Ici, on aime la Police

La fronde policière couvait depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Et pas sans raison : comme tous les services publics, policiers et gendarmes sont « à l’os » en termes d’effectifs, de locaux, d’équipements. Il s’ensuit que chaque crise aboutit à des sollicitations des personnels qui vont bien au-delà du raisonnable. Horaires extensibles, interventions effectuées dans des conditions de plus en plus difficiles, en sont la conséquence. Or, ces crises se multiplient : on n’a pas fini d’absorber celle provoquée par le mouvement contre la réforme des retraites qu’il faut contenir les émeutes qui ont suivi la mort de Nahel M. Et pour couronner le tout, il faut gérer l’hostilité de l’opinion et, après chaque crise, les procédures judiciaires pour « violences policières » qui tendent à se multiplier, encouragées par le comportement des médias qui offrent des tribunes complaisantes à des personnages pour qui la « violence policière » vaut amnistie générale de leurs propres turpitudes – le cas Adama est de ce point de vue un exemple qui mériterait de longs développements.

Le mise en détention provisoire à Marseille d’un policier accusé de violences sur un adolescent qui, si l’on croit ses déclarations, était « venu voir ce qui se passait » sur le lieu des émeutes, après une mesure du même type prise à l’encontre du policier auteur du tir fatal dans l’affaire Nahel M., a mis le feu aux poudres, provoquant un mouvement qu’il faut bien appeler une grève, même si pour des raisons juridiques – les personnels de la police n’ont pas le droit de grève – elle ne prend pas cette forme. Au point que le directeur général de la police nationale a dû sortir publiquement de son silence pour affirmer sa solidarité avec ses troupes, dans une expression pesée au trébuchet, et qui mérite donc qu’on la cité précisément : « Avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison ». Il ne fallait pas plus pour que des juristes éminents et moins éminents, sans compter sur un certain nombre de politiques qui donnent des leçons de droit qu’ils ne s’appliquent pas à eux-mêmes – j’y reviendrai – poussent des hauts cris. Si on les croit, Frédéric Veaux aurait remis en cause la séparation des pouvoirs, exigé des privilèges exorbitants pour sa corporation, contesté le fondement même de l’état de droit. Dans « Le Monde », on peut ainsi lire dans une tribune que « Par-delà l’atteinte à la séparation des pouvoirs, la déclaration du DGPN s’inscrit dans la contestation par la force publique de la légitimité même d’un contrôle extérieur, particulièrement juridictionnel, alors même que, dès les années 1920, le juriste Raymond Carré de Malberg (1861-1935) soulignait que ce contrôle fonde la distinction entre l’Etat de police et l’Etat de droit. »

Si on fait appel aux mânes de Carré de Malberg, c’est que l’heure est grave. On pourrait tout de même conseiller à l’auteur de ce texte de relire les mots du DGPN avec plus d’attention. Nulle part il conteste le « contrôle extérieur » de la police, il exprime une opinion sur les formes que doit prendre ce contrôle, et de ses limites. Ce qui est très différent. Le problème avec les juristes, c’est qu’ils vivent dans un monde idéal dont le rapport avec le monde réel est assez lointain. C’est vrai, dans l’état de droit – du moins dans le modèle parfait d’organisation de la société – le policier agit sous le contrôle du juge et répond de ses actes comme n’importe quel citoyen. Mais dans l’état de droit, le citoyen qui viole la loi est arrêté, conduit devant le juge, condamné à la peine prévue par la loi qu’il exécute ponctuellement. Et le policier n’est pas exposé au risque de voir l’homme qu’il a arrêté le narguer le jour suivant dans la rue – ou s’en prendre à sa famille – au motif qu’il n’y a plus de place dans les prisons. Est-ce le cas aujourd’hui ?

La réponse est, de toute évidence, négative. Il n’y a qu’à voir comment fonctionnent les points de deal dans les cités. Ces points sont connus des autorités, identifiés et comptabilisés. Les maires, les préfets, les procureurs savent où ils se trouvent, qui sont leurs organisateurs, comment ils fonctionnent. Et pourtant, rien ou presque n’est fait, sauf quand un ministre vient en visite : les marchands de mort continuent à faire des affaires au vu et au su de tout le monde. Parce que la police n’a pas les moyens, parce que les élus veulent la paix, parce que perturber l’économie mafieuse du quartier c’est risquer des émeutes, on laisse faire. Que disent nos éminents professeurs de droit de cette situation ? N’est-ce pas là une « atteinte à l’état de droit » infiniment plus grave que celle d’un policier passant à tabac un manifestant ? Il semblerait que non. En tout cas, nos éminents juristes ne voient pas l’intérêt de la dénoncer rageusement dans les colonnes des journaux. Et pourtant, ces trafics – et beaucoup d’autres – empoisonnent la vie de centaines de milliers, voire des millions de nos concitoyens et soulignent à quel point l’état de droit, ce modèle que nos professeurs de droit défendent à juste titre, reste un modèle dont il faut réinterroger en permanence la proximité avec la réalité.

C’est habituel chez nous : nos élites, aveuglées par leurs préjugés, s’inventent des dangers imaginaires qui les empêchent de voir les dangers réels. Pendant des années, la liberté de la presse n’avait qu’un ennemi, l’Etat, le « pouvoir ». Il a fallu le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo pour que tout à coup on découvre que le danger vient d’ailleurs. Et c’est la même chose pour ce qui concerne l’ordre public. Des territoires entiers échappent à la loi républicaine. Chaque semaine amène ses morts et ses blessés dans des règlements de comptes liés aux trafics et aux luttes de territoire. La destruction de biens privés ou publics devient presque un folklore festif. Les voyous des quartiers n’ont aucune crainte de la loi, sachant parfaitement combien la police a les mains liées, combien la justice est lente et impuissante. Et dans ce paysage triste à pleurer qui constate notre faillite, pour nos éminents professeurs de droit la défense de l’état de droit passe en priorité par un plus grand contrôle de la police par les juges. Ce n’est pas sérieux.

Oui, il y a un problème avec la police. Mais le problème ne vient pas de la police, mais de la société qu’elle est censée policer. Pour schématiser, la police n’est efficace que si elle fait peur. L’adage populaire qui fait de la peur du gendarme le début de la sagesse renferme une vérité profonde. Le policier doit faire peur, parce que cette peur réduit drastiquement le besoin du recours à la violence. Sans cette peur, la police ne peut se faire respecter que par la force.

C’est ce que n’ont pas compris ceux pour qui l’idéal est le « policier-copain », comme ils ont voulu hier le « parent-copain » et le « professeur-copain ». Quand réaliseront-ils que celui qui est là pour nous imposer au nom de la société une discipline, une règle impérative, c’est-à-dire mettre des limites à notre toute-puissance, ne peut être notre « copain » tout simplement parce que pour ce faire il doit être placé dans une position d’autorité par rapport à nous ? Comment pourrions-nous admettre qu’un « copain », c’est-à-dire un « égal », nous impose une règle, une discipline dont nous ne voulons pas ?

Ce problème est particulièrement sérieux lorsqu’il s’agit du rapport entre le monde adulte et les jeunes. Parce que le propre du jeune, est de découvrir un monde qui était là avant lui. Les règles, les disciplines qu’on lui impose ne lui paraissent pas sur le moment utiles ou nécessaires. Leur intérêt n’apparaît que bien plus tard, avec l’expérience. Ainsi, nous remercions rétrospectivement ceux de nos professeurs dont la sévérité et la rigueur nous paraissait excessive lorsque nous étions jeunes, mais dont nous apprécions, devenus adultes, l’apport à notre formation. Nous sommes reconnaissants – ou nous devrions l’être – envers ceux qui nous ont « remis sur le droit chemin », quelquefois rudement, alors que nous étions bien partis pour nous en écarter, même si sur le moment nous les avons détestés.

Mais si ces adultes ont pu nous remettre à notre place, nous transmettre des disciplines de travail et de sociabilité, des règles de comportement et le respect de la loi alors que nous étions jeunes, c’est parce que nous en avions peur. Et cette peur reflétait un état de fait : défier nos parents, nos professeurs, nos policiers emportait des conséquences graves. Le monde adulte faisait bloc autour de principes, de valeurs, de hiérarchies claires et qui ne supportaient pas de discussion. Il était prêt à les imposer par la violence si nécessaire, et nous le savions. Dès lors que c’était « pour notre bien », l’autorité adulte s’exerçait sans complexe et sans culpabilité. Et c’est pourquoi, finalement, l’utilisation de la violence était exceptionnelle. Ayant montré ses armes, le monde adulte n’avait pas vraiment besoin de les utiliser. Car pour faire peur, il n’est pas besoin de tirer. Il y a des pays où la police est désarmée. Mais dans ces pays, le contrôle social et la sévérité des juges sont telles que celui qui lève la main sur un policier – ou même crache sur lui – est sûr d’être dénoncé, appréhendé, jugé et envoyé rapidement dans un cul de basse fosse pour une longue période. Chez nous, le voyou est certain d’être protégé par sa communauté et par les bonnes âmes de la bienpensance, et si un jour il est par hasard appréhendé il pourra circuler librement avant d’être peut-être condamné, de longues années plus tard, à une peine minime qu’on aménagera.

Dans ces conditions, la police – mais c’est aussi vrai pour le professeur ou le parent – ne peut faire peur que par l’utilisation de la puissance physique, que par la violence nue – et forcément illégale, puisque la loi lui interdit précisément cette solution. L’alternative est de résigner au règne de l’individu-roi, de l’élève-roi, de l’enfant-roi, bref, du consommateur-roi. C’est ce qu’ont largement fait parents et enseignants. Et maintenant, c’est le tour de la police.

Quelle situation préférons-nous ? Celle ou le voyou a peur d’un possible passage à tabac – en toute illégalité, s’entend – ou celle où ce même voyou se sent libre d’agir, sachant qu’en cas d’arrestation il sera dès le lendemain libre comme le vent ? Vous me répondrez « aucun des deux », et vous aurez raison. Moi aussi, je préfère le policier qui amène le voyou intact devant le juge, pour être condamné à une lourde peine qu’il exécutera. Mais cette option est-elle possible aujourd’hui ? Il faut croire que non.

C’est là une question fondamentale : la société doit savoir ce qu’elle attend de sa police et assume les limites qu’elle met à son action. Veut-on que la police course les voyous pour les arrêter ? Alors, il faut accepter que de temps en temps l’un de ces voyous meure d’une crise cardiaque en pleine poursuite. Veut-on que la police arrête le pilleur qui rentre chez lui en scooter avec son butin ? Alors il faut accepter que de temps en temps le pilleur finisse blessé ou mort. Veut-on que la police contrôle un groupe d’adolescents qui s’introduit sur un chantier ? Alors il faut accepter que l’adolescent qui essaye de se cacher dans un poste EDF puisse être électrocuté. Exigeons nous que la police garantisse en toute circonstance l’intégrité et le bien-être des personnes qui cherchent à se soustraire à la loi, ou même des touristes qui vont regarder les émeutes comme on va au spectacle ? Alors, il faut accepter la conséquence logique de cette exigence : une police impuissante et inefficace.

Il y a quelques années, cela ne posait aucun problème : l’opinion admettait que le citoyen qui cherchait à se soustraire à la loi avait « pris son risque ». Et si cela se passait mal, il n’avait qu’à s’en prendre à lui-même. Cela ne veut pas dire que la police pouvait se permettre de faire n’importe quoi. Mais qu’elle bénéficiait d’une présomption de légitimité. Ce n’est plus du tout le cas. De la même manière que l’enseignant qui punit un élève voit ses parents prendre fait et cause pour lui – quelquefois sans connaître l’ensemble des faits, comme l’affaire Paty l’a tragiquement montré – le policier qui poursuit un voyou est à priori suspect, que ce soit à titre personnel ou à titre collectif, en tant que représentant d’une société qui, paraît-il, pratique le « racisme systémique ». Dans la grande hiérarchie des victimes, il y a un grand absent: victime, le commerçant dont le magasin est pillé; victime le travailleur dont la voiture part en fumée. Victime aussi le voyou qui, rentrant avec son butin, se prend un tir de flashball, victime le touriste ou prétendu tel qui, au milieu de l’émeute, va regarder le spectacle. Le seul qui ne soit jamais victime, c’est le policier. Pour lui, la blessure ou même la mort, ça fait partie des risques du métier. Tout le monde sait qui sont Nahel, Adama, Bouna et Zyed. Je vous mets au défi de me citer le prénom d’un policier, un seul, mort ou blessé en patrouillant les quartiers.

Le problème avec la police, c’est qu’une bonne partie de la population veut de l’ordre, mais n’est pas prête à en assumer le coût moral et matériel. On s’indigne d’être volé ou cambriolé, on n’aime pas voir sa voiture partir en fumée. Mais quand le bras de la loi s’abat sur le délinquant, tout le monde est de son côté. Sa « communauté » d’origine fera bloc derrière lui, les bonnes âmes seront là pour lui trouver des circonstances atténuantes, les commentateurs expliqueront que la loi est injuste, ou bien que la « colère sociale » explique son geste (1). La police est victime de cette schizophrénie sociale : on demande de l’ordre mais on lie les mains de ceux qui sont chargés de le protéger. Le policier qui s’aventure dans les coursives et autres passages de nos belles cités de banlieue sait qu’il ne peut compter sur personne. S’il course un voyou, s’il contrôle une voiture suspecte, s’il interrompt un trafic ou un deal, il prend le risque de provoquer l’émeute – émeute dont il portera devant l’opinion publique la responsabilité. Si au cours d’une opération il se trouve en difficulté, qu’il n’a que quelques secondes pour évaluer la situation et s’il décide d’user de la force, il ne peut compter sur l’engagement de sa hiérarchie et sur la bienveillance du juge s’il commet une erreur. Il ne s’agit pas dans mon esprit de nier le fait que la police puisse violer la loi ou la déontologie. Mais, est c’est là un point fondamental, les policiers sont des êtres humains, et donc faillibles. Comme tout professionnel, il leur arrive de faire des erreurs, et ces erreurs sont d’autant plus compréhensibles qu’ils n’ont quelquefois que quelques secondes pour évaluer une situation, et qu’une mauvaise évaluation peut leur coûter une blessure ou même la vie. Il arrive souvent qu’un plombier fasse une mauvaise soudure, qu’un chirurgien touche un vaisseau qu’il aurait dû laisser intact. Bien entendu, lorsqu’on fait une erreur avec la lampe à souder, les conséquences ne sont pas les mêmes que lorsqu’on a en main un bistouri ou un pistolet. Mais lorsqu’un chirurgien est accusé d’avoir fait une erreur, son geste est d’abord évalué par des collègues, c’est-à-dire, par des gens qui connaissent la difficulté du geste professionnel et la probabilité de se tromper. Pourquoi il en irait différemment du policier ? Et puis, détail qui a son importance, le chirurgien a fait neuf ans d’étude et est grassement payé après chaque opération. Le policier prend le même risque avec une formation minimale et pour un salaire qui, souvent, est en dessous de la médiane.

Faire de tout geste inapproprié une faute, comme si l’erreur humaine n’existait pas, c’est pousser le policier à l’inaction. Est-ce que cela vaut la peine de risquer sa vie – où l’opprobre social et une lourde peine de prison – et affronter le mépris de ses concitoyens avec pour seule compensation un salaire (2) et la satisfaction de servir ses concitoyens ? Ils seront de plus en plus nombreux à penser que non. Déjà, au concours de gardien de la paix on recrute un candidat sur cinq en 2020, alors qu’en 2010 on recrutait un candidat sur cinquante. Mais au-delà, ceux qui fréquentent le monde policier constatent une forme insidieuse de démobilisation, chacun faisant son travail à minima, en sacrifiant sa conscience professionnelle, selon le célèbre principe « PIPE » : « pas d’initiatives, pas d’emmerdes ». Courser les voyous, oui, mais lentement, pour ne pas prendre le risque de les rattraper. Fermer les yeux devant les points de deal et autres trafics. Sortir le moins possible du commissariat, et lorsqu’on sort, tourner là où l’on ne risque pas de faire des mauvaises rencontres. Est-ce cette police-là que nous voulons ? Probablement pas, mais c’est celle que nous risquons d’avoir si nous ne faisons pas en sorte de récompenser et de protéger ceux qui essayent de bien faire leur métier, quand bien même ils se tromperaient – fut-ce avec des conséquences dramatiques – de temps en temps.

Le risque, c’est de voir se généraliser dans la police ce qu’on observe chez d’autres institutions – je pense à l’éducation nationale, mais aussi à la haute fonction publique. Sans qu’on se rende bien compte, nos institutions glissent dangereusement vers l’aquoibonisme. Pourquoi faire l’effort d’ouvrir les yeux des élèves, de courser les voyous, de défendre l’intérêt général devant un ministre qui ne pense qu’à la prochaine élection, alors que cela ne peut que vous créer beaucoup de problèmes et peu de reconnaissance (3) ? Autant mettre sa fierté professionnelle dans sa poche, et faire semblant de faire son travail en minimisant les risques. Si Samuel Paty avait été plus « raisonnable », s’il avait suivi cette voie, il serait encore avec nous. Et ses collègues qui ont refusé de donner son nom à un collège au nom de la sécurité de la « communauté éducative » ne diront pas le contraire. Plus on avance, et plus on aura des enseignants qui feront semblant d’enseigner, des policiers qui feront semblant de policer. Est-ce cela que nous voulons ? Pas moi, en tout cas. Je serai toujours prêt à soutenir le fonctionnaire qui cherche à bien faire son boulot, toujours disposé à pardonner ses erreurs et à considérer avec bienveillance ses écarts dès lors qu’ils sont commis de bonne foi et dans l’intérêt général. L’anarchisme gentillet d’un Brassens « ne faisant de tort en personne en laissant courir les voleurs de pommes » trouve ses limites lorsqu’il s’agit de laisser ou non courir les vendeurs de crack, les incendiaires de voitures, les pilleurs de magasins.

Descartes

(1) Pour ceux qui en douteraient, rappelons le nombre de contrôleurs dans les trains ou le métro qui sont pris à parti par les voyageurs lorsqu’ils essayent de verbaliser un resquilleur. Pourtant, le passager clandestin commet un forfait au préjudice de l’ensemble des usagers qui payent leur billet. Il n’empêche que pour beaucoup, c’est une affaire d’un « petit » contre les « gros ». « Je ne fais pourtant de tort à personne/en laissant courir les voleurs de pommes » écrivait Brassens…

(2) Un gardien de la paix touche, en début de carrière, un traitement brut de 1791 € par mois de traitement. Au bout de 28 ans de carrière, il aura un traitement brut de 2350 €. Un commissaire de police commence sa carrière à 2200 € brut par mois, et à condition de passer divisionnaire il peut espérer 5500 € brut après 30 ans de carrière. Il est vrai qu’à ce traitement s’ajoutent des primes, mais une prime est la compensation d’une sujétion particulière (horaires, risques, conditions de travail). La comparaison devrait donc être faite avec des travailleurs qui assument ce type de sujétion.

(3) j’apprends en écrivant ces lignes qu’un médecin niçois de 80 ans qui contrôlait un arrêt de travail a été agressé par un patient parce qu’il lui a indiqué que l’arrêt était tout à fait injustifié. Encore un exemple qui montre combien il faut aujourd’hui avoir le sens de l’honneur chevillé au corps et un solide courage pour dire « non ».

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159 réponses à Ici, on aime la Police

  1. Cording1 dit :

    De nos jours l’individu est roi, il ne se reconnaît que des droits mais si peu de devoirs. La société n’est faite que pour une extension indéfinie de ses droits. Une tendance lourde de la société qu’il sera difficile sinon d’inverser du moins de limiter. Sinon le pouvoir fait un acte d’autorité insupportable. On en vient rapidement à une accusation d’autoritarisme voire de fascisme. L’ultime argument pour discréditer tout désaccord. 

    • Descartes dit :

      @ Cording1

      [La société n’est faite que pour une extension indéfinie de ses droits.]

      Et pourquoi donc ? L’affirmation mérite au minimum une justification non ?

  2. CHOUIN dit :

    “Les VÉRITÉS que l’on aime le moins à APPRENDRE, sont CELLES que l’ON A LE PLUS D’INTÉRÊT À SAVOIR”. 
    “UN TRAITRE EST PLUS DANGEREUX Q’UN FOU”. (Jules Paul TARDIVEL).  
    Lire :  THOMET – Sophie BOUTBOUL ?
    Bien À VOUS.

  3. Theisseire dit :

    Je suis enseignant dans le secondaire depuis 24 ans. J’appuie sans réserve ce super billet.

    • Descartes dit :

      @ Theisseire

      [Je suis enseignant dans le secondaire depuis 24 ans. J’appuie sans réserve ce super billet.]

      J’apprécie tout particulièrement votre appui, n’étant pas toujours tendre pour la profession enseignante…

  4. Rogers dit :

    Merci cher René pour cet article. 
    Vois pouvez aller sur le blog de Lordon et lire son article délirant sur le devenir fasciste de la police… 

    • Descartes dit :

      @ Rogers

      [Vois pouvez aller sur le blog de Lordon et lire son article délirant sur le devenir fasciste de la police…]

      J’y suis allé… et j’en tremble encore. Ca faisait un bout de temps que je n’avais pas lu un article de Lordon, et je trouve qu’il ne s’arrange mas. Non seulement le style qui rappelle du mauvais Céline. Ce qui est terrible, c’est qu’au nom de la lutte contre un « fascisme » largement fantasmatique, Lordon s’attaque mine de rien à la République. Voici ce qu’il écrit :

      « Dès le départ, il faut l’avouer, la confusion était installée. Car « république » n’ayant jamais rien dit d’autre que « chose publique », elle est en elle-même une catégorie qui ne préjuge rien quant à sa forme, et peut tout aussi bien s’accommoder, selon les catégories usuelles de la philosophie politique, de la monarchie, de l’oligarchie ou de la démocratie — et même de Salò. Sans doute en France, le mot a-t-il reçu sa signification de la Révolution. Au moins la « république » d’alors, à défaut du tour qu’elle prit ensuite, était toute marquée des idéaux de démocratie et d’égalité, dont il est patent que la Ve République finissante leur est devenue totalement étrangère. »

      Lordon a raison sur un point : la confusion s’est installée, du moins dans son esprit. On ne peut pas dire en même temps que « « république » n’a jamais rien dit d’autre que chose publique » et que « le mot a reçu sa signification de la Révolution (…) marquée des idéaux de démocratie et d’égalité ». Car les deux choses sont contradictoires : ou bien le mot « ne dit jamais rien d’autre que chose publique », ou bien il est « marqué par les idéaux de démocratie et d’égalité ». Faut savoir.

      En fait, si la République – qui chez moi porte toujours une majuscule – ne préjuge pas d’un régime politique précis, c’est un concept qui restreint singulièrement les régimes politiques possibles. Etre républicain, c’est soutenir qu’il y a des intérêts collectifs qui ne sont pas réductibles aux intérêts d’un individu ou d’un groupe, et vouloir un régime politique qui puisse faire passer ces intérêts collectifs par-dessus les intérêts personnels ou communautaires. Cela exclut un régime comme la République de Salo qui, n’en déplaise à Lordon, n’a de « République » que le nom, puisqu’elle a été instituée précisément pour soutenir les intérêts d’un petit groupe.

      Dire que la République de Salo est un exemple de « République », c’est prétendre implicitement qu’il n’y a pas de raison particulière de défendre la vision républicaine, puisqu’après tout, derrière la « République » peut se trouver le pire comme le meilleur.

      L’autre problème avec Lordon, c’est que sa vision n’explique rien. Il nous parle d’une « dérive fasciste », mais à aucun moment on ne comprend le POURQUOI. On sait qu’en 1930 la montée des fascismes correspondait fut la conséquence de la peur de la bourgeoisie devant l’expérience communiste initiée en URSS après 1917 et son essaimage dans le reste de l’Europe. Mais la situation en ce début de XXIème siècle n’a aucun rapport avec celle du début du XXème. Aucune alternative pouvant faire peur au « bloc dominant » ne se présente à l’horizon. Alors, pourquoi payer le prix d’un « fascisme » alors qu’une petite démocratie bourgeoise leur suffit amplement ? Prisonnier des schémas mentaux de la bienpensance façon « Monde diplo », Lordon ne comprend pas que la demande « d’ordre » n’est pas une invention des capitalistes, mais au contraire une réaction des couches populaires devant un néolibéralisme qui accentue chaque jour l’imprévisibilité de nos sociétés et créé le désordre. Mais cela supposerait d’accepter que « l’ordre » est une valeur de gauche et le « désordre » une valeur de droite… et ça, c’est anathème.

      Je ne peux résister l’envie de réproduire un commentaire posté par un certain “Gabriel” suite à l’article de Lordon. A mon avis, il résume assez bien ce qui ne va pas chez une certaine gauche:


      J’ai lu capitalisme, désir et servitude, la malfaçon et l’intérêt souverain. J’ai donc une appétence pour Lordon.

      En revanche je suis déçu qu’il n’aborde pas l’origine de la délinquance dans cet article.

      Car j’ai plus ici été frappé par la violence des manifestants que par celle des policiers dans leur ensemble.

      Surtout, cette violence des manifestants, il faut le dire et c’est le pire, ne s’accompagne d’aucune reflexion politique. A l’inverse de mouvements violents connus par le passé tel mai 68. Aujourd’hui ils cassent pour piller des TV, des nikes, des iphones…

      A Montargis, ville que je connais bien, les immeubles et bâtiments du centre ont été ravagés, sacagés détruit. Le charme de la ville a été reduit à néant. Tout le monde peut y faire l’aller-retour dans la journée, ce n’est qu’à 1 h de Paris.

      On peut alors discuter avec le pharmacien de la rue dorée dont l’immeuble s’est effondré (au sens premier du terme) et constatée de ces yeux le désarroi, l’abattement, l incompréhension : Pourquoi moi ? Quais je fais si ce n’est fournir des médicaments ?.

      On peut aussi échanger avec le propriétaire (l’utilisation de ce terme ne doit pas suffir à devenir hermétique à la souffrance des autres) de la petite boutique de vêtements qui a brûlé. La décoration, tout en bois ancien, charmante et désuète, reduite en cendres.

      On peut également rencontrer le locataire d’une mansarde qui a finit à l’hôpital brûlé par les flammes du commerce situé sous son habitation. Heureusement il s’en est sorti indemne. Mais quel frayeur !

      Je ne peux etre exhaustif car la liste de drames dont on ne parlera jamais, ou très peu, dans leur cas particulier est longue et terrifiante.

      Les personnes qui ont fait ça, c’est établi, viennent principalement du quartier sensible de la ville.

      Toute ville a son quartier sensible. Ce n’est pas pour dédramatiser, mais pour y etre passé, ce n’est pas non plus les quartiers nords de Marseille avec leur ambiance il faut l’admettre tiers mondiste.

      Non, ici c’est un quartier pauvre, c’est vrai, mais globalement propre et tranquille. Avec des ecoles, une salle de sport, un supermarché, deux banques (la caisse d’épargne et la banque postale) , des restaurants, un bureau de tabac etc.

      La France n’est certes pas le pays idéal mais arretons de dire qu’elle est raciste (meme si l’auteur vise ici, il est vrai, uniquement la police). En effet, le racisme est bien plus développé envers les “personnes de couleur” en Zsie, en Europe de l’est et meme au Maghreb où le noir n’est rien de plus qu’un être nauséabond, un animal, un singe.

      Enfin et pour terminer (et j’espère que ce commentaire ne sera pas filtré, ou alors filtré mais au moins lu en amont par Lordon, car j’ai envie de l’entendre développer sa pensée sur l’analyse de ces emeteutes, non pas côté police, déjà fait dans cet article, mais côté délinquant), certes le cadre de cette jeunesse qui a pillé n’est pas favorable mais tout de meme, la France ce n’est pas les US ou la Grande Bretagne. La fac est gratuite. Les formations courtes également (bts, dut etc). Ces jeunes ont l’opportunité de conclure un cursus, court ou long, sans la moindre dette. L’opportunité, par exemple, de devenir avocat, pour les cérébraux, ou couvreur, pour les manuels, d’ailleurs un métier porteur avec la vague de la rénovation des bâtiments. Ou patissier, ou plombier etc. Un plombier gagne 2 à 3000e par mois aujourd’hui. Et plus encore pour ceux à leur compte.

      La France offre des opportunités à tous à qui sait les regarder. Malheureusement je ne suis pas certains que les pilleurs de TV et de Nike les regardent, ni meme souhaitent les regarder.

      • Robert dit :

        La fac est gratuite. Les formations courtes également (bts, dut etc). Ces jeunes ont l’opportunité de conclure un cursus, court ou long, sans la moindre dette.
        la fac est gratuite…. mais si en 1ère et 2ème année les places ne sont limitées, il en est pas de même en master les places sont TRèS limitées……même avec une mention en 3éme année on n’est pas sûr d’y rentrer.
        Pour les BTS et DUT c’est encore pire, sans mention au bac impossible d’y rentrer….
        il manque beaucoup beaucoup de places dans ces établissements…..
        le plombier (ouvrier) qui gagne 3000 € par mois il y a 60 ans  “on” racontait déjà ça…
        Je n’ai JAMAIS rencontré (j’ai 76 ans) un plombier avec ce salaire….. vous peut-être ..

        • Descartes dit :

          @ Robert

          [la fac est gratuite…. mais si en 1ère et 2ème année les places ne sont limitées, il en est pas de même en master les places sont TRES limitées……même avec une mention en 3éme année on n’est pas sûr d’y rentrer.]

          Je trouve cette affirmation difficile à croire. En 2022, il y avait 185.000 places en master pour 165.000 diplômés en licence. Il est donc possible que certains masters particulièrement prestigieux ou dans certaines disciplines soient très sélectifs, mais cela ne peut être le cas général. Il est d’ailleurs bien connu que dans les matières scientifiques, il y a une insuffisance criante de candidats.

          [Pour les BTS et DUT c’est encore pire, sans mention au bac impossible d’y rentrer….]

          Même chose. Si vous voulez un BTS « commerce international », « management commercial opérationnel » ou « gestion des entreprises et des administrations », les places sont chères. Mais si vous voulez un BTS en métallurgie, chaudronnerie, électrotechnique… je vous assure qu’il n’y a pas de difficulté pour trouver des places, même sans mention.

          [le plombier (ouvrier) qui gagne 3000 € par mois il y a 60 ans “on” racontait déjà ça… Je n’ai JAMAIS rencontré (j’ai 76 ans) un plombier avec ce salaire….. vous peut-être …]

          Moi si. Et pas seulement des plombiers salariés. C’est vrai aussi pour les chaudronniers, les robinetiers industriels… quant aux soudeurs, un soudeur qualifié « nucléaire » peut gagner jusqu’à 9000 € les bons mois. La réalité est que pour les métiers techniques on ne trouve tout simplement pas de personnel qualifié, et que les industriels (raffineries, centrales nucléaires) sont prêts à payer d’excellents salaires pour attirer et fidéliser ces personnels.

        • Thiers jean marie dit :

          Réponse particulièrement judicieuse. En outre, les jeunes gens qui veulent emprunter un cursus prometteur doivent s’endetter lourdement pour intégrer la plupart des écoles de commerce susceptibles de leur offrir un avenir…..ultralibéral.

  5. bernard dit :

    Bonjour , la LFI et des associations ainsi que la cgt organisent en septembre je crois bien une manifestation, contre les violences policiéres , on voit que certains sont prets a tout pour raccoler un certain électorat 
    je pense que le sujet que vous abordez est confirmé par une certaine gauche 

    • Descartes dit :

      @ bernard

      [Bonjour, la LFI et des associations ainsi que la cgt organisent en septembre je crois bien une manifestation, contre les violences policières, on voit que certains sont prêts a tout pour racoler un certain électorat]

      Il est intéressant de s’interroger sur la persistance du réflexe « anti-flic » dans la gauche française, qui n’est qu’une facette du réflexe anti-état qui affecte à des degrés divers d’autres corps de l’Etat : militaires, juges, etc. Pour moi, elle souligne le fait que la gauche en est resté à l’Etat du XIXème siècle, et n’a toujours pas réalisé que l’Etat a changé de nature tout au long du XXème. On est passé d’un Etat-gendarme dont la principale fonction était la défense des intérêts des classes dominantes, à un Etat-providence qui est plutôt le gardien d’un certain équilibre plutôt favorable aux classes populaires, selon l’ancienne formule « entre le faible et le fort, c’est la liberté qui asservit et la loi qui libère ». La preuve la plus évidente pour moi de cette transformation est que les classes dominantes, qui du temps de l’Etat-gendarme étaient les premières à soutenir partout et toujours « l’autorité de l’Etat », en sont devenues au tournant des années 1960 ses principaux adversaires. La contestation de l’Etat lors de la révolution néolibérale des années 1980 n’est pas venue des couches populaires, mais des classes intermédiaires et de la bourgeoisie.

      Contester l’autorité de l’Etat, dénoncer les juges et les flics en 1880, quand flics et juges étaient les remparts de la bourgeoisie, avait un sens. La même dénonciation un siècle plus tard a un sens très différent. Les militants de gauche – peut-être parce qu’elle est de plus en plus influencée par les classes intermédiaires – épousent ce qu’ils imaginent être leur « vocation historique » anti-flic, mais vont en fait dans le sens qui arrange les couches dominantes.

      Cette posture isole d’ailleurs la gauche des couches populaires, et fait le jeu du RN qui a très bien compris, lui, que pour ces couches sociales la question des violences policières n’est pas le principal problème.

      • Bob dit :

        La gauche française, politiquement, est en état de mort cérébrale (LFI est plus une secte qu’un parti politique).
        D’accord avec vous en tous points de cet admirable post.

  6. cdg dit :

    Je pense que l immense majorite de la population serait d accord avec ce que vous ecrivez et approuverait une reprise en main energique. Par contre ces gens n ont quasiment pas voix au chapitre etant donné qu ils habitent pas a paris et ne travaillent ni a la TV ni a la radio
    Avec un peu de provocation on peut meme ecrire que les points de deal ne sont pas comme vous l ecrivez des marchands de mort mais des services essentiels. Combien de personnages mediatiques consomment de la drogue ? Palmade ou Johnny ne sont pas des cas isolés. 
    Sur la poursuite des delinquants par ex, il faut etre clair. Le risque n est pas tant que le delinquant finisse contre un platane (bon debarras) mais qu en le poursuivant la voiture de police ecrase quelqu un qui traversait dans les clous. Personnellement je trouve le risque acceptable mais ca se discute
     
    PS: d apres mes souvenirs les gamins qui se sont cachés dans un transformateur EDF revenait d une partie de foot et n avaient rien a se reprocher. Ils se sont cachés car ils n avaient pas leur papiers et donc un controle d identité les auraient amené au poste. J ai d ailleurs jamais compris cette fixation sur les controle d identité. Si vous avez un deliquant vous devez pouvoir l arreter pour autre chose que l absence de sa CI. Sinon c est juste une perte de temps (sans compter que quand j etais enfant/ado je me promenais jamais avec mes papiers)

    • Descartes dit :

      @ cdg

      [Je pense que l’immense majorité de la population serait d’accord avec ce que vous écrivez et approuverait une reprise en main énergique. Par contre ces gens n’ont quasiment pas voix au chapitre étant donné qu’ils habitent pas à paris et ne travaillent ni à la TV ni à la radio.]

      Je vous avoue que c’est une question que je me pose souvent lorsque je prends la plume. D’une part, le raisonnement me paraît si logique, les faits si parlants, que j’imagine comme vous qu’une majorité de nos concitoyens ne peuvent qu’être d’accord, d’autant plus que cela va dans le sens de leurs intérêts. Et cependant, élection après élection je ne peux que constater que les politiques dans leur immense majorité vont plutôt chercher des voix en tenant le discours libéral-libertaire, et que les électeurs les suivent. Ceux qui proposent une « reprise en main énergique » – je n’aime pas le terme, mais c’est celui que vous avez utilisé – sont très minoritaires à la sortie des urnes. Même le RN, pourtant partisan de la « loi et ordre », maintien une certaine ambiguïté à ce sujet – par exemple, lorsqu’il s’agit de condamner l’agression à un inspecteur du travail.

      Je pense, comme je l’ai écrit, qu’une grande majorité voudrait un retour à une société plus ordonnée, plus prévisible, mais qu’ils ne sont pas prêts à payer le prix. Pour donner une image, on veut tous que les autres conducteurs respectent le code de la route, mais pestons lorsque nous prenons une prune. Autrement dit, les Français voudraient l’ordre pour les autres, pas pour eux-mêmes et leurs proches. Et un discours médiatique individualiste, qui a fait de l’insolence et de al désobéissance une vertu, pousse les gens dans cette direction.

      [Avec un peu de provocation on peut meme ecrire que les points de deal ne sont pas comme vous l’écrivez des marchands de mort mais des services essentiels. Combien de personnages médiatiques consomment de la drogue ? Palmade ou Johnny ne sont pas des cas isolés.]

      Dans le cas de Palmade, cela ne lui a pas réussi. Et surtout, cela n’a pas réussi aux victimes de l’accident qu’il a provoqué. Son cas montre que « marchand de mort » est le terme exact.

      [Sur la poursuite des délinquants par ex, il faut être clair. Le risque n’est pas tant que le délinquant finisse contre un platane (bon débarras) mais qu’en le poursuivant la voiture de police écrase quelqu’un qui traversait dans les clous. Personnellement je trouve le risque acceptable mais ça se discute]

      Pour le moment, les incidents répertoriés montrent que le risque que le délinquant finisse dans un platane – au sens propre ou figuré – est le cas le plus fréquent. La statistique montre que – sauf à croire à une incroyable chance – les policiers font bien plus attention à ne pas écraser les passants qu’à la sécurité du fuyard. Le problème, c’est que la société n’est pas prête à admettre ce risque : même lorsqu’un jeune fuyard de prend un platane, on peut s’attendre à des émeutes.

      [PS: d’après mes souvenirs les gamins qui se sont cachés dans un transformateur EDF revenait d’une partie de foot et n’avaient rien à se reprocher. Ils se sont cachés car ils n’avaient pas leur papiers et donc un contrôle d’identité les auraient amené au poste.]

      Ce n’est pas ce que dit le rapport de l’IGS. Selon le rapport, les jeunes revenaient bien d’une partie de foot, mais sur le chemin du retour, en passant devant un chantier de logements sociaux, ils cherchent à s’introduire, l’un deux restant faire le guet. C’est en voyant cela par la fenêtre qu’un employé du funérarium situé en face du chantier appelle la police. L’IGS constate que « [la] tentative de vol était bien constituée dans la mesure où ses auteurs n’avaient renoncé à leur action concertée et organisée, non pas de leur propre fait, mais à la suite de l’intervention rapide et efficace des policiers de la BAC 833 ». L’IGS constate par ailleurs que : « les jeunes Bouna Traoré et Harouna Konte ont été poursuivis, une première fois, à l’intérieur du chantier, par un seul policier en civil, puis, qu’après avoir distancé leur poursuivant, ils ont été poursuivis une seconde fois (…) alors qu’ils se trouvaient dans le parc Vincent-Auriol en compagnie de leurs six amis. (…) A chaque fois la poursuite fut brève, à la fois dans le temps et dans l’espace. ». Comment se fait-il que les policiers aient eu besoin de courser Bouna Traoré à l’intérieur du chantier, s’il ne faisait que marcher dans la rue avec ses amis au retour d’une partie de foot ?

      Je n’ai d’ailleurs jamais compris cette fixation sur les contrôles d’identité. Si vous avez un délinquant vous devez pouvoir l’arrêter pour autre chose que l’absence de sa CI.]

      Encore faut-il l’avoir, votre « délinquant ». Comment faites-vous pour arrêter une personne en infraction avec la législation sur les étrangers en France sans contrôler son identité ? Par ailleurs, le contrôle d’identité permet d’établir une cartographie de qui fréquente quels lieux. Par exemple, connaître les gens qui tournent autour d’un point de deal…

      [Sinon c’est juste une perte de temps (sans compter que quand j’étais enfant/ado je me promenais jamais avec mes papiers)]

      Je ne sais pas où vous habitiez. Personnellement, j’habitais dans une cité populaire, j’avais toujours mes papiers sur moi, et je me suis fait contrôler plusieurs fois. Et ça ne m’a jamais particulièrement traumatisé.

      • Bob dit :

        @Descartes
        “Le problème, c’est que la société n’est pas prête à admettre ce risque : même lorsqu’un jeune fuyard de prend un platane, on peut s’attendre à des émeutes.”
        Je pense que la société, c’est-à-dire l’immense majorité des Français, l’accepte fort bien ; ce sont les copains des fuyards – sa communauté au sens large – qui ne l’accepte pas et sème le chaos que notre État lâche tolère.

        • Descartes dit :

          @ Bob

          [Je pense que la société, c’est-à-dire l’immense majorité des Français, l’accepte fort bien ; ce sont les copains des fuyards – sa communauté au sens large – qui ne l’accepte pas et sème le chaos que notre État lâche tolère.]

          Je vous trouve bien optimiste. Si « l’immense majorité des Français l’accepte fort bien », comment expliquez-vous qu’il ne se trouve pas un politique pour conduire une politique de rétablissement de l’autorité de l’Etat ? Pourquoi les hommes politiques ne prennent une position qui leur apporterait le soutien de « l’immense majorité des Français » ?

          Je crains que l’affaires soit bien plus grave. Dans mon papier, je dénonce « l’aquabonisme » qui se diffuse dans notre fonction publique. Mais malheureusement, c’est une tendance lourde dans la société aussi. On peut comparer cette dérive à au pacifisme des années 1930 qui aboutira plus tard au pétainisme : les Français ont tellement peur du conflit qu’ils sont prêts à toutes les capitulations.

          • Bob dit :

            @Descartes
            [Pourquoi les hommes politiques ne prennent une position qui leur apporterait le soutien de « l’immense majorité des Français » ?]
            Parce qu’ils sont lâches et qu’aucun n’est prêt à assumer les quelques semaines de violence et destruction par lesquelles on passera nécessairement, vu l’état avancé de gangrène de nombreux territoires, avant le retour à l’ordre.
            [les Français ont tellement peur du conflit qu’ils sont prêts à toutes les capitulations.]
            Les Français, je n’en suis pas certain ; nos politiciens, oui.
             

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [“les Français ont tellement peur du conflit qu’ils sont prêts à toutes les capitulations.” Les Français, je n’en suis pas certain ; nos politiciens, oui.]

              Je crois qu’il faut se défaire de cette tendance à tout charger sur les politiques. En 1938, en 1940 les politiques ont failli. Mais ils n’ont fait finalement que suivre les citoyens qui, pour des raisons que l’on peut comprendre, n’étaient pas prêts à “mourir pour Dantzig”. La formule churchilienne – “la France avait à choisir entre la honte et la guerre, elle a choisi la honte, elle a eu la guerre” – reste aussi vraie aujourd’hui qu’à l’époque. Il existe malheureusement dans notre pays une tradition paysanne qui, enfermée dans sa ferme fortifiée, s’imagine qu’on peut vivre tranquillement sa petite vie en ignorant ce qui se passe “ailleurs”. Cette France prête à se battre à mort pour défendre l’appellation d’origine d’un Bordeaux ou d’un fromage, mais qui se fout royalement que l’industrie de la machine-outil française disparaisse. C’est cette “petite France” qui a applaudi l’arrivée au pouvoir de Pétain, l’homme qui promettait insérer la France dans un “nouvel ordre européen” en position subordonnée, parce que l’essentiel, c’était qu’on puisse continuer avec sa petite vie d’avant.

              A côté de cette “petite France”, il y a la “grande France”, celle qui se mêle des affaires du monde, celle qui partage une vision universaliste, celle qui se soucie de fonder des institutions, d’organiser le territoire, de préparer un avenir qui n’est pas la reproduction du passé. Aujourd’hui, cette “grande France” est éclipsée par la petite, et ce n’est pas la première fois dans notre histoire. C’est pourquoi je ne partage pas votre optimisme: les politiques ne font que suivre une volonté largement partagée…

            • François dit :

              @Descartes,
              [En 1938, en 1940 les politiques ont failli. Mais ils n’ont fait finalement que suivre les citoyens qui, pour des raisons que l’on peut comprendre, n’étaient pas prêts à “mourir pour Dantzig”. La formule churchilienne – “la France avait à choisir entre la honte et la guerre, elle a choisi la honte, elle a eu la guerre” – reste aussi vraie aujourd’hui qu’à l’époque.]
              Je n’ai pas souvenir que cette fameuse citation de Churchill, était spécialement dédiée à la France, mais plutôt à Daladier et surtout également à Chamberlain.
              Mais sur le fond, que la France ait en partie payé son pacifisme, indéniablement oui. Cependant, je dirais que la France a surtout payé la stratégie du diviser pour mieux régner anglo-saxonne (càd américaine et surtout britannique). Car n’oublions pas qu’après 1918, la puissance perçue comme majeure sur le continent européen par les anglo-saxons est la France. Et qu’il y ait une puissance majeure sur le continent, ils ont horreur de cela. Aussi pour rééquilibrer les puissances, ils ont fait preuve d’une très grande mansuétude vis-à-vis de l’Allemagne, et ce sans même consulter la France, comme l’atteste le traité naval germano-britannique de 1935. N’oublions pas non plus la stupide susceptibilité des Belges qu’il fallait ménager, ne voulant pas que la ligne Maginot s’étende jusqu’à Dunkerque, la rendant par la même occasion inutile.
              Pour synthétiser, la France a été non sans raisons traumatisée par la guerre des tranchées. Ce traumatisme, l’a conduit à se sous-estimer, sous-estimation dont le pacifisme aveugle est l’une des conséquences. En se sous-estimant, la France ne se pensait pas capable, alors qu’elle l’aurait pu seule, de mener un guerre pour répondre aux flagrantes violations du traité de Versailles par les Allemands, et ce contre l’avis de la perfide Albion.
              Voici une synthèse de la diplomatie anglo-américaine durant l’entre deux guerre :
              https://twitter.com/CapHornier_/status/1688860907512680449

            • Descartes dit :

              @ François

              [Je n’ai pas souvenir que cette fameuse citation de Churchill, était spécialement dédiée à la France, mais plutôt à Daladier et surtout également à Chamberlain.]

              Je ne vois pas comment cette formule aurait pu s’appliquer à Chamberlain et Daladier. Ni l’un ni l’autre a « eu la guerre », puisque tous deux avaient quitté le pouvoir lorsque la guerre est arrivée.

              [Mais sur le fond, que la France ait en partie payé son pacifisme, indéniablement oui. Cependant, je dirais que la France a surtout payé la stratégie du diviser pour mieux régner anglo-saxonne (càd américaine et surtout britannique).]

              Les anglosaxons ont, comme toujours, poursuivi leurs propres intérêts. La France n’était pas obligé de les suivre. On n’a donc pas à transférer sur les anglo-saxons notre propre incapacité à faire des choix tragiques.

              La France avait les moyens de contrer cette « stratégie » : c’était l’alliance russe. Seulement voilà, les politiciens, qu’ils fussent « bourgeois » ou « socialistes », n’en voulaient pas. Si vous ajoutez à cela l’envie de tout ce beau monde de « chevaucher le tigre et l’envoyer vers l’est » (Chamberlain dixit)… Non, la classe politique française a préféré Hitler à Staline, l’inaction au combat, et la France l’a payé très cher.

              [Pour synthétiser, la France a été non sans raisons traumatisée par la guerre des tranchées. Ce traumatisme, l’a conduit à se sous-estimer, sous-estimation dont le pacifisme aveugle est l’une des conséquences. En se sous-estimant, la France ne se pensait pas capable, alors qu’elle l’aurait pu seule, de mener un guerre pour répondre aux flagrantes violations du traité de Versailles par les Allemands, et ce contre l’avis de la perfide Albion.]

              N’oubliez pas l’anticommunisme de notre classe politique et tout particulièrement de l’état-major français, qui a réduit à néant les effets du traité franco-soviétique d’assistance mutuelle du 2 mai 1935 et poussé les soviétiques à chercher la sécurité dans un pacte de non-agression avec l’Allemagne… Si les autorités françaises avaient été moins aveuglées par l’antisoviétisme, l’histoire aurait pu être très différente. Un bon sujet de réflexion à l’heure où la France s’aligne avec les anglo-saxons contre la Russie de Poutine…

            • François dit :

              @Descartes
              [Les anglosaxons ont, comme toujours, poursuivi leurs propres intérêts. La France n’était pas obligé de les suivre. On n’a donc pas à transférer sur les anglo-saxons notre propre incapacité à faire des choix tragiques.]
              Bien entendu que dans l’absolu, on n’était pas obligé de les suivre. Je me contente juste de dire que cela n’a pas facilité la tâche. Au moment de se décider de lancer ou non une guerre, il est quand même préférable de savoir que l’on a des alliés, surtout quand on a également en tête le traumatisme d’avoir perdu seul contre l’Allemagne en 1870.
               
              [N’oubliez pas l’anticommunisme de notre classe politique et tout particulièrement de l’état-major français]
              L’anti-communisme ou l’anti-soviétisme ?
              Anti-communisme en luttant contre un état parce-qu’il porte une idéologie ? Ou anti-soviétisme, parce-qu’il fallait lutter contre l’entité héritière de la Russie tsariste, dont l’une des  premières décisions a été de lâcher la France durant la première guerre mondiale en signant une paix séparée avec l’Allemagne, puis en cherchant à étendre, à notre détriment sa sphère d’influence sous des prétextes idéologiques, sans oublier ses relations troubles avec l’Allemagne (l’URSS lui ayant aidé à violer les dispositions du traité de Versailles) ?
              Je ne nie pas que l’anticommunisme primaire ait sa part de responsabilité, mais il y avait quand-même de bonnes raisons, indépendantes de son idéologie revendiquée, de se méfier de l’URSS.
              On notera, comme vous le rappelez vous même que s’il n’a pas été appliqué, un traité d’assistance militaire a bien été signé, puis ratifié, et ce par un gouvernement et une chambre antérieurs au Front populaire, tout comme la France n’a pas déclaré la guerre à l’URSS après son invasion de la Pologne. Peut être que les élites bourgeoises de l’époque n’étaient pas si farouchement anti-soviétiques pour avoir entrepris une telle démarche diplomatique. Point de signature, puis de ratification de traité franco-germanique pour se prévenir d’une menace soviétique.
               
              Bref, si les idéologies ont leur importance dans la géopolitique, deux idéologies antagonistes n’empêchent pas forcément des alliances diplomatiques, comme l’atteste les relations franco-ottomanes.
               
               
              [Un bon sujet de réflexion à l’heure où la France s’aligne avec les anglo-saxons contre la Russie de Poutine…]
              Bon, la bonne nouvelle, c’est que cette fois-ci, l’Allemagne est sur les rotules, son industrie payant sa stratégie suicidaire de sortie du nucléaire, puis la privation forcée de l’accès au gaz bon marché russe.
               

            • Descartes dit :

              @ François

              [Bien entendu que dans l’absolu, on n’était pas obligé de les suivre. Je me contente juste de dire que cela n’a pas facilité la tâche. Au moment de se décider de lancer ou non une guerre, il est quand même préférable de savoir que l’on a des alliés, surtout quand on a également en tête le traumatisme d’avoir perdu seul contre l’Allemagne en 1870.]

              Certes. Mais l’histoire a montré abondamment que l’alliance avec la Grande Bretagne est souvent un marché de dupes, parce que la politique britannique a été historiquement d’empêcher l’apparition d’une puissance forte sur le continent européen. Et à l’inverse, nous avons toujours eu avantage à cultiver l’alliance avec la Russie, parce que ses intérêts géopolitiques sont complémentaires des notres.

              [« N’oubliez pas l’anticommunisme de notre classe politique et tout particulièrement de l’état-major français » L’anti-communisme ou l’anti-soviétisme ?]

              Les deux, mon général.

              [Anticommunisme en luttant contre un état parce qu’il porte une idéologie ?]

              L’idéologie, on s’en fout. Si les classes dominantes en France étaient anticommunistes, c’est parce qu’ils percevaient dans le communisme une menace pour leurs intérêts. Vous noterez que ces mêmes classes n’ont pas hésité à pousser en avant « l’alliance italienne », avec l’Italie fasciste. Il faut croire que l’idéologie fasciste ne les gênait pas plus que ça.

              [Ou antisoviétisme, parce qu’il fallait lutter contre l’entité héritière de la Russie tsariste, dont l’une des premières décisions a été de lâcher la France durant la première guerre mondiale en signant une paix séparée avec l’Allemagne, puis en cherchant à étendre, à notre détriment sa sphère d’influence sous des prétextes idéologiques, sans oublier ses relations troubles avec l’Allemagne (l’URSS lui ayant aidé à violer les dispositions du traité de Versailles) ?]

              Je ne vois très bien quand la Russie soviétique a cherché « à étendre à notre détriment sa sphère d’influence » dans les années 1930. Pourriez-vous mieux éclairer ce point ?

              Pour les deux autres griefs, ce n’est pas sérieux. En 1918, la Russie n’était plus en conditions de combattre. Continuer la guerre aurait conduit à l’effondrement. Refuser de s’entendre avec elle dans les années 1930 au motif qu’elle avait conclu une paix séparée, c’est un peu comme si la Grande Bretagne avait refusé tout contact avec la France dans les années 1960 au motif que la France avait conclu un armistice séparé avec l’Allemagne en 1940. Et pour ce qui concerne les « relations troubles avec l’Allemagne », j’aimerais avoir plus de précisions.

              [Je ne nie pas que l’anticommunisme primaire ait sa part de responsabilité, mais il y avait quand-même de bonnes raisons, indépendantes de son idéologie revendiquée, de se méfier de l’URSS.]

              On a toujours de bons motifs de se méfier de tout le monde. Il n’empêche que dans les années 1930, la France a deux fois parié sur le mauvais cheval, et les deux fois par anticommunisme. La première, lorsqu’elle a vidé de tout contenu le traité franco-soviétique de 1935, la seconde, lorsqu’elle a suivi les britanniques et parié en 1938 sur une « croisade antibolchevique » conduite par l’Allemagne. Je vous rappelle qu’en 1939, alors que l’attaque contre la Pologne était en cours, les alliés occidentaux étaient en train de préparer un corps expéditionnaire pour aller aider la Finlande contre l’URSS…

              [On notera, comme vous le rappelez vous-même, que s’il n’a pas été appliqué, un traité d’assistance militaire a bien été signé, puis ratifié, et ce par un gouvernement et une chambre antérieure au Front populaire,]

              Oui. En fait, le traité en question est un avorton du « pacte oriental » négocié par la France, dont l’objectif était de stabiliser la frontière orientale de l’Allemagne. Ce projet, tièdement soutenu par Londres, échoue devant l’opposition de l’Allemagne… et de la Pologne. Seuls sont prêts à signer Moscou et Prague. L’accord avec Moscou est négocié par Barthou, l’un des rares politiques français qui à l’époque jugent la menace allemande infiniment plus grave que la « menace communiste ». Après son assassinat en 1934, le traité avec l’URSS sera signé par son successeur, Pierre Laval, qui s’empressera de s’assurer qu’il ne sera pas appliqué.

              Je vous conseille de lire le premier tome du livre de Jean-Louis Crémieux-Brilhac (« Les français de l’an quarante ») où il fait un récit très vivant des négociations parallèles conduites par les soviétiques avec la France pour activer le traité et avec l’Allemagne pour s’assurer une alternative, et combien les atermoiements de la délégation française ont été déterminants pour convaincre Staline de signer le pacte de non-agression avec l’Allemagne.

              [tout comme la France n’a pas déclaré la guerre à l’URSS après son invasion de la Pologne.]

              Dans la mesure où « l’invasion » en question avait pour effet de rétablir à peu de chose près les frontières proposées par Lord Curzon et que la France soutenait, cela lui aurait été difficile. Il faut quand même rappeler que les territoires polonais occupés par l’URSS en 1939 sont des territoires russes que la Pologne avait occupé lors des guerres russo-polonaises des années 1920. C’est d’ailleurs ce découpage qui a servi de base à Yalta pour la fixation des frontières « définitives » de la Pologne.

              [Peut-être que les élites bourgeoises de l’époque n’étaient pas si farouchement anti-soviétiques pour avoir entrepris une telle démarche diplomatique. Point de signature, puis de ratification de traité franco-germanique pour se prévenir d’une menace soviétique.]

              Le but des élites bourgeoises n’était pas de se défendre militairement de l’URSS, puisque personne ne voyait les armées soviétiques déferler sur l’Europe. Staline avait d’ailleurs été parfaitement clair : les efforts du gouvernement soviétique devaient se concentrer sur la reconstruction du pays, et non sur des aventures étrangères (doctrine du « socialisme dans un seul pays »). Et dans l’esprit de l’époque, une alliance offensive aurait fait mauvais effet. Mais les contacts pour essayer de pousser Hitler vers l’est n’ont pas manqué… c’est d’ailleurs la justification de la politique « d’apaisement » poursuivie par les britanniques tout au long des années 1930.

              [Bref, si les idéologies ont leur importance dans la géopolitique, deux idéologies antagonistes n’empêchent pas forcément des alliances diplomatiques, comme l’atteste les relations franco-ottomanes.]

              Bien entendu. Mais l’anticommunisme n’est pas qu’une question d’idéologie, c’est aussi une question d’intérêts…

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
              [Il faut quand même rappeler que les territoires polonais occupés par l’URSS en 1939 sont des territoires russes que la Pologne avait occupé lors des guerres russo-polonaises des années 1920.]
              Oui enfin, “territoires russes” depuis l’extrême fin du XVIII° siècle (c’est-à-dire moins de 150 ans avant la guerre russo-polonaise de 1920). Avant, ces territoires (une bonne part de la Biélorussie actuelle) avaient été lituaniens pendant près de quatre siècles (et “polono-lituaniens” durant la dernière période).
               
              Je partage avec vous l’idée que la France a intérêt à s’entendre avec la Russie, dont la situation géopolitique devrait faire un allié potentiel de la France. Par contre, je ne partage pas cette propension que vous avez à “naturaliser russe” des territoires sur lesquels d’autres ont au moins autant de droits. Pourquoi un territoire qui a été russe pendant 150 ans et lituanien pendant 350 ans serait, à l’arrivée, forcément russe? Et la même question vaut pour l’Ukraine, dont la moitié occidentale a passé largement autant de temps sous domination polono-lituanienne (puis autrichienne pour la Galicie) que sous domination russe. Et le même argument peut être donné pour la Bessarabie (actuelle Moldavie) dont les Russes, pour le coup, ont fait une poudrière.
               
              Dans la guerre actuelle en Ukraine, les Polonais jouent un rôle qui n’est pas très glorieux, et qui ne sert pas nos intérêts, aveuglés qu’ils sont par leur russophobie obsessionnelle. De là à considérer comme illégitimes les visées qu’ils ont ou qu’ils ont pu avoir sur des territoires qu’ils ont effectivement dominés sur un temps relativement long… 

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« Il faut quand même rappeler que les territoires polonais occupés par l’URSS en 1939 sont des territoires russes que la Pologne avait occupé lors des guerres russo-polonaises des années 1920. » Oui enfin, “territoires russes” depuis l’extrême fin du XVIII° siècle (c’est-à-dire moins de 150 ans avant la guerre russo-polonaise de 1920). Avant, ces territoires (une bonne part de la Biélorussie actuelle) avaient été lituaniens pendant près de quatre siècles (et “polono-lituaniens” durant la dernière période).]

              Disons qu’il y a ce qu’on pourrait appeler « le privilège du dernier arrivant ». Les 150 dernière années pèsent souvent plus lourd que les 300 qui ont précédé, sans quoi Nice et la Savoie seraient légitimement italiennes. Mais la réclamation soviétique semble avoir derrière elle quelques éléments de légitimité, puisqu’elle a été retenue après 1945 pour le tracé des frontières définitives de la Pologne, et que celles-ci ne sont pas contestées par le gouvernement polonais aujourd’hui.

              Quoi qu’il en soit, ces territoires étaient considérés comme disputés dans les années 1930, et c’est pourquoi leur occupation – ou leur récupération, selon le point de vue – par l’URSS n’appelait pas de la part de la France une réponse militaire.

              [Je partage avec vous l’idée que la France a intérêt à s’entendre avec la Russie, dont la situation géopolitique devrait faire un allié potentiel de la France. Par contre, je ne partage pas cette propension que vous avez à “naturaliser russe” des territoires sur lesquels d’autres ont au moins autant de droits. Pourquoi un territoire qui a été russe pendant 150 ans et lituanien pendant 350 ans serait, à l’arrivée, forcément russe ?]

              Faut-il rendre Nice et la Savoie à leur légitime propriétaire, alors ? Rétablir le pape comme souverain des états pontificaux ? Rendre Mulhouse à la Suisse, Strasbourg à l’Autriche ?

              Le dernier occupant est souvent le bon. Quand un état incorpore un territoire, qu’il le traite comme une partie du sien ; qu’il implante sa langue, son droit, ses institutions ; qu’il favorise le brassage avec ses propres populations, au bout de 150 ans il devient difficile de revenir en arrière. Pour vous donner une touche personnelle, mon grand-père, qui vient de ce coin-là, parlait yiddish et russe (mais pas polonais) et se considérait comme Russe, malgré le fait que son village avait été occupé par la Pologne dans les années 1920. Et pourtant, il n’avait aucune raison d’aimer la Russie, vu les pogroms qu’il avait eu à supporter… mais il est vrai que du côté polonais, ce n’était guère mieux !

              [Dans la guerre actuelle en Ukraine, les Polonais jouent un rôle qui n’est pas très glorieux, et qui ne sert pas nos intérêts, aveuglés qu’ils sont par leur russophobie obsessionnelle. De là à considérer comme illégitimes les visées qu’ils ont ou qu’ils ont pu avoir sur des territoires qu’ils ont effectivement dominés sur un temps relativement long…]

              En 1940, les Italiens occupent l’ancien comté de Nice. Pensez-vous que leurs visées étaient « légitimes » ?

            • François dit :

              @Descartes,
              [Et à l’inverse, nous avons toujours eu avantage à cultiver l’alliance avec la Russie, parce que ses intérêts géopolitiques sont complémentaires des notres]
              J’en doute. Ne pas oublier que c’est le revirement de la Russie durant la guerre de Sept Ans (tiens tiens tiens, ça me rappelle quelque chose…), qui a coûté à la France sa suprématie européenne, voire mondiale. Qu’il ne faille pas cultiver une méfiance permanente de la Russie, oui (et il convient donc de saluer le rapprochement avec l’URSS de de Gaulle, tout comme l’avortement de tentative d’alliance franco-soviétique fut une erreur funeste), mais ça n’est pas pour autant qu’il faille la considérer comme un partenaire fiable sur lequel se reposer.
               
              [L’idéologie, on s’en fout. Si les classes dominantes en France étaient anticommunistes, c’est parce qu’ils percevaient dans le communisme une menace pour leurs intérêts.]
              Justement, quelle menace constituait l’URSS pour les intérêts des classes dominantes françaises ? Étaient-elles à ce point aveuglées que pour elles, le moindre accord avec l’URSS aurait inévitablement  abouti à une dictature du prolétariat en France ?
              Certes, il était américain, mais je rappelle que tout anticommuniste qu’il était, Henry Ford a continué à faire du blé en URSS (https://fr.rbth.com/histoire/83078-ford-russie-siecle-histoire). Tout comme, j’y reviendrai après, les élites de la république de Weimar se sont rapprochées de l’URSS naissante.
               
              [Vous noterez que ces mêmes classes n’ont pas hésité à pousser en avant « l’alliance italienne », avec l’Italie fasciste. Il faut croire que l’idéologie fasciste ne les gênait pas plus que ça.]
              Effectivement, car dans un premier temps, l’Italie fasciste n’exprimait pas d’animosité à l’encontre de la France. D’ailleurs, « l’alliance italienne » ne s’est jamais concrétisée, entre autres à cause de l’opposition française à l’expansionnisme italien en Éthiopie :

              Cependant, la guerre d’Éthiopie qui débute en octobre 1935 détériore les rapports. Le Duce, persuadé que lors des accords de Rome, Pierre Laval, alors ministre des Affaires étrangères, lui a laissé « les mains libres » pour sa politique africaine, est surpris de l’attitude française qui critique l’intervention fasciste et vote des sanctions à la Société des Nations. Par conséquent, en mai 1936, au moment où les troupes italiennes entrent dans Addis-Abeba, les relations bilatérales se sont largement dégradées

              https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2013-2-page-51.htm
              Pourquoi dans l’éventualité une guerre contre le communisme ne pas ménager un potentiel allié fasciste ?
               
              [Je ne vois très bien quand la Russie soviétique a cherché « à étendre à notre détriment sa sphère d’influence » dans les années 1930.]
              Dans les années 30, non. Mais après la Première Guerre Mondiale, oui, à commencer par la guerre polono-soviétique (« la route de l’incendie mondial passe sur le cadavre de la Pologne », général Toukhatchevski).
               
              [Refuser de s’entendre avec elle dans les années 1930 au motif qu’elle avait conclu une paix séparée, c’est un peu comme si la Grande Bretagne avait refusé tout contact avec la France dans les années 1960 au motif que la France avait conclu un armistice séparé avec l’Allemagne en 1940.]
              La France n’a t-elle pas continué de se battre après juin 1940 ? Sa place à la table des vainqueurs le 8 mai 1945 à Karlshorst a t-elle donc été usurpée ? M’aurait-on menti ?
               
              Enfin bref, pour la deuxième fois, vous êtes A, allié à B pour faire la guerre à C. Pour la deuxième fois B arrête la guerre avec C et sans se concerter avec A. Bien que la paix soit également revenue entre A et C, C redevient  considéré comme une menace pour A et B. Dans quelle mesure A peut-il avoir confiance en B pour s’allier à lui à nouveau en cas de guerre avec C ?
              Peut-être ainsi que l’anticommunisme plus prononcé au sein de l’état-major que dans le reste des élites politiques françaises vient-il de là (sans oublier la guerre polono-soviétique) et qu’il s’agissait avant tout d’un anti-russisme, indépendant de son régime politique.
              Aussi, peut-être que le problème de l’état-major français est d’être resté figé dans des schémas mentaux issus juste après la Première Guerre Mondiale, pas seulement militaires, mais également diplomatiques.
               
              [Et pour ce qui concerne les « relations troubles avec l’Allemagne », j’aimerais avoir plus de précisions.]
              Pour le volet officiel, il y a le traité de Rapallo, faisant de l’Allemagne l’une des premières premières nations européennes à normaliser ses relations avec l’URSS. Pour le volet officieux, une coopération militaire :

              « Après la première guerre mondiale, au moment où l’Allemagne vaincue se dérobait par tous les moyens aux obligations du traité de Versailles, les Soviets avaient autorisé la Reichswehr à faire des manœuvres sur le territoire de l’U. R. S. S. De cette manière, les forces allemandes qui cherchaient à se reconstituer clandestinement, échappaient au contrôle des Alliés. Le fait que la Russie et le Reich étaient mis au ban des nations eut pour première conséquence une entente tacite entre les deux adversaires de l’Est. »

              https://www.revuedesdeuxmondes.fr/wp-content/uploads/2016/11/eb13222eae1dec960b05ad81bd8aa155.pdf
              Pourquoi donc, avec un KPD d’une puissance électorale équivalente à la SFIC, sans oublier les nombreux troubles révolutionnaires qui ont laissé leurs traces, les dirigeants capitalistes de la république de Weimar n’ont-ils pas fait preuve du même anticommunisme ?
               
              On notera que même après la Seconde Guerre Mondiale, le traité de Rapallo continua de hanter l’esprit des élites françaises :
              https://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=GMCC_210_0007
               
              [et combien les atermoiements de la délégation française ont été déterminants pour convaincre Staline de signer le pacte de non-agression avec l’Allemagne.]
              Et quelle est la cause de ces atermoiements ? La peur de sacrifier ses intérêts de classe en se compromettant avec une puissance communiste ? Ou une mésestimation des risques/bénéfices d’une telle alliance dans un classique jeu géopolitique ?
               
              [Ce projet, tièdement soutenu par Londres, échoue devant l’opposition de l’Allemagne… et de la Pologne.]
              Dans le cas présent, compte tenu de son passif avec l’URSS naissante (et tout simplement de son passif historique avec la Russie), on peut le pardonner à la Pologne,… mais beaucoup moins d’avoir été bénéficiaire des accords de Munich.
              Et puis bon, l’histoire a donné raison qu’il faille se méfier d’avoir des troupes soviétiques stationnées sur son sol…
               
              [Seuls sont prêts à signer Moscou et Prague.]
              La Tchécoslovaquie, aussi était une nation dirigée par des élites bourgeoises. Pourquoi n’a t’elle pas fait preuve du même anticommunisme ? Ne valait-il pas mieux se résigner à sacrifier la région des Sudètes pour mieux sanctifier ses intérêts de classe ?
               
              [Dans la mesure où « l’invasion » en question avait pour effet de rétablir à peu de chose près les frontières proposées par Lord Curzon]
              Cette proposition avait-elle été acceptée sous une forme ou une autre par les Soviétiques ? En cas de refus de leur part, les occidentaux n’étaient plus tenus de s’y référer, la proposition devenant caduque, surtout après la paix de Riga.

            • Descartes dit :

              @ François

              [« Et à l’inverse, nous avons toujours eu avantage à cultiver l’alliance avec la Russie, parce que ses intérêts géopolitiques sont complémentaires des nôtres » J’en doute. Ne pas oublier que c’est le revirement de la Russie durant la guerre de Sept Ans (tiens tiens tiens, ça me rappelle quelque chose…), qui a coûté à la France sa suprématie européenne, voire mondiale.]

              Le « revirement » de la Russie est la conséquence de la mort de la tsarine Elizabeth, francophile, et la montée sur le trône de Pierre III, favorable à la Prusse. A l’époque, la politique des états dépendait beaucoup des sympathies ou antipathies personnelles des souverains, particulièrement en Russie, où l’état autocratique était très puissant. Les choses ont un peu changé depuis, et la politique étrangère dépend plus des intérêts que des sympathies ou des antipathies.

              [Qu’il ne faille pas cultiver une méfiance permanente de la Russie, oui (et il convient donc de saluer le rapprochement avec l’URSS de de Gaulle, tout comme l’avortement de tentative d’alliance franco-soviétique fut une erreur funeste), mais ça n’est pas pour autant qu’il faille la considérer comme un partenaire fiable sur lequel se reposer.]

              Dans l’absolu, en matière de politique étrangère les « partenaires fiables » n’existent pas. Mais en termes de respect de la parole donnée, la Russie – et l’URSS avant elle – a une tradition de fiabilité bien établie, en tout cas beaucoup mieux établie que celle des Américains. Je ne trouve pas de cas flagrant ou l’URSS ait violé un traité qu’elle avait librement signé et ratifié. Pas plus que je ne me souviens d’une intervention des troupes soviétiques en dehors de la légalité internationale. La Russie post-soviétique a pris quelques libertés, certes, mais dans un monde où le principe de l’intangibilité des frontières s’était déjà effondré.

              [« L’idéologie, on s’en fout. Si les classes dominantes en France étaient anticommunistes, c’est parce qu’ils percevaient dans le communisme une menace pour leurs intérêts. » Justement, quelle menace constituait l’URSS pour les intérêts des classes dominantes françaises ? Étaient-elles à ce point aveuglées que pour elles, le moindre accord avec l’URSS aurait inévitablement abouti à une dictature du prolétariat en France ?]

              L’URSS représentait une énorme menace pour les classes dominantes, en France, en Europe, aux Etats-Unis. On imagine mal l’effet mobilisateur que l’existence du premier état socialiste avait sur les ouvriers de tous pays, sans compter avec l’aide que l’URSS pouvait leur fournir ici ou là. Et si l’expérience soviétique avait réussi, imaginez-vous ce qu’aurait été l’effet. Il fallait donc qu’elle rate, et pour cela il fallait affaiblir le régime par tous les moyens : interventions militaires, blocus économique, actions de sabotage…

              C’est une histoire très mal connue – et pour cause – dans notre pays. Qui se souvient que les puissances occidentales ont appuyé les armées « blanches » dans les années 1920 ? Qu’ils ont continué à soutenir – et cela même après la deuxième guerre mondiale – des groupes de « partisans » antisoviétiques qui sabotaient les infrastructures et assassinaient les cadres du Parti et de l’Etat ? Que l’URSS n’a jamais eu accès librement aux marchés internationaux ? On a tendance à parler de la « paranoïa » des dirigeants soviétiques. Mais cette « paranoïa » n’était pas fondée sur rien.

              Un accord d’assistance mutuelle avec l’URSS, c’était pour les soviétiques une assurance supplémentaire contre la destruction, c’est-à-dire, exactement le contraire de ce que voulaient les classes dominantes. Et cela au moment même ou ces classes rêvaient d’une croisade antibolchevique dont les régimes autoritaires prendraient la tête. Leur choix de saboter le traité franco-soviétique de 1935 est parfaitement logique.

              Dans leur croisade antisoviétique, la IIème guerre mondiale n’est pas un échec des classes dominantes, mais un succès éclatant – même s’il fut très coûteux. L’URSS sort certes victorieuse de la guerre, mais blessée à mort. Elle a perdu une bonne partie de sa jeunesse, subi des destructions qui nous semblent aujourd’hui inconcevables de ses infrastructures, alors que les grandes puissances occidentales (France, Grande-Bretagne, et surtout Etats-Unis) n’ont souffert que des dommages relativement limités. L’URSS ne s’en relèvera pas.

              [Certes, il était américain, mais je rappelle que tout anticommuniste qu’il était, Henry Ford a continué à faire du blé en URSS (https://fr.rbth.com/histoire/83078-ford-russie-siecle-histoire). Tout comme, j’y reviendrai après, les élites de la république de Weimar se sont rapprochées de l’URSS naissante.]

              Business is business. Il ne faut pas confondre un comportement individuel avec un comportement de classe. Vous trouverez des bourgeois qui ont fait des dons au PCF. Mais cela n’attenue en rien la haine qui a toujours guidé la politique de la bourgeoisie en tant que classe.

              [Pourquoi dans l’éventualité une guerre contre le communisme ne pas ménager un potentiel allié fasciste ?]

              Parce qu’il n’y avait pas de raison de faire. Quelle que fut la politique de la France, les classes dominantes en étaient convaincus, le fascisme aurait participé à une alliance anticommuniste. C’est d’ailleurs pourquoi le pacte de non-agression germano-soviétique a fait autant de bruit : les classes dominantes en France pensaient pouvoir snober les soviétiques sans risque, une alliance entre soviétiques et allemands étant considérée comme « impossible ». Ils s’attendaient à un Staline idéologue, ils ont découvert un Staline adepte de la Realpolitik. Elles se sont senties « trahies »…

              [« Je ne vois très bien quand la Russie soviétique a cherché « à étendre à notre détriment sa sphère d’influence » dans les années 1930. » Dans les années 30, non. Mais après la Première Guerre Mondiale, oui, à commencer par la guerre polono-soviétique (« la route de l’incendie mondial passe sur le cadavre de la Pologne », général Toukhatchevski).]

              Je ne vois toujours pas. Les territoires disputés lors de la guerre polono-soviétique étaient dans les « sphères d’influence » allemande et russe avant la première guerre mondiale, et on voit mal en quoi leur récupération par l’URSS se serait faite « à notre détriment ». Si c’est votre seul exemple, il est particulièrement pauvre. Quant à la remarque attribuée à Toukhatchevski, elle figure semble-t-il dans l’ordre du jour de son armée. C’est donc un texte destiné à donner du cœur au ventre aux soldats, et non une déclaration politique.

              [« Refuser de s’entendre avec elle dans les années 1930 au motif qu’elle avait conclu une paix séparée, c’est un peu comme si la Grande Bretagne avait refusé tout contact avec la France dans les années 1960 au motif que la France avait conclu un armistice séparé avec l’Allemagne en 1940. » La France n’a-t-elle pas continué de se battre après juin 1940 ?]

              Pas si je crois nos leaders politiques actuels. N’est ce pas un président de la République, sous les applaudissements de la quasi-totalité de la classe politique, qui a déclaré en référence à la Rafle du Vel d’Hiv que « La France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable » ? Si « La France » a pu accomplir l’irréparable à Paris, c’est qu’elle était du côté de la collaboration, et non de la Résistance…

              [Sa place à la table des vainqueurs le 8 mai 1945 à Karlshorst a-t-elle donc été usurpée ? M’aurait-on menti ?]

              Certains – fort nombreux ces derniers temps – vous le diront.

              [Enfin bref, pour la deuxième fois, vous êtes A, allié à B pour faire la guerre à C. Pour la deuxième fois B arrête la guerre avec C et sans se concerter avec A. Bien que la paix soit également revenue entre A et C, C redevient considéré comme une menace pour A et B. Dans quelle mesure A peut-il avoir confiance en B pour s’allier à lui à nouveau en cas de guerre avec C ?]

              Je n’ai pas très bien compris. L’URSS est née en 1922. On peut donc à la rigueur lui reprocher la « volte-face » de 1917. Et encore, le gouvernement bolchévique reniait là une alliance conclue par un régime déchu qu’on peut difficilement considérer comme démocratique, et donc légitime à engager son peuple. Un peu comme si le gouvernement de la première république reniait les traités conclus par l’Ancien régime. Mais lui reprocher la « volte-face » de la guerre des sept ans ? Cela paraît pour le moins excessif…

              Par ailleurs, votre raisonnement suppose que dans les années 1930 la France a vidé le traité franco-soviétique de tout contenu parce qu’elle ne croyait pas à la volonté des soviétiques de faire jusqu’au bout la guerre à l’Allemagne. Or, nulle part il n’apparaît, chez les acteurs de l’époque, cette crainte. Au contraire : l’URSS avait proposé en 1938 d’envoyer ses troupes soutenir la Tchécoslovaquie, et la proposition avait capoté parce que la Pologne, soutenue par la France et la Grande Bretagne, avait refusé d’autoriser le passage des troupes soviétiques sur son sol.

              [Peut-être ainsi que l’anticommunisme plus prononcé au sein de l’état-major que dans le reste des élites politiques françaises vient-il de là (sans oublier la guerre polono-soviétique) et qu’il s’agissait avant tout d’un anti-russisme, indépendant de son régime politique.]

              Si tel était le cas, on comprend mal pourquoi la France a envoyé un corps expéditionnaire dans les années 1920 pour soutenir les russes « blancs » contre les « rouges ». Ou pourquoi la France a offert asile et soutien à tous les russes adversaires du régime soviétique. Si antirussisme il y avait, il faut croire qu’il ne s’exprimait pas tout à fait de la même façon selon la « couleur » du russe…

              [« Et pour ce qui concerne les « relations troubles avec l’Allemagne », j’aimerais avoir plus de précisions. » Pour le volet officiel, il y a le traité de Rapallo, faisant de l’Allemagne l’une des premières nations européennes à normaliser ses relations avec l’URSS.]

              Je ne vois rien de « trouble » là-dedans. En 1920 la Russie (qui ne deviendra URSS qu’en 1922) est un état-paria. Son gouvernement n’est pas reconnu par une partie du camp occidental (la France le fera en 1924, les Etats-Unis attendront 1933…), le pays n’a pas accès aux marchés internationaux et doit mendier les biens – et notamment les machines – nécessaires pour reconstruire le pays. Quoi d’étonnant que la Russie accepte un traité avec le seul état qui, à l’époque, accepte de la reconnaître et de commercer ? On peut difficilement reprocher à la Russie de s’être détournée d’une France qui refusait tout rapport avec elle.

              [Pour le volet officieux, une coopération militaire : « Après la première guerre mondiale, au moment où l’Allemagne vaincue se dérobait par tous les moyens aux obligations du traité de Versailles, les Soviets avaient autorisé la Reichswehr à faire des manœuvres sur le territoire de l’U. R. S. S. De cette manière, les forces allemandes qui cherchaient à se reconstituer clandestinement, échappaient au contrôle des Alliés. Le fait que la Russie et le Reich étaient mis au ban des nations eut pour première conséquence une entente tacite entre les deux adversaires de l’Est. »]

              Il faudrait peut-être vous demander qui avait eu l’imprudence de mettre la Russie « au ban des nations ». Il ne faut pas oublier que la Russie est, à ce moment de son histoire, dans une situation désespérée. Après les ravages des interventions étrangères et de la guerre civile, elle a désespérément besoin de paix et d’échanges économiques pour se reconstruire. En la mettant « au ban des nations », les alliés ont poussé la Russie dans les bras du seul pays européen qui ne leur a pas fermé sa porte… une leçon qu’il conviendrait de retenir lorsqu’on parle des sanctions contre la Russie aujourd’hui.

              [Pourquoi donc, avec un KPD d’une puissance électorale équivalente à la SFIC, sans oublier les nombreux troubles révolutionnaires qui ont laissé leurs traces, les dirigeants capitalistes de la république de Weimar n’ont-ils pas fait preuve du même anticommunisme ?]

              Parce qu’ils n’avaient pas le choix. Eux aussi étaient soumis au régime maigre issu du traité de Versailles. Quand on se noie, on s’accroche à tout ce qui flotte, sans en regarder la couleur.

              [On notera que même après la Seconde Guerre Mondiale, le traité de Rapallo continua de hanter l’esprit des élites françaises :]

              Tout à fait. Comme le pacte de non-agression germano-soviétique de 1939. C’est qu’à chaque fois, c’est le même mécanisme : les élites françaises sont persuadées qu’elles peuvent se permettre le luxe de cracher à la gueule des autres, sans que les autres ripostent. Et sont toutes surprises quand l’autre leur recrache en retour. Regardez ce qui se passe en Afrique : nos présidents se vantent de faire la leçon aux dirigeants des pays africains sur la question des droits de l’homme et de conditionner leur aide, et s’étonnent quand ceux-ci changent de crémerie pour aller chercher aide et support chez ceux qui ne mettent pas ce genre de conditions.

              En 1920, Rapallo fut la conséquence de la décision des alliés occidentaux d’isoler la Russie, qui bien naturellement est allé chercher chez les Allemands ce qu’elle ne trouvait ailleurs. En 1939, on a répété l’erreur en faisant trainer les discussions sur le protocole d’application du traité de 1935, et une fois encore la Russie est allée chercher la sécurité – fusse-t-elle pour une période limitée – par un traité avec l’Allemagne. En on est en train de refaire la même erreur : je ne serais pas surpris d’apprendre la conclusion d’accords secrets entre la Russie et la Chine et/ou l’Iran.

              [« et combien les atermoiements de la délégation française ont été déterminants pour convaincre Staline de signer le pacte de non-agression avec l’Allemagne. » Et quelle est la cause de ces atermoiements ? La peur de sacrifier ses intérêts de classe en se compromettant avec une puissance communiste ? Ou une mésestimation des risques/bénéfices d’une telle alliance dans un classique jeu géopolitique ?]

              L’espoir d’une bonne partie de la bourgeoisie française que Hitler se tournerait vers l’Est, et que dans ce contexte une alliance avec l’URSS était au mieux inutile, au risque pourrait mettre la France en situation de devoir soutenir la Russie communiste… et ils n’avaient pas tout à fait tort. Leur seul erreur fut d’oublier qu’avant de se tourner vers l’Est, Hitler pouvait avoir envie de régler des comptes de l’autre côté.

              Lisez le bouquin de Crémieux-Brilhac, je vous le conseille chaudement. Il montre très bien comment la délégation envoyée à Moscou l’a été pour la forme, combien elle recevait de Paris des instructions qui ne pouvaient que retarder le processus…

              [Dans le cas présent, compte tenu de son passif avec l’URSS naissante (et tout simplement de son passif historique avec la Russie), on peut le pardonner à la Pologne,… mais beaucoup moins d’avoir été bénéficiaire des accords de Munich. Et puis bon, l’histoire a donné raison qu’il faille se méfier d’avoir des troupes soviétiques stationnées sur son sol…]

              On peut « comprendre ». « Pardonner », c’est une autre affaire. En fait, ce qui a fait historiquement la faiblesse de la Pologne a été le manque de vision de ses élites. De la noblesse polonaise qui, pour conserver ses petits privilèges, a tout fait pour empêcher que surgisse un pouvoir central fort sans réaliser qu’elle ouvrait ainsi la voie aux interventions étrangères, aux politiciens des années 1930 qui n’ont pas voulu voir qu’en faisant échouer les tentatives de sécurité politique pour pouvoir annexer Teschen et tenir l’URSS à distance ils se mettaient dans un danger beaucoup plus important.

              L’histoire a peut-être montré qu’il est dangereux d’avoir des troupes soviétiques stationnées sur son sol… moins que d’avoir des troupes allemandes. Où américaines, si l’on va par là…

              [« Seuls sont prêts à signer Moscou et Prague. » La Tchécoslovaquie, aussi était une nation dirigée par des élites bourgeoises. Pourquoi n’a t’elle pas fait preuve du même anticommunisme ? Ne valait-il pas mieux se résigner à sacrifier la région des Sudètes pour mieux sanctifier ses intérêts de classe ?]

              Parce qu’être bourgeois n’empêche pas d’être intelligent, et que la géopolitique était très différente. La bourgeoisie tchèque a très bien compris que l’URSS était un danger théorique, alors que l’Allemagne nazi était un danger réel. La bourgeoisie française avait l’espoir de « chevaucher le tigre et l’envoyer vers l’est ». La bourgeoisie tchèque savait que, pour attaquer l’URSS, l’Allemagne devait passer sur le corps des états de l’Europe centrale. On peut difficilement reprocher aux bourgeois tchèques de ne pas avoir choisi le sacrifice pour le plus grand bien de la bourgeoisie mondiale…

              [« Dans la mesure où « l’invasion » en question avait pour effet de rétablir à peu de chose près les frontières proposées par Lord Curzon » Cette proposition avait-elle été acceptée sous une forme ou une autre par les Soviétiques ? En cas de refus de leur part, les occidentaux n’étaient plus tenus de s’y référer, la proposition devenant caduque, surtout après la paix de Riga.]

              Personne n’était censé « se référer », puisque personne n’accepta en son temps la proposition de Lord Curzon. Il n’empêche que la proposition en question n’était pas sortie du chapeau : elle prenait en compte toute une série de données historiques, linguistiques, culturelles. C’est pourquoi elle servit de référence d’abord pour le pacte germano-soviétique, puis à Yalta.

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
               
              [Disons qu’il y a ce qu’on pourrait appeler « le privilège du dernier arrivant ».]
              Je ne connais pas ce privilège. Mais permettez-moi de vous faire remarquer qu’en 1918, le « dernier arrivant » en Alsace était l’Allemand. En 2014, le « dernier arrivant » dans le Donbass et en Crimée était l’Ukrainien. J’attire votre attention sur le fait que le « privilège » que vous invoquez est à double tranchant…
               
              J’ajoute que ce « privilège du dernier arrivant » a pu être utilisé pour justifier le génocide arménien en 1915 et le nettoyage ethnique de grande ampleur qu’a connu l’Anatolie au début des années 20.
               
              [Les 150 dernière années pèsent souvent plus lourd que les 300 qui ont précédé, sans quoi Nice et la Savoie seraient légitimement italiennes.]
              Il n’est pas inutile de se pencher sur la manière dont se réalisent les acquisitions territoriales. La Savoie et Nice ont été cédées suite à un appui politique et militaire accordé par la France de Napoléon III au royaume de Piémont-Sardaigne dans sa lutte contre l’Autriche (et on ne s’est pas contenté de « fournir du matériel et des bonnes paroles », des soldats français sont morts à Magenta et Solférino). Cette cession a été largement compensée par l’acquisition de toute la riche Lombardie, et bientôt de l’essentiel de l’Italie (sauf Rome et la Vénétie). Par conséquent, pour douloureuse qu’ait été la perte des provinces que vous citées, le fait est que les Piémontais ont pu trouver des compensations : l’unité italienne (et le titre de roi d’Italie pour Victor-Emmanuel II) et une dilatation territoriale très importante.
               
              Il y a eu aux XVII° et XVIII° siècles des rectifications de frontières entre la Pologne-Lituanie et la Russie, au gré des guerres, des victoires et des défaites des uns et des autres. Cela fait partie de la politique d’équilibre des forces. Mais les partages de la Pologne opérés de 1772 à 1795, si j’ai bonne mémoire, n’entrent pas dans ce schéma : la Prusse, l’Autriche et la Russie se sont entendues pour rayer de la carte, purement et simplement, un État qui avait été la puissance dominante de l’Europe orientale. On peut arguer que la faute en revient aux Polonais et aux Lituaniens qui n’ont pas su s’entendre avec certains de leurs voisins pour contrer la menace, mais on peut difficilement reprocher aux élites polonaises d’avoir mal vécu le fait de voir disparaître l’État aux destinées duquel elles avaient présidé durant plusieurs siècles.
               
              [Mais la réclamation soviétique semble avoir derrière elle quelques éléments de légitimité, puisqu’elle a été retenue après 1945 pour le tracé des frontières définitives de la Pologne]
              Mais la légitimité n’est pas historique, elle est liée aux circonstances de la guerre : sans l’URSS, le III° Reich n’aurait pas été vaincu (ou beaucoup plus difficilement). 25 à 26 millions de Soviétiques ont payé de leur vie la victoire contre le nazisme. Il eût été indécent que l’URSS ne reçoive pas quelques compensations, en terme de territoires et d’influence, pour un si lourd tribut.
               
              [Faut-il rendre Nice et la Savoie à leur légitime propriétaire, alors ? Rétablir le pape comme souverain des états pontificaux ? Rendre Mulhouse à la Suisse, Strasbourg à l’Autriche ?]
              Je n’ai jamais dit qu’il « fallait rendre » quoi que ce soit. Je dis que les revendications territoriales ne sont pas forcément illégitimes au seul motif qu’elles nous déplaisent. Il y a également, j’insiste, une différence entre des rectifications de frontières par la cession de régions frontalières (Nice, la Savoie, l’Alsace-Lorraine), voire d’enclaves (Mulhouse que vous citez, ou Avignon pris à la papauté ; quant à Strasbourg, c’était une ville appartenant au Saint Empire germanique, un état qui n’existe plus), et le fait de rayer purement et simplement un état de la carte. Or la Pologne-Lituanie et les états pontificaux ont été rayés de la carte. On peut comprendre que la papauté et les élites polonaises aient eu un peu de mal à admettre la légitimité d’un tel événement… Si demain la France est écrasée et rayée de la carte, seriez-vous heureux ? Trouveriez-vous cela « légitime » ?
               
              [Le dernier occupant est souvent le bon]
              Je ne vois pas ce qui vous permet d’affirmer cela. Les Byzantins ont fait autant – sinon plus – pour le prestige et l’embellissement de Constantinople que les Turcs ottomans.

              [Quand un état incorpore un territoire, qu’il le traite comme une partie du sien ; qu’il implante sa langue, son droit, ses institutions ; qu’il favorise le brassage avec ses propres populations, au bout de 150 ans il devient difficile de revenir en arrière.]
              L’empire russe était un état multinational où le « brassage » était fort relatif. Hormis en Asie centrale, où il y a eu un effort de colonisation, le pouvoir tsariste a peu implanté de colons russes dans les régions ukrainiennes, polonaises et baltes. Il faut attendre l’époque soviétique, justement, pour voir l’arrivée de Russes dans les pays baltes, en Moldavie. Avant, la russification avait surtout concerné les élites urbaines, dans des régions (Biélorussie, Ukraine centrale) encore très largement rurales.

              Mais je suis curieux ; pensez-vous qu’il faille restituer la Moldavie et la Lettonie à la Russie ?

              [Pour vous donner une touche personnelle, mon grand-père, qui vient de ce coin-là, parlait yiddish et russe (mais pas polonais) et se considérait comme Russe, […] mais il est vrai que du côté polonais, ce n’était guère mieux !]
              Je le sais. Mais, sauf votre respect, perpétuer une forme d’hostilité à la Pologne comme un héritage familial ne me paraît pas forcément pertinent. La Pologne, aujourd’hui, a un positionnement politique qui n’est pas conforme aux intérêts de la France. Mais dans les années 20 et 30, la Pologne était une alliée de la France, qui l’a soutenue lors de sa renaissance comme état indépendant. Napoléon a trouvé des soutiens et recruté des soldats en Pologne. Vous avez raison de souligner l’importance des relations franco-russes que nos dirigeants liquident avec une coupable légèreté, mais n’oubliez pas qu’il y a aussi une longue tradition de relations franco-polonaises, et un nombre non-négligeable de Français d’origine polonaise.

              La Pologne et la Russie se disputent depuis des siècles la prééminence en Europe de l’est. Aujourd’hui, la Pologne affronte la Russie par procuration et par l’intermédiaire des Ukrainiens, avec la bénédiction des Américains et des Britanniques. Du point de vue polonais, cette politique a sa logique : tout ce qui affaiblit la Russie est vu comme étant bon pour la Pologne. Si la Russie est vaincue et s’effondre, entraînant dans sa chute le pouvoir biélorusse, je comprendrais que les Polonais cherchent à s’emparer de certains territoires biélorusses, ou tentent de vassaliser leur voisin (ce que Moscou ne s’est pas privé de faire). Pour moi, la Biélorussie n’est pas plus russe qu’elle n’est polonaise ou lituanienne. Elle est à celui qui a les moyens et la force de la contrôler. En dernière instance, c’est la force brute qui fixe les frontières et les zones d’influence. Dans cette affaire, vae victis comme on dit. Il est clair cependant que l’effondrement de la Russie (annoncée par les prophètes-experts une demi-douzaine de fois depuis février 2022) n’est guère probable, et surtout pas du tout souhaitable pour la France. C’est pourquoi notre gouvernement devrait se démarquer avec vigueur des Polonais et des Anglo-saxons, et assumer que tous les pays de l’UE ne sont pas sur la même ligne. Le consensus obligatoire est un boulet.
               
              [En 1940, les Italiens occupent l’ancien comté de Nice. Pensez-vous que leurs visées étaient « légitimes » ?]
              De leur point de vue certainement. D’ailleurs, si l’Italie et l’Allemagne avaient gagné la guerre, nul doute qu’aujourd’hui en 2023, les Italiens et les Allemands trouveraient normal et légitime que l’Alsace soit allemande et Nice italienne… La légitimité est fixée par le vainqueur.
               
              Qu’est-ce qui fonde la « légitimité » d’une revendication territoriale pour vous ?

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« Disons qu’il y a ce qu’on pourrait appeler « le privilège du dernier arrivant ». » Je ne connais pas ce privilège.]

              J’explique ce « privilège » un peu plus bas. Ce que je voulais dire, c’est que les dernières 150 années pèsent souvent plus lourd en termes géopolitiques que le millénaire qui l’a précédé. Personne ne discute aujourd’hui le rattachement de Gdansk/Dantzig à la Pologne, quand bien même la ville pourrait invoquer des siècles d’indépendance ou de rattachement au monde germanique.

              [Mais permettez-moi de vous faire remarquer qu’en 1918, le « dernier arrivant » en Alsace était l’Allemand. En 2014, le « dernier arrivant » dans le Donbass et en Crimée était l’Ukrainien. J’attire votre attention sur le fait que le « privilège » que vous invoquez est à double tranchant…]

              Si les Allemands étaient restés en Alsace 150 ans, il est probable que l’Alsace serait aujourd’hui allemande. Vous voyez bien d’ailleurs que lorsqu’elle est revenue dans le giron français après moins de cinquante ans de séparation, les histoires avaient tellement divergé qu’ il a fallu faire des aménagements pour préserver les institutions « allemandes » (en matière de religion, de sécurité sociale…). Même chose pour le Donbass ou la Crimée : si ces régions avaient été contrôlées par l’Ukraine pendant 150 ans, l’histoire serait très différente…

              [J’ajoute que ce « privilège du dernier arrivant » a pu être utilisé pour justifier le génocide arménien en 1915 et le nettoyage ethnique de grande ampleur qu’a connu l’Anatolie au début des années 20.]

              Le « privilège du dernier arrivant » ne peut justifier un génocide. Tout au plus il aurait pu justifier la revendication territoriale de la Turquie sur l’Arménie. Ce n’est pas du tout pareil : le fait de considérer qu’une province fait partie de votre territoire ne vous permet pas de tuer ses habitants.

              [« Les 150 dernière années pèsent souvent plus lourd que les 300 qui ont précédé, sans quoi Nice et la Savoie seraient légitimement italiennes. » Il n’est pas inutile de se pencher sur la manière dont se réalisent les acquisitions territoriales. La Savoie et Nice ont été cédées suite à un appui politique et militaire accordé par la France de Napoléon III au royaume de Piémont-Sardaigne dans sa lutte contre l’Autriche (et on ne s’est pas contenté de « fournir du matériel et des bonnes paroles », des soldats français sont morts à Magenta et Solférino). Cette cession a été largement compensée par l’acquisition de toute la riche Lombardie, et bientôt de l’essentiel de l’Italie (sauf Rome et la Vénétie). Par conséquent, pour douloureuse qu’ait été la perte des provinces que vous citées, le fait est que les Piémontais ont pu trouver des compensations : l’unité italienne (et le titre de roi d’Italie pour Victor-Emmanuel II) et une dilatation territoriale très importante.]

              Je ne peux que vous répondre que le territoire national est par essence inaliénable – autrement dit, qu’aucun gouvernement n’a le droit de « vendre » une partie du territoire national, que ce soit pour de la monnaie ou en échange d’un service. Dans la conception moderne, toute cession de cette nature est par essence nulle, et seul le vote des habitants – le fameux principe d’autodétermination – peut la légitimer. Ce n’est pas le cas dans l’espèce : ni les Savoyards ni les Niçois n’ont jamais été consultés sur la question.

              [Mais les partages de la Pologne opérés de 1772 à 1795, si j’ai bonne mémoire, n’entrent pas dans ce schéma : la Prusse, l’Autriche et la Russie se sont entendues pour rayer de la carte, purement et simplement, un État qui avait été la puissance dominante de l’Europe orientale. On peut arguer que la faute en revient aux Polonais et aux Lituaniens qui n’ont pas su s’entendre avec certains de leurs voisins pour contrer la menace,]

              On peut surtout leur reprocher d’avoir sapé cet « Etat » pour maintenir leurs petits privilèges. Avec son système de monarchie élective qui ouvrait la porte à une corruption massive et aux interventions étrangères, la Pologne était devenue un facteur d’instabilité dans les relations entre la Prusse, la Russie et l’Autriche. Le partage ne fut que la consécration politique d’une dissolution interne.

              [« Mais la réclamation soviétique semble avoir derrière elle quelques éléments de légitimité, puisqu’elle a été retenue après 1945 pour le tracé des frontières définitives de la Pologne » Mais la légitimité n’est pas historique, elle est liée aux circonstances de la guerre : sans l’URSS, le III° Reich n’aurait pas été vaincu (ou beaucoup plus difficilement). 25 à 26 millions de Soviétiques ont payé de leur vie la victoire contre le nazisme. Il eût été indécent que l’URSS ne reçoive pas quelques compensations, en termes de territoires et d’influence, pour un si lourd tribut.]

              Certes. Mais curieusement, à l’heure de « compenser » on s’en est tenu au retour à des frontières « historiques », alors qu’en théorie l’URSS aurait pu aller plus loin sur sa « zone d’influence »… preuve qu’il y avait un certain souci de donner à l’arrangement – certes issu du rapport de forces créé par la guerre – un fondement historique. Le choix s’est d’ailleurs révélé plutôt bon, puisqu’il a établi une frontière qui aujourd’hui n’est contestée par personne.

              [« Le dernier occupant est souvent le bon » Je ne vois pas ce qui vous permet d’affirmer cela. Les Byzantins ont fait autant – sinon plus – pour le prestige et l’embellissement de Constantinople que les Turcs ottomans.]

              Certes. Mais personne ne conteste aujourd’hui la souveraineté de la Turquie, et le fait que Constantinople/Istanbul fait partie de leur territoire. Il ne s’agit pas dans cet échange de savoir qui a le plus contribué, mais qui détient la souveraineté légitime aujourd’hui.

              [« Quand un état incorpore un territoire, qu’il le traite comme une partie du sien ; qu’il implante sa langue, son droit, ses institutions ; qu’il favorise le brassage avec ses propres populations, au bout de 150 ans il devient difficile de revenir en arrière. » L’empire russe était un état multinational où le « brassage » était fort relatif. Hormis en Asie centrale, où il y a eu un effort de colonisation, le pouvoir tsariste a peu implanté de colons russes dans les régions ukrainiennes, polonaises et baltes. Il faut attendre l’époque soviétique, justement, pour voir l’arrivée de Russes dans les pays baltes, en Moldavie. Avant, la russification avait surtout concerné les élites urbaines, dans des régions (Biélorussie, Ukraine centrale) encore très largement rurales.]

              Comme vous l’aviez signalé dans nos débats sur l’assimilation intérieure en France, on commence toujours par brasser les élites, et on finit par brasser le peuple. Les élites urbaines à l’intérieur de l’empire russe sont déjà largement russifiées en 1917. Dans les villes d’Ukraine – Kharkov, Kiev, Odessa – on parle russe. L’instruction se fait en russe, et l’ukrainien est considéré comme un dialecte de paysans (je tiens cela de mon grand-père) ainsi que l’essentiel des publications. Chevtchenko, à qui on tresse aujourd’hui des couronnes, est une sorte de Mistral ukrainien peu connu en dehors des cercles nationalistes. Mais l’introduction de la conscription au XIXème siècle – un peu sur le modèle français – crée un premier brassage, surtout après la réforme d’Alexandre II. La période soviétique – qui a duré 70 ans, quand même – a provoqué un brassage massif des populations. On se déplace pour le service militaire, pour étudier, pour les grands chantiers.

              [Mais je suis curieux ; pensez-vous qu’il faille restituer la Moldavie et la Lettonie à la Russie ?]

              On ne peut pas « restituer » la Moldavie ou à Lettonie à la Russie, parce qu’elles n’en ont jamais fait partie. On aurait pu maintenir un état fédéral, l’URSS, dont la Moldavie, la Russie, la Lettonie – et le reste des républiques fédérées – auraient fait partie. Je pense que c’aurait été la solution de sagesse, en conformité avec le principe d’intangibilité des frontières issues de la deuxième guerre mondiale. Les occidentaux ont voulu casser cet ensemble, ils y ont réussi, dont acte. Maintenant, il faut faire avec les décombres.

              Plus que de « restituer » des territoires à la Russie, je pense qu’il faut créer une « zone tampon » entre la Russie et l’Europe occidentale. Chercher à entourer la Russie d’états appartenant à une alliance constituée contre elle, c’est favoriser chez les Russes un syndrome d’enfermement qui est une constante dans leur histoire. La Russie, puissance continentale sans frontières défendables, a besoin de profondeur stratégique pour se sentir rassurée. Et il est de l’intérêt des européens que la Russie soit rassurée.

              [« Pour vous donner une touche personnelle, mon grand-père, qui vient de ce coin-là, parlait yiddish et russe (mais pas polonais) et se considérait comme Russe, […] mais il est vrai que du côté polonais, ce n’était guère mieux ! » Je le sais. Mais, sauf votre respect, perpétuer une forme d’hostilité à la Pologne comme un héritage familial ne me paraît pas forcément pertinent.]

              Ce n’était qu’une illustration, et rien de plus. Mais vous noterez que si l’on se réfère à mon « héritage familial », j’ai plus de raisons d’en vouloir à la Russie qu’à la Pologne…

              [La Pologne, aujourd’hui, a un positionnement politique qui n’est pas conforme aux intérêts de la France. Mais dans les années 20 et 30, la Pologne était une alliée de la France, qui l’a soutenue lors de sa renaissance comme état indépendant. Napoléon a trouvé des soutiens et recruté des soldats en Pologne. Vous avez raison de souligner l’importance des relations franco-russes que nos dirigeants liquident avec une coupable légèreté, mais n’oubliez pas qu’il y a aussi une longue tradition de relations franco-polonaises, et un nombre non-négligeable de Français d’origine polonaise.]

              Que la France ait beaucoup soutenu la Pologne au cours de son histoire, c’est un fait. Mais la réciprocité qui fait le sel de toute alliance ne me paraît pas évidente. Je ne me souviens pas d’une occasion où les polonais soient venus à notre secours. Peut-être pourriez-vous m’illustrer sur ce point ?

              Je ne partage nullement la fascination qu’ont beaucoup de Français pour la Pologne – fascination largement alimenté par la campagne médiatique autour de Solidarnosc dans les années 1980. C’est, comme disait mon grand-père, « un sale pays peuplé de sales gens ». Un pays de paysans abrutis par un clergé moyenâgeux, de petits nobles rapaces incapables de constituer un véritable état, traversé par un racisme et un antisémitisme systémique… Les souffrances que l’Allemagne a infligé à la Pologne ne devraient pas faire oublier que la Pologne se fit complice du dépècement de la Tchécoslovaquie en 1938, d’abord en refusant le passage des troupes soviétiques sur son territoire pour aller renforcer Prague, puis en se précipitant pour récupérer un morceau de son territoire. Dans la mesure où la Tchécoslovaquie était, elle aussi, alliée de la France, je ne trouve pas ce comportement très solidaire.

              [La Pologne et la Russie se disputent depuis des siècles la prééminence en Europe de l’est. Aujourd’hui, la Pologne affronte la Russie par procuration et par l’intermédiaire des Ukrainiens, avec la bénédiction des Américains et des Britanniques. Du point de vue polonais, cette politique a sa logique : tout ce qui affaiblit la Russie est vu comme étant bon pour la Pologne. Si la Russie est vaincue et s’effondre, entraînant dans sa chute le pouvoir biélorusse, je comprendrais que les Polonais cherchent à s’emparer de certains territoires biélorusses, ou tentent de vassaliser leur voisin (ce que Moscou ne s’est pas privé de faire). Pour moi, la Biélorussie n’est pas plus russe qu’elle n’est polonaise ou lituanienne. Elle est à celui qui a les moyens et la force de la contrôler.]

              Autrement dit, l’avis des populations concernées ne compte pas ? C’est une vision très réaliste de la géopolitique, mais qui à mon avis a ses limites – et au fond, je ne pense pas que vous la partagiez dans une formulation aussi extrême.

              Le point de vue Polonais est connu, et historiquement constant : tout ce qui peut affaiblir la Russie est bon à prendre. Et si on peut accessoirement piquer des territoires, pourquoi pas. Mais cette logique à courte vue a joué beaucoup de tours à la Pologne. Pour ne donner qu’un exemple, en 1939 la Pologne en était encore à piquer des territoires à ses voisins et a tout faire pour affaiblir la Russie, alors que la menace venait d’ailleurs. Au lieu de favoriser une alliance de sécurité collective avec l’URSS, la Pologne a cherché par tous les moyens à la saboter. On sait où cela l’a menée.

              Les Polonais ne semblent pas réaliser qu’une Russie devenue un état failli serait infiniment plus dangereuse qu’une Russie gouvernée par Poutine. Lorsqu’on liquide le directeur du cirque, on risque de devoir ensuite négocier avec les lions. Rien n’est aussi dangereux en politique internationale que les obsessions. Elles empêchent de hiérarchiser les menaces. L’obsession antirusse de la Pologne ou de la Lituanie est un danger pour l’Europe.

              [En dernière instance, c’est la force brute qui fixe les frontières et les zones d’influence.]

              C’est un peu extrême. Même si le rapport de forces est une donnée essentielle, d’autre paramètres entrent en ligne de compte. Ne serait-ce que parce que comme le disait Talleyrand, on peut se faire un trône avec des baïonnettes, mais il est dangereux ensuite de s’asseoir dessus.

              [Il est clair cependant que l’effondrement de la Russie (annoncée par les prophètes-experts une demi-douzaine de fois depuis février 2022) n’est guère probable, et surtout pas du tout souhaitable pour la France. C’est pourquoi notre gouvernement devrait se démarquer avec vigueur des Polonais et des Anglo-saxons, et assumer que tous les pays de l’UE ne sont pas sur la même ligne. Le consensus obligatoire est un boulet.]

              Je suis d’accord. C’est pourquoi je trouve les déclarations de Sarkozy importantes.

              [« En 1940, les Italiens occupent l’ancien comté de Nice. Pensez-vous que leurs visées étaient « légitimes » ? » De leur point de vue certainement. D’ailleurs, si l’Italie et l’Allemagne avaient gagné la guerre, nul doute qu’aujourd’hui en 2023, les Italiens et les Allemands trouveraient normal et légitime que l’Alsace soit allemande et Nice italienne… La légitimité est fixée par le vainqueur.]

              Autrement dit, si la Russie gagnait la guerre, vous estimeriez « légitime » qu’elle annexe l’Ukraine. J’ai bien compris ? Je trouve votre position étonnante. Plus haut, vous contestiez mon idée du « privilège du dernier arrivant ». Et maintenant, vous le soutenez dans sa forme la plus extrême… faudrait savoir.

              [Qu’est-ce qui fonde la « légitimité » d’une revendication territoriale pour vous ?]

              Certainement pas la force ! Comme disait Unamuno, « vous pourrez vaincre, mais pas convaincre ». Franco n’a jamais, pour moi, été le gouvernant « légitime » de l’Espagne. Tout au plus, il a été l’autorité « de facto ».

              La « légitimité » pour moi est issue d’une part de l’histoire, d’autre part de la politique. Le fait d’avoir possédé un territoire pendant longtemps, de s’être comporté en propriétaire, d’avoir été reconnu comme tel par l’ensemble des interlocuteurs internes et externes vous donnez une certaine légitimité. Mais plus importante est la légitimité politique : si vous gouvernez une province comme s’il était partie intégrante de votre pays, que vous donnez à ses habitant les mêmes droits et les mêmes devoirs, qu’il s’y applique le même droit, qu’il existe les mêmes institutions, qu’il se parle la même langue, que les populations circulent entre cette province et le reste du territoire… et bien, au bout d’un certain temps votre légitimité est établie.

              Pour moi, la légitimité la plus importante est la légitimité acquise « par les œuvres ». Quand vous avez fait fleurir une terre par votre effort et votre travail, vous acquérez des droits sur elle… La force peut être l’instrument qui vous permet de le faire, mais en elle même ne confère aucune légitimité.

            • François dit :

              @Descartes
              [Les choses ont un peu changé depuis, et la politique étrangère dépend plus des intérêts que des sympathies ou des antipathies.]
              Ça se discute, car sinon on n’assisterait pas au suicide diplomatique de la France… Allez demander à Luca de Meo ce qu’il en pense des sanctions économiques contre la Russie.
               
              [Mais en termes de respect de la parole donnée, la Russie – et l’URSS avant elle – a une tradition de fiabilité bien établie, en tout cas beaucoup mieux établie que celle des Américains.]
              Allez dire ça aux états Baltes qui se sont vu ré-annexer par l’URSS alors qu’elle avait reconnu leur indépendance par des traités. (On notera d’ailleurs l’ironie qui faisait du droit des peuples à disposer d’eux-même un principe central des bolchéviques.)
               
              [Je ne trouve pas de cas flagrant ou l’URSS ait violé un traité qu’elle avait librement signé et ratifié.]
              L’Allemagne avait-elle le droit de s’asseoir sur le traité de Versailles puisqu’il n’avait pas été « librement » signé et ratifié ?
               
              [Pas plus que je ne me souviens d’une intervention des troupes soviétiques en dehors de la légalité internationale.]
              Qualifiez-vous l’intervention soviétique en Afghanistan de légale au regard du droit international ? (On rappellera qu’elle a commencé avec la liquidation par les spetsnaz de du président Hafizullah Amin lors de l’opération Chtorm-333.)
               
              [Et si l’expérience soviétique avait réussi, imaginez-vous ce qu’aurait été l’effet.]
              Quel effet ? Pensez-vous vraiment qu’un peuple individualiste comme le peuple français aurait été disposé à se transformer en homo sovieticus ?
               
              [C’est une histoire très mal connue – et pour cause – dans notre pays. Qui se souvient que les puissances occidentales ont appuyé les armées « blanches » dans les années 1920 ?]
              Moi. C’est qu’il fallait quand même bien s’assurer que le morcellement issu de l’éclatement des empires centraux et orientaux soit pérennisé et que la Russie post-1918 ne puisse suite à son lâchage indument rafler la mise, ne serait-ce récupérer sa mise de départ surtout avec ses velléités expansionnistes de révolution mondiale.
               
              [Que l’URSS n’a jamais eu accès librement aux marchés internationaux ?]
              Qu’entendez-vous par « accès libre aux marchés internationaux » ? Des entreprises occidentales ont pu marchander en URSS (le cas le plus cocasse étant Pepsi), tout comme l’URSS pouvait écouler sa production en occident (la Lada Samara par exemple)
               
              [L’URSS sort certes victorieuse de la guerre, mais blessée à mort.]
              Des tas de pays à un moment ou à un autre se sont retrouvés à genoux, et ça ne les a pas empêché de faire des miracle. Non, la blessure mortelle de l’URSS fut la stagnation brejnévienne, son décrochage économique par rapport à l’occident la rendant incapable de poursuivre la course aux armements.
               
              [Je ne vois toujours pas. Les territoires disputés lors de la guerre polono-soviétique étaient dans les « sphères d’influence » allemande et russe avant la première guerre mondiale, et on voit mal en quoi leur récupération par l’URSS se serait faite « à notre détriment ».]
              Eh bien après la Première Guerre Mondiale, ils sont tombés dans les sphères d’influence françaises et britanniques. Comme les vestiges de l’empire Ottoman.
               
              [Si c’est votre seul exemple, il est particulièrement pauvre.]
              Pas seulement la Pologne. Il y a par exemple aussi les états Baltes (cédés à l’Allemagne lors du traité de Brest-Litovsk) que la Russi bolchévique cherchait à récupérer.
               
              [Quant à la remarque attribuée à Toukhatchevski, elle figure semble-t-il dans l’ordre du jour de son armée. C’est donc un texte destiné à donner du cœur au ventre aux soldats, et non une déclaration politique.]
              Lénine n’a t-il jamais eu la volonté d’étendre la révolution communiste à l’ensemble de la planète ?
               
              [Pas si je crois nos leaders politiques actuels.]
              Nos leaders politiques actuels… Nos leaders politiques actuels…
               
              [Je n’ai pas très bien compris. L’URSS est née en 1922. On peut donc à la rigueur lui reprocher la « volte-face » de 1917]
              On ne va pas se mentir, l’URSS était la continuatrice de l’empire tsariste.
               
              [Et encore, le gouvernement bolchévique reniait là une alliance conclue par un régime déchu qu’on peut difficilement considérer comme démocratique, et donc légitime à engager son peuple.]
              Et qu’est-ce qu’on était censé en avoir à faire de ce remplacement de régime ? La même chose que le remplacement d’une tsarine francophile par un tsar prussophile.
               
              [Ou pourquoi la France a offert asile et soutien à tous les russes adversaires du régime soviétique.]
              La France a également offert asile à des adversaires de régimes d’extrême droite. Qu’en conclure ?
               
              [On peut difficilement reprocher à la Russie de s’être détournée d’une France qui refusait tout rapport avec elle.]
              Ah mais je ne le reproche pas à la Russie, je faisais juste remarquer que les bourgeois de la république de Weimar s’étaient alliés à une nation communiste.
               
              [Tout à fait. Comme le pacte de non-agression germano-soviétique de 1939. C’est qu’à chaque fois, c’est le même mécanisme : les élites françaises sont persuadées qu’elles peuvent se permettre le luxe de cracher à la gueule des autres, sans que les autres ripostent. (…)]
              Je reprécise que l’article en question parle de la hantise des élites françaises d’un rapprochement de l’Allemagne avec la Russie soviétique après la seconde guerre mondiale. Je ne vois pas en quoi à cette époque elles se seraient permises le luxe de cracher à la gueule de la RFA.
               
              [En 1920, Rapallo fut la conséquence de la décision des alliés occidentaux d’isoler la Russie, qui bien naturellement est allé chercher chez les Allemands ce qu’elle ne trouvait ailleurs.]
              Sans oublier des Allemands qui sont allés naturellement chercher ce qu’ils ne trouvaient ailleurs.
               
              [L’histoire a peut-être montré qu’il est dangereux d’avoir des troupes soviétiques stationnées sur son sol… moins que d’avoir des troupes allemandes. Où américaines, si l’on va par là…]
              Ah mais je ne le nie pas. Mais force est de constater que les troupes de l’OTAN ne sont pas sorties de leurs casernes pour aller écraser une insurrection  polonaise.
               
              [Personne n’était censé « se référer », puisque personne n’accepta en son temps la proposition de Lord Curzon.]
              Les alliés étaient donc parfaitement dans leur droit de considérer que l’invasion de la Pologne, dans les limites fixées par la paix de Riga, par l’URSS constituait un casus belli.
               
              Bref, les élites françaises d’aujourd’hui font preuve de la même panique morale à l’égard de la Russie que durant l’entre deux guerre, voire plus, alors qu’elle constitue plus une menace communiste. Peut-être ont-elles des invariants.

            • Descartes dit :

              @ François

              [« Les choses ont un peu changé depuis, et la politique étrangère dépend plus des intérêts que des sympathies ou des antipathies. » Ça se discute, car sinon on n’assisterait pas au suicide diplomatique de la France… Allez demander à Luca de Meo ce qu’il en pense des sanctions économiques contre la Russie.]

              Le « suicide diplomatique » de la France n’obéit nullement à des « sympathies ou antipathies » personnelles, mais à un rapport de forces économique. Le « bloc dominant » aujourd’hui n’a aucune envie de payer le coût d’une diplomatie indépendante. Il préfère s’enrichir à l’abri du parapluie américain, quitte à payer le tribut à son protecteur. C’est une logique qui a bien réussi à l’Allemagne, qui est pour nos classes dominantes un exemple à suivre.

              [« Mais en termes de respect de la parole donnée, la Russie – et l’URSS avant elle – a une tradition de fiabilité bien établie, en tout cas beaucoup mieux établie que celle des Américains. » Allez dire ça aux états Baltes qui se sont vu ré-annexer par l’URSS alors qu’elle avait reconnu leur indépendance par des traités.]

              Par quel traité ? L’URSS n’a jamais reconnu « par traité » l’Independence des pays baltes. Le traité de Brest-Litovsk, imposé à une Russie à genoux par un empire allemand victorieux, comportait le transfert des pays baltes à l’empire allemand, et nullement leur « indépendance ». Seule la défaite de l’Allemagne en 1918 a empêché leur annexion à l’Empire allemand. Il est d’ailleurs à noter que les puissances occidentales étaient réticentes à reconnaître l’indépendance des états baltes. En effet, après 1918 on pensait que le régime bolchévique était passager, et qu’après leur chute on pourrait reconstituer l’empire russe…

              On peut se demander quelle est la légitimité du détachement des pays baltes de la Russie consenti au traité de Brest-Litovsk. Est-ce qu’un traité signé le couteau sous la gorge peut être considéré comme véritablement engageant le pays qui le signe ? Si la réponse est positive, alors la France occupe illégalement l’Alsace depuis 1918, puisqu’elle avait été cédée à l’Allemagne par le traité de Francfort en 1871. L’annexion des états baltes par l’URSS en 1940 n’est pas, juridiquement, très différente de l’annexion de l’Alsace par la France en 1918…

              [(On notera d’ailleurs l’ironie qui faisait du droit des peuples à disposer d’eux-même un principe central des bolchéviques.)]

              En 1917, au traité de Brest-Litovsk, on n’a pas demandé l’avis des Lituaniens, des Estoniens ou des Lettons. C’est par la force militaire qu’ils ont été détachés de l’empire russe. L’annexion de 1940 ne faisait que rétablir le statu quo ante. Que je sache, personne n’a demandé aux Alsaciens leur avis en 1918.

              [« Je ne trouve pas de cas flagrant ou l’URSS ait violé un traité qu’elle avait librement signé et ratifié. » L’Allemagne avait-elle le droit de s’asseoir sur le traité de Versailles puisqu’il n’avait pas été « librement » signé et ratifié ?]

              La question se pose, et beaucoup d’historiens – pas seulement allemands d’ailleurs – soutiennent que oui. Que le traité de Versailles étant un traité léonin imposé par la force des armes, les Allemands avaient le droit de le contourner. Ce qu’ils firent d’ailleurs sans que la communauté internationale leur tienne trop rigueur…

              [« Pas plus que je ne me souviens d’une intervention des troupes soviétiques en dehors de la légalité internationale. » Qualifiez-vous l’intervention soviétique en Afghanistan de légale au regard du droit international ? (On rappellera qu’elle a commencé avec la liquidation par les spetsnaz de du président Hafizullah Amin lors de l’opération Chtorm-333.)]

              On peut penser ce qu’on veut de l’intervention soviétique en Afghanistan, mais les formes légales ont été strictement respectées. Plusieurs demandes d’intervention avaient été formulées par le gouvernement afghan auprès du gouvernement soviétique, suite à la signature par Jimmy Carter de l’ordre du 3 juillet 1979 qui prévoyait une aide aux islamistes combattant le régime « communiste » de Kaboul. L’assassinat comme moyen de résoudre les conflits internes aux régimes « aidés » sont une vieille tradition américaine : pensez à l’assassinat de Ngo Dinh Diem au Vietnam…

              [« Et si l’expérience soviétique avait réussi, imaginez-vous ce qu’aurait été l’effet. » Quel effet ? Pensez-vous vraiment qu’un peuple individualiste comme le peuple français aurait été disposé à se transformer en homo sovieticus ?]

              Probablement pas, chaque pays a son génie propre. Mais il aurait trouvé certainement une preuve qu’on peut produire vivre bien sans les capitalistes. Et cela, les capitalistes ne pouvaient pas le tolérer.

              [« C’est une histoire très mal connue – et pour cause – dans notre pays. Qui se souvient que les puissances occidentales ont appuyé les armées « blanches » dans les années 1920 ? » Moi. C’est qu’il fallait quand même bien s’assurer que le morcellement issu de l’éclatement des empires centraux et orientaux soit pérennisé et que la Russie post-1918 ne puisse suite à son lâchage indument rafler la mise, ne serait-ce récupérer sa mise de départ surtout avec ses velléités expansionnistes de révolution mondiale.]

              J’aimerais bien savoir sur quelles sources vous vous appuyez pour attribuer cette motivation aux interventions des puissances occidentales. Vous croyez vraiment que si la paix séparée avait été signée par un gouvernement révolutionnaire de droite plutôt qu’un gouvernement bolchévique, il y aurait eu une intervention occidentale pour « l’empêcher de rafler la mise » ? Vous rêvez…

              [« Que l’URSS n’a jamais eu accès librement aux marchés internationaux ? » Qu’entendez-vous par « accès libre aux marchés internationaux » ?]

              Ce qu’on entend par « avoir un accès libre aux marchés internationaux ». C’est-à-dire, avoir la possibilité de se présenter sur n’importe quel marché de biens et de services, et d’échanger aux prix établis par le marché. Pendant toute son histoire, l’URSS n’a jamais eu cette possibilité. Certains marchés lui ont été toujours fermé, sur d’autres elle ne pouvait échanger qu’avec de sérieuses restrictions.

              [Des entreprises occidentales ont pu marchander en URSS (le cas le plus cocasse étant Pepsi), tout comme l’URSS pouvait écouler sa production en occident (la Lada Samara par exemple)]

              Oui. Tant que les biens échangés n’étaient pas dans la « liste noire », aucun problème. Des Pepsi ou des Lada, oui. Des machines-outils, des équipements électroniques, des turbines, non.

              [« L’URSS sort certes victorieuse de la guerre, mais blessée à mort. » Des tas de pays à un moment ou à un autre se sont retrouvés à genoux, et ça ne les a pas empêché de faire des miracle.]

              J’aimerais bien connaître un exemple de pays ayant « fait des miracles » après avoir perdu entre 13% et 16% de sa population. Seule la Pologne arrive au même niveau, et on ne voit pas très bien quel a été son « miracle ». L’Allemagne, elle, n’a perdu qu’entre 9,5% et 12,4%. Le seul pays comparable par l’ampleur des destructions et des pertes à l’URSS est l’Allemagne, et son « miracle » est largement lié aux milliards de dollars déversés par les Américains dans le cadre du Plan Marshall.

              [« Je ne vois toujours pas. Les territoires disputés lors de la guerre polono-soviétique étaient dans les « sphères d’influence » allemande et russe avant la première guerre mondiale, et on voit mal en quoi leur récupération par l’URSS se serait faite « à notre détriment ». » Eh bien après la Première Guerre Mondiale, ils sont tombés dans les sphères d’influence françaises et britanniques. Comme les vestiges de l’empire Ottoman.]

              Je ne vois pas très bien d’où vous tirez ça. Quelle était « l’influence » de la France ou de la Grande Bretagne sur la Pologne ? Auriez-vous oublié que la Pologne a joué dans le camp de l’Allemagne à Munich en 1938 ?

              [« Si c’est votre seul exemple, il est particulièrement pauvre. » Pas seulement la Pologne. Il y a par exemple aussi les états Baltes (cédés à l’Allemagne lors du traité de Brest-Litovsk) que la Russie bolchévique cherchait à récupérer.]

              Là encore, je vois mal en quoi ces états étaient « dans la sphère d’influence » française.

              [Lénine n’a t-il jamais eu la volonté d’étendre la révolution communiste à l’ensemble de la planète ?]

              Certainement. Mais par l’action des peuples eux-mêmes, et non par l’envoi de « missionnaires armés » pour reprendre la jolie formule de Robespierre – que Lénine appréciait particulièrement.

              [« Je n’ai pas très bien compris. L’URSS est née en 1922. On peut donc à la rigueur lui reprocher la « volte-face » de 1917 » On ne va pas se mentir, l’URSS était la continuatrice de l’empire tsariste.]

              Dites ça aux détenteurs d’emprunts russes… Non, les bolchéviques se plaçaient en rupture avec l’empire russe. Ils l’ont bien marqué en dénonçant tous les traités conclus par l’Empire, renonçant à toutes les créances et dettes contractées par lui.

              [Et qu’est-ce qu’on était censé en avoir à faire de ce remplacement de régime ? La même chose que le remplacement d’une tsarine francophile par un tsar prussophile.]

              Pas tout à fait. Dans un Etat moderne, la succession normale des gouvernements se fait avec continuité de l’Etat. Autrement dit, les créances et dettes, les traités et accords sont signés non pas avec le chef de l’Etat personnellement, mais avec l’Etat concerné. Cette idée, bien établie en 1920, n’était que balbutiante au XVIIème siècle. Les derniers mots de Louis XIV sont de ce point de vue révélateurs : « Je m’en vais, mais l’Etat demeurera toujours ».

              [« Ou pourquoi la France a offert asile et soutien à tous les russes adversaires du régime soviétique. » La France a également offert asile à des adversaires de régimes d’extrême droite. Qu’en conclure ?]

              Comparez la différence de l’accueil entre les Russes blancs ayant combattu les Bolchéviques, et celui des réfugiés espagnols ayant combattu Franco. La Côte d’Azur pour les uns, le camp de Rivesaltes pour les autres. Je vous laisse tirer les conclusions.

              [« On peut difficilement reprocher à la Russie de s’être détournée d’une France qui refusait tout rapport avec elle. » Ah mais je ne le reproche pas à la Russie, je faisais juste remarquer que les bourgeois de la république de Weimar s’étaient alliés à une nation communiste.]

              Ils n’avaient pas trop le choix, à l’époque c’était le seul état qui voulait d’eux. La bourgeoisie allemande avait à choisir entre deux maux, et elle a intelligemment choisi le moindre. Mais dès qu’elle a eu l’opportunité de faire autrement, elle n’a pas hésité à vider Rapallo de tout contenu…

              [Je reprécise que l’article en question parle de la hantise des élites françaises d’un rapprochement de l’Allemagne avec la Russie soviétique après la seconde guerre mondiale. Je ne vois pas en quoi à cette époque elles se seraient permises le luxe de cracher à la gueule de la RFA.]

              C’était justement mon point. Les leçons de Rapallo ont été apprises : on a évité de cracher à la gueule de la RFA, par exemple en exigeant qu’ils livrent les criminels de guerre nazis ou bien en signant des traités comme le traité de l’Elysée…

              [« L’histoire a peut-être montré qu’il est dangereux d’avoir des troupes soviétiques stationnées sur son sol… moins que d’avoir des troupes allemandes. Où américaines, si l’on va par là… » Ah mais je ne le nie pas. Mais force est de constater que les troupes de l’OTAN ne sont pas sorties de leurs casernes pour aller écraser une insurrection polonaise.]

              Non, mais les troupes américaines sont sorties de leurs casernes pour écraser des « insurrections » en Irak ou en Afghanistan (pensez à Falloudjah, ou bien aux Talibans). Bien entendu, à la demande des gouvernements locaux, comme en Pologne…

              [Les alliés étaient donc parfaitement dans leur droit de considérer que l’invasion de la Pologne, dans les limites fixées par la paix de Riga, par l’URSS constituait un casus belli.]

              Je ne sais pas ce que vous appelez « les alliés » dans ce contexte. Si vous faites référence à la France et la Grande Bretagne, on voit mal à quel titre elles auraient pu considérer l’occupation russe comme un casus belli. Ni la France ni la Grande Bretagne n’étaient parties ou garants à la paix de Riga, et les accords entre la Pologne, la France (convention Kasprzycki-Gamelin du 19 mai 1939) et la Grande Bretagne (accords d’assistance mutuelle du 25 août 1939) ne prévoient une action militaire que lors d’une attaque allemande.

              [Bref, les élites françaises d’aujourd’hui font preuve de la même panique morale à l’égard de la Russie que durant l’entre deux guerre, voire plus, alors qu’elle constitue plus une menace communiste.]

              Pas du tout. Quand la Russie était une puissance communiste, la « panique morale » a conduit pas mal de gens à perdre leur travail, en prison, en salle de tortures ou même sur l’échafaud. Je vois mal Sarkozy être privé de sa pension ou aller en prison…

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
               
              [Je ne peux que vous répondre que le territoire national est par essence inaliénable – autrement dit, qu’aucun gouvernement n’a le droit de « vendre » une partie du territoire national, que ce soit pour de la monnaie ou en échange d’un service.]
              Non. Des territoires peuvent être cédés, vendus, échangés. Cela a très longtemps été la règle. Napoléon III s’est fait « payer » son soutien au Piémont par la cession de Nice et de la Savoie. Et je vous rappelle qu’il projetait de faire de même pour l’unité allemande, en escomptant annexer des territoires rhénans en échange de son appui, ou tout du moins de sa neutralité bienveillante. Bismarck a habilement utilisé ces revendications pour dresser les Allemands contre la France…
               
              [Dans la conception moderne, toute cession de cette nature est par essence nulle, et seul le vote des habitants – le fameux principe d’autodétermination – peut la légitimer.]
              Ah ? Mais si les Galiciens et les Biélorusses occidentaux n’ont pas été consultés en 1920 quand la Pologne s’est emparé de leurs terres, l’ont-ils été davantage en 1945 quand l’URSS les a intégrés à son territoire ? Y a-t-il trace d’une quelconque consultation populaire ?
               
              [Ce n’est pas le cas dans l’espèce : ni les Savoyards ni les Niçois n’ont jamais été consultés sur la question.]
              Si ma mémoire ne me trompe pas, on a organisé des plébiscites. Vous me direz, c’était pour la forme, mais quand même (c’est la 1ère consultation au suffrage universel masculin en Savoie). Un peu comme a fait la Russie dans les oblasts ukrainiens occupés…
               
              [Il ne s’agit pas dans cet échange de savoir qui a le plus contribué, mais qui détient la souveraineté légitime aujourd’hui.]
              Eh bien la « souveraineté légitime » est une chose bien précaire quand on y songe. Les Serbes en savent quelque chose au Kosovo, les Ukrainiens dans le Donbass, les Moldaves en Transnistrie, les Géorgiens en Ossétie, etc. La souveraineté passe par la possession d’une puissance militaire telle que les autres n’oseront pas vous la contester.
               
              [Les élites urbaines à l’intérieur de l’empire russe sont déjà largement russifiées en 1917. Dans les villes d’Ukraine – Kharkov, Kiev, Odessa – on parle russe. ]
              Et à Varsovie ? À Lublin ? À Vilnius ? À Kaunas ? Je vous signale qu’en Galicie au début du XX° siècle, beaucoup de villes étaient majoritairement de langue polonaise (à commencer par Lviv mais aussi Ivano-Frankivsk). Par conséquent, en Galicie, la polonisation avait aussi commencé. Apparemment, cet argument n’a pas été jugé suffisant, à terme, pour attribuer l’ensemble de la Galicie à la Pologne.
               
              Contrairement à la France napoléonienne et républicaine, l’empire tsariste mène une politique ambiguë : d’un côté, il favorise la russification, de l’autre, il est loin d’offrir une égalité de droits à l’ensemble de ses habitants. Combien de juifs et de catholiques, par exemple, ont atteint les hauts postes de l’administration ou de l’armée ?
               
              [L’instruction se fait en russe, et l’ukrainien est considéré comme un dialecte de paysans (je tiens cela de mon grand-père) ainsi que l’essentiel des publications. ]
              Oui, on lit la même chose sur le biélorusse. Une question me turlupine pourtant : pourquoi le tsar a-t-il cherché à interdire l’usage de l’ukrainien ?
               
              Voici ce qu’on lit sur Wikipédia :
              « Le 18 juillet 1863 (30 juillet dans le calendrier grégorien) Valouïev, ministre de l’intérieur, envoie un décret secret (« Circulaire de Valouïev ») qui interdit explicitement certaines publications en ukrainien, notamment les œuvres religieuses et littéraires, ainsi que tout enseignement scolaire en ukrainien. La Circulaire stipule qu’« aucune langue petite-russe » (c’est-à-dire l’ukrainien) « n’a existé, n’existe et ne puisse exister ». »
               
              Expliquez-moi : qu’avait-il à craindre d’un « dialecte de paysans » destiné à s’éteindre, une langue « inexistante » ? La France n’a pas eu besoin d’interdire la langue d’oc ou le breton. Elle n’a pas eu besoin d’interdire les œuvres de Mistral. Le problème du tsar, c’est qu’il n’offrait pas grand-chose en échange de la russification, et la culture russe a pu être associée dans certaines campagnes à une culture étrangère, brutale et dominatrice, et j’ai l’impression que vous avez du mal à accepter ce point.
               
              [On ne peut pas « restituer » la Moldavie ou à Lettonie à la Russie, parce qu’elles n’en ont jamais fait partie.]
              Que me dites-vous là ? La Bessarabie est annexée par la Russie en 1812, et la Lettonie (ou plutôt la Livonie et la Courlande) est progressivement conquise sur la Suède et la Pologne au cours du XVIII° siècle.
               
              [Plus que de « restituer » des territoires à la Russie, je pense qu’il faut créer une « zone tampon » entre la Russie et l’Europe occidentale. […] Et il est de l’intérêt des européens que la Russie soit rassurée.]
              Sur ce point, je suis d’accord avec vous.
               
              [Mais vous noterez que si l’on se réfère à mon « héritage familial », j’ai plus de raisons d’en vouloir à la Russie qu’à la Pologne…]
              Je n’ai pas compris cette remarque. La Russie a tenté la « grande et belle expérience socialiste » qui, si j’ai bien compris, a suscité beaucoup d’espoir et d’ardeur dans votre famille. La Pologne, catholique, agrarienne, réactionnaire, antisémite, s’est opposée à ce grand projet de fraternité humaine. Le choix me semble vite fait. J’en déduis qu’il y a chez vous un petit autel en l’honneur du peuple russe…
               
              [Je ne partage nullement la fascination qu’ont beaucoup de Français pour la Pologne]
              Moi non plus. La Russie me fascine bien davantage. Je me bornais à constater qu’il y a un lien affectif entre la France et la Pologne. Il faut faire avec.
               
              [C’est, comme disait mon grand-père, « un sale pays peuplé de sales gens ».]
              Comme tous les pays, mon bon ami, comme tous les pays. Les Russes aussi sont des « sales gens », antisémites, racistes, alcooliques. Je ne veux pas vous vexer, mais je crains que la Pologne n’ait pas le monopole des défauts que vous signalez, surtout en Europe de l’est. Moi aussi je vis dans « un sale pays », de plus en plus peuplé de « sales gens ». Mais bon, je pense qu’il vaut mieux en rester là sur la Pologne.
               
              [Autrement dit, l’avis des populations concernées ne compte pas ?]
              Non, les populations ne comptent pas. A quel moment les Russes ont-ils demandé leur avis aux Biélorusses, Ukrainiens, Lettons, Lituaniens, Moldaves de Bessarabie au moment d’en faire des sujets de l’empire russe ? Et quand l’avis est demandé, les populations sont priées d’approuver ce qui a déjà été décidé (plébiscite de Savoie, référendum dans les oblasts ukrainiens occupés).
               
              [Pour ne donner qu’un exemple, en 1939 la Pologne en était encore à piquer des territoires à ses voisins et a tout faire pour affaiblir la Russie, alors que la menace venait d’ailleurs.]
              L’URSS ne cherchait-elle pas, presque au même moment, à piquer la Carélie à ses voisins finlandais, dont la menace reste à prouver ?
               
              [Les Polonais ne semblent pas réaliser qu’une Russie devenue un état failli serait infiniment plus dangereuse qu’une Russie gouvernée par Poutine. […] L’obsession antirusse de la Pologne ou de la Lituanie est un danger pour l’Europe.]
              Sur ce point, je suis d’accord avec vous.
               
              [C’est pourquoi je trouve les déclarations de Sarkozy importantes.]
              Mais Sarkozy n’est pas au pouvoir. Je trouve toujours intrigant, pour ne pas dire suspect, que des hommes politiques fassent des déclarations intéressantes lorsqu’ils ne sont plus aux affaires…
               
              [Autrement dit, si la Russie gagnait la guerre, vous estimeriez « légitime » qu’elle annexe l’Ukraine.]
              Toute l’Ukraine, peut-être pas. Mais une partie de l’Ukraine (Donbass, sud-est, sans même parler de la Crimée) certainement. C’est d’ailleurs vers ce scénario qu’on s’achemine. C’est la règle du jeu : vae victis…
               
              [Plus haut, vous contestiez mon idée du « privilège du dernier arrivant ». Et maintenant, vous le soutenez dans sa forme la plus extrême…]
              Je conteste toujours ce soi-disant « privilège ». Je dis que celui qui a la force pour contrôler et défendre un territoire est celui qui est légitime pour dominer ce territoire. Naturellement, il peut être habile de rallier les populations annexées en leur offrant des avantages. Mais on peut tout aussi bien exterminer ou chasser la population autochtone. Les Turcs ont éliminé les Arméniens de leurs provinces anatoliennes. Vous dites : « Ah, mais il n’avait pas le droit ! ». Le fait est que le crime leur a profité : qui leur conteste aujourd’hui la souveraineté sur les régions d’Anatolie orientale et de Cilicie où les Arméniens étaient fort nombreux (et parfois majoritaires dans certains districts) il y a 150 ans ?
               
              [Certainement pas la force !]
              Bien sûr que si. Pourquoi croyez-vous qu’Israël existe ? Cet état est la preuve vivante que la force, la brutalité, l’iniquité, le mépris sont les meilleurs moyens de conquérir et de dominer un territoire. Sans scrupule et sans remord.
               
              [La « légitimité » pour moi est issue d’une part de l’histoire, d’autre part de la politique.]
              Pardon mais Franco est le produit de l’histoire et de la politique espagnoles. Il incarne un mouvement idéologique bien réel dans l’histoire espagnole. Vous n’aimez pas Franco parce que c’est un militaire catholique et anticommuniste, mais il ne vous appartient pas de décider s’il était le gouvernant « légitime » de l’Espagne. Sans quoi, tout le monde et n’importe qui peut distribuer des points de « légitimité » en s’appuyant sur ses a priori, ses obsessions, ses lubies. Franco a conquis le pouvoir et su le conserver, éliminé ses ennemis : que vous faut-il de plus ?
               
              [si vous gouvernez une province comme s’il était partie intégrante de votre pays, que vous donnez à ses habitant les mêmes droits et les mêmes devoirs, qu’il s’y applique le même droit, qu’il existe les mêmes institutions, qu’il se parle la même langue, que les populations circulent entre cette province et le reste du territoire… et bien, au bout d’un certain temps votre légitimité est établie.]
              Autrement dit, on est légitime si on assimile les habitants du territoire conquis. J’ai bien compris ? Malheureusement les Russes n’ont pas réussi à assimiler les Lettons, les Lituaniens, les Estoniens, les Moldaves, les Géorgiens (et ils ont eu entre 100 et 150 ans, parfois un peu plus, pour le faire), comme les Anglais n’ont pas réussi à assimiler les Irlandais. Mais peut-être n’ont-ils pas voulu assimiler ?
               
              [Quand vous avez fait fleurir une terre par votre effort et votre travail, vous acquérez des droits sur elle…]
              Alors les Russes ont des droits sur la Crimée, sur Odessa et d’autres villes d’Ukraine. Mais les Grecs ont des droits sur Constantinople et d’autres villes de Thrace orientale, les Roumains ont des droits sur la Moldavie…

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« Je ne peux que vous répondre que le territoire national est par essence inaliénable – autrement dit, qu’aucun gouvernement n’a le droit de « vendre » une partie du territoire national, que ce soit pour de la monnaie ou en échange d’un service. » Non. Des territoires peuvent être cédés, vendus, échangés. Cela a très longtemps été la règle.]

              Oui. C’était la règle du temps où le territoire était censé être la propriété personnelle du roi, qui pouvait la céder ou la partager entre ses fils. Mais avec l’apparition du domaine public, séparé du domaine privé, les choses changent. Le domaine public devient inaliénable à la fin du moyen-âge. Un pas de plus est franchi avec la consolidation de l’idée de nation à la fin du XIXème siècle, le territoire devenant alors inséparable de la population qui l’occupe. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas eu des échanges de territoires après, mais elles concernent en général des territoires non encore « nationalisés » (le fait colonial). Dans les autres cas, on a eu recours à des référendums et autres actes de consultation des populations. Les seuls cas où l’on s’est affranchi, c’est le cas où une nation a récupéré des territoires qui lui avaient été enlevés par la force des armes (cas de l’Alsace en 1918).

              [Napoléon III s’est fait « payer » son soutien au Piémont par la cession de Nice et de la Savoie. Et je vous rappelle qu’il projetait de faire de même pour l’unité allemande, en escomptant annexer des territoires rhénans en échange de son appui, ou tout du moins de sa neutralité bienveillante. Bismarck a habilement utilisé ces revendications pour dresser les Allemands contre la France…]

              Ce qui prouve que cette manière de gagner des territoires était déjà obsolète du temps de Napoléon III…

              [« Dans la conception moderne, toute cession de cette nature est par essence nulle, et seul le vote des habitants – le fameux principe d’autodétermination – peut la légitimer. » Ah ? Mais si les Galiciens et les Biélorusses occidentaux n’ont pas été consultés en 1920 quand la Pologne s’est emparé de leurs terres, l’ont-ils été davantage en 1945 quand l’URSS les a intégrés à son territoire ? Y a-t-il trace d’une quelconque consultation populaire ?]

              Non, parce qu’on rentre dans la situation où un pays revendique la récupération de ses territoires historiques. Dans ce cas-là, le référendum n’est pas nécessaire puisqu’il s’agit du retour d’un morceau de la « nation » détaché par la force des armes. Ce fut par exemple le cas en Alsace-Moselle en 1918.

              [« Ce n’est pas le cas dans l’espèce : ni les Savoyards ni les Niçois n’ont jamais été consultés sur la question. » Si ma mémoire ne me trompe pas, on a organisé des plébiscites. Vous me direz, c’était pour la forme, mais quand même (c’est la 1ère consultation au suffrage universel masculin en Savoie).]

              Tout à fait. Cela vous montre combien la simple « vente » de territoires était obsolète à cette époque, combien il était nécessaire de montrer le soutien des populations pour que l’annexion – présentée d’ailleurs comme une « réunion » – des territoires en question à la France puisse être perçue comme « légitime ». L’idée que les « grands » pouvaient s’échanger des territoires comme l’on vend un appartement sans demander l’avis du locataire n’était plus tenable.

              [« Il ne s’agit pas dans cet échange de savoir qui a le plus contribué, mais qui détient la souveraineté légitime aujourd’hui. » Eh bien la « souveraineté légitime » est une chose bien précaire quand on y songe. Les Serbes en savent quelque chose au Kosovo, les Ukrainiens dans le Donbass, les Moldaves en Transnistrie, les Géorgiens en Ossétie, etc. La souveraineté passe par la possession d’une puissance militaire telle que les autres n’oseront pas vous la contester.]

              Il ne faudrait pas confondre contrôle et souveraineté légitime. La force peut vous donner le contrôle, mais certainement pas la légitimité. Pensez à la bande de Gaza…

              [« Les élites urbaines à l’intérieur de l’empire russe sont déjà largement russifiées en 1917. Dans les villes d’Ukraine – Kharkov, Kiev, Odessa – on parle russe. » Et à Varsovie ? À Lublin ? À Vilnius ? À Kaunas ?]

              Beaucoup moins, certainement. Mais à Brest-Litovsk, on parle essentiellement russe. C’est pourquoi je vous dis que la « ligne Curzon » n’est pas totalement irrationnelle. Personne ne conteste que Varsovie soit polonaise. Si les tsars avaient conduit la même politique de brassage à Varsovie qu’à Kiev, les choses seraient peut-être différentes. Mais ils ne l’ont pas fait, probablement parce qu’ils pensaient – comme Poutine d’ailleurs – que ukrainiens et russes constituent « une même nation », ce qui n’était pas le cas des polonais.

              [Je vous signale qu’en Galicie au début du XX° siècle, beaucoup de villes étaient majoritairement de langue polonaise (à commencer par Lviv mais aussi Ivano-Frankivsk). Par conséquent, en Galicie, la polonisation avait aussi commencé. Apparemment, cet argument n’a pas été jugé suffisant, à terme, pour attribuer l’ensemble de la Galicie à la Pologne.]

              Je ne saurais pas vous dire. La partie de ma famille qui vient de Galicie parlait yddish et russe, et non pas polonais. Mais cela doit dépendre de la région précise.

              [Contrairement à la France napoléonienne et républicaine, l’empire tsariste mène une politique ambiguë : d’un côté, il favorise la russification, de l’autre, il est loin d’offrir une égalité de droits à l’ensemble de ses habitants. Combien de juifs et de catholiques, par exemple, ont atteint les hauts postes de l’administration ou de l’armée ?]

              L’empire russe n’a jamais mené une politique d’assimilation intérieure, comme ce fut le cas en France pendant le XIXème et début du XXème siècle. Il y a à cela des raisons évidentes – l’étendue du territoire, l’extrême diversité des cultures aurait rendu une telle politique très couteuse. Mais il n’y avait probablement pas non plus la volonté. La France depuis Louis XI s’est conçue comme une nation unitaire, et le pouvoir royal a cherché par tous les moyens a imposer des formes d’uniformité. L’empire russe avait de lui-même une vision plurinationale. L’URSS a d’ailleurs hérité cette vision, même si dans les faits elle s’est beaucoup inspiré du modèle français. D’où les ambiguïtés de la « politique soviétique des nationalités », renforcée par le fait que les marxistes ont peu travaillé l’idée de « nation », malgré leur admiration pour la révolution française.

              [Expliquez-moi : qu’avait-il à craindre d’un « dialecte de paysans » destiné à s’éteindre, une langue « inexistante » ?]

              Du « dialecte des paysans », rien. Mais lorsque ce « dialecte » était repris comme un drapeau par les élites urbaines et les classes moyennes pour contester le régime autocratique, cela devenait un problème. Si ma mémoire ne me trompe pas, la « circulaire Valouïev » concerne essentiellement l’enseignement et la diffusion de l’écrit. Elle ne concernait donc pas les paysans, mais les classes moyennes urbaines…

              [La France n’a pas eu besoin d’interdire la langue d’oc ou le breton. Elle n’a pas eu besoin d’interdire les œuvres de Mistral.]

              Non, parce qu’en France les mouvements « régionalistes » n’ont pas servi de point de ralliement aux mouvements anti-républicains. Dans l’empire russe, ce fut le cas. Les mouvements « nationalistes » servaient de point de ralliement aux mouvements de contestation à l’autocratie tsariste. Taras Chevtchenko fut exilé non parce qu’il écrivait en ukrainien, mais parce qu’il écrivait des poèmes satiriques contre le tsar. Rien de tel en France, où le mouvement et resté purement folklorique. On ne trouve dans « Mireille » la moindre satire de la République ou de revendication monarchiste…

              [Le problème du tsar, c’est qu’il n’offrait pas grand-chose en échange de la russification, et la culture russe a pu être associée dans certaines campagnes à une culture étrangère, brutale et dominatrice, et j’ai l’impression que vous avez du mal à accepter ce point.]

              Au contraire, je pense que vous avez tout à fait raison. Vous savez bien que j’admire la construction nationale française à partir d’une « assimilation intérieure ». Et qui dit « assimilation », dit un accès de l’assimilé à la plénitude des droits et des devoirs de ses concitoyens en échange de sa renonciation à sa culture d’origine. L’empire russe, contrairement à la France, n’a pas eu ce souci. Et l’URSS n’a pas réussi, elle non plus, à s’engager dans cette voie même si elle a mis en place quelques mécanismes.

              [« On ne peut pas « restituer » la Moldavie ou à Lettonie à la Russie, parce qu’elles n’en ont jamais fait partie. » Que me dites-vous là ? La Bessarabie est annexée par la Russie en 1812, et la Lettonie (ou plutôt la Livonie et la Courlande) est progressivement conquise sur la Suède et la Pologne au cours du XVIII° siècle.]

              Pas du tout : toutes deux sont annexées à l’EMPIRE RUSSE, mais ne font pas partie de la RUSSIE propre. Comme vous l’avez si bien signalé, l’empire russe est un empire plurinational. Les habitants de Bessarabie comme les Lettons ne sont pas considérés des citoyens russes à égalité avec ceux de Moscou.

              [« Mais vous noterez que si l’on se réfère à mon « héritage familial », j’ai plus de raisons d’en vouloir à la Russie qu’à la Pologne… » Je n’ai pas compris cette remarque. La Russie a tenté la « grande et belle expérience socialiste » qui, si j’ai bien compris, a suscité beaucoup d’espoir et d’ardeur dans votre famille.]

              Certes. Mais à cette époque, les membres de ma famille qui n’avaient pas été massacrés par les pogroms russes ou polonais avaient quitté la région. Ils n’ont donc connu la « grande et belle expérience socialiste » que par les journaux.

              [La Pologne, catholique, agrarienne, réactionnaire, antisémite, s’est opposée à ce grand projet de fraternité humaine. Le choix me semble vite fait. J’en déduis qu’il y a chez vous un petit autel en l’honneur du peuple russe…]

              Un autel, je ne dirais pas. Mais je connais mieux la culture russe, je parle – ou plutôt je comprends – un peu le russe, et à la maison on continue à préparer quelques spécialités qui viennent de mes grand-mères et qui sont typiquement russo-ukrainiennes ou russo-lituaniennes. Quand je vais en Russie, je retrouve une sorte d’ambiance familière que je ne retrouve pas en Pologne. Je ne saurai vous dire si cela tient au « grand projet de fraternité humaine » portée par l’URSS…

              [Moi non plus. La Russie me fascine bien davantage. Je me bornais à constater qu’il y a un lien affectif entre la France et la Pologne. Il faut faire avec.]

              Il y a aussi un lien affectif entre la France et la Russie, non ?

              [« Autrement dit, l’avis des populations concernées ne compte pas ? » Non, les populations ne comptent pas. A quel moment les Russes ont-ils demandé leur avis aux Biélorusses, Ukrainiens, Lettons, Lituaniens, Moldaves de Bessarabie au moment d’en faire des sujets de l’empire russe ? Et quand l’avis est demandé, les populations sont priées d’approuver ce qui a déjà été décidé (plébiscite de Savoie, référendum dans les oblasts ukrainiens occupés).]

              Je ne suis pas aussi sûr que vous. Je pense encore au dictum de Talleyrand : « on peut se faire un trône avec des baïonnettes, mais il est imprudent de s’asseoir dessus ». On peut incorporer des territoires à son empire par la force. Mais dans la logique « nationale » issue du XIXème siècle, pour les garder, pour les faire fructifier, pour qu’ils deviennent un point de force et non de faiblesse, il faut pouvoir compter sur le soutien des populations. On n’a pas demandé l’avis des Alsaciens en 1918 avant de les réintégrer à la France, mais on a fait les concessions qu’il fallait pour que ce retour ne soit pas mal vécu par eux. En Savoie ou à Nice les référendums ne faisaient que déguiser une décision déjà prise, mais la République a fait les efforts qu’il fallait pour « assimiler » Savoyards et Niçois, au point qu’aujourd’hui les mouvements séparatistes ne sont que virtuels. Et si Poutine est intelligent, il fera la même chose dans le Donbass : brassage des populations, égalité des droits, accès pour les habitants à tous les privilèges et droits attachés à la citoyenneté russe… et un petit peu plus encore.

              [« Pour ne donner qu’un exemple, en 1939 la Pologne en était encore à piquer des territoires à ses voisins et a tout faire pour affaiblir la Russie, alors que la menace venait d’ailleurs. » L’URSS ne cherchait-elle pas, presque au même moment, à piquer la Carélie à ses voisins finlandais, dont la menace reste à prouver ?]

              La menace « ne reste pas à prouver ». La Russie cherchait surtout à « piquer » des bases pour fortifier le voisinage de Leningrad. Ce que demandaient les soviétiques : le port de Hanko, qui commande la sortie du golfe de Finlande, le recul de la frontière en Carelie (avec compensation territoriale) pour mettre Léningrad hors de portée d’artillerie, et la rectification de la frontière nord pour donner à l’URSS un port défendable sur la route de Mourmansk. Ces bases se sont révélés vitales lors du siège de Leningrad, au point que le président finlandais Uro Kekkonen déclare dans les années 1960 que « Maintenant, plus de 20 ans après, si nous nous mettons dans la position de l’Union soviétique, puis en considérant l’attaque allemande en 1941, alors les considérations qu’avaient, et que se devaient d’avoir les Soviétiques quant à leur sécurité à la fin des années 1930, deviennent compréhensibles ».

              Vous noterez par ailleurs qu’après la défaite de la Finlande, l’URSS ne gardera que les territoires initialement réclamés, alors qu’elle aurait pu avoir beaucoup plus… et malgré cette modération, la Finlande attaquera l’URSS le 25 juin 1941, trois jours après le déclenchement par Hitler de l’opération Barbarossa. Ce chapitre est pratiquement oublié aujourd’hui, mais vaut la peine d’être rappelé : la Finlande servit volontairement de base au lancement de l’attaque allemande. L’aviation et la marine allemandes opèrent dès le 22 juin 1941 à partir du territoire finlandais, et les troupes finlandaises attaquèrent les troupes soviétiques trois jours plus tard et le gouvernement finlandais manifeste sa volonté non seulement de récupérer les territoires perdus, mais de mener une action offensive sur le territoire soviétique – c’est le fameux discours « du fourreau de l’épée » de Mannerheim. La situation fut jugée suffisamment sérieuse pour que la Grande Bretagne déclare la guerre à la Finlande en juillet 1941, ce qui refroidit les intentions offensives des finlandais. Les troupes finlandaises restèrent sur la frontière d’avant le conflit, et regardèrent sans broncher le martyre de Leningrad.

              Malgré son alliance avec Hitler – suffisamment étroite pour que le Furher sente le besoin de se déplacer personnellement jusqu’à lui pour fêter son 75ème anniversaire – qui incluait la remise aux allemands des prisonniers de guerre soviétique, dont la grande majorité périra dans les camps de concentration allemands, Mannerheim n’eut jamais à rendre compte de ses actes. Comme Franco, il mourut paisiblement dans son lit, entouré de tous les honneurs…

              [« C’est pourquoi je trouve les déclarations de Sarkozy importantes. » Mais Sarkozy n’est pas au pouvoir. Je trouve toujours intrigant, pour ne pas dire suspect, que des hommes politiques fassent des déclarations intéressantes lorsqu’ils ne sont plus aux affaires…]

              Soyons honnêtes : lorsqu’il était au pouvoir, il agissait de même. Souvenez-vous de sa médiation dans l’affaire géorgienne… Mais je pense que vous avez raison sur un point : les hommes politiques disent et écrivent souvent des choses plus intéressantes une fois qu’ils sont rangés des voitures que lorsqu’ils ont encore une carrière devant eux. Et c’est logique : non seulement la sagesse vient avec l’âge, mais on est beaucoup plus libre de parler lorsque vous n’avez plus besoin de plaire à personne…

              [« Autrement dit, si la Russie gagnait la guerre, vous estimeriez « légitime » qu’elle annexe l’Ukraine. » Toute l’Ukraine, peut-être pas. Mais une partie de l’Ukraine (Donbass, sud-est, sans même parler de la Crimée) certainement. C’est d’ailleurs vers ce scénario qu’on s’achemine. C’est la règle du jeu : vae victis…]

              Soyez cohérent : si la force est la source de légitimité, sa victoire rendrait « légitime » l’annexion de TOUTE l’Ukraine. Pourquoi se contenter du Donbass et de la Crimée ?

              [Je conteste toujours ce soi-disant « privilège ». Je dis que celui qui a la force pour contrôler et défendre un territoire est celui qui est légitime pour dominer ce territoire.]

              J’aimerais bien que vous m’expliquiez ce que vous entendez par « légitime » dans ce contexte, et quelle est la différence pour vous entre la capacité à dominer un territoire et la légitimité pour le faire.

              [« Certainement pas la force ! » Bien sûr que si. Pourquoi croyez-vous qu’Israël existe ? Cet état est la preuve vivante que la force, la brutalité, l’iniquité, le mépris sont les meilleurs moyens de conquérir et de dominer un territoire. Sans scrupule et sans remord.]

              Peut-être. Mais que vient faire la « légitimité » dans tout ça ? Qu’Israel existe par la force, c’est un fait. Que son existence soit LEGITIME, c’est une autre paire de manches.

              [« La « légitimité » pour moi est issue d’une part de l’histoire, d’autre part de la politique. » Pardon mais Franco est le produit de l’histoire et de la politique espagnoles. Il incarne un mouvement idéologique bien réel dans l’histoire espagnole. Vous n’aimez pas Franco parce que c’est un militaire catholique et anticommuniste, mais il ne vous appartient pas de décider s’il était le gouvernant « légitime » de l’Espagne. Sans quoi, tout le monde et n’importe qui peut distribuer des points de « légitimité » en s’appuyant sur ses a priori, ses obsessions, ses lubies. Franco a conquis le pouvoir et su le conserver, éliminé ses ennemis : que vous faut-il de plus ?]

              Mais comme vous le dites, ce n’est pas sa capacité à conquérir le pouvoir, à le conserver, et à éliminer ses ennemis qui fait sa « légitimité ». Sa « légitimité » vient d’abord du fait qu’il représentait une large fraction du peuple espagnol. La fraction cléricale, militariste, catholique et anticommuniste, qui était majoritaire en Espagne. Sa « légitimité » vient aussi du fait qu’il était fonctionnel aux grandes puissances, ravies d’avoir en Espagne un gouvernement sur lequel on pouvait compter pour mettre au pas la subversion communiste. D’autres ont réussi à conquérir le pouvoir et à le garder, à éliminer tous leurs adversaires, et n’ont jamais été reconnus comme « légitimes ». Pensez à Lénine…

              [« si vous gouvernez une province comme s’il était partie intégrante de votre pays, que vous donnez à ses habitant les mêmes droits et les mêmes devoirs, qu’il s’y applique le même droit, qu’il existe les mêmes institutions, qu’il se parle la même langue, que les populations circulent entre cette province et le reste du territoire… et bien, au bout d’un certain temps votre légitimité est établie. » Autrement dit, on est légitime si on assimile les habitants du territoire conquis. J’ai bien compris ?]

              Ce n’est pas la seule méthode, mais c’est certainement la plus efficace et celle qui dans le temps long donne les meilleurs résultats.

              [Malheureusement les Russes n’ont pas réussi à assimiler les Lettons, les Lituaniens, les Estoniens, les Moldaves, les Géorgiens (et ils ont eu entre 100 et 150 ans, parfois un peu plus, pour le faire), comme les Anglais n’ont pas réussi à assimiler les Irlandais. Mais peut-être n’ont-ils pas voulu assimiler ?]

              Pu ou voulu ? Ça dépend des situations. En Irlande, clairement, comme dans l’ensemble des colonies anglaises, il n’y avait pas une volonté d’assimilation. C’est une dominante de la tradition nationale anglaise. Pour la Russie, c’est plus ambigu et cela dépend beaucoup des régions. Les géorgiens, par exemple, étaient assez bien assimilés, et on trouve d’ailleurs pas mal de géorgiens dans des hautes positions politiques en Russie, avant et après la révolution. C’était aussi le cas des Lettons. C’est beaucoup moins évident pour les Lituaniens ou les Estoniens.

              [« Quand vous avez fait fleurir une terre par votre effort et votre travail, vous acquérez des droits sur elle… » Alors les Russes ont des droits sur la Crimée, sur Odessa et d’autres villes d’Ukraine. Mais les Grecs ont des droits sur Constantinople et d’autres villes de Thrace orientale, les Roumains ont des droits sur la Moldavie…]

              Constantinople ? Pourquoi les Grecs plus que les Romains, et les Romains plus que les Ottomans de Mehmed et Soliman ? Chacun des occupants successifs a contribué à la splendeur de la cité. C’est donc le dernier qui a les droits les plus forts…

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
               
              [Ce qui prouve que cette manière de gagner des territoires était déjà obsolète du temps de Napoléon III…]
              C’est vous qui le dites. Cela n’a pas marché avec les états allemands, mais Napoléon III a réussi à mettre la main sur Nice et la Savoie (qui n’avaient été françaises que peu de temps à l’époque de la Révolution et de l’Empire… comme certaines régions rhénanes d’ailleurs).
               
              [Non, parce qu’on rentre dans la situation où un pays revendique la récupération de ses territoires historiques.]
              Je ne vois pas comment la Galicie pourrait être considérée comme un « territoire historique » de la Russie : après avoir été polonaise pendant des siècles, la Galicie devient autrichienne lors des partages de la fin du XVIII° siècle jusqu’en 1918, après quoi elle redevient polonaise jusqu’en 1939. Il faut remonter à l’époque de la Rous’ de Kiev unie, avant le milieu du XII° siècle donc, pour que la Galicie soit unie aux terres russes des environs de Moscou… Et il convient de préciser que la Galicie n’a pas été arrachée par la force à la mère-patrie, elle est devenue une principauté indépendante gouvernée d’abord par une branche de la dynastie kiévienne.
               
              [L’empire russe n’a jamais mené une politique d’assimilation intérieure, comme ce fut le cas en France pendant le XIXème et début du XXème siècle.]
              Je ne suis pas d’accord. Bien sûr, le tsar n’a pas mené une politique d’assimilation « à la française » pour les raisons que vous évoquez. Mais il y a bien eu une politique de russification, notamment par le biais de la promotion systématique du russe comme langue de culture et d’administration. De ce point de vue, l’interdiction de l’enseignement et des publications en ukrainien va dans le sens de cette politique.
               
              [La France depuis Louis XI s’est conçue comme une nation unitaire]
              Pourquoi « depuis Louis XI » ? Cela me paraît un peu tôt. A la mort de Louis XI subsistent encore quelques grandes principautés : Bretagne, Bourbon-Auvergne, Albret, Foix-Béarn. Il me paraît un peu précoce de parler de « nation unitaire ». L’ouvrage est encore sur le métier à cette époque.
               
              [D’où les ambiguïtés de la « politique soviétique des nationalités », renforcée par le fait que les marxistes ont peu travaillé l’idée de « nation », malgré leur admiration pour la révolution française.]
              Eh bien, les bolchéviks ont quand même raté un des points majeurs de la réflexion des révolutionnaires français… Parce que « penser la nation » fut l’axe principal de la réflexion des jacobins et de Bonaparte.
               
              [Elle ne concernait donc pas les paysans, mais les classes moyennes urbaines…]
              Mais ces classes moyennes urbaines étaient déjà largement russifiées… Le « réflexe nationaliste » n’était donc qu’un combat d’arrière-garde sans avenir.
               
              [Taras Chevtchenko fut exilé non parce qu’il écrivait en ukrainien, mais parce qu’il écrivait des poèmes satiriques contre le tsar.]
              Alors reconnaissez que Chevtchenko, que vous avez qualifié, avec une pointe de mépris, de « sorte de Mistral ukrainien », était un tout petit peu plus subversif que Mistral…
               
              [Pas du tout : toutes deux sont annexées à l’EMPIRE RUSSE, mais ne font pas partie de la RUSSIE propre.]
              C’est quoi la « Russie propre » ? Les Maris et les Mordves de la Volga et de langue finno-ougrienne en font-ils partie par exemple ?
               
              [Il y a aussi un lien affectif entre la France et la Russie, non ?]
              Il y en avait un, oui. Nos élites s’acharnent à le détruire, comme elles ont détruit le lien entre la France et la Serbie. Croyez bien que je le regrette, étant plutôt serbophile et russophile. Dans l’affaire russo-ukrainienne, je penche, et de plus en plus, du côté de la Russie, et je pense que l’Occident est malhonnête avec les Ukrainiens en les poussant à prolonger une guerre qu’ils ne peuvent pas gagner. Et je suis convaincu qu’à terme, l’opinion ukrainienne se retournera contre nous. Si Poutine est intelligent – et il l’est – et sait se montrer modéré dans ses exigences, il n’est pas impossible qu’il puisse en profiter.
               
              [La Russie cherchait surtout à « piquer » des bases pour fortifier le voisinage de Leningrad. Ce que demandaient les soviétiques : le port de Hanko, qui commande la sortie du golfe de Finlande, le recul de la frontière en Carelie (avec compensation territoriale) pour mettre Léningrad hors de portée d’artillerie, et la rectification de la frontière nord pour donner à l’URSS un port défendable sur la route de Mourmansk.]
              Ce paragraphe me laisse pantois, je vous l’avoue : oui mais bon, faut comprendre, les Soviétiques voulaient quelques assurances en terme de sécurité, oh trois fois rien, Léningrad hors de portée de l’artillerie, et un port défendable sur la route de Mourmansk.
              En 1871, les Allemands voulaient, oh trois fois rien, mettre la rive droite du Rhin hors de portée de l’artillerie française et une place forte défendable à l’ouest du fleuve, Metz pour ne pas la nommer, afin de se protéger d’une éventuelle attaque française…
              Je vous trouve pour le coup excessivement bienveillant avec l’URSS et très sévère avec les Finlandais, ces salauds qui ont eu l’outrecuidance de refuser de céder ces quelques arpents de territoire national que les Soviétiques leur demandaient en toute « légitimité » bien sûr. Étrangement, chez vous, tout ce que demandent les Soviétiques paraît toujours légitime, pondéré, raisonnable. Désolé, mais pour moi, l’URSS a pratiqué, chaque fois qu’elle l’a pu, ce qu’il convient bien d’appeler une forme d’impérialisme sous couvert de fraternité socialiste. Je ne le lui reproche pas, mais je trouve que le nier relève d’une forme de mauvaise foi. Et je ne suis ni anti-soviétique fanatique, ni un détracteur féroce de Staline auquel je reconnais de grandes qualités. Mais il y a un moment où il faut arrêter d’être naïf quand même. Pour justifiées qu’aient pu être les revendications soviétiques, cela ne rend pas illégitime la résistance des Finlandais auxdites demandes.
               
              [Vous noterez par ailleurs qu’après la défaite de la Finlande, l’URSS ne gardera que les territoires initialement réclamés, alors qu’elle aurait pu avoir beaucoup plus…]
              Ils sont sympas ces bolchéviks, quand même… Bon, on vous prend une partie de votre territoire – qui était peut-être aussi stratégique pour les Finlandais et leur défense, mais ça, on n’en a rien à foutre – mais juste ce qu’on avait demandé, pas plus.
              Je vous rappelle que, bien que victorieuse, l’Armée Rouge n’a guère brillé face à l’armée finlandaise qui lui a infligé des pertes non-négligeables.
               
              [et malgré cette modération, la Finlande attaquera l’URSS le 25 juin 1941, trois jours après le déclenchement par Hitler de l’opération Barbarossa]
              Juste une question : vous êtes-vous par hasard demandé si ce que vous appelez « modération » avait été perçue ainsi par les élites et l’armée finlandaises, et je ne dis pas vingt ans après mais sur le moment ? C’est très bien de se mettre à la place des Soviétiques, peut-être ne serait-il pas inutile d’essayer de se mettre à la place des Finlandais, non ?
              Ce chapitre est pratiquement oublié aujourd’hui : en 1808-1809, l’empire russe attaque une Suède largement affaiblie et lui arrache la Finlande érigée en grand-duché, sans doute pour gagner en « profondeur stratégique » et certainement pas pour éliminer un rival historique en Baltique, ce n’est pas le genre des Russes.
              Bien que dotée d’une relative autonomie, la Finlande est bel et bien annexée à l’empire russe pour un siècle, une durée suffisante pour faire de la Finlande un « territoire historique » de l’empire russe, bien plus que la Galicie en tout cas. Vous postulez, sans doute à juste titre, que les Soviétiques, eux, n’ont jamais eu l’intention d’annexer la Finlande. Mais ne vous vient-il pas à l’idée que les Finlandais, eux, ont pu se méprendre de bonne foi, et être sincèrement préoccupés par une menace qui s’est avérée rétrospectivement inexistante ? Je trouve qu’accuser d’emblée les Finlandais d’avoir refusé de voir à quel point les Soviétiques étaient pondérés et mesurés relève pour le coup d’une partialité outrancière. Pardon de vous le dire, mais vous ne vous contentez plus d’expliquer les actions du gouvernement soviétique de Staline, vous prenez fait et cause pour lui, et ceux qui ne comprennent ni n’approuvent sont forcément des cons aux accointances douteuses, des réacs voire des nazillons. Comme Mannerheim et les Finlandais…
               
              [la Finlande servit volontairement de base au lancement de l’attaque allemande.]
              L’aurait-elle fait si les Soviétiques ne l’avaient pas attaqué ? L’offensive soviétique de la Finlande a jeté celle-ci dans les bras du III° Reich, c’est un fait. Vous pratiquez une forme d’inversion des responsabilités.
               
              [et les troupes finlandaises attaquèrent les troupes soviétiques trois jours plus tard et le gouvernement finlandais manifeste sa volonté non seulement de récupérer les territoires perdus]
              Comme la France a « manifesté sa volonté » de récupérer l’Alsace-Lorraine en 1918 ? Ils sont vraiment odieux ces Finlandais.
               
              [Les troupes finlandaises restèrent sur la frontière d’avant le conflit, et regardèrent sans broncher le martyre de Leningrad.]
              En mémoire de leurs soldats morts durant la guerre d’hiver, c’est vrai que les Finlandais auraient au moins pu ravitailler Leningrad, et peut-être participer à sa défense tant qu’on y est. C’est la guerre provoquée par l’URSS qui a en partie aggravé le martyre de Leningrad, en faisant de la Finlande une alliée de l’Allemagne.
              Plutôt que de guerroyer contre les Finlandais, Staline aurait peut-être pu travailler à améliorer l’efficacité de ses troupes. Ainsi la Wehrmacht ne serait pas arrivée jusqu’à Leningrad, vous ne pensez pas ? La Finlande a certainement commis des erreurs, mais on ne peut pas exclure que le gouvernement soviétique n’en ait pas commis quelques-unes lui aussi… Mettre tous les malheurs de l’URSS sur le compte de la méchanceté des autres me paraît un raisonnement au mieux simpliste, au pire un brin puéril.
               
              [Malgré son alliance avec Hitler – suffisamment étroite pour que le Furher sente le besoin de se déplacer personnellement jusqu’à lui pour fêter son 75ème anniversaire – qui incluait la remise aux allemands des prisonniers de guerre soviétique, dont la grande majorité périra dans les camps de concentration allemands, Mannerheim n’eut jamais à rendre compte de ses actes.]
              Et alors ? Qu’aurait dû faire Mannerheim selon vous ? Il a pris un certain nombre de décisions qui, à ses yeux, étaient conformes à ce qu’il pensait être les intérêts de sa patrie, et qui à l’évidence vous déplaisent. Et cela fait de lui un salaud. Staline a fait la même chose, et lui est un héros. Êtes-vous sûr d’éviter le manichéisme que vous reprochez régulièrement à certains commentateurs ?
               
              [Comme Franco, il mourut paisiblement dans son lit, entouré de tous les honneurs…]
              Mannerheim, un salaud parmi les salauds. J’ai bien compris ?
               
              [Soyons honnêtes : lorsqu’il était au pouvoir, il agissait de même. Souvenez-vous de sa médiation dans l’affaire géorgienne…]
              Souvenez-vous de la brillante intervention en Libye… ou « De l’usage du regime change à l’américaine », avec les conséquences que l’on sait au Sahel et ailleurs.
               
              [Soyez cohérent : si la force est la source de légitimité, sa victoire rendrait « légitime » l’annexion de TOUTE l’Ukraine.]
              Mais je suis cohérent, alors je vous le redis : les rectifications de frontières après les guerres, ça fait partie du jeu. Mais rayer un pays – surtout un pays de la taille de l’Ukraine – de la carte, ça bouleverse trop les rapports de force, et cela crée plus de problème que ça en résout. Par ailleurs, vous m’avez vanté la modération des Soviétiques. Je suis persuadé que Poutine, ancien agent soviétique, a hérité de cette pondération. Il fera ce qu’il faut pour affaiblir l’Ukraine, la neutraliser s’il le peut et il s’arrêtera là, s’il est sage. A l’ouest de Kiev, la russophobie est telle que conquérir et contrôler durablement ce territoire représente certainement un coût rédhibitoire pour les Russes. Je vous le répète : ce n’était sans doute pas l’objectif, mais l’offensive russe a renforcé le sentiment national ukrainien au moins dans la moitié ouest du pays.
               
              [quelle est la différence pour vous entre la capacité à dominer un territoire et la légitimité pour le faire.]
              Du point de vue de celui qui exerce sa domination, aucune différence.
               
              [Que son existence soit LEGITIME, c’est une autre paire de manches.]
              Légitime aux yeux de qui ? L’existence d’Israël est légitime aux yeux des Israéliens et de leurs chefs, et plusieurs guerres n’ont pas permis aux Arabes d’abattre l’état hébreu. Que vous faut-il de plus ? Invoquer une morale discutable ?
              Les Israéliens mettent en culture leur territoire, bâtissent des villes, des ports, des usines, des centrales électriques. N’ont-ils pas fécondé par la sueur et le travail la terre qu’ils ont conquis par l’épée ? Alors que vous faut-il ?
              Compte tenu de votre argumentation sur le privilège du dernier arrivant et sur la mise en valeur d’un territoire, vous devriez applaudir Israël qui pousse même la vertu jusqu’à accorder la citoyenneté à une partie des autochtones arabophones.
               
              [Les géorgiens, par exemple, étaient assez bien assimilés, et on trouve d’ailleurs pas mal de géorgiens dans des hautes positions politiques en Russie, avant et après la révolution. C’était aussi le cas des Lettons.]
              Ce qui relativise votre affirmation comme quoi la Russie tsariste n’a pas mené de politique d’assimilation…
               
              [Pourquoi les Grecs plus que les Romains, et les Romains plus que les Ottomans de Mehmed et Soliman ?]
              D’abord, les Grecs sont les héritiers des Byzantins qui étaient autant Romains que Grecs (en tout cas ils se considéraient comme des Romains de langue grecque, d’où le fait que les Arabes et les Turcs les appelaient « Roums »). Les Grecs d’aujourd’hui ont un héritage gréco-romain. Quant aux Ottomans… Ils ont transformé Sainte-Sophie en mosquée avant de bâtir des copies de Sainte-Sophie à Constantinople et ailleurs. Résultat : aujourd’hui encore, à Istanbul, c’est en grande partie l’héritage gréco-romano-byzantin qui donne son cachet à la ville. Les Turcs sont des usurpateurs, rien de plus.

            • Descartes dit :

              @ cdg

              [« Ce qui prouve que cette manière de gagner des territoires était déjà obsolète du temps de Napoléon III… » C’est vous qui le dites.]

              En fait, c’est vous. N’est pas vous qui avez souligné l’importance des référendums organisés en Savoie et dans le comté de Nice pour légitimer le transfert ? Preuve s’il en fallait une que le transfert de territoires par la simple volonté du souverain sans rien demander aux populations, comme cela se faisait sous l’Ancien régime, n’était plus viable.

              [« Non, parce qu’on rentre dans la situation où un pays revendique la récupération de ses territoires historiques. » Je ne vois pas comment la Galicie pourrait être considérée comme un « territoire historique » de la Russie :]

              Il ne l’est pas. Je pensais surtout à la Biélorussie occidentale. La question de la Galicie est plus compliquée, parce qu’elle obéit à des considérations géopolitiques. A Munich, l’URSS n’avait pu prêter secours à la Tchecoslovaquie du fait du refus de la Pologne de laisser passer les troupes soviétiques sur son territoire. En 1945, les soviétiques tenaient à constituer une frontière commune avec la Tchécoslovaquie (et accessoirement avec la Hongrie). Il faut noter d’ailleurs que, pour éviter d’annexer une population hostile, il y eut des échanges de population entre la Pologne et l’Ukraine.

              [« L’empire russe n’a jamais mené une politique d’assimilation intérieure, comme ce fut le cas en France pendant le XIXème et début du XXème siècle. » Je ne suis pas d’accord. Bien sûr, le tsar n’a pas mené une politique d’assimilation « à la française » pour les raisons que vous évoquez. Mais il y a bien eu une politique de russification, notamment par le biais de la promotion systématique du russe comme langue de culture et d’administration. De ce point de vue, l’interdiction de l’enseignement et des publications en ukrainien va dans le sens de cette politique.]

              Nous sommes d’accord. Mais il faut être rigoureux avec le vocabulaire. L’assimilation va pour moi beaucoup plus loin que la simple imposition d’une langue. Elle implique que l’assimilé devient « simil » à l’assimilateur, autrement dit, qu’en acceptant la culture de l’assimilateur il devient son égal en droits et devoirs. L’empire Russe n’a jamais mené une telle politique. C’est particulièrement notable chez les juifs russes, qui avaient – comme souvent dans la culture juive – une véritable volonté d’assimilation. Chez mes arrière grands-parents « urbains », on vivait « à la Russe », on parlait russe… mais on n’avait pas les mêmes droits.

              [« La France depuis Louis XI s’est conçue comme une nation unitaire » Pourquoi « depuis Louis XI » ? Cela me paraît un peu tôt. A la mort de Louis XI subsistent encore quelques grandes principautés : Bretagne, Bourbon-Auvergne, Albret, Foix-Béarn. Il me paraît un peu précoce de parler de « nation unitaire ». L’ouvrage est encore sur le métier à cette époque.]

              Je ne dis pas le contraire. Mais je pense qu’on peut accorder à Louis XI d’avoir été le premier souverain qui se soit fixé cet objectif. Qu’il n’y soit parvenu que très partiellement à l’atteindre ne lui retire pas le mérite. Et sans vouloir vous offenser, je trouve amusant que vous jugiez « trop tôt » de l’attribuer à Louis XI, alors que dans un autre échange vous placiez la chose chez Philippe-Auguste, deux siècles plus tôt !

              [D’où les ambiguïtés de la « politique soviétique des nationalités », renforcée par le fait que les marxistes ont peu travaillé l’idée de « nation », malgré leur admiration pour la révolution française.]
              Eh bien, les bolchéviks ont quand même raté un des points majeurs de la réflexion des révolutionnaires français… Parce que « penser la nation » fut l’axe principal de la réflexion des jacobins et de Bonaparte.]

              Je suis tout à fait d’accord. Et le problème ne touche pas que les Bolchéviks. Les marxistes français ont eux aussi été très frileux dans leur réflexion sur la nation, tout comme ils l’ont été sur la question de l’Etat. C’est le grand mérite de Maurice Thorez et des gens qui l’entouraient d’avoir travaillé ce sujet à une époque où la vision trotskyste de l’internationalisme était dominante.

              [« Elle ne concernait donc pas les paysans, mais les classes moyennes urbaines… » Mais ces classes moyennes urbaines étaient déjà largement russifiées… Le « réflexe nationaliste » n’était donc qu’un combat d’arrière-garde sans avenir.]

              Il est possible que Valouïev ait exagéré le danger que représentait la revendication linguistique. Il est aussi possible qu’il ait compris que cette revendication pouvait servir comme drapeau pour agglutiner les mouvements d’opposition politique à l’autocratie tsariste. Je ne connais pas assez la politique ukrainienne de l’époque pour avoir un avis sur la question.

              [« Taras Chevtchenko fut exilé non parce qu’il écrivait en ukrainien, mais parce qu’il écrivait des poèmes satiriques contre le tsar. » Alors reconnaissez que Chevtchenko, que vous avez qualifié, avec une pointe de mépris, de « sorte de Mistral ukrainien », était un tout petit peu plus subversif que Mistral…]

              Il était certainement plus subversif. Mais il y eut en France d’autres « régionalistes » bien plus politiques que Mistral, qui utilisèrent le régionalisme comme drapeau pour contester le pouvoir républicain. Seulement voilà : ils étaient beaucoup moins dangereux à partir du moment où « l’assimilation intérieure » a commencé à fonctionner. Il ne faut pas oublier que si l’école de la IIIème République a interdit les « patois » dans la cour de récréation, les « patois » se sont éteint dans les échanges amicaux ou familiaux sans qu’il soit besoin d’envoyer les dragons chez les gens.

              [« Pas du tout : toutes deux sont annexées à l’EMPIRE RUSSE, mais ne font pas partie de la RUSSIE propre. » C’est quoi la « Russie propre » ? Les Maris et les Mordves de la Volga et de langue finno-ougrienne en font-ils partie par exemple ?]

              Tout empire repose sur la différentiation entre la métropole et la périphérie. J’ajoute qu’il faudrait être prudent lorsqu’on parle « d’annexion » dans ce contexte. Il y a une différence entre le sort de la Galicie occidentale, intégrée en 1945 à la RSS d’Ukraine, et les pays baltes qui conservent chacun leur « indépendance » en tant que républiques fédérées au sein d’une union fédérale. Peut-on dire par exemple que l’intégration de la Pologne à l’UE constitue une « annexion » ?

              [« Il y a aussi un lien affectif entre la France et la Russie, non ? » Il y en avait un, oui. Nos élites s’acharnent à le détruire, comme elles ont détruit le lien entre la France et la Serbie. Croyez bien que je le regrette, étant plutôt serbophile et russophile. Dans l’affaire russo-ukrainienne, je penche, et de plus en plus, du côté de la Russie, et je pense que l’Occident est malhonnête avec les Ukrainiens en les poussant à prolonger une guerre qu’ils ne peuvent pas gagner. Et je suis convaincu qu’à terme, l’opinion ukrainienne se retournera contre nous. Si Poutine est intelligent – et il l’est – et sait se montrer modéré dans ses exigences, il n’est pas impossible qu’il puisse en profiter.]

              Je partage tout à fait.

              [« La Russie cherchait surtout à « piquer » des bases pour fortifier le voisinage de Leningrad. Ce que demandaient les soviétiques : le port de Hanko, qui commande la sortie du golfe de Finlande, le recul de la frontière en Carelie (avec compensation territoriale) pour mettre Léningrad hors de portée d’artillerie, et la rectification de la frontière nord pour donner à l’URSS un port défendable sur la route de Mourmansk. » Ce paragraphe me laisse pantois, je vous l’avoue : oui mais bon, faut comprendre, les Soviétiques voulaient quelques assurances en termes de sécurité, oh trois fois rien, Léningrad hors de portée de l’artillerie, et un port défendable sur la route de Mourmansk.
              En 1871, les Allemands voulaient, oh trois fois rien, mettre la rive droite du Rhin hors de portée de l’artillerie française et une place forte défendable à l’ouest du fleuve, Metz pour ne pas la nommer, afin de se protéger d’une éventuelle attaque française…]

              Je ne me souviens pas que les Allemands aient proposé à la France de leur accorder ces éléments en échange de compensations. Mais peut-être pourriez-vous m’indiquer quelle était la nature des compensations proposées ? Ne vous faites pas plus naïf que vous ne l’êtes : la guerre de 1871 a été menée d’abord pour des raisons de politique intérieure – si l’on peut utiliser ce terme – allemande, à savoir, pour forcer les états allemands à se fédérer derrière la Prusse. La question de protéger la rive droite du Rhin de l’artillerie française n’a jamais été évoquée…

              J’aurais tendance d’ailleurs à vous retourner la question. Pour vous, quel était l’objectif du gouvernement soviétique pour faire la guerre à la Finlande ? L’agrandissement territorial ? Si tel était le cas, on comprend mal pourquoi, après avoir battu militairement les Finlandais, les Soviétiques se sont contentés de prendre ce qu’ils avaient demandé dès le départ, alors qu’ils auraient pu mettre la main sur bien plus. Alors, quel était l’objectif ?

              [Je vous trouve pour le coup excessivement bienveillant avec l’URSS et très sévère avec les Finlandais, ces salauds qui ont eu l’outrecuidance de refuser de céder ces quelques arpents de territoire national que les Soviétiques leur demandaient en toute « légitimité » bien sûr.]

              Ce n’est pas ce que j’ai dit. Comme le fait dire Jean Renoir à l’un de ses personnages « le plus terrible sur cette terre, c’est que tout le monde a ses raisons ». Les Finlandais avaient de très bonnes raisons de défendre leur territoire, et les Soviétiques de très bonnes raisons de l’occuper. C’est cela, le tragique de l’histoire. Les Soviétiques qu’en cas de guerre la Finlande de Mannerheim était très capable de les attaquer dans le dos. Et vous ne pouvez pas nier que les faits leur ont d donné raison. Après, on peut se demander quelle aurait été l’attitude de Mannerheim devant « Barbarossa » si les soviétiques n’avaient pas traversé la frontière finlandaise en 1939. Peut-être que la Finlande serait restée neutre, voire aurait secouru l’URSS ? Nous ne le saurons jamais. Mais personnellement, je ne le crois pas : Mannerheim n’avait pas attendu 1939 pour exprimer son anticommunisme et son admiration pour les régimes « forts »…

              [Étrangement, chez vous, tout ce que demandent les Soviétiques paraît toujours légitime, pondéré, raisonnable.]

              Tout, non. Pour vous donner un contre-exemple, je pense que l’installation de missiles nucléaires à Cuba n’était pas raisonnable, et qu’une violation aussi évidente des « lignes rouges » ne pouvait que conduire à une confrontation inutile. Mais dans le contexte des années 1920-40, l’URSS a été soumise à une telle avalanche d’actes hostiles de la part des puissances occidentales que j’ai une certaine tendance à leur accorder le bénéfice du doute qu’on accorde souvent à la partie agressée.

              [Pour justifiées qu’aient pu être les revendications soviétiques, cela ne rend pas illégitime la résistance des Finlandais aux dites demandes.]

              Je suis d’accord, et je ne crois pas avoir dit le contraire.

              [« Vous noterez par ailleurs qu’après la défaite de la Finlande, l’URSS ne gardera que les territoires initialement réclamés, alors qu’elle aurait pu avoir beaucoup plus… » Ils sont sympas ces bolchéviks, quand même… Bon, on vous prend une partie de votre territoire – qui était peut-être aussi stratégique pour les Finlandais et leur défense, mais ça, on n’en a rien à foutre – mais juste ce qu’on avait demandé, pas plus.]

              Je n’en fais pas une question de « sympathie ». Je trouve que cette modération tend à montrer que la guerre a été faite pour s’assurer de quelques enclaves précises liés aux besoins de défense, et non à une volonté impérialiste d’acquérir des territoires supplémentaires.

              [Je vous rappelle que, bien que victorieuse, l’Armée Rouge n’a guère brillé face à l’armée finlandaise qui lui a infligé des pertes non-négligeables.]

              Raison de plus pour se payer sur la bête. L’expérience montre que dans les guerres de conquête, le fait d’avoir subi des pertes importantes n’a jamais poussé le conquérant à la modération.

              [« et malgré cette modération, la Finlande attaquera l’URSS le 25 juin 1941, trois jours après le déclenchement par Hitler de l’opération Barbarossa » Juste une question : vous êtes-vous par hasard demandé si ce que vous appelez « modération » avait été perçue ainsi par les élites et l’armée finlandaises, et je ne dis pas vingt ans après mais sur le moment ? C’est très bien de se mettre à la place des Soviétiques, peut-être ne serait-il pas inutile d’essayer de se mettre à la place des Finlandais, non ?]

              Que les Finlandais n’aient pas vu de « modération » dans les concessions imposées par l’URSS, je le conçois volontiers. Au risque de me répéter, je n’ai jamais considéré la résistance de la Finlande comme « illégitime ». Je vous accorde même que la volonté finlandaise de récupérer les territoires disputés est parfaitement légitime. Seulement voilà, paraphrasant Desproges, on a le droit de se battre contre les soviétiques, mais pas allié à n’importe qui. Faciliter l’avance des armées allemandes en 1941 en immobilisant des forces soviétiques, alors que l’expérience polonaise avait montré quelles pouvaient être les conséquences pour les populations, ce n’est pas un geste banal. Et le fait d’avoir des revendications territoriales – même légitimes – à satisfaire n’est pas à mon sens une justification suffisante.

              [Ce chapitre est pratiquement oublié aujourd’hui : en 1808-1809, l’empire russe attaque une Suède largement affaiblie et lui arrache la Finlande érigée en grand-duché, sans doute pour gagner en « profondeur stratégique » et certainement pas pour éliminer un rival historique en Baltique, ce n’est pas le genre des Russes.]

              Cela semble en effet relever de la politique de création d’états-tampons pour éviter le contact direct entre deux puissances, très en vogue à l’époque (la Belgique est créée pour des raisons similaires en 1815-1830). Pour un pays petit et densement peuplé, la logique d’agrandissement territorial est naturelle. Mais quel intérêt pour la Russie, pays vaste et peu peuplé, de chercher à agrandir un territoire déjà immense et qu’on a du mal à contrôler, à administrer, à mettre en valeur ? C’est ce qui explique une constante de la politique extérieure de la Russie depuis plus de deux siècles : la question n’est pas d’agrandir le territoire, mais de le fortifier. De rechercher la profondeur stratégique et à s’entourer d’états « amis » – par la force si nécessaire.

              [Vous postulez, sans doute à juste titre, que les Soviétiques, eux, n’ont jamais eu l’intention d’annexer la Finlande. Mais ne vous vient-il pas à l’idée que les Finlandais, eux, ont pu se méprendre de bonne foi, et être sincèrement préoccupés par une menace qui s’est avérée rétrospectivement inexistante ? Je trouve qu’accuser d’emblée les Finlandais d’avoir refusé de voir à quel point les Soviétiques étaient pondérés et mesurés relève pour le coup d’une partialité outrancière.]

              Je n’accuse personne. Je me contente de rappeler les faits, sans jugement moral. Les soviétiques ont vu dans la position finlandaise – à juste titre ou pas, on ne le saura jamais – une menace en cas d’attaque allemande. Et ils ont fait des propositions pour s’en prémunir. Les Finlandais ont vu – à tort je pense, mais ce n’était pas non plus absurde de leur part – une menace dans la position des Soviétiques, et ont refusé la proposition. Et cela s’est traduit par une guerre. Il n’y a là-dedans aucune considération morale, c’est de la « raison d’Etat » à l’état pur.

              L’histoire a montré que les Soviétiques avaient raison, et que les Finlandais se sont trompés. Mais cela n’est visible qu’a posteriori. Il n’y a donc pas de jugement moral à avoir sur les décisions des uns et des autres en 1939. Tout au plus, on peut reprocher aux Finlandais leur aveuglement en 1941. Parce qu’on ne pouvait alors plus ignorer qu’il y avait une hiérarchie entre les dangers.

              [Pardon de vous le dire, mais vous ne vous contentez plus d’expliquer les actions du gouvernement soviétique de Staline, vous prenez fait et cause pour lui,]

              Je ne pense pas « avoir pris fait et cause » pour personne. Je vous mets au défi de trouver dans mon commentaire une prise de parti.

              [et ceux qui ne comprennent ni n’approuvent sont forcément des cons aux accointances douteuses, des réacs voire des nazillons. Comme Mannerheim et les Finlandais…]

              Pas du tout. Là encore, vous mettez des mots sous ma plume. Il me paraît tout à fait compréhensible que le gouvernement finlandais ait refusé en 1939 les demandes soviétiques, sans qu’ils fussent pour autant « nazillons » ou même « réacs ». Je pense qu’ils ont commis une grave erreur, qui a couté des milliers de vies, mais on peut comprendre leurs raisons.

              Quant à Mannerheim, il était, sinon un « nazillon », un partisan des régimes autoritaires, et cela indépendamment de toute considération sur la guerre de 1939. Et s’il n’était pas « nazi », il n’a pas hésité pour utiliser l’agression allemande à ses propres fins, quitte à aider Hitler à atteindre ses objectifs. C’est là un fait historique difficile à contester.

              [« la Finlande servit volontairement de base au lancement de l’attaque allemande. » L’aurait-elle fait si les Soviétiques ne l’avaient pas attaqué ? L’offensive soviétique de la Finlande a jeté celle-ci dans les bras du III° Reich, c’est un fait. Vous pratiquez une forme d’inversion des responsabilités.]

              L’aurait-elle fait si les soviétiques ne l’avaient pas attaqué ? Nous ne le saurons jamais. Tout ce que nous savons, parce que l’histoire l’a montré, c’est que pour le gouvernement finlandais soutenir une attaque allemande contre l’URSS n’était pas un tabou.

              [« et les troupes finlandaises attaquèrent les troupes soviétiques trois jours plus tard et le gouvernement finlandais manifeste sa volonté non seulement de récupérer les territoires perdus » Comme la France a « manifesté sa volonté » de récupérer l’Alsace-Lorraine en 1918 ? Ils sont vraiment odieux ces Finlandais.]

              Vous devriez lire avec plus d’attention, et éviter de citer des phrases incomplètes. Voici ce que j’avais écrit (les soulignés n’étaient pas dans l’original) : « NON SEULEMENT de récupérer les territoires perdus MAIS de mener une action offensive sur le territoire soviétique ». Je ne pense pas que la France n’ait jamais manifesté en 1918 la volonté de récupérer des territoires autres que ceux perdus lors de la guerre de 1870.

              [« Les troupes finlandaises restèrent sur la frontière d’avant le conflit, et regardèrent sans broncher le martyre de Leningrad. » En mémoire de leurs soldats morts durant la guerre d’hiver, c’est vrai que les Finlandais auraient au moins pu ravitailler Leningrad, et peut-être participer à sa défense tant qu’on y est. C’est la guerre provoquée par l’URSS qui a en partie aggravé le martyre de Leningrad, en faisant de la Finlande une alliée de l’Allemagne.]

              Dans ce monde, il faut faire des choix. Les indépendantistes bretons ont jugé que l’indépendance de la Bretagne valait bien de soutenir l’occupation allemande. On peut les comprendre… mais cela n’a pas empêché de les condamner. Si je suis votre commentaire, les dirigeants finlandais ont estimé que la mémoire de leurs soldats morts pendant la guerre de 1939 méritait qu’on laisse mourir de faim plus d’un million de civils, femmes et enfants compris. Dont acte.

              [Plutôt que de guerroyer contre les Finlandais, Staline aurait peut-être pu travailler à améliorer l’efficacité de ses troupes. Ainsi la Wehrmacht ne serait pas arrivée jusqu’à Leningrad, vous ne pensez pas ?]

              Non, je ne le pense pas. Ce n’était pas une question d’efficacité : l’URSS de 1939 n’avait pas les moyens matériels de mettre sur pied une armée capable d’arrêter les allemands – la France et la Grande Bretagne combinées, alors les premières puissances mondiales sur le plan économique et militaire, n’y sont pas arrivées. On ne pouvait avoir les Allemands qu’à l’usure, et cela supposait, comme écrivait un célèbre stratège, « céder de l’espace pour gagner du temps ».

              [La Finlande a certainement commis des erreurs, mais on ne peut pas exclure que le gouvernement soviétique n’en ait pas commis quelques-unes lui aussi… Mettre tous les malheurs de l’URSS sur le compte de la méchanceté des autres me paraît un raisonnement au mieux simpliste, au pire un brin puéril.]

              Tout à fait d’accord. Et c’est pourquoi je ne mets pas « tous les malheurs de l’URSS sur le compte de la méchanceté des autres ». D’abord parce qu’il ne s’agit pas de « méchanceté » mais d’intérêts. Si l’expérience soviétique a été sabotée par le monde capitaliste, ce n’est pas pour le plaisir de faire le mal, mais parce que le succès d’une telle expérience aurait constitué un énorme danger pour les intérêts de la bourgeoisie. Cela étant dit, je n’ai jamais dit que dans chaque circonstance le gouvernement soviétique ait choisi les meilleures solutions. Et je l’ai écrit abondamment dans mes papiers.

              [Et alors ? Qu’aurait dû faire Mannerheim selon vous ? Il a pris un certain nombre de décisions qui, à ses yeux, étaient conformes à ce qu’il pensait être les intérêts de sa patrie, et qui à l’évidence vous déplaisent.]

              Le paragraphe que vous venez d’écrire aurait pu l’être au sujet de Pétain. Le parallèle entre les deux hommes est d’ailleurs remarquable. Comme Mannerheim, Pétain était un héros militaire vénéré par ses concitoyens. Comme Mannerheim, il avait une réputation plutôt modérée. Comme Mannerheim, Pétain a « pris un certain nombre de décisions qui, à ses yeux, étaient conformes à ce qu’il pensait être les intérêts de sa patrie », essayant d’utiliser les succès de l’Allemagne pour faire avancer ses propres priorités, en évitant dans la mesure du possible d’aller jusqu’à une alliance formelle. Mais à la fin de la guerre, cela bifurque : Pétain est voué aux gémonies, alors que Mannerheim est vénéré dans son pays. Etonnant, non ?

              [Et cela fait de lui un salaud. Staline a fait la même chose, et lui est un héros. Êtes-vous sûr d’éviter le manichéisme que vous reprochez régulièrement à certains commentateurs ?]

              Quand ais-je écrit que Mannerheim était un « salaud » (ou Staline un « héros », d’ailleurs) ? Je vous mets au défi de trouver un tel qualificatif sous ma plume. Et si je l’ai écrit, j’ai eu tort. J’évite très soigneusement dans mes analyses de me placer d’un point de vue moral. Si vous pensez qu’un dirigeant qui soutien l’attaque allemande à l’URSS en espérant que cela lui rapportera quelques km2 de territoire mérite de la considération, c’est parfaitement votre droit et je n’ai rien à dire. Si, tout de même : que cela nous dit comment ce dirigeant conçoit son propre pays. Car lorsque Mannerheim soutint l’attaque contre l’URSS, comment pensait-il que l’histoire allait se terminer ? Soit l’URSS était vaincue, et l’Allemagne allait alors imposer son modèle à toute l’Europe – Finlande comprise – ou bien l’URSS sortait vainqueur, et alors la Finlande allait devoir payer ses mauvaises manières. On peut raisonnablement supposer – à moins de le taxer de masochisme – que Mannerheim a parié pour la première option. Je vous laisse tirer vos propres conclusions…

              [« Comme Franco, il mourut paisiblement dans son lit, entouré de tous les honneurs… » Mannerheim, un salaud parmi les salauds. J’ai bien compris ?]

              Non. Mannerheim un homme qui, comme pour Franco mais aussi Pinochet, Marcos, et une longue liste d’autres personnages, a bénéficié d’une indulgence générale du fait de son anticommunisme. L’appréciation de leur moralité est une question purement personnelle…

              [« Soyons honnêtes : lorsqu’il était au pouvoir, il agissait de même. Souvenez-vous de sa médiation dans l’affaire géorgienne… » Souvenez-vous de la brillante intervention en Libye… ou « De l’usage du régime change à l’américaine », avec les conséquences que l’on sait au Sahel et ailleurs.]

              Quel rapport avec cette discussion ? Ce qui était en discussion, c’était votre remarque sur le changement de langage de Sarkozy entre le moment où il était au pouvoir et aujourd’hui. Je vous avais répondu que, pour ce qui concerne la Russie, ses déclarations d’aujourd’hui sont parfaitement en ligne avec son comportement quand il était au pouvoir. Que vient faire ici l’intervention en Libye ou le « régime change » ? Je ne me souviens pas qu’il tienne sur ces sujets aujourd’hui un discours différent de celui qu’il tenait quand il était à l’Elysée.

              [Par ailleurs, vous m’avez vanté la modération des Soviétiques. Je suis persuadé que Poutine, ancien agent soviétique, a hérité de cette pondération. Il fera ce qu’il faut pour affaiblir l’Ukraine, la neutraliser s’il le peut et il s’arrêtera là, s’il est sage.]

              Je suis d’accord. Comme je l’ai écrit plus haut, la logique de la Russie est de chercher un avantage stratégique, et non un agrandissement territorial. Le territoire russe est déjà immense, pour une population qui d’ailleurs tend à décroitre. Le but est de conserver une profondeur stratégique et s’entourer d’états neutralisés. La neutralité d’une Ukraine affaiblie lui suffira probablement. Peut-être rêve-t-il du contrôle de la côte de la mer noire et d’un port comme Odessa. Mais guère plus.

              [A l’ouest de Kiev, la russophobie est telle que conquérir et contrôler durablement ce territoire représente certainement un coût rédhibitoire pour les Russes. Je vous le répète : ce n’était sans doute pas l’objectif, mais l’offensive russe a renforcé le sentiment national ukrainien au moins dans la moitié ouest du pays.]

              Je ne sais pas. Nous baignons dans un tel océan de propagande que je ne sais plus qui croire. D’un côté, on nous montre des manifestations assez claires d’un « renforcement du sentiment national ». Mais de l’autre, on voit un Zelenski obligé de lancer une grande campagne contre des réseaux de corruption permettant aux jeunes ukrainiens moyennant finance d’échapper à leurs obligations militaires. On trouve beaucoup de signes contradictoires…

              [« quelle est la différence pour vous entre la capacité à dominer un territoire et la légitimité pour le faire. » Du point de vue de celui qui exerce sa domination, aucune différence.]

              Bien sur que si. Il y a une grosse différence entre le voleur qui vous menace de son arme pour avoir votre portefeuille, et le commerçant qui vous facture sa prestation. Le voleur sait que son acte peut lui valoir la prison, le commerçant est lui assuré que le droit sera de son côté.

              [« Que son existence soit LEGITIME, c’est une autre paire de manches. » Légitime aux yeux de qui ? L’existence d’Israël est légitime aux yeux des Israéliens et de leurs chefs, et plusieurs guerres n’ont pas permis aux Arabes d’abattre l’état hébreu. Que vous faut-il de plus ? Invoquer une morale discutable ?]

              La légitimité est toujours un concept subjectif. Elle se trouve dans l’œil de celui qui la reconnaît. La Cosa Nostra ou la N’dranguetta sont certainement légitimes aux yeux de leurs membres et de leurs chefs, et plusieurs guerres entamées par toutes les polices de la planète n’ont pas permis de les éradiquer. Diriez-vous que ces organisations sont dans la même situation que l’Etat d’Israel ?

              Il faut croire qu’avoir résisté aux guerres ne suffit pas. Pourquoi croyez-vous qu’Israel prête autant d’attention aux résolutions des Nations Unies, qu’elle fait un intense lobbying pour empêcher que des résolutions qui condamnent ses politiques soient votées ? Pourquoi l’Etat d’Israel tient tellement à ce que les ambassades déménagent de Tel Aviv à Jérusalem ?

              [Les Israéliens mettent en culture leur territoire, bâtissent des villes, des ports, des usines, des centrales électriques. N’ont-ils pas fécondé par la sueur et le travail la terre qu’ils ont conquis par l’épée ? Alors que vous faut-il ?]

              Moi, il ne me faut rien. Il est évident pour moi que le travail fait par les israéliens pour mettre en valeur leur pays a fait plus pour leur légitimité que l’invocation des faits vieux de deux-mille ans ou les résolutions votées par l’ONU il y a bientôt un siècle.

              [Compte tenu de votre argumentation sur le privilège du dernier arrivant et sur la mise en valeur d’un territoire, vous devriez applaudir Israël qui pousse même la vertu jusqu’à accorder la citoyenneté à une partie des autochtones arabophones.]

              Je ne crois pas avoir contesté la légitimité de l’Etat d’Israël. Ce que je conteste, c’est qu’on puisse fonder cette « légitimité » sur des faits bibliques ou historiques vieux de deux millénaires. Pour moi, si l’Etat d’Israel est légitime ce n’est pas parce que les juifs étaient là il y a deux mille ans, mais parce que depuis trois générations les israéliens labourent la terre, construisent des universités, des écoles, des routes, des ports, des musées. Je pense d’ailleurs que cela illustre bien la question du « dernier occupant ». Et pour ce qui me concerne, je ne peux qu’applaudir le fait qu’Israël accorde la citoyenneté à une partie des autochtones (qu’ils soient ou non « arabophones »). Ce qui me gêne, c’est précisément que cette citoyenneté est refusée à l’autre partie des autochtones… c’est-à-dire à ceux qui étaient les habitants historiques de la région.

              [« Les géorgiens, par exemple, étaient assez bien assimilés, et on trouve d’ailleurs pas mal de géorgiens dans des hautes positions politiques en Russie, avant et après la révolution. C’était aussi le cas des Lettons. » Ce qui relativise votre affirmation comme quoi la Russie tsariste n’a pas mené de politique d’assimilation…]

              Rien n’est tout à fait blanc ni tout à fait noir sur ces questions. Tous les gouverneurs n’étaient pas nécessairement sur la même ligne de pensée, et plus les régions étaient éloignées, plus l’autonomie du gouverneur était grande. On a vu ça et là des politiques de « russification » plus ou moins fortes, et même dans certains cas d’assimilation. Ce que je voulais dire quand j’écrivais que la Russie n’a pas mené de politique d’assimilation, c’est qu’il n’y a pas eu de décision centralisée de faire une politique uniforme d’assimilation sur tout le territoire, comme ce fut le cas en France…

              [« Pourquoi les Grecs plus que les Romains, et les Romains plus que les Ottomans de Mehmed et Soliman ? » D’abord, les Grecs sont les héritiers des Byzantins qui étaient autant Romains que Grecs (en tout cas ils se considéraient comme des Romains de langue grecque, d’où le fait que les Arabes et les Turcs les appelaient « Roums »).]

              J’ai l’impression qu’il y a un problème de vocabulaire. Quand vous parlez ici des Grecs, s’agit-il des Grecs antiques, ou des Grecs modernes ? Byzance (qui deviendra plus tard Constantinople puis Istanbul) ne doit pas grande chose aux grecs antiques : jusqu’à la conquête romaine, c’était une petite ville. Elle est d’ailleurs rasée par Septime Sévère en 195. C’est avec Constantin Ier, qui rompt avec la logique des capitales multiples imposée par Dioclétien et choisit Byzance pour être la « nouvelle Rome » (le titre lui sera donné officiellement par le Concile de Chalcédonie au Vème siècle), que la ville se développe avec toute l’infrastructure qui sied à une capitale impériale (Forum, Sénat, Capitole, cloaques, aqueducs, citernes, et bien sur commerces).

              [Quant aux Ottomans… Ils ont transformé Sainte-Sophie en mosquée avant de bâtir des copies de Sainte-Sophie à Constantinople et ailleurs. Résultat : aujourd’hui encore, à Istanbul, c’est en grande partie l’héritage gréco-romano-byzantin qui donne son cachet à la ville. Les Turcs sont des usurpateurs, rien de plus.]

              Ne vous laissez pas porter par votre atavisme… visitez le Topkapi, ça vaut quand même la peine.

          • François dit :

            @Descartes,
            [Le « bloc dominant » aujourd’hui n’a aucune envie de payer le coût d’une diplomatie indépendante. Il préfère s’enrichir à l’abri du parapluie américain, quitte à payer le tribut à son protecteur.]
            Je ai du mal à voir en quoi les économies générés par une diplomatie indépendante sont supérieures à ses surcoûts compte tenu du grand nombre de coup de poignards dans le dos que nous infligent, surtout que la France a les moyens disponibles pour mener une diplomatie indépendante. Non, le problème, c’est aliénation mentale de nos élites.
             
            [C’est une logique qui a bien réussi à l’Allemagne, qui est pour nos classes dominantes un exemple à suivre.]
            Qui avait bien réussi à l’Allemagne, les Yankees ayant décidé de faire payer son alliance (encore une fois) économique à la Russie en lui privant l’accès à son gaz.
             
            [Par quel traité ? L’URSS n’a jamais reconnu « par traité » l’Independence des pays baltes.]
            Traité de Tartu :

            Article 2.
             Partant du droit de tous les peuples à disposer librement d’eux-mêmes jusqu’à se séparer complètement de l’État dont ils font partie, droit proclamé par la République socialiste et fédérative russe des Soviets, la Russie reconnait sans réserve l’indépendance et l’autonomie de l’État d’Estonie et renonce volontairement et pour toujours à tous les droits de souveraineté que possédait la Russie sur le peuple et le territoire estoniens en vertu de l’ordre juridique préexistant en droit public, aussi bien qu’en vertu des traités internationaux qui, dans la pensée indiquée ici, perdent leur force pour l’avenir.
            Du fait que l’Estonie a appartenu à la Russie, il ne découle aucune obligation envers la Russie pour le peuple et le territoire d’Estonie.

            https://mjp.univ-perp.fr/traites/1920tartu.htm
             
            Traité de Moscou :

            Article premier.
            Se fondant sur la déclaration faite par la République Socialiste Fédérative des Soviets de Russie, que tous les peuples ont le droit de libre détermination, droit qui va jusqu’à leur séparation complète de l’État, dont ils faisaient partie, la Russie reconnaît sans arrière pensée l’indépendance et la souveraineté de l’État lithuanien, avec toutes les conséquences juridiques découlant de cette reconnaissance, et elle renonce volontairement, et à tout jamais, à tous ses droits souverains sur la nation lithuanienne et sur son territoire.

            https://mjp.univ-perp.fr/traites/1920moscou.htm
             
            Traité de Riga :

            Article 2.
            En vertu du principe proclamé par la République socialiste fédérative des Soviets de Russie, qui établit le droit de tous les peuples à la libre disposition d’eux-mêmes, allant jusqu’à la séparation totale des États auxquels ils se trouvaient incorporés, et vu la volonté exprimée par le peuple latvien de posséder une existence nationale indépendante, la Russie reconnaît sans réserve aucune l’indépendance et la souveraineté de l’État latvien et renonce volontairement et irrévocablement à tous les droits souverains qui ont appartenu à la Russie sur le peuple et le sol latviens en raison du droit constitutionnel qui existait, aussi bien que des tractations internationales, lesquelles, dans le sens indiqué ici, perdent leur force pour l’avenir.
            De l’état antérieur de sujétion à la Russie, il ne découle pour le peuple et le sol latviens aucune obligation vis-à-vis de la Russie.

            https://mjp.univ-perp.fr/traites/1920riga.htm
             
            L’URSS a donc bien reconnu l’indépendance des états Baltes.
             
             
            [Il est d’ailleurs à noter que les puissances occidentales étaient réticentes à reconnaître l’indépendance des états baltes. En effet, après 1918 on pensait que le régime bolchévique était passager, et qu’après leur chute on pourrait reconstituer l’empire russe…]

            « Les Baltes profitent toutefois des Révolutions de 1917 pour se libérer. Appuyés notamment par le Danemark, la France et le Royaume-Uni, ils mènent une guerre d’indépendance jusqu’en 1920 contre les armées russes blanches, l’Armée rouge et les corps francs allemands (unités paramilitaires anticommunistes). En 1920, les trois nations baltes acquièrent leur indépendance, reconnue internationalement à la Conférence des pays alliés de Paris en 1921 grâce au soutien du président français Alexandre Millerand et de son ministre des Affaires étrangères Aristide Briand. »

            https://www.slate.fr/story/224730/tribune-craintes-pays-baltes-russie-otan-guerre-ukraine-estonie-lettonie-lituanie
             
            [L’annexion des états baltes par l’URSS en 1940 n’est pas, juridiquement, très différente de l’annexion de l’Alsace par la France en 1918…]
            Si l’on considère la très courte période « d’indépendance », l’Alsace n’avait jamais été reconnue indépendante internationalement, encore moins admise à la SDN, à la différence des états Baltes.
             
            [Que je sache, personne n’a demandé aux Alsaciens leur avis en 1918.]
            En effet, personne ne leur a demandé leur avis pour qu’ils accueillent triomphalement l’arrivée des troupes françaises en Alsace-Lorraine.
             
            [La question se pose, et beaucoup d’historiens – pas seulement allemands d’ailleurs – soutiennent que oui. Que le traité de Versailles étant un traité léonin imposé par la force des armes, les Allemands avaient le droit de le contourner.]
            Vous voulez dire qu’après mai 1945, les reliquats de l’administration nazie auraient été en droit de résister, de « contourner » les actes léonin de capitulation du IIIe Reich, stipulant sa disparition pour être remplacée par une administration militaire des Alliés ?
            Je ne sais pas ce qu’est un traité « non léonin », car après tout, tout traité est au fond le résultat d’un rapport de forces, la victoire militaire (totale) d’une partie sur l’autre étant le rapport de force ultime.
            La seule chose que je peux dire, c’est vae victis à celui qui déclenche la guerre et la perd (et n’oublions pas qu’en 1914 c’est l’Allemagne qui a déclaré la guerre à la France et non l’inverse, foulant au passage la neutralité de la Belgique).
            En 1914 (comme en 1870 pour la France), l’Allemagne a à ses risques et périls déclenché la guerre, ainsi, le traité de Versailles n’est qu’une concrétisation de ces risques et périls.
            Bref, Keynes, sortez de ce corps !
             
            [On peut penser ce qu’on veut de l’intervention soviétique en Afghanistan, mais les formes légales ont été strictement respectées. Plusieurs demandes d’intervention avaient été formulées par le gouvernement afghan auprès du gouvernement soviétique]
            Hafizullah Amin avait demandé une intervention pour se faire liquider ?
             
            [suite à la signature par Jimmy Carter de l’ordre du 3 juillet 1979 qui prévoyait une aide aux islamistes combattant le régime « communiste » de Kaboul.]
            Quel rapport avec la liquidation de Hafizullah Amin ?
             
            [L’assassinat comme moyen de résoudre les conflits internes aux régimes « aidés » sont une vieille tradition américaine]
            Soviétique aussi. Pensez également à Imre Nagy. Vous me répondrez que cela a été à l’issue d’un procès, mais comme pour Ngo Dinh Diem, les formes ont été conservées (procès déguisé d’un côté, assassinat par ses propres troupes de l’autre).
             
            [Probablement pas, chaque pays a son génie propre. Mais il aurait trouvé certainement une preuve qu’on peut produire vivre bien sans les capitalistes. Et cela, les capitalistes ne pouvaient pas le tolérer.]
            La France devenir un état totalitaire ? On notera que même au sein de l’extrême droite des années 30 (et même sous le régime de Vichy), les fascistes français ont été minoritaires (la première place étant trustée par les royalistes), et ce malgré les « réussites » des régimes totalitaires allemands et italiens.
             
            [J’aimerais bien savoir sur quelles sources vous vous appuyez pour attribuer cette motivation aux interventions des puissances occidentales.]
            Et les vôtres ? Voici ce que je trouve sur Wikipedia (non sourcé certes) :

            À partir d’avril 1918, les Alliés — français et britanniques — interviennent dans le Nord et dans le Sud du pays pour contrer l’occupation allemande consécutive au traité de Brest-Litovsk. Les bolcheviks ne sont pas initialement hostiles à leur arrivée — Léon Trotski conseille même au soviet de Mourmansk d’accepter leur aide contre toute menace allemande, et laisse d’abord dans l’imprécision l’ennemi que la toute récente Armée rouge aura à affronter : Allemands ou Alliés ? L’armistice de Rethondes prévoit par ailleurs l’annulation du désastreux traité de Brest-Litovsk que le gouvernement bolchevique a signé en mars 1918.
            Ce n’est qu’après leur victoire de novembre 1918 que les Alliés prennent ouvertement position contre les Rouges et aux côtés des Blancs. Écœurés par le traité de Brest-Litovsk qui a permis au Kaiser de transférer ses divisions d’Est en Ouest et de manquer de peu de remporter la victoire en France, beaucoup de dirigeants occidentaux s’en tiennent à l’époque à la thèse d’un Lénine agent des « Boches », et conçoivent au départ leur intervention comme un prolongement de la lutte contre l’Allemagne. S’y mêle ensuite la peur de la contagion révolutionnaire. Comme le déclara Winston Churchill, certes anti-bolchevik particulièrement virulent même au regard des critères de l’époque, « le bolchevisme doit être étranglé dans son berceau ». Cependant, son Premier ministre David Lloyd George expose le 22 juillet 1918 que « le type de gouvernement mis en place par les Russes ne regarde pas la Grande-Bretagne : république, état bolchevik ou monarchie ». Le président américain Woodrow Wilson pense de même, et refuse de s’engager trop loin dans l’intervention

            https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_civile_russe#L'intervention_étrangère
             
            Les sentiments à l’égard de la Russie bolchévique au tout début semblent avoir été mêlés, entre indifférence et volonté d’en finir. On notera par ailleurs que le pourtant très anticommuniste Churchill sût faire par la suite preuve de plus de lucidité.
            Outre la volonté de réparer sa souillure qu’a été d’avoir été fait prisonnier de guerre, est-ce par anticommunisme qu’un certain capitaine Charles de Gaulle s’est déclaré volontaire pour soutenir la jeune Pologne ? Tout comme ce qui à cette période (voire jusqu’en 1940), était encore un catholique réactionnaire état-major français détestant les élites bourgeoises de la IIIe République bouffeuses de curés, il devait y avoir peu de place pour une deuxième obsession, somme toute lointaine (géographiquement) pour leurs intérêts de classe, faisant de la lutte du communisme un objectif prioritaire aussi absurde que la lutte contre les protestants libéraux anglo-saxons.
             
            [Oui. Tant que les biens échangés n’étaient pas dans la « liste noire », aucun problème. Des Pepsi ou des Lada, oui. Des machines-outils, des équipements électroniques, des turbines, non.]
            Dans la mesure où le bloc capitaliste et le bloc communiste étaient ennemis, vous ne vous attendez tout de même pas à ce qu’ils leur fournissent des technologies à « double usage » ? On notera tout de même que FIAT fit construire une réplique de son usine turinoise Mirafiori à Togliatti, tout comme l’URSS exporta des VVER en Finlande. Donc non, c’est faux de dire que l’Occident a décidé de laisser l’URSS dans son coin, avec moins d’entrain certes que pour d’autre pays, mais il y a quand même eu des échanges commerciaux non négligeables, sauf à considérer la construction d’une usine automobile comme subsidiaire.
            D’ailleurs, la France a même collaboré dans le domaine informatique avec l’URSS, suite au refus des Américains de lui fournir des calculateurs nécessaires au développement de son arsenal nucléaire : https://books.google.ch/books?id=-jSqCAAAQBAJ&pg=PA237#v=onepage&q&f=false
             
            [J’aimerais bien connaître un exemple de pays ayant « fait des miracles » après avoir perdu entre 13% et 16% de sa population.]
            Je pense à la Corée du Sud qui a un moment était l’un des pays les plus pauvres du monde (64$ de PIB/hab en 1955), et qui également a perdu une grosse partie de sa population à la suite de la guerre de Corée.
             
             
            [Le seul pays comparable par l’ampleur des destructions et des pertes à l’URSS est l’Allemagne, et son « miracle » est largement lié aux milliards de dollars déversés par les Américains dans le cadre du Plan Marshall.]
            Seulement, le décrochage économique de l’URSS date des années 70, soit bien après le plan Marshall. Et je rappelle que l’URSS était un pays riche, très riche en ressources naturelles. Sans oublier le CACEM, qui permettant une coopération économique entre les pays du bloc de communiste devant être mutuellement bénéfique.
             
            [Je ne vois pas très bien d’où vous tirez ça. Quelle était « l’influence » de la France ou de la Grande Bretagne sur la Pologne ? Auriez-vous oublié que la Pologne a joué dans le camp de l’Allemagne à Munich en 1938 ?]
            Que la Pologne ait par la suite décidé de faire des bêtises n’enlève pas qu’elle était une alliée, au moins dans les années 20.
             
            [Dites ça aux détenteurs d’emprunts russes… Non, les bolchéviques se plaçaient en rupture avec l’empire russe. Ils l’ont bien marqué en dénonçant tous les traités conclus par l’Empire, renonçant à toutes les créances et dettes contractées par lui.]
            Je vais dire ça à mon banquier que le « moi d’aujourd’hui » décide de se placer en « rupture » avec le « moi d’hier », je suis sûr qu’il va apprécier…
             
            [Cette idée, bien établie en 1920, n’était que balbutiante au XVIIème siècle.]
            Bien établie donc au moment de la révolution bolchévique.
             
            [Comparez la différence de l’accueil entre les Russes blancs ayant combattu les Bolchéviques, et celui des réfugiés espagnols ayant combattu Franco.]
            Combien de Russes blancs en combien de temps, combien de Républicains espagnols en combien de temps ?
             
            [La Côte d’Azur pour les uns, le camp de Rivesaltes pour les autres. Je vous laisse tirer les conclusions.]
            Adrien Bérégovoy a tiré les siennes… Bref, ceux qui parmi les Russes blancs ont pu couler une paisible retraite sur la côté d’Azur étaient ceux qui avaient suffisamment bien assuré leurs arrières, pour les autres c’était démerdez-vous, la IIIe République ayant eu autre chose à faire que leur distribuer domaines et rentes.
             
            [Non, mais les troupes américaines sont sorties de leurs casernes pour écraser des « insurrections » en Irak ou en Afghanistan (pensez à Falloudjah, ou bien aux Talibans). Bien entendu, à la demande des gouvernements locaux, comme en Pologne…]
            Certes, mais je me constate juste de remarquer que la présence américaine semble bien plus agréable aux Polonais que fut celle des Soviétiques (et à plus forte raison des Allemands), beaucoup plus que pour les Afghans et Irakiens bien évidement.
             

            • Descartes dit :

              @ François

              [Je ai du mal à voir en quoi les économies générés par une diplomatie indépendante sont supérieures à ses surcoûts compte tenu du grand nombre de coup de poignards dans le dos que nous infligent, surtout que la France a les moyens disponibles pour mener une diplomatie indépendante. Non, le problème, c’est aliénation mentale de nos élites.]

              Des pays comme l’Allemagne ont fait le choix de se mettre sous le « parapluie » américain en renonçant à toute politique extérieure indépendante. Ca leur a très bien réussi. Certes, il faut de temps en temps prendre des coups de poignard dans le dos (concurrence déloyale, harcèlement judiciaire, amendes arbitraires). Mais j’imagine que les Allemands savent compter, et qu’ils tirent de cette situation plus d’avantages que d’inconvénients.

              [« C’est une logique qui a bien réussi à l’Allemagne, qui est pour nos classes dominantes un exemple à suivre. » Qui avait bien réussi à l’Allemagne, les Yankees ayant décidé de faire payer son alliance (encore une fois) économique à la Russie en lui privant l’accès à son gaz.]

              Mais ce n’est pas allé très loin : le gaz américain a coulé à flots, et je ne vois pas les allemands mis à genoux…

              [« Par quel traité ? L’URSS n’a jamais reconnu « par traité » l’Independence des pays baltes. » Traité de Tartu : (…) L’URSS a donc bien reconnu l’indépendance des états Baltes.

              Le traité de Tartu a été signé par la Russie, et non par l’URSS qui n’existait pas à l’époque. Même chose pour les traités de Moscou et de Riga. Donc, l’URSS n’a pas reconnu l’indépendance des états Baltes…

              [« Il est d’ailleurs à noter que les puissances occidentales étaient réticentes à reconnaître l’indépendance des états baltes. En effet, après 1918 on pensait que le régime bolchévique était passager, et qu’après leur chute on pourrait reconstituer l’empire russe… » « Les Baltes profitent toutefois des Révolutions de 1917 pour se libérer. Appuyés notamment par le Danemark, la France et le Royaume-Uni, ils mènent une guerre d’indépendance jusqu’en 1920 contre les armées russes blanches, l’Armée rouge et les corps francs allemands (unités paramilitaires anticommunistes).]

              Les pays baltes ont mené une guerre contre « les armées russes blanches » ? Pourriez-vous donner un exemple précis d’opérations militaires contre les « blancs » ? Je crains que ce discours fasse partie de la réécriture de l’histoire…

              « En 1920, les trois nations baltes acquièrent leur indépendance, reconnue internationalement à la Conférence des pays alliés de Paris en 1921 grâce au soutien du président français Alexandre Millerand et de son ministre des Affaires étrangères Aristide Briand. »]

              Tout à fait : en 1920, on avait compris que les bolchéviks étaient installés pour durer…

              [« L’annexion des états baltes par l’URSS en 1940 n’est pas, juridiquement, très différente de l’annexion de l’Alsace par la France en 1918… » Si l’on considère la très courte période « d’indépendance », l’Alsace n’avait jamais été reconnue indépendante internationalement, encore moins admise à la SDN, à la différence des états Baltes.]

              La France avait reconnu en 1871 par traité l’appartenance de l’Alsace à l’Allemagne (traité de Francfort), cession reconnue internationalement ; Elle a annexé l’Alsace en 1918 par la force des armes. La Russie avait reconnu le détachement des états Baltes en 1917 (traité de Brest-Litovsk), elle annexe les trois états en 1940. Je ne vois pas trop la différence.

              [« Que je sache, personne n’a demandé aux Alsaciens leur avis en 1918. » En effet, personne ne leur a demandé leur avis pour qu’ils accueillent triomphalement l’arrivée des troupes françaises en Alsace-Lorraine.]

              Les français ont accueilli triomphalement les troupes américaines en 1944. Je doute cependant qu’un référendum de rattachement de la France aux Etats-Unis aurait obtenu une majorité.

              [Vous voulez dire qu’après mai 1945, les reliquats de l’administration nazie auraient été en droit de résister, de « contourner » les actes léonins de capitulation du IIIe Reich, stipulant sa disparition pour être remplacée par une administration militaire des Alliés ?]

              Je ne vois pas très bien en quoi les actes de capitulation du IIIème Reich pourraient être considérés comme « léonins ». Contrairement au traité de Versailles, ils n’imposaient pas à l’Allemagne de grandes concessions territoriales, de lourdes réparations, ni même un désarmement… Mais oui, des Allemands ont estimé avoir le droit de résister aux alliés, et ce droit leur a été reconnu. Ainsi, par exemple, des criminels de guerre allemands ont été protégés par les institutions, et les alliés n’ont rien fait pour les amener devant la justice. Je vous remets à l’exemple du général Lammerding, il est très éclairant…

              [Je ne sais pas ce qu’est un traité « non léonin », car après tout, tout traité est au fond le résultat d’un rapport de forces, la victoire militaire (totale) d’une partie sur l’autre étant le rapport de force ultime.]

              La notion est certainement très subjective. Il n’empêche que certains traités sont plus évidemment abusifs que d’autres.

              [En 1914 (comme en 1870 pour la France), l’Allemagne a à ses risques et périls déclenché la guerre, ainsi, le traité de Versailles n’est qu’une concrétisation de ces risques et périls. Bref, Keynes, sortez de ce corps !]

              L’exorcisme n’est pas nécessaire. Je ne suis pas de ceux qui pensent que le traité de Versailles était « léonin », même si je pense qu’il était relativement dur. Cela n’empêche que la question du respect des traités se pose. Si un traité n’est que l’expression du rapport de forces à un moment donné, il faut accepter qu’un changement dans le rapport de forces se traduise par la violation des traités qui ne correspondent plus à l’état du rapport de forces. Et dans cette logique, on ne peut reprocher à l’URSS d’avoir cherché à récupérer ce que la Russie avait été obligée d’abandonner par la force des armes, traité ou pas traité. Dans cette logique, seuls les traités conclus librement – c’est-à-dire, issus d’une volonté et non d’un rapport de forces – sont sacrés (ex. le traité de l’Elysée).

              [« On peut penser ce qu’on veut de l’intervention soviétique en Afghanistan, mais les formes légales ont été strictement respectées. Plusieurs demandes d’intervention avaient été formulées par le gouvernement afghan auprès du gouvernement soviétique » Hafizullah Amin avait demandé une intervention pour se faire liquider ?]

              Je ne sais pas si Hafizullah Amin savait qu’il se ferait liquider. La mort d’Amin fait partie des obscurs conflits entre les différentes fractions du parti au pouvoir en Afghanistan. Les soviétiques ont choisi de soutenir la fraction dont Karmal était le leader contre celle d’Amin. La situation est assez comparable avec celle de Ngo Dinh Diem, qui appela les américains à la rescousse et finit assassiné par eux.

              [« suite à la signature par Jimmy Carter de l’ordre du 3 juillet 1979 qui prévoyait une aide aux islamistes combattant le régime « communiste » de Kaboul » Quel rapport avec la liquidation de Hafizullah Amin ?]

              Les américains cherchaient à faire tomber le gouvernement « commmuniste » de Kaboul, et l’une des techniques utilisées était d’attiser les lutes de fractions à l’intérieur du parti au pouvoir.

              [« L’assassinat comme moyen de résoudre les conflits internes aux régimes « aidés » sont une vieille tradition américaine » Soviétique aussi. Pensez également à Imre Nagy.]

              Je ne vois pas très bien en quoi la mort de Nagy rentre dans le cadre des « conflits internes aux régimes aidés ». Nagy est mort parce qu’il avait retiré son pays du Pacte de Varsovie et proclamé sa neutralité, chose que les soviétiques ne pouvaient pas accepter. De gaulle a failli courir le même sort pour des raisons analogues…

              [« Probablement pas, chaque pays a son génie propre. Mais il aurait trouvé certainement une preuve qu’on peut produire vivre bien sans les capitalistes. Et cela, les capitalistes ne pouvaient pas le tolérer. » La France devenir un état totalitaire ?]

              Pourquoi « totalitaire » ? On peut parfaitement en finir avec l’exploitation capitaliste, sans pour autant devenir « totalitaire », non ?

              [On notera que même au sein de l’extrême droite des années 30 (et même sous le régime de Vichy), les fascistes français ont été minoritaires (la première place étant trustée par les royalistes), et ce malgré les « réussites » des régimes totalitaires allemands et italiens.]

              C’est bien mon point. Chaque pays a sa tradition politique. Le « totalitarisme » concevable en Russie, dans un pays qui sortait d’une longue tradition autocratique, n’avait aucune chance en France, et cela quel que soit le signe politique des « totalitaires ». Le socialisme en France aurait probablement pris d’autres formes politiques, de la même manière que l’extrême droite française a pris d’autres formes que celles choisies par les extrêmes droites allemande ou italienne…

              [Voici ce que je trouve sur Wikipedia (non sourcé certes) : « À partir d’avril 1918, les Alliés — français et britanniques — interviennent dans le Nord et dans le Sud du pays pour contrer l’occupation allemande consécutive au traité de Brest-Litovsk. Les bolcheviks ne sont pas initialement hostiles à leur arrivée — Léon Trotski conseille même au soviet de Mourmansk d’accepter leur aide contre toute menace allemande, et laisse d’abord dans l’imprécision l’ennemi que la toute récente Armée rouge aura à affronter : Allemands ou Alliés ? L’armistice de Rethondes prévoit par ailleurs l’annulation du désastreux traité de Brest-Litovsk que le gouvernement bolchevique a signé en mars 1918.
              Ce n’est qu’après leur victoire de novembre 1918 que les Alliés prennent ouvertement position contre les Rouges et aux côtés des Blancs. Écœurés par le traité de Brest-Litovsk qui a permis au Kaiser de transférer ses divisions d’Est en Ouest et de manquer de peu de remporter la victoire en France, beaucoup de dirigeants occidentaux s’en tiennent à l’époque à la thèse d’un Lénine agent des « Boches », et conçoivent au départ leur intervention comme un prolongement de la lutte contre l’Allemagne. S’y mêle ensuite la peur de la contagion révolutionnaire. Comme le déclara Winston Churchill, certes anti-bolchevik particulièrement virulent même au regard des critères de l’époque, « le bolchevisme doit être étranglé dans son berceau ». Cependant, son Premier ministre David Lloyd George expose le 22 juillet 1918 que « le type de gouvernement mis en place par les Russes ne regarde pas la Grande-Bretagne : république, état bolchevik ou monarchie ». Le président américain Woodrow Wilson pense de même, et refuse de s’engager trop loin dans l’intervention »]

              Je rappelle votre affirmation, que ces paragraphes sont censés soutenir : « C’est qu’il fallait quand même bien s’assurer que le morcellement issu de l’éclatement des empires centraux et orientaux soit pérennisé et que la Russie post-1918 ne puisse suite à son lâchage indument rafler la mise, ne serait-ce récupérer sa mise de départ surtout avec ses velléités expansionnistes de révolution mondiale. » Pouvez-vous m’indiquer le rapport entre le texte cité et votre affirmation ? Je ne vois la moindre trace d’une « volonté de s’assurer que le morcellement soit pérennisé » et encore moins d’une volonté d’empêcher que « la Russie post-1918 ne puisse suite à son lâchage indument rafler la mise ».

              [« Oui. Tant que les biens échangés n’étaient pas dans la « liste noire », aucun problème. Des Pepsi ou des Lada, oui. Des machines-outils, des équipements électroniques, des turbines, non. » Dans la mesure où le bloc capitaliste et le bloc communiste étaient ennemis, vous ne vous attendez tout de même pas à ce qu’ils leur fournissent des technologies à « double usage » ?]

              Je vois mal en quoi une machine-outil ou une turbine de barrage hydraulique est un « bien à double usage ». Par ailleurs, je ne suis pas étonné que les puissances capitalistes aient cherché à saboter l’économie soviétique. C’est dans l’ordre des choses, bien sûr, tout comme il est parfaitement logique qu’ils aient financé des « partisans » pour saboter les infrastructures, des « dissidents » pour faire de la propagande, ou l’assassinat des dirigeants jugés « gênants ». Ce que je trouve amusant, c’est le discours qui d’un côté trouve ces actes « normaux », et qui d’un autre côté prétend que l’URSS avait librement accès au commerce international…

              [On notera tout de même que FIAT fit construire une réplique de son usine turinoise Mirafiori à Togliatti, tout comme l’URSS exporta des VVER en Finlande. Donc non, c’est faux de dire que l’Occident a décidé de laisser l’URSS dans son coin, ]

              Ce n’est pas ce que j’ai dit. S’il vous plait, ne mettez pas des mots sous ma plume. Ce que j’ai dit, c’est que l’URSS n’avait pas eu accès librement aux marchés internationaux, c’est tout. Cela n’exclut pas ponctuellement des opérations commerciales plus ou moins importantes.

              [D’ailleurs, la France a même collaboré dans le domaine informatique avec l’URSS, suite au refus des Américains de lui fournir des calculateurs nécessaires au développement de son arsenal nucléaire :]

              Il faut dire qu’à l’époque la France était aussi soumise à des restrictions commerciales par les américains, suite à l’entêtement d’un certain général deux étoiles à doter la France d’une force de dissuasion nucléaire autonome. Un général qu’on accusa d’ailleurs d’être un allié objectif des communistes… et ce fut le début d’une coopération nucléaire fructueuse pour les deux pays, qui se prolonge encore aujourd’hui.

              [« J’aimerais bien connaître un exemple de pays ayant « fait des miracles » après avoir perdu entre 13% et 16% de sa population. » Je pense à la Corée du Sud qui a un moment était l’un des pays les plus pauvres du monde (64$ de PIB/hab en 1955), et qui également a perdu une grosse partie de sa population à la suite de la guerre de Corée.]

              Les pertes en vies humaines de la guerre de Corée ont été de 2 millions pour l’ensemble des deux Corées, les pertes étant d’ailleurs plus importantes au nord qu’au sud. La population de la Corée du sud, en 1949, était de 20 millions d’habitants. Les pertes sont donc plus proches de 5%, moitié moindres que pour l’URSS. Accessoirement, la Corée du Sud a bénéficié, comme l’Allemagne, de la manne américaine…

              [« Le seul pays comparable par l’ampleur des destructions et des pertes à l’URSS est l’Allemagne, et son « miracle » est largement lié aux milliards de dollars déversés par les Américains dans le cadre du Plan Marshall. » Seulement, le décrochage économique de l’URSS date des années 70, soit bien après le plan Marshall. Et je rappelle que l’URSS était un pays riche, très riche en ressources naturelles.]

              Oui, comme le Brésil ou la RDC. La richesse en ressources naturelles n’est pas une garantie de développement, au contraire, cela favorise les économies de rente. Quant au décrochage… cela dépend ce que vous entendez par là. Bien sûr, l’URSS connaît dans les années 1950 une croissance forte. Mais il s’agit d’une « croissance de rattrapage », compte tenu des destructions de guerre. Mais il faudra attendre 1970 pour récupérer le niveau de production de 1939… et en 1970 l’économie soviétique commence à ressentir l’effet du déficit démographique. En 1970, il manque à l’économie soviétique les enfants qui auraient du naître entre 1945 et 1950… et qui ne sont pas nés parce que leurs parents étaient morts. Imaginez ce que ce serait de gérer la pyramide des âges avec autant de classes creuses…

              [« Je ne vois pas très bien d’où vous tirez ça. Quelle était « l’influence » de la France ou de la Grande Bretagne sur la Pologne ? Auriez-vous oublié que la Pologne a joué dans le camp de l’Allemagne à Munich en 1938 ? » Que la Pologne ait par la suite décidé de faire des bêtises n’enlève pas qu’elle était une alliée, au moins dans les années 20.]

              Mais dans les années 1930, une alliée… de l’Allemagne. Pensez aux très cordiales relations entre l’Allemagne hitlérienne et la Pologne de Pilsudski qui aboutit au pacte germano-polonais de 1934. Ou à la manière dont la Pologne a participé au dépècement d’un allié de la France, la Tchécoslovaquie, en 1938.

              [Je vais dire ça à mon banquier que le « moi d’aujourd’hui » décide de se placer en « rupture » avec le « moi d’hier », je suis sûr qu’il va apprécier…]

              Vous pouvez parfaitement renier les dettes de votre père. Il vous suffit de renoncer à l’héritage. Et votre banquier n’y peut rien. Exactement ce que les bolchéviques ont fait vis-à-vis de leur « père », l’empire russe.

              [« Comparez la différence de l’accueil entre les Russes blancs ayant combattu les Bolchéviques, et celui des réfugiés espagnols ayant combattu Franco. » Combien de Russes blancs en combien de temps, combien de Républicains espagnols en combien de temps ?]

              Je vois mal le rapport. En quoi leur nombre obligeait à parquer les uns dans des camps, et pas les autres ?

              [« La Côte d’Azur pour les uns, le camp de Rivesaltes pour les autres. Je vous laisse tirer les conclusions. » Adrien Bérégovoy a tiré les siennes…]

              Ah bon ? Et quelles ont été ses « conclusions » ?

              [Bref, ceux qui parmi les Russes blancs ont pu couler une paisible retraite sur la côté d’Azur étaient ceux qui avaient suffisamment bien assuré leurs arrières, pour les autres c’était démerdez-vous,]

              Cela vaut toujours mieux que de se retrouver enfermé dans un camp de concentration, ne trouvez-vous pas ?

          • Carloman dit :

            @ Descartes,
             
             
            [Et sans vouloir vous offenser, je trouve amusant que vous jugiez « trop tôt » de l’attribuer à Louis XI, alors que dans un autre échange vous placiez la chose chez Philippe-Auguste, deux siècles plus tôt !]
            Vous m’étonnez. Que j’ai écrit que l’État commence à se construire sous Philippe Auguste et que ce dernier ait initié l’unité administrative du royaume (mais d’abord dans le domaine royal, qui ne couvre pas tout le royaume), certainement. Qu’il ait généré un début de sentiment national, probablement. Mais que j’ai affirmé que dès Philippe Auguste, « la France se soit conçue comme une nation unitaire », j’en suis surpris, car il est un peu tôt au XIII° siècle pour parler de nation. J’abuse, mais auriez-vous la citation exacte que vous m’attribuez ?
             
            [Mais il y eut en France d’autres « régionalistes » bien plus politiques que Mistral, qui utilisèrent le régionalisme comme drapeau pour contester le pouvoir républicain.]
            Je connais mal la question. A qui pensez-vous ?
             
            [Seulement voilà : ils étaient beaucoup moins dangereux à partir du moment où « l’assimilation intérieure » a commencé à fonctionner.]
            Et il y a autre chose : en France, même les monarchistes sont en général assez attachés à l’unité du pays, puisque c’est en grande partie l’œuvre des rois… Je vois mal un royaliste français soutenir l’indépendance de la Corse ou de la Bretagne. En France, je ne suis pas sûr que les régionalistes, surtout lorsqu’ils sont sécessionnistes, aient grand-chose à attendre des monarchistes.
             
            [Il y a une différence entre le sort de la Galicie occidentale, intégrée en 1945 à la RSS d’Ukraine, et les pays baltes qui conservent chacun leur « indépendance » en tant que républiques fédérées au sein d’une union fédérale.]
            Je ne sais pas. J’ignore le fonctionnement de l’URSS. Une RSS soviétique, ça s’apparente à quoi ? Un Land allemand ? Un état américain ?
             
            J’avais cru comprendre qu’il y avait une relative décentralisation administrative, compensée par une forte centralisation du Parti communiste d’URSS. Pour le dire autrement, en URSS, l’État aurait été fédéral sur le papier mais le Parti contrôlant l’État aurait lui été centralisé. Mais ai-je bien compris ?
             
            [Peut-on dire par exemple que l’intégration de la Pologne à l’UE constitue une « annexion » ?]
            Bonne question. Pour la Pologne, je ne sais pas. Mais pour la Serbie ou la Macédoine, des pays auxquels on répète à l’envi qu’il n’y a pas d’autre alternative à terme que de rejoindre l’UE, la question se posera si un jour ces pays adhèrent.
             
            [Je ne me souviens pas que les Allemands aient proposé à la France de leur accorder ces éléments en échange de compensations.]
            Je ne connais pas le dossier aussi bien que vous. Jureriez-vous la main sur le cœur que les « compensations » offertes par les Soviétiques étaient justes et convenables ? Ou bien s’agissait-il d’un marché de dupes ?
             
            [la guerre de 1871 a été menée d’abord pour des raisons de politique intérieure – si l’on peut utiliser ce terme – allemande, à savoir, pour forcer les états allemands à se fédérer derrière la Prusse.]
            Tout à fait d’accord avec vous. Mais lorsque la question des rectifications de frontières s’est posée après la victoire, c’est la volonté de partir en position de force lors d’une éventuelle nouvelle guerre contre la France qui a guidé les exigences allemandes.
             
            Voici ce qu’écrit Guillaume II à l’impératrice Eugénie :
            « Mais, après avoir fait d’immenses sacrifices pour sa défense, l’Allemagne veut être assurée que la guerre prochaine la trouvera mieux préparée à repousser l’agression sur laquelle nous pouvons compter aussitôt que la France aura réparé ses forces et trouvé des alliés. C’est cette considération seule, et non le désir d’agrandir une patrie dont le territoire est assez grand, qui me force à insister sur des cessions de territoires, qui n’ont d’autre but que de reculer le point de départ des armées françaises qui, à l’avenir, viendront nous attaquer. »
             
            C’est pourquoi je me suis permis d’écrire que les Allemands avaient profité de la victoire pour « mettre la vallée du Rhin à l’abri de l’artillerie française ». Mais je suis d’accord sur le fait que ce n’était pas le but de guerre initial des Prussiens.
             
            D’après Wikipédia et pour la petite histoire, Eugénie remit en 1918 à Clemenceau cette lettre, qui fut versée au dossier des revendications françaises, car nos « amis » anglais et américains ne semblaient pas très chauds pour que l’Alsace-Moselle fût rétrocédée à notre pays.
             
            [Pour vous, quel était l’objectif du gouvernement soviétique pour faire la guerre à la Finlande ? L’agrandissement territorial ?]
            L’objectif du gouvernement soviétique était celui que vous avez défini, comme la suite l’a montré. Et je suis d’accord avec vous : l’objectif de l’URSS était relativement limité, et le but de guerre mesuré. Ce que je vous dis, c’est que les Finlandais ont très bien pu se méprendre sur les objectifs soviétiques, et considérer ces demandes mesurées comme la première étape d’un grignotage territorial de leur patrie. La suite a révélé qu’il n’en était rien, mais ni Mannerheim ni les autres chefs finlandais n’étaient dans la tête des dirigeants soviétiques, vous en conviendrez. Par ailleurs, une vingtaine d’années auparavant, la Finlande était sous domination russe. Le problème des Soviétiques, c’est qu’on tend à leur attribuer deux casquettes : d’un côté, ce sont les « Rouges », ces communistes qui effraient toutes les bourgeoisies, de la Finlande à l’Espagne ; de l’autre, ils sont aussi les « Russes », un peuple situé aux marges de l’Europe et de l’Asie, un pays qui a toujours un peu fait peur, même s’il a aussi fasciné. Ce que j’essaie de dire, c’est que les Soviétiques ont certainement hérité auprès de certains peuples de la mauvaise réputation des Russes…
             
            [Ce n’est pas ce que j’ai dit. Comme le fait dire Jean Renoir à l’un de ses personnages « le plus terrible sur cette terre, c’est que tout le monde a ses raisons ».]
            Vous le savez, je fais mienne cette citation. Non, vous n’avez pas dit : « je suis du côté soviétique ». Mais il m’a semblé que votre présentation des faits tendait à épouser le seul point de vue de l’URSS, et qu’il y avait dans vos propos une forme, sinon de condamnation pure et simple, du moins de dénonciation de l’attitude finlandaise, sur le mode « si les Finlandais avaient mieux appréhendé la situation, et avaient adopté une attitude moins systématiquement anti-soviétique, ça aurait quand même été mieux ».
             
            Maintenant vous me dites que j’ai mal interprété vos propos et que je me suis trompé. Dont acte. Je vous prie d’accepter mes excuses.
             
            [l’URSS a été soumise à une telle avalanche d’actes hostiles de la part des puissances occidentales que j’ai une certaine tendance à leur accorder le bénéfice du doute qu’on accorde souvent à la partie agressée.]
            Je suis prêt à entendre cet argument : oui, dans le contexte des années 30, l’URSS voit se développer tout un tas de régimes autoritaires en Europe, tous très anticommunistes, à commencer par le fascisme italien et le nazisme allemand. Et l’on peut comprendre l’inquiétude de Staline et de son gouvernement face à cette déferlante anticommuniste. Trop de gens ont l’air de croire que le Staline des années 30 est le même que le Staline tout-puissant de 1950. Le fait est que l’URSS était alors en position de faiblesse.
             
            Cela étant dit, dans l’affaire qui nous occupe, l’URSS est quand même l’agresseur de la Finlande. Par ailleurs, Staline avait fait le choix de « construire le socialisme dans un seul pays ». Mais qui pouvait prédire que Staline ne serait pas renversé par des dirigeants ayant une autre vision ? Nous, nous connaissons la suite. Pas les hommes des années 30.
             
            [Je trouve que cette modération tend à montrer que la guerre a été faite pour s’assurer de quelques enclaves précises liés aux besoins de défense, et non à une volonté impérialiste d’acquérir des territoires supplémentaires.]
            Vous savez, la France s’est battue pendant des siècles pour se donner une « profondeur stratégique » au niveau de la frontière du nord-est, qui est notre point faible, car Paris est atteignable en quelques jours sans obstacles naturels. Longtemps, de Louis XIV à la Révolution, la France a essayé d’obtenir des places fortes dans ce qui est aujourd’hui le sud de la Belgique (sans toujours vouloir annexer tout l’actuel territoire belge, ce qui sera fait sous la Révolution). Cela nous a été toujours refusé par les Anglais qui ont préféré la création d’un petit état militairement faible, la Belgique (même si le pays a été une grande puissance industrielle au XIX° et au début du XX° siècle). Résultat ? On a frôlé la catastrophe en 1914, et on n’a pas pu l’éviter en 1940.
            Pourtant, rétrospectivement, si la France avait pu contrôler des places situées en Belgique, cela aurait peut-être davantage gêné les Allemands…
             
            [L’expérience montre que dans les guerres de conquête, le fait d’avoir subi des pertes importantes n’a jamais poussé le conquérant à la modération.]
            En fait, c’est très variable. Et une victoire facile n’est pas non plus un gage de modération.
             
            [Faciliter l’avance des armées allemandes en 1941 en immobilisant des forces soviétiques, alors que l’expérience polonaise avait montré quelles pouvaient être les conséquences pour les populations, ce n’est pas un geste banal. Et le fait d’avoir des revendications territoriales – même légitimes – à satisfaire n’est pas à mon sens une justification suffisante.]
            Mais il s’agit là d’un raisonnement post-1945. En 1940-1941, Hitler n’était pas encore le Démon absolu qu’il est devenu ensuite aux yeux de l’opinion. Même les Américains ne le trouvaient pas si infréquentable… De ce point de vue, Churchill était certainement beaucoup plus lucide.
             
            [Cela semble en effet relever de la politique de création d’états-tampons pour éviter le contact direct entre deux puissances, très en vogue à l’époque (la Belgique est créée pour des raisons similaires en 1815-1830)]
            Ma remarque était ironique : en 1808-1809, l’empire russe a attaqué une Suède en plein déclin (depuis les défaites de Charles XII un siècle auparavant) et en a profité pour éliminer un rival historique en Baltique, les Russes cherchant à imposer leur hégémonie sur cette mer, comme ils l’on fait également en Mer Noire. La théorie de la « profondeur stratégique » a quand même ses limites : la Russie a historiquement aspiré à l’hégémonie en Europe de l’est, en Baltique, en Mer Noire, en Asie centrale, elle a lorgné sur les Balkans. La recherche de « profondeur stratégique » a bon dos quand même : à force, ça finit par ressembler à de l’expansionnisme…
             
            [Mais quel intérêt pour la Russie, pays vaste et peu peuplé, de chercher à agrandir un territoire déjà immense et qu’on a du mal à contrôler, à administrer, à mettre en valeur ?]
            Plusieurs réponses à cela : le panslavisme, la solidarité orthodoxe, l’accès aux « mers chaudes » (pour accéder aux « marchés internationaux » sans doute), une attirance idéologique tout autant que géopolitique pour Constantinople, « mère du monde orthodoxe ».
            Encore une fois, je pense que la vision géopolitique développée par la Russie est infiniment plus complexe que la simple recherche de « profondeur stratégique ».
             
            [C’est ce qui explique une constante de la politique extérieure de la Russie depuis plus de deux siècles : la question n’est pas d’agrandir le territoire, mais de le fortifier.]
            Les atlas historiques racontent une autre histoire, sauf votre respect, pour la fin du XVIII° et tout le XIX° siècle : fortifier le territoire russe, oui, mais en l’agrandissant. Comparez une carte de l’empire russe en 1750, et une carte de l’empire russe en 1900…
            De ce point de vue, l’URSS opère une réelle rupture en cherchant à stabiliser les frontières, et à neutraliser ses voisins plutôt que de les annexer. Catherine II dépèce la Pologne et la fait disparaître. Staline laisse exister une Pologne mais en veillant qu’elle ne soit plus un danger.
             
            [Tout au plus, on peut reprocher aux Finlandais leur aveuglement en 1941. Parce qu’on ne pouvait alors plus ignorer qu’il y avait une hiérarchie entre les dangers.]
            Cela aussi, c’est un raisonnement post-1945. Rien n’interdisait de penser au début de la guerre que les fidèles alliés du III° Reich seraient récompensés le moment venu. Ce n’est que progressivement que le mépris des Allemands pour leurs alliés est apparu.
             
            [Quant à Mannerheim, il était, sinon un « nazillon », un partisan des régimes autoritaires, et cela indépendamment de toute considération sur la guerre de 1939.]
            Metaxas aussi. Et comme il a résisté à Mussolini et dit « non » à Hitler, peu de gens lui reprochent d’avoir été « partisan des régimes autoritaires ».
             
            [Je ne pense pas que la France n’ait jamais manifesté en 1918 la volonté de récupérer des territoires autres que ceux perdus lors de la guerre de 1870.]
            Eh bien vous vous trompez. Le gouvernement français a émis des revendications sur la Sarre.
             
            [Si je suis votre commentaire, les dirigeants finlandais ont estimé que la mémoire de leurs soldats morts pendant la guerre de 1939 méritait qu’on laisse mourir de faim plus d’un million de civils, femmes et enfants compris]
            La mémoire de leurs soldats morts, ainsi que l’amertume de la défaite et le fait d’avoir dû abandonner une portion du territoire national, oui. Quand on défend les intérêts de sa nation, on ne fait pas dans l’humanitaire. Il y a les ONG pour ça.
             
            Vous semblez vous étonner que les Finlandais n’aient pas manifesté une forme de compassion pour les habitants de Leningrad, si je comprends bien. Je pense que là, vous demandez trop.
             
            [On ne pouvait avoir les Allemands qu’à l’usure, et cela supposait, comme écrivait un célèbre stratège, « céder de l’espace pour gagner du temps ».]
            Vous allez me trouver insolent et je m’en excuse, mais en 1940, les Soviétiques ont bien occupé les pays baltes, après la moitié orientale de la Pologne en 1939, non ? Tout cela avec l’accord du III° Reich. Alors la « profondeur stratégique », Staline la voulait jusqu’où ?
             
            [Le paragraphe que vous venez d’écrire aurait pu l’être au sujet de Pétain. Le parallèle entre les deux hommes est d’ailleurs remarquable.]
            A ceci près que Mannerheim n’était pas à la tête d’un pays occupé et dépecé. Et lui avait un vrai contentieux territorial avec l’URSS, indépendamment de l’anticommunisme. Cela fait quand même une différence.
             
            [Pour moi, si l’Etat d’Israel est légitime ce n’est pas parce que les juifs étaient là il y a deux mille ans, mais parce que depuis trois générations les israéliens labourent la terre, construisent des universités, des écoles, des routes, des ports, des musées.]
            Le problème est que les Palestiniens, les occupants historiques du pays, n’ont pas eu la possibilité de mettre en valeur leur territoire. Peut-être qu’eux aussi auraient bâti des usines, des universités, des routes, des ports. Seulement voilà, ils sont passés de la domination ottomane au mandat britannique avant d’être – pour beaucoup – victimes d’une opération de nettoyage ethnique. Et le fait que les Israéliens aient détruit la possibilité pour les Palestiniens d’avoir un État et de développer leur territoire est un crime qui devrait entacher à jamais la « légitimité » – telle que vous la concevez – de l’État hébreu.
             
            Mais on peut même se poser la question : le fait que certains peuples n’aient pas l’organisation sociale ou les connaissances techniques pour mettre en valeur un territoire justifie-t-il qu’on les dépossède, qu’on les chasse voire qu’on les massacre ? Si oui, alors il faut rendre l’essentiel du territoire sud-africain aux seuls blancs, car ce sont eux qui ont bâti les villes, les ports, développé l’agriculture, etc. Et en plus, ce sont les derniers arrivants, non ?
             
            [Ce qui me gêne, c’est précisément que cette citoyenneté est refusée à l’autre partie des autochtones…]
            Vous pensez que la leur accorder réglerait le problème ?
             
            [Quand vous parlez ici des Grecs, s’agit-il des Grecs antiques, ou des Grecs modernes ?]
            Je parle des Grecs byzantins – c’est-à-dire des Grecs romanisés – et des Grecs modernes, même si Byzance était une cité moyenne relativement prospère dans l’Antiquité, dont le rôle n’est pas si modeste que vous semblez le penser.
             
            [Ne vous laissez pas porter par votre atavisme… visitez le Topkapi, ça vaut quand même la peine.]
            Sans doute. La mosquée bleue également. Mais si le Topkapi raconte l’histoire d’Istanbul – j’ignore si c’est le cas – il énonce certainement beaucoup de mensonges. Car il faut rappeler quelle fut l’histoire de Constantinople sous la domination ottomane : celle d’une ville qui a conservé une bonne part de son dynamisme grâce aux dhimmis, et tout particulièrement les Grecs. Parmi les belles demeures de la Constantinople, il y avait celles du quartier grec du Phanar où vivaient de nombreux marchands grecs, très riches pour certains. Et si en 1955 – oui, en plein XX° siècle – il y eut un violent pogrom contre les Grecs, c’est parce que 60 % du foncier de la ville appartenait encore aux minorités chrétiennes, principalement les Grecs (ceux de Constantinople n’ayant pas été concernés par l’échange de population de 1922). Dans la mesure où, jusqu’au début du XX° siècle, ce sont des marchands et armateurs grecs (ainsi que des Arméniens) qui ont contribué au dynamisme économique de la Ville, je vous trouve un peu rapide quand vous m’affirmez que les Turcs sont « légitimes ». Ils ont la légitimité, oui, mais celle que donnent la force, l’intolérance, la négation de l’autre (songez aux mots d’Erdogan lors de la restitution de Sainte-Sophie au culte islamique). La légitimité historique et culturelle, c’est autre chose.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [Vous m’étonnez. Que j’ai écrit que l’État commence à se construire sous Philippe Auguste et que ce dernier ait initié l’unité administrative du royaume (mais d’abord dans le domaine royal, qui ne couvre pas tout le royaume), certainement. Qu’il ait généré un début de sentiment national, probablement. Mais que j’ai affirmé que dès Philippe Auguste, « la France se soit conçue comme une nation unitaire », j’en suis surpris, car il est un peu tôt au XIII° siècle pour parler de nation. J’abuse, mais auriez-vous la citation exacte que vous m’attribuez ?]

              Non, je ne l’ai pas en tête, et cela ne vaut pas la peine de la rechercher dans l’archive, puisque nous sommes d’accord. J’ai probablement mal compris votre propos.

              [« Mais il y eut en France d’autres « régionalistes » bien plus politiques que Mistral, qui utilisèrent le régionalisme comme drapeau pour contester le pouvoir républicain. » Je connais mal la question. A qui pensez-vous ?]

              Je pense par exemple à Ernet Ferroul, qui voulout utiliser le mouvement des vignerons de 1907 pour monter une tentative séparatiste de « midi autonome ». Il invita d’ailleurs Mistral à en prendre la tête, et essuya un refus à peine poli… On peut aussi penser à la Bretagne, avec le « Bleun-Brug » de l’abbé Perrot en 1905 et au « parti nationaliste breton », créé en 1911 par un groupe d’intellectuels autour de la revue Breiz Dishual, qui faisaient de la République et surtout de ses instituteurs la cible de leurs campagnes.

              [« Seulement voilà : ils étaient beaucoup moins dangereux à partir du moment où « l’assimilation intérieure » a commencé à fonctionner. » Et il y a autre chose : en France, même les monarchistes sont en général assez attachés à l’unité du pays, puisque c’est en grande partie l’œuvre des rois… Je vois mal un royaliste français soutenir l’indépendance de la Corse ou de la Bretagne. En France, je ne suis pas sûr que les régionalistes, surtout lorsqu’ils sont sécessionnistes, aient grand-chose à attendre des monarchistes.]

              C’est vrai : les monarchistes n’ont pas appuyé des mouvements sécessionnistes, mais plutôt des mouvements autonomistes. Il faut quand même noter que les mouvements « régionalistes » ne deviennent vraiment « nationalistes » qu’au début du XXème siècle, alors que les monarchistes ont clairement perdu la partie.

              [« Je ne sais pas. J’ignore le fonctionnement de l’URSS. Une RSS soviétique, ça s’apparente à quoi ? Un Land allemand ? Un état américain ? J’avais cru comprendre qu’il y avait une relative décentralisation administrative, compensée par une forte centralisation du Parti communiste d’URSS. Pour le dire autrement, en URSS, l’État aurait été fédéral sur le papier mais le Parti contrôlant l’État aurait lui été centralisé. Mais ai-je bien compris ?]

              Parfaitement, je pense. La dualité Parti-Etat doit être prise en compte pour comprendre le fonctionnement réel du système. La structure centralisée du PCUS assurait une uniformité dans les politiques jugées vitales par le centre : défense, sécurité, commerce extérieur. Mais sur les questions de culture et d’éducation, par exemple, une large autonomie était laissée aux autorités locales. Le fait d’être des RSS de plein exercice a permis aux pays baltes de continuer à user de leurs langues comme langue officielle, ce qui aurait été beaucoup plus difficile si elles avaient été intégrées à la RFSSR.

              [« Je ne me souviens pas que les Allemands aient proposé à la France de leur accorder ces éléments en échange de compensations. » Je ne connais pas le dossier aussi bien que vous. Jureriez-vous la main sur le cœur que les « compensations » offertes par les Soviétiques étaient justes et convenables ? Ou bien s’agissait-il d’un marché de dupes ?]

              A l’examen superficiel des cartes, les compensations en question ne paraissent pas déraisonnables. Après, je n’ai pas étudié à fond le dossier dont je ne peux pas « la main sur le cœur » vous donner l’assurance que vous demandez. En tout cas, je ne connais aucun historien qui ait considéré les compensations insuffisantes, et le rejet des conditions proposées par la Finlande ne fait pas mention de ce point qui, je l’imagine, aurait été susceptible de négociations.

              [Tout à fait d’accord avec vous. Mais lorsque la question des rectifications de frontières s’est posée après la victoire, c’est la volonté de partir en position de force lors d’une éventuelle nouvelle guerre contre la France qui a guidé les exigences allemandes.]

              Possible, parce que les allemands anticipaient une « revanche ». Ce ne fut pas du tout le cas des Soviétiques : mettre Leningrad en sécurité était leur objectif de guerre, et non pas une nécessité créée par la guerre elle-même. C’est pourquoi je vous disais que la comparaison ne me semble pas éclairante…

              [L’objectif du gouvernement soviétique était celui que vous avez défini, comme la suite l’a montré. Et je suis d’accord avec vous : l’objectif de l’URSS était relativement limité, et le but de guerre mesuré.]

              Bien. C’est un premier point d’accord important.

              [Le problème des Soviétiques, c’est qu’on tend à leur attribuer deux casquettes : d’un côté, ce sont les « Rouges », ces communistes qui effraient toutes les bourgeoisies, de la Finlande à l’Espagne ; de l’autre, ils sont aussi les « Russes », un peuple situé aux marges de l’Europe et de l’Asie, un pays qui a toujours un peu fait peur, même s’il a aussi fasciné. Ce que j’essaie de dire, c’est que les Soviétiques ont certainement hérité auprès de certains peuples de la mauvaise réputation des Russes…]

              Je ne partage pas. Je pense que le problème est tout différent : les soviétiques, c’était d’abord des « rouges ». Marx avait raison d’écrire « un fantôme hante l’Europe, c’est le fantôme du communisme ». Mais on pourrait remplacer aussi bien « fantôme » par « fantasme ». Après 1917 et surtout avec le décollage économique des années 1930 la bourgeoisie européenne a eu tellement peur, qu’elle était prête à tout pour aider à son anéantissement.

              C’est fou quand même le nombre « d’erreurs » commis par les dirigeants européens, pourtant formés aux meilleures universités et ayant une belle expérience politique, dans les années 1930. La mansuétude envers les régimes autoritaires en Allemagne, en Italie, en Yougoslavie, en Hongrie, en Pologne, Munich, la passivité devant l’Anschluss, la « neutralité » dans la guerre civile espagnole, le dynamitage des traités de sécurité collective avec l’URSS… vous ne trouvez pas que cela fait un peu trop « d’erreurs » ? Par contre, si vous considérez le fait que la bourgeoisie voulait d’une guerre « européenne » contre le bolchévisme, toutes ces « erreurs » acquièrent une certaine cohérence.

              Admettons un instant que les dirigeants finlandais aient été convaincus que les demandes formulées par l’URSS étaient indispensables pour assurer la sécurité de Léningrad, et que les compensations fussent justes. Auraient-ils accepté pour autant ? Pourquoi un régime qui souhaitait la chute de l’URSS aurait-elle accepté de l’aider à survivre ? Et pourquoi se priver d’attaquer l’URSS en 1941, puisqu’on voulait grosso modo la même chose que les Allemands ? Si on accepte mon hypothèse de base, alors toutes ces « erreurs » deviennent tout à coup des décisions parfaitement rationnelles.

              Hitler a commis une grave erreur : attaquer la France. Si après avoir avalé la Pologne et la Tchécoslovaquie, il avait attaque l’URSS et appelé à une coalition contre elle, il aurait eu les Britanniques et les Français avec lui. Et il aurait peut-être même gagné la guerre…

              [« Faciliter l’avance des armées allemandes en 1941 en immobilisant des forces soviétiques, alors que l’expérience polonaise avait montré quelles pouvaient être les conséquences pour les populations, ce n’est pas un geste banal. Et le fait d’avoir des revendications territoriales – même légitimes – à satisfaire n’est pas à mon sens une justification suffisante. » Mais il s’agit là d’un raisonnement post-1945. En 1940-1941, Hitler n’était pas encore le Démon absolu qu’il est devenu ensuite aux yeux de l’opinion. Même les Américains ne le trouvaient pas si infréquentable… De ce point de vue, Churchill était certainement beaucoup plus lucide.]

              [« Cela semble en effet relever de la politique de création d’états-tampons pour éviter le contact direct entre deux puissances, très en vogue à l’époque (la Belgique est créée pour des raisons similaires en 1815-1830) » Ma remarque était ironique :]

              Ma réponse ne l’était pas moins…

              [en 1808-1809, l’empire russe a attaqué une Suède en plein déclin (depuis les défaites de Charles XII un siècle auparavant) et en a profité pour éliminer un rival historique en Baltique, les Russes cherchant à imposer leur hégémonie sur cette mer, comme ils l’on fait également en Mer Noire. La théorie de la « profondeur stratégique » a quand même ses limites : la Russie a historiquement aspiré à l’hégémonie en Europe de l’est, en Baltique, en Mer Noire, en Asie centrale, elle a lorgné sur les Balkans. La recherche de « profondeur stratégique » a bon dos quand même : à force, ça finit par ressembler à de l’expansionnisme…]

              Je ne suis pas persuadé que la Russie ait cherché une « hégémonie » au sens qu’on donne habituellement à ce terme. La Russie a surtout cherché à s’entourer d’états « amis », mais dès lors qu’ils étaient amicaux elle a rarement cherché à leur imposer une politique. Même après 1945, l’URSS a admis une grande diversité de politiques dans son « glacis », et les dirigeants locaux ont bénéficié d’une large autonomie, qui n’a été compromise que lorsqu’elle pouvait mettre en danger les rapports « amicaux » (sortie du pacte de Varsovie, par exemple). La Finlande fournit un excellent exemple : alors qu’après la guerre avec la Suède la Russie aurait pu annexer le territoire pure et simplement, elle préfère en constituer une entité séparée et largement autonome.

              [« Mais quel intérêt pour la Russie, pays vaste et peu peuplé, de chercher à agrandir un territoire déjà immense et qu’on a du mal à contrôler, à administrer, à mettre en valeur ? » Plusieurs réponses à cela : le panslavisme, la solidarité orthodoxe, l’accès aux « mers chaudes » (pour accéder aux « marchés internationaux » sans doute), une attirance idéologique tout autant que géopolitique pour Constantinople, « mère du monde orthodoxe ».]

              Je ne vois pas très bien le rapport avec notre échange. Un agrandissement territorial en Europe centrale ou dans la Baltique ne donnait aucun accès aux « mers chaudes ». Le « panslavisme » et la « solidarité orthodoxe » ne concerne certainement pas la Finlande et la Pologne. Et Constantinople est loin…

              [Encore une fois, je pense que la vision géopolitique développée par la Russie est infiniment plus complexe que la simple recherche de « profondeur stratégique ».]

              En tout cas, dans sa politique étrangère depuis deux siècles, cette considération semble primer sur toutes les autres.

              [De ce point de vue, l’URSS opère une réelle rupture en cherchant à stabiliser les frontières, et à neutraliser ses voisins plutôt que de les annexer. Catherine II dépèce la Pologne et la fait disparaître. Staline laisse exister une Pologne mais en veillant qu’elle ne soit plus un danger.]

              La préoccupation sous-jacente est un peu la même, mais en deux siècles la réflexion géopolitique avait bien changé. Les politiques ont compris l’intérêt de créer des « tampons » pour éviter le contact direct entre deux puissances. De ce point de vue, Staline est peut-être celui qui avait le mieux compris le problème : au lieu de pousser les frontières de l’URSS jusqu’à entrer en contact avec le « monde libre », il a préféré créer un glacis d’états « amis » ou neutres.

              [« Tout au plus, on peut reprocher aux Finlandais leur aveuglement en 1941. Parce qu’on ne pouvait alors plus ignorer qu’il y avait une hiérarchie entre les dangers. » Cela aussi, c’est un raisonnement post-1945. Rien n’interdisait de penser au début de la guerre que les fidèles alliés du III° Reich seraient récompensés le moment venu. Ce n’est que progressivement que le mépris des Allemands pour leurs alliés est apparu.]

              Pour ceux qui n’avaient pas lu « Mein Kampf », peut être. Mais pour les autres, il était assez évident dès le départ.

              [Metaxas aussi. Et comme il a résisté à Mussolini et dit « non » à Hitler, peu de gens lui reprochent d’avoir été « partisan des régimes autoritaires ».]

              Mannerheim a dit « oui » à Hitler, et peux de gens lui en font le reproche. Pourquoi, à votre avis ?

              [« Je ne pense pas que la France n’ait jamais manifesté en 1918 la volonté de récupérer des territoires autres que ceux perdus lors de la guerre de 1870. » Eh bien vous vous trompez. Le gouvernement français a émis des revendications sur la Sarre.]

              Revendications a régler par référendum, je vous le rappelle…

              [« Si je suis votre commentaire, les dirigeants finlandais ont estimé que la mémoire de leurs soldats morts pendant la guerre de 1939 méritait qu’on laisse mourir de faim plus d’un million de civils, femmes et enfants compris » La mémoire de leurs soldats morts, ainsi que l’amertume de la défaite et le fait d’avoir dû abandonner une portion du territoire national, oui. Quand on défend les intérêts de sa nation, on ne fait pas dans l’humanitaire. Il y a les ONG pour ça.]

              Quel rapport avec le fait de « défendre les intérêts de sa nation » ? Vous me parliez de la mémoire des soldats morts, pas d’un quelconque « intérêt ». Par ailleurs, la décision finlandaise d’attaquer l’URSS n’a pas vraiment servi les « intérêts de la nation » : en 1945, l’URSS récupérera les territoires qu’elle revendiquait en 1939, et cette fois-ci sans compensation.

              [Vous semblez vous étonner que les Finlandais n’aient pas manifesté une forme de compassion pour les habitants de Leningrad, si je comprends bien. Je pense que là, vous demandez trop.]

              Je ne crois pas, non. Vous me rappelez l’histoire de cette britannique qui, ayant récupéré un aviateur allemand abattu lui servit une tasse de thé en attendant que l’autorité militaire vienne le récupérer pour le conduire à un camp d’internement. A ses voisins qui lui reprochaient son geste de compassion, elle répondit : « mon fils est dans la RAF, et je voudrais croire que s’il était abattu sur le territoire allemand, il y aurait quelqu’un pour lui servir une tasse de thé ». Ce n’est pas parce qu’on se fait la guerre qu’on redevient des animaux.

              [« On ne pouvait avoir les Allemands qu’à l’usure, et cela supposait, comme écrivait un célèbre stratège, « céder de l’espace pour gagner du temps ». » Vous allez me trouver insolent et je m’en excuse, mais en 1940, les Soviétiques ont bien occupé les pays baltes, après la moitié orientale de la Pologne en 1939, non ? Tout cela avec l’accord du III° Reich. Alors la « profondeur stratégique », Staline la voulait jusqu’où ?]

              Si j’en crois aux textes de l’époque, une distance suffisante pour qu’aucun ennemi ne puisse arriver à Moscou, Leningrad ou Stalingrad avant l’arrivée de l’hiver…

              [« Le paragraphe que vous venez d’écrire aurait pu l’être au sujet de Pétain. Le parallèle entre les deux hommes est d’ailleurs remarquable. » A ceci près que Mannerheim n’était pas à la tête d’un pays occupé et dépecé. Et lui avait un vrai contentieux territorial avec l’URSS, indépendamment de l’anticommunisme. Cela fait quand même une différence.]

              Sur le premier point, il est vrai que Mannerheim n’était pas à la tête d’un pays occupé. Mais son pays pouvait être occupé par les Allemands avec une très grande facilité. Il était donc soumis à une contrainte qui, pour ne pas être de même nature que celle de Pétain, était tout de même très forte. Pour ce qui concerne le « contentieux », de la même manière que la Finlande avait des contentieux avec l’URSS, la France avait des contentieux avec l’Angleterre, et aurait pu utiliser l’occupation allemande pour les régler…

              [« Pour moi, si l’Etat d’Israel est légitime ce n’est pas parce que les juifs étaient là il y a deux mille ans, mais parce que depuis trois générations les israéliens labourent la terre, construisent des universités, des écoles, des routes, des ports, des musées. » Le problème est que les Palestiniens, les occupants historiques du pays, n’ont pas eu la possibilité de mettre en valeur leur territoire. Peut-être qu’eux aussi auraient bâti des usines, des universités, des routes, des ports. Seulement voilà, ils sont passés de la domination ottomane au mandat britannique]

              Pourquoi dites-vous que les Palestiniens « n’ont pas eu l’opportunité » ? Souvenez-vous que les colons juifs n’ont pas reçu leur Etat en cadeau. Ils ont dû pour cela se battre avec les britanniques. Les Palestiniens auraient pu faire de même : fonder des organisations civiles et militaires et mener le combat pour construire un Etat. Ils ne l’ont pas fait.

              Je vais vous surprendre : je suis tout à fait sensible à la question de la reconnaissance des droits individuels des palestiniens. Je pense que la manière dont ils ont été expulsés de leurs villages et privés de leurs terres et de leurs droits en 1948 est insupportable et inacceptable. Mais je ne crois pas que le simple fait d’avoir été là avant légitime per se l’existence d’un état palestinien. C’est d’ailleurs pourquoi la solution « à deux états » n’a que peu de chances de s’imposer. Mieux vaut viser l’idée d’un état unique garantissant à tous ses citoyens, juifs et non-juifs, les mêmes droits.

              [Mais on peut même se poser la question : le fait que certains peuples n’aient pas l’organisation sociale ou les connaissances techniques pour mettre en valeur un territoire justifie-t-il qu’on les dépossède, qu’on les chasse voire qu’on les massacre ? Si oui, alors il faut rendre l’essentiel du territoire sud-africain aux seuls blancs, car ce sont eux qui ont bâti les villes, les ports, développé l’agriculture, etc. Et en plus, ce sont les derniers arrivants, non ?]

              Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Rien ne justifie qu’on dépossède un individu de ses droits, qu’on le chasse, et encore moins qu’on le massacre. Mais le fait est que certains peuples ont été massacrés, chassés ou dépossédés par d’autres, et que ces autres ont développé le territoire, l’ont mis en valeur, l’ont embelli. Et deux cents ans plus tard, on pose la question de qui est « légitime ». Que faut-il répondre ? Qu’il faudrait rétablir l’ordre juridique des Sioux plutôt que celui prévu par la Constitution américaine, au motif que ceux qui l’ont écrite étaient des « occupants illégitimes » ?

              Je ne pense pas que ce soit là une solution réaliste. Pour moi, on ne peut que reconnaître la légitimité de celui qui s’est installé sur un territoire et l’a mis en valeur. La seule chose qu’on peut exiger, c’est que les anciens occupants se voient reconnaître les mêmes droits que les nouveaux arrivants.

              [« Ce qui me gêne, c’est précisément que cette citoyenneté est refusée à l’autre partie des autochtones… » Vous pensez que la leur accorder réglerait le problème ?]

              Cela dépend de ce que vous appelez « le problème ». Je pense, oui, que cela réglerait UN problème, celui de la représentation politique et des droits civils. Si les palestiniens votaient en Israel, s’ils pouvaient s’installer là où ils le souhaitent sur le territoire israélien, s’ils bénéficiaient des mêmes programmes d’aide que les israéliens juifs, si leurs intérêts économiques étaient protégés par la police au même titre que ceux des autres israéliens, la revendication d’un Etat séparé serait beaucoup moins forte.

              Maintenant, en résolvant ce problème vous en créeriez un autre : Israël cesserait d’être un « état juif »…

              [« Ne vous laissez pas porter par votre atavisme… visitez le Topkapi, ça vaut quand même la peine.]
              Sans doute. La mosquée bleue également. Mais si le Topkapi raconte l’histoire d’Istanbul – j’ignore si c’est le cas – il énonce certainement beaucoup de mensonges. Car il faut rappeler quelle fut l’histoire de Constantinople sous la domination ottomane : celle d’une ville qui a conservé une bonne part de son dynamisme grâce aux dhimmis, et tout particulièrement les Grecs. Parmi les belles demeures de la Constantinople, il y avait celles du quartier grec du Phanar où vivaient de nombreux marchands grecs, très riches pour certains.]

              Et alors ? Même si le dynamisme de l’empire ottoman devait beaucoup à certaines minorités, le mérite revient à l’Etat ottoman, qui a su créer les conditions de cette symbiose. De la même manière qu’Al-Andalous appartient à la civilisation arabe, quand bien même les juifs ont beaucoup participé à son rayonnement.

              [Dans la mesure où, jusqu’au début du XX° siècle, ce sont des marchands et armateurs grecs (ainsi que des Arméniens) qui ont contribué au dynamisme économique de la Ville, je vous trouve un peu rapide quand vous m’affirmez que les Turcs sont « légitimes ».]

              Je ne vois pas pourquoi. Ce sont les Turcs ottomans qui avaient le pouvoir politique. D’eux dépendait donc que les marchands et armateurs dont vous parlez puissent travailler dans de bonnes ou des mauvaises conditions – ou pas travailler du tout. Louis XIV a eu l’intelligence de faire venir des tisserands de Flandre et des verriers de Murano pour stimuler les manufactures françaises. Le mérite de leur rayonnement revient à qui ? Aux artisans qui sont venus, ou au roi qui a créé les conditions pour qu’ils viennent ? Et lorsqu’un pouvoir politique fait venir des étrangers pour reconstruire le pays, à qui revient la “légitimité” ? Au pouvoir qui les fait venir, ou aux gens qui sont venus ?

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
              [C’est fou quand même le nombre « d’erreurs » commis par les dirigeants européens, pourtant formés aux meilleures universités et ayant une belle expérience politique, dans les années 1930.]
              Là, vous changez de sujet. Moi, je n’ai parlé que d’une erreur d’appréciation des Finlandais en 1939 sur les Soviétiques et leurs motivations, je n’ai pas parlé des « bourgeoisies européennes ».
               
              Maintenant, si vous voulez me faire dire que les bourgeoisies européennes des années 30 sont traversées par un anticommunisme obsessionnel, et que cet anticommunisme les a poussées à se montrer au mieux indulgentes, au pire partisanes des régimes fasciste et nazi, je vous l’accorde volontiers. Satisfait ?
               
              Mais je me permets de vous faire remarquer que le projet communiste, aux dernières nouvelles, ne sert pas les intérêts de la bourgeoisie, ou alors j’ai manqué quelque chose. Et puis, au fond, réjouissez-vous : dans cette affaire, les bourgeois se sont retrouvés dans le mauvais camp, celui de Hitler. Est-ce que cela ne montre pas que la domination bourgeoise est prête à toutes les turpitudes pour se maintenir ?
               
              Par contre, je m’étonne : vous semblez presque regretter que les bourgeoisies de Finlande, de France, de Grande Bretagne n’aient pas conclu un accord avec l’URSS, mais quand on sait ce qu’est le communisme, leurs réticences apparaissent tout à fait fondées, non ? Si les bourgeoisies ont agi en fonction de leur intérêt, ce n’est ni une erreur, ni un aveuglement. Elles ont parié sur Hitler. C’est très vilain. Mais si elles avaient parié sur Staline, c’eût été très con…
               
              [vous ne trouvez pas que cela fait un peu trop « d’erreurs » ?]
              Mais ce ne sont pas des erreurs, j’ai bien compris. Et après ? Vous voulez me faire avouer que les bourgeoisies européennes des années 30 portent une très lourde responsabilité dans l’engrenage qui a mené à la guerre, à la Shoah, aux morts civils de Leningrad ? Eh bien, j’avoue : le Bien, le Beau, le Vrai étaient du côté de l’URSS. Dans ces conditions d’ailleurs, je ne saisis pas votre tendresse pour la France : mon pays, comme les autres pays gouvernés par des élites bourgeoises, a joué avec le feu, et il s’est brûlé. La France a refusé de s’entendre avec l’URSS, a lâchement abandonné son allié tchécoslovaque, en espérant échapper à la guerre. Donc finalement, la débâcle de 40, l’humiliation, l’Occupation, c’est non seulement logique, mais ça devrait être mérité, non ? En quoi la France a-t-elle eu une attitude moins mesquine que la Pologne ?
               
              [Admettons un instant que les dirigeants finlandais aient été convaincus que les demandes formulées par l’URSS étaient indispensables pour assurer la sécurité de Léningrad, et que les compensations fussent justes. Auraient-ils accepté pour autant ?]
              Je n’en sais rien. Mais le fait est qu’il n’est pas totalement illogique de penser que les dirigeants finlandais n’étaient pas convaincus par l’argumentaire soviétique.
               
              Je sais bien que vous ne reprochez rien à personne, mais on sent quand même une forme de ressentiment vis-à-vis des nations « bourgeoises » qui n’ont pas fait le nécessaire pour aider l’URSS à préparer sa défense.
               
              [Je ne suis pas persuadé que la Russie ait cherché une « hégémonie » au sens qu’on donne habituellement à ce terme.]
              Je ne suis pas d’accord. Il y a une forme d’impérialisme russe. Bien sûr, cet impérialisme n’est pas celui d’une nation insulaire comme le Royaume-Uni, ou celui d’une nation continentale avec d’importantes ouvertures maritimes comme la France. Mais cela n’invalide pas pour autant le terme d’impérialisme. On le voit avec la politique russe qui a visé par exemple à prendre en charge les intérêts des minorités orthodoxes dans l’empire ottoman, alors même que ce dernier ne représente plus un danger pour la Russie depuis le début du XVIII° siècle.
               
              [La Russie a surtout cherché à s’entourer d’états « amis »]
              Oui, d’états « amis »… parfois d’états vassaux aussi.
               
              [Je ne vois pas très bien le rapport avec notre échange. Un agrandissement territorial […] Et Constantinople est loin…]
              Ma remarque portait sur la politique russe en général, pas spécifiquement sur la politique vis-à-vis de la Finlande.
               
              [Mannerheim a dit « oui » à Hitler, et peux de gens lui en font le reproche. Pourquoi, à votre avis ?]
              Parce qu’il était anticommuniste. Mais j’y songe, qu’en est-il de la position soviétique ? L’URSS a-t-elle réclamé Mannerheim pour le juger ? A-t-elle réclamé qu’il soit jugé en Finlande ?
               
              [Revendications a régler par référendum, je vous le rappelle…]
              Oui enfin le référendum n’était pas forcément une exigence française, mais plutôt un obstacle à l’annexion française. En tout cas, votre affirmation était que la France n’avait rien demandé de plus que les territoires perdus en 1871 au Traité de Francfort. Je vous ai montré que ce n’était pas le cas.
               
              [Quel rapport avec le fait de « défendre les intérêts de sa nation » ?]
              Je n’ai pas compris cette remarque. Je présume que les dirigeants finlandais ont pris la décision de reprendre la lutte contre l’URSS en pensant « défendre les intérêts de la nation finlandaise ». Ou présumez-vous que les Finlandais ont agi par antisoviétisme pur, sans tenir compte de ce qu’ils pensaient être leur intérêt ?
               
              [Par ailleurs, la décision finlandaise d’attaquer l’URSS n’a pas vraiment servi les « intérêts de la nation » : en 1945, l’URSS récupérera les territoires qu’elle revendiquait en 1939, et cette fois-ci sans compensation.]
              Encore un raisonnement rétrospectif… Je vous cite : « les hommes font l’histoire, mais ils ne savent pas l’histoire qu’ils font ». Il est certain que si les dirigeants européens avaient su comment la guerre allait se finir dès 1939-1940, il y aurait eu moins d’ « erreurs ». Et Mannerheim aurait probablement maintenu son pays dans une prudente neutralité.
               
              [Vous me rappelez l’histoire de cette britannique qui, ayant récupéré un aviateur allemand abattu lui servit une tasse de thé en attendant que l’autorité militaire vienne le récupérer pour le conduire à un camp d’internement. A ses voisins qui lui reprochaient son geste de compassion, elle répondit : « mon fils est dans la RAF, et je voudrais croire que s’il était abattu sur le territoire allemand, il y aurait quelqu’un pour lui servir une tasse de thé ». Ce n’est pas parce qu’on se fait la guerre qu’on redevient des animaux.]
              C’est une belle anecdote, mais ce n’est qu’une anecdote, rien de plus. La guerre, ça pue le sang et la haine. Et c’est logique : pour combattre son congénère, il faut d’une manière ou d’une autre être convaincu que la mort de l’ennemi est souhaitable. Et oui, l’homme se conduit souvent comme un animal en temps de guerre. Après tout, les soldats soviétiques ont violé un certain nombre de femmes allemandes, à Berlin et ailleurs, alors qu’elles étaient civiles. Je suis curieux : diriez-vous que les soldats soviétiques se sont conduits comme des bêtes ? Ou bien ont-ils légitimement fait payer le martyr de leur peuple ?
               
              [Pour ce qui concerne le « contentieux », de la même manière que la Finlande avait des contentieux avec l’URSS, la France avait des contentieux avec l’Angleterre, et aurait pu utiliser l’occupation allemande pour les régler…]
              Quand je lis ça, j’ai l’impression que vous reprochez à la Finlande d’avoir utilisé l’alliance allemande pour régler son contentieux territorial. Alors vous allez me dire que non, vous ne dénoncez rien, vous ne reprochez rien à personne. Moi, désolé, je vois un parti-pris anti-finlandais dans votre manière de présenter les faits : « les Finlandais auraient dû réfléchir », « les Finlandais ne pouvaient pas ignorer ce que signifiait une victoire d’Hitler », « les Finlandais ont regardé mourir les habitants de Leningrad sans réagir ». Avouez quand même que les Finlandais ont un peu de mal à trouver grâce à vos yeux dans cette affaire.
               
              [Mieux vaut viser l’idée d’un état unique garantissant à tous ses citoyens, juifs et non-juifs, les mêmes droits.]
              Oui, c’est ce qui a été fait en Afrique du Sud avec la réussite que l’on connaît : la population la plus arriérée, si elle est la plus nombreuse, prend le pouvoir et ses insuffisances ne tardent pas à plomber le pays.
               
              Donnez la citoyenneté israélienne à tous les Palestiniens, et Israël sera un pays sous-développé en quelques décennies. Et les juifs commenceront à partir, comme beaucoup de blancs ont quitté l’Afrique du sud.
               
              [Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit.]
              J’ai posé une question, je ne vous ai pas prêté des propos. Ai-je le droit de m’interroger sur les conséquences du « privilège au dernier arrivant » que vous invoquez ?
               
              [Même si le dynamisme de l’empire ottoman devait beaucoup à certaines minorités, le mérite revient à l’Etat ottoman, qui a su créer les conditions de cette symbiose.]
              Je ne vois pas les choses ainsi. De mon point de vue, les Turcs ont profité d’un héritage, qu’ils ont d’ailleurs laissé s’étioler progressivement à partir du XVII° siècle, sous l’effet conjugué des défaites militaires, de l’incurie du gouvernement et de la montée du nationalisme turc (à partir du XIX° siècle).
               
              [Louis XIV a eu l’intelligence de faire venir des tisserands de Flandre et des verriers de Murano pour stimuler les manufactures françaises.]
              Mais cette intelligence lui vient certainement de ses origines espagnoles, si j’en crois l’historiographie en vogue…
               
              [Et lorsqu’un pouvoir politique fait venir des étrangers pour reconstruire le pays, à qui revient la “légitimité” ? Au pouvoir qui les fait venir, ou aux gens qui sont venus ?]
              Vous connaissez ma réponse. Mais si vous allez à la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration, on vous expliquera que le mérite de la reconstruction revient « aux gens qui sont venus ». Et aujourd’hui, ce sont les universitaires de la CNHI qui écrivent l’histoire officielle en France, pas les gens comme moi.
               
              Mais quelques remarques sur Constantinople :
              d’abord, les Grecs n’étaient pas des immigrés, « venus d’ailleurs », puisqu’on parlait grec dans la région des détroits depuis 2000 ans quand les Turcs sont arrivés. Ensuite, les marchands grecs et arméniens avaient déjà une bonne partie des réseaux commerciaux. Par conséquent les Turcs ont exploité le dynamisme économique des autochtones, un dynamisme qui préexistait à leur domination. L’empire ottoman a un système largement fondé sur la prédation : lourds tributs prélevés sur les états chrétiens (ou autre) vassaux, confiscation des meilleures terres au profit de soldats turcs, impôts levés en priorité sur les chrétiens, en argent et en nature (les enfants pris pour le corps des janissaires). Et jamais les Phanariotes n’ont obtenu l’égalité des droits. L’empire ottoman ne connaît certes aucun préjugé racial, mais pour accéder aux postes de pouvoir, il fallait se convertir à l’islam, et donc renoncer à son identité grecque…
               
              Pour Thessalonique en revanche, les Ottomans ont effectivement installé des familles juives pour créer une dynamique. Dans ce cas-là, oui, on est davantage dans le schéma que vous défendez. Mais ce cas n’est pas si commun chez les Ottomans.
               
              Par ailleurs, et c’est souvent le cas pour les minorités, elles sont tolérées tant que tout va bien et qu’elles ont une forme d’utilité. Mais que la situation se gâte, et leur situation se dégrade rapidement.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« C’est fou quand même le nombre « d’erreurs » commis par les dirigeants européens, pourtant formés aux meilleures universités et ayant une belle expérience politique, dans les années 1930. » Là, vous changez de sujet. Moi, je n’ai parlé que d’une erreur d’appréciation des Finlandais en 1939 sur les Soviétiques et leurs motivations, je n’ai pas parlé des « bourgeoisies européennes ». Maintenant, si vous voulez me faire dire que les bourgeoisies européennes des années 30 sont traversées par un anticommunisme obsessionnel, et que cet anticommunisme les a poussées à se montrer au mieux indulgentes, au pire partisanes des régimes fasciste et nazi, je vous l’accorde volontiers. Satisfait ?]

              Ce n’était pas mon propos. Vous parliez d’une « erreur d’appréciation » des Finlandais en 1939. Je remarque simplement que cette « erreur » s’inscrirait dans une très longue liste « d’erreurs » qui, toutes, semblent avoir pour conséquence de rendre plus précaire la position de l’URSS et de renforcer les capacités de l’Allemagne à lui faire la guerre. Alors, on finit par se demander si les « erreurs » en question en étaient vraiment, si ce qui est présenté comme des « erreurs » des dirigeants ne traduit finalement un choix politique, celui de privilégier n’importe quelle force qui pourrait abattre ou affaiblir le « fantôme » communiste, quelque puisse être le prix.

              D’où ma question. Vous pensez que les Finlandais ont commis une « erreur » en 1939. Mais imaginons un instant qu’ils aient au contraire parfaitement compris les enjeux, et qu’ils aient refusé la proposition soviétique non parce qu’ils ne l’ont pas bien comprise, ou parce qu’ils la trouvaient déséquilibrée, ou parce qu’ils craignaient un piège, mais parce que concéder ce que les soviétiques demandaient aurait consolidé les capacités de défense du régime bolchévique honni ?

              A l’appui de cette thèse, on peut citer un très grand nombre d’exemples. Ainsi, par exemple, le soutien massif donné par l’occident aux « combattants de la liberté » afghans, qui conduit l’occident à soutenir l’un des mouvements les plus réactionnaires et rétrogrades de la planète, avec les résultats que l’on sait. Mais… était-ce une « erreur » de le faire ? Ou bien un choix politique, ou l’on était prêt à payer – ou plutôt à faire payer aux autres – n’importe quel prix pour affaiblir l’URSS ?

              [Mais je me permets de vous faire remarquer que le projet communiste, aux dernières nouvelles, ne sert pas les intérêts de la bourgeoisie, ou alors j’ai manqué quelque chose. Et puis, au fond, réjouissez-vous : dans cette affaire, les bourgeois se sont retrouvés dans le mauvais camp, celui de Hitler. Est-ce que cela ne montre pas que la domination bourgeoise est prête à toutes les turpitudes pour se maintenir ?]

              Sans aucun doute. Mais c’est une piètre consolation compte tenu des dégâts énormes infligés à la première expérience socialiste, dégâts dont elle ne se relèvera pas.

              [Par contre, je m’étonne : vous semblez presque regretter que les bourgeoisies de Finlande, de France, de Grande Bretagne n’aient pas conclu un accord avec l’URSS, mais quand on sait ce qu’est le communisme, leurs réticences apparaissent tout à fait fondées, non ? Si les bourgeoisies ont agi en fonction de leur intérêt, ce n’est ni une erreur, ni un aveuglement. Elles ont parié sur Hitler. C’est très vilain. Mais si elles avaient parié sur Staline, c’eût été très con…]

              Exactement. Personnellement, je ne « regrette » rien, je ne fais que constater. Ce qui m’énerve, c’est que quelques décennies plus tard on continue à falsifier l’histoire, présentant la deuxième guerre mondiale comme un conflit entre les « totalitarismes » et les « démocraties », quand elle fut en fait le résultat de la « grande peur » des bourgeoisies soucieuses de la perte de leurs privilèges. Le « totalitarisme » nazi fut une création des bourgeoisies : de la bourgeoisie allemande qui était prête à tout pour détruire les partis ouvriers, des bourgeoisies française et britannique qui voyaient dans les régimes autoritaires un « cordon sanitaire » bien utile autour de l’URSS et un potentiel fer de lance dans une « croisade antibolchévique ».

              [Mais ce ne sont pas des erreurs, j’ai bien compris. Et après ? Vous voulez me faire avouer que les bourgeoisies européennes des années 30 portent une très lourde responsabilité dans l’engrenage qui a mené à la guerre, à la Shoah, aux morts civils de Leningrad ? Eh bien, j’avoue : le Bien, le Beau, le Vrai étaient du côté de l’URSS.]

              Dont acte. Malheureusement, ce n’est pas l’histoire qu’on raconte dans nos écoles…

              [Dans ces conditions d’ailleurs, je ne saisis pas votre tendresse pour la France :]

              Cet air de liberté au-delà des frontières
              Aux peuples étrangers qui donnait le vertige
              Et dont vous usurpez aujourd’hui le prestige
              Elle répond toujours du nom de Robespierre
              Ma France

              Cela répond à votre question ? Ma tendresse va au peuple français, et non à ce groupe dominant.

              [La France a refusé de s’entendre avec l’URSS, a lâchement abandonné son allié tchécoslovaque, en espérant échapper à la guerre. Donc finalement, la débâcle de 40, l’humiliation, l’Occupation, c’est non seulement logique, mais ça devrait être mérité, non ? En quoi la France a-t-elle eu une attitude moins mesquine que la Pologne ?]

              Je ne confonds pas comme vous le faites « la France » et sa classe dominante. Dire que « la France » a refusé de s’entendre avec l’URSS c’est une commodité de langage, mais occulte les rapports de force internes. Ce n’est pas le prolétariat qui avait le pouvoir en France à l’époque, c’était la bourgeoisie. Et la bourgeoisie française – à travers des institutions politiques qu’elle contrôlait largement – a refusé de s’entendre avec l’URSS, a abandonné la Tchécoslovaquie, a permis le réarmement de l’Allemagne et est restée l’arme au pied lors de l’invasion de la Pologne. C’est elle, et non « la France », qui « méritait » ce qui est arrivé plus tard.

              De Gaulle ne dit pas autre chose d’ailleurs, lorsqu’il souligne combien la France a été trahie par ses élites économiques, avec lesquelles il sera d’ailleurs très dur lorsqu’il sera à la tête du GPRF. C’est d’ailleurs cette trahison qui a rendu possible la vague de nationalisations à la Libération.

              [Je sais bien que vous ne reprochez rien à personne, mais on sent quand même une forme de ressentiment vis-à-vis des nations « bourgeoises » qui n’ont pas fait le nécessaire pour aider l’URSS à préparer sa défense.]

              Vous voulez dire « qui ont fait tout le nécessaire pour aider ses attaquants » ? Ce serait plus conforme à la réalité. Oui, j’ai une certaine forme de « ressentiment » quand je pense à tous les gens qui sont morts, toutes ces choses qui ont été détruites – lors de la deuxième guerre mondiale, mais aussi pendant la guerre froide – avec le seul objectif de préserver les privilèges de la bourgeoisie. Leur faire des « reproches » serait absurde, dans la mesure où c’est là la tragédie de l’histoire : la lutte des classes est le moteur de l’histoire, et la bourgeoisie ne faisait que défendre ses intérêts de classe avec tous les moyens à sa disposition. Si l’on peut leur reprocher quelque chose, c’est la réaction hystérique qui a conduit les bourgeois à surestimer le danger communiste, et donc à employer des moyens qui, quelquefois, sont allés loin dans le macabre ou le ridicule. La bourgeoisie avait vraiment besoin, pour se défendre, d’interdire l’emploi du mot « vecteur » dans les livres de mathématiques, ou de mettre à l’index « le rouge et le noir » (un célèbre censeur déclara que Stendhal « avait écrit deux livres, « Le rouge » et « Le noir », et que les deux étaient subversifs ») c’comme ce fut le cas dans l’Argentine de Videla ?

              [« La Russie a surtout cherché à s’entourer d’états « amis » » Oui, d’états « amis »… parfois d’états vassaux aussi.]

              C’est pourquoi j’ai mis le mot « amis » entre guillemets. Lorsque ses voisins n’étaient pas amicaux envers elle, la Russie n’hésitait pas à intervenir pour s’assurer que les gouvernements en place soient amicaux à leur égard. Mais une fois cela acquis, elle leur laissait une très large autonomie dans leurs choix internes. Tant que les autorités de la RDA, de la Pologne, de la Tchécoslovaquie ou de la Hongrie socialiste ne mettaient pas en cause les questions de défense, de politique extérieure, des alliances, elles pouvaient faire ce qu’elles voulaient – et on voit d’ailleurs une forte diversité des politiques économiques, par exemple.

              [« Mannerheim a dit « oui » à Hitler, et peu de gens lui en font le reproche. Pourquoi, à votre avis ? »
              Parce qu’il était anticommuniste. Mais j’y songe, qu’en est-il de la position soviétique ? L’URSS a-t-elle réclamé Mannerheim pour le juger ? A-t-elle réclamé qu’il soit jugé en Finlande ?]

              Pendant la guerre, Mannerheim prit la précaution de rien faire de son propre chef : il s’est cantonné ostensiblement dans ses fonctions militaires, laissant les politiques se compromettre (ça ne vous rappelle rien ? Pensez Pétain-Laval). Par exemple, il ne signa rien, mais poussa le président finlandais Risto Ryti à signer le document connu comme le pacte Ryti-Ribbentrop. Et c’est Ryti qui payera les pots cassés : après la guerre, il sera condamné.

              Staline était un pragmatique. Pour lui, la priorité était la neutralisation de la Finlande, et non la punition de Mannerheim, considéré par la plupart de ses concitoyens comme un héros. L’URSS s’est contenté de sa démission et de son effacement de la vie politique.

              [« Revendications à régler par référendum, je vous le rappelle… » Oui enfin le référendum n’était pas forcément une exigence française, mais plutôt un obstacle à l’annexion française. En tout cas, votre affirmation était que la France n’avait rien demandé de plus que les territoires perdus en 1871 au Traité de Francfort. Je vous ai montré que ce n’était pas le cas.]

              Vous avez raison : la Sarre avait été détachée de la France au congrès de Vienne, en 1815…

              [« Quel rapport avec le fait de « défendre les intérêts de sa nation » ? » Je n’ai pas compris cette remarque. Je présume que les dirigeants finlandais ont pris la décision de reprendre la lutte contre l’URSS en pensant « défendre les intérêts de la nation finlandaise ».]

              Mais ce n’est pas ce que vous avez écrit : vous aviez cité comme motivation des Finlandais « La mémoire de leurs soldats morts, ainsi que l’amertume de la défaite et le fait d’avoir dû abandonner une portion du territoire national, oui. ». On voit mal en quoi satisfaire « l’amertume » et la « mémoire des morts » constitue un « intérêt de la nation ».

              [Ou présumez-vous que les Finlandais ont agi par antisoviétisme pur, sans tenir compte de ce qu’ils pensaient être leur intérêt ?]

              C’est vous qui l’avez écrit, pas moi…

              [« Par ailleurs, la décision finlandaise d’attaquer l’URSS n’a pas vraiment servi les « intérêts de la nation » : en 1945, l’URSS récupérera les territoires qu’elle revendiquait en 1939, et cette fois-ci sans compensation. » Encore un raisonnement rétrospectif… Je vous cite : « les hommes font l’histoire, mais ils ne savent pas l’histoire qu’ils font ». Il est certain que si les dirigeants européens avaient su comment la guerre allait se finir dès 1939-1940, il y aurait eu moins d’ « erreurs ». Et Mannerheim aurait probablement maintenu son pays dans une prudente neutralité.]

              Mon raisonnement n’était pas si « rétrospectif » qu’il n’y paraît. Déjà en 1942 Mannerheim – et il n’était pas le seul – était convaincu que l’Allemagne ne pouvait pas gagner la guerre.

              [Et oui, l’homme se conduit souvent comme un animal en temps de guerre. Après tout, les soldats soviétiques ont violé un certain nombre de femmes allemandes, à Berlin et ailleurs, alors qu’elles étaient civiles. Je suis curieux : diriez-vous que les soldats soviétiques se sont conduits comme des bêtes ? Ou bien ont-ils légitimement fait payer le martyr de leur peuple ?]

              Qu’ils se sont conduits comme des bêtes, sans hésiter. Même si l’on peut comprendre les ressorts de ce comportement, on ne doit pas le justifier. Même si la réalité est ce qu’elle est, il faut avoir des aspirations plus élevées pour l’être humain.

              [« Pour ce qui concerne le « contentieux », de la même manière que la Finlande avait des contentieux avec l’URSS, la France avait des contentieux avec l’Angleterre, et aurait pu utiliser l’occupation allemande pour les régler… » Quand je lis ça, j’ai l’impression que vous reprochez à la Finlande d’avoir utilisé l’alliance allemande pour régler son contentieux territorial. Alors vous allez me dire que non, vous ne dénoncez rien, vous ne reprochez rien à personne.]

              Je ne reproche rien, je constate. Pour les autorités finlandaises de l’époque, la récupération des territoires dont l’URSS s’était emparée lors du traité de Moscou valaient bien qu’on soutienne l’attaque allemande, alors qu’on pouvait imaginer ce que cela impliquait d’actes de barbarie. De la même manière que pour les Américains embêter les soviétiques valait bien de soutenir un mouvement qui mettait les femmes sous burqa et dynamitait les écoles – et les tours du WTC, comme on le verra plus tard. Est-ce un « parti pris » anti-finlandais ou anti-américain que de rappeler ces faits ?

              Ce que je trouve le plus détestable aujourd’hui, c’est le niveau de « moralisme » du discours historico-politique. Il y a d’un côté les « bons », de l’autre les « mauvais ». On pardonne tout aux premiers, rien aux seconds. On rappelle à chaque bout de champ que le méchant Staline a signé un « pacte » avec l’Allemagne qui prévoyait l’occupation d’un certain nombre de territoires, on oublie convenablement que la Finlande et la Pologne sont allés plus loin, soutenant les attaques nazis – la Pologne pour récupérer Teschen, la Finlande pour faire la même chose en Carélie. Pourquoi on rappelle obsessionnellement l’un et on oublie l’autre ? Parce que Staline est un « mauvais », là où les Polonais ou les Finlandais sont les « bons ». Et on voit la même chose en Ukraine : on condamne l’invasion par la Russie au nom du droit international, on oublie convenablement celle de l’Irak par les Américains, tout aussi contraire au droit. Le détachement par la force de la Crimée est un crime, le détachement par les mêmes moyens du Kossovo un acte de justice.

              [Moi, désolé, je vois un parti-pris anti-finlandais dans votre manière de présenter les faits : « les Finlandais auraient dû réfléchir », « les Finlandais ne pouvaient pas ignorer ce que signifiait une victoire d’Hitler », « les Finlandais ont regardé mourir les habitants de Leningrad sans réagir ». Avouez quand même que les Finlandais ont un peu de mal à trouver grâce à vos yeux dans cette affaire.]

              Je me contente de citer des faits. Si vous trouvez ces faits insupportables, ce n’est pas ma faute. Rappeler que les Finlandais ont pris le parti de l’Allemagne sachant pertinemment ce que l’attaque contre l’URSS présageait – au moins une extension au territoire soviétique des exactions commises en Pologne, ce n’est pas du « parti pris », mais une simple constatation des faits.

              [« Mieux vaut viser l’idée d’un état unique garantissant à tous ses citoyens, juifs et non-juifs, les mêmes droits. » Oui, c’est ce qui a été fait en Afrique du Sud avec la réussite que l’on connaît : la population la plus arriérée, si elle est la plus nombreuse, prend le pouvoir et ses insuffisances ne tardent pas à plomber le pays.]

              Pensez-vous qu’une scission du pays aurait donné de meilleurs résultats ?

              [Donnez la citoyenneté israélienne à tous les Palestiniens, et Israël sera un pays sous-développé en quelques décennies. Et les juifs commenceront à partir, comme beaucoup de blancs ont quitté l’Afrique du sud.]

              Je ne vois pas très bien quelles sont les alternatives. Par ailleurs, Israel est déjà un pays sous-développé. Ne vous trompez pas : un pays sous-développé peut avoir des élites de très grande qualité et des industries de pointe… et à côté des populations plongées dans la misère la plus noire. Pensez à l’Argentine, qui d’un côté vend des réacteurs nucléaires et des satellites de télécommunications, alors que 45% de sa population est sous le seuil de pauvreté.

              [« Même si le dynamisme de l’empire ottoman devait beaucoup à certaines minorités, le mérite revient à l’Etat ottoman, qui a su créer les conditions de cette symbiose. » Je ne vois pas les choses ainsi. De mon point de vue, les Turcs ont profité d’un héritage, qu’ils ont d’ailleurs laissé s’étioler progressivement à partir du XVII° siècle, sous l’effet conjugué des défaites militaires, de l’incurie du gouvernement et de la montée du nationalisme turc (à partir du XIX° siècle).]

              Je ne crois pas qu’on puise limiter le rayonnement de la civilisation ottomane sous Mehmet ou Soliman à une simple question d’héritage. Si les musulmans s’intéressent à l’époque à cet héritage, s’ils reprennent les textes grecs que l’occident avait en partie oublié, c’est dans le cadre d’une création intellectuelle originale. Au temps de la chute de Constantinople, la civilisation musulmane est bien plus ouverte intellectuellement que l’occident chrétien, enfermé dans le carcan scholastique.

              [« Louis XIV a eu l’intelligence de faire venir des tisserands de Flandre et des verriers de Murano pour stimuler les manufactures françaises. » Mais cette intelligence lui vient certainement de ses origines espagnoles, si j’en crois l’historiographie en vogue…]

              Eh oui, à l’époque on importait même des rois, paraît-il…

              [« Et lorsqu’un pouvoir politique fait venir des étrangers pour reconstruire le pays, à qui revient la “légitimité” ? Au pouvoir qui les fait venir, ou aux gens qui sont venus ? » Vous connaissez ma réponse. Mais si vous allez à la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration, on vous expliquera que le mérite de la reconstruction revient « aux gens qui sont venus ». Et aujourd’hui, ce sont les universitaires de la CNHI qui écrivent l’histoire officielle en France, pas les gens comme moi.]

              Mais si on veut pouvoir lutter contre cette « histoire officielle », il faut avoir les idées claires. On ne peut pas refuser à Mehmet ou à Soliman ce qu’on accorde à Louis XIV. Si l’idée de prendre ce qu’il y a de mieux à l’étranger pour développer son pays est un mérite chez l’un, il l’est aussi chez les autres.

              [d’abord, les Grecs n’étaient pas des immigrés, « venus d’ailleurs », puisqu’on parlait grec dans la région des détroits depuis 2000 ans quand les Turcs sont arrivés. Ensuite, les marchands grecs et arméniens avaient déjà une bonne partie des réseaux commerciaux. Par conséquent les Turcs ont exploité le dynamisme économique des autochtones, un dynamisme qui préexistait à leur domination.]

              Ils ont fait bien plus qu’exploiter simplement le dynamisme commercial des autochtones. Ils l’ont démultiplié, en mettant à la disposition de ce « dynamisme » de nouvelles routes commerciales, une réglementation plus moderne que celle hérité des romains, des technologies nouvelles – comme par exemple la nouvelle sidérurgie développé à Damas, dont les aciers sont célèbres à la fin du moyen âge. Je pense que vous faites erreur en attribuant au monde musulman une logique purement prédatrice. Oui, les souverains musulmans ont reçu un héritage, mais ils l’ont développé et l’ont fait fructifier.

              [L’empire ottoman a un système largement fondé sur la prédation : lourds tributs prélevés sur les états chrétiens (ou autre) vassaux, confiscation des meilleures terres au profit de soldats turcs, impôts levés en priorité sur les chrétiens, en argent et en nature (les enfants pris pour le corps des janissaires). Et jamais les Phanariotes n’ont obtenu l’égalité des droits. L’empire ottoman ne connaît certes aucun préjugé racial, mais pour accéder aux postes de pouvoir, il fallait se convertir à l’islam, et donc renoncer à son identité grecque…]

              Ce que vous citez, c’est la logique commune de toutes les civilisations européennes jusqu’à la Révolution française. A quel moment un juif a pu accéder, sans se convertir, aux « postes de pouvoir » en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie ? Pas avant la toute fin du XVIIIème siècle. De ce point de vue, les ottomans étaient un peu plus ouverts : ainsi, un juif a été grand vizir du Bey de Tunis au XVIIème siècle (c’était l’ancêtre de mon premier chef…). La « confiscation des meilleures terres » rappellent furieusement ce qui fut fait lors de la colonisation de l’Algérie en 1830.

              [Par ailleurs, et c’est souvent le cas pour les minorités, elles sont tolérées tant que tout va bien et qu’elles ont une forme d’utilité. Mais que la situation se gâte, et leur situation se dégrade rapidement.]

              En France ou en Grande Bretagne aussi : pensez aux différentes expulsions de juifs…

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
              [Vous pensez que les Finlandais ont commis une « erreur » en 1939. Mais imaginons un instant qu’ils aient au contraire parfaitement compris les enjeux, et qu’ils aient refusé la proposition soviétique non parce qu’ils ne l’ont pas bien comprise, ou parce qu’ils la trouvaient déséquilibrée, ou parce qu’ils craignaient un piège, mais parce que concéder ce que les soviétiques demandaient aurait consolidé les capacités de défense du régime bolchévique honni ?]
              Je pense que les Finlandais ONT PU se méprendre sur les intentions des Soviétiques. Et j’ai dit que cette éventuelle méprise s’est ENSUITE révélée être une erreur. Je n’étais pas dans la tête des dirigeants finlandais.
               
              Je ne veux pas vous attribuer des propos qui ne sont pas les vôtres, alors je vous pose la question clairement : avez-vous le moindre doute sur l’attitude des Finlandais ? Ou bien êtes vous convaincu, autant qu’on peut l’être, qu’ils ont agi par antisoviétisme pur et dur ?
               
              [Mais… était-ce une « erreur » de le faire ? Ou bien un choix politique, ou l’on était prêt à payer – ou plutôt à faire payer aux autres – n’importe quel prix pour affaiblir l’URSS ?]
              Je ne sais pas. Vous avez cité un dirigeant finlandais qui a reconnu rétrospectivement que les demandes des Soviétiques étaient justifiées. Contrairement à vous – si j’ai bien compris votre position – je n’exclus pas une « erreur d’appréciation » des dirigeants finlandais, parce que les erreurs, ça arrive aussi. Disons que je leur accorde le bénéfice du doute. Par ailleurs, je n’ai pas nié que les demandes soviétiques semblaient en effet mesurées, et peut-être justifiées du point de vue des dirigeants de l’URSS.
               
              [je ne « regrette » rien, je ne fais que constater.]
              Si, vous regrettez « les dégâts énormes infligés à la première expérience socialiste », je vous cite. Parce que vous auriez ardemment désiré que cette expérience réussisse. Je respecte ce désir – chacun a droit à ses rêves, et le rêve socialiste est loin d’être méprisable – mais je crains qu’il ne vous amène à une interprétation biaisée des faits.
               
              [Ce qui m’énerve, c’est que quelques décennies plus tard on continue à falsifier l’histoire, présentant la deuxième guerre mondiale comme un conflit entre les « totalitarismes » et les « démocraties », quand elle fut en fait le résultat de la « grande peur » des bourgeoisies soucieuses de la perte de leurs privilèges.]
              Qui est ce « on » ? En ce qui me concerne, je pense que vous pouvez me reprocher énormément de choses, mais certainement pas d’être un anticommuniste primaire. Et si je ne pare pas l’URSS de toutes les vertus, je suis assez d’accord avec vous pour dire que : 1) l’équivalence communisme = nazisme est inacceptable ; 2) l’URSS (et la Russie aujourd’hui) est très souvent sur le banc des accusés alors que les Occidentaux ne sont pas exempts de turpitudes tout à fait comparables.
              Là dessus, je pense que nous pouvons nous accorder.
               
              [Dont acte. Malheureusement, ce n’est pas l’histoire qu’on raconte dans nos écoles…]
              Je ne vois pas l’intérêt de raconter une autre histoire en se contentant d’inverser les rôles. Et – je ne dis pas ça contre vous spécifiquement – mais je suis un peu las de la rengaine sur « ces vérités historiques qui ne sont pas enseignées à nos enfants »…
               
              [Cela répond à votre question ?]
              Absolument pas. Ce qu’a pu être la France dans les années 1790 ne préjuge en rien de qu’elle est devenue dans les années 30.
               
              [Ma tendresse va au peuple français, et non à ce groupe dominant.]
              Oui enfin ce groupe dominant avait une légitimité démocratique quand même. Vous répétez à l’envi qu’aujourd’hui les Français ont les dirigeants dont ils sont prêts à se contenter. Pourquoi la remarque ne vaudrait-elle pas pour ceux des années 30 ?
               
              [Je ne confonds pas comme vous le faites « la France » et sa classe dominante.]
              Alors dans ce cas, vous vous interdisez de parler de « la France », parce que « la France » n’a jamais rien fait : Louis XI, Richelieu, Louis XIV, Napoléon ont fait des choses, mais « la France » n’a rien fait. Et même sous la Révolution, les décisions sont prises par la bourgeoisie qui veut renverser l’Ancien Régime. Certes, elle a recherché et obtenu une alliance avec le petit peuple des villes et une bonne partie de la paysannerie, il n’en demeure pas moins qu’elle a déclenché la Révolution pour devenir la « classe dominante ».
               
              [Ce n’est pas le prolétariat qui avait le pouvoir en France à l’époque, c’était la bourgeoisie.]
              En France dans les années 30, il n’y a pas que la bourgeoisie et le prolétariat. Il y a également la paysannerie et le monde des artisans et des petits commerçants, des milieux qui pesaient encore lourd. Des milieux plutôt hostiles au communisme d’ailleurs.
               
              [Mannerheim prit la précaution de rien faire de son propre chef : il s’est cantonné ostensiblement dans ses fonctions militaires, laissant les politiques se compromettre (ça ne vous rappelle rien ? Pensez Pétain-Laval). Par exemple, il ne signa rien, mais poussa le président finlandais Risto Ryti à signer le document connu comme le pacte Ryti-Ribbentrop. Et c’est Ryti qui payera les pots cassés : après la guerre, il sera condamné.]
              Résumons : Mannerheim a publiquement exprimé son admiration pour les « régimes autoritaires », ainsi que son hostilité au communisme. Il a remis aux Allemands les prisonniers soviétiques. Le Führer, si j’ai bien compris, est venu lui souhaiter son 75ème anniversaire. Et maintenant, vous me dites que Mannerheim a poussé à prendre des décisions qu’il n’a pas assumées, laissant d’autres en payer le prix. Et vous voulez me faire croire qu’à vos yeux Mannerheim n’est pas un salaud ? Allons…
               
              [On voit mal en quoi satisfaire « l’amertume » et la « mémoire des morts » constitue un « intérêt de la nation ».]
              Mais récupérer des territoires perdus, si. Quant à l’alliance avec le III° Reich, il faut rappeler que pour combattre l’Allemagne, la France républicaine de la fin du XIX° siècle n’a pas hésité à conclure une alliance avec la Russie impériale, modèle de régime autocratique et réactionnaire, dont le tsar pouvait aisément se reconnaître dans les « tyrans » dénoncés par la Marseillaise. Un régime qui emprisonnait ses opposants et persécutaient les juifs, laissant se dérouler d’odieux pogroms sur son territoire, vous en savez plus long que moi là-dessus. Par conséquent, les Finlandais ne sont pas les seuls – et surtout pas les premiers – à avoir laissé la morale de côté pour faire de la Réalpolitik en concluant des alliances avec des pays peu recommandables, vous ne croyez pas ?
               
              [[Ou présumez-vous que les Finlandais ont agi par antisoviétisme pur, sans tenir compte de ce qu’ils pensaient être leur intérêt ?]
              C’est vous qui l’avez écrit, pas moi…]
              D’abord, je n’ai rien affirmé, j’ai posé une question. Mais je pense que toute votre démonstration avait pour objectif d’amener à cette conclusion, qui est en réalité votre postulat de départ. Le niez-vous ?
               
              [Déjà en 1942 Mannerheim – et il n’était pas le seul – était convaincu que l’Allemagne ne pouvait pas gagner la guerre.]
              Décidément, Mannerheim est insondable… Soit il a sciemment pris le parti des futurs vaincus en présageant les désagréments que subirait son pays, et on peut s’interroger sur sa lucidité. Soit il s’est dit : « Bon, OK, Hitler va perdre, mais il aura tellement affaibli l’URSS qu’a priori l’expérience socialiste va échouer et, si tout va bien, l’URSS disparaîtra avant la fin du siècle. Mes maîtres bourgeois seront satisfaits », auquel cas, Mannerheim est d’une intelligence hors du commun, un génie comme on en fait peu.
               
              [Je ne reproche rien, je constate. Pour les autorités finlandaises de l’époque, la récupération des territoires dont l’URSS s’était emparée lors du traité de Moscou valaient bien qu’on soutienne l’attaque allemande, alors qu’on pouvait imaginer ce que cela impliquait d’actes de barbarie.]
              Mais nous sommes bien d’accord que cette présentation des faits – outre qu’elle suppose que les Finlandais avaient connaissance des exactions nazies, ce qui à mon sens est discutable, mais passons – place les Finlandais dans le rôle de complices des crimes du III° Reich, non ?
               
              [Est-ce un « parti pris » anti-finlandais ou anti-américain que de rappeler ces faits ?]
              Très bonne question. Quand vous ou moi insistons pour rappeler les turpitudes américaines (et plus généralement occidentales) au Kosovo, en Irak, en Afghanistan, est-ce un parti-pris anti-américain ? Je pense que oui, d’autant qu’il s’agit de relativiser les reproches adressés à la Russie dans l’affaire ukrainienne. Mais un parti-pris peut s’appuyer sur des faits bien réels : quand je dis que les États-Unis nous espionnent, menacent nos entreprises ou torpillent nos contrats d’armement, j’énonce des faits, vérifiables. Si je passe mon temps à dire que les Américains sont venus nous aider en 1917 et en 1944, qu’ils ont sauvé le Koweït en 1991, renversé Saddam Hussein, un dictateur féroce, en 2003 c’est vrai aussi, mais cela traduit une position plutôt pro-américaine. Alors pourquoi ne pas admettre un parti-pris anti-finlandais ?
               
              [Ce que je trouve le plus détestable aujourd’hui, c’est le niveau de « moralisme » du discours historico-politique.]
              Tout à fait d’accord.
               
              [Il y a d’un côté les « bons », de l’autre les « mauvais ». On pardonne tout aux premiers, rien aux seconds. […] Et on voit la même chose en Ukraine : on condamne l’invasion par la Russie au nom du droit international, on oublie convenablement celle de l’Irak par les Américains, tout aussi contraire au droit. Le détachement par la force de la Crimée est un crime, le détachement par les mêmes moyens du Kossovo un acte de justice.]
              Eh bien, je suis plutôt d’accord avec vous. Mais est-il constructif d’inverser les choses, d’insinuer que les « bons » sont en fait « méchants » (comme les Finlandais ou les Polonais), et les « méchants » (Russes, Soviétiques, Serbes) des « gentils » ?
               
              Est-ce que l’antisémitisme des Polonais excuse l’antisémitisme russe ? Est-ce que les mauvaises décisions des dirigeants polonais à la fin des années 30 effacent ou justifient le martyr du peuple polonais et le courage de ceux qui ont résisté aux Allemands ?
               
              Moi, vous savez, je suis prêt à accorder à tout le monde une forme d’indulgence : l’URSS, durant la guerre, a connu un degré de violence et de cruauté rarement atteint. Je professe une grande admiration pour les soldats soviétiques qui, à Stalingrad, se sont battus avec un héroïsme étonnant, après des mois de défaites catastrophiques. Et je tiens Staline pour un très grand homme d’État. Mais ça ne m’empêche pas de penser aux soldats polonais qui se sont bravement battus en 1939 ou aux officiers polonais massacrés à Katyn (ce qui est quand même un crime de guerre). Je peux penser aussi au soldat finlandais qui se battait pendant la guerre d’hiver pour défendre sa patrie. Je ne suis pas sûr qu’il pensait forcément « bourgeoisie », « prolétariat », « lutte des classes ». Peut-être que c’était simplement un brave type qui défendait son pays.
               
              Vous dites que les Finlandais ont attendu l’arme au pied que les Allemands fassent subir un martyr à Leningrad. C’est vrai et ce n’est pas à leur honneur, mais est-ce que les Soviétiques n’ont pas « rendu la politesse » quand ils l’ont pu ? Par exemple lorsqu’ils ont laissé l’armée allemande écraser les résistants polonais de Varsovie en restant « l’arme au pied » en 1944. Ce n’est pas forcément glorieux non plus : outre les pertes (peut-être 200 000 morts, ce n’est pas négligeable), une partie de la ville au riche patrimoine a été détruite. Et dans ce cas précis, les Polonais, contrairement aux Finlandais, combattaient le même ennemi que les Soviétiques.
               
              Derrière « la bourgeoisie », « les classes dominantes », les dirigeants, « le prolétariat », il y a les peuples, les nations. Et il s’est trouvé des gens courageux, qui ont essayé de faire leur devoir, chez les Polonais, chez les Finlandais, et bien sûr chez les Soviétiques. Et parmi ces peuples, d’autres ont commis des crimes, des exactions, ont profité de la guerre pour se conduire de manière indigne. C’est ça l’humanité : le sublime côtoie en permanence l’abject. Que voulez-vous que je vous dise d’autre ?
               
              Vous êtes un homme intelligent, mesuré, cultivé. Mais quand on aborde ces questions, je sens chez vous… comment dire ? Je ne dirais pas une forme de « hargne », ce serait insultant, mais le débat est difficile. Il est difficile parce que vous avez manifestement creusé la question – beaucoup plus que moi en tout cas, qui ne suis pas passionné par le XX° siècle – et que vous avez des certitudes bien établies. Il n’y a plus de place pour la nuance, les faits « parlent » nécessairement dans le sens que vous avez choisi. Je pense que je ne suis pas compétent pour discuter de cela avec vous, et je dois dire que vos propos me plongent dans la perplexité : comment se fait-il que votre interprétation soit si éloignée de ce que disent les historiens professionnels ? Tous les autres seraient aveugles, vendus, pardon « aliénés » à l’idéologie dominante ? J’ai un peu de mal à le concevoir. En avez-vous discuté avec des universitaires spécialistes de la question ? Si vous estimez que votre grille de lecture est la seule valide, alors, sauf votre respect, vous devriez, toutes activités cessantes, démissionner de vos fonctions et réaliser un travail universitaire en écrivant un pavé de 500 ou 600 pages pour prouver, sources à l’appui, vos dires. Tant que vous n’aurez pas réalisé ce travail, vous risquez de prêcher dans le désert…
               
              [Pensez-vous qu’une scission du pays aurait donné de meilleurs résultats ?]
              Pour les blancs, certainement.
               
              [Si les musulmans s’intéressent à l’époque à cet héritage, s’ils reprennent les textes grecs que l’occident avait en partie oublié, c’est dans le cadre d’une création intellectuelle originale.]
              Là, vous parlez de l’islam des IX°-X° siècles, pas de l’islam du XV° siècle.
               
              [Au temps de la chute de Constantinople, la civilisation musulmane est bien plus ouverte intellectuellement que l’occident chrétien, enfermé dans le carcan scholastique.]
              Non, non et non. L’ « âge d’or » de l’islam se termine au plus tard au milieu du XIII° siècle avec la chute de Bagdad. Après quoi, sous la menace des Mongols, l’islam procède à un repli traditionaliste, une partie des grands intellectuels de l’âge d’or étant d’ailleurs « mis à l’index ». Parallèlement, des élites militaires et largement incultes, turques en Asie, berbères en Afrique du Nord, prennent le pouvoir à partir du XI° siècle et évincent progressivement les élites lettrées arabo-persanes qui dominaient jusqu’alors. En fait, le monde musulman amorce son déclin au moment où l’Occident entame son essor au XII° siècle.
               
              Aux XV°-XVI° siècles, les Ottomans font illusion grâce à leurs très grandes qualités militaires. Mais s’ils sont doués pour conquérir et pressurer, les Ottomans à terme se montrent beaucoup moins compétents pour administrer un territoire immense avec une très grande diversité ethnique et religieuse. De ce point de vue, les Russes se sont montrés beaucoup plus efficaces et n’en ont pas été réduits à génocider un peuple sujet.
               
              [Mais si on veut pouvoir lutter contre cette « histoire officielle », il faut avoir les idées claires.]
              Qui ça « on » ? Si vous voulez lutter, ce n’est pas en discutant sur un blog avec un historien de seconde zone comme moi. Faut rédiger votre thèse, mon ami…
               
              [Je pense que vous faites erreur en attribuant au monde musulman une logique purement prédatrice. Oui, les souverains musulmans ont reçu un héritage, mais ils l’ont développé et l’ont fait fructifier.]
              Ce qui est vrai pour les Abbassides l’est beaucoup moins pour les Seldjoukides et les Ottomans. Je vous rappelle que les Ottomans, en fermant partiellement les routes de Méditerranée orientale aux Occidentaux, poussent Colomb et Vasco de Gama à tenter d’atteindre l’Océan Indien par d’autres voies… Si Constantinople demeure une importante place commerciale de dimension régionale, elle restera à l’écart des nouveaux grands courants commerciaux mondiaux qui passent désormais par l’Atlantique et par le cap de Bonne-Espérance. Et, malgré l’activité des marchands grecs et arméniens, Constantinople va s’assoupir irrémédiablement.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [Je ne veux pas vous attribuer des propos qui ne sont pas les vôtres, alors je vous pose la question clairement : avez-vous le moindre doute sur l’attitude des Finlandais ? Ou bien êtes-vous convaincu, autant qu’on peut l’être, qu’ils ont agi par antisoviétisme pur et dur ?]

              Je ne sais pas, mais je pense que la question devrait être posée. De Hitler et Mussolini à Pinochet et Videla, on peut faire une longue liste de situations où les dirigeants « bourgeois » ont préféré soutenir des hommes dont les actes ont après coup contredit les principes idéologiques et moraux qu’ils affirmaient porter. A un moment, il faut donc se poser la question : toutes ces situations dérivent « d’erreurs » ? Ou sont-ils l’expression de choix rationnels qui mettent les intérêts matériels par devant l’idéologie ?

              Comme vous le savez, je ne crois pas au cynisme. Les dirigeants cyniques sont finalement une petite minorité, et la plupart d’entre eux ont besoin de se fabriquer une idéologie pour justifier leurs actes non seulement auprès des autres, mais aussi d’eux-mêmes. Les dirigeants finlandais ont peut-être agi par antisoviétisme pur, mais je ne pense pas qu’ils l’aient fait en toute conscience. Ils se sont racontés que c’était l’intérêt supérieur de la nation – et peut-être de l’humanité – que l’URSS soit vaincue. Et puis, il ne faudrait pas oublier que tout le monde n’a pas souffert de la même manière le nazisme. Hitler a fait beaucoup de mal aux juifs, mais les bons patrons français catholiques n’ont pas tant souffert que ça…

              [Contrairement à vous – si j’ai bien compris votre position – je n’exclus pas une « erreur d’appréciation » des dirigeants finlandais, parce que les erreurs, ça arrive aussi. Disons que je leur accorde le bénéfice du doute. Par ailleurs, je n’ai pas nié que les demandes soviétiques semblaient en effet mesurées, et peut-être justifiées du point de vue des dirigeants de l’URSS.]

              Moi non plus, je n’exclus pas « l’erreur ». Je m’étonne simplement du grand nombre « d’erreurs » commises, et du fait qu’elles vont TOUTES dans le même sens : TOUTES ces situations ont conduit à privilégier la solution la plus antisoviétique. Que telle ou telle situation puisse être le résultat d’une « erreur », peut-être. Mais que TOUTES ces situations le soient, avouez que ce serait une étrange coïncidence.

              [Si, vous regrettez « les dégâts énormes infligés à la première expérience socialiste », je vous cite. Parce que vous auriez ardemment désiré que cette expérience réussisse. Je respecte ce désir – chacun a droit à ses rêves, et le rêve socialiste est loin d’être méprisable – mais je crains qu’il ne vous amène à une interprétation biaisée des faits.]

              Le risque existe en effet, et je vous remercie de me rappeler à la vigilance…

              [« Ce qui m’énerve, c’est que quelques décennies plus tard on continue à falsifier l’histoire, présentant la deuxième guerre mondiale comme un conflit entre les « totalitarismes » et les « démocraties », quand elle fut en fait le résultat de la « grande peur » des bourgeoisies soucieuses de la perte de leurs privilèges. » Qui est ce « on » ? En ce qui me concerne, je pense que vous pouvez me reprocher énormément de choses, mais certainement pas d’être un anticommuniste primaire.]

              Loin de moi cette idée. Je sais que vos positions sur la question sont nuancées. Le « on » en question, ce sont les livres de texte qu’on utilise dans nos écoles, ce sont les émissions de télévision – notamment sur Arte. Ce sont les films produits par la machine hollywoodienne. C’est le discours tenu par nos gouvernants depuis quelques années.

              [Je ne vois pas l’intérêt de raconter une autre histoire en se contentant d’inverser les rôles. Et – je ne dis pas ça contre vous spécifiquement – mais je suis un peu las de la rengaine sur « ces vérités historiques qui ne sont pas enseignées à nos enfants »…]

              Je pense, comme De Gaulle, que l’école doit préférer « les mensonges qui élèvent plutôt que les vérités qui abaissent ». Et il ne s’agit pas « d’inverser les rôles ». Mais apporter une certaine nuance, et sans sortir d’une logique de l’erreur expliquer à nos enfants POURQUOI ces dirigeants se sont trompés, et combien les obsessions comme l’anticommunisme poussent à ces erreurs, ce serait je pense très formateurs.

              [« Ma tendresse va au peuple français, et non à ce groupe dominant. » Oui enfin ce groupe dominant avait une légitimité démocratique quand même. Vous répétez à l’envi qu’aujourd’hui les Français ont les dirigeants dont ils sont prêts à se contenter. Pourquoi la remarque ne vaudrait-elle pas pour ceux des années 30 ?]

              Que des dirigeants aient eu la légitimité juridique pour engager la France n’implique pas qu’ils aient eu la légitimité politique pour la représenter. C’est d’ailleurs le discours de De Gaulle depuis Londres, lorsqu’il affirme représenter la France, alors que tous ceux qui avaient la « légitimité démocratique » ont capitulé. Quand Laval sabote l’accord franco-soviétique, il le fait en sous-main, en faisant traîner les négociations. S’il avait rompu les négociations publiquement, au vu et au su du peuple français et de ses représentants, et que celui-ci n’avait pas réagi, la question de la « légitimité » de cette politique se poserait peut-être. Mais ce n’est pas le cas : dans les années 1930, les dirigeants ont affiché devant le peuple une politique, et ils ont conduit une autre. Lorsque Daladier revient de Munich, il déclare publiquement avoir « sauvé la paix de notre temps », et à ses collaborateurs il tient un tout autre discours.

              [« Je ne confonds pas comme vous le faites « la France » et sa classe dominante. » Alors dans ce cas, vous vous interdisez de parler de « la France », parce que « la France » n’a jamais rien fait : Louis XI, Richelieu, Louis XIV, Napoléon ont fait des choses, mais « la France » n’a rien fait. Et même sous la Révolution, les décisions sont prises par la bourgeoisie qui veut renverser l’Ancien Régime. Certes, elle a recherché et obtenu une alliance avec le petit peuple des villes et une bonne partie de la paysannerie, il n’en demeure pas moins qu’elle a déclenché la Révolution pour devenir la « classe dominante ».]

              Lorsqu’on parle de « la France », il y a toujours un abus de langage. Mais il ne faut pas non plus aller trop loin. Si l’on doit reconnaître à Louis XI, Richelieu, Louis XIV et Napoléon le mérite personnel de ce qu’ils ont fait de motu propio, il ne faut pas oublier qu’ils l’ont fait « au nom » de la France. Autrement dit, ils se sont mis eux-mêmes sous l’invocation d’une entité plus grande qu’eux, dont ils se considéraient les serviteurs. Et à ce titre, leur œuvre est celle de « la France ».

              Je ne pense pas que la bourgeoisie qui gouverne la France dans les années 1930 se conçoive elle-même comme étant au service de « la France ». Michelin ou Renault ne se considèrent pas comme Richelieu des serviteurs du pays, et aucun n’est mort en disant « je m’en vais, mais l’Etat demeurera toujours ». En ce sens, on peut plus difficilement attribuer leurs œuvres à « la France ».

              [Résumons : Mannerheim a publiquement exprimé son admiration pour les « régimes autoritaires », ainsi que son hostilité au communisme. Il a remis aux Allemands les prisonniers soviétiques. Le Führer, si j’ai bien compris, est venu lui souhaiter son 75ème anniversaire. Et maintenant, vous me dites que Mannerheim a poussé à prendre des décisions qu’il n’a pas assumées, laissant d’autres en payer le prix. Et vous voulez me faire croire qu’à vos yeux Mannerheim n’est pas un salaud ? Allons…]

              Un salaud non, un homme prudent. Et à l’époque, il n’était pas le seul : Hitler a pris les mêmes précautions, et aucune des décisions concernant la « solution finale » ne porte sa signature.

              [« On voit mal en quoi satisfaire « l’amertume » et la « mémoire des morts » constitue un « intérêt de la nation ». » Mais récupérer des territoires perdus, si.]

              Je vous rappelle que cet échange concernait l’indifférence des Finlandais au martyre de Léningrad. Lorsque le siège commence, les Finlandais ont déjà récupéré « les territoires perdus » et même plus. En quoi laisser Léningrad périr servait autre chose que « l’amertume » et la « mémoire des morts » ?

              [Quant à l’alliance avec le III° Reich, il faut rappeler que pour combattre l’Allemagne, la France républicaine de la fin du XIX° siècle n’a pas hésité à conclure une alliance avec la Russie impériale, modèle de régime autocratique et réactionnaire, dont le tsar pouvait aisément se reconnaître dans les « tyrans » dénoncés par la Marseillaise. Un régime qui emprisonnait ses opposants et persécutaient les juifs, laissant se dérouler d’odieux pogroms sur son territoire, vous en savez plus long que moi là-dessus. Par conséquent, les Finlandais ne sont pas les seuls – et surtout pas les premiers – à avoir laissé la morale de côté pour faire de la Réalpolitik en concluant des alliances avec des pays peu recommandables, vous ne croyez pas ?]

              Bien entendu. Comme je vous l’ai déjà expliqué, ce qui m’énerve n’est pas que les Finlandais aient pratiqué la Realpolitik, mais qu’ils ne l’assument pas. Quand vous regardez aujourd’hui comment l’histoire est présentée dans les livres de texte, on vous parle des « gentils » finlandais opposés aux « méchants » soviétiques. Alors que dans la réalité, chacun à servi ses intérêts avec peu de regard pour les considérations morales ou idéologiques. On fait du pacte germano-soviétique une tâche indélébile sur l’uniforme de Staline, alors que le pacte Ryti-Ribbentrop n’empêche pas Mannerheim d’être le héros national. C’est cette différence de traitement que je dénonce.

              [« « Ou présumez-vous que les Finlandais ont agi par antisoviétisme pur, sans tenir compte de ce qu’ils pensaient être leur intérêt ? » » « C’est vous qui l’avez écrit, pas moi… » D’abord, je n’ai rien affirmé, j’ai posé une question. Mais je pense que toute votre démonstration avait pour objectif d’amener à cette conclusion, qui est en réalité votre postulat de départ. Le niez-vous ?]

              Oui, je le nie. Comme je vous l’ai dit plus haut, je suis étonné du nombre de gens qui à l’époque se sont trompés sur leurs véritables intérêts. Et tous, quelle coïncidence, se sont trompés dans le même sens, c’est-à-dire, dans celui qui conduisait à faire la guerre aux soviétiques ou de s’allier avec leurs ennemis. Est-ce une coïncidence ? Alors, peut-être que les Finlandais ont agi en fonction de ce qu’ils croyaient être leurs intérêts et se sont trompés. Et peut-être pas. Mais avouez que cette accumulation « d’erreurs » est remarquable…

              [« Déjà en 1942 Mannerheim – et il n’était pas le seul – était convaincu que l’Allemagne ne pouvait pas gagner la guerre. » Décidément, Mannerheim est insondable… Soit il a sciemment pris le parti des futurs vaincus en présageant les désagréments que subirait son pays, et on peut s’interroger sur sa lucidité. Soit il s’est dit : « Bon, OK, Hitler va perdre, mais il aura tellement affaibli l’URSS qu’a priori l’expérience socialiste va échouer et, si tout va bien, l’URSS disparaîtra avant la fin du siècle. Mes maîtres bourgeois seront satisfaits », auquel cas, Mannerheim est d’une intelligence hors du commun, un génie comme on en fait peu.]

              Mannerheim a compris en 1942 que l’Allemagne ne pouvait gagner la guerre… mais même avec une intelligence hors du commun, il n’avait pas le pouvoir de renverser le temps et de revenir à 1941. Ayant attaqué l’URSS lors du déclenchement de « Barbarossa », il ne lui restait plus qu’à naviguer entre les deux puissances, en essayant de minimiser les dégâts, en gardant de bons rapports avec le IIIème Reich aussi longtemps qu’il serait là, sans trop se fâcher avec les soviétiques en espérant que ces derniers auraient après la victoire d’autres priorités que de punir la Finlande. Et on peut dire qu’il a réussi magistralement. Oui, c’était certainement une intelligence politique hors du commun.

              [Mais nous sommes bien d’accord que cette présentation des faits – outre qu’elle suppose que les Finlandais avaient connaissance des exactions nazies, ce qui à mon sens est discutable, mais passons – place les Finlandais dans le rôle de complices des crimes du III° Reich, non ?]

              Pourquoi parler « d’exactions nazies » ? C’est l’armée de l’Etat allemand, la police de l’état allemand, les structures de l’état allemand qui ont commis ces exactions, et non le parti nazi. Parler « d’exactions nazies », c’est une manière d’exonérer les Allemands de leurs responsabilités. Un peu comme si les méchants nazis étaient venus d’une autre planète dominer les gentils allemands.

              Je vois mal comment les autorités finlandaises pouvaient ignorer ce qui se passait en Pologne depuis l’invasion de 1939. Et même si la « solution finale » n’est entamée que bien après « Barbarossa », lorsque les Finlandais attaquent l’URSS trois jours après l’attaque allemande, le fait qu’en Pologne on déporte des polonais, on parque les juifs dans les ghettos, on commet toute sorte d’exactions contre la population civile est amplement connu, particulièrement dans le monde baltique, ou les réfugiés polonais sont nombreux.

              Et pour répondre à votre question, oui : tous ceux qui ont aidé l’Allemagne à cette époque en connaissance de cause doivent assumer une part de complicité avec ses actes.

              [Très bonne question. Quand vous ou moi insistons pour rappeler les turpitudes américaines (et plus généralement occidentales) au Kosovo, en Irak, en Afghanistan, est-ce un parti-pris anti-américain ? Je pense que oui, d’autant qu’il s’agit de relativiser les reproches adressés à la Russie dans l’affaire ukrainienne.]

              Je ne suis pas d’accord. Le fait de « relativiser » n’est pas un « parti pris anti-X », c’est le propre du travail de l’historien. Car que fait l’historien sinon mettre en perspective les faits pour essayer de leur donner une cohérence logique qui permette d’en comprendre les mécanismes ? Rappeler que le IIIème Reich est issu en partie des l’humiliation de Versailles « relativise » la chose. Est-ce que pour autant il faut s’abstenir, et traiter le IIIème Reich comme un phénomène déconnecté de tout ce qui a précédé ? Je ne le pense pas.

              Même chose avec la guerre en Ukraine. Est-ce que rappeler que cette guerre s’inscrit dans une longue séquence qui a vu l’occident piétiner les principes issus de la victoire de 1945 – ceux de souveraineté des états et d’intangibilité des frontières – revient à prendre un « parti » ? Oui, cela revient à prendre le parti de l’histoire contre celui de la propagande. Mais cela n’a rien d’anti-américain, non ?

              [« Il y a d’un côté les « bons », de l’autre les « mauvais ». On pardonne tout aux premiers, rien aux seconds. […] Et on voit la même chose en Ukraine : on condamne l’invasion par la Russie au nom du droit international, on oublie convenablement celle de l’Irak par les Américains, tout aussi contraire au droit. Le détachement par la force de la Crimée est un crime, le détachement par les mêmes moyens du Kossovo un acte de justice. » Eh bien, je suis plutôt d’accord avec vous. Mais est-il constructif d’inverser les choses, d’insinuer que les « bons » sont en fait « méchants » (comme les Finlandais ou les Polonais), et les « méchants » (Russes, Soviétiques, Serbes) des « gentils » ?]

              Je ne crois pas avoir commis ce péché. Je pense que vous êtes victime de ce manichéisme ambiant : le simple fait de dire que les « bons » ne sont pas si « bons » que ça est interprété comme une volonté d’inverser la hiérarchie. Non, je ne conteste nullement le fait que chaque Etat défend ses intérêts, et non une quelconque morale, et que cela est aussi vrai pour les Russes que pour les Américains. Et si je pense que nous avons tort de soutenir l’Ukraine, ce n’est pas parce que la morale est du côté des Russes, mais parce que notre intérêt est que la Russie soit suffisamment forte pour faire contrepoids à la superpuissance américaine.

              C’est un peu différent avec les soviétiques, parce que je pense que l’expérience socialiste était éminemment estimable, et que je regrette amèrement qu’elle n’ait pas pu se développer dans des bonnes conditions et aller au but. J’admets bien volontiers ce biais.

              [Est-ce que l’antisémitisme des Polonais excuse l’antisémitisme russe ?]

              Non. A l’inverse, l’antisémitisme russe excuse celui des Polonais. Et si vous ne me croyez pas, regardez les documentaires d’Arte. Plus récemment, on a pu entendre le président Zelenski discourir en Israël sur le merveilleux accueil que l’Ukraine avait réservé historiquement à ses juifs, sans que personne ou presque ne s’insurge contre cette falsification évidente de l’histoire, et sur la contradiction entre le philosémitisme affiché et les hommages rendus à des personnages comme Bandera ou l’idéologie affiché par le bataillon Azov.

              [Est-ce que les mauvaises décisions des dirigeants polonais à la fin des années 30 effacent ou justifient le martyr du peuple polonais et le courage de ceux qui ont résisté aux Allemands ?]

              Bien sur que non. Pas plus que le martyre du peuple polonais et le courage de ceux qui ont résisté aux allemands ne devraient effacer ou justifier les erreurs et les obsessions des dirigeants polonais. Et pourtant, c’est ce qui arrive. Vous trouverez sans difficulté des documentaires sur l’antisémitisme stalinien et sa persécution des dissidents, vous n’en trouverez pratiquement pas sur l’antisémitisme ou la persécution anticommuniste dans la Pologne des années 1930. Et quant au rôle joué par la Pologne dans le dépècement de la Tchécoslovaquie, il n’est jamais mentionné.

              [Moi, vous savez, je suis prêt à accorder à tout le monde une forme d’indulgence : l’URSS, durant la guerre, a connu un degré de violence et de cruauté rarement atteint. Je professe une grande admiration pour les soldats soviétiques qui, à Stalingrad, se sont battus avec un héroïsme étonnant, après des mois de défaites catastrophiques. Et je tiens Staline pour un très grand homme d’État. Mais ça ne m’empêche pas de penser aux soldats polonais qui se sont bravement battus en 1939 ou aux officiers polonais massacrés à Katyn (ce qui est quand même un crime de guerre). Je peux penser aussi au soldat finlandais qui se battait pendant la guerre d’hiver pour défendre sa patrie. Je ne suis pas sûr qu’il pensait forcément « bourgeoisie », « prolétariat », « lutte des classes ». Peut-être que c’était simplement un brave type qui défendait son pays.]

              Mais pourquoi ne pas étendre cette indulgence au soldat allemand ? N’était-il pas, lui aussi, peut-être simplement un « brave type qui défendait son pays » ? Rudolf Höss, ancien commandant d’Auschwitz, écrit dans ses mémoires que, abreuvé de propagande nazi, il était intimement persuadé que les juifs étaient une menace mortelle pour l’Allemagne, et qu’en les exterminant il « défendait son pays ». A-t-on eu tort de le fusiller ?

              Je suis d’accord avec vous. La guerre est une situation extraordinairement complexe, et toujours tragique. Et il faut donc être prudent lorsqu’il s’agit de plaquer des schémas moraux préconçus à des individus soumis à ces situations. Mais d’un autre côté, on ne peut pas tout justifier au motif qu’on était convaincu de servir son pays. On le voit bien aujourd’hui avec l’affaire récente des prisonniers allemands exécutés par des partisans français. Cette exécution peut être vue comme un crime de guerre, mais d’un autre côté que pouvaient faire des partisans ? Ils ne pouvaient garder des prisonniers ou les libérer sans se mettre eux-mêmes en danger. Peut-on leur reprocher de ne pas l’avoir fait ?

              [Vous dites que les Finlandais ont attendu l’arme au pied que les Allemands fassent subir un martyr à Leningrad. C’est vrai et ce n’est pas à leur honneur, mais est-ce que les Soviétiques n’ont pas « rendu la politesse » quand ils l’ont pu ? Par exemple lorsqu’ils ont laissé l’armée allemande écraser les résistants polonais de Varsovie en restant « l’arme au pied » en 1944.]

              Je pense que la situation est très différente : en 1944, les polonais se sont soulevés sans se concerter avec les soviétiques et pour cause : le but était de mettre les soviétiques devant le fait accompli, et de les obliger à prendre en considération la résistance anticommuniste. Les soviétiques – qui étaient d’ailleurs en mauvaise posture après les combats avec l’armée de Model – ont refusé de tirer les marrons du feu, et les polonais furent écrasés. Ce n’était nullement le cas à Leningrad, ville soviétique assiégée par les troupes allemandes.

              Mais admettons un instant que les deux situations soient comparables. Vous noterez la différence de traitement. Les soviétiques sont étrillés dans tous les livres de texte, dans tous les documentaires sur la question. La décision finlandaise a, elle, été effacée du discours médiatique. Combien de gens savent seulement que la Finlande a attaqué l’URSS en 1941 ?

              [Ce n’est pas forcément glorieux non plus : outre les pertes (peut-être 200 000 morts, ce n’est pas négligeable), une partie de la ville au riche patrimoine a été détruite. Et dans ce cas précis, les Polonais, contrairement aux Finlandais, combattaient le même ennemi que les Soviétiques.]

              Pas vraiment. Pour l’Armia Krajowa – la résistance anticommuniste polonaise – les Soviétiques étaient presque à égalité avec les Allemands. Pourquoi, à votre avis, la résistance anticommuniste polonaise a déclenché le soulèvement sans la moindre concertation avec les troupes soviétiques ? Alors que les plénipotentiaires du gouvernement polonais en exil à Londres négocient avec la résistance communiste à Moscou, les soviétiques apprennent le déclenchement de l’insurrection par les radios alliées…

              [Derrière « la bourgeoisie », « les classes dominantes », les dirigeants, « le prolétariat », il y a les peuples, les nations. Et il s’est trouvé des gens courageux, qui ont essayé de faire leur devoir, chez les Polonais, chez les Finlandais, et bien sûr chez les Soviétiques. Et parmi ces peuples, d’autres ont commis des crimes, des exactions, ont profité de la guerre pour se conduire de manière indigne. C’est ça l’humanité : le sublime côtoie en permanence l’abject.]

              Oui… et non. Oui, on aurait tort d’essentialiser l’attitude d’une caste dirigeante à l’ensemble d’un peuple. On trouvera partout des gens courageux et des lâches, le sublime et l’abject. Mais d’un autre côté, ce n’est pas à vous que je vais apprendre que les peuples et les nations se construisent aussi dans le partage de certaines valeurs, d’une certaine vision du monde, d’un « génie » particulier. L’antisémitisme et le cléricalisme en Pologne n’est pas simplement une question de classe, cela fait partie de l’histoire polonaise.

              [Vous êtes un homme intelligent, mesuré, cultivé. Mais quand on aborde ces questions, je sens chez vous… comment dire ? Je ne dirais pas une forme de « hargne », ce serait insultant, mais le débat est difficile.]

              Nous nous connaissons trop pour que votre franchise puisse m’insulter. Oui, il y a chez moi une certaine « hargne » parce que je ne suis pas qu’un observateur, je suis aussi – même si je milite moins aujourd’hui – un acteur engagé à mon humble niveau. Et on ne s’engage pas sans une vision « morale ». Ma vie militante m’a cependant instruit des dangers qu’il y a à regarder le réel à travers les lunettes militantes. C’est pourquoi je fais un grand effort pour essayer d’éviter ce biais. Je n’y arrive qu’imparfaitement, j’en suis bien conscient…

              [Il est difficile parce que vous avez manifestement creusé la question – beaucoup plus que moi en tout cas, qui ne suis pas passionné par le XX° siècle – et que vous avez des certitudes bien établies. Il n’y a plus de place pour la nuance, les faits « parlent » nécessairement dans le sens que vous avez choisi. Je pense que je ne suis pas compétent pour discuter de cela avec vous, et je dois dire que vos propos me plongent dans la perplexité : comment se fait-il que votre interprétation soit si éloignée de ce que disent les historiens professionnels ? Tous les autres seraient aveugles, vendus, pardon « aliénés » à l’idéologie dominante ? J’ai un peu de mal à le concevoir.]

              Peut-être n’avez-vous pas lu les bons « historiens professionnels » ? Je vous rassure, mon interprétation n’est pas une interprétation personnelle – je ne suis pas historien, et je n’ai pas la prétention d’avoir découvert quelque chose qui aurait échappé à ceux qui consacrent leur vie à étudier ces questions. C’est chez des auteurs qui ont un impeccable pedigree que je puise mes observations. Je vous conseille par exemple la lecture de Crémieux-Brilhac qui donne une excellente perspective sur les négociations autour du traité franco-soviétique, du sabotage des négociations organisé par Laval, et des conditions dans lesquels les soviétiques ont conclu qu’il n’y avait pas une véritable volonté de négocier du côté français.

              [En avez-vous discuté avec des universitaires spécialistes de la question ? Si vous estimez que votre grille de lecture est la seule valide, alors, sauf votre respect, vous devriez, toutes activités cessantes, démissionner de vos fonctions et réaliser un travail universitaire en écrivant un pavé de 500 ou 600 pages pour prouver, sources à l’appui, vos dires. Tant que vous n’aurez pas réalisé ce travail, vous risquez de prêcher dans le désert…]

              Croyez que j’y ait pensé. Mais j’ai trop de respect pour le travail des historiens pour m’imagier qu’un amateur comme moi peut apporter quelque chose à un sujet sur lequel je me suis borné à lire ce que d’autres ont écrit. Je n’exclus pas, lorsque je serai à la retraite, d’essayer d’écrire l’histoire du nucléaire français, domaine ou je connais les acteurs et ou j’ai accès à une documentation importante. Mais je laisse la guerre Russo-Finlandaise aux experts…

              [« Pensez-vous qu’une scission du pays aurait donné de meilleurs résultats ? » Pour les blancs, certainement.]

              Je n’en suis pas sûr. Je vois mal les blancs sudafricains – je connais un peu le pays – entretenant les routes, ramassant les poubelles ou prenant les postes d’employé de maison. Le niveau de vie des sudafricains blancs reposait – et repose toujours, d’ailleurs – sur l’énorme réservoir de main d’œuvre noire, taillable et corvéable à merci. La fin de l’apartheid a mis fin à la domination politique des blancs, pas à leur domination économique. Et si la situation sécuritaire les pousse au départ aujourd’hui, une scission aurait compromis bien plus radicalement leur niveau de vie, et provoqué leur départ, certes pour des raisons différentes…

              [« Si les musulmans s’intéressent à l’époque à cet héritage, s’ils reprennent les textes grecs que l’occident avait en partie oublié, c’est dans le cadre d’une création intellectuelle originale. » Là, vous parlez de l’islam des IX°-X° siècles, pas de l’islam du XV° siècle.]

              L’Islam commence à s’intéresser à l’héritage grec bien avant la chute de Constantinople, mais ne s’en désintéresse pas après…

              [« Au temps de la chute de Constantinople, la civilisation musulmane est bien plus ouverte intellectuellement que l’occident chrétien, enfermé dans le carcan scholastique. » Non, non et non. L’ « âge d’or » de l’islam se termine au plus tard au milieu du XIII° siècle avec la chute de Bagdad. Après quoi, sous la menace des Mongols, l’islam procède à un repli traditionaliste, une partie des grands intellectuels de l’âge d’or étant d’ailleurs « mis à l’index ». Parallèlement, des élites militaires et largement incultes, turques en Asie, berbères en Afrique du Nord, prennent le pouvoir à partir du XI° siècle et évincent progressivement les élites lettrées arabo-persanes qui dominaient jusqu’alors. En fait, le monde musulman amorce son déclin au moment où l’Occident entame son essor au XII° siècle.]

              Je suis d’accord avec vous sur le fait que le monde musulman est en déclin au moment de la prise de Constantinople. Mais cela ne l’a pas empêché de rester intellectuellement plus ouvert que le monde chrétien de l’époque. Mehmet II ou Soliman ne sont pas seulement des guerriers, ils sont aussi des administrateurs innovants, des mécènes réunissant autour de lui des artistes et des intellectuels.

              [« Mais si on veut pouvoir lutter contre cette « histoire officielle », il faut avoir les idées claires. » Qui ça « on » ? Si vous voulez lutter, ce n’est pas en discutant sur un blog avec un historien de seconde zone comme moi. Faut rédiger votre thèse, mon ami…]

              C’est une idée… mais je pense être plus utile à la cause en me battant dans mon domaine, et en laissant l’histoire aux historiens, fussent-ils « de seconde zone »… Je lis l’histoire, et cela m’aide à comprendre le monde, mais je n’ai pas la prétention de l’écrire.

      • cdg dit :

        ” qu’une grande majorité voudrait un retour à une société plus ordonnée, plus prévisible, mais qu’ils ne sont pas prêts à payer le prix”
        Je pense que si. Mais que la classe politique ignore cette demande pour 2 raisons principales:
        – elle pense gagner des electeurs sur d autres point ou elle ne pense pas que ce point sera suffisant pour faire que l electeur vote pour elle (par ex si F Roussel propose une politique repressive il ne gagnera pas d electeurs car les gens souhaitant cette politique refuseront de voter communiste)
        – notre classe politique est terrorisée par le politiquement correct et la classe mediatique. Il n y a qu a voir ce qu un politicien est pret pour acceder a la TV. Et promouvoir une politique repressive c est populaire dans l opinion mais ca vous met a dos la mediacratie. Regardez avec la peine de mort
        [ les policiers font bien plus attention à ne pas écraser les passants qu’à la sécurité du fuyard]
        Vu que la consigne doit etre de ne pas faire de poursuite, il doit en effet avoir peu d accident. mais si vous demandez a la police de poursuivre les delinquants, il faut assumer qu a un moment vous aurez un accident
        [Encore faut-il l’avoir, votre « délinquant ». Comment faites-vous pour arrêter une personne en infraction avec la législation sur les étrangers en France sans contrôler son identité ? Par ailleurs, le contrôle d’identité permet d’établir une cartographie de qui fréquente quels lieux. Par exemple, connaître les gens qui tournent autour d’un point de deal…]
        On parlait de delinquance (vol, racket ….) pas d immigration. Si le seul interet est d arreter la personne en sejour irregulier, vous conviendrez avec moi que c est pas majeur (surtout que vous allez surtout attraper celui qui est assez bete pour pas partir en courant ou qui n evite pas les endroits ou la police fait ses controles (je doute qu il y ait des controles a minuit dans les coins chauds)). Vous allez donc arreter une femme de menage au noir mais pas le dealer
        En ce qui concerne les points de deal, ca n a un interet que si c est couplé avec un fichier informatique qui repertorie qui a ete controlé , quand et ou. Vu que ce type de fichiers est tres mal vu par la cnil, ca m etonnerai qu il y en ai un (et meme que la police ait le materiel pour saisir en temps reel ce type d infos: j ai pas vu d ordinateur dans les voitures de police francaises (contrairement aux USA))
        [Je ne sais pas où vous habitiez]
        Petit village en savoie puis petite ville provencale. J ai jamais ete controlé (il faut dire qu en savoie on aurait vu la police arriver de loin : il n y avait qu une seule route d acces et c etait un cul de sac a l epoque-> quasiment pas de traffic).

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [”qu’une grande majorité voudrait un retour à une société plus ordonnée, plus prévisible, mais qu’ils ne sont pas prêts à payer le prix” Je pense que si. Mais que la classe politique ignore cette demande pour 2 raisons principales :
          – elle pense gagner des électeurs sur d’autres point ou elle ne pense pas que ce point sera suffisant pour faire que l’électeur vote pour elle (par ex si F Roussel propose une politique répressive il ne gagnera pas d’électeurs car les gens souhaitant cette politique refuseront de voter communiste)]

          Votre exemple apporte de l’eau à mon moulin : bous êtes en train de dire que les électeurs veulent une politique d’ordre, mais ne sont pas prêts à « payer le prix » de « voter communiste » pour l’avoir. CQFD.

          [– notre classe politique est terrorisée par le politiquement correct et la classe médiatique. Il n’y a qu’à voir ce qu’un politicien est prêt pour accéder a la TV. Et promouvoir une politique répressive c’est populaire dans l’opinion mais ça vous met a dos la médiacratie.]

          Oui, mais pourquoi ? A quels intérêts répond cette « médiacratie » lorsqu’elle s’oppose à tout retour à l’ordre, à l’autorité de l’Etat, du policier, du professeur ? Vous raisonnez comme si cette « médiacratie » était un groupe autonome, qui n’agit qu’en fonction d’une idéologie. Mais si cette idéologie devient dominante, c’est parce qu’elle est fonctionnelle aux classes dominantes. Je vous propose donc de vous poser la question classique de tout bon inspecteur de police : à qui profite le crime.

          Si cette idéologie est dominante, c’est parce que l’affaiblissement des institutions, de l’Etat en premier lieu mais aussi de l’ensemble des structures collectives, est la condition nécessaire de l’approfondissement du capitalisme. Le capitalisme aujourd’hui a besoin d’individus-consommateurs uniformes, tous pareils – même si on leur fait croire qu’ils sont tous différents – et consommant donc des produits eux aussi standardisés. Et pour que cela marche, il ne faut pas que leur mobilité géographique mais aussi intellectuelle soit limitée par des attaches telles que les traditions, les institutions, les structures collectives. L’idéal suprême serait qu’on parle tous la même langue, qu’on ait tous les mêmes goûts.

          [Regardez avec la peine de mort]

          C’est un mauvais exemple : la peine de mort est une mesure purement symbolique. Même si elle était rétablie, elle ne concernerait qu’une poignée d’individus chaque année.

          [« Encore faut-il l’avoir, votre « délinquant ». Comment faites-vous pour arrêter une personne en infraction avec la législation sur les étrangers en France sans contrôler son identité ? Par ailleurs, le contrôle d’identité permet d’établir une cartographie de qui fréquente quels lieux. Par exemple, connaître les gens qui tournent autour d’un point de deal… » On parlait de délinquance (vol, racket ….) pas d’immigration.]

          Un immigrant clandestin est bien un « délinquant ». Je ne vois pas pourquoi il faudrait se limiter au vol et au racket…

          [En ce qui concerne les points de deal, ça n’a un intérêt que si c’est couplé avec un fichier informatique qui répertorie qui a été contrôlé, quand et où.]

          Pas nécessairement. Les policiers ont souvent une très bonne mémoire, et connaissent leur terrain. Quand une même personne est contrôlée régulièrement dans une zone, ils finissent par le remarquer.

          [Petit village en Savoie puis petite ville provençale. Je n’ai jamais été contrôlé (il faut dire qu’en Savoie on aurait vu la police arriver de loin : il n’y avait qu’une seule route d’accès et c’était un cul de sac à l’epoque-> quasiment pas de traffic).]

          Moi j’ai passé mon adolescence te prime jeunesse à Paris et dans les cités de la région parisienne, et je peux vous assurer que les problématiques sont très différentes…

          • cdg dit :

            [Votre exemple apporte de l’eau à mon moulin : bous êtes en train de dire que les électeurs veulent une politique d’ordre, mais ne sont pas prêts à « payer le prix » de « voter communiste » pour l’avoir. CQFD.]
            Dans le cas de F Roussel, si par miracle il arrive au pouvoir il n appliquera pas ses propositions regaliennes car ses alliés de LFI refuseront et qu il aura besoin d eux pour gouverner (par ex pour avoir une majorité a l AN)
            Mais prenons l exemple du RN qui est plus realiste. Le RN a une chance reelle de gagner la presidentielle et ca sera en mode seul contre tous (aucun autre parti ne fera une alliance formelle avec eux). Donc on peut supposer qu il appliquera son programme.
            Quand vous votez pour un candidat, vous votez pour un package. Donc en votant RN vous votez pour un programme securitaire mais aussi pour un n importe quoi economique (je sais pas ou il en sont en ce moment mais depuis qu ils ont abandonné la sortie de l euro ils n ont plus rien de coherent). ET je passe sur les dégâts institutionnel (le RN n aura pas de majorité a l AN et le senat va se charger de saboter leur politique) ou international (on peut supposer qu après les cris d orfraies ca se calme).
            Autrement dit aux prochaines elections on aura le choix entre la ruine avec le RN et la continuation du déclin et des métastases delinquantes avec LREM/PS/LR. Reconnaissez que ca fait envie ☹
            [Oui, mais pourquoi ? A quels intérêts répond cette « médiacratie » lorsqu’elle s’oppose à tout retour à l’ordre, à l’autorité de l’Etat, du policier, du professeur ? Vous raisonnez comme si cette « médiacratie » était un groupe autonome, qui n’agit qu’en fonction d’une idéologie. Mais si cette idéologie devient dominante, c’est parce qu’elle est fonctionnelle aux classes dominantes. Je vous propose donc de vous poser la question classique de tout bon inspecteur de police : à qui profite le crime.]
            Je pense pas que cette ideologie est dominante dans la population francaise mais elle est ultra dominante dans certains corps de métiers ou groupes.
            Par ex vous avez https://www.telos-eu.com/fr/societe/sciences-po-a-gauche-toute.html
            S affirmer proche du RN a science po (ou dans le milieu du spectacle) c est un suicide professionnel
            Est-ce que la situation profite vraiment au capitalisme ou a la bourgeoisie ?
            Ca reste a voir. Le capitalisme a prosperé au XIX avec un ordre social fort. Et si on restore l autorité ca aurait aussi un interet pour la bourgeoisie qui verrait son autorité conforté (eh oui, ca veut dire qu on conforte l autorité du patron sur ses employés). Et je parle pas du fait que la chute de la criminalité va leur permettre d avoir une vie plus agréable (car vivre dans une enceinte fermee pour être en sécurité c est quand même pas très agréable)
            [Le capitalisme aujourd’hui a besoin d’individus-consommateurs uniformes, tous pareils – même si on leur fait croire qu’ils sont tous différents – et consommant donc des produits eux aussi standardisés. Et pour que cela marche, il ne faut pas que leur mobilité géographique mais aussi intellectuelle soit limitée par des attaches telles que les traditions, les institutions, les structures collectives. L’idéal suprême serait qu’on parle tous la même langue, qu’on ait tous les mêmes goûts.]
            La encore c est très discutable. Les hommes ont migrés avant le XIX même s ils n avaient pas les mêmes langues, religions ou traditions. Le capitalisme s en est très bien accommodé et je vois pas pourquoi ca changerai
            A l inverse un monde sans barriere (qu elles soient reglementaire, géographique ou culturelle) signifie une concurrence plus intense et la fin d une rente de situation (ce que les constructeurs auto ont vécu par ex avec la concurrence des japonais dans les années 80 et des chinois aujourd hui). Est-ce que les capitalistes (aka ceux qui possedent le capital ont vraiment envie que celui-ci ne vale plus rien)
            De même si tous le monde a la même culture, ca va entrainer des pertes immenses pour les capitalistes qui ont pas misé sur le bon cheval. Imaginez tout d un coup que Mickey n evoque plus rien car la culture dominante est chinoise. Vous imaginez la perte pour Disney ?
            Ne pensez pas que ca ne peut  arriver. Tintin n evoque plus grand-chose pour la generation de moins de 15 ans
            [C’est un mauvais exemple : la peine de mort est une mesure purement symbolique. Même si elle était rétablie, elle ne concernerait qu’une poignée d’individus chaque année.]
            Pour un admirateur de Staline je vous trouve bien timoré la ;-). On pourrait très bien faire comme la chine de Mao et exécuter tous les trafiquants de drogue par ex.
            Mais avec cet exemple je voulais mettre en avant le fait que s afficher pour la peine de mort était s assurer d avoir tout la « bien pensance » contre vous. Et donc d être assuré d avoir une couverture hostile des medias, d avoir des celebrités qui vont appeler a voter contre vous …
            [Un immigrant clandestin est bien un « délinquant ». Je ne vois pas pourquoi il faudrait se limiter au vol et au racket…]
            Je pense qu il faut se concentrer d abord sur ce qui a un impact negatif majeur car les moyens sont limités. Autrement dit entre un clandestin et un voleur on choisit le voleur. Entre un pickpocket et un gars qui va tabasser sa victime on choisit le tabasseur …
            [Les policiers ont souvent une très bonne mémoire, et connaissent leur terrain. Quand une même personne est contrôlée régulièrement dans une zone, ils finissent par le remarquer.]
            C est quand même sous optimal. Il suffit d avoir un policier non physionomiste ou en vacances (voire une simple rotation s il font les 3*8 devant le poste de deal) pour que ca marche mal. Et vu le nombre de point de deal dans les grandes villes, il suffit que la personne n aille pas toujours au même endroit pour passer sous le radar
             

            • Descartes dit :

              @ cdg

              [« Votre exemple apporte de l’eau à mon moulin : bous êtes en train de dire que les électeurs veulent une politique d’ordre, mais ne sont pas prêts à « payer le prix » de « voter communiste » pour l’avoir. CQFD. » Dans le cas de F Roussel, si par miracle il arrive au pouvoir il n’appliquera pas ses propositions régaliennes car ses alliés de LFI refuseront et qu’il aura besoin d’eux pour gouverner (par ex pour avoir une majorité a l’AN)]

              Ça dépend. S’il a suffisamment de voix, pourquoi n’aurait-il une majorité à l’AN pour appliquer son programme ? Si les français sont prêts à « payer le prix », tout est possible. J’ajoute qu’on n’a pas besoin d’avoir les voix de sa majorité si l’opposition vous apporte les siennes. Pensez-vous que le RN, par exemple, ne pourrait pas soutenir les propositions « régaliennes » de Roussel ? Mais tout ça, bien entendu, c’est de la politique fiction…

              [Quand vous votez pour un candidat, vous votez pour un package.]

              Non, non et NON ! Quand vous votez pour un candidat, vous votez pour un homme ou une femme, en qui vous avez confiance pour occuper un certain poste. Le programme du candidat vous sert à la rigueur à vous donner une idée de ce qu’il voudrait faire – ou plus précisément, de ce qu’il voudrait que vous croyiez qu’il va faire, ou plutôt, de ce qu’il pense que voudriez croire qu’il va faire. Mais il ne prend aucun engagement, et vous ne lui donnez aucun mandat. Le mandat impératif est explicitement interdit par la Constitution, et c’est une excellente chose.

              [Donc en votant RN vous votez pour un programme sécuritaire mais aussi pour un n’importe quoi économique (je ne sais pas où ils en sont en ce moment mais depuis qu’ils ont abandonné la sortie de l’euro ils n’ont plus rien de cohérent). ET je passe sur les dégâts institutionnel (le RN n’aura pas de majorité a l’AN et le sénat va se charger de saboter leur politique) ou international (on peut supposer qu’après les cris d orfraies ça se calme).]

              Je prends certainement ce risque, mais je ne peux avoir aucune certitude. Je ne sais pas si le RN aura ou non une majorité, mais s’il ne l’a pas, c’est probablement parce que les français ne sont pas prêts à payer le prix de la politique que le RN pourrait faire, et on est ramené au problème précédent. Au risque de me répéter : le problème aujourd’hui est cette schizophrénie dans l’opinion qui fait qu’on a une majorité de Français pour vouloir certaines choses (la lutte contre le réchauffement climatique, la remise au carré du système éducatif, le renforcement de l’autorité de l’Etat, le retour à l’ordre) mais ne sont pas à en payer le prix. Les politiques naviguent dans cette schizophrénie : il faut satisfaire la demande sans en avoir les moyens. D’où les annonces non suivies d’effet, la manie de déshabiller Pierre pour habiller Paul…

              [Autrement dit aux prochaines élections on aura le choix entre la ruine avec le RN et la continuation du déclin et des métastases délinquantes avec LREM/PS/LR. Reconnaissez que ca fait envie]

              Je ne peux pas dire que cela fasse envie. Mais la faute n’incombe pas totalement aux politiques. On a ce choix parce que c’est le choix que les électeurs veulent. C’est-à-dire, le choix entre des gens qui nous font rêver, mais qui à l’arrivé ne changeront rien.

              [Je ne pense pas que cette idéologie est dominante dans la population française mais elle est ultra dominante dans certains corps de métiers ou groupes.]

              Mais alors, pourquoi diable les Français votent dans une large majorité par les tenants de ce genre d’idéologie ? Ils sont masochistes ?

              [Par ex vous avez (…)]

              L’étude est extrêmement intéressante, mais pas du fait de cette question. A la question « critères les plus importants pour devenir une élite dirigeante », les étudiants de 2002 plaçaient en tête « les diplômes » à 36%, alors que « les compétences » étaient choisis par 18%. Autrement, la notion « d’élite dirigeante » était liée aux qualités d’étude et de travail personnel pour plus de 50% des étudiants. En 2022, le résultat et très différent : arrive en tête « les relations » à 36% alors que « la naissance » fait 19%. Autrement dit, plus de la moitié des étudiants pensent donnent à l’élite un caractère héréditaire (car on sait bien que « les relations », c’est-à-dire les reseaux, s’héritent pour l’essentiel du moins en début de carrière).

              [S’affirmer proche du RN a science po (ou dans le milieu du spectacle) c’est un suicide professionnel
              Est-ce que la situation profite vraiment au capitalisme ou à la bourgeoisie ?]

              Bien sûr que si : cela lui donne un alibi. Les jeunes petits bourgeois de Sciences Po peuvent jouir de leurs privilèges sans se sentir coupables. Ce n’est pas nouveau : déjà dans les années 1960 on a vu les jeunes des classes intermédiaires adhérer aux idées les plus extrêmes – et non pas au PCF, cet antre de réformisme plein d’ouvriers. On était « révolutionnaire », puisqu’on était mao, anar ou trotskard… ce qui ne les a pas ensuite empêchés d’accompagner sagement la révolution néolibérale… certains, après avoir voté « oui » à Maastricht et accompagné les privatisations, sont redevenus « révolutionnaires » avec l’âge…

              [Ca reste à voir. Le capitalisme a prospéré au XIX avec un ordre social fort. Et si on restore l’autorité ça aurait aussi un intérêt pour la bourgeoisie qui verrait son autorité conforté (eh oui, ça veut dire qu’on conforte l’autorité du patron sur ses employés).]

              Beh non, justement. L’autorité du patron sur ses employés n’a pas besoin d’un « ordre social fort », elle est issue du simple fait que le patron peut vous rétrograder ou vous virer. Un « ordre social fort » limite au contraire l’autorité du patron, en lui imposant de respecter des lois, en lui interdisant de vous virer simplement parce que votre gueule ne lui revient pas, ou parce que vous avez fait grève. C’est toujours la même chose : « entre le faible et le fort, c’est la liberté qui asservit et la loi qui libère ». Un « ordre social fort » est dans l’intérêt des faibles. Les forts, eux, ont les moyens de se faire obéir.

              Le capitalisme qui a prospéré au XIXème siècle grâce à un ordre social fort n’est plus. Il a disparu quelque part dans les années 1950, lorsque la société de consommation s’est installée et que les classes intermédiaires se sont constituées. Vous parlez du « capitalisme » comme si c’était une essence immuable. Ce n’est pas le cas : même si le cœur du mode de production capitaliste reste l’exploitation du travail par le possesseur du capital, la manière dont cette exploitation s’organise a considérablement changé. Un capital national en concurrence avec le capital des autres nations n’a pas les mêmes besoins qu’un capital mondialisé.

              [Et je parle pas du fait que la chute de la criminalité va leur permettre d’avoir une vie plus agréable (car vivre dans une enceinte fermée pour être en sécurité c’est quand même pas très agréable)]

              Possible. Mais la chute de la criminalité en question a un coût, qui est beaucoup plus élevé que celui de l’enceinte fermée… et il est clair que la bourgeoisie et les classes intermédiaires préfèrent vivre dans une cage dorée que payer cette différence.

              [« Le capitalisme aujourd’hui a besoin d’individus-consommateurs uniformes, tous pareils – même si on leur fait croire qu’ils sont tous différents – et consommant donc des produits eux aussi standardisés. Et pour que cela marche, il ne faut pas que leur mobilité géographique mais aussi intellectuelle soit limitée par des attaches telles que les traditions, les institutions, les structures collectives. L’idéal suprême serait qu’on parle tous la même langue, qu’on ait tous les mêmes goûts. » La encore c’est très discutable. Les hommes ont migré avant le XIX même s’ils n’avaient pas les mêmes langues, religions ou traditions.]

              Les hommes ont certes migré, mais beaucoup moins. Dans la France de l’Ancien régime, il était courant de trouver des gens qui ne s’étaient jamais éloigné de leur village de plus de trente ou quarante kilomètres. Aujourd’hui, ce cas est très exceptionnel. Et de la même manière, les gens avaient tendance à manger local, boire local, se chauffer local, bâtir local.

              [Le capitalisme s’en est très bien accommodé et je ne vois pas pourquoi ça changerai]

              Le capitalisme ne s’en est pas accommodé, au contraire : il a fait en sorte de brasser les populations, de donner à tous une langue commune, de généraliser la diffusion des produits à l’ensemble du territoire. Il a construit des routes et des chemins de fer comme jamais dans l’histoire, pour désenclaver le plus petit village. Le capitalisme a tout fait pour pousser à la mobilité.

              [A l’inverse un monde sans barrière (qu’elles soient règlementaire, géographique ou culturelle) signifie une concurrence plus intense et la fin d’une rente de situation (ce que les constructeurs auto ont vécu par ex avec la concurrence des japonais dans les années 80 et des chinois aujourd’hui). Est-ce que les capitalistes (aka ceux qui possèdent le capital ont vraiment envie que celui-ci ne vale plus rien)]

              Mais d’où sortez-vous que le capital « ne vaut plus rien » ? Hier, les voitures françaises construites avec des capitaux français étaient en concurrence avec les voitures allemandes fabriquées avec des capitaux allemands. Et fort logiquement, les capitalistes des deux pays cherchaient à protéger leur marché. Aujourd’hui, les voitures françaises et les voitures allemandes – et chinoises, et japonaises – sont fabriquées avec les mêmes capitaux mondialisés. Si ça se trouve, les actionnaires de Stellantis sont aussi actionnaires de Ford, de Mitsubishi… alors en quoi la concurrence pourrait les gêner ? Si on vent moins de voitures françaises et plus de voitures chinoises, et bien c’est tout bénéf pour le capital, puisqu’on vend plus du produit dont les coûts de fabrication sont plus faibles…

              [De même si tout le monde a la même culture, ça va entrainer des pertes immenses pour les capitalistes qui ont pas misé sur le bon cheval.]

              Ce que vous ne voulez pas comprendre, c’est que TOUS les capitalistes ont misé sur TOUS les chevaux. La financiarisation de l’économie, c’est cela.

              [« C’est un mauvais exemple : la peine de mort est une mesure purement symbolique. Même si elle était rétablie, elle ne concernerait qu’une poignée d’individus chaque année. » Pour un admirateur de Staline je vous trouve bien timoré la ;-). On pourrait très bien faire comme la chine de Mao et exécuter tous les trafiquants de drogue par ex.]

              Oui, ou les personnes convaincues de fraude fiscale. Ce serait une excellente idée. Pensez-vous qu’elle ait la moindre chance de voir le jour ? Personne en France ne propose cela. Quand on parle de la rétablir, c’est toujours pour les auteurs de crimes qui provoquent l’émotion, comme le meurtre d’enfants. Je doute que cela concerne beaucoup de monde.

              [Mais avec cet exemple je voulais mettre en avant le fait que s’afficher pour la peine de mort était s’assurer d’avoir tout la « bien pensance » contre vous. Et donc d’être assuré d’avoir une couverture hostile des médias, d’avoir des célébrités qui vont appeler a voter contre vous …]

              C’est évident. On se fout que les trafiquants de drogue tuent des gamins à Marseille, mais la peine de mort, vous n’y pensez pas. C’est un marqueur idéologique, c’est tout. Une manière pour les bienpensants de se reconnaître.

              [« Un immigrant clandestin est bien un « délinquant ». Je ne vois pas pourquoi il faudrait se limiter au vol et au racket… » Je pense qu’il faut se concentrer d’abord sur ce qui a un impact négatif majeur car les moyens sont limités. Autrement dit entre un clandestin et un voleur on choisit le voleur. Entre un pickpocket et un gars qui va tabasser sa victime on choisit le tabasseur …]

              Je ne comprends pas pourquoi un clandestin aurait un « impact négatif » inférieur à celui d’un voleur. Comment mesurez-vous cet « impact négatif » ?

              [C’est quand même sous optimal. Il suffit d avoir un policier non physionomiste ou en vacances (voire une simple rotation s il font les 3*8 devant le poste de deal) pour que ca marche mal.]

              Effectivement, un système de contrôle qui alimenterait un fichier serait certainement plus efficace. Seulement, il est considéré comme une menace pour les libertés publiques. Et donc impossible à mettre en œuvre. On fait donc ce qu’on peut.

            • cdg dit :

              Par hasard je suis tombe sur ce texte qui explique assez bien pourquoi nos dirigeants ne feront rien alors que la majorite de la population le veutCa a ete ecrit par Soljenitsyne en … 1978
              http://plunkett.hautetfort.com/archive/2008/08/04/adieu-alexandre-issaievitch.html
               
              Comme quoi certains sont visionnaires

            • Descartes dit :

              @ cdg

              [Par hasard je suis tombe sur ce texte qui explique assez bien pourquoi nos dirigeants ne feront rien alors que la majorite de la population le veutCa a ete ecrit par Soljenitsyne en … 1978 (…) Comme quoi certains sont visionnaires]

              Merci de m’avoir rappelé ce texte qu’il faut absolument avoir lu, ne serait-ce que pour comprendre ce qui passait par la tête des “dissidents”, et comment ils ont été les “idiots utiles” du monde capitaliste, utlisés pour provoquer une transformation qui ne correspondait nullement à leur pensée ou leurs aspirations. Soljenitsyne n’est en rien un “visionnaire”, au contraire: il a entrepris une croisade contre le “communisme” au nom d’une vision antimatérialiste et spiritualiste, et ses efforts ont fait advenir un matérialisme qu’il juge pire encore, celui de la société marchande. “On ne peut nier que les personnalités s’affaiblissent à l’Ouest, tandis qu’à l’Est elles ne cessent de devenir plus fermes et plus fortes” écrit-il. Et il attribue cet affaiblissement à… la vision légaliste, l’affaiblissement du pouvoir de l’administration, la liberté de dire et d’écrire n’importe quoi. Autrement dit, tout ce que l’occident a opposé aux pays du “socialisme réel”. En lisant ce texte, on ne peut éviter le sentiment que Soljenitsyne, loin d’être un “visionnaire”, est un apprenti sorcier: “si l’on me demandait si, en retour, je pourrais proposer l’Ouest, en son état actuel, comme modèle pour mon pays, il me faudrait en toute honnêteté répondre par la négative”. Et pourtant, sa contribution à imposer ce “modèle” à son pays sera particulièrement importante…

              Le paradoxe, c’est que ce texte montre combien Soljenitsyne au fond partage la vision stalinienne. La liberté, oui, mais étroitement surveillée, sans quoi “la liberté irresponsable” s’imposera. L’état de droit oui, mais limité, sans quoi le “légalisme” tuera toute initiative. Matérialisme oui, mais limité, sans quoi tout “spiritualité périra, et avec elle le “sens”.

            • cdg dit :

               
              [Ça dépend. S’il a suffisamment de voix, pourquoi n’aurait-il une majorité à l’AN pour appliquer son programme ? ]
              Par ce que c est bien plus compliqué.
              Deja il vous faut avoir autant de candidats que de circonscriptions. Et si possible de candidats qui n ont pas de casseroles ou prêt a trahir une fois elu. Ensuite il y a les barrieres mises par les grands partis. Votre candidat pourra etre invalidé s il fait une erreur meme de bonne foi (genre compte de campagne mal tenu). Ny a t il pas aussi une contrainte sur la parite ? (par ex pour les municipales il vous faut une llste avec 50 % de femme, je sais pas comment ca se passe au legislatives)
              Ensuite vous avez le poids du local. Vous aurez des electeurs qui voteront pour vous aux presidentiellex mais qui vont voter pour le depute maire aux legislatives. Et comme ca vous vous retrouvez avec un depute LR ou PS
              [[Quand vous votez pour un candidat, vous votez pour un package.]
              Non, non et NON ! Quand vous votez pour un candidat, vous votez pour un homme ou une femme, en qui vous avez confiance pour occuper un certain poste. Le programme du candidat vous sert à la rigueur à vous donner une idée de ce qu’il voudrait faire – ou plus précisément, de ce qu’il voudrait que vous croyiez qu’il va faire, ou plutôt, de ce qu’il pense que voudriez croire qu’il va faire. Mais il ne prend aucun engagement, et vous ne lui donnez aucun mandat. Le mandat impératif est explicitement interdit par la Constitution, et c’est une excellente chose.]
              Qu il n y ait as de mandat imperatif est une chose. Que le programme ne serve que de prospectus electoral en est une autre. Je suis pas naif et je sais que nos politiciens sont des menteurs (c est pour ca que je n ai AUCUNE confiance en aucun d entre eux).
              La seule chose qui peut limiter les derives c est justement de leur opposer leur programme. C ets limité c est vrai mais sinon on se retrouve avec un politicien qui va dire blanc et faire noir (genre Chirac en 95)
              [le problème aujourd’hui est cette schizophrénie dans l’opinion qui fait qu’on a une majorité de Français pour vouloir certaines choses (la lutte contre le réchauffement climatique, la remise au carré du système éducatif, le renforcement de l’autorité de l’Etat, le retour à l’ordre) mais ne sont pas à en payer le prix. ]
              c est vrai. Mais il faut bien comprendre qu on a aussi des medias et des politiques qui font tout pour les conforter dans l erreur
              Vous voyez un politicien dire que pour lutter contre le rechauffement climatique il y a 2 solutions : une chute du niveau de vie ou du nombre de francais ?
              Non on va pipoter avec des voitures electriques (sachant tres bien que tous ne pourront en avoir) ou en disant qu il suffit de faire payer B Arnault
              Quand vous voyez un reportage sur TF1 qui parle de baisse de la conso electrique en mettant des ampoule basse consommation, vous etes atteré
              [On a ce choix parce que c’est le choix que les électeurs veulent. C’est-à-dire, le choix entre des gens qui nous font rêver, mais qui à l’arrivé ne changeront rien.]
              j en suis pas sur. Macron a justement ete elu car les electeurs ont voulu eliminer les anciens partis. LR et le PS sont moribonds. Par contre c est vrai que Macron n a au final pas changé grand chose
              [[Je ne pense pas que cette idéologie est dominante dans la population française mais elle est ultra dominante dans certains corps de métiers ou groupes.]
              Mais alors, pourquoi diable les Français votent dans une large majorité par les tenants de ce genre d’idéologie ? Ils sont masochistes ?]
              outre le poids des medias et des contraintes sociales (le vote FN etait diabolisé) il y a aussi l absence de choix. Comme je l ecrivais, vous avez le choix entre des gens qui font que la france coule doucement et d autres qui veulent l envoyer dans le mur. Creer un nouveau parti, le structurer pour avoir une colonne vertebrale ideologique et des candidats partout ca dure des (dizaines ?) d annees
               
              [Beh non, justement. L’autorité du patron sur ses employés n’a pas besoin d’un « ordre social fort », elle est issue du simple fait que le patron peut vous rétrograder ou vous virer. Un « ordre social fort » limite au contraire l’autorité du patron, en lui imposant de respecter des lois, en lui interdisant de vous virer simplement parce que votre gueule ne lui revient pas, ou parce que vous avez fait grève. C’est toujours la même chose : « entre le faible et le fort, c’est la liberté qui asservit et la loi qui libère ». Un « ordre social fort » est dans l’intérêt des faibles. Les forts, eux, ont les moyens de se faire obéir.]
              La vous supposez que les lois ne sont pas en faveur du patronat. Parce que si on restore un ordre social fort, il est quand meme tentant pour ceux en haut de rectifier les lois qui les ennuient
              Par ex, on peut tres bien rendre les licenciement plus facile ou plus hypocryte autoriser les mutations a l autre bout de la france (c est comme ca que les SSII se debarassent de leur personnel)
              [Ce n’est pas le cas : même si le cœur du mode de production capitaliste reste l’exploitation du travail par le possesseur du capital, la manière dont cette exploitation s’organise a considérablement changé. Un capital national en concurrence avec le capital des autres nations n’a pas les mêmes besoins qu’un capital mondialisé.]
              Vous pouvez detailler ? Si vous etes un capitaliste (mondialisé ou non) vos besoins de base sont toujours les meme  car au final vous devez toujours produire quelque chose avec des machines. Au XIX c etait des machines a vapeur, maintenant des ordinateurs, au XIX la societe appartenait a des bourgeois de paris, maintenant a des fonds de pensions US mais on a toujours des dividendes et un rendement de l action
              [Et je parle pas du fait que la chute de la criminalité va leur permettre d’avoir une vie plus agréable (car vivre dans une enceinte fermée pour être en sécurité c’est quand même pas très agréable)]
              [il est clair que la bourgeoisie et les classes intermédiaires préfèrent vivre dans une cage dorée que payer cette différence.]
              Pas sur. Personellement je suis ravi d habiter a un endroit ou les risques sont faible et ou mon fils de 14 ans peut rentrer le soir en velo a 22 h sans avoir d escorte
               
              [Dans la France de l’Ancien régime, il était courant de trouver des gens qui ne s’étaient jamais éloigné de leur village de plus de trente ou quarante kilomètres. ]
              Pas la peine de remonter si loin. Mon pere n etait pas alle a plus de 10 km de son village avant de partir a l armee (en 1963 !).
              [Et de la même manière, les gens avaient tendance à manger local, boire local, se chauffer local, bâtir local.]
              C est lié aux progres techniques. Il n y a que 30 ans fabriquer en chine etait trop complique. Maintenant avec les progres de l informatique et de la logistique c est facile
              [Le capitalisme ne s’en est pas accommodé, au contraire : il a fait en sorte de brasser les populations, de donner à tous une langue commune, de généraliser la diffusion des produits à l’ensemble du territoire. Il a construit des routes et des chemins de fer comme jamais dans l’histoire, pour désenclaver le plus petit village. Le capitalisme a tout fait pour pousser à la mobilité.]
              Vous donnez au capitalisme des pouvoirs qu il n a pas
              La tendance naturelle de l homme est de vouloir commercer et echanger : on a déjà des routes commerciales a la prehistoire. C est d ailleurs non seulement une question de prosperite mais aussi a une certaine epoque de survie : en cas de disette on faisait venir les recoltes d ailleurs
              Le brassage de population n est que la consequence de la properite : si les italiens venaient en france a partir du debut du XX sciecle c est pas par amour de Moliere mais pour fuir la misere chez eux et avoir un sort meilleur en france
              C est la meme chose de nos jour, que ca soit en afrique ou en France (a mon avis un des gros probleme de notre pays c est que nombre de jeune francais le quitte car ils n ont aucune perspective)
               
              [Mais d’où sortez-vous que le capital « ne vaut plus rien » ? Hier, les voitures françaises construites avec des capitaux français étaient en concurrence avec les voitures allemandes fabriquées avec des capitaux allemands. Et fort logiquement, les capitalistes des deux pays cherchaient à protéger leur marché. Aujourd’hui, les voitures françaises et les voitures allemandes – et chinoises, et japonaises – sont fabriquées avec les mêmes capitaux mondialisés. Si ça se trouve, les actionnaires de Stellantis sont aussi actionnaires de Ford, de Mitsubishi… alors en quoi la concurrence pourrait les gêner ? Si on vent moins de voitures françaises et plus de voitures chinoises, et bien c’est tout bénéf pour le capital, puisqu’on vend plus du produit dont les coûts de fabrication sont plus faibles…]
              Si Stellantis fait faillite, vos actions ne valent plus rien. Le fait que vous soyez actionnaire de Ford ou Toyota fera quand meme que vous essuierez une perte (surtout si ford et toyota ont aussi loupe le virage)
              Supposez qu en 2010, vous ayez investi dans la telephonie mobile. Vous avez donc des actions Nokia (le poids lourd du secteur), alcatel et eventuellement Samsung. Aujourd hui alcatel et nokia ne valent plus grand-chose, Samsung a reussit a surnager mais vous etes pour sur en perte
              [Ce que vous ne voulez pas comprendre, c’est que TOUS les capitalistes ont misé sur TOUS les chevaux. La financiarisation de l’économie, c’est cela. ]
              C est comme de vouloir gagner au loto en jouant tous les numeros
              C est sur que vous etes sur de gagner mais au final vos gains sont inferieurs a vos mises
              De toute facon il est impossible de miser dans toutes les societes. Ca necessite une energie considerable pour toutes les suivre, des frais consequents (essayez d acheter des actions indonesiennes ou chinoises) et vous etes de toute facon limité aux societes cotées
               
              [Je ne comprends pas pourquoi un clandestin aurait un « impact négatif » inférieur à celui d’un voleur. Comment mesurez-vous cet « impact négatif » ?]
              si vous vous faites tabasser pour voler votre scooter (exemple recent) ou tout simplement on vous vole votre voiture ca a un impact bien plus fort que dsi votre voisin reside en france illegalement
              [Effectivement, un système de contrôle qui alimenterait un fichier serait certainement plus efficace. Seulement, il est considéré comme une menace pour les libertés publiques. Et donc impossible à mettre en œuvre. On fait donc ce qu’on peut.]
              ou plutot au lieu de controler les papiers des gens on utilise la police pour quelque chose de plus utile. Par ex des descentes dans les points de deal ou un policier qui joue les touriste et qui attends les pickpockets dans le metro
               

            • Descartes dit :

              @ cdg

              [« Ça dépend. S’il a suffisamment de voix, pourquoi n’aurait-il une majorité à l’AN pour appliquer son programme ? » Par ce que c’est bien plus compliqué.]

              Je ne suis pas persuadé. L’une des vertus du système politique français, c’est qu’il y a finalement assez peu de barrières pour empêcher le vote populaire de se traduire en actes. Le système électoral uninominal à deux tours donne aux électeurs le dernier mot, et empêche les partis de contrôler les listes. S’il y a une véritable volonté des français pour laisser le RN gouverner, une majorité à l’Assemblée est parfaitement possible suite à une élection présidentielle. Il n’y a qu’à voir comment Macron a réussi en 2017 sans parti, sans implantation locale, à réunir une majorité sur son nom, quitte à faire élire des parfaits inconnus sans trajectoire.

              [Déjà il vous faut avoir autant de candidats que de circonscriptions. Et si possible de candidats qui n’ont pas de casseroles ou prêts à trahir une fois élus.]

              Croyez-moi. Si demain le RN avait des chances d’accéder au pouvoir, des gens raisonnablement compétents et présentables se bousculeraient au portillon. Quant à la possibilité de « trahison », le 49.3 existe précisément pour cela : pour discipliner sa majorité.

              [Ensuite il y a les barrières mises par les grands partis. Votre candidat pourra être invalidé s il fait une erreur même de bonne foi (genre compte de campagne mal tenu).]

              Pour avoir été plusieurs fois directeur et trésorier de campagne, je peux vous dire que la chose n’est pas si compliquée que cela. Et qu’une erreur ne suffit pas pour que l’élection soit invalidée : la justice électorale n’invalide que si l’erreur est de nature à changer le résultat du scrutin, ce qui est très rare pour des erreurs purement techniques.

              Quant aux « barrières mises par les grands partis », je n’ai pas l’impression qu’elles aient été très efficaces en 2017 pour empêcher Macron d’obtenir une majorité.

              [N’y a-t-il pas aussi une contrainte sur la parité ? (par ex pour les municipales il vous faut une liste avec 50 % de femme, je sais pas comment ça se passe au législatives)]

              Pour les législatives, un écart à la parité dans les CANDIDATURES se traduit par une réduction du montant versé par l’Etat au titre du financement de la vie politique. Le taux de réduction étant la moitié de l’écart constaté. Mais on voit mal pourquoi le RN aurait plus de difficulté à respecter cette règle que les autres partis.

              [Ensuite vous avez le poids du local. Vous aurez des électeurs qui voteront pour vous aux présidentielles mais qui vont voter pour le députe maire aux législatives. Et comme ça vous vous retrouvez avec un députe LR ou PS]

              Les lois successives sur les cumuls de mandats ont fait disparaître les « députés-maire ». Par ailleurs, l’expérience de 2017 montre que quand les électeurs ont la volonté de donner les instruments pour gouverner au président de la République fraîchement élu, ils se jouent de ce genre de considération. En 2017, LREM a fait élire en nombre de parfaits inconnus, sans implantation locale.

              [Qu’il n’y ait as de mandat impératif est une chose. Que le programme ne serve que de prospectus électoral en est une autre. Je ne suis pas naïf et je sais que nos politiciens sont des menteurs (c’est pour ça que je n’ai AUCUNE confiance en aucun d’entre eux).]

              Ils ne sont pas menteurs. Un mensonge impliquerait que le politicien dit quelque chose qu’il sait être faux, avec l’intention que l’électeur croie que c’est vrai. Mais ce n’est pas le cas : toutes les études montrent que l’électeur n’y croit pas, et que le politicien ne se fait aucune illusion à ce sujet. Je vais vous donner un exemple que j’ai déjà cité : lorsqu’un amoureux promet à sa Dulcinée de lui décrocher la lune, est-ce qu’il est en train de « mentir » ? Non, bien sûr que non : c’est un rituel de séduction. On sait qu’un amoureux est censé promettre des choses qu’il n’est pas censé tenir, et que l’amoureuse est censée faire comme si elle y croyait. Et bien, les promesses électorales, c’est un peu pareil. Elles ont un contenu rituel : elles permettent au candidat de montrer son attachement à certains principes, à certaines formes. Mais personne n’y croit, et je dirais même plus, personne n’est censé y croire. Croyez-vous vraiment que les hommes politiques s’attendent à être crus ?

              [La seule chose qui peut limiter les dérives c’est justement de leur opposer leur programme.]

              Même pas. Réfléchissez un instant : est-ce que vous avez déjà voté dans votre vie pour un candidat en souhaitant qu’il mette en œuvre TOUS les points de son programme ? Et je dis bien TOUS ! Avouez donc que vous étiez bien content que le candidat que vous avez voté trahisse ses promesses, au moins sur quelques points…

              [C’est limité c’est vrai mais sinon on se retrouve avec un politicien qui va dire blanc et faire noir (genre Chirac en 95)]

              Beaucoup plus grave serait de se retrouver avec un candidat qui dit blanc et fait blanc. Un peu comme si la Dulcinée de mon exemple se retrouvait avec un fiancé qui lui décroche EFFECTIVEMENT la lune. Qu’est ce que vous voulez qu’elle fasse avec une lune chez elle ? Relisez les programmes des différents candidats que vous avez voté, et essayez de vous imaginez ce que serait notre pays s’ils avaient été EFFECTIVEMENT mis en œuvre…

              [J’en suis pas sûr. Macron a justement été élu car les électeurs ont voulu éliminer les anciens partis. LR et le PS sont moribonds. Par contre c’est vrai que Macron n’a au final pas changé grand-chose]

              Je ne suis même pas sûr que les électeurs « aient voulu éliminer les anciens partis ». L’élimination en question est un fait, mais elle est plus un effet collatéral que l’expression d’une véritable volonté. La preuve en est que si les gens n’ont pas voté pour les anciens partis, ils ont largement voté pour les anciens hommes de ces partis. Macron a été ministre de Hollande, et sa garde rapprochée fourmille d’anciens socialistes et, moins nombreux, d’anciens UMP. Tous ses premiers ministres, et une bonne partie de ses ministres viennent du PS ou de l’UMP/LR.

              Macron, c’est la révolution des colonels : C’est la révolte des politiques « de second rang » qui se rendent compte qu’ils peuvent renverser les « éléphants » et prendre leur place à condition de se mettre tous ensemble en ignorant la division droite/gauche. Ce n’est pas la mort des anciens partis, mais leur dépassement dans un « parti du centre » qui les rassemble.

              [« Mais alors, pourquoi diable les Français votent dans une large majorité par les tenants de ce genre
              d’idéologie ? Ils sont masochistes ? » Outre le poids des médias et des contraintes sociales (le vote FN était diabolisé) il y a aussi l’absence de choix. Comme je l’écrivais, vous avez le choix entre des gens qui font que la France coule doucement et d’autres qui veulent l’envoyer dans le mur. Créer un nouveau parti, le structurer pour avoir une colonne vertébrale idéologique et des candidats partout ça dure des (dizaines ?) d’années]

              Je n’en suis pas persuadé. Regardez LFI ou LREM. Entre leur création et le moment où ils dépassent 20%, il s’est passé à peine deux ans – et dans le cas de LREM, avec une victoire à la présidentielle en plus. Mais admettons que vous ayez raison. Cela fait déjà plus de dix ans qu’on s’est aperçu qu’il y a un problème. Comment se fait-il que ce parti « structuré pour avoir une colonne vertébrale idéologique et des candidats partout » n’ait toujours pas vu le jour ?

              Je vais vous donner ma réponse : au-delà du problème logistique que pose la construction d’une organisation politique, il y a le problème de la base sociologique. Autrement dit, il faut que votre « colonne vertébrale idéologique » serve les intérêts d’un groupe suffisamment puissant pour vous donner de l’impulsion et vous installer dans le rapport de forces. Macron a pu lancer son raid sans parti constitué, sans implantation locale, parce qu’il proposait un projet qui faisait l’affaire du « bloc dominant ». LFI a pu faire de même parce qu’il offrait une alternative pour soigner le sentiment de culpabilité des « classes intermédiaires », pour donner à la jeunesse une illusion d’alternative. Mais votre parti « le structurer pour avoir une colonne vertébrale idéologique et des candidats partout », sur quelle base sociologique comptez-vous l’appuyer ? Sur les couches populaires ? Le rapport de force leur est tellement défavorable qu’elles ne voient pas l’intérêt de voter, ou votent pour celui qui représente le rejet de tout. Les classes intermédiaires ? La place est déjà occupée.

              Votre « le structurer pour avoir une colonne vertébrale idéologique et des candidats partout » n’apparaît pas non parce qu’il serait logistiquement impossible, mais parce qu’il n’y a pas de niche écologique pour lui.

              [« Beh non, justement. L’autorité du patron sur ses employés n’a pas besoin d’un « ordre social fort », elle est issue du simple fait que le patron peut vous rétrograder ou vous virer. Un « ordre social fort » limite au contraire l’autorité du patron, en lui imposant de respecter des lois, en lui interdisant de vous virer simplement parce que votre gueule ne lui revient pas, ou parce que vous avez fait grève. C’est toujours la même chose : « entre le faible et le fort, c’est la liberté qui asservit et la loi qui libère ». Un « ordre social fort » est dans l’intérêt des faibles. Les forts, eux, ont les moyens de se faire obéir. » Là vous supposez que les lois ne sont pas en faveur du patronat.]

              Lorsque le rapport de forces est très favorable au patronat, celui-ci n’a pas besoin de « lois » puisqu’il peut imposer sa volonté par la force. Si les lois sont « en faveur du patronat », c’est que le patronat est faible et a besoin de la loi pour le protéger. Pensez-vous que ce soit le cas aujourd’hui ?

              [« Ce n’est pas le cas : même si le cœur du mode de production capitaliste reste l’exploitation du travail par le possesseur du capital, la manière dont cette exploitation s’organise a considérablement changé. Un capital national en concurrence avec le capital des autres nations n’a pas les mêmes besoins qu’un capital mondialisé. » Vous pouvez détailler ? Si vous êtes un capitaliste (mondialisé ou non) vos besoins de base sont toujours les mêmes car au final vous devez toujours produire quelque chose avec des machines.]

              Pas tout à fait. Pour produire, il me faut des matières premières et de la main d’œuvre, et puis il me faut des marchés pour écouler ma production. Dans un capitalisme « national », le capitaliste a besoin d’un Etat fort, pour pouvoir réprimer les revendications ouvrières, avec une armée capable de protéger son investissement des attaques étrangères, de lui assurer l’accès aux marchés et aux matières premières. Un capitaliste « mondialisé » n’a pas besoin de tout ça. Les revendications ouvrières ? Pas besoin de les réprimer, la délocalisation – ou même la menace de délocaliser – suffit à maintenir les salaires au niveau le plus bas. Les attaques étrangères ? On voit mal aujourd’hui les armées allemandes occupant notre territoire et s’appropriant les installations sidérurgiques. L’accès aux marchés ? Ce ne sont plus les armées nationales qui s’en occupent, mais des organisations internationales comme l’OMC ou les banques…

              [Pas sûr. Personnellement je suis ravi d’habiter à un endroit où les risques sont faibles et ou mon fils de 14 ans peut rentrer le soir en vélo à 22 h sans avoir d’escorte]

              Un quartier fermé vous donnerait les mêmes garanties, à condition de ne pas en sortir. Et on va vite vers cette situation. Vous avez la chance d’habiter à un endroit « où les risques sont faibles », et du coup votre fils de 14 ans peut rentrer le soir à 22H en sécurité. Mais peut-il faire la même chose s’il sort de cet « endroit » et qu’il traverse par exemple la cité de la Paternelle à Marseille ? J’en doute…

              Nous vivons déjà dans une logique de ségrégation géographique, avec des « endroits » sûrs et autres qui sont des véritables coupe-gorges. Pour le moment, les uns ne sont pas séparés des autres par des murs et des miradors, mais cela pourrait venir. Et si demain on vous offre de vivre dans un tel quartier en échange d’une baisse de 75% de vos impôts, quel serait votre choix ? Etes vous prêt à payer 75% d’impôts en plus pour que votre fils puisse se promener à la Paternelle ?

              [« Le capitalisme ne s’en est pas accommodé, au contraire : il a fait en sorte de brasser les populations, de donner à tous une langue commune, de généraliser la diffusion des produits à l’ensemble du territoire. Il a construit des routes et des chemins de fer comme jamais dans l’histoire, pour désenclaver le plus petit village. Le capitalisme a tout fait pour pousser à la mobilité. » Vous donnez au capitalisme des pouvoirs qu’il n’a pas]

              Le capitalisme est une organisation de la production. A ce titre, il n’a ni volonté, ni pouvoir. Mais le mécanisme de développement capitaliste tend à pousser la société dans certaines directions. Le mode de production féodal s’accommodait fort bien d’une grande diversité de coutumes, de traditions, d’organisations politiques et de règles juridiques, et cela était possible parce que le mode de production ne nécessitait pas une grande mobilité. Mais si vous voulez de la production de masse, vous avez besoin de mobilité – une usine automobile qui ne vendrait ses produits que dans le village où elle est implantée serait une absurdité. Et qui dit mobilité, dit uniformisation.

              [La tendance naturelle de l’homme est de vouloir commercer et échanger : on a déjà des routes commerciales a la préhistoire.]

              Certes, mais ces « routes commerciales » représentent une part très faible de la consommation des gens, particulièrement dans les classes basses. C’est d’ailleurs une question de productivité : quand les tissages étaient faits à la main, un artisan pouvait se contenter de vendre sa production dans son village ou dans sa ville. Quand vous avez une usine produisant des centaines de milliers de mètres carrés de toile, vous êtes obligé d’aller vendre plus loin… et vous ne pouvez ce faire que si les goûts sont uniformisés. Si la couleur à la mode est différente dans chaque village, vous n’y arriverez pas.

              [Le brassage de population n’est que la conséquence de la prospérité : si les italiens venaient en France à partir du début du XX siècle ce n’est pas par amour de Molière mais pour fuir la misère chez eux et avoir un sort meilleur en France]

              Il faut avoir une idée des ordres de grandeur. Les italiens venus en France représentent quelques centaines de milliers d’individus. A côté du brassage obtenu par la conscription, c’est négligeable. Et vous n’allez pas me dire que la conscription était liée à la prospérité… Non, la République a mis en œuvre une véritable politique de brassage, dont les ressorts n’ont rien à voir avec la « fuite de la misère ». Lorsqu’on décide de faire « tourner » les militaires ou les fonctionnaires, ce n’est pas par hasard…

              [Si Stellantis fait faillite, vos actions ne valent plus rien. Le fait que vous soyez actionnaire de Ford ou Toyota fera quand meme que vous essuierez une perte (surtout si ford et toyota ont aussi loupe le virage)]

              Bien sur que non. Si Stellantis fait faillite, mes actions Stellantis ne vaudront plus rien, mais mes actions Mitsubishi ou Ford vaudront le double, puisqu’ils récupéreront les marchés. Dans le pire des cas, ce qu’un capitaliste perd – s’il a été assez imprudent pour mettre tous ses œufs dans le même panier – un autre le gagne. Et ce n’est même pas un jeu à somme nulle : celui qui fait faillite, c’est en général le moins profitable. En d’autres termes, la faillite fait que les parts de marché des moins profitables iront aux plus profitables. Le capital en général y gagne donc. Schumpeter a très bien expliqué cela…

              [Supposez qu’en 2010, vous ayez investi dans la téléphonie mobile. Vous avez donc des actions Nokia (le poids lourd du secteur), Alcatel et éventuellement Samsung. Aujourd’hui Alcatel et Nokia ne valent plus grand-chose, Samsung a réussi à surnager mais vous êtes pour sûr en perte]

              Mais pas du tout. D’abord, Nokia et Alcatel ne valent plus grand-chose… mais pendant des années, du temps de leur splendeur, ils ont versé de juteux dividendes. Pour savoir si j’ai ou non fait une bonne affaire, il faudrait calculer ce que ces actions ont rapporté sur le long terme et comparer à leur prix d’achat. Je suis prêt à parier que, loin d’être « en perte », je suis largement bénéficiaire. Pour illustrer, faisons un petit calcul. Imaginons que j’aie payé 10€ une action Alcatel, que pendant vingt ans celle-ci m’ait payé un dividende de 5%, puis qu’ensuite elle n’ait plus rien payé et que sa valeur soit réduite à zéro. Mon investissement de départ sera donc de 10 €, et mon retour sera de 16,5 €. Un gain de 60%, malgré la perte du capital… Pour le dire autrement : ce n’est pas parce qu’on perd le capital au bout qu’un investissement est « à perte ». Tout dépend des dividendes versés en cours de route…

              Par ailleurs, si je suis un bon investisseur, j’aurais aussi mis une partie de mes œufs sur Apple…

              [« Ce que vous ne voulez pas comprendre, c’est que TOUS les capitalistes ont misé sur TOUS les chevaux. La financiarisation de l’économie, c’est cela. » C’est comme de vouloir gagner au loto en jouant tous les numéros]

              Non. Le loto ne distribue que les mises, et l’ensemble des parieurs ne peut jamais récupérer plus que la somme des paris. L’investissement capitaliste, au contraire, permet à l’ensemble des capitalistes de récupérer plus que la mise, puisqu’à celle-ci s’ajoute une partie de la valeur créée par le travail. Et dans ces conditions, effectivement, en jouant tous les chevaux l’ensemble du capital est sûr de gagner.

              [De toute façon il est impossible de miser dans toutes les sociétés. Ça nécessite une Energie considérable pour toutes les suivre, des frais conséquents (essayez d’acheter des actions indonésiennes ou chinoises) et vous êtes de toute façon limité aux sociétés cotées]

              Mais bien sur que non. Il me suffit d’acheter des actions ou des obligations émises par les plus grandes banques d’investissement. Et du coup, je reçois indirectement les dividendes de l’ensemble des sociétés dans lesquelles la banque a investi ou a prêté de l’argent. Ou bien, je peux souscrire des parts de fonds d’investissements, qui payent des professionnels pour faire le travail de suivi pour moi…

              [« Je ne comprends pas pourquoi un clandestin aurait un « impact négatif » inférieur à celui d’un voleur. Comment mesurez-vous cet « impact négatif » ? » si vous vous faites tabasser pour voler votre scooter (exemple récent) ou tout simplement on vous vole votre voiture ca a un impact bien plus fort que si votre voisin réside en France illégalement]

              Mais que se passe-t-il si mon voisin, puisqu’il est clandestin, a besoin de se procurer illégalement de l’argent et à cet effet me tabasse pour me voler mon scooter ? A qui attribuez-vous « l’effet négatif » ?

              [Ou plutôt au lieu de contrôler les papiers des gens on utilise la police pour quelque chose de plus utile. Par ex des descentes dans les points de deal]

              Mais on ne veut pas toucher aux points de deal ! Vous ne l’avez toujours pas compris ?

            • cdg dit :

              @ descartes

              [Croyez-moi. Si demain le RN avait des chances d’accéder au pouvoir, des gens raisonnablement compétents et présentables se bousculeraient au portillon.]

              Pas si sur. Le RN sens le souffre. Macron n a pas eut de probleme car être candidat LREM n est pas une etiquette lourde a porter. Être candidat RN (ou de tout autre parti extremiste, ca marche aussi pour NPA) c est une autre histoire. Ca deborde de la scene politique. Voyez ce qui arrive au JDD, si vous etes marqué extremiste, vous allez avoir un a priori negatif même dans votre vie privee ou pro

              [Quant aux « barrières mises par les grands partis », je n’ai pas l’impression qu’elles aient été très efficaces en 2017 pour empêcher Macron d’obtenir une majorité.]

              Comme vous l’écrivez, Macron a surtout récupéré des politiciens de second rang (genre attaché parlementaire ou adjoint au maire). Donc ils étaient déjà parfaitement au courant de comment fonctionne le système

              [Ils ne sont pas menteurs. Un mensonge impliquerait que le politicien dit quelque chose qu’il sait être faux, avec l’intention que l’électeur croie que c’est vrai.]Vous avez une curieuse définition du mensonge. Un mensonge c est quand vous dites quelque chose de faux. Que la personne en face y croit ou non n a aucun rôle

              [Je vais vous donner un exemple que j’ai déjà cité : lorsqu’un amoureux promet à sa Dulcinée de lui décrocher la lune, est-ce qu’il est en train de « mentir » ? ]

              On est pas dans le même registre. Et d ailleurs qui raconte ce genre de sornette ? Personnellement je l ai jamais fait.

              [Je vais vous donner ma réponse : au-delà du problème logistique que pose la construction d’une organisation politique, il y a le problème de la base sociologique. Autrement dit, il faut que votre « colonne vertébrale idéologique » serve les intérêts d’un groupe suffisamment puissant pour vous donner de l’impulsion et vous installer dans le rapport de forces.]

              Tout a fait exact. Si vous vous adressez a 3 % des électeurs vous n aller pas loin

              [sur quelle base sociologique comptez-vous l’appuyer ? Sur les couches populaires ? Le rapport de force leur est tellement défavorable qu’elles ne voient pas l’intérêt de voter, ou votent pour celui qui représente le rejet de tout. ]

              Déjà les classes populaire représentent environ 20 %, c est pas négligeable. On peut aussi voir la problématique sous une optique non marxiste. Par exemple JLM courtise le vote « africain » (je sais pas comment le nommer, c est pas immigré car il ne s adresse manifestement pas aux asiatiques victimes de ses protégés)

              [Lorsque le rapport de forces est très favorable au patronat, celui-ci n’a pas besoin de « lois » puisqu’il peut imposer sa volonté par la force. Si les lois sont « en faveur du patronat », c’est que le patronat est faible et a besoin de la loi pour le protéger. Pensez-vous que ce soit le cas aujourd’hui ?]

              Même avec un rapport de force favorable, avoir des lois en plus ça aide. Pourquoi croyez vous que les entreprises dépensent autant en lobbying ou salarient des politiciens en emploi fictif ?

              [Pas tout à fait. Pour produire, il me faut des matières premières et de la main d’œuvre, et puis il me faut des marchés pour écouler ma production. Dans un capitalisme « national », le capitaliste a besoin d’un Etat fort, pour pouvoir réprimer les revendications ouvrières, avec une armée capable de protéger son investissement des attaques étrangères, de lui assurer l’accès aux marchés et aux matières premières. Un capitaliste « mondialisé » n’a pas besoin de tout ça. Les revendications ouvrières ? Pas besoin de les réprimer, la délocalisation – ou même la menace de délocaliser – suffit à maintenir les salaires au niveau le plus bas….. L’accès aux marchés ? Ce ne sont plus les armées nationales qui s’en occupent, mais des organisations internationales comme l’OMC ou les banques…]

              C’est une vision assez simpliste. Par ex vous pouvez délocaliser mais c est pas si simple : vous devez trouver un partenaire local (vous allez quand même pas aller en chine pour construire votre usine vous-même puis la superviser), vous devez être sur que celui-ci va pas vous arnaquer (pas gagné en chine). Une fois l usine construite, il vous fait former les gens, gérer la logistique, la non qualité, les délais … C est evidement faisable mais pas si simple. Si vous restez en Europe, vous remarquerez que la France a vécu une saignée industrielle mais que en Europe, on est les seuls avec l’Italie a avoir vécu ça a ce niveau. La RFA ou la Suisse (qui a des cout de production sans commune mesure avec nous) ont un % de l industrie dans le PIB nettement supérieur a nous

              [Un quartier fermé vous donnerait les mêmes garanties, à condition de ne pas en sortir.]

              Pour vous donner un ex, mon fils va voir ses copains dans le village d a cote (environ 4 km). On est pas dans un quartier fermé

              [Mais peut-il faire la même chose s’il sort de cet « endroit » et qu’il traverse par exemple la cité de la Paternelle à Marseille ? ]

              C est sur que je le laisserai pas faire ca a Marseille, sans même aller dans une cité chaude

              [Etes vous prêt à payer 75% d’impôts en plus pour que votre fils puisse se promener à la Paternelle ?]

              C est même pas une question d impôts. Tant qu on aura pas la volonté de lutter contre la racaille, on pourra dépenser des millions ca ne servira a rien (enfin si, ca fait des beaux feux de joie tous les 4-5 ans)

              [Quand vous avez une usine produisant des centaines de milliers de mètres carrés de toile, vous êtes obligé d’aller vendre plus loin… et vous ne pouvez ce faire que si les goûts sont uniformisés. ]

              Je suis pas un expert en textile mais par ex vous vendez pas les mêmes vêtements en RFA et en France pour les femmes (c est ce que me dit ma femme). Pourtant ils viennent des mêmes usines. C est un peu comme les voitures, vous avez une base commune (80 % des pièces) mais l apparence est différente (ce que VW a le premier mit en œuvre sous le terme de plateforme).

              [Bien sur que non. Si Stellantis fait faillite, mes actions Stellantis ne vaudront plus rien, mais mes actions Mitsubishi ou Ford vaudront le double, puisqu’ils récupéreront les marchés.]

              Pourquoi elles vaudraient le double ? elles pourraient être aussi en difficulté et être éliminées par une société non cotée (donc vous n avez pas d action) ou par une société outsider que vous n avez pas vu venir (par ex Apple pour la telephonie)

              [Pour illustrer, faisons un petit calcul. Imaginons que j’aie payé 10€ une action Alcatel, que pendant vingt ans celle-ci m’ait payé un dividende de 5%, puis qu’ensuite elle n’ait plus rien payé et que sa valeur soit réduite à zéro.]

              Le rendement c’est en au mieux 2 %, pas 5. Et pour les société techno c est souvent moins. Par ex $0.24 pour Apple avec un cours de 175 $. Soit un rendement de … 0.2 % !)Ensuite vous devez raisonner en euro constant et intégrer les taxes. Pas sur que même sur 10 ans vous soyez gagnant.

              [Mais bien sur que non. Il me suffit d’acheter des actions ou des obligations émises par les plus grandes banques d’investissement. Et du coup, je reçois indirectement les dividendes de l’ensemble des sociétés dans lesquelles la banque a investi ou a prêté de l’argent.]

              Les résultats des banques sont assez peu liés aux dividendes des autres sociétés. Et si c est les prêts, vous avez un rendement qui est lié aux taux d intérêts (determinés par la banque centrale) pas aux résultats de la société (en fait un peu, si la société va mal, elle paiera plus d intérêts mais vous avez plus de chance qu elle fasse faillite et que vous perdiez votre mise)

              [Ou bien, je peux souscrire des parts de fonds d’investissements, qui payent des professionnels pour faire le travail de suivi pour moi… ]

              A ma connaissance vous avez aucun FCP ou sicav qui vous permette d investir dans TOUTES les sociétés. Essayez déjà d en avoir une qui investisse dans toutes les sociétés cotées françaises

              [Mais que se passe-t-il si mon voisin, puisqu’il est clandestin, a besoin de se procurer illégalement de l’argent et à cet effet me tabasse pour me voler mon scooter ? A qui attribuez-vous « l’effet négatif » ?]

              La on se retrouve dans le cas voleur. Mais si votre voisin clandestin travaille , il est certes illégal mais ça reste un délit mineur, comme de traverser hors des clous[Mais on ne veut pas toucher aux points de deal ! Vous ne l’avez toujours pas compris ?]J étais dans l optique ou il y avait une volonté de faire quelque chose et non de brasser du vent a la Sarkozy

            • Descartes dit :

              @ cdg

              [« Croyez-moi. Si demain le RN avait des chances d’accéder au pouvoir, des gens raisonnablement compétents et présentables se bousculeraient au portillon. » Pas si sûr. Le RN sens le souffre. Macron n’a pas eu de problème car être candidat LREM n’est pas une étiquette lourde à porter. Être candidat RN (ou de tout autre parti extrémiste, ça marche aussi pour NPA) c’est une autre histoire.

              Je vous assure que quand un siège ou un ministère sont offerts, il y en a beaucoup qui perdent l’odorat… Avoir été candidat RN peut-être un boulet plus tard… si vous êtes battu. Mais je vous assure que si la circonscription a des chances d’être gagnée, vous n’aurez pas trop de difficultés à trouver des candidats.

              [Ca déborde de la scène politique. Voyez ce qui arrive au JDD, si vous êtes marqué extrémiste, vous allez avoir un a priori négatif même dans votre vie privée ou pro]

              Je suis bien placé pour le savoir… mais si l’extrémisme dont vous portez l’étiquette a des postes, des élus, du pouvoir, c’est assez facile à vivre…

              [« Quant aux « barrières mises par les grands partis », je n’ai pas l’impression qu’elles aient été très efficaces en 2017 pour empêcher Macron d’obtenir une majorité. » Comme vous l’écrivez, Macron a surtout récupéré des politiciens de second rang (genre attaché parlementaire ou adjoint au maire). Donc ils étaient déjà parfaitement au courant de comment fonctionne le système]

              C’était bien mon point. Les « grands partis » ne font plus peur à personne, ils n’ont pas les moyens d’imposer une discipline, que ce soit chez leurs électeurs ou chez leurs cadres.

              [« Ils ne sont pas menteurs. Un mensonge impliquerait que le politicien dit quelque chose qu’il sait être faux, avec l’intention que l’électeur croie que c’est vrai. » Vous avez une curieuse définition du mensonge. Un mensonge c’est quand vous dites quelque chose de faux. Que la personne en face y croit ou non n’a aucun rôle]

              Autrement dit, l’acteur qui prétend être Hamlet ou Macbeth est un « menteur » ? Du prêtre qui dit « dieu existe » et de l’athée qui dit « dieu n’existe pas », il y a au moins un qui est un « menteur » ? L’enfant qui vous dit que deux fois deux ça fait cinq est un menteur ? Bien sur que non. Le mensonge implique d’une part que celui qui parle sache que ce qu’il dit est faux et d’autre part qu’il ait l’intention d’être cru. L’acteur n’est pas un menteur, parce qu’il n’a pas l’intention que le public croie qu’il est VRAIMENT le personnage qu’il incarne. Le prêtre et l’athée ne sont ni l’un ni l’autre des « menteurs », puisqu’ils ne savent pas que leur affirmation est fausse, tout comme l’enfant qui fait une erreur de calcul.

              [« Je vais vous donner un exemple que j’ai déjà cité : lorsqu’un amoureux promet à sa Dulcinée de lui décrocher la lune, est-ce qu’il est en train de « mentir » ? » On n’est pas dans le même registre.]

              Et pourquoi ? Je pense au contraire qu’on est exactement dans le même registre, celui de la séduction.

              [Et d’ailleurs qui raconte ce genre de sornette ? Personnellement je ne l’ai jamais fait.]

              Je pense que nous l’avons tous fait – sauf peut-être ceux qui n’ont jamais aimé, et qui n’ont jamais voulu être aimés. Certes, en général on ne promet pas la lune… mais on promet des choses tout aussi improbables. L’amour éternel est le plus courant…

              [« sur quelle base sociologique comptez-vous l’appuyer ? Sur les couches populaires ? Le rapport de force leur est tellement défavorable qu’elles ne voient pas l’intérêt de voter, ou votent pour celui qui représente le rejet de tout. » Déjà les classes populaire représentent environ 20 %, c est pas négligeable.]

              Beaucoup plus que ça. Je dirais autour de 60%.

              [On peut aussi voir la problématique sous une optique non marxiste.]

              On peut toujours. Mais alors, on ne peut invoquer les outils d’analyse marxistes, et en particulier la notion de « classe » et « d’intérêt de classe » au sens ou Marx l’entend…

              [Par exemple JLM courtise le vote « africain » (je sais pas comment le nommer, c’est pas immigré car il ne s’adresse manifestement pas aux asiatiques victimes de ses protégés)]

              Je ne crois pas qu’on puisse dire ça. JLM courtise le vote d’un secteur qui n’est pas bien inséré dans le processus productif. Il y a là ce que Marx aurait appelé le « lumpenprolétariat », mais aussi des personnes enfermées dans le fait communautaire. Le fait qu’ils viennent ou non d’Afrique lui est parfaitement indifférent.

              [« Lorsque le rapport de forces est très favorable au patronat, celui-ci n’a pas besoin de « lois » puisqu’il peut imposer sa volonté par la force. Si les lois sont « en faveur du patronat », c’est que le patronat est faible et a besoin de la loi pour le protéger. Pensez-vous que ce soit le cas aujourd’hui ? » Même avec un rapport de force favorable, avoir des lois en plus ça aide. Pourquoi croyez-vous que les entreprises dépensent autant en lobbying ou salarient des politiciens en emploi fictif ?]

              Je ne vois pas les entreprises dépensant beaucoup d’argent en lobbying en matière de relations avec leurs salariés. Le lobbying des entreprises est plutôt dirigé vers les autorités qui font des normes ou celles qui régulent la concurrence. En matière de droit du travail, les patrons ne dépensent pas grande chose en lobbying. Pour quoi faire, puisque les politiciens issus des classes intermédiaires se précipitent pour défendre leurs intérêts sans qu’il soit besoin d’un quelconque « lobbying » ?

              Quand il s’agit de concurrence, les patrons s’affrontent à des gens aussi forts qu’eux. Et là, les lois ont un sens. Mais en matière de législation du travail ? Cela fait longtemps que les patrons ne voient plus l’intérêt de faire un quelconque « lobbying »…

              [C’est une vision assez simpliste.]

              Je dirais plutôt simplificatrice. Je ne vais pas écrire dans un commentaire un traité d’économie politique. Mais le mécanisme est bien celui-là, même si dans la réalité les choses sont beaucoup plus complexes.

              [Par ex vous pouvez délocaliser mais ce n’est pas si simple : vous devez trouver un partenaire local (vous allez quand même pas aller en chine pour construire votre usine vous-même puis la superviser), vous devez être sur que celui-ci va pas vous arnaquer (pas gagné en chine). Une fois l usine construite, il vous fait former les gens, gérer la logistique, la non qualité, les délais … C est évidement faisable mais pas si simple.]

              Certes, ce n’est pas si simple. Mais est-ce rentable ? Oui, puisque les patrons y ont eu recours massivement – sauf à considérer que les patrons et les actionnaires qu’ils servent sont globalement des imbéciles qui ne savent pas ce qui est bon pour eux. Et dès lors qu’il est rentable d’aller ailleurs, la menace de le faire est efficace pour que les travailleurs locaux acceptent de baisser les salaires – il y a plusieurs exemples d’ailleurs d’accords collectifs échangeant la baisse des salaires contre la non-délocalisation. Ma description était donc certes « simplificatrice », mais le mécanisme décrit est bien réel.

              [Si vous restez en Europe, vous remarquerez que la France a vécu une saignée industrielle mais qu’en Europe, on est les seuls avec l’Italie a avoir vécu ça a ce niveau. La RFA ou la Suisse (qui a des couts de production sans commune mesure avec nous) ont un % de l’industrie dans le PIB nettement supérieur a nous]

              Certes. Mais partout, l’industrie est en recul. Partout, la main d’œuvre employée par l’industrie recule. Et partout les investissements industriels qui ne sont pas faits en Europe se déplacent vers les pays à faible coût de main d’œuvre. Je serais curieux de savoir ce qui reste du PIB industriel de la Suisse une fois retranchées les productions qui ne peuvent être délocalisées pour des raisons extra-économiques (armes…).

              [« Etes-vous prêt à payer 75% d’impôts en plus pour que votre fils puisse se promener à la Paternelle ? » Ce n’est même pas une question d’impôts. Tant qu’on n’aura pas la volonté de lutter contre la racaille, on pourra dépenser des millions ca ne servira a rien]

              Mais seriez-vous à payer 75% d’impôts en plus pour « lutter contre la racaille » ? Parce que cette lutte, croyez-moi, est très chère. La réponse – non pas la votre individuellement, mais celle de la classe à laquelle vous et moi nous appartenons – est claire, et on le voit de plus en plus dans des pays qui n’ont pas la même tradition universaliste que nous : les quartiers fermés se multiplient, tout comme les écoles, les universités et les cliniques privées qui satisfont aux besoins du « bloc dominant ». Et on réduit les impôts progressifs, quitte à laisser l’hôpital, l’école et la police publics tomber en déshérence.

              [« Quand vous avez une usine produisant des centaines de milliers de mètres carrés de toile, vous êtes obligé d’aller vendre plus loin… et vous ne pouvez ce faire que si les goûts sont uniformisés. » Je suis pas un expert en textile mais par ex vous vendez pas les mêmes vêtements en RFA et en France pour les femmes (c est ce que me dit ma femme).]

              Pourtant, promenez-vous dans n’importe quelle ville européenne, et il vous sera impossible de dire dans quelle ville vous êtes en regardant les vêtements que les gens portent. Vous verrez les mêmes jeans à New York, à Londres, à Paris, à Dubai, à Pekin…

              [Pourtant ils viennent des mêmes usines. C est un peu comme les voitures, vous avez une base commune (80 % des pièces) mais l apparence est différente (ce que VW a le premier mit en œuvre sous le terme de plateforme).]

              Si 80% des pièces sont les mêmes, vous avez une certaine uniformité, non ? Même si la couleur de la peinture est différente, c’est la même voiture.

              [« Bien sur que non. Si Stellantis fait faillite, mes actions Stellantis ne vaudront plus rien, mais mes actions Mitsubishi ou Ford vaudront le double, puisqu’ils récupéreront les marchés. » Pourquoi elles vaudraient le double ?]

              Parce que la valeur de l’action est la valeur actualisée des dividendes que l’on peut espérer sur un temps infini. Et que la disparition d’un concurrent implique que la part de marché qu’il abandonne reviendra aux survivants. Quand je dis « le double », c’est une image. Tout ce qu’on peut dire, c’est que dans un calcul global la disparition d’une marque augmente le profit total de l’industrie, puisque celui qui disparaît est généralement le moins rentable.

              [Elles pourraient être aussi en difficulté et être éliminées par une société non cotée (donc vous n’avez pas d’action)]

              Il ne faut pas mélanger les questions macroéconomiques et les questions de tuyaux. La plusvalue extraite par le capital peut prendre différentes voies : elle peut revenir au capitaliste sous forme d’intérêts, sous forme d’augmentation du prix de l’action, sous forme de dividendes. Le fait qu’une entreprise choisisse pour des raisons historiques, techniques, fiscales une voie plutôt qu’une autre ne change rien au mécanisme de fond.

              [ou par une société outsider que vous n’avez pas vu venir (par ex Apple pour la téléphonie)]

              Que je la voie venir ou pas ne change rien. Le capital panache les investissements. Et vous noterez qu’il ne perd jamais : sur une longue période, les indices boursiers augmentent toujours, et le gain est encore plus évident si en plus si vous tenez compte des dividendes et intérêts versés.

              [Le rendement c’est en au mieux 2 %, pas 5. Et pour les société techno c est souvent moins. Par ex $0.24 pour Apple avec un cours de 175 $. Soit un rendement de … 0.2 % !)Ensuite vous devez raisonner en euro constant et intégrer les taxes. Pas sur que même sur 10 ans vous soyez gagnant.]

              Je vous ai proposé un exemple simplifié, mais puisque vous voulez aller dans les détails, allons-y. Pour calculer votre rendement, il vous faut ajouter au dividende payé le différentiel de valeur de l’action. Autrement dit, le revenu que j’obtiendrais si je revendais chaque année suffisamment d’actions pour maintenir mon investissement constant. Si j’investis 10 € en janvier, et qu’en décembre on me paye un dividende de 2 € et que l’action vaut 12 €, le rendement de l’action sera de 4 €, soit 4%.

              Si on regarde seulement le dividende, alors la rentabilité d’une entreprise dépend des choix en matière de paiement de dividendes de l’entreprise. L’action d’une entreprise qui préfère consacrer ses revenus au rachat de ses propres actions plutôt que de payer des dividendes, par exemple, aurait avec ce type de calcul un rendement nul.

              Maintenant, si l’on applique ce raisonnement à Apple comme vous le suggérez, on voit que l’action a gagné 90% en 2019, 78% en 2020, 34% en 2021 et -27% en 2022. Sur trois ans, l’action m’aura rapporté chaque année en moyenne 4,3 € pour 10 € investis, et cela sans compter les dividendes… soit 43% annuel. Comme vous voyez, mon calcul sur un rendement annuel de 5% est plutôt pessimiste !

              [« Mais bien sur que non. Il me suffit d’acheter des actions ou des obligations émises par les plus grandes banques d’investissement. Et du coup, je reçois indirectement les dividendes de l’ensemble des sociétés dans lesquelles la banque a investi ou a prêté de l’argent. » Les résultats des banques sont assez peu liés aux dividendes des autres sociétés. Et si c’est les prêts, vous avez un rendement qui est lié aux taux d’intérêts (déterminés par la banque centrale) pas aux résultats de la société (en fait un peu, si la société va mal, elle paiera plus d’intérêts mais vous avez plus de chance qu elle fasse faillite et que vous perdiez votre mise)]

              Pas du tout. La banque centrale ne fixe pas les taux des prêts : ceux-ci sont fixés par le marché. Ce que la banque centrale fait, c’est fixer un plancher aux taux d’intérêt : puisque la banque centrale prête ou prend en pension les fonds aux banques à un taux donné, une banque n’a aucun intérêt à prêter à un taux INFERIEUR au taux de la banque centrale. Mais rien ne l’empêche de prêter à un taux SUPERIEUR. Ensuite, une banque prête à une affaire en fonction de ses capacités de remboursement : si une entreprise fait peu de profit, alors la banque ne lui prêtera pas. Il y a donc un lien évident entre les profits des banques et la santé des entreprises (même si j’ai fait une erreur en parlant de « dividendes » plutôt que de « profits ».

              [« Ou bien, je peux souscrire des parts de fonds d’investissements, qui payent des professionnels pour faire le travail de suivi pour moi… » A ma connaissance vous avez aucun FCP ou sicav qui vous permette d’investir dans TOUTES les sociétés. Essayez déjà d’en avoir une qui investisse dans toutes les sociétés cotées françaises]

              Point n’est besoin d’investir dans TOUTES. A partir d’un certain nombre la loi des grands nombres joue, et le taux de profits faits par un échantillon aléatoire d’entreprises est identique à celui de l’ensemble des entreprises.

              [« Mais que se passe-t-il si mon voisin, puisqu’il est clandestin, a besoin de se procurer illégalement de l’argent et à cet effet me tabasse pour me voler mon scooter ? A qui attribuez-vous « l’effet négatif » ? » Là on se retrouve dans le cas voleur.]

              Autrement dit, celui qui commet le crime ce n’est pas l’assassin, mais le révolver…

  7. dsk dit :

    @ Descartes
     
    [“(3) j’apprends en écrivant ces lignes qu’un médecin niçois de 80 ans qui contrôlait un arrêt de travail a été agressé par un patient parce qu’il lui a indiqué que l’arrêt était tout à fait injustifié. Encore un exemple qui montre combien il faut aujourd’hui avoir le sens de l’honneur chevillé au corps et un solide courage pour dire « non ».”]
     
    Un médecin de 80 ans qui, non content de travailler encore dans son cabinet, de visiter ses patients chez eux, travaillait en plus pour la sécu en allant contrôler les salariés malades à leur domicile. Sans doute fallait-il vraiment être à l’article de la mort pour mériter, selon lui, un arrêt de travail…

    • Descartes dit :

      @ dsk

      [Un médecin de 80 ans qui, non content de travailler encore dans son cabinet, de visiter ses patients chez eux, travaillait en plus pour la sécu en allant contrôler les salariés malades à leur domicile. Sans doute fallait-il vraiment être à l’article de la mort pour mériter, selon lui, un arrêt de travail…]

      Effectivement, ce devait pas être un tendre. Mais il a donné des détails sur l’affaire en question: la personne contrôlée lui a expliqué qu’il était en arrêt de travail parce qu’il était en conflit avec son chef. Ce n’est pas, je pense que nous pouvons être d’accord, une raison valable pour donner un arrêt de travail.

      La question des arrêts de travail de complaisance n’est pas une question facile. Cela fait quelque trente ans que j’encadre des équipes, et à chaque fois j’ai eu à faire à des gens qui, au moindre conflit au travail, se font faire des arrêts qui n’avaient pour moi aucune justification. Je suis le premier à penser qu’il faut que ce soit le médecin qui juge de la nécessite de l’arrêt de travail. Mais d’un autre côté, on ne peut ignorer le fait qu’il est difficile pour le médecin de les refuser – et risqué, comme le montre cette affaire.

      • dsk dit :

        @ Descartes
         
        [“Mais il a donné des détails sur l’affaire en question: la personne contrôlée lui a expliqué qu’il était en arrêt de travail parce qu’il était en conflit avec son chef.”]
         
        Attendez… Un médecin de 80 ans vient le voir à son domicile pour contrôler la justification de son arrêt de travail, et il se contente de lui expliquer : “je suis en conflit avec mon chef”, après quoi, confronté au refus de validation du vieux monsieur, il le frappe ?  Là, franchement, on est dans la “décivilisation”… Je pense qu’il ne doit pas être “en conflit” qu’avec son chef d’ailleurs.
         

        • Descartes dit :

          @ dsk

          [Attendez… Un médecin de 80 ans vient le voir à son domicile pour contrôler la justification de son arrêt de travail, et il se contente de lui expliquer : “je suis en conflit avec mon chef”]

          J’imagine que cela ne s’est pas tout à fait passé comme ça. Il a du d’abord insister sur des symptômes imaginaires, et quand le médecin lui a dit que ça ne collait pas, il a du lui dire “en fait, j’ai demandé l’arrêt de travail parce que je ne supporte plus d’aller travailler à cause de mon chef”… en tout cas, c’est ce qu’a fait l’un de mes collaborateurs, à qui j’avais eu l’outrecuidance de dire qu’il ne foutait rien !

          • dsk dit :

            @ Descartes
             
            [“Il a du d’abord insister sur des symptômes imaginaires, et quand le médecin lui a dit que ça ne collait pas, il a du lui dire “en fait, j’ai demandé l’arrêt de travail parce que je ne supporte plus d’aller travailler à cause de mon chef”…”]
             
            Eh bien il me semble que dans certains cas, cela peut véritablement justifier un arrêt de travail (perte de sommeil, d’appétit, état dépressif etc.). Or, qui est ce “workaholic” de 80 ans, qui lui même n’a jamais eu de chef, pour en juger mieux que son confrère ?

            • Descartes dit :

              @ dsk

              [Eh bien il me semble que dans certains cas, cela peut véritablement justifier un arrêt de travail (perte de sommeil, d’appétit, état dépressif etc.).]

              Qu’un état dépressif puisse justifier un arrêt de travail, cela se peut. Mais dans ce cas là, c’est une maladie, et elle doit être traitée comme telle. On ne peut pas donner des arrêts de travail simplement parce qu’on n’a pas envie de voir la tête de son chef. Ou alors, on transforme le poil dans la main en maladie professionnelle.

              [Or, qui est ce “workaholic” de 80 ans, qui lui même n’a jamais eu de chef, pour en juger mieux que son confrère ?]

              Et qui est son confrère, qui lui non plus n’a pas eu de chef, pour mieux juger que lui ? Si on va par là, on peut se demander jusqu’à quel point les médecins généralistes sont bien placés pour donner des arrêts de travail pour des maladies psychologiques…

            • dsk dit :

              @ Descartes
               
              Notre médecin “workaholic”, dont on nous précise qu’il a déjà repris les consultations bien qu’il n’ait, selon lui, échappé que de peu à la mort, dénonce à présent une “justice laxiste”, au motif que celle-ci a laissé 6 mois au prévenu pour préparer sa défense, notamment à l’aide d’une expertise psychologique. Peut-être craindrait-il que cette expertise ne montre qu’il avait tort de ne pas valider son arrêt de travail ? Pour lui, c’est tout vu : Le prévenu “était en colère”. Or, “être en colère ce n’est pas une maladie”. Il doit donc être puni immédiatement sans pouvoir préparer sa défense. Cqfd.
               
              Nice : après son agression, le médecin de 80 ans dénonce une justice laxiste et porte plainte après des insultes en ligne (lefigaro.fr)

            • Descartes dit :

              @ dsk

              [Notre médecin “workaholic”, dont on nous précise qu’il a déjà repris les consultations bien qu’il n’ait, selon lui, échappé que de peu à la mort, dénonce à présent une “justice laxiste”, au motif que celle-ci a laissé 6 mois au prévenu pour préparer sa défense, (…)]

              Si j’ai bien compris, le médecin ne reproche pas à la justice d’avoir laissé 6 mois au prévenu pour préparer sa défense, mais d’avoir mis fin à sa détention provisoire et de le libérer en attendant son procès. Dans la mesure où il peut craindre que l’agression se renouvelle, sa réaction n’est pas absurde. Après, je n’ai pas l’intégralité du dossier, et je ne sais pas sur quelles considérations le juge de la liberté et de la détention a décidé de libérer le prévenu. Je ne peux donc pas me prononcer sur cette décision…

              [(…) notamment à l’aide d’une expertise psychologique. Peut-être craindrait-il que cette expertise ne montre qu’il avait tort de ne pas valider son arrêt de travail ?]

              Je ne vois pas quelle raison il aurait pour « craindre » une telle expertise. Qu’il ait eu tort ou raison ne change en rien la nature de l’affaire. On n’a pas le droit d’agresser à coups de poing et de pied un médecin, quand bien même il aurait tort. Par ailleurs, un expert ne répond qu’aux questions qui lui sont posées, et je ne vois pas à quel titre on lui demanderait de se prononcer sur la validité de l’arrêt de travail. Ce qui est en débat dans cette affaire n’est pas de savoir si le médecin a eu raison ou tort, et l’expertise aura probablement pour objectif d’examiner l’état psychologique du prévenu au moment des faits, aux fins de « comprendre son passage à l’acte » et de savoir s’il est ou non responsable de ses actes, comme le dit fort bien l’article du « Figaro » que vous citez.

              [Pour lui, c’est tout vu : Le prévenu “était en colère”. Or, “être en colère ce n’est pas une maladie”. Il doit donc être puni immédiatement sans pouvoir préparer sa défense. Cqfd.]

              Votre description de l’affaire est erronée – je n’ose écrire « malhonnête ». Le médecin raconte que lorsqu’il est arrivé chez le prévenu, celui-ci lui a indiqué qu’il était en arrêt maladie parce qu’il « était en colère contre son patron ». Le médecin lui aurait alors répondu que « être en colère contre son patron ne justifiait pas un arrêt maladie payé par la sécurité sociale ». Ce en quoi il a parfaitement raison. Si la sécurité sociale devait payer des arrêts maladie à tous ceux qui sont en colère contre leur chef, on ne s’en sortirait pas.

              Par ailleurs, je peux comprendre que la victime d’une telle agression puisse être inquiète de voir le prévenu en liberté, et craindre que l’agression se répète. Mettez-vous à sa place.

    • dsk dit :

      @ Descartes
       
      [“Si j’ai bien compris, le médecin ne reproche pas à la justice d’avoir laissé 6 mois au prévenu pour préparer sa défense, mais d’avoir mis fin à sa détention provisoire et de le libérer en attendant son procès.”]
       
      Lisez mieux l’article : le médecin se plaint de ce qu’on ne “réprime pas tout de suite”. D’autre part, vous voudriez que le salarié, pour une agression qui n’aura même pas donné lieu à une ITT, soit enfermé jusqu’à son procès dans 6 mois ?  
       
      [“Dans la mesure où il peut craindre que l’agression se renouvelle, sa réaction n’est pas absurde.”]
       
      Ah bon ? Lorsqu’un type à qui vous rendez visite s’en prend à vous car vous le mettez en colère, vous pouvez craindre que l’agression se renouvelle ? Vous comptez donc de nouveau lui rendre visite ?
       
      [“Après, je n’ai pas l’intégralité du dossier, et je ne sais pas sur quelles considérations le juge de la liberté et de la détention a décidé de libérer le prévenu. “]
       
      Le bon sens probablement. Et aussi peut-être l’idée que la France est un état de droit.
       
      [“Ce qui est en débat dans cette affaire n’est pas de savoir si le médecin a eu raison ou tort, et l’expertise aura probablement pour objectif d’examiner l’état psychologique du prévenu au moment des faits, aux fins de « comprendre son passage à l’acte » et de savoir s’il est ou non responsable de ses actes, comme le dit fort bien l’article du « Figaro » que vous citez.”]
       
      L’article du Figaro ne dit pas “fort bien” qu’il s’agit de “savoir s’il est ou non responsable de ses actes”. Il dit juste qu’il est question de  « comprendre son passage à l’acte », ce qui nécessitera forcément de se pencher sur le “harcèlement” de l’employeur.
       
      [” Votre description de l’affaire est erronée – je n’ose écrire « malhonnête ». Le médecin raconte que lorsqu’il est arrivé chez le prévenu, celui-ci lui a indiqué qu’il était en arrêt maladie parce qu’il « était en colère contre son patron ». Le médecin lui aurait alors répondu que « être en colère contre son patron ne justifiait pas un arrêt maladie payé par la sécurité sociale ».”]
       
      J’ai beau relire l’article, je ne vois nullement une telle chose. La “colère” à laquelle le médecin fait référence est celle du salarié à son égard, et non vis à vis de son patron.  
       
      [“Ce en quoi il a parfaitement raison. Si la sécurité sociale devait payer des arrêts maladie à tous ceux qui sont en colère contre leur chef, on ne s’en sortirait pas.”]
       
      Bien sûr. Mais encore faudrait-il que le salarié lui ait vraiment dit “je suis en colère contre mon chef”, ce dont je doute.
       
      [“Par ailleurs, je peux comprendre que la victime d’une telle agression puisse être inquiète de voir le prévenu en liberté, et craindre que l’agression se répète. Mettez-vous à sa place.”]
       
      Ah bon ? Vous croyez qu’il aurait mis en colère le salarié, au point que celui-ci, alors qu’il se trouve à présent sous les feux des médias et de la justice, irait jusqu’à l’agresser à son domicile ?   
       

      • Descartes dit :

        @ dsk

        [Lisez mieux l’article : le médecin se plaint de ce qu’on ne “réprime pas tout de suite”.]

        Il n’a pas tout à fait tort. Beaucoup de pénalistes considèrent que le décalage de plusieurs moins voire plusieurs années entre l’acte et la peine rend cette dernière inefficace. Je trouve personnellement que six mois pour préparer une défense, surtout dans une affaire où les faits ne sont pas contestés, est un délai excessif.

        [D’autre part, vous voudriez que le salarié, pour une agression qui n’aura même pas donné lieu à une ITT, soit enfermé jusqu’à son procès dans 6 mois ?]

        Je ne veux rien, je me contente de chercher à comprendre. La détention provisoire est prescrite dans quatre cas : lorsqu’il y a un risque que le prévenu fasse échec à l’investigation en modifiant ou détruisant des preuves, en intimidant des témoins ou en arrangeant des faux témoignages ; lorsqu’il y a un risque de non-présentation devant la justice ; lorsque la liberté du prévenu est susceptible de provoquer des troubles à l’ordre public ; et finalement, lorsqu’il y a un risque de réitération des faits. Dans le cas présent, la dernière possibilité n’est pas déraisonnable. Après, comme je l’ai dit, c’est au juge d’apprécier si les mesures de contrôle qu’il prescrit sont suffisantes pour éviter sa réalisation.

        Par ailleurs, si les faits sont requalifiés en tentative d’homicide volontaire – et le médecin semble convaincu que c’en est une – la durée d’ITT n’a aucune importance.

        [“Dans la mesure où il peut craindre que l’agression se renouvelle, sa réaction n’est pas absurde.” Ah bon ? Lorsqu’un type à qui vous rendez visite s’en prend à vous car vous le mettez en colère, vous pouvez craindre que l’agression se renouvelle ? Vous comptez donc de nouveau lui rendre visite ?]

        Le risque est que l’agression se renouvelle. Il n’est pas nécessaire qu’elle se renouvelle au même endroit ou dans les mêmes conditions. Lorsqu’une personne, devant le simple refus d’un arrêt de travail, est capable d’agresser d’une manière aussi sauvage un médecin, oui, je dirais que le risque qu’il aille le chercher dans son cabinet pour « lui casser la gueule » est un risque réel. Le médecin a apparemment reçu des menaces des proches du prévenu. Ce n’est pas banal.

        [“Après, je n’ai pas l’intégralité du dossier, et je ne sais pas sur quelles considérations le juge de la liberté et de la détention a décidé de libérer le prévenu. “ Le bon sens probablement. Et aussi peut-être l’idée que la France est un état de droit.]

        Je ne vois pas le rapport avec « l’état de droit ». Le fait d’attendre libre son procès n’est pas un « droit ». Il appartient au juge d’évaluer les quatre critères que j’ai détaillé plus haut, et de décider s’il y a lieu de maintenir le prévenu en prison ou pas. S’il estime que des mesures de contrôle judiciaire permettent d’éviter la récidive, l’adultération des preuves et témoignages, que l’ordre public n’est pas menacé et que la présentation du prévenu est garantie, il n’a pas de raison de le maintenir en prison. Bien entendu, il peut se tromper, et si demain le médecin est assassiné dans son cabinet, on verra ce que vous direz…

        [“Ce qui est en débat dans cette affaire n’est pas de savoir si le médecin a eu raison ou tort, et l’expertise aura probablement pour objectif d’examiner l’état psychologique du prévenu au moment des faits, aux fins de « comprendre son passage à l’acte » et de savoir s’il est ou non responsable de ses actes, comme le dit fort bien l’article du « Figaro » que vous citez.”]

        [Il dit juste qu’il est question de « comprendre son passage à l’acte », ce qui nécessitera forcément de se pencher sur le “harcèlement” de l’employeur.]

        Pas du tout. Pour la question du passage à l’acte, ce qui importe est de savoir si le mis en cause se croyait harcelé. Le fait que le harcèlement ait ou non été réel n’a aucune espèce d’importance. Si je vous tue en prétendant avoir entendu la voix de Dieu que me l’ordonnait, le fait que Dieu ait ou non effectivement donné un tel ordre n’a aucune portée sur le procès pénal. L’important est d’établir si je crois vraiment à cet ordre – auquel cas je suis fou et donc irresponsable – ou si je ne suis qu’un simulateur.

        Par ailleurs, si je me sens harcelé par mon employeur, la solution est de saisir le syndicat et/ou le juge, et non de se faire faire un arrêt de travail.

        [” Votre description de l’affaire est erronée – je n’ose écrire « malhonnête ». Le médecin raconte que lorsqu’il est arrivé chez le prévenu, celui-ci lui a indiqué qu’il était en arrêt maladie parce qu’il « était en colère contre son patron ». Le médecin lui aurait alors répondu que « être en colère contre son patron ne justifiait pas un arrêt maladie payé par la sécurité sociale ».” J’ai beau relire l’article, je ne vois nullement une telle chose. La “colère” à laquelle le médecin fait référence est celle du salarié à son égard, et non vis à vis de son patron.]

        Voici ce que le médecin a déclaré à « La Depêche » : « il m’a très mal accueilli dès mon arrivée, expliquant qu’il était en colère contre son patron. Je lui ai expliqué qu’être en colère contre son patron ne justifiait pas un arrêt maladie payé par la sécurité sociale ». C’est bien donc le patron qui est l’objet de la colère au départ de l’affaire, et non le médecin.

        [“Ce en quoi il a parfaitement raison. Si la sécurité sociale devait payer des arrêts maladie à tous ceux qui sont en colère contre leur chef, on ne s’en sortirait pas.” Bien sûr. Mais encore faudrait-il que le salarié lui ait vraiment dit “je suis en colère contre mon chef”, ce dont je doute.]

        C’est en tout cas ce qu’affirme le médecin. Pourquoi en doutez-vous ?

        [“Par ailleurs, je peux comprendre que la victime d’une telle agression puisse être inquiète de voir le prévenu en liberté, et craindre que l’agression se répète. Mettez-vous à sa place.” Ah bon ? Vous croyez qu’il aurait mis en colère le salarié, au point que celui-ci, alors qu’il se trouve à présent sous les feux des médias et de la justice, irait jusqu’à l’agresser à son domicile ?]

        Oui, je le crois possible. Vous parlez comme si le prévenu était une personne rationnelle et pondérée, capable de peser risques et avantages. Mais sa réaction devant la décision du médecin, l’acharnement à le poursuivre et à le frapper ne confirment pas ce préjugé. Vous savez, il y a beaucoup de gens dangereux en liberté dans nos villes et nos villages. Souvenez-vous de ce personnage qui, pour se « venger », a mis le feu à un immeuble et fait plusieurs morts.

        On rejoint ici la problématique de la police. Faire la police, ce n’est jamais facile, et cela peut être dangereux. Les inspecteurs des impôts, des fraudes, du travail le savent très bien. Combien se font agresser alors qu’ils ne font qu’appliquer la loi… et c’est pourquoi il est fondamental que chaque fois que l’un d’eux est agressé, la société frappe vite et fort. Sans quoi demain personne ne voudra faire correctement ce travail.

  8. genau dit :

    Bien des hésitations avant de me risquer.
    Le débat confine à l’organisation de l’Etat et à sa justification. Tout organisme proche de cette dynamique a donc vocation à être connoté.
    Le parfait équilibre étant un rêve que la nature même de l’homme rend cauchemardesque, tant il faudrait la forcer et l’amputer de sa nature prédatrice qu’il vaut mieux le sortir de la discussion.
    Tout se réduit alors à une tâche complexe, mais plus tangible: comment faire respecter les principes fondateurs de notre société ? Action mixte mêlée de consentement et de contrainte, de volontarisme et de fatalisme. Je n’aime pas les impôts, mais je suis bien obligé de les payer si je veux une structure satisfaisante de mon environnement. Oui, mais qui décide cette structure ? Un rêveur idéologue ou un pragmatique rigoureux ? A moi de choisir par les élections  jusqu’à ce que le phénomène électoral ne reflète plus grand’chose qu’une course au pouvoir, et capable pour ce bénéfice de violer toutes les règles de la pensée politique équilibrée. Le vice du régime est étroitement lié à sa substance, c’est je crois la pensée de B. de Jouvenel. C’est aussi celle de Hayek ou du doyen Carbonnier. La logique n’est alors pas celle de la découverte scientifique.
    Alors, les liens se relâchent ave le régime de base et un redressement est nécessaire, sur une base évolutive. En Allemagne, Nolte a trouvé ses bases dans un empire, que les français n’ont pas eu. La lecture attentive de Mein Kampf démontre qu’Hitler se moquait comme d’une guigne de l’adhésion du peuple car il avait deviné que le régime en place  lui fournissait ses troupes. Et c’est sans doute Hess qui a verbalisé.
    Ainsi, dans une phase de relâchement conceptuel, où les gouvernements et assemblées successifs se sont laissé bercer par le “mol oreiller” du bien-être à crédit, les tendances se durcissent, chez les réfractaires et chez les tenants de l’ordre. Tout est bon à prendre. Il n’y a aucun remède, sauf attendre une réaction profonde qui peut trouver sa source, non dans les urnes, mais autour d’elles.  C’est le risque de l’homme providentiel, pour la personne et pour la collectivité. Franco était sage lorsqu’il conseillait à P.Pétain de rester dans son ambassade et d’éviter d’aller se brûler à Paris.
    En revanche, si on part d’un régime rigide, comme en URSS, mise à part l’immensité du territoire, c’est le surgissement d’une classe longtemps tenue en lisière qui prend rudement les rênes du pouvoir par sa connaissance de la nature prédatrice de l’homme dans ses vœux de société en engendrant une garde de fer, un pistolet sur la tempe et  un faste insolent pour tempérament. J’ai eu l’occasion de fréquenter la société de DDR, où l’attente majeure était de “prendre la place” de dirigeants déconnectés et pas du tout la mise en danger du socialisme prolétarien. “Je l’ai vu, de mes yeux vu, ce qui s’appelle vu”, le soir de l’ouverture de la grille du mur en novembre 1989 permise par la politique de Gorbatchev en rupture totale.
    Alors, en France, doit-on persévérer pour amender un régime en pleine dérive ultralibérale ou faut-il laisser faire, à la manière de Say ou de Quesnel ? C’est l’équilibre du danger, sans ceinture de sécurité.
     
    (Si ça ne vaut rien, vous jetez, pas grave)

    • Descartes dit :

      @ genau

      [Bien des hésitations avant de me risquer.]

      Rassurez-vous, ici on aboie beaucoup, mais on ne mord jamais…

      [Le parfait équilibre étant un rêve que la nature même de l’homme rend cauchemardesque, tant il faudrait la forcer et l’amputer de sa nature prédatrice qu’il vaut mieux le sortir de la discussion.
      Tout se réduit alors à une tâche complexe, mais plus tangible: comment faire respecter les principes fondateurs de notre société ?]

      Je pense que vous voyez la réponse. Pour commencer, il faut accepter l’imperfection de ce monde. Se résigner au fait que le « régime parfait » serait cauchemardesque : soit un Etat tout-puissant régulant chaque aspect de nos vie pour s’assurer que nous prenons les « bonnes » décisions, soit une aliénation absolue dans laquelle les individus seraient conditionnés pour faire spontanément ce qu’on attend d’eux. Il faut relire Burgess, et son « Orange Mécanique ». Une société vivable implique donc un équilibre toujours imparfait, toujours questionné, entre la liberté de chacun et les principes fondateurs qui rendent le fonctionnement social possible.

      [Action mixte mêlée de consentement et de contrainte, de volontarisme et de fatalisme. Je n’aime pas les impôts, mais je suis bien obligé de les payer si je veux une structure satisfaisante de mon environnement. Oui, mais qui décide cette structure ? Un rêveur idéologue ou un pragmatique rigoureux ? A moi de choisir par les élections jusqu’à ce que le phénomène électoral ne reflète plus grand’chose qu’une course au pouvoir, et capable pour ce bénéfice de violer toutes les règles de la pensée politique équilibrée.]

      Mais cela a toujours été un peu ainsi. Et pourtant, ça eut marché et cela ne marche plus. Pourquoi ? Pour moi, la réponse est claire : parce qu’il y a des moments où l’évolution de la société se fait au bénéfice de toutes les classes sociales, et des moments où, au contraire, elle se fait au bénéfice de l’une et au dépens de l’autre. 1945 fut un moment de la première espèce : il y eut un pacte implicite entre le capital national et la classe ouvrière, un pacte qui était possible parce que les deux groupes avaient intérêt à la reconstruction du pays, au développement industriel, au rétablissement de la France « dans sa souveraineté et sa grandeur ». Un pacte en grande partie explicité par le programme du CNR. A la fin des années 1960, les choses commencent à changer. Le capital s’internationalise, et les classes intermédiaires constituées pendant les « trente glorieuses » s’autonomisent des couches populaires. Cela donnera la révolution néolibérale des années 1980, la constitution d’une alliance entre les classes intermédiaires et la bourgeoisie, et la marginalisation des couches populaires. Le régime politique ne peut que refléter ces transformations. D’un régime où l’ensemble des classes avait une représentation pour le défendre, on est passé à un régime où seules les classes intermédiaires et la bourgeoisie participent au pouvoir.

      [Ainsi, dans une phase de relâchement conceptuel, où les gouvernements et assemblées successifs se sont laissé bercer par le “mol oreiller” du bien-être à crédit, les tendances se durcissent, chez les réfractaires et chez les tenants de l’ordre. Tout est bon à prendre. Il n’y a aucun remède, sauf attendre une réaction profonde qui peut trouver sa source, non dans les urnes, mais autour d’elles. C’est le risque de l’homme providentiel, pour la personne et pour la collectivité.]

      Je ne vois pas le « durcissement » dont vous parlez. La violence que nous voyons aujourd’hui dans la rue est essentiellement ludique. Tous les dix ans, on se paye pour quelques centaines de millions d’euros – je pleure en imaginant tout ce qu’on aurait pu faire de bien avec cet argent – une sorte de « fête des fous » qui permettent à notre jeunesse de s’amuser en cassant bibliothèques, écoles, gymnases et en pillant quelques magasins. Et puis, ça rentre dans l’ordre. Croyez-vous vraiment que le pouvoir du capital tremble sur ses fondations ? Soyons sérieux…

      [J’ai eu l’occasion de fréquenter la société de DDR, où l’attente majeure était de “prendre la place” de dirigeants déconnectés et pas du tout la mise en danger du socialisme prolétarien. “Je l’ai vu, de mes yeux vu, ce qui s’appelle vu”, le soir de l’ouverture de la grille du mur en novembre 1989 permise par la politique de Gorbatchev en rupture totale.]

      Oui. Et qu’est ce qui s’est passé ? Ceux qui voulaient « prendre la place » de dirigeants déconnectés pour gouverner mieux qu’eux sans mettre en danger le « socialisme prolétarien », que sont-ils devenus ?

      [Alors, en France, doit-on persévérer pour amender un régime en pleine dérive ultralibérale ou faut-il laisser faire, à la manière de Say ou de Quesnel ? C’est l’équilibre du danger, sans ceinture de sécurité.]

      L’amender si on ne peut faire mieux, le changer si l’occasion se présente !

      [(Si ça ne vaut rien, vous jetez, pas grave)]

      Toute réflexion honnête « vaut », ne serait-ce que comme point de départ d’une réflexion ! Ne soyez pas complexé !

  9. Bruno dit :

    Bonsoir Descartes, merci pour cet article. J’aimerais bien avoir votre avis sur le statut des drogues. Certaines, dont celles qui alimentent le trafic et font grassement vivre une bonne partie des habitants des « quartiers », sont aujourd’hui illégales. A titre personnel je suis défavorable à leur légalisation, notamment parce que je considère que ce n’est pas quelque chose d’anodin et que ça nous entraînerait dans une société plus chaotique encore. Il est bon qu’une société possède des interdits, autrement, je pense que des exutoires plus violents se développeraient… Aussi, certains de mes amis me disent qu’il serait bon que l’état légalise ces drogues et en assure la production et la vente pour couper l’herbe sous le pied des trafiquants… Qu’en pensez-vous? 

    • Descartes dit :

      @ Bruno

      [Bonsoir Descartes, merci pour cet article. J’aimerais bien avoir votre avis sur le statut des drogues.]

      Je peux vous le donner, mais je vous préviens : mon « avis » est celui d’un citoyen raisonnablement informé en termes généraux. Je ne prétends pas avoir approfondi le sujet, et encore moins être un expert sur la question. Je suis donc très prudent…

      [Certaines, dont celles qui alimentent le trafic et font grassement vivre une bonne partie des habitants des « quartiers », sont aujourd’hui illégales. A titre personnel je suis défavorable à leur légalisation, notamment parce que je considère que ce n’est pas quelque chose d’anodin et que ça nous entraînerait dans une société plus chaotique encore. Il est bon qu’une société possède des interdits, autrement, je pense que des exutoires plus violents se développeraient…]

      Je suis tout à fait d’accord. La loi, c’est aussi une manière de marquer ce que la société considère comme un comportement condamnable. Et je voudrais vivre dans une société qui exprime une condamnation forte de toute addiction. Comment peut-on à la fois défendre une vision d’individus à la fois libres et responsables, et considérer comme normale et admissible une conduite qui conduit à l’asservissement de la volonté ?

      Il y a un deuxième aspect à la question, qui concerne la jeunesse. Les jeunes cherchent à s’affirmer en violant les interdits. C’est essentiel à la construction d’une personnalité adulte. Il est donc important de garder des interdits plus ou moins arbitraires, que les jeunes puissent violer sans nécessairement se mettre en danger. Si on abolit l’interdit pesant sur les drogues dites « douces » au motif qu’elles sont faiblement dangereuses, on ne laisse aux jeunes que des interdits véritablement dangereux.

      [Aussi, certains de mes amis me disent qu’il serait bon que l’état légalise ces drogues et en assure la production et la vente pour couper l’herbe sous le pied des trafiquants… Qu’en pensez-vous?]

      Je pense que c’est une fuite en avant. On nous dit qu’il faut légaliser le cannabis. Fort bien. Et aussi la cocaïne ? Le crack ? La morphine ? L’héroïne ? Les Kalachnikov ? S’il s’agit de « couper l’herbe sous le pied des trafiquants », il n’y a aucune raison de ne pas « légaliser » toute la liste… L’expérience des pays qui ont légalisé les stupéfiants n’est pas encourageante.

      • cdg dit :

        ” S’il s’agit de « couper l’herbe sous le pied des trafiquants », il n’y a aucune raison de ne pas « légaliser » toute la liste… L’expérience des pays qui ont légalisé les stupéfiants n’est pas encourageante.”
        Je suis pas si sur. Je ne sais pas a quel pays vous pensez mais le canada et les USA ont legalisé et ca a pas l air d etre pire qu avant. Le cas de la hollande est special car ils ont juste depenalisé (autrement dit vous continuez a avoir un systeme mafieux car la production est toujours illégale)
        si on se base sur https://www.statista.com/statistics/597692/cannabis-use-europe-by-country/ on est quasiment les champions de la conso de cannabis donc on fait pire que tous les autres a l exception des tcheques
        On peut aussi regarder ce qui c est passe avec la prohibition. Les USA ont voulu interdire l alcool et ont cree Al Capone.
        Autrement dit a mon avis ca doit valoir le coup d essayer. Ca va priver de revenus une partie de nos criminels et ca rapportera des taxes (comme l alcool et les cigarettes)
        On pourrait tres bien avoir un systeme comme la cigarette : les fumeurs sont legaux mais on vous empeche de fumer quasiment partout hors de chez vous
        Comme pour les armes, je crois que le probleme n est pas sur leur interdiction mais c est un probleme societal. Il faut se demander pourquoi les gens ont besoin de se defoncer (cocaine ou cannabis) ou d aller faire un carton a l AR15 dans une ecole (vous remarquerez que ce dernier ne se passait pas il y a 30 ans aux USA alors que les armes etaient aussi en vente libre ou qu on a pas ce probleme en suisse ou chaque suisse est encore mieux equipé (arme automatique de l armee))
         
         

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [Je ne suis pas si sûr. Je ne sais pas à quel pays vous pensez mais le Canada et les USA ont légalisé et ça n’a pas l’air d’être pire qu’avant.]

          « Pire » de quel point de vue ? Avez-vous des éléments qui vous font penser que la consommation au Canada et dans les états américains qui ont légalisé (car la légalisation ne concerne pas l’ensemble des USA) la consommation de cannabis, de cocaïne, d’héroïne a baissé ? J’aimerais les connaître… parce que sans vouloir vous offenser, ce n’est pas parce qu’on rend un problème invisible qu’il disparaît.

          [si on se base sur https://www.statista.com/statistics/597692/cannabis-use-europe-by-country/ on est quasiment les champions de la conso de cannabis donc on fait pire que tous les autres a l’exception des tchèques]

          Pas du tout. Les statistiques auxquelles vous faites référence sont obtenues par sondage. Autrement dit, elles comptabilisent les personnes qui AVOUENT consommer, et non pas celles qui consomment effectivement. La conclusion que vous tirez suppose que dans les différents pays il y a la même proportion de consommateurs qui, interrogés par un sondeur, avouent consommer. Or, il n’y a aucune raison de penser que ce soit le cas, et il n’existe pas de moyen de vérifier cette hypothèse.

          [On peut aussi regarder ce qui c est passe avec la prohibition. Les USA ont voulu interdire l alcool et ont créé Al Capone.]

          Mais avec ce raisonnement, encore une fois, il faudrait légaliser non seulement la production et la vente de cannabis, mais aussi celle de cocaïne, d’héroïne, de crack et des armes. Personnellement, je trouve la comparaison absurde. Tous ceux qui boivent un pastis ou un porto au comptoir ne cherchent l’altération de leurs perceptions et ne tombent sous la dépendance. Je connais très peu d’héroïnomanes qui consomment juste pour la saveur du produit…

          [Autrement dit a mon avis ça doit valoir le coup d’essayer. Ça va priver de revenus une partie de nos criminels et ça rapportera des taxes (comme l’alcool et les cigarettes)]

          Et si l’expérience est négative, vous faites quoi ? Une fois que vous aurez mis en vente libre les Kalachnikov, vous aurez du mal à les faire rentrer, vous ne trouvez pas ?

          [Comme pour les armes, je crois que le problème n’est pas sur leur interdiction mais c’est un problème sociétal. Il faut se demander pourquoi les gens ont besoin de se defoncer (cocaine ou cannabis) ou d’aller faire un carton a l AR15 dans une école (vous remarquerez que ce dernier ne se passait pas il y a 30 ans aux USA alors que les armes étaient aussi en vente libre ou qu’on a pas ce problème en suisse ou chaque suisse est encore mieux équipé (arme automatique de l’armée))]

          Je doute que l’armée suisse incorpore et fournisse une arme aux malades psychiatriques et aux personnes ayant un casier judiciaire. Et vous avez tort de penser que les fusillades dans les écoles aux Etats-Unis n’existaient pas il y a trente ans : j’ai retrouvé des faits similaires en 1940 et 1979. Mais au-delà de ces détails, on pourrait aussi se demander pourquoi des gens ont besoin de commettre un viol, et on trouvera toujours des raisons « sociétales ». Est-ce une raison pour le légaliser ?

          • cdg dit :

            [Avez-vous des éléments qui vous font penser que la consommation au Canada et dans les états américains qui ont légalisé (car la légalisation ne concerne pas l’ensemble des USA) la consommation de cannabis, de cocaïne, d’héroïne a baissé ? J’aimerais les connaître… parce que sans vouloir vous offenser, ce n’est pas parce qu’on rend un problème invisible qu’il disparaît.]
            Je pensais pas tant a la consommation qu aux effets secondaire : violence, quartier de non droit, apparition d une mafia. Si on se base sur le precedent de l alcool et de la prohibition, on devrait voir un reflux de la criminalité (pourquoi acheter chez un dealer une substance douteuse alors qu on peut en avoir une legale a la teneur en THC garantie ?)
            Même si ca change rien a la consommation, on a l avantage d une mise hors course de criminels et les priver de ressources (et non ils pourront pas integralement compenser en vendant autre chose, tout comme la vente d heroine n a pas compensé les pertes de CA du a la fermeture des speakeasy)
            [[si on se base sur https://www.statista.com/statistics/597692/cannabis-use-europe-by-country/ on est quasiment les champions de la conso de cannabis donc on fait pire que tous les autres a l’exception des tchèques]
            Pas du tout. Les statistiques auxquelles vous faites référence sont obtenues par sondage. ]
            Etes vous sur que c est par sondage ? j ai rien vu dans le lien.
            On fait aussi des mesures de conso de drogues via les egouts (eh oui, la drogue s évacue avec l urine). De mémoire on était aussi bien classé dans ces mesures (avec des pointes a cannes pendant le festival par ex)
            [Mais avec ce raisonnement, encore une fois, il faudrait légaliser non seulement la production et la vente de cannabis, mais aussi celle de cocaïne, d’héroïne, de crack et des armes. ]
            On peut commencer par le cannabis. Pour les armes c était le cas jusqu en 1939 en France et c est toujours le cas en suisse (il faut juste un permis qui est assez facile a avoir pour un suisse).
            [ Tous ceux qui boivent un pastis ou un porto au comptoir ne cherchent l’altération de leurs perceptions et ne tombent sous la dépendance. ]
            Je suis pas un adepte de la fumette mais ca m etonnerai pas que certains soient interessé par le gout. Quant a l alcool, il y a quand même pas mal d alcoolique qui cherchent bien l alteration de leurs perceptions et l oubli des problemes
            [Et si l’expérience est négative, vous faites quoi ? Une fois que vous aurez mis en vente libre les Kalachnikov, vous aurez du mal à les faire rentrer, vous ne trouvez pas ? ]
            Je parlais du cannabis. Donc s il est fumé le probleme ne se pose pas.
            Si on legalise les armes, rien n empeche d avoir un registre (comme les voitures) et donc de les retirer. Ayant grandi a la campagne vous avez pas idée le nombre d armes illegales qui s y trouvent. Et pourtant il y a quasiment jamais de probleme. De toute façon, même si l arme est illegale, il va y avoir le probleme des munitions. Perso j aurai pas trop confiance en un pistolet qui a des balles qui datent de 1945
            [Je doute que l’armée suisse incorpore et fournisse une arme aux malades psychiatriques et aux personnes ayant un casier judiciaire. ]
            Certes mais la suisse est le pays qui a le plus d armes par habitant (je crois qu ils dépassent les USA) avec des armes encore plus puissante qu aux USA (les armes automatiques sont interdites aux USA) . et pourtant c est un pays extrêmement sur et qui n a quasiment jamais de fusillades
            [ Mais au-delà de ces détails, on pourrait aussi se demander pourquoi des gens ont besoin de commettre un viol, et on trouvera toujours des raisons « sociétales ». Est-ce une raison pour le légaliser ?]
            La on est loin du cannabis ou même du port d arme. Je ferai la distinction entre ce qui est inoffensif , ce qui est nuisible qu a soi (par ex la conso d alcool ou de cannabis) et ce qui est nuisible a autrui (meurtre, viol ou vol). Autant je vois pas de probleme a legaliser les 2 premiers, autant je pense qu il faut réprimer le 3eme. Et n oubliez pas que les moyens de l etat sont limité. Il vaut mieux se concentrer sur ce qui est vraiment problématique plutôt que d encombrer police et justice avec des pecadilles
             

            • Descartes dit :

              @ cdg

              [« Avez-vous des éléments qui vous font penser que la consommation au Canada et dans les états américains qui ont légalisé (car la légalisation ne concerne pas l’ensemble des USA) la consommation de cannabis, de cocaïne, d’héroïne a baissé ? J’aimerais les connaître… parce que sans vouloir vous offenser, ce n’est pas parce qu’on rend un problème invisible qu’il disparaît. » Je ne pensais pas tant à la consommation qu’aux effets secondaires : violence, quartier de non droit, apparition d’une mafia.]

              C’est pourquoi je vous disais qu’avant de juger de l’efficacité d’une solution, il faut s’entendre sur ce qui constitue le problème. Il est évident que si votre problème est le « non droit », il suffit de légaliser le crime et le problème disparaît. Légalisez le meurtre, et le meurtrier devient un honorable citoyen respectueux des lois. Légalisez la prostitution, les marchés truqués, les trafics divers, et vous transformez les « mafias » en des honorables entreprises privées tout à fait légales. Problème résolu ?

              Personnellement, mon objectif va un peu plus loin que les « effets secondaires ». Pour moi, l’objectif prioritaire est de limiter autant que faire se peut la consommation de produits stupéfiants. C’est à cette aune que je juge une politique. Après, si on peut sans compromettre cet objectif réduire la violence, rétablir le droit dans les quartiers et éliminer les mafias, je suis bien entendu pour. Mais je ne vois pas l’intérêt de compromettre l’objectif prioritaire pour cela.

              J’ajoute que je ne vois pas pourquoi la légalisation du cannabis aurait pour effet de réduire « la violence, les quartiers de non-droit, la constitution de mafias ». Simplement, le trafic se déplacerait vers d’autres produits stupéfiants. L’expérience que vous citez de la Prohibition aux Etats-Unis devrait d’ailleurs vous illustrer sur ce point. Est-ce que la fin de la prohibition a tué les mafias, éliminé la violence et rétabli le droit partout ? Bien sûr que non : les mafias se sont déplacées vers d’autres activités.

              [Si on se base sur le precedent de l alcool et de la prohibition, on devrait voir un reflux de la criminalité (pourquoi acheter chez un dealer une substance douteuse alors qu on peut en avoir une legale a la teneur en THC garantie ?)]

              Et pourquoi acheter du cannabis, alors qu’on peut avoir de la cocaïne, de l’extasy, et tant d’autres produits bien plus puissants ? Ne nous voilons pas la face : depuis quelques années, le cannabis est de fait quasi-légalisé : non seulement sa circulation s’est banalisée, et on peut s’en procurer sans risque pratiquement partout, mais le délit de possession a été transformé en simple contravention, une sorte d’impôt aléatoire à la consommation qui ne dit pas son nom. Et qu’est-ce qu’on observe ? Non seulement la consommation ne baisse pas, mais on voit augmenter celle de la cocaïne et surtout du crack, dont le prix baisse au fur et à mesure que le cannabis passe en quasi-vente libre.

              [Même si ça ne change rien à la consommation, on a l’avantage d’une mise hors course de criminels et les priver de ressources (et non ils pourront pas intégralement compenser en vendant autre chose, tout comme la vente d’héroïne n’a pas compensé les pertes de CA du a la fermeture des speakeasy)]

              Et si cela change quelque chose à la consommation – à la hausse ? Cela vaut la peine d’accroitre le nombre de consommateurs juste pour « mettre hors course des criminels » (à supposer que cela marche) ?

              Sur le deuxième point, j’aimerais savoir sur quoi s’appuie votre affirmation selon laquelle la vente des stupéfiants et autres trafics « n’ont pas compensé les pertes de CA dues à la fermeture du speakeasy ». On n’a pas l’impression que la mafia ait été dans la dèche après 1933. Il ne me semble pas non plus que la mafia – dont le poids sur la politique était considérable – ait cherché à s’opposer fermement à la dérogation de la « Volstead act » qui organisait la Prohibition. Comment expliquer cette indifférence, alors que selon vous cette décision la privait de l’essentiel de ses revenus ?

              [« Pas du tout. Les statistiques auxquelles vous faites référence sont obtenues par sondage. » Etes-vous sûr que c’est par sondage ? Je n’ai rien vu dans le lien.]

              Le mot « survey » est pourtant écrit noir sur blanc…

              [On fait aussi des mesures de conso de drogues via les egouts (eh oui, la drogue s évacue avec l’urine).]

              Possible, mais cela ne fournit qu’une mesure de consommation totale. Il n’est pas possible à partir d’une telle mesure de déduire quelle proportion d’adultes consomme du cannabis sur une période donnée. Or, c’est ce résultat qui est présenté dans votre statistique (pourcentage d’adultes ayant consommé au moins une fois pendant les douze derniers mois). Un tel résultat ne peut être obtenu que par sondage, et la fiabilité en dépend donc de la sincérité des réponses. Ce genre de sondage est intéressant pour comparer l’évolution d’une année sur l’autre, parce qu’on peut raisonnablement faire l’hypothèse que la sincérité des personnes interrogées ne change pas en quelques années. Mais la comparaison entre pays est très hasardeuse…

              [« Mais avec ce raisonnement, encore une fois, il faudrait légaliser non seulement la production et la vente de cannabis, mais aussi celle de cocaïne, d’héroïne, de crack et des armes. » On peut commencer par le cannabis.]

              Pourquoi ? Pourquoi ne pas commencer par l’héroïne ou le crack ?

              [Pour les armes c’était le cas jusqu’en 1939 en France et c’est toujours le cas en suisse (il faut juste un permis qui est assez facile à avoir pour un suisse).]

              Et alors ? Pensez-vous que ce serait une bonne chose de revenir à l’avant-1939 ?

              [Je ne suis pas un adepte de la fumette mais ça m’etonnerai pas que certains soient intéressés par le gout.]

              Je n’en connais pas, et tous les vendeurs que j’ai croisé vantent la pureté de leur produit et son efficacité psychotrope. Personne ne m’a jamais abordé en me disant « j’ai de la bonne, c’est la plus parfumée », ou « j’ai du marocain, c’est le plus goûteux »…

              [Quant à l’alcool, il y a quand même pas mal d’alcoolique qui cherchent bien l’altération de leurs perceptions et l’oubli des problèmes.]

              Possible. Mais ils n’en constituent pas moins une minorité, et la réglementation est relativement punitive à leur égard (répression de l’ivresse publique, interdiction de vendre de l’alcool à une personne en état d’ébrieté).

              [Je parlais du cannabis. Donc s’il est fumé le problème ne se pose pas.]

              Bien sur que si. Que faites vous de tous ceux devenus dépendants alors que la consommation était légale, et qui du jour au lendemain ne peuvent plus se procurer leur produit sans tomber dans l’illégalité ?

              [Si on légalise les armes, rien n’empêche d’avoir un registre (comme les voitures) et donc de les retirer.]

              J’imagine déjà nos braves policiers allant « retirer » les Kalachnikov dans les quartiers nord de Marseille… Allons : déjà aujourd’hui, alors que nous avons une législation sur les armes très restrictive, la police n’ose pas aller dans certains quartiers de peur de se faire tirer dessus. Vous imaginez ce que cela serait, après quelques années où les armes seraient en vente libre ?

              [Ayant grandi à la campagne vous n’avez pas idée le nombre d’armes illégales qui s’y trouvent. Et pourtant il n’y a quasiment jamais de problème.]

              « Quasiment jamais » ? Vous poussez un peu loin le bouchon, non ? Pendant longtemps il ne se passait pas un mois sans qu’on ait un forcené qui s’enfermait et menaçait de tuer sa famille ou alors un voisin, et souvent des gendarmes étaient blessés ou pire en tentant de les réduire. Aujourd’hui, bien de ces armes – souvent retenues lors des guerres – sont hors d’usage. Mais pendant des années elles ont servi à des choses bien peu catholiques. Et s’il n’y a pas plus de problèmes « à la campagne », c’est parce que la densité de population est faible, que tout le monde se connaît et se surveille…

              [« Je doute que l’armée suisse incorpore et fournisse une arme aux malades psychiatriques et aux personnes ayant un casier judiciaire. » Certes mais la suisse est le pays qui a le plus d’armes par habitant (je crois qu’ils dépassent les USA)]

              Non. Si l’on croit les études regroupées par le site « gunpolicy.org » les Etats-Unis arrivent en tête avec plus de 88 armes pour 100 habitants, alors que la Suisse arrive à la 18ème place avec 28, derrière plusieurs pays européens d’ailleurs (32 pour la Suède, 31 pour la Norvège, 30 pour l’Autriche, l’Islande et l’Allemagne). La France arrive à la 40ème place, avec 14 armes pour 100 habitants. Par ailleurs, comme le note Martin Killias, de l’université de Lausanne, « Ce qui est décisif, ce n’est pas tant le nombre d’armes que le nombre de personnes qui ont accès à une arme. C’est une nuance fondamentale. Certaines personnes disposent de véritables arsenaux, mais ce qui est vraiment déterminant, c’est l’accès à au moins une arme. Qui est en proportion largement inférieur en Suisse.» (Le Temps, 4 octobre 2017). Le même article note que la Suisse a le record d’Europe pour les suicides par arme a feu, et que les violences familiales impliquant des armes sont plus fréquents qu’ailleurs en Europe.

              [avec des armes encore plus puissante qu’aux USA (les armes automatiques sont interdites aux USA).]

              C’est inexact : la nature des armes autorisées dépend des états. Plusieurs états autorisent les armes automatiques.

              [et pourtant c’est un pays extrêmement sur et qui n’a quasiment jamais de fusillades]

              Dans l’article que je cite plus haut, Martin Killias explique pourquoi : l’essentiel des armes est détenu par des militaires ou des gens liés à l’armée, et celle-ci ne donne pas des armes à n’importe qui. Il y a donc un contrôle assez étroit sur qui peut avoir une arme.

              [« Mais au-delà de ces détails, on pourrait aussi se demander pourquoi des gens ont besoin de commettre un viol, et on trouvera toujours des raisons « sociétales ». Est-ce une raison pour le légaliser ? » Là on est loin du cannabis ou même du port d’arme. Je ferai la distinction entre ce qui est inoffensif, ce qui est nuisible qu’à soi (par ex la conso d’alcool ou de cannabis) et ce qui est nuisible à autrui (meurtre, viol ou vol).]

              A votre avis, un produit qui génère une dépendance dont l’ensemble de la société devra assumer le coût, un produit qui crée une dépendance qui augmente la probabilité que la personne commette un délit ou un crime, un produit qui réduit à néant la capacité de travail d’une personne dont la société entière a financé la formation rentrent dans laquelle de ces trois catégories ?

            • Carloman dit :

              Bonsoir,
               
              [Allons : déjà aujourd’hui, alors que nous avons une législation sur les armes très restrictive, la police n’ose pas aller dans certains quartiers de peur de se faire tirer dessus. Vous imaginez ce que cela serait, après quelques années où les armes seraient en vente libre ?]
              Excusez-moi d’intervenir, mais sur la question des armes, je ne suis pas du tout, mais alors pas du tout d’accord avec vous. Dans la mesure où aujourd’hui, les armes sont présentes, et même très présentes, dans les quartiers nord de Marseille et dans les autres banlieues chaudes, la “législation très restrictive” ne s’applique en fait qu’aux honnêtes citoyens…
               
              Et si, comme vous le dites, la police – pour les raisons bien compréhensibles que vous avez exposées – va de plus en plus se contenter du “minimum syndical”, autrement dit de moins en moins faire son boulot, il y a une urgence absolue à légaliser l’accès à certaines catégories d’armes pour les citoyens honnêtes.
               
              Parce qu’à un moment, il faut être cohérent: nous sommes, je pense, un certain nombre à regretter la situation dans laquelle nous sommes. Moi, je respecte la loi, je respecte la police, je soutiens nos policiers et j’en veux terriblement à la justice qui favorise la chienlit. Pour moi, un Etat est fort quand il ne recule pas devant la violence, devant le bain de sang s’il le faut. Mais si, pour des raisons que je peux comprendre, les policiers ne peuvent plus assurer la protection de ma personne et de mes biens, je réclame le droit de pouvoir me défendre, de pouvoir tirer sur les petits merdeux de la cité voisine si l’envie leur prenait de venir cramer ma voiture ou d’organiser un point de deal devant chez moi.
               
              La “guerre de tous contre tous”, c’est fort dommage et très triste. Mais si elle doit avoir lieu, alors, en tant qu’individu, je préfère qu’on me donne une chance de tuer plutôt que d’être tué.
               
              Vous devez être cohérent, Descartes: si l’Etat a failli, si la police cesse de faire son travail, et dans la mesure où délinquants et criminels sont bien pourvus en armes, alors vous devez accepter de donner à tous les citoyens la possibilité d’être armés voire de constituer des milices d’auto-défense… C’est triste, mais c’est la logique des choses. Et si vous ne voulez pas laisser les gens se défendre, alors il faut leur dire d’aller vivre dans un autre pays, plus sûr, en admettant que ça existe. Et abandonner la France aux délinquants armés. 

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« Allons : déjà aujourd’hui, alors que nous avons une législation sur les armes très restrictive, la police n’ose pas aller dans certains quartiers de peur de se faire tirer dessus. Vous imaginez ce que cela serait, après quelques années où les armes seraient en vente libre ? » Excusez-moi d’intervenir, mais sur la question des armes, je ne suis pas du tout, mais alors pas du tout d’accord avec vous. Dans la mesure où aujourd’hui, les armes sont présentes, et même très présentes, dans les quartiers nord de Marseille et dans les autres banlieues chaudes, la “législation très restrictive” ne s’applique en fait qu’aux honnêtes citoyens…]

              Non, la « législation très restrictive » s’applique à tous. Même si les armes sont « très présentes », elles le sont beaucoup moins que si leur vente était libre. Je pense que vous faites une erreur de raisonnement classique : celle qui consiste à croire qu’une mesure est inefficace parce qu’elle n’est pas efficace à 100%. Le fait qu’il y ait toujours des meurtres n’implique pas que l’interdiction de tuer son prochain soit inutile.

              [Et si, comme vous le dites, la police – pour les raisons bien compréhensibles que vous avez exposées – va de plus en plus se contenter du “minimum syndical”, autrement dit de moins en moins faire son boulot, il y a une urgence absolue à légaliser l’accès à certaines catégories d’armes pour les citoyens honnêtes.]

              Vous n’avez pas tort. La nature a horreur du vide. Si la police devait abandonner ses missions de protection de la sécurité de la vie et des biens des citoyens, on ne pourra empêcher les citoyens de prendre leur protection dans leurs mains et de s’armer, quelque soit la sévérité de la législation d’ailleurs. Si les gens sont forcés de choisir entre leur sécurité et celle de leur famille et le respect de la législation, le choix sera vite fait. Et mieux vaut réguler un tel comportement en légalisant la possession et le port des armes que de laisser la chose se réguler spontanément.

              C’est bien là ma crainte, et c’est pourquoi j’appelle systématiquement dans ce blog à soutenir la police et d’une manière générale les institutions, quelque soient leurs imperfections. Car une fois le consensus sur le monopole de la force légitime rompu, les autres options sont bien pires.

              [Vous devez être cohérent, Descartes: si l’Etat a failli, si la police cesse de faire son travail, et dans la mesure où délinquants et criminels sont bien pourvus en armes, alors vous devez accepter de donner à tous les citoyens la possibilité d’être armés voire de constituer des milices d’auto-défense…]

              Je ne pense pas qu’on soit encore dans la situation où « la police a cessé de faire son travail ». Mais j’observe comme vous une dérive qui m’inquiète au plus haut point. C’est tout le problème : ceux qui attaquent la police en tant qu’institution ne se rendent pas compte qu’une fois la police neutralisée, les citoyens n’auront d’autre choix que de s’armer.

            • Gugus69 dit :

              @cdg
              Je ferai la distinction entre ce qui est inoffensif, ce qui est nuisible qu’à soi (par ex la conso d’alcool ou de cannabis) et ce qui est nuisible à autrui (meurtre, viol ou vol).]
               
              Vous devriez expliquer cette distinction aux victimes d’accidents provoqués par des planeurs ou des poivrots inoffensifs…

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
              [Je pense que vous faites une erreur de raisonnement classique : celle qui consiste à croire qu’une mesure est inefficace parce qu’elle n’est pas efficace à 100%. Le fait qu’il y ait toujours des meurtres n’implique pas que l’interdiction de tuer son prochain soit inutile]
              Ce n’est pas ce que je voulais dire. Avec toutes les législations restrictives du monde, nous sommes d’accord que le crime organisé trouvera toujours à s’armer. Mais j’attire votre attention sur le fait qu’aujourd’hui, dans les quartiers nord de Marseille, il n’y a pas que les parrains de la mafia et leurs sbires qui sont armés, des “petites frappes” se procurent apparemment sans grande difficulté des armes. Je sais bien que la loi ne peut être efficace à 100 %, je ne suis pas idiot, mais je critique en effet une application laxiste de la réglementation dans certains quartiers.
               
              Nous avons un autre problème: la libre circulation des personnes dans le cadre de Schengen. D’après mes informations, on peut trouver à acheter (illégalement) à Bruxelles des kalachnikovs en parfait état et pour un prix raisonnable, et il n’est pas très difficile de revenir avec en France…
               
              [C’est tout le problème : ceux qui attaquent la police en tant qu’institution ne se rendent pas compte qu’une fois la police neutralisée, les citoyens n’auront d’autre choix que de s’armer.]
              Tout à fait d’accord avec vous.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [Ce n’est pas ce que je voulais dire. Avec toutes les législations restrictives du monde, nous sommes d’accord que le crime organisé trouvera toujours à s’armer.]

              Oui. Mais pas avec la même facilité, et pas avec les mêmes possibilités que si la législation permettait la libre vente et circulation des armes. De la même manière que la législation sur les stupéfiants n’empêche pas les drogués de se procurer de la marchandise, mais réduit la propagation du fléau par rapport à la situation ou les drogues seraient en vente libre.

              [Mais j’attire votre attention sur le fait qu’aujourd’hui, dans les quartiers nord de Marseille, il n’y a pas que les parrains de la mafia et leurs sbires qui sont armés, des “petites frappes” se procurent apparemment sans grande difficulté des armes.]

              Oui, des « petites frappes » arrivent quelquefois à se procurer des armes. Mais pas « sans grande difficulté ». L’idée que n’importe qui peut acheter une arme dans les quartiers nord est je pense une idée fausse. On peut bien entendu se les procurer, mais il faut avoir des réseaux et surtout de l’argent, car la « législation restrictive », en limitant les sources d’approvisionnement, fait monter les prix, et donc limite l’accès.

              [Je sais bien que la loi ne peut être efficace à 100 %, je ne suis pas idiot, mais je critique en effet une application laxiste de la réglementation dans certains quartiers.]

              S’il y a bien un sujet sur lequel il n’y a pas de « laxisme » du côté des forces de l’ordre, c’est bien celui des armes. Et c’est logique, puisque policiers et gendarmes risquent d’être la première cible des armes en question. Le problème, c’est la multiplication des conflits armés sur le continent européen et surtout l’attitude irresponsable du bloc occidental, qui souvent a fourni des armes à des groupes irréguliers sans se poser trop de question. Un grand nombre de ces armes reviennent chez nous par des filières criminelles. La guerre dans les Balkans a par exemple fourni un réservoir quasi illimité d’armes recyclées pendant plus de vingt ans. L’Ukraine nous prépare quelque chose de semblable.

              [Nous avons un autre problème: la libre circulation des personnes dans le cadre de Schengen. D’après mes informations, on peut trouver à acheter (illégalement) à Bruxelles des kalachnikovs en parfait état et pour un prix raisonnable, et il n’est pas très difficile de revenir avec en France…]

              Tout à fait d’accord. La suppression des contrôles aux frontières a « internationalisé » le problème, alors que les politiques de sécurité ne sont efficaces qu’au niveau national.

              [“C’est tout le problème : ceux qui attaquent la police en tant qu’institution ne se rendent pas compte qu’une fois la police neutralisée, les citoyens n’auront d’autre choix que de s’armer.” Tout à fait d’accord avec vous.]

              Le grand paradoxe, c’est qu’on trouve à gauche toute une galaxie de gens qui proclament leur “détestation de la police” tout en professant vouloir construire une société pacifiée… ils ne se rendent pas compte que désarmer la police revient à terme à armer les citoyens.

            • cdg dit :

              [C’est pourquoi je vous disais qu’avant de juger de l’efficacité d’une solution, il faut s’entendre sur ce qui constitue le problème. Il est évident que si votre problème est le « non droit », il suffit de légaliser le crime et le problème disparaît. Légalisez le meurtre, et le meurtrier devient un honorable citoyen respectueux des lois. Légalisez la prostitution, les marchés truqués, les trafics divers, et vous transformez les « mafias » en des honorables entreprises privées tout à fait légales. Problème résolu ?]
              Vous amalgamez des choses différentes. Comme je l ai écris avant, je suis pour legaliser et taxer les choses qui ne portent pas prejudices a autrui. Autrement dit on legalise le cannabis ou la prostitution (ce qui est déjà le cas pour cette dernière) mais pas le meurtre ou le racket
              [Personnellement, mon objectif va un peu plus loin que les « effets secondaires ». Pour moi, l’objectif prioritaire est de limiter autant que faire se peut la consommation de produits stupéfiants. ]
              Vaste programme. Le moins qu on puisse dire c est que la prohibition ne marche pas. On consomme bien plus de drogue maintenant qu il y a 40 ans a tel point que vous trouvez des consommateurs de cannabis même dans des villages reculés de Savoie
              Est-ce que ca serait pas mieux de faire comme le tabac ? On a réussit a réduire la consommation en réduisant le nombre d endroit ou fumer (rappelez vous quand bars et restaurants étaient enfumés) et en taxant le produit
              [Après, si on peut sans compromettre cet objectif réduire la violence, rétablir le droit dans les quartiers et éliminer les mafias, je suis bien entendu pour. Mais je ne vois pas l’intérêt de compromettre l’objectif prioritaire pour cela.]
              Donc avec un peu de mauvaise foi, pour vous il faut limiter la consommation de cannabis même si pour cela on doit accepter une hausse de l emprise mafieuse (par ex de type taliban, lesquels sont contre la drogue)
              [Est-ce que la fin de la prohibition a tué les mafias, éliminé la violence et rétabli le droit partout ? Bien sûr que non : les mafias se sont déplacées vers d’autres activités. ]
              Oui, mais les autres activités étaient moins lucratives. Donc moins d argent pour payer son personnel ou corrompre police/juge/politicien. Apres la prohibition, il n y a pas eut d equivalent de Capone
              [Et pourquoi acheter du cannabis, alors qu’on peut avoir de la cocaïne, de l’extasy, et tant d’autres produits bien plus puissants ? ]
              Pourquoi boire du vin alors qu on peut boire de la vodka qui contient 5 fois plus d alcool ?
              Je pense pas que les consommateurs de cocaïne soient les mêmes que de cannabis. Pas le même public ni le même usage (bon je reconnais que ne consommant aucun des deux j ai aucune competance. Mais si on se base sur ceux qui se font prendre, on a clairement 2 publics. Palmade ou Beigbeder c est pas Jacques Dupont qui fume son joint)
              [Non seulement la consommation ne baisse pas, mais on voit augmenter celle de la cocaïne et surtout du crack, dont le prix baisse au fur et à mesure que le cannabis passe en quasi-vente libre. ]
              Correlation ne veut pas dire causalité
              [[« Mais avec ce raisonnement, encore une fois, il faudrait légaliser non seulement la production et la vente de cannabis, mais aussi celle de cocaïne, d’héroïne, de crack et des armes. » On peut commencer par le cannabis.]
              Pourquoi ? Pourquoi ne pas commencer par l’héroïne ou le crack ?]
              Parce que le cannabis est comme vous l ecrivez massivement disponible et que ca me changera pas grand-chose sur la consommation. Quant a l heroine il existe des programme ou on distribue des drogues ou des substituts (salle de shoot). Donc on y vient doucement
              [[Pour les armes c’était le cas jusqu’en 1939 en France et c’est toujours le cas en suisse (il faut juste un permis qui est assez facile à avoir pour un suisse).]
              Et alors ? Pensez-vous que ce serait une bonne chose de revenir à l’avant-1939 ?]
              Dans ce cas oui. Surtout si on arrive comme l écris une autre personne a un stade ou l etat n est plus capable d assurer la protection des gens.
              On pourrait par ex legaliser la possession de fusil (pas d armes de poing facile a dissimuler) au domicile. Quitte pour le proprietaire de passer un certains nombre de tests (psy, médicaux et casier judiciaire)
              [J’imagine déjà nos braves policiers allant « retirer » les Kalachnikov dans les quartiers nord de Marseille… Allons : déjà aujourd’hui, alors que nous avons une législation sur les armes très restrictive, la police n’ose pas aller dans certains quartiers de peur de se faire tirer dessus. Vous imaginez ce que cela serait, après quelques années où les armes seraient en vente libre ?]
              Cf ci-dessus. Je parlais pas d AK47 et si vous avez un casier vous ne pouvez avoir d arme. Apres il est tout a fait possible de monter une operation coup de poing pour retirer des armes en territoire hostile. Ca se faisait couramment en Algerie jusqu en 62
              [« Quasiment jamais » ? Vous poussez un peu loin le bouchon, non ? Pendant longtemps il ne se passait pas un mois sans qu’on ait un forcené qui s’enfermait et menaçait de tuer sa famille ou alors un voisin, et souvent des gendarmes étaient blessés ou pire en tentant de les réduire. ]
              « pas un mois » je pense que c est vous qui exagerez. Et la plupart du temps ca restait au niveau des menaces. Mais oui, c est clair que ca a un prix. Mais le prix n en vaut il pas la chandelle ?
              [Mais pendant des années elles ont servi à des choses bien peu catholiques. ]
              Vous pouvez preciser ?
              Parce que si ces armes étaient illegales, si vous vous en serviez vous pouviez quand même vous faire pincer (vous avez des résidus de combustion)
              [Et s’il n’y a pas plus de problèmes « à la campagne », c’est parce que la densité de population est faible, que tout le monde se connaît et se surveille… ]
              Je sais que c est pas politiquement correct mais je pense que s il y a moins de probleme c est pas tant lie a la densité de population qu a la population elle-même.
              Parce que si vous voulez tuer votre voisin, c est quand même bien plus facile s il habite un coin perdu qu en ville (personne vous voit, la victime peut créer tant qu elle veut, personne va vous déranger et vous pouvez facilement vous débarrasser du cadavre et avec un peu de chance on se rendra pas compte de la disparition de la victime avant longtemps)
              [C’est inexact : la nature des armes autorisées dépend des états. Plusieurs états autorisent les armes automatiques.]
              Je crois pas. Seul les semi automatique sont autorisées (https://abcnews.go.com/US/machine-gun-laws-us/story?id=50256580)
              [l’essentiel des armes est détenu par des militaires ou des gens liés à l’armée, et celle-ci ne donne pas des armes à n’importe qui. Il y a donc un contrôle assez étroit sur qui peut avoir une arme.]
              La je peux vous dire que c est faux. Tous les suisses males reçoivent une arme quand ils passent a l armee. Ce qui  n en fait pas des militaire vu que c est une armee de milice. SI vous connaissez des suisses, en discutant avec eux chez eux vous pouvez assez facilement voir leur arme de l armee. Le fait qu un suisse ne va pas faire un carton sur le voisin ou braquer une banque ou  rafaler un point de deal n est pas lié au fait qu il n a pas d arme
              [A votre avis, un produit qui génère une dépendance dont l’ensemble de la société devra assumer le coût, un produit qui crée une dépendance qui augmente la probabilité que la personne commette un délit ou un crime, un produit qui réduit à néant la capacité de travail d’une personne dont la société entière a financé la formation rentrent dans laquelle de ces trois catégories ?]
              Vrai pour l alcool comme pour le cannabis. Pourtant le premier est legal
               

            • Descartes dit :

              @ cdg

              [Vous amalgamez des choses différentes. Comme je l’ai écrit avant, je suis pour légaliser et taxer les choses qui ne portent pas préjudices a autrui. Autrement dit on légalise le cannabis ou la prostitution (ce qui est déjà le cas pour cette dernière) mais pas le meurtre ou le racket]

              Le problème, c’est que dans une société aussi complexe et interconnectée que la nôtre, il est assez difficile de tracer une frontière objective entre ce qui « porte préjudice à autrui » et le contraire. Si je choisis de devenir un zombie en consommant du crack, est-ce que je « porte préjudice à autrui » ? On pourrait parfaitement soutenir que dans la mesure où la société a payé mon éducation et ma formation, en devenant un zombi avant l’âge de la retraite je prive « autrui » d’une ressource sur laquelle il pouvait légitimement compter. Et cela reste vrai quand bien même la consommation de crack serait légale et la drogue fournie par l’Etat.

              [« Personnellement, mon objectif va un peu plus loin que les « effets secondaires ». Pour moi, l’objectif prioritaire est de limiter autant que faire se peut la consommation de produits stupéfiants. » Vaste programme. Le moins qu’on puisse dire c’est que la prohibition ne marche pas.]

              Dans la mesure où l’objectif serait de « limiter la consommation AUTANT QUE FAIRE SE PEUT », pour soutenir une telle affirmation il vous faudrait montrer qu’il y a une autre politique qui permettrait de mieux limiter la consommation. J’attends votre proposition là-dessus…

              [On consomme bien plus de drogue maintenant qu’il y a 40 ans à tel point que vous trouvez des consommateurs de cannabis même dans des villages reculés de Savoie]

              Possible. Mais cela n’implique pas que la politique de prohibition soit inefficace, dès lors que on objectif serait de limiter AUTANT QUE FAIRE SE PEUT la consommation. Nous ne savons pas ce que la consommation serait si l’on l’avait légalisée il y a quarante ans, et il n’y a aucune raison de penser que la légalisation aurait mieux réussi à empêcher la consommation dans les villages reculés de Savoie…

              J’ai l’impression que vous persistez dans l’idée qu’une politique ne « réussite » que si elle est efficace à 100%. Pour moi, elle est « efficace » si elle atteint son but. Et ici, le but n’est pas de supprimer la consommation – ce serait irréaliste – mais de la limiter autant que possible.

              [Est-ce que ça ne serait pas mieux de faire comme le tabac ? On a réussi à réduire la consommation en réduisant le nombre d’endroit ou fumer (rappelez-vous quand bars et restaurants étaient enfumés) et en taxant le produit]

              On a réussi à réduire la consommation, mais en partant d’un point haut, avec un produit totalement légal et consommable partout. Il est clair que dans ces conditions limiter les endroits autorisés ou augmenter le prix – dans une certaine proportion, parce qu’au-delà vous avez la contrebande qui apparaît – se traduit par une diminution. Mais dans le cas du cannabis, vous voulez faire l’inverse : réduire le prix et augmenter le nombre de lieux ou la consommation est autorisée par rapport à la situation actuelle. Cela ne peut se traduire, logiquement, que par une augmentation de la consommation.

              Bien sûr, si d’abord vous légalisez le cannabis partout, et qu’ensuite vous faites « comme pour le tabac », vous aurez une diminution par rapport au niveau haut. Mais qu’est ce qu’on aura gagné en termes de consommation par rapport à la situation actuelle ?

              [« Après, si on peut sans compromettre cet objectif réduire la violence, rétablir le droit dans les quartiers et éliminer les mafias, je suis bien entendu pour. Mais je ne vois pas l’intérêt de compromettre l’objectif prioritaire pour cela. » Donc avec un peu de mauvaise foi, pour vous il faut limiter la consommation de cannabis même si pour cela on doit accepter une hausse de l’emprise mafieuse (par ex de type taliban, lesquels sont contre la drogue)]

              Je n’ai pas compris l’analogie avec les talibans. Mais oui, je pense qu’il vaut mieux un pays qui consomme peu de trafic clandestin, qu’un pays qui consomme beaucoup avec une vente légale. C’est d’ailleurs le choix qu’on a fait pour le tabac : on a augmente le prix du paquet pour réduire la consommation, sachant que cela allait pousser vers le haut les trafics de cigarettes.

              [« Est-ce que la fin de la prohibition a tué les mafias, éliminé la violence et rétabli le droit partout ? Bien sûr que non : les mafias se sont déplacées vers d’autres activités. » Oui, mais les autres activités étaient moins lucratives.]

              Je ne sais pas. Sur quoi vous fondez-vous pour écrire cela ? Je veux bien admettre qu’à la fin de la prohibition les autres activités fussent moins rentables (car dans le cas contraire, on les aurait cultivées plutôt que le trafic d’alcool). Mais après quelques années, une fois que les autres activités se sont développées, je n’en suis pas du tout sûr. La corruption mafieuse était aussi importante dans les années 1950 que pendant la Prohibition.

              [Donc moins d’argent pour payer son personnel ou corrompre police/juge/politicien. Apres la prohibition, il n’y a pas eu d’équivalent de Capone]

              Bien sur que si. Mais ils sont beaucoup plus discrets et moins médiatiques, d’une part parce que les moyens modernes de police scientifique rendent l’impunité plus difficile, et d’autre part parce qu’avec la mondialisation il vaut mieux diriger son bizness discrètement depuis Dubai, Sinaloa ou Bogota que depuis le Queens. Dites aux mexicains que les maffieux n’ont plus d’argent pour corrompre juges, policiers et politiciens, ça les fera beaucoup rire.

              [« Et pourquoi acheter du cannabis, alors qu’on peut avoir de la cocaïne, de l’extasy, et tant d’autres produits bien plus puissants ? » Pourquoi boire du vin alors qu on peut boire de la vodka qui contient 5 fois plus d alcool ?]

              Pour la raison que j’ai déjà expliquée mille fois : parce que les buveurs d’alcool, dans leur grande majorité, cherchent la saveur, et pas l’ivresse. Je doute que ce soit le cas de beaucoup de consommateurs de cannabis, de cocaïne ou d’extasy. Les consommateurs de ces produits cherchent d’abord l’effet psychotrope. Et si c’est cela qu’on recherche, autant y aller pour le produit le plus puissant.

              Et s’il vous plait, ne venez pas me dire que les fumeurs de cannabis le font pour le goût ou l’arome du produit. On trouve des herbes a fumer qui ne contiennent pas de THC, qui ont le même goût, et qui sont légales. Pourquoi des gens persistent malgré tout à vouloir fumer du cannabis ?

              [Je ne pense pas que les consommateurs de cocaïne soient les mêmes que de cannabis. Pas le même public ni le même usage (bon je reconnais que ne consommant aucun des deux je n’ai aucune compétence.]

              Je ne consomme aucun des deux non plus, mais je me suis laissé dire par des amis policiers que lors des contrôles routiers, il est rare que le contrôle donne positif à la cocaïne ou de l’héroïne seule. Autrement dit, s’il y a des gens qui ne consomment que du cannabis, ceux qui consomment de la cocaïne ou de l’héroïne consomment généralement une autre drogue, la plupart du temps de cannabis.

              [« Non seulement la consommation ne baisse pas, mais on voit augmenter celle de la cocaïne et surtout du crack, dont le prix baisse au fur et à mesure que le cannabis passe en quasi-vente libre. » Corrélation ne veut pas dire causalité]

              Certes. Mais dans le cas présent, on comprend bien le mécanisme à l’œuvre. Au fur et à mesure que le cannabis se banalise et que son prix baisse, la cocaïne doit suivre pour ne pas perdre des clients.

              [Parce que le cannabis est comme vous l’écrivez massivement disponible et que ça ne me changera pas grand-chose sur la consommation.]

              Je n’ai jamais écrit pareille chose. J’ai écrit au contraire qu’à mon avis la légalisation poussera la consommation à la hausse. Et votre raisonnement sur le tabac le confirme : si en réduisant les lieux ou l’on peut fumer et en augmentant le prix on a réussi à baisser la consommation, il est clair qu’en élargissant les lieux où l’on peut fumer le cannabis et en baissant son prix, on aura le résultat inverse.

              [Quant à l’héroïne il existe des programmes ou on distribue des drogues ou des substituts (salle de shoot). Donc on y vient doucement]

              Donc vous pensez que la légalisation de l’héroïne est, elle aussi, dans les cartes ?

              [Dans ce cas oui. Surtout si on arrive comme l écris une autre personne à un stade ou l’état n’est plus capable d’assurer la protection des gens.]

              On n’en est pas là, quand même.

              [On pourrait par ex légaliser la possession de fusil (pas d’armes de poing facile à dissimuler) au domicile. Quitte pour le propriétaire de passer un certain nombre de tests (psy, médicaux et casier judiciaire)]

              Et qu’est ce qui empêchera le détenteur légal d’une arme de la vendre à celui qui aura échoué à ces tests (quitte à la déclarer volée pour se couvrir) ? Et comment faire pour s’assurer que l’arme reste « au domicile » ?

              [Cf ci-dessus. Je ne parlais pas d’AK47 et si vous avez un casier vous ne pouvez avoir d’arme.]

              Pardon, vous parliez plus haut de « fusils ». L’AK47 n’est-elle pas un « fusil » ? Par ailleurs, comment évitez-vous que ceux qui ont un casier vierge n’achètent pour un tiers ?

              [Apres il est tout a fait possible de monter une opération coup de poing pour retirer des armes en territoire hostile. Ça se faisait couramment en Algerie jusqu’en 62]

              Et ça a fait combien de morts ?

              [Mais oui, c’est clair que ça a un prix. Mais le prix n’en vaut-il pas la chandelle ?]

              L’expérience américaine semble indiquer que non. Non seulement cela fait pas mal de morts « accidentels », mais cela n’a pas vraiment d’effet sur la criminalité violente, au contraire.

              [« Mais pendant des années elles ont servi à des choses bien peu catholiques. » Vous pouvez préciser ?]

              Je pense notamment à l’utilisation de ces armes par le « milieu » marseillais.

              [Parce que si ces armes étaient illégales, si vous vous en serviez vous pouviez quand même vous faire pincer (vous avez des résidus de combustion)]

              Pas plus que pour les armes légales.

              [« Et s’il n’y a pas plus de problèmes « à la campagne », c’est parce que la densité de population est faible, que tout le monde se connaît et se surveille… » Je sais que ce n’est pas politiquement correct mais je pense que s’il y a moins de problème ce n’est pas tant lie a la densité de population qu’a la population elle-même. Parce que si vous voulez tuer votre voisin, c’est quand même bien plus facile s’il habite un coin perdu qu’en ville (personne vous voit, la victime peut créer tant qu’elle veut, personne ne va vous déranger et vous pouvez facilement vous débarrasser du cadavre et avec un peu de chance on ne se rendra pas compte de la disparition de la victime avant longtemps)]

              C’est certainement plus facile de le tuer, mais beaucoup plus difficile de ne pas être pris. D’abord, parce que le nombre de suspects est beaucoup plus faible. Ensuite, parce que tout le monde connaît votre passé, et les contentieux qui peuvent exister avec la victime. Et finalement, contrairement à ce que vous dites, une disparition passe bien plus inaperçu en milieu urbain, parce que les gens vivent beaucoup plus seuls. A la campagne, la famille est souvent bien plus proche et les rapports avec les voisins plus étroits. A Paris, vous pouvez vivre pendant vingt ans dans un immeuble sans rien savoir de la vie de votre voisin de palier. C’est plus difficile dans une petite ville, et impossible à la campagne.

              [« C’est inexact : la nature des armes autorisées dépend des états. Plusieurs états autorisent les armes automatiques. » Je crois pas. Seul les semi automatique sont autorisées (…)]

              L’article semble dire le contraire : « Connecticut residents may purchase machine guns if they are capable of a ‘full automatic only’ rate of fire. » Par ailleurs, quand il se réfère aux règles fédérales l’article parle de « guidelines », ce qui suggère que les états ont une certaine autonomie pour y déroger.

              [« l’essentiel des armes est détenu par des militaires ou des gens liés à l’armée, et celle-ci ne donne pas des armes à n’importe qui. Il y a donc un contrôle assez étroit sur qui peut avoir une arme. » La je peux vous dire que c’est faux.]
              J’ai extrait cette phrase l’article publié dans « Le Temps » du 4 octobre 2017. J’imagine que le journaliste sait de quoi il parle.

              [Tous les suisses males reçoivent une arme quand ils passent à l’armée.]

              Mais, semble-t-il, tous ne sont pas autorisés à la garder.

              [« A votre avis, un produit qui génère une dépendance dont l’ensemble de la société devra assumer le coût, un produit qui crée une dépendance qui augmente la probabilité que la personne commette un délit ou un crime, un produit qui réduit à néant la capacité de travail d’une personne dont la société entière a financé la formation rentrent dans laquelle de ces trois catégories ? » Vrai pour l’alcool comme pour le cannabis. Pourtant le premier est legal.]

              C’est vous qui proposiez la catégorisation « entre ce qui est inoffensif, ce qui est nuisible qu’à soi (par ex la conso d’alcool ou de cannabis) et ce qui est nuisible à autrui ». Je vous repose la question, à laquelle vous n’avez pas répondu : dans quelle catégorie placeriez-vous « un produit qui génère une dépendance dont l’ensemble de la société devra assumer le coût, un produit qui crée une dépendance qui augmente la probabilité que la personne commette un délit ou un crime, un produit qui réduit à néant la capacité de travail d’une personne dont la société entière a financé la formation ». Est-il « inoffensif » ? « Nuisible pour soi », ou « nuisible pour autrui » ?

            • cdg dit :

              @descartes

              [Le problème, c’est que dans une société aussi complexe et interconnectée que la nôtre, il est assez difficile de tracer une frontière objective entre ce qui « porte préjudice à autrui » et le contraire. Si je choisis de devenir un zombie en consommant du crack, est-ce que je « porte préjudice à autrui » ? On pourrait parfaitement soutenir que dans la mesure où la société a payé mon éducation et ma formation, en devenant un zombi avant l’âge de la retraite je prive « autrui » d’une ressource sur laquelle il pouvait légitimement compter.]

              SI on commence comme ça, on finit par dire qu un avortement c est une perte car le bébé a naitre aurait pu être un travailleurIl faut rester simple et mesurer le préjudice direct sinon on finit par dire que tout porte préjudice (comme les gens qui soutiennent aux USA qu’ ils sont victimes car leurs ancêtres ont été esclaves il y a 200 ans !)[Mais cela n’implique pas que la politique de prohibition soit inefficace, dès lors que son objectif serait de limiter AUTANT QUE FAIRE SE PEUT la consommation. Nous ne savons pas ce que la consommation serait si l’on l’avait légalisée il y a quarante ans, et il n’y a aucune raison de penser que la légalisation aurait mieux réussi à empêcher la consommation dans les villages reculés de Savoie…]

              Il n y a aucune raison de penser le contraire non plus. Est-ce qu il y aurait eut plus de consommateur de shit en France si celui-ci aurait eut le statut du tabac (taxé et impossible de fumer a l exterieur) ? comme il est impossible de prouver l un ou l’autre on ne peut que speculerPar contre il est sur que la prohibition a nourrit une mafia qui n existerait pas si le produit est legal et taxé. Il y a certes une contrebande de tabac ou des bouilleurs de cru mais c est marginal

              [Mais dans le cas du cannabis, vous voulez faire l’inverse : réduire le prix et augmenter le nombre de lieux ou la consommation est autorisée par rapport à la situation actuelle. Cela ne peut se traduire, logiquement, que par une augmentation de la consommation.]

              Pas évident. Déjà je ne parle pas de baisser le prix. Les taxes doivent faire que le produit ne doit pas être nettement moins cher que dans le point de deal. La grosse difference est sur la qualité. Vous n achetez pas votre pastis a un marche clandestin parce qu il est moins cher mais par ce que vous avez aucune idée de de qu on a mit dedans.Quant aux lieux ou la consommation est autorisé, il n y aura aucun changement voire une restriction. Actuellement c est interdit en theorie partout mais autorisé en réalité partout. Legalisé comme le tabac ca sera en gros autorisé uniquement chez vous (essayez de fumer dans un restaurant pour voir maintenant)

              [Je n’ai pas compris l’analogie avec les talibans.]

              Les talibans sont contre la drogue et c est pour ca que la production d heroine en afghanistan regresse. Et vu comme ils traitent les drogués, je pense que la consommation doit aussi s être effondree

              [[Oui, mais les autres activités étaient moins lucratives.]Je ne sais pas. Sur quoi vous fondez-vous pour écrire cela ? Je veux bien admettre qu’à la fin de la prohibition les autres activités fussent moins rentables (car dans le cas contraire, on les aurait cultivées plutôt que le trafic d’alcool). Mais après quelques années, une fois que les autres activités se sont développées, je n’en suis pas du tout sûr.]

              Pour développer une activité vous avez besoin d une demande solvable. Une fois la prohibition terminée, la demande pour la prostitution ou les jeux (ou je ne sais quoi d illegal en 1930) n a pas explosé. Donc aucune raison de penser que l activité soit plus rentable (elle devait même l être moins car la concurrence devait être accrue : par ex le gangster qui faisait dans l alcool se recycle dans un bordel. Au lieu d avoir 1 bordel, vous en avez 2. Le nombre de client potentiel étant sensiblement le même, les gains par bordel sont divisé par 2

              [Mais ils sont beaucoup plus discrets et moins médiatiques, d’une part parce que les moyens modernes de police scientifique rendent l’impunité plus difficile, et d’autre part parce qu’avec la mondialisation il vaut mieux diriger son bizness discrètement depuis Dubai, Sinaloa ou Bogota que depuis le Queens.]

              Je suis pas sur que les moyens de la police scientifique y soient pour grand-chose. Capone par ex ne tuait pas grande monde lui-même. Il donnait les ordres. Et les truands apprennent. Par ex maintenant ils evitent de laisser leur ADN (par ex en brulant la voiture qui a servit au braquage)

              [Dites aux mexicains que les maffieux n’ont plus d’argent pour corrompre juges, policiers et politiciens, ça les fera beaucoup rire.]

              On parlait des USA, de la mafia et de la prohibition. La mafia US actuelle n a plus l emprise qu elle avait a l époque de Capone car elle n a plus les revenus de l époque.

              [Mais dans le cas présent, on comprend bien le mécanisme à l’œuvre. Au fur et à mesure que le cannabis se banalise et que son prix baisse, la cocaïne doit suivre pour ne pas perdre des clients.]

              Ca dépend de votre produit. SI la cocaïne a une image de produit « luxe » pour tradeur et jet set, vous pouvez continuer a demander un prix elevé. Un peu comme ferrari ne baisse pas ses prix parce que dacia fait -20 %

              [[Dans ce cas oui. Surtout si on arrive comme l écris une autre personne à un stade ou l’état n’est plus capable d’assurer la protection des gens.] On n’en est pas là, quand même.]

              On y vient doucement. On a déjà des « zones de non droit », il suffit qu elles s étendent. A un moment on va arriver ou la police refusera d agir car si ca se passe mal, ca sera de leur faute

              [Et qu’est ce qui empêchera le détenteur légal d’une arme de la vendre à celui qui aura échoué à ces tests (quitte à la déclarer volée pour se couvrir) ? Par ex en imposant de stocker la culasse ailleurs. Donc si on vous vole l arme, elle ne pourra pas servir vu que le voleur aura du mal a trouver la culasse (vu la taille ca peut vraiment être bien caché) . Et il faudra prouver qu on vous la vraiment volée. Il y a déjà des gens qui possèdent des armes (tireur sportifs). Ils pourraient déjà les vendre comme vous le suggérez. De toute façon, a mon avis, le principal point de controle sera les munitions. Si vous avez une armes illegales mais vous ne pouvez pas trouver des munitions, elle va pas vous servir a grand-chose.

              [Et comment faire pour s’assurer que l’arme reste « au domicile » ?]

              Déjà un fusil c est long et pas facile a dissimuler. Donc ca evite les cas ou la personne fait un carton dans un supermarché. Ensuite c est comme tout ce qui est illegal, si vous vous faites prendre -> sanction. J ai le droit de boire de l alcool chez moi mais pas de conduire. Il y a aucun dispositif qui m empeche de rouler completement saoul. Mais si je me fais prendre, je suis sanctionné

              [Pardon, vous parliez plus haut de « fusils ». L’AK47 n’est-elle pas un « fusil » ? ]

              Non, c est une arme de guerre. pas un fusil. Techniquement c est une fusil mitrailleur. Dans mon idée, fusil signifiait tir au coup par coup  

              [Par ailleurs, comment évitez-vous que ceux qui ont un casier vierge n’achètent pour un tiers ?]

              Pas plus que vous pouvez empêcher un adulte d acheter de l alcool pour un mineur. Par contre vous pouvez être clair sur le fait que si vous le faites, le sanction tombera

              [[Apres il est tout a fait possible de monter une opération coup de poing pour retirer des armes en territoire hostile. Ça se faisait couramment en Algerie jusqu’en 62] Et ça a fait combien de morts ?]

              Vous savez en algerie, il y a eut plus de mort par accident de la route que du au FLN. Mais ou si un jour l etat francais decide de ratisser les zones de non droit, il y aura des morts. Des racailles (pas une perte), des innocents prix au milieu d une fusillade et probablement quelques forces de l ordre (logiquement assez peu vu qu ils sont mieux equipe et entrainé)

              [Je pense notamment à l’utilisation de ces armes par le « milieu » marseillais.]

              Vu l actualité recente, je pense que le milieu marseillais n avait pas besoin des armes laisses après la 2eme guerre.

              [C’est certainement plus facile de le tuer, mais beaucoup plus difficile de ne pas être pris. D’abord, parce que le nombre de suspects est beaucoup plus faible. Ensuite, parce que tout le monde connaît votre passé, et les contentieux qui peuvent exister avec la victime. ]

              Certes, mais il faut prouver que c est vous. Même si vous vous etes disputé voire battu avec X, comment prouver que vous avez tué X ?Surtout si on ne retrouve pas le corps (par ex vous avez fait comme la mafia -> mangé par les cochons)

              [[Tous les suisses males reçoivent une arme quand ils passent à l’armée.]Mais, semble-t-il, tous ne sont pas autorisés à la garder.]

              Non, il n y a pas de selection de ce type (https://fr.wikipedia.org/wiki/Arm%C3%A9e_suisse). De toute façon ca serait impossible a mettre en place et a justifier. Quels seraient les critères pour décider que X doit avoir son arme a la maison mais pas Y ? et si X utilise son arme a mauvais escient, qui est responsable ? l armee, l officier qui a décidé ? A l inverse si on de donne pas d arme a une recrue d origine albanaise (l equivalent des algeriens chez nous) vous imaginez le scandale et le soupson de discrimination ?sans compter la raison pour laquelle ca été fait : un soldat doit être capable de rejoindre son unité en se battant si necessaire. S il n a pas arme+munitions ca ne sert a rien

              [dans quelle catégorie placeriez-vous « un produit qui génère une dépendance dont l’ensemble de la société devra assumer le coût, un produit qui crée une dépendance qui augmente la probabilité que la personne commette un délit ou un crime, un produit qui réduit à néant la capacité de travail d’une personne dont la société entière a financé la formation ». Est-il « inoffensif » ? « Nuisible pour soi », ou « nuisible pour autrui » ?]

              Nuisible pour soiC est clair que vous le présentez comme nuisible pour autrui car indirectement d autres personnes sont victimes. C est vrai qu un alcoolique ou un drogué fait des victimes autour de lui (par ex quand j étais enfant j étais en classe avec un enfant dont le père avait une fâcheuse tendance a boire trop) mais si on raisonne comme ca on doit tout interdire ou limiter au max. L alpinisme ou la plongee, sport a risque, sont aussi une perte pour la societe (pensez aux accidents de decompression qui laissent des infirmes ou les morts a cause d une chute)

            • Descartes dit :

              @ cdg

              [SI on commence comme ça, on finit par dire qu’un avortement c’est une perte car le bébé a naitre aurait pu être un travailleur.]

              Et c’est bien ce qu’on a fait : quand il a fallu reconstituer la population après les guerres, quand la question de la démographie a été importante, les états ont retreint ou interdit l’avortement. Et ceux qui ont contesté la légitimité de l’Etat à légiférer sur la question en affirmant que puisque l’acte ne faisait pas de tort à autrui l’Etat ne devait pas s’en mêler ont toujours été très minoritaires.

              [Il faut rester simple et mesurer le préjudice direct sinon on finit par dire que tout porte préjudice (comme les gens qui soutiennent aux USA qu’ils sont victimes car leurs ancêtres ont été esclaves il y a 200 ans !)]

              Cela n’a aucun rapport. Il est incontestable qu’il y a 200 leurs ancêtres ont été victimes d’une société raciste. Mais cela n’a aucun rapport avec le fait de savoir si les noirs vivants sont AUJOURD’HUI victimes ou non. La question que vous posez est réelle : on ne peut se contenter du « préjudice direct », et d’un autre côté il faut bien mettre une limite quelque part. Mais la question n’est pas simple, et on ne peut donc pas tracer, dans une société aussi interconnectée et complexe que la nôtre, une frontière claire entre les actes qui font du tort à autrui et ceux qui au contraire ne portent tort qu’à leur auteur. Celui qui achète de la drogue alimente l’économie souterraine. Est-il responsable des morts que ce trafique cause ? Jusqu’à un certain point, oui.

              [(…) et il n’y a aucune raison de penser que la légalisation aurait mieux réussi à empêcher la consommation dans les villages reculés de Savoie… » Il n y a aucune raison de penser le contraire non plus.]

              Bien sur que si. Je ne pense pas qu’il y ait un seul cas dans l’histoire où la légalisation d’un produit se soit traduite par une baisse de la consommation…

              [Est-ce qu’il y aurait eu plus de consommateur de shit en France si celui-ci aurait eu le statut du tabac (taxé et impossible de fumer à l’extérieur) ? comme il est impossible de prouver l’un ou l’autre on ne peut que spéculer]

              Pas tout à fait. Il y a un large éventail de produits et d’actes qui ont été illégaux à une époque et qui plus tard ont été légalisés. A l’inverse, il y a des produits qui ont été légaux et plus tard ont été interdits. Et à chaque fois, on a observé le même phénomène : la légalisation pousse la consommation à la hausse, l’interdiction à la baisse. Difficile donc de soutenir que le cannabis serait la seule exception connue à cette règle. On ne peut savoir si la légalisation du cannabis provoquerait une explosion de la consommation, ou au contraire une hausse modérée (je penche plutôt pour la deuxième hypothèse). Mais que la légalisation se traduirait par une augmentation de la consommation me paraît évidente.

              [Par contre il est sûr que la prohibition a nourrit une mafia qui n’existerait pas si le produit est légal et taxé. Il y a certes une contrebande de tabac ou des bouilleurs de cru mais c est marginal.]

              Celle sur les cigarettes est loin d’être marginale, mais passons. Il me paraît téméraire d’affirmer que le cannabis alimente « une mafia qui n’existerait pas si le produit était légal ». Pensez-vous vraiment que tous ceux trafiquants qui alimentent les points de deal en cannabis et les font fonctionner – et qui gagnent des dizaines de milliers d’euros chaque mois – réagiraient à la légalisation en se disant « bon, maintenant on travaillera honnêtement, on paiera nos impôts, et on gagnera un petit salaire comme n’importe quel petit commerçant » ? Bien sûr que non : ces mafias continueront à exister, ils changeront simplement de substance : moins de cannabis et plus de cocaïne, d’héroïne, d’armes, de racket et de prostitution. Les pays qui ont légalisé ont pu le constater…

              [« Mais dans le cas du cannabis, vous voulez faire l’inverse : réduire le prix et augmenter le nombre de lieux ou la consommation est autorisée par rapport à la situation actuelle. Cela ne peut se traduire, logiquement, que par une augmentation de la consommation. » Pas évident. Déjà je ne parle pas de baisser le prix. Les taxes doivent faire que le produit ne doit pas être nettement moins cher que dans le point de deal.]

              Si les taxes amènent le prix à celui qu’on observe aujourd’hui aux points de deal, alors il sera rentable pour le consommateur de continuer à acheter au dealer clandestin, et de partager avec lui la taxe. Si vous voulez que le client cesse d’acheter chez le dealer et achète chez le commerçant « légal », il faut que celui-ci puisse offrir un prix compétitif, c’est-à-dire nettement inférieur. La légalisation ne produira les fruits que vous attendez d’elle – la fin du trafic illégal – que si les prix baissent…

              [La grosse différence est sur la qualité. Vous n’achetez pas votre pastis a un marché clandestin parce qu’il est moins cher mais par ce que vous avez aucune idée de ce qu’on a mis dedans.]

              Le trafic de cigarettes est massif, et vous ne savez pas davantage ce qu’il y a dedans…

              [Quant aux lieux ou la consommation est autorisée, il n’y aura aucun changement voire une restriction. Actuellement c’est interdit en théorie partout mais autorisé en réalité partout. Legalisé comme le tabac ça sera en gros autorisé uniquement chez vous (essayez de fumer dans un restaurant pour voir maintenant)]

              Si je comprends bien votre raisonnement, aujourd’hui, alors que le cannabis est illégal, il est « en réalité » permis de fumer du cannabis dans un restaurant. Demain, alors que le cannabis sera légal, ce sera interdit. J’ai bien compris ?

              Soyons sérieux. Aujourd’hui, le cannabis est interdit partout, et en pratique toléré dans beaucoup d’endroits, MAIS PAS DANS LES ENDROITS OU IL EST INTERDIT DE FUMER. Demain, si le cannabis était légalisé, il serait légal partout, SAUF DANS LES ENDROITS OU IL EST INTERDIT DE FUMER. C’est donc une extension du nombre de lieux.

              [Les talibans sont contre la drogue et c est pour ca que la production d heroine en afghanistan regresse. Et vu comme ils traitent les drogués, je pense que la consommation doit aussi s être effondree]

              Je comprends encore moins. Vous êtes en train de me dire qu’une politique de prohibition peut être efficace, à condition de la mettre en œuvre sérieusement ?

              [Pour développer une activité vous avez besoin d’une demande solvable. Une fois la prohibition terminée, la demande pour la prostitution ou les jeux (ou je ne sais quoi d illegal en 1930) n’a pas explosé.]

              D’où tirez-vous ça ? La demande pour les stupéfiants a explosé aux Etats-Unis après la fin de la prohibition, au point qu’on commence a légiférer contre le cannabis (Marihuana Tax Act de 1937). Elle était d’ailleurs en hausse constante à partir du début du XXème siècle… La baisse des prix de l’alcool à la fin de la prohibition a d’ailleurs libéré une « demande solvable » pour ce type de produits…

              [« Mais ils sont beaucoup plus discrets et moins médiatiques, d’une part parce que les moyens modernes de police scientifique rendent l’impunité plus difficile, et d’autre part parce qu’avec la mondialisation il vaut mieux diriger son bizness discrètement depuis Dubai, Sinaloa ou Bogota que depuis le Queens. » Je suis pas sûr que les moyens de la police scientifique y soient pour grand-chose. Capone par ex ne tuait pas grande monde lui-même.]

              Ce n’est pas du tout évident. Il n’est pas né « capo di tuti capi », vous savez ? Au début de sa carrière, il a tué pas mal de monde de sa propre main. Et plus tard, il donnait les ordres. Aujourd’hui, il aurait été trahi en début de carrière par son ADN, en fin de carrière par son téléphone portable…

              [« Dites aux mexicains que les maffieux n’ont plus d’argent pour corrompre juges, policiers et politiciens, ça les fera beaucoup rire. » On parlait des USA, de la mafia et de la prohibition. La mafia US actuelle n’a plus l’emprise qu’elle avait à l’époque de Capone car elle n’a plus les revenus de l’époque.]

              Justement, la drogue rapporte aujourd’hui bien plus que le trafic d’alcool n’a jamais rapporté, même pendant la prohibition. Comment expliquez-vous que la mafia américaine soit dans la dèche, alors que la mafia mexicaine roule sur l’or ?

              [Mais dans le cas présent, on comprend bien le mécanisme à l’œuvre. Au fur et à mesure que le cannabis se banalise et que son prix baisse, la cocaïne doit suivre pour ne pas perdre des clients.]

              [Ca dépend de votre produit. SI la cocaïne a une image de produit « luxe » pour tradeur et jet set, vous pouvez continuer a demander un prix elevé. Un peu comme ferrari ne baisse pas ses prix parce que dacia fait -20 %]

              Oui, mais avec cette politique Ferrari ne rapporte pas d’argent, et Dacia oui. Les trafiquants savent que les affaires se font sur la vente de masse, et non sur les créneaux « luxe »…

              [Et qu’est ce qui empêchera le détenteur légal d’une arme de la vendre à celui qui aura échoué à ces tests (quitte à la déclarer volée pour se couvrir) ? Par ex en imposant de stocker la culasse ailleurs. Donc si on vous vole l’arme, elle ne pourra pas servir vu que le voleur aura du mal à trouver la culasse (vu la taille ca peut vraiment être bien caché).]

              Ca peut compliquer le vol, mais difficilement empêcher les « faux vols » avec vente de l’arme.

              [Et il faudra prouver qu on vous la vraiment volée.]

              Je vois mal comment on pourrait apporter une telle preuve.

              [Il y a déjà des gens qui possèdent des armes (tireur sportifs). Ils pourraient déjà les vendre comme vous le suggérez.]

              Et certains le font d’ailleurs. Mais leur nombre est faible, et le contrôle est donc relativement simple.

              [De toute façon, a mon avis, le principal point de contrôle sera les munitions. Si vous avez une arme illégale mais vous ne pouvez pas trouver des munitions, elle ne va pas vous servir a grand-chose.]

              Les munitions sont encore plus faciles à trafiquer. Il suffit d’avoir un stand de tir sportif, et déclarer un nombre de munitions tirées supérieur au nombre réel, et de vendre la différence.

              [Et comment faire pour s’assurer que l’arme reste « au domicile » ?]

              [Déjà un fusil c’est long et pas facile à dissimuler. Donc ça évite les cas où la personne fait un carton dans un supermarché.]

              Mais pas celle où vous tirez depuis votre voiture à la sortie d’une école – ou sur un point de deal. Un fusil, ca se dissimule parfaitement dans une voiture.

              [Ensuite c’est comme tout ce qui est illégal, si vous vous faites prendre -> sanction.]

              Vous m’avez convaincu que la prohibition n’est pas efficace pour empêcher les gens de fumer du cannabis. Et maintenant vous cherchez à me convaincre qu’elle est efficace pour empêcher les gens de sortir avec leur arme ? Un peu de cohérence, je vous prie…

              [« Pardon, vous parliez plus haut de « fusils ». L’AK47 n’est-elle pas un « fusil » ? » Non, c est une arme de guerre. pas un fusil. Techniquement c est une fusil mitrailleur. Dans mon idée, fusil signifiait tir au coup par coup]

              Ok, cette précision éclaircit le point. Mais dire qu’un fusil mitrailleur n’est pas un fusil…

              [« Par ailleurs, comment évitez-vous que ceux qui ont un casier vierge n’achètent pour un tiers ? » Pas plus que vous pouvez empêcher un adulte d’acheter de l’alcool pour un mineur.]

              Sauf que les conséquences ne sont pas tout à fait les mêmes.

              [Vous savez en Algérie, il y a eu plus de mort par accident de la route que du au FLN.]

              Je suis curieux de savoir d’où vous sortez cette statistique…

              [Mais ou si un jour l etat francais decide de ratisser les zones de non droit, il y aura des morts. Des racailles (pas une perte), des innocents prix au milieu d une fusillade et probablement quelques forces de l ordre (logiquement assez peu vu qu ils sont mieux equipe et entrainé)]

              Et il y en aura bien plus si l’on légalise les armes…

              [« Je pense notamment à l’utilisation de ces armes par le « milieu » marseillais. » Vu l’actualité récente, je pense que le milieu marseillais n’avait pas besoin des armes laisses après la 2eme guerre.]

              Aujourd’hui non. Mais dans la période 1945-1990…

              [« C’est certainement plus facile de le tuer, mais beaucoup plus difficile de ne pas être pris. D’abord, parce que le nombre de suspects est beaucoup plus faible. Ensuite, parce que tout le monde connaît votre passé, et les contentieux qui peuvent exister avec la victime. » Certes, mais il faut prouver que c’est vous.]

              Du tout. Il suffit d’emporter la conviction du jury.

              [« Mais, semble-t-il, tous ne sont pas autorisés à la garder. »Non, il n y a pas de sélection de ce type]

              Ce n’est pas ce que dit l’article dont je vous ai donné la référence.

              [« dans quelle catégorie placeriez-vous « un produit qui génère une dépendance dont l’ensemble de la société devra assumer le coût, un produit qui crée une dépendance qui augmente la probabilité que la personne commette un délit ou un crime, un produit qui réduit à néant la capacité de travail d’une personne dont la société entière a financé la formation ». Est-il « inoffensif » ? « Nuisible pour soi », ou « nuisible pour autrui » ? » Nuisible pour soi]

              Autrement dit, pour vous, conduire sous l’empire de l’alcool est seulement « nuisible pour soi ». Car que fait le fait d’être alcoolisé, sinon « augmenter la probabilité que la personne commette un délit ou un crime » (« coups et blessures involontaires », dans l’hypothèse où il provoquerait un accident) ?

              [C est clair que vous le présentez comme nuisible pour autrui car indirectement d autres personnes sont victimes.]

              C’est un peu la définition, non ?

              [C est vrai qu un alcoolique ou un drogué fait des victimes autour de lui (par ex quand j étais enfant j étais en classe avec un enfant dont le père avait une fâcheuse tendance a boire trop) mais si on raisonne comme ca on doit tout interdire ou limiter au max.]

              Non. Si on raisonne comme ça, l’Etat est légitime à se poser la question de tout interdire ou limiter. Mais ce n’est pas parce qu’on se pose la question qu’il faut le faire. En fonction de l’intérêt d’une activité et des risques qui y sont associés, on peut décider de l’autoriser, de l’interdire, de la limiter…

              [L’alpinisme ou la plongée, sport a risque, sont aussi une perte pour la societe (pensez aux accidents de decompression qui laissent des infirmes ou les morts a cause d une chute)]

              Tout à fait. Et c’est pourquoi ces activités sont soumises à des restrictions, à des obligations d’assurance particulières. C’est bien mon point : quelle légitimité a la société pour imposer une obligation d’assurance ou des certificats de capacité pour une activité qui ne serait que dangereuse pour soi ? Si vous admettez cette légitimité, alors elle ne peut être fondé que sur le préjudice que l’activité peut causer aux autres…

      • Bruno dit :

        Merci pour votre réponse. Je vais me faire un peu l’avocat du diable! Si nous interdisons le cannabis et l’héroïne, qui altèrent fortement la sociabilité d’un individu, pourquoi ne pas faire de même avec l’alcool? Dans les pays nordiques, hors Danemark (je parle de ces contrées pour l’exemple, je ne suis pas un aficionados, loin s’en faut) la vente d’alcool est assurée par des magasins d’état et strictement encadrée. Pourquoi pas chez nous également? Aussi, si on part du principe que nous souhaitons fonder une société sur des individus libres, autonomes et responsables, pourquoi ne pas leur laisser le choix de se “défoncer” avec de la drogue? Après tout, pour ce qui est des majeurs, ils sont présumés responsables. Quoi qu’on pense des drogues, il va devenir de plus en plus difficile d’arrêter leur propagation, notamment pour ce qui est du cannabis. Vous savez comme moi que plus un comportement est répandu, moins il est devient légitime de le réprimander… Ma femme, Dieu sait qu’elle a des qualités, mais un brin cynique, ne cesse de me dire (avec un peu d’ironie) que dans une société qui pratique à outrance la ”défonce”, il y a aura d’autant plus de place pour les gens sérieux et que la “concurrence” sera moindre. Je trouve cette logique assez vaine et comme j’aime à lui dire, nous serons bien avancés quand un défoncé nous rentrera dedans en voiture… 

        • Descartes dit :

          @ Bruno

          [Merci pour votre réponse. Je vais me faire un peu l’avocat du diable! Si nous interdisons le cannabis et l’héroïne, qui altèrent fortement la sociabilité d’un individu, pourquoi ne pas faire de même avec l’alcool?]

          Désolé de me répéter, mais c’est le cœur de toute pédagogie. Il y a une différence fondamentale entre le cannabis et l’héroïne d’une part, l’alcool de l’autre. Parmi les consommateurs d’alcool, seule une minorité recherchent les effets psychotropes du produit. La plupart cherchent les sensations olfactives et gustatives. Ce n’est pas le cas pour les stupéfiants : la motivation des consommateurs de ces produits est intimement liée à la recherche des effets psychotropes. Et on le voit dans les arguments de vente : pour le vin ou la bière, on insiste sur le gout, l’origine, le procédé de fabrication qui garantit les sensations. Pour les stupéfiants, l’argument des vendeurs est généralement la pureté de la substance, qui détermine sa puissance psychotrope.

          [Dans les pays nordiques, hors Danemark (je parle de ces contrées pour l’exemple, je ne suis pas un aficionado, loin s’en faut) la vente d’alcool est assurée par des magasins d’état et strictement encadrée. Pourquoi pas chez nous également ?]

          Chez nous aussi, la vente d’alcool est « strictement encadrée », même si l’encadrement est différent. Il est interdit de vendre aux mineurs, de vendre à une personne en état d’ivresse, de se trouver en état d’ivresse dans un lieu public, de vendre de l’alcool à consommer sans licence, de transporter de l’alcool au-delà d’une certaine quantité sans autorisation. On pourrait créer une régie des alcools, comme cela existe au Canada ou en Scandinavie, personnellement je ne vois aucun inconvénient. Cela étant dit, quel serait le but ? En quoi réserver la vente à une régie publique réduirait l’alcoolisme ?

          [Aussi, si on part du principe que nous souhaitons fonder une société sur des individus libres, autonomes et responsables, pourquoi ne pas leur laisser le choix de se “défoncer” avec de la drogue? Après tout, pour ce qui est des majeurs, ils sont présumés responsables.]

          Justement, c’est la question de la « responsabilité » qui pose problème. Si vous êtes totalement libre de faire le « choix » de consommer du crack, a quel titre peut-on demander à la société d’assumer la conséquence de votre choix ? Doit-elle prendre en charge les frais de santé liés à votre addiction ? Si vous ne pouvez pas de ce fait conserver votre logement et nourrir vos enfants, la société doit-elle vous et les prendre en charge, ou au contraire vous et les laisser crever la gueule ouverte ?

          Une société d’individus absolument libres – et donc absolument responsables – serait une société terriblement dure, froide, invivable. Mais pour avoir une société qui nous protège contre nos erreurs, il nous faut admettre en contrepartie une société qui a le pouvoir d’examiner nos choix et de peser sur eux. On ne peut réclamer la liberté totale et rejeter la responsabilité totale.

          [Quoi qu’on pense des drogues, il va devenir de plus en plus difficile d’arrêter leur propagation, notamment pour ce qui est du cannabis. Vous savez comme moi que plus un comportement est répandu, moins il est légitime de le réprimander…]

          Probablement. La consommation de cannabis s’est banalisée à un point tel que beaucoup de consommateurs n’ont même pas conscience de commettre un délit – et encore moins d’alimenter une structure criminelle. Je ne me fais pas trop d’illusion sur les effets réels d’une politique « prohibitionniste ». Celle-ci peut tout au plus réduire un peu la consommation par rapport à ce qu’elle serait si la prohibition n’existait pas, mais guère plus. Par contre, je vois un intérêt symbolique à maintenir cette prohibition, notamment pour fournir à nos jeunes une « transgression » possible à un coût raisonnable.

          [Ma femme, Dieu sait qu’elle a des qualités, mais un brin cynique, ne cesse de me dire (avec un peu d’ironie) que dans une société qui pratique à outrance la ”défonce”, il y a aura d’autant plus de place pour les gens sérieux et que la “concurrence” sera moindre. Je trouve cette logique assez vaine et comme j’aime à lui dire, nous serons bien avancés quand un défoncé nous rentrera dedans en voiture…]

          Vous devriez vous féliciter d’avoir une femme aussi intelligente et aussi réaliste, quelque soient ses autres qualités. Elle ne fait qu’appliquer l’adage : « au pays des aveugles, les borgnes sont rois ». Demain, il y aura une hiérarchie entre les « fiables » et les « non-fiables ». A l’heure de recruter pour un emploi de confiance, les premiers auront un avantage singulier sur les seconds. Franchement, lorsque vous recevrez pour un entretien d’embauche un candidat qui pue le hachisch à plein nez, auriez-vous envie de l’embaucher ?

          • Bruno dit :

            @Descartes
            [En quoi réserver la vente à une régie publique réduirait l’alcoolisme ?]
            Vis-à-vis des mineurs ça pourrait être pertinent; j’ai trop souvent vu des commerçants peu scrupuleux vendre de l’alcool à des jeunes qui n’avaient manifestement pas 18 ans. 
            [Une société d’individus absolument libres – et donc absolument responsables – serait une société terriblement dure, froide, invivable.]
            N’avez-vous pas le sentiment qu’on y va lentement mais sûrement? 

            Par ailleurs, pour en revenir au maintien de l’ordre, que pensez-vous du principe de la réserve, ancienne dans la gendarmerie et l’armée, plus récente dans la police? Je suis assez partagé pour ma part. Je trouve intéressant (et rassurant) de voir des citoyens lambda prendre de leur temps pour leur pays, sans grande gratification. Toutefois, je me demande si on ne risque pas d’envoyer des “amateurs” au casse-pipe pour combler des trous de plus en plus gros… En tout cas à regarder les chiffres, la chose se développe!
             

            • Descartes dit :

              @ Bruno

              [« En quoi réserver la vente à une régie publique réduirait l’alcoolisme ? » Vis-à-vis des mineurs ça pourrait être pertinent; j’ai trop souvent vu des commerçants peu scrupuleux vendre de l’alcool à des jeunes qui n’avaient manifestement pas 18 ans. ]

              Si c’est efficace, je ne dirais pas « non ».

              [« Une société d’individus absolument libres – et donc absolument responsables – serait une société terriblement dure, froide, invivable. » N’avez-vous pas le sentiment qu’on y va lentement mais sûrement ?]

              La « révolution néolibérale » commencée dans les années 1980 professait une idéologie qui nous rapprochait certainement de cet « idéal » (si l’on me pardonne l’abus de langage). Et ce type de société reste pour beaucoup de néolibéraux libertariens un objectif. Mais la pratique a montré les limites de cette idéologie, chez ceux-là même qui la professent. On l’a vu lors de la crise de 2008, lorsque les autorités monétaires ont laissé Lehmann Brothers assumer la responsabilité de ses choix et donc de faire faillite. Les effets ont été tels que l’expérience n’a pas été renouvelée : dans toutes les crises subséquentes, l’autorité monétaire s’est précipitée pour soutenir l’institution défaillante. Mais pour faire accepter une telle dépense, il a fallu revenir sur la vague de « dérégulation » financière…

              [Par ailleurs, pour en revenir au maintien de l’ordre, que pensez-vous du principe de la réserve, ancienne dans la gendarmerie et l’armée, plus récente dans la police ? Je suis assez partagé pour ma part. Je trouve intéressant (et rassurant) de voir des citoyens lambda prendre de leur temps pour leur pays, sans grande gratification. Toutefois, je me demande si on ne risque pas d’envoyer des “amateurs” au casse-pipe pour combler des trous de plus en plus gros…]

              Je suis tout à fait favorable au développement des « réserves », que ce soit dans les services de police, de gendarmerie, dans les armées ou – pourquoi pas – dans les administrations. Tout ce qui permet d’associer le citoyen au fonctionnement des institutions, de lui faire comprendre les réalités de terrain du fonctionnement des services publics, est bon à prendre. Le citoyen qui aura participé à des patrouilles dans les cités « sensibles » sera moins susceptible de se laisser berner par les discours bisounoursiens et victimaires. Mais aussi, le citoyen qui aura participé au fonctionnement du RER A sera peut-être plus bienveillant lorsqu’un incident d’exploitation retardera le train qu’il va prendre.

              Mais pour que la « réserve » soit efficace, il faut qu’elle soit bien encadrée. Le réserviste doit être formé et entraîné, et correctement encadré lors de ses périodes de service. Ce qui suppose de donner aux services qui accueillent des réservistes des capacités d’encadrement suffisantes par des agents permanents.

  10. Claustaire dit :

    D’accord avec l’ensemble de votre texte, dont je vous remercie.
     
    Deux remarques supplémentaires possibles : 
     
    1 Lorsque trop souvent il apparaît (grâce des enregistrements de caméras de surveillance ou celles de témoins) que les policiers ont menti sur les circonstances de leur intervention, ils prennent le risque eux-mêmes de décrédibiliser d’avance tous leurs collègues. Le mensonge (avéré) d’agents de l’ordre assermentés devrait être sanctionné avec la plus grande rigueur, afin que la parole des autres reste le plus systématiquement crédible par opposition aux protestations ou accusations de leurs éventuelles ‘victimes’. Actuellement, l’accumulation de mensonges policiers leur a (et c’est tragique pour nous tous) fait perdre beaucoup de leur crédit. Car du coup, cette essentielle notion de déclaration d’assermenté perd de sa valeur en faveur d’un relativisme systématique dont tentera de jouer tout délinquant.
     
    Dans les récentes affaires qui ont parfois ému l’opinion publique, c’était moins parce que des policiers auraient dérapé ou commis une faute impardonnable mais d’abord parce que les mensonges des policiers ont pu être établis. Il semblerait qu’aux yeux de l’opinion publique, c’est le mensonge du policier qui constituerait la faute impardonnable et non tel ou tel geste éventuellement répréhensible ou fautif commis dans le feu de l’action.
     
    2 Lorsqu’un policier est mis en examen pour une éventuelle faute professionnelle, il est lui aussi d’abord contrôlé par des ‘collègues’ (l’IGPN), de même que des médecins le sont par des leurs. Par contre, si suite à une éventuelle faute ou erreur, il veut la couvrir ou la faire couvrir par des mensonges, cela relève de la justice ordinaire.

    • Descartes dit :

      @ Claustaire

      [Lorsque trop souvent il apparaît (grâce des enregistrements de caméras de surveillance ou celles de témoins) que les policiers ont menti sur les circonstances de leur intervention, ils prennent le risque eux-mêmes de décrédibiliser d’avance tous leurs collègues.]

      Deux remarques. La première porte sur le « trop souvent ». Quelle est la proportion de comptes rendus mensongers dans la masse des procès-verbaux d’intervention. Et je dis bien « mensongers », parce qu’un compte rendu peut être erroné sans pour autant être mensonger, surtout lorsque le policier décrit des faits qui n’ont duré que quelques secondes, et qu’il a observé depuis son point de vue particulier.

      Ma deuxième remarque est une question : les policiers auraient-ils autant recours au mensonge s’ils avaient confiance dans le fait que leur conduite analysée avec bienveillance, et que les éventuelles erreurs recevraient une juste sanction ? Je n’ai pas de réponse à cette question, mais pour avoir travaillé dans un domaine connexe, je peux vous assurer qu’une punition vécue comme injuste provoque un tarissement immédiat de la remontée des incidents. S’il n’y a pas de confiance dans la bienveillance et la justice du chef, les troupes ne remontent plus rien.

      [Le mensonge (avéré) d’agents de l’ordre assermentés devrait être sanctionné avec la plus grande rigueur, afin que la parole des autres reste le plus systématiquement crédible par opposition aux protestations ou accusations de leurs éventuelles ‘victimes’.]

      Qu’est ce qui fous dit qu’il ne l’est pas ? Est-ce que vous connaissez les peines infligées aux agents assermentés qui auraient menti ? Une simple recherche montre qu’elles sont loin d’être bénignes : en juin de cette année, deux policiers ont été condamnés à Bobigny a six et huit mois de prison avec sursis, et ont été définitivement révoqués. En 2021, une policière qui avait consigné sur procès verbal des faux aveux avait écopé de deux ans de prison avec sursis et interdiction d’occuper tout poste en contact avec le public. A Lille, en août de la même année, deux policiers avaient été condamnés à 10 et 12 mois de prison avec sursis, et interdiction d’exercer pendant trois ans. Bien entendu, l’affaire est inscrite dans le dossier du policier, qui aura à passer un long purgatoire avant d’avoir l’espoir d’une promotion…

      Et encore, il s’agit d’affaires ou l’adultération des procès-verbaux n’ont entrainé que des conséquences mineures. Car les peines prévues sont très lourdes : « Le faux commis dans une écriture publique ou authentique ou dans un enregistrement ordonné par l’autorité publique est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. L’usage du faux mentionné à l’alinéa qui précède est puni des mêmes peines. Les peines sont portées à quinze ans de réclusion criminelle et à 225 000 euros d’amende lorsque le faux ou l’usage de faux est commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant dans l’exercice de ses fonctions ou de sa mission. » (article 441-4 Code pénal). Et au-delà de la condamnation pénale, l’agent public risque la révocation à titre de sanction administrative.

      [Actuellement, l’accumulation de mensonges policiers leur a (et c’est tragique pour nous tous) fait perdre beaucoup de leur crédit.]

      Perdre leur crédit auprès de qui ? Je pense que ces affaires n’ont rien changé : ceux qui avaient confiance en la police avant l’ont toujours, ceux qui ne l’avaient pas n’y voient que la confirmation de leurs préjugés. Rien de nouveau sous le soleil.

      [Dans les récentes affaires qui ont parfois ému l’opinion publique, c’était moins parce que des policiers auraient dérapé ou commis une faute impardonnable mais d’abord parce que les mensonges des policiers ont pu être établis.]

      Pardon, mais dans l’affaire Nahel, qui est celle qui a provoqué les réactions les plus violentes, aucun « mensonge » n’a pu être établi. On a fait circuler une vidéo qui, interprétée d’une certaine façon, pourrait éventuellement contredire la version des policiers. Mais la contradiction est loin d’être flagrante, la bande son est obscure, et quand même bien on pourrait établir les faits il ne faut pas oublier que le policier dans son rapport raconte ce qu’il a perçu DE SON POINT DE VUE, et que sa perception est soumise a des biais sans qu’il y ait intention coupable.

      [Il semblerait qu’aux yeux de l’opinion publique, c’est le mensonge du policier qui constituerait la faute impardonnable et non tel ou tel geste éventuellement répréhensible ou fautif commis dans le feu de l’action.]

      Je dirais plutôt que c’est le détail dont s’accrochent ceux qui veulent affaiblir la police, parce qu’il leur faut pour incriminer la police un geste VOLONTAIRE, et qu’il est assez difficile de prouver une volonté de tuer une personne que le policier ne connaît ni d’Eve ni d’Adam. Par contre, la falsification est présumée volontaire. C’est pourquoi l’accuser de « mensonge » est très pratique, et surtout très difficile à réfuter. En effet, faites raconter une scène par dix témoins, et vous aurez dix histoires différentes. Le policier n’est qu’un témoin, et son récit est forcément inexact, tout simplement parce qu’il est un être humain et non un enregistreur électronique. Et une « inexactitude » dans un procès verbal devient très vite un « mensonge »…

      [Lorsqu’un policier est mis en examen pour une éventuelle faute professionnelle, il est lui aussi d’abord contrôlé par des ‘collègues’ (l’IGPN), de même que des médecins le sont par des leurs.]

      Pas tout à fait. Le président de la République a qualifié le geste du policier de « inexplicable » et de « injustifiable », bien avant que l’IGPN ait pu se pencher sur la question. Je doute que le président se serait permis de qualifier publiquement un geste médical… Contrairement au médecin, le policier voit son geste professionnel décortiqué par le tribunal médiatique et par les hommes politiques bien avant que ses pairs aient pu l’analyser et tirer leurs conclusions.

      • Capitaine Felix dit :

        @Descartes.
        Bonjour, Je me permets d’intervenir dans ce commentaire.
        Vous dites : “En 2021, une policière qui avait consigné sur procès verbal des faux aveux avait écopé de deux ans de prison avec sursis et interdiction d’occuper tout poste en contact avec le public.” et “Et encore, il s’agit d’affaires ou l’adultération des procès-verbaux n’ont entrainé que des conséquences mineures.
         
        Si vous faites référence à cette affaire au commissariat de Saint-Nazaire (https://www.leparisien.fr/faits-divers/la-policiere-falsifie-le-pv-du-suspect-il-fait-un-an-de-prison-pour-rien-23-03-2021-8429580.php), il me semble que la faute de la fonctionnaire de police a quand même conduit quelqu’un en détention provisoire pour un an.
        Si c’est bien cette affaire, il s’avère quand même que les écrits ont quand même eu une incidence très importante =  encore on peut certes laisser le bénéfice du doute puisque on ignore le fond du dossier et le contexte du placement en détention provisoire de l’individu (uniquement le PV faux ? Ou autre?). Mais quand même…
        Merci encore pour votre billet et les échanges

        • Descartes dit :

          @ Capitaine Felix

          [Si c’est bien cette affaire, il s’avère quand même que les écrits ont quand même eu une incidence très importante = encore on peut certes laisser le bénéfice du doute puisque on ignore le fond du dossier et le contexte du placement en détention provisoire de l’individu (uniquement le PV faux ? Ou autre?). Mais quand même…]

          De ce que j’ai pu comprendre, la détention provisoire n’est pas la conséquence directe des “faux aveux” inscrits sur le procès verbal par la fonctionnaire, mais d’un faisceau d’erreurs commis par la justice. Le jugement a par ailleurs accordé au prévenu 30.000 € de dommages et intérêts.

          • Capitaine Felix dit :

            @Descartes
            Oui merci. Compliqué de commenter sans connaitre le fond
            Néanmoins, c’est apparemment une affaire de délit / crime à caractère sexuel; type de dossier dans lequel les éléments matériels sont difficiles à établir, faisant indirectement de l’aveu le point cardinal (“la reine des preuves” selon la formule consacrée).  Dans ce dossier, sous la plume de la fonctionnaire de police,  ça s’est semble-t-il  transformer en“je reconnais l’avoir violée”. Certes, l’individu a été indemnisé, vous ayant lu par le passé avoir des magistrats du parquet dans vos connaissances, vous connaissez certainement les limites de l’indemnisation (régime art. 149 et suiv du CPP si je ne me plante pas) : limitation des postes préjudices réparables (heureusement extensible depuis le temps par jurisprudences), présence dans les partis de l’agent judiciaire du trésor, discussion / chipotage de l’évaluation (“Quantifier l’inquantifiable?”) etc…..Bien entendu, vous doutez bien que dans l’esprit du justiciable concerné, ne remplacera jamais un temps passé en prison.
            Mais bon désolé du hors sujet. Perso, je serai bien incapable de proposer un autre système / mode de réparation..

      • xc dit :

        @Descartes
        Bonjour. Comme Capitaine Félix, je me permets aussi d’intervenir dans cet échange.
        En fait, dans l’affaire Nahel, la première version officielle ne correspondait pas, ou semblait ne pas correspondre, à la vidéo car cette dernière n’a été diffusée qu’après.
        https://www.lepoint.fr/societe/j-ai-bien-fait-la-femme-qui-a-publie-la-video-de-la-mort-de-nahel-temoigne-08-07-2023-2527777_23.php

        • Descartes dit :

          @ xc

          [En fait, dans l’affaire Nahel, la première version officielle ne correspondait pas, ou semblait ne pas correspondre, à la vidéo car cette dernière n’a été diffusée qu’après]

          J’ai vu mille fois cette vidéo, et je ne vois toujours pas en quoi elle “ne correspond pas” à la version officielle. La version officielle a toujours été que pendant le contrôle, le conducteur a redémarré la voiture mettant en danger l’intégrité physique du policier ou de son collègue. Ce qu’on voit sur la vidéo, c’est que la voiture redémarre, qu’elle entre en contact avec les deux policiers sur le côté, et on entend un tir. Je peux parfaitement comprendre que, lorsqu’on est penché pour contrôler une voiture et que celle-ci redémarre, vous vous SENTIEZ en danger physiquement. On peut toujours discuter si le danger était réel ou pas. Mais il semble difficile de conclure que le policier qui a tiré ne l’a pas RESSENTIE. Pourquoi aurait-il tiré autrement ? Pour le plaisir ? C’était un policier suffisamment expérimenté pour savoir que l’usage inapproprié de l’arme allait lui apporter des tonnes d’emmerdemments et une possible sanction pénale.

  11. claustaire dit :

    Sur le même champ de réflexion que celui de votre texte, ce lien vers un site (que certains aiment décrier d’office comme néocolonialiste ou raciste) mais où s’expriment souvent des analyses fort pertinentes qui mériteraient, à mon avis, d’être mieux prises en compte.
    https://decolonialisme.fr/quand-des-sociologues-legitiment-les-emeutes/

    • Descartes dit :

      @ Claustaire

      [Sur le même champ de réflexion que celui de votre texte, ce lien vers un site (que certains aiment décrier d’office comme néocolonialiste ou raciste) mais où s’expriment souvent des analyses fort pertinentes qui mériteraient, à mon avis, d’être mieux prises en compte.]

      En tout cas, cette tribune pose en des termes mesurés une question importante, celle de l’instrumentalisation de la science – et particulièrement des sciences sociales – à des fins militants. Lyssenko est mort, mais son esprit vit encore…

  12. Lingons dit :

    Bonsoir Descartes merci pour ce papier et son sujet, mais je vais revenir sur votre développement sur les drogues car je pense qu’il serait intéressant de porter certains faits à votre connaissance (A noter que mon propos se tiendra uniquement sur la possible légalisation du cannabis et pas des drogues types crack ou héroïnes)
    “Je suis tout à fait d’accord. La loi, c’est aussi une manière de marquer ce que la société considère comme un comportement condamnable. Et je voudrais vivre dans une société qui exprime une condamnation forte de toute addiction. Comment peut-on à la fois défendre une vision d’individus à la fois libres et responsables, et considérer comme normale et admissible une conduite qui conduit à l’asservissement de la volonté ?”
    Très bien pour ce modèle de société, mais dans ce cas j’espère que vous prônez, afin d’être cohérent, une prohibition stricte pour l’alcool, le jeu ou même le sucre (dont certaines études démontre un pouvoir addictif égal à celui de la cocaine).
     
    Il est dans la nature de l’être humain de développer des comportements addictif, portant sur un peu près sur tout et n’importe quoi (et vue le nombre d’addictions aux écrans qui se développent, préparez à vous  séparer de l’ordinateur à partir duquel vous écrivez vos papiers), si vous voulez supprimer cela, préparez-vous à mettre en place une société aseptisée ou l’on se nourrira de gélules et nous où boirons de l’eau plate.  
    “Il y a un deuxième aspect à la question, qui concerne la jeunesse. Les jeunes cherchent à s’affirmer en violant les interdits. C’est essentiel à la construction d’une personnalité adulte. Il est donc important de garder des interdits plus ou moins arbitraires, que les jeunes puissent violer sans nécessairement se mettre en danger. Si on abolit l’interdit pesant sur les drogues dites « douces » au motif qu’elles sont faiblement dangereuses, on ne laisse aux jeunes que des interdits véritablement dangereux.”
    Et donc nous allons laisser aux trafiquants, qui minent leurs quartiers, créé des zones de non-droits, et sont responsables de nombres des problèmes sécuritaires que vous dénoncez dans vos papiers, la manne financière première de leur business (car le cannabis permet de se créer un fond de caisse permettant par la suite de se lancer dans le trafic de drogues plus rentables), tout ça pour que les petits Cléon et Opaline puissent faire leur affirmation transgressive “en sûreté” ? ?
    Sachez par ailleurs que l’on peut tout à fait avoir affaire à des produits véritablement dangereux avec du cannabis de contrebande. La résine est ainsi souvent coupée avec des substances nocives (du caoutchouc par exemple), quant à l’herbe, elle peut être aspergée de produits chimiques afin de faire monter les taux de THC. Une légalisation permettrait d’assurer la traçabilité et donc la qualité des produits issue du cannabis   
    Vous évoquiez dans votre papier, avec beaucoup de justesse, que les citoyens ne sont pas prêts à “payer le prix d’une reprise en main énergique”, mais je crains que vous ne tombiez dans le même piège en ce qui concerne la légalisation du cannabis 
     
    “Je pense que c’est une fuite en avant. On nous dit qu’il faut légaliser le cannabis. Fort bien. Et aussi la cocaïne ? Le crack ? La morphine ? L’héroïne ? Les Kalachnikov ? S’il s’agit de « couper l’herbe sous le pied des trafiquants », il n’y a aucune raison de ne pas « légaliser » toute la liste… L’expérience des pays qui ont légalisé les stupéfiants n’est pas encourageante.”
     
    Comparer le fait de fumer de l’herbe et de fumer du crack revient, en termes de conséquence sur la santé, à mettre sur le même plan le fait de boire une pinte de bière et le fait de boire une pinte d’alcool à bruler, la comparaison et donc inepte.  
    En outre, il faut bien savoir que la légalisation du cannabis n’entrainera pas une augmentation du trafic d’héroines ou de crack (les trafiquants “compensant” avec ses autres drogues) tout simplement, car la France à la chance de ne pas avoir une demande pour ces drogues aussi importante que nombre d’autres pays. S’il y avait une véritable demande plus importante pour ces drogues en France les trafiquants auraient déjà sauté dessus, parce qu’un kilo d’héroïne à la revente est BEAUCOUP plus lucrative qu’un kilo de cannabis.
    En encore une fois si on suit votre logique de la “pente glissante” de la légalisation, pourquoi ne pas interdire l’alcool, qui lui, contrairement au cannabis, et un neurotoxique et possède une dose mortelle ?? 
     
    “Tous ceux qui boivent un pastis ou un porto au comptoir ne cherchent l’altération de leurs perceptions et ne tombent sous la dépendance. Je connais très peu d’héroïnomanes qui consomment juste pour la saveur du produit…”
    Donc selon vous l’alcoolisme et l’addiction à l’alcool n’existent pas ? Croyez-vous sincèrement que les piliers de comptoir ou les fêtards rentrant chez eux le vendredi soir avec deux grammes dans chaque molaire “consomment juste pour la saveur du produit” ??
    En dans l’autre sens, pensez-vous que la personne qui se fait un join le soir à sa fenêtre ou en regardant un film le fait pour se défoncer au point de pouvoir tenir une conversation avec les dragons ?
      

    • Descartes dit :

      @ Lingons

      [Très bien pour ce modèle de société, mais dans ce cas j’espère que vous prônez, afin d’être cohérent, une prohibition stricte pour l’alcool, le jeu ou même le sucre (dont certaines études démontre un pouvoir addictif égal à celui de la cocaine).]

      Ma formule était en effet ambigüe. Je parlais de condamner les « addictions », mais la phrase suivante précisait qu’il s’agissait de celles qui « asservissent la volonté ». Il me semble assez trivial de dire que le sucre, s’il a un « pouvoir addictif » (je doute qu’il soit « égal à celui de la cocaïne », mais admettons), n’a aucun effet sur la volonté. Je ne connais personne qui ait assassiné un passant pour pouvoir acheter sa dose de sucre.

      L’alcool pose un problème différent. Il y a des millions de consommateurs de bières, vins et spiritueux qui prennent plaisir à boire un verre, mais qui n’ont aucun symptôme de dépendance, aucune altération de leur volonté lorsqu’ils consomment. L’immense majorité des consommateurs d’alcool ne visent pas une altération de la conscience, contrairement aux consommateurs de cocaïne, de crack, d’héroïne, des drogues de synthèse. Notez cependant que la consommation excessive d’alcool dans l’espace public est reprimée.

      [Et donc nous allons laisser aux trafiquants, qui minent leurs quartiers, créé des zones de non-droits, et sont responsables de nombres des problèmes sécuritaires que vous dénoncez dans vos papiers, la manne financière première de leur business (car le cannabis permet de se créer un fond de caisse permettant par la suite de se lancer dans le trafic de drogues plus rentables), tout ça pour que les petits Cléon et Opaline puissent faire leur affirmation transgressive “en sûreté” ?]

      Oui. Les trafiquants, vous les aurez toujours. Si vous légalisez le cannabis, ils se reconvertiront dans la cocaïne, l’héroïne, le crack, les drogues de synthèse… ou bien les armes ou les téléphones portables. Ne vous faites aucune illusion à ce sujet. Et n’imaginez pas non plus qu’en légalisant le cannabis vous priverez les trafiquants de leur « manne financière » : simplement, ils toucheront cette « manne » légalement, amputée éventuellement d’un faible impôt – car si l’impôt est trop important, ils feront leurs affaires comme maintenant, dans l’illégalité.

      [Sachez par ailleurs que l’on peut tout à fait avoir affaire à des produits véritablement dangereux avec du cannabis de contrebande. La résine est ainsi souvent coupée avec des substances nocives (du caoutchouc par exemple), quant à l’herbe, elle peut être aspergée de produits chimiques afin de faire monter les taux de THC. Une légalisation permettrait d’assurer la traçabilité et donc la qualité des produits issue du cannabis]

      Vous supposez que si demain le cannabis était vendu légalement sous le timbre de l’Etat, les trafiquants se convertiraient spontanément au business « légal ». Mais vous faites erreur : si vous imposez des taxes, il y aura des petits malins qui vendront dans des circuits clandestins pour y échapper, et des clients pour leur acheter puisque ce sera moins cher. La légalisation n’a jamais empêché le trafic de cigarettes et les alcools de contrebande, souvent frelatés.

      [Vous évoquiez dans votre papier, avec beaucoup de justesse, que les citoyens ne sont pas prêts à “payer le prix d’une reprise en main énergique”, mais je crains que vous ne tombiez dans le même piège en ce qui concerne la légalisation du cannabis]

      Je n’ai pas bien compris cette remarque. Voulez-vous dire que les citoyens préféreront la légalisation du cannabis par manque d’énergie pour le combattre, ou au contraire qu’ils n’auront pas la volonté de légaliser ? La réalité est que, de facto, on a légalisé le cannabis. Aujourd’hui, le consommateur n’encourt qu’une amende « administrative » de 200 €, qu’on peut voir comme une sorte « d’impôt aléatoire ». Les trafiquants, quant à eux, tiennent leur point de deal sans craindre grande chose de la loi.

      “Je pense que c’est une fuite en avant. On nous dit qu’il faut légaliser le cannabis. Fort bien. Et aussi la cocaïne ? Le crack ? La morphine ? L’héroïne ? Les Kalachnikov ? S’il s’agit de « couper l’herbe sous le pied des trafiquants », il n’y a aucune raison de ne pas « légaliser » toute la liste… L’expérience des pays qui ont légalisé les stupéfiants n’est pas encourageante.”

      [Comparer le fait de fumer de l’herbe et de fumer du crack revient, en termes de conséquence sur la santé, à mettre sur le même plan le fait de boire une pinte de bière et le fait de boire une pinte d’alcool à bruler, la comparaison et donc inepte.]

      Je ne le crois pas. La différence entre « l’herbe » (comme vous dites) et le crack est une différence de degré, et non d’essence. On les prend tous les deux pour la même raison : pour changer notre perception du monde qui nous entoure. Et toutes deux génèrent une dépendance qui tend à abolir l’empathie.

      [En outre, il faut bien savoir que la légalisation du cannabis n’entrainera pas une augmentation du trafic d’héroïne ou de crack (les trafiquants “compensant” avec ses autres drogues) tout simplement, car la France à la chance de ne pas avoir une demande pour ces drogues aussi importante que nombre d’autres pays.]

      Je n’ai pas compris le raisonnement. Le fait que la France n’ait pas AUJOURD’HUI une demande pour les drogues dites « dures » aussi importante que d’autres pays n’implique nullement qu’elle ne puisse pas l’avoir DEMAIN. Et quand même bien la légalisation du cannabis n’entraînerait pas une augmentation du trafic d’héroïne, quel serait son effet sur la consommation de cannabis ? J’ai l’impression que pour vous l’augmentation de la consommation de cannabis n’est finalement pas si grave que cela, qu’on peut s’en accommoder.

      [S’il y avait une véritable demande plus importante pour ces drogues en France les trafiquants auraient déjà sauté dessus, parce qu’un kilo d’héroïne à la revente est BEAUCOUP plus lucrative qu’un kilo de cannabis.]

      C’est exactement ce qu’ils font. Les trafics de cocaïne, par exemple, sont en nette augmentation d’année en année, au point que les ports européens commencent à être gangrenés par le trafic.

      [En encore une fois si on suit votre logique de la “pente glissante” de la légalisation, pourquoi ne pas interdire l’alcool, qui lui, contrairement au cannabis, et un neurotoxique et possède une dose mortelle ??]

      Parce que, comme je l’ai déjà expliqué, tous ceux qui consomment de l’alcool ne le font pas en cherchant à « planer ». Personne, à ma connaissance, ne fume le cannabis pour son parfum.

      [“Tous ceux qui boivent un pastis ou un porto au comptoir ne cherchent l’altération de leurs perceptions et ne tombent sous la dépendance. Je connais très peu d’héroïnomanes qui consomment juste pour la saveur du produit…” Donc selon vous l’alcoolisme et l’addiction à l’alcool n’existent pas ?]

      Si. Mais elle ne concerne qu’une minorité parmi les consommateurs d’alcool. Il y a certainement des gens qui se tuent à petit feu en mangeant du chocolat ou des chips, mais faut-il interdire chocolat et chips à tous pour prévenir un usage qui ne concerne qu’une minorité ?

      [Croyez-vous sincèrement que les piliers de comptoir ou les fêtards rentrant chez eux le vendredi soir avec deux grammes dans chaque molaire “consomment juste pour la saveur du produit” ??]

      Non, mais je crois sincèrement que parmi tous ceux qui consomment de l’alcool, ils ne représentent qu’une minorité. Alors que je crois sincèrement que ceux qui prennent des lignes de cocaïne ou fument des pétards le font dans leur immense majorité pour leurs effets psychotropes.

      [En dans l’autre sens, pensez-vous que la personne qui se fait un joint le soir à sa fenêtre ou en regardant un film le fait pour se défoncer au point de pouvoir tenir une conversation avec les dragons ?]

      Non. Mais qu’il le fait pour se défoncer au point d’altérer sa perception du monde qui l’entoure, oui.

      Tiens, je voudrais vous poser une question: si vous découvriez que votre fils adolescent se rend à une fête où l’on fumera du cannabis, quelle serait votre réaction ? Est-ce qu’elle serait la même s’il s’agissait d’une fête où l’on boit de la bière ?

      • FB dit :

        Bonjour,
        Je me permets d’intervenir dans cette discussion car je suis toujours estomaqué par les arguments de ceux qui veulent dépénaliser les drogues en pensant que tout se passera comme dans un film de bisounours, tout le monde sera content et se fera des bisous.

        Les pays qui ont légalisé ont une expérience vraiment détestable.

        Avez-vous entendu parler de la Mocro Maffia aux Pays-Bas ? Sachez que ce pays qui se targuait d’avoir légalisé les drogues douces et que toute la gauche bien pensante nous présentait comme le futur paradis est quasiment devenu un narco-état. C’est difficile à croire, mais le Premier Ministre a été menacé de mort et cette organisation sème la terreur par la liquidation physique de journalistes et d’opposants. Le port de Rotterdam est désormais sous la coupe des trafiquants internationaux. Voilà où on en est, du seul fait d’avoir légalisé le trafic de cannabis et libéralisé à mort les flux financiers…

        Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? 

        On légalise le cannabis parce tout le monde soi disant en fume un peu de temps en temps. Mais si on va par là, pourquoi ne pas légaliser la fraude fiscale puisque chaque citoyen fraude un peu sur ses impôts ? Pourquoi ne pas légaliser le dopage dans le sport puisque tous les sportifs se dopent ? Pourquoi imposer des limites de vitesse puisque tout le monde un jour ou l’autre écrase un peu trop le champignon ?
        La société est justement là pour mettre des interdits. Sans cela, nous fonçons tout droit vers une société nihiliste où tout s’écroule. C’est d’ailleurs un peu à quoi nous assistons depuis une vingtaine d’années.

        • Descartes dit :

          @ FB

          [Les pays qui ont légalisé ont une expérience vraiment détestable. Avez-vous entendu parler de la Mocro Maffia aux Pays-Bas ? Sachez que ce pays qui se targuait d’avoir légalisé les drogues douces et que toute la gauche bien pensante nous présentait comme le futur paradis est quasiment devenu un narco-état. C’est difficile à croire, mais le Premier Ministre a été menacé de mort et cette organisation sème la terreur par la liquidation physique de journalistes et d’opposants. Le port de Rotterdam est désormais sous la coupe des trafiquants internationaux. Voilà où on en est, du seul fait d’avoir légalisé le trafic de cannabis et libéralisé à mort les flux financiers…]

          Je pense que vous exagérez un peu. Cette situation ne s’est pas créée « du seul fait d’avoir légalisé le trafic de cannabis et libéralisé les flux financiers ». Il y a d’autres paramètres qui rentrent en compte et qui pèsent tout autant sinon plus. La multiplication des états faillis, la libéralisation des flux physiques dans le cadre de la mondialisation des échanges, l’affaiblissement des états…

          [On légalise le cannabis parce tout le monde soi disant en fume un peu de temps en temps. Mais si on va par là, pourquoi ne pas légaliser la fraude fiscale puisque chaque citoyen fraude un peu sur ses impôts ? Pourquoi ne pas légaliser le dopage dans le sport puisque tous les sportifs se dopent ? Pourquoi imposer des limites de vitesse puisque tout le monde un jour ou l’autre écrase un peu trop le champignon ?]

          Curieusement, on capitule sur certaines questions alors qu’on durcit les choses sur d’autres. Vous donnez vous-même un bon exemple, celui des infractions routières, dont la répression s’est considérablement durcie ces dernières années. A l’inverse, la fraude fiscale a été en partie facilitée par le « droit à l’erreur » macronien. En fait, on peut lier la chose aux besoins des classes dominantes. Que les gens cherchent à se créer leur paradis artificiel plutôt que de chercher à changer le réel, ce n’est pas un problème pour eux.

          • CVT dit :

            @Descartes,

            [Les pays qui ont légalisé ont une expérience vraiment détestable. Avez-vous entendu parler de la Mocro Maffia aux Pays-Bas ? Sachez que ce pays qui se targuait d’avoir légalisé les drogues douces et que toute la gauche bien pensante nous présentait comme le futur paradis est quasiment devenu un narco-état. C’est difficile à croire, mais le Premier Ministre a été menacé de mort et cette organisation sème la terreur par la liquidation physique de journalistes et d’opposants.]

            A dire vrai, la pieuvre Makro maffia a également menacé la future reine des Pays-Bas, la princesse Catherine-Amélie, et a étendu ses tentacules jusqu’au port d’Anvers, menaçant publiquement le ministre de l’Intérieur belge en poste. Décidément, ils ne doutent de rien…
            L’impotence de l’état fédéral belge sur le sujet est telle qu’il craint d’être déclaré comme “narco-état” dans la décennie à venir!!!

            [Il y a d’autres paramètres qui rentrent en compte et qui pèsent tout autant sinon plus. La multiplication des états faillis, la libéralisation des flux physiques dans le cadre de la mondialisation des échanges, l’affaiblissement des états…]

            Il semblerait que la montée en flèche de nouvelles drogues de synthèse comme le Fentanyl, véritable fléau des villes nord-américaines en déshérence, et transformant les drogués en véritables zombies, ne soit pas étrangère à la chute des prix de la cocaïne, qui étaient déjà en phase de “démocratisation” depuis une dizaine d’années déjà…

            [Curieusement, on capitule sur certaines questions alors qu’on durcit les choses sur d’autres. ]

            là encore, quand on veut, on peut: l’illustration même de l’abdication des hommes politiques…

            • Descartes dit :

              @ CVT

              [Il semblerait que la montée en flèche de nouvelles drogues de synthèse comme le Fentanyl, véritable fléau des villes nord-américaines en déshérence, et transformant les drogués en véritables zombies, ne soit pas étrangère à la chute des prix de la cocaïne, qui étaient déjà en phase de “démocratisation” depuis une dizaine d’années déjà…]

              L’affaire du Fentanyl montre combien la légalisation est en fait une fuite en avant. Car ce qui fait l’attrait des drogues, particulièrement pour les jeunes, c’est précisément qu’elles sont interdites, que leur consommation constitue une transgression. C’est pourquoi on observe historiquement une baisse de la consommation d’alcool, et une augmentation de la consommation de drogues interdites. Légaliser – ou même banaliser – une consommation, c’est pousser les gens à rechercher un produit plus « interdit » et plus puissant.

              [« Curieusement, on capitule sur certaines questions alors qu’on durcit les choses sur d’autres. » là encore, quand on veut, on peut: l’illustration même de l’abdication des hommes politiques…]

              Encore un qui charge tout sur « les hommes politiques ». Pensez-vous que si le peuple demandait une politique de fermeté et était prêt à payer le prix, les politiques ne surferaient pas sur la vague, ne serait-ce que pour attraper des voix ? Non, aujourd’hui plus que jamais, le monde politique est régi par l’adage « je suis leur leader, je dois les suivre ». Si les politiques capitulent, c’est parce que l’électorat veut les voir capituler, ou plutôt, parce que les électeurs ne sont pas prêts à assumer le coût d’une politique de fermeté. C’est une logique schizophrène : d’un côté, il y a une demande d’ordre, de l’autre un refus d’accepter les coûts et les conséquences. Les politiques ne font que refléter cette schizophrénie.

  13. Lingons dit :

    “Ma formule était en effet ambigüe. Je parlais de condamner les « addictions », mais la phrase suivante précisait qu’il s’agissait de celles qui « asservissent la volonté ». Il me semble assez trivial de dire que le sucre, s’il a un « pouvoir addictif » (je doute qu’il soit « égal à celui de la cocaïne », mais admettons), n’a aucun effet sur la volonté. Je ne connais personne qui ait assassiné un passant pour pouvoir acheter sa dose de sucre.”
    Très bien, donc vous confirmez que si l’on suit votre logique, nous devrions appliquer une prohibition stricte pour l’alcool et le jeu (vous noterez que j’avais également pris ces deux exemples mais que vous ne répondez que sur le sucre)car pour ce qui est “d’asservir la volonté” l’alcoolisme et l’addiction au jeu sont bien placés, que ce soit pour l’individu ou pour son entourage direct ou indirect
    Par ailleurs, votre logique selon laquelle il existe des addiction n’entrainant pas “d’asservissement de la volonté n’a pas de sens, une addiction, par essence, asservie la volonté.
     
    définition larousse de l’addiction :
    L’addiction, dépendance, ou assuétude, est l’envie répétée et irrépressible de faire ou de consommer quelque chose en dépit de la motivation et des efforts du sujet pour s’y soustraire
     
    “L’alcool pose un problème différent. Il y a des millions de consommateurs de bières, vins et spiritueux qui prennent plaisir à boire un verre, mais qui n’ont aucun symptôme de dépendance, aucune altération de leur volonté lorsqu’ils consomment. L’immense majorité des consommateurs d’alcool ne visent pas une altération de la conscience”
    Certe, et il existe des millions de consommateurs de cannabis qui prennent plaisir à fumer un joint de temps en temps et qui n’ont aucun symptôme de dépendance ni altération de leur volonté lorsqu’il consomme. Pensez-vous qu’après un join vous allez vous mettre à discuter musique classique avec les marronniers ? 
     
    Je tiens par ailleurs à vous rappeler que mon propos ne concerne que le cannabis (puisque vous continuez à me parler de cocaïne ou de crack) pour les drogues dure je garde une ligne prohibitionniste pour les raisons mentionné plus haut. 
     
    “Je ne le crois pas. La différence entre « l’herbe » (comme vous dites) et le crack est une différence de degré, et non d’essence. On les prend tous les deux pour la même raison : pour changer notre perception du monde qui nous entoure. Et toutes deux génèrent une dépendance qui tend à abolir l’empathie.”
    Et bien, et avec tout le respect possible, je suis au regret de vous dire que votre croyance est erronée, les effets physiologiques du cannabis sont à des années lumières du crack, je ne peux que vous conseiller de consulter la documentation scientifique sur les effets des deux substances. 
    Oui le cannabis, en tant que psychotrope, peut effectivement changer votre perception du monde… tout comme l’alcool, qui est également un psychotrope, et qui peut également générer une dépendance “qui tend à abolir l’empathie”. Mais visiblement pour vous l’alcool est acceptable étant donné que des consommateurs ne sont pas dépendants, et bien, sachez que les consommateurs de cannabis sont dans le même cas de figure.   
     
    “Je n’ai pas compris le raisonnement. Le fait que la France n’ait pas AUJOURD’HUI une demande pour les drogues dites « dures » aussi importante que d’autres pays n’implique nullement qu’elle ne puisse pas l’avoir DEMAIN. Et quand même bien la légalisation du cannabis n’entraînerait pas une augmentation du trafic d’héroïne, quel serait son effet sur la consommation de cannabis ?”
    Et donc que faisons-nous alors ? On continue à mener une politique de prohibition qui est au mieux inefficace, au pire contre-productif, et à se plaindre des conséquences criminelles de cette prohibition, ou on tente de faire quelque chose ?? 
     
     “J’ai l’impression que pour vous l’augmentation de la consommation de cannabis n’est finalement pas si grave que cela, qu’on peut s’en accommoder.”
    Je m’efforce d’être pragmatique dans la mise en œuvre des politiques publiques, la prohibition de 1970 sur le cannabis à deux objectifs : réduire la consommation et les trafics inhérents, on peut voir après un demi siècle que cela n’est pas le cas. Oui, je peux m’accommoder de la légalisation d’une consommation d’un psychotrope sans dose mortelle et sans effets neurotoxique si cela permet de réduire les problématiques d’ordre publiques que le marché noir de cette substance pose sur le territoire
    En somme, être prêt à “payer le prix de cette reprise en main énergique” 
     
     “Parce que, comme je l’ai déjà expliqué, tous ceux qui consomment de l’alcool ne le font pas en cherchant à « planer ».
    Et bien vous devriez vous renseigner davantage sur les consommateurs de cannabis et les effets recherchés, sachez que s’il m’arrive de prendre un whisky à la sortie du travail pour me détendre, des gens allument un join en poursuivant exactement le même but  
     
    “Personne, à ma connaissance, ne fume le cannabis pour son parfum.”
    Et bien sachez que c’est le cas chez beaucoup de consommateurs de cannabis, il y a une vraie connaissance des saveurs des différentes variétés et même des “terroirs”
     
    “Si. Mais elle ne concerne qu’une minorité parmi les consommateurs d’alcool.””
     
    Et bien c’est exactement la même chose pour des consommateurs de cannabis, j’ai l’impression que pour vous un consommateur de cannabis est un junkie complètement addict tel les crackheads errant dans les rues de Los Angeles… 
     
    “Il y a certainement des gens qui se tuent à petit feu en mangeant du chocolat ou des chips, mais faut-il interdire chocolat et chips à tous pour prévenir un usage qui ne concerne qu’une minorité ?”
     
    Et bien, si je suis votre logique concernant le cannabis… oui
     
    “Non. Mais qu’il le fait pour se défoncer au point d’altérer sa perception du monde qui l’entoure, oui.”
     
    Mais pourquoi cette haine viscérale à l’égard de “l’altération de la perception” ??
     
    Vous savez, le simple fait d’être davantage détendu sous l’effet de l’alcool est une altération de votre perception également…
     
    “Tiens, je voudrais vous poser une question: si vous découvriez que votre fils adolescent se rend à une fête où l’on fumera du cannabis, quelle serait votre réaction ? Est-ce qu’elle serait la même s’il s’agissait d’une fête où l’on boit de la bière ?”
     
    Et bien je vous repondrais que votre question est hors de propos, sur ce sujet, je raisonne en termes de politique publique et de prise en compte de l’impact, sécuritaire, sanitaire et économique, de tel ou tel choix concernant la consommation de cannabis au niveau du corps social dans son ensemble. De ce fait, mes considérations d’ordre personnel reposant sur l’émotionnel n’entrent pas en ligne de compte…
     
     
     

    • Descartes dit :

      @ Lingons

      [“Ma formule était en effet ambigüe. Je parlais de condamner les « addictions », mais la phrase suivante précisait qu’il s’agissait de celles qui « asservissent la volonté ». Il me semble assez trivial de dire que le sucre, s’il a un « pouvoir addictif » (je doute qu’il soit « égal à celui de la cocaïne », mais admettons), n’a aucun effet sur la volonté. Je ne connais personne qui ait assassiné un passant pour pouvoir acheter sa dose de sucre.” Très bien, donc vous confirmez que si l’on suit votre logique, nous devrions appliquer une prohibition stricte pour l’alcool et le jeu (vous noterez que j’avais également pris ces deux exemples mais que vous ne répondez que sur le sucre) car pour ce qui est “d’asservir la volonté” l’alcoolisme et l’addiction au jeu sont bien placés, que ce soit pour l’individu ou pour son entourage direct ou indirect]

      Non. Je dis exactement le contraire. TOUT comportement humain peut donner lieu à une addiction. Il y a des collectionneurs compulsifs qui voient leur bon sens aboli dès lors qu’ils trouvent l’objet de leur désir – pensez à Julien Drai et à ses dépenses pour des montres de collection. Mais certaines comportements aboutissent quasi-fatalement à une addiction, et d’autres n’aboutissent à ce type de situation que dans une minorité des cas. Pour le dire vite, interdire les collections parce que CERTAINS collectionneurs deviennent addicts, cela me paraît très excessif. Interdire la consommation de crack me paraît rationnel parce que TOUS les consommateurs ou presque le deviennent. Est-ce que ma position est plus claire ?

      Parmi les consommateurs d’alcool, les alcooliques représentent une petite minorité. Parmi ceux qui jouent aux cartes, les joueurs compulsifs sont eux aussi minoritaires. Il n’y a donc pas lieu d’interdire ces pratiques – même si on peut les réguler, ce qui est le cas pour les jeux comme pour l’alcool. Par ailleurs, je soutiens que les consommateurs de cocaïne, d’héroïne, d’extasy ou même de cannabis recherchent dans cette consommation une altération psychique. Et cela accroit massivement les effets de dépendance. L’immense majorité des consommateurs d’alcool le font pour le plaisir du goût, l’immense majorité de ceux qui jouent aux cartes cherchent un moment de convivialité entre copains.

      [Par ailleurs, votre logique selon laquelle il existe des addiction n’entrainant pas “d’asservissement de la volonté n’a pas de sens, une addiction, par essence, asservie la volonté.
      définition larousse de l’addiction :
      L’addiction, dépendance, ou assuétude, est l’envie répétée et irrépressible de faire ou de consommer quelque chose en dépit de la motivation et des efforts du sujet pour s’y soustraire]

      Autrement dit, on se place dans le plan de « l’envie », et non de l’acte. C’est bien mon point. On peut avoir une « envie répétée et irrépressible », et ne pas y céder.

      [“L’alcool pose un problème différent. Il y a des millions de consommateurs de bières, vins et spiritueux qui prennent plaisir à boire un verre, mais qui n’ont aucun symptôme de dépendance, aucune altération de leur volonté lorsqu’ils consomment. L’immense majorité des consommateurs d’alcool ne visent pas une altération de la conscience” Certe, et il existe des millions de consommateurs de cannabis qui prennent plaisir à fumer un joint de temps en temps et qui n’ont aucun symptôme de dépendance ni altération de leur volonté lorsqu’il consomme.]

      Mais d’où vient ce plaisir ? De l’odeur du produit ? De la saveur de la fumée ? Ou des effets psychotropes du produit ? Et comment la recherche d’un effet psychotrope pourrait ne produire ni altération de la volonté, ni dépendance ?

      Je ne suis pas un expert, je l’ai dit. Mais si je crois ce que j’ai lu, les effets psychotropes du cannabis vont bien au-delà d’un effet « stupéfiant » : ils ont un effet sur l’empathie. La légende veut que certains donnaient du hashish aux assassins pour leur permettre d’accomplir leur forfait sans que des sentiments moraux viennent les gêner. Même si c’est une légende, l’effet sur l’empathie est constaté par des études scientifiques.

      [Pensez-vous qu’après un joint vous allez vous mettre à discuter musique classique avec les marronniers ?]

      Peut-être pas. Mais que cela augmente les chances que je tue mon voisin parce que sa tête ne me revient pas…

      [Je tiens par ailleurs à vous rappeler que mon propos ne concerne que le cannabis (puisque vous continuez à me parler de cocaïne ou de crack) pour les drogues dure je garde une ligne prohibitionniste pour les raisons mentionnées plus haut.]

      Là, je ne comprends pas votre raisonnement. Vous m’expliquez que l’objectif de la légalisation est d’en finir avec les conséquences néfastes du trafic illégal de stupéfiants en encadrant celui-ci dans le cadre de la loi. Si tel est l’objectif, alors on voit mal comment il pourrait être atteint en légalisant le cannabis et en gardant une ligne prohibitionniste sur les autres produits. Il est clair qu’une telle configuration ne fera que reporter le trafic illégal sur d’autres substances – avec la circonstance aggravante que le jeune qui recherche la transgression ira vers un produit beaucoup plus dangereux.

      Sans vouloir vous offenser, j’ai l’impression que pour vous l’objectif de la légalisation n’est pas celui-là. Que vous pensez tout simplement que le cannabis n’est pas un produit dangereux – ou en tout cas pas plus que l’alcool ou le tabac – et qu’il n’y a donc aucune raison d’embêter ceux qui voudraient fumer. C’est une position qui se défend, mais qui n’a rien à voir avec la question des trafics.

      [Oui le cannabis, en tant que psychotrope, peut effectivement changer votre perception du monde… tout comme l’alcool, qui est également un psychotrope, et qui peut également générer une dépendance “qui tend à abolir l’empathie”.]

      La question n’est pas que le cannabis « PUISSE » changer votre perception du monde. C’est que le cannabis MODIFIE la perception du monde, et qu’on le consomme PRECISEMENT POUR CETTE RAISON. Je ne connais personne qui consomme du cannabis pour son parfum ou sa saveur. On ne le consomme QUE pour ses effets psychotropes. Et c’est là toute la différence avec l’alcool. Ce qui est une possibilité pour l’alcool est une certitude pour le cannabis. Parce que la plupart des consommateurs d’alcool ne recherchent pas cet effet, et ceux du cannabis, si.

      [Mais visiblement pour vous l’alcool est acceptable étant donné que des consommateurs ne sont pas dépendants, et bien, sachez que les consommateurs de cannabis sont dans le même cas de figure.]

      Non. Pour moi l’alcool est « acceptable » parce que l’immense majorité de ceux qui consomment ne recherchent pas l’effet psychotrope, et le cannabis est « inacceptable » parce que l’immense majorité de ceux qui le consomment recherchent cet effet. Et que cela ouvre fatalement la porte à la dépendance.

      [Et donc que faisons-nous alors ? On continue à mener une politique de prohibition qui est au mieux inefficace, au pire contre-productif, et à se plaindre des conséquences criminelles de cette prohibition, ou on tente de faire quelque chose ??]

      J’aimerais savoir ce qui vous fait penser que la politique de prohibition est « inefficace ». Pensez-vous que sans cette politique la consommation serait la même ?

      Pour le reste, moi je veux bien qu’on « fasse quelque chose ». Mais quoi ? Les expériences montrent que la légalisation n’est pas une solution : non seulement la consommation de cannabis augmente, mais les réseaux criminels se reconfigurent sur d’autres produits plus puissants et plus dangereux, qui sont demandés par des clients qui, « accoutumés » au cannabis, cherchent des effets plus intenses.

      Je ne suis pas par principe attaché à une politique prohibitionniste. Je suis prêt à écouter toute proposition, à condition qu’on soit d’accord sur le constat – la consommation de stupéfiants est néfaste, qu’ils soient « durs » ou « mous » – et sur l’objectif – réduire autant que faire se peu leur consommation. Par contre, j’exige par principe que toute liberté ait pour contrepartie la responsabilité. Il n’y a aucune raison que la société porte le poids des conséquences des choix individuels. Si on laisse les gens libres de consommer des produits, alors c’est à eux de payer les conséquences de cette consommation.

      [“J’ai l’impression que pour vous l’augmentation de la consommation de cannabis n’est finalement pas si grave que cela, qu’on peut s’en accommoder.” Je m’efforce d’être pragmatique dans la mise en œuvre des politiques publiques, la prohibition de 1970 sur le cannabis à deux objectifs : réduire la consommation et les trafics inhérents, on peut voir après un demi-siècle que cela n’est pas le cas.]

      Vous allez un peu vite en besogne. Pensez-vous que sans la prohibition de 1970 la consommation aujourd’hui serait au même niveau ? Avec votre raisonnement, il faudrait légaliser le vol. Après tout, la politique de prohibition n’a pas réussi à empêcher l’augmentation du nombre de vols depuis une trentaine d’années…

      [Oui, je peux m’accommoder de la légalisation d’une consommation d’un psychotrope sans dose mortelle et sans effets neurotoxique si cela permet de réduire les problématiques d’ordre publiques que le marché noir de cette substance pose sur le territoire]

      Là encore, vous allez un peu vite en écrivant « sans effet neurotoxique »… et aussi lorsque vous écrivez que cela « permet de réduire les problématiques d’ordre publique ». Le marché noir sera toujours là, simplement, il écoulera d’autres substances.

      [En somme, être prêt à “payer le prix de cette reprise en main énergique”]

      Je vois mal en quoi une capitulation en rase campagne peut être présentée comme une « reprise en main énergique »…

      [« Parce que, comme je l’ai déjà expliqué, tous ceux qui consomment de l’alcool ne le font pas en cherchant à « planer » » Et bien vous devriez vous renseigner davantage sur les consommateurs de cannabis et les effets recherchés, sachez que s’il m’arrive de prendre un whisky à la sortie du travail pour me détendre, des gens allument un join en poursuivant exactement le même but]

      Vraiment ? Quand vous vous servez votre whisky, quel whisky servez-vous ? Je suis sûr que, si vous avez les moyens, vous prenez un whisky de qualité, un « single malt » soigneusement choisi en fonction de vos goûts, ou peut-être un whiskey irlandais (personnellement je préfère). Pourquoi choisir un tel produit, beaucoup plus cher, alors que, pour « se détendre », un whisky « premier prix » fera l’affaire ?

      Je connais pas mal de fumeurs de cannabis, et aucun ne me semble choisir chez son fournisseur entre différentes origines et procédés de fabrication pour obtenir une saveur, un parfum particulier. Tout au plus, le vendeur vante la PUISSANCE PSYCHOTROPE du produit. Ce qui tend à prouver que le consommateur de cannabis ne cherche pas tout à fait la même chose que celui de whisky…

      [“Personne, à ma connaissance, ne fume le cannabis pour son parfum.” Et bien sachez que c’est le cas chez beaucoup de consommateurs de cannabis, il y a une vraie connaissance des saveurs des différentes variétés et même des “terroirs”]

      Je vous l’ai dit, je connais beaucoup de fumeurs réguliers de cannabis, et aucun ne m’a jamais tenu ce langage. S’il y a plusieurs « variétés », elles sont appréciées essentiellement pour leur puissance psychotrope. Mais illustrez-moi : quels sont les « terroirs » les plus appréciés, et pour quelle raison ?

      [Et bien c’est exactement la même chose pour des consommateurs de cannabis, j’ai l’impression que pour vous un consommateur de cannabis est un junkie complètement addict tel les crackheads errant dans les rues de Los Angeles…]

      Pas tout à fait. Mais il y a de ça. J’ai des amis et des collègues qui sont « complètement addicts » au cannabis, avec des « crises de manque » tout à fait réelles, incomparables bien sûr à celles liées à l’héroïne ou le crack, mais plus intenses que celles liées au tabac. J’ai d’ailleurs découvert ce phénomène « en réel » pendant la pandémie, quand le confinement a empêché certains de se fournir.

      [“Il y a certainement des gens qui se tuent à petit feu en mangeant du chocolat ou des chips, mais faut-il interdire chocolat et chips à tous pour prévenir un usage qui ne concerne qu’une minorité ?” Et bien, si je suis votre logique concernant le cannabis… oui]

      Si vous suivez ma logique, non. Au risque de me répéter : seule une minorité parmi les consommateurs de chips ou de chocolat poussent cette conduite à un niveau dangereux. La consommation du cannabis est dangereuse pour l’immense majorité des consommateurs.

      [“Non. Mais qu’il le fait pour se défoncer au point d’altérer sa perception du monde qui l’entoure, oui.” Mais pourquoi cette haine viscérale à l’égard de “l’altération de la perception” ??]

      Parce qu’aimant viscéralement mes congénères humains, je hais viscéralement tout ce qui porte atteinte à cette humanité. Et le propre de l’être humain, c’est de changer le monde qui l’entoure lorsque celui-ci ne le satisfait pas. Renoncer à cette possibilité en préférant changer sa perception du réel plutôt que le réel lui-même, c’est pour moi une renonciation à une part d’humanité.

      [“Tiens, je voudrais vous poser une question: si vous découvriez que votre fils adolescent se rend à une fête où l’on fumera du cannabis, quelle serait votre réaction ? Est-ce qu’elle serait la même s’il s’agissait d’une fête où l’on boit de la bière ?” Et bien je vous repondrais que votre question est hors de propos, sur ce sujet, je raisonne en termes de politique publique et de prise en compte de l’impact, sécuritaire, sanitaire et économique, de tel ou tel choix concernant la consommation de cannabis au niveau du corps social dans son ensemble. De ce fait, mes considérations d’ordre personnel reposant sur l’émotionnel n’entrent pas en ligne de compte…]

      Pas tout à fait. Votre raisonnement est fondé sur l’idée que la consommation de cannabis ne présente aucun danger – ou en tout cas, pas plus qu’une consommation d’alcool. Si vous croyez vraiment cela, alors votre réaction lorsque votre enfant fume un joint ou boit un verre de bière devrait être équivalente. Et pourtant, je suis prêt à parier qu’elle ne l’est pas. Pourquoi ? Avouez que la question est intéressante…

      La question de la dangerosité du cannabis n’est pas une « question de politique publique », mais une question de fait. Pensez-vous vraiment que le cannabis ne présente aucun danger – ou du moins pas plus qu’une cigarette ordinaire ou une bière ? Oui ou non ? Si la réponse est « non », alors vous ne devriez pas réagir différemment.

  14. Geo dit :

    à Descartes
    Bien d’accord, la légalisation du cannabis aura pour effet immédiat le basculement des trafiquants vers d’autres produits, héroïne ou autres. Mais ça n’épuise pas le sujet, loin de là. Un des principaux pôles d’intoxication aux USA s’est développé le plus légalement du monde, et même sur ordonnance. C’est la fameuse “crise des opiacés”, dont on ne finit plus de compter les morts. “L’invasion pharmaceutique” pointée dans les années soixante-dix par jean pierre Dupuy a fait son chemin, et tourné au dealer.
    Une difficulté annexe est que nos actuelles sociétés intoxiquées inspirent plus de mépris que de préoccupation, si tout le monde réagit comme moi du moins. (Ce qui n’aide pas à chercher des solutions.)
    Un dernier point: si j’en juge par ce que j’observe autour de moi, il y a de moins en moins de gens qui goutent le vin, et de plus en plus qui boivent pour se souler. (J’ignore si ce type de glissement a été objectivé.)

    • Descartes dit :

      @ Geo

      [Un des principaux pôles d’intoxication aux USA s’est développé le plus légalement du monde, et même sur ordonnance. C’est la fameuse “crise des opiacés”, dont on ne finit plus de compter les morts. “L’invasion pharmaceutique” pointée dans les années soixante-dix par jean pierre Dupuy a fait son chemin, et tourné au dealer.]

      Tout à fait. Dans un autre commentaire, l’auteur invitait à s’interroger sur les raisons qui poussent nos congénères à avoir de plus en plus recours à différents produits psychotropes. Même si je pense que cette question n’a pas de rapport avec la question de la légalisation, cela n’implique nullement qu’elle n’ait pas son intérêt. Le fait est que de tout temps les hommes ont eu recours à des produits psychotropes, l’alcool étant probablement l’exemple à la fois le plus ancien et le plus répandu.

      Le fait est que nos vies ne sont pas aujourd’hui plus incertaines, plus angoissantes, plus « stressantes » qu’il y a cinq ou dix siècles. Pensez qu’à ces époques l’homme était en permanence à la merci d’évènements qu’il ne contrôlait pas, et dont il ne comprenait même pas l’origine : pestes, famines, attaques de bandits, incendies, foudre… Alors pourquoi cette impression que notre vie moderne est plus « stressante » ? Pourquoi avons-nous plus besoin que nos ancêtres de somnifères, d’excitants, de « béquilles chimiques » ? Peut-être manquons nous de cet « opium du peuple » qu’était la religion. Dans un monde qui était beaucoup plus incertain, plus menaçant, l’homme avait la conviction que quelqu’un, la haut, veillait sur lui et qu’à la fin des temps les bons seraient récompensés et les méchants châtiés. Que ses souffrances ici-bas lui faisaient gagner des points pour le jour où il passerait de l’autre côté. La mort de dieu nous a privé de cet « opium », que nous remplaçons par des produits chimiques…

      [Une difficulté annexe est que nos actuelles sociétés intoxiquées inspirent plus de mépris que de préoccupation, si tout le monde réagit comme moi du moins. (Ce qui n’aide pas à chercher des solutions.)]

      On s’attaquera au problème le jour ou celui-ci gênera le fonctionnement du système capitaliste. Regardez ce qui s’est passé avec l’alcool : pendant des siècles on s’est accommodé de l’alcoolisme, parce que le mode de production féodal n’en avait cure. Les ligues anti-alcooliques et autres politiques de sobriété se développent avec la prise de pouvoir de la bourgeoisie et la révolution industrielle, parce que l’outil industriel et la vie urbaine a besoin d’ouvriers sobres.

      [Un dernier point: si j’en juge par ce que j’observe autour de moi, il y a de moins en moins de gens qui goutent le vin, et de plus en plus qui boivent pour se souler. (J’ignore si ce type de glissement a été objectivé.)]

      La seule statistique que je connais vous donne plutôt tort : on observe depuis des années une baisse de la demande sur les vins de mauvaise qualité, et au contraire un report vers le haut de gamme. En d’autres termes, on boit moins et on boit mieux. Mais il est vrai que se développe dans la jeunesse notamment le comportement du « binge-drinking », c’est-à-dire, d’une recherche de l’ivresse plus que du plaisir du goût, comportement qu’on peut assimiler à une consommation de stupéfiants.

  15. Didier Bous dit :

              La justice n’a pas été lente et impuissante vis-à-vis des gilets jaunes. De même, face aux Identitaires, elles agissent promptement et sévèrement. Autrement dit, il s’agit d’idéologie. La gauche impose son idéologie à ces deux institutions, Macron n’y a pas changé grand-chose. Autre chose, la gauche ne veut pas des policiers copains mais vomit les policiers. La tendance, dans sa jeunesse, est de vouloir supprimer la police. Je n’ai pas l’impression que la société soit schizophrène. La gauche déteste la police, contrairement aux classes populaires mais le gouvernement est encore dominé par l’idéologie de gauche.              Vous n’avez pas parlé de Cédric Chouviat. La gauche aime les victimes des violences policières à condition qu’elles soient “arabes” ou noires et délinquantes. Elle nous parle un peu plus de Rémi Fraisse, sans doute parce qu’elle peut s’identifier à lui.
              Il me semble que nous n’avons rien d’autre que la mise en application de l’idéologie de gauche à un moment ouu la mentalité de droite monte en puissance et devrait bientôt devenir majoritaire. Idéologie de gauche qui, ici, consisterait à la fois à haïr la police et à vénérer l’Arabe et le Noir à problème.

    • Descartes dit :

      @ Didier Bous

      [La justice n’a pas été lente et impuissante vis-à-vis des gilets jaunes. De même, face aux Identitaires, elles agissent promptement et sévèrement.]

      Je ne suis pas convaincu. Des violences et des dégradations qui ont accompagné le mouvement des « Gilets Jaunes », combien ont été EFFECTIVEMENT punies ? Combien de gens sont allés EFFECTIVEMENT en prison ? Combien ont du payer des amendes EFFECTIVEMENT dissuasives ? Quelques dizaines de personnes ont été arrêtées et sont passées en comparution immédiate, parce qu’il faut bien montrer médiatiquement que force reste à la loi. Mais en pratique, les peines prononcées sont symboliques et rarement exécutées.

      [Autrement dit, il s’agit d’idéologie. La gauche impose son idéologie à ces deux institutions, Macron n’y a pas changé grand-chose.]

      Est-ce que cela a un sens, aujourd’hui, de parler d’une idéologie « de gauche » ? Je pense que vous faites erreur en faisant de la chose un conflit entre « la gauche » et « la droite ». L’idéologie « libérale-libertaire » a été imposée dans nos institutions tant par la gauche que par la droite. Il n’y a que le langage qui change. Et c’est logique : l’idéologie libérale-libertaire, c’est celle du capitalisme triomphant de l’après-guerre froide, celle de l’individu-île et du consommateur-roi. Si cette idéologie s’impose au supermarché, dans l’entreprise, dans l’école, comment ne s’imposerait-elle aussi dans les tribunaux ?

      [Autre chose, la gauche ne veut pas des policiers copains mais vomit les policiers.]

      La droite fait semblant de les aimer, mais les rabaisse au nom de la « productivité ». Souvenez-vous de Sarkozy et de sa politique du chiffre – sans parler de la réduction d’effectifs. Ne vous trompez pas : le débat sur la police n’est pas un débat droite/gauche. Avec des langages différents, avec un habillage différent, les politiciens de droite comme de gauche veulent un Etat faible, incapable de tenir tête aux intérêts privés. L’affaiblissement de la police, comme celui de la justice, de l’école, de l’administration, est inscrit dans cette volonté.

      [La tendance, dans sa jeunesse, est de vouloir supprimer la police.]

      A droite aussi. Qu’ont essayé de faire systématiquement les gouvernements de droite avec l’inspection du travail ? Il ne faut pas oublier que la fonction de « police » va bien au-delà de la seule « police nationale ».

      [Vous n’avez pas parlé de Cédric Chouviat. La gauche aime les victimes des violences policières à condition qu’elles soient “arabes” ou noires et délinquantes. Elle nous parle un peu plus de Rémi Fraisse, sans doute parce qu’elle peut s’identifier à lui.]

      Vous faites ici un amalgame. Même pris au sens des représentants politiques, « la gauche » n’existe pas. Il existe un certain nombre d’organisations de gauche, qui ne sont pas d’accord – c’est un euphémisme – sur ces questions, et dont les positions sont très différentes. Ainsi, LFI peut condamner une manifestation de policiers alors que Fabien Roussel se joint à elle.

      Le phénomène que vous évoquez tient aux arrière-pensées électorales d’une partie de la gauche. Il est évident que LFI parie aujourd’hui sur « l’électorat des cités », et qu’elle s’imagine qu’elle peut conquérir cet électorat en apparaissant le meilleur défenseur de figures avec lesquelles cet électorat peut s’identifier. C’est pourquoi un accent particulier est mis à s’associer à des figures comme Adama Traoré et autres du même acabit, ou de « défiler contre l’islamophobie » à côté de figures comme Houria Bouteldja. Mais cela ne concerne qu’une partie de la gauche. Au PCF, par exemple, on fait preuve d’une prudence de Sioux à l’heure de choisir ses martyrs. Et on a raison, parce que je pense que le calcul de LFI est à la fois faux et dangereux. Faux, parce que les populations des cités aspirent à quelque chose de mieux qu’une identification à une frange délinquante, et que ce n’est pas cette identification qui l’encouragera à aller aux urnes. Et dangereux, parce que tout parti politique finit par être otage de l’électorat qu’il conquiert. Une fois que vous avez conquis une base électorale, vous êtes forcé à suivre ses intérêts, ses préjugés, ses aspirations pour ne pas la perdre. Le RN a muté – en bien – à partir du moment où les couches populaires du « désert français » ont pesé plus lourd que les traditionnels rapatriés et autres vichystes nostalgiques. LFI risque de faire le chemin inverse : on ne peut chercher à attirer les Frères Musulmans et défendre en même temps la laïcité à la française…

      [Il me semble que nous n’avons rien d’autre que la mise en application de l’idéologie de gauche à un moment ou la mentalité de droite monte en puissance et devrait bientôt devenir majoritaire. Idéologie de gauche qui, ici, consisterait à la fois à haïr la police et à vénérer l’Arabe et le Noir à problème.]

      Au risque de me répéter, il ne s’agit pas ici d’une question « gauche vs. Droite ». Regardez autour de vous : vous verrez que le culte de la « diversité » se retrouve dans les plus grandes entreprises, de Microsoft à Total, de Stellantis à Amazon. Diriez-vous que ce sont là des nids de l’idéologie « de gauche » ? Non, le problème est bien plus vaste. Si cette idéologie s’impose comme idéologie dominante, c’est parce que c’est celle des classes dominantes. Les classes dominantes ont besoin d’un monde fracturé, fait d’individus-consommateurs isolés, et dont la mobilité – physique mais aussi intellectuelle – ne soit limitée par aucune institution.

      • Bob dit :

        @ Descartes
         
        [Au risque de me répéter, il ne s’agit pas ici d’une question « gauche vs. Droite ». Regardez autour de vous : vous verrez que le culte de la « diversité » se retrouve dans les plus grandes entreprises, de Microsoft à Total, de Stellantis à Amazon. Diriez-vous que ce sont là des nids de l’idéologie « de gauche » ? Non, le problème est bien plus vaste. Si cette idéologie s’impose comme idéologie dominante, c’est parce que c’est celle des classes dominantes. Les classes dominantes ont besoin d’un monde fracturé, fait d’individus-consommateurs isolés, et dont la mobilité – physique mais aussi intellectuelle – ne soit limitée par aucune institution.]
         
        Je n’avais jamais considéré le « culte de la diversité » sous cet angle, je le trouve fort juste.

  16. Rogers dit :

    Cher René, bonjour, 
    Avez-vous vu les propos de Nicolas Sarkozy sur la guerre ? Il se fait allumer de partout… Je le trouve plutôt intelligent ! 

    • Descartes dit :

      @ Rogers

      [Avez-vous vu les propos de Nicolas Sarkozy sur la guerre ? Il se fait allumer de partout… Je le trouve plutôt intelligent !]

      Oui, j’ai vu, et j’ai été très amusé par les réactions. D’un côté, on voit un Julien Bayou, écologiste “de gauche” et européiste convaincu épouser la position intransigeante de Washington, de l’autre “Sarkozy l’Américain” prendre ses distances avec la vulgate otanienne reprise servilement par Bruxelles. Comme disait un premier ministre anglais, “la politique fait d’étranges compagnons de lit”.

      Sur le fond, je n’ai pas accès à l’entretien de Sarkozy au “Figaro” et je ne connais donc de sa position que ce que d’autres médias en ont dit. Ce que je lis rejoint très largement la position que j’ai défendu dans mes papiers sur le sujet. Pour résumer: l’extension de l’OTAN et de l’UE jusqu’aux frontières de la Russie a toujours été une provocation, et l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et à l’UE est pour la Russie une “ligne rouge” qu’elle ne peut accepter, et sur ce dernier point elle n’a pas tort. A partir de là, sauf à se résigner à une guerre éternelle ou envisager l’écrasement de la Russie – deux situations auxquelles la France n’a certainement aucun intérêt – la solution passe par une forme de neutralisation de l’Ukraine, de la même manière que la solution de la crise des missiles à Cuba est passée par une forme de “neutralisation” de l’île. Quant à la Crimée, elle est historiquement russe et ce n’est que par le hasard d’un arrangement administratif interne à l’URSS qu’elle est devenue ukrainienne. Il y a donc un intérêt à légaliser ce qui est aujourd’hui un fait accompli par la voie d’un référendum.

      Sarkozy est une personnalité complexe, et sur beaucoup d’aspects détestable. Mais ce que j’ai toujours apprécié chez lui, c’est son courage physique et intellectuel. Car il faut du courage aujourd’hui pour piétiner comme il le fait la “doxa” otanienne, au risque de se faire traiter d’agent de Poutine et de vendu à la Russie, accusation infamante s’il en est. Je trouve que ce faisant, il ouvre un débat que personne n’ose aborder, et que dans ce débat il prend une position typiquement gaullienne, ce qui d’ailleurs montre combien l’accusation d’être “vendu aux Américains” qui lui était accolée autrefois était déplacée. Oui, dans un monde dominé par des super-puissances, la France ne peut jouer un rôle que si elle n’est inféodée au aucune d’elles. Si elle devient un allié discipliné des Américains, elle ne sera finalement “qu’un allié de plus”, à côté de la Grande Bretagne, de l’Allemagne, de la Pologne… et pas nécessairement le plus écouté. Par contre, si elle garde une voix indépendante, et qu’elle parle à tout le monde, il faudra compter sur elle.

      • cdg dit :

        Sarkozy a toujours ete proche de Poutine. Il lui avait meme vendu du materiel militaire (commande que Hollande a annulé) et en avait tiré un portrait favorable dans ses memoires. C est assez curieux quand on voit comment ca avait commencé (https://www.gala.fr/l_actu/news_de_stars/je-tecrase-le-premier-echange-houleux-de-vladimir-poutine-et-nicolas-sarkozy_489638)
        Apres dire que Sarkozy a une position gaulienne ici c est n importe quoi. En 1917 un Sarkozy US aurait dit a clemenceau qu il devrait negocier et abandonner l alsace ? En 44, vous voyez Collidge faire a De Gaulle la meme proposition (apres tout le gros des mort en 44 c etait les anglo-americains) ?
        Sarkozy a ete un mediocre president, j ai du mal a voir une seule chose positive qu il faite dans son quinquenat. Meme sur la securite qui devait etre son point fort (il etait ministre de l interieur) il a ete nul d ou votre papier. Qu il se fasse oublier comme Hollande (lequel au moins a le bon gout de se taire)

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [Sarkozy a toujours ete proche de Poutine. Il lui avait meme vendu du materiel militaire (commande que Hollande a annulé) et en avait tiré un portrait favorable dans ses memoires. C est assez curieux quand on voit comment ca avait commencé (…)]

          Je ne sais pas ce que vous appelez « proche de ». Si le fait qu’une entreprise française vende des armes à un pays X implique une « proximité » personnelle entre le président français et le dirigeant de ce pays, alors vous trouverez chez n’importe lequel de nos présidents d’étranges « proximités ». Quant au premier contact, vous m’excuserez si je ne prends pas les potins de « Gala » – surtout lorsqu’ils ne sont pas sourcés – pour de l’argent comptant. Je pense que les premiers rapports ont du être froids, non pas pour des questions d’inimitié personnelle – à ce niveau les questions personnelles comptent peu – mais parce que « Sarko » affichait une admiration sans bornes pour les Etats-Unis. Beaucoup de gens avaient vu en lui un atlantiste forcené.

          Je pense qu’il faut reconnaître à Sarkozy une qualité : il est capable de changer d’avis. Très vite il a vu la sagesse de la position gaullienne : la France ne peut jouer un rôle international que si elle surprend. En tant qu’allié obéissant et discipliné des Américains, elle ne peut espérer que d’être un chien de plus dans la meute, à côté (ou plutôt en dessous) des Britanniques, et à égalité avec les Allemands, les Italiens ou les Polonais. Il lui faut donc sortir de ce carcan, jouer de son originalité en allant discuter avec les gens avec qui les Américains ne parlent pas, établir des ponts avec eux.

          Les liens privilégies de Sarkozy avec les dirigeants russes n’ont rien de nouveau : De Gaulle avait fait exactement la même chose – souvenez-vous de son voyage triomphal en URSS – et dans un contexte encore plus dur. La France a intérêt à un monde multipolaire, sans quoi elle se fait bouffer par les Etats-Unis. Et si l’on veut ce monde multipolaire, il faut cultiver les autres pôles.

          [Apres dire que Sarkozy a une position gaullienne ici c’est n’importe quoi. En 1917 un Sarkozy US aurait dit a Clemenceau qu’il devrait négocier et abandonner l’Alsace ? En 44, vous voyez Coolidge faire a De Gaulle la même proposition (après tout le gros des mort en 44 c’etait les anglo-americains) ?]

          D’abord, je crois me souvenir qu’en 1944 « le gros des morts » c’était les soviétiques. Mais passons. Je ne vois pas très bien le sens de votre analogie. Je n’imagine pas ce que pourrait être un « De Gaulle US », ni quel rapport ont ces situations avec les rapports entre Sarkozy et la Russie.

          [Sarkozy a été un médiocre président, j’ai du mal à voir une seule chose positive qu’il faite dans son quinquennat. Même sur la sécurité qui devait être son point fort (il était ministre de l’intérieur) il a été nul d’ou votre papier. Qu’il se fasse oublier comme Hollande (lequel au moins a le bon gout de se taire)]

          Je ne vais pas vous dire que Sarkozy ait été un grand président. Cependant, je ne suis pas aussi négatif que vous. Dans le domaine de l’énergie qui est le mien et que je connais bien, il a impulsé une politique rationnelle – et notamment le retour au nucléaire – pour essayer de faire au mieux dans le carcan européen que lui avaient laissé ses prédécesseurs, et notamment le désastreux gouvernement de Jospin. Je pense qu’on peut aussi mettre à son crédit la gestion de la crise financière de 2008, dans laquelle il a eu le courage de suivre les keynésiens plutôt que les orthodoxes, ce qui n’est pas une mince performance. Sur le plan symbolique, je pense que le relief qu’il a donné au personnage de Guy Mocquet était une bonne initiative, tout comme l’idée de lancer un grand débat sur l’identité. J’aurais presque tendance à dire qu’il y a deux présidences Sarkozy : celle où il s’occupe de questions à forte composante médiatique, qui ont donné des résultats plutôt désastreux, et celle où il s’occupe de questions qui intéressent peu le public, et dans ces domaines il a laissé travailler les experts avec des résultats qui ne sont pas forcément négatifs. Il a fait aussi le choix d’un gouvernement stable : il n’y eut qu’un premier ministre, et des ministres qui étaient souvent des bons techniciens et connaissaient leurs sujets (un agrégé de lettres à l’Education, une pharmacienne à la Santé) ou bien des personnalités fortes. Rien à voir avec les larves choisies par Hollande ou les arrivistes style Macron…

          Si la sienne fut une présidence médiocre, ce n’est pas non plus tout de sa faute. Le président de la République a un pouvoir d’orientation, mais ce n’est ni un dictateur, ni un magicien. Il opère sur une société qui est ce qu’elle est, avec un rapport de forces déterminé. Il a bien entendu des marges de manœuvre, mais ces marges sont relativement étroites. Si De Gaulle a pu faire tant de choses en 1944 ou en 1960, c’est certes « parce que c’était De Gaulle », mais c’était surtout parce que le pays voulait ces avancées. Si en 2007 on avait eu De Gaulle à la place de Sarkozy, on aurait eu une présidence médiocre… ou bien serait-il parti au bout de quelques mois.

          • cdg dit :

            [Je ne sais pas ce que vous appelez « proche de ». Si le fait qu’une entreprise française vende des armes à un pays X implique une « proximité » personnelle entre le président français et le dirigeant de ce pays, alors vous trouverez chez n’importe lequel de nos présidents d’étranges « proximités ».]
            Ca dépend a qui vous vendez des armes.
            Vous avez des pays qui sont vos alliés et même si vous avez des relation personnelle execrable avec leur dirigeant, vous allez malgré tout collaborer avec.
            La présidence de Trump n a pas fondamentalement changé les achats d armes US des pays européens (Trump a même dit que la RFA était plutôt un ennemi https://www.the-independent.com/news/world/americas/us-politics/trump-germany-coronavirus-ww2-enemy-allies-russia-putin-a9435906.html ou encore ici ou la RFA et le japon en prennent pour leur grade https://www.thetrumpet.com/14498-germany-sees-donald-trump-as-an-enemy)
            A l inverse, quand vous avez un pays qui est depuis longtemps classé parmi les « hostiles », il est plus surprenant de lui fournir des armes. Vous imaginez Israel vendre des armes a la Syrie ou l iran ?
            [Quant au premier contact, vous m’excuserez si je ne prends pas les potins de « Gala » – surtout lorsqu’ils ne sont pas sourcés – pour de l’argent comptant.]
            Le premier contact Sarkozy/Poutine avait largement été commenté, et pas que par gala. La TV belge avait même emit l hypothese que Sarkozy n avait pas bu que de l eau avec Poutine (et comme Sarkozy ne boit pas, il en était sorti saoul). Reconnaissez que la version de gala est plus favorable a Sarkozy (si gala vous plait pas, j ai trouve une autre reference https://www.youtube.com/watch?v=HdOU2LDmAXI)
            [Je pense qu’il faut reconnaître à Sarkozy une qualité : il est capable de changer d’avis.]
            Dans le cas de Sarkozy, ca montre surtout que c est un opportuniste sans conviction. Comme l a dit E Faure, « c est pas la girouette qui tourne, c est le vent ». Sarkozy c est « 1 probleme ->1 loi ». que ca serve a rien n est pas grave, l important c est de montré que j agis
            [ Très vite il a vu la sagesse de la position gaullienne : la France ne peut jouer un rôle international que si elle surprend.]
            IL faut surtout avoir les moyen de sa politique. C est bien beau de parler d indépendance mais quand on doit demander des munitions aux USA car nos stocks de bombes sont vides (cas en Libye ou pourtant Kadafi était pas un adversaire majeur) …
            Comment voulez-vous être credible avec la chine par ex si vous allez leur expliquer que ce qu il font en mer ce chine est mal et puis ensuite les suppliez de vous acheter des airbus car votre balance commerciale est déficitaire…
             
            [D’abord, je crois me souvenir qu’en 1944 « le gros des morts » c’était les soviétiques.]
            Je parlais du front ouest. Si Staline aurait decreté qu il fallait laisser l alsace aux Allemands ca n aurait pas changé grand-chose vu que les USA était a la manœuvre (un peu comme le fait que les anglo saxon n ont rien pu faire pour aider la rebellion a Varsovie quand l armee rouge a décider de faire une pause et de laisser les allemands réprimer l insurrection)
             [ Mais passons. Je ne vois pas très bien le sens de votre analogie. Je n’imagine pas ce que pourrait être un « De Gaulle US », ni quel rapport ont ces situations avec les rapports entre Sarkozy et la Russie. ]
            Vous m avez mal compris. Vous remplacez Sarkozy par Collidge (n-2 de roosevelt). Vous avez alors un ancien president US qui dirait a De Gaulle qu il faut négocier avec les Nazi et que l alsace il peut oublier car après tout c est un territoire germanique
            [Cependant, je ne suis pas aussi négatif que vous. Dans le domaine de l’énergie qui est le mien et que je connais bien, il a impulsé une politique rationnelle – et notamment le retour au nucléaire – pour essayer de faire au mieux dans le carcan européen que lui avaient laissé ses prédécesseurs, et notamment le désastreux gouvernement de Jospin.]
            Tiens je croyais que vous étiez contre la loi NOME (vote en 2010 sous Sarkozy).
            [ Je pense qu’on peut aussi mettre à son crédit la gestion de la crise financière de 2008, dans laquelle il a eu le courage de suivre les keynésiens plutôt que les orthodoxes, ce qui n’est pas une mince performance.]
            Ah non, Sarkozy a ete a ce niveau une calamité. Soit en effet on aurait du avoir une politique libérale et laisser couler ce qui devait l être et pouvoir repartir sur des bases saines.
            Soit l etat intervenait et reprenait la main (ce qui n est pas ma tasse de the mais bon).
            Qu  a fait Sarkozy ? aucun des deux !
            Il a preté de l argent mais n a emis aucune condition (il en etait même fier en disant que ca avait rapporte plus que la caisse d epargne ☹ Il serait rentré au capital des banques par ex il aurait pu non seulement faire un profit 10 fois plus gros mais aussi peser sur les choix)
            D ailleurs on voit bien la nocivité des choix de cette époque car le probleme sous jacent n a pas été reglé, on a juste cree plus de dette
            [Si en 2007 on avait eu De Gaulle à la place de Sarkozy, on aurait eu une présidence médiocre… ou bien serait-il parti au bout de quelques mois.]
            Rien n est moins sur. Sarkozy avait été élu avec un vote d adhesion (contrairement a Hollande qui avait été élu surtout par un vote contre). Son attitude bling bling lui a rapidement aliéné des électeurs (ca a commence avant même son arrivé au pouvoir avec son mensonge sur le monastere qui était le yacht de Bolloré). Ensuite son absence de cap (ce que vous appelez sa faculté a changer d avis) n a pas arrangé les choses. De Gaulle avait une idée de ce que devait être la France. Sarkozy voyait la France comme un cheval qui devait lui permettre de mener grand train

            • Descartes dit :

              @ cdg

              [« Je ne sais pas ce que vous appelez « proche de ». Si le fait qu’une entreprise française vende des armes à un pays X implique une « proximité » personnelle entre le président français et le dirigeant de ce pays, alors vous trouverez chez n’importe lequel de nos présidents d’étranges « proximités ». » Ça dépend a qui vous vendez des armes. Vous avez des pays qui sont vos alliés et même si vous avez des relations personnelles exécrable avec leur dirigeant, vous allez malgré tout collaborer avec.]

              Je pensais plutôt à certains de nos clients dans le Golfe, en Afrique, en Amérique Latine… peut on dire que le régime de Videla était notre « allié » ? Cela ne nous a pas empêché de lui vendre des Exocet, qui ont fait merveille lors de la guerre des Malouines. Doit-on conclure que François Mitterrand était « proche » du dictateur argentin ? Même moi, qui déteste Mitterrand, ne songerai pas à lui attribuer de si noires amitiés…

              [A l’inverse, quand vous avez un pays qui est depuis longtemps classé parmi les « hostiles », il est plus surprenant de lui fournir des armes.]

              Depuis quand la Russie est classée par la France comme un pays « hostile » ? Nous avons depuis plus d’un demi-siècle des programmes de coopération nucléaire avec la Russie. Est-ce le genre de chose qu’on fait avec un pays jugé « hostile » ? Que je sache, « depuis longtemps » la Russie est un pays plutôt amical envers la France, et elle l’est resté aussi longtemps que la France a gardé une politique extérieure indépendante des intérêts américains. Les Etats-Unis, à l’inverse, nous ont imposé des sanctions, ont cherché à détacher nos anciennes colonies, ont imposé des amendes à nos entreprises… et on continue à les appeler « amis ». Avouez que c’est drôle…

              [Vous imaginez Israel vendre des armes à la Syrie ou l’Iran ?]

              Je ne vois pas le rapport. La Russie n’a pas, que je sache, entamé d’opérations militaires contre le territoire français au moins depuis l’époque napoléonienne. Il n’existe pas d’état de guerre entre la Russie et la France. Imaginez-vous une coopération nucléaire entre Israël et la Syrie ou l’Irak ? Non, bien sûr. Et pourtant, cela existe depuis plus d’un demi-siècle entre la France et la Russie…

              Pour les besoins de la cause – otanienne – on veut nous convaincre que la Russie est un état « hostile », prêt à faire la guerre à la France. Ici, vous assimilez les rapports franco-russes avec les rapports entre Israel et l’Iran, alors que l’Iran soutient des mouvements qui affichent leur volonté de rayer Israël de la carte et qu’Israel a organisé des sabotages et attentats sur le territoire iranien. Il ne faut pas se laisser intoxiquer. La France et la Russie n’ont aucun contentieux direct, et jusqu’à une date récente aucun des deux pays ne menace l’intégrité territoriale ou les intérêts économiques de l’autre. Arrêtons de dire n’importe quoi.

              [Le premier contact Sarkozy/Poutine avait largement été commenté, et pas que par gala.]

              Alors, citez quelque chose de plus sérieux à l’appui de vos dires…

              [La TV belge avait même émit l’hypothèse que Sarkozy n’avait pas bu que de l’eau avec Poutine (et comme Sarkozy ne boit pas, il en était sorti saoul). Reconnaissez que la version de gala est plus favorable a Sarkozy]

              Vous m’excuserez si je préfère les témoignages sourcés et les faits aux hypothèses et aux potins.]

              [(si gala vous plait pas, j ai trouve une autre référence (…))]

              Sauf que votre « référence » ne confirme en rien les expressions prêtées à Poutine par Gala… Il y a une différence entre dire que l’entrevue fut « violente », et prêter une expression précise à Poutine.

              [« Je pense qu’il faut reconnaître à Sarkozy une qualité : il est capable de changer d’avis. » Dans le cas de Sarkozy, ça montre surtout que c’est un opportuniste sans conviction. Comme l’a dit E Faure, « ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent ».]

              Je n’ai pas l’impression que le « vent » tourne dans le sens de la bienveillance envers Poutine. Si Sarkozy est une girouette, alors il vous faut admettre qu’il tourne CONTRE le vent. Ce qui rend l’accusation d’opportunisme plutôt hors de propos… et ce n’est pas la première fois : on l’a vu souvent dans sa carrière prendre des positions qui allaient contre le courant. Tout le contraire d’Edgar Faure…

              [Sarkozy c’est « 1 problème ->1 loi ». Que ça ne serve a rien n’est pas grave, l’important c’est de montré que j’agis]

              Mais n’est ce pas là ce que les Français demandent ? D’ailleurs, lorsqu’il a fini son mandat, les Français ont élu à sa place quelqu’un qui, en matière de trucs qui ne servent à rien, est allé bien plus loin. Vous vous souvenez de la « médaille des victimes » ?

              [« Très vite il a vu la sagesse de la position gaullienne : la France ne peut jouer un rôle international que si elle surprend. » Il faut surtout avoir les moyens de sa politique. C’est bien beau de parler d’indépendance mais quand on doit demander des munitions aux USA car nos stocks de bombes sont vides (cas en Libye ou pourtant Kadafi n’était pas un adversaire majeur) … Comment voulez-vous être crédible avec la chine par ex si vous allez leur expliquer que ce qu’ils font en mer de chine est mal et puis ensuite les suppliez de vous acheter des airbus car votre balance commerciale est déficitaire…]

              Mais pourquoi voulez-vous qu’on aille expliquer aux Chinois que ce qu’ils font en mer de Chine est mal ? Est-ce que les Chinois viennent nous expliquer que ce que nous faisons en Méditerranée n’est pas bien ? Avant de se donner les moyens de sa politique, il faut en avoir une. Et expliquer aux autres que ce qu’ils font est mal, ce n’est pas une politique. Que la mer de Chine soit une mer chinoise plutôt qu’une mer américaine, ce n’est pas notre problème.

              Je ne vous dirai pas que je partage toutes les positions de Sarkozy en politique extérieure – et en particulier l’intervention en Lybie, qui fut une concession aux fantasmes des Américains. Mais il ne faut pas trop charger la barque : avec l’héritage économique laissé par son prédécesseur et l’incohérence de sa majorité, on pouvait difficilement attendre des miracles quand bien même on aurait eu à l’Elysée un autre De Gaulle.

              [« D’abord, je crois me souvenir qu’en 1944 « le gros des morts » c’était les soviétiques. » Je parlais du front ouest.]

              Je ne vois pas pourquoi vous vous limitez au front Ouest.

              [Si Staline aurait décrété qu’il fallait laisser l’Alsace aux Allemands ca n’aurait pas changé grand-chose vu que les USA était à la manœuvre]

              C’est loin d’être évident. C’était les soviétiques qui « étaient à la manœuvre » lorsqu’il s’agissait de fixer les frontières orientales de la Pologne, et pourtant l’affaire fut discutée entre les « trois grands » à Yalta. Si Staline avait mis sur le tapis la question des frontières orientales de la France, l’affaire aurait probablement été discutée aussi – et je me demande si les anglo-saxons n’auraient pas été ravis de donner l’Alsace à l’Allemagne pour emmerder De Gaulle – souvenez-vous de l’affaire de l’AMGOT. Mais pour autant qu’on sache l’affaire n’a pas été discuté, peut-être parce que Staline a) s’en foutait et b) parce qu’il avait tout intérêt au contraire à faire une fleur à De Gaulle pour emmerder les anglo-saxons.

              [(un peu comme le fait que les anglo-saxon n’ont rien pu faire pour aider la rébellion à Varsovie quand l’armée rouge a décidé de faire une pause et de laisser les allemands réprimer l’insurrection)]

              Vous voulez dire quand les mouvements de résistance anticommunistes ont décidé à contretemps d’organiser une insurrection pour mettre l’armée rouge devant le fait accompli, et que l’armée rouge refusa de leur tirer les marrons du feu ? Un peu comme si Leclerc s’était précipité sur Paris sans l’accord des Américains pour essayer de les prendre de vitesse…

              [« Mais passons. Je ne vois pas très bien le sens de votre analogie. Je n’imagine pas ce que pourrait être un « De Gaulle US », ni quel rapport ont ces situations avec les rapports entre Sarkozy et la Russie. » Vous m’avez mal compris. Vous remplacez Sarkozy par Collidge (n-2 de roosevelt). Vous avez alors un ancien président US qui dirait a De Gaulle qu’il faut négocier avec les Nazis et que l’Alsace il peut oublier car après tout c’est un territoire germanique]

              Les américains ont fait beaucoup mieux : ils ont suscité un opposant à De Gaulle en la personne du général Giraud (et je ne parle même pas de l’épisode Darlan). Un peu comme si Macron avait fait monter un opposant à Zelenski… et plus tard, ils ont forcé le gouvernement français à accepter le réarmement de l’Allemagne. Ce n’est certes pas l’Alsace, mais presque…

              [« Cependant, je ne suis pas aussi négatif que vous. Dans le domaine de l’énergie qui est le mien et que je connais bien, il a impulsé une politique rationnelle – et notamment le retour au nucléaire – pour essayer de faire au mieux dans le carcan européen que lui avaient laissé ses prédécesseurs, et notamment le désastreux gouvernement de Jospin. » Tiens je croyais que vous étiez contre la loi NOME (vote en 2010 sous Sarkozy).]

              La loi NOME est la conséquence des engagements pris par Jospin au sommet de Barcelone. Dans la logique d’ouverture du marché de l’électricité, acceptée à cette occasion, la seule façon d’éviter le démantèlement d’EDF en plusieurs entreprises concurrentes – et donc le morcellement du parc nucléaire – était d’accepter la vente de l’électricité à prix cassé pour permettre d’instaurer la sacro-sainte « concurrence ». Sarkozy n’avait donc pas vraiment le choix, sauf à sortir de l’UE… ou accepter le démantèlement de l’électricien national. Je pense que la loi NOME est une catastrophe, mais que l’alternative était cent fois pire.

              [« Je pense qu’on peut aussi mettre à son crédit la gestion de la crise financière de 2008, dans laquelle il a eu le courage de suivre les keynésiens plutôt que les orthodoxes, ce qui n’est pas une mince performance. » Ah non, Sarkozy a été a ce niveau une calamité. Soit en effet on aurait du avoir une politique libérale et laisser couler ce qui devait l’être et pouvoir repartir sur des bases saines.
              Soit l’état intervenait et reprenait la main (ce qui n’est pas ma tasse de thé mais bon).]

              Laisser « couler », cela suppose que les gens qui « coulent » peuvent se permettre de manger des racines en attendant que « cela reparte sur des bases saines ». Je vous conseille de lire ou relire le bouquin de Guaino, « pour en finir avec l’économie du sacrifice ». Il explique pourquoi le raisonnement économique purement sur le long terme est politiquement désastreux. Sarkozy a choisi la deuxième solution, et cela a plutôt bien marché (pensez à l’affaire Alsthom).

              [Il a prêté de l’argent mais n’a émis aucune condition (il en était même fier en disant que ça avait rapporté plus que la caisse d’épargne) Il serait rentré au capital des banques par ex il aurait pu non seulement faire un profit 10 fois plus gros mais aussi peser sur les choix)]

              Je ne pense pas qu’il aurait fait un profit beaucoup plus important, et je ne vois pas très bien quel est le « choix » qu’il aurait pu impulser. Je pense au contraire qu’une entrée au capital de l’Etat en proportion suffisante pour peser sur les choix aurait provoqué une véritable panique, avec un retrait des investisseurs privés craignant que l’Etat utilise le système bancaire pour faire avancer des objectifs politiques. Soyons sérieux : en 2008, l’objectif était d’éviter la panique, pas de nationaliser le crédit. J’aurais été ravi qu’il le fasse, mais je doute que sa majorité ait été préparée pour cela.

              [D’ailleurs on voit bien la nocivité des choix de cette époque car le problème sous-jacent n’a pas été réglé, on a juste crée plus de dette]

              Je ne vois pas très bien quel est le « problème sous-jacent »…

              [« Si en 2007 on avait eu De Gaulle à la place de Sarkozy, on aurait eu une présidence médiocre… ou bien serait-il parti au bout de quelques mois. » Rien n’est moins sûr. Sarkozy avait été élu avec un vote d’adhésion (contrairement a Hollande qui avait été élu surtout par un vote contre).]

              Oui, mais d’adhésion à quoi, exactement ? L’adhésion à Sarkozy, c’était plus l’adhésion à un style que l’adhésion à un projet.

      • Rogers dit :

        À la réflexion, une chose m a frappé dans la réaction de Bayou : une manière de criminaliser toute position différente iu même une autre réflexion sur la question russo ukrainienne: il dit cela parce qu’il est payé par Poutine. Point barre. Or, même à supposer que Sarkozy soit à la solde de la Russie, il n en demeure pas moins que le contenu du discours n est pas sans pertinence et mérite au moins d être débattu. La réaction de Bayou en dit long sur l etat du debat en France… 

        • Descartes dit :

          @ Rogers

          [À la réflexion, une chose m a frappé dans la réaction de Bayou : une manière de criminaliser toute position différente ou même une autre réflexion sur la question russo ukrainienne: il dit cela parce qu’il est payé par Poutine. Point barre.]

          Certains vous diront que ce n’est pas nouveau. En 1939, les députés communistes sont déchus, les militants communistes sont mis en prison pour avoir approuvé le pacte de non-agression entre l’URSS et l’Allemagne. A l’époque, on accusait aussi le parti communiste d’être “payé par Staline”. Avouez que le parallèle est saisissant…

          Mais bien sur, comparaison n’est pas raison, et le monde hyper-médiatisé d’aujourd’hui est difficilement comparable à celui des années 1930. L’hyper-médiatisation a renforcé le manichéisme jusqu’à l’absurde. Plus que jamais, on voit la politique comme un film de Disney: il y a les méchants et les gentils. Et les méchants, puisqu’ils sont méchants, sont forcément de mèche entre eux. Et à l’opposé, les gentils, puisqu’ils sont gentils, doivent se soutenir puisqu’ils ont les mêmes intérêts. Aucune voix dissonante n’est donc permise: si vous n’êtes pas d’accord avec les gentils, vous êtes forcément un agent des méchants.

  17. El dit :

    Je vous remercie pour votre point de vue qui, comme toujours, possède le mérite de nous faire réfléchir.
    J’aurais apprécié que vous abordiez le sujet de la responsabilité qu’entraîne la détention par les policiers du monopole légal de la violence et du devoir d’exemplarité que cela nécessite. Si un policier détient ce droit légal qui lui confère un pouvoir immense au fond (possibilité de vie ou de mort sur autrui, vous, moi, votre enfant, le mien, etc.), ne doit-il pas être d’autant plus responsable de ses actes? Quelles conséquences cela a-t-il ? Les « affaires » défrayant la chronique, dans lesquelles les policiers sont mis en détention provisoire démontrent que le juge a une raison légitime d’ordonner cette mise en détention provisoire. D’ailleurs tous les policiers « incriminés » dans une affaire ne sont pas systématiquement mis en détention provisoire. Alors pourquoi défendre le policier contre le juge tel que cela se comprend de votre article ? Ce que vous dites à juste titre sur la perte d’autorité du policier dans notre monde me paraît attaquer de la même manière le juge si l’on se met à douter de la juste décision du juge qui met en détention provisoire un policier. Ce paradoxe de votre part m’étonne…
    Je voit remercie plus globalement pour tous vos articles qui sont des mines de réflexion.

    • Descartes dit :

      @ EI

      [J’aurais apprécié que vous abordiez le sujet de la responsabilité qu’entraîne la détention par les policiers du monopole légal de la violence et du devoir d’exemplarité que cela nécessite.]

      Pourquoi restreindre la question à la seule « violence » physique ? La détention d’une autorité légitime – c’est-à-dire, du pouvoir légitimé par la société d’imposer ses décisions aux autres – implique une responsabilité, mais aussi une « exemplarité » sans laquelle la légitimité en question risque d’être remise en cause. En quoi le policier-voyou manque-t-il plus à ses devoirs que le patron-voyou ? En quoi le manque d’exemplarité chez le policier porte plus atteinte à l’institution que celle du juge, de l’enseignant, du médecin, du patron ?

      Je ne crois pas qu’il faille exiger de la police une responsabilité et une exemplarité particulière du seul fait qu’elle détient le monopole légitime de la violence physique. La responsabilité et l’exemplarité sont les conditions de la légitimité quelque soit la nature de l’autorité qui s’exerce, et devrait être d’autant plus exigeante que l’autorité exercée est plus élevée. Un policier ripoux doit être puni, mais un ministre de l’Intérieur ripoux devrait l’être bien plus gravement.

      Ce qui différentie le policier de l’enseignant, du patron, du médecin, du juge, c’est qu’il est autorisé à porter une arme sur la voie publique. Mais il n’est pas le seul : des gardes privés, des convoyeurs de fonds, certains individus particulièrement menacés ont eux aussi cette autorisation. En quoi la position du policier est différente ? En quoi devrait-on exiger de lui une « responsabilité » et une « exemplarité » particulière ?

      Ce n’est donc pas le fait qu’il détienne « le monopole légal de la violence » qui crée chez le policier une responsabilité ou un devoir d’exemplarité particulier. On peut d’ailleurs contester l’idée que la police ou l’armée détiennent « le monopole légal de la violence ». Le juge qui vous fait enfermer en prison accomplit, lui aussi, une « violence ». C’est l’Etat en tant que tel, et non tel ou tel corps qui détient « le monopole de la violence légitime ».

      [Si un policier détient ce droit légal qui lui confère un pouvoir immense au fond (possibilité de vie ou de mort sur autrui, vous, moi, votre enfant, le mien, etc.), ne doit-il pas être d’autant plus responsable de ses actes ?]

      Le « pouvoir de vie ou de mort », nous l’avons tous. Je peux demain prendre une hache et défoncer la tête de mon voisin. Le policier n’a pas plus le « droit légal » de vous tuer que n’importe quel autre citoyen : il ne peut utiliser son arme que dans une situation de légitime défense. Le seul droit que la loi lu confère, et que vous n’avez pas, c’est d’utiliser la force – toujours de manière proportionnée – pour maintenir l’ordre public. Le « monopole de la violence légitime » de l’Etat implique que toute violence qui n’est pas prévue par la loi est illégitime. Cela n’implique nullement que toute violence est légitime dès lors qu’elle est exercée par un agent de l’Etat.

      Encore une fois, vous confondez « droit » et « possibilité ». Le policier a la « possibilité » de se servir de son arme pour vous tuer, mais il n’a pas pour autant le « droit ». Et le policier n’a dans cette matière aucune possibilité que n’aient tous ceux qui ont l’autorisation de porter une arme dans la voie publique.

      [Quelles conséquences cela a-t-il ? Les « affaires » défrayant la chronique, dans lesquelles les policiers sont mis en détention provisoire démontrent que le juge a une raison légitime d’ordonner cette mise en détention provisoire.]

      Je ne comprends pas le raisonnement. Un juge peut mettre quelqu’un en détention provisoire pour beaucoup de raisons. Certaines sont « légitimes » – au sens qu’elles sont prévues par le code de procédure pénale – d’autres pas, comme par exemple, la pression médiatique et le besoin de calmer le jeu. Je pourrais vous donner une longue liste de fonctionnaires – tous corps confondus – qui ont servi ici et là de boucs émissaires avec la pleine collaboration de l’appareil judiciaire. Pensez aux policiers accusés d’avoir laissé mourir électrocutés Bouna Traoré et Zyed Benna. Une procédure judiciaire qui a duré dix ans… et où les juges ont à tous les étages voulu un procès, alors que les procureurs successifs ont toujours conclu à un non-lieu. L’affaire s’est terminée par une relaxe devant le tribunal correctionnel de Rennes, dont le président avait insisté lourdement sur les pressions politiques qu’il avait subi.

      Alors, le fait que le juge ait mis des policiers en détention provisoire ne « démontre » rien du tout. Pensez-vous d’ailleurs qu’en absence de toute l’agitation médiatique et des émeutes provoquées par la mort de Nahel le policier auteur du tir aurait été mis en détention préventive ?

      [D’ailleurs tous les policiers « incriminés » dans une affaire ne sont pas systématiquement mis en détention provisoire. Alors pourquoi défendre le policier contre le juge tel que cela se comprend de votre article ?]

      Je ne « défends » personne contre personne. Je ne dispose pas du dossier, et je n’ai donc pas les moyens d’avoir une opinion. Et mon article ne contient aucune prise de position à ce sujet. Ce n’est pas parce que j’estime que les critiques contre l’expression de Frédéric Veaux sont excessives que je suis d’accord avec lui.

      Vous avez parlé plus haut de la « responsabilité » et de « l’exemplarité » particulière qu’on est en droit d’exiger du policier. Mais ne pensez-vous pas qu’en contrepartie de cette exigence, le policier doit bénéficier d’une bienveillance, d’une protection particulière ? Après tout, nous l’envoyons pour intervenir dans des situations dangereuses, où il est forcé de faire en quelques secondes – voire en quelques dixièmes de seconde – des choix vitaux. Ne mérite-t-il une certaine bienveillance lorsqu’il fait un choix qui semble erroné ? Ou doit-on au contraire le tenir pour suspect de vouloir se soustraire à la justice, falsifier des preuves et des témoignages, ou récidiver dans son acte, qui sont les éléments qui permettent de mettre quelqu’un en détention préventive ?

      [Ce que vous dites à juste titre sur la perte d’autorité du policier dans notre monde me paraît attaquer de la même manière le juge si l’on se met à douter de la juste décision du juge qui met en détention provisoire un policier. Ce paradoxe de votre part m’étonne…]

      Pourriez-vous m’indiquer un paragraphe, un seul, dans lequel j’aurais mis en doute la « juste décision du juge » dans cette affaire ?

      Accessoirement, vous noterez que les juges n’ont en rien perdu leur autorité. Les prévenus ne se permettent pas de cracher sur les juges, de les insulter, ou de leur jeter des pierres. Et quand le juge vous condamne à une amende, on vous force à la payer. A l’inverse, on se permet d’insulter le policier, de lui cracher dessus, de le caillasser…

  18. marc.malesherbes dit :

     
    comme beaucoup de vos lecteurs, je trouve ce billet particulièrement réussi, et j’en profite pour vous dire mon admiration pour votre talent.
     
    les commentaires ont fait une large place au rôle international de la France, et j’ai pu constater une fois de plus votre penchant « pro-Russe » qui vous fait croire que ce serait l’intérêt de la France de la soutenir dans son invasion de l’Ukraine, alors que ce serait une tragique erreur pour notre avenir (vous vous souvenez de notre complaisance vis à vis de l’Allemagne lors de l’entre deux guerre et de la conséquence tragique de cette erreur)
    Vous allez jusqu ‘à écrire
    « Il y a aussi un lien affectif entre la France et la Russie, non ? « 
    Certes c’est sans doute vrai pour une petite minorité, en particuliers les communistes et certains des anciens communistes, pour Mélenchon et ses soutiens des banlieues, ainsi que pour certains militants d’extrême droite. On peut y ajouter quelques intellectuels toujours séduits par les pouvoirs forts. Et même quelques politiciens sur le retour avides de faire parler d’eux et stipendiés comme Sarkosy et Fillon. Mais tout cela ne fait pas grand monde.
     
    Je ne connais personne qui admire et aimerait vivre dans le « grand empire russe » acteur de tant de barbaries et si dur envers sa population si pauvre.

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [les commentaires ont fait une large place au rôle international de la France, et j’ai pu constater une fois de plus votre penchant « pro-Russe » qui vous fait croire que ce serait l’intérêt de la France de la soutenir dans son invasion de l’Ukraine,]

      Si point de vue est motivé par ce que je crois être « l’intérêt de la France », alors plus que d’un « penchant pro-Russe » je serais victime d’un penchant « pro-Français », non ?

      [alors que ce serait une tragique erreur pour notre avenir (vous vous souvenez de notre complaisance vis à vis de l’Allemagne lors de l’entre deux guerre et de la conséquence tragique de cette erreur)]

      Je me souviens surtout de notre penchant anti-Russe dans les années 1930, un penchant qui a aveuglé une bonne partie de nos élites et leur a fait oublier d’où venait la menace principale. Cette erreur-là a eu des conséquences bien plus tragiques… et apparemment, nous n’avons rien appris. Nous sommes prêts à suivre comme des moutons une puissance qui sabote notre diplomatie, qui utilise sa justice extraterritoriale pour faire chanter nos entreprises et nos banques… et à soutenir des opérations militaires contre un pays qui ne nous a jamais rien fait – au moins depuis la défaite de Napoléon.

      Mais je ne suis pas convaincu que la référence permanente aux années 1930 soit très éclairante. Contrairement à l’Allemagne de cette époque, la Russie n’a pas de contentieux avec la France, elle n’a pas à venger une défaite humiliante. Elle n’est pas non plus un pays densement peuplé et contraint par des frontières étroites, recherchant de « l’espace vital », au contraire. La comparaison est donc saugrenue, et n’a d’autre but que de faire appel à l’émotion que suscite le souvenir du nazisme. Le point Goodwin à l’état pur.

      [Vous allez jusqu ‘à écrire « Il y a aussi un lien affectif entre la France et la Russie, non ? » Certes c’est sans doute vrai pour une petite minorité, en particuliers les communistes et certains des anciens communistes, pour Mélenchon et ses soutiens des banlieues, ainsi que pour certains militants d’extrême droite. On peut y ajouter quelques intellectuels toujours séduits par les pouvoirs forts. Et même quelques politiciens sur le retour avides de faire parler d’eux et stipendiés comme Sarkosy et Fillon. Mais tout cela ne fait pas grand monde.]

      Pourriez-vous m’indiquer d’où vous tirez que Sarkozy est un « politicien stipendié » ? C’est tout de même amusant. Une longue liste de politiciens français ont reçu de l’argent des Américains, par exemple à travers le programme « Young Leaders », dont le but avoué est d’influencer la politique française. Pour ne donner que quelques exemples : Pierre Moscovici, Valérie Pécresse, Alain Juppé, Rokhaya Diallo, Marisol Touraine, Najat Vallaud-Belkacem. Et personne ne parle d’eux comme étant « stipendiés ». Mais il suffit d’accepter un contact avec une entreprise russe, et vous voilà « stipendié ». Etonnant, non ?

      Je pense que le lien affectif avec la Russie est bien plus profond que vous ne le pensez, et ne se réduit pas à quelques militants nostalgiques, à quelques politiciens marginaux. Vous avez peut-être oublié je pense que des millions de citoyens soviétiques sont morts pour battre l’Allemagne. Et pour beaucoup de Russes, la France reste une référence.

      [Je ne connais personne qui admire et aimerait vivre dans le « grand empire russe » acteur de tant de barbaries et si dur envers sa population si pauvre.]

      Je ne vois pas très bien le rapport avec la choucroute. Vous ne connaissez probablement personne qui ait envie de vivre en Ukraine, et cela ne vous empêche pas de soutenir ce pays. La question est ici de savoir quel est l’intérêt de la France dans l’affaire. L’écrasement de la Russie éliminerait l’un des rares contrepoids à la toute-puissance américaine. Ce n’est donc pas notre intérêt que la Russie soit écrasée.

      • Bob dit :

        @ Descartes
        [Nous sommes prêts à suivre comme des moutons une puissance qui sabote notre diplomatie, qui utilise sa justice extraterritoriale pour faire chanter nos entreprises et nos banques…
        L’écrasement de la Russie éliminerait l’un des rares contrepoids à la toute-puissance américaine. Ce n’est donc pas notre intérêt que la Russie soit écrasée.]
         
        Ces remarques de pur bon sens crèvent les yeux. Et pourtant les exprimer fait quasiment de celui qui le dit un traitre à la Nation.
        Je le vois dans mon milieu professionnel, où certains de mes collègues pourtant loin d’être bêtes n’acceptent même pas le début d’un débat, leur (quasi unique) argument étant “je préfèrerais vivre aux Etats-Unis que sous la dictature russe”. Au niveau du pays, idem, le débat n’existe pas.
        Y voyez-vous une explication ?

        • Descartes dit :

          @ Bob

          [Je le vois dans mon milieu professionnel, où certains de mes collègues pourtant loin d’être bêtes n’acceptent même pas le début d’un débat, leur (quasi unique) argument étant “je préfèrerais vivre aux Etats-Unis que sous la dictature russe”. Au niveau du pays, idem, le débat n’existe pas.
          Y voyez-vous une explication ?]

          Je peux vous en proposer une. Entrer dans le débat, c’est devoir assumer qu’on est prêt à souscrire à l’abaissement de la France pour suivre ses propres intérêts. Pour moi, c’est encore un exemple de la divergence des intérêts entre le « bloc dominant » et les couches populaires. Le « bloc dominant » se fout de l’autonomie stratégique de la France, de sa capacité à suivre sa propre voie, de faire ses propres règles, de mettre en œuvre des politiques originales. S’enrichir à l’ombre du parapluie américain, cela leur va parfaitement. Bien entendu, cela suppose de se soumettre aux règles que font les Américains, donc de « vivre » comme eux. D’où cette question de « où vous préférez vivre ? ». Le « bloc dominant » se projette déjà dans l’idée de « vivre aux Etats-Unis », ou plutôt de « vivre COMME aux Etats-Unis ».

          • Bob dit :

            @ Descartes
             
            Merci pour ces idées.
            Au passage, je n’avais jamais demandé “où préfèrerais-tu vivre ?”, mais l’argument “je préfèrerais vivre…” me fut donné d’entrée de jeu, et un peu comme une manière de clore tout débat avant même de commencer à discuter.
             
            Pour élargir, le fait que des armes (et donc aussi des millions d’euros) soient envoyées en Ukraine sans aucun débat, que ce soit au niveau national ou européen – où des gens non-élus prennent cette décision -, et que cela ne suscite pas de réactions me laisse pantois, autant le fait même que l’absence de réactions. Mais j’arrête là, car ce n’est pas le sujet de ce post.

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [Au passage, je n’avais jamais demandé “où préfèrerais-tu vivre ?”, mais l’argument “je préfèrerais vivre…” me fut donné d’entrée de jeu, et un peu comme une manière de clore tout débat avant même de commencer à discuter.]

              S’il est ainsi, la chose est encore plus intéressante. Cela montre combien pour votre ami le débat ne porte pas sur une question globale (quelle est la société la plus libre, la plus riche, la plus créative, la plus sûre, la plus…) mais sur une question purement personnelle (« JE préférerais vivre… »). Autrement dit, le JE conditionne tout. Une société ou JE préfère vivre est par essence supérieure aux autres. Pour résumer, « les Américains ont raison parce que JE préfère vivre chez eux ».

              [Pour élargir, le fait que des armes (et donc aussi des millions d’euros) soient envoyées en Ukraine sans aucun débat, que ce soit au niveau national ou européen – où des gens non-élus prennent cette décision -, et que cela ne suscite pas de réactions me laisse pantois, autant le fait même que l’absence de réactions.]

              Pourquoi débattre, puisque c’est une « évidence » ? Poutine est un salaud, c’est incontestable et indiscutable. Et puisque nous sommes les gentils, notre devoir est de nous opposer aux méchants. Le débat politique n’est possible que s’il est clairement distingué du débat moral. Parce que le débat politique a pour but de trouver la meilleure politique pour faire avancer nos intérêts, et non pour gagner le paradis.

        • marc.malesherbes dit :

           
          @ Bob
           
          vous écrivez :
          « Je le vois dans mon milieu professionnel, où certains de mes collègues pourtant loin d’être bêtes n’acceptent même pas le début d’un débat, leur (quasi unique) argument étant “je préfèrerai vivre aux Etats-Unis que sous la dictature russe”.
          Cela montre bien qu’il n’y a pas de lien « affectif » avec la Russie dans de larges couches de la population. Vous estimez d’ailleurs que «Au niveau du pays, idem » (ce serait également intéressant d’avoir le témoignage direct de personnes entourées d’un milieu ouvrier, employé, des banlieues …)L’argument avancé par ceux-ci “je préfèrerais vivre aux Etats-Unis que sous la dictature russe” est un fort bon argument. Il montre clairement que pour eux que les USA sont moins pire que la Russie.
          Vous pouvez d’ailleurs être d’un autre avis, et préférer vivre en Russie.
           
          « le débat n’existe pas »
          Mais si , le débat consiste à échanger des arguments rationnels, et c’est maintenant à vous d’expliquer pourquoi ils se trompent et vivraient bien mieux en Russie.
           
          Pour une fois que la « real politique », soutenir les Ukrainiens contre notre ennemi la Russie (1), rejoint la morale, soutenir un peuple agressé, et on ne peut que s’en réjouir.
           
           
          (1) je rappelle que c’est la Russie qui nous a déclaré son ennemi. et a menacé de multiple fois de nous « nucléariser » par officiels et média officiels interposés. Comme toujours on ne choisit pas ses ennemis, c’est eux qui vous déclarent « ennemi ».

          • Descartes dit :

            @ marc.malesherbes

            [« Je le vois dans mon milieu professionnel, où certains de mes collègues pourtant loin d’être bêtes n’acceptent même pas le début d’un débat, leur (quasi unique) argument étant “je préfèrerai vivre aux Etats-Unis que sous la dictature russe”. » Cela montre bien qu’il n’y a pas de lien « affectif » avec la Russie dans de larges couches de la population.]

            Tout au plus, cela prouverait « qu’il n’y a pas de lien « affectif » avec la Russie » dans le milieu professionnel de Bob. Je doute que ce milieu représente « des larges couches de la population ».

            [Vous estimez d’ailleurs que « Au niveau du pays, idem » (ce serait également intéressant d’avoir le témoignage direct de personnes entourées d’un milieu ouvrier, employé, des banlieues…)]

            En effet, en effet. J’attire tout de même votre attention sur le fait que le parti qui aujourd’hui représente le mieux le vote des couches populaires est régulièrement dénoncé comme ayant des liens étroits avec la Russie, et que cette dénonciation ne semble pas lui avoir porté tort. C’était déjà le cas du temps ou le PCF représentait les couches populaires… quant aux « banlieues », là encore il ne semble pas que la mansuétude d’un Mélenchon envers la Russie lui ait porté tort. Ce qui conduit à penser que l’animosité envers la Russie dont fait preuve le « bloc dominant » n’est pas partagée par les couches populaires…

            [L’argument avancé par ceux-ci “je préfèrerais vivre aux Etats-Unis que sous la dictature russe” est un fort bon argument. Il montre clairement que pour eux que les USA sont moins pire que la Russie.]

            Pas tout à fait. Tout au plus, cela démontrerait que la vie aux USA est « moins pire » qu’en Russie POUR LA PERSONNE QUI LE DIT. Car la qualité de vie dans tel ou tel pays n’est pas la même selon que vous soyez riche ou pauvre, noir ou blanc… Il est clair que si on est juif, il vaut mieux vivre en Israël qu’en Iran. Si vous êtes arabe, c’est l’inverse. Si vous êtes milliardaire, la vie aux Bahamas est fort agréable. Si vous êtes pauvre, non.

            Mais surtout, la question posée ici n’est pas de choisir si l’on préfère de vivre en Russie ou aux Etats-Unis, mais où est notre intérêt dans le conflit en cours. Parce que quand bien même la vie aux Etats-Unis serait paradisiaque et la vie en Russie infernale, nous n’aurions pas pour autant à gagner à ce que la Russie soit écrasée par les Etats-Unis. Il est amusant de constater que dans certaines classes on justifie une position en politique internationale non pas en fonction de l’intérêt de la France, mais de ses préférences de vie…

            [Vous pouvez d’ailleurs être d’un autre avis, et préférer vivre en Russie.]

            Mais ais-je le droit d’être d’un autre avis, et n’avoir aucune envie de vivre ni en Russie, ni aux Etats-Unis ?

            [Mais si , le débat consiste à échanger des arguments rationnels, et c’est maintenant à vous d’expliquer pourquoi ils se trompent et vivraient bien mieux en Russie.]

            Mais qui vous dit qu’ils se trompent ? Ils ont parfaitement raison : ils vivraient bien mieux aux Etats-Unis. On vit toujours mieux chez les riches que chez les pauvres. Et alors ? Le débat ne porte pas sur le fait de savoir où l’on vivrait mieux, mais si la France a ou non intérêt à soutenir la position américaine en Ukraine. Et pour répondre à cette question, le fait qu’on vive mieux aux Etats-Unis qu’en Russie n’apporte absolument rien.

            [Pour une fois que la « real politique », soutenir les Ukrainiens contre notre ennemi la Russie (1), rejoint la morale, soutenir un peuple agressé, et on ne peut que s’en réjouir.]

            Je ne me souviens pas qu’on ait soutenu le peuple irakien, agressé par les Américains. Et nous n’avons certainement pas soutenu le peuple serbe, agressé par une coalition dont nous étions d’ailleurs membres pour leur ravir le Kossovo. On peut donc se demander quelles sont les règles qui régissent font que, parmi les « peuples agressés », certains sont dignes de notre soutien et d’autres pas…

            [(1) je rappelle que c’est la Russie qui nous a déclaré son ennemi.]

            Et vous avez tort. Je vous mets au défi de m’indiquer à quelle occasion la Russie à déclaré que la France était « ennemie ». Ce sont au contraire nos dirigeants qui les premiers se sont engagés sur ce terrain : souvenez-vous de Bruno Le Maire déclarant « nous sommes en guerre avec la Russie ».

            Plutôt que de les inventer, mieux vaut rappeler les faits : la Russie a attaqué l’Ukraine. Elle n’a pas attaqué la France, ni d’ailleurs aucun pays lié par un traité d’assistance avec l’Ukraine. La Russie n’a pris l’initiative d’aucun acte hostile envers la France, ni d’ailleurs envers aucun de nos allies. C’est la France, suivant en cela les Américains et la bureaucratie bruxelloise qui a pris l’initiative des premiers actes hostiles : sanctions économiques, fourniture de renseignements, d’argent et d’armes à l’Ukraine. Ce n’est donc pas la Russie qui nous a « déclaré son ennemi », c’est nous qui nous sommes comportés en ennemis de la Russie, nous considérant même, par la bouche d’un ministre – vite démenti d’ailleurs – comme « en guerre avec la Russie ».

            [et a menacé de multiple fois de nous « nucléariser » par officiels et média officiels interposés.]

            Là encore, pourriez-vous rappeler en quelle occasion la Russie a menacé de « nucléariser la France » ?

            [Comme toujours on ne choisit pas ses ennemis, c’est eux qui vous déclarent « ennemi ».]

            Bien sur que si. Par exemple, lors de l’invasion de l’Irak, nous avons choisi de ne pas devenir les ennemis des Américains : nous n’avons pas cherché à les sanctionner, nous n’avons pas aidé Saddam Hussein. Lors de l’invasion de l’Ukraine, nous avons choisi au contraire de faire de la Russie un ennemi, en la sanctionnant et en aidant les Ukrainiens. On ne choisit pas celui qui vous attaque, mais lorsqu’il s’agit de guerres dans lesquelles vous n’êtes pas engagé, vous pouvez choisir votre camp et donc vos ennemis.

            Vous êtes-vous demandé ce qui se serait passé si nous avions sanctionné les Américains et aidé Saddam Hussein lors de l’invasion de l’Irak. Pensez-vous que les Américains nous auraient conservé leur « amitié » ? Non, ils nous auraient considéré comme leur ennemi, et ils auraient eu raison. Pour beaucoup moins que ça – un simple vote à l’ONU – nous avons eu droit à des sanctions. Et des menaces bien plus sérieuses que celle de Poutine de nous « nucléariser ». Auriez-vous oublié « today Baghdad, tomorrow Paris » ?

  19. Geo dit :

     
    À Descartes
    [Je pense que le lien affectif avec la Russie est bien plus profond que vous ne le pensez, et ne se réduit pas à quelques militants nostalgiques, à quelques politiciens marginaux. Vous avez peut-être oublié je pense que des millions de citoyens soviétiques sont morts pour battre l’Allemagne. Et pour beaucoup de Russes, la France reste une référence.]
    Plus profond et plus ancien: Qu’on relise Jules Verne, par exemple “Les aventures d’Hector Servadac à travers le monde solaire“, et on verra que la Russie Tzariste faisait l’objet de cette affection à l’époque. Il y a là un portrait très positif d’un aristocrate russe. (Le repoussoir du bouquin est un juif prussien. Eh! oui. Verne n’était pas un exemple, mais il est typique de son temps.)

    • Descartes dit :

      @ Geo

      [Plus profond et plus ancien: Qu’on relise Jules Verne, par exemple “Les aventures d’Hector Servadac à travers le monde solaire“, et on verra que la Russie Tzariste faisait l’objet de cette affection à l’époque.]

      C’est encore plus net dans “Michel Strogoff”, qui dépeint une Russie idéalisée avec une remarquable empathie. Pensez aussi au magnifique pont Alexandre III, construit pour célébrer l’alliance franco-russe. Ou la commune du Kremlin-Bicêtre, dont le nom dérive du nom d’un cabaret qui accueillait les nombreux soldats des armées napoléoniennes soignés aux hospices de Bicêtre.

  20. claustaire dit :

    D’accord avec l’ensemble de votre texte, dont je vous remercie.
     
    Deux remarques supplémentaires possibles : 
     
    1 Lorsque trop souvent il apparaît (grâce des enregistrements de caméras de surveillance ou de témoins) que les policiers ont menti sur les circonstances de leur intervention, ils prennent le risque eux-mêmes de décrédibiliser d’avance tous leurs collègues. Le mensonge (avéré) d’agents de l’ordre assermentés devrait être sanctionné avec la plus grande rigueur, afin que la parole des autres reste le plus systématiquement crédible par opposition aux protestations ou accusations de leurs éventuelles ‘victimes’. Actuellement, l’accumulation de mensonges policiers leur a (et c’est tragique pour nous tous) fait perdre beaucoup de leur crédit. Car du coup, cette essentielle notion de déclaration d’assermenté perd de sa valeur en faveur d’un relativisme systématique dont tentera de jouer tout délinquant.
     
    Dans les récentes affaires qui ont parfois ému l’opinion publique, c’était moins parce que des policiers auraient dérapé ou commis une faute impardonnable mais d’abord parce que les mensonges des policiers ont pu être établis. Il semblerait qu’aux yeux de l’opinion publique, c’est le mensonge du policier qui constituerait la faute impardonnable et non tel ou tel geste éventuellement répréhensible ou fautif commis dans le feu de l’action.
     
    2 Lorsqu’un policier est mis en examen pour une éventuelle faute professionnelle, il est lui aussi d’abord contrôlé par des ‘collègues’ (l’IGPN), de même que des médecins le sont par des leurs. Par contre, si suite à une éventuelle faute ou erreur, il veut la couvrir ou la faire couvrir par des mensonges, cela relève de la justice ordinaire.
     
    Sur le même champ de réflexion que celui de votre texte, ce lien vers un site (que certains aiment décrier d’office comme néocolonialiste ou raciste) mais où s’expriment souvent des analyses fort pertinentes qui mériteraient, à mon avis, d’être parfois mieux prises en compte.
     
    https://decolonialisme.fr/quand-des-sociologues-legitiment-les-emeutes/
     
     
     

  21. marc.malesherbes dit :

    @ Descartes (et Géo, Claustaire et d’autres)
     
    à propos du « lien affectif » avec la Russie.
     
    Certes cela peut exister chez certains français, mais je fais partie de ceux, majoritaires j’imagine, qui non seulement n’ont pas de lien affectif positif, mais un lien affectif franchement négatif avec la Russie et le peuple russe. Et je vais essayer de vous expliquer pourquoi afin que vous compreniez vos concitoyens.
     
    D’abord voici un peuple russe qui s’est doté d’un vaste territoire plein de ressources, équivalent à celui des USA, supérieur à celui des Chinois, et qui n’en a rien fait, au point d’être aujourd’hui « pauvre » et “faible” comparé à ces deux autres puissances. Son peuple est aujourd’hui dans sa masse largement arriéré par rapport à celui des USA, et même par rapport à celui de la Chine. Rien qui encourage un « lien affectif ».
     
    Ses dirigeants se sont distingués par leur cruauté vis à vis de leurs peuples (déportations, massacres). Les comparaisons sont difficiles dans ce domaine, mais plus ou moins à égalité avec les Chinois, et beaucoup plus que les Américains (le massacre des Indiens a été la conséquence d’une guerre de conquête et non de massacres internes). Rien qui encourage un « lien affectif ».
     
    En matière de bellicisme, compte tenu des rapports de puissance, ils font plus ou moins jeu égal avec les USA, et bien pire que les Chinois. Cela reste un des rares peuples qui magnifie ses dirigeants sanguinaires, et qui a été le long de son histoire le plus souvent autocratique ou totalitaire. Rien qui encourage un « lien affectif ».

    En ce qui concerne leurs réalisations architecturales, artistiques, intellectuelles, scientifiques et techniques , il y en a eu, mais pas beaucoup compte tenu de l’arriération permanente de ce peuple.  On peut citer le cas de l’aventure spatiale russe qui reste leur gloire. Je comprend qu’on puisse s’appuyer sur telle ou telle réalisation pour magnifier ce peuple. Mais pour moi cela ne contrebalance pas ce qui précède.
     
    Vous mettez en avant pour justifier un lien affectif les « millions de citoyens soviétiques (…) morts pour battre l’Allemagne. «  Certes comme tous les soldats et civils de toutes les guerres ils ont droit à notre compassion. Mais ce nombre élevé de morts est avant tout du à la stupidité de leur dirigeant d’alors, Staline, qui a décapité les cadres de sa propre armée, puis lors du pacte germano-soviétique nourri la machine de guerre allemande de matières premières, puis refusé de préparer son armée à l’attaque allemande bien prévisible. L’arriération du peuple russe, sa faible capacité technique, a contribué au nombre terrifiant des victimes de l’invasion allemande. Tout donc pour inspirer pitié et mépris de ce peuple russe qui a choisi de tels dirigeants, rien pour établir un lien affectif positif, sauf pour les communistes purs et durs bien sûr.
     
    Quel va être l’avenir prévisible pour la Russie après la conclusion de leur invasion de l’Ukraine ?
     
    Certes pour certains, comme Descartes (?), ils pourront se targuer d’avoir conquis une partie de l’Ukraine mais, le plus vraisemblablement, en contrepartie de nombreux morts et d’un appauvrissement de leur population, encore. Une entrée dans la sphère d’influence chinoise, et la perte de leur influence dans toutes les républiques du Sud qui entreront également dans l’orbite chinoise. Rien qui n’encourage un « lien affectif ».
     
    Mais il existe une autre possibilité : le fait que l’économie de guerre lui permette de construire un appareil industriel qui lui permette de repartir de l’avant et de devenir une grande puissance. Le peuple russe pourra alors admirer Poutine, le magnifier, comme il l’a fait pour tant de ses cruels prédécesseurs. Rien qui n’encourage un « lien affectif ».

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [Certes cela peut exister chez certains français, mais je fais partie de ceux, majoritaires j’imagine, qui non seulement n’ont pas de lien affectif positif, mais un lien affectif franchement négatif avec la Russie et le peuple russe. Et je vais essayer de vous expliquer pourquoi afin que vous compreniez vos concitoyens.]

      Un jour, j’aimerais comprendre pourquoi vous avez ce besoin obsessionnel d’être du côté de la majorité. Qu’est ce qui vous permet de « imaginer » qu’ne majorité des Français aurait un « lien affectif franchement négatif » avec la Russie ? Avez-vous une étude d’opinion pour appuyer votre « imagination » ? Non ? Alors, de grâce, évitez d’invoquer l’argument d’autorité, et surtout cette prétention de « expliquer afin que vous compreniez vos concitoyens », comme si vous pouviez vous permettre de vous vanter de les comprendre vous-même.

      [D’abord voici un peuple russe qui s’est doté d’un vaste territoire plein de ressources, équivalent à celui des USA, supérieur à celui des Chinois, et qui n’en a rien fait, au point d’être aujourd’hui « pauvre » et “faible” comparé à ces deux autres puissances.]

      C’est aussi vrai pour la RDC, pour le Brésil, pour l’Argentine… pensez-vous que la majorité des Français ait un « lien affectif négatif » avec ces différents pays ?

      [Son peuple est aujourd’hui dans sa masse largement arriérée par rapport à celui des USA, et même par rapport à celui de la Chine.]

      « Largement arriérée » de quel point de vue ? Parce qu’ils ont moins de voitures ? Parce qu’ils mangent moins d’hamburgers ? Parce qu’ils n’ont pas Oprah Winfrey comme idole et Donald Trump comme président ? Quels sont vos critères pour mesurer « l’arrièrement » d’une « masse » ?

      [Rien qui encourage un « lien affectif ».]

      Voyons si je comprends bien : pour vous, les Français ne peuvent nouer un « lien affectif » qu’avec les gens riches et puissants. J’ai bien compris ? Je ne peux que vous répondre une chose : ne prenez pas votre cas pour une généralité…

      [Ses dirigeants se sont distingués par leur cruauté vis à vis de leurs peuples (déportations, massacres). Les comparaisons sont difficiles dans ce domaine, mais plus ou moins à égalité avec les Chinois, et beaucoup plus que les Américains (le massacre des Indiens a été la conséquence d’une guerre de conquête et non de massacres internes). Rien qui encourage un « lien affectif ».]

      Comme c’est commode : le massacre des indiens ? Ce n’est pas « interne ». Et j’imagine que la ségrégation non plus, n’était pas « interne ». Sans compter avec le fait que les dirigeants américains se sont montrés tout aussi « cruels » envers les AUTRES peuples, encourageant les massacres, les déportations, le pillage des ressources. Et cela, je suppose, encourage fortement un « lien affectif ». J’ai bien compris ?

      Franchement, je me demande si vous croyez vraiment ce que vous êtes en train d’écrire. Parce qu’en négatif, vous êtes en train d’écrire les critères qui font que VOUS pouvez ou non établir un lien affectif. Et on découvre que pour vous, le « lien affectif » tient à la richesse, à la puissance, au fait d’être « avancé »… Intéressant, n’est-ce pas ?

      [En matière de bellicisme, compte tenu des rapports de puissance, ils font plus ou moins jeu égal avec les USA, et bien pire que les Chinois.]

      Je ne vais même pas répondre à ce commentaire, je n’ai pas envie de vous ridiculiser. Relisez la liste des interventions militaires américaines en dehors de leurs frontières – et je ne parle même pas des interventions pour renverser tel ou tel régime, assassiner tel ou tel dirigeant étranger. Et quand vous l’aurez lue, comparez-là à celle de la Russie.

      [Cela reste un des rares peuples qui magnifie ses dirigeants sanguinaires, et qui a été le long de son histoire le plus souvent autocratique ou totalitaire. Rien qui encourage un « lien affectif ».]

      Il est vrai qu’aux Etats-Unis le président qui a déversé des exfoliants et du napalm en quantité au Vietnam, un certain J.F. Kennedy, est honni et maudit… Encore une fois, j’ai du mal à croire que vous pensiez vraiment ce que vous dites. Rassurez moi, c’est du deuxième degré, de l’ironie…

      [En ce qui concerne leurs réalisations architecturales, artistiques, intellectuelles, scientifiques et techniques , il y en a eu, mais pas beaucoup compte tenu de l’arriération permanente de ce peuple.]

      Pas de commentaire. A ce niveau d’absurdité…

      [Vous mettez en avant pour justifier un lien affectif les « millions de citoyens soviétiques (…) morts pour battre l’Allemagne. Certes comme tous les soldats et civils de toutes les guerres ils ont droit à notre compassion.]

      Seulement ? J’aurais pensé qu’ils auraient aussi droit à un minimum de reconnaissance aussi.

      [Mais ce nombre élevé de morts est avant tout dû à la stupidité de leur dirigeant d’alors, Staline,]

      « Avant tout » ? J’aurais pensé que ce nombre élevé de morts serait dû, « avant tout », à l’attaque allemande. Mais non, c’est la faute « avant tout à Staline. Là encore, je m’abstiendrai de commenter.

      [Quel va être l’avenir prévisible pour la Russie après la conclusion de leur invasion de l’Ukraine ? Certes pour certains, comme Descartes (?), ils pourront se targuer d’avoir conquis une partie de l’Ukraine mais, le plus vraisemblablement, en contrepartie de nombreux morts et d’un appauvrissement de leur population, encore. Une entrée dans la sphère d’influence chinoise, et la perte de leur influence dans toutes les républiques du Sud qui entreront également dans l’orbite chinoise. Rien qui n’encourage un « lien affectif ».]

      Je ne vois pas très bien le rapport. On peut avoir un « lien affectif » avec un peuple pauvre et dominé. Cela a d’ailleurs été souvent le cas dans notre histoire. Encore une fois, si vous ne pouvez établir des « liens affectifs » qu’avec les puissants et les riches, c’est votre problème.

      Les « liens affectifs » sont bien plus complexes que vous le pensez. Et nous avons pas mal d’éléments qui font que le lien affectif des Français avec la Russie sont réels. Pour commencer, nous avons quelques ennemis communs : le monde germanique, bien sûr, mais aussi un monde anglosaxon qui a tout fait pour affaiblir tous ceux qui lui tenaient tête… Et un ennemi commun est un facteur d’unité bien plus puissant que le type de dirigeant que chaque peuple aime se donner…

      • marc.malesherbes dit :

         
        en lisant vos observations je me rend compte que finalement un « attachement affectif «  positif ou négatif peut s’expliquer de multiples manières, ou rester inexplicable. Il peut exister en ce qui concerne la Russie ne serait-ce que parce qu’on a une petite amie russe.
         
        Il reste que pour moi l’expression que vous utilisez
        « Il y a aussi un lien affectif entre la France et la Russie, non ?»
        est problématique.
         
        Que veut dire que deux pays ont « un lien affectif » ?
        Que je sache les pays ne sont pas des personnes, et donc cette proposition me paraît incompréhensible.
         
         
        Cela signifie sans doute pour vous « la majorité des Français d’aujourd’hui ont un lien affectif (sous entendu positif) avec la Russie »
         
        Vous donnez des exemples, vous donnez votre propre sentiment (ex : sur les morts russes) , mais ne donnez pas d’éléments d’ensemble pour asseoir cette affirmation.
         
        M le Pen, Mélenchon, et plusieurs personnalités politiques de droite lors de l’invasion actuelle de l’Ukraine se sont exprimés publiquement dans un sens pro-russe. Ils le font en partie sans doute parce qu’ils pensent que c’est l’avis majoritaire de leur électorat. Mais leur argumentation n’est pas principalement « affective » mais principalement « soyons pro-russes car c’est notre intérêt ; aider l’Ukraine nous coûte cher et fournir des armes est dangereux ». Je n’en ai entendu aucun dire « comment ne pas soutenir ce grand peuple russe que nous aimons » ou l’équivalent. Quand aux autres partis qui soutiennent l’Ukraine ils n’ont pas non plus exprimé un « amour » pour la Russie, mais simplement un rejet de l’invasion russe.
        Je ne vois donc aucune majorité de Français ayant un lien affectif positif avec la Russie. Ce qui ne veut pas dire qu’il y a pas quelques français, principalement les communistes et anciens communistes, les descendants d’émigrés russes et quelques autres qui aient des liens affectifs positifs avec la Russie.
         

        • Descartes dit :

          @ marc.malesherbes

          [en lisant vos observations je me rend compte que finalement un « attachement affectif « positif ou négatif peut s’expliquer de multiples manières, ou rester inexplicable. Il peut exister en ce qui concerne la Russie ne serait-ce que parce qu’on a une petite amie russe.]

          Je ne crois pas que ça marche dans ce sens-là. Si on a un lien affectif avec ce pays, on accueille avec un a priori favorable ceux qui en viennent, et cela vous aide a avoir une petite amie de cette origine. Mais je doute que cela marche dans le sens inverse. J’ai d’excellents amis américains, et cela n’a pas changé d’un millimètre – ou devrais-je dire « un centième de pouce » – mon opinion sur ce pays.

          [Il reste que pour moi l’expression que vous utilisez « Il y a aussi un lien affectif entre la France et la Russie, non ?» est problématique. Que veut dire que deux pays ont « un lien affectif » ?]

          Qu’une partie importante de ses citoyens, et tout particulièrement de ses élites, a des sympathies pour celles de l’autre.

          [Que je sache les pays ne sont pas des personnes, et donc cette proposition me paraît incompréhensible.]

          C’est certainement un abus de langage, mais l’expression est parfaitement compréhensible. On l’utilise très couramment. Lorsqu’on parle des Etats-Unis comme d’un « pays ami », ou de la Russie comme d’un « inamical », on fait le même abus. Les pays n’étant pas des personnes, comme vous dites, ils n’ont pas plus d’amitiés que d’affects.

          [Cela signifie sans doute pour vous « la majorité des Français d’aujourd’hui ont un lien affectif (sous entendu positif) avec la Russie »]

          Pas nécessairement la majorité. Vous savez, « la majorité des Français » se fout éperdument de ces questions. Allez demander dans les rues d’Hénin-Beaumont aux gens s’ils ont une opinion plutôt positive ou plutôt négative de la Russie, et ils vous enverront vous rhabiller. Les « amitiés » ou les « inimitiés » des pays sont en général ceux de leurs élites…

          [M le Pen, Mélenchon, et plusieurs personnalités politiques de droite lors de l’invasion actuelle de l’Ukraine se sont exprimés publiquement dans un sens pro-russe. Ils le font en partie sans doute parce qu’ils pensent que c’est l’avis majoritaire de leur électorat. Mais leur argumentation n’est pas principalement « affective » mais principalement « soyons pro-russes car c’est notre intérêt ;]

          Mais dans ce cas, pourquoi parlez-vous d’une expression « pro-russe » ? Si tel est l’argument invoqué, alors la position serait plutôt « pro-française », vous ne trouvez pas ?

          Les hommes politiques ne sont pas là pour exprimer des « affects », ils sont là pour protéger des intérêts. On pardonnerait difficilement à un homme politique d’exprimer son amour pour un pays quelconque, quel qu’il fut, et c’est normal : on peut suspecter qu’un homme politique qui aime d’amour la Russie, l’Allemagne ou les Etats-Unis aura du mal à défendre les intérêts de la France dans des négociations avec eux. Connaissez-vous beaucoup d’hommes politiques qui aient pris position pour l’Ukraine en la justifiant en termes affectifs ?

          [aider l’Ukraine nous coûte cher et fournir des armes est dangereux ». Je n’en ai entendu aucun dire « comment ne pas soutenir ce grand peuple russe que nous aimons » ou l’équivalent.]

          Avez-vous entendu quelqu’un dire « comment ne pas soutenir ce grand peuple américain que nous aimons tant » ? Non ? Et pour un autre peuple ? Non plus ? Doit on conclure que nous n’avons de rapport affectif avec personne ?

          [Je ne vois donc aucune majorité de Français ayant un lien affectif positif avec la Russie.]

          Avec votre critère, vous ne trouverez personne avec qui une majorité de Français ait un lien affectif…

      • marc.malesherbes dit :

         
        complément sur le lien affectif entre le PCF et la Russie
         
         
        à priori, si il y a un lien affectif positif entre des français et la Russie, on devrait trouver son expression en particulier au sein du PCF.
         
        Je suis allé sur le site du PCF, et je n’ai trouvé aucune expression d’un tel lien,aussi bien dans un long communiqué de F Roussel  
        https://www.pcf.fr/ukraine_agir_pour_la_paix_en_priorit_fabien_roussel  
        que dans un très long article publié sur le site du PCF 
        https://www.pcf.fr/ukraine_oser_la_paix
         
         
        Cela montre qu’aujourd’hui, même au sein du PCF, le courant affectif positif doit être marginal.
        (il ne doit plus exister que chez quelques anciens communistes d’autrefois ayant bien souvent quitté le parti)
         

        • Descartes dit :

          @ marc.malesherbes

          [à priori, si il y a un lien affectif positif entre des français et la Russie, on devrait trouver son expression en particulier au sein du PCF.]

          Pourquoi ? Je vois au contraire plein de raisons de ne pas trouver une telle expression. D’abord, les communistes peuvent légitimement en vouloir aux Russes d’avoir trahi les espoirs qu’ils avaient déposés en eux. Par ailleurs, même si les communistes avaient le béguin pour l’URSS, ce n’est pas parce qu’on aime la mère qu’on aime la fille, et la Russie d’aujourd’hui n’a pas grand chose à voir avec l’URSS. Et enfin, plus pragmatique, le PCF est victime – votre mel le montre amplement – d’un préjugé qui en fait un parti “pro-russe”. Eh oui, que voulez-vous, le fantasme du “parti de l’étranger” a la peau dure. Dans ce contexte, quel intérêt pourrait avoir le PCF, quand bien même il aurait un faible pour Poutine, à s’exposer médiatiquement en l’affichant ?

          Un lien affectif peut parfaitement exister entre la France et la Russie sans que pour autant il trouve la moindre trace dans les publications du PCF. Ou de tout autre parti, d’ailleurs. Dans le contexte de néo-maccarthysme actuel, afficher la moindre sympathie envers la Russie devient extrêmement dangereux…

  22. Patriote Albert dit :

    Nous sommes dans la situation de la grenouille dans la casserole. La température ne cesse de monter (et donc la pression !) au sein de la société française, tout le monde sent plus ou moins confusément qu’on se dirige vers des catastrophes, mais bon, tant qu’on peut profiter encore un peu du bain… Les classes populaires sont trop atomisées pour réagir efficacement, et les autres ont encore bien des moyens de s’extraire du désastre, ou bien de l’oublier (vacances, séries, produits “bien-être”, loisirs, repli sur la sphère privée…). Quelques uns alertent sur la friabilité du terrain sur lequel nous avons bâti nos institutions, mais pas grand monde n’a envie de les écouter. C’est que si ces Cassandre étaient dans le vrai, il s’agirait de passer à la caisse, de se confronter au réel, et tant qu’on peut échapper au constat… Les historiens du futur auront tout intérêt à conduire une analyse de l’état moral de la France de 2023, ce sera passionnant ! Et l’on trouvera probablement certains parallèles avec les années 30, si ce n’est que cette fois, ce n’est pas le traumatisme d’un évènement récent qui paralyse, mais plutôt la recherche du confort individuel à n’importe quel prix, ainsi que le déclin de tout transcendance. A ce sujet, je me demande si vous avez raison de considérer que le capitalisme va poursuivre cette œuvre de rupture de tout cadre collectif : plus précisément, il me semble que des résistances se font jour petit à petit, et l’apparition de mouvement sectaires populaires chez une certaine jeunesse (suivez mon regard) est peut-être à lire comme l’une des manifestations de ces résistances à se noyer complètement dans les “eaux glacées du calcul égoïste”, tout comme l’essor du communautarisme. N’y aurait-il pas quelque chose d’irréductible dans la conscience humaine, qui fait obstacle à l’avènement d’une société purement marchande et calculatoire ?
     
    Pour revenir à la police, je souscris particulièrement à votre commentaire sur la faiblesse des institutions. Beaucoup de nos compatriotes les critiquent, les houspillent ou les moquent, comme si nous étions encore dans les années 60 et que leur emprise pouvait être remise en cause sans frais. Ils auront l’air un peu c*n quand éclatera au grand jour que leur affaiblissement a laissé la place à bien pire : l’obscurantisme, les gangs, les magouilles et le népotisme à tous les étages. Enfin (je vous vois venir), pas tous : il est clair que les classes intermédiaires et supérieures sauront majoritairement tirer leur épingle du jeu.
     
    En attendant, je suis de plus en plus persuadé (et vous n’y êtes pas pour rien) que le combat politique prioritaire, c’est celui de la restauration des institutions. Même Emmanuel Macron semble l’avoir compris, lui qui dans sa dernière interview pour Le Point a l’air de découvrir les effets des politiques qu’il a menées ! A ce titre, j’ai de plus en plus de détestation pour la gauche qui, à la notable exception du PCF et de quelques individualités, continue de jouer aux pyromanes – en témoigne la croquignolesque manifestation du 23 septembre “contre la répression des contestations sociales démocratiques et écologiques, pour la fin du racisme systémique, des violences policières, et pour la justice sociale climatique, féministe et les libertés publiques” (n’en jetez plus !).
     
    Pour finir, le débat un peu plus haut dans les commentaires sur la légalisation du cannabis me rappelle cette superbe formule de Jean-Claude Michéa dans “Les mystères de la gauche”, où il critique vertement “l’utilisation des questions sociétales comme le masque politique privilégié sous lequel la gauche moderne entend désormais dissimuler sa conversion intégrale à l’économie de marché (comme si, en d’autres termes, la volonté d’abandonner ceux qui produisent la richesse collective au bon vouloir des prédateurs de la finance mondiale pouvait être ‘compensée’ par le fait qu’ils pourront, en échange, fumer librement du cannabis devant les portes de ‘Pôle Emploi’).” Il s’agirait de retrouver le sens des priorités !

    • Descartes dit :

      @ Patriote Albert

      [Nous sommes dans la situation de la grenouille dans la casserole. La température ne cesse de monter (et donc la pression !) au sein de la société française, tout le monde sent plus ou moins confusément qu’on se dirige vers des catastrophes, mais bon, tant qu’on peut profiter encore un peu du bain…]

      Je ne crois pas que la métaphore de la grenouille décrive correctement la situation actuelle. Elle correspondait bien à la situation des années 1980-90, quand les grenouilles étaient inconscientes de ce qui les attendait, et s’imaginaient en train de « changer la vie » ou de construire « l’Europe sociale ». Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. La grenouille est pleinement consciente qu’on va dans le mur, et se contente de jouir le temps qui lui reste tout en essayant de retarder l’inévitable. D’où ce lourd pessimisme qui est la marque du temps…

      [Les classes populaires sont trop atomisées pour réagir efficacement, et les autres ont encore bien des moyens de s’extraire du désastre, ou bien de l’oublier (vacances, séries, produits “bien-être”, loisirs, repli sur la sphère privée…).]

      C’est moins l’atomisation qui pose problème que le fait qu’elles n’ont aucun moyen de créer un rapport de force équilibré. Dès lors que le bloc dominant peut les substituer – par exemple en allant chercher la main d’œuvre au Bangladesh – le rapport de forces économique leur est massivement défavorable.

      [Et l’on trouvera probablement certains parallèles avec les années 30,]

      Oui, mais ils sont trompeurs. Dans les années 1930, le facteur dominant n’était pas la désespérance des couches populaires, mais son contraire : c’était la « grande peur » de la bourgeoisie devant l’espoir suscité par la première expérience socialiste et du rapport de forces ainsi créé par une alliance entre les classes intermédiaires et les couches populaires qui a poussé la bourgeoisie à préférer la fin du monde, qui l’a conduite à noyer cet espoir dans la violence d’une guerre. Rien de tel aujourd’hui. La bourgeoisie peut se reposer sur une alliance solide avec les classes intermédiaires, et aucune alternative à son pouvoir ne se présente à l’horizon.

      Les ressemblances avec les années 1930 sont donc pour la plupart des coïncidences. Quand il ne s’agit pas de travestir le passé pour lui faire dire ce qu’il ne dit pas – par exemple, pour faire l’analogie entre la montée du RN et celle du NSDAP, analogie qui n’a ni queue ni tête.

      [A ce sujet, je me demande si vous avez raison de considérer que le capitalisme va poursuivre cette œuvre de rupture de tout cadre collectif : plus précisément, il me semble que des résistances se font jour petit à petit, et l’apparition de mouvement sectaires populaires chez une certaine jeunesse (suivez mon regard) est peut-être à lire comme l’une des manifestations de ces résistances à se noyer complètement dans les “eaux glacées du calcul égoïste”, tout comme l’essor du communautarisme.]

      Tout à fait. Mais ces « résistances » seront irrémédiablement brisées ou récupérées dès lors qu’elles sont un obstacle à l’approfondissement du capitalisme. On revient à la question posée par Castoriadis et dont on a débattu très largement ici. Le capitalisme repose sur des structures anthropologiques qu’il a hérité d’une histoire millénaire, et qu’il n’est pas capable de reproduire. Que se passera-t-il quand ces structures disparaîtront ? Entrera-t-il en crise ? Ou bien trouvera-t-il une autre solution ? Peut-être que les « résistances » dont vous parlez annoncent cette crise ? Mais tant que cette crise ne se présentera pas, le capitalisme continuera à faire table rase.

      [N’y aurait-il pas quelque chose d’irréductible dans la conscience humaine, qui fait obstacle à l’avènement d’une société purement marchande et calculatoire ?]

      Etant matérialiste, cela n’est concevable que si cette « chose irréductible » a une base matérielle. Par exemple, si cette « chose irréductible » était intimement liée à l’efficacité économique des sociétés. Et on est ramené à Castoriadis…

      [Pour revenir à la police, je souscris particulièrement à votre commentaire sur la faiblesse des institutions. Beaucoup de nos compatriotes les critiquent, les houspillent ou les moquent, comme si nous étions encore dans les années 60 et que leur emprise pouvait être remise en cause sans frais. Ils auront l’air un peu c*n quand éclatera au grand jour que leur affaiblissement a laissé la place à bien pire : l’obscurantisme, les gangs, les magouilles et le népotisme à tous les étages. Enfin (je vous vois venir), pas tous : il est clair que les classes intermédiaires et supérieures sauront majoritairement tirer leur épingle du jeu.]

      Le problème, c’est que les générations nées après la guerre ont « naturalisé » les institutions. Pour les générations antérieures, qui avaient connu les chaos révolutionnaires et les désordres des guerres, la fragilité des institutions et le besoin de les préserver était une presque-évidence. Et cela était vrai autant du citoyen qui en profite que du fonctionnaire qui les fait fonctionner. Après 1958, la longue période de stabilité institutionnelle a créé une illusion trompeuse. Elle a produit une génération adolescente, qui croit pouvoir se rebeller contre les institutions sans que cela porte à conséquence. Et qui ensuite refuse d’assumer les conséquences de cette rébellion : combien de soixante-huitards sont prêts à admettre que la société que nous avons est celle qu’ils ont voulue et construite ?

      [En attendant, je suis de plus en plus persuadé (et vous n’y êtes pas pour rien) que le combat politique prioritaire, c’est celui de la restauration des institutions.]

      Je suis à 100% d’accord. Sans institutions, c’est la loi du plus fort qui s’impose.

      [A ce titre, j’ai de plus en plus de détestation pour la gauche qui, à la notable exception du PCF et de quelques individualités, continue de jouer aux pyromanes – en témoigne la croquignolesque manifestation du 23 septembre “contre la répression des contestations sociales démocratiques et écologiques, pour la fin du racisme systémique, des violences policières, et pour la justice sociale climatique, féministe et les libertés publiques” (n’en jetez plus !).]

      Et le raton laveur ? Il n’a pas de droits à défendre ?

      Cette manifestation est du plus haut ridicule, et je souffre de voir que la CGT a donné son label à cette mascarade. Le plus terrible est que chaque semaine amène sont lot d’enfants et de jeunes assassinés par des gangs – voir la semaine dernière à Nîmes… et c’est pire à Marseille – et que sur ce point ceux qui appellent à la manifestation n’ont absolument rien à dire. Peut-être pensent-ils qu’une fois qu’on aura terminé avec le « racisme systémique », les « violences policières » et le « patriarcat », le problème disparaîtra de lui-même ?

      • delendaesteu dit :

        @Descartes 
        #Je souffre de voir que la CGT a donné son label à cette mascarade#. 
        Vous savez ça fait un moment que les trotskistes ont infiltré la CGT.
        Un moment, que la CGT défend les sans papier, les délinquants multi récidivistes (confer Traore et cie) ou les auteurs de délit de fuite qui conduisent sans permis.
        D’ailleurs,  si j’en juge par la manière dont l’huma traite Roussel,  il n’y a pas qu’à la CGT que les trotskistes ne sont infiltrés.
        En un mot, la CGT comme l’huma sont aujourd’hui plus proche de LFI que du PCF.
         
         

        • Descartes dit :

          @ delendaesteu

          [« Je souffre de voir que la CGT a donné son label à cette mascarade ». Vous savez ça fait un moment que les trotskistes ont infiltré la CGT.]

          Oui, je suis au courant. C’est d’ailleurs très variable selon les fédérations. Celle ou j’ai toujours milité – Mines-Energie – reste très orthodoxe. Mais d’autres fédérations, dans le tertiaire, l’éducation, le spectacle, sont de véritables nids de gauchistes.

          [D’ailleurs, si j’en juge par la manière dont l’huma traite Roussel, il n’y a pas qu’à la CGT que les trotskistes ne sont infiltrés.]

          A l’huma ce ne sont pas les trotskystes, ce sont les « rénovateurs ». C’est encore pire !

          [En un mot, la CGT comme l’huma sont aujourd’hui plus proche de LFI que du PCF.]

          Pour la CGT, vous allez un peu vite en besogne : les grosses fédérations restent assez orthodoxes. Mais pour l’Huma…

      • Patriote Albert dit :

        [C’est moins l’atomisation qui pose problème que le fait qu’elles n’ont aucun moyen de créer un rapport de force équilibré. Dès lors que le bloc dominant peut les substituer – par exemple en allant chercher la main d’œuvre au Bangladesh – le rapport de forces économique leur est massivement défavorable.]
        Certes, le rapport de force joue un grand rôle dans les secteurs soumis à la concurrence internationale, mais même dans les métiers non délocalisables, il ne me semble pas qu’on assiste à un essor de l’action collective et de la conscience de classe. En témoigne la syndicalisation famélique des travailleurs de la logistique ou du BTP. Il faut donc chercher l’affaiblissement de la conflictualité ailleurs, et les travaux sociologiques montrent bien comment la mise en concurrence des travailleurs les uns avec les autres, les contrats précaires, les horaires décalés, ou encore l’individualisme grandissant des nouvelles générations mine le collectif de travail.
         
        [Etant matérialiste, cela n’est concevable que si cette « chose irréductible » a une base matérielle. Par exemple, si cette « chose irréductible » était intimement liée à l’efficacité économique des sociétés. Et on est ramené à Castoriadis…]
        Alors je ne suis peut-être pas à 100% matérialiste ! Par exemple, je constate que l’armée séduit de plus en plus de jeunes lycéens : quel sens de s’y engager, si ce n’est de trouver quelque chose qui nous dépasse ? L’anomie générée par l’approfondissement du capitalisme entraine une réaction, qui me semble difficile à relier avec une crise du mode de production.

        • Descartes dit :

          @ Patriote Albert

          [Certes, le rapport de force joue un grand rôle dans les secteurs soumis à la concurrence internationale, mais même dans les métiers non délocalisables, il ne me semble pas qu’on assiste à un essor de l’action collective et de la conscience de classe. En témoigne la syndicalisation famélique des travailleurs de la logistique ou du BTP.]

          Le problème est le même dans les secteurs en principe non délocalisables. Allez sur un chantier de travaux public, et que voyez-vous ? Des Roumains, des Polonais, des Portugais, des Marocains, des Algériens, des Turcs… la concurrence est là, sur notre territoire. Quelle chance de succès aurait un mouvement social, alors qu’il existe un réservoir quasi-infini de main d’œuvre taillable et corvéable ?

          [Il faut donc chercher l’affaiblissement de la conflictualité ailleurs, et les travaux sociologiques montrent bien comment la mise en concurrence des travailleurs les uns avec les autres, les contrats précaires, les horaires décalés, ou encore l’individualisme grandissant des nouvelles générations mine le collectif de travail.]

          Je ne dis pas le contraire. Mais la « mise en concurrence » n’est possible que parce qu’il y a un réservoir inépuisable de travailleurs à mettre en concurrence. Les contrats précaires sont possibles parce que cette concurrence rend toute résistance au mouvement de précarisation impossible : quel intérêt pour le patron de fidéliser la main d’œuvre, alors que les travailleurs font la queue pour avoir un poste…

          [Alors je ne suis peut-être pas à 100% matérialiste ! Par exemple, je constate que l’armée séduit de plus en plus de jeunes lycéens : quel sens de s’y engager, si ce n’est de trouver quelque chose qui nous dépasse ? L’anomie générée par l’approfondissement du capitalisme entraine une réaction, qui me semble difficile à relier avec une crise du mode de production.]

          Mais au-delà d’une réaction individuelle, à laquelle on peut trouver beaucoup de raisons qui relèvent de la tradition, des affects, de la survivance d’idées qui ont eu une base à une époque et qui n’en ont plus, d’où vient ce « besoin de quelque chose qui nous dépasse » ? Si elle est innée, inhérente à l’être humain, alors ou bien vous croyez que Dieu l’a mise là, ou bien il vous faut trouver une explication dans une logique de sélection – autrement dit, il faut trouver comment le fait de rechercher « quelque chose qui nous dépasse » augmente notre chance de survivre et de transmettre nos gènes… et là, vous redevenez matérialiste.

  23. Glarrious dit :

    @Descartes 
    Je voudrai reprendre la discussion au sujet de la nation et du mouvement communiste français.
    [ Je suis tout à fait d’accord. Et le problème ne touche pas que les Bolchéviks. Les marxistes français ont eux aussi été très frileux dans leur réflexion sur la nation, tout comme ils l’ont été sur la question de l’Etat. C’est le grand mérite de Maurice Thorez et des gens qui l’entouraient d’avoir travaillé ce sujet à une époque où la vision trotskyste de l’internationalisme était dominante.]
     
    Je pense que vous faîtes référence à la formule de Maurice Thorez “du mariage du drapeau tricolore et du drapeau rouge”. Mais je me demandai qu’est ce qui a poussé ces gens à travailler sur ces sujets ?
     

    • Descartes dit :

      @ Glarrious

      [Je pense que vous faîtes référence à la formule de Maurice Thorez “du mariage du drapeau tricolore et du drapeau rouge”. Mais je me demandai qu’est ce qui a poussé ces gens à travailler sur ces sujets ?]

      La formule de Thorez, qui est une formule de tribune, est le résultat d’un véritable travail théorique et politique de la direction du PCF. La question de l’internationalisme sera au cœur des débats dans le mouvement ouvrier après la première guerre mondiale, et on voit s’affronter des courants qui s’en tiennent à l’exorde de Marx (« les prolétaires n’ont pas de patrie ») pour refuser toute légitimité à l’idée de nation, avec les courants qui tirent les conclusions de l’échec de la IIème internationale à éviter une guerre ou des prolétaires de nations différentes se sont entretués, qui constatent la puissance de l’idée nationale et refusent de la balayer d’un revers de manche. C’est d’ailleurs l’un des points d’affrontement entre les trotskystes et les staliniens.

      Le succès des courants « staliniens » tient d’abord à leur pragmatisme, à leur compréhension de la réalité là où les trotskystes sont restés plus proches de la lettre marxienne, devenue obsolète au moins sur ce point-là dans une Europe dominée par le fait national. Jaurès déjà, lorsqu’il dit « qu’un peu d’internationalisme éloigne de la Patrie, beaucoup d’internationalisme y ramène », ou que « Toute atteinte à l’intégrité des patries est une atteinte à la civilisation » se place dans une position critique de Marx, et dit ce que sera la position du mouvement ouvrier plus tard, une fois l’irréalisme trotskyste mis de côté. Les communistes français ne seront pas « internationalistes » mais « inter-nationalistes ». La nuance est fondamentale…

      En France, parce que l’Etat a joué un rôle fondamental dans la constitution de la nation, la réflexion sur la Patrie conduit évidemment à une réflexion sur l’Etat, et cela d’autant plus que le poids des traditions révolutionnaires rendait possible une participation à la gestion des affaires de l’Etat. Et sur ce point aussi, il faut s’éloigner un peu de Marx pour pouvoir rendre compte de la réalité. Car si l’on se tient à l’orthodoxie, qui fait de l’Etat l’instrument de la bourgeoisie, pourquoi demander la nationalisation de telle ou telle activité, de telle ou telle ressource ?

  24. Geo dit :

     
    À Descartes entre autres:
    [Voyons si je comprends bien : pour vous, les Français ne peuvent nouer un « lien affectif » qu’avec les gens riches et puissants. J’ai bien compris ? Je ne peux que vous répondre une chose : ne prenez pas votre cas pour une généralité…]
    Et le contre-exemple est vite trouvé: Prenons le cas de la Pologne, dont les performances dans l’histoire sont très variables selon le moment, et plus variable encore la proximité des décisions Françaises. Il reste que si vos lisez un peu la littérature polonaise vous vous sentez chez vous, aux patronymes près. Emmanuel Todd expliquait le fait , à tort ou à raison, par la proximité des structures anthropologiques des deux nations. En tout cas ce n’est pas telle ou telle performance des Pololonais qui explique l’aisance avec laquelle nous entrons dans l’œuvre de Stanislas Lem. L’actuelle activisme pro-Ukrainien de la Pologne ne produit aucun “anti-Polonisme” en France, alors que les Français sont beaucoup moins chauds, je crois. Il en faudrait simplement beaucoup plus aux Français pour en vouloir aux Polonais. Si nous les connaissons un peu, nous nous sentons proches d’eux. Le Mitterandisme a fait de Kieslowski quasiment son cinéaste officiel: encore fallait-il que ce soit possible. C’était évidemment possible. Et la vertu morale ou politique des Polonais n’était pas la source de cette possibilité, mais bien un “lien affectif”.
     
     
     

    • Descartes dit :

      @ Geo

      [Et le contre-exemple est vite trouvé : Prenons le cas de la Pologne, dont les performances dans l’histoire sont très variables selon le moment, et plus variable encore la proximité des décisions Françaises. Il reste que si vos lisez un peu la littérature polonaise vous vous sentez chez vous, aux patronymes près. Emmanuel Todd expliquait le fait, à tort ou à raison, par la proximité des structures anthropologiques des deux nations. En tout cas ce n’est pas telle ou telle performance des Pololonais qui explique l’aisance avec laquelle nous entrons dans l’œuvre de Stanislas Lem.]

      Tout à fait. Par une étrange coïncidence, nous avons des « liens affectifs » avec les peuples qui ont le même « ennemi historique » que nous. Nous avons un « lien affectif » avec les Polonais et les Russes parce que ce sont les ennemis historiques du monde germanique, nous avons un « lien affectif » avec le Chili ou l’Argentine parce que ce furent des victimes de la botte anglo-saxonne. Et pourtant, il n’a pas manqué à l’Argentine et au Chili des « dictateurs sanguinaires » ou des gouvernements incompétents…

      [L’actuelle activisme pro-Ukrainien de la Pologne ne produit aucun “anti-Polonisme” en France, alors que les Français sont beaucoup moins chauds, je crois.]

      Je ne connais pas vraiment d’étude d’opinion, mais de ce qu’on peut ressentir on a l’impression que la cote de la Pologne en France a beaucoup baissé depuis qu’elle est devenue un porte-avions américain, justement…

      • Gugus69 dit :

        [L’actuelle activisme pro-Ukrainien de la Pologne ne produit aucun “anti-Polonisme” en France, alors que les Français sont beaucoup moins chauds, je crois.]
         
        Je crois surtout que l’activisme en Pologne est surtout pro-polonais. Et qu’en cas de démantèlement (possible) du voisin ukrainien, les Polonais se verraient bien récupérer d’anciennes provinces. Leur soutien à l’Ukraine, par exemple, ne les empêche pas de refuser toute importation de la production agricole ukrainienne.
        Varsovie envisage manifestement de remplacer Berlin dans le rôle du fondé de pouvoir de l’Oncle Sam en Europe centrale. Et cet espoir n’est pas sans arguments.

        • Descartes dit :

          @ Gugus69

          [Je crois surtout que l’activisme en Pologne est surtout pro-polonais. Et qu’en cas de démantèlement (possible) du voisin ukrainien, les Polonais se verraient bien récupérer d’anciennes provinces.]

          Votre analyse est un peu contradictoire: si leur but est de récupérer d’anciennes provinces, les Polonais ne monteraient pas dans une alliance dont le but affiché est de défendre l’intégrité territoriale de l’Ukraine, et dont la victoire aurait pour conséquence de stabiliser l’Ukraine dans ses frontières “reconnues”. Je n’ai pas beaucoup de sympathie pour la Pologne, mais je ne saurai pas lui attribuer de si noirs desseins…

          [Leur soutien à l’Ukraine, par exemple, ne les empêche pas de refuser toute importation de la production agricole ukrainienne.]

          Ca, c’est vrai. La Pologne est prête à s’engager tant que ses intérêts ne sont pas touchés.

          [Varsovie envisage manifestement de remplacer Berlin dans le rôle du fondé de pouvoir de l’Oncle Sam en Europe centrale. Et cet espoir n’est pas sans arguments.]

          Je pense que c’est là le noeud de l’affaire. La Pologne veut jouer dans la cour des grands en Europe, et pour cela elle compte sur ses liens privilégiés avec les Américains. Plus que remplacer Berlin, je pense qu’elle songe à remplacer Londres…

          • Gugus69 dit :

            Votre analyse est un peu contradictoire: si leur but est de récupérer d’anciennes provinces, les Polonais ne monteraient pas dans une alliance dont le but affiché est de défendre l’intégrité territoriale de l’Ukraine, et dont la victoire aurait pour conséquence de stabiliser l’Ukraine dans ses frontières “reconnues”. Je n’ai pas beaucoup de sympathie pour la Pologne, mais je ne saurai pas lui attribuer de si noirs desseins…
             
            Eh ben voilà, tout est dit : le but affiché est de défendre l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Mais la réalité est que tout le monde se fout de l’intégrité territoriale de l’Ukraine ! Le but de guerre est d’affaiblir autant que possible la Russie… et accessoirement, pour les Américains, l’Allemagne. Et au bout du compte de couper l’Union européenne de l’Est et de la maintenir dans l’orbite de l’Otan.
             
            Je pense que c’est là le noeud de l’affaire. La Pologne veut jouer dans la cour des grands en Europe, et pour cela, elle compte sur ses liens privilégiés avec les Américains. Plus que remplacer Berlin, je pense qu’elle songe à remplacer Londres…
             
            L’influence anglaise en Europe centrale, c’est peanuts. En faisant sauter le gazoduc et en restreignant drastiquement l’approvisionnement de l’Union européenne en gaz et en pétrole russe, les Américains ont provoqué une crise énergétique qui est en train de mettre à mal l’industrie allemande et de donner des débouchés au gaz de schiste US.
            Les yankees ont besoin de la Pologne, un allié aussi docile que l’Allemagne, mais surtout bien moins enclin à négocier avec l’ours russe. En échange, l’entrée des Polonais dans l’ouest ukrainien au prétexte d’interdire une nouvelle poussée russe (peu probable) serait certainement tolérée par la Maison blanche et le Pentagone.

            • Descartes dit :

              @ Gugus69

              [Eh ben voilà, tout est dit : le but affiché est de défendre l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Mais la réalité est que tout le monde se fout de l’intégrité territoriale de l’Ukraine ! Le but de guerre est d’affaiblir autant que possible la Russie… et accessoirement, pour les Américains, l’Allemagne.]

              Certes. Mais il est difficile « d’afficher » qu’on fait la guerre pour défendre l’intégrité territoriale de l’Ukraine, et le lendemain de la victoire dépecer ce pays. Je veux bien que la politique internationale c’est d’abord le rapport de forces, mais il y a quand même certaines convenances à respecter. Si la coalition américaine gagne cette guerre, il sera difficile ensuite de contester les frontières de l’Ukraine. Si le but de la Pologne était de récupérer des morceaux, elle aurait au contraire tout intérêt à une victoire russe…

              [Et au bout du compte de couper l’Union européenne de l’Est et de la maintenir dans l’orbite de l’Otan.]

              Certainement.

              [« Je pense que c’est là le noeud de l’affaire. La Pologne veut jouer dans la cour des grands en Europe, et pour cela, elle compte sur ses liens privilégiés avec les Américains. Plus que remplacer Berlin, je pense qu’elle songe à remplacer Londres… » L’influence anglaise en Europe centrale, c’est peanuts.]

              Ce n’était pas dans ce sens-là que je le disais. La politique de Londres a été la même depuis quatre siècles : empêcher qu’apparaisse une puissance dominante en Europe. Et pour cela, elle a joué les contrepoids : l’Allemagne et la Russie contre la France, puis la France et la Russie contre l’Allemagne. La politique américaine reprend d’une certaine manière les mêmes objectifs. J’ai lu un papier fort intéressant sur la question, qui montre combien les Américains ont vu avec méfiance la montée en puissance de l’Allemagne ces dernières années, et la crainte qu’inspirait à Washington cette puissance économique prête à négocier avec les Chinois et les Russes en fonction de ses propres intérêts. Une Pologne avide d’appui américain fournit un contrepoids idéal… et la guerre en Ukraine a permis aux américains de provoquer en Allemagne une crise énergétique qui risque de tourner à la crise économique.

              Souvenez-vous que les Américains cherchent d’abord des alliés faibles. Un allié fort pourrait avoir envie de mener une politique autonome. C’est pourquoi ils n’aimaient pas De Gaulle, et ont tout fait pour que la France n’accède pas à la dissuasion nucléaire. De ce point de vue, la Pologne fait un bien meilleur allié que l’Allemagne.

            • Gugus69 dit :

              Si la coalition américaine gagne cette guerre, il sera difficile ensuite de contester les frontières de l’Ukraine.
               
              Sans doute, mais… Si elle la perdait ? Cette hypothèse est loin d’être inenvisageable aujourd’hui.
              Et du coup, Les Polonais auraient une belle carte à jouer dans l’ouest ukrainien. Les Russes ne cherchent rien à l’ouest du Dniepr…

            • Descartes dit :

              @ Gugus69

              [“Si la coalition américaine gagne cette guerre, il sera difficile ensuite de contester les frontières de l’Ukraine.” Sans doute, mais… Si elle la perdait ?]

              Autrement dit, vous pensez que le gouvernement Polonais, tout en étant le fer de lance de l’interventionnisme européen dans le conflit et un soutien inconditionnel de la “ligne dure” américaine, parie sur la défaite de la coalition occidentale pour récupérer des territoires ? Vous ne trouvez pas que cela fait un peu trop machiavélique ? Je ne peux que vous conseiller l’utilisation du rasoir d’Occam…

            • Gugus69 dit :

              Autrement dit, vous pensez que le gouvernement Polonais, tout en étant le fer de lance de l’interventionnisme européen dans le conflit et un soutien inconditionnel de la “ligne dure” américaine, parie sur la défaite de la coalition occidentale pour récupérer des territoires ? Vous ne trouvez pas que cela fait un peu trop machiavélique ? Je ne peux que vous conseiller l’utilisation du rasoir d’Occam…
               
              Vous m’avez mal compris, ami et camarade. Ce que je pense, c’est que, quelle que soit l’issue du conflit – victoire de la Russie ou victoire de l’Otan – les Polonais seront gagnants dans les deux cas. J’ajouterais d’ailleurs, que leur position en sera confortée au sein de l’UE, où ils étaient en difficulté avant le conflit, tout comme les Hongrois. Les véritables perdants dans les deux cas seront les Allemands.

            • Descartes dit :

              @ Gugus69

              [Ce que je pense, c’est que, quelle que soit l’issue du conflit – victoire de la Russie ou victoire de l’Otan – les Polonais seront gagnants dans les deux cas. J’ajouterais d’ailleurs, que leur position en sera confortée au sein de l’UE, où ils étaient en difficulté avant le conflit, tout comme les Hongrois. Les véritables perdants dans les deux cas seront les Allemands.]

              Je pense aussi que les Polonais tireront beaucoup d’avantages de cette guerre, quelle qu’en soit l’issue. Ils auront réussi à apparaître comme le meilleur soutien de la politique américaine dans la région, alors que l’Allemagne aura été un allié réticent vu ses liens économiques avec la Russie et, surtout, la Chine. Mais je ne partage pas pour autant votre hypothèse de gains territoriaux au dépens de l’Ukraine, quelque soit l’issue de la guerre d’ailleurs.

  25. Rogers dit :

    Bonjour René, 
    Auriez-vous une petite bibliographie sur l ‘histoire de l’ urss ? 
    Bien à vous 

    • Descartes dit :

      @ Rogers

      Sur un sujet tellement vaste, difficile de proposer une bibliographie. Il y a peu d’ouvrages qui couvrent la totalité de la période. Si vous voulez une introduction qui vous donne une frise écrite d’une perspective pas trop malveillante, “Histoire de l’URSS” de Nicolas Werth (PUF) est une bonne introduction, qui a l’avantage de replacer l’histoire soviétique dans l’histoire de la Russie. Le livre de Alexandre Sumpf, “De Lénine à Gagarine” fait lui plutôt dans l’histoire sociale et permet de comprendre certaines choses. C’est quand même un sujet où il ne faut pas s’attendre à une histoire “neutre”: il est difficile d’écrire sur le sujet sans parti pris.

  26. Frank Ferrari dit :

    Article perspicace qui dissèque très bien certains des mécanismes qui sont en train de causer notre perte. Ces mécanismes, je les ai vus à l’œuvre à l’université; ils ont déjà totalement ravagé l’école primaire et secondaire, ils s’attaquent gravement à l’hôpital, à la police (comme vous le décrivez), à l’armée. Et il y a beaucoup trop de lâches parmi les gens intelligents pour contrer cet effondrement dramatique.
    Voilà quelques années que je suis votre blog avec assiduité et grand plaisir; une connaissance me l’avais recommandé pendant le Covid… Je savais que j’étais un peu (ou plus qu’un peu) communiste et vous lire l’a confirmé ! 😉
    Je n’avais jusqu’ici jamais pris le temps de commenter mais je souhaitais enfin le faire pour vous faire part de mon admiration.

    • Descartes dit :

      @ Frank Ferrari

      [Et il y a beaucoup trop de lâches parmi les gens intelligents pour contrer cet effondrement dramatique.]

      Il est toujours difficile de savoir s’il s’agit de lâcheté ou de prudence. Je ne pense pas qu’on puisse qualifier de “lâche” celui qui refuse de mettre en danger sa vie personnelle et professionnelle, son avenir et celui de ses enfants pour s’engager dans un combat perdu d’avance. Et il est vrai que dans le contexte d’aujourd’hui, le rapport de forces étant ce qu’il est, il est difficile de se persuader qu’une victoire – ou même une défaite honorable – sont possibles. D’un autre côté, nul n’est prophète, et des combats qui paraissaient perdus d’avance se sont révélés gagnables… pour reprendre la formule de ce maréchal napoléonien, “en temps troublés, ce qui est difficile ce n’est pas de faire son devoir, mais de le connaître”.

      [Je n’avais jusqu’ici jamais pris le temps de commenter mais je souhaitais enfin le faire pour vous faire part de mon admiration.]

      Je vous remercie, savoir que des lecteurs apprécient mes écrits m’aide à continuer ce travail. Mais n’hésitez pas à commenter, les débats sont souvent plus intéressants que ce que je peux écrire…

      • Frank dit :

        En fait, j’ai tiré cette idée qu’il y a beaucoup de lâches parmi les gens intelligents de Soljenitsyne. Si ma mémoire est bonne, il pensait déjà, il y a longtemps, que c’était un gros problème pour l’Occident… Mais sinon vous avez raison : une sévérité exagérée ne mène à rien et la ligne entre lâcheté et prudence est diffuse.
        Ceci dit, pour parler de ce que je connais vraiment bien, c’est-à-dire le monde universitaire et la recherche scientifique de pointe, les lâches en question sont des quadras ou des quinquas titulaires, qui bénéficient d’une vraie liberté académique.  Ils ne risquent pas grand-chose vis-à-vis de leur carrière. Alors oui, il s’agit bien de lâcheté. Une lâcheté induite par la faiblesse morale généralisée qui caractérise le monde néolibéral déchaîné dans lequel nous essayons de survivre… Et cette lâcheté est mêlée de je-m’en-foutisme dans l’idée qu’après moi, le déluge, et aussi d’un très grand mépris pour les étudiants. Je fais évidemment des raccourcis, il faudrait un long papier pour décortiquer les mécanismes en détail.
        Désolé pour cette réponse peu réjouissante… Il n’en reste pas moins qu’on peut et qu’il faut rester debout !

        • Descartes dit :

          @ Frank

          [En fait, j’ai tiré cette idée qu’il y a beaucoup de lâches parmi les gens intelligents de Soljenitsyne. Si ma mémoire est bonne, il pensait déjà, il y a longtemps, que c’était un gros problème pour l’Occident…]

          Le raisonnement de Soljenitsyne ne m’a pas véritablement convaincu. Je crois qu’il y a une confusion entre lâcheté et ce que, à défaut d’un mot plus précis, j’appellerais l’aquabonisme. Le courage, c’est la disposition à prendre des risques dans un but déterminé. Mais encore faut-il que le but en question vaille la peine. Prendre des risques pour une vétille, ce n’est pas du courage, c’est de la bêtise.

          Vous parlez du milieu universitaire. A ce sujet, on peut citer un exemple : Frédéric Joliot racontait comment dans sa jeunesse, avec un camarade judoka comme lui, il raccompagnait chez lui après ses cours le professeur Paul Langevin, dont les engagements politiques faisaient une cible des mouvements d’extrême droite. Moins dramatique qu’un engagement dans les Brigades Internationales ou dans la France Libre, Langevin jugeait son engagement antifasciste suffisamment important pour prendre le risque de se faire tuer dans la rue, et Joliot et son copain jugeaient cet engagement suffisamment important pour prendre des risques pour le protéger.

          Revenons au présent : lorsqu’il s’agit de donner à un collège le nom de Samuel Paty, la « communauté éducative » – essentiellement les parents et les enseignants – refusent. Ce serait se mettre en danger. Mais est-ce là de la lâcheté ? Ou plus banalement l’idée que cela ne vaut pas la peine de prendre un risque pour un acte qui à leurs yeux est purement symbolique et n’a aucun effet sur la réalité ? « A quoi bon » se mettre en danger pour quelque chose qui ne vaut pas la peine ?

          Lorsqu’on regarde notre société, on note que ce qui manque le plus ce n’est pas tant la disposition à prendre des risques que la conviction que certains buts en valent la peine. Je suis toujours impressionné par le discours des militants qui ont réjoint les brigades internationales en Espagne ou celui des jeunes hommes qui ont rejoint De Gaulle à Londres en 1940, laissant tout derrière eux et risquant leur vie pour une cause. Pour eux, la victoire du fascisme ou l’occupation étaient insupportables, faire avancer la révolution socialiste ou chasser l’occupant valait tous les sacrifices : famille, études, et même la vie.

          Dans notre société hyper-individualiste, ce qui nous manque n’est pas tant le courage que la conscience de l’importance des choses. Le « à quoi bon » règne en maître. Et c’est cet aquabonisme qui fait que nous cédons quotidiennement du terrain plutôt que de fixer une ligne rouge et combattre lorsqu’elle est dépassée. La dégradation de la situation à l’école ou dans les quartiers illustre parfaitement cette dérive.

          [Ceci dit, pour parler de ce que je connais vraiment bien, c’est-à-dire le monde universitaire et la recherche scientifique de pointe, les lâches en question sont des quadras ou des quinquas titulaires, qui bénéficient d’une vraie liberté académique. Ils ne risquent pas grand-chose vis-à-vis de leur carrière. Alors oui, il s’agit bien de lâcheté.]

          Je ne sais pas à quelle situation vous faites référence. Mais même en étant titulaire, les risques ne sont pas négligeables. Pensez à l’affaire de Sciences Po Grenoble, où un enseignant accusé d’islamophobie avait vu son nom placardé, ses cours boycottés. Les élèves ayant monté la cabbale n’ont pas été sanctionnés, c’est l’enseignant qui a écopé d’une suspension… pour avoir dénoncé la persécution dont il faisait l’objet dans la presse.

          Quelle est la cause jugée aujourd’hui suffisamment importante, suffisamment vitale pour mériter qu’on prenne le risque de ces désagréments ? Voilà la véritable question. Plus que de courage, on manque d’engagement. C’est cela qui frappe aujourd’hui : rien n’est véritablement important.

          [Et cette lâcheté est mêlée de je-m’en-foutisme dans l’idée qu’après moi, le déluge, et aussi d’un très grand mépris pour les étudiants. Je fais évidemment des raccourcis, il faudrait un long papier pour décortiquer les mécanismes en détail.]

          Oui, mais c’était là mon point : « à quoi bon » prendre des risques et se battre pour une institution dont « on se fout » et des étudiants « qu’on méprise » ? Ne parlons pas du courage qui consiste à risquer sa vie, mais d’un courage bien plus quotidien. Quand j’étais enfant, j’avais un instituteur qui ne manquait jamais à son poste. Quand il y avait grève des transports, il se levait à 5 heures du matin et marchait deux heures depuis son domicile jusqu’à l’école, avec la perspective de marcher encore deux heures le soir pour rentrer chez lui. Tout simplement parce que l’idée de manquer à son poste lui était insupportable. Et il n’était pas le seul dans son cas. Combien d’enseignants aujourd’hui agiraient de la sorte ? Probablement beaucoup moins, parce qu’ils sont moins nombreux à penser que ce qu’ils font devant leur classe est important. Suffisamment important pour mériter cet effort exceptionnel.

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