Le juge est l’assassin ?

« maintenant, y a plus rien qui changera pour les gens comme nous » (Anaëlle, électrice à Hénin-Beaumont, d’après « Le Monde », 31 mars 2025)

On prend toujours des risques à commenter l’actualité à chaud. La tentation de faire des prédictions ou d’exprimer des jugements définitifs alors que l’information connue est très limitée peut faire dire beaucoup de bêtises… et cependant, je peux difficilement me retenir à commenter la décision de justice du tribunal judiciaire de Paris qui, au-delà des lourdes peines prononcées au principal, les accompagne d’une peine accessoire d’inéligibilité avec exécution provisoire. Cette peine revient, en pratique, à empêcher Marine Le Pen d’être candidate à l’élection présidentielle de 2027 et, accessoirement, de présenter son nom à une élection législative dans l’hypothèse, tout à fait vraisemblable, d’une dissolution.

D’abord, pour qu’il n’y ait pas d’ambigüité, voilà ma position sur la question de l’inéligibilité : si je suis tout à fait favorable à une peine de déchéance des mandats électifs en cours, je suis par principe opposé à toute peine d’inéligibilité. Si le juge prononce une peine pour détournement de fonds publics à l’encontre de monsieur X., on ne porte pas atteinte au libre choix des électeurs en exigeant de lui qu’il abandonne un mandat électif en cours. On peut en effet arguer que lorsque les électeurs lui ont accordé leur confiance, ils n’avaient pas accès à l’intégralité des informations concernant le candidat, et que dans ces conditions l’acte électoral par lequel son mandat lui a été confié est en partie vicié. Par contre, si monsieur X. souhaite se présenter devant les électeurs une fois sa condamnation devenue définitive, doit-on l’en empêcher ? A mon avis, non, parce qu’en démocratie « la cour suprême est le peuple souverain ». Dès lors que monsieur X. a été publiquement condamné, l’électeur a en main toute l’information sur lui. S’il décide de lui confier un mandat malgré sa condamnation, c’est son choix. Et ni le juge, ni le législateur n’ont une légitimité pour l’en empêcher. On peut d’ailleurs constater que le président de la République reçoit avec son mandat le droit de grâce, c’est-à-dire celui de commuer ou effacer n’importe quelle peine. Si le peuple souverain lui a confié ce pouvoir, c’est qu’il l’avait lui-même originalement. Rien de scandaleux donc à ce que le peuple puisse décider de « gracier » électoralement un candidat.

Pourquoi cette sage doctrine n’a pas été retenue par le législateur ? Parce que la logique du « un fait divers, une loi » s’est imposée chez nous. Devant la multiplication des scandales montrant le manque de probité de certains de nos politiciens, les autres n’ont vu d’autre alternative pour essayer de se détacher des pestiférés qu’une surenchère punitive. Et comme les partis politiques n’ont plus assez de poids pour faire la police dans leurs rangs, on est allé demander aux juges de la faire à leur place, avec des peines de plus en plus lourdes et de moins en moins adaptées. Et c’est vrai à gauche comme à droite. La loi Sapin II, qui aggrave les peines et rend certaines d’entre elles automatiques, a été votée par la gauche sous le mandat de François Hollande parce qu’il fallait laver devant l’opinion les péchés de Jerôme Cahuzac. Mais Marine Le Pen elle-même avait, à l’époque, demandé une peine d’inéligibilité « à vie ». Dans ces conditions, il est difficile de reprocher au tribunal qui aujourd’hui condamne un certain nombre de dirigeants du Rassemblement National d’avoir pris une décision qui va au-delà du droit, même si elle a des conséquences politiques évidentes. La décision du tribunal est parfaitement justifiable en droit même si elle reste, comme toute décision humaine, discutable, notamment sur des points comme le lien établi entre les choix de stratégie de défense et le « risque de récidive » qui a été utilisé pour justifier l’exécution provisoire. Mais honneur à qui honneur est dû, plus que la décision des juges, c’est la loi qui est mal faite. Ce sont nos parlementaires qui, par démagogie, ont voté une loi qui, comme beaucoup de lois récentes, organise l’impuissance du politique en transférant les décisions gênantes aux juges. Ce ne sont pas les juges qui accordent les mandats électifs, c’est le peuple. Et c’est au peuple, utilement informé par la discipline interne des partis politiques, de les retirer.

Au-delà du débat juridique, cette affaire est politiquement extrêmement grave. Elle risque d’affaiblir des institutions déjà passablement secouées en fragmentant toujours plus et toujours plus violemment la société française. Elle est d’autant plus grave qu’elle arrive après l’annulation de l’élection présidentielle roumaine, où un candidat qualifié de « populiste » était arrivé en tête au premier tour, au motif que le processus électoral aurait été vicié par la propagande russe sur les réseaux sociaux. Mais on va plus loin : le candidat en question, Calin Georgescu, est interdit de se présenter à l’élection organisée en remplacement de celle annulée. Pourtant, les électeurs sont maintenant pleinement informés du fait qu’il a bénéficié de ce soutien. Si les électeurs veulent voter pour lui quand même, qui a le droit de les en empêcher ? Accepter l’idée d’un filtre judiciaire des candidatures implique admettre que les électeurs sont trop bêtes pour bien choisir leurs représentants, et qu’il faut prévoir une instance tutélaire qui tiendrait la main du peuple au cas où celui-ci ne ferait pas le « bon » choix. Or, la démocratie repose précisément sur l’idée que l’électeur – qu’il ait tort ou raison – a le droit de choisir ses représentants par lui-même, sans que personne présélectionne les candidats pour lui. Remettre en cause ce principe, c’est remettre en cause le cœur de la démocratie représentative. Car comment un élu pourrait prétendre me représenter si je n’ai pas la liberté de choisir qui je veux pour le faire ?

Au-delà de la question de savoir si le juge a bien ou mal appliqué la loi, je pense qu’il y a une question bien plus vaste à considérer. Celle, éternelle, du rapport entre droit et politique. Les défenseurs de l’Etat de droit nous expliquent qu’en théorie, le juge applique la loi, toute la loi et rien que la loi. Et la loi est égale pour tous, grands et petits, politiciens ou gens du commun. Mais nous sommes dans le monde réel, et non celui, idéalisé, des théories juridiques. Et on est en droit de se demander si la belle théorie qu’on enseigne dans les facultés de droit peut être appliquée dans la réalité. Dire qu’elles ne le sont pas parce que le juge n’est jamais tout à fait neutre, c’est manquer le point. La véritable question est de savoir si un juge, même parfaitement neutre et apolitique, peut, dans le monde réel, être insensible aux conséquences institutionnelles et sociales de ses décisions.

De ce point de vue, nous avons un précédent très intéressant et aujourd’hui un peu oublié. Je parle, vous l’aurez deviné, de l’élection de Jacques Chirac en 1995. Ecoutons Roland Dumas, à l’époque président du Conseil Constitutionnel, s’exprimant en 2015 dans les colonnes du « Figaro » : « Je peux le dire aujourd’hui, les comptes de campagne d’Edouard Balladur et ceux de Jacques Chirac étaient manifestement irréguliers ». Une irrégularité qui, si le juge avait appliqué la loi sans se poser des questions, aurait entraîné l’annulation de l’élection et une possible peine d’inéligibilité pour les candidats concernés. Mais, ajoute Dumas, « peut-on prendre le risque d’annuler l’élection présidentielle et de s’opposer, nous, Conseil constitutionnel, à des millions d’électeurs et ainsi remettre en cause la démocratie ? ». La réponse du Conseil à cette question a été négative : grâce à l’activisme forcené de son président, qui a réussi à amener à son point de vue l’ensemble de ses membres – ceux nommés par la gauche comme ceux nommés par la droite –  il a validé les comptes. Et en 2015, vingt ans après les faits, Roland Dumas reste « convaincu d’avoir sauvé la République ». A ma connaissance, personne n’a jamais démenti sa description des faits, et encore moins critiqué au fond une décision qui est, manifestement, politique. Non pas partisane, puisque le souci des juges n’était pas de privilégier tel ou tel parti, mais politique au sens noble du terme : il fallait protéger les institutions, quitte à violer la loi. Difficile de trouver une expression plus pure de la primauté de la raison d’Etat.

C’est pourquoi il faut se méfier de ceux qui tiennent le discours « dura lex sed lex », qui se drapent dans leur dignité de vierge offensée à l’heure de défendre « l’indépendance de la justice » et « l’Etat de droit ». Méfiance d’autant plus justifiée que lorsque la décision concernait l’un des leurs amis, leurs discours étaient bien moins définitifs. Dans le monde réel, la question se pose : Le juge – même supposé idéal, parfaitement indépendant et dépourvu de tout préjugé – a-t-il raison lorsqu’il prend une décision qui, tout en étant parfaitement légale et conforme au droit, met en danger les institutions ? Le droit est-il une valeur suprême, qu’on doit placer au-dessus de la cohésion même de la société, c’est-à-dire, de l’ordre public au sens large ? La justice doit-elle en toute circonstance être aveugle ? Le juge n’a-t-il d’autre fonction que d’appliquer appliquer le droit, ou doit-il aussi prendre en compte les intérêts de la société dans son ensemble ? Je laisse ces questions à votre sagacité…

Cette décision est peut-être conforme au droit. On peut même supposer qu’elle est conforme à l’éthique. Mais cela n’enlève au rien au fait qu’elle est dangereuse. Elle va alimenter la polarisation politique. Une partie de l’électorat percevra cette décision comme une tentative d’utiliser des faits – et peu importe qu’ils soient établis au-delà de tout doute raisonnable – qu’elle ne juge pas particulièrement condamnables (1) pour la priver de représentation politique. C’est très grave, parce que le processus démocratique ne fonctionne bien qu’aussi longtemps que l’ensemble des groupes sociaux pensent pouvoir faire valoir leurs intérêts à travers lui plutôt que par d’autres moyens. Lorsqu’un groupe – et on ne parle pas ici d’un groupuscule, mais d’une dizaine de millions d’électeurs – sent que l’inscription dans le processus démocratique ne lui apporte rien, que le processus électoral est irrémédiablement biaisé contre lui, le système est en danger. Rien n’est plus dangereux pour les institutions démocratiques qu’un groupe social qui pense n’avoir rien à perdre à renverser la table – ou plus bêtement, à ignorer la loi. Un tel groupe peut facilement faire basculer la société dans l’anomie ou la violence.

Et maintenant (comme disait Becaud), que faire (comme disait Lénine) ? On se trouve, suivant la formule napoléonienne, dans une situation à partir de laquelle il n’y a que des mauvaises solutions. Comment raccrocher les couches populaires au processus démocratique alors qu’on vient de priver le parti tribunicien de sa principale représentante ? Dans un tel contexte, la plus grande prudence s’impose. Il faut être conscients du risque de voir l’électorat du RN – et une bonne partie des couches populaires – entrer en dissidence par rapport au processus démocratique lui-même. L’expérience communiste est de ce point de vue éloquente. Tant que le PCF était fort et présent, on n’a pas eu des émeutes dans les cités. Pourquoi ? Parce que les populations se sentaient représentées et encadrées, et que cette représentation leur offrait une possibilité de faire avancer leurs revendications dans le cadre démocratique. Lorsque le Parti s’affaiblit dans les années 1980 et que la population des cités cesse d’être représentée par un monde politique qui lui tourne le dos, le non-droit et la violence s’installent.

Malheureusement, tout le monde n’a pas cette sagesse. Je suis par exemple étonné par l’imprudence de ceux qui, comme Ruffin ou Tondellier mais aussi une partie du « bloc central », répètent du haut de leur bonne conscience que « justice a été faite », épousant la vision « germanique » qui fait de la sacralisation du droit l’alpha et l’oméga de la démocratie. Or, on l’a vu en 1995, la démocratie n’est pas réductible à l’Etat de droit. Le processus de ratification du traité de Lisbonne, par exemple, était parfaitement conforme au droit, et les juges qui ont eu à se pencher sur le processus de ratification n’ont pu qu’arriver à cette conclusion. Il n’en reste pas moins que cette ratification, qui contournait en grande partie le vote des Français, a eu des conséquences désastreuses : il a approfondi le fossé entre les couches populaires et les institutions, alimenté l’abstention et le vote extrême. A contrario, François Mitterrand avait eu, devant les protestations massives d’une partie de la société, la sagesse de retirer la loi Savary, alors qu’il avait en droit les moyens de la faire voter, et même la légitimité pour le faire puisque cela faisait partie de ses promesses de campagne. Le manque de culture historique de nos dirigeants, leur inexpérience, et une formation qui est de plus en plus juridique fait qu’ils ne comprennent pas que ce n’est pas parce qu’un acte est juridiquement permis qu’il est politiquement légitime. Et que quand bien même le droit vous permet dans certaines circonstances de passer en force, ce choix a un coût politique qui peut être prohibitif.

Il est très difficile de dire quel effet ce coup de massue aura sur les comportements électoraux, mais il n’est pas improbable que le réflexe de forteresse assiégée permette au Rassemblement national de garder et d’élargir son assise. L’effet sur la présidentielle est aussi difficile de mesurer, mais on peut anticiper que la légitimité du candidat élu en 2027 alors que son opposant le plus redoutable aurait été privé de scrutin risque d’en souffrir profondément. La question inquiète suffisamment une partie du « bloc central » pour que certains examinent des possibilités de remettre Marine Le Pen dans la course – après avoir tout fait pour la sortir, mais on n’est pas à une contradiction près.

Certains favorisent la possibilité d’accélérer la procédure pour permettre à la cour d’appel de se prononcer avant l’élection de 2027, ce qui – moyennant le fait que la peine soit modifiée en appel, ce qui n’est nullement certain – permettrait à Marine Le Pen de se présenter. Cela paraît un schéma improbable, mais pas totalement impossible. Cela reste un processus aléatoire qui, quand bien même donnerait le résultat escompté, ne deviendra pas certain avant le deuxième semestre de l’année prochaine, ce qui suppose qu’une partie de la campagne se fera dans une incertitude maximale… D’autres proposent de modifier la loi pour supprimer la possibilité d’exécution immédiate des peines d’inéligibilité, modification qui, à supposer qu’elle soit votée, risquerait de faire plus de mal que de bien. En effet, si l’appel est examiné dans des délais compatibles avec l’élection présidentielle, ce qui semble devoir être le cas, il est possible que la cour d’appel confirme la peine d’inéligibilité… et on serait dans ce cas revenus à la case départ. Il y en a aussi qui s’imaginent que le Rassemblement national pourrait se résigner et présenter Jordan Bardella comme candidat. Cette solution fait peur à la droite – et est donc la préférée des socialistes – parce que Bardella a une image bien moins « social-souverainiste » et plus « libérale », susceptible d’attirer une partie de l’électorat LR. Mais c’est je pense mal connaître Marine Le Pen que de s’imaginer qu’elle pourrait abandonner le combat sans se battre jusqu’au bout.

 La proposition la plus conforme aux institutions vient, comme souvent, d’Henri Guaino et elle me semble finalement la plus élégante politiquement : une grâce présidentielle spontanée – qui pourrait d’ailleurs ne toucher que la peine d’inéligibilité. Une telle décision pourrait parfaitement être justifiée au nom du besoin de garantir la légitimité démocratique du résultat des prochaines élections présidentielles. Emmanuel Macron se grandirait en proposant une solution qui n’apparaîtrait guidée que par un souci de préserver les institutions dont il est le garant – même s’il les a bien malmenées depuis 2017. Mais je doute beaucoup de sa capacité à se hisser au-dessus des petits jeux politiciens. Une telle solution serait présentée par ses adversaires comme une forme de complaisance pour le RN, voire une volonté de rééditer le coup des élections de 2017 et de 2022.

Il faut agir, et vite. La France ne peut se permettre de prolonger une situation qui ajoute un élément de division à une paralysie institutionnelle déjà bien avancée. Elle ne peut surtout pas se permettre de donner l’impression à un tiers de sa population que, selon la formule en exergue de cet article, « maintenant, y a plus rien qui changera pour les gens comme nous ». La tentation de laisser les choses traîner avec l’espoir qu’elles se règlent toutes seules – une spécialité de nos politiciens centristes adeptes du petit père Queuille – est une très mauvaise conseillère.

Descartes

(1) Il faut bien rappeler que le « système » du RN consistait à récupérer des fonds du parlement européen pour les injecter dans la politique française. Ceux qui veulent accabler le RN rappellent qu’elle a bien détourné « de l’argent du contribuable européen ». Sauf que le « contribuable européen » n’existe pas. Même moi, pour qui le détournement des fonds publics en France est un péché capital, je ne suis pas particulièrement ému par le détournement des fonds du parlement européen qui, dans tous les cas, auraient été utilisés dans une finalité inutile et même nuisible. Je ne doute pas que pour un très grand nombre de nos concitoyens – et pour la quasi-totalité des électeurs du RN – c’est aussi le cas.

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62 réponses à Le juge est l’assassin ?

  1. Musée de l'Europe dit :

    [Elle ne peut surtout se permettre donner l’impression à un tiers de sa population que, selon la formule en exergue de cet article « maintenant, y a plus rien qui changera pour les gens comme nous »]
    On touche là au vrai pb : l’effondrement de la croyance démocratique sur laquelle repose l’adhésion à l’ordre social. Mais s’agit-il de sauver une croyance (que les élections peuvent changer quelque chose pour “les gens comme nous”) ou de faire en sorte que les élections “changent quelque chose” pour les gens comme nous, à supposer que ce soit possible ?
    La fonction tribunicienne stabilise le système, mais est-elle dans l’intérêt des “gens comme nous” tant qu’aucune remise en question de “la seule politique possible” n’est… possible (et je ne vois chez le RN rien qui aille dans le sens des “gens comme nous”… Par contre c’est un bon stabilisateur : il permet l’élection de Macron deux fois, il permet le gouvernement Bayrou…)
     

    • Descartes dit :

      @ Musée de l’Europe

      [On touche là au vrai pb : l’effondrement de la croyance démocratique sur laquelle repose l’adhésion à l’ordre social. Mais s’agit-il de sauver une croyance (que les élections peuvent changer quelque chose pour “les gens comme nous”) ou de faire en sorte que les élections “changent quelque chose” pour les gens comme nous, à supposer que ce soit possible ?]

      Les deux sont liés. Combien de temps on peut maintenir une fiction alors qu’elle est démentie par les faits ? Lorsqu’il y a envie – ou plutôt intérêt – à croire, indéfiniment. Mais ce n’est pas le cas ici. Les couches populaires n’ont aucun intérêt à croire que le vote peut changer quelque chose pour elles alors que ce n’est pas le cas. La fiction en question, en l’absence d’une réelle possibilité de changer les choses, ne peut se soutenir longtemps. Jusqu’ici, le RN a réussi partiellement à maintenir cette fiction avec deux leviers. Le premier, c’est qu’il a EFFECTIVEMENT changé des choses. Son vote a été crucial par exemple dans le rejet du TCE. Et un certain nombre de problématiques que le monde politique se refusait à regarder en face – l’identité nationale, la sécurité – sont aujourd’hui abordées dans le débat public en partie sous la pression du RN. Le deuxième levier, c’est sa progression continue. Même s’il n’a pas aujourd’hui le pouvoir – et donc la possibilité de changer directement les choses – le RN a réussi à implanter l’idée que cela deviendrait possible dans un avenir proche.

      [La fonction tribunicienne stabilise le système, mais est-elle dans l’intérêt des “gens comme nous” tant qu’aucune remise en question de “la seule politique possible” n’est… possible (et je ne vois chez le RN rien qui aille dans le sens des “gens comme nous”… Par contre c’est un bon stabilisateur : il permet l’élection de Macron deux fois, il permet le gouvernement Bayrou…)]

      Oui. Mais la fonction tribunitienne ne peut jouer son rôle de stabilisateur que si le tribun est capable périodiquement d’obtenir quelque chose. Le cas du PCF est de ce point de vue très parlant: pendant des années, le PCF a conservé l’adhésion des couches populaires parce qu’il prouvait son efficacité en tant que “tribun”. Non seulement il orientait le débat public grâce à sa force de frappe intellectuelle, non seulement il obtenait effectivement des conquêtes du fait de son poids politique et syndical, mais à travers le communisme municipal il était en mesure de changer les choses pour une partie des couches populaires. Mais après avoir perdu bataille après bataille pendant deux décennies – de la sidérurgie au textile, des privatisations à la construction européenne – il est apparu comme un “tribun inefficace”, et n’a plus joué son rôle de “stabilisateur”…

      La fonction tribunitienne n’est pas une simple simulation qui permet au système de berner les exploités. C’est une forme de concession, dans laquelle les classes dominantes acceptent de faire des concessions pour acheter l’ordre social. Mais les concessions en question ne sont pas un leurre, elles sont bien réelles.

  2. Lafleur dit :

    Merci pour ce regard, comme toujours bien argumenté, sur cet évènement.
    [. Je suis par exemple étonné par l’imprudence de ceux qui, comme Ruffin ou Tondellier mais aussi une partie du « bloc central », répètent du haut de leur bonne conscience que « justice a été faite », épousant la vision « germanique » qui fait de la sacralisation du droit l’alpha et l’oméga de la démocratie. ]
    Pas moi.
    Marine Tondelier est allée jusqu’à dire qu’elle approuvait une décision politique des magistrats contre l’infâme par une attitude agressive. Elle est bonne cliente et pleine de morgue, comme la petite bourgeoisie “progressiste”, à l’égard des Anaëlle. La fausse conscience a encore de beaux jours et je partage votre vision sur les effets pour le RN. Car on peut “tuer un Homme” mais pas les idées. La notion de “lawfare” développée par Mélenchon est utile au RN. Mais, à chaque fois qu’elle ouvre la bouche … on comprend pourquoi elle est à chaque fois battue par Marine Le Pen à Hénin-Beaumont quelque soit le scrutin. 
    Ils sont deux caricatures des représentants des classes intermédiaires que vous décrivez si pertinemment. Et économiquement, ce sont des partisans de l’ordo libéralisme, étant de “gôche”, juste et équitable, moral. Il fallait les voir au moment des européennes taper sur les Chinois, par racisme de classe, et exiger une politique “trumpienne” de droits de douane pour défendre le produire en France par Metex de lysine pour l’animation du bétail (en ignorant évidemment le coût de l’énergie ou la libéralisation du sucre).
    En tout cas d’accord avec votre proposition de déchéance et d’écarter à terme l’inéligibilité. Tout comme je pense bien aussi que le détournement ne doit pas beaucoup émouvoir les sympathisants et électeurs d’un parti que la classe médiatique stigmatise sur toutes les ondes comme “anti européen” et dont le rôle des élus, d’un groupe minoritaire, n’a que très peu de réel pouvoir au sein d’un “faux” parlement.
     
     

    • Descartes dit :

      @ Lafleur

      [« Je suis par exemple étonné par l’imprudence de ceux qui, comme Ruffin ou Tondellier mais aussi une partie du « bloc central », répètent du haut de leur bonne conscience que « justice a été faite », épousant la vision « germanique » qui fait de la sacralisation du droit l’alpha et l’oméga de la démocratie. » Pas moi.]

      Mon étonnement concernant Tondellier était, vous l’aurez compris, rhétorique. Le cas de Ruffin est différent. Ses discours ces dernières années montrent qu’il a bien compris que la gauche se fourvoie et que la priorité aujourd’hui est pour elle de rétablir des ponts avec les couches populaires. Répéter que Marine Le Pen a bien mérité ce qui lui arrive n’est pas, à mon sens, très cohérent avec cette stratégie.

      [La notion de “lawfare” développée par Mélenchon est utile au RN. Mais, à chaque fois qu’elle ouvre la bouche … on comprend pourquoi elle est à chaque fois battue par Marine Le Pen à Hénin-Beaumont quel que soit le scrutin.]

      Il ne faudrait pas oublier que la notion de « lawfare » (qui n’a pas été inventée par Mélenchon, mais plutôt par les populistes latinoaméricains où il puise son inspiration) ne concerne nullement la question de l’éligibilité. Elle a été pensée plutôt pour protéger des leaders populistes d’accusations de corruption et d’enrichissement personnel. Le cas de Cristina Kirchner en Argentine, avec qui Mélenchon avait signé une pétition contre le « lawfare », en est un excellent exemple.

      • Lafleur dit :

        [Répéter que Marine Le Pen a bien mérité ce qui lui arrive n’est pas, à mon sens, très cohérent avec cette stratégie.]
        Pour Ruffin, vous pensez que son propos est sincère dans de rétablir des ponts avec les couches populaires. Dont acte. Nous avons déjà amplement échangé dessus. Le populisme social et démocrate, un peu à la BSW, d’un Ruffin est un symptôme du syndrome de l’opportunisme “progressiste”, plaisant à nos classes intermédiaires. 
        J’espère que cette illustration permettra de mettre en évidence l’opportunisme (plus que la sincérité) de conviction et de responsabilité, d’où, ici, l’incohérence opérative. Ruffin n’a pas de stratégie car juste un but : être président comme Macron et déjà être candidat permanent à la prochaine présidentielle comme Mélenchon. Aucune stratégie pour le pays. Une vision opérative opportuniste et donc est ce un bon tacticien comme Mélenchon, l’avenir nous le dira… mais ce dernier a un avantage. 
        [Il ne faudrait pas oublier que la notion de « lawfare » (qui n’a pas été inventée par Mélenchon, mais plutôt par les populistes latinoaméricains où il puise son inspiration) ne concerne nullement la question de l’éligibilité.]
        Tout à fait. Mélenchon développe cette notion à son profit… car avec l’Ere du peuple voire avec leur propres assistants… LFI peut comme le RN ou le Modem être rattrapés. Malgré la condamnation prononcée en première instance, le RN oppose depuis pour sa bonne foi : “l’absence de corruption et d’enrichissement personnel”. 
         
         

        • Descartes dit :

          @ Lafleur

          [« Répéter que Marine Le Pen a bien mérité ce qui lui arrive n’est pas, à mon sens, très cohérent avec cette stratégie. » Pour Ruffin, vous pensez que son propos est sincère dans de rétablir des ponts avec les couches populaires. Dont acte.]

          Je ne crois pas avoir écrit pareille chose. J’ai écrit que Ruffin a dit plusieurs fois que la seule chance de la gauche d’arriver au pouvoir est de draguer les couches populaires, et que ses déclarations ces derniers jours semblent contredire cette posture. Je n’ai rien écrit à propos de la « sincérité » de Ruffin. Mais puisque vous soulevez le point, je vais vous dire ma pensée : je pense que la question de la « sincérité » des politiques est une fausse question. Si je crois mon expérience, il y a parmi les politiques très peu de véritables cyniques, c’est-à-dire, des gens qui tiennent sur le fond un discours contraire à leurs convictions, et qui l’assument. La plupart d’entre eux arrivent à se convaincre eux-mêmes qu’ils œuvrent pour le plus grand bien de l’humanité, et qu’ils disent la vérité au peuple. Même les promesses électorales – dont on sait qu’elles sont faites pour être oubliées. Au moment où du haut de la tribune ils en parlent, je peux vous assurer qu’ils sont « sincèrement » convaincus de ce qu’ils disent.

          Ruffin est probablement « sincère » lorsqu’il dit qu’il faut rétablir des ponts avec les couches populaires, au sens qu’il croit vraiment que c’est ce qu’il faut faire et que lui-même est en train de le faire. Cela n’implique nullement qu’il soit prêt à faire ce qu’il faut pour.

          [Nous avons déjà amplement échangé dessus. Le populisme social et démocrate, un peu à la BSW, d’un Ruffin est un symptôme du syndrome de l’opportunisme “progressiste”, plaisant à nos classes intermédiaires.]

          Probablement. Mais lorsque vous parlez « d’opportunisme », vous simplifiez à mon avis la réalité. Il ne s’agit pas d’un opportunisme assumé, machiavélien. C’est un opportunisme de conviction, qui est rendu possible par la capacité qu’à l’homme à croire ce qui l’arrange.

          [Une vision opérative opportuniste et donc est ce un bon tacticien comme Mélenchon, l’avenir nous le dira… mais ce dernier a un avantage.]

          Mélenchon est l’un des rares politiciens « machiavéliens » dans le paysage, dans la droite lignée de sa formation trotskyste et de son maître Mitterrand – et ce n’est pas un hasard si tant d’anciens trotskystes sont devenus des mitterrandiens convaincus. C’est en partie son cynisme qui fait de lui un tacticien redoutable. Son problème, c’est qu’il arrive trop tard…

          [« Il ne faudrait pas oublier que la notion de « lawfare » (qui n’a pas été inventée par Mélenchon, mais plutôt par les populistes latinoaméricains où il puise son inspiration) ne concerne nullement la question de l’éligibilité. » Tout à fait. Mélenchon développe cette notion à son profit…]

          J’ai entendu hier Manon Aubry à RFM, confrontée à cette question. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle ne s’en est pas très bien sortie.

          • Lafleur dit :

            [J’ai écrit que Ruffin a dit plusieurs fois que la seule chance de la gauche d’arriver au pouvoir est de draguer les couches populaires, et que ses déclarations ces derniers jours semblent contredire cette posture. ]
            Effectivement. Et le terme posture est approprié. La “sincérité” est liée au “climat”, aux caractéristiques de sa circonscription. 
            Il est prêt à faire des choses, mais pour être élu. Autrement dit, sa “sincérité” est tactique. Comme pour Bardella ou d’autres. Et comme on dit, c’est au pied du mur qu’on découvre les capacités du maçon. Depuis le tournant de la rigueur ou au plus tard depuis le traité de Maastricht, les candidats critiques ou autres s’y rallient pour gagner.
            C’est bien le malheur depuis un certain temps. La vertu a dû mal à triompher du vice, purement électoraliste. “Gagner pour gagner”.
            [Probablement. Mais lorsque vous parlez « d’opportunisme », vous simplifiez à mon avis la réalité. Il ne s’agit pas d’un opportunisme assumé, machiavélien. C’est un opportunisme de conviction, qui est rendu possible par la capacité qu’à l’homme à croire ce qui l’arrange.]
            Oui, je simplifie.
            Et effectivement, un opportunisme de conviction.
            [Mélenchon est l’un des rares politiciens « machiavéliens » dans le paysage, dans la droite lignée de sa formation trotskyste et de son maître Mitterrand – et ce n’est pas un hasard si tant d’anciens trotskystes sont devenus des mitterrandiens convaincus. C’est en partie son cynisme qui fait de lui un tacticien redoutable.]
            Tout à fait.
            [J’ai entendu hier Manon Aubry à RFM, confrontée à cette question. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle ne s’en est pas très bien sortie.]
            Entre taper sur le RN car c’est le RN et défendre leur orga avec les procédures contre leurs attachés parlementaires européens et aussi les poursuites relatives à l’Ere du Peuple… Comme la girouette de M. E. Faure, ils changent de ligne en fonction des circonstances.
             
             
             
             

  3. Richard dit :

    Merci pour votre article très intéressant et informatif mais…
    “Et maintenant (comme disait Becaud), que faire (comme disait Lénine) ?”
    Je n’ai pas compris ces citations. Que vient faire Gilbert Becaud avec Vladimir Lénine. Je suis en train de vous demander un petit cours de Français.

    • Descartes dit :

      @ Richard

      Gilbert Becaud a écrit une chanson très connue dont les paroles commencent par: “Et maintenant que vais-je faire/De tout ce temps que sera ma vie?”. Lénine a écrit en exil un ouvrage dont le titre, “que faire ?”, dans lequel il traite des priorités d’un parti révolutionnaire. Accoler les deux n’était qu’un jeu de mots, pas très fin j’en conviens…

      • Sami dit :

        Si si ! j’ai trouvé ce jeu de mot très sympa. Un peu de fantaisie dans cette situation globalement et potentiellement catastrophique, ça fait pas de mal !

  4. xc dit :

    Le principal problème posé par cette condamnation, l’urgence du moment, est l’effet immédiat de l’inéligibilité. Comme vous le soulignez, une dissolution pourrait bien survenir. J’ajoute qu’une fin anticipée du mandat de Macron, est improbable, mais possible.
    La solution est dans les mains des parlementaires, à condition qu’ils osent affronter le qu’en dira-t-on, en supprimant la possibilité d’appliquer l’inéligibilité tant que la décision de justice qui la prononce n’est pas définitive.
    Il faudra aussi une initiative gouvernementale ou parlementaire en ce sens.
    Le principe est que la loi pénale ne s’applique qu’aux faits commis après son entrée en vigueur. Mais la loi nouvelle s’applique immédiatement aux condamnations prononcées avant si les faits concernés ne sont plus punis, ou le sont moins lourdement.
    Mais les raisons qui ont fait adopter la loi en vigueur actuellement pourraient bien pousser à ne pas l’adoucir.
     

    • Descartes dit :

      @ xc

      [Le principal problème posé par cette condamnation, l’urgence du moment, est l’effet immédiat de l’inéligibilité. Comme vous le soulignez, une dissolution pourrait bien survenir. J’ajoute qu’une fin anticipée du mandat de Macron, est improbable, mais possible.
      La solution est dans les mains des parlementaires, à condition qu’ils osent affronter le qu’en dira-t-on, en supprimant la possibilité d’appliquer l’inéligibilité tant que la décision de justice qui la prononce n’est pas définitive.]

      Non. Ce n’est pas parce qu’on est poussé par l’urgence qu’il faut faire n’importe quoi. S’attaquer simplement à l’exécution provisoire, c’est clairement une mesure ad-hoc. Et demain, lorsque le calendrier sera différent et qu’un candidat arrivant en tête des enquêtes d’opinion sera empêché par une décision devenue définitive, que fera-t-on ? Pour moi, c’est l’inéligibilité EN ELLE-MEME qui pose un problème. L’idée qu’un candidat ne puisse se présenter que parce que sa condamnation n’est pas devenue « définitive » fait des délais de justice la variable d’ajustement.

      Ce qu’il faut faire, c’est effacer pure et simplement la peine d’inéligibilité du code pénal, et la remplacer par une peine de déchéance des mandats en cours. C’est à l’électeur souverain de décider ensuite s’il est prêt à confier un mandat à la personne condamnée ou non.

      [Le principe est que la loi pénale ne s’applique qu’aux faits commis après son entrée en vigueur. Mais la loi nouvelle s’applique immédiatement aux condamnations prononcées avant si les faits concernés ne sont plus punis, ou le sont moins lourdement.]

      C’est ce qu’on appelle le « principe de la loi pénale la plus douce ». Lorsque la loi pénale est modifiée, un condamné peut demander qu’on lui applique la loi pénale la plus douce ayant été en vigueur entre le moment où l’acte a été commis et le présent.

      [Mais les raisons qui ont fait adopter la loi en vigueur actuellement pourraient bien pousser à ne pas l’adoucir.]

      Je ne pense pas que le principal obstacle soit de ce côté. Il y a beaucoup de gens à l’Assemblée qui n’ont aucun intérêt à remettre Marine Le Pen dans la course. Pourquoi iraient-ils voter une loi qui les mettrait en difficulté, quand bien même ce serait pour le bien du pays ?

  5. Carloman dit :

    Bonjour,
     
    Je suis globalement d’accord avec cet article, mais je voudrais si vous me le permettez, livrer quelques réflexions.
     
    [Les défenseurs de l’Etat de droit nous expliquent qu’en théorie, le juge applique la loi, toute la loi et rien que la loi. Et la loi est égale pour tous, grands et petits, politiciens ou gens du commun.]
    Pardon, mais les défenseurs de l’Etat de droit vont plus loin: pour eux, la loi, adoptée dans les formes prévues, est l’expression de la volonté du souverain, puisque les députés qui la votent sont mandatés par ledit souverain, à savoir le peuple. Par conséquent, contester l’application stricte de la loi revient à aller contre la volonté du souverain… Comment le peuple pourrait-il vouloir une loi et refuser ensuite qu’on l’applique? 
    Je suis curieux: que répondriez-vous à un juriste qui pointerait cette apparente contradiction?
     
    J’avoue que je ne sais pas ce que dit précisément la loi, et comment elle définit d’éventuelles circonstances atténuantes, mais je dois dire que, pour ce qui me concerne, la question de savoir s’il y a eu enrichissement personnel ou pas devrait peser dans la décision de justice. Ce que je veux dire, c’est que, de mon point de vue, on ne devrait pas condamner de la même manière celui qui a utilisé l’argent détourné pour se construire une piscine dans sa villa provençale, et celui qui a utilisé cet argent pour financer son activité politique. A ma connaissance, l’argent détourné par les eurodéputés FN n’a pas servi à enrichir personnellement les cadres du parti, mais plutôt à faire tourner la machine politique… Et donc in fine à faire fonctionner la démocratie, d’une certaine manière. C’est pourquoi, au-delà de la question de l’inégibilité, que vous avez largement traitée, j’avoue que je suis assez choqué par la condamnation de prison ferme, avec bracelet, que je trouve inutilement infamante. L’argent détourné n’a pas servi à financer des actes terroristes ou quoi que ce soit qui mette en danger la vie des citoyens français. Je trouve que les juges, au-delà de l’infraction en elle-même – qui mérite condamnation, je ne le conteste pas – ont été excessivement sévères en ce qu’ils ne semblent pas avoir pris en considération l’objectif poursuivi par les élus du FN/RN. Car si la modalité est condamnable, le but en lui-même – financer une activité politique somme toute légaliste – l’est-il?
     
    Il faudrait par ailleurs rappeler que le FN est un parti qui a eu – j’ignore si c’est toujours le cas – de très réels problèmes de financement: difficulté à ouvrir un compte, difficulté à faire un prêt. Jusqu’à quel point le FN n’avait-il pas été acculé à des expédients pour financer ses activités? La politique, nous le savons tous, coûte très cher. Le FN dans le passé a dû, faute de mieux, emprunter de l’argent à des banques russes ou hongroises, une occasion rêvée d’alimenter les accusations d’être le “parti de l’étranger”, d’être inféodé au Kremlin et aux “despotes illibéraux”… Ce détournement de fonds ne serait-il pas d’ailleurs un des expédients auquel le FN a été contraint de recourir dans une situation difficile? Avez-vous quelque comparaison pertinente à nous livrer sur la situation du PCF de jadis?
     
    Maintenant… Il faut bien admettre que Marine Le Pen a été bien imprudente en souhaitant que les politiques condamnés soient inéligibles, “à vie” je crois. Quand les dieux veulent vous punir, ils vous exaucent, et cela se vérifie une fois de plus. Marine Le Pen a voulu jouer les “Madame-aux-mains-propres”, et elle est prise la main dans le pot de confiture. Je dois reconnaître – et bien que j’ai voté pour elle ou son parti à plusieurs reprises – que j’ai un peu de mal à la plaindre ou à compatir.
     
    [C’est très grave, parce que le processus démocratique ne fonctionne bien qu’aussi longtemps que l’ensemble des groupes sociaux pensent pouvoir faire valoir leurs intérêts à travers lui plutôt que par d’autres moyens. Lorsqu’un groupe – et on ne parle pas ici d’un groupuscule, mais d’une dizaine de millions d’électeurs – sent que l’inscription dans le processus démocratique ne lui apporte rien, que le processus électoral est irrémédiablement biaisé contre lui, le système est en danger. Rien n’est plus dangereux pour les institutions démocratiques qu’un groupe social qui pense n’avoir rien à perdre à renverser la table – ou plus bêtement, à ignorer la loi. Un tel groupe peut facilement faire basculer la société dans l’anomie ou la violence.]
    Là, j’avoue que je ne vous comprends pas. Vous avez écrit je crois que le jeu démocratique était en partie une illusion qui masquait le rapport de force entre les classes. Cette condamnation de Marine Le Pen déchire le voile de l’illusion et met à nue la réalité: les classes populaires, les patriotes, les souverainistes n’ont de fait pas voix au chapitre. Leur vote est ignoré ou systématiquement disqualifié. Quel intérêt de faire perdurer l’illusion, d’entretenir de faux espoirs? Les classes populaires se font plumer depuis des décennies. La fin de l’aventure Le Pen va les renvoyer à l’abstention pour la plupart et peut-être les radicaliser pour quelques-uns, mais in fine, qu’est-ce que cela va changer? Est-ce que cette affaire n’avance pas simplement de quelques années un processus inéluctable? Le “dauphin” Bardella ne me paraît pas à la hauteur des enjeux. La société est fracturée, tout le monde ou presque s’en est aperçu. Les gens ne se parlent plus, et tout le monde se rend bien compte qu’essayer de convaincre un adversaire politique, ne serait-ce que de la légitimité à penser autrement, est devenu vain. Partout où le regard porte, on ne voit que des murs de haine et de mépris, plus ou moins visibles, qui séparent les communautés, les classes sociales, les personnes. Moi-même je l’admets, je ne cherche plus à discuter ou à débattre dans “le monde réel”: je me mets dans mon coin et je lis sur mon téléphone les échanges sur le blog de Descartes… 
     
    Une fois le souffle médiatique retombé, la vie reprendra son cours dans notre société fragmentée. 

    • Descartes dit :

      @ Carloman

      [« Comment le peuple pourrait-il vouloir une loi et refuser ensuite qu’on l’applique ? Je suis curieux : que répondriez-vous à un juriste qui pointerait cette apparente contradiction ? »

      A cette objection on peut faire deux réponses, l’une juridique, l’autre politique. Commençons par la réponse juridique : la loi est certes « l’expression de la volonté générale », autrement dit, la volonté du souverain. Mais le souverain a-t-il prévu, au moment de faire la loi, toutes les conséquences que celle-ci pourrait avoir ? Le peuple est certes souverain, mais il n’est pas omniscient. Et c’est la raison pour laquelle il a mis en place des mécanismes pour corriger l’effet des lois qui, dans une situation qui n’a pas été prévue lors du vote, se révèleraient néfastes. L’exemple le plus flagrant est celui du droit de grâce, qui permet de soustraire une personne à l’application de la loi pénale. Autrement dit, si le souverain a fait des lois, conscient de ses limitations il a confié à des personnes de son administration la possibilité, certes exceptionnelle, de ne pas les appliquer.

      La deuxième réponse est politique, et tient dans la devise qui ouvre ce blog : « pro rege sape, pro patria semper » (« pour le roi souvent, pour la patrie toujours »). C’est la théorie de la raison d’Etat, autrement dit, l’idée qu’il existe des intérêts de la nation qui justifient – dans des conditions bien particulières et exceptionnelles – qu’on ignore son expression. Bien entendu, ces conditions ne peuvent être codifiées en droit, parce que le droit est précisément fondé sur l’idée que le souverain est… souverain !

      [J’avoue que je ne sais pas ce que dit précisément la loi, et comment elle définit d’éventuelles circonstances atténuantes, mais je dois dire que, pour ce qui me concerne, la question de savoir s’il y a eu enrichissement personnel ou pas devrait peser dans la décision de justice.]

      Je suis d’accord. Même si dans certains cas la frontière est tenue – un homme qui vole pour financer sa propre campagne électorale est-il en train de défendre ses intérêts personnels ? – ce n’est pas la même chose de détourner de l’argent public par conviction que par cupidité.

      [Il faudrait par ailleurs rappeler que le FN est un parti qui a eu – j’ignore si c’est toujours le cas – de très réels problèmes de financement : difficulté à ouvrir un compte, difficulté à faire un prêt. Jusqu’à quel point le FN n’avait-il pas été acculé à des expédients pour financer ses activités ? La politique, nous le savons tous, coûte très cher. Le FN dans le passé a dû, faute de mieux, emprunter de l’argent à des banques russes ou hongroises, une occasion rêvée d’alimenter les accusations d’être le “parti de l’étranger”, d’être inféodé au Kremlin et aux “despotes illibéraux”… Ce détournement de fonds ne serait-il pas d’ailleurs un des expédients auquel le FN a été contraint de recourir dans une situation difficile ? Avez-vous quelque comparaison pertinente à nous livrer sur la situation du PCF de jadis ?]

      Le PCF a eu recours a bien de sources de financement « non sanctas »… et je suis bien placé pour le savoir. Mais même s’il y a maintenant prescription, je n’en dirai pas plus. Mais c’était fait avec beaucoup plus de professionnalisme. Et d’ailleurs, vous noterez que les trésoriers du PCF ont été plusieurs fois traînés devant les tribunaux, et qu’ils ont été à chaque fois relaxés, faute de preuves. Parce qu’entre camarades, rien n’était écrit, et on signait des contrats avec une poignée de mains. Et celui qui ne tenait pas ses engagements pouvait s’attendre à de très gros ennuis… Je dois dire que dans le dossier du RN – et d’une manière générale, dans beaucoup de dossiers de financement des partis politiques – ce qui m’étonne le plus c’est l’amateurisme avec lequel ces montages ont été réalisés.

      [Là, j’avoue que je ne vous comprends pas. Vous avez écrit je crois que le jeu démocratique était en partie une illusion qui masquait le rapport de force entre les classes.]

      C’est le « en partie » qui est important ici. Plus qu’un masque, le jeu démocratique est un instrument qui permet de gérer les rapports de force à un coût minimal, en tout cas plus faible que l’expression nue des rapports de force. La guerre civile, ce n’est pas bon pour les affaires. Il est vrai que lorsque le système fonctionne correctement, on peut avoir l’illusion que les rapports de force ont disparu, ou en tout cas qu’ils ne conditionnent plus les décisions. Mais cela ne marche que si les intérêts des différents groupes ne sont pas antagoniques, autrement dit, si l’on peut arriver à un consensus où chacun gagne quelque chose – comme ce fut à la Libération et pendant les « trente glorieuses ». Lorsque les intérêts des différents groupes deviennent trop antagoniques, les classes dominantes se voient conduites à imposer leur volonté contre le processus démocratique, et de ce fait déchirent le voile de l’illusion.

      [Cette condamnation de Marine Le Pen déchire le voile de l’illusion et met à nue la réalité : les classes populaires, les patriotes, les souverainistes n’ont de fait pas voix au chapitre. Leur vote est ignoré ou systématiquement disqualifié. Quel intérêt de faire perdurer l’illusion, d’entretenir de faux espoirs ?]

      J’ai une pensée dialectique là où vous avez une pensée mécanique. Les classes dominantes ont un intérêt à maintenir cette illusion, parce qu’elle garantit une forme de stabilité politique. Mais pour pouvoir maintenir l’illusion, il faut bien que les classes dominantes cèdent quelque chose, sans quoi leur domination apparaîtra pour ce qu’elle est. Et c’est à ce moment-là que l’illusion devient intéressante pour les dominés aussi. Et la réaction de nos élites politiques montre qu’une partie des classes dominantes est consciente des risques de rompre cet équilibre. Autrement, la décision de justice qui proscrit Marine Le Pen aurait été unanimement saluée…

      [Les classes populaires se font plumer depuis des décennies. La fin de l’aventure Le Pen va les renvoyer à l’abstention pour la plupart et peut-être les radicaliser pour quelques-uns, mais in fine, qu’est-ce que cela va changer ? Est-ce que cette affaire n’avance pas simplement de quelques années un processus inéluctable ?]

      Peut-être. En histoire, il est très difficile de faire des prédictions avec une quelconque certitude. Les révolutions arrivent souvent sans prévenir…

      [La société est fracturée, tout le monde ou presque s’en est aperçu. Les gens ne se parlent plus, et tout le monde se rend bien compte qu’essayer de convaincre un adversaire politique, ne serait-ce que de la légitimité à penser autrement, est devenu vain. Partout où le regard porte, on ne voit que des murs de haine et de mépris, plus ou moins visibles, qui séparent les communautés, les classes sociales, les personnes. Moi-même je l’admets, je ne cherche plus à discuter ou à débattre dans “le monde réel”: je me mets dans mon coin et je lis sur mon téléphone les échanges sur le blog de Descartes… ]

      J’en suis très flatté de voir que cet espace met un peu de douceur dans ce monde de brutes. Le paysage déprimant que vous peignez n’est pas irréaliste. Cependant, il ne faut pas oublier que l’histoire donne des exemples nombreux de ce type de « dissolution » qui n’ont été qu’un moment ou la société a touché le fond avant de remonter. Le problème, c’est qu’en général ce processus n’a que rarement fait l’économie d’une guerre civile…

      [Une fois le souffle médiatique retombé, la vie reprendra son cours dans notre société fragmentée.]

      Je ne me risquerai pas à vous contredire… on a tellement entendu ces dernières années la formule « rien ne sera comme avant »…

      • Frank dit :

        [J’en suis très flatté de voir que cet espace met un peu de douceur dans ce monde de brutes. Le paysage déprimant que vous peignez n’est pas irréaliste. Cependant, il ne faut pas oublier que l’histoire donne des exemples nombreux de ce type de « dissolution » qui n’ont été qu’un moment ou la société a touché le fond avant de remonter. Le problème, c’est qu’en général ce processus n’a que rarement fait l’économie d’une guerre civile…]
        Oui, je le confirme. Votre blog est réconfortant car on a un peu l’impression, en le lisant, d’être moins seul.
        Quant à la perspective de la guerre civile… malheureusement, en France, on n’a jamais su bien anticiper les désastres ou se relever sans violence extrême. Ça me rend depuis déjà plusieurs années pessimiste et anxieux. Ce qui m’inquiète encore plus, c’est que vous semblez vous-même perdre peu à peu votre optimisme. Est-ce que je me trompe ? Ou y a-t-il des raisons profondes, comme le sentiment que les choses s’accélèrent inéluctablement ?

        • Descartes dit :

          @ Frank

          [Oui, je le confirme. Votre blog est réconfortant car on a un peu l’impression, en le lisant, d’être moins seul.]

          Le risque, bien entendu, est celui qu’un blog de débat devienne un blog de communion. Dans la polarisation actuelle, c’est souvent ce qui arrive aux forums de discussion : ceux qui ne sont pas d’accord sont rapidement chassés, il ne reste que des gens qui se congratulent mutuellement de penser la même chose. C’est ce que je voudrais à tout prix éviter.

          [Quant à la perspective de la guerre civile… malheureusement, en France, on n’a jamais su bien anticiper les désastres ou se relever sans violence extrême. Ça me rend depuis déjà plusieurs années pessimiste et anxieux.]

          J’ai vécu, étant jeune, une glissade vers la guerre civile dans mon pays d’origine. Et je ne voudrais pas revivre une autre. Cependant, je reste optimiste parce que la France, précisément parce qu’elle a connu ces épisodes de « violence extrême » dans son histoire, s’est constitué des mécanismes de résilience extrêmement puissants. C’est pourquoi, alors que nos voisins allemands ou italiens ont connu les « années de plomb », la France s’en est sorti relativement bien avec des niveaux de violence politique bien plus faibles. C’est pourquoi je pense que l’enseignement de l’histoire est aussi important : ceux qui oublient le passé sont condamnés à le répéter. Plus que la guerre civile, ce qui nous menace est une forme d’anomie. Et on voit « en creux » cette problématique avec la multiplication dans tous les sens d’un contrôle de plus en plus tatillon dans des domaines où, auparavant, on faisait confiance au citoyen pour respecter la loi. Prenez le contrôle technique des voitures : pendant des années on a fait confiance au citoyen – et à son sens de conservation – pour avoir des freins conformes à la législation. Et tout à coup, on décide que le citoyen est irresponsable, et qu’il faut le mettre sous tutelle parce que sans cela, il ne respectera pas la règle.

          [Ce qui m’inquiète encore plus, c’est que vous semblez vous-même perdre peu à peu votre optimisme. Est-ce que je me trompe ? Ou y a-t-il des raisons profondes, comme le sentiment que les choses s’accélèrent inéluctablement ?]

          Il y a une dimension personnelle, bien sûr. Les années passent, et il arrive le moment où, sans être entré au port, on aperçoit au loin le quai. Au fur et à mesure que la fin de carrière approche, on prend conscience que le moment n’est pas loin où l’on n’aura plus de prise sur les évènements, où l’on vous fera injonction d’aller vous occuper de vos petites affaires et de laisser les grandes à d’autres. Et bien avant que ce moment arrive, on commence à douter de votre engagement, et on ne vous confie plus des postes ou des missions intéressantes, qu’on réserve aux « jeunes » d’autant plus volontiers qu’ayant une longue carrière devant eux, on les « tient » plus facilement. Bien entendu, on m’explique qu’on peut rester actif même après la retraite, qu’on peut s’investir dans je ne sais quelle association, qu’on peut faire du soutien scolaire. On peut certainement faire beaucoup de choses utiles. Mais cela ne remplace pas ce qu’on peut faire dans la vie active.

          Il y a aussi une dimension plus politique. Non pas la crainte que « les choses s’accélérent inéluctablement », comme vous l’écrivez, mais plutôt la crainte contraire : qu’on tombe dans une sorte de léthargie, dans lequel l’héritage de siècles de construction et de pensée se délitera lentement sans que personne agisse pour le préserver et l’enrichir. Un peu comme ces cités romaines qui, dans les premiers siècles de notre ère, vivaient encore dans des monuments qu’ils n’avaient plus les moyens ni de construire, ni d’entretenir. En France, je redoute plus un Bayrou qu’un Trump. Parce qu’avec un Trump, il y aurait des choses – bonnes ou mauvaises – de faites, et donc un débat et une résistance. Tandis que l’inaction doucereuse d’un Bayrou, sa « politique du chien crevé au fil de l’eau », nous conduit au désastre sans que nous nous en rendions compte. C’est un peu la fable de la grenouille dans l’eau chaude, que Mitterrand affectionnait tant. Et je commence à réaliser que même l’élection d’un candidat « populiste » (Mélenchon ou Marine Le Pen, peu importe) ne changerait rien à l’affaire : avec les différentes « réformes », on a mis en place des freins tellement puissants que n’importe quel gouvernement se trouvera empêché d’agir. Un Trump à l’Elysée ne pourrait faire le quart du huitième de ce que peut faire celui de la Maison Blanche.

          Il y a des moments ou je me dis qu’une bonne dictature nous ferait le plus grand bien. Le dictateur, au fond, est responsable parce qu’ayant tous les pouvoirs il ne peut rejeter les fautes sur personne d’autre. Une dictature, on peut la combattre. On peut se rebeller contre elle. On peut la renverser. Alors qu’il est pratiquement impossible d’agir contre un gouvernement impuissant. Qui irait faire une révolution pour renverser Bayrou ?

          • P2R dit :

            @ Descartes et Frank
             
             
            [Et je commence à réaliser que même l’élection d’un candidat « populiste » (Mélenchon ou Marine Le Pen, peu importe) ne changerait rien à l’affaire : avec les différentes « réformes », on a mis en place des freins tellement puissants que n’importe quel gouvernement se trouvera empêché d’agir. Un Trump à l’Elysée ne pourrait faire le quart du huitième de ce que peut faire celui de la Maison Blanche.]
             
            Je viens de poster, sur un autre commentaire, une petite digression sur un entretien de Giuliano Da Empoli que j’ai découvert ce matin.
            L’article est ici, pour ceux qui sont abonnés uniquement, hélas.
            https://www.lefigaro.fr/vox/monde/giuliano-da-empoli-incapable-de-reagir-la-vieille-elite-a-merite-d-etre-balayee-20250402
             
            La thèse de Da Empoli est, grossièrement, que face au carcan institutionnel, de plus en plus de régimes bénéficient d’un soutien populaire pour transgresser de manière brutale les règles de droit, les conventions internationales, ou tout du moins opérer un renversement radical de la législation, et qu’ainsi beaucoup obtiennent en quelques mois des résultats (que l’on jugera bons ou mauvais à l’aune de son orientation politique) que l’on imaginait impossibles à atteindre. Ainsi le Salvador, l’Arabie Saoudite, la Russie, l’Argentine, les USA.. Et que cette tendance est un marqueur de l’époque à venir.
            Je ne vois pas comment ce phénomène, qui n’est d’ailleurs pas une nouveauté en Europe (je pense que la politique de Thatcher relevait du même concept, à savoir “la fin justifie les moyens” ou “on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs”), ne pourrait pas arriver chez nous. Qu’est-ce qui empêcherait d’agir un élu avec un large soutien populaire ? 
             
             

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [La thèse de Da Empoli est, grossièrement, que face au carcan institutionnel, de plus en plus de régimes bénéficient d’un soutien populaire pour transgresser de manière brutale les règles de droit, les conventions internationales, ou tout du moins opérer un renversement radical de la législation, et qu’ainsi beaucoup obtiennent en quelques mois des résultats (que l’on jugera bons ou mauvais à l’aune de son orientation politique) que l’on imaginait impossibles à atteindre.]

              En fait, c’est la fable du chêne et du roseau. Lorsque la tempête se déchaine, le roseau plie et le chêne rompt. Et en politique, c’est la même chose : lorsque le carcan institutionnel devient trop rigide, la volonté populaire tend à le rompre, alors qu’un arrangement institutionnel plus souple ne ferait que plier. C’est la plasticité des institutions originales de la Vème République qui lui ont permis de survivre aussi longtemps. Mais contrairement à Da Empoli, je ne pense pas qu’aujourd’hui le « carcan » soit institutionnel. Sous une apparente rigidité, nous vivons au fond sous des institutions très souples. Le cas typique est l’Union européenne, dont la rigidité des traités sont invoqués pour justifier chaque refus d’agir, mais qu’on aménage sans trop de scrupules quand cela arrange les classes dominantes. Ce qui est possible parce que la Commission, « gardienne des traités », est irresponsable. L’exemple de la BCE achetant de la dette des états pendant la crise de 2008 – ce que son traité fondateur interdit explicitement – est un bon exemple.

              Le « carcan » n’est pas institutionnel, il est le produit d’un rapport de forces entre classes sociales. En fait, ce « carcan » sert aux classes dominantes à occulter les rapports de force, à faire croire au bon peuple que si l’on ne peut rien faire, c’est n’est pas parce que c’est contraire aux intérêts dominants, mais parce que c’est contraire au droit, et que le respect du droit est à la base de la civilisation. Bien entendu, ce sont les mêmes qui n’hésitent pas à s’asseoir sur le droit quand leurs intérêts sont en jeu : souvenez-vous de la manière dont l’interdiction explicite faite par les traités à la BCE d’acheter la dette des états a été contournée pendant la crise de 2008… mais à l’époque, il fallait sauver l’Euro, et devant cela, le droit ne pesait pas lourd…

              Ce qui craque, ce n’est pas un « carcan », mais une fiction. On croyait que le droit était là pour protéger la société et en assurer un fonctionnement harmonieux, et cette fiction était maintenue par une prudence relative des classes dominantes, qui évitaient de tirer trop de la corde en poussant la chose trop loin. Depuis quelques années, cette prudence a disparu, et les exemples se multiplient ou le droit apparaît comme une technique pour empêcher de tout ce qui est favorable aux couches populaires.

              [Je ne vois pas comment ce phénomène, qui n’est d’ailleurs pas une nouveauté en Europe (je pense que la politique de Thatcher relevait du même concept, à savoir “la fin justifie les moyens” ou “on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs”), ne pourrait pas arriver chez nous. Qu’est-ce qui empêcherait d’agir un élu avec un large soutien populaire ?]

              La bourse. C’est aussi simple que ça…

            • Frank dit :

              @Descartes, P2R
              [La bourse. C’est aussi simple que ça…]
              Je me rappelle avoir lu, il y a quelques années, des textes de Frédéric Lordon qui expliquaient exactement cet état de fait. La classe dominante a tellement bien verrouillé les choses depuis le traité de Maastricht (pour résumer), qu’en pratique, pour agir, il faudrait aller chercher les gens qui peuvent ruiner le pays en quelques jours (ou minutes ?) chez eux par surprise. Mais même ce scénario n’est pas vraiment possible, car il existe un délai entre les résultats de l’élection et la prise effective de fonction du PR. Il faudrait donc que le PR nouvellement élu ait caché son jeu et prenne tout ce beau monde par surprise, en effectuant des arrestations de masse sous le prétexte de la sauvegarde des intérêts supérieurs de l’État.
              Ce genre de scénario est peut-être inspiré par ce que fit dans le temps Philippe le Bel contre les lointains ancêtres de ceux qui nous dominent aujourd’hui.
              Évidemment, même en poussant les choses aussi loin, on ne serait pas tiré d’affaire, car nous n’avons plus notre indépendance, y compris pour un grand nombre de choses absolument vitales.
              Donc, on est cuit.
              Je ne sais pas si ce point de vue tient. Qu’en pensez-vous ?

            • Descartes dit :

              @ Frank

              [Je me rappelle avoir lu, il y a quelques années, des textes de Frédéric Lordon qui expliquaient exactement cet état de fait. La classe dominante a tellement bien verrouillé les choses depuis le traité de Maastricht (pour résumer), qu’en pratique, pour agir, il faudrait aller chercher les gens qui peuvent ruiner le pays en quelques jours (ou minutes ?) chez eux par surprise. Mais même ce scénario n’est pas vraiment possible, car il existe un délai entre les résultats de l’élection et la prise effective de fonction du PR. Il faudrait donc que le PR nouvellement élu ait caché son jeu et prenne tout ce beau monde par surprise, en effectuant des arrestations de masse sous le prétexte de la sauvegarde des intérêts supérieurs de l’État.]

              Cette idée fait partie des absurdités des gauchistes qui rêvent encore du « grand soir ». En fait, il n’existe pas de gens « qui peuvent ruiner le pays en quelques jours ». Ou plutôt, ces gens n’existent qu’aussi longtemps que nous acceptons l’illusion que le monde de la finance a une réalité matérielle. Mais ce n’est pas le cas : dans le monde de la finance, on s’échange des petits papiers – ou maintenant des messages électroniques – avec des chiffres écrits dessus. Ces papiers représentent des actifs matériels : des machines, des matières premières, des terrains, des usines. Mais si ces papiers REPRESENTENT ces actifs, ils ne SONT pas ces actifs. Pour le dire autrement, si subitement tous ces papiers disparaissaient, les usines, les matières premières, les machines, les terres seraient toujours là. La question n’est pas donc « d’aller chercher » les gens qui ont les petits bouts de papier, mais « d’aller chercher » les actifs matériels qui, eux, ne sont pas si facilement déménageables.

              Le deuxième point que Lordon oublie, c’est que s’il y a des gens qui « peuvent ruiner le pays en quelques jours », ces gens-là ne peuvent le faire qu’en se ruinant eux-mêmes. Parce que les papiers dont je parlais plus haut n’ont de valeur que parce qu’il y a des actifs matériels sous-jacents. Si en réponse à une tentative de « ruiner le pays » le gouvernement se saisit de ces actifs, les papiers en question n’auront plus aucune valeur.

              [Ce genre de scénario est peut-être inspiré par ce que fit dans le temps Philippe le Bel contre les lointains ancêtres de ceux qui nous dominent aujourd’hui.]

              La comparaison n’est pas opérationnelle. Le conflit de Philippe le Bel avec les Templiers était le conflit d’une puissance féodale avec une autre. La victoire de Philippe – ou celle du Temple – n’aurait en rien changé le mode de production. Aujourd’hui, une remise en cause du modèle financier n’est concevable qu’à travers un changement très profond du mode de production, parce qu’en mettant en cause le capitalisme financier vous remettez en cause la manière dont le capital est alloué aux activités productives.

              [Évidemment, même en poussant les choses aussi loin, on ne serait pas tiré d’affaire, car nous n’avons plus notre indépendance, y compris pour un grand nombre de choses absolument vitales.]

              Cela veut dire simplement qu’un projet politique ne peut avoir l’autarcie comme objectif. Mais cela ne date pas d’hier. Cette « indépendance », elle n’existe plus depuis – au moins – la fin du XIXème siècle. Le projet gaullien d’une France souveraine et puissante n’incluait pas l’autosuffisance dans tous les domaines. Elle se fixait comme objectif d’avoir le contrôle d’un certain nombre de filières stratégiques, et d’établir avec le reste du monde des partenariats qui nous assurent une couverture pour les autres.

              [Donc, on est cuit. Je ne sais pas si ce point de vue tient. Qu’en pensez-vous ?]

              Je pense qu’il ne tient pas, et j’espère avoir bien expliqué ci-dessus pourquoi. J’aurais d’ailleurs tendance à penser que les Lordon de se monde se fixent justement des objectifs impossibles pour aboutir à cette simple conclusion, « on est cuit ». Donc, ce n’est pas la peine de se battre pour changer les choses puisque rien n’est possible, et on se contente de ronger son amertume.

            • Vincent dit :

              @Descartes
              [Sous une apparente rigidité, nous vivons au fond sous des institutions très souples. Le cas typique est l’Union européenne, dont la rigidité des traités sont invoqués pour justifier chaque refus d’agir, mais qu’on aménage sans trop de scrupules quand cela arrange les classes dominantes.]
               
              Vous avez parfaitement raison. On a souvent cité à ce sujet les mesures prises contre l’éclatement de l’Euro il y a une quinzaine d’années -mesures qui ont été prises en contradiction avec les traités.
               
              Mais depuis quelques mois, c’est un festival !
              – Élection annulée en Roumanie sous des prétextes fallacieux, car on craint la victoire d’un candidat jugé non désirable,
              – Discussions pour savoir comment on pourrait retirer le droit de vote au pays (Hongrie, Slovaquie) qui refusent de voter ce qu’il faut au niveau européen,
              – Tout récemment, en Estonie, expulsion immédiate et manu militari d’un résident “non citoyen”, natif d’Estonie, pour avoir affiché sur Tik Tok un symbole d’une équipe de foot russe… Quand on voit qu’en France, la CEDH interdit  en pratique d’expulser un clandestin radicalisé ou condamné à la prison, même après des années de procédure !
              C’est une des deux choses qui me rends actuellement optimiste : la succession quasi hebdomadaires de décisions totalement dingues, et contraires à tous les principes mêmes d’une société démocratique, ou du fameux “Etat de droit”. Ca ne peut être, selon moi, que le signe d’une fébrilité des classes dirigeantes européistes.
              L’autre chose qui, paradoxalement, me rend optimiste, c’est l’incapacité de combler les déficits ou de restaurer la balance commerciale. La situation étant hors de contrôle, les taxes et prélèvements étant proches du point de Laffer, il faudra bien, à un moment ou à un autre, que quelque chose se passe pour remettre en cause la politique du chien crevé au fil de l’eau… J’espère que ce sera autre chose qu’une mise sous tutelle du FMI…

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [Vous avez parfaitement raison. On a souvent cité à ce sujet les mesures prises contre l’éclatement de l’Euro il y a une quinzaine d’années -mesures qui ont été prises en contradiction avec les traités.]

              Et il ne faut pas oublier qu’à l’époque les mêmes qui aujourd’hui se gargarisent de « l’Etat de droit » et en font la pierre fondamentale de la démocratie non seulement n’avaient rien trouvé à redire à ce qui était une véritable violation du droit, mais avaient expliqué que cela montrait le dynamisme de la construction européenne. Comme quoi, « l’Etat de droit » est une valeur éminemment flexible…

              [C’est une des deux choses qui me rends actuellement optimiste : la succession quasi hebdomadaire de décisions totalement dingues, et contraires à tous les principes mêmes d’une société démocratique, ou du fameux “Etat de droit”. Ca ne peut être, selon moi, que le signe d’une fébrilité des classes dirigeantes européistes.]

              La « succession de décisions totalement dingues » n’est pas un signe de fébrilité, c’est l’application de la formule pompidolienne « passées les bornes il n’y a plus de limites ». Si les décisions « dingues » se succèdent, c’est parce que les classes dominantes sentent que le rapport de force leur permet de transgresser toutes les barrières sans craindre de retour de flamme de la part de classes populaires anesthésiées. Autrefois, la crainte d’une réaction violente ou même celle de dégrader les institutions qui assuraient une forme de paix sociale était suffisante pour retenir la main de nos dirigeants. Ce n’est plus du tout le cas.

              [L’autre chose qui, paradoxalement, me rend optimiste, c’est l’incapacité de combler les déficits ou de restaurer la balance commerciale. La situation étant hors de contrôle, les taxes et prélèvements étant proches du point de Laffer, il faudra bien, à un moment ou à un autre, que quelque chose se passe pour remettre en cause la politique du chien crevé au fil de l’eau… J’espère que ce sera autre chose qu’une mise sous tutelle du FMI…]

              Je suis toujours fasciné par cette polarisation sur les « taxes et prélèvements ». On raisonne sur cette question comme si les « taxes et prélèvements » étaient prélevées par un peuple de martiens qui ensuite emportaient ce butin dans la planète Zorg. Mais ce n’est pas le cas : ce qu’on « taxe et prélève » d’un côté, on le retrouve sous forme de services publics, de subventions, d’allocations et d’aides de toutes sortes à l’autre bout. Autrement dit, la seule chose que fait l’impôt dans un Etat moderne, c’est de transférer une partie du revenu de la sphère de décision individuelle à la sphère de décision collective.

              C’est pour cela que l’argument de Laffer se révèle à mon avis faible. La théorie de Laffer est qu’une augmentation du taux d’imposition au-delà d’une certaine limite réduit l’assiette taxable, parce qu’il y a désincitation à travailler ou à investir. Admettons. Mais cela s’applique aussi à tout l’ensemble des dépenses obligatoires, qui sans être des taxes ne restent pas moins une obligation. Est-ce que l’augmentation du tarif des assurances habitation, par exemple, a un effet « désincitatif » au travail ? Au contraire, nous dit Keynes : si le coût de l’assurance augmente, on travaillera plus pour pouvoir maintenir son niveau de vie…

      • никто́ dit :

        @Descartes & Carloman
         
        [[Moi-même je l’admets, je ne cherche plus à discuter ou à débattre dans “le monde réel”: je me mets dans mon coin et je lis sur mon téléphone les échanges sur le blog de Descartes… ] J’en suis très flatté de voir que cet espace met un peu de douceur dans ce monde de brutes.]
         
        Je me joins aux propos de Carloman. J’ai l’impression qu’avoir une discussion rationnelle et calme sur ce type de sujet est tout à fait inenvisageable dans les cercles que je fréquente(ais ? ). Ça m’attrise et encore merci pour cet espace de discussion.
         
        Sur le fond, je crois que vous m’avez convaincu sur l’abandon des peines d’inéligibilité. Leur remplacement par la déchéance des mandats est une solution à laquelle je n’avais pas pensé et que je trouve assez élégante dans la mesure où pour certains mandats, ça va reprovoquer une élection, pour laquelle les électeurs auront encore en tête cette déchéance et donneront donc leur avis de juge suprême en fonction.

      • Carloman dit :

        @ Descartes,
         
        [C’est la théorie de la raison d’Etat, autrement dit, l’idée qu’il existe des intérêts de la nation qui justifient – dans des conditions bien particulières et exceptionnelles – qu’on ignore son expression. Bien entendu, ces conditions ne peuvent être codifiées en droit, parce que le droit est précisément fondé sur l’idée que le souverain est… souverain !]
        Certes, mais pensez-vous que le juge soit compétent pour invoquer “la raison d’Etat”? Car la raison d’Etat relève du politique, non du judiciaire. Dans l’affaire qui nous occupe, peut-on exiger du juge qu’il prenne un position politique?
         
        Depuis plusieurs années, le politique tend à se défausser sur le juge, mais dans le cas de Marine Le Pen, après tout, le juge est fondé à renvoyer la balle au politique: si ce dernier produit une législation qui, in fine, met en danger les institutions, ce n’est pas la faute du juge. D’autant que le risque que ce type de situation (condamnation d’une personnalité “présidentiable”) se produise était pour ainsi dire contenu dans la loi.
         
        [un homme qui vole pour financer sa propre campagne électorale est-il en train de défendre ses intérêts personnels ?]
        Si cet homme fait campagne avec l’objectif de créer une législation qui donne l’impunité aux voleurs – et en l’espèce à lui-même – la question se pose. Mais je note que Marine Le Pen n’a jamais fait campagne sur le thème: “il faut autoriser les détournements de fonds publics”. Au contraire, elle avait même épousé – un peu hâtivement peut-être – le discours sur la “moralisation” de la vie politique.
         
        [Le PCF a eu recours a bien de sources de financement « non sanctas »… et je suis bien placé pour le savoir. Mais même s’il y a maintenant prescription, je n’en dirai pas plus.]
        Mais… Vous êtes en train de me dire que vous avez participé au financement occulte d’un parti politique!
         
        [Les classes dominantes ont un intérêt à maintenir cette illusion, parce qu’elle garantit une forme de stabilité politique. Mais pour pouvoir maintenir l’illusion, il faut bien que les classes dominantes cèdent quelque chose, sans quoi leur domination apparaîtra pour ce qu’elle est.]
        Mais justement, sauf erreur de ma part, vous avez soutenu l’idée que, de plus en plus, le bloc dominant renâcle à “faire des concessions” et à “acheter la paix sociale”, tout à son obsession d’alléger la fiscalité et de conserver les avantages de la mondialisation libre-échangiste, celle-là même qui détruit les gisements d’emplois des classes populaires. Ce même bloc dominant a usé jusqu’à la corde de ruses institutionnelles et politiciennes pour contourner systématiquement le vote ou le désir d’une grande partie des citoyens (Traité de Lisbonne, réforme des retraites, “combines” pour mettre à Matignon Barnier puis Bayrou). Il paraît assez clair que le bloc dominant refuse de jouer le jeu et a déjà rompu l’illusion démocratique. Je ne vois pas bien, dans ces conditions, ce que la possible éviction de Marine Le Pen change, si ce n’est d’acter un processus déjà bien avancé.
         
        [Et c’est à ce moment-là que l’illusion devient intéressante pour les dominés aussi.]
        Pardon, mais les dominés n’ont pas obtenu grand-chose, malgré un RN à 35 %. La seule chose qui a amené de réelles concessions, c’est lorsque les Gilets Jaunes ont commencé à saccager. Je vous laisse en tirer la conclusion qui s’impose…
         
        [Le problème, c’est qu’en général ce processus n’a que rarement fait l’économie d’une guerre civile…]
        La guerre civile… Il m’arrive de la voir poindre à l’horizon. Non pas que je la souhaite (c’est ce dont on m’accuse parfois lorsque je dis qu’il faut s’y préparer), mais comme vous le dites, lorsque le système se verrouille et ne permet plus qu’une politique, que faire? Je suis assez d’accord avec vous sur un point: si Marine Le Pen était élue, au-delà de ce qu’elle voudrait faire, que pourrait-elle réellement faire? Dans le carcan européiste, et sous le contrôle de plus en plus étroit du juge (Conseil d’Etat, Cour constitutionnelle), on peut se demander si la majorité de ses mesures ne serait pas retoquée ou entravée. L’Etat de droit est devenu un instrument pour nous faire croire que, finalement, il n’y a qu’une seule et unique politique vraiment démocratique, celle qui va, comme par hasard, dans le sens des intérêts du bloc dominant. Le reste, c’est forcément du fascisme, du populisme, de l’extrémisme.
         
        La seule chose qui puisse fonctionner, je le crains, est la peur. Sans aller jusqu’à la guerre civile, peut-être que la peur de la guerre civile pousserait le bloc dominant à rechercher un compromis. Après tout, c’est un peu ce qui s’est passé en 1958.

        • Descartes dit :

          @ Carloman

          [Certes, mais pensez-vous que le juge soit compétent pour invoquer “la raison d’Etat” ? Car la raison d’Etat relève du politique, non du judiciaire. Dans l’affaire qui nous occupe, peut-on exiger du juge qu’il prenne une position politique ?]

          La raison d’Etat est un objet bizarre. Sur le papier, elle n’existe pas. Aucune autorité n’est en principe autorisée à l’invoquer explicitement. Elle ne peut être écrite, elle ne peut être réglementée… précisément parce qu’il serait très dangereux de suggérer qu’une institution est autorisée à violer la loi en fonction d’un intérêt supérieur qu’elle est seule à apprécier. En 1995, lorsqu’il valide les comptes de campagne irréguliers de Jacques Chirac, le juge « n’invoque pas la raison d’Etat », mais en tient compte secrètement dans sa décision. Et si Roland Dumas en parle, il ne peut le faire que vingt ans après, alors que son parcours est fini et que la société est passée à autre chose. On n’imagine pas ce qui se serait passé s’il avait tenu ces propos en 1995.

          [Depuis plusieurs années, le politique tend à se défausser sur le juge, mais dans le cas de Marine Le Pen, après tout, le juge est fondé à renvoyer la balle au politique: si ce dernier produit une législation qui, in fine, met en danger les institutions, ce n’est pas la faute du juge. D’autant que le risque que ce type de situation (condamnation d’une personnalité “présidentiable”) se produise était pour ainsi dire contenu dans la loi.]

          Tout à fait. C’est pourquoi dans cette affaire j’ai des scrupules à critiquer le travail des juges.

          [« Le PCF a eu recours a bien de sources de financement « non sanctas »… et je suis bien placé pour le savoir. Mais même s’il y a maintenant prescription, je n’en dirai pas plus. » Mais… Vous êtes en train de me dire que vous avez participé au financement occulte d’un parti politique !]

          Oui.

          [Ce même bloc dominant a usé jusqu’à la corde de ruses institutionnelles et politiciennes pour contourner systématiquement le vote ou le désir d’une grande partie des citoyens (Traité de Lisbonne, réforme des retraites, “combines” pour mettre à Matignon Barnier puis Bayrou). Il paraît assez clair que le bloc dominant refuse de jouer le jeu et a déjà rompu l’illusion démocratique. Je ne vois pas bien, dans ces conditions, ce que la possible éviction de Marine Le Pen change, si ce n’est d’acter un processus déjà bien avancé.]

          Ce n’est pas à vous que je vais apprendre que les symboles sont importants.

          [« Et c’est à ce moment-là que l’illusion devient intéressante pour les dominés aussi. » Pardon, mais les dominés n’ont pas obtenu grand-chose, malgré un RN à 35 %. La seule chose qui a amené de réelles concessions, c’est lorsque les Gilets Jaunes ont commencé à saccager. Je vous laisse en tirer la conclusion qui s’impose…]

          Quelles auraient été les politiques publiques des vingt dernières années si les différents gouvernements n’avaient craint d’alimenter le vote RN ? Sur un certain nombre de points, je pense qu’elles seraient largement plus européistes, plus favorables à l’immigration et aux communautarismes qu’elles ne le sont aujourd’hui.

          [La seule chose qui puisse fonctionner, je le crains, est la peur. Sans aller jusqu’à la guerre civile, peut-être que la peur de la guerre civile pousserait le bloc dominant à rechercher un compromis. Après tout, c’est un peu ce qui s’est passé en 1958.]

          C’est certainement l’hypothèse la plus favorable. Et elle n’est pas impossible, compte tenue du réflexe d’ordre qui est très fort en France. L’ennui, c’est que je ne vois aucun De Gaulle à l’horizon…

  6. NG dit :

    Très intéressante réflexion et mise en perspective. J’imagine que vous avez lu le billet de Régis de Castelnau en réaction à ce jugement. Je fais le lien avec votre note appelée en (1) car cet ancien avocat souligne combien cette accusation de “détournement de fonds publics” est contraire à la liberté politique des parlementaires au cours de leur mandat :”[…] ce qu’a fait le tribunal, en utilisant la jurisprudence irrégulière de la Cour de cassation, c’est répétons-le, de contrôler la façon dont les parlementaires organisent leur activité au service de leur mandat. Si on entre dans la logique de cette démarche, le juge pourra vérifier donc ce qu’ils lisent (rattachable ou pas ?), où ils vont (rattachable pas ?), à quelles réunions ils participent (rattachable ou pas ?). Et c’est justement ce que proscrit la séparation des pouvoirs, c’est-à-dire le contrôle du pouvoir législatif par le juge judiciaire. Ce contrôle c’est l’électeur souverain qui en dispose.”https://www.vududroit.com/2025/04/ineligibilite-derive-antidemocratique-dun-pays-pourtant-prompt-a-donner-des-lecons/

    • Descartes dit :

      @NG

      [Très intéressante réflexion et mise en perspective. J’imagine que vous avez lu le billet de Régis de Castelnau en réaction à ce jugement. Je fais le lien avec votre note appelée en (1) car cet ancien avocat souligne combien cette accusation de “détournement de fonds publics” est contraire à la liberté politique des parlementaires au cours de leur mandat : (…)]

      Je connaissais la position de Régis de Castelnau et je la partage. Le principe de séparation des pouvoirs exclut le contrôle de l’exercice de l’activité parlementaire par le juge. C’est pourquoi d’ailleurs les chambres parlementaires ont leur propre système de sanction et de discipline interne, qui ne passent pas par le prétoire. Mais de Castelnau est d’abord un juriste, et s’intéresse au fond de la décision de justice. Dans mon article, je n’ai pas voulu aborder cet aspect. La question qui m’intéresse c’est celle de la sacralisation du droit, qui conduit de plus en plus à réduire la démocratie au respect du droit.

  7. Guc dit :

    Bonjour
     
    Pas sur de bien comprendre votre renvoi en bas de page. Le projet européen ne vous convainc pas ? Et alors ? De mon côté  je ne suis pas convaincu par la nécessité de financer l opera de Paris.  Pour autant, si les subventions que lui verse l état français étaient détournées, cela reste bien un acte malhonnête ?  
     
    Madame Le Pen a joué avec le feu, elle a perdu. C est peut être politiquement regrettable, symptomatique d un déséquilibre des pouvoirs, voire tragique, mais la première responsable, c est elle, et ceux qui l ont conseillée. 
     
    Macron ne pourra pas la gracier. Ca parait politiquement impossible.
     
    Par contre, même si je ne soutient pas du tout le RN, je suis convaincu que Bardella peut avantageusement (pour le RN) la remplacer et capitaliser sur la vague de mécontentement qui va peut être émerger

    • Descartes dit :

      @ Guc

      [Pas sur de bien comprendre votre renvoi en bas de page. Le projet européen ne vous convainc pas ? Et alors ? De mon côté je ne suis pas convaincu par la nécessité de financer l’opéra de Paris. Pour autant, si les subventions que lui verse l’état français étaient détournées, cela reste bien un acte malhonnête ?]

      Oui. Mais du point de vue du citoyen – qui n’est pas le même que celui du juge – toutes les « malhonnêtetés » ne se valent pas. Vous pensez que l’argent versé à l’Opéra de Paris c’est de l’argent jeté par les fenêtres. Fort bien. Imaginons qu’un employé de l’Opéra détourne cet argent pour le verser à un hôpital. L’acte est certainement « malhonnête » et contraire à la loi. Mais il prend l’argent d’une dépense que vous estimez inutile, pour financer une dépense que vous jugez utile. En tant que citoyen, en voudriez-vous à cet employé autant que s’il avait fait le détournement dans le sens inverse ? Je ne le crois pas.

      [Madame Le Pen a joué avec le feu, elle a perdu. C’est peut-être politiquement regrettable, symptomatique d’un déséquilibre des pouvoirs, voire tragique, mais la première responsable, c’est elle, et ceux qui l’ont conseillée.]

      Possible. Mais je ne suis pas très intéressé par la question de savoir à qui la faute. Ce qui m’intéresse, ce sont les conséquences de cette situation. Et le fait, c’est que cette condamnation risque d’affaiblir encore nos institutions, et de remettre en cause la légitimité de l’élection présidentielle. Et qu’il faut que le pouvoir politique trouve une solution à ce problème. Quant on fait de la politique, on ne peut se contenter de rester sur son cul à répéter « c’est la faute à untel ».

      [Macron ne pourra pas la gracier. Ca parait politiquement impossible.]

      « la politique consiste à rendre possible ce qui est nécessaire » (Richelieu)

      [Par contre, même si je ne soutiens pas du tout le RN, je suis convaincu que Bardella peut avantageusement (pour le RN) la remplacer et capitaliser sur la vague de mécontentement qui va peut-être émerger]

      Je ne le crois pas. Ou alors il faudrait un très sérieux lifting d’image. Bardella et Marine Le Pen ne sont pas interchangeables. Marine Le Pen garde l’image « social-souverainiste » construite du temps ou Florian Philippot officiait auprès d’elle. C’est elle qui s’investit sur le terrain, qui représente une circonscription ouvrière, qui apparaît proche des couches populaires et portant leurs revendications. Bardella, lui, c’est l’alibi « libéral » du RN, celui qui s’adresse plutôt à la droite bourgeoise ou classe intermédiaire, avec un profil beaucoup plus « conservateur », moins « populaire », plus européen. Je connais personnellement pas mal d’ouvriers ou de techniciens qui ont voté Marine Le Pen, et qui ne voteraient pas pour Bardella.

  8. cdg dit :

     
    Quand j ai entendu que Marine allait être inéligible, ma première réaction a été de me demander ce que vous alliez en penser. Vous devriez être flatté 😉
    Çà va probablement être le seul point qui va vous plaire de ce que je vais écrire.
     
    Sur l inéligibilité réduite au mandat en cours.
    Ce que vous proposez revient a ne rien faire. Regardez par ex ce qu a fait Juppe quand il a été inéligible a Bordeaux : il a mit un de ses hommes qui lui a garde la place au chaud et une fois la peine passée il a récupéré ses mandats (et je suppose fait un petit cadeau a son fidèle vassal).
    Vous me direz que c est de la faute de l électeur qui vote pour une personne corrompue (que ça soit a Bordeaux avec Juppe ou a Levallois avec les Balkany) .
    Mais la corruption permet le clientélisme (clientélisme qui a permit a une catastrophe comme Gaudin d être maire de Marseille pendant des décennies).
    Ensuite les personnes en question s arrangent pour que le choix soit limité. Si vous êtes un partisan de l UMP et que l UMP présente Juppe allez vous voter pour le candidat PS ?
    Le système politique français est verrouillé (je sais n importe qui peut en théorie se présenter mais déjà les contraintes pratiques (avoir un mandataire financier, avoir un budget publicitaire, avoir une liste avec un quota de femme …) font que c est pas évident
    En France notre classe politique se pense au dessus des lois. Ils votent des lois en se disant qu elle ne s appliqueront jamais a eux (ce qu a du penser Marine quand elle a vote la loi qui la condamne)
     
    Mélenchon et sa maîtresse ont aussi des juges aux trousses pour s être payé sur la bête, Bayrou est pas passé loin dans un cas similaire à MLP et Sarkozy a fait encore plus fort en se faisant payer par Kadafi (ce qui est carrément de la trahison, Kadafi étant a l époque un de nos ennemi qui non seulement finançait des rebellions au Tchad mais qui avait fait sauter un avion civil français)
    Ne pas mettre hors course un politicien magouilleur c est s exposer a avoir un Chirac bis : qu il soit élu et passe son temps a détricoter et faire traîner toutes les procédures qui le menace (ceci n arrive pas qu au niveau national, on a la même chose au niveau local https://marsactu.fr/le-maire-distres-ne-pourra-pas-faire-payer-par-sa-commune-cinq-ans-de-frais-davocats/). Au final il n y a plus aucune sanction réelle comme pour Chirac ou Balladur
     
    Le problème du RN comme de tous les partis c est que ce sont juste des écuries présidentielles comme vous le dénoncez régulièrement. A partir de la en effet si le «capo de tutti capi» est hors course il y a en effet un problème. Si les partis avaient une doctrine voire des convictions ça ne poserait pas de problème : Marine hors course, Bardella la remplace. Mélenchon ne peut concourir, Panot prend sa place.
     
    Sur un plan purement électoraliste, la mise hors course de Marine est probablement une bonne nouvelle pour le RN car ça va augmenter ses chances :
    – si la marque «Le Pen» (comme Nike ou Adidas) permet d attitrer des voix (ce qui explique les échecs de Maigret ou Philippot) mais rien en prouve qu en l absence d un Le Pen ces électeurs ne votent pas ou ailleurs. Passer pour des martyrs risque au contraire de les motiver
    – cette marque Le Pen était aussi un repoussoir pour certains électeurs comme on la encore vu aux dernières législatives. Voter Bardella sera moins connoté. Surtout qu a 30 ans il va ringardiser un Mélenchon ou Wauquiez qui font de la politique depuis 40 ans
    – Pour les concurrents, MLP était du pain béni. Il suffisait d être second pour l emporter. MLP aurait fait 35 % au premier tour, mais a part Mélenchon n importe qui ferait 50.5 % au second tour même s il a fait que 15 au premier
     
    Certains vont m objecter que Bardella n est pas capable d être président. Je vais confesser que j ai lu son livre (une cousine sympathisante l a offert a mon père et je l ai lu quand il était a l hôpital. Le livre est écrit gros donc facile a lire sans lunette. C est sa principale qualité. Si la partie sur son parcours initial au FN est intéressante, il n y a rien dans ce livre qui indique l ébauche d une pensée ou il souhaite mener la France). De toute façon les capacités de Marine comme présidente ont été déjà mise en valeur lors du débat contre Macron. Bardella fera t il vraiment pire ?
     
    Détournement de l argent de l UE. Vous détestez l UE donc vous trouvez légitime de voler son argent. Supposons que pour financer sa campagne Poutou décide de braquer des banques. Après tout comme trotskyste il considère sûrement que les banques c est le capital donc le diable. Il n y a donc pas de problème a les voler comme le fit action directe par ex.
    Ça ne vous pose pas de problème ?
    Si on commence a excuser des comportements illégaux car la personne n est pas d accord avec l institution on peut justifier n importe quoi
     
    Autre sujet : le protectionnisme. Grace a Trump nous allons voir l effet de vos théories. Le protectionnisme va t il mener a un age d or aux USA comme le pense Donald ?

    • Descartes dit :

      @ cdg

      [Quand j ai entendu que Marine allait être inéligible, ma première réaction a été de me demander ce que vous alliez en penser. Vous devriez être flatté 😉]

      Mais… je le suis, je le suis ! En psychanalyse, ça s’appelle « le transfert »…

      [Çà va probablement être le seul point qui va vous plaire de ce que je vais écrire.]

      Mais… tout ce que vous écrivez me plait, même si je ne suis pas d’accord !

      [Sur l’inéligibilité réduite au mandat en cours. Ce que vous proposez revient a ne rien faire. Regardez par ex ce qu a fait Juppe quand il a été inéligible a Bordeaux : il a mis un de ses hommes qui lui a garde la place au chaud et une fois la peine passée il a récupéré ses mandats (et je suppose fait un petit cadeau a son fidèle vassal). Vous me direz que c’est de la faute de l’électeur qui vote pour une personne corrompue (que ça soit a Bordeaux avec Juppe ou à Levallois avec les Balkany).]

      Non, je ne dirai pas que « c’est la faute » de l’électeur. L’électeur ne comment aucune « faute » lorsqu’il décide qu’il préfère une personne corrompue qui gère bien sa ville ou qui défend efficacement ses intérêts, plutôt qu’une personne à l’honnêteté impeccable mais qui n’a pas ces qualités – à supposer que les autres candidats remplissent cette condition. Si l’électeur est souverain, alors je ne peux lui reprocher de choisir souverainement ses critères pour apprécier l’action de ses élus, quand même ces critères ne me plairaient pas.

      Ce que je propose, ce n’est pas de « rien faire », mais de placer la responsabilité là où elle aurait du toujours être : dans les mains de l’électeur, éclairé par les partis politiques. Si on n’est pas prêt à laisser la décision à l’électeur, si on ne peut même pas le soin de décider si un homme corrompu peut ou non diriger sa ville, alors autant renoncer à la démocratie et créer une chambre d’hommes sages et honnêtes qui dirigerait le pays.

      [Mais la corruption permet le clientélisme (clientélisme qui a permis à une catastrophe comme Gaudin d’être maire de Marseille pendant des décennies).]

      Beh oui, c’est ça la démocratie. Le pire système à l’exception de tous les autres. Si les marseillais sont contents de laisser un Gaudin gérer leur ville et l’argent de leurs impôts, qui est légitime pour leur dire qu’ils ont tort ?

      [Ensuite les personnes en question s’arrangent pour que le choix soit limité. Si vous êtes un partisan de l’UMP et que l’UMP présente Juppé allez-vous voter pour le candidat PS ?]

      Oui. J’ai été militant PCF, et lorsque le PCF a appelé à voter pour Mitterrand, non seulement j’ai voté contre lui, mais j’ai pris publiquement position contre lui, en mettant en demeure mes camarades de m’exclure. Et aucune sanction n’a été prise contre moi… preuve que je ne devais pas être le seul.

      [Le système politique français est verrouillé (je sais n’importe qui peut en théorie se présenter mais déjà les contraintes pratiques (avoir un mandataire financier, avoir un budget publicitaire, avoir une liste avec un quota de femme …) font que c est pas évident.]

      Vrai. Mais si les électeurs sanctionnaient systématiquement le candidat corrompu, alors les partis en tireraient les conséquences et ne présenteraient pas de candidats trop visiblement corrompus. Comme cela se produit d’ailleurs dans les pays du nord de l’Europe. En fait, il y a là une grande hypocrisie. Malheureusement, et à des degrés divers, ils sont TOUS « corrompus ». C’est humain. Mais certains se font prendre, et d’autres pas.

      [En France notre classe politique se pense au-dessus des lois. Ils votent des lois en se disant qu’elles ne s’appliqueront jamais à eux (ce qu’à du penser Marine quand elle a vote la loi qui la condamne)]

      J’en doute. A l’époque où la loi en question a été votée, Marine n’était pas députée… Mais le problème n’est pas tant que la classe politique « se pense au-dessus des lois », mais qu’elle est de plus en plus « au-dessous des lois ». Des actes qui, s’ils avaient été commis par des citoyens privés, n’auraient eu aucune conséquence peuvent mener un élu devant les tribunaux.

      [Mélenchon et sa maîtresse ont aussi des juges aux trousses pour s être payé sur la bête, Bayrou est pas passé loin dans un cas similaire à MLP et Sarkozy a fait encore plus fort en se faisant payer par Kadafi (ce qui est carrément de la trahison, Kadafi étant a l époque un de nos ennemi qui non seulement finançait des rebellions au Tchad mais qui avait fait sauter un avion civil français)]

      Franchement, pensez-vous que ce soit mieux dans le domaine privé ? Que les grands patrons ne « se payent pas sur la bête » ? Vous êtes bien naïf… L’être humain est ce qu’il est, et le puritanisme qu’on voit dans les pays nordiques n’est, lorsqu’on creuse un peu, qu’une forme d’hypocrisie. La seule différence entre eux et nous, c’est que ce que nous faisons presque publiquement se fait chez eux en secret, derrière les portes closes.

      [Ne pas mettre hors course un politicien magouilleur c’est s’exposer à avoir un Chirac bis : qu il soit élu et passe son temps a détricoter et faire traîner toutes les procédures qui le menace]

      Admettons. Mais le but de l’élection, ce n’est pas de porter au pouvoir un saint. C’est de choisir le candidat le plus légitime pour gouverner le pays. Mettre hors course un « politicien magouilleur » ne fera qu’ouvrir la voie à un autre « politicien magouilleur » (parce qu’on n’arrive pas à ce niveau-là en politique en étant un saint). A la fin, sera-t-on mieux servi ?

      [Le problème du RN comme de tous les partis c est que ce sont juste des écuries présidentielles comme vous le dénoncez régulièrement. A partir de la en effet si le «capo de tutti capi» est hors course il y a en effet un problème. Si les partis avaient une doctrine voire des convictions ça ne poserait pas de problème : Marine hors course, Bardella la remplace. Mélenchon ne peut concourir, Panot prend sa place.]

      Cela n’a jamais été vrai, même à l’époque où les partis n’étaient pas des écuries présidentielles, mais une doctrine et des convictions. Parce que la doctrine et les convictions abstraites ne mobilisent pas les foules. Les gens ont besoin d’incarnation. La doctrine et les convictions, c’est bien, mais en fin de compte vous placez au pouvoir un homme, et il vous faut avoir confiance que cet homme a les capacités et la volonté de mettre en œuvre la doctrine et les convictions en question. C’est pourquoi les leaders n’ont jamais été substituables. Pensez-vous vraiment que si Mitterrand était passé sous un camion en 1980, un autre socialiste l’aurait emporté en 1981 ?

      [Sur un plan purement électoraliste, la mise hors course de Marine est probablement une bonne nouvelle pour le RN car ça va augmenter ses chances :
      – si la marque «Le Pen» (comme Nike ou Adidas) permet d attitrer des voix (ce qui explique les échecs de Maigret ou Philippot) mais rien en prouve qu en l absence d un Le Pen ces électeurs ne votent pas ou ailleurs. Passer pour des martyrs risque au contraire de les motiver
      – cette marque Le Pen était aussi un repoussoir pour certains électeurs comme on la encore vu aux dernières législatives. Voter Bardella sera moins connoté. Surtout qu a 30 ans il va ringardiser un Mélenchon ou Wauquiez qui font de la politique depuis 40 ans
      – Pour les concurrents, MLP était du pain béni. Il suffisait d être second pour l emporter. MLP aurait fait 35 % au premier tour, mais a part Mélenchon n importe qui ferait 50.5 % au second tour même s il a fait que 15 au premier]

      Je n’en suis pas convaincu. Marine Le Pen et Bardella ne sont pas substituables en termes électoraux. Ils sont en fait complémentaires. Marine Le Pen parle à un électorat populaire, et son image reste attachée à une forme de « social-souverainisme ». Bardella est plus proche de l’électorat traditionnel de la droite conservatrice, avec son obsession fiscale et son racisme de classe. L’effacement de Marine Le Pen risque de provoquer une rupture avec cet électorat populaire que le RN a mis vingt ans à conquérir sur les ruines de la gauche. Quant à la jeunesse de Bardella, je pense que c’est un handicap plus qu’autre chose. Le balancier du « jeunisme » est en train de revenir en force, une fois que des individus comme Macron ou Attal et leurs cabinets de jeunes loups aient montré leurs limites.

      [Certains vont m objecter que Bardella n’est pas capable d’être président. Je vais confesser que j ai lu son livre (une cousine sympathisante l a offert a mon père et je l ai lu quand il était a l hôpital. Le livre est écrit gros donc facile a lire sans lunette. C’est sa principale qualité. Si la partie sur son parcours initial au FN est intéressante, il n’y a rien dans ce livre qui indique l ébauche d une pensée ou il souhaite mener la France).]

      Cela semble confirmer qu’il est parfaitement capable d’être président. Il a compris l’essence de la politique aujourd’hui : « on ne sort de l’ambigüité qu’à son détriment »…

      [Détournement de l’argent de l UE. Vous détestez l UE donc vous trouvez légitime de voler son argent.]

      Ce que j’aime ou que je déteste n’a aucune incidence sur ce débat. La question est de savoir ce que les électeurs de Marine Le Pen trouvent légitime. Je ne pense pas me tromper en disant que pour eux le fait de voler l’argent du Parlement européen, pour eux une institution inutile au mieux, nuisible au pire, est un péché véniel. Ce n’est pas comme si elle avait détourné le budget d’une école ou celui d’un hôpital.

      [Supposons que pour financer sa campagne Poutou décide de braquer des banques. Après tout comme trotskyste il considère sûrement que les banques c’est le capital donc le diable. Il n y a donc pas de problème a les voler comme le fit action directe par ex.]

      Ca dépend pour qui. Pour les électeurs de Poutou, probablement pas. Je n’imagine pas un électeur trotskyste refusant sa voix à Poutou au motif que le financement de sa campagne vient du vol d’une banque. Je vous rappelle d’ailleurs que cette mouvance politique a fait d’un certain nombre de braqueurs des héros. Je vous rappelle que dans ce débat ce qui est en cause est la réaction de l’électorat de Marine Le Pen, et non la mienne.

      [Ça ne vous pose pas de problème ? Si on commence a excuser des comportements illégaux car la personne n’est pas d’accord avec l’institution on peut justifier n’importe quoi]

      Le fait est qu’il y a quand même dans la tête des gens une hiérarchie entre les « comportement illégaux ». Et c’est très bien ainsi. Ce n’est pas la même chose de voler un morceau de pain pour nourrir ses enfants que de tuer une petite vieille pour pouvoir partir en vacances les poches pleines. Et une société qui ne saurait pas faire la différence entre les deux serait certainement beaucoup moins vivable.

      [Autre sujet : le protectionnisme. Grace à Trump nous allons voir l’effet de vos théories.]

      Pour cela, encore faudrait-il que Trump applique « mes théories ». Pour le moment, ce n’est pas le cas. Pour moi, le protectionnisme sert deux finalités. La première, c’est d’équilibrer les balances des échanges de biens et services tout en préservant les avantages comparatifs, dans l’esprit de la Charte de La Havane. J’avais développé ce schéma dans un article sur ce même blog (https://descartes-blog.fr/2011/12/28/pour-un-protectionnisme-intelligent/), en montrant qu’une telle politique suppose une taxation uniforme de l’ensemble des produits importés indépendamment de leur origine. La deuxième, c’est de permettre de conserver sur le territoire des activités stratégiques pour l’indépendance et la souveraineté de la nation, qui sous l’effet d’une concurrence « libre et non faussée » seraient fatalement délocalisées. Je ne vois pas en quoi le protectionnisme tel qu’il est conçu par Trump pourrait entrer dans ces deux catégories.

      Bien sûr, j’entends les partisans du « marché libre et non faussé » affuter leurs couteaux. L’échec du protectionnisme à la sauce Trump – c’est-à-dire, irrationnellement conçu et appliqué – sera bientôt montré comme la preuve que le protectionnisme EN GENERAL est désastreux. Je compte sur votre rationalité pour ne pas vous joindre à cet amalgame…

      [Le protectionnisme va-t-il mener à un âge d’or aux USA comme le pense Donald ?]

      En tout cas, je trouve dans la situation un intéressant paradoxe. Donald est entouré de ce qui se fait de mieux en termes de patrons américains. Parmi ses soutiens et ces conseillers, on trouve ce qui se fait de mieux dans l’économie la plus moderne, des entrepreneurs dont le succès est admiré autant sur le plan industriel que financier. Est-ce que tous ces gens-là sont en train de se tirer une balle dans le pied ? Pourquoi soutiennent-ils une politique qui, en apparence, et totalement contraire à leurs intérêts ?

      A cela, je ne trouve que deux explications possibles. La première est que cette politique n’est pas aussi mauvaise pour l’économie américaine que nos commentateurs eurolâtres le disent. La seconde, c’est que tous ces gens qui ont fait Trump roi ont perdu le contrôle de leur créature, un peu comme les industriels allemands ont perdu le contrôle de Hitler après 1936. J’aimerais connaître votre analyse là-dessus…

      • Carloman dit :

        Bonjour Descartes,
         
        [L’échec du protectionnisme à la sauce Trump – c’est-à-dire, irrationnellement conçu et appliqué – sera bientôt montré comme la preuve que le protectionnisme EN GENERAL est désastreux.]
        Êtes-vous certain que le “protectionnisme à la sauce Trump” n’a fait l’objet d’aucune réflexion?
         
        Ensuite que pensez-vous de l’intervention de Trump dans laquelle il donne quelques instants la parole à un ouvrier? Bien sûr, on peut dire “c’est que de la com’ “. D’un autre côté, je dois dire que je suis perplexe: Trump est entouré de businessmen, d’entrepreneurs, de capitalistes totalement décomplexés… Et de l’autre, il se sent obligé – comme vous l’avez dit, sa “sincérité” a finalement peu d’importance – de parler aux ouvriers américains. Quelle est votre analyse? Aurions-nous là la preuve de votre théorie selon laquelle “un politique est otage de son électorat”? Et dans ce cas, Trump peut-il vraiment se permettre d’adopter une politique irréfléchie qui va ruiner ledit électorat populaire?

        • Descartes dit :

          @ Carloman

          [« L’échec du protectionnisme à la sauce Trump – c’est-à-dire, irrationnellement conçu et appliqué – sera bientôt montré comme la preuve que le protectionnisme EN GENERAL est désastreux. » Êtes-vous certain que le “protectionnisme à la sauce Trump” n’a fait l’objet d’aucune réflexion?]

          Je suis sûr qu’il a fait l’objet d’une réflexion ! Ce dont je doute, c’est qu’il s’agisse d’une réflexion rationnelle. Quand on voit la liste de Trump et qu’on lit les commentaires de ses proches, on voit que le choix des pays et des taux applicables obéissent quelquefois à des données objectives, quelquefois à des préjugés ou des croyances fausses.

          [Ensuite que pensez-vous de l’intervention de Trump dans laquelle il donne quelques instants la parole à un ouvrier? Bien sûr, on peut dire “c’est que de la com’ “. D’un autre côté, je dois dire que je suis perplexe: Trump est entouré de businessmen, d’entrepreneurs, de capitalistes totalement décomplexés… Et de l’autre, il se sent obligé – comme vous l’avez dit, sa “sincérité” a finalement peu d’importance – de parler aux ouvriers américains. Quelle est votre analyse? Aurions-nous là la preuve de votre théorie selon laquelle “un politique est otage de son électorat”?]

          Je le pense. Je trouve ce qui se passe en ce moment aux Etats-Unis fascinant. Trump est un entrepreneur milliardaire, entouré d’entrepreneurs milliardaires… et pourtant il fait une politique dont tous nos commentateurs habituels nous disent qu’elle est désastreuse non seulement pour l’économie mondiale, mais surtout pour l’économie des Etats-Unis. Les marchés paniquent, les bourses s’effondrent… comment est-on arrivé à une situation ou le président qualifié d’ultra-libéral fait une politique qui semble désastreuse pour la corbeille ?

          Ma réponse est celle que vous proposez : Trump est l’otage de son électorat populaire. Et son exercice de com avec l’ouvrier le montre. Le protectionnisme fait chuter Wall Street, mais promet des emplois aux cols bleus américains…

          • P2R dit :

            @ Descartes 
             
            Je ne pense pas que Trump soit un ultra-libéral. Pendant la campagne il n’a jamais fait mystère de son obsession pour les « tariffs » et le fait de rétablir une balance commerciale équilibrée. 
            Le fait le plus étonnant dans le déroulé des événements,  c’est le ralliement de Musk, qui en réalité avait tout à perdre dans une politique commerciale isolationniste (les Tesla sont fabriquées en Chine). Pour lui je pencherais pour l’hypothèse de l’idiot utile. Musk est un pittbull enragé qu’on ne va pas tarder à faire rentrer à la niche la queue entre les jambes dès lors qu’on n’aura plus besoin de lui. Pour les autres pontes de la tech, ils sont majoritairement démocrates et ne sont venus vers Trump qu’au dernier moment, une fois les jeux faits. Je pense que Trump se fout comme de sa première chemise que Facebook ou Amazon perde 80% de leur valeur boursière.. 
             
            Manifestement Trump reste avant tout attaché à l’idée de production. Aura t’il la finesse et le charisme nécessaire pour faire passer auprès de son électorat la nécessaire et difficile période de transition pendant laquelle l’inflation risque d’augmenter en attendant que l’offre intérieure suppléée la baisse des importations ? La est toute la question.
             

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [Je ne pense pas que Trump soit un ultra-libéral. Pendant la campagne il n’a jamais fait mystère de son obsession pour les « tariffs » et le fait de rétablir une balance commerciale équilibrée.]

              Oui et non. Oui, Trump a une obsession pour les « tariffs », mais cette obsession n’est pas idéologique mais pragmatique. La position de Trump est que « les autres » font du protectionnisme, et que les Etats-Unis sont donc obligés de riposter pour se défendre. Trump se met dans la position du libéral contrarié, de celui qui aime le libre-échange mais qui ne se laissera pas « entuber » par ceux qui pratiquent un protectionnisme déguisé. Là où Trump rompt avec la vulgate néolibérale est sur la question nationale. Trump est clairement un nationaliste, là où la doctrine néolibérale conduit logiquement à l’abandon de la nation comme référence ultime.

              [Le fait le plus étonnant dans le déroulé des événements, c’est le ralliement de Musk, qui en réalité avait tout à perdre dans une politique commerciale isolationniste (les Tesla sont fabriquées en Chine). Pour lui je pencherais pour l’hypothèse de l’idiot utile.]

              J’ai du mal à voir un homme aussi intelligent dans le rôle de l’idiot utile. Non, je pense que son ralliement tient plutôt du complexe de l’immigré. Faire des affaires, devenir riche, c’est une preuve de succès. Mais ce n’est pas comme cela qu’on laisse son nom dans l’histoire. Et Musk veut marquer l’histoire américaine. D’autres avant lui ont suivi le même chemin…

              [Pour les autres pontes de la tech, ils sont majoritairement démocrates et ne sont venus vers Trump qu’au dernier moment, une fois les jeux faits. Je pense que Trump se fout comme de sa première chemise que Facebook ou Amazon perde 80% de leur valeur boursière.]

              Pour Zuckerberg, par exemple, c’est possible. Mais si vous regardez un Peter Thiel, on ne peut pas dire qu’il soit venu « au dernier moment » et à reculons…

              [Manifestement Trump reste avant tout attaché à l’idée de production.]

              Je pense surtout que Trump est très attaché à l’idée de nation en termes de collectivité constituée. On voit très clairement dans son discours qu’il a une conscience aigüe du « dedans » et du « dehors », et il est clair que pour lui la question de la frontière a un sens profond. Son idée d’annexer le Canada ou le Groenland montre que pour lui l’alliance ou la domination économique n’est pas suffisante, que le fait de déplacer les frontières, de faire rentrer les autres dans la même communauté politique et symbolique, a son importance.

              Il est aussi clair que Trump renverse la hiérarchie imposée par les néolibéraux qui place les intérêts du consommateur au sommet de la pyramide. Pour Trump, la relocalisation de la production est une question prioritaire, dusse le consommateur souffrir de prix un peu plus élevés.

              [Aura t’il la finesse et le charisme nécessaire pour faire passer auprès de son électorat la nécessaire et difficile période de transition pendant laquelle l’inflation risque d’augmenter en attendant que l’offre intérieure suppléée la baisse des importations ? Là est toute la question.]

              Oui, mais ce n’est pas la seule. Je suis trop « européen » peut-être, mais je me dis que cette « révolution » – car c’est une véritable révolution – aurait pu être mieux pensée, mieux faite, mieux exprimée. Est-ce que les tête-à-queue idéologiques, le complotisme, l’irrationnalité étaient indispensables ? Mais peut-être me serais-je posé la même question devant les discours enflammés et excessifs des révolutionnaires à la Convention ? La révolution, comme disait Mao, n’est pas un diner de gala…

      • Frank dit :

        [Pensez-vous vraiment que si Mitterrand était passé sous un camion en 1980, un autre socialiste l’aurait emporté en 1981 ?]
        Cette remarque m’a immédiatement fait penser à un événement beaucoup plus récent qui s’apparente au passage «sous un camion» pour un candidat majeur à la présidentielle, l’affaire Strauss-Kahn. Qui aurait pensé que Hollande serait élu après la déchéance de ce dernier ? La démocratie réserve parfois de sacrées surprises, et ça fait un moment que les surprises sont systématiquement de mauvaises surprises.

      • cdg dit :

        [ c’est ça la démocratie. Le pire système à l’exception de tous les autres. Si les marseillais sont contents de laisser un Gaudin gérer leur ville et l’argent de leurs impôts, qui est légitime pour leur dire qu’ils ont tort ?]
        Mais dans ce cas, il faut aller au bout de la logique et pas une fois la ville dans un etat de delabrement avancé demande a l etat de payer (cf Macron et le plan Marseille en grand).
        C est le probleme avec le clientelisme et la corruption. Les dégâts mettent des dizaines d années pour se manifester (que ca soit en ayant construit sur une zone inondable, en ayant des écoles delabrees ou en ayant un personnel municipal pletorique et absenteiste)
         
        [J’en doute. A l’époque où la loi en question a été votée, Marine n’était pas députée…]
        https://www.bfmtv.com/politique/front-national/quand-marine-le-pen-appelait-a-l-ineligibilite-a-vie-des-elus-condamnes-pour-detournement-de-fonds-publics_AN-202503310461.html
         
        [Mais le problème n’est pas tant que la classe politique « se pense au-dessus des lois », mais qu’elle est de plus en plus « au-dessous des lois ». Des actes qui, s’ils avaient été commis par des citoyens privés, n’auraient eu aucune conséquence peuvent mener un élu devant les tribunaux.]
        Je suppose que vous faites reference au maire d une commune qui se retrouve devant le tribunal parce qu un lampadaire s est effondre dans un square.
        Mais ici on ne parle pas de ca. On est dans la corruption et les detournement de fond. Mais en si par ex vous faites 4 millions de fausses factures a EDF je doute que vous vous en sortiez si bien que MLP (déjà vous etes chomeur et probablement grillé professionnellement et vous n aurez pas un procedure d appel acceleré)
         
        [L’être humain est ce qu’il est, et le puritanisme qu’on voit dans les pays nordiques n’est, lorsqu’on creuse un peu, qu’une forme d’hypocrisie. La seule différence entre eux et nous, c’est que ce que nous faisons presque publiquement se fait chez eux en secret, derrière les portes closes.]
        Je crois pas. J ai grandit dans la region marseillaise ou truander est un sport national et meme celui qui truande pas est un couillon (dans le sens meridional du terme). Ce qui est accepté voire valorisé a Marseille vous vaudra une opprobe publique en Allemagne. Donc vous ne le faites pas car le jeu n en vaut pas la chandelle. Evidement vous avez toujours des gens qui sont « deviant » et qui vont tricher. Mais le marais qui triche par opportunité car il sait qu il ne risque pas grand-chose est bien plus grand a Marseille qu a Berlin (ou meme a Strasbourg pour rester en France)
         
        [Mettre hors course un « politicien magouilleur » ne fera qu’ouvrir la voie à un autre « politicien magouilleur » (parce qu’on n’arrive pas à ce niveau-là en politique en étant un saint). A la fin, sera-t-on mieux servi ?]
        C est un peu l argument tous pourri et tous incompetant. Je pense qu on est par encore au niveau du Mexique (pour la corruption en tout cas). Apres c est vrai qu on peu se poser la question est ce qu il vaut mieux un dirigeant compétant et corrompu ou un honnete et incompetant.
        Le probleme étant que si vous avez un dirigeant corrompu vous allez rapidement avoir les niveaux inferieur qui le sont aussi et donc a terme plus rien qui ne marche. Le poisson pourri par la tete comme disait Mao
        [Pensez-vous vraiment que si Mitterrand était passé sous un camion en 1980, un autre socialiste l’aurait emporté en 1981 ?]
        Rocard aurait probablement fait un meilleur score en 81 (au moins d après les sondages de l époque)
         
        [L’effacement de Marine Le Pen risque de provoquer une rupture avec cet électorat populaire que le RN a mis vingt ans à conquérir sur les ruines de la gauche.]
        Assez peu probable a court terme. Non seulement rien n aurait empeche MLP d appeler a faire elire Bardella mais en plus cet électorat n a pas trop d autre endroit ou aller. LFI et le PS leur a clairement tourné le dos. Les macronistes visent les CSP+ et se disputent les vieux avec les LR. Qui parlent aux ouvriers en 2025 ? le RN. Que ca soit Bardella ou MLP ne change pas grand chose
         
        [Parmi ses soutiens et ces conseillers, on trouve ce qui se fait de mieux dans l’économie la plus moderne, des entrepreneurs dont le succès est admiré autant sur le plan industriel que financier. Est-ce que tous ces gens-là sont en train de se tirer une balle dans le pied ? Pourquoi soutiennent-ils une politique qui, en apparence, et totalement contraire à leurs intérêts ?]
        Trump était loin de faire l unanimite dans la silicon valley et beaucoup (dont Musk) ne l avait pas soutenu la premiere fois. Je suppose que ce qui les a motivé pour Trump II c est a la fois les promesses de deregulation, de baisse d impôts mais aussi probablement un rejet de Biden/Harris (dans le cas de Musk le contentieux était double : Biden a soutenu les voitures électriques mais pas Tesla car usines non syndiques et le cote woke (Musk a un fils qui est devenu une fille)).
        Donc certains on fermé les yeux sur les points du progamme de Trump qui leur plaisait pas (après tout le premier mandat a pas été excessif ) et la c est le réveil brutal
        Donc oui, ils ont mit au sommet quelqu un qui leur echappe , qui est completement irrationnel et entouré de beni oui oui (le critere de promotion étant la fidelite a Trump, personne va lui dire non)
         
        PS: Trump etait un promoteur. donc sa vision du monde est pas la meme que quelqu un qui va fabriquer des Tesla : quand vous construisez un immeuble vous allez pas faire venir des parties de chine car moins cher et vous ne pouvez vendre le meme appartement partout dans le monde

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [« c’est ça la démocratie. Le pire système à l’exception de tous les autres. Si les marseillais sont contents de laisser un Gaudin gérer leur ville et l’argent de leurs impôts, qui est légitime pour leur dire qu’ils ont tort ? » Mais dans ce cas, il faut aller au bout de la logique et pas une fois la ville dans un état de délabrement avancé demande a l’état de payer]

          Je suis tout à fait d’accord avec vous : il n’y a pas de démocratie sans responsabilité. C’est le grand problème de la décentralisation à la française : on a donné l’argent et le pouvoir aux élus, mais la responsabilité quand les choses vont mal est assumée par l’Etat. Il faudrait une disposition constitutionnelle qui interdise formellement à l’Etat de prendre en charge les erreurs des élus. Si les citoyens marseillais élisent un Gaudin, alors les citoyens marseillais doivent payer pour les erreurs et les fautes d’un Gaudin.

          [C’est le problème avec le clientélisme et la corruption. Les dégâts mettent des dizaines d’années pour se manifester (que ça soit en ayant construit sur une zone inondable, en ayant des écoles délabrées ou en ayant un personnel municipal pléthorique et absentéiste)]

          Ce que vous dites est vrai de la plupart des politiques publiques, « clientélistes » ou pas. Quand nos élus choisissent de faire une monnaie unique en Europe, d’ouvrir le marché de l’électricité à la concurrence ou de supprimer les mathématiques du tronc commun, les dégâts mettront des décennies à se voir. C’est donc un problème global de la démocratie, et non une question de « clientélisme » ou de « corruption »…

          [J’en doute. A l’époque où la loi en question a été votée, Marine n’était pas députée… (…)]

          Elle peut « appeler » tout ce qu’elle veut, le fait est qu’elle n’a pas voté la loi. Faut être précis dans ces questions…

          [« Mais le problème n’est pas tant que la classe politique « se pense au-dessus des lois », mais qu’elle est de plus en plus « au-dessous des lois ». Des actes qui, s’ils avaient été commis par des citoyens privés, n’auraient eu aucune conséquence peuvent mener un élu devant les tribunaux. » Je suppose que vous faites référence au maire d’une commune qui se retrouve devant le tribunal parce qu’un lampadaire s’est effondre dans un square.]

          Pas seulement. Je pense à un Sarkozy contre qui la déchéance des droits familiaux a été requise. Je pense que si Sarkozy avait été un patron d’entreprise ayant reçu de l’argent d’un concurrent, le réquisitoire aurait été beaucoup moins sévère sur ce point. Pensez aux peines finalement infligées aux cadres de France Télécom… et dans cette affaire-là il y avait eu mort d’homme. Je n’imagine pas ce qu’on aurait requis contre Sarkozy s’il avait poussé des dizaines de ses collaborateurs au suicide.

          [Mais ici on ne parle pas de ça. On est dans la corruption et les détournement de fond. Mais en si par ex vous faites 4 millions de fausses factures a EDF je doute que vous vous en sortiez si bien que MLP (déjà vous êtes chômeur et probablement grillé professionnellement et vous n’aurez pas un procédure d’appel accéléré)]

          Pas du tout, cher ami, pas du tout… Un patron qui ferait des fausses factures à EDF se verrait probablement proposer un arrangement transactionnel pour retourner l’argent plus une pénalité, et l’affaire n’atteindrait probablement pas le prétoire. Je vous remets aux nombreuses affaires de « transaction fiscale », avec des fraudeurs qui s’en sortent en payant le dû plus pénalités, sans jamais encourir une interdiction de gérer (qui serait l’équivalent privé de l’inéligibilité).

          [« L’être humain est ce qu’il est, et le puritanisme qu’on voit dans les pays nordiques n’est, lorsqu’on creuse un peu, qu’une forme d’hypocrisie. La seule différence entre eux et nous, c’est que ce que nous faisons presque publiquement se fait chez eux en secret, derrière les portes closes. » Je crois pas. J’ai grandi dans la région marseillaise ou truander est un sport national et même celui qui truande pas est un couillon (dans le sens méridional du terme).]

          J’y ai vécu quelques années, et j’avais la même impression. Et puis je suis allé travailler en Angleterre, et j’ai découvert que c’est pareil. Exemple : le propriétaire qui vous loue votre logement refuse systématiquement de vous rendre la caution. Pourquoi ? Parce qu’aller au tribunal en Grande Bretagne, c’est compliqué et surtout très cher, et qu’ils savent que personne n’ira prendre un avocat pour des sommes relativement faibles. Et vous savez comment j’ai réussi à récupérer ma caution ? Suivant le conseil d’un anglais qui m’avait expliqué qu’en quittant le logement il faut prendre avec soi le meuble le plus cher… et ensuite négocier le meuble contre la caution. Parce que de la même manière que vous n’irez pas au tribunal pour la caution, le propriétaire n’ira pas au tribunal pour récupérer son meuble… alors, vous savez, l’idée que les nordiques « ne truandent pas », j’en ai fait mon deuil. Ils le font, seulement ils le font de manière plus hypocrite, et peut-être plus calculée.

          [Ce qui est accepté voire valorisé à Marseille vous vaudra une opprobre publique en Allemagne.]

          Seulement si ça se sait… c’est un peu comme la question du sexe. En France, un homme politique qui a une maîtresse n’a rien à craindre. Aux Etats-Unis, ça peut briser votre carrière. Est-ce que les politiciens américains sont plus fidèles à leurs épouses que les français ? Je vous laisse répondre…

          [Donc vous ne le faites pas car le jeu n’en vaut pas la chandelle.]

          Ou bien, cachez-le mieux !

          [« Mettre hors course un « politicien magouilleur » ne fera qu’ouvrir la voie à un autre « politicien magouilleur » (parce qu’on n’arrive pas à ce niveau-là en politique en étant un saint). A la fin, sera-t-on mieux servi ? » C’est un peu l’argument tous pourri et tous incompétent.]

          Non, justement. C’est l’argument « puisqu’ils sont tous plus ou moins pourris, autant choisir un pourri compétent ». C’est très différent. Et c’est un dilemme classique : si vous étiez un PDG, que préfériez-vous : avoir un directeur des achats qui vous vole des milliers mais vous fait gagner des millions, ou celui qui est strictement honnête et ne vous fait gagner rien ?

          [Je pense qu’on est par encore au niveau du Mexique (pour la corruption en tout cas). Apres c’est vrai qu’on peut se poser la question est ce qu’il vaut mieux un dirigeant compétant et corrompu ou un honnête et incompétent.]

          C’est bien la question qui se pose. Et de ce point de vue, les Français sont pragmatiques là où les nordiques ont tendance à vouloir – au moins en apparence – des saints aux postes de pouvoir. En Suède ou en Allemagne on suppose acquis le fait que « qui vole un œuf vole un bœuf », et on défenestre un ministre parce qu’on apprend qu’il s’achète une barre de chocolat avec l’argent public. En France, on tolère traditionnellement que nos politiques volent un œuf, et on met en place des mécanismes de contrôle pour les empêcher de voler un bœuf.

          [Le problème étant que si vous avez un dirigeant corrompu vous allez rapidement avoir les niveaux inferieur qui le sont aussi et donc a terme plus rien qui ne marche. Le poisson pourri par la tete comme disait Mao]

          Attention, je ne suis pas en train de défendre la corruption ou le détournement de fonds. Mon point est qu’il faut éviter dans ce domaine comme dans tout autre de penser que parce qu’on fait des règles rigides et absolues on a résolu les problèmes. Virer un ministre compétent et qui fait bien son travail parce qu’il a acheté une barre de chocolat avec l’argent du contribuable, c’est un gâchis de compétences.

          Bien entendu, il faut une corde de rappel car, comme disait le président Peron, « l’homme est naturellement bon, mais il est encore meilleur lorsqu’on le surveille ». Et la corde de rappel, c’est la fonction publique. Nous avons – avions ? – en France une fonction publique honnête, qui exerçait fort bien cette fonction. Les principes comme la séparation entre l’ordonnateur et le comptable, l’existence des inspections générales et de la cour des comptes servait à ça. Et si cette fonction publique est – était ? – honnête, c’est parce qu’elle est – était ? – relativement bien compensée pour ses peines matériellement mais aussi symboliquement. C’est par là que le poisson, pour utiliser la formule de Mao que vous citez, risque de pourrir…

          [« Pensez-vous vraiment que si Mitterrand était passé sous un camion en 1980, un autre socialiste l’aurait emporté en 1981 ? » Rocard aurait probablement fait un meilleur score en 81 (au moins d’après les sondages de l’époque)]

          Je ne me souviens pas de tels sondages, mais personnellement j’en doute. Le succès de Mitterrand tient en grande partie à sa capacité à attirer le vote communiste tout en rassurant les classes intermédiaires (et, last but not least, nos « alliés » Américains) sur sa capacité à contrôler les « rouges ». Je doute fort de la capacité de Rocard à obtenir le même résultat.

          [« L’effacement de Marine Le Pen risque de provoquer une rupture avec cet électorat populaire que le RN a mis vingt ans à conquérir sur les ruines de la gauche. » Assez peu probable à court terme. Non seulement rien n’aurait empêché MLP d’appeler à faire élire Bardella mais en plus cet électorat n’a pas trop d’autre endroit où aller.]

          Pour ce qui concerne un « appel à faire élire Bardella », n’oubliez pas que les électeurs n’obéissent plus – si tant est qu’ils l’aient fait un jour – au doigt et à l’œil. On vote certes pour un projet, mais la question de la confiance dans l’homme qui le porte est essentielle. On peut faire confiance à Marine Le Pen et ne pas faire confiance à Bardella. Et dans ce cas, un appel de la première pour voter pour le second serait-il écouté sans déperdition ? Je ne sais pas.

          Pour ce qui concerne les alternatives, n’oubliez pas qu’il y a toujours l’abstention. Une partie de l’électorat RN y vient, et pourrait y retourner si le candidat proposé apparaît comme trop éloigné de ses préoccupations.

          [PS: Trump etait un promoteur. donc sa vision du monde est pas la meme que quelqu un qui va fabriquer des Tesla : quand vous construisez un immeuble vous allez pas faire venir des parties de chine car moins cher et vous ne pouvez vendre le meme appartement partout dans le monde]

          Je suis surpris de ce commentaire. Quand vous construisez un immeuble, vous avez tout intérêt au contraire à faire « venir les parties » de Chine. Acier, ciment, matériel électrique, huisseries, visserie, engins de chantier… tout y est moins cher. Vous avez aussi tout intérêt, puisque le BTP est une activité intensive en main d’œuvre, à disposer d’une nombreuse main d’œuvre immigrée, bien plus docile que la main d’œuvre locale. Si l’on suivant votre théorie selon laquelle son ancien métier détermine la vision de Trump, on devrait s’attendre à ce qu’il réduise les droits de douane sur ces fournitures et favorise l’immigration. Pensez-vous que ce soit le cas ?

  9. BokassaDernier dit :

    Ce jugement est injuste. Mme Le Pen a fait comme de nombreux hommes d’État pour préserver les finances de son parti (Taiwan, Karachi, Libye, mairie de Paris).  Les hommes et femmes politiques se démènent pour faire vivre le débat publique et sont OMNIPRESENT. Pas un jour de repos. Ils sont scrutés par tous et se font tous les jours insultés. Détourné des fonds à la Fillon ou à la Sénateur, c’est NORMAL au vue de l’investissement en temps et efforts.
    Si les Francais veulent des coupables, pas besoin de venir le chercher, qu’ils se procurent plutot un mirroir. La politique c’est une activité pro et cela a un prix.
     
    En Europe, les questions monetaires,  commerciales et industrielles ne sont pas du fait des gouvernements élus mais de la Commission sur des cycles électoraux indépendants (comme cela, les tetes brulées auront le temps d’etre mis au pas avant que d’autres arrivent). Cela induit une déconceptualisation/dédoctrinisation (plus de gaullisme, communisme, marxisme, mais double ration de frites) car les questions économiques ne sont plus débattues. Ils ne restent plus que la communication et le second tour devient Coca vs Pepsi. Or la comm/pub, cela coute. Ils faut bien que qq paye fusse Kadhafi ou Papa Bongo.
     
    Meme les Allemands ont eu cela avec la caisse noire du CDU. c’est absolument necessaire comme les paradis fiscaux (d’ailleurs ces derniers rendent cela bcp plus facile) !

    • Descartes dit :

      @ BokassaDernier

      [Ce jugement est injuste. Mme Le Pen a fait comme de nombreux hommes d’État pour préserver les finances de son parti (Taiwan, Karachi, Libye, mairie de Paris). Les hommes et femmes politiques se démènent pour faire vivre le débat public et sont OMNIPRESENTS. Pas un jour de repos. Ils sont scrutés par tous et se font tous les jours insultés. Détourné des fonds à la Fillon ou à la Sénateur, c’est NORMAL au vue de l’investissement en temps et efforts.]

      Autrement dit, leurs sacrifices justifient qu’ils se payent sur la bête ? Désolé, mais je ne suis pas d’accord. Je peux être indulgent lorsque des hommes politiques détournent de l’argent pour permettre le fonctionnement de leur parti et « faire vivre le débat public », détournement d’autant plus pardonnable que les Français, comme vous le signalez, oublient souvent que la démocratie a un coût, et sont particulièrement pingres lorsqu’il s’agit de financer des partis politiques qui ne sont pas dans le « mainstream ». Mais je n’irai pas au-delà.

      • BokassaDernier dit :

        Je trollais mais je reste étonné que ni pour Sarko ni pour Le Pen, le sujet de l’argent en politique ne soit pas mentionné par les médias. On fait les prudes alors que c’est le véritable sujet. La communication politique a bvp repris au monde de la publicité et relations publiques.
         
        Concernant les Fillons ou Sénateurs, dans l’absolu voys avez raison mais relativement cela reste “acceptable”. Je suis “surpris” que les points de présence ainsi que les places au chaud dans des Conseils d’admin ne soit pas mentionnés comme tout aussi douteux (Breton chez BoA, Philippe chez Atos, plein de ministres). Les sommes sont plus imporantes d’ailleurs. On voit d’anciens haut-fonctionnaires faire des choix douteux (cf Sanofi et la vente récente à un fond de gestion américain lié à des bonus massifs).

        • Descartes dit :

          @ BokassaDernier

          [Je trollais (…)]

          Ce n’est pas bien ça…

          [mais je reste étonné que ni pour Sarko ni pour Le Pen, le sujet de l’argent en politique ne soit pas mentionné par les médias. On fait les prudes alors que c’est le véritable sujet. La communication politique a bvp repris au monde de la publicité et relations publiques.]

          Parler de l’argent en politique, c’est aboutir rapidement à la conclusion que certains intérêts ont les moyens de faire avancer leurs idées à coups de millions, alors que d’autres tirent le diable par la queue pour être présents dans l’espace public. Le cas du FN, qui se voit refuser tout financement par les banques françaises, pour ensuite se faire reprocher de se financer à l’étranger, illustre cette question jusqu’à la caricature. C’est donc une question que ceux qui contrôlent les principaux médias n’ont aucune envie de voir poser…

          [Je suis “surpris” que les points de présence ainsi que les places au chaud dans des Conseils d’admin ne soit pas mentionnés comme tout aussi douteux (Breton chez BoA, Philippe chez Atos, plein de ministres). Les sommes sont plus importantes d’ailleurs. On voit d’anciens haut-fonctionnaires faire des choix douteux (cf Sanofi et la vente récente à un fond de gestion américain lié à des bonus massifs).]

          Et cela vous surprend ?

          • BokassaDernier dit :

            Ce sont les silences des médias qui me surprennent (et me donnent envie de ne plus les suivre).  Kohler au poste de Dir de MnA de SocGen, pas de problème, aucun des médias donneurs de lecons au prolo et vendeur de pédagogie pour la populace ne sont outrés. Dominique Seux trouve cela bénéfique chez FR Inter.
             
            L’affaire des detournements de l’AGS va se terminer par un non lieux, le juge d’instruction venant recemment de cloturer l’enquete (seul le Monde en parle). Meme chose pour CumCum ou CumEx pas de suite judiciaire hormis des accords a l amiable avec le PNF. Comme pour Neelie Kroes.
             
            Je me met du point de vue d’un politicien qui a d’anciens camarades de promo qui ont des statuts et se servent et je comprend pourquoi eux aussi se servent surtout au vue des efforts. Je désapprouve cela moralement mais je le comprends.

            • Descartes dit :

              @ BokassaDernier

              [Ce sont les silences des médias qui me surprennent (et me donnent envie de ne plus les suivre). Kohler au poste de Dir de MnA de SocGen, pas de problème, aucun des médias donneurs de leçons au prolo et vendeur de pédagogie pour la populace ne sont outrés. Dominique Seux trouve cela bénéfique chez FR Inter.]

              Que voulez-vous, le privé sanctifie… parce que ce qui est bon pour le capital est bon pour tous, n’est ce pas ?

              [Je me met du point de vue d’un politicien qui a d’anciens camarades de promo qui ont des statuts et se servent et je comprends pourquoi eux aussi se servent surtout au vue des efforts. Je désapprouve cela moralement mais je le comprends.]

              Moi aussi. C’est d’ailleurs un syndrome courant chez beaucoup de hauts fonctionnaires, et notamment des ingénieurs. Vous faites des études brillantes, vous passez des concours difficiles, vous travaillez comme un fou – parce qu’il faut savoir que pour les hauts fonctionnaires l’idée du week-end ou du jour férié sans boulot reste assez théorique, sans compter les sollicitations en soirée et même pendant la nuit, pensez à ce que peut être la vie d’un préfet – et un jour, sans y penser, vous arrivez à la cinquantaine. Et comme les enfants sont grands et que vous avez un peu de temps, vous recommencez à voir les gens que vous avez connu pendant vos études. Et invariablement, vous comparez vos bulletins de salaire. Et vous notez qu’untel, qui était beaucoup moins bosseur que vous, a fait carrière chez Stellantis, chez Total, chez IBM ou chez Deloitte, et gagne deux, trois, quatre fois plus que vous, plus voiture de fonction. A ce moment-là, il y en a pas mal qui se disent « merde, moi aussi j’y ait droit ». Et qui se servent dans la caisse en payant des taxis à toute leur famille ou en envoyant des fleurs à leur femme tous les soirs sur le compte de leur administration. Attention, je n’approuve pas, je constate. Quand la fonction publique a été créée, on a rémunéré les fonctionnaires non pas pour leur travail, mais pour leur permettre « de mener une vie décente et conforme à la dignité de leurs fonctions », et accessoirement les soustraire aux tentations. C’est pourquoi les fonctionnaires ont un « traitement », et non pas un « salaire ». La paupérisation relative de la haute fonction publique n’est pas pour rien dans les scandales de probité qu’on a connu – et je ne parle même pas de ceux qui ont été sanctionnés en interne mais ne sont pas connus du public – ces dernières années…

  10. samuel dit :

     En même temps, Mme Le Pen a été condamnée à de la prison ferme !
     Quand un élu commet une infraction qui mérite une peine lourde, la justice n’agit pas contre la démocratie quand elle condamne lourdement cet élu. Vous en conviendrez ? Lorsque l’infraction commise est une forme de corruption, la justice protège même la démocratie en punissant la corruption. Une démocratie corrompue est une démocratie illusoire, car en son sein, les élus agissent au service de ceux qui leur graissent la patte, et non au service de leurs électeurs.
     Or dès lors qu’un élu est condamné à une peine de prison ferme, comment peut-il encore exercer un mandat d’élu ? Lorsque Mme Le Pen sera en prison, faudra-t-il lui aménager un bureau de députée ou de présidente dans sa cellule de prison ? Lorsqu’ils seront en visite officielle en France, comment Mme Le Pen fera-t-elle pour recevoir Trump et Poutine si elle est présidente ? Les recevra-t-elle dans sa cellule de prison ?
     Bref, dès lors qu’un élu est condamné à une peine de prison ferme, il devient normal de le rendre inéligible, car il n’est plus en mesure d’exercer son mandat. Il me semble que cela n’a rien d’anti-démocratique.

    • Descartes dit :

      @ samuel

      [Quand un élu commet une infraction qui mérite une peine lourde, la justice n’agit pas contre la démocratie quand elle condamne lourdement cet élu. Vous en conviendrez ?]

      Cela dépend de la nature de la peine. Si la peine a pour objet ou pour effet d’empêcher un individu d’être candidat au suffrage de ses concitoyens, la question se pose. La démocratie suppose en effet la liberté de l’électeur de choisir librement ses représentants.

      [Lorsque l’infraction commise est une forme de corruption, la justice protège même la démocratie en punissant la corruption. Une démocratie corrompue est une démocratie illusoire, car en son sein, les élus agissent au service de ceux qui leur graissent la patte, et non au service de leurs électeurs.]

      D’abord, ce raisonnement ne s’applique pas au cas d’espèce : l’infraction reprochée aux dirigeants du Rassemblement national est le détournement de fonds publics, et non pas la corruption. A aucun moment l’accusation n’a suggéré que les élus du RN ont agi « au service de ceux qui leur graissent la patte ».

      Mais la question ici n’est pas votre opinion ou la même. Personnellement, j’aurais une grande répugnance à voter pour un politicien corrompu. Mais qui a la légitimité pour priver les concitoyens de faire le choix contraire, s’ils le souhaitent ? N’oubliez pas que le vote n’est pas une question morale, et qu’on a connu dans notre histoire des personnages corrompus qui pourtant on bien servi notre pays – pensez par exemple à Talleyrand.

      [Or dès lors qu’un élu est condamné à une peine de prison ferme, comment peut-il encore exercer un mandat d’élu ? Lorsque Mme Le Pen sera en prison, faudra-t-il lui aménager un bureau de députée ou de présidente dans sa cellule de prison ?]

      Madame Le Pen n’ira pas en prison. En deçà d’un certain quantum, les peines sont aménageables. Et dans le cas présent, le tribunal a décidé d’aménager la peine ab initio. Comme on le ferait pour n’importe quel autre condamné, elle sera enfermée chez elle sous bracelet, et elle pourra sortir avec l’autorisation du juge pour satisfaire à ses obligations professionnelles…

      [Bref, dès lors qu’un élu est condamné à une peine de prison ferme, il devient normal de le rendre inéligible, car il n’est plus en mesure d’exercer son mandat. Il me semble que cela n’a rien d’anti-démocratique.]

      Autrement dit, vous ne voyez aucun problème pour la démocratie lorsqu’une autorité non élue dispose du pouvoir de restreindre votre choix de vos représentants ?

  11. samuel dit :

     @ Descartes
     Non, décidément, vos billets de blogs sont très enrichissants à lire, mais là, vous défendez une position qui pose problème. Qui que vous soyez, si vous commettez une grave infraction, vous méritez une peine lourde, et la justice peut vous condamner à une telle peine sans que ce soit une atteinte à la démocratie. Une fois que vous avez été condamné à une peine lourde, et aussi longtemps que dure la peine, vous ne pouvez plus exercer un mandat d’élu. La garde républicaine ne peut se mettre au garde à vous devant quelqu’un qui est en prison. Il y a une incompatibilité fondamentale entre le statut de détenu et celui de député ou de président de la république. Mais merci encore pour votre blog et vos réponses assidues à tous ceux qui commentent vos billets 🙂
     

    • Descartes dit :

      @ samuel

      [Non, décidément, vos billets de blogs sont très enrichissants à lire, mais là, vous défendez une position qui pose problème. Qui que vous soyez, si vous commettez une grave infraction, vous méritez une peine lourde, et la justice peut vous condamner à une telle peine sans que ce soit une atteinte à la démocratie.]

      Parlons-nous politique ou parlons-nous droit ? En droit, vous avez tout à fait raison. La loi est égale pour tous, si elle prévoit une peine celle-ci doit être appliquée. Mais la question de la « démocratie » ne se pose pas. La notion de « démocratie » n’est pas une notion qui appartienne au droit pénal ou une question qui se pose normalement au juge.

      Mais moi je ne parle pas de droit – vous noterez que je n’ai pas critiqué en droit la décision du juge. Moi, je vous parle politique. Vous semblez penser que les deux questions sont séparées, et que le juge ne devrait s’occuper que de droit. C’est pourquoi je vous pose une question : pensez-vous que les juges ont eu tort de ne pas annuler l’élection de Jacques Chirac en 1995 ? Car si je pense en droit, cette annulation aurait dû être prononcée : les comptes de campagne étaient « manifestement irréguliers », et la loi prévoit dans ce cas qu’ils soient rejetés, que l’élection soit annulée et que le responsable soit inéligible. Si j’applique votre principe, « si vous commettez une grave infraction, vous méritez une peine lourde, et la justice peut vous condamner à une telle peine sans que ce soit une atteinte à la démocratie », le juge aurait dû annuler. Pensez-vous qu’il ait eu tort de ne pas le faire ?

      Les principes comme celui que vous énoncez ne sont pas critiquables en soi. Il faut dans une société des principes qui servent de guide pour nos actions. Mais faire de ces principes des absolus est très, très dangereux. Parce que dans la tempête, le roseau ploie et le chêne s’effondre.

      Raisonner des principes absolus, c’est une manière de simplifier le monde. C’est se dire “à tous ces problèmes, voici la solution unique”. Mais simplifier, c’est aussi manquer la complexité du monde, c’est fermer la porte à l’idée que “tous ces problèmes” sont différents, et qu’il n’existe pas de réponse unique. Qu’un homme politique soit condamné à une peine lourde pour des faits établis, est-ce une atteinte à la démocratie ? Vous répondez “non”. Moi, je réponds “ça dépend des situations”.

      [Une fois que vous avez été condamné à une peine lourde, et aussi longtemps que dure la peine, vous ne pouvez plus exercer un mandat d’élu.]

      Vraiment ? Dans ce cas, aurait-on du mettre en application en 1945 les peines prononcées par les juges de Vichy – qui, rappelons-le, était le gouvernement légal de la France « en droit » – et interdire à un Charles de Gaulle de présider le gouvernement, à un Maurice Thorez (tous deux condamnés pour trahison et désertion devant l’ennemi) d’y participer ? Souvenez-vous qu’à l’époque les juristes ont fait de la politique, et ont fabriqué cette fiction selon laquelle « la République n’avait jamais cessé » et que son siège était à Londres.

      [La garde républicaine ne peut se mettre au garde à vous devant quelqu’un qui est en prison. Il y a une incompatibilité fondamentale entre le statut de détenu et celui de député ou de président de la république.]

      Mais posez-vous la question : pourquoi, s’il y a comme vous le dites une « incompatibilité fondamentale » tellement évidente, ne pas laisser constater cette « incompatibilité » à l’électeur lui-même ? Laissons votre « détenu » se présenter, et si sa « détention » est incompatible avec le poste auquel il prétend, alors les électeurs auront l’intelligence et la sagesse de ne pas voter pour lui, non ?

      Le problème, c’est que contrairement à vous une majorité de nos concitoyens ne pense pas que cette « incompatibilité » soit absolue, indépendamment des faits qui l’ont conduit à être condamné. Les électeurs n’ont pas voté pour Jerôme Cahuzac lorsqu’il s’est représenté en 2024 (il fait 14% des voix dans une circonscription où auparavant il faisait 46%), parce qu’ils n’ont pas aimé qu’il fraude le fisc, et encore moins qu’il leur mente. Mais il semblerait que les électeurs soient bien plus bienveillants lorsqu’il s’agit de détourner les fonds du Parlement européen pour alimenter l’action politique en France. Et lorsqu’il s’agit de choisir son représentant, le peuple est le juge suprême. Où alors, on fait comme dit Brecht : « puisque le peuple n’est pas d’accord avec les juges, il est urgent de dissoudre le peuple et d’en élire un autre ».

  12. samuel dit :

     @ Descartes [C’est pourquoi je vous pose une question : pensez-vous que les juges ont eu tort de ne pas annuler l’élection de Jacques Chirac en 1995 ?] Il s’agit d’une question dont vous avez bien montré la complexité. A mon sens, sur ce cas, il aurait d’abord fallu que la loi soit bien faite. La loi aurait du chercher un compromis entre deux principes difficiles à concilier. Premier principe : il faut punir sévèrement la corruption, car la corruption est un fléau. Deuxième principe : quand après une belle campagne électorale, un homme politique a cristallisé autour de lui l’espoir d’un peuple, cet espoir que le peuple a placé en cet homme, ce désir que le peuple a exprimé que cet homme prenne les rennes du pays doivent être respectés. Je me souviens en 95 de mes parents qui avaient voté Chirac parce qu’il était plus sympa que Balladur, et je m’imagine facilement qu’il y avait une sympathie du peuple pour Chirac, une envie chez le peuple que ce soit Chirac qui prenne les rennes du pays parce qu’il leur semblait raisonnable et sympa, “droite sociale”. Comment la loi devrait-elle être faite pour respecter ces deux principes, la lutte contre la corruption, et le respect des espoirs placés par le peuple dans un homme ? Au nom de la lutte contre la corruption, il faut que la loi interdise ce que Chirac a fait d’irrégulier dans ses comptes de campagne, et qu’elle le punisse sévèrement, par exemple par de la prison ferme. Mais même en étant sévère contre la corruption, la loi devrait tout de même considérer que Chirac mérite certes une peine lourde, par exemple 4 ans de prison ferme, mais il ne mérite pas non plus une peine hyper sévère comme 10 ans. Or, devrait dire la loi au nom du respect de la démocratie, lorsqu’un homme a été élu, et lorsque la justice a dit qu’il mérite peut-être des peines, mais qu’il ne mérite aucune peine hyper sévère, par exemple au delà de 7 ans, le verdict final de la justice devrait être mis en suspens, jusqu’à ce qu’il ait terminé son mandat. Si la loi avait été ainsi faite et bien faite, Dumas n’aurait pas eu besoin de refuser d’appliquer la loi pour respecter la démocratie. Les juges n’ont a refuser d’appliquer la loi pour respecter la démocratie, que quand la loi est mal faite. Mais, me direz-vous, dans le cas de Chirac en 95, la loi était mal faite, et Dumas a dû refuser de l’appliquer pour respecter la démocratie. Je vous rejoindrai alors en disant que ce a quoi Dumas devait obéir absolument, ce ne sont pas les lois existantes, mais c’est la volonté générale. La volonté générale, ce ne sont ni les lois existantes, ni la volonté actuelle de la majorité. La volonté générale, c’est ce que la majorité voudrait si tout le monde dans la société pensait de manière juste et éclairée. Ainsi définie, “la volonté générale est toujours droite”, comme dit Rousseau dans le Contrat social, et c’est pourquoi elle mérite qu’on lui obéisse toujours, ou absolument, de même qu’on doit toujours obéir à Dieu dans les trois grands monothéismes méditerranéens, car Dieu mérite qu’on lui obéisse toujours, car sa volonté est toujours parfaitement bonne. Adresser aux lois existantes cette obéissance absolue que le croyant ne doit qu’à Dieu, et que le citoyen ne doit qu’à la volonté générale, c’est tomber dans l’idolâtrie. Dumas a le droit d’écouter sa conscience, qui lui dit que la volonté générale veut le contraire de ce que veut la loi actuelle, car la volonté générale veut qu’on n’annule pas l’élection de Chirac, tandis que la loi actuelle veut qu’on annule cette élection. C’est toujours une bonne chose qu’un homme, même un homme de pouvoir, même un juge, fasse passer sa vision honnête de la volonté générale avant les lois actuelles. Mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il aurait été préférable que la loi soit bien faite, ce qui aurait évité à Dumas d’avoir à choisir entre sa vision honnête de la volonté générale et le respect de la loi actuelle.[Et lorsqu’il s’agit de choisir son représentant, le peuple est le juge suprême. ]D’accord avec vous dans presque tous les cas, sauf certains cas. Lorsque la volonté générale s’oppose à la volonté du peuple, c’est la volonté générale qui est le juge suprême. Si le peuple a voulu qu’il y ait une loi qui dit qu’une élection doit être annulée quand l’élu a été jugé coupable d’infractions hyper graves, méritant une peine hyper sévère, par exemple à partir de 7 ans ferme. Si un élu a été jugé coupable d’une telle infraction. Alors le peuple ne serait pas éclairé s’il voulait que la loi qu’il a voulue ne soit pas ensuite appliquée. La volonté générale, ce n’est pas ce que veut la majorité, mais c’est ce qu’elle voudrait si tous les citoyens étaient justes et éclairés. Si tous les citoyens étaient éclairés, aucun ne voudrait qu’une loi voulue précédemment pas le peuple ne soit pas appliquée, et donc la majorité ne voudrait pas que cette loi ne soit pas appliquée. Si la majorité telle qu’elle est actuellement veut alors le contraire de ce que veut la volonté générale, c’est la volonté générale qui doit passer avant. A vous aussi de ne pas poser en absolu l’obéissance à la volonté populaire : ce serait de votre part de l’idolâtrie, car seule la volonté générale mérite d’être posée en absolu par le citoyen.

    • Descartes dit :

      @ samuel

      [« C’est pourquoi je vous pose une question : pensez-vous que les juges ont eu tort de ne pas annuler l’élection de Jacques Chirac en 1995 ? » Il s’agit d’une question dont vous avez bien montré la complexité. A mon sens, sur ce cas, il aurait d’abord fallu que la loi soit bien faite.]

      Attendez… vous m’avez expliqué que « quand un élu commet une infraction qui mérite une peine lourde, la justice n’agit pas contre la démocratie quand elle condamne lourdement cet élu ». Dois-je comprendre que ce principe n’est vrai qu’à condition que la loi « soit bien faite » ? Et qui décide des cas où la loi est « bien faite » et des situations où la loi est « mal faite » ? Si vous pensez que le juge est là pour appliquer la loi, et qu’il défend la démocratie lorsqu’il l’applique, alors vous ne pouvez pas lui donner la latitude d’apprécier la qualité des lois, et de s’en affranchir lorsqu’elles sont « mal faites ». Autrement, vous lui accordez le droit d’évaluer et de corriger les lois elles-mêmes, autrement dit, vous en faites un législateur. Pire, le législateur suprême.

      Je vous repose la question : la loi étant ce qu’elle était, pensez-vous que le juge aurait du annuler l’élection de Jacques Chirac ?

      [La loi aurait du chercher un compromis entre deux principes difficiles à concilier. Premier principe : il faut punir sévèrement la corruption, car la corruption est un fléau. Deuxième principe : quand après une belle campagne électorale, un homme politique a cristallisé autour de lui l’espoir d’un peuple, cet espoir que le peuple a placé en cet homme, ce désir que le peuple a exprimé que cet homme prenne les rennes du pays doivent être respectés.]

      Admettons. Mais le législateur n’a pas bien fait son travail, et la loi telle qu’elle avait été votée ne permettait pas cette conciliation. Que doit faire le juge ? En 1995, il a choisi de privilégier le désir du peuple plutôt que l’application stricte de la loi. Pourquoi le même raisonnement serait-il scandaleux en 2024, lorsque cela concerne Marine Le Pen ?

      [Comment la loi devrait-elle être faite pour respecter ces deux principes, la lutte contre la corruption, et le respect des espoirs placés par le peuple dans un homme ? Au nom de la lutte contre la corruption, il faut que la loi interdise ce que Chirac a fait d’irrégulier dans ses comptes de campagne, et qu’elle le punisse sévèrement, par exemple par de la prison ferme. Mais même en étant sévère contre la corruption, la loi devrait tout de même considérer que Chirac mérite certes une peine lourde, par exemple 4 ans de prison ferme, mais il ne mérite pas non plus une peine hyper sévère comme 10 ans.]

      Vous ne répondez pas à la question. Il ne s’agit pas ici de fixer un quantum de peine de prison, mais de savoir s’il faut empêcher un délinquant de représenter le peuple dès lors que celui-ci l’a élu.

      [Or, devrait dire la loi au nom du respect de la démocratie, lorsqu’un homme a été élu, et lorsque la justice a dit qu’il mérite peut-être des peines, mais qu’il ne mérite aucune peine hyper sévère, par exemple au-delà de 7 ans, le verdict final de la justice devrait être mis en suspens, jusqu’à ce qu’il ait terminé son mandat.]

      Là, vous n’êtes pas logique. Si le fait d’avoir été condamné pour des faits graves vous empêche d’exercer dignement un mandat public, on voit mal pourquoi il faudrait vous permettre de continuer en poste jusqu’à la fin du mandat. Et si le fait d’avoir été condamné ne vous empêche pas d’exercer un mandat dignement, pourquoi vous interdire d’en briguer un nouveau ?

      Je persiste : il faut séparer les deux choses. La prison, les amendes, c’est l’affaire du juge. Mais décider si la personne est digne ou non de représenter les électeurs, c’est l’affaire du peuple souverain, et de lui seul.

      [Si la loi avait été ainsi faite et bien faite, Dumas n’aurait pas eu besoin de refuser d’appliquer la loi pour respecter la démocratie. Les juges n’ont a refuser d’appliquer la loi pour respecter la démocratie, que quand la loi est mal faite.]

      Et qui décide que la loi est « mal faite » ? Les juges. Vous revenez au même problème : dans votre système, la souveraineté appartient aux juges, puisqu’ils n’ont à appliquer que les lois qu’ils estiment « bien faites », et peuvent s’asseoir dessus s’ils estiment le contraire.

      [Je vous rejoindrai alors en disant que ce a quoi Dumas devait obéir absolument, ce ne sont pas les lois existantes, mais c’est la volonté générale.]

      Autrement dit, la « loi existante » n’est pas l’expression de la volonté générale ? Vous rendez-vous compte des conséquences de votre raisonnement. Et le pire est à venir :

      [La volonté générale, ce ne sont ni les lois existantes, ni la volonté actuelle de la majorité. La volonté générale, c’est ce que la majorité voudrait si tout le monde dans la société pensait de manière juste et éclairée.]

      Argh ! Et qui, bon dieu, qui est habilité à décider ce que « la majorité voudrait si tout le monde dans la société pensait de manière juste et éclairée » ? Parce que votre opinion sur la question est probablement très différente de la mienne, ou de celle de chacun de nos concitoyens. Seriez-vous à l’aise pour confier à un juge – qui doit en général son poste à la réussite à un concours et à l’évaluation par ses pairs – le soin de décider ce que voudrait une société de citoyens « qui pensent de manière juste et éclairée » ? Si c’est le cas, pouvez-vous m’expliquer à quoi sert le Parlement ?

      [Ainsi définie, “la volonté générale est toujours droite”, comme dit Rousseau dans le Contrat social, et c’est pourquoi elle mérite qu’on lui obéisse toujours, ou absolument, de même qu’on doit toujours obéir à Dieu dans les trois grands monothéismes méditerranéens, car Dieu mérite qu’on lui obéisse toujours, car sa volonté est toujours parfaitement bonne.]

      Seulement voilà, comme Dieu, la « volonté générale » ne s’exprime jamais directement. Il ne parle qu’à travers des textes obscurs que les prêtres interprètent comme cela les arrange. Comment faites-vous pour savoir « ce que la majorité voudrait si tout le monde dans la société pensait de manière juste et éclairée » ?

      [Adresser aux lois existantes cette obéissance absolue que le croyant ne doit qu’à Dieu, et que le citoyen ne doit qu’à la volonté générale, c’est tomber dans l’idolâtrie. Dumas a le droit d’écouter sa conscience, qui lui dit que la volonté générale veut le contraire de ce que veut la loi actuelle, car la volonté générale veut qu’on n’annule pas l’élection de Chirac, tandis que la loi actuelle veut qu’on annule cette élection.]

      Ah… autrement dit, le juge n’est pas là pour appliquer la loi, mais pour suivre « la volonté générale ». Maintenant, que dit la « volonté générale » dans le cas de Marine Le Pen ? Pensez-vous que le juge qui l’a déclarée inéligible aurait du en tenir compte ?

      [C’est toujours une bonne chose qu’un homme, même un homme de pouvoir, même un juge, fasse passer sa vision honnête de la volonté générale avant les lois actuelles.]

      Moi, je trouve cela plutôt effrayant. La loi peut avoir ses défauts, mais ce n’est rien comparé à ceux de la subjectivité individuelle. Pensez à un juge comme Sandrine Rousseau faisant passer « sa vision honnête de la volonté générale avant les lois ».

      Curieusement, après avoir dans un premier commentaire critiqué ma vision d’un juge qui ne se contenterait pas d’appliquer la loi, vous êtes parti dans l’excès dans l’autre sens. Pour moi, le juge doit appliquer la loi, et prendre EXCEPTIONNELLEMENT en compte la « volonté générale » de ses décisions. Pour vous, il lui faut carrément faire l’inverse…

      [« Et lorsqu’il s’agit de choisir son représentant, le peuple est le juge suprême. » D’accord avec vous dans presque tous les cas, sauf certains cas. Lorsque la volonté générale s’oppose à la volonté du peuple, c’est la volonté générale qui est le juge suprême.]

      Encore une fois, qui est légitime pour décider ce qu’est la « volonté générale » ? Parce que c’est lui, et non la « volonté générale » (qui, dans votre définition, n’est pas une donnée objective) qui deviendra en fait le « juge suprême »…

      [Si le peuple a voulu qu’il y ait une loi qui dit qu’une élection doit être annulée quand l’élu a été jugé coupable d’infractions hyper graves, méritant une peine hyper sévère, par exemple à partir de 7 ans ferme. Si un élu a été jugé coupable d’une telle infraction. Alors le peuple ne serait pas éclairé s’il voulait que la loi qu’il a voulue ne soit pas ensuite appliquée.]

      Je ne comprends plus rien. Ici, vous revenez à l’idée que la loi est bien l’expression de la volonté générale. Le juge ne devrait donc jamais s’écarter de la loi, puisque la « volonté générale » veut que la loi soit appliquée. Mais à propos de l’élection de 1995, vous avez soutenu le contraire. Selon vous, dans ce cas d’espèce, le peuple ne voulait pas que la loi soit appliquée…

      [La volonté générale, ce n’est pas ce que veut la majorité, mais c’est ce qu’elle voudrait si tous les citoyens étaient justes et éclairés. Si tous les citoyens étaient éclairés, aucun ne voudrait qu’une loi voulue précédemment pas le peuple ne soit pas appliquée, et donc la majorité ne voudrait pas que cette loi ne soit pas appliquée.]

      Autrement dit, la « volonté générale » en 1995 voulait que la loi soit appliquée, et donc que l’élection de J. Chirac soit annulée… mais vous avez soutenu plus haut exactement le contraire. Faut savoir ce que vous voulez…

      Je pense que vous auriez intérêt à clarifier votre raisonnement. Vous donnez une définition de la « volonté générale ». Fort bien. Mais comment cette « volonté générale » s’exprime-t-elle ? Si chacun peut avoir son opinion là-dessus, alors la « volonté générale » devient quelque chose de purement subjectif, et ne peut donc servir de guide aux politiques publiques. Si vous voulez l’objectiver, lors vous êtes obligé de définir quelle est l’institution dont la parole est censée exprimer la « volonté générale ». Et cette institution devient, de fait, le souverain.

      Nos institutions sont fondées sur le postulat que « la loi est l’expression de la volonté générale ». Si vous acceptez ce principe, alors il ne peut y avoir pour le juge contradiction entre l’application de la loi et l’obéissance à la « volonté générale ». Si vous ne l’acceptez pas, alors il faut dire quelle est l’institution qui est habilitée à l’exprimer.

  13. samuel dit :

     @ Descartes
     
    Je comprends que vous vous soyez arraché les cheveux en lisant ma réponse.
     
    D’abord, j’avais sauté des lignes dans le texte que j’avais écrit, mais le site internet a mis mon texte tout ramassé sur lui même, ce qui n’en a pas facilité la lecture.
     
    Ensuite, lorsque vous m’avez répondu une deuxième fois, cela m’a fait changer d’avis. Vous m’avez convaincu qu’au départ j’avais appliqué des principes trop rudimentaires de manière trop rigide. C’est pourquoi le troisième message que je vous ai adressé, ce texte tout ramassé sur lui-même, ne dit pas la même chose que ce que j’avais dit au départ, comme vous l’avez observé. Ce message exprimait ce que je pensais après avoir changé d’avis.
     
    Sur le cas de Chirac en 95, que je ne connaissais pas, vous m’avez amené à penser qu’il est normal que Dumas n’ait pas appliqué la loi.
     
    Sur le cas de Mme Le Pen aujourd’hui, à quelle position m’avez-vous amené ? A mon sens, les cas restent tout de même différents, car la condamnation de Chirac serait intervenue après son élection, et aurait conduit à annuler son élection, alors que la condamnation de Mme Le Pen intervient avant son éventuelle campagne électorale de 2027, et sa très hypothétique victoire à l’issue de cette campagne.  A titre personnel, je suis plutôt favorable a une loi interdisant à quelqu’un qui a été condamné à de la prison ferme de se présenter à des élections jusqu’à la fin de sa peine. Mais si la majorité des Français est contre une telle loi, j’accepte volontiers qu’il n’y ait pas une telle loi dans notre pays. Par contre, si la majorité des Français veut une telle loi, les Français doivent ensuite pour être cohérents vouloir que cette loi soit appliquée à Mme Le Pen. Actuellement, Mme Le Pen a été condamnée à de la prison ferme, et il lui est interdit de se présenter à des élections avant la fin de sa peine. Comment donc contester cela d’une manière qui tient la route ? Il faudrait d’abord expliquer que la loi qui a été appliquée, et qui a ces conséquences pour Mme Le Pen, est une mauvaise loi. Il faudrait ensuite expliquer que les juges doivent refuser d’appliquer cette loi, parce qu’elle est mauvaise. Je ne me sens pas le coeur à soutenir tout cela.
     
    A part cela, vous avez discuté la notion de volonté générale que je vous ai proposée, et le rôle que je lui attribue. Cette notion peut servir à chacun de nous, pour qu’il décide si oui ou non il obéit à la loi ou à la volonté majoritaire. Nous ne pouvons pas obéir automatiquement à la loi ou à la volonté majoritaire, car ni la loi ni la volonté majoritaire ne sont toujours parfaitement bonnes. Par contre, la volonté qu’aurait la majorité si tous les citoyens étaient justes et éclairés est une volonté “toujours droite”, à laquelle vous pouvez donc décider de toujours obéir.
     
    Mais quand une volonté est-elle juste, et quand est-elle éclairée ?
     
    En deux mots :
     
    – juste = ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse à toi même ;
     
    – éclairé = n’affirme pas des choses que tu ne pourrais affirmer si tu faisais un usage rigoureux de tes facultés de raisonnement et d’observation.
     
    Ce sont des conceptions de la justice et du savoir que la plupart des hommes devraient admettre, elles sont plutôt universelles, c’est en tout cas ma conviction.

    • Descartes dit :

      @ samuel

      [Je comprends que vous vous soyez arraché les cheveux en lisant ma réponse.]

      Je suis pas allé jusqu’à m’arracher les cheveux, mais vous auriez du annoncer dès le départ votre changement d’opinion… cela m’aurait éviter de m’interroger sur les contradictions entre vos deux commentaires….

      [Sur le cas de Chirac en 95, que je ne connaissais pas, vous m’avez amené à penser qu’il est normal que Dumas n’ait pas appliqué la loi. Sur le cas de Mme Le Pen aujourd’hui, à quelle position m’avez-vous amené ? A mon sens, les cas restent tout de même différents, car la condamnation de Chirac serait intervenue après son élection, et aurait conduit à annuler son élection, alors que la condamnation de Mme Le Pen intervient avant son éventuelle campagne électorale de 2027, et sa très hypothétique victoire à l’issue de cette campagne.]

      Les deux situations sont bien entendu différentes en fait, mais elles posent toutes deux la même question, à savoir, est-ce que le juge doit appliquer strictement la loi lorsque cette application risque de porter atteinte au fonctionnement des institutions démocratiques ? Vous pouvez penser qu’entre empêcher un candidat déjà élu de gouverner et empêcher un candidat en tête des sondages de se présenter à l’élection il y a une différence de degré. Mais sur le fond, la question est la même.

      [A titre personnel, je suis plutôt favorable à une loi interdisant à quelqu’un qui a été condamné à de la prison ferme de se présenter à des élections jusqu’à la fin de sa peine. Mais si la majorité des Français est contre une telle loi, j’accepte volontiers qu’il n’y ait pas une telle loi dans notre pays. Par contre, si la majorité des Français veut une telle loi, les Français doivent ensuite pour être cohérents vouloir que cette loi soit appliquée à Mme Le Pen.]

      Encore une fois : les Français ont voulu une loi qui entraine l’annulation d’une élection dès lors que le candidat élu présente des comptes de campagne irréguliers. Si je suis votre raisonnement, cette loi aurait du être appliquée et l’élection de Jacques Chirac annulée ? Pourtant, vous dites exactement le contraire dans le paragraphe précédent… vous ne pouvez pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Soit vous adhérez à l’idée que la loi voulue par les Français doit être appliquée EN TOUTE CIRCONSTANCE, et alors l’élection de J. Chirac aurait du être annulée et Marine Le Pen déclarée inéligible, soit vous admettez que le juge doit considérer l’effet institutionnel de ses décisions, et alors cela devient aussi vrai pour J. Chirac que pour Marine Le Pen…

      [Actuellement, Mme Le Pen a été condamnée à de la prison ferme, et il lui est interdit de se présenter à des élections avant la fin de sa peine. Comment donc contester cela d’une manière qui tient la route ?]

      Et bien… de la même manière qu’on a « contesté » l’annulation de J. Chirac…

      [Il faudrait d’abord expliquer que la loi qui a été appliquée, et qui a ces conséquences pour Mme Le Pen, est une mauvaise loi. Il faudrait ensuite expliquer que les juges doivent refuser d’appliquer cette loi, parce qu’elle est mauvaise. Je ne me sens pas le coeur à soutenir tout cela.]

      Pas du tout. Personne n’a affirmé que la loi entrainant l’annulation de l’élection lorsque les comptes de campagne sont irréguliers soit une « mauvaise loi ». La preuve, personne n’a proposé de la modifier. On s’est contenté de laisser la sagesse du juge décider qu’il n’était pas dans l’intérêt public de l’appliquer dans une circonstance exceptionnelle. Et bien, ici, c’est la même chose. Et puisque le juge n’a pas eu la sagesse de le faire de lui-même, le président de la République a la possibilité de le faire par le biais du droit de grâce…

      [A part cela, vous avez discuté la notion de volonté générale que je vous ai proposée, et le rôle que je lui attribue. Cette notion peut servir à chacun de nous, pour qu’il décide si oui ou non il obéit à la loi ou à la volonté majoritaire. Nous ne pouvons pas obéir automatiquement à la loi ou à la volonté majoritaire, car ni la loi ni la volonté majoritaire ne sont toujours parfaitement bonnes. Par contre, la volonté qu’aurait la majorité si tous les citoyens étaient justes et éclairés est une volonté “toujours droite”, à laquelle vous pouvez donc décider de toujours obéir.]

      Autrement dit, si Marine Le Pen estime qu’une majorité de citoyens « justes et éclairés » approuverait qu’on détourne l’argent du parlement européen pour financer la politique nationale, elle a raison de se dispenser « d’obéir automatiquement à la loi et à la volonté majoritaire » ? Vous rendez-vous compte des conséquences de l’idée que vous exprimez ici ?

      [Mais quand une volonté est-elle juste, et quand est-elle éclairée ?
      En deux mots :
      – juste = ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse à toi même ;
      – éclairé = n’affirme pas des choses que tu ne pourrais affirmer si tu faisais un usage rigoureux de tes facultés de raisonnement et d’observation.]

      Une telle définition conduit rapidement à des contradictions comiques. Pensez par exemple à votre définition de « juste ». Si je suis masochiste et j’adore qu’on me fouette, cela me donne-t-il le droit de fouetter les autres au motif que je ne leur fait que ce que j’aimerais qu’on me fasse ? Cet exemple illustre une règle générale: vous ne pouvez pas fabriquer une définition objective en vous appuyant sur une appréciation subjective. Ce que “j’aime qu’on me fasse” n’est pas nécessairement ce que vous aimez qu’on vous fasse à vous…

      Quant à votre définition « d’éclairé », pardon mais le détournement des fonds du parlement européen est parfaitement justifiable en faisant un « usage rigoureux de mes facultés de raisonnement et d’observation. Le fait de détourner de l’argent d’une institution totalement inutile et même nuisible pour le transférer à une institution utile me paraît éminemment « éclairé »…

      • Bob dit :

        @ Descartes
         
        [le président de la République a la possibilité de le faire par le biais du droit de grâce…]
         
        Question de droit. Le président peut-il la gracier dès à présent ? (je croyais qu’il fallait que le jugement soit définitif, c’est-à-dire tous les recours potentiels épuisés)

        • Descartes dit :

          @ Bob

          [Question de droit. Le président peut-il la gracier dès à présent ? (je croyais qu’il fallait que le jugement soit définitif, c’est-à-dire tous les recours potentiels épuisés)]

          La tradition veut, en effet, que la grâce ne puisse concerner qu’une condamnation définitive. Mais c’est une tradition, et non une obligation. Il y a d’ailleurs des précédents de grâces décidées en fonction de considérations politiques. Ainsi José Bové, condamné à de la prison ferme pour destruction de cultures, avait bénéficié d’une grâce de Jacques Chirac en 2003 qui lui avait évité la prison.

      • Bob dit :

        @ Descartes
         
        Puisqu’il est question de la démocratie, du respect des lois, de l’égalité devant le juge, etc. je me demande ce que vous inspire le refus de Kohler de se présenter demain devant une commission d’enquête du Sénat (après avoir déjà refusé une similaire convocation de l’Assemblée Nationale) dans le cadre de l’affaire des eaux Nestlé.

        • Descartes dit :

          @ Bob

          [Puisqu’il est question de la démocratie, du respect des lois, de l’égalité devant le juge, etc. je me demande ce que vous inspire le refus de Kohler de se présenter demain devant une commission d’enquête du Sénat (après avoir déjà refusé une similaire convocation de l’Assemblée Nationale) dans le cadre de l’affaire des eaux Nestlé.]

          La question est intéressante. A mon avis, c’est à tort qu’on évoque ici une question de séparation des pouvoirs. Ce serait le cas si la commission avait la possibilité de sanctionner les gens qu’elle entend, ou bien de renverser leurs décisions. Mais ce n’est pas le cas. L’apparition de Kohler devant la commission n’oblige nullement l’exécutif à changer ses positions ou modifier ses actes, juste à les expliquer et les justifier devant la représentation nationale. C’est le moins qu’on puisse lui demander.

          Cependant, il y a un point délicat dans cette affaire. S’il est normal qu’on exige de l’exécutif qu’il explique ses actes, je suis beaucoup plus réservé lorsqu’il s’agit d’exposer publiquement le travail effectué par les hauts fonctionnaires en préparation d’une décision. En effet, l’éventualité que les avis et recommandations qu’un fonctionnaire fait au politique soient exposées publiquement limite très fortement sa liberté de réflexion et d’expression. On le voit bien d’ailleurs : depuis que les lois de « transparence » ont permis au public de se faire communiquer les documents préparatoires à une décision publique, beaucoup de hauts fonctionnaires n’écrivent plus : ils expriment leurs avis et recommandations dans des conversations téléphoniques ou des « notes blanches » non signées.

          Je suis donc partagé. En balance, je pense que Kohler devrait être contraint à se présenter devant la commission, mais qu’il doit refuser de s’exprimer lorsque la question porte sur les avis ou recommandations qu’il a pu faire au pouvoir politique.

  14. Axelzzz dit :

    Bonjour à tous,
     la comparaison avec l’annulation d’une élection – celle de Chirac – est exorbitante: il est évident que les institutions sont bien plus fragilisées lorsqu’un résultat accepté par toutes les parties est remis en question plusieurs semaines plus tard; plutôt que lorsqu’on impose à un parti de modifier la candidate qui le représente à une élection majeure, deux ans avant celles-ci. 
    J’ajouterai que l’aspect grandiloquent des représentations des conséquences politiques de cette inéligibilité (qui n’est pas encore tout à fait acquise, puisqu’il y aura des recours) ne me semblent pas crédibles: qui parmi le peuple s’est il révolté récemment ? l’électorat du RN? pas vraiment. Quand bien même des conséquences pour l’ordre public seraient à envisager, celles-ci seraient elles plus ou moins lourde que l’élection de MLP à la présidence elle-même (pro poutine, anti américaine, sans aucun programme crédible sur le plan économique, symbole du refus de l’intégration des musulmans à la société française) ?
    Enfin sur les principes, ou disons l’aspect moral de cette sanction – je rappellerai que MLP a pu se présenter par deux fois à la dite élection. Sans succès. Que le souverain a donc eu l’occasion déjà, par deux fois – alors que l’instruction était connue et en cours – de lui donner le pouvoir et il ne l’a pas fait. Qu’en matière de parti ‘tribunicien’ comme le seul recours pour les miséreux de ce monde d’être entendus, le fait que l’électorat RN comportent des classes populaires n’indique en rien que sa politique leurs serait favorable. Enfin, et je crois que c’est sans doute le point le plus important de cette partie, que si le RN est un parti structuré autour d’un projet politique fort, il n’y a pas de raison de penser que l’inéligibilité de son leader le mène à la ruine. Dit autrement, si tel était le cas (nous verrons bien), cela prouverait que le RN était un parti de plus reposant sur un ego, un nom, mais sans réelle substance (comme il y en a tant/trop). 
    Bref sur le plan politique, le destin personnel de MLP n’importe pas.
    Evidemment que celui-ci justifie que les droits de la défense soient respectés et tous les recours possibles mobilisés.
    Pour autant, octroyer, au nom de la raison d’Etat, une immunité à MLP, car c’est bien de cela qu’il s’agit, simplement parce qu’elle bénéficie de sondages favorables, nous conduirait une fois encore à privilégier dans la gestion publique une gestion émotionnelle au mépris de la raison elle-même. 

    • Descartes dit :

      @ Axelzzz

      [la comparaison avec l’annulation d’une élection – celle de Chirac – est exorbitante: il est évident que les institutions sont bien plus fragilisées lorsqu’un résultat accepté par toutes les parties est remis en question plusieurs semaines plus tard; plutôt que lorsqu’on impose à un parti de modifier la candidate qui le représente à une élection majeure, deux ans avant celles-ci.]

      Excusez-moi, mais quel est le « résultat » que « toutes les parties » avaient accepté en 1995 ? Si vous parlez du résultat des urnes, il est clair que l’ensemble de la classe politique avait accepté le fait que Jacques Chirac était arrivé en tête au deuxième tour. Comme aujourd’hui « toutes les parties » acceptent le fait que Marine Le Pen est en tête dans toutes les enquêtes d’opinion. Mais la décision du Conseil constitutionnel en 1995 comme celle du tribunal judiciaire de Paris aujourd’hui ne remet pas en cause ces « résultats ». La question qui leur est posée est de savoir si, malgré le « résultat », ces personnalités sont dignes d’exercer le pouvoir ou d’y prétendre l’exercer.

      J’aurais d’ailleurs tendance à dire que la décision de 1995 est beaucoup plus grave. En effet, même si le juge n’avait pas infligé une peine d’inéligibilité à Marine Le Pen, l’électeur de 2027 aurait été instruit par les délibérations du tribunal, et s’il le jugeait utile, pourrait refuser sa voix à la candidate condamnée. Dans le cas de l’élection de Jacques Chirac, la décision du Conseil était le dernier recours. Même instruit du fait que les comptes étaient irréguliers, l’électeur n’avait plus aucune possibilité de se prononcer.

      [J’ajouterai que l’aspect grandiloquent des représentations des conséquences politiques de cette inéligibilité (qui n’est pas encore tout à fait acquise, puisqu’il y aura des recours) ne me semblent pas crédibles : qui parmi le peuple s’est-il révolté récemment ? l’électorat du RN? pas vraiment.]

      Est-ce que le peuple s’est révolté contre la décision de ratifier le traité de Lisbonne en contournant le vote référendaire de 2005 ? Je ne me souviens pas qu’on ait vu beaucoup de gens dans les rues pour protester. Et pourtant, cette décision a eu des effets profonds sur la politique française, alimentant chez un large secteur de la population l’idée que la démocratie est biaisée et que le vote est inutile. Les conséquences politiques d’une décision ne se mesurent pas toujours au nombre de manifestants dans les rues.

      Quant à l’idée que la décision « n’est pas tout à fait acquise », je pense qu’elle est très dangereuse. Une décision a en politique des effets irréversibles, quand bien même elle serait annulée plus tard. D’ici à ce que l’appel soit entendu, le RN devra faire de la politique dans l’incertitude de ne pas savoir qui sera son candidat. Et cela aura certainement des effets sur les équilibres internes du RN.

      [Quand bien même des conséquences pour l’ordre public seraient à envisager, celles-ci seraient elles plus ou moins lourde que l’élection de MLP à la présidence elle-même (pro poutine, anti américaine, sans aucun programme crédible sur le plan économique, symbole du refus de l’intégration des musulmans à la société française) ?]

      Vous voulez dire qu’il faudrait interdire à MLP de se présenter à l’élection présidentielle au motif que cette que son accession au pouvoir serait une menace à l’ordre public ? Bonjour la démocratie… Ne pensez-vous que le jugement sur cette question appartient au peuple souverain, et non aux juges ?

      [Enfin sur les principes, ou disons l’aspect moral de cette sanction – je rappellerai que MLP a pu se présenter par deux fois à ladite élection. Sans succès. Que le souverain a donc eu l’occasion déjà, par deux fois – alors que l’instruction était connue et en cours – de lui donner le pouvoir et il ne l’a pas fait.]

      Est-ce que ce raisonnement s’applique à Jean-Luc Mélenchon, candidat par trois fois (2012, 2017, 2022), et qui non seulement n’a pas été élu, mais n’est pas une seule fois arrivé au deuxième tour ?

      [Qu’en matière de parti ‘tribunicien’ comme le seul recours pour les miséreux de ce monde d’être entendus, le fait que l’électorat RN comportent des classes populaires n’indique en rien que sa politique leurs serait favorable.]

      On sait pourtant qu’un parti politique qui tourne le dos aux intérêts de son électorat se trouve assez rapidement en grande difficulté. A votre avis, si à son arrivée à l’Elysée Marine Le Pen tourne le dos aux intérêts des classes populaires, combien de temps pourra-t-elle compter sur leur vote ?

      [Enfin, et je crois que c’est sans doute le point le plus important de cette partie, que si le RN est un parti structuré autour d’un projet politique fort, il n’y a pas de raison de penser que l’inéligibilité de son leader le mène à la ruine. Dit autrement, si tel était le cas (nous verrons bien), cela prouverait que le RN était un parti de plus reposant sur un ego, un nom, mais sans réelle substance (comme il y en a tant/trop).]

      Ne faisons pas semblant de croire que les hommes ne comptent pas. Vous savez, tous les partis politiques proposent aujourd’hui des « projets » merveilleux qui, s’ils étaient mis en œuvre, sont censés faire le bonheur de tous les Français sans exception. L’élection se joue donc sur la crédibilité de ces projets, mais aussi sur la confiance qu’on peut avoir dans la personne qui se présente à nos suffrages pour le porter et le mettre en œuvre effectivement. Et c’est pourquoi les candidats ne sont pas interchangeables. Avec Mélenchon, LFI a dépassé 20%. Pensez-vous que Bompard, Panot ou Aubry auraient fait ce score ? Et si la réponse est négative, concluez-vous que LFI « repose sur un égo, un nom, mais sans réelle substance » ?

      Il y a aussi un deuxième aspect à la chose : le RN n’est pas un mouvement monolithique. Même si Bardella et Le Pen font étalage d’une unité et d’un accord parfait, ils ont leurs différences, et représentent des courants qui n’ont ni la même stratégie, ni les mêmes objectifs. Remplacer l’une par l’autre a donc un effet sur l’orientation de la campagne.

      [Pour autant, octroyer, au nom de la raison d’Etat, une immunité à MLP, car c’est bien de cela qu’il s’agit, simplement parce qu’elle bénéficie de sondages favorables, nous conduirait une fois encore à privilégier dans la gestion publique une gestion émotionnelle au mépris de la raison elle-même.]

      Je vous rappelle encore une fois que c’est ce qu’on a fait en 1995. On a accordé une immunité à Jacques Chirac au motif qu’il avait gagné une élection.

  15. Patriote Albert dit :

    [Elle est d’autant plus grave qu’elle arrive après l’annulation de l’élection présidentielle roumaine, où un candidat qualifié de « populiste » était arrivé en tête au premier tour, au motif que le processus électoral aurait été vicié par la propagande russe sur les réseaux sociaux.]
    Il ne faut pas oublier non plus l’exclusion de Diana Sosoaca des deux élections présidentielles de novembre et mai, alors qu’elle était créditée de plus de 10% dans les sondages. L’argumentation  de la Cour constitutionnelle roumaine ne tient qu’à une vague mention des “valeurs démocratiques et du respect de la constitution” que mettrait en cause la candidate du parti SOS Roumanie. Je n’ai pas trouvé l’arrêté de la cour, mais il semblerait que sa rhétorique invoque la volonté de ladite candidate, par ailleurs assez excentrique, de sortir la Roumanie de l’UE et de l’Otan alors que les deux organisations sont mentionnées dans la Constitution. Autrement dit, appartenir à l’UE et l’Otan est désormais consubstantiel au régime roumain actuel, et il n’est pas possible d’être élu en sortant de ce cadre-là… Une nouvelle leçon de démocratie à l’occidentale !
     
     
    [Accepter l’idée d’un filtre judiciaire des candidatures implique admettre que les électeurs sont trop bêtes pour bien choisir leurs représentants, et qu’il faut prévoir une instance tutélaire qui tiendrait la main du peuple au cas où celui-ci ne ferait pas le « bon » choix. ]
    Je suis inquiet du climat de racisme de classe que je sens monter dans mon entourage de classe intermédiaire. “Les gens sont cons” est devenu une nouvelle banalité pour justifier l’élection de Trump, le soutien au Rassemblement national, le succès des medias Bolloré… Discours souvent associé à un “les politiques sont tous pourris” qui permet de bien légitimement rester le cul sur sa chaise à s’occuper de ses petites affaires en attendant que la société continue de se casser la figure. Il faudra bien mentionner dans l’historiographie future de la période actuelle le rôle profondément délétère de la petite bourgeoisie intellectuelle, en particulier celle née dans les années 60 – 70, qui combine le maximum de prétention à la vérité et le minimum de compréhension du monde dans lequel elle vit, et qui légitime complètement le blocage politique actuel en attendant de profiter de sa retraite…
     
    [Je suis par exemple étonné par l’imprudence de ceux qui, comme Ruffin ou Tondellier mais aussi une partie du « bloc central », répètent du haut de leur bonne conscience que « justice a été faite », épousant la vision « germanique » qui fait de la sacralisation du droit l’alpha et l’oméga de la démocratie.]
    Je crois qu’on a perdu le soldat Ruffin. Son obsession d’unir la gauche, qui l’amène à s’entourer principalement d’écolos et de socialistes, va lui jouer des tours. J’ai regardé le clip “Notre France” qui présentait son meeting d’ouverture de campagne présidentielle : on y trouve dans l’ordre des images une gilet jaune (ok, ça mange pas de pain), la constitutionnalisation de l’IVG (!), une manif contre les retraites (ça passe encore), une manif déministe (“victime on te croit” sur le panneau), et… c’est tout ! Et ce matin sur France Inter, il prônait des solutions européennes à la crise commerciale. Bon, merci d’avoir essayé, mais je crains que comme souvent, à vouloir changer un système, c’est par le système que l’on finit changé !

    • Descartes dit :

      @ Patriote Albert

      [(…) mais il semblerait que sa rhétorique invoque la volonté de ladite candidate, par ailleurs assez excentrique, de sortir la Roumanie de l’UE et de l’Otan alors que les deux organisations sont mentionnées dans la Constitution. Autrement dit, appartenir à l’UE et l’Otan est désormais consubstantiel au régime roumain actuel, et il n’est pas possible d’être élu en sortant de ce cadre-là… Une nouvelle leçon de démocratie à l’occidentale !]

      Il y a là une dérive très dangereuse dans la sacralisation du droit. C’est la confusion entre le fait de critiquer une disposition législative ou constitutionnelle et le fait de ne pas la respecter. On peut exiger d’un candidat qu’il obéisse aux normes, mais exiger de lui qu’il soit d’accord avec elles revient à faire de la norme un texte sacré. On remarquera tout de même que l’application stricte de cette règle donnerait des résultats intéressants. Ainsi, doit-on exclure les candidats autonomistes ou régionalistes au motif que l’article 1er de la constitution établit la France comme une République « indivisible » ?

      [Je suis inquiet du climat de racisme de classe que je sens monter dans mon entourage de classe intermédiaire. “Les gens sont cons” est devenu une nouvelle banalité pour justifier l’élection de Trump, le soutien au Rassemblement national, le succès des médias Bolloré…]

      C’est surtout un leitmotiv qui prépare le moment où l’on prendra des mesures pour empêcher le peuple de troubler le « bon ordre des choses » avec son vote. A partir des années 1980, les couches populaires privées de représentation se sont réfugiées dans l’abstention, ce qui arrangeait bien les classes dominantes. A partir du début du XXIème siècle, ils ont commencé à comprendre qu’ils pouvaient faire peur au bloc dominant en votant pour les « affreux ». Le bloc dominant réagit logiquement en cherchant une idéologie qui justifie la mise sous tutelle du politique.

      [Je crois qu’on a perdu le soldat Ruffin. Son obsession d’unir la gauche, qui l’amène à s’entourer principalement d’écolos et de socialistes, va lui jouer des tours. J’ai regardé le clip “Notre France” qui présentait son meeting d’ouverture de campagne présidentielle : on y trouve dans l’ordre des images une gilet jaune (ok, ça mange pas de pain), la constitutionnalisation de l’IVG (!), une manif contre les retraites (ça passe encore), une manif déministe (“victime on te croit” sur le panneau), et… c’est tout ! Et ce matin sur France Inter, il prônait des solutions européennes à la crise commerciale. Bon, merci d’avoir essayé, mais je crains que comme souvent, à vouloir changer un système, c’est par le système que l’on finit changé !]

      Ruffin est un phénomène curieux. D’abord, c’est surtout une création médiatique. Je veux bien qu’il ait des partisans dans sa Picardie natale, mais cela ne fait pas un parti capable de porter un candidat vers une élection nationale comme peut l’être la présidentielle. Mais surtout, il se propose une tâche impossible : regagner le soutien des couches populaires en même temps que celui des classes intermédiaires.

  16. Frank dit :

    Question hors-sujet, mais je viens de lire le rapport de l’Académie des Sciences sur le texte de la programmation pluriannuelle de l’énergie. C’est absolument affligeant. J’aimerais savoir ce que vous en pensez et si vous savez qui écrit ces choses et qui est à l’origine de cet effondrement hallucinant des services de l’État, qui, sur un sujet aussi crucial, sur lequel tant d’erreurs ont été accumulées depuis tant d’années, n’est même plus capable de produire un texte tout simplement cohérent ?

    • Descartes dit :

      @ Frank

      [Question hors-sujet, mais je viens de lire le rapport de l’Académie des Sciences sur le texte de la programmation pluriannuelle de l’énergie. C’est absolument affligeant. J’aimerais savoir ce que vous en pensez et si vous savez qui écrit ces choses et qui est à l’origine de cet effondrement hallucinant des services de l’État, qui, sur un sujet aussi crucial, sur lequel tant d’erreurs ont été accumulées depuis tant d’années, n’est même plus capable de produire un texte tout simplement cohérent ?]

      Oui, je connais les gens qui ont écrit le texte, les gens qui l’ont modifié, et même ceux qui ont écrit l’avis de l’académie des sciences. Et plus que parler « d’effondrement des services de l’Etat », il faut parler d’un effondrement du politique, et tout particulièrement de sa capacité à penser dans des termes qui ne soient pas celle des annonces qu’on fait au journal de 20H.

      L’académie des sciences formule en fait deux reproches. Le premier, véniel si l’on peut dire, porte sur la cohérence des chiffres entre les différents chapitres. Mais le problème va bien au-delà d’une question formelle, d’un texte qui n’aurait pas été « peigné » dans sa version finale, pour s’assurer de la cohérence des chiffres utilisés. En laissant ces coquilles, le rédacteur nous permet aussi d’avoir une vision plus claire de la manière comment le texte a été fabriqué, c’est-à-dire, par superposition de chapitres rédigés sous la pression de contraintes et de lobbies différents, qui tient chacun à « son » chiffre canonique. Les chiffres ne sont pas les mêmes parce que les scénarios retenus ne sont pas les mêmes, et les scénarios retenus sont différents – et quelquefois contradictoires – parce que la PPE est devenue plus un instrument de communication vis-à-vis des différents lobbies qu’un véritable instrument de planification, avec des objectifs qu’on tient réellement à atteindre.

      Et ce problème se retrouve souligné jusqu’au ridicule dans le second reproche, de fond celui-là, qui porte sur les objectifs du système électrique. Personne parmi les rédacteurs du document ne croit rationnellement aux objectifs de consommation électrique, et tous les experts savent que le développement des renouvelables à ce niveau sera ruineux et inutile. C’est d’ailleurs pourquoi personne n’est sorti contester l’avis de l’Académie, pourtant connu depuis des semaines. Seulement voilà, on a signé des objectifs de décarbonation irréalisables à Bruxelles pour contenter le lobby vert, et la seule façon de les atteindre – sur le papier, s’entend – c’est de retenir un scénario irréaliste de décarbonation des usages. C’est tout le problème de la « planification » européenne – qui contraint la planification nationale – aujourd’hui : les documents de planification ne sont plus un dimensionnement raisonnable de ce qu’on va faire, c’est la liste au père Noël pour faire briller les yeux des électeurs et calmer les lobbies. Le lobby écologiste a même théorisé ce volontarisme en expliquant qu’il faut se fixer des objectifs « ambitieux » pour ensuite faire des procès aux Etats, accusés de ne pas s’être donné les moyens d’atteindre ces objectifs irréalistes… à partir de là, que voulez-vous que les “services de l’Etat” écrivent ?

      Sous la quatrième ou troisième républiques, les politiciens avaient un horizon court, lié à l’instabilité ministérielle. Mais il y avait une fonction publique puissante, capable de garder le cap malgré cette instabilité dans la continuité de l’impulsion donnée par les ministres. Sous la cinquième, la stabilité gouvernementale a permis de développer une vision à long terme avec des structures de planification puissantes. Aujourd’hui, avec une fonction publique rétrécie et des ministres précaires qui songent à leur départ le jour de leur nomination, l’horizon de planification est réduit à néant. Qui peut imaginer que ce qui va se passer sur l’énergie dans dix ou vingt ans est la priorité d’un Bayrou ?

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