretuer. La haine vient justement contrer cette capacité d’empathie.

      [Mélenchon vient d’appeler à la violence. Des femmes de gauche appellent les femmes à haïr “Le mâle blanc cisgenre”, des gens de gauche encouragent les “Arabes” et les Noirs à haïr les Blancs. Pourquoi, ce que vous persistez à appeler gauche, pousse à la haine plus qu’à une simple destruction ? Avez-vous une hypothèse ?]

      Rien ne soude autant un groupe que la définition d’un ennemi commun, un ennemi avec lequel tout compromis est impossible. Il faut donc abolir toute capacité d’empathie avec l’ennemi désigné. La haine permet cette opération.

  14. Geo dit :

    @Descartes
    [Effectivement, on trouve beaucoup de parents « adulescents », qui ont eux-mêmes rejeté la figure de l’adulte en voulant rester à jamais « djeunes ». L’autorité de l’adulte a deux sources. La première est matérielle : c’est l’adulte qui gagne la croûte. La seconde est immatérielle : c’est l’adulte qui détient le savoir et l’expérience. L’ennui, c’est que l’idéologie dominante rejette la vision matérialiste qui est sous-jacente dans le premier pilier, et nie le caractère cumulatif dans le temps long du savoir et de l’expérience…]
    Ne pas oublier cette notation d’Adorno, faite dès les années quarante: l’autorité des adultes est sapée par notre façon de vivre. L’adulte n’est plus celui qui représente la réalité auprès de l’enfant comme dans le modèle Freudien. C’est au contraire l’enfant, éduqué directement par l’ensemble social, qui annonce à l’adulte ce qu’est et surtout sera la réalité. La grande peur des hommes de 40 ans d’être dépassés ne date pas d’hier.
    (C’était je crois dans Minima moralia, je ne cite pas mais restitue de mémoire.)
    Les réflexions de Gunther Anders dans “l’obsolescence de l’homme” vont dans le même sens:
    Si nos contemporains, comme il l’affirme, préféreraient au font être sortis adultes d’une usine qu’être nés, quelle valeur peuvent-ils accorder à la filiation ? Il faudrait préférer en quelque manière l’Iphone 3 à l’Iphone 12. Impossible.
     
     

    • Descartes dit :

      @ Geo

      [Ne pas oublier cette notation d’Adorno, faite dès les années quarante: l’autorité des adultes est sapée par notre façon de vivre. L’adulte n’est plus celui qui représente la réalité auprès de l’enfant comme dans le modèle Freudien. C’est au contraire l’enfant, éduqué directement par l’ensemble social, qui annonce à l’adulte ce qu’est et surtout sera la réalité. La grande peur des hommes de 40 ans d’être dépassés ne date pas d’hier.]

      J’avoue avoir du mal à suivre Adorno sur ce point. Le « modèle freudien » auquel il se réfère a-t-il jamais existé ? L’enfant à toujours été éduqué par « l’ensemble social » : des institutions comme le clan ou l’église ont toujours eu leur mot à dire sur la question. En quoi l’enfant qui revient du catéchisme annonce moins à ses parents « ce qu’est et sera la réalité » que l’enfant qui revient de l’école publique ?

      [Les réflexions de Gunther Anders dans “l’obsolescence de l’homme” vont dans le même sens:
      Si nos contemporains, comme il l’affirme, préféreraient au font être sortis adultes d’une usine qu’être nés, quelle valeur peuvent-ils accorder à la filiation ? Il faudrait préférer en quelque manière l’Iphone 3 à l’Iphone 12. Impossible.]

      Sauf que le phénomène qu’on observe est plutôt l’inverse : les gens ne préfèrent pas être sortis adultes qu’être nés, ils préfèrent être nés et rester enfants. Autrement dit, ils préfèrent l’Iphone 3 à l’Iphone 12, parce que contrairement aux produits électroniques, passer de la version 3 à la version 12 implique pour un être humain de prendre de nouvelles responsabilités…

  15. DR dit :

    Bonjour Descartes,
    Quelques remarques décousues faisant suite aux actes de sabotage de l’usine Lafarge de Marseille. Dominique Reynié annonce depuis longtemps des attentats écologistes : on y est.
    C’est (peut etre l’enquête le dira-t-elle ?) probablement l’œuvre de quelques militants (200 quand même semble-t-il) exaltés issus de classes intermédiaires (intellectuels déclassés, dirait Schlumpeter). Ils se voient, comme les marxistes de jadis, “au volant de l’histoire” (lutte contre le réchauffement climatique), mais il y a probablement une conjonction de facteurs dans leurs motivation (échec personnel, intellectuels déclassés sans perspective vivotant, donc exclus de facto de la belle vie des gagnants de la mondialisation), une formation sans doute universitaires donc nourri à la vulgate bourdieusienne faite de lutte contre les dominations, des militants sincères, des syndromes psychologiques aigus… Sans doute un mélange d’écologistes et d’électeurs Nupes. Ca me rappelle Coluche “La société n’a pas voulu de nous ? qu’elle se rassure on ne veut pas d’elle”. 
    Il y a probablement un aspect générationnel également, avec un passage d’un temps où nos grands parents étaient agriculteurs, ouvriers ou artisans à une génération où nos parents étaient plutot des urbains dans le tertiaire, et que le rapport aux objets a changer : la plupart de mes amis ne savent globalement rien réparer, et passent en mode location.
    Il y a également un aspect géographique : je me suis occupé d’une randonnée à vélo d’enfants (60 enfants de 10/13 ans), les petits urbains ne savaient pas faire de vélo !  Ils zigzagaient sur la route, certains ne savaient pas se servir des vitesses du vélo.
    On a donc une génération d’urbains “manieurs de signe” déclassés qui ne sait rien faire de ces mains. Leurs débouchés professionnels sont restreints, ils se voient avant tout redresseurs de torts, justiciers… Leur rêve est de devenir élus, on les voit clairement arrivés dans les mairies écologistes.
    Dans cette affaire Lafarge, je serai curieux de voir ce que va faire la justice. Va-t-on une nouvelle fois, comme dans les multiples affaires de démontage de Mac Donald, de squat, de violences Antifa, de destruction de cultures OGM, vers une compréhension de ces actes qui se traduira par une non poursuite ou des peines dérisoires ? La déliquescence de l’institution judiciaire me parait également préoccupante, elle ne s’est jamais remise de sa dévotion à Vichy, et depuis essaye de se racheter une conscience progressiste.
    Je serai assez preneur (vous avez souvent abordé ce point) d’une vision de votre part sur l’idéologie et les héraults de cette fameuse classe intermédiaire dont vous nous parlez souvent.
     

    • Descartes dit :

      @ DR

      [Ils se voient, comme les marxistes de jadis, “au volant de l’histoire” (lutte contre le réchauffement climatique),]

      Je ne pense pas qu’on puisse comparer ces militants aux « marxistes de jadis ». Marx était d’abord un théoricien de l’histoire, cherchant à découvrir son « moteur ». Toute la réflexion marxiste est d’abord une réflexion historique. La philosophie écologiste est au contraire une pensée anti-historique. Vous ne trouverez jamais dans le discours écologiste une référence historique. Et c’est pourquoi imaginer qu’ils puissent se sentir « au volant de l’histoire » me paraît absurde.

      Non, toute l’idéologie écologiste justifie l’action non pas au nom de l’histoire, mais par la notion d’urgence – notion qui est au contraire totalement absente dans l’idéologie marxiste. Pour le marxiste, la chute du capitalisme – comme celle des modes de production qui l’ont précédés – est inscrite dans les mécanismes historiques, que les hommes la veuillent ou pas. Pour l’écologiste, au contraire, le « paradis écologique » n’est pas au bout d’une fatalité historique.

      [mais il y a probablement une conjonction de facteurs dans leurs motivation (échec personnel, intellectuels déclassés sans perspective vivotant, donc exclus de facto de la belle vie des gagnants de la mondialisation), une formation sans doute universitaires donc nourri à la vulgate bourdieusienne faite de lutte contre les dominations, des militants sincères, des syndromes psychologiques aigus…]

      Je me méfie des explications psychologisantes… à supposer même que les raisons pour agir de ces gens-là soient psychologiques, il faut encore expliquer pourquoi la société tolère leur action, pourquoi elle ne la qualifie de folie. Pourquoi des journaux sérieux, des revues intellectuelles cherchent à les justifier.

      [Sans doute un mélange d’écologistes et d’électeurs Nupes. Ca me rappelle Coluche “La société n’a pas voulu de nous ? qu’elle se rassure on ne veut pas d’elle”.]

      Sauf que ceux-là mêmes qui riaient aux saillies de Coluche se sont vautrés dans ce que cette « société » qu’ils affectaient ne pas aimer a de pire. Ce sont les amateurs de Coluche qui furent les acteurs complaisants des « années fric »…

      [Il y a probablement un aspect générationnel également, avec un passage d’un temps où nos grands-parents étaient agriculteurs, ouvriers ou artisans à une génération où nos parents étaient plutot des urbains dans le tertiaire, et que le rapport aux objets à changer : la plupart de mes amis ne savent globalement rien réparer, et passent en mode location.]

      Oui, mais au-delà de constater un changement, il faut comprendre quel est son moteur. Avec la production de masse, les objets deviennent tellement bon marché que les réparer devient une aberration économique. Le temps que vous passez à réparer un objet vaut plus cher que l’objet neuf.

      [Il y a également un aspect géographique : je me suis occupé d’une randonnée à vélo d’enfants (60 enfants de 10/13 ans), les petits urbains ne savaient pas faire de vélo ! Ils zigzagaient sur la route, certains ne savaient pas se servir des vitesses du vélo.]

      Là, je ne comprends pas le rapport avec la choucroute. Il est clair que les pratiques de chacun sont liées à son environnement. Dans les villages africains, les enfants ne savent pas comment prendre le métro, à Paris si. Je ne vois pas très bien en quoi « savoir faire du vélo » serait plus précieux que de savoir prendre le métro.

      [On a donc une génération d’urbains “manieurs de signe” déclassés qui ne sait rien faire de ces mains. Leurs débouchés professionnels sont restreints, ils se voient avant tout redresseurs de torts, justiciers…]

      Je ne vois pas la logique qui vous pousse à considérer que « savoir faire quelque chose de ses mains » est plus intéressant que de savoir « manier des signes ». Pourriez-vous développer ?

      [Dans cette affaire Lafarge, je serai curieux de voir ce que va faire la justice. Va-t-on une nouvelle fois, comme dans les multiples affaires de démontage de Mac Donald, de squat, de violences Antifa, de destruction de cultures OGM, vers une compréhension de ces actes qui se traduira par une non poursuite ou des peines dérisoires ?]

      Probablement. Que voulez-vous, les juges appartiennent aux classes intermédiaires, et ils portent l’idéologie dominante…

      [La déliquescence de l’institution judiciaire me parait également préoccupante, elle ne s’est jamais remise de sa dévotion à Vichy, et depuis essaye de se racheter une conscience progressiste.]

      Je ne vois pas très bien ce que Vichy vient faire dans cette affaire…

      [Je serai assez preneur (vous avez souvent abordé ce point) d’une vision de votre part sur l’idéologie et les hérauts de cette fameuse classe intermédiaire dont vous nous parlez souvent.]

      L’idéologie des classes intermédiaires, c’est aujourd’hui l’idéologie dominante… Ecoutez les médias dominants – France Inter, pour ne donner qu’un exemple -, lisez les auteurs en cours, et vous la retrouverez…

  16. Mals'Foeroad dit :

     
    @Descartes
     
    Ayant atteint la limite du nombre de réponses plus haut, je reprends ici.
     
    [La destruction d’un bien privé peut toujours être perçue comme un message adressé au propriétaire, ou même une vengeance. Mais la destruction d’un gymnase ou d’une bibliothèque qui est le patrimoine commun de tous les citoyens – y compris de celui qui le détruit, comment l’interpréter ?]
     
    On peut l’interpréter de la même facon que la destruction du bien privée, la vengence, en rajoutant l’hypothèse d’une idéologie victimiste. Pour celui qui détruit, le bien commun est d’avantage le bien de la société qui opresse, “un autre”, que son propre bien. Pour contredire cet argument il faudrait voir dans quelle mesure celui qui détruit est prêt à détruire ses biens personnels pour satisfaire cette soif de destruction. Force est de constater que c’est bien plus rare.
     
     
     
    [C’est une bonne observation, mais elle me laisse un peu sur ma faim. Oui, la destruction est plus « dramatique », plus cinématographique que la construction… Quoique le lancement d’un navire ou le premier record d’un TGV puissent là aussi être mis en scène de manière « instantanée ». Mais cela ne répond pas à la question : pourquoi la destruction est associée dans notre société « à la force et la puissance » ? ]
     
    Si je met de côté un instant la question de la représentation dans les fictions, il y a en fait un élément qui soutient l’association pouvoir-destruction : le Léviathan. Dans toute société, le pouvoir du chef se reconnait par sa capacité à exercer la violence contre les menaces intérieures (Justice) et extérieures (Armée). Vu sous cet angle l’association pouvoir-violence devient triviale, et la destruction est juste la conséquence de la violence.
     
    [J’avoue ne pas me souvenir de l’épisode. Mais d’une façon générale, la destruction et la mort chez Homère – comme chez la plupart des auteurs grecs – est traitée sur le mode tragique. L’humour noir est une invention relativement moderne.]
     
    Partant du point précédent, on peut affirmer que les grecs aussi associaient les idées de pouvoir et de potentiel de violence. Cependant je suis d’accord avec vous que notre société représente la destruction de facon beaucoup plus anodine que ne le faisaient les auteurs grecs.
    Pour tenter une explication, j’avancerais que contrairement aux grecs nous vivons dans un monde d’êxtreme opulence et d’abondance. Aujourd’hui, le coût relatif de la destruction est minime par rapport à ce qu’il était il y a 3000 ans. D’où une certaine retenue dans les oeuvres représentant la violence et la destruction. En somme, les assiégés de Carcassonne ont fait l’exception pour décourager leurs assaillants, i.e. jeter un porc gavé de blé par dessus leurs rempart. Hollywood fait la nouvelle règle dans ses films en détruisant des immeubles et parfois le Capitole.
     

    • Descartes dit :

      @ Mals’Foeroad

      [On peut l’interpréter de la même facon que la destruction du bien privée, la vengence, en rajoutant l’hypothèse d’une idéologie victimiste. Pour celui qui détruit, le bien commun est d’avantage le bien de la société qui opresse, “un autre”, que son propre bien.]

      Mais brûler la bibliothèque ou l’on emprunte des dvd, le gymnase ou l’on fait du sport, cela vous « venge » de quoi ? Je ne parle ici de détruire le siège d’institutions lointaines, qui peuvent vous paraître étrangères, mais d’institutions très proches…

      [Si je met de côté un instant la question de la représentation dans les fictions, il y a en fait un élément qui soutient l’association pouvoir-destruction : le Léviathan. Dans toute société, le pouvoir du chef se reconnait par sa capacité à exercer la violence contre les menaces intérieures (Justice) et extérieures (Armée). Vu sous cet angle l’association pouvoir-violence devient triviale, et la destruction est juste la conséquence de la violence.]

      Je ne pense pas que ce soit aussi simple. La caractéristique du pouvoir suprême n’est pas tant la capacité à exercer la violence – cela est à la portée de n’importe qui – mais au contraire, de la retenir. Qu’est-ce la justice, si ce n’est le refus de la violence aveugle ? Qu’est ce qui distingue les armées des bandes armées, si ce n’est l’obéissance à des règles qui limitent la violence ? Souvenez-vous du dialogue entre les personnages de Schindler et Goetz dans « la liste de Schindler » de Spielberg. L’un des vocatifs d’Allah est d’ailleurs « le très miséricordieux »…

      [Pour tenter une explication, j’avancerais que contrairement aux grecs nous vivons dans un monde d’êxtreme opulence et d’abondance. Aujourd’hui, le coût relatif de la destruction est minime par rapport à ce qu’il était il y a 3000 ans.]

      C’est certainement un élément qui compte. Aujourd’hui, les destructions de mobilier urbain ou de vitrines qui accompagnent une manifestation sont réparées en quelques heures, quelques jours tout au plus. Même les destructions de guerre sont effacées en quelques années. Ce n’était pas le cas avant le XXème siècle.

  17. Phael dit :

     
    @Descartes
    Suite de l’échange posté plus haut…
    [Il semblerait que c’est la deuxième solution qui est choisie… sauf qu’ils n’ont aucune raison de « l’assumer ». On peut parfaitement installer une société de castes tout en prétendant qu’on est en train de construire une société égalitaire. C’est ainsi par exemple qu’on s’attaque à la méritocratie (qu’on remplace par la ploutocratie) en prétendant que la méritocratie perpétue les inégalités…]
     
    Pour le coup, nous sommes en désaccord.
    Il est bien entendu que les discours peuvent prétendre tout et son contraire, quelle que soit la réalité. Ce n’est ni nouveau, ni original. Thucydide, déjà, notait cette propension à tordre les mots pour leur faire dire ce qui nous arrange.
    Quand je parle « d’assumer », je ne le vois pas avant tout comme un mécanisme intellectuel, ou moral (cela implique aussi ces aspects, mais ils ne sont pas majeurs ici), je pense surtout au mécanisme de rapport de force que cela implique. Une domination, pour perdurer, doit être assumée, c’est-à-dire qu’on doit lui consacrer les moyens nécessaires. Lorsqu’on ne le fait pas, on se retrouve comme la France dans la guerre d’Indochine, à faire la guerre sans savoir réellement pourquoi on la fait et sans vouloir trop la faire, ce qui se termine rarement bien.  
    Tant que le libéralisme est mondial, il suffit de détruire pour installer une segmentation fermée de la société. Le vide laisse le champ libre aux influences des castes, ce qui remplit l’objectif visé.
    Mais cette phase de stabilisation que vous décrivez implique le retour d’un état. Nous ne sommes donc plus seulement dans le vide, le rien, nous sommes avec des murs qu’il faut construire. Et qu’il faut assumer. Une société ploutocratique implique un conflit permanent dans la société, elle implique que la classe dominante va consacrer une bonne part de son énergie à contrer ses concurrents intérieurs, et que la classe dominée va consacrer une bonne part de la sienne à essayer de renverser la première. Je pense que nous avons une bonne illustration de cela avec les pays d’Amérique du Sud. Or, ces sociétés sont incroyablement peu fertiles, en termes de progrès technologique. Une société qui se verrouille dans un schéma figé ne peut pas en même temps oser l’inévitable déséquilibre qu’implique le progrès. Ils suivent, tout au plus. Ce sont aussi des sociétés assez faibles, sur le plan extérieur (sur les plans militaires, économiques, diplomatiques, etc.).  
    Le prix à payer pour établir un état ploutocratique me semble donc tout sauf anodin, y compris pour la classe dominante et encore plus pour les classes intermédiaires et ils devront l’assumer, sauf à tout perdre.

    • Descartes dit :

      @ Phael

      [Quand je parle « d’assumer », je ne le vois pas avant tout comme un mécanisme intellectuel, ou moral (cela implique aussi ces aspects, mais ils ne sont pas majeurs ici), je pense surtout au mécanisme de rapport de force que cela implique. Une domination, pour perdurer, doit être assumée, c’est-à-dire qu’on doit lui consacrer les moyens nécessaires.]

      Je trouve bizarre qu’on utilise le mot « assumer » en lui donnant le sens de « consacrer les moyens nécessaires ». Mais admettons.

      [Mais cette phase de stabilisation que vous décrivez implique le retour d’un état. Nous ne sommes donc plus seulement dans le vide, le rien, nous sommes avec des murs qu’il faut construire. Et qu’il faut assumer. Une société ploutocratique implique un conflit permanent dans la société, elle implique que la classe dominante va consacrer une bonne part de son énergie à contrer ses concurrents intérieurs, et que la classe dominée va consacrer une bonne part de la sienne à essayer de renverser la première.]

      Pas tout à fait : la logique « ploutocratique » implique la mise en concurrence des membres de la classe dominée entre eux. Cette idée et déjà contenue dans le libéralisme classique, qui rejette toute forme de « ligue » entre les travailleurs leur permettant de négocier avec la classe dominante en position de force – c’est le sens de la loi Le Chapelier, par exemple, qui interdit toute forme de coalition syndicale. Il fallait au contraire que la concurrence « libre et non faussée » entre les travailleurs pousse les salaires vers le bas.

      Les rapports de force de la fin du XIXème ont mis de côté ces doctrines : de l’abrogation de la loi Le Chapelier à la constitutionnalisation du droit de grève, en passant par la constitution des statuts et des systèmes de protection sociale, on a fait beaucoup pour limiter cette concurrence. A partir de la révolution néolibérale des années 1980, ces conquêtes ont été lentement grignotées…

      • Phael dit :

         
        @Descartes
        [Je trouve bizarre qu’on utilise le mot « assumer » en lui donnant le sens de « consacrer les moyens nécessaires ».]
        Je vous l’accorde bien volontiers. J’aurai dû être plus clair.
         
        [Pas tout à fait : la logique « ploutocratique » implique la mise en concurrence des membres de la classe dominée entre eux. Cette idée et déjà contenue dans le libéralisme classique, qui rejette toute forme de « ligue » entre les travailleurs leur permettant de négocier avec la classe dominante en position de force – c’est le sens de la loi Le Chapelier, par exemple, qui interdit toute forme de coalition syndicale. Il fallait au contraire que la concurrence « libre et non faussée » entre les travailleurs pousse les salaires vers le bas.]
        C’est tout à fait juste et cela fonctionne redoutablement bien. Mais je pense que ce conflit n’exclut pas l’autre, qui existe tout de même, et plus la fraction dominée est importante, plus la fraction dominante est réduite, plus la coupure entre les deux est marquée… et moins les dominants dorment tranquilles. Ils s’enferment vite dans des mentalités d’assiégés.
         
        Je vais m’avancer, car je ne connais pas assez la France du XIXe siècle et je connais mal sa structure sociologique. Je pense que la société n’était que très partiellement ploutocratique. En fait, la majorité du pays était agricole et les rapports sociaux étaient soit ceux issus du monde aristocratique (cloisonné, mais où chacun trouve sa place, et une place à peu près digne), soit ceux de petits propriétaires terriens. La fraction « moderne », celle des industriels et des ouvriers, n’a fait que grossir progressivement. Et lorsqu’elle est devenue complètement prédominante, à la fin du siècle et au début du suivant… et bien la société à commencé à sortir de la doxa libérale de l’époque (impôts sur les successions, sur le revenu, liberté syndicale, etc.). De la sorte, je ne pense pas que la France du XIXe siècle ait réellement été ploutocratique (même si des forces ploutocratiques existaient et qu’elles étaient puissantes). Je crois qu’elle a évité ce piège grâce à l’action conjointe largement involontaire de Thiers (maintient du suffrage universel) et des radicaux.
         
         

        • Descartes dit :

          @ Phael

          [C’est tout à fait juste et cela fonctionne redoutablement bien. Mais je pense que ce conflit n’exclut pas l’autre, qui existe tout de même, et plus la fraction dominée est importante, plus la fraction dominante est réduite, plus la coupure entre les deux est marquée… et moins les dominants dorment tranquilles. Ils s’enferment vite dans des mentalités d’assiégés.]

          Ca se discute. Le « bloc dominant » s’est beaucoup élargi au cours du XXème siècle, passant d’une bourgeoisie relativement réduite – les « 200 familles » – à un conglomérat réunissant la bourgeoisie et les classes intermédiaires, soit selon mes estimations autour d’un quart de la population. Et pourtant, on a l’impression que la coupure entre les deux devient de plus en plus marquée. Il n’y a qu’à regarder l’évolution de la géographie pour s’en convaincre : en 1950, Paris était une ville mixte, où les bourgeois côtoyaient les ouvriers. Aujourd’hui, il n’y a pratiquement plus d’usines dans Paris et sa petite couronne, et la « gentrification » a expulsé les couches populaires. Les classes dominantes parisiennes vivent le parfait entre-soi.

          [Je vais m’avancer, car je ne connais pas assez la France du XIXe siècle et je connais mal sa structure sociologique. Je pense que la société n’était que très partiellement ploutocratique. En fait, la majorité du pays était agricole et les rapports sociaux étaient soit ceux issus du monde aristocratique (cloisonné, mais où chacun trouve sa place, et une place à peu près digne), soit ceux de petits propriétaires terriens. La fraction « moderne », celle des industriels et des ouvriers, n’a fait que grossir progressivement.]

          En France, une double tradition s’est opposée pendant très longtemps à la vague « ploutocratique » : d’une part, le catholicisme avec sa méfiance envers l’argent et le crédit, bien moins favorable aux logiques ploutocratiques que le protestantisme ; d’autre part la tradition d’un état fort et méritocratique héritée de l’ancien régime et sublimée par l’Empire puis par la République. Pendant très longtemps, nos élites ont fondé leur position sur le mérite bien plus que sur la fortune. A l’aristocratie du sang a succédé une forme d’aristocratie du mérite.

          En dehors des élites, la France est restée il est vrai très longtemps un pays de paysans, même si les artisans puis les ouvriers avaient un poids important dans les villes, là où se fait la politique. L’exemple classique est celui des artisans et apprentis parisiens, redoutés par tous les régimes politiques depuis la chute de Louis XVI. Mais il y avait une grande disparité régionale. Il y a des régions de petits propriétaires ou le conflit avec l’aristocratie était permanent, et des territoires où l’aristocratie conservait un prestige et un rôle politique. On l’a bien vu en Vendée…

          • democ-soc dit :

            [Et pourtant, on a l’impression que la coupure entre les deux devient de plus en plus marquée. Il n’y a qu’à regarder l’évolution de la géographie pour s’en convaincre : en 1950, Paris était une ville mixte, où les bourgeois côtoyaient les ouvriers. Aujourd’hui, il n’y a pratiquement plus d’usines dans Paris et sa petite couronne, et la « gentrification » a expulsé les couches populaires. Les classes dominantes parisiennes vivent le parfait entre-soi.]
            C’est tres vite dit…
            La loi SRU impose depuis longtemps un quota de logements sociaux dans chaque ville, et Paris n’y fait pas exeption.On est en route pour 25% de logements sociaux parmi les residences principales en 2025 (c’est l’objectif fixé par la loi) et la mairie s’est auto-ajoutée un 2e objectif de 30% en 2030. Demain donc.
            Son volontarisme peut difficilement etre mis en doute : le futur PLU de la ville prevoit meme des regles draconiennes d’octroi de permis de construire dans les zones dites de “super-déficit”, c’est à dire où le taux de logements sociaux est inferieur a 10%.
            L’une des traductions directes de tout cela, c’est d’ailleurs les plaintes qu’on peut lire ici et là (le figaro s’en est fait une specialité) comme quoi Paris n’est plus Paris et qu’Hidalgo devaste la ville…
            L’autre effet, c’est la luttte de plus en plus âpre à Paris entre ecologistes et communistes pour savoir si les terrains “libérés” doivent etre consacrés au logement ou aux espaces verts…
            Ce mouvement de “collectivication” du logement est d’ailleurs assez surprenant pour moi.
            Un peu comme si l’Etat et les collectivités (celles de gauche du moins) tentaient de compenser la montée des inégalités, qui sont la conséquence directe de leurs politiques des 40 dernieres années…

            • Descartes dit :

              @ democ-soc

              [« Aujourd’hui, il n’y a pratiquement plus d’usines dans Paris et sa petite couronne, et la « gentrification » a expulsé les couches populaires. Les classes dominantes parisiennes vivent le parfait entre-soi. » C’est tres vite dit… La loi SRU impose depuis longtemps un quota de logements sociaux dans chaque ville, et Paris n’y fait pas exception.]

              Sauf que rien dans la loi SRU n’impose que le logement social soit occupé par des ouvriers… quand on regarde la composition sociale des locataires des HLM de la ville de Paris, on ne trouve pas tout à fait la même sociologie que dans la Seine-Saint-Denis. On y trouve par exemple beaucoup plus de fonctionnaires municipaux, hospitaliers ou d’Etat dont le salaire ne permet pas de se loger à Paris et qui obtiennent un logement pour « besoin de service ». On voit aussi fleurir du « logement social supérieur » consacré aux cadres en bas de l’échelle. Quant aux ouvriers, ils ont pratiquement disparu et pour une raison simple : il n’y a plus d’industrie à Paris, et très peu dans la région.

              [On est en route pour 25% de logements sociaux parmi les résidences principales en 2025 (c’est l’objectif fixé par la loi) et la mairie s’est auto-ajoutée un 2e objectif de 30% en 2030. Demain donc.
              Son volontarisme peut difficilement être mis en doute : le futur PLU de la ville prévoit même des règles draconiennes d’octroi de permis de construire dans les zones dites de “super-déficit”, c’est à dire où le taux de logements sociaux est inferieur a 10%.]

              Vous réhabilitez à mes yeux la municipalité dirigée par Hidalgo. Si elle fait un véritable effort pour permettre aux couches populaires de rester présentes dans la capitale, chapeau. Malheureusement, je ne pense pas que ce soit le cas…

              [Ce mouvement de “collectivisation” du logement est d’ailleurs assez surprenant pour moi. Un peu comme si l’Etat et les collectivités (celles de gauche du moins) tentaient de compenser la montée des inégalités, qui sont la conséquence directe de leurs politiques des 40 dernières années…]

              Vous êtes un peu injuste. L’expulsion des couches populaires des centre-ville est un phénomène qui se reproduit dans presque toutes les grandes capitales internationales (Londres, New York, Paris…). La raison est bien sur l’enrichissement massif des classes intermédiaires, et notamment la partie la plus internationalisée. Dans la mesure où la ressource foncière est limitée, cela provoque une hausse massive des prix, et donc l’exclusion des couches populaires. Ce n’est donc pas la politique de la mairie de Paris, mais un phénomène bien plus global.

          • Phael dit :

            @Descartes
            [Ca se discute. Le « bloc dominant » s’est beaucoup élargi au cours du XXème siècle, passant d’une bourgeoisie relativement réduite – les « 200 familles » – à un conglomérat réunissant la bourgeoisie et les classes intermédiaires, soit selon mes estimations autour d’un quart de la population.]
             
            Je n’ai jamais dit le contraire. J’ai dit que la mentalité d’assiégé des classes dominantes (et la sclérose de la société qui en découle) s’établit en fonction du nombre (ou plus exactement de la puissance potentielle) de chaque groupe et de la coupure entre eux. J’ai posé une équation à trois éléments, générale et théorique, soit, mais qui me semble assez juste. Je reprend l’exemple des pays d’Amérique du Sud, où les élites consacrent une bonne part de leur énergie à maintenir les miséreux à leur place.
            Cette équation change d’ailleurs du tout au tout si le groupe antagoniste est un groupe extérieur à la société considérée. Dans l’exemple de l’Amérique du Sud, les miséreux font partie de la même société que les élites. Pour faire simple : les élites n’existent pas sans les miséreux en question, ceux-ci étant au service de ceux-là. Mais si l’on remplace “les miséreux” par “les voisins du pays d’à côté”, tout change. Si l’antagoniste est extérieur à la société considérée, l’élément d’opposition qui produisait la sclérose produit maintenant l’émulation. Le dynamisme de l’Italie de la Renaissance me semble une bonne illustration du phénomène. Ils se faisaient tout le temps la guerre, mais quelle puissance inventive !
             
            [Et pourtant, on a l’impression que la coupure entre les deux devient de plus en plus marquée. Il n’y a qu’à regarder l’évolution de la géographie pour s’en convaincre : en 1950, Paris était une ville mixte, où les bourgeois côtoyaient les ouvriers. Aujourd’hui, il n’y a pratiquement plus d’usines dans Paris et sa petite couronne, et la « gentrification » a expulsé les couches populaires. Les classes dominantes parisiennes vivent le parfait entre-soi.]
             
            Ce qui pose la question : ont-ils besoin des couches populaires ? Si, à un moment donné, ils estiment pouvoir voguer seuls, physiquement seuls, sans l’apport du travail des petites mains du bas peuple… nous vivrons des temps intéressants ! Car bien entendu, cela ne s’est jamais produit dans l’histoire. Mais avec l’action conjointe de l’épuisement des ressources naturelles (qui limite la part du gâteau à se partager) et l’essor de la robotique et de l’intelligence artificielle (qui permet de remplacer la petite main justement), l’idée leur traverse peut-être l’esprit. Il y a loin de la coupe aux lèvres, et à ce stade d’incertitude quant aux contraintes matérielles du problème, tout ça n’est que pure spéculation. Mais philosophiquement, et même politiquement, il me semble intéressant d’avoir en vue ce genre d’hypothèses.
             

            • Descartes dit :

              @ Phael

              [« Ca se discute. Le « bloc dominant » s’est beaucoup élargi au cours du XXème siècle, passant d’une bourgeoisie relativement réduite – les « 200 familles » – à un conglomérat réunissant la bourgeoisie et les classes intermédiaires, soit selon mes estimations autour d’un quart de la population. » Je n’ai jamais dit le contraire.]

              Un peu quand même : vous aviez proposé l’idée que la mentalité d’assiégée des couches dominantes était d’autant plus forte qu’elles étaient numériquement faibles. Je vous ai proposé un contre-exemple actuel.

              [J’ai dit que la mentalité d’assiégé des classes dominantes (et la sclérose de la société qui en découle) s’établit en fonction du nombre (ou plus exactement de la puissance potentielle) de chaque groupe et de la coupure entre eux. J’ai posé une équation à trois éléments, générale et théorique, soit, mais qui me semble assez juste. Je reprend l’exemple des pays d’Amérique du Sud, où les élites consacrent une bonne part de leur énergie à maintenir les miséreux à leur place.]

              Mais là encore, l’exemple ne fonctionne pas vraiment. Les pays les plus instables, ceux ou les élites passent le plus de temps à maintenir les miséreux à leur place, ne sont pas forcément ceux où les inégalités sont plus fortes ou les classes dominantes les moins nombreuses. Ainsi, l’Argentine est le pays latinoaméricain ou les classes intermédiaires sont les plus puissantes, et c’est l’un des plus instables…

              En fait, je pense qu’il faut aller plus loin dans votre théorie dans la description des « classes dominantes ». Là où la classe dominante est essentiellement bourgeoise, on trouve souvent des sociétés figées, où chacun se contente de la place qui lui est assignée et par conséquent « maintenir les miséreux à leur place » ne nécessite pas un grand effort. Là où les « classes intermédiaires » sont puissantes, la chose est plus complexe parce que ces couches jouent à trois bandes, se mettant alternativement du côté de la bourgeoisie ou des couches populaires pour essayer d’obtenir une plus grande part du gâteau.

              [Cette équation change d’ailleurs du tout au tout si le groupe antagoniste est un groupe extérieur à la société considérée. Dans l’exemple de l’Amérique du Sud, les miséreux font partie de la même société que les élites. Pour faire simple : les élites n’existent pas sans les miséreux en question, ceux-ci étant au service de ceux-là. Mais si l’on remplace “les miséreux” par “les voisins du pays d’à côté”, tout change. Si l’antagoniste est extérieur à la société considérée, l’élément d’opposition qui produisait la sclérose produit maintenant l’émulation. Le dynamisme de l’Italie de la Renaissance me semble une bonne illustration du phénomène. Ils se faisaient tout le temps la guerre, mais quelle puissance inventive !]

              Je ne partage pas ce raisonnement. Les conflits sociaux (qu’ils soient à l’extérieur ou à l’intérieur) sont presque toujours des conflits de répartition. Entre dominants et dominés dans une société, c’est le partage de la richesse produite. Entre états, comme dans le cas que vous citez, c’est le partage des marchés ou des richesses extraites des colonies. Maintenant, il y a deux manières de résoudre un conflit de répartition : en changeant la taille relative des parts, ou en augmentant la taille totale du gâteau. Et cela marche autant dans le conflit entre riches et miséreux à l’intérieur d’une même société que dans le conflit entre deux sociétés. A l’exemple de l’émulation entre cités italiennes, vous pourriez par exemple opposer le « gaullo-communisme » des trente glorieuses…

              [« Aujourd’hui, il n’y a pratiquement plus d’usines dans Paris et sa petite couronne, et la « gentrification » a expulsé les couches populaires. Les classes dominantes parisiennes vivent le parfait entre-soi. » Ce qui pose la question : ont-ils besoin des couches populaires ?]

              La réponse est sans aucun doute « oui ». Qui, sinon, produit les chemisettes et les IPhones, la farine et les voitures – et encore plus important, la plus-value qui fait vivre les classes dominantes ? Les classes dominantes ont toujours besoin des dominés, mais n’en ont pas besoin chez soi. On peut parfaitement les avoir en Bulgarie ou au Bangladesh… les seuls dont on a besoin ici, ce sont ceux qui font fonctionner les services non-délocalisables.

              [Mais avec l’action conjointe de l’épuisement des ressources naturelles (qui limite la part du gâteau à se partager) et l’essor de la robotique et de l’intelligence artificielle (qui permet de remplacer la petite main justement), l’idée leur traverse peut-être l’esprit.]

              Seulement si la robotique et l’intelligence artificielle coûtent moins cher que la « petite main » qu’ils remplacent. Et franchement, on en est très, très loin d’en faire une règle générale. C’est le cas dans la fabrication de produits à forte valeur ajoutée nécessitant une grande précision (la fabrication de cartes électroniques est un bon exemple). Mais d’ici à ce qu’un robot vous coupe les cheveux…

  18. Barbier dit :

    Bonjour Descartes,
    Un lien concernant l’affaire Lafarge, photos et slogans/revendications diverses.
    https://lundi.am/Marseille-l-usine-Lafarge-de-la-Malle-envahie-et-sabotee-par-200-activistes
    Sur le fond, l’on peut comprendre l’exaspération de ces militants par rapport au résultat des actions en justice contre Lafarge ou dernièrement Lubrizol  ou bien encore ce pauvre agriculteur français qui après 14 années de procédure a fait condamner Monsanto en justice et a obtenu 11625€ (!) de  dédommagements pour sa santé bien détériorée (même l’avocat de Monsanto avait l’air “étonné” par ce verdict). Mais leurs actions représailles vont juste fournir un peu plus d’armes aux tenants du néo-libéralisme mondial et du capitalisme tout court.
    Comment expliquez vous aussi la mansuétude de la Justice Française pour les délits/crimes des cols blancs tant dans la peine requise que pour les dédommagements arrivants toujours après au moins une décennie de batailles juridiques ?
    Serait ce au niveau du subconscient d’appartenance au même monde tertiaire diplômé ou juste que la preuve est beaucoup plus dure à fournir dans un délit entre cols blancs et un braquage bien violent de base ?
    En tout cas, merci pour votre blog constructif et intéressant à travers l’échange.

    • Descartes dit :

      @ Barbier

      [Un lien concernant l’affaire Lafarge, photos et slogans/revendications diverses.]

      Je vous invite en particulier à lire le communiqué de presse qui suit les photos. Dans le premier paragraphe, on trouve cette formule : « dans une ambiance déterminée et JOYEUSE, l’infrastructure de l’usine du cimentier a été attaquée par tous les moyens : sabotage de l’incinérateur et de dispositifs électriques, câbles sectionnés, sac de ciments éventrées (sic), véhicules et engins de chantiers endommagés, vitrines des bureaux abimées (…) » (c’est moi qui souligne). Vous noterez l’utilisation du mot « joyeux » dans ce contexte. Autrement dit, l’utilisation de la violence ici n’est pas une triste nécessité qu’on regrette, mais une source de « joie ».

      Cette utilisation d’un mot qui appartient au registre ludique dans la description de ce qui est censé être un acte tragique – le choix de violer la loi au nom d’un principe supérieur nous amène à Antigone – n’a rien d’une coïncidence. Ces militants retirent un véritable plaisir de ce geste de destruction…

      [Sur le fond, l’on peut comprendre l’exaspération de ces militants par rapport au résultat des actions en justice contre Lafarge ou dernièrement Lubrizol ou bien encore ce pauvre agriculteur français qui après 14 années de procédure a fait condamner Monsanto en justice et a obtenu 11625€ (!) de dédommagements pour sa santé bien détériorée (même l’avocat de Monsanto avait l’air “étonné” par ce verdict).]

      Vous savez, quotidiennement les conseils de prud’hommes et autres juridictions du travail prononcent des décisions qu’on peut juger tout aussi iniques. Si les syndicats se mettaient à détruire usines et bureaux, mettriez-vous là aussi cela sur le compte d’une « exaspération » bien compréhensible ?

      Après, il faut être sérieux. Il est inexact de dire que la justice a estimé le préjudice dans l’affaire Paul François à 11625 €. La cour d’appel a évalué le préjudice à 50.000 €, dont quelque 40.000 € avaient été réglés sans attendre par la MSA et les assurances. Après, on peut toujours discuter la décision de la cour mais… moi je n’ai pas eu accès au dossier, je n’ai pas entendu les témoins, je n’ai pas lu les expertises. Il est possible que Paul François ait subi, comme il l’affirme, un préjudice bien plus important du fait du produit incriminé. Mais il est aussi possible que ce préjudice n’existe pas, et que toute cette procédure ne vise qu’à faire cracher l’industriel au bassinet le plus possible. Moi, je n’ai pas les éléments pour trancher, et je me remets donc à la sagesse des juges, qui ont eu le dossier, qui ont entendu les témoins, qui ont lu les expertises… pas vous ? Qu’est ce qui vous fait penser qu’après avoir lu la presse votre avis est plus proche de la vérité que celui du juge ?

      [Mais leurs actions représailles vont juste fournir un peu plus d’armes aux tenants du néo-libéralisme mondial et du capitalisme tout court.]

      Pourquoi parlez-vous « d’action de représailles » ? Dans leur communiqué, l’objectif déclaré est « d’arrêter ces industries de la construction qui détruisent la terre ».

      [Comment expliquez-vous aussi la mansuétude de la Justice Française pour les délits/crimes des cols blancs tant dans la peine requise que pour les dédommagements arrivants toujours après au moins une décennie de batailles juridiques ?]

      Je ne vois pas beaucoup de « mansuétude ». Pourriez-vous donner des exemples concrets ? Je pense que cette accusation a pour origine une incompréhension fondamentale du rôle de la justice. Le juge n’est pas là pour défendre l’éthique ou la morale, mais pour appliquer la loi. Un acte peut être moralement condamnable, mais le juge ne peut s’en saisir et le condamner que dans les conditions et limites prescrites par la loi. Et s’il dépasse ces limites, il commet une faute.

      Ainsi, par exemple, on parle de « mansuétude » de la justice dans le cas des délits sexuels, au motif que les juges prononcent des non lieux fondés sur le manque de preuves. Mais la présomption d’innocence, ce principe selon lequel l’innocence se présume et la culpabilité se prouve, s’impose au juge. Voudriez-vous qu’il en soit autrement ?

      [Serait ce au niveau du subconscient d’appartenance au même monde tertiaire diplômé ou juste que la preuve est beaucoup plus dure à fournir dans un délit entre cols blancs et un braquage bien violent de base ?]

      Avant de prouver, il faut qualifier. Autrement dit, il faut établir une correspondance entre les actes d’une personne et un délit défini par la loi pénale. Le juge ne peut pas, en France, inventer des incriminations selon son bon plaisir : il doit établir que l’acte qu’il juge entre dans le cadre d’un délit défini par le législateur. Or, dans les « délits de cols blancs », il s’agit souvent des conduites que la morale et l’éthique reprouvent, mais qui ne rentrent pas dans une incrimination précise. Et dans ce cas, il y a souvent des tentatives désespérées de telle ou telle ONG, tel ou tel groupe militant pour faire entrer au forceps l’acte qu’elle condamne dans une qualification pénale… et ce type de détournement donne lieu souvent à des appels échelonnés, à des marches et contremarches qui prennent du temps…

      Un deuxième problème est la question de l’expertise. Un « braquage bien violent de base » la preuve de la culpabilité repose souvent sur des témoignages ou des expertises simples, comme celle sur l’ADN. Dans beaucoup d’affaires concernant les produits toxiques, la preuve repose sur des expertises très complexes. On recherche souvent à quantifier des effets à long terme alors qu’il n’existe guère d’études scientifiques sur lesquelles on peut s’appuyer, et cela donne lieu à des avis d’experts contradictoires et des juges qui ont beaucoup de mal à arbitrer entre eux…

    • Descartes dit :

      @ ken

      Vous évoquez deux dossiers qui montrent à quel point les pouvoirs publics ont déserté le domaine de la politique énergétique, créant de ce fait une incertitude juridique qui empêche tout investissement. D’une part, on laisse la bride sur le cou aux ONG et aux juges pour décider au cas par cas, sans que l’Etat n’intervienne pour déterminer des priorités. De l’autre, on se trouve devant des directives européennes absurdes qui, au nom de la “concurrence”, découragent tout investissement. Triste époque…

  19. Barbier dit :

    @Descartes
    Tout d’abord, on se demande bien ce que font les forces de l’ordre car leur équipée n’a pas du prendre juste une demi-heure. Donc volonté d’éviter la casse par les autorités préfectorales ?
    Si je me suis permis de parler du vigneron et de cette somme , c’est que je l’ai entendu parler de son affaire sur France Inter. Il était surtout content que Monsanto soit condamné au final et ensuite il a voulu faire le parallèle entre ses 14 années de procédure judiciaire pour les fameux 11625€ de fin de clap avec le cas d’une militante écologiste condamné à 125000€ pour dénigrements après 6 mois seulement de procédure..
    https://www.20minutes.fr/bordeaux/3170843-20211112-bordeaux-militante-antipesticides-condamnee-denigrement-vins-bordeaux-peut-faire-appel-payer-125000-euros
    Je comprends bien votre répartie sur la mansuétude, la loi, la preuve et tout le toutim et j’y souscris mais je trouve que les peines pour les délits des cols blancs apparaissent bien faibles alors que la charge de la preuve est beaucoup plus difficile à fournir. Comme la violence n’est que pécuniaire ou psychologique, elle est considérée comme moins grave. Or un DRH peut provoquer des suicides dans une entreprise et s’en laver les mains (Renault avec le fameux Technodrone ou à La Poste où il fallait que çà débarque par la porte ou…. par la fenêtre)
    Par exemple coté politique pour Mr Balkany et ses frasques, vu sa représentation et sa charge publique, il aurait du prendre dix ans ferme et confiscation de tous ses biens grâce à une amende dissuasive et confiscatoire.
    Résultat des courses, le type a fait quelques mois de prison, a joué au malade imaginaire pour vite en sortir et dort bien tranquillement dans son manoir de Giverny avec un délai de paiement pour ses multiples amendes. 
    Vous me direz, un type sans permis, sans assurances, bourré et shooté au cannabis tue une personne lors d’un accident de la route et au maximum ne pourra prendre que 5 ans de prison ferme. Si j’étais tendancieux, je pourrais dire que des peines si faibles et donc les lois, sont votés par des gens qui n’auront jamais d’accidents de la route car train ou avion gratuit ou voiture de fonction avec chauffeur, cela aide à être compréhensif et à envisager la peine sous l’aune de la réinsertion. Puisque avoir du coeur avec les malheurs des autres, c’est quand même bien plus simple.
    Ma diatribe contre les délits des cols blancs vient du fait que la sévérité de la peine aiderait à rétablir l’équilibre avec l’immense majorité des citoyens qui suivent les lois scrupuleusement et qui permettent à la société de tenir et de constituer un ensemble viable.
     
     
     
     

    • Descartes dit :

      @ Barbier

      [Tout d’abord, on se demande bien ce que font les forces de l’ordre car leur équipée n’a pas du prendre juste une demi-heure. Donc volonté d’éviter la casse par les autorités préfectorales ?]

      D’abord, les services de l’Etat sont à l’os. Alors le temps que l’alerte remonte et qu’on trouve du monde pour l’envoyer sur place, que les forces arrivent et soient prêtes à intervenir, il faut plus d’une demie heure. Ensuite, les autorités savent qu’une intervention qui se passe mal, avec des blessés parmi les manifestants, ce sera retenu contre elles. Et je ne parle même pas du cas où il y aurait un mort… souvenez-vous de l’affaire Remy Fraisse !

      [Si je me suis permis de parler du vigneron et de cette somme, c’est que je l’ai entendu parler de son affaire sur France Inter.]

      Ah, si c’est sur France Inter, cette radio dont le sérieux et la neutralité est bien connue…

      [Il était surtout content que Monsanto soit condamné au final et ensuite il a voulu faire le parallèle entre ses 14 années de procédure judiciaire pour les fameux 11625€ de fin de clap avec le cas d’une militante écologiste condamné à 125000€ pour dénigrements après 6 mois seulement de procédure…]

      Soyez objectif : le dénigrement est une question de fait, qui ne nécessite d’expertise particulière. La question de savoir si une maladie est liée directement à l’exposition à un produit chimique nécessite de longs travaux d’expertise. Le « parallèle » entre les deux affaires n’a pas grand sens.

      [Je comprends bien votre répartie sur la mansuétude, la loi, la preuve et tout le toutim et j’y souscris mais je trouve que les peines pour les délits des cols blancs apparaissent bien faibles alors que la charge de la preuve est beaucoup plus difficile à fournir.]

      Je pense qu’il ne faut pas tout confondre : si la preuve est difficile à fournir, alors on comprend que les procédures soient longues et complexes, et n’aboutissent pas toujours. Mais cela n’a rien à voir avec la peine. La lourdeur de la peine n’a rien à voir avec la difficulté d’apporter la preuve : ou bien l’affaire est prouvée, ou bien elle ne l’est pas. Dans le premier cas on prononce la peine, dans le second on acquitte. On ne prononce pas une peine réduite au motif que peut-être qu’il est coupable, peut -être qu’il ne l’est pas…

      Les peines sont généralement liées à la gravité du trouble apporté à l’ordre public. C’est pourquoi les délits contre les biens sont souvent moins pénalisés que les délits contre les personnes. Or, les délits « en col blanc » sont souvent des délits contre les biens.

      [Comme la violence n’est que pécuniaire ou psychologique, elle est considérée comme moins grave. Or un DRH peut provoquer des suicides dans une entreprise et s’en laver les mains (Renault avec le fameux Technodrone ou à La Poste où il fallait que çà débarque par la porte ou…. par la fenêtre)]

      Lorsque le lien entre les agissements du DRH et le suicide est prouvé, les personnes ont été condamnées. Au Technocentre Renault, la faute inexcusable a été reconnue et des dommages-intérêts conséquents ont été accordés. A France-Telecom, il y a eu même des condamnations pénales personnelles.

      [Par exemple coté politique pour Mr Balkany et ses frasques, vu sa représentation et sa charge publique, il aurai du prendre dix ans ferme et confiscation de tous ses biens grâce à une amende dissuasive et confiscatoire.]

      Dans un état de droit, les juges ne peuvent prononcer des peines qu’en vertu de la loi. Et dans la mesure où la loi ne prévoit pas la « confiscation de tous ses biens » pas plus qu’une peine de « dix ans ferme », il ne faut pas pousser. D’ailleurs, si vous donnez dix ans ferme pour une première condamnation pour un délit financier, que faudrait-il donner pour coups et blessures volontaires, pour homicide involontaire ?

      [Résultat des courses, le type a fait quelques mois de prison, a joué au malade imaginaire pour vite en sortir et dort bien tranquillement dans son manoir de Giverny avec un délai de paiement pour ses multiples amendes.]

      Quand même pas. Entre les amendes fiscales et la récupération des biens soustraits, il ne lui reste pas grande chose.

      [Vous me direz, un type sans permis, sans assurances, bourré et shooté au cannabis tue une personne lors d’un accident de la route et au maximum ne pourra prendre que 5 ans de prison ferme.]

      Et seulement si le juge est dans un très mauvais jour.

      [Si j’étais tendancieux, je pourrais dire que des peines si faibles et donc les lois, sont votés par des gens qui n’auront jamais d’accidents de la route car train ou avion gratuit ou voiture de fonction avec chauffeur, cela aide à être compréhensif et à envisager la peine sous l’aune de la réinsertion.]

      Vous auriez tort. D’abord, ceux qui font les lois ne sont pas à l’abri d’un accident provoqué par un chauffard, quand bien même ils seraient dans leur voiture avec chauffeur. Ensuite, parce que la question de fond sur les peines est l’efficacité de celles-ci.

      [Ma diatribe contre les délits des cols blancs vient du fait que la sévérité de la peine aiderait à rétablir l’équilibre avec l’immense majorité des citoyens qui suivent les lois scrupuleusement et qui permettent à la société de tenir et de constituer un ensemble viable.]

      Je ne comprends pas très bien de quel « équilibre » vous parlez. En quoi la sévérité de la peine envers les cols blancs serait plus « équilibrante » que celle envers les cols bleus ? Pourquoi est-il plus important de réprimer les agissements d’un DRH qu’un dealer des quartiers nord de Marseille ? Vous savez, la justice n’est pas là pour vous procurer une vengeance sociale…

  20. Barbier dit :

    @Descartes
    Tout d’abord, désolé pour le lien qui n’est pas passé, c’était un article de “20 minutes” sur une lanceuse d’alerte par rapport aux pratiques viticoles d’un domaine bordelais.
     
    {Dans un état de droit, les juges ne peuvent prononcer des peines qu’en vertu de la loi. Et dans la mesure où la loi ne prévoit pas la « confiscation de tous ses biens » pas plus qu’une peine de « dix ans ferme », il ne faut pas pousser. D’ailleurs, si vous donnez dix ans ferme pour une première condamnation pour un délit financier, que faudrait-il donner pour coups et blessures volontaires, pour homicide involontaire ?}
     
    C’est pour cela que je suis d’avis de durcir la loi pour ce type de délit. Concomitamment à sa responsabilité publique et à l’ampleur de la fraude et de ses dénégations. Nous allons voir ce que cette pauvre député européenne grecque va prendre pour se balader ainsi que son père avec des valises pleines de billets..
    J’estime que lorsqu’on est majeur on est responsable, c’est tout et plus on s’élève dans la société avec en plus une charge publique plus la déontologie doit être respectée. Quand je vous parle d’équilibre entre les citoyens c’est pour éviter le sentiment que plus vous êtes élevé dans le tertiaire, plus vous êtes à l’abri de tout quand vous êtes un délinquant. Mon équilibre entre les citoyens devant la loi et les peines, c’est juste l’égalité, de notre devise républicaine. Regardez donc aux Usa, on pourrait dire beaucoup de choses mais Madoff a pris perpétuité et il est mort en prison. En France, il serait déjà dehors et vivrait une retraite heureuse.
    Quant aux Balkany, je n’ai pas entendu dire qu’ils étaient au Rsa ou à la soupe populaire…
    {Je ne comprends pas très bien de quel « équilibre » vous parlez. En quoi la sévérité de la peine envers les cols blancs serait plus « équilibrante » que celle envers les cols bleus ? Pourquoi est-il plus important de réprimer les agissements d’un DRH qu’un dealer des quartiers nord de Marseille ? Vous savez, la justice n’est pas là pour vous procurer une vengeance sociale…}
    Parce que commettre un délit en pensant être à l’abri de tout et en ayant les moyens financiers de se défendre, c’est quand même plus simple que vendre du shit en bas d’un immeuble. Peut-être parce qu’un DRH a de la déontologie à tous les niveaux de son parcours universitaire, non ?
    Quant à une quelconque vengeance sociale, c’est un peu fort de café, vous ne connaissez pas ma vie comme je ne connais pas la vôtre. Pour qui vous prenez vous, pour balancer une telle conclusion avec 3 petits points ?
    Finalement vous vitupérez contre beaucoup de personnes et d’actions dans vos articles, mais surtout pas touche à votre classe sociale quand on arrive aux fondamentaux. Vous voyez, moi aussi je peux sortir les gros sabots.
     
     
     
     

    • Descartes dit :

      @ Barbier

      [« D’ailleurs, si vous donnez dix ans ferme pour une première condamnation pour un délit financier, que faudrait-il donner pour coups et blessures volontaires, pour homicide involontaire ? » C’est pour cela que je suis d’avis de durcir la loi pour ce type de délit.]

      Mais encore une fois, si vous « durcissez la loi pour ce type de délit », alors pour garder la hiérarchie des peines il vous faut alourdir tous les autres. Si pour avoir piqué dans la caisse vous donnez dix ans, vous vous retrouvez alors que pour avoir écrasé un piéton en étant bourré, vous devez donner la perpétuité…

      [Regardez donc aux Usa, on pourrait dire beaucoup de choses mais Madoff a pris perpétuité et il est mort en prison. En France, il serait déjà dehors et vivrait une retraite heureuse.]

      On peut surtout constater que la sévérité des peines infligés n’empêche pas les USA d’avoir un taux de criminalité sans commune mesure avec le nôtre. Il semble que l’effet dissuasif des peines sévères n’est pas aussi important que vous le croyez… et c’est logique. La plupart des délinquants ne fait pas un calcul risque/avantages avant de mettre la main dans la poche du prochain. Et ceux qui le font arrivent à des conclusions qui ne sont pas forcément la vôtre : Madoff est peut-être mort en prison, mais il a vécu quarante ans vivant dans de belles maisons, fréquentant les plus luxueux hôtels, voyageant dans son yacht et en avion privé. Il a payé quarante ans de belle vie de dix ans de prison. Et encore, parce qu’il a eu la chance de vivre vieux. Il serait mort à 70 ans qu’il n’aurait jamais payé ses méfaits. N’est-ce pas là un choix rationnel ?

      [Quant aux Balkany, je n’ai pas entendu dire qu’ils étaient au Rsa ou à la soupe populaire…]

      Pensez-vous qu’ils devraient l’être ?

      [« Je ne comprends pas très bien de quel « équilibre » vous parlez. En quoi la sévérité de la peine envers les cols blancs serait plus « équilibrante » que celle envers les cols bleus ? Pourquoi est-il plus important de réprimer les agissements d’un DRH qu’un dealer des quartiers nord de Marseille ? Vous savez, la justice n’est pas là pour vous procurer une vengeance sociale… » Parce que commettre un délit en pensant être à l’abri de tout et en ayant les moyens financiers de se défendre, c’est quand même plus simple que vendre du shit en bas d’un immeuble.]

      Parce que vous pensez que ceux qui vendent du shit en bas d’un immeuble ne se pensent pas, eux aussi, « à l’abri » ? Détrompez-vous, je connais des dealers dans les quartiers nord de Marseille qui non seulement sont parfaitement « à l’abri » de la justice, mais qui en plus gagnent en une journée ce qu’un DRH gagne en une semaine… et ont donc les moyens de se payer les meilleurs avocats. Je pense que vous idéalisez beaucoup la situation des cols blancs en général et des DRH en particulier…

      [Peut-être parce qu’un DRH a de la déontologie à tous les niveaux de son parcours universitaire, non ?]

      Pas plus que dans n’importe quel autre type de parcours universitaire. J’ajoute que beaucoup de DRH n’ont pas de parcours universitaire. C’est un métier où l’on trouve par exemple pas mal d’anciens sous-officiers revenus à la vie civile…
      [Quant à une quelconque vengeance sociale, c’est un peu fort de café, vous ne connaissez pas ma vie comme je ne connais pas la vôtre. Pour qui vous prenez vous, pour balancer une telle conclusion avec 3 petits points ?]

      J’ai juste écrit que la justice n’est pas là pour vous procurer une vengeance sociale. Si vous ne poursuivez pas une telle vengeance, tant mieux pour vous. Mais la passion avec laquelle vous exigez qu’on pende haut et court les « cols blancs » et seulement eux semble suggérer que vous leur en voulez tout particulièrement.

      [Finalement vous vitupérez contre beaucoup de personnes et d’actions dans vos articles, mais surtout pas touche à votre classe sociale quand on arrive aux fondamentaux. Vous voyez, moi aussi je peux sortir les gros sabots.]

      Mais vous les sortez à contre-emploi. J’aimerais bien savoir quelle est la « classe sociale » à laquelle j’appartiens dans votre imagination, cette « classe sociale » à laquelle « surtout pas touche quand on arrive aux fondamentaux ». La triste réalité, c’est que j’appartiens aux classes intermédiaires, classe qui, les lecteurs de ce blog peuvent en témoigner, est au centre de la plupart de mes « vitupérations ».

  21. Baruch dit :

    Je me permets de vous mettre ce lien sur les débats qui ont eu lieu  à l’assemblée  constituante en 1946 sur la nationalisation du gaz et de l’électricité.Peut être connaissiez vous cette position du député communiste Pierre Girardot, car vous êtes si compétent en matière d’EDF.Moi je ne la connaissais pas du tout, je suis frappée par l’absence de manichéisme de sa vision et aussi de la qualité “dialectique” de l’attitude et de la pratique des communistes.Loin d’une position dogmatique, vengeresse ou d’appropriation il y a un véritable travail sur ce qui va être notre héritage du service public de l’énergie, et aussi de l’articulation entre  intérêts des industriels, statut des travailleurs de l’énergie, et propriété collective des moyens de produire l’énergie de la Nation qui se relevait de la guerre ravageuse.Les groupes SFIO, MRP et Communistes trouvant ici un accord, socle de tout le développement ultérieur.Que l’ouvrier agricole, chef de la Résistance FTP dans les Basses Alpes ait pu tenir une telle réflexion sur des sujets si complexes en dit long sur ce qu’était le Parti Communiste Français et son rôle éducatif .On est loin des “zones à défendre” !Ce texte a été mis en ligne Par Franck Marsal sur le site de Mme Bleitrach, histoire et société, J’y vois, moi un rapport (en négatif) sur ce qui est en cause dans votre billet.https://histoireetsociete.com/2022/12/21/un-succes-eclatant-la-nationalisation-du-gaz-et-de-lelectricite-intervention-du-communiste-pierre-girardot-a-lassemblee-constituante-22-mars-1946/?fbclid=IwAR1gvZPsgMiouc0bEc5fzrCXkHSkylvAbgydRc31fzdInZxUXjdtyE7FwSc

    • Descartes dit :

      @ Baruch

      [Je me permets de vous mettre ce lien sur les débats qui ont eu lieu à l’assemblée constituante en 1946 sur la nationalisation du gaz et de l’électricité. Peut-être connaissiez-vous cette position du député communiste Pierre Girardot, car vous êtes si compétent en matière d’EDF. Moi je ne la connaissais pas du tout, je suis frappée par l’absence de manichéisme de sa vision et aussi de la qualité “dialectique” de l’attitude et de la pratique des communistes.]

      Je connaissais ce débat, et effectivement ce qui frappe c’est le pragmatisme des communistes de l’époque, qui contraste fortement avec les tendances « gauchistes » dominantes dans la gauche d’aujourd’hui. Le raisonnement de Girardot et de ses camarades est simple : on s’est fixé des objectifs, et on les a hiérarchisés. On est prêt à concéder sur des points qui nous paraissent secondaires pour sauver ceux qui nous semblent essentiels. Et loin de cacher ce choix, loin de prétendre qu’on a gagné sur tout, les concessions sont énoncées et assumées. On voit le contraste avec le slogan « on lâche rien », devenu peu ou prou le slogan de toute la gauche – et notamment de sa composante dominante qu’est LFI. Une gauche incapable d’établir une hiérarchie entre ses revendications, et donc de négocier des accords sur la base de concessions mutuelles.

      [Que l’ouvrier agricole, chef de la Résistance FTP dans les Basses Alpes ait pu tenir une telle réflexion sur des sujets si complexes en dit long sur ce qu’était le Parti Communiste Français et son rôle éducatif.]

      Oui, mais pas que ça. Girardot a aussi bénéficié d’une l’école très différente de celle d’aujourd’hui. Lorsqu’on lit les débats dans les différents cénacles de l’époque et on les compare à ceux d’aujourd’hui, on est frappé non seulement par la richesse des connaissances de nos ancêtres, mais aussi par la qualité de leur expression. J’étais tombé par hasard dans une bibliothèque sur les comptes rendus des débats de la « commission de la constitution » qui a rédigé la constitution de 1958, et je peux vous dire que c’est un véritable régal. Des idées claires, des conclusions appuyées par des raisonnements et non par des affirmations idéologiques…

      • Phael dit :

        @Baruch
        @Descartes
        [Lorsqu’on lit les débats dans les différents cénacles de l’époque et on les compare à ceux d’aujourd’hui, on est frappé non seulement par la richesse des connaissances de nos ancêtres, mais aussi par la qualité de leur expression]
         
        Je me permets de rebondir sur ce point seul. Sommes-nous entrés dans une “idiocratie” ? Car on a l’impression (c’est l’impression que j’ai du moins) que cet effritement des capacités intellectuelles touche toutes nos élites. Je n’ai pas le sentiment que cela affecte le grand nombre, d’ailleurs. Internet me semble en être l’illustration : à côté des tartines de débilités, la toile contient des trésors d’intelligence et de finesse. Mais cette intelligence semble s’évaporer à mesure que l’on monte. Cette observation vaut pour nos contrées occidentales. J’ignore ce qu’il en est ailleurs.

        • Descartes dit :

          @ Phael

          [Je me permets de rebondir sur ce point seul. Sommes-nous entrés dans une “idiocratie” ? Car on a l’impression (c’est l’impression que j’ai du moins) que cet effritement des capacités intellectuelles touche toutes nos élites.]

          Je pense surtout que nous vivons dans une « médiacratie ». Hier, les élites parlaient essentiellement aux élites. Les philosophes discutaient entre philosophes, les ingénieurs participaient à des commissions d’ingénieurs, les médecins parlaient entre confrères. Il y avait toute une foison d’institutions qui organisaient cet échange : les académies des sciences ou de médecine, les conseils généraux des Mines ou des Ponts et Chaussées. Et lorsque les partisans de l’éducation populaire pensaient leurs projets, il s’agissait d’élever le niveau du vulgum pecus au niveau des élites. Ainsi, dans l’exemple proposé par notre ami Baruch, on trouve un député communiste, ancien paysan, qui se met au niveau d’un ingénieur ou d’un économiste.

          Avec la logique médiatique, on met en place le processus inverse : les élites sont priées de se mettre au niveau de madame Michu. Le philosophe, le politique, le juriste invités à l’émission de Cyril Hanouna ne sont pas là pour parler LEUR langage, mais pour mimer celui de monsieur-tout-le-monde. Et les élites ont intégré cette démarche : combien de fois j’ai entendu le mot « dépoussiérer » appliqué à l’opéra, au théâtre, à la philosophie, à n’importe quelle discipline intellectuelle ? Ce terme implique l’admission par les élites que leur pratique est « poussiéreuse », et qu’il faut changer non pas le public, mais les œuvres. En clair, le « dépoussiérage » consiste à mettre l’œuvre au niveau du public, et non chercher d’élever le public au niveau de l’œuvre…

          La « médiacratie » rend les élites honteuses. Aujourd’hui, on se vante d’avoir raté son bac ou d’avoir été « nul en maths » (ou en histoire, en français, en orthographe…) et on se cache d’avoir fait l’ENA ou Polytechnique. Dieu sait si j’ai critiqué Mélenchon, mais il est l’un des derniers représentants d’une génération d’élites suffisamment fières de leur culture pour citer dans ses discours Jaurès ou Hugo. Qui, parmi les quadra qui pullulent dans le monde politique, ferait de même aujourd’hui ? Personne. Et pas parce qu’ils ne savent pas qui est Jaurès ou Hugo (quoique…) mais parce que cela ferait « poussiéreux », « élitiste »… mieux vaut citer McFly et Carlito, ça fait « djeune » et branché.

          Et comme il est très difficile de prétendre être quelque chose sans le devenir quelque peu, à force de parler comme Hanouna les élites finissent par penser comme Hanouna. D’où cet « effritement des capacités intellectuelles » dont vous parlez. L’appauvrissement du langage finit par entrainer l’appauvrissement des idées. Relisez « 1984 », tout y est !

          [Je n’ai pas le sentiment que cela affecte le grand nombre, d’ailleurs.]

          Je pense que vous faites là une grave erreur. L’appauvrissement du langage est général, et lorsque la langue s’appauvrit, la pensée suit. Mais il y a aussi une question de références. Lorsque j’étais jeune militant communiste, l’élégance et la profondeur d’un Aragon, d’un Sève, d’un Lefebvre, d’un Joliot – sans compter les classiques, Marx, Engels, Lénine – étaient des modèles. On se pressait à leurs conférences ou on achetait leurs ouvrages à la fête de l’Huma. Et il en allait un peu de même dans les autres partis : chacun avait ses références intellectuelles. Malraux, Sartre, Aron… même De Gaulle s’était senti l’obligation d’écrire, et pas dans n’importe quelle langue. Quelles sont les références d’un jeune militant – ou d’un jeune tout court – aujourd’hui ?

          [Internet me semble en être l’illustration : à côté des tartines de débilités, la toile contient des trésors d’intelligence et de finesse.]

          Si peu… et très souvent chez des gens qui, de par leur âge, s’apprêtent à quitter la carrière. Les sites institutionnels des partis politiques ou des organisations syndicales sont d’une pauvreté affligeante. Non, je pense que Internet participe à fond à cette mutation « médiacratique ». Et le fait que des petits jardins survivent ici et là ne doit pas faire illusion quant à l’étendue du bétonnage intellectuel.

          [Mais cette intelligence semble s’évaporer à mesure que l’on monte.]

          C’est là à mon avis une illusion populiste, celle d’une « sagesse populaire » intouchée par la perversion des élites. Je n’y crois pas un instant.

          [Cette observation vaut pour nos contrées occidentales. J’ignore ce qu’il en est ailleurs.]

          J’avoue aussi ma grande ignorance sur cette question. On peut imaginer que les sociétés où la chaine de la transmission fonctionne encore solidement – je pense par exemple à la Chine – la question se pose un peu différemment, mais je ne saurais pas aller beaucoup plus loin.

  22. Doppar dit :

    1/ La Fédération des Moulins de France alerte sur les conséquences de la démolition de petits ouvrages (barrages, retenues d’eau) au nom de la”continuité écologique” ou d’une soi disant “renaturation” qui a pour conséquence l’aggravation des sécheresses sur de nombreuses rivières de France en été. La lecture de leur dossier est très instructive sur la différence entre l’écologie scientifique et la mystification irrationnelle dominante.
    https://fdmf.fr/restauration-de-la-continuite-ecologique-la-position-de-la-federation-des-moulins-de-france/
    https://fdmf.fr/a-lire-la-gestion-ecologique-des-rivieres-francaises/ 
    https://fdmf.fr/la-destruction-des-retenues-deau-en-riviere-aggrave-les-consequences-de-la-secheresse/
    https://blog.landot-avocats.net/wp-content/uploads/2022/09/Communication-complementaire.pdf
     
    2/Sur le sujet des méga bassines, les arguments des “anti” ne sont pas extravagants sur la privatisation de l’eau et l’irrationnalité de ces dispositifs dont l’objextif est de contourner l’interdiction de pompage des nappes phréatiques.
     

    • Descartes dit :

      @ Doppar

      [1/ La Fédération des Moulins de France alerte sur les conséquences de la démolition de petits ouvrages (barrages, retenues d’eau) au nom de la ”continuité écologique” ou d’une soi-disant “renaturation” qui a pour conséquence l’aggravation des sécheresses sur de nombreuses rivières de France en été. La lecture de leur dossier est très instructive sur la différence entre l’écologie scientifique et la mystification irrationnelle dominante.]

      Tout à fait. La logique des écologistes est d’ailleurs toujours la même : ce que fait la nature est bon, ce que fait l’homme est mauvais. L’idée que l’homme puisse faire des aménagements qui bénéficient à la flore et à la faune – c’est souvent le cas des barrages, qui forment des plans d’eau favorables à toutes sortes d’espèces – est pour eux inconcevable.

      [2/Sur le sujet des méga bassines, les arguments des “anti” ne sont pas extravagants sur la privatisation de l’eau et l’irrationnalité de ces dispositifs dont l’objectif est de contourner l’interdiction de pompage des nappes phréatiques.]

      Pardon mais… tout mécanisme d’irrigation revient à une « privatisation de l’eau », puisqu’on utilise une ressource publique – l’eau – pour arroser une parcelle privée. Cela est vrai que l’eau vienne de la nappe phréatique, d’une rivière, d’un barrage, d’un collecteur de pluie (retenue collinaire ou citerne, par exemple). Est-ce que les citernes qui recueillent l’eau de pluie sont à bannir, au motif qu’elles « privatisent l’eau » ? Ce n’est pas l’avis des écologistes, qui défendent mordicus ce type d’installation.

      Quant à « l’irrationnalité du dispositif », j’avoue que je vois mal à quoi vous faites référence. Les mégabassines sont plutôt un outil de lissage de la consommation de l’eau, permettant de la stocker quand l’eau est abondante, pour l’utiliser pendant les saisons où elle est plus rare.

  23. Cogito Ergo... dit :

    Votre souvenir sur le vieux paysan à l’accent rocailleux mais au bon sens terrien est peut-être poétique, il m’a tout l’air d’être très enjolivé ! Que les populations paysannes aient été soumises, deux fois par an, aux crues dévastatrices de la Durance et qu’elles aient benoitement continué à laisser paître leurs troupeaux sur ses rives, à y planter ingénument leurs scaroles et leurs carottes, et à courageusement, deux fois par an, reconstruire les ponts emportés par la montée des eaux jusqu’à ce que des ingénieurs descendus de Paris viennent les évangéliser aux merveilles du progrès technique… comment dire ? Ne s’agissait-il pas d’un acteur payé par le syndicat de l’industrie du nucléaire pour convaincre la population locale des avantages de l’enfouissement des déchets toxiques ? Ou d’un propriétaire qui trouvait là l’occasion de se défaire au meilleur prix de son champ de cailloux ? Ou la confirmation vivante de l’arriération mentale des bas-alpins ?

    • Descartes dit :

      @ Cogito Ergo

      [Votre souvenir sur le vieux paysan à l’accent rocailleux mais au bon sens terrien est peut-être poétique, il m’a tout l’air d’être très enjolivé !]

      Vous me traitez de menteur ? Ce n’est pas très gentil, ça. Désolé, mais je dois vous décevoir : je ne vous raconte que ce que j’ai entendu. J’ai peut-être mal entendu ou mal compris, mais je ne me permettrais pas « d’enjoliver »…

      [Que les populations paysannes aient été soumises, deux fois par an, aux crues dévastatrices de la Durance et qu’elles aient benoitement continué à laisser paître leurs troupeaux sur ses rives, à y planter ingénument leurs scaroles et leurs carottes, et à courageusement, deux fois par an, reconstruire les ponts emportés par la montée des eaux jusqu’à ce que des ingénieurs descendus de Paris viennent les évangéliser aux merveilles du progrès technique… comment dire ?]

      Les exemples abondent de populations qui habitent au pied d’un volcan en activité qui périodiquement provoque des catastrophes, ou bien à côté d’une rivière qui déborde régulièrement en emportant constructions et habitants. Pourquoi restent-ils ? Peut-être parce que leur vision du temps n’est pas tout à fait la nôtre. Pendant longtemps on a eu une vision cyclique du monde, avec un retour périodique des mêmes calamités. L’idée que ce que vous construisez aujourd’hui sera détruit demain pour être reconstruit après demain est dans cette optique naturelle. La vision « linéaire », qui suppose un progrès par l’accumulation, est relativement nouvelle. Nos ancêtres avaient bien plus que nous l’habitude de construire et reconstruire, et on savait bien lorsqu’on construisait un ouvrage qu’il avait grande chance qu’il ne remplisse son office que pendant quelques années : pensez aux différents ponts construits par les Avignonnais, et régulièrement emportés par le Rhône.

      D’ailleurs, vous noterez que la situation décrite par l’ainé en question n’a rien d’étonnant pour qui connaît la région: un proverbe très ancien dit « Mistral, Parlement et Durance sont les trois fléaux de Provence ». Les dommages faits par l’irrégularité du cours de la Durance et ses crues sont largement documentées depuis le moyen-âge. Si les gens sont restés, s’ils ont continué à élever et cultiver, c’est parce que l’alternative est pire: la vallée de la Durance est entourée de hauteurs pierreuses, sans eau et exposées au vent…

      [Ne s’agissait-il pas d’un acteur payé par le syndicat de l’industrie du nucléaire pour convaincre la population locale des avantages de l’enfouissement des déchets toxiques ?]

      Vous voulez dire, une ramification de la Grande Konspiration Judéo-Maçonnique voulant contrôler le monde ?

      [Ou d’un propriétaire qui trouvait là l’occasion de se défaire au meilleur prix de son champ de cailloux ?]

      Je ne vois pas comment. Le lieu de stockage proposé se trouvait à l’intérieur de l’enceinte du CEA de Cadarache, il n’y avait pas de transaction foncière prévue…

      [Ou la confirmation vivante de l’arriération mentale des bas-alpins ?]

      Plutôt de leur intelligence, je dirais…

  24. Vladimir dit :

    N’existe-t-il pas un facteur nouveau dans le domaine des grandes réalisations étatiques? Il n’est plus possible, aujourd’hui, de faire confiance à nos élites et nous pourrions refuser un grand projet en partie /à cause de cela. 

    • Descartes dit :

      @ Vladimir

      [N’existe-t-il pas un facteur nouveau dans le domaine des grandes réalisations étatiques? Il n’est plus possible, aujourd’hui, de faire confiance à nos élites et nous pourrions refuser un grand projet en partie /à cause de cela.]

      Certainement. Mais il faut alors regarder ce qui faisait que nous pouvions faire confiance à nos élites hier, et pas aujourd’hui…

      Pourquoi les paysans de la Durance faisaient confiance aux ingénieurs des Ponts et Chaussées hier, et pas aujourd’hui ? On peut supputer plusieurs raisons. La première, est que ces ingénieurs étaient beaucoup plus proches des paysans que ne le sont les ingénieurs d’aujourd’hui: la logique méritocratique faisait permettait d’intégrer dans les grands corps techniques de l’Etat des individus venant de toutes les couches de la société. Il y avait plus de fils d’ouvriers ou de paysans à l’école Polytechnique en 1950 qu’en 2020. La seconde raison, est que les élites d’Etat étaient corsetées par la discipline de leur corps et isolés des intérêts privés. Le “pantouflage” était relativement rare et mal vu, et les ingénieurs des corps techniques consacraient leur vie au service de l’Etat. La troisième raison, c’est que les hauts fonctionnaires étaient protégés par leurs corps, et pouvaient donc dire au politique – et aux citoyens – leurs quatre vérités sans craindre trop les représailles…

Répondre à DR Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *