Qui a droit à l’Etat de droit ?

« Quand on a le souci de protéger quelque chose, c’est qu’elle a déjà disparu » (Attribué à J. Lacan)

Le consensus médiatique sur la question est unanime : l’Etat de droit est aujourd’hui sous la menace des « populismes », de droite comme de gauche. Des conférences sont organisées sur le sujet, des articles innombrables ont été publiés dans les journaux. Les réactions outrées de l’extrême droite à la condamnation de Marine Le Pen à une peine d’inéligibilité a permis au camp du bien de ressortir l’épouvantail. Pour ne donner qu’un exemple, l’avocat Patrice Spinosi publie ces jours-ci « Menace sur l’Etat de droit », opuscule qui a mérité les éloges de l’ensemble des médias bienpensants, de l’Obs à France Inter.

Je n’ai pas lu le livre, et je n’ai pas l’intention de le lire. Mais j’ai entendu attentivement sa présentation par l’auteur sur les ondes. Schématiquement, il résume une position maintes fois entendue : d’un côté, les défenseurs d’un Etat respectueux des principes fondamentaux du droit et des normes, de l’autre les affreux « populistes » qui placent la volonté du peuple au-dessus de toute règle, et qui au nom de cette volonté sont prêts à voir l’Etat piétiner les grands principes juridiques. Autrement dit, le problème est formulé par opposition classique chez les libéraux entre la collectivité des citoyens qui n’aspirent qu’à vivre paisiblement et un Etat toujours tenté par la toute-puissance et l’arbitraire. Le droit est alors conçu non pas comme un corpus de règles auxquelles les citoyens sont astreints, mais comme l’instrument pour limiter et contraindre l’action de l’Etat pour l’empêcher de piétiner les libertés et les droits des gens. Spinosi le formule d’ailleurs clairement : « L’Etat de non-droit est une société où vous pouvez être arrêté de façon arbitraire, où les forces de police peuvent pénétrer chez vous à tout moment, où une justice aux ordres fait condamner des innocents, où la presse est contrôlée par le gouvernement, et les opposants interdits d’expression ou arrêtés ».

Mais cette définition négative épuise-t-elle le sujet ? Pour illustrer, prenons un exemple dans notre vie quotidienne. Un point de deal est installé en bas de votre immeuble, et vos allées et venues sont contrôlées, non pas par « les forces de police » mais par les dealers, dont les agents vont jusqu’à vérifier l’identité de ceux qui entrent dans le quartier. Ce n’est pas une « justice aux ordres » qui peut vous condamner, mais des adolescents sont torturés ou tombent sous les balles de kalachnikov selon le bon vouloir des maîtres du trafic. Quant à celui qui se risquerait à dénoncer la mainmise de ces derniers dans le quartier, il risque bien pire que d’être arrêté. Quand vous vivez cette situation quotidiennement, mois après mois, année après année, sans que l’Etat ne fasse rien pour la faire cesser, vivez-vous encore sous un « Etat de droit » ? Oui, nous dirait Spinosi. Non, vous diront la plupart des gens.

C’est cette question que les défenseurs bienpensants de l’Etat de droit ne se posent jamais. Et pourtant, c’est là la question essentielle. Il ne faut jamais oublier que le gouvernant ne gouverne que par le consentement explicite ou implicite des gouvernés, et que ce consentement est le résultat du pacte hobbesien. Nous cédons à l’Etat des pouvoirs considérables, nous lui accordons le privilège du monopole de la violence légitime dont il peut user pour nous contraindre. Mais cette concession nous la faisons sous réserve de réciprocité : nous demandons de lui qu’il mette fin à « la guerre de tous contre tous », qu’il régule les conflits et résolve certains problèmes. Bien sûr, personne n’aime que l’Etat mette son nez dans ses affaires, qu’il instaure des contraintes. Mais nous sommes prêts à l’accepter dans certaines limites, parce que l’alternative est la loi de la jungle. Ce sont ces limites qui fondent l’Etat de droit, en définissant une sphère publique dans laquelle l’Etat intervient dans le respect de certaines limites, et une sphère privée où les hommes sont libres de faire ce qu’ils veulent (1).

Les ennuis commencent lorsque les citoyens perçoivent les limites fixées à son action comme empêchant l’Etat de remplir le « pacte hobbesien » qui fonde sa légitimité. Tout le monde comprend l’intérêt de la présomption d’innocence, de procédures judiciaires rigoureuses, d’une limitation de l’usage de la force par la police. Mais lorsque ces principes, au demeurant fort pertinents en tant que tels, empêchent l’Etat d’éradiquer le point de deal en bas de votre immeuble, lorsque pour sécuriser l’école maternelle de vos enfants l’Etat n’a d’autre moyen que déménager l’école (2) alors que les dealers peuvent continuer leur trafic, les gens sont en droit de s’interroger sur un équilibre qui, certes, empêche l’Etat de vous contraindre excessivement, mais qui d’un autre côté permet aux dealers de le faire. Et ils peuvent arriver à la conclusion qu’il est préférable de prendre le risque d’un Etat moins limité plutôt que d’accepter un retour à « la guerre de tous contre tous », quitte à s’asseoir sur un certain nombre de règles et principes de droit.

C’est un droit conçu pour affaiblir le pouvoir d’intervention de l’Etat qui alimente les populistes. C’est d’ailleurs une constante historique : aucun mouvement populiste n’est jamais né dans un Etat fort. Les populismes arrivent en général dans une situation de déliquescence de celui-ci, quand la population constate son incapacité à remplir le rôle d’arbitre. L’Allemagne qui porte Hitler au pouvoir n’est pas une Allemagne forte et sûre d’elle-même. C’est dans une République de Weimar faible, incapable de faire régner l’ordre intérieur qu’on lui confie le pouvoir. De Gaulle en 1958 ne prend pas la tête d’un Etat fort et respecté, mais une France à la dérive que le régime politique, incapable de contrôler la violence d’une guerre coloniale, a conduit au bord de la guerre civile. Nayib Bukele n’a pas pris le pouvoir dans un Salvador au mieux de sa forme, mais dans le contexte chaotique d’un Etat faible et corrompu où les « maras » faisaient la loi. Et ces trois dirigeants – très différents dans leur idéologie « populiste » – ont joui d’une popularité immense après leur prise de pouvoir parce qu’ils ont montré, une fois à la tête de l’Etat, une capacité à remplir leur part du pacte hobbesien.

Spinosi, comme beaucoup de commentateurs, ne voit qu’un volet dans l’Etat de droit, celui qui concerne la limitation par le droit de la puissance de l’Etat lui-même. Mais il y a à mon sens un volet tout aussi important, qui est la capacité de l’Etat à limiter la toute-puissance des citoyens individuels. Car il ne faut pas tomber dans l’idéalisme libéral : il ne s’agit pas d’un Etat tenté par la toute-puissance face à des citoyens pleins de bienveillance, mais d’un Etat qui apparaît comme institution précisément parce que les citoyens, laissés à eux-mêmes, auraient tendance à s’entretuer. C’est pourquoi la question de la limitation du pouvoir de l’Etat et celle de sa capacité à faire appliquer la loi aux particuliers que nous sommes sont intimement liées. Nous voulons certes que la puissance de l’Etat soit limitée, mais pas au point de l’empêcher de remplir sa fonction d’organisateur et de régulateur de la société.

C’est là à mon avis l’erreur logique dans le raisonnement de Spinosi. Elle se résume dans la formule d’Adlaï Stevenson : « le pouvoir corrompt, mais l’impuissance corrompt absolument ». Nous voulons tous que la justice protège l’innocent. Mais nous voulons aussi qu’elle punisse les coupables. Lorsque la procédure pénale est si protectrice qu’elle permet aux coupables de parader dans la rue, obligeant les honnêtes gens à baisser la tête, les gens finissent par exiger que la justice passe par d’autres canaux. Et c’est alors que les populistes entrent en scène.

La tendance des libéraux à corseter l’Etat par le droit jusqu’à le rendre impuissant contient en germe la contestation du droit lui-même, et ouvre la porte aux populistes. C’est à mon sens le grand paradoxe de notre époque. La gauche, qui prétend combattre le populisme incarné par le Rassemblement national, est aussi celle qui lutte pour surcharger l’action de l’Etat de toutes sortes de contraintes de droit et de fait qui, in fine, aboutissent à le rendre impuissant. Le policier qui course un voyou sait qu’en cas d’incident – et dans ces situations l’incident est toujours une possibilité – il aura des ennuis sans fin. Le voyou en question étant sanctifié en tant que victime – pensez au cas d’Adama Traoré. Le fonctionnaire ou l’élu qui portent un projet savent qu’il faudra des années de consultations qui ne servent à rien, des recours juridiques sans fin, qui useront les énergies des porteurs de projet pendant que ses adversaires attendront qu’une opportunité politique leur permette de faire capoter le projet. Celui qui, au nom des intérêts du peuple, proposera d’accorder à l’action du policier une présomption de légitimité, de permettre à l’Etat de passer outre à l’obstruction sera accusé de porter atteinte au sacro-saint Etat de droit, de faire du populisme. Et pourtant, peut-on dire que l’Etat de droit existe encore quand les dealers exercent leur commerce au vu et au su de tout le monde, quand les projets nécessaires à la vie du pays et décidés démocratiquement ne se font pas parce qu’une minorité agissante n’en veut pas ?

Ceux qui veulent combattre le populisme feraient bien de se rappeler que c’est la vision matérialiste qui, à la fin, s’impose. Il n’existe pas en politique de principe transcendant. Nous adhérons à des principes dans la mesure où ceux-ci sont utiles à l’organisation et à la régulation de nos sociétés. Lorsqu’un principe cesse d’être utile ou, pire, devient un obstacle à la résolution des problèmes, il a peu de chances de survivre. La défense de l’Etat de droit ne peut passer que par la démonstration de son efficacité lorsqu’il s’agit de résoudre les problèmes de notre temps, de rendre effectifs les droits auxquels nous sommes attachés. Et l’efficacité de l’Etat de droit est intimement liée à la liberté d’action dont dispose l’Etat lui-même.

Ce que nous avons vu ces trente dernières années, c’est le remplacement de la contrainte politique par la contrainte juridique. Hier, l’Etat avait une large liberté d’action juridique, mais était placé sous la surveillance d’organisations politiques ou syndicales puissantes. Aujourd’hui, nous avons un Etat corseté par le droit qui fait face à une société indifférente. La contestation, qui hier était portée massivement dans la rue, l’est aujourd’hui par des groupuscules agissants devant les tribunaux. Ce mécanisme a chassé le collectif du champ politique. Il y revient par un biais détourné, celui des populismes, qui donnent au peuple un rôle de protagoniste, même symbolique.

Trump ou Bukele ne sont pas des phénomènes isolés, mais une réponse à la logique d’impuissance de l’Etat voulue par la révolution néolibérale. Le peuple, au sens large, ne veut plus de cette impuissance et votera de plus en plus pour ceux qui la remettront en cause. Trump ou Bukele ne sont pas élus MALGRE leur refus de reconnaître des limites – et en particulier des limites juridiques – à leur action, mais GRACE à ce refus. Barack Obama, qui était lui aussi tenté par le populisme, n’a pas choisi comme slogan le « yes we can » par hasard (3). Nos politiciens nous parlent en permanence du besoin de diminuer les contraintes qui pèsent sur les entreprises. Personne, pour le moment, ne semble s’intéresser aux contraintes qui brident l’action publique, et qui sont pourtant bien plus importantes. Si les gens raisonnables ne s’attaquent pas à ce problème aujourd’hui, demain ce sera fait à la hache – ou plutôt à la tronçonneuse – par ces « populistes » qui, malgré toutes les bonnes intentions des bienpensants, avancent vers le pouvoir.

Descartes

(1) Il ne faut pas confondre ici « sphère » et « espace ». Ainsi, par exemple, la question de la vie et de l’intégrité des personnes appartient à la sphère publique, et l’Etat est légitime à intervenir lorsqu’un meurtre est commis, qu’il soit commis dans un square public ou dans votre appartement privé. La « sphère publique » regroupe l’ensemble des questions sur lesquelles la collectivité est légitime à imposer des contraintes à l’individu. Ainsi, par exemple, le choix de votre conjoint appartient à la sphère privée : vous pouvez retenir ou rejeter des candidats sur le critère de votre choix, et vous n’avez pas à justifier ce choix devant personne.

(2) Je fais référence à l’école maternelle du passage Elizabeth, dans la cité Arago de Saint-Ouen. La mairie a fait voter les parents sur un projet de déménagement, massivement approuvé. Le maire déclarait avant le vote : « Quelle que soit la décision qui sera prise, ce ne sera pas du tout un aveu d’échec. C’est un aveu de la force publique, de la force des élus, des autorités, quels que soient les scénarii, la sécurité et l’éducation ne s’opposeront pas ». Sans commentaire.

(3) Pour ceux qui ne dominent pas la langue de Shakespeare, on notera que le slogan en question utilise le verbe « can », qui indique la capacité physique à entreprendre une action, et non le verbe « may » qui indique la permission, le fait que les règles le permettent. Un choix qui est à mon sens signifiant.

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91 réponses à Qui a droit à l’Etat de droit ?

  1. Richard Haycraft dit :

    Je me rappelle d’un interview avec Edwy Plenel en septembre 2011 sur Canal Plus ou M. Plenel, concernant les emplois fictifs de la ville de Paris, répond que “Dans le cas d’un relaxe pour Jacques Chirac c’est un signal aux petits délinquants qui font des délits de rien du tout qu’il y a deux poids deux mesures”.
    Peut-être il a raison mais ma première réaction était de penser que ces “délits de rien du tout” pourrissent bien plus la vie des gens que les emplois fictifs de la ville de Paris.
    Il y a bien une déconnexion ici, il me semble.
    Qu’en pensez-vous ?

    • Descartes dit :

      @ Richard Haycraft

      [Je me rappelle d’un interview avec Edwy Plenel en septembre 2011 sur Canal Plus ou M. Plenel, concernant les emplois fictifs de la ville de Paris, répond que “Dans le cas d’un relaxe pour Jacques Chirac c’est un signal aux petits délinquants qui font des délits de rien du tout qu’il y a deux poids deux mesures”. Peut-être il a raison mais ma première réaction était de penser que ces “délits de rien du tout” pourrissent bien plus la vie des gens que les emplois fictifs de la ville de Paris.
      Il y a bien une déconnexion ici, il me semble.]

      Je pense que Plenel commet ici une erreur fondamentale. Lorsqu’il s’agit d’un délit contre les biens, on peut hiérarchiser les délits en fonction de la valeur du bien concerné, ou bien en fonction de la gêne et la détresse que le vol peut causer aux personnes. Le petit voyou qui dégrade mon scooter m’oblige à perdre mon temps à l’amener chez le réparateur, m’empêche d’aller à mon travail même si le coût est minime. Le cambrioleur qui casse ma porte et emporte un vieux téléphone portable et ma télé envahit mon espace familier et crée chez moi un traumatisme même si les biens emportés ne valent pas grande chose. Les emplois fictifs de Chirac me coutent certes de l’argent, mais ne perturbent que marginalement ma vie quotidienne ou mon espace intime.

      Les « délits de rien du tout » (la formule de Plenel est en elle-même révélatrice…) concernent en général des valeurs minimes, mais créent proportionnellement une gêne et une détresse bien plus importante chez les victimes, notamment parce qu’elles créent de l’incertitude dans la vie quotidienne, ce que les « grands délits » ne font pas. Cela n’implique pas bien entendu que ces délits ne doivent pas être poursuivis et punis. Mais penser que ce qui se passe sur les uns “donne un signal” aux autres ne me paraît pas sérieux. Les voyous, eux aussi, comprennent la différence…

  2. democ-soc dit :

    Ce n’est qu’un aspect du probleme je trouve. Je crois que c’est Jacques Sapir qui avait écrit un texte qui tentait de démontrer que démocratie n’implique pas forcément Etat de droit, et inversement.
    A notre époque, le droit semble plutot pensé comme un barrage à la souveraineté du peuple : ajout de lois ou de traités dans la constitution pour les mettre hors d’atteinte du vote, pouvoir accordé en dernier ressort à des cours de justice (je n’ai d’ailleurs toujours pas compris comment le CC avait pu oser refuser un referendum sur la réforme des retraites) etc…
    Le systeme semble verrouillé… Pour le deverouiller, il faudrait soit un evenement type 1958 (mais comme tu l’as deja relevé, les grands hommes manquent aujourd’hui), soit un raz de marée type “election hongroise” avec une majorité des 2/3 qui permette de faire sauter “légalement” les verrous accumulés dans le droit… Ce qui est dur à imaginer chez nous avec tes classes intermediaires qui representent à elles seules 1/3 du pays, et une grande influence.
     

    • Descartes dit :

      @ democ-soc

      [Ce n’est qu’un aspect du problème je trouve. Je crois que c’est Jacques Sapir qui avait écrit un texte qui tentait de démontrer que démocratie n’implique pas forcément Etat de droit, et inversement.]

      Comme souvent dans ces débats, le problème consiste à définir précisément les termes, c’est-à-dire, à clarifier les concepts qui se cachent derrière. Les mots « démocratie » et « Etat de droit » sont polysémiques. Pour certains, « l’Etat de droit » est un régime ou l’action de l’Etat est bornée par le droit (autrement dit, où les institutions étatiques respectent la loi) indépendamment du fait que la loi soit ou non appliquée en ce qui concerne les acteurs privés. Pour d’autres, « l’Etat de droit » est un régime ou TOUS les acteurs, publics ou privés, sont effectivement astreints à respecter les normes. Le terme « démocratie » est encore plus problématique. S’agit-il d’un régime où certains processus formels (élections périodiques, liberté de débat, d’expression, du choix des candidats) s’appliquent, où faut-il que les conditions matérielles existent pour que ces « libertés » puissent être effectivement exercées (accès effectif et équilibré aux médias, par exemple) ?

      Tout ce que je peux dire à ce sujet, est que pour moi la question de l’Etat de droit et la question de la démocratie appartiennent à deux ordres différents. Le premier concerne le rapport de la société à la norme, le second la manière dont les décisions collectives sont prises. Si ces deux ordres sont dialectiquement liés, c’est parce que la décision collective se manifeste généralement par une norme.

      [A notre époque, le droit semble plutot pensé comme un barrage à la souveraineté du peuple : ajout de lois ou de traités dans la constitution pour les mettre hors d’atteinte du vote, pouvoir accordé en dernier ressort à des cours de justice]

      Vous posez ici une question fondamentale. Le problème qui se cache derrière votre idée d’un droit qui serait un « barrage à la souveraineté du peuple » est le fait de savoir comment le peuple souverain exprime sa volonté. Est-ce à travers le référendum ? Est-ce à travers les décisions des représentants qu’il s’est choisi ? Est-ce à travers les actes de fonctionnaires que ces représentants ont mandaté ? Pour répondre à ces questions, on a construit un ensemble de règles conventionnelles qui organisent et hiérarchisent les modes d’expression de la volonté du peuple. On a décidé par exemple que lorsqu’il s’agit de décider si quelqu’un est coupable ou innocent d’un délit, de confier la décision à trois fonctionnaires désignés dans des conditions particulières et protégés par un statut, qu’on appelle « juges ». Maintenant, est ce que le fait d’empêcher le peuple souverain de voter par référendum sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé constitue un « barrage à la souveraineté du peuple » ? Je ne le pense pas.

      Bien entendu, les règles conventionnelles en question sont toujours soumises à discussion. Ainsi, la Constitution réserve certaines décisions au Parlement, d’autres à l’exécutif, d’autres encore à l’autorité judiciaire. Des traités ont transféré certaines décisions à des instances supranationales, des lois ont conféré certains pouvoirs à des autorités dites « indépendantes ». L’Etat est une machine très complexe, qui serait menacée de paralysie si tout devait être décidé par référendum. Maintenant, est-ce qu’il faut laisser au peuple la possibilité de reprendre la main dans tous les domaines par cette voie ?

      Il y a des domaines dans lesquels la réponse est clairement négative. Prenez par exemple le domaine judiciaire. Faut-il prévoir la possibilité pour le peuple souverain de renverser un jugement par vote référendaire ? Il est clair que cela se prêterait à toutes les manipulations, à toutes les dérives. Il y a des domaines où le référendum serait inopportun parce que la norme nécessite un long processus de construction par amendements successifs qui ne se prête pas à un vote par oui ou par non – l’exemple classique étant le vote de la loi de finances. C’est pourquoi la Constitution réserve – très sagement à mon avis – le référendum aux choix fondamentaux qui se prêtent à une réponse par oui ou par non : l’organisation des pouvoirs publics, la ratification des traités, les grands choix économiques et sociaux.

      [(je n’ai d’ailleurs toujours pas compris comment le CC avait pu oser refuser un referendum sur la réforme des retraites) etc…]

      J’ai trouvé dans le répértoire deux décisions sur la question, l’une du 14 avril 2023, l’autre du 3 mai de la même année. Elles concernent deux textes identiques, l’un transmis par l’Assemblée nationale, l’autre par le Sénat. Que dit ce texte ? « l’article unique de cette proposition de loi dispose que l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite mentionné au premier alinéa de l’article L. 351-1 du code de la sécurité sociale applicable aux assurés du régime général, à l’article L. 732-18 du code rural et de la pêche maritime applicable aux assurés du régime des personnes non salariées des professions agricoles, ainsi qu’au 1 ° du paragraphe I de l’article L. 24 et au 1 ° de l’article L. 25 du code des pensions civiles et militaires de retraite applicables aux fonctionnaires civils, ne peut être fixé au-delà de soixante-deux ans ».

      Mais, note le Conseil constitutionnel, « à la date à laquelle le Conseil constitutionnel a été saisi de cette proposition de loi, l’article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale prévoit que l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite mentionné à ces mêmes dispositions est fixé à soixante-deux ans. Ainsi, à la date d’enregistrement de la saisine, la proposition de loi visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans n’emporte pas de changement de l’état du droit ». Et le Conseil ne peut donc que conclure que « Dès lors, elle ne porte pas, au sens de l’article 11 de la Constitution, sur une « réforme » relative à la politique sociale ». Elle n’est donc pas conforme à la Constitution.

      Ce que cette décision montre surtout, c’est la légèreté des députés et sénateurs qui ont porté cette affaire. En proposant le référendum avant la promulgation de la réforme, ils ont commis une erreur technique grave. S’ils avaient demandé conseil à un énarque, par exemple, ils se seraient évités cette déconvenue. Mais vous savez, à gauche on n’aime pas les « experts »…

      [Le systeme semble verrouillé…]

      Il est surtout verrouillé par le manque de volonté politique. Parce que le système « bonapartiste » de la Vème République laisse une large marge d’action dès lors qu’il existe une volonté de faire les choses. Le chantier de restauration de Notre Dame ou l’organisation des Jeux Olympiques sont de bons exemples. Mais pour en arriver là, il a fallu un évènement traumatique dans le premier cas, une contrainte extérieure forte dans le second…

  3. MJJB dit :

    [Le fonctionnaire ou l’élu qui portent un projet savent qu’il faudra des années de consultations qui ne servent à rien, des recours juridiques sans fin, qui useront les énergies des porteurs de projet pendant que ses adversaires attendront qu’une opportunité politique leur permette de faire capoter le projet]

     
    Cela dépend du projet en question. Quand il s’agit de multiplier les pistes cyclables, ou d’empêcher les “gueux” de se croire autorisés à se déplacer où bon leur semblerait, il y a surabondance de volonté politique. Quand il s’agit de construire une usine indispensable pour la souveraineté nationale, même les pédégés se prennent à rêver à voix haute à l’époque bénie du Général, tout en “espérant” (timidement !) “qu’on arrivera à construire cette usine”.
     

    [Lorsque pour sécuriser l’école maternelle de vos enfants l’Etat n’a d’autre moyen que déménager l’école alors que les dealers peuvent continuer leur trafic]

     
    La “mexicanisation” du pays est en marche, et rien ne semble hélas pouvoir l’arrêter ; elle laisse de marbre des classes dirigeantes qui savent déjà qu’elles pourront échapper à ses conséquences funestes : les eaux glacées du calcul égoïste, ça n’est quand même pas pour les chiens…

    • Descartes dit :

      @ MJJB

      [Cela dépend du projet en question. Quand il s’agit de multiplier les pistes cyclables, ou d’empêcher les “gueux” de se croire autorisés à se déplacer où bon leur semblerait, il y a surabondance de volonté politique.]

      Franchement, je ne vois pas de comparaison possible en termes de « projet » entre la construction d’une piste cyclable en ville et celle d’une ligne haute tension, d’un tronçon d’autoroute, d’une usine. Quant aux projets qui permettent de sortir les « gueux » des quartiers où les classes intermédiaires habitent, vous avez parfaitement raison. La préservation de son « entre soi » est l’un des rares sujets sur lesquels le consensus se fait facilement…

      [Quand il s’agit de construire une usine indispensable pour la souveraineté nationale, même les pédégés se prennent à rêver à voix haute à l’époque bénie du Général, tout en “espérant” (timidement !) “qu’on arrivera à construire cette usine”.]

      Drôle, n’est ce pas ? Tous ces gens qui se sont appliqués ces quarante dernières années à abattre « l’Etat stragège » gaullien en découvrent maintenant les avantages. Eh oui, quand on tue le directeur du cirque, on est obligé ensuite de négocier avec les lions…

      [La “mexicanisation” du pays est en marche, et rien ne semble hélas pouvoir l’arrêter ; elle laisse de marbre des classes dirigeantes qui savent déjà qu’elles pourront échapper à ses conséquences funestes : les eaux glacées du calcul égoïste, ça n’est quand même pas pour les chiens…]

      J’apporterais une nuance. Il faudrait s’entendre sur ce que vous appelez les « classes dominantes ». La bourgeoisie peut, elle, vivre dans des quartiers fermés et se payer des gardes armées – on voit ça au Mexique, au Brésil, aux Etats-Unis. Mais une partie du bloc dominant, celui constitué par les classes intermédiaires, n’a pas cette possibilité. Les coûts qu’elle doit engager pour échapper au « sort commun » – sécurité privée, évitement de certaines zones, éducation privée – sont en train de monter et risquent rapidement de devenir prohibitifs. C’est une dérive qui menace l’unité du « bloc dominant » par le déclassement d’une partie de celui-ci… c’est peut-être là l’évolution qui nous permettra de sortir d’un rapport de forces totalement défavorable aux couches populaires.

      • CVT dit :

        @Descartes,

        [La bourgeoisie peut, elle, vivre dans des quartiers fermés et se payer des gardes armées – on voit ça au Mexique, au Brésil, aux Etats-Unis. Mais une partie du bloc dominant, celui constitué par les classes intermédiaires, n’a pas cette possibilité.]

        Au moins, dans le cas de la ghettoïsation dans les pays du tiers-monde (ou aux Etats-Unis, ce qui revient un peu au même😏…), ce sont les riches qui se regroupent et qui payent les giga-résidences privées de leur poche; alors que dans le cas de la gentrification des grandes villes européennes, l’éviction des prolos est financée par…les contribuables, donc indirectement par les prolos eux-mêmes.
        Et le vrai scandale se trouve là: celui du détournement des finances publiques, donc du bien commun, pour satisfaire une caste de bobos infatués d’eux-mêmes désirant s’isoler de la plèbe, mais qui n’a même pas le cran d’assumer ses intérêts de classe.
        Dans les deux cas, que ce soit en Occident ou dans le reste de monde, nous sommes confrontés au retour de la logique des bourgs du moyen-âge: retour des octrois et des baillis (ZFE, péage urbain, etc…), domesticité ( livreurs et chauffeurs Uber…).
        Nos bobos progressistes sont bien en train d’instaurer une forme de contre-révolution…

        • Descartes dit :

          @ CVT

          [Au moins, dans le cas de la ghettoïsation dans les pays du tiers-monde (ou aux Etats-Unis, ce qui revient un peu au même😏…), ce sont les riches qui se regroupent et qui payent les giga-résidences privées de leur poche; alors que dans le cas de la gentrification des grandes villes européennes, l’éviction des prolos est financée par…les contribuables, donc indirectement par les prolos eux-mêmes.]

          Jusqu’à un certain point. Dans les pays européens l’impôt est beaucoup plus progressif qu’aux Etats-Unis ou dans le tiers monde. Les prolos dont vous parlez payent donc une portion moins importante des services publics… mais globalement, vous avez raison. De plus en plus on fait payer à la population en général – et donc aux prolos – des services dont bénéficient des groupes de plus en plus restreints du fait du retrait de l’Etat et des services publics de portions entières du territoire. La redistribution est devenu dans beaucoup de cas négative. C’est flagrant par exemple en matière culturelle…

          [Dans les deux cas, que ce soit en Occident ou dans le reste de monde, nous sommes confrontés au retour de la logique des bourgs du moyen-âge: retour des octrois et des baillis (ZFE, péage urbain, etc…), domesticité ( livreurs et chauffeurs Uber…). Nos bobos progressistes sont bien en train d’instaurer une forme de contre-révolution…]

          Tout à fait !

      • MJJB dit :

        [Les coûts que [les classes intermédiaires] doivent engager pour échapper au « sort commun » – sécurité privée, évitement de certaines zones, éducation privée – sont en train de monter et risquent rapidement de devenir prohibitifs. C’est une dérive qui menace l’unité du « bloc dominant » par le déclassement d’une partie de celui-ci… c’est peut-être là l’évolution qui nous permettra de sortir d’un rapport de forces totalement défavorable aux couches populaires]

         
        Intéressante remarque, que je ne peux m’empêcher de mettre en rapport avec une analyse vue récemment :
         

        [La réindustrialisation se fera nécessairement contre l’intérêt d’une partie importante de nos activités économiques actuelles dans les services. C’est important à souligner que tous les Français n’ont pas intérêt à la réindustrialisation à court terme.]

         
        Je pars du principe que “classes intermédiaires” et “fournisseurs de services”, c’est la même chose ; de même avec “réindustrialisation” et “évolution qui nous permettra de sortir d’un rapport de forces totalement défavorable aux couches populaires”.

        • Descartes dit :

          @ MJJB

          [« La réindustrialisation se fera nécessairement contre l’intérêt d’une partie importante de nos activités économiques actuelles dans les services. C’est important à souligner que tous les Français n’ont pas intérêt à la réindustrialisation à court terme. » Je pars du principe que “classes intermédiaires” et “fournisseurs de services”, c’est la même chose ; de même avec “réindustrialisation” et “évolution qui nous permettra de sortir d’un rapport de forces totalement défavorable aux couches populaires”.]

          Vous citez en référence un blogueur avec lequel je suis très souvent en accord complet. Oui, je partage son analyse. La réindustrialisation, cela ne se réduit pas à réimplanter en France quelques industries par ci par là. C’est une transformation relativement profonde de notre appareil productif, en ce qu’elle implique de fonder différemment le financement de la dépense sociale, de réorienter l’éducation et la formation, de modifier la distribution de la charge publique par une politique fiscale pro-industrie et donc, par nécessité, plus lourde sur les services.

          Et oui, vous avez raison, charger plus lourdement les services implique toucher les intérêts des classes intermédiaires. Non seulement parce qu’elles jouent un rôle clé dans la production des services, mais surtout parce qu’elles en sont les premiers consommateurs.

          • MJJB dit :

            [La réindustrialisation, cela ne se réduit pas à réimplanter en France quelques industries par ci par là. C’est une transformation relativement profonde de notre appareil productif, en ce qu’elle implique de fonder différemment le financement de la dépense sociale, de réorienter l’éducation et la formation, de modifier la distribution de la charge publique par une politique fiscale pro-industrie et donc, par nécessité, plus lourde sur les services (…) charger plus lourdement les services implique toucher les intérêts des classes intermédiaires]

             
            Sauf que les classes intermédiaires ne se laisseront pas faire docilement et poliment. Cela ne s’est jamais vu, qu’une classe sociale renonce ainsi spontanément et de bonne grâce à ses privilèges… et lorsqu’on voit de quel militantisme certains de leurs représentants sont capables contre de braves bassines de récupération d’eau de pluie, on ne peut que prévoir que le programme que vous prévoyez ne pourra guère s’accomplir dans une ambiance de “dîner de gala”.
             
            Nous sommes tellement encalminés, que je frémis à l’ampleur du choc qu’il nous faudra affronter, pour seulement espérer sortir de la situation où nous nous enfonçons de plus en plus profondément chaque jour qui passe.

            • Descartes dit :

              @ MJJB

              [Sauf que les classes intermédiaires ne se laisseront pas faire docilement et poliment. Cela ne s’est jamais vu, qu’une classe sociale renonce ainsi spontanément et de bonne grâce à ses privilèges… et lorsqu’on voit de quel militantisme certains de leurs représentants sont capables contre de braves bassines de récupération d’eau de pluie, on ne peut que prévoir que le programme que vous prévoyez ne pourra guère s’accomplir dans une ambiance de “dîner de gala”.]

              C’est certain, cela ne va pas être joli à voir… mais la question qui me paraît intéressante est celle de savoir contre qui les classes intermédiaires seront amenées à « défendre leurs privilèges ». L’approfondissement du capitalisme et la révolution néolibérale ont amené depuis un demi-siècle à une convergence des intérêts des classes intermédiaires et de la bourgeoisie. Certains signes permettent de penser que cette convergence arrive à sa fin, qu’une partie importante des classes intermédiaires risquent de voir leur capital immatériel dévalué (par la massification des études, par les nouvelles méthodes de travail, par les nouveaux outils comme l’intelligence artificielle), et donc le déclassement…

  4. Rogers dit :

    Bonjour René et merci pour votre article. Pour l arrivée de Hitler au pouvoir, est-ce qu’il n’y a pas aussi la peur de la bourgeoisie face  à la montée du KPD?
    cordialement 

    • Descartes dit :

      @ Rogers

      [Bonjour René et merci pour votre article. Pour l arrivée de Hitler au pouvoir, est-ce qu’il n’y a pas aussi la peur de la bourgeoisie face à la montée du KPD?]

      Bien sur. Mais la montée du KPD aurait-elle été si effrayante si le régime politique avait été fort et l’économie en pleine croissance ? J’en doute.

  5. Courouve dit :

    Le 19 juin 1970, le Conseil constitutionnel commença par inclure dans ses visas le Préambule de la Constitution de 1958 : décision 70-39 DC. Ensuite, moins d’un an après la mort du général le 9 novembre 1970, la décision 71-44 DC du 16 juillet 1971 (2e considérant) créa un bloc de constitutionnalité, l’expression est Claude Émeri (1970) et fut reprise par Louis Favoreu (1975), ou bloc constitutionnel, avec le Préambule de 1946, réalisant ainsi une révision constitutionnelle qui n’osait pas dire son nom ; ce bloc constitutionnel lui-même est difficilement révisable par le peuple français. Cette décision violait l’article 89 C. et le principe (constitutionnel !!) de souveraineté nationale, c’était un premier pas juridictionnel vers le ” gouvernement des juges “. Enfin, par sa décision 73-51 DC du 27 décembre 1973 (2e considérant), le Conseil constitutionnel élargit explicitement ce bloc constitutionnel à la Déclaration… de 1789. Est-il acceptable que le contrôle de constitutionnalité continue à s’effectuer au regard de textes historiques disparates dont l’inclusion dans un bloc constitutionnel n’a pas fait l’objet de l’approbation du peuple français et qui échappent à la possibilité de révision constitutionnelle selon les articles 11 C. et 89 C. ??
     

    • Descartes dit :

      @ Courove

      [Le 19 juin 1970, le Conseil constitutionnel commença par inclure dans ses visas le Préambule de la Constitution de 1958 : décision 70-39 DC. Ensuite, moins d’un an après la mort du général le 9 novembre 1970, la décision 71-44 DC du 16 juillet 1971 (2e considérant) créa un bloc de constitutionnalité, l’expression est Claude Émeri (1970) et fut reprise par Louis Favoreu (1975), ou bloc constitutionnel, avec le Préambule de 1946, réalisant ainsi une révision constitutionnelle qui n’osait pas dire son nom ;]

      Il ne faudrait pas exagérer. La question de savoir si le préambule de la Constitution est une simple déclaration ou bien s’il a valeur normative est un problème réel. La première phrase du préambule orignal de la constitution du 4 octobre 1958 est ainsi rédigée : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 ». La question était donc d’interpréter cette formule. S’agit-il d’une simple « proclamation d’attachement » ? Ou bien faut-il donner à cette formule une valeur normative, en considérant que le constituant a voulu donner valeur constitutionnelle aux droits et principes contenus dans la Déclaration de 1789 et le préambule de 1946 ? C’est donc bien un problème d’interprétation de la Constitution, et non une « réforme constitutionnelle déguisée ».

      [ce bloc constitutionnel lui-même est difficilement révisable par le peuple français.]

      Pourquoi ? Le « bloc de constitutionnalité » est fondé sur le préambule de la Constitution. Il suffit de le modifier pour que le « bloc de constitutionnalité » le soit en conséquence.

      [Cette décision violait l’article 89 C. et le principe (constitutionnel !!) de souveraineté nationale, c’était un premier pas juridictionnel vers le ” gouvernement des juges “.]

      Pas vraiment. Souvenez-vous que lorsque cette décision fut prononcée, une loi ne pouvait être déférée devant le Conseil constitutionnel que par les présidents des assemblées et par le président de la République. Le « juge » ne pouvait donc intervenir que si le politique lui accordait cette possibilité, ce qui était d’ailleurs tout à fait exceptionnel.

      [Enfin, par sa décision 73-51 DC du 27 décembre 1973 (2e considérant), le Conseil constitutionnel élargit explicitement ce bloc constitutionnel à la Déclaration… de 1789. Est-il acceptable que le contrôle de constitutionnalité continue à s’effectuer au regard de textes historiques disparates dont l’inclusion dans un bloc constitutionnel n’a pas fait l’objet de l’approbation du peuple français et qui échappent à la possibilité de révision constitutionnelle selon les articles 11 C. et 89 C. ??]

      Encore une fois, vous faites erreur. Le texte original de la Constitution, approuvée par référendum en 1958, contient bien le renvoi à la déclaration de 1789. Et il serait parfaitement possible de l’en exclure par une réforme du préambule…

  6. Courouve dit :

    ” le gouvernant ne gouverne que par le consentement explicite ou implicite des gouvernés “En théorie, oui ; c’est le principe constitutionnel ” gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ” (art. 2 C.Mais ce principe est ignoré ; on lui préfère le ressassement permanent de la devise ” Liberté, égalité, fraternité “.En 67 ans d’existence, le Conseil constitutionnel n’a jamais invoqué ce principe dans une décision QPC ou DC.

    • Descartes dit :

      @ Courouve

      [” le gouvernant ne gouverne que par le consentement explicite ou implicite des gouvernés “En théorie, oui ; c’est le principe constitutionnel ” gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ” (art. 2 C.Mais ce principe est ignoré ;]

      Ce n’est pas un « principe », c’est une réalité. Ce que j’énonce là n’est pas une règle juridique, mais une observation sur le fonctionnement des sociétés. Dans une société simple, il est possible pour un gouvernant de se maintenir au pouvoir par la force. Mais plus une société est complexe, et moins il est possible de se passer du consentement des gouvernés. C’est pourquoi des formes d’exploitation comme l’esclavage, fondés sur la force pure, on est passé au servage puis au salariat, qui exigent une forme de consentement minimal de l’exploité. C’est aussi pourquoi on est passé de formes de gouvernement autoritaire a des formes qui laissent une large place à la légitimation par le vote de plus en plus étendu.

      [En 67 ans d’existence, le Conseil constitutionnel n’a jamais invoqué ce principe dans une décision QPC ou DC.]

      Bien sur que si. S’il ne reprend pas la formule, on trouve de très nombreuses décisions constitutionnelles qui établissent que toute souveraineté appartient au peuple, et que celui est indivisible – je pense en particulier à la Décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991 dans laquelle le Conseil censure l’existence d’un « peuple corse, composante du peuple français ».

  7. tm dit :

    Merci c’est une explication on ne peut plus claire du problème.
     
    Comment expliquez-vous que tant de gens se disant de gauche rechignent à plus de fermeté envers les dealers ? C’est vraiment un mystère pour moi…
     
    Plus largement cela fait des décennies qu’une majorité semble réclamer plus de fermeté de la part de l’Etat, je ne comprends pas que les politiques n’en tiennent pas davantage compte dans leurs actes. Car enfin ils n’ignorent pas (tous) ce que vous expliquez dans votre article…
     

    • Descartes dit :

      @ tm

      [Comment expliquez-vous que tant de gens se disant de gauche rechignent à plus de fermeté envers les dealers ? C’est vraiment un mystère pour moi…]

      C’est une très bonne question. Mais avant d’essayer d’y répondre, il faut regarder de plus près ce que c’est que « la gauche ». Parce que sur la question des dealers – et plus généralement de l’ordre public – il n’y a pas UNE gauche mais DES gauches. La gauche « ouvrière », qui était naguère encadrée par le PCF et en partie par la SFIO, était d’une façon générale du côté de « l’ordre ». Un grand dirigeant communiste avait même déclaré « le PCF est un parti d’ordre ; d’un ordre différent, mais un parti d’ordre ». Et la raison est résumée dans la formule de Saint Just : « entre le faible et le fort, c’est la liberté qui asservit et la loi qui libère ». Le désordre se fait toujours au profit de celui qui a les moyens matériels et intellectuels d’en profiter, et au détriment de celui qui ne les a pas.

      A côté de cette gauche « d’ordre », il y a eu toujours une gauche « libertaire », pétri de l’idéalisme rousseauiste, qui ne jurait que sur le spontané et le naturel et pour qui l’ordre imposé par les institutions était l’ennemi à abattre. Le danger venait de l’Etat et de ses institutions repressives (police, justice, école…). Abolissons l’Etat, et les hommes vivront en pleine intelligence. Le parcours d’un Cabu illustre presque tragiquement cette erreur. Que voit-on chez lui ? D’un côté, le « beauf », qui s’acoquine sans problème avec les militaires, les juges, les policiers, de l’autre le gentil Duduche qui vit fraternellement avec ses semblables dans un monde de bonnes intentions. Seulement voilà, un 7 janvier ce n’est pas le « beauf » qui a mis fin à la vie de Cabu, c’est une forme de Duduche usant de sa liberté de dire « merde » à la société. Alors que ce sont les affreux policiers qui ont tout fait pour le protéger, et qui en sont d’ailleurs morts. Pour cette gauche, le 7 janvier a été un double traumatisme. Et c’est pourquoi dans les manifestations qui ont suivi la gauche a agité le drapeau tricolore et chanté La Marseillaise, ce qu’elle ne faisait plus depuis des années.

      Mais cette idéologie « libertaire » persiste malgré tout, et reste très vivace parce qu’elle est portée par des classes intermédiaires qui en ont beaucoup bénéficié, et que les idéologies ont tendance à survivre les conditions qui leur ont donné naissance. La libéralisation des stupéfiants a été vue par les classes intermédiaires comme symbolique de la contestation des institutions. C’est pourquoi depuis quarante ans on banalise la consommation de stupéfiants – souvenez-vous du Coluche des années 1970 et 1980 qui parlait sur les ondes du « hakik », ou bien du Renaud qui chantait « et la môme du huitième, le hash elle aime ». A l’époque, on trouvait cela mignon, transgressif, tout à fait dans l’air d’un temps adolescent où il fallait faire le contraire de ce qu’on vous disait. Pour ceux qui n’ont pas vécu cette époque, je rappelle la chute d’une chanson de Font et Val : « si on ne fait pas le contraire de ce qu’on nous a appris, on s’emmerde ».

      Aujourd’hui, nous goûtons les fruits amers de cette banalisation, parce que dès lors qu’on banalise la consommation, on finit nécessairement par banaliser ceux qui l’alimentent. Mais difficile pour cette gauche « libertaire » d’admettre que ce sont ses excès d’hier qui ont conduit à la situation d’aujourd’hui. Et il ne faut pas se voiler la face : pour en finir avec les « points de deal », c’est à la demande qu’il faut s’attaquer. Mais s’attaquer à la demande, c’est s’attaquer aux enfants des classes intermédiaires…

      • Valentin dit :

        [Et c’est pourquoi dans les manifestations qui ont suivi la gauche a agité le drapeau tricolore et chanté La Marseillaise, ce qu’elle en faisait depuis des années.]
        La structure de cette phrase me perturbe : qu’en faisait-elle ?
        [s’attaquer à la demande, c’est s’attaquer aux enfants des classes intermédiaires…]
        Hélas, je crains de ne pas être tout à fait d’accord avec vous sur ce point. De ce que je constate, la consommation de stupéfiants est relativement répandue chez les prolétaires.

        • Descartes dit :

          @ Valentin

          [“Et c’est pourquoi dans les manifestations qui ont suivi la gauche a agité le drapeau tricolore et chanté La Marseillaise, ce qu’elle en faisait depuis des années.” La structure de cette phrase me perturbe : qu’en faisait-elle ?]

          Faute de frappe: il faut remplacer “en” par la particule négative “ne” (et ajouter un “plus” après “faisait”, pour être plus précis). J’ai corrigé le commentaire original.

          [“s’attaquer à la demande, c’est s’attaquer aux enfants des classes intermédiaires…” Hélas, je crains de ne pas être tout à fait d’accord avec vous sur ce point. De ce que je constate, la consommation de stupéfiants est relativement répandue chez les prolétaires.]

          Oui, parce que l’idéologie dominante est celle des classes dominantes, et que les pratiques de celle-ci s’étendent progressivement dans toute la société. Il n’en reste pas moins que, pour avoir travaillé en usine, je peux témoigner que la consommation chez les ouvriers n’est jamais aussi ouverte et décomplexée que chez les cadres…

          • Goupil dit :

            @Descartes
             
            Désole d’entrer ainsi dans cette conversation dont je ne suis pas l’initiateur mais je souhaiterais appuyer la position de Valentin.
             
            Si j’en crois les chiffres dont je dispose, 42% de la population française aurait déjà essayé le cannabis (et 47% des jeunes entre 15 et 25 ans). 
            En 2021, 67% des jeunes ouvriers (15-25 ans) avaient déjà fumé du cannabis, et 33% en avaient fumé au moins une fois dans l’année précédent l’enquête. En comparaison, c’était le cas respectivement de 39% et 28% des jeunes CPIS (cadres et professions intellectuelles supérieures).
             
            D’après d’autres sources, en 2016, si les enfants de CPIS auraient plus expérimenté l’usage du cannabis, ce sont les enfants des classes populaires qui en auraient les usages les plus fréquents et les plus problématiques. Les enfants des classes supérieures en auraient justement un usage hédoniste et ponctuel, étant plus souvent consommateurs occasionnels : les CPIS sont surreprésentés parmi les consommateurs occasionnels alors que les classes populaires sont surreprésentées parmi les consommateurs réguliers.
             
            De plus, 59% des jeunes ouvriers auraient, en 2021, déjà consommé sur leur lieu de travail , contre seulement 10% des jeunes CPIS. Chez les adultes, en 2014, 15,7% des ouvriers auraient fumé sur leur lieu de travail dans les douze derniers mois avant l’enquête (contre 2,4% des CPIS). La consommation récente de cannabis au moment de l’enquête est corrélée fortement au fait de trouver son travail fatiguant physiquement et d’avoir eu récemment un arrêt maladie lié à ses conditions de travail (11% des consommateurs dans les deux cas, contre respectivement 3% et 5% des non-consommateurs). La pénibilité des conditions de travail, les horaires atypiques et le travail de nuit seraient également favorables à l’usage du cannabis.
             
            Deux secteurs semblent être très touchés : le BTP (33%) et l’hôtellerie-restauration (26%) seraient les plus marqués. Sur le site PréventionBTP, on peut lire que 10% des ouvriers de la construction et 33% des intérimaires “fumeraient du cannabis” – ce qui rejoint des sources personnelles qui me disaient que c’est sur les chantiers que l’on fume le plus.
             
            Tout cela pour dire que j’aurais tendance à penser que vous vous laissez aller à la facilité en décrivant la consommation de drogue parmi les classes populaires comme une simple extension des pratiques des classes dominantes aux classes dominées. D’ailleurs, quel en serait le mécanisme concret ? Vous dites que la consommation est moins ouverte et plus complexée chez les ouvriers, mais, s’il s’agissait simplement de copier une pratique en usage dans les classes dominantes, alors cette pratique s’appuierait sur la recherche d’une distinction et donc devrait être mise en valeur. Qu’elle ne le soit pas, cela prouve que les ouvriers ne cherchent pas à “copier” le comportement des classes dominantes ou à se conformer à leur idéologie, mais au contraire qu’ils cherchent dans l’usage des stupéfiants autre chose que ce qu’y cherchent les classes dominantes – et que l’existence d’un marché des stupéfiants accessible leur donne l’occasion de passer par là.
             
            D’après moi, ces dernières cherchent un usage hédonique, de loisir – ce que tend à prouver le fait que, parmi les classes supérieures, la consommation des femmes augmente régulièrement jusqu’à presque rejoindre celle des hommes, mais que cette même pratique, surtout occasionnelle, diminue après l’entrée sur le marché du travail. Inversement, les ouvriers (si certains, surtout les plus jeunes et les plus désocialisés, peuvent tout à fait chercher à “imiter” les classes dominantes) y cherchent un moyen de “tenir” face à des conditions de travail et une précarité croissantes : dans le BTP, ce sont les intérimaires, aux conditions les plus difficiles, qui consomment le plus, et on constate que l’écart entre femmes et hommes se creusent dans les classes populaires car les jeunes ouvriers consomment de plus en plus quand les jeunes femmes de classe populaire restent globalement peu consommatrices.
             
            Si l’on décentre le regard, on peut voir qu’aux Etats-Unis, la consommation de drogue a augmenté avec la désindustrialisation, touchant d’abord les ghettos noirs des grandes villes avec le crack puis les petites villes désindustrialisées du MidWest avec les opioïdes et les drogues de synthèse.
             
            Prendre la mesure du problème de santé publique que représente la consommation de drogue impose, à mon sens, de ne pas se limiter à une politique répressive (la seule valable si l’on suppose que la consommation de stupéfiants n’est toujours qu’un usage hédoniste) mais de comprendre qu’il est lié à la dégradation des conditions de travail. La première politique de lutte contre la drogue (du moins dans les classes populaires, mais c’est là qu’elle représente une vraie menace pour la santé publique – et sans que cela signifie qu’il faille renoncer à toute politique répressive) devrait être une politique de recréation d’emplois de qualité, stables, bien payés, productifs.

            • Descartes dit :

              @ Goupil

              [Désole d’entrer ainsi dans cette conversation dont je ne suis pas l’initiateur mais je souhaiterais appuyer la position de Valentin.]

              Ne soyez pas désolé. Les échanges sur ce blog sont faits pour que chacun puisse intervenir et porter son point de vue.

              [Si j’en crois les chiffres dont je dispose, 42% de la population française aurait déjà essayé le cannabis (et 47% des jeunes entre 15 et 25 ans).]

              Une remarque générale. On confond dans ce type de chiffres ce que les gens FONT et ce que les gens DISENT FAIRE. Il n’existe aucun moyen objectif de mesurer la consommation des différentes drogues. Toute l’information que nous avons provient de l’interrogation des personnes d’un échantillon. Le problème, c’est que sur des sujets comme celui-ci les gens ne disent pas nécessairement la vérité, et que contrairement aux enquêtes électorales il n’existe pas de moyen fiable de corriger ce biais.

              [En 2021, 67% des jeunes ouvriers (15-25 ans) avaient déjà fumé du cannabis, et 33% en avaient fumé au moins une fois dans l’année précédant l’enquête. En comparaison, c’était le cas respectivement de 39% et 28% des jeunes CPIS (cadres et professions intellectuelles supérieures).]

              De ce chiffre on peut tirer deux conclusions : soit les jeunes ouvriers sont plus nombreux que les CPIS à avoir fumé du cannabis, soit ils sont moins complexés à l’heure de le dire à un enquêteur. Et on n’a aucun moyen de trancher entre les deux options… j’ajoute que dans mon commentaire je pensais moins au cannabis, dont l’usage s’est malheureusement banalisé dans toutes les couches de la société, mais à la cocaïne et autres opiacées.

              [Tout cela pour dire que j’aurais tendance à penser que vous vous laissez aller à la facilité en décrivant la consommation de drogue parmi les classes populaires comme une simple extension des pratiques des classes dominantes aux classes dominées. D’ailleurs, quel en serait le mécanisme concret ?]

              Le mécanisme concret serait celui de la banalisation médiatique de la consommation. Je me souviens du début des années 1980, quand des personnalités du « showbiz » parlaient ouvertement dans les médias de leur consommation comme s’il s’agissait de quelque chose normale et même à promouvoir. Souvenez-vous du « hakik » de Coluche, ou de la chanson de Renaud que j’ai cité par ailleurs. A cette époque-là, si je ne me trompe pas, les couches populaires noyaient leurs peines dans l’alcool plutôt que dans l’herbe.

              [Vous dites que la consommation est moins ouverte et plus complexée chez les ouvriers, mais, s’il s’agissait simplement de copier une pratique en usage dans les classes dominantes, alors cette pratique s’appuierait sur la recherche d’une distinction et donc devrait être mise en valeur.]

              Ce qui expliquerait pourquoi dans votre enquête il ressort que les jeunes ouvriers consomment plus souvent que ceux des CPIS 😉… plus sérieusement, je pensais plutôt aux générations plus anciennes.

              [D’après moi, ces dernières cherchent un usage hédonique, de loisir – ce que tend à prouver le fait que, parmi les classes supérieures, la consommation des femmes augmente régulièrement jusqu’à presque rejoindre celle des hommes, mais que cette même pratique, surtout occasionnelle, diminue après l’entrée sur le marché du travail. Inversement, les ouvriers (si certains, surtout les plus jeunes et les plus désocialisés, peuvent tout à fait chercher à “imiter” les classes dominantes) y cherchent un moyen de “tenir” face à des conditions de travail et une précarité croissantes : dans le BTP, ce sont les intérimaires, aux conditions les plus difficiles, qui consomment le plus, et on constate que l’écart entre femmes et hommes se creusent dans les classes populaires car les jeunes ouvriers consomment de plus en plus quand les jeunes femmes de classe populaire restent globalement peu consommatrices.]

              Comme je vous l’ai indiqué, je pensais non pas tant au cannabis, dont la consommation est aujourd’hui très largement banalisée, qu’à la cocaïne dont l’usage s’étend de plus en plus. Je vous accorde que le cannabis est devenu d’une certaine manière un substitut à l’alcool dans l’abrutissement des classes exploitées…

              [Prendre la mesure du problème de santé publique que représente la consommation de drogue impose, à mon sens, de ne pas se limiter à une politique répressive (la seule valable si l’on suppose que la consommation de stupéfiants n’est toujours qu’un usage hédoniste) mais de comprendre qu’il est lié à la dégradation des conditions de travail. La première politique de lutte contre la drogue (du moins dans les classes populaires, mais c’est là qu’elle représente une vraie menace pour la santé publique – et sans que cela signifie qu’il faille renoncer à toute politique répressive) devrait être une politique de recréation d’emplois de qualité, stables, bien payés, productifs.]

              Je partage en partie votre commentaire. Oui, le recours aux paradis artificiels est d’autant plus attractif que la réalité est dure, que l’environnement est menaçant, qu’on se trouve seul pour faire face aux coups durs. La qualité de l’emploi, de l’environnement, du lien social est certainement le moyen le plus efficace de combattre globalement le phénomène et de ramener la politique répressive à sa logique première, celle de la dissuasion. Malheureusement, la dégradation des conditions de vie – surtout celle des couches populaires – est inscrite dans l’évolution actuelle du capitalisme, et je ne vois pas qu’on soit à l’aube d’un changement de cap…

            • tmn dit :

              @ Descartes et Goupil
               
              [ il n’y a pas UNE gauche mais DES gauches.]
               Mais la “gauche d’ordre” dont vous parlez existe-t’elle encore vraiment ? Son électorat est parti au RN, ses représentants, en considérant que le PCF en fait partie, font des scores minuscules… La gauche “libertaire” n’aurait elle pas gagné la partie ?
               
              [ Seulement voilà, un 7 janvier ce n’est pas le « beauf » qui a mis fin à la vie de Cabu, c’est une forme de Duduche usant de sa liberté de dire « merde » à la société. ]
               
              Je ne suis pas certain de bien comprendre… les frères Kouachi seraient une forme de Duduche ?! ça parait un peu tiré par les cheveux !!

              [ ou bien du Renaud qui chantait « et la môme du huitième, le hash elle aime » ]
               
              Bon sang j’ai entendu cette chanson des dizaines de fois, je n’avais jamais compris le jeu de mots… On apprend vraiment des choses de toutes sortes sur ce blog !!
               
              [ Et il ne faut pas se voiler la face : pour en finir avec les « points de deal », c’est à la demande qu’il faut s’attaquer. Mais s’attaquer à la demande, c’est s’attaquer aux enfants des classes intermédiaires… ]
              Je pense tout de même que le vent tourne… Même sur France inter on s’alarme du trafic de drogues, et on fait le lien avec la consommation.
               
              Je trouve très intéressants vos chiffres Goupil sur la consommation, et aussi votre remarque sur la différence dans la façon de consommer certaines drogues : usage hédoniste (j’ajouterai = et donc maitrisé, et sans trop de conséqueneces sociales) chez les éduqués, usage “pour tenir voire s’abrutir” chez les autres. Il y a quelques années on disait que l’économie de la drogue faisait “tenir” financièrement des pans entiers de la société ; je pense que ça fait surtout “tenir” moralement pas mal de gens, et c’est aussi triste qu’inquiétant.

            • Descartes dit :

              @ tmn

              [« il n’y a pas UNE gauche mais DES gauches. » Mais la “gauche d’ordre” dont vous parlez existe-t’elle encore vraiment ? Son électorat est parti au RN, ses représentants, en considérant que le PCF en fait partie, font des scores minuscules… La gauche “libertaire” n’aurait-elle pas gagné la partie ?]

              Certainement. La « gauche d’ordre » existe, mais elle est désespérément minoritaire. La « gauche de désordre » est non seulement dominante numériquement, mais ce qui est pire, a conquis l’hégémonie idéologique. Parce que la gauche aujourd’hui est dominée par les classes intermédiaires, et que les classes intermédiaires sont très perméables à l’idéologie « libérale-libertaire » puisque celle-ci sert leurs intérêts. La demande d’ordre – et cela ne date pas d’hier – est très liée à des positions de classe. Bourgeois et prolétaires y sont attachés pour des raisons très différentes. Les uns ont besoin d’ordre pour faire fructifier leur capital, les autres sont les premières victimes du désordre, n’ayant que peu de ressources pour y faire face. Les classes intermédiaires, elles, n’ont pas de capital à perdre et ont les moyens…

              [« Seulement voilà, un 7 janvier ce n’est pas le « beauf » qui a mis fin à la vie de Cabu, c’est une forme de Duduche usant de sa liberté de dire « merde » à la société. » Je ne suis pas certain de bien comprendre… les frères Kouachi seraient une forme de Duduche ?! ça parait un peu tiré par les cheveux !!]

              Pas du tout, justement. Entre le militant écologiste qui trouve parfaitement normal de détruire les cultures OGM au motif que la violence est légitime pour faire avancer ma vision du monde, et le militant islamiste qui tue une rédaction au motif que la violence est légitime pour faire avancer la sienne, il n’y a pas une grande différence, si ce n’est dans le niveau de violence employé.

              [« ou bien du Renaud qui chantait « et la môme du huitième, le hash elle aime » Bon sang j’ai entendu cette chanson des dizaines de fois, je n’avais jamais compris le jeu de mots… On apprend vraiment des choses de toutes sortes sur ce blog !!]

              N’est-ce pas ? Et ce n’est pas la seule référence, même si elle est particulièrement amusante…

              [« Et il ne faut pas se voiler la face : pour en finir avec les « points de deal », c’est à la demande qu’il faut s’attaquer. Mais s’attaquer à la demande, c’est s’attaquer aux enfants des classes intermédiaires… » Je pense tout de même que le vent tourne… Même sur France inter on s’alarme du trafic de drogues, et on fait le lien avec la consommation.]

              Pas assez, à mon sens. Il faut le dire clairement et sans ambigüité : ceux qui achètent alimentent un trafic sanglant. Aujourd’hui, c’est sur l’Etat qu’on fait retomber la faute, avec le discours de la dépénalisation.

              [Je trouve très intéressants vos chiffres Goupil sur la consommation, et aussi votre remarque sur la différence dans la façon de consommer certaines drogues : usage hédoniste (j’ajouterai = et donc maitrisé, et sans trop de conséquences sociales) chez les éduqués, usage “pour tenir voire s’abrutir” chez les autres.]

              Pardon, mais que l’usage soit « hédoniste » ou « abrutissant », pour le dealer cela ne change rien. C’est pourquoi je trouve l’idée que cela « n’a pas trop de conséquences sociales » dans le premier cas un peu rapide…

              [Il y a quelques années on disait que l’économie de la drogue faisait “tenir” financièrement des pans entiers de la société ; je pense que ça fait surtout “tenir” moralement pas mal de gens, et c’est aussi triste qu’inquiétant.]

              Je ne fais pas la même analyse. Là où vous parlez de « tenir », je lis « empêche de penser ». Parce que l’abrutissement dont parle Goupil n’est pas perdu pour tout le monde, et que cela permet de faire accepter des injustices et des abus qui, autrement, provoqueraient des révoltes et peut-être même des révolutions. Dans le passé, l’alcool avait servi déjà comme exutoire…

        • Velgastriel dit :

          J’aurais du préciser néanmoins que cette consommation concerne essentiellement le cannabis (que certains produisent eux-mêmes ou se procurent auprès de ces producteurs amateurs) et le shit ; l’usage de produits plus spécifiques (champignons, lsd…) peut se retrouver dans une minorité de ce que je qualifierait “d’anarcos-teufeurs”, pour caricaturer.

      • Jordi dit :

        Ce petit cours d’histoire est très amusant, mais vous nous avez habitué à mieux. Par exemple, en décrivant une pièce, il est usuel mentionner l’éléphant qui se trouve au milieu.
         
        Nous sommes en 2025, et en 2025 il y a une troisème approche majoritaire à gauche. Celle qu’on appelera la gauche ethnique. Qui estime que le deal permet à des “jeunes issu.e.s de la diversité” de gagner de l’argent, que les violences de rues permettent à des jeunes racisés de s’approprier l’espace public face aux vilains blancs qui votent RN, que les incivilités permettent de garder les  prix de l’imobilier périurbain abordables pour les populations qui y sont bienvenues, et que par contre la violence routière ou intrafamilale doit permettre de recréer une certaine diversité pami la population carcérale. Le raisonement n’est ni “ouvrier” ni “libertaire”, il est tribal.
         
        Et c’est cette gauche qui donne le la actuellement.

        • Descartes dit :

          @ Jordi

          [Nous sommes en 2025, et en 2025 il y a une troisème approche majoritaire à gauche. Celle qu’on appellera la gauche ethnique. Qui estime que le deal permet à des “jeunes issu.e.s de la diversité” de gagner de l’argent, que les violences de rues permettent à des jeunes racisés de s’approprier l’espace public face aux vilains blancs qui votent RN, que les incivilités permettent de garder les prix de l’immobilier périurbain abordables pour les populations qui y sont bienvenues, et que par contre la violence routière ou intrafamiliale doit permettre de recréer une certaine diversité pami la population carcérale.]

          Finalement, votre « éléphant au milieu de la pièce » n’est qu’un fantasme. Est-ce que vous pourriez me citer un texte issu d’une quelconque organisation de la gauche qui soutiendrait formellement ces points de vue ? Non ? Alors, sur quoi vous fondez vous pour affirmer non seulement que cette idéologie existe, mais qu’en plus elle serait aujourd’hui dominante à gauche ?

          • Glarrious dit :

            Je pense que @Jordi fait référence au rapport TerraNova de 2011.

            • Descartes dit :

              @ Glarrious

              [Je pense que @Jordi fait référence au rapport TerraNova de 2011.]

              J’avoue que je ne vois pas le rapport. Voici ce qu’écrivait Jordi: “Il y a une troisème approche majoritaire à gauche. Celle qu’on appellera la gauche ethnique. Qui estime que le deal permet à des “jeunes issu.e.s de la diversité” de gagner de l’argent, que les violences de rues permettent à des jeunes racisés de s’approprier l’espace public face aux vilains blancs qui votent RN, que les incivilités permettent de garder les prix de l’immobilier périurbain abordables pour les populations qui y sont bienvenues, et que par contre la violence routière ou intrafamiliale doit permettre de recréer une certaine diversité pami la population carcérale.”

              J’ai relu le rapport de Terra Nova: nulle part on ne retrouve rien qui puisse ressembler à ce commentaire. Le rapport en question est un rapport sur la stratégie électorale, et ne regarde guère des questions de fond. Les seules références ethniques qui y figurent sont relatives aux comportements électoraux, et nullement aux questions économiques, sociales ou autres…

        • Jordi dit :

          Voici une source au UK, où le Sentencing Council (équivalent local d’une “haute autorité”) a clairement écrit le souhait de ne pas réprimer judiciairement les personnes issues de minoritésC’est écrit, c’est officiel, et c’est le résultat du zeitgeist d’une partie  de la gauche suffisamment importante pour en faire une recommandation politique d’une autorité officielle
           
          https://www.bbc.com/news/articles/cn8vjd3n3dzo
           
          En France, on peut considérer que la Manche infranchissable nous sépare, y compris en termes de références politiques, des barbares granbreteons. On peut aussi observer que la recommandation du sentencing Office est une mise à jour ethnique de la harangue de Baudot, texte fondateur d’un syndicat de magistrats très influents.
          Un “profilage” des actions de maintien de la loi existe aussi à la RATP :
          https://www.lejdd.fr/Societe/on-cible-ceux-qui-peuvent-payer-tout-de-suite-comment-la-ratp-incite-ses-controleurs-a-verbaliser-158205
           
          Par ailleurs, l’écart de traitement entre des gilets jaunes matés à coup de flashballs et de blindés, et de l’autre des gangs de pillards opérant en toute impunité dans Paris  est visible pour le plupart des observateurs. On observe LFI qui dans autour des la question du maintien de l’ordre en évoquant en sous-main des question ethniques sous couvert d’anti-racisme :

          Retailleau Face à LFI : Polémique Après la Victoire du PSG


          Et les tribunes sur les “violences policières” cosignées à gauche me paraissent avoir un caractère ethnique évident
          https://reporterre.net/Assa-Traore-Face-aux-violences-policieres-la-France-doit-se-lever-et-dire-non
           
          Aux US, c’est assumé encore plus. Que ce soit de façon quotidienne :
          https://thepostmillennial.com/san-francisco-bicycle-coalitions-tells-members-not-to-report-stolen-bikes-because-it-hurts-black-and-brown-people
           
          Ou universitaire
           
          https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0263775819843924
           
          Après, vous pouvez aussi continuer à refuser  de voir cet esprit chez LFI

          • Descartes dit :

            @ Jordi

            [Voici une source au UK, où le Sentencing Council (équivalent local d’une “haute autorité”) a clairement écrit le souhait de ne pas réprimer judiciairement les personnes issues de minorités]

            La référence que vous citez ne dit absolument pas ce que vous lui faites dire. Le Sentencing Council, qui n’est pas une « haute autorité » – ses décisions n’ont pas de caractère impératif et ne sont que des avis – mais plutôt un organisme d’expertise produisant des « guides » à destination des juges, se contente de dire qu’il faut que le juge investigue en profondeur le contexte de l’accusé lorsque celui-ci est membre d’une « minorité ». Le guide a d’ailleurs été attaqué non parce qu’il écrit « le souhait de ne pas réprimer », mais parce qu’il viole le principe d’égalité, puisqu’on ne voit pas pourquoi le « contexte » serait à examiner pour les personnes issues de minorités et pas pour les autres.

            [En France, on peut considérer que la Manche infranchissable nous sépare, y compris en termes de références politiques, des barbares granbreteons. On peut aussi observer que la recommandation du sentencing Office est une mise à jour ethnique de la harangue de Baudot, texte fondateur d’un syndicat de magistrats très influents.]

            Il faudrait surtout lire avec attention les articles avant d’en tirer des conclusions…

            [Un “profilage” des actions de maintien de la loi existe aussi à la RATP : (…)]

            L’article que vous citez étant réservés aux abonnés, je n’ai pas pu le lire dans son intégralité. Je ne peux donc pas répondre à votre commentaire.

            [Par ailleurs, l’écart de traitement entre des gilets jaunes matés à coup de flashballs et de blindés, et de l’autre des gangs de pillards opérant en toute impunité dans Paris est visible pour le plupart des observateurs.]

            Je ne sais pas de quels « observateurs » vous voulez parler. L’écart de traitement est assez logique : je ne me souviens pas qu’il y ait eu chez les « barbares » de dimanche dernier des appels à marcher sur l’Elysée ou qu’il y ait eu des tentatives de casser la porte d’un ministère. Que l’Etat réagisse différemment lorsqu’il s’agit de protéger les institutions publiques et les boutiques de fringues, cela peut se comprendre.

            [On observe LFI qui dans autour des la question du maintien de l’ordre en évoquant en sous-main des question ethniques sous couvert d’anti-racisme :]

            Et alors ? Je vous rappelle votre commentaire, qui a donné lieu à cet échange. Vous parliez d’une gauche : « Qui estime que le deal permet à des “jeunes issu.e.s de la diversité” de gagner de l’argent, que les violences de rues permettent à des jeunes racisés de s’approprier l’espace public face aux vilains blancs qui votent RN, que les incivilités permettent de garder les prix de l’immobilier périurbain abordables pour les populations qui y sont bienvenues, et que par contre la violence routière ou intrafamilale doit permettre de recréer une certaine diversité pami la population carcérale. », et affirmiez que c’est cette gauche qui « donne le la ». J’ai du mal à voir en quoi la polémique entre Retailleau et LFI a un rapport avec cette affirmation.

            Franchement, la bisbille entre Retailleau et LFI est vieille comme le gauchisme français. Vous pouvez trouver la même chose à chaque fois depuis 1968 – au moins !. La dénonciation des « violences policières » d’un côté, des « barbares » de l’autre ne sont en rien une nouveauté. Et d’ailleurs, tout le monde y gagne : pour Retailleau, être voué aux gémonies par LFI est une bonne affaire vis-à-vis de ses électeurs, pour LFI aussi. Et tout le monde est content.

            [Et les tribunes sur les “violences policières” cosignées à gauche me paraissent avoir un caractère ethnique évident (…)]

            Le texte que vous citez n’est pas une « tribune » mais un entretien. Mais passons : il y a des tribunes sur les « violences policières » cosignées à gauche qui ont un « caractère ethnique évident », et d’autres pas. Mais je reviens à votre commentaire que j’ai rappelé plus haut : dans quelle tribune avez-vous lu quelque chose qui s’y rapporte ?

            [Après, vous pouvez aussi continuer à refuser de voir cet esprit chez LFI]

            Si vous me dites que le discours de LFI reprend le discours “ethiciste” venu des Etats-Unis, je serai d’accord avec vous. Mais votre commentaire, comme je l’ai rappélé plus haut, dit bien plus que cela…

  8. Lingons dit :

    “Trump ou Bukele ne sont pas des phénomènes isolés, mais une réponse à la logique d’impuissance de l’Etat voulue par la révolution néolibérale”
    Encore une fois, je constate que vous voyez dans certaines situations politiques ce que vous avez envie de voir, ici Trump et Bukele comme des champions de l’État puissant contre les néolibéraux pourfendeurs du service public, et franchement cela prête à sourire.
    Premièrement, votre parallèle entre leurs élections et celle de Hitler sous la République de Weimar n’a pas de sens. En quoi les USA de 2024 sont ils un État faible “incapable de faire régner l’ordre intérieur”? Trump, c’est justement fait réélire avec un discours anti Étatique appelant à réduire l’action de l’État, notamment dans la régulation économique, avec juste un focus sur le maintien de l’ordre, soit la ligne exacte des néolibéraux que vous conchiez plus haut…    
    Deuxièmement, vous croyez vraiment au petit story telling du communicant Bukele, qui prétend avoir fait baisser le nombre d’homicides ? Le nombre de meurtres (enfin de corps découverts 😉 ) est en baisse drastique au Salvador depuis 2016, soit 3 ans avant l’élection de Bukele. De plus Bukele dit avoir brisé les Maras en brandissant une seule stat, celui du nombre d’homicides, dès qu’on demande des chiffres sur les autres activités criminelles du pays comme l’extorsion (activité principale des maras), ou les disparitions, là silence radio de la part du gouvernement salvadorien…étrange non ? Bukele fait ce que plusieurs dirigeants Salvadoriens ont fait avant lui, c’est-à-dire un accord avec les gangs, qui, en échange d’une relative tranquillité, ne laisse plus les cadavres dans les rues (on note d’ailleurs de plus en plus de découvertes de charniers au Salavador) , ce qui permet au président de faire le beau avec ses coups de menton en avant, comme le bon communicant qu’il est. Enfin, si vous vous intéressez un peu à son programme économique, vous noterez qu’il est dans la droite ligne de l’école de Chicago, mais bon, je suppose que ceux qui oseront critiquer son action ne sont que des infâmes libéraux bien pensant antiétat… sans doute issus des “classes intermédiaires”.
    Comme quoi, il suffit qu’un néolibéral choisisse les bons éléments de langage pour qu’il passe pour un Étatiste Hobbsien à vos yeux…    
      

    • Descartes dit :

      @ lingons

      [« Trump ou Bukele ne sont pas des phénomènes isolés, mais une réponse à la logique d’impuissance de l’Etat voulue par la révolution néolibérale » Encore une fois, je constate que vous voyez dans certaines situations politiques ce que vous avez envie de voir, ici Trump et Bukele comme des champions de l’État puissant contre les néolibéraux pourfendeurs du service public, et franchement cela prête à sourire.]

      Je pourrais vous retourner le compliment en toute amitié, en remarquant que vous trouvez dans mon texte ce que vous voulez y trouver, et pas ce que j’ai écrit. Où ais-je dit que Trump ou Bukele étaient « des champions de l’Etat puissant contre les libéraux pourfendeurs du service public » ?

      Ce que j’ai écrit est bien plus modéré. Mon point, c’est que l’élection d’un Trump ou d’un Bukele – mais je pourrais ajouter d’autres – est une REACTION à l’impuissance de l’Etat, impuissance que les néolibéraux ont soigneusement exécutée. Autrement dit, les électeurs sont fatigués de vivre dans des pays ou la classe politique affiche son impuissance – dans les faits et quelquefois même dans les discours. Et que cette frustration pave le chemin de ceux qui affirment au contraire qu’on peut faire des choses, que les barrières de toutes sortes que les autres invoquent pour leur défense ne sont en fait que des obstacles mineurs. C’est d’ailleurs pourquoi je souligne le succès d’un slogan comme le « Yes we can » d’un Obama qui, à sa façon, était aussi un « populiste ».

      Après, on peut discuter longuement pour savoir si Trump ou Bukele veulent un Etat fort ou pas. Il y a là une grande ambiguïté : alors qu’ils sont proches d’une logique libertaire, leur capacité à prendre les mesures « radicales » qui font leur succès est conditionné par la disponibilité d’un instrument institutionnel capable de les traduire en actes. S’il n’y avait pas un puissant service des douanes aux Etats-Unis, l’imposition de tarifs douaniers serait une plaisanterie.

      C’est d’ailleurs là un paradoxe intéressant, qui est flagrant dans le cas d’un autre “populiste”, je veux parler de Javier Milei, en Argentine. Il arrive au pouvoir avec un discours ultra-libéral assumé… mais en même temps, il arrive au pouvoir dans un Etat inexistant: des entreprises publiques devenues des prébendes politiques confiées à des véritables bandes qui les font fonctionner à leur bénéfice, une fonction publique pléthorique formée en grande partie d’employés “fantômes” recrutés par clientélisme politique et qui ne font que toucher un salaire, une corruption massive à tous les niveaux. Dans ces conditions, la politique proposée par Milei (assainissement de la fonction publique, privatisation des services sous contrôle, fin de la corruption) aboutirait – à supposer qu’elle fut appliquée – à renforcer l’Etat, et non à l’affaiblir…

      [Premièrement, votre parallèle entre leurs élections et celle de Hitler sous la République de Weimar n’a pas de sens. En quoi les USA de 2024 sont ils un État faible “incapable de faire régner l’ordre intérieur”?]

      Il y a en tout cas, du moins si je crois ce que je lis et ce que me disent des amis qui vivent aux Etats-Unis, une véritable angoisse dans la société devant ce qui est vu comme un dérapage en matière d’ordre public. Entre les émeutes raciales, la multiplication des zones de non-droit, la crise des opiacées, les désordres dans l’éducation, et une dégradation consistante des infrastructures, il y a chez les Américains une nette impression que l’ordre n’est plus assuré.

      [Trump, c’est justement fait réélire avec un discours anti Étatique appelant à réduire l’action de l’État, notamment dans la régulation économique, avec juste un focus sur le maintien de l’ordre, soit la ligne exacte des néolibéraux que vous conchiez plus haut…]

      Ah bon ? Pour vous l’imposition de tarifs douaniers c’est « réduire l’action de l’Etat » ? Expulser les immigrés illégaux c’est « réduire l’action de l’Etat » ? Pensez-vous que dans ces deux propositions les « néolibéraux » – qui sont favorables, je vous le rappelle, à la libre concurrence que ce soit sur le marché du travail ou celui des biens et services – seront alignés avec lui ? Non, il y a là l’ambigüité dont je parlais plus haut.

      [Deuxièmement, vous croyez vraiment au petit story telling du communicant Bukele, qui prétend avoir fait baisser le nombre d’homicides ? Le nombre de meurtres (enfin de corps découverts 😉 ) est en baisse drastique au Salvador depuis 2016, soit 3 ans avant l’élection de Bukele.]

      J’aimerais savoir d’où vous tirez vos chiffres. Mais la question n’est pas tant de savoir ce que moi je crois, mais ce que les Salvadoriens croient. Pourquoi, si comme vous le dites la criminalité était en « baisse drastique » depuis 2016, les gens ont voté pour Bukele ? Si les gouvernements antérieurs donnaient satisfaction, pourquoi voter pour un extrémiste inexpérimenté ? Et pourquoi le réélire ensuite, s’il n’a finalement rien changé ? Je veux bien croire que le « story telling » puisse avoir une certaine influence… mais le « story telling » est à la portée de tous. Pourquoi, à votre avis, les Salvadoriens ont cru au « story telling » de Bukele et pas à celui de ses adversaires ?

      [De plus Bukele dit avoir brisé les Maras en brandissant une seule stat, celui du nombre d’homicides, dès qu’on demande des chiffres sur les autres activités criminelles du pays comme l’extorsion (activité principale des maras), ou les disparitions, là silence radio de la part du gouvernement salvadorien…étrange non ? Bukele fait ce que plusieurs dirigeants Salvadoriens ont fait avant lui, c’est-à-dire un accord avec les gangs, qui, en échange d’une relative tranquillité, ne laisse plus les cadavres dans les rues]

      Mais si Bukele ne fait « que ce qu’on fait plusieurs dirigeants salvadoriens avant lui », comment a-t-il réussi à les battre et à se faire réélire ? Au-delà des chiffres que le gouvernement donne ou pas, il y a la perception des citoyens qui vivent dans le pays. Pourquoi perçoivent-ils massivement son action comme étant beaucoup plus efficace que celle de ses prédécesseurs qui, selon vous, ont fait « la même chose » ?

      [Enfin, si vous vous intéressez un peu à son programme économique, vous noterez qu’il est dans la droite ligne de l’école de Chicago, mais bon, je suppose que ceux qui oseront critiquer son action ne sont que des infâmes libéraux bien pensant antiétat…]

      Je ne sais pas. Mais il est clair qu’en matière d’ordre public, qui est pour les salvadoriens la priorité des priorités, il ne tient pas un discours d’affaiblissement ou d’impuissance. Et c’état là mon point.

      [Comme quoi, il suffit qu’un néolibéral choisisse les bons éléments de langage pour qu’il passe pour un Étatiste Hobbsien à vos yeux…]

      Ce qui m’intéresse ce n’est pas tant les gens qui choisissent les éléments de langage, mais les gens qui votent pour eux. Il est flagrant de constater qu’il y a vingt ou trente ans on se faisait élire en choisissant des éléments de langage libéraux, et qu’aujourd’hui ceux qui caracolent en tête sont ceux qui choisissent plutôt des éléments de langage « étatistes hobbesiens ». Pourquoi ce changement ? Qu’est-ce qui fait que des gens qui autrefois votaient des candidats « raisonnables » donnent aujourd’hui leur suffrage aux « populistes » ? C’est une constatation qui ouvre un champ considérable, parce qu’on peut choisir ses éléments de langage librement, mais une fois qu’on s’est fait élire on est jusqu’à un certain point otage de ces choix, parce que les gens qui vous élisent ne vous pardonneront pas de les avoir trahis. Bukele ou Trump n’ont pas seulement été élus – ce qui à la rigueur peut être attribué comme vous le faites au « bon choix » des éléments de langage – mais ont été réélus, par des gens qui étaient donc en conditions de juger de leur action au pouvoir. C’est, là encore, quelque chose qui mérite d’être pris en compte…

  9. Didier Bous dit :

    Je ne comprends pas quelque chose. Vous nous dites dans certains textes que les élites imposent leur vision du monde et dans d’autres, que le peuple français va finir par voter contre ses élites. N’est ce pas contradictoire?

    • Descartes dit :

      @ Didier Bous

      [Je ne comprends pas quelque chose. Vous nous dites dans certains textes que les élites imposent leur vision du monde et dans d’autres, que le peuple français va finir par voter contre ses élites. N’est ce pas contradictoire?]

      Non. L’idéologie dominante est l’idéologie produite par les classes dominantes. Mais la domination en question n’est pas une domination absolue. De la même façon que la dialectique de la lutte des classes fait que les classes dominantes sont obligées quelquefois de céder devant les revendications des classes exploitées, l’idéologie dominante laisse une place à d’autres prismes idéologiques, prismes qui peuvent même devenir quelquefois hégémoniques, comme le décrit Gramsci.

  10. P2R dit :

    @ Descartes
     
    [Le droit est alors conçu non pas comme un corpus de règles auxquelles les citoyens sont astreints, mais comme l’instrument pour limiter et contraindre l’action de l’Etat pour l’empêcher de piétiner les libertés et les droits des gens.
    Mais cette définition négative épuise-t-elle le sujet ? Pour illustrer, prenons un exemple dans notre vie quotidienne. Un point de deal est installé en bas de votre immeuble (…) Quand vous vivez cette situation quotidiennement, mois après mois, année après année, sans que l’Etat ne fasse rien pour la faire cesser, vivez-vous encore sous un « Etat de droit » ? Oui, nous dirait Spinosi. Non, vous diront la plupart des gens.]
     
    C’est que voyez-vous, les défenseurs de l’Etat de Droit se divisent entre ceux qui n’ont pas (et ne risquent pas ) d’avoir de point de deal en bas de leur immeuble ainsi que ceux dont les causes ou activités prolifèrent du fait de cet “Etat de Droit” (et je ne pense pas qu’aux mafieux: régionalistes, intègristes, militants de tous poils, zadistes, etc). Peut-être ne représentent-ils pas “la plupart des gens”, mais un part significative de la population, très certainement.
     
    [C’est cette question que les défenseurs bienpensants de l’Etat de droit ne se posent jamais.]
     
    Est-ce vraiment un impensé ? Pour les “défenseurs bienpensants de l’Etat de droit”, la portion du peuple qui subit et se plaint de l’insécurité physique et culturelle est tout simplement nuisible. Pensez-vous: elle est prête à voter pour abolir les privilèges de la classe dominante et du lumpen qui vit dans son sillage !
     
    [Les ennuis commencent lorsque les citoyens perçoivent les limites fixées à son action comme empêchant l’Etat de remplir le « pacte hobbesien » qui fonde sa légitimité. (…) Et ils peuvent arriver à la conclusion qu’il est préférable de prendre le risque d’un Etat moins limité plutôt que d’accepter un retour à « la guerre de tous contre tous », quitte à s’asseoir sur un certain nombre de règles et principes de droit.]
     
    D’où la tendance des classes dominantes à sacraliser le droit, à prendre toutes les mesures possibles pour le rendre inaltérable (en le soumettant à des règles supranationales par la hiérarchie des normes, en intégrant des éléments politiques à la constitution, judiciarisation le débat public..) de manière à ce que même en cas d’arrivée d’un populiste au pouvoir, celui-ci soit “empêché”.
     
    Je vous conseille la lecture de cet entretien de Wauquiez sur Le Figaro, très lucide sur la question, et qui évoque une stratégie pour desserrer le carcan législatif que vous aviez, il me semble, déjà proposée sur ce blog. 
    https://www.lefigaro.fr/vox/societe/laurent-wauquiez-face-a-mathieu-bock-cote-l-etat-de-droit-contre-la-democratie-20250517
     
    [Spinosi, comme beaucoup de commentateurs, ne voit qu’un volet dans l’Etat de droit, celui qui concerne la limitation par le droit de la puissance de l’Etat lui-même. Mais il y a à mon sens un volet tout aussi important, qui est la capacité de l’Etat à limiter la toute-puissance des citoyens individuels. ]
     
    C’est grosso modo la différence entre démocrates et républicains qui s’affiche dans ces deux visions antagonistes du rôle du Droit. Les uns plaçant la défense des droits individuels au sommet de leurs préoccupations, les autres le “bien commun”. 
     
    [Nous voulons tous que la justice protège l’innocent. Mais nous voulons aussi qu’elle punisse les coupables. Lorsque la procédure pénale est si protectrice qu’elle permet aux coupables de parader dans la rue, obligeant les honnêtes gens à baisser la tête, les gens finissent par exiger que la justice passe par d’autres canaux. Et c’est alors que les populistes entrent en scène.]
     
    Au-delà de la protection de l’innocent et de la condamnation du coupable, il semble que la majorité des citoyens tient avant tout à ce qu’aucun “innocent” ne fasse l’objet d’une bavure. On retrouve un point dont nous avions déjà débattu, qui me semble important, à savoir que notre société veut surtout éviter tout  “dommages collatéraux” (que provoque inévitablement une politique volontariste). Comme s’il était préférable de prendre la balle perdue d’un dealer que d’un policier…  Pourquoi la deuxième option est-elle moralement insupportable pour la bienpensance alors qu’elle s’accomode fort bien du premier cas de figure ?

    [Ceux qui veulent combattre le populisme feraient bien de se rappeler que c’est la vision matérialiste qui, à la fin, s’impose.]
     
    Encore faudrait-il que “ceux qui veulent combattre le populisme” souhaitent combattre une idée, et pas un peuple. Mais aujourd’hui, est-ce le cas ? Bien sûr que non. L’idéologie qui déploie tant d’énergie à caricaturer la majorité populaire comme d’affreux réacs incultes et xénophobes, colonialistes blancs hétéros oppresseurs adeptes de la culture du viol n’a pas pour but de combattre le populisme, mais de disqualifier moralement le peuple. Plus besoin de “combattre le populisme” quand grâce à l’argument moral, on peut simplement décider d’annuler les élections que les mauvais électeurs remportent, ou de rendre inéligible leur candidat(e).
     

    • Descartes dit :

      @ P2R

      [C’est que voyez-vous, les défenseurs de l’Etat de Droit se divisent entre ceux qui n’ont pas (et ne risquent pas ) d’avoir de point de deal en bas de leur immeuble ainsi que ceux dont les causes ou activités prolifèrent du fait de cet “Etat de Droit” (et je ne pense pas qu’aux mafieux: régionalistes, intègristes, militants de tous poils, zadistes, etc). Peut-être ne représentent-ils pas “la plupart des gens”, mais un part significative de la population, très certainement.]

      Il est clair que la lourdeur proliférante de « l’Etat de droit » crée toutes sortes de « niches ». Il y a des « niches » politiques, et il est clair que dans un Etat plus agile zadistes, régionalistes et autres partisans du retour à la lampe à huile n’auraient pas une telle liberté d’action. Il y a aussi un aspect économique, magnifiquement illustré par la prolifération des professions juridiques. Il y a quelques années, on riait du pouvoir des avocats dans les pays anglosaxons. On prend le même chemin…

      [« C’est cette question que les défenseurs bienpensants de l’Etat de droit ne se posent jamais. »
      Est-ce vraiment un impensé ?]

      Je le crois. On revient sur la question du machiavélisme. Penser cette question vous oblige à assumer la responsabilité des conséquences. Mieux vaut ne pas se poser des questions, et continuer à vivre persuadé que ce que vous ne faites de mal à personne.

      [D’où la tendance des classes dominantes à sacraliser le droit, à prendre toutes les mesures possibles pour le rendre inaltérable (en le soumettant à des règles supranationales par la hiérarchie des normes, en intégrant des éléments politiques à la constitution, judiciarisation le débat public..) de manière à ce que même en cas d’arrivée d’un populiste au pouvoir, celui-ci soit “empêché”.]

      Tout à fait. Marx notait déjà la tendance des classes dominantes à « naturaliser » leur domination, à considérer que les règles qui fondaient leur ordre étaient « naturelles » et comme telles inaltérables. Ce n’est pas par hasard si la France s’inscrit traditionnellement depuis la Révolution dans le positivisme juridique, alors que le jusnaturalisme est puissant chez nos voisins, qui n’ont pas connu ce bouleversement…

      [Je vous conseille la lecture de cet entretien de Wauquiez sur Le Figaro, très lucide sur la question, et qui évoque une stratégie pour desserrer le carcan législatif que vous aviez, il me semble, déjà proposée sur ce blog.]

      Il est réservé aux abonnés, et je ne peux donc pas le lire. Mais je doute fort qu’on puisse être d’accord sur la stratégie à suivre, et cela pour une simple raison : pour moi, il s’agit surtout de permettre à l’Etat d’agir, pour Wauquiez, je suspecte, il s’agit surtout de réduire les contraintes sur les particuliers et surtout sur les entreprises… Mais on peut toujours être supris !

      [Au-delà de la protection de l’innocent et de la condamnation du coupable, il semble que la majorité des citoyens tient avant tout à ce qu’aucun “innocent” ne fasse l’objet d’une bavure. On retrouve un point dont nous avions déjà débattu, qui me semble important, à savoir que notre société veut surtout éviter tout “dommages collatéraux” (que provoque inévitablement une politique volontariste). Comme s’il était préférable de prendre la balle perdue d’un dealer que d’un policier…]

      C’est je pense une variation d’une problématique beaucoup plus générale, qui est celle de l’aversion au risque. On a beau répéter que « le risque zéro » n’existe pas, au fond il reste la croyance que cet objectif est possible. Nous ne sommes pas capables d’examiner rationnellement la balance entre le risque associé à une pratique et l’avantage que celle-ci procure. Non, il faut à tout prix réduire le risque, même si cela nous prive d’une activité utile, même si cela coûte des milliards pour un bénéfice quasi-inexistant.

      Envoyer un policier armé intervenir dans une bagarre ou contrôler une voiture implique un risque. Un risque pour lui, sans doute, mais aussi le risque qu’il fasse une erreur et que, en toute bonne foi, il utilise son arme à mauvais escient. Et ce risque ne sera jamais réduit à zéro. Il faut donc l’assumer et se dire que le jour où il y a un blessé ou un mort, et bien, c’est « la faute à pas de chance », et pas forcément celle du policier. Parce que l’erreur est humaine, et prétendre avoir des policiers infaillibles c’est tout simplement infantile. L’alternative, c’est de ne pas envoyer de policiers, et de laisser la bagarre ou le trafic suivre son cours. Mais là encore, il faudra en assumer les conséquences, et ne pas reprocher à la police de ne pas intervenir…

      La logique médiatique aggrave encore l’aversion au risque. Parce qu’on ne reporte guère les interventions de police qui se passent bien, mais on consacre des pages et des heures à transmettre la parole des victimes et des familles éplorées ou indignées lorsque cela se passe mal. C’est vrai pour la police, mais c’est vrai aussi pour le médecin, pour l’ingénieur, pour le haut fonctionnaire, pour tous les métiers qui demandent une prise de décision qui peut affecter d’autres. Et du coup, le public a une mauvaise perception du risque réel. Combien de téléspectateurs, devant une erreur médicale, réagissent en se disant que pour mille interventions accomplies par le praticien, il y en a une qui s’est mal passée, et que finalement c’est un taux raisonnable ?

      L’aversion au risque et le traitement médiatique nous conduisent à effacer la notion même d’erreur, parce que qui dit erreur dit évènement aléatoire, et l’aléatoire fait peur. Pour évacuer cette peur, on se construit un monde où tout problème résulte nécessairement d’une faute, ce qui présente l’avantage de nous permettre de croire qu’en punissant l’erreur nous éliminons le risque. Et du coup, on rend la prise de risque tellement couteuse que certaines activités sont tout simplement abandonnées. C’est le cas en gynécologie, par exemple.

      [Pourquoi la deuxième option est-elle moralement insupportable pour la bienpensance alors qu’elle s’accommode fort bien du premier cas de figure ?]

      Parce que le policier agit en notre nom, alors que le dealer nous est extérieur. Nous sommes appelés à prendre une responsabilité lorsqu’il y a une bavure, alors qu’on peut facilement rejeter la faute sur l’autre quand il s’agit d’un dealer.

      [« Ceux qui veulent combattre le populisme feraient bien de se rappeler que c’est la vision matérialiste qui, à la fin, s’impose. » Encore faudrait-il que “ceux qui veulent combattre le populisme” souhaitent combattre une idée, et pas un peuple. Mais aujourd’hui, est-ce le cas ?]

      Encore une fois, on est ramenés à la question du machiavélisme. Oui, je pense que « ceux qui veulent combattre le populisme » croient sincèrement combattre une idéologie et une pratique politique, et pas le « peuple ». Non parce qu’ils sont convaincus rationnellement, mais parce que l’être humain a une capacité quasi infinie de s’auto-convaincre des idées qui l’arrangent.

      [Bien sûr que non. L’idéologie qui déploie tant d’énergie à caricaturer la majorité populaire comme d’affreux réacs incultes et xénophobes, colonialistes blancs hétéros oppresseurs adeptes de la culture du viol n’a pas pour but de combattre le populisme, mais de disqualifier moralement le peuple.]

      Je serais moins schématique que vous. Que cette idéologie ait pour EFFET de caricaturer le « peuple », j’y crois. Mais parler de BUT suppose chez ceux qui l’ont créée une volonté rationnelle d’aboutir à ce résultat. Et personnellement, je ne crois pas à cette volonté. Je crois plutôt à une dialectique dans laquelle la classe dominante génère collectivement une idéologie qui correspond à ses intérêts sans qu’il soit nécessaire l’intervention d’une volonté assumée rationnellement.

      [Plus besoin de “combattre le populisme” quand grâce à l’argument moral, on peut simplement décider d’annuler les élections que les mauvais électeurs remportent, ou de rendre inéligible leur candidat(e).]

      Oui, sauf que plus le temps passe, et plus il est évident que ce combat est perdu. Même là où les « populistes » ne sont pas au gouvernement, le « cercle de la raison », qui était tout-puissant il y a vingt ou trente ans, est obligé aujourd’hui de tenir compte de la pression des « populistes ». C’est particulièrement visible en matière de construction européenne : Il y a vingt ans, le « cercle de la raison » croyait encore possible de constitutionnaliser cet objet, de lui donner une prééminence absolue sur les institutions nationales et de paver la route vers une Europe fédérale. Aujourd’hui, non seulement on n’en parle même plus, mais aucun projet de réforme des traités n’est dans les tuyaux. Le « cercle de la raison » a bien compris qu’aujourd’hui les « populistes » sont en mesure de bloquer toute initiative dans ce domaine.

      • P2R dit :

        @ Descartes
         
        [Je le crois. On revient sur la question du machiavélisme. Penser cette question vous oblige à assumer la responsabilité des conséquences. Mieux vaut ne pas se poser des questions, et continuer à vivre persuadé que ce que vous ne faites de mal à personne.]
         
        Peut-être peut-on faire le crédit de l’aveuglement au bloc macroniste. En revanche je suis persuadé que le bloc LFI, ou du moins Mélenchon, est tout à fait conscient des implications de leur positionnement politique. Mélenchon l’a dit, il compte sur l’électorat d’origine immigrée pour prendre le pouvoir. Et comme il assimile cet électorat à l’islam et au cannabis, ce qui en soit relève du racisme pur et simple, il met tout en oeuvre pour draguer lourdement cet électorat: communautarisme, sorties de routes antisémites calculées, silence radio sur les mafias de la drogue, et discours victimaire à tout va..
         
        [Je vous conseille la lecture de cet entretien de Wauquiez sur Le Figaro // Il est réservé aux abonnés, et je ne peux donc pas le lire. Mais je doute fort qu’on puisse être d’accord sur la stratégie à suivre, et cela pour une simple raison : pour moi, il s’agit surtout de permettre à l’Etat d’agir, pour Wauquiez, je suspecte, il s’agit surtout de réduire les contraintes sur les particuliers et surtout sur les entreprises… Mais on peut toujours être surpris !]
         
        (note à ne pas publier: je vous ai transmis l’article par mail) 
         
        Voici un extrait où je retrouvais des idées évoquées sur ce blog sur la manière de reprendre le controle sur cette hyper-extension du domaine du droit au détriment du politique
         

        L.W. – (…) Ce que je souhaite est que les députés et les sénateurs, à la majorité qualifiée, puissent passer par-dessus les jurisprudences du Conseil constitutionnel. Si on ne le fait pas, on ne fera plus rien de décisif dans notre pays. En outre, il y a eu un levier newtonien sur lequel se sont précipitées les cours suprêmes pour s’arroger un pouvoir de démiurge : la possibilité de chercher de vagues traités internationaux pour écarter la loi nationale. C’est l’aboutissement d’une logique : le peuple français n’est plus souverain, les cours suprêmes ont confisqué sa souveraineté en allant chercher de petits bouts d’articles, en provenance de déclarations post-1945, de la Convention européenne des droits de l’Homme, de grandes déclarations complètement confuses… Les juges en sortent des conséquences ultra-précises sur la façon dont ils veulent endiguer le destin du pays. Donc, la deuxième chose à changer à l’intérieur de la Constitution est qu’un juge ne doit plus pouvoir écarter la loi française en s’appuyant sur un traité international antérieur. 
        (…) Nous sommes la seule démocratie qui est allée aussi loin parce que la gauche a utilisé ce levier pour condamner au silence la politique de droite et ainsi la majorité du peuple français. Il faut le changer. Ce ne sont que deux articles à faire sauter. Il faut le préparer maintenant et le faire dans la foulée d’une élection présidentielle. C’est de même nature que ce qu’avait fait le général de Gaulle en 1958. Il y a un paradoxe, mais pour les Conservateurs c’est une belle ruse de l’histoire : il ne faut pas changer la République, mais renouer avec l’esprit de la Ve. En 1958, de Gaulle change la IVe pour la Ve. Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans la Ve, il faut renouer avec son esprit et faire sauter ces verrous : les cours suprêmes, donc, mais aussi la bureaucratie.
        Avec l’autonomisation de l’administration (les autorités administratives indépendantes), on a créé un monstre juridique. Montesquieu se retournerait dans sa tombe s’il le voyait. L’administration s’est autonomisée par rapport au politique : c’est l’Arcom qui censure C8, la CNIL qui nous interdit d’utiliser des logiciels pour détecter les terroristes et les délinquants.
        Il faut, enfin, faire sauter le troisième verrou des minorités ultra-activistes, payées avec des subventions de l’argent public. Elles ont comme objectif de faire obstacle au travail du gouvernement et aspirations de la majorité du peuple français. Par exemple les associations promigrants auxquelles le ministère de l’Intérieur verse chaque année 1 milliard d’euros avec comme objectif de s’opposer à la politique du ministère de l’Intérieur. Or on ne change rien, on s’y accommode. Nous sommes dans un rendez-vous historique avec nos institutions et notre régime. Si nous continuons ainsi, on peut avoir les meilleures intentions du monde, mais le résultat sera l’impuissance. Il faut faire sauter ces trois verrous pour que nous ayons à nouveau la maîtrise de notre destin. C’est un défi extraordinaire, il n’y a pas plus motivant, mais c’est essentiel.
         

        [La logique médiatique aggrave encore l’aversion au risque. Parce qu’on ne reporte guère les interventions de police qui se passent bien, mais on consacre des pages et des heures à transmettre la parole des victimes et des familles éplorées ou indignées lorsque cela se passe mal. ]
         
        En ce sens l’apparition des médias de Bolloré, quoi qu’on en pense, permettent un certain rééquilibrage, en ce que leurs bulletins d’infos se focalisent autant sur les méfaits commis par les délinquants que ceux du service public sur les “débordements” des agents de l’Etat.
         
        [L’aversion au risque et le traitement médiatique nous conduisent à effacer la notion même d’erreur, parce que qui dit erreur dit évènement aléatoire, et l’aléatoire fait peur. Pour évacuer cette peur, on se construit un monde où tout problème résulte nécessairement d’une faute, ce qui présente l’avantage de nous permettre de croire qu’en punissant l’erreur nous éliminons le risque. Et du coup, on rend la prise de risque tellement coûteuse que certaines activités sont tout simplement abandonnées. C’est le cas en gynécologie, par exemple.]
         
        Exactement. Quelle solution imagineriez-vous à ce problème ?
         
        [Encore une fois, on est ramenés à la question du machiavélisme. Oui, je pense que « ceux qui veulent combattre le populisme » croient sincèrement combattre une idéologie et une pratique politique, et pas le « peuple ». Non parce qu’ils sont convaincus rationnellement, mais parce que l’être humain a une capacité quasi infinie de s’auto-convaincre des idées qui l’arrangent.]
         
        Quand j’entends Mélenchon parler de sa “nouvelle France”, rayer purement et simplement de sa carte mentale l’histoire et la culture française en clamant que la France appartient désormais aux nouveaux arrivants du magheb, je pense qu’il est au contraire très transparent dans sa manière d’aborder le problème: le populo rural ou périphérique doit être remplacé de gré ou de force, point barre.
         
        [Je serais moins schématique que vous. Que cette idéologie ait pour EFFET de caricaturer le « peuple », j’y crois. Mais parler de BUT suppose chez ceux qui l’ont créée une volonté rationnelle d’aboutir à ce résultat. Et personnellement, je ne crois pas à cette volonté. Je crois plutôt à une dialectique dans laquelle la classe dominante génère collectivement une idéologie qui correspond à ses intérêts sans qu’il soit nécessaire l’intervention d’une volonté assumée rationnellement.]
         
        Que l’idéologie ait été conçue dans ce but, en effet, c’est beaucoup m’avancer. Mais mon point est surtout qu’aujourd’hui, la classe dominante se sert très consciemment de ce levier pour abolir la démocratie. Si vous parlez avec des gens des classes intermédiaires et supérieures, nombreux sont ceux qui vous diront ouvertement que si le peuple souhaite élire un populiste, alors tous les moyens, y compris le meurtre (cf les réactions après l’attentat sur Trump), la mise sous surveillance d’Etat (cf l’AFD) ou, paradoxe, la sortie de l’Etat de Droit sont bons pour l’en empêcher. Et les mesures extrêmes que cela implique sont toutes justifiées par la caricature du peuple: le populo est bête, il ne sait pas qu’il est manipulé par la Russie, il est aliéné par une culture rétrograde, il se fout de la planète, etc.
         
        [Plus besoin de “combattre le populisme” quand grâce à l’argument moral, on peut simplement décider d’annuler les élections que les mauvais électeurs remportent, ou de rendre inéligible leur candidat(e).// Oui, sauf que plus le temps passe, et plus il est évident que ce combat est perdu. Même là où les « populistes » ne sont pas au gouvernement, le « cercle de la raison », qui était tout-puissant il y a vingt ou trente ans, est obligé aujourd’hui de tenir compte de la pression des « populistes ». ]
         
         
        Il y a deux “écoles”, celle qui va de la gauche libérale de LFI au bloc central Macroniste en passant par Gluksmann, Tondelier et consorts, qui s’obstine et qui souhaiterait “effacer” les populistes en les cloisonnant définitivement à l’extérieur des lieux de pouvoir et d’influence à coup de ZFE, d’activisme judiciaire et de délégation de souveraineté au niveau supranational et à des organisations “indépendantes”. Pour eux, plus le populisme est fort, plus il représente une menace existentielle, plus il justifie la prise de mesures d’exception pour la réduire au néant. Et il y a d’autre part la vision de la droite qui en effet intègre peu à peu les revendications des populistes, cf les prises de position des Bellamy sur l’éducation, des Wauquiez sur la hiérarchie des normes, des Retailleau sur l’immigration, des Aubert sur la souveraineté (cf la fondation de l’institut de Valmy conjointement avec entre autres Guaino, Kuzmanovic, Shoettl…)
         
        https://www.lefigaro.fr/la-souverainete-europeenne-ca-n-existe-pas-regardez-ce-que-font-les-allemands-et-les-polonais-pointe-julien-aubert-20250505
         
        [C’est particulièrement visible en matière de construction européenne : Il y a vingt ans, le « cercle de la raison » croyait encore possible de constitutionnaliser cet objet, de lui donner une prééminence absolue sur les institutions nationales et de paver la route vers une Europe fédérale. Aujourd’hui, non seulement on n’en parle même plus, mais aucun projet de réforme des traités n’est dans les tuyaux. Le « cercle de la raison » a bien compris qu’aujourd’hui les « populistes » sont en mesure de bloquer toute initiative dans ce domaine.]
         
        Je suis beaucoup moins serein que vous sur ce sujet. On oublie que cette percée des populismes est somme toute encore récente, et que le bloc dominant est encore en train de réfléchir à la manière de l’appréhender. L’affaire des élections en Roumanie a montré que les déclarations de Juncker (“il n’existe pas de décision démocratique contre l’UE”) n’étaient pas des menaces en l’air. Et on a vu au gré de la guerre d’Ukraine la tentation de l’UE de se saisir de la moindre opportunité pour s’accaparer de nouvelles prérogatives… En ce sens, je crois qu’il serait plus sage de miser sur une stratégie visant à vider progressivement l’UE de sa substance de l’intérieur plutôt qu’aller à la rupture de manière brutale..
         

        • Descartes dit :

          @ P2R

          [Peut-être peut-on faire le crédit de l’aveuglement au bloc macroniste. En revanche je suis persuadé que le bloc LFI, ou du moins Mélenchon, est tout à fait conscient des implications de leur positionnement politique. Mélenchon l’a dit, il compte sur l’électorat d’origine immigrée pour prendre le pouvoir. Et comme il assimile cet électorat à l’islam et au cannabis, ce qui en soit relève du racisme pur et simple, il met tout en oeuvre pour draguer lourdement cet électorat: communautarisme, sorties de routes antisémites calculées, silence radio sur les mafias de la drogue, et discours victimaire à tout va…]

          Que Mélenchon cible cyniquement cet électorat, qu’il soit prêt, lui le soi-disant républicain intransigeant, le laïcard franc-maçon, à faire les pires courbettes devant les communautaristes et les salafistes, je suis bien d’accord avec vous. Par contre, je ne suis pas convaincu qu’il assume consciemment les conséquences ultimes de ce choix, ou qu’il comprenne même à quoi tout cela le conduit. Je l’ai dit et je le répète, Mélenchon est un grand tacticien, mais un piètre stratège. Son horizon s’arrête au prochain « coup » pour avancer son pion, mais il ne voit pas l’ensemble de l’échiquier.

          [Voici un extrait où je retrouvais des idées évoquées sur ce blog sur la manière de reprendre le controle sur cette hyper-extension du domaine du droit au détriment du politique : « L.W. – (…) Ce que je souhaite est que les députés et les sénateurs, à la majorité qualifiée, puissent passer par-dessus les jurisprudences du Conseil constitutionnel. (…)]

          Cette proposition « pragmatique » pose quand même un très sérieux problème sur le fond. Ce que cela veut dire, c’est qu’il suffirait d’une majorité qualifiée dans les deux chambres pour modifier de facto la Constitution. En fait, on est déjà passé par là : sous la IIIème et IVème républiques, il n’y avait pas de contrôle de constitutionnalité. Une loi votée, même lorsqu’elle était en évident conflit avec la Constitution, était incontestable. Cela a permis un certain nombre d’abus qui ont poussé les constituants de 1958 à chercher un mécanisme qui mette des limites à ce genre d’abus.

          Le problème n’a pas de solution simple. Dès lors que vous créez une instance chargée du contrôle de constitutionnalité, cette instance interprétera la Constitution – bien ou mal, c’est une autre affaire – et ce faisant mettra des limites aux autres pouvoirs. Si vous donnez aux autres pouvoirs la possibilité de passer outre trop facilement, il n’y a plus de contrôle de constitutionnalité. En fait, il existe dans notre constitution un moyen de passer outre : c’est le référendum (puisque selon une jurisprudence ancienne le Conseil se refuse à contrôler la constitutionnalité des lois votées par ce moyen).

          [(…) Si on ne le fait pas, on ne fera plus rien de décisif dans notre pays.]

          Encore faut-il que les élus arrêtent d’organiser leur propre impuissance. Lorsque les parlementaires ont fait inscrire la Charte de l’Environnement dans la Constitution, ils ont ouvert la porte au juge constitutionnel pour censurer toutes sortes de textes. Il faudrait que les parlementaires comprennent que, pour conserver leurs marges de manœuvre, il faut écrire dans la constitution LE STRICTE MINIMUM. En allant vers le maximalisme constitutionnel, on consacre la puissance de l’autorité chargée de la faire appliquer. Mais nos braves législateurs ne l’ont toujours pas compris… ou alors ils cherchent à organiser leur propre impuissance.

          [(…) En outre, il y a eu un levier newtonien sur lequel se sont précipitées les cours suprêmes pour s’arroger un pouvoir de démiurge : la possibilité de chercher de vagues traités internationaux pour écarter la loi nationale. C’est l’aboutissement d’une logique : le peuple français n’est plus souverain, les cours suprêmes ont confisqué sa souveraineté en allant chercher de petits bouts d’articles, en provenance de déclarations post-1945, de la Convention européenne des droits de l’Homme, de grandes déclarations complètement confuses… Les juges en sortent des conséquences ultra-précises sur la façon dont ils veulent endiguer le destin du pays. Donc, la deuxième chose à changer à l’intérieur de la Constitution est qu’un juge ne doit plus pouvoir écarter la loi française en s’appuyant sur un traité international antérieur.(…)]

          Cette idée semble bonne, mais pose d’immenses problèmes. Imaginons qu’un traité puisse être écarté en application d’une disposition législative postérieure. Quelle confiance pourront alors ceux qui signent des traités avec nous que ce traité ne sera pas remis en cause par un amendement voté à l’arrachée l’Assemblée à une heure du matin ?

          Ce plaidoyer de Wauquiez ma paraît très hypocrite. Prenons par exemple l’arrêt Nicolo du 20 octobre 1989, celui par lequel le juge français a admis la supériorité du droit européen dérivé sur la loi nationale. Le juge a-t-il commis une faute en prenant cet arrêt ? Je ne le pense pas. La fonction du juge, c’est d’interpréter la loi en allant rechercher la volonté du législateur. Or, en 1989, la volonté du législateur était claire : en 1987 l’Acte unique européen, premier texte instituant des mécanismes supranationaux au sein des Communautés, était entré en vigueur. Il avait été ratifié par une large majorité au sein du Parlement français. Or, l’Acte unique ne pouvait fonctionner que si l’on admettait la supériorité du droit européen : on voyait mal en effet comment le marché unique pouvait fonctionner si chacun conservait la possibilité de faire des règles non conformes aux textes accordés à Bruxelles. Pensez-vous qu’en 1989 le juge aurait du s’opposer à une primauté du droit européen qui était voulue par le législateur ?

          Wauquiez rejette un peu vite toute la faute sur le juge. En fait, le juge ne fait qu’occuper le vide laissé par la politique. Si l’on vote des textes absurdes, on ne peut pas ensuite faire reproche au juge de les appliquer. Si on vote des textes confus, on ne peut reprocher au juge de faire une interprétation qui ne correspond pas à la volonté du rédacteur. Si on signe et ratifie des traités contraignants sans réfléchir, on ne peut reprocher au juge d’appuyer la contrainte. Je le dis et le répète : le juge ne fait que ramasser le pouvoir que le politique a laissé tomber. Il était où, Wauquiez, quand on a ratifié les traités de Maastricht ou de Lisbonne, quand on a inscrit la Charte de l’Environnement dans la Constitution ?

          [(…) Nous sommes la seule démocratie qui est allée aussi loin parce que la gauche a utilisé ce levier pour condamner au silence la politique de droite et ainsi la majorité du peuple français. Il faut le changer. (…)]

          « La gauche » ? Wauquiez a son bouc émissaire tout désigné. Mais non : dans cette affaire, gauche et droite ont œuvré dans le même sens. Cela fait quarante ans que le monde politique a organisé sa propre impuissance, pour reprendre les termes utilisés par Maurice Duverger. A l’heure de transférer pouvoir et compétences à Bruxelles, aux collectivités locales, aux autorités administratives indépendantes, à l’heure de faire des lois et décrets vagues et imprécis, aucun camp ne sort indemne.

          [(…) Il y a un paradoxe, mais pour les Conservateurs c’est une belle ruse de l’histoire : il ne faut pas changer la République, mais renouer avec l’esprit de la Ve. En 1958, de Gaulle change la IVe pour la Ve. Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans la Ve, il faut renouer avec son esprit et faire sauter ces verrous : les cours suprêmes, donc, mais aussi la bureaucratie.(…)]

          Amusant de voir un dirigeant qui a soutenu sans aucune restriction la privatisation des entreprises publiques et la décentralisation parler de « renouer avec l’esprit de la Vème ».

          [(…) Avec l’autonomisation de l’administration (les autorités administratives indépendantes), on a créé un monstre juridique. (…)]

          Qui ça, « on » ? Où était monsieur Wauquiez pendant qu’on « autonomisait l’administration » ?

          [(…) Montesquieu se retournerait dans sa tombe s’il le voyait. L’administration s’est autonomisée par rapport au politique : c’est l’Arcom qui censure C8, la CNIL qui nous interdit d’utiliser des logiciels pour détecter les terroristes et les délinquants. (…)]

          Et bien, le politique n’a qu’à ce saisir de ces questions. Que propose Wauquiez comme organisation pour accorder les licences d’émission aux chaines de télévision et vérifier qu’elles se conforment à leur cahier des charges ? Que propose-t-il comme organisation pour s’assurer que les logiciels utilisés pour détecter terroristes et délinquants ne portent pas une atteinte disproportionnée aux libertés publiques ? On aimerait entendre ses propositions…

          Wauquiez prend ici deux mauvais exemples, celui de deux autorités qui, historiquement, n’ont que très rarement prétendu faire des règles, mais qui se sont contentés de les appliquer. De ce point de vue, la CNIL a un parcours sans faute, et la meilleure preuve en est que personne dans l’ensemble du spectre politique ne remet sérieusement ses décisions en question. L’Arcom a eu une histoire plus chahutée, mais dans l’affaire C8 il est difficile de lui reprocher autre chose que d’avoir fait appliquer le cahier des charges.

          [« La logique médiatique aggrave encore l’aversion au risque. Parce qu’on ne reporte guère les interventions de police qui se passent bien, mais on consacre des pages et des heures à transmettre la parole des victimes et des familles éplorées ou indignées lorsque cela se passe mal. » En ce sens l’apparition des médias de Bolloré, quoi qu’on en pense, permettent un certain rééquilibrage, en ce que leurs bulletins d’infos se focalisent autant sur les méfaits commis par les délinquants que ceux du service public sur les “débordements” des agents de l’Etat.]

          Jusqu’à un certain point, oui. Au moins, ils introduisent un élément de débat dans le conformisme ambiant. Malheureusement, ils peinent à faire remonter la qualité des intervenants, qui ont tendance à tenir des discours tellement schématiques qu’ils finissent par s’auto-réfuter.

          [« L’aversion au risque et le traitement médiatique nous conduisent à effacer la notion même d’erreur, parce que qui dit erreur dit évènement aléatoire, et l’aléatoire fait peur. Pour évacuer cette peur, on se construit un monde où tout problème résulte nécessairement d’une faute, ce qui présente l’avantage de nous permettre de croire qu’en punissant l’erreur nous éliminons le risque. Et du coup, on rend la prise de risque tellement coûteuse que certaines activités sont tout simplement abandonnées. C’est le cas en gynécologie, par exemple. » Exactement. Quelle solution imagineriez-vous à ce problème ?]

          Je ne sais pas si ce problème a une « solution », du moins pas dans la phase du capitalisme dans laquelle on est. L’aversion au risque est pour moi le résultat de l’effondrement des réseaux de solidarité traditionnels. Vous pouvez vous permettre de prendre des risques lorsque vous sentez qu’en cas de malheur vous pouvez compter sur votre famille, vos voisins, vos concitoyens, votre Etat pour vous servir de filet de sécurité, qu’il existe des règles que tout le monde respecte, des obligations qui s’imposent à tous. Lorsque vous percevez l’environnement comme hostile ou tout simplement indifférent, lorsque vos voisins sont perçus comme des concurrents, lorsque les règles du jeu changent en permanence et que vous ne pouvez pas compter sur leur stabilité le jour où vous en aurez besoin, l’aversion au risque devient dominante.

          Les néolibéraux nous ont convaincu que c’est la concurrence qui oblige les individus à prendre des risques. En fait, c’est l’inverse : savoir que si vous tombez les autres vous marcheront dessus n’encourage pas à prendre le risque de trébucher.

          [Quand j’entends Mélenchon parler de sa “nouvelle France”, rayer purement et simplement de sa carte mentale l’histoire et la culture française en clamant que la France appartient désormais aux nouveaux arrivants du magheb, je pense qu’il est au contraire très transparent dans sa manière d’aborder le problème: le populo rural ou périphérique doit être remplacé de gré ou de force, point barre.]

          Ne schématisez pas sa pensée. Pour Mélenchon, la « nouvelle France » n’appartient pas aux « nouveaux arrivants du maghreb », mais à une sorte d’homme nouveau qui sera le produit de la « créolisation » (c’est lui qui utilise ce terme), processus de mélange de « l’histoire et la culture française » et celle des nouveaux arrivants. Je suis d’accord avec vous que ce processus de « créolisation » a un côté magique, mais je ne pense pas que Mélenchon, dans sa tête, pense à une forme de grand remplacement.

          [Que l’idéologie ait été conçue dans ce but, en effet, c’est beaucoup m’avancer. Mais mon point est surtout qu’aujourd’hui, la classe dominante se sert très consciemment de ce levier pour abolir la démocratie.]

          C’est évident. Les classes dominantes n’ont jamais voulu de la démocratie, et c’est logique puisqu’elles ont le nombre contre elles. Mais elles l’ont acceptée d’abord lorsque le rapport de forces les y a obligées, ensuite lorsqu’elles ont compris que c’était le seul moyen de légitimation de leurs politiques.

          [Il y a deux “écoles”, celle qui va de la gauche libérale de LFI au bloc central Macroniste en passant par Gluksmann, Tondelier et consorts, qui s’obstine et qui souhaiterait “effacer” les populistes en les cloisonnant définitivement à l’extérieur des lieux de pouvoir et d’influence à coup de ZFE, d’activisme judiciaire et de délégation de souveraineté au niveau supranational et à des organisations “indépendantes”. Pour eux, plus le populisme est fort, plus il représente une menace existentielle, plus il justifie la prise de mesures d’exception pour la réduire au néant. Et il y a d’autre part la vision de la droite qui en effet intègre peu à peu les revendications des populistes, cf les prises de position des Bellamy sur l’éducation, des Wauquiez sur la hiérarchie des normes, des Retailleau sur l’immigration, des Aubert sur la souveraineté (cf la fondation de l’institut de Valmy conjointement avec entre autres Guaino, Kuzmanovic, Shoettl…)]

          Même la gauche est obligée d’intégrer les éléments apportés par les populistes. Il y a de ca trente ans, parler de « sécurité » à gauche était tabou – sauf peut-être au PCF. Aujourd’hui, même le programme de LFI contient un volet « sécurité ». Même chose pour l’immigration…

          • Carloman dit :

            @ Descartes & P2R,
             
            [Ne schématisez pas sa pensée. Pour Mélenchon, la « nouvelle France » n’appartient pas aux « nouveaux arrivants du maghreb », mais à une sorte d’homme nouveau qui sera le produit de la « créolisation » (c’est lui qui utilise ce terme), processus de mélange de « l’histoire et la culture française » et celle des nouveaux arrivants.]
            Jean-Luc Mélenchon est raciste. Profondément et intimement raciste. Alors bien sûr, son racisme n’est pas celui d’un néonazi ou d’un suprémaciste blanc. Le racisme de Mélenchon est une métissolâtrie. D’ailleurs, il ne s’en cache pas: il y a bien des années, s’étant rendu au Venezuela, il écrivait sur son blog, enthousiaste, que les gens là-bas avaient la “peau marron qu’arborent les plus beaux êtres humains” (je cite de mémoire, mais la formule m’avait frappé par ce culte de la couleur de peau qu’on n’attendrait pas chez quelqu’un “de gauche”, républicain, universaliste, et tout le reste).
             
            Ce qui est intéressant, c’est d’essayer de comprendre pourquoi Mélenchon est raciste. Ce n’est ni par méchanceté, ni par vice, et je suis bien convaincu que dans l’intimité, Mélenchon est un homme charmant. Seulement voilà: Mélenchon est le produit d’une histoire, la sienne. Et cette histoire doit être rappelée pour comprendre la vision raciste de Mélenchon et ses fantasmes de “créolisation”. Mélenchon est né en 1951 dans une famille de pieds-noirs, à Tanger au Maroc, et il y a vécu une dizaine d’années. Et il y était très heureux, du moins si l’on croit ce qu’il a dit lui-même lors d’une interview accordée à une radio marocaine (lien en-dessous) , il y a plus de dix ans. On ne guérit jamais de son enfance, et en effet, Mélenchon a vécu dans une de ces nombreuses villes portuaires du Bassin méditerranéen qui ont eu, au cours de l’histoire, une tradition de cosmopolitisme, de multiculturalisme, et je le dis sans volonté de dénigrer. Mélenchon le dit: dans son enfance, il vivait dans une ville où se côtoyaient juifs, musulmans et chrétiens dans une relative bonne entente, et je veux bien le croire.
             
            Mélenchon est un Méditerranéen, et je pense que, pour lui, l’identité de la France ne peut qu’être une “extension” de celle des villes cosmopolites de Méditerranée qui étaient encore nombreuses dans le monde musulman jusque dans les années 50 (on pourrait citer Alexandrie en Egypte, Istanbul avant les émeutes de 1955 qui vont accélérer le départ des non-Turcs, en particulier les Grecs qui étaient encore nombreux avant cette date). Mais il y a autre chose: Mélenchon a subi un traumatisme lorsqu’il est arrivé en France avec sa mère. Il s’est retrouvé dans le Pays de Caux, en Normandie, et là, ça a été un choc. Mélenchon se faisait une très haute idée de la France… Et il a découvert la “Petite France”, provinciale, rurale, des paysans mal dégrossis, en proie à l’alcoolisme, pas très ouverts aux étrangers. Pour le coup, la magie n’a pas opéré, et Mélenchon n’a jamais pu aimer cette France. Là encore, c’est lui qui le dit, et on comprend qu’il en a conçu une vive aversion pour les Français “de souche” ruraux. Il va jusqu’à affirmer qu’il “ne peut pas survivre quand il n’y a que des blonds aux yeux bleus”. Si ce n’est pas du racisme…
             
            Le problème de Mélenchon, c’est qu’il ne voit pas – ou il feint de ne pas voir – que la France, si elle est ouverte sur la Méditerranée, si elle peut revendiquer une identité “latine”, n’est pas seulement un pays méditerranéen. Le nord et l’est nous mettent en contact avec l’Europe germanique, et le centre politique et culturel du pays se situe historiquement davantage entre la Loire et la Meuse que du côté de la Méditerranée. Mélenchon est au fond un immigré, et comme beaucoup d’immigrés, il n’a pas compris les subtilités de l’alchimie identitaire française. Notamment le rapport particulier à la terre et au monde paysan lui est parfaitement étranger. Mélenchon est un déraciné, un urbain, qui s’imagine qu’il peut recréer en France la société cosmopolite, sans doute très idéalisée, qu’il a connue à Tanger dans son enfance. Alors bien sûr son discours séduit les bobos en mal de diversité aussi bien que les Maghrébins qui, pour Mélenchon, sont clairement un pilier de cette identité “méditerranéenne” qu’il confond avec l’identité française.
             
            Il faut écouter Mélenchon pour le comprendre:

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [Jean-Luc Mélenchon est raciste. Profondément et intimement raciste. Alors bien sûr, son racisme n’est pas celui d’un néonazi ou d’un suprémaciste blanc. Le racisme de Mélenchon est une métissolâtrie. D’ailleurs, il ne s’en cache pas: il y a bien des années, s’étant rendu au Venezuela, il écrivait sur son blog, enthousiaste, que les gens là-bas avaient la “peau marron qu’arborent les plus beaux êtres humains” (je cite de mémoire, mais la formule m’avait frappé par ce culte de la couleur de peau qu’on n’attendrait pas chez quelqu’un “de gauche”, républicain, universaliste, et tout le reste).]

              La formule m’avait aussi frappée – comme quoi les grands esprits se rencontrent – et je m’en était même fait un écho dans un papier sur ce blog. Oui, Mélenchon est « raciste » au sens qu’il fait de l’ethnicité un élément de l’identité. Et cela ne date pas d’aujourd’hui : il faut se souvenir que lui et ses amis de l’époque ont participé à l’aventure « SOS Racisme », ce mouvement qui fut emblématique de la conversion d’une certaine gauche au communautarisme « racialiste » sous prétexte de combattre le racisme.

              [Ce qui est intéressant, c’est d’essayer de comprendre pourquoi Mélenchon est raciste. Ce n’est ni par méchanceté, ni par vice, et je suis bien convaincu que dans l’intimité, Mélenchon est un homme charmant. Seulement voilà: Mélenchon est le produit d’une histoire, la sienne. Et cette histoire doit être rappelée pour comprendre la vision raciste de Mélenchon et ses fantasmes de “créolisation”. Mélenchon est né en 1951 dans une famille de pieds-noirs, à Tanger au Maroc, (…)]

              Je ne suis pas totalement convaincu par votre analyse. Même si on ne guérit jamais tout à fait de son enfance, même si on cherche inconsciemment à recréer le paradis fantasmé de ses premières années, j’ai du mal à imaginer qu’à soixante-dix ans passés le traumatisme infantile du déracinement pèse aussi lourdement sur la pensée de Mélenchon. Que sa « créolisation » imaginaire soit inconsciemment une version idéalisée de la ville de son enfance, c’est possible. Mais Mélenchon est quelqu’un de trop rationnel et connaît trop l’histoire pour ne pas se rendre compte que ce modèle, à supposer que c’en soit un, était le produit de circonstances très particulières et irrépétibles. Je note qu’un autre politicien français a eu un parcours assez similaire : Philippe Séguin, qui ne semble avoir eu aucune difficulté à s’assimiler à une France « nordique » malgré ses origines méditerranéennes. Mais il y a entre les deux une différence fondamentale : le père de Séguin, mort pour la France, était absent physiquement mais présent moralement. A l’inverse, le père de Mélenchon a quitté sa vie quand il n’était qu’un enfant, et Mélenchon ne s’y réfère jamais.

              Je pense surtout qu’il y a chez Mélenchon une problématique de la transmission, peut-être le reflet de l’absence du Père, absence qui à mon sens pèse beaucoup plus lourd que son enfance à Tanger et son déracinement à Elbeuf, et qui le conduit à rechercher un père d’abord chez Lambert, puis chez François Mitterrand. Dans l’entretien que vous citez, Mélenchon dit quelque chose de très révélateur : « chaque génération est un peuple nouveau ». Quand on regarde son discours et ses écrits, on trouve beaucoup d’images d’Epinal, mais finalement assez peu de véritables références historiques. Lorsqu’on regarde le mouvement « insoumis », on ne retrouve guère une symbolique qui le rattache à sa genèse, à son histoire politique, à des références intellectuelles. S’il y a quelque chose que Mélenchon déteste, c’est la contrainte qu’introduit une histoire. C’est pourquoi il casse et refonde son mouvement périodiquement : à chaque fois, cela permet d’effacer le tableau, de couper les amarres avec un passé qui peut finir par être encombrant. C’est pourquoi il déteste qu’on lui rappelle son passé politique – et notamment son « oui » à Maastricht, le grand œuvre de son père de substitution mais à laquelle il ne peut aujourd’hui souscrire.

              [Il faut écouter Mélenchon pour le comprendre : (…)]

              Je me demande si le discours de Mélenchon dans cet entretien n’est pas une rationalisation a posteriori d’une position idéologique. Parce que si je suis votre raisonnement, si comme vous le dites Mélenchon est un « urbain déraciné » qui déteste la « petite France », cela n’explique nullement pourquoi il rejette aussi la « grande France ». Quand on regarde les références historiques qu’il évoque dans ses écrits ou ses discours, on ne trouve pas trace d’un Richelieu, d’un Colbert, d’un Louis XIV, d’un Napoléon, d’un De Gaulle. Quand il choisit le nom de l’institution intellectuelle de son parti, ce n’est pas une figure de la « grande France » qu’il choisit, mais un écrivain provincial du XVIIème siècle, dont l’œuvre politique se réduit à un opuscule écrit à 18 ans…

          • Bob dit :

            @ Descartes
             
            [Par contre, je ne suis pas convaincu qu’il [Mélanchon] assume consciemment les conséquences ultimes de ce choix, ou qu’il comprenne même à quoi tout cela le conduit.]
             
            Cette idée me semble prendre Mélenchon pour plus idiot qu’il n’est. Pour ma part, j’ai du mal à croire qu’il ne réalise pas où tout cela mène(rait) la France. Seulement voilà, son égo est tellement démesuré,  sa soif de pouvoir telle qu’il est prêt à toutes les bassesses, à toutes les compromissions, quitte à mener notre pays au désastre.

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [Cette idée me semble prendre Mélenchon pour plus idiot qu’il n’est. Pour ma part, j’ai du mal à croire qu’il ne réalise pas où tout cela mène(rait) la France. Seulement voilà, son égo est tellement démesuré, sa soif de pouvoir telle qu’il est prêt à toutes les bassesses, à toutes les compromissions, quitte à mener notre pays au désastre.]

              Je ne le crois pas. Très rares sont les gens qui peuvent assumer consciemment, cyniquement, une disponibilité à “conduire leur pays au désastre” pour satisfaire leurs ambitions. Et pour connaître personnellement Mélenchon, je peux vous assurer que ce n’est pas un cynique. Au contraire, c’est quelqu’un de profondément moral. Il a un besoin presque maladif de croire qu’il est en train de faire le bien du pays et de l’humanité. Et pour cela il arrive de s’autoconvaincre des choses les plus invraisemblables. Par ailleurs, il faut se souvenir que Mélenchon est d’abord un tacticien, et non un stratège. Autrement dit, il pense aux moyens de gagner la bataille en cours, mais néglige les effets sur le cours de la guerre. C’est pourquoi je pense qu’il sous-estime les risques qu’il y a à coucher avec les islamistes…

          • Bob dit :

            @ Descartes
             
            [Jusqu’à un certain point, oui. Au moins, ils introduisent un élément de débat dans le conformisme ambiant. Malheureusement, ils peinent à faire remonter la qualité des intervenants, qui ont tendance à tenir des discours tellement schématiques qu’ils finissent par s’auto-réfuter.]
             
            Peut-être… mais c’est toujours mieux que de n’avoir qu’un son de cloche, ce qui était le cas avant les “médias Bolloré”. Les “discours” sur le service public me semblent guère moins schématiques par ailleurs…
            Il est marrant de constater que tous ceux (souvent classés à gauche) qui prônent la démocratie, la liberté d’expression, etc. deviennent subitement beaucoup moins ouverts dès qu’on permet à des idées contraires de faire jour…

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [Peut-être… mais c’est toujours mieux que de n’avoir qu’un son de cloche, ce qui était le cas avant les “médias Bolloré”.]

              Je suis plutôt d’accord avec vous à propos de CNews, dont le discours, même s’il est incroyablement réactionnaire, respecte un standard de qualité minimum et a l’avantage de remettre en question le “politiquement correct”. C’est déjà moins le cas avec C8, par exemple, qui ne respectait ces standards.

              [Les “discours” sur le service public me semblent guère moins schématiques par ailleurs…]

              Comparé à celui d’un Hanouna ? Non, désolé, on n’est pas encore tombé si bas dans le service public…

            • Bob dit :

              @ Descartes
               
              [CNews, dont le discours, même s’il est incroyablement réactionnaire].
               
              Comment définissez-vous le terme “réactionnaire” ?
              Ne trouvez-vous pas, par symétrie, que le discours du service public (télé et radio confondues) soit incroyablement “bienpensant” ? (c’est un grand mystère pour moi de savoir que France Inter est la 1ère radio de France. Au bout de 5 minutes, la “boboïtude”, le snobisme condescendant, la “drôlerie pas drôle” me font changer de station).

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [Comment définissez-vous le terme “réactionnaire” ?]

              Comme quelqu’un qui souhaite un retour en arrière à un passé fantasmé perçu comme un âge d’or.

              [Ne trouvez-vous pas, par symétrie, que le discours du service public (télé et radio confondues) soit incroyablement “bienpensant” ?]

              Oui, sans aucun doute.

              [(c’est un grand mystère pour moi de savoir que France Inter est la 1ère radio de France. Au bout de 5 minutes, la “boboïtude”, le snobisme condescendant, la “drôlerie pas drôle” me font changer de station).]

              Comme auditeur régulier de la matinale de France Inter malgré l’indignation que j’éprouve, je peux vous répondre: parce que si vous changez de station, vous vous retrouvez avec une publicité stridente et constante qui les rend inécoutables.

            • P2R dit :

              @ Descartes
               
              je ne sais pas si on peut être aussi catégorique quant à la ligne éditoriale de cnews et son pendant radiophonique Europe 1. 
              Oui, le côté reac est très présent, surtout par l’intermédiaire de l’insupportable Pascal Praud, mais les chroniqueurs sont parfois plus « fins ». Je pense évidemment aux interventions régulières d’Henri Guaino sur cette antenne. Toujours très pertinent (son intervention sur la crise France / Algérie était un modèle du genre).
               
              Concernant C8 je ne regardais pas la chaîne. Mais je peux juger de l’émission radio de Hanouna qui fait dans le populisme le plus crasse et stérile. Cependant, il me semble que certains créneaux de France Inter ne sont guère plus reluisants…
               
              Quant au filtre idéologique qui transparaît dans quasiment tout le service public (France Info par exemple) il m’en est devenu d’autant  plus insupportable qu’il se fait passer pour une pseudo objectivité. Les interviews des Lea Salame, Salia Braklia, Élise Lucet et autres Caroline Roux en arrivent à m’être  aussi douloureuses que les émissions d’Hanouna. 
               

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [Je ne sais pas si on peut être aussi catégorique quant à la ligne éditoriale de cnews et son pendant radiophonique Europe 1. Oui, le côté réac est très présent, surtout par l’intermédiaire de l’insupportable Pascal Praud, mais les chroniqueurs sont parfois plus « fins ». Je pense évidemment aux interventions régulières d’Henri Guaino sur cette antenne. Toujours très pertinent (son intervention sur la crise France / Algérie était un modèle du genre).]

              C’est vrai. C’est à mon sens l’un des paradoxes de l’époque : la « droite réac » est aujourd’hui plus ouverte à des voix dissonantes que la gauche progressiste. CNews organise une confrontation régulière entre Louis Sarkozy et Raquel Garrido (que je trouve l’un comme l’autre au-dessous de tout, mais c’est une autre question), alors que j’imagine mal une émission régulière sur France Inter qui inclurait un commentateur venu du RN. Le ton général de CNews est « réac », mais on y trouve des voix qui s’écartent de cette matrice, alors que sur le service public l’uniformité est de règle.

              [Concernant C8 je ne regardais pas la chaîne. Mais je peux juger de l’émission radio de Hanouna qui fait dans le populisme le plus crasse et stérile. Cependant, il me semble que certains créneaux de France Inter ne sont guère plus reluisants…]

              Quand même. Je ne peux pas dire que j’ai été un auditeur régulier, mais j’ai regardé une ou deux fois les émissions de C8, et bien entendu j’ai regardé en replay quelques-uns des « clashs » les plus célèbres d’Hanouna. Je ne me souviens pas d’une émission sur France Inter où l’on ait injurié de cette manière un invité, où l’on ait manipulé à ce point sa détresse pour faire de l’audience, où l’on ait fait autant appel aux bas instincts du public. C8, c’est la télé poubelle comme on n’en avait jamais fait en France auparavant.

              [Quant au filtre idéologique qui transparaît dans quasiment tout le service public (France Info par exemple) il m’en est devenu d’autant plus insupportable qu’il se fait passer pour une pseudo objectivité. Les interviews des Lea Salame, Salia Braklia, Élise Lucet et autres Caroline Roux en arrivent à m’être aussi douloureuses que les émissions d’Hanouna.]

              Oui, mais pour des raisons différentes. Ce qui est insupportable sur le service public, c’est la naturalisation de l’idéologie bienpensante. CNews s’assume comme combattante d’une position idéologique tranchée mais qui est soumise à débat. France Inter se pense comme porteuse d’une vision « naturelle » du monde, à laquelle tout être rationnel ne peut qu’adhérer, et qui n’est pas discutable. Salamé ou Lucet ne se posent jamais des questions, elles ne doutent jamais. Elles sont dans le vrai par définition. Et vous êtes prié d’adhérer à cette vérité, pire, on donne comme acquis par avance que vous y adhérez. Toute la complicité entre les animateurs et leur public se fonde sur ce point. C’est cela qui a terme devient exaspérant, comme sont exaspérants ces gens qui vous parlent en vous disant à chaque phrase “vous êtes bien d’accord avec moi ?”…

            • Bob dit :

              @ Descartes
               
              [France Inter se pense comme porteuse d’une vision « naturelle » du monde, à laquelle tout être rationnel ne peut qu’adhérer, et qui n’est pas discutable]
               
              Très juste. Ou si vous n’y adhérez pas, c’est que vous êtes forcément idiot, raciste, réactionnaire, étriqué d’esprit, etc. C’est d’une condescendance qui m’est insupportable.
              Vous soulignez à juste titre ce paradoxe que ceux qui se disent ouverts et progressistes sont en fait très rigides et arc-boutés sur leurs positions, peut-être davantage que les “réacs” d’en face.

          • P2R dit :

            @ Descartes
             
            [Que Mélenchon cible cyniquement cet électorat, qu’il soit prêt, lui le soi-disant républicain intransigeant, le laïcard franc-maçon, à faire les pires courbettes devant les communautaristes et les salafistes, je suis bien d’accord avec vous. Par contre, je ne suis pas convaincu qu’il assume consciemment les conséquences ultimes de ce choix, ou qu’il comprenne même à quoi tout cela le conduit]
             
            Vous pensez par exemple que son idéal de “créolisation” de la société (c’est à dire concéder des principes la civilisation des Lumières à la logique tribale et communautaire) est une pure invention marketing ? Ou qu’il arrête sa réflexion au stade “Créole = musique exotique, soleil et cocotiers = douceur de vivre” ? Je sais que l’envie de croire peut aveugler, mais quand même, à son âge et avec son passé…
             
            [Encore faut-il que les élus arrêtent d’organiser leur propre impuissance. Lorsque les parlementaires ont fait inscrire la Charte de l’Environnement dans la Constitution, ils ont ouvert la porte au juge constitutionnel pour censurer toutes sortes de textes. Il faudrait que les parlementaires comprennent que, pour conserver leurs marges de manœuvre, il faut écrire dans la constitution LE STRICTE MINIMUM. En allant vers le maximalisme constitutionnel, on consacre la puissance de l’autorité chargée de la faire appliquer. Mais nos braves législateurs ne l’ont toujours pas compris… ou alors ils cherchent à organiser leur propre impuissance.]
             
            Effectivement. Sauf que je pense que nos braves législateurs, loin d’organiser leur impuissance, ont cherché avant tout à sanctuariser leur ligne politique en la constitutionnalisant. Ce n’est pas tout à fait la même logique. Ceux qui ont intégré des éléments politiques dans la constitution ne l’ont pas fait avec la volonté de se lier les mains, mais de lier celles de l’opposition, présente ou future.
             
            La question, c’est de savoir comment défaire ce qui a été fait. Imaginer un référendum qui propose de revenir à une constitution apolitique est difficile: quiconque proposera d’effacer le droit à l’avortement, le respect de l’environnement ou le principe de fraternité des textes constitutionnels n’a pas fini d’entendre le couplet sur le retour des chemises brunes, quand bien même son but serait de redonner du pouvoir au législateur. La question fondamentale est de savoir si la Vème est encore viable, ou si le sabotage a été trop loin pour que l’on puisse tenter de la restaurer.
             
            [Cette idée semble bonne, mais pose d’immenses problèmes. Imaginons qu’un traité puisse être écarté en application d’une disposition législative postérieure. Quelle confiance pourront alors ceux qui signent des traités avec nous que ce traité ne sera pas remis en cause par un amendement voté à l’arrachée l’Assemblée à une heure du matin ?]
             
            Alors quelle solution ?
             
            [En 1989, la volonté du législateur était claire : en 1987 l’Acte unique européen, premier texte instituant des mécanismes supranationaux au sein des Communautés, était entré en vigueur. Il avait été ratifié par une large majorité au sein du Parlement français. Or, l’Acte unique ne pouvait fonctionner que si l’on admettait la supériorité du droit européen. (…) Pensez-vous qu’en 1989 le juge aurait dû s’opposer à une primauté du droit européen qui était voulue par le législateur ?]
             
            Certes non, et parallèlement on ne peut pas accuser Wauquiez d’être pour quelque-chose dans cet état de fait. Ceci étant dit, il me semble incontestable que les juges aujourd’hui se sont émancipés de la volonté du législateur. 
             
            [Je le dis et le répète : le juge ne fait que ramasser le pouvoir que le politique a laissé tomber. Il était où, Wauquiez, quand on a ratifié les traités de Maastricht ou de Lisbonne, quand on a inscrit la Charte de l’Environnement dans la Constitution ?]
             
            Wauquiez a été pro-UE dans ses jeunes années, position dont il s’est émancipé dès le début des années 2010 (il est né en 75) – cf sa tribune avec Henri Guaino en 2014 – 
             
            [Amusant de voir un dirigeant qui a soutenu sans aucune restriction la privatisation des entreprises publiques et la décentralisation parler de « renouer avec l’esprit de la Vème ».]
             
            Je pense qu’il faut garder en tête que ces dirigeants sont d’une “nouvelle” génération qui a été élevée dans ce culte de la “libéralisation des forces économiques”, du libre-échange, etc. Leur faire le procès de ne pas s’être émancipé de ce carcan intellectuel dès leurs plus jeunes années me semble un peu rude. Du même ordre que de reprocher à un politique d’avoir été trotskyste à 18 ans en 1968.
             
            [Je ne sais pas si ce problème a une « solution », du moins pas dans la phase du capitalisme dans laquelle on est. L’aversion au risque est pour moi le résultat de l’effondrement des réseaux de solidarité traditionnels. Vous pouvez vous permettre de prendre des risques lorsque vous sentez qu’en cas de malheur vous pouvez compter sur votre famille, vos voisins, vos concitoyens, votre Etat pour vous servir de filet de sécurité]
             
            Remarquons tout de même que toutes les erreurs n’ont pas le même poids, et qu’il semble persister des sphères où la solidarité et l’esprit de corps continuent de jouer leur rôle de filet de sécurité en cas de dérapage incontrôlé. Je n’ai pas connaissance que la moindre tête soit tombée à la CAF malgré la non-certification des comptes depuis 3 ans et 6,3 milliards d’euros d’erreurs de comptabilité non identifiées, ni à Bercy après l’erreur de calcul du déficit de 1 point de PIB en 2024.. Réflexion faite, il semble que les classes dominantes restent relativement solidaires entre elles en cas de faux-pas de l’un des leurs, tout en se montrant parfaitement intransigeantes lorsqu’il s’agit d’erreurs de leurs ennemis de classe. un symptôme de plus de  l’explosion de la société Française, je suppose…
             
            [Pour Mélenchon, la « nouvelle France » n’appartient pas aux « nouveaux arrivants du maghreb », mais à une sorte d’homme nouveau qui sera le produit de la « créolisation » (c’est lui qui utilise ce terme), processus de mélange de « l’histoire et la culture française » et celle des nouveaux arrivants]
             
            Oui, j’ai bien compris. Un juste milieu entre la civilisation des Lumières et la culture islamique. Où on se contentera de limiter les droits civiques des homosexuels au lieu de les lapider, par exemple. Où le blasphème ne sera plus puni de mort mais de quelques années de prison. J’ai hate ! Sérieusement, vous pensez que Mélenchon n’a pas conscience de l’énorme stupidité de son discours ?
             
            [Je ne pense pas que Mélenchon, dans sa tête, pense à une forme de grand remplacement.]
             
            Je pense que Mélenchon, dans sa tête, s’imagine bien effacer purement et simplement les principes d’universalité, de laïcité, d’assimilation, d’égalité des citoyens devant la loi indépendamment de leur sexe, race, religion ou origine, autrement dit de remplacer globalement la civilisation Française par une autre, certes “créolisée” et non pas purement islamique comme le pensent les tenants du Grand Remplacement, mais de la remplacer quand même.
             
            Ceci dit je connais des gens qui pensent que l’humain a un tropisme naturel vers les valeurs de la civilisation Française, et qui sont persuadés que “ça va se faire tout seul” avec le temps. Peut-être Mélenchon fait-il partie de ces gens-là, qui n’ont rien appris de l’histoire de l’humanité et n’en apprendront jamais rien.
             
            [C’est évident. Les classes dominantes n’ont jamais voulu de la démocratie, et c’est logique puisqu’elles ont le nombre contre elles. Mais elles l’ont acceptée d’abord lorsque le rapport de forces les y a obligées, ensuite lorsqu’elles ont compris que c’était le seul moyen de légitimation de leurs politiques.]
             
            Le seul, je ne sais pas. Le moins coûteux en tout cas. Ma préoccupation, c’est que la démocratie (au sens “mode de désignation des gouvernants”) devenant incontrôlable par les classes dominantes, on ne passe, lentement mais sûrement, à un autre style de gouvernance plus ouvertement anti-démocratique, justement. Cela ne fera que retarder l’échéance: là où pèse le peuple, celui-ci finit toujours pas l’emporter. Mais par quelles étapes passerons-nous avant, quelle sera le degré de résistance opposée par les classes dominantes, telle est la question. On peut se moquer des amerloques, mais il faut leur reconnaître une chose: bon-an-mal-an, la transition démocratique s’effectue sur une grande amplitude, certes avec des heurts, mais d’ampleur limitée. Je ne suis pas sûr qu’en France, nous saurions absorber une bascule du type Macron à Hanouna (pour trouver un équivalent dans l’outrance et le populisme le plus vil) sans sombrer dans le chaos institutionnel, social voir sécuritaire. 
             
            [Même la gauche est obligée d’intégrer les éléments apportés par les populistes. Il y a de ca trente ans, parler de « sécurité » à gauche était tabou – sauf peut-être au PCF. Aujourd’hui, même le programme de LFI contient un volet « sécurité ». Même chose pour l’immigration…]
             
            Le programme “sécurité” de LFI se cantonne à désarmer les flics, amnistier les manifestants, supprimer les courtes peines de prison, lutter contre les discriminations et inciter la police à jouer au foot avec les gamins des cités… Quant à l’immigration c’est encore plus simple: open bar et régularisation inconditionnelle pour tous. Vous appelez ça “intégrer les éléments apportés par les populistes” ?
             

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [Vous pensez par exemple que son idéal de “créolisation” de la société (c’est à dire concéder des principes la civilisation des Lumières à la logique tribale et communautaire) est une pure invention marketing ? Ou qu’il arrête sa réflexion au stade “Créole = musique exotique, soleil et cocotiers = douceur de vivre” ? Je sais que l’envie de croire peut aveugler, mais quand même, à son âge et avec son passé…]

              Le terme « créolisation » si ma mémoire ne me trahit pas a été emprunté à Edouard Glissant. Voilà comment il la définit : « La créolisation, c’est un métissage d’arts, ou de langages qui produit de l’inattendu. C’est une façon de se transformer de façon continue sans se perdre. C’est un espace où la dispersion permet de se rassembler, où les chocs de culture, la disharmonie, le désordre, l’interférence deviennent créateurs. C’est la création d’une culture ouverte et inextricable, qui bouscule l’uniformisation par les grandes centrales médiatiques et artistiques ». Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est vague. Le problème, c’est que Mélenchon est séduit par ce genre de concept « gazeux » dans lequel on peut y mettre tout et n’importe quoi. En fait, la « créolisation » à la sauce Mélenchon est une variante de la bonne vieille formule « si tous les gars du monde voulaient bien se donner la main ». Je pense que Mélenchon ne comprend pas qu’il y a un rapport dialectique entre la culture, les institutions, la vie d’une société.

              [Effectivement. Sauf que je pense que nos braves législateurs, loin d’organiser leur impuissance, ont cherché avant tout à sanctuariser leur ligne politique en la constitutionnalisant.]

              C’est peut être le cas pour ceux qui ont constitutionnalisé le droit à l’avortement, mais ce n’est pas du tout le cas général. Pensez à la charte de l’environnement. Pensez-vous vraiment qu’il y avait une majorité à l’Assemblée dont la « ligne politique » incluait le principe de précaution ? Je ne le pense pas un instant.

              [La question, c’est de savoir comment défaire ce qui a été fait. Imaginer un référendum qui propose de revenir à une constitution apolitique est difficile : quiconque proposera d’effacer le droit à l’avortement, le respect de l’environnement ou le principe de fraternité des textes constitutionnels n’a pas fini d’entendre le couplet sur le retour des chemises brunes, quand bien même son but serait de redonner du pouvoir au législateur. La question fondamentale est de savoir si la Vème est encore viable, ou si le sabotage a été trop loin pour que l’on puisse tenter de la restaurer.]

              Je crains malheureusement que vous ayez raison. Nettoyer la Constitution d’un coup paraît impossible, tout du moins si l’on veut respecter la procédure prévue pour sa réforme, et la nettoyer par petits bouts prendrait un temps infini. Je ne vois que deux moyens : un « coup d’Etat constitutionnel » dans lequel on réformerait par référendum sans demander le vote des parlementaires, un peu comme cela a été fait en 1958 ou en 1962.

              [« Cette idée semble bonne, mais pose d’immenses problèmes. Imaginons qu’un traité puisse être écarté en application d’une disposition législative postérieure. Quelle confiance pourront alors ceux qui signent des traités avec nous que ce traité ne sera pas remis en cause par un amendement voté à l’arrachée l’Assemblée à une heure du matin ? » Alors quelle solution ?]

              D’une part, écrire dans la constitution que si les traités sont supérieurs aux lois même postérieures, cette règle ne s’applique pas au droit dérivé issu de ces traités. Autrement dit, si les normes inscrites explicitement dans les traités resteraient supérieures aux lois, celles édictées par les instances créées par les traités seraient, elles soumises à ratification parlementaire pour pouvoir entrer en vigueur. On pourrait aussi soumettre la ratification des traités à une majorité qualifiée, pour rendre plus difficile leur conclusion.

              [« Amusant de voir un dirigeant qui a soutenu sans aucune restriction la privatisation des entreprises publiques et la décentralisation parler de « renouer avec l’esprit de la Vème ». » Je pense qu’il faut garder en tête que ces dirigeants sont d’une “nouvelle” génération qui a été élevée dans ce culte de la “libéralisation des forces économiques”, du libre-échange, etc. Leur faire le procès de ne pas s’être émancipé de ce carcan intellectuel dès leurs plus jeunes années me semble un peu rude. Du même ordre que de reprocher à un politique d’avoir été trotskyste à 18 ans en 1968.]

              Qu’ils aient été pris dans le carcan intellectuel néolibéral dans leurs jeunes années, cela peut se comprendre et je ne leur reproche pas. Ce que je leur reprocherais, c’est de ne pas avoir fait un retour critique sur cette période. Car on ne peut à la fois prétendre « renouer avec l’esprit de la Vème » et ne pas rompre clairement avec une idéologie qui en est la négation.

              [Remarquons tout de même que toutes les erreurs n’ont pas le même poids, et qu’il semble persister des sphères où la solidarité et l’esprit de corps continuent de jouer leur rôle de filet de sécurité en cas de dérapage incontrôlé. Je n’ai pas connaissance que la moindre tête soit tombée à la CAF malgré la non-certification des comptes depuis 3 ans et 6,3 milliards d’euros d’erreurs de comptabilité non identifiées, ni à Bercy après l’erreur de calcul du déficit de 1 point de PIB en 2024…]

              Je ne connais pas le cas de la CAF. Pour ce qui concerne Bercy, je ne vois pas où est « l’erreur ». Les services du Trésor avaient alerté plusieurs fois l’autorité politique du dérapage qu’ils anticipaient, et le politique a fait le choix d’occulter la dérive. Mon commentaire ne concernait d’ailleurs pas le politique ou la haute administration, mais tous les niveaux de la société. Admettons un instant que les « filets de sécurité » continuent à protéger les hauts fonctionnaires ou les politiciens (ce que personnellement je ne crois pas, mais c’est une autre affaire). Est-ce suffisant ? Je ne le crois pas. Pour que la société soit dynamique, il faut que les acteurs puissent prendre des risques calculés à tous les niveaux. Et ce que j’observe, c’est que les filets de sécurité qui concernent le vulgum pecus sont dans un état inquiétant…

              [« Pour Mélenchon, la « nouvelle France » n’appartient pas aux « nouveaux arrivants du maghreb », mais à une sorte d’homme nouveau qui sera le produit de la « créolisation » (c’est lui qui utilise ce terme), processus de mélange de « l’histoire et la culture française » et celle des nouveaux arrivants » Oui, j’ai bien compris. Un juste milieu entre la civilisation des Lumières et la culture islamique. Où on se contentera de limiter les droits civiques des homosexuels au lieu de les lapider, par exemple. Où le blasphème ne sera plus puni de mort mais de quelques années de prison. J’ai hate ! Sérieusement, vous pensez que Mélenchon n’a pas conscience de l’énorme stupidité de son discours ?]

              La « créolisation » telle que Glissant ou Mélenchon l’entendent n’est pas un « mi chemin ». C’est plutôt une synthèse qui élabore « de l’inattendu ». Et comme c’est « inattendu », on ne sait pas ce que ce sera… Le discours de Mélenchon est celui d’un idéaliste rousseauiste qui pense que l’homme est naturellement bon et que la société le pervertit. Il s’imagine que la « créolisation » conduira naturellement les individus à embrasser les valeurs universalistes.

              [Je pense que Mélenchon, dans sa tête, s’imagine bien effacer purement et simplement les principes d’universalité, de laïcité, d’assimilation, d’égalité des citoyens devant la loi indépendamment de leur sexe, race, religion ou origine, autrement dit de remplacer globalement la civilisation Française par une autre, certes “créolisée” et non pas purement islamique comme le pensent les tenants du Grand Remplacement, mais de la remplacer quand même.]

              Dans ce sens, je pense que vous n’êtes pas loin de sa pensée…

              [Ceci dit je connais des gens qui pensent que l’humain a un tropisme naturel vers les valeurs de la civilisation Française, et qui sont persuadés que “ça va se faire tout seul” avec le temps. Peut-être Mélenchon fait-il partie de ces gens-là, qui n’ont rien appris de l’histoire de l’humanité et n’en apprendront jamais rien.]

              Tout à fait. Pour Mélenchon, les valeurs de la civilisation française sont d’une certaine manière « naturelles », et que par conséquence tout homme libéré des préjugés et contraintes sociales tendrait naturellement vers elles. Il ne comprend tout simplement pas qu’il y a une dialectique entre les valeurs et l’histoire qui les a créées.

              [Le seul, je ne sais pas. Le moins coûteux en tout cas. Ma préoccupation, c’est que la démocratie (au sens “mode de désignation des gouvernants”) devenant incontrôlable par les classes dominantes, on ne passe, lentement mais sûrement, à un autre style de gouvernance plus ouvertement anti-démocratique, justement.]

              C’est déjà un peu le cas… l’organisation de l’impuissance du politique, notamment par la délégation de compétences à des structures bureaucratiques, remplit à mon sens cette fonction.

              [« Même la gauche est obligée d’intégrer les éléments apportés par les populistes. Il y a de ca trente ans, parler de « sécurité » à gauche était tabou – sauf peut-être au PCF. Aujourd’hui, même le programme de LFI contient un volet « sécurité ». Même chose pour l’immigration… » Le programme “sécurité” de LFI se cantonne à désarmer les flics, amnistier les manifestants, supprimer les courtes peines de prison, lutter contre les discriminations et inciter la police à jouer au foot avec les gamins des cités…]

              Certes. Mais LFI n’est pas au pouvoir. Si demain Mélenchon entrait à l’Elysée, je vous assure qu’il ferait une politique qui ferait pâlir Retailleau. Souvenez-vous des paroles de Varoufakis, parce qu’elles sont prophétiques : « ce n’est pas la peine de discuter le programme de Mélenchon, parce que s’il était élu, il mettrait en œuvre un autre ».

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [Vous pensez par exemple que son idéal de “créolisation” de la société (c’est à dire concéder des principes la civilisation des Lumières à la logique tribale et communautaire) est une pure invention marketing ? Ou qu’il arrête sa réflexion au stade “Créole = musique exotique, soleil et cocotiers = douceur de vivre” ? Je sais que l’envie de croire peut aveugler, mais quand même, à son âge et avec son passé…]

              Le terme « créolisation » si ma mémoire ne me trahit pas a été emprunté à Edouard Glissant. Voilà comment il la définit : « La créolisation, c’est un métissage d’arts, ou de langages qui produit de l’inattendu. C’est une façon de se transformer de façon continue sans se perdre. C’est un espace où la dispersion permet de se rassembler, où les chocs de culture, la disharmonie, le désordre, l’interférence deviennent créateurs. C’est la création d’une culture ouverte et inextricable, qui bouscule l’uniformisation par les grandes centrales médiatiques et artistiques ». Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est vague. Le problème, c’est que Mélenchon est séduit par ce genre de concept « gazeux » dans lequel on peut y mettre tout et n’importe quoi. En fait, la « créolisation » à la sauce Mélenchon est une variante de la bonne vieille formule « si tous les gars du monde voulaient bien se donner la main ». Je pense que Mélenchon ne comprend pas qu’il y a un rapport dialectique entre la culture, les institutions, la vie d’une société.

              [Effectivement. Sauf que je pense que nos braves législateurs, loin d’organiser leur impuissance, ont cherché avant tout à sanctuariser leur ligne politique en la constitutionnalisant.]

              C’est peut être le cas pour ceux qui ont constitutionnalisé le droit à l’avortement, mais ce n’est pas du tout le cas général. Pensez à la charte de l’environnement. Pensez-vous vraiment qu’il y avait une majorité à l’Assemblée dont la « ligne politique » incluait le principe de précaution ? Je ne le pense pas un instant.

              [La question, c’est de savoir comment défaire ce qui a été fait. Imaginer un référendum qui propose de revenir à une constitution apolitique est difficile : quiconque proposera d’effacer le droit à l’avortement, le respect de l’environnement ou le principe de fraternité des textes constitutionnels n’a pas fini d’entendre le couplet sur le retour des chemises brunes, quand bien même son but serait de redonner du pouvoir au législateur. La question fondamentale est de savoir si la Vème est encore viable, ou si le sabotage a été trop loin pour que l’on puisse tenter de la restaurer.]

              Je crains malheureusement que vous ayez raison. Nettoyer la Constitution d’un coup paraît impossible, tout du moins si l’on veut respecter la procédure prévue pour sa réforme, et la nettoyer par petits bouts prendrait un temps infini. Je ne vois que deux moyens : un « coup d’Etat constitutionnel » dans lequel on réformerait par référendum sans demander le vote des parlementaires, un peu comme cela a été fait en 1958 ou en 1962.

              [« Cette idée semble bonne, mais pose d’immenses problèmes. Imaginons qu’un traité puisse être écarté en application d’une disposition législative postérieure. Quelle confiance pourront alors ceux qui signent des traités avec nous que ce traité ne sera pas remis en cause par un amendement voté à l’arrachée l’Assemblée à une heure du matin ? » Alors quelle solution ?]

              D’une part, écrire dans la constitution que si les traités sont supérieurs aux lois même postérieures, cette règle ne s’applique pas au droit dérivé issu de ces traités. Autrement dit, si les normes inscrites explicitement dans les traités resteraient supérieures aux lois, celles édictées par les instances créées par les traités seraient, elles soumises à ratification parlementaire pour pouvoir entrer en vigueur. On pourrait aussi soumettre la ratification des traités à une majorité qualifiée, pour rendre plus difficile leur conclusion.

              [« Amusant de voir un dirigeant qui a soutenu sans aucune restriction la privatisation des entreprises publiques et la décentralisation parler de « renouer avec l’esprit de la Vème ». » Je pense qu’il faut garder en tête que ces dirigeants sont d’une “nouvelle” génération qui a été élevée dans ce culte de la “libéralisation des forces économiques”, du libre-échange, etc. Leur faire le procès de ne pas s’être émancipé de ce carcan intellectuel dès leurs plus jeunes années me semble un peu rude. Du même ordre que de reprocher à un politique d’avoir été trotskyste à 18 ans en 1968.]

              Qu’ils aient été pris dans le carcan intellectuel néolibéral dans leurs jeunes années, cela peut se comprendre et je ne leur reproche pas. Ce que je leur reprocherais, c’est de ne pas avoir fait un retour critique sur cette période. Car on ne peut à la fois prétendre « renouer avec l’esprit de la Vème » et ne pas rompre clairement avec une idéologie qui en est la négation.

              [Remarquons tout de même que toutes les erreurs n’ont pas le même poids, et qu’il semble persister des sphères où la solidarité et l’esprit de corps continuent de jouer leur rôle de filet de sécurité en cas de dérapage incontrôlé. Je n’ai pas connaissance que la moindre tête soit tombée à la CAF malgré la non-certification des comptes depuis 3 ans et 6,3 milliards d’euros d’erreurs de comptabilité non identifiées, ni à Bercy après l’erreur de calcul du déficit de 1 point de PIB en 2024…]

              Je ne connais pas le cas de la CAF. Pour ce qui concerne Bercy, je ne vois pas où est « l’erreur ». Les services du Trésor avaient alerté plusieurs fois l’autorité politique du dérapage qu’ils anticipaient, et le politique a fait le choix d’occulter la dérive. Mon commentaire ne concernait d’ailleurs pas le politique ou la haute administration, mais tous les niveaux de la société. Admettons un instant que les « filets de sécurité » continuent à protéger les hauts fonctionnaires ou les politiciens (ce que personnellement je ne crois pas, mais c’est une autre affaire). Est-ce suffisant ? Je ne le crois pas. Pour que la société soit dynamique, il faut que les acteurs puissent prendre des risques calculés à tous les niveaux. Et ce que j’observe, c’est que les filets de sécurité qui concernent le vulgum pecus sont dans un état inquiétant…

              [« Pour Mélenchon, la « nouvelle France » n’appartient pas aux « nouveaux arrivants du maghreb », mais à une sorte d’homme nouveau qui sera le produit de la « créolisation » (c’est lui qui utilise ce terme), processus de mélange de « l’histoire et la culture française » et celle des nouveaux arrivants » Oui, j’ai bien compris. Un juste milieu entre la civilisation des Lumières et la culture islamique. Où on se contentera de limiter les droits civiques des homosexuels au lieu de les lapider, par exemple. Où le blasphème ne sera plus puni de mort mais de quelques années de prison. J’ai hate ! Sérieusement, vous pensez que Mélenchon n’a pas conscience de l’énorme stupidité de son discours ?]

              La « créolisation » telle que Glissant ou Mélenchon l’entendent n’est pas un « mi chemin ». C’est plutôt une synthèse qui élabore « de l’inattendu ». Et comme c’est « inattendu », on ne sait pas ce que ce sera… Le discours de Mélenchon est celui d’un idéaliste rousseauiste qui pense que l’homme est naturellement bon et que la société le pervertit. Il s’imagine que la « créolisation » conduira naturellement les individus à embrasser les valeurs universalistes.

              [Je pense que Mélenchon, dans sa tête, s’imagine bien effacer purement et simplement les principes d’universalité, de laïcité, d’assimilation, d’égalité des citoyens devant la loi indépendamment de leur sexe, race, religion ou origine, autrement dit de remplacer globalement la civilisation Française par une autre, certes “créolisée” et non pas purement islamique comme le pensent les tenants du Grand Remplacement, mais de la remplacer quand même.]

              Dans ce sens, je pense que vous n’êtes pas loin de sa pensée…

              [Ceci dit je connais des gens qui pensent que l’humain a un tropisme naturel vers les valeurs de la civilisation Française, et qui sont persuadés que “ça va se faire tout seul” avec le temps. Peut-être Mélenchon fait-il partie de ces gens-là, qui n’ont rien appris de l’histoire de l’humanité et n’en apprendront jamais rien.]

              Tout à fait. Pour Mélenchon, les valeurs de la civilisation française sont d’une certaine manière « naturelles », et que par conséquence tout homme libéré des préjugés et contraintes sociales tendrait naturellement vers elles. Il ne comprend tout simplement pas qu’il y a une dialectique entre les valeurs et l’histoire qui les a créées.

              [Le seul, je ne sais pas. Le moins coûteux en tout cas. Ma préoccupation, c’est que la démocratie (au sens “mode de désignation des gouvernants”) devenant incontrôlable par les classes dominantes, on ne passe, lentement mais sûrement, à un autre style de gouvernance plus ouvertement anti-démocratique, justement.]

              C’est déjà un peu le cas… l’organisation de l’impuissance du politique, notamment par la délégation de compétences à des structures bureaucratiques, remplit à mon sens cette fonction.

              [« Même la gauche est obligée d’intégrer les éléments apportés par les populistes. Il y a de ca trente ans, parler de « sécurité » à gauche était tabou – sauf peut-être au PCF. Aujourd’hui, même le programme de LFI contient un volet « sécurité ». Même chose pour l’immigration… » Le programme “sécurité” de LFI se cantonne à désarmer les flics, amnistier les manifestants, supprimer les courtes peines de prison, lutter contre les discriminations et inciter la police à jouer au foot avec les gamins des cités…]

              Certes. Mais LFI n’est pas au pouvoir. Si demain Mélenchon entrait à l’Elysée, je vous assure qu’il ferait une politique qui ferait pâlir Retailleau. Souvenez-vous des paroles de Varoufakis, parce qu’elles sont prophétiques : « ce n’est pas la peine de discuter le programme de Mélenchon, parce que s’il était élu, il mettrait en œuvre un autre ».

      • Bob dit :

        @ Descartes
         
        [Le « cercle de la raison » a bien compris qu’aujourd’hui les « populistes » sont en mesure de bloquer toute initiative dans ce domaine.]
         
        C’est pourtant bien ce « cercle de la raison » de la “bienpensance” européenne, via la cour constitutionnelle roumaine, avec l’aval des “leaders” de l’UE, de Van der Layen à Breton, qui a annulé purement et simplement il y a quelques mois – au vague motif d’une ingérence sur TikTok ! – les élections présidentielles roumaines qui, sacrilège ultime, avaient élu, à ses yeux, un affreux “populiste-d’extrême droite-pro Poutine”…
        La possibilité de blocage me semble toujours être surtout dans la camp de ce « cercle de la raison ».

        • Descartes dit :

          @ Bob

          [« Le « cercle de la raison » a bien compris qu’aujourd’hui les « populistes » sont en mesure de bloquer toute initiative dans ce domaine. » C’est pourtant bien ce « cercle de la raison » de la “bienpensance” européenne, via la cour constitutionnelle roumaine, (…) qui a annulé purement et simplement il y a quelques mois (…) les élections présidentielles roumaines qui, sacrilège ultime, avaient élu, à ses yeux, un affreux “populiste-d’extrême droite-pro Poutine”…]

          Ce n’est pas contradictoire. Pour le moment, le pouvoir des « populistes » est essentiellement un pouvoir de blocage. Le « cercle de la raison » garde le pouvoir, mais comprend que ce pouvoir n’est pas illimité, et qu’il prend des risques importants à aller au-delà de certaines limites. Il est clair, par exemple, qu’il serait très difficile aujourd’hui de faire ratifier dans les 27 états membres un nouveau traité européen. C’est pourquoi personne ne parle aujourd’hui – comme c’était le cas avant 2005 – d’un nouveau traité. On préfère contourner la difficulté avec des interprétations de plus en plus osées des traités existants.

          [La possibilité de blocage me semble toujours être surtout dans la camp de ce « cercle de la raison ».]

          J’irais plus loin : le « cercle de la raison » garde le pouvoir effectif. Les mouvements populistes n’ont, en Europe, qu’un pouvoir limité de blocage.

    • Bob dit :

      @ P2R
       
      [L’idéologie qui déploie tant d’énergie à caricaturer la majorité populaire comme d’affreux réacs incultes et xénophobes, colonialistes blancs hétéros oppresseurs adeptes de la culture du viol n’a pas pour but de combattre le populisme, mais de disqualifier moralement le peuple.]
       
      Vous formulez ici très clairement ce que j’avais de manière éparse à l’esprit. Ces “affreux”, au passage, sont implicitement souvent des hommes.

      • P2R dit :

        @ Bob
        [Ces “affreux”, au passage, sont implicitement souvent des hommes.]
        Dans le discours à charge, oui, ce sont les hommes blancs hétérosexuels qui sont mis en accusation. Mais la réalité du peuple visé par ce discours est bien plus diverse.  je pense que la violence que subissent les femmes, les gens « de couleur », les homos ou les transexuels qui ne « marchent pas » dans le discours victimaire est encore plus grande. « Bounty », « TERF », « arabe de service » sont considérés comme des traitres à la cause.J’ai un respect immense pour les Rachel Khan,Kamel Daoud, Linda Kebbab et consort, même si je peux être parfois  très éloigné de certaines de leurs positions. Le courage qu’il faut aujourd’hui pour dire « merde » à la logique communautaire est immense, et on peut le payer de sa vie. 

        • Descartes dit :

          @ P2R

          [Dans le discours à charge, oui, ce sont les hommes blancs hétérosexuels qui sont mis en accusation. Mais la réalité du peuple visé par ce discours est bien plus diverse. je pense que la violence que subissent les femmes, les gens « de couleur », les homos ou les transexuels qui ne « marchent pas » dans le discours victimaire est encore plus grande.]

          Tout à fait. Il faut toujours se rappeler que le discours sur la « diversité » est d’abord un discours de conformité. On a le droit d’être « divers », à condition que cette « diversité » entre dans le moule de ce que les tenants de l’idéologie diversitaire ont défini. Et ce cadre est infiniment rigide. Gaston Kelman s’en était moqué gentiment dans « Je suis noir et je n’aime pas le manioc », mais la réalité est beaucoup moins gentille. J’ai un ami homo qui avait décliné d’aller à la « marche des fiertés » au motif qu’il ne portait pas ses préférences sexuelles en bandoulière. Cela lui avait valu d’être mis à l’écart dans l’association de lutte contre le Sida dont il était l’un des fondateurs pourtant. Moi-même j’ai eu quelques remarques fort désobligeantes lorsqu’en réponse à une question j’explique n’avoir plus de rapports avec mon pays d’origine et m’estimer parfaitement français…

          [« Bounty », « TERF », « arabe de service » sont considérés comme des traitres à la cause.]

          Tout à fait. L’assimilation est devenu un gros mot, autant chez les idéologues que dans les cités. Fini le temps où les assimilés étaient l’exemple à suivre dans le quartier. Un ami me disait qu’aujourd’hui l’immigré de cité qui s’assimile n’a d’autre choix que quitter physiquement sa communauté. Sans quoi, il se verra en permanence reprocher d’être « trop français », de ne pas se marier « au pays », de ne pas faire le ramadan, de ne pas voiler sa femme, de ne pas… la liste est sans limite. C’est que, voyez-vous, les gens « issus de la diversité » ne sont pas eux-mêmes tolérants à cette « diversité » dans leurs communautés…

          [J’ai un respect immense pour les Rachel Khan, Kamel Daoud, Linda Kebbab et consort, même si je peux être parfois très éloigné de certaines de leurs positions. Le courage qu’il faut aujourd’hui pour dire « merde » à la logique communautaire est immense, et on peut le payer de sa vie.]

          Tout à fait. Mais la puissance répressive de la logique communautaire n’apparaît pas par hasard. On oublie aujourd’hui combien la pensée libératrice des Lumières est liée au rejet des communautés. La société de l’Ancien régime était d’abord une « société d’ordres », où le fait de naître dans telle ou telle communauté déterminait vos droits et votre destin. L’une des grandes conquêtes de la Révolution, ce fut précisément d’abolir cette armature, de ne faire dépendre – au moins en théorie – le destin des individus que « de leurs vertus et leurs talents ». On se souvient à ce propos la formule de Clermont-Tonnerre à propos de l’émancipation – c’est-à-dire l’admission à la pleine citoyenneté – des juifs : « Il faut tout refuser aux juifs comme nation et accorder tout aux juifs comme individus ».

          Cette théorie est devenu en grande partie réalité lorsque la société française était en expansion, et que l’ascenseur social fonctionnait à plein, permettant une assimilation autant intérieure qu’extérieure. Et il n’est pas surprenant que dans une société bloquée comme la nôtre, ou les classes intermédiaires craignent la concurrence de ceux qui l’ascenseur social pourrait porter à leur niveau, on revienne à une idéologie communautariste qui reconstitue sournoisement la « société d’ordres ».

  11. Lingons dit :

    “Ah bon ? Pour vous l’imposition de tarifs douaniers c’est « réduire l’action de l’Etat » ? Expulser les immigrés illégaux c’est « réduire l’action de l’Etat » ? Pensez-vous que dans ces deux propositions les « néolibéraux » – qui sont favorables, je vous le rappelle, à la libre concurrence que ce soit sur le marché du travail ou celui des biens et services – seront alignés avec lui ? Non, il y a là l’ambigüité dont je parlais plus haut.”
    Vous illustrez, une fois encore, que vous vous fiez juste aux éléments de langages d’un Trump et non sur la réalité de son action :
    1. Le système tarifaire utilisé par Trump n’est pas utilisé pour protéger les entreprises US en vue d’une réindustrialisation, mais comme menace envers d’autres pays afin d’obtenir des “deals” commerciaux avantageux pour les US dans le cadre… d’accords de libre échange 
    2. Trump dit qu’il va expulser les migrants, mais le fait-il vraiment ? Les chiffres de l’immigration montre que Trump a expulsé moins qu’Obama (-13%) ou Biden (-9%)
    3. Vous occultez totalement dans votre analyse la politique de dérégulation financière interne et de privatisation massive des services publics ( système de santé d’anciens combattants, éducations, prisons, infrastructures de transports….) que Trump a mis en place durant son premier mandat, en quoi cela est l’action d’un gouvernant qui “renforce l’action de l’État” ?  
    “J’aimerais savoir d’où vous tirez vos chiffres”.
    Du site “Latinometric” qui faire le comparatif des taux d’homicides du Salavdor avec les autres pays du continent, jetez donc un coup d’œil, c’est plus éclairant que la propagande du communicant Bukele…
    Mais la question n’est pas tant de savoir ce que moi je crois, mais ce que les Salvadoriens croient. Pourquoi, si comme vous le dites, la criminalité était en « baisse drastique » depuis 2016″  les gens ont voté pour Bukele ? Si les gouvernements antérieurs donnaient satisfaction, pourquoi voter pour un extrémiste inexpérimenté ? 
    Car le gouvernement précédent avait eu sa précédente entente avec les Maras (qui avait entrainé une autre baisse du taux d’homicide entre 2012 et 2014) dénoncée publiquement, ce qui avait provoqué un tollé dans l’opinion publique et décridibilisé le gouvernement 
    “Mais si Bukele ne fait « que ce qu’on fait plusieurs dirigeants salvadoriens avant lui », comment a-t-il réussi à les battre et à se faire réélire”
    Peut-être par ce que ses prédécesseures n’avaient mis en place un “régime d’exception” en 2022, obtenu en faisant entrer des militaires armes au poing dans le Parlement, ou que ses adversaires non pas une machine d’état qui fait la promotion des membres du gouvernement lors des élections de 2024, tout en faisant pression sur les journalistes d’opposition ?
    Mais bon, ça doit être des “libéraux” en face, donc pas de problème n’est-ce pas ?  
     
    “Bukele ou Trump n’ont pas seulement été élus – ce qui à la rigueur peut être attribué comme vous le faites au « bon choix » des éléments de langage – mais ont été réélus”
    Vous avez loupé l’épisode ou Trump n’a pas été réélu en 2020 non ? 
    Lorsqu’on sait qu’une élection présidentielle aux US ou un président sortant est candidat à véritablement valeur de plébiscite pour la politique de ce dernier, cela met à mal votre story telling “d’immense popularité de Trump”. Vous noterez que le mécanisme qui fait perdre Trump en 2020 la fait gagner en 2024, ou l’électorat à massivement voté contre le bilan de Biden, plus que pour le programme de Trump.
     
    Quant à Bukele, vous croyez vraiment à la popularité d’un Dictateur, selon les propres dires de l’intéressé, qui obtient un score électoral de république Bananière ?
     
    Vous confirmez bien mon point, du moment qu’un néolibéral se dit être un partisan de l’État fort dans le cirque médiatique en disant vouloir expulser les immigrés illégaux par exemple, pour vous, il l’est et qu’importe la réalité de sa politique.     

    • Descartes dit :

      @ Lingons

      [“Ah bon ? Pour vous l’imposition de tarifs douaniers c’est « réduire l’action de l’Etat » ? Expulser les immigrés illégaux c’est « réduire l’action de l’Etat » ? Pensez-vous que dans ces deux propositions les « néolibéraux » – qui sont favorables, je vous le rappelle, à la libre concurrence que ce soit sur le marché du travail ou celui des biens et services – seront alignés avec lui ? Non, il y a là l’ambigüité dont je parlais plus haut.”
      Vous illustrez, une fois encore, que vous vous fiez juste aux éléments de langages d’un Trump et non sur la réalité de son action :]

      Parce que pour vous, les tarifs douaniers imposés par Trump sont un « élément de langage » et non une réalité ? L’immense majorité des commentateurs, quelque soit d’ailleurs leur couleur politique, considèrent que les décisions prises par Trump dans ce domaine depuis son accession au pouvoir ont changé profondément le comportement des acteurs du commerce international. Pour des « éléments de langage », c’est assez radical, non ?

      [1. Le système tarifaire utilisé par Trump n’est pas utilisé pour protéger les entreprises US en vue d’une réindustrialisation, mais comme menace envers d’autres pays afin d’obtenir des “deals” commerciaux avantageux pour les US dans le cadre… d’accords de libre-échange]

      Je le lis pas la pensée de Trump, et je ne peux donc pas connaître ses buts cachés. Je me fie plutôt aux effets de sa politique. Et pour le moment, je ne vois aucun de ces « accords de libre-échange » se matérialiser. Par contre, on voit quotidiennement des entreprises décider une augmentation de leurs investissements aux Etats-Unis en réponse aux barrières en question. Le reste est pure interprétation idéologique. Ici, vous faites exactement ce que vous me reprochez par ailleurs…

      [2. Trump dit qu’il va expulser les migrants, mais le fait-il vraiment ? Les chiffres de l’immigration montre que Trump a expulsé moins qu’Obama (-13%) ou Biden (-9%)]

      Dans votre comparaison, vous parlez de son premier mandat, ou des cent premiers jours du second ?

      [3. Vous occultez totalement dans votre analyse la politique de dérégulation financière interne et de privatisation massive des services publics ( système de santé d’anciens combattants, éducations, prisons, infrastructures de transports….) que Trump a mis en place durant son premier mandat, en quoi cela est l’action d’un gouvernant qui “renforce l’action de l’État” ?]

      Il ne faut pas confondre « l’action de l’Etat » et le « poids de l’Etat ». Le fait que le système de santé des anciens combattants soit géré par une caisse publique plutôt que privée n’est pas la question. La question est de savoir si cette gestion est une pure gestion administrative, où si au contraire elle sert à mettre en œuvre une véritable politique de l’Etat. Si l’Etat s’impose de gérer ses services publics comme s’il s’agissait d’entreprises privées la privatisation ne change pas grande chose. Avez-vous perçu un changement lorsque la FDJ a été privatisée ?

      Encore une fois, le problème que je posais dans mon article est celui de la capacité de l’Etat à agir, et non de son poids dans l’économie ou dans la vie des citoyens.

      [“J’aimerais savoir d’où vous tirez vos chiffres”. Du site “Latinometric” qui faire le comparatif des taux d’homicides du Salvador avec les autres pays du continent, jetez donc un coup d’œil, c’est plus éclairant que la propagande du communicant Bukele…]

      J’ai jeté un coup d’œil… et je n’ai rien trouvé à part une offre de souscription. Pourriez-vous mettre un lien sur la page en question ?

      [« Mais la question n’est pas tant de savoir ce que moi je crois, mais ce que les Salvadoriens croient. Pourquoi, si comme vous le dites, la criminalité était en « baisse drastique » depuis 2016″ les gens ont voté pour Bukele ? Si les gouvernements antérieurs donnaient satisfaction, pourquoi voter pour un extrémiste inexpérimenté ? » Car le gouvernement précédent avait eu sa précédente entente avec les Maras (qui avait entrainé une autre baisse du taux d’homicide entre 2012 et 2014) dénoncée publiquement, ce qui avait provoqué un tollé dans l’opinion publique et décrédibilisé le gouvernement]

      Très bien. Bukele fait la même chose me dites-vous, il suffirait donc que ses adversaires utilisent la même dénonciation publique pour le faire battre. Pourquoi ça ne marche pas ? Pourquoi les discours des « populistes » – alors qu’ils font selon vous exactement la même chose que les autres – sont crédibles alors que ceux de leurs adversaires en le sont pas ? C’est là la question que je pose dans mon article. Mon explication, c’est que là où les autres prêchent une forme de résignation à l’impuissance du collectif, les « populistes » au contraire assument le refus de se laisser corseter. Mais si vous avez une meilleure explication, je suis curieux de l’entendre.

      [“Mais si Bukele ne fait « que ce qu’on fait plusieurs dirigeants salvadoriens avant lui », comment a-t-il réussi à les battre et à se faire réélire” Peut-être par ce que ses prédécesseures n’avaient mis en place un “régime d’exception” en 2022, obtenu en faisant entrer des militaires armes au poing dans le Parlement, ou que ses adversaires non pas une machine d’état qui fait la promotion des membres du gouvernement lors des élections de 2024, tout en faisant pression sur les journalistes d’opposition ?]

      Vous pensez vraiment que les politiciens salvadoriens d’avant Bukele étaient des enfants de chœur, qu’ils n’ont pas utilisé la machine de l’Etat pour faire la promotion des membres de leur gouvernement et fait pression sur les journalistes de l’opposition ? Bien sur que si. Quant aux régimes d’exception et l’entrée des militaires dans le Parlement, si cela pouvait vous garantir 80% de votes favorables dans les urnes, cela se saurait. L’Amérique latine a connu un grand nombre de dictateurs, de Somoza à Trujillo, de Stroessner à Videla, qui ont imposé l’état d’exception. Rares sont ceux qui ont osé organiser des élections, et encore plus rares ceux qui les ont gagnées.

      [“Bukele ou Trump n’ont pas seulement été élus – ce qui à la rigueur peut être attribué comme vous le faites au « bon choix » des éléments de langage – mais ont été réélus” Vous avez loupé l’épisode ou Trump n’a pas été réélu en 2020 non ?]

      Au contraire. Cet épisode renforce mon argument. Parce que s’il avait été réélu en 2020, vous auriez pu m’expliquer que, comme Bukele, il avait utilisé la machine de l’Etat à son profit pour faire la propagande de son gouvernement, acheter des voix ou faire pression sur ses opposants. Mais en 2024, il a été réélu alors que ses adversaires étaient au pouvoir, par des électeurs qui avaient déjà fait l’expérience de le voir gouverner. Comment expliquez-vous leur choix ? Parce que je vous fais amicalement noter que si vous rejetez l’explication que je propose aux succès des populistes, vous ne proposez pas d’explication alternative…

      [Lorsqu’on sait qu’une élection présidentielle aux US ou un président sortant est candidat à véritablement valeur de plébiscite pour la politique de ce dernier, cela met à mal votre story telling “d’immense popularité de Trump”. Vous noterez que le mécanisme qui fait perdre Trump en 2020 la fait gagner en 2024, ou l’électorat à massivement voté contre le bilan de Biden, plus que pour le programme de Trump.]

      D’abord, je vous prie de ne pas trahir mes propos. Je n’ai jamais parlé de « l’immense popularité de Trump ». Si j’ai utilisé cette expression, c’était à propos de Hitler, De Gaulle et Bukele. Ensuite, vous noterez quand même que la défaite de Trump en 2020 n’était pas une défaite flagrante : il ne lui a manqué que quelques voix pour être réélu.

      [Quant à Bukele, vous croyez vraiment à la popularité d’un Dictateur, selon les propres dires de l’intéressé, qui obtient un score électoral de république Bananière ?]

      Oui, j’y crois. Je ne peux que constater qu’il gagne des élections dont la régularité n’a pas été contestée par les observateurs internationaux. Et ce genre de victoire n’est pas à la portée de n’importe quel « dictateur ». J’imagine mal Videla ou Stroessner organisant des élections et encore moins les gagnant…

      [Vous confirmez bien mon point, du moment qu’un néolibéral se dit être un partisan de l’État fort dans le cirque médiatique en disant vouloir expulser les immigrés illégaux par exemple, pour vous, il l’est et qu’importe la réalité de sa politique.]

      Vous confirmez bien mon point : vous ne faites aucun effort pour essayer de comprendre quel est mon point. Je n’ai rien à faire de savoir si Trump ou Bukele sont VRAIMENT partisans de l’Etat fort. Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’en pensent leurs électeurs. Qu’est-ce qu’ils recherchent avec leur vote ? Pourquoi, alors que selon vous ces personnages font la même chose que leurs prédécesseurs, voire pire, on vote pour eux ? Et pourquoi on est devant un phénomène mondial, et non local ? Mon explication est qu’après quarante ans d’un discours néolibéral qui visait à rendre l’Etat – et donc le politique – impuissant, les électeurs plébiscitent les personnalités qui, au contraire, affirment la puissance du politique. Et ce discours est attractif en lui-même , quelque soit le comportement « réel » des personnages en question. Après, si vous avez une meilleure explication, je serais curieux de l’entendre…

  12. François dit :

    Bonjour Descartes,
    Pour commencer, qu’entendent-ils par « État de droit » ?
    – Celui qui se base sur le jusnaturalisme dans lequel l’État respecte les droits considérés comme inhérents à l’existence humaine et définis au XVIIIe siècle ? (Droits qui à défaut d’être « naturels », restent néanmoins facilement identifiables.) Non, il ne s’agit pas de cela, car ils sont indifférents à notre législation actuelle rendant particulièrement difficile pour le propriétaire d’un bien occupé illégalement de le récupérer, de la répression grandissante de la liberté d’expression (entre autres au nom de la lutte contre les soi-disantes « fake news »), sans oublier le sujet qui nous intéresse ici, les cris d’orfraies contre une législation visant à améliorer le droit élémentaire à la sécurité.
    – Celui qui se base sur le positivisme juridique, à savoir un État qui suit la règle qu’il s’est lui-même édicté (un quasi-truisme pourrait-on dire) ? Non plus, car comme une modification de la législation, y compris constitutionnelle qui ne correspond pas à leurs attentes est assimilée à une atteinte de « l’État de Droit ».
    Non, la réalité, c’est que ceux qui fétichisent « l’État de Droit » en font délibérément un concept flou. Un moyen pour cette maladie immunodéficiente de ne pas avoir à assumer ses idées nihilistes, bien concrètes elles, en nous enjoignant de respecter ce « principe » leur servant de paravent, sous peine d’être un salaud. Un moyen pour elle de tenter de contrer toute réactivation des défenses immunitaires de la Société.
     
    [La tendance des libéraux à corseter l’Etat par le droit]
    De quels libéraux vous parlez ?
     
    [Trump ou Bukele ne sont pas des phénomènes isolés, mais une réponse à la logique d’impuissance de l’Etat voulue par la révolution néolibérale.]
    J’aimerais bien savoir en quoi Bukele s’opposerait à la « révolution néolibérale ». Je rappelle juste qu’il a fait la promotion des cryptomonnaies, dans la plus pure lignée de la concurrence des monnaies voulu par Friedrich Hayek. Tout comme je n’ai pas particulièrement l’impression que les gouvernements de Margaret Thatcher se soient traduits par moins de répression (ne parlons même pas de la période sous Pinochet).

    • Descartes dit :

      @ François
      ,
      [Pour commencer, qu’entendent-ils par « État de droit » ?
      – Celui qui se base sur le jusnaturalisme dans lequel l’État respecte les droits considérés comme inhérents à l’existence humaine (…)]

      La notion « d’Etat de droit » est indépendante de la question de la source du droit. Un « Etat de droit » est une organisation sociale dans laquelle l’Etat est lui-même soumis au droit, autrement dit, l’Etat est lui-même soumis au principe de légalité, qui fait que ses actes doivent être conformes à la loi. Cette notion s’oppose par exemple à l’absolutisme monarchique, dans lequel le chef de l’exécutif peut agir selon sa volonté sans être limité par le droit.

      La question ensuite est celle de savoir quelle est la source du droit. Est-ce dieu ? La nature ? Le législateur humain ? Un mélange des trois ? Si l’on met de côté la théocratie – dont il existe quand même quelques exemples, du Vatican à l’Iran – on considère deux sources principales. L’école « jusnaturaliste » considère qu’il existe des lois « naturelles », inscrites dans l’humanité elle-même, auxquelles l’Etat doit se soumettre, et que le juge peut dégager de lui-même. Pour les positivistes, au contraire, la seule source est le législateur humain, et le juge ne fait qu’interpréter sa volonté.

      L’idée que l’Etat soit soumis « à la loi qu’il s’est lui-même édictée » est en fait une approximation dangereuse. Ce n’est pas l’Etat qui édicte les lois, c’est le législateur. Il y a une confusion à éviter entre les différentes significations du mot « Etat ». L’Etat est la machine qui transforme les décisions du législateur en acte. Mais elle ne se confond pas avec le législateur. Quand on parle d’un Etat soumis au droit, on parle de la police, du juge, du percepteur, du fonctionnaire, et non du député.

      [Non, la réalité, c’est que ceux qui fétichisent « l’État de Droit » en font délibérément un concept flou. Un moyen pour cette maladie immunodéficiente de ne pas avoir à assumer ses idées nihilistes, bien concrètes elles, en nous enjoignant de respecter ce « principe » leur servant de paravent, sous peine d’être un salaud. Un moyen pour elle de tenter de contrer toute réactivation des défenses immunitaires de la Société.]

      Oui, mais il ne faudrait pas jeter l’enfant avec l’eau du bain. Défini précisément, le concept d’Etat de droit est non seulement utile, il est indispensable au fonctionnement d’une société démocratique. Cela étant dit, il ne faut pas le fétichiser non plus : s’il est souhaitable que l’Etat se comporte conformément au droit, ce n’est pas toujours possible. La raison d’Etat garde, elle aussi, sa logique.

      [« La tendance des libéraux à corseter l’Etat par le droit » De quels libéraux vous parlez ?]

      De tous les libéraux. Que ce soit les libéraux classiques ou les néolibéraux, tous voient dans la puissance de l’Etat une menace, et tous ont réfléchi aux moyens de corseter cette puissance. Je n’ai pas dit qu’ils aient toujours eu tort : limiter la puissance de l’Etat absolutiste était une nécessité. Mais souvent leur action est allée trop loin, faute de comprendre que l’affaiblissement excessif de l’Etat amenait un autre danger, celui de « la guerre de tous contre tous ».

      [« Trump ou Bukele ne sont pas des phénomènes isolés, mais une réponse à la logique d’impuissance de l’Etat voulue par la révolution néolibérale. » J’aimerais bien savoir en quoi Bukele s’opposerait à la « révolution néolibérale ». Je rappelle juste qu’il a fait la promotion des cryptomonnaies, dans la plus pure lignée de la concurrence des monnaies voulu par Friedrich Hayek. Tout comme je n’ai pas particulièrement l’impression que les gouvernements de Margaret Thatcher se soient traduits par moins de répression (ne parlons même pas de la période sous Pinochet).]

      Je n’ai pas dit que Bukele s’oppose à la révolution néolibérale. Ce que j’ai dit, c’est que l’échec des néolibéraux à résoudre les problèmes des couches populaires amènent par réaction des gens comme Trump ou Bukele au pouvoir. Ce n’est pas du tout la même chose. J’insiste : la question de savoir si les populistes sont ou non capables de résoudre les problèmes créés par l’évolution du capitalisme est secondaire. Le problème est que les couches populaires sont arrivées à la conclusion – juste – que les autres ne le feront pas, et qu’elles sont donc prêtes à essayer d’autres propositions, et que même si cela n’aboutit pas à des politiques cohérentes au service des couches populaires, les populistes ne peuvent garder le pouvoir qu’en s’attaquant aux problèmes prioritaires. Je suis sûr que pour le salvadorien de la rue, la sécurité est bien plus prioritaire que la question de la concurrence des monnaies.

      • François dit :

        @Descartes
        [L’idée que l’Etat soit soumis « à la loi qu’il s’est lui-même édictée » est en fait une approximation dangereuse. Ce n’est pas l’Etat qui édicte les lois, c’est le législateur.]
        Si vous voulez, mais dans la mesure où dans une démocratie, l’État 
         
        [Oui, mais il ne faudrait pas jeter l’enfant avec l’eau du bain.]
        Je considère « l’État de Droit » comme un moyen et non  une fin.
         
        [[« La tendance des libéraux à corseter l’Etat par le droit » De quels libéraux vous parlez ?]
        De tous les libéraux.]
        Même Pinochet ? Je rappelle juste que pour les « néolibéraux », l’État n’a pas à intervenir dans l’économie, mais qu’il est parfaitement légitime à agir dans les domaines dits régaliens, dont la sécurité. Je n’ai pas souvenir que Milton Friedman ait beaucoup écrit sur la manière dont l’État doit maintenir l’ordre. C’est qu’il ne faudrait pas confondre les néo-classiques avec des positivistes maximalistes considérant que chaque action de l’État (et pas seulement) doit être encadrée par une stricte procédure détaillée, avec sanction à la clef si cette procédure n’est pas respectée.
         
        [Je n’ai pas dit que Bukele s’oppose à la révolution néolibérale. Ce que j’ai dit, c’est que l’échec des néolibéraux à résoudre les problèmes des couches populaires amènent par réaction des gens comme Trump ou Bukele au pouvoir.]
        S’il est en effet impossible de rattacher la politique de Trump à l’école néo-classique, je ne vois pas pourquoi on pourrait le dénier à Bukele. Encore une fois, Friedrich Hayek aurait de quoi être fier de sa promotion des cryptomonnaies. Et dans le domaine économique, en quoi a t-il renforcé la présence de l’État ? Bref, à des « néolibéraux » qui ont échoué succède un « néolibéral » qui réussi. Tout comme je n’ai pas pas particulièrement l’impression que Milei en ait quelque chose à faire de l’État de Droit.

        • Descartes dit :

          @ François

          [« L’idée que l’Etat soit soumis « à la loi qu’il s’est lui-même édictée » est en fait une approximation dangereuse. Ce n’est pas l’Etat qui édicte les lois, c’est le législateur. » Si vous voulez, mais dans la mesure où dans une démocratie, l’État]

          Votre phrase est sortie incomplète…

          [« Oui, mais il ne faudrait pas jeter l’enfant avec l’eau du bain. » Je considère « l’État de Droit » comme un moyen et non une fin.]

          Je partage. Je pense d’ailleurs qu’il faut en comprendre les limites. Il y a des circonstances ou l’Etat de droit constitue un obstacle à la résolution des problèmes. C’est la théorie de la raison d’Etat.

          [« De tous les libéraux. » Même Pinochet ?]

          J’ai du mal à considérer Pinochet comme un « libéral ». Qu’il ait mis en œuvre une politique économique conforme aux préceptes des néolibéraux de l’école de Chicago, c’est un fait. Mais le libéralisme ne se réduit pas à une théorie économique, et je ne pense pas que Pinochet ait conduit cette politique au nom d’une vision du monde « libérale ». Pinochet n’est pas un idéologue, c’est un pragmatique : il a fait ce que les classes intermédiaires et la bourgeoisie chilienne – et accessoirement, les grandes compagnies américaines du cuivre – voulaient.

          [Je rappelle juste que pour les « néolibéraux », l’État n’a pas à intervenir dans l’économie, mais qu’il est parfaitement légitime à agir dans les domaines dits régaliens, dont la sécurité.]

          Non. Pour les libéraux, l’Etat est aussi légitime à intervenir dans l’économie que dans les domaines régaliens, mais son intervention n’est légitime qui s’il se limite à agir en régulateur dont le but est de préserver la liberté des différents acteurs. L’Etat est aussi légitime à combattre ceux qui abusent de leur pouvoir de marché pour imposer leurs produits que ceux qui abusent de la force pour imposer leurs idées ou leur religion…

          [Et dans le domaine économique, en quoi a t-il renforcé la présence de l’État ? Bref, à des « néolibéraux » qui ont échoué succède un « néolibéral » qui réussi.]

          Pas tout à fait. A des néolibéraux qui se foutaient des revendications populaires succède un néolibéral qui, tout en continuant les mêmes politiques dans le domaine économique, prend en compte l’une de leurs principales revendications. Est-ce que les couches populaires ont perdu au change ?

          [Tout comme je n’ai pas pas particulièrement l’impression que Milei en ait quelque chose à faire de l’État de Droit.]

          Certainement. Mais on retrouve le même schéma : Milei n’est pas moins « néolibéral » que ses concurrents (il l’est plutôt plus) mais a pris en compte la principale revendication des argentins : réduire l’inflation, qui est passée de 20% à 3% PAR MOIS, et réduire la corruption. Pas étonnant qu’il garde un enviable score dans les études d’opinion…

          • François dit :

            @Descartes
            [Votre phrase est sortie incomplète…]
            J’avais commencé à écrire un commentaire avant de me rendre compte de son manque de pertinence, aussi au moment de publier, j’ai oublié de le supprimer.
             
            [J’ai du mal à considérer Pinochet comme un « libéral ».]
            Sur le plan économique, il l’était indubitablement. A contrario, la France des Trente Glorieuses était libérale politiquement, mais autoritaire économique. Libéralisme politique et libéralisme économique ne sont donc pas liés.
            Et puis généralement, quand on dit qu’un tel est « libéral » (et a fortiori « néo-libéral »), c’est sur le plan économique. C’est qu’en France, jusqu’à période récente, tous les grands partis/courants de pensées étaient « libéraux ». (Le libéralisme politique étant par ailleurs consubstantiel à la démocratie).
             
            [Pas tout à fait. A des néolibéraux qui se foutaient des revendications populaires succède un néolibéral qui, tout en continuant les mêmes politiques dans le domaine économique, prend en compte l’une de leurs principales revendications. Est-ce que les couches populaires ont perdu au change ?]
            Dans la mesure où je considère que pouvoir déambuler (sans avoir besoin de se payer des gardes du corps) sans crainte de se faire trucider est le premier droit social (avec « social » au sens premier de l’adjectif, qui se rapporte à la société), indubitablement oui.
             
            [Certainement. Mais on retrouve le même schéma : Milei n’est pas moins « néolibéral » que ses concurrents (il l’est plutôt plus) mais a pris en compte la principale revendication des argentins : réduire l’inflation]
            On fera remarquer que la stabilité des prix est l’un des objectifs de l’école néo-classique.

            • Descartes dit :

              @ François

              [« J’ai du mal à considérer Pinochet comme un « libéral ». » Sur le plan économique, il l’était indubitablement.]

              Justement, c’est là le problème. Un gouvernement peut décider de privatiser une entreprise publique parce qu’il estime qu’il est inutile de la garder dans le giron public – ou parce qu’il veut faire plaisir à tel ou tel groupe d’intérêts. Un autre le fera parce qu’il adhère à l’idée libérale qu’il faut laisser la gestion des activités économiques à l’initiative privée. Diriez-vous que les deux gouvernements en question sont « libéraux » ? Moi pas. Ce n’est pas l’acte en soi qui est « libéral », mais l’idéologie qui le sous-tend et l’organise.

              Pinochet a mise en œuvre des mesures qu’on rattache généralement aux gouvernements « libéraux ». Mais adhérait-il à cette idéologie, ou bien l’a-t-il fait pour répondre aux demandes de groupes d’intérêt, et notamment des multinationales américaines qui avaient en partie financé sa prise de pouvoir ? Je pense que la vérité est plutôt dans la dernière option. Parce qu’une idéologie ne peut s’acheter par appartements. Difficile d’adhérer à une vision du monde libérale en économie tout en soutenant une vision autoritaire pour le reste…

              [A contrario, la France des Trente Glorieuses était libérale politiquement, mais autoritaire économique. Libéralisme politique et libéralisme économique ne sont donc pas liés.]

              Mais on peut difficilement dire que De Gaulle fut un « libéral ».

              [Et puis généralement, quand on dit qu’un tel est « libéral » (et a fortiori « néo-libéral »), c’est sur le plan économique.]

              Je ne suis pas d’accord. La « révolution néolibérale » est autant économique que politique et sociale. Quand on parle d’introduire de la concurrence dans l’éducation ou dans les soins, on n’est pas dans l’économie.

              [C’est qu’en France, jusqu’à période récente, tous les grands partis/courants de pensées étaient « libéraux ». (Le libéralisme politique étant par ailleurs consubstantiel à la démocratie).]

              Les communistes étaient « libéraux » ? A moins que vous ne les considériez pas comme un « grand parti/courant de pensée »… Là encore, je pense que vous faites erreur. D’abord, le libéralisme politique n’est en rien consubstantiel à la démocratie, au contraire : il y a une tension permanente entre la vision libérale d’un individu dont la liberté ne connaît comme limite que ceux qui permettent aux autres de jouir de cette même liberté, et la capacité de contrainte de la collectivité sur l’individu. La démocratie est justement un compromis entre la vision holiste des collectivistes et la vision individualiste que portent les libéraux.

              [« Pas tout à fait. A des néolibéraux qui se foutaient des revendications populaires succède un néolibéral qui, tout en continuant les mêmes politiques dans le domaine économique, prend en compte l’une de leurs principales revendications. Est-ce que les couches populaires ont perdu au change ? » Dans la mesure où je considère que pouvoir déambuler (sans avoir besoin de se payer des gardes du corps) sans crainte de se faire trucider est le premier droit social (avec « social » au sens premier de l’adjectif, qui se rapporte à la société), indubitablement oui.]

              Je pense que vous avez voulu dire « indubitablement non ». Et c’est là je pense où se trouve le secret du succès des « populistes ». Pour conquérir le soutien populaire, point n’est besoin de créer le paradis sur terre. Il suffit de reprendre deux ou trois priorités des couches populaires, et montrer que, contrairement aux partis « classiques », on peut changer des choses sur ces points précis. Que voulez-vous, le temps où l’on demandait « des lendemains qui chantent » est passé, et aujourd’hui les couches populaires se contentent de beaucoup moins…

              [« Certainement. Mais on retrouve le même schéma : Milei n’est pas moins « néolibéral » que ses concurrents (il l’est plutôt plus) mais a pris en compte la principale revendication des argentins : réduire l’inflation » On fera remarquer que la stabilité des prix est l’un des objectifs de l’école néo-classique.]

              Je pense que l’objectif d’éviter une hyperinflation est un objectif que toutes les écoles économiques partagent…

  13. François dit :

    Sinon, il paraît que ça fait vingt ans aujourd’hui.

  14. Goupil dit :

    @tmn
     
    [et donc maitrisé, et sans trop de conséquences sociales]
     
    Attention, je n’ai jamais dit que l’usage « hédoniste » n’avait aucune conséquence sociale…
     
    En fait, ce que je dis, c’est que les conséquences du point de vue du problème de santé publique sont moindres (mais pas nulles) concernant l’usage hédoniste : il s’agit d’un usage plus limité donc plus maîtrisé en moyenne (mais la moyenne peut cacher des variations non-négligeables), plus discret (dans des cadres déterminés : en fête, entre copains…), qui pose en fait assez peu de problèmes de dépendance.
     
    Inversement, les classes populaires sombrent plus facilement dans la dépendance – et là, ça devient un problème de santé publique, d’autant que les dépendants au cannabis sont souvent aussi dépendants à l’alcool, au tabac, etc. Finalement, c’est un peu le même problème qu’avec l’alcool : une soirée étudiante peut provoquer des troubles à l’ordre public du fait des grandes quantités d’alcool ou de drogue consommées et des pics de comas éthyliques ou d’overdoses, mais toujours en nombre limités. Si ce n’était que ça, ce serait des cas gérables par la simple répression ponctuelle. Mais l’incrustation d’une consommation maladive d’alcool ou de drogue dans les secteurs les plus précarisés et/ou les plus exploités du monde du travail est une véritable menace pour la santé des travailleurs, leur qualité de vie et leur productivité. A fortiori quand elle favorise la reproduction familiale ou inter-amicale de comportements déviants. Et là, la répression n’est plus suffisante, car étouffer la demande nécessite de s’attaquer aux causes profondes de l’accroissement des situations de dépendance i.e. la qualité des conditions de vie et de travail des classes populaires.
     
    Cela dit, même l’usage hédoniste a d’autres conséquences sociales. Comme le rappelle Descartes, il constitue quand même une demande capable de susciter une offre, et alimente le marché de la drogue, sur une section différente certes mais auprès des mêmes fournisseurs. « Pour le dealer », ça change un peu malgré tout mais, globalement, c’est un marché comme un autre.
     
    Je rejoins également l’analyse de Descartes sur la suite, c’est bien pour cela que j’avais précisé « pour tenir voire s’abrutir ». Du point de vue des exploiteurs, cela permet de faire accepter des conditions de travail dégradées (mais il semble que les employeurs tendent à agir de plus en plus contre la consommation de drogue car, poussé à trop grand échelle, elle commence à avoir des effets négatifs sur la bonne tenue de la main-d’œuvre) ou une situation de désœuvrement chronique. Du point de vue des réseaux criminels, cela permet de créer des consommateurs captifs – et potentiellement des recrues pour élargir encore leur marché.
     
    De plus, comme vous l’indiquiez, le trafic de stupéfiants permet également de « tenir » en partie les quartiers populaires. Du point de vue des habitants qui se retrouvent partiellement dépendants des bénéfices du trafic (et d’ailleurs, cela prouve que la répression pure et simple sera toujours insuffisante car, si vous ne proposez pas d’alternative crédible aux locaux, ils auront toujours un intérêt à investir dans le trafic…il suffit de voir les difficultés de Gustavo Petro en Colombie). Du point de vue des pouvoirs publics aussi : j’avais lu quelque part que les quartiers qui étaient des noyaux très dynamiques de trafic de drogue avaient connu un calme plat lors des grandes émeutes de 2005 car les « commerçants » s’étaient assurés que rien de viendrait troubler le « petit commerce »…mais il est vrai que les conséquences de l’expansion du marché font resurgir actuellement le trafic en tant que problème d’ordre public majeur.

    • Descartes dit :

      @ Goupil

      [En fait, ce que je dis, c’est que les conséquences du point de vue du problème de santé publique sont moindres (mais pas nulles) concernant l’usage hédoniste : il s’agit d’un usage plus limité donc plus maîtrisé en moyenne (mais la moyenne peut cacher des variations non-négligeables), plus discret (dans des cadres déterminés : en fête, entre copains…), qui pose en fait assez peu de problèmes de dépendance.]

      Ce commentaire pousse à une double question. La première, est qu’il y a une forme de dépendance qui n’est pas négligeable : un individu qui n’est pas capable de « faire la fête » ou de « fréquenter des copains » sans la médiation d’une substance psychotrope est bien un individu dépendant. La deuxième question est celle du passage entre les usages : combien de consommateurs sont passés à un usage « abrutissant » en ayant commencé par un usage hédoniste ?

      [Inversement, les classes populaires sombrent plus facilement dans la dépendance – et là, ça devient un problème de santé publique, d’autant que les dépendants au cannabis sont souvent aussi dépendants à l’alcool, au tabac, etc.]

      Ou la religion, pour reprendre le parallèle de Marx 😉. Mais vous noterez que pour ce qui concerne l’alcool ou le tabac, les moyens de lutte contre la dépendance les plus efficaces ont visé la disponibilité des substances : taxation prohibitive, interdiction de consommation dans certains lieux et contextes…

      [Finalement, c’est un peu le même problème qu’avec l’alcool : (…)]

      Je ne pense pas que ce soit votre intention, mais je pense qu’il faut faire attention avec le parallèle entre l’alcool et les psychotropes. Les effets sur les processus intellectuels et cognitifs sont beaucoup plus sérieux dans le deuxième cas, même en faisant abstraction des questions de dépendance. Même pour une faible consommation.

      [(…) une soirée étudiante peut provoquer des troubles à l’ordre public du fait des grandes quantités d’alcool ou de drogue consommées et des pics de comas éthyliques ou d’overdoses, mais toujours en nombre limités. Si ce n’était que ça, ce serait des cas gérables par la simple répression ponctuelle. Mais l’incrustation d’une consommation maladive d’alcool ou de drogue dans les secteurs les plus précarisés et/ou les plus exploités du monde du travail est une véritable menace pour la santé des travailleurs, leur qualité de vie et leur productivité. A fortiori quand elle favorise la reproduction familiale ou inter-amicale de comportements déviants. Et là, la répression n’est plus suffisante, car étouffer la demande nécessite de s’attaquer aux causes profondes de l’accroissement des situations de dépendance i.e. la qualité des conditions de vie et de travail des classes populaires.]

      Je m’interroge. La qualité et les conditions de vie des classes populaires se dégrade en France, mais elle reste très favorable comparée à certains pays d’Asie, d’Amérique Latine ou d’Afrique. Est-ce que la consommation de drogues dans ces pays est beaucoup plus importante qu’en France ? Je n’en suis pas persuadé. Oui, les conditions de vie et de travail ont leur importance, mais il y a d’autres facteurs, sociaux, économiques, culturels qu’il faut prendre en compte et sur lesquels on peut jouer. Prenez le cas du tabac : on s’est attaqué aux consommateurs en taxant lourdement les cigarettes, en limitant la consommation sur le lieu de travail… et cela a été très efficace. On n’a pas amélioré les conditions de vie ou de travail… et pourtant la consommation a baissé. Je pense qu’il ne faut pas s’interdire aucun levier à priori.

      • Glarrious dit :

        [ Prenez le cas du tabac : on s’est attaqué aux consommateurs en taxant lourdement les cigarettes, en limitant la consommation sur le lieu de travail… et cela a été très efficace. ]
         
        Efficace ? Je ne suis pas sûr au vu du développement des vendeurs à la sauvette et de la contre bande des cigarettes. On passe le coucou à la sénatrice LR.

        • Descartes dit :

          @ Glarrious

          [Efficace ? Je ne suis pas sûr au vu du développement des vendeurs à la sauvette et de la contre bande des cigarettes.]

          Oui, efficace. Selon l’Observatoire des drogues et des comportements addictifs, la tabagisme quotidien est passé de 30% en 2000 à 23% en 2024. Ce n’est pas mal. Et lorsqu’on regarde les séries longues, c’est encore plus dramatique: en 1991, on vendait chaque année un peu plus de 100.000 tonnes de tabac. En 2001, on en vendait encore 95.000. Mais en 2004 ce n’était plus que 60.000 tonnes. Que s’est-il passé entre les deux ? Et bien, la loi de financement pour la securité sociale de 2002 a introduit des augmentations massives des taxes… (voir graphique https://www.ofdt.fr/publication/2023/ventes-de-tabac-et-de-cigarettes-evolution-depuis-2000-1752)

          • Glarrious dit :

            Mais quid du marché noir ? En même, temps combien de cartouches sont importés illégalement ? Combien d’acheteur pour ces produits ? Combien en achète aux frontières comme à Andorre ou la Belgique ? Vos chiffres n’en parlent pas.
             
            Je pense que la consommation s’est déplacé vers les drogues illégales.

            • Descartes dit :

              @ Glarrious

              [Mais quid du marché noir ? En même, temps combien de cartouches sont importés illégalement ? Combien d’acheteur pour ces produits ? Combien en achète aux frontières comme à Andorre ou la Belgique ? Vos chiffres n’en parlent pas.]

              Je doute que le marché noir remplace les 40% de baisse sur le marché légal. Et on a toujours acheté des cigarettes dans les “duty free”, que ce soit à Andorre, en Belgique ou sur les ferrys qui vont en Angleterre.

          • Rogers dit :

            Oui,  c est vrai mais quand même, vouloir interdire la cigarette sur les plages…snif…

      • Goupil dit :

        @Descartes
         
        [il y a une forme de dépendance qui n’est pas négligeable]
         
        L’enjeu est alors de distinguer ceux qui font systématiquement la fête ou fréquentent des copains en consommant des psychotropes – et ceux qui peuvent consommer des psychotropes en faisant la fête ou en fréquentant des copains mais qui peuvent également faire ces activités sans stupéfiants. Or, le sondage sur lequel je m’appuyais semblait indiquer que les individus de la seconde catégorie appartiennent plutôt aux classes moyennes et supérieures et que ceux de la première catégorie plutôt aux classes populaires. Donc même dans ce cas-là, les cas de dépendance sont plus sensibles chez les jeunes ouvriers et employés.
         
        [combien de consommateurs sont passés à un usage « abrutissant » en ayant commencé par un usage hédoniste ?]
         
        Tous probablement, du moins chez les plus jeunes. On trouve peut-être quelques cas d’usage immédiat des psychotropes pour « tenir » face au travail ou face à une maladie chez les consommateurs les plus âgés.
         
        [Mais vous noterez que pour ce qui concerne l’alcool ou le tabac, les moyens de lutte contre la dépendance les plus efficaces ont visé la disponibilité des substances]
         
        Et vous noterez que les tentatives d’interdiction (je pense à l’alcool lors de la Prohibition) ont souvent échoué et ont plutôt servi à alimenter le trafic interlope. En fait, il vaudrait mieux appliquer un principe de réalité et considérer que, s’il est possible d’interdire réellement un psychotrope consommé en petite quantité et dans des milieux très identifiables, il est beaucoup plus difficile d’interdire un produit massivement consommé et pour lequel s’est déjà constitué une demande forte. Pour parler plus concrètement, je pense qu’une action répressive résolue permettrait de porter un coup au trafic de drogues fortes (MDMA, cocaïne…) mais qu’en l’état et compte tenu de la banalisation effective de sa consommation ce serait tout bonnement impossible (ou alors terriblement coûteux économiquement et socialement) de le faire à l’encontre du cannabis.
         
        [il faut faire attention avec le parallèle entre l’alcool et les psychotropes]
         
        Ce n’est effectivement pas mon intention. Je ne fais ce parallèle que pour l’image des fêtes étudiantes et de la consommation addictive, mais, en dehors de cela, les enjeux contemporains portant sur la consommation d’alcool (et il faudrait même distinguer les alcools entre eux : boissons fermentées ou boissons distillées), de tabac, de cannabis et d’autres psychotropes (desquels on pourrait distinguer d’ailleurs les médicaments détournés de leur usage – seul stupéfiant dont la consommation est très majoritairement féminine) sont différents car ils n’ont pas tout à fait la même fonction sociale, le même profil de consommateurs, les mêmes effets biologiques.
         
        [Est-ce que la consommation de drogues dans ces pays est beaucoup plus importante qu’en France ?]
         
        Je ne sais pas non plus et je ne sais pas si des sources statistiques suffisamment stables pourraient être trouvées pour des pays différents. Je sais cependant que l’usage de certaines drogues est traditionnel dans de nombreuses sociétés : on mâche des feuilles de coca dans les Andes ou du khat dans la corne de l’Afrique. Et je connais aussi un peu le cas du Japon où la consommation de drogue semble être restreinte en dehors du monde de la nuit mais où la pratique de se mettre « une cuite » sévère le plus souvent possible après le boulot est plus que répandue (des échos me disent la même chose de la Corée).
         
        De plus, je parle très génériquement des « conditions de vie des classes populaires » pour aller vite. Peut-être m’appuie-je sur des clichés occidentalo-centrés mais j’aurais tendance à faire l’hypothèse que, plus que la dégradation à proprement parler des conditions de vie (qui joue un rôle cependant), c’est la destruction d’un certain nombre de rapports sociaux qui favorise l’expansion de la consommation de drogue dans des formes « libérales-libertaires ». Pour ne prendre que le cas des classes populaires, si la drogue pénètre et se diffuse d’autant plus profondément dans les banlieues et les campagnes occidentales, c’est parce que la pénétration des rapports sociaux capitalistes y est plus profonde que dans les bidonvilles du Sud global. Dans ces derniers, malgré le « grand déménagement » provoqué par la mondialisation et la métropolisation, la persistance de structures sociales traditionnelles (tribales ou religieuses en particulier) y fait que d’autres moyens de « tenir » face à l’exploitation capitaliste sont proposées, plus efficaces (en particulier l’opium religieux mais aussi des formes de solidarités villageoises) – sans compter le fait que l’exploitation capitaliste peut représenter un progrès pour certaines de ces populations et non une « dégradation » de leur situation. C’est plutôt le broyage de ces structures qui favorise l’expansion de la consommation de stupéfiants, à travers le développement de l’individualisme : pensez aux Indiens d’Amérique et aux Inuits qui n’ont même pas eu besoin d’être soumis à l’exploitation capitaliste pour développer un penchant notoire pour l’alcoolisme, ce dernier a simplement bénéficié de l’éclatement des chefferies traditionnelles et de la sédentarisation forcée des nomades. Pensez aussi que, si la classe ouvrière a toujours connu l’alcoolisme comme un problème, il s’agissait dans les Trente Glorieuses d’un problème mineur par rapport à l’alcoolisme des débuts de l’industrialisation, surtout dans les pays où cette dernière s’est faite le plus brutalement et le plus rapidement.
         
        [On n’a pas amélioré les conditions de vie ou de travail… et pourtant la consommation a baissé. Je pense qu’il ne faut pas s’interdire aucun levier à priori.]
         
        Non, bien sûr, il ne faut s’interdire aucun levier a priori – mais je ne crois pas avoir écrit que l’on pourrait purement et simplement faire l’économie de toute politique répressive. Mais il faut se méfier du parallèle entre drogue et tabac, comme entre drogue et alcool. Déjà, le tabac a-t-il exactement la même fonction que le cannabis aujourd’hui ? Ensuite, il me semble que si la consommation de tabac a diminué, en parallèle, le vapotage a fortement augmenté et les puffs représentent une offensive du marché de la cigarette en direction des jeunes : donc j’aurais tendance à dire que le fait de « fumer » est rester aussi élevé mais s’est diversifié. D’autant qu’il peut y avoir concurrence partielle des pratiques : il faudrait prouver que ceux qui ont cessé de fumer ne se sont pas tournés vers d’autres psychotropes, voire vers d’autres moyens de « tenir » (intégrisme religieux ou autre – il y a quelques années le Tabligh je crois recrutait largement grâce à des assos d’ « alcooliques anonymes » pour anciens prisonniers). Je note que ce qui a véritablement aidé la classe ouvrière européenne à sortir de l’alcoolisme chronique, c’est l’organisation du mouvement ouvrier, plus que toutes les campagnes de propagande des pouvoirs publics. Peut-être est-ce l’élément qui manque le plus aujourd’hui pour « faire la guerre à la drogue »…d’autant qu’on peut relever qu’au Mexique ou en Colombie, les cartels semblent beaucoup plus détester les tentatives d’auto-organisation populaires que l’armée ou la police.
         
        Je repense aussi à ce qu’on disait dans le groupe d’extrême-gauche où j’ai (un peu) milité. Que la diffusion de l’usage de psychotropes dans les années 60-70 était un moyen de se construire des paradis artificiels quand on avait renoncé à faire advenir le paradis terrestre !
         

        • Descartes dit :

          @ Goupil

          [L’enjeu est alors de distinguer ceux qui font systématiquement la fête ou fréquentent des copains en consommant des psychotropes – et ceux qui peuvent consommer des psychotropes en faisant la fête ou en fréquentant des copains mais qui peuvent également faire ces activités sans stupéfiants. Or, le sondage sur lequel je m’appuyais semblait indiquer que les individus de la seconde catégorie appartiennent plutôt aux classes moyennes et supérieures et que ceux de la première catégorie plutôt aux classes populaires. Donc même dans ce cas-là, les cas de dépendance sont plus sensibles chez les jeunes ouvriers et employés.]

          Je n’ai pas compris comment à partir du sondage vous tirez cette conclusion. Je vous rappelle d’ailleurs un point d’attention : dans un sondage, les sondés ne répondent pas nécessairement la vérité, ils répondent aussi en fonction de l’image qu’ils veulent donner d’eux-mêmes. Et cette image n’est pas indépendante du niveau social.

          [« combien de consommateurs sont passés à un usage « abrutissant » en ayant commencé par un usage hédoniste ? » Tous probablement, du moins chez les plus jeunes.]

          Il faut donc en tenir compte lorsqu’on parle des conséquences de la consommation hédoniste…

          [« Mais vous noterez que pour ce qui concerne l’alcool ou le tabac, les moyens de lutte contre la dépendance les plus efficaces ont visé la disponibilité des substances » Et vous noterez que les tentatives d’interdiction (je pense à l’alcool lors de la Prohibition) ont souvent échoué et ont plutôt servi à alimenter le trafic interlope.]

          Ont-ils « échoué » ? Je n’ai pas réussi à trouver de chiffres concernant la consommation d’alcool aux Etats-Unis pendant la prohibition. Avez-vous des éléments ?

          [En fait, il vaudrait mieux appliquer un principe de réalité et considérer que, s’il est possible d’interdire réellement un psychotrope consommé en petite quantité et dans des milieux très identifiables, il est beaucoup plus difficile d’interdire un produit massivement consommé et pour lequel s’est déjà constitué une demande forte. Pour parler plus concrètement, je pense qu’une action répressive résolue permettrait de porter un coup au trafic de drogues fortes (MDMA, cocaïne…) mais qu’en l’état et compte tenu de la banalisation effective de sa consommation ce serait tout bonnement impossible (ou alors terriblement coûteux économiquement et socialement) de le faire à l’encontre du cannabis.]

          Probablement. C’est d’ailleurs dans les faits ce qu’on fait. Aujourd’hui, la détention de cannabis n’est plus qu’une contravention, avec à la clé une simple amende. Je pense quand même que l’interdiction conserve un caractère pédagogique et doit être maintenue. Mais ne nous faisons pas d’illusions : le même mécanisme qui a conduit à la banalisation du cannabis malgré l’interdiction conduit à mon avis à la banalisation de la cocaïne, de la MDMA, de l’ecstasy et peut être demain de l’héroïne…

          [De plus, je parle très génériquement des « conditions de vie des classes populaires » pour aller vite. Peut-être m’appuie-je sur des clichés occidentalo-centrés mais j’aurais tendance à faire l’hypothèse que, plus que la dégradation à proprement parler des conditions de vie (qui joue un rôle cependant), c’est la destruction d’un certain nombre de rapports sociaux qui favorise l’expansion de la consommation de drogue dans des formes « libérales-libertaires ».]

          Je suis d’accord. Ce n’est d’ailleurs pas nouveau, et la fameuse formule de Marx qualifiant la religion « d’opium du peuple » – phrase qui est d’ailleurs souvent lue hors de son contexte – en est un bon exemple. L’insertion de l’individu dans un ensemble de rapports sociaux, avec des institutions collectives – associations, partis, églises – étaient un moyen de contrôle bien plus efficace que la répression policière. Il ne faut pas non plus ignorer le poids des idéologies qui, depuis le XIXème siècle, tendaient à privilégier une vision libérale de l’homme, et à rejeter ce qui rendait l’individu dépendant.

          [Je note que ce qui a véritablement aidé la classe ouvrière européenne à sortir de l’alcoolisme chronique, c’est l’organisation du mouvement ouvrier, plus que toutes les campagnes de propagande des pouvoirs publics. Peut-être est-ce l’élément qui manque le plus aujourd’hui pour « faire la guerre à la drogue »…]

          Certainement. J’irai même plus loin : les sociétés « holistes », dans lesquelles le statut de l’individu est stabilisé par la communauté, ont l’avantage de distribuer les responsabilités. La toute-puissance individuelle conduit inexorablement à la toute-responsabilité. Et cette responsabilité est psychologiquement difficile à porter. Cela crée un stress que les « paradis artificiels » permettent de combattre.

          [Je repense aussi à ce qu’on disait dans le groupe d’extrême-gauche où j’ai (un peu) milité. Que la diffusion de l’usage de psychotropes dans les années 60-70 était un moyen de se construire des paradis artificiels quand on avait renoncé à faire advenir le paradis terrestre !]

          Gauchiste un jour, gauchiste toujours… plus sérieusement, cette explication m’a toujours paru très insuffisante. En mon expérience, on trouvait autant d’alcooliques parmi les militants que parmi les autres…

          • Goupil dit :

            @Descartes
             
            [Je n’ai pas compris comment à partir du sondage vous tirez cette conclusion.]
             
            De façon un peu abusive je crois…Je répondais de mémoire et je n’arrive pas à retrouver dans le sondage (“Métro, boulot, bédo – Génération Y, Génération pétard ?”, d’IPSOS, 23/11/2021 – pour citer ma source) les éléments qui m’avaient fait penser cela.
             
            [Ont-ils « échoué » ? Je n’ai pas réussi à trouver de chiffres concernant la consommation d’alcool aux Etats-Unis pendant la prohibition. Avez-vous des éléments ?]
             
            Je n’ai pas mes manuels d’histoire américaine avec moi donc je ne parviendrai pas à vous répondre avec une assurance totale. J’ai trouvé quelques données sur des sites Internet qui me paraissent sérieux et qui citent leurs sources, qui vont plutôt dans le sens d’un échec. 
             
            New York passe de 15.000 saloons avant la Prohibition à 32.000 speakeasies après 1920. La production de raisin californien a triplé entre 1920 et 1933 (date d’autorisation de l’alcool). Les principales conséquences en auraient été une dégradation de l’alcool consommé (issu de la contrebande) avec une “explosion” des cas de cirrhoses, plus de 10.000 morts sur la période directement à cause de l’alcool…et surtout l’extension de réseaux criminels tirant d’énormes profits de la contrebande d’alcool (Al Capone aurait tiré plus de 60 millions de dollars par an de son trafic). 
             
            De plus, ce qui semble convaincre Roosevelt de lever l’interdiction, c’est que la Prohibition coûtait très cher pour un résultat médiocre alors qu’il était financièrement plus intéressant, en période de crise économique, de profiter des recettes fiscales sur l’alcool.
             
            [le même mécanisme qui a conduit à la banalisation du cannabis malgré l’interdiction conduit à mon avis à la banalisation de la cocaïne]
             
            Il y a probablement de cela, mais on peut constater, dans le sondage précité, que les chiffres de consommation du cannabis sont très nettement supérieurs à ceux des autres drogues. Les psychiatres et addictologues contemporains considèrent, me semble-t-il, que la “théorie de l’escalade” est fausse et que la consommation de cannabis n’entraîne pas nécessairement de passage aux autres drogues…Enfin, la distinction populaire (fausse) entre drogues douces et drogues dures peut également représenter un obstacle au passage vers les “drogues dures” qui sont regardées comme d’une nature différente que le cannabis. Mais on ne peut faire que des hypothèses, ni vous ni moi ne lisons dans l’avenir.
             
            [Gauchiste un jour, gauchiste toujours…]
             
            Je ne sais pas comment je dois le prendre ? Est-ce une invitation à cesser d’intervenir ? 

            • Descartes dit :

              @ Goupil

              [New York passe de 15.000 saloons avant la Prohibition à 32.000 speakeasies après 1920. La production de raisin californien a triplé entre 1920 et 1933 (date d’autorisation de l’alcool). Les principales conséquences en auraient été une dégradation de l’alcool consommé (issu de la contrebande) avec une “explosion” des cas de cirrhoses, plus de 10.000 morts sur la période directement à cause de l’alcool…et surtout l’extension de réseaux criminels tirant d’énormes profits de la contrebande d’alcool (Al Capone aurait tiré plus de 60 millions de dollars par an de son trafic).]

              Que la prohibition a généré une criminalité particulière empochant des bénéfices très importants, qu’elle ait eu des conséquences sanitaires désastreuses (notamment avec une consommation accrue de méthanol), je ne le discute pas. Mais je ne trouve pas des éléments sur l’effet sur la consommation d’alcool elle-même.

              [De plus, ce qui semble convaincre Roosevelt de lever l’interdiction, c’est que la Prohibition coûtait très cher pour un résultat médiocre alors qu’il était financièrement plus intéressant, en période de crise économique, de profiter des recettes fiscales sur l’alcool.]

              Peut-être que demain nos hommes politiques feront la même chose avec le cannabis ? Nous aussi, on est en période de crise économique, et on pourrait profiter de recettes fiscales supplémentaires…

              [« le même mécanisme qui a conduit à la banalisation du cannabis malgré l’interdiction conduit à mon avis à la banalisation de la cocaïne » Il y a probablement de cela, mais on peut constater, dans le sondage précité, que les chiffres de consommation du cannabis sont très nettement supérieurs à ceux des autres drogues.]

              Bien sûr, parce que sa banalisation est bien plus ancienne. Dès la fin des années 1970, on commence à entendre dans les médias le discours de la banalisation – pensez à Coluche et son « hakik » ou bien Renaud est son « le hash elle aime ». Pour la cocaïne, le phénomène est bien plus récent…

              [Les psychiatres et addictologues contemporains considèrent, me semble-t-il, que la “théorie de l’escalade” est fausse et que la consommation de cannabis n’entraîne pas nécessairement de passage aux autres drogues…]

              Je ne crois pas qu’il y ait consensus des chercheurs sur ce sujet.

              [« Gauchiste un jour, gauchiste toujours… » Je ne sais pas comment je dois le prendre ? Est-ce une invitation à cesser d’intervenir ?]

              Comme une amicale plaisanterie. Si elle vous a blessé, j’en suis mortifié et je vous présente mes plus plates excuses. Je serais désolé si vous décidiez de ne plus intervenir.

            • Goupil dit :

              @Descartes
               
              [Mais je ne trouve pas des éléments sur l’effet sur la consommation d’alcool elle-même]
               
              Eh bien, il me semble que le doublement du nombre de débits de boisson (d’autant que les sources consultées semblaient indiquer que ce sont créés de nombreux autres lieux de consommation détournée en plus des speakeasies) à New York ou que l’augmentation de la production de raisin sont des éléments qui permettent de poser comme plus vraisemblable l’hypothèse d’un maintien approximatif de la consommation à son niveau antérieur (avec probablement une légère diminution – car je ne vois pas pourquoi ladite consommation aurait augmenté…). Mais en effet, il faudrait consulter des sources plus précises pour consolider cette hypothèse.
               
              [Peut-être que demain nos hommes politiques feront la même chose avec le cannabis ?]
               
              Mais ne serait-ce pas une solution raisonnable ? D’après ce que vous-même aviez relevé, les pouvoirs publics parviennent bien à lutter plutôt efficacement contre la consommation d’alcool et de tabac alors même qu’aucun de ces deux produits n’est interdit. 
               
              [Je ne crois pas qu’il y ait consensus des chercheurs sur ce sujet.]
               
              D’après un article de Pierre Sautreuil dans Le Figaro (16/12/2019) et le site de l’Observatoire français des drogues et tendances addictives, si. Ces deux sources indiquent que le consensus est établi qu’il n’y a pas de “théorie de l’escalade” et que, si les consommateurs d’héroïne ou de cocaïne ont presque tous été consommateurs de cannabis dans leur jeunesse, la très large majorité de consommateurs de cannabis de “tombent” jamais dans celle de drogues plus “fortes”. 
               
              Il est vrai que le rapport du Sénat intitulé Les Toxicomanies (30/06/2011) le professeur Jean Costentin de l’Académie de médecine dit le contraire (mais vous noterez que le rapport est plus ancien que les articles cités plus haut), expliquant même que le début de l’escalade commence avec les méthylxanthines du café. Dans le même rapport, deux autres médecins, William Lowenstein et Michel Reynaud, remettent en cause la théorie de l’escalade. 
               
              Il me semble donc rationnel de considérer que le consensus contemporain va plutôt dans le sens de l’invalidation de cette théorie.
               
              [Comme une amicale plaisanterie.]
               
              Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas blessé.
               
              Mais il est vrai que je trouve un peu étrange, connaissant le peu d’estime que vous portez aux “gauchistes”, de qualifier ainsi un interlocuteur, en décrédibilisant a priori de cette façon sa parole. A fortiori parce que je ne me reconnais pas et ne me suis jamais reconnu dans l’étiquette “gauchiste” – d’autant que le terme était utilisé comme insulte (pour parler des pablistes en particulier) dans le groupe où je militais…

            • Descartes dit :

              @ Goupil

              [« Mais je ne trouve pas des éléments sur l’effet sur la consommation d’alcool elle-même » Eh bien, il me semble que le doublement du nombre de débits de boisson (d’autant que les sources consultées semblaient indiquer que ce sont créés de nombreux autres lieux de consommation détournée en plus des speakeasies) à New York (…)]

              New York n’est pas les Etats-Unis. Je veux bien croire que dans une ville cosmopolite comme New York la prohibition ait eu un effet limité. Mais quid de « l’Amérique d’un étage » ? Je ne sais pas si à Cincinatti ou Kankakee les « speakeasy » étaient aussi nombreux…

              [« Peut-être que demain nos hommes politiques feront la même chose avec le cannabis ? » Mais ne serait-ce pas une solution raisonnable ? D’après ce que vous-même aviez relevé, les pouvoirs publics parviennent bien à lutter plutôt efficacement contre la consommation d’alcool et de tabac alors même qu’aucun de ces deux produits n’est interdit.]

              Pour parler de « solution », il faut s’entendre d’abord sur quel est le problème. Il y a le problème de sécurité publique, et de ce point de vue il est probable que la légalisation rendrait le contrôle de la filière plus facile. Il y a le problème de santé publique, et sur ce point je suis beaucoup plus réservé : est-ce que la facilité du contrôle compenserait le l’extension de la consommation qu’entrainerait la levée de l’interdiction ? Et finalement, il y a un problème social qui est souvent négligé : en interdisant, la société transmet un message et fixe un interdit. Que les adolescents et les jeunes aient envie de braver l’interdit, c’est normal. Mais si on enlève cet interdit, ces publics se chercheront un autre interdit à braver (« là où tout est permis, rien n’est subversif ») qui sera probablement beaucoup plus dangereux.

              Cela étant dit, je pense que la légalisation est à terme inévitable. Non parce que c’est une solution « raisonnable », mais parce qu’elle est fonctionnelle à ce que notre société est devenue.

              [D’après un article de Pierre Sautreuil dans Le Figaro (16/12/2019) et le site de l’Observatoire français des drogues et tendances addictives, si. Ces deux sources indiquent que le consensus est établi qu’il n’y a pas de “théorie de l’escalade” et que, si les consommateurs d’héroïne ou de cocaïne ont presque tous été consommateurs de cannabis dans leur jeunesse, la très large majorité de consommateurs de cannabis de “tombent” jamais dans celle de drogues plus “fortes”.]

              D’abord, je ne suis guère étonné que tel ou tel chercheur prétende que SON idée est « consensuelle ». C’est là un moyen classique d’imposer sa conception en prétendant que toutes les autres sont marginales. Par ailleurs, la conclusion sur la « théorie de l’escalade » me laisse songeur. La question n’est pas tant de savoir si la majorité des consommateurs tombent dans les drogues dures, mais de savoir si ceux qui sont tombés dans les drogues dures seraient tombés s’ils n’avaient pas commencé par le cannabis. Le fait que « presque tous » les consommateurs de drogues dures soient passés par le cannabis suggère que ce n’est pas le cas, ce qui accrédite le fait que le cannabis est le premier pas indispensable vers les drogues dures, même si seule une minorité fait toute la route.

              [Mais il est vrai que je trouve un peu étrange, connaissant le peu d’estime que vous portez aux “gauchistes”, de qualifier ainsi un interlocuteur, en décrédibilisant a priori de cette façon sa parole.]

              Ce n’était pas en ce sens que j’ai utilisé la formule. Ce que je voulais dire, c’est que personne ne guérit jamais totalement de sa jeunesse, et que souvent les idées que nous avions à cette époque-là, même si l’expérience nous a fait changer d’avis, continuent à peser dans notre vision du monde. Le « gauchisme » a toujours eu une vision très ambigüe vis-à-vis des drogues, et notamment du cannabis. D’un côté, on y voyait une ruse du capital, une manière de détourner les militants, et plus largement les citoyens, de leur tâche révolutionnaire. D’un autre, la veine anarchiste faisait de la consommation une manière de défier l’Etat et ses instruments répressifs…

  15. François dit :

    Bonsoir Descartes,

    « La lecture des 55 pages de l’ordonnance de mise en accusation du policier auteur du tir mortel sur #Nahel est vertigineuse… Les juges effacent le ressenti des policiers : “Il ne peut pas être soutenu que les fonctionnaires de police aient senti une situation de danger.”
    Pour eux, le policier pouvait arrêter le véhicule “autrement que par l’usage des armes”. D’ailleurs, le policier a lui-même annoncé le refus d’obtempérer sur les ondes, ce qui montre qu’il “avait implicitement fait appel à des renforts”
    Paragraphe suivant. Les juges considèrent que les policiers n’ont pas suivi le protocole : “Aucune interpellation n’a été tentée de même qu’aucune injonction de sortir du véhicule n’a même été prononcée”
    Mais surtout, l’intention homicide retenue à son encontre repose non pas sur une “preuve directe” mais des “présomptions de fait” : utilisation d’une “arme dangereuse” et “localisation de la blessure dans une partie vitale”….
    … alors même que l’enquête a établi que la trajectoire du tir a été déviée par le redémarrage volontaire de la voiture conduite par Nahel.
    Pour évacuer la légitime défense, les juges considèrent que la vitesse au redémarrage était de “faible intensité”. Ainsi, “il ne saurait être considéré que le critère du caractère réel et actuel de l’agression est rempli.”
    Autrement dit, pour les juges : Pas d’agression réelle contre les policiers. Pas de danger immédiat. Mais une arme létale et un tir à bout portant. Conclusion : Quand le policier a tiré, il voulait tuer Nahel.
    Sur les poursuites de faux en écriture publique : non-lieu. Personne n’a eu l’intention de porter “des mentions erronées” sur la fiche Pégase, “une simple divergence d’interprétation”. Pour rappel, cette accusation a immiscé le soupçon d’une version trafiquée par les policiers. »

    https://x.com/WilliamMolinie/status/1929880863816167557
    Bref, pour paraphraser Sacha Guitry, les juges, c’est comme les eunuques, ils savent mais ils ne peuvent pas.

    • Descartes dit :

      @ François

      [“La lecture des 55 pages de l’ordonnance de mise en accusation du policier auteur du tir mortel sur #Nahel est vertigineuse…”]

      Malheureusement, je n’ai pas accès à l’ordonnance en question, et il est difficile de commenter un texte à partir d’extraits fragmentaires. Seule la lecture du texte complet permettrait de conclure. C’est malheureux que ce William Molinié n’ait pas inclus dans son commentaire un lien qui permette de consulter l’ordonnance complète.

      • François dit :

        @Descartes,
        Il est malheureux en effet que les décisions de justice, (censées être) rendues au nom du peuple ne soient pas librement accessibles (et quand elles le sont, leur recherche est particulièrement ardue)…

        • Descartes dit :

          @ François

          [Il est malheureux en effet que les décisions de justice, (censées être) rendues au nom du peuple ne soient pas librement accessibles (et quand elles le sont, leur recherche est particulièrement ardue)…]

          Les décisions de justice sont bien disponibles librement sur la base Legifrance. Par contre, les actes préparatoires (comme les ordonnances de renvoi) sont plus difficiles à trouver…

          • François dit :

            @Descartes
            [Les décisions de justice sont bien disponibles librement sur la base Legifrance.]
            Je ne les ai jamais trouvées sur le site de Légifrance (qui ne mentionne que les jurisprudences (certes un type de décision judiciaire) dans son sommaire d’ailleurs ), mais sur le site de la Cour de Cassation : https://www.courdecassation.fr/acces-rapide-judilibre. D’ailleurs, la recherche par nature de contentieux (décision des tribunaux judiciaires et des cours d’appel) ne mentionne pas les infractions pénales. On notera par ailleurs que la fenêtre pour la liste déroulante des différents types de contentieux est ridiculement petite (et non redimensionnable), qu’il n’y a pas de menu dépliant pour séparer les catégories des sous-catégories, bref une ergonomie déplorable (il y a quand même une recherche par mots clefs). Paraît-il que l’interface de programmation d’application de Judilibre permet déjà d’accéder aux décisions concernant les infractions délictuelles, puis à la fin de l’année aux infractions criminelles. C’est que j’ai comme l’impression qu’à défaut de pouvoir interdire l’accès aux décisions de justice, on cherche à rendre leur accès le plus malaisé possible.

            • Descartes dit :

              @ François

              [« Les décisions de justice sont bien disponibles librement sur la base Legifrance. » Je ne les ai jamais trouvées sur le site de Légifrance (qui ne mentionne que les jurisprudences (certes un type de décision judiciaire) dans son sommaire d’ailleurs ),]

              Vous avez raison, les décisions des juridictions ne sont çà ce jour que partiellement accessibles. Le principe de rendre librement disponibles les décisions de l’ensemble des juridictions est acté dans la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 et les conditions de cette mise à disposition, en particulier en matière d’occultation de certaines données personnelles, sont prescrites par le décret n°2021-1276 du 30 septembre 2021. Ces textes prévoient que soient mis à disposition l’ensemble des décisions des juridictions administratives et judiciaires. Compte tenu des volumes à mettre à disposition, un calendrier étalé a été fixé par l’arrêté du 28 avril 2021. En application de cet arrêté, les décisions de l’ensemble des juridictions devrait être disponible aujourd’hui, à l’exception des décisions rendues par les tribunaux judiciaires et les conseils de prud’hommes, qui ne seront disponibles qu’à partir du 30 septembre 2025 ; des décisions rendues par les cours d’appel en matière contraventionnelle et délictuelle et des décisions rendues en matière criminelle, disponibles à partir du 31 décembre 2025 ; des décisions rendues par les juridictions de premier degré en matière délictuelle, disponibles à partir du 31 décembre 2026 ; et des décisions rendues par les juridictions de premier degré en matière contraventionnelle pour lesquelles il faudra attendre le 31 décembre 2027.

              [C’est que j’ai comme l’impression qu’à défaut de pouvoir interdire l’accès aux décisions de justice, on cherche à rendre leur accès le plus malaisé possible.]

              Ne tombons pas dans le complotisme…

            • François dit :

              @Descartes
              [Ne tombons pas dans le complotisme…]
              C’est si compliqué que cela de faire un site un tant soit peu ergonomique ? D’y publier les décisions de justice concernant les infractions délictuelles ?

            • Descartes dit :

              @ François

              [C’est si compliqué que cela de faire un site un tant soit peu ergonomique ? D’y publier les décisions de justice concernant les infractions délictuelles ?]

              Oui, surtout lorsqu’il s’agit d’un site de référence, et qu’une erreur peut engager votre responsabilité…

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