La fausse austérité du Dr Bayrou

« Les mécontents, ce sont des pauvres qui réfléchissent. » (Talleyrand)

Il est fascinant de constater combien les hommes politiques peuvent quelquefois être inconscients des messages subliminaux qu’ils transmettent. Ainsi, il était amusant de voir François Bayrou parler sur une estrade où l’on pouvait lire en gros caractères « le moment de vérité ». Doit-on conclure que les autres moments, fort nombreux, où notre Premier ministre s’exprime ne sont pas « de vérité » ? Je ne sais pas vous, mais moi, quand j’entends un politicien au bout de trente ans de carrière déclarer « maintenant, je vais vous dire la vérité », la première question qui me vient à l’esprit est « pourquoi maintenant ? ». Pourquoi tout à coup décider de rompre avec l’habitude d’une vie ?

Il faut dire que pour une fois il y eut un « moment de vérité » dans le discours de notre premier ministre. Ce n’est pas souvent qu’on a entendu ces derniers temps un leader politique admettre cette simple vérité : « nous ne produisons pas assez ». Pendant des années, le problème était que « les Français ne travaillent pas assez », ou bien « que la France n’était pas assez compétitive ». Pour la première fois, notre monde politique réalise que le problème se situe dans la production, que c’est là que se trouve la mère de toutes les batailles.

Nous avons bâti un système où, globalement et en termes relatifs, on produit de moins en moins et on dépense de plus en plus. Et pour pouvoir maintenir l’équilibre, on emprunte la différence. Bien sûr, cette vérité globale n’est pas uniforme suivant les groupes sociaux, et on peut discuter à l’infini sur la distribution de l’effort ou de la consommation. Il est clair que certains groupes sociaux bénéficient bien plus largement de ce système que d’autres. On peut aussi discuter longuement sur le partage de cette dette entre les acteurs privés et les acteurs publics. En France, on a choisi d’endetter l’Etat plutôt que les particuliers, c’est l’inverse par exemple aux Etats-Unis ou en Grande Bretagne, où la dette privée est une menace réelle pour la stabilité du système – et l’exemple des « subprimes » est encore dans toutes les mémoires. Mais le fait fondamental demeure : une société ne peut durablement consommer globalement plus que ce qu’on produit.

Le problème, c’est qu’une fois ce diagnostic porté, notre Premier ministre ne propose aucune solution sérieuse, et se contente d’un catalogue de bonnes intentions, ou de mesurettes symboliques. Que propose-t-il de nouveau pour augmenter la production ? La suppression de deux jours fériés, ce qui, en prenant pour référence les 1600 heures que compte une année travaillée, représente 0,7% d’augmentation du travail disponible. Est-ce que quelqu’un imagine que cela aura un effet visible sur la réindustrialisation de la France ? A côté de cela, on ne trouve que de vagues promesses identiques à celles que tous les gouvernements, de droite comme de gauche, égrènent depuis la fin des années 1980. Combien de fois on a entendu promettre des « simplifications », des « réformes » du code du travail ou de l’assurance chômage, la mise en place de « stratégies de filière » ou la toujours fantasmatique « préférence européenne » ? Si la martingale pour augmenter la production se trouvait dans ces mesures-là, cela se saurait.

La réalité, et c’est là que le « moment de vérité » s’arrête et les mensonges reprennent leur place, c’est que la construction européenne et son obsession de la « concurrence libre et non faussée » ne peut que provoquer la migration des activités productives. Qui dit libre circulation et libre concurrence, dit mise en concurrence des conditions de production chez nous avec celles de pays où les salaires sont bas, la protection sociale schématique et les règles environnementales souples. Il y a là je pense une très profonde méconnaissance des effets réels de la concurrence : la concurrence « libre et non faussée », nous dit-on, fait baisser les prix pour le consommateur. Et c’est parfaitement vrai. Mais de la même manière qu’elle fait baisser les prix des chemisettes ou des téléphones portables, la concurrence fait baisser le prix du travail, c’est-à-dire, la rémunération dont le travailleur peut disposer en échange de son travail. Or, la libre circulation des marchandises et des capitaux revient à mettre en concurrence les travailleurs. L’effet prévisible de cette concurrence, c’est la baisse – relative, s’entend – des rémunérations directes ou indirectes.

C’est cela, le problème de Bayrou – mais aussi celui de tous ceux qui l’ont précédé depuis la fin des années 1980 : faire avaler aux travailleurs – et notamment aux travailleurs des classes intermédiaires, qui ont constitué la base électorale des gouvernements successifs – cette baisse. Jusqu’ici, on ne l’a fait que par petites touches, en empruntant ce qu’il fallait pour que le niveau de vie ne chute pas trop vite et en puisant dans le trésor accumulé – notamment sous forme d’infrastructures et de capital immatériel – pendant les « trente glorieuses ». Mais maintenant, on est au pied du mur. Les bijoux de famille sont déjà vendus, le trésor est largement consommé. La capacité d’emprunt s’approche des limites. Alors, tout ce beau monde s’inquiète. Assez pour sonner le tocsin – et chercher au passage à culpabiliser les Français – mais pas assez pour s’attaquer au véritable problème, ce qui suppose une dose de courage bien plus importante.

Et parce qu’on ne s’attaque au problème de fond, le programme bayrousien est forcément un programme malthusien. Il faut réduire la dépense, c’est-à-dire, ne nous racontons pas d’histoires, réduire le niveau de vie des Français. L’idée qu’il y aurait dans le secteur public du gras miraculeux, des masses considérables qu’on pourrait récupérer sans que le niveau de vie des Français s’en ressente est une idée fausse – ou alors il faudrait poursuivre comme criminels tous les hommes politiques qui, ces trente dernières années, ont permis que subsistent ces dépenses inutiles, voire les ont créées, et comme incompétents tous ceux qui nous ont promis de les réduire et ne l’ont pas fait. Mais il faut comprendre que la réduction de la dépense utile, cela a un effet dépressif sur l’économie, parce que la dépense de l’un est le revenu de l’autre. On peut baisser les retraites – ou prélever plus sur elles, ce qui revient au même – mais cela suppose donc des retraités qui dépensent moins, donc moins de demande de biens et de travail. Et on retombe dans la contradiction fondamentale du capitalisme : il faut des travailleurs mal payés pour réduire le prix des produits, et des travailleurs bien payés pour pouvoir les acheter. On n’en sort pas.

Bayrou nous avait parlé d’une révolution, mais il ressort toutes les prétendues mesures d’économie dont ses prédécesseurs ont usé et abusé : la réduction du nombre de fonctionnaires, des remboursements de sécurité sociale, la rationalisation des opérateurs de l’Etat, la vente des bijoux de famille. Toutes mesures dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’elles n’ont pas montré leur efficacité. Ce malthusianisme ne peut que poursuivre la spirale descendante dans laquelle notre pays est engagé depuis les années 1980.

C’est une tout autre politique qu’il faudrait. Vous voulez un vrai « moment de vérité » ? Le voici : on ne peut pas vivre au-dessus de notre production. Alors, il faut choisir entre travailler plus, augmenter la productivité, ou consommer moins – que ce soit en termes de biens ou de services. Veut-on conserver notre niveau de vie à terme ? Alors il faut investir pour augmenter la productivité et travailler plus. Mais cela ne sera possible que si l’on met des barrières à la « concurrence libre et non faussée », parce qu’aussi longtemps que cette concurrence sera effective, la pression pour baisser le prix du travail sera dominante et condamnera à l’échec toute politique qui aurait un autre objectif. La logique de la « concurrence libre et non faussée » nous condamne à long terme à l’austérité. Pour le moment, on y a échappé grâce à l’endettement, mais cela ne peut pas durer éternellement.

Je sais que certains me répondront qu’il suffit de « taxer les riches ». Ils n’ont pas tout à fait tort. Mais il faut séparer deux questions. Il y a la question du revenu, et il y a la question du patrimoine. Taxer le patrimoine, ce n’est pas une solution pérenne. Une fois le patrimoine en question consommé, on se retrouve avec le même problème (1). J’insiste sur ce point : il s’agit d’équilibrer les flux, et non les stocks. Une politique qui consiste à financer le niveau de vie par la consommation de stocks – que ce soit des stocks d’infrastructures, d’investissements, de patrimoines – ne peut être qu’une politique conjoncturelle. Reste la question du revenu. J’insiste là encore sur le fait que le raisonnement que j’ai exposé plus haut est un raisonnement global. Le fait qu’on fasse le choix de réduire globalement le niveau de consommation n’implique pas que cette réduction soit distribuée uniformément. J’entends parfaitement qu’on puisse faire le choix de réduire la consommation de ceux qui consomment beaucoup, et maintenir voire accroître celle des couches les moins privilégiées. Mais cela est un autre problème. Sommes-nous d’accord sur le besoin d’équilibrer globalement les flux, c’est-à-dire, sur la nécessité de produire globalement autant qu’on consomme globalement ? Si l’on est d’accord, alors on peut commencer la discussion sur la répartition des cordes et des pendus. Mais pour moi c’est le consensus au moins sur ce besoin d’équilibre global qu’il faut atteindre. Sans cela, aucun débat rationnel n’est possible.

Il est d’ailleurs remarquable qu’il ait fallu quarante ans de désindustrialisation et de destruction de notre appareil productif pour qu’on découvre le problème. Quarante ans pendant lesquels la question de la production n’a jamais été considérée comme une question sérieuse. La politique industrielle est devenue depuis la fin des années 1970 essentiellement une politique de l’emploi. Lorsque l’Etat intervient pour empêcher la fermeture d’une usine, il ne le fait pas pour atteindre des objectifs de production, mais parce qu’on craint les conséquences sociales et économiques – et donc électorales – de la perte d’emplois. Lorsqu’on essaye d’attirer un investissement, c’est là encore le nombre d’emplois créés qui domine la réflexion des décideurs. On est prêt à laisser filer des fleurons industriels dans des mains douteuses, quelquefois avec de grosses subventions publiques à la clé, contre des engagements – rarement tenus d’ailleurs – de préservation de l’emploi. Sans que personne ou presque ne dénonce l’absurdité d’une telle politique, on a dirigé la promotion industrielle – et agricole, d’ailleurs – vers les activités les plus pourvoyeuses d’emplois, alors même que c’étaient les activités moins rentables et moins productives. Pour le dire autrement, on a fait une politique industrielle qui recherchait non pas la valeur ajoutée, mais l’emploi. C’est ainsi qu’on se retrouve avec un appareil de production où abondent les canards boiteux qui ne survivent que grâce à des subventions, les usines vieillottes – pardon, « traditionnelles » – exploitant un créneau avec un outil de production dépassé, les activités à très faible productivité, des productions de qualité médiocre qui n’arrivent pas à monter en gamme faute d’investissements.

La gauche a d’ailleurs une responsabilité écrasante dans la diffusion de cette idéologie qui fait de l’activité économique un réservoir d’emplois avant d’en faire un pourvoyeur de biens, renversant ainsi le principe marxien qui veut qu’on travaille parce qu’on est soumis à la contrainte matérielle de la survie – le passage par le royaume de la nécessité pour atteindre le royaume de la liberté – et non l’inverse. Dans l’univers mental de la gauche, la modernisation, l’industrialisation détruisent l’emploi puisqu’on produit la même chose avec moins de main d’œuvre. On en est resté aux tisserands lyonnais mettant le feu aux métiers Jacquard. Mais comme l’a montré Schumpeter, ce raisonnement malthusien est empiriquement faux. Si l’augmentation de la productivité amenée par les méthodes industrielles détruisait l’emploi, alors le taux d’emploi aurait dû diminuer continûment depuis le début de la révolution industrielle. Or, c’est exactement le contraire qui s’est produit. L’industrialisation, loin de générer un excès de main d’œuvre, a produit une telle pénurie que les capitalistes ont dû mettre les femmes au travail et importer des travailleurs des colonies. Et ce paradoxe apparent s’explique aisément : l’amélioration de la productivité fait baisser le prix relatif des biens, qui à son tour génère une demande supplémentaire qui absorbe la main d’œuvre surnuméraire. Imaginer qu’il suffit de baisser la productivité pour atteindre le plein emploi est une absurdité. Ou plutôt non : c’est raisonnable, à condition d’accepter une baisse massive du niveau de vie. Et pourtant, beaucoup à gauche y croient encore…

« Produire plus » ? Oui. Mais « plus » de quoi ? « Plus » de biens certes, mais surtout « plus » de valeur. Et pas n’importe quelle valeur. Une politique de rapatriement d’activités ne peut avoir pour objectif l’autarcie. Ce serait aller d’une manière générale et indiscriminée contre la division du travail et contre la logique des avantages comparatifs. Il faut au contraire une politique de rapatriement ou de développement d’activités très sélective, se concentrant sur les activités à forte valeur et des activités fortement capitalistiques et des activités stratégiques. Des activités qui très souvent ont besoin de capitaux importants, de connaissances et savoir-faire de pointe, d’infrastructures de qualité, d’institutions d’enseignement et de recherche fortes. Tout ce dont le programme Bayrou ne parle pas, et pour cause : avec une vision malthusienne, il s’apprête à faire exactement le contraire, dans la parfaite continuité de ses prédécesseurs et avec beaucoup moins de marges de manœuvre.

Descartes

(1) Je laisse de côté ici la problématique de l’illusion monétaire, c’est-à-dire, le fait que les patrimoines sont en grande partie constitués non pas de biens réels, mais de papier censé représenter ces biens. Prélever une partie du patrimoine pour financer l’Etat, cela revient à transformer ces papiers en biens réels. Mais la conversion ne peut se faire à la valeur nominale : on sait que le patrimoine financier dépasse d’un ordre de grandeur au moins le total des biens réels disponibles…

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20 réponses à La fausse austérité du Dr Bayrou

  1. COUVERT Jean-Louis dit :

    Je ne conteste aucunement votre analyse, mais il y a toujours les mêmes problèmes occultés (et pas uniquement par vous) : l’argent gaspillé pour l’Ukraine, celui donné à quelques “roitelets” africains, le surcoût appliqué à certaines importations pour aider X ou Y pays, les sommes dépensées pour accueillir “toute la misère du monde”, les prestations offertes, pas toujours à bon escient, à des travailleurs étrangers, l’aide à des parasites français qui ne veulent pas travailler, les taxes et impôts qui grèvent la rentabilité des entreprises françaises tout autant que le manque de productivité des ces feignants de Français, le coût des OQTF et voyous étrangers que leurs pays ne veulent pas reprendre sans qu’on ne sanctionne lesdits pays… Mais bon, si notre pays est dans cet état c’est parce que les Français sont des paresseux…. Mais, pourquoi les travailleurs français auraient envie de se décarcasser (comme on dit chez Ducros) ? Je sais, je suis un vieux con fasciste, et je l’assume !

    • Descartes dit :

      @ COUVERT Jean Louis

      [Je ne conteste aucunement votre analyse, mais il y a toujours les mêmes problèmes occultés (et pas uniquement par vous) : l’argent gaspillé pour l’Ukraine, celui donné à quelques “roitelets” africains, le surcoût appliqué à certaines importations pour aider X ou Y pays, les sommes dépensées pour accueillir “toute la misère du monde”, les prestations offertes, pas toujours à bon escient, à des travailleurs étrangers, l’aide à des parasites français qui ne veulent pas travailler, les taxes et impôts qui grèvent la rentabilité des entreprises françaises tout autant que le manque de productivité des ces feignants de Français, le coût des OQTF et voyous étrangers que leurs pays ne veulent pas reprendre sans qu’on ne sanctionne lesdits pays…]

      Je ne vois pas en quoi « j’occulterais » ces problèmes. Cependant, il faut avoir une idée des ordres de grandeur. Il y a là quelques milliards, alors qu’il nous faudrait des dizaines de milliards pour équilibrer le budget de l’Etat. Et plus fondamentalement, ce ne sont pas ces éléments qui déterminent le déficit extérieur, à mon avis encore plus préoccupant.

      Après, vous connaissez mon avis sur les autres questions. L’argent pour financer l’Ukraine c’est du gaspillage pur, sans compter avec les balles dans les pieds qu’on s’est tirés en sanctionnant la Russie. Nous n’avons rien à gagner dans ce conflit, qui aurait pu être évité si seulement les européens n’avaient pas suivi comme des petits chiens les Américains. Les pleurnicheries constantes sur la « rentabilité des entreprises » cachent en fait la rapacité et la bêtise du patronat français, qui fut le premier à soutenir la construction européenne et se plaint maintenant – trop tard – de la concurrence des produits venus de pays à bas coût. Quant au « coût de l’immigration », celui-ci est réel mais bien moindre que certaines estimations à plusieurs dizaines de milliards. Et là encore, on n’en serait pas là si le patronat français n’avait fait des pieds et des mains pour favoriser cette immigration qui lui permet de disposer d’une main d’œuvre moins chère.

      [Mais bon, si notre pays est dans cet état c’est parce que les Français sont des paresseux…]

      L’histoire de notre pays montre que ce n’est pas exact. Les Français travaillent beaucoup et bien lorsqu’ils ont du boulot. Le problème, c’est surtout le manque d’investissement qui fait que les Français sont amenés à travailler dans des activités à la productivité faible.

      • COUVERT Jean-Louis dit :

        Descartes, je ne sais plus d’où j’ai sorti cette phrase, mais je l’ai citée par humour : je sais, par mon expérience professionnelle que, mis à part quelques parasites, les Français sont des bosseurs dès qu’on leur en donne envie ! Désolé de ne pas avoir été plus précis.

  2. P2R dit :

    Merci pour ce billet limpide.
     

    L’idée qu’il y aurait dans la dépense publique du gras miraculeux, des masses considérables qu’on pourrait récupérer sans que le niveau de vie des Français s’en ressente est une idée fausse

     
    Quand même.. Rien que dans la politique “écologique” (je mets des guillemets parce qu’en fait de politique écologique, il s’agit d’une politique de soumission aux lobbies, militants et ONG de la cause écolo) on peut trouver des dizaines de milliards d’argent public dont la réorientation vers le remboursement de la dette ne changerait certainement pas le quotidien des Français..
     
    Par ailleurs, si on ne peut pas couper les dépenses sans couper des services, il faut aussi voir à quel point le “gras” dans certains domaines s’est développé ces dernières années. Les politiques de subventions diverses (comme le disait l’ex-directeur d’EDF, l’Etat subventionne Saint Gobain à coups de milliards d’aides à la rénovation des logements) sont souvent récentes, et touchent des domaines dans lesquels la règle était qu’ils relevaient du privé strict. Achat de véhicule, travaux, réparation de vélo et de chaussettes… Tiens, pour revenir à l’écologie, savez-vous quelle est l’efficacité en termes d’économies d’énergie de la politique de rénovation des logements ? Je vous le donne en mille: nulle voire négative. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Ester Duflo, nobel d’économie pas spécialement suspecte d’être hostile aux politiques de “gauche”..
     

     Veut-on conserver notre niveau de vie à terme ? Alors il faut investir pour augmenter la productivité et travailler plus. Mais cela ne sera possible que si l’on met des barrières à la « concurrence libre et non faussée », parce qu’aussi longtemps que cette concurrence sera effective, la pression pour baisser le prix du travail sera dominante et condamnera à l’échec toute politique qui aurait un autre objectif. La logique de la « concurrence libre et non faussée » nous condamne à long terme à l’austérité. Pour le moment, on y a échappé grâce à l’endettement, mais cela ne peut pas durer éternellement.

     
    On y échappait aussi grâce à la qualité de la formation de nos travailleurs, notre réseau logistique et notre énergie bon marché, qui, bien que relativement marginaux par rapport au coût du travail, nous donnaient tout de même un avantage comparatif en Europe. Sauf que là aussi tout s’effrite, et que les dégâts sont désormais manifestes. Si on ajoute à ça l’instabilité politique, c’est la fin des haricots.
     

    Je sais que certains me répondront qu’il suffit de « taxer les riches ». Ils n’ont pas tout à fait tort. Mais il faut séparer deux questions. Il y a la question du revenu, et il y a la question du patrimoine. Taxer le patrimoine, ce n’est pas une solution pérenne. Une fois le patrimoine en question consommé, on se retrouve avec le même problème

     
    Sur le principe, la taxe Zucman était assez habile: un impôt sur le revenu dont le montant plancher est calculé sur le patrimoine pour corriger le tout-haut du spectre fiscal, là où la courbe de progressivité de l’IR s’effondre. Le problème restant la concurrence fiscale – y compris au sein de l’UE –
     

    Sommes-nous d’accord sur le besoin d’équilibrer globalement les flux, c’est-à-dire, sur la nécessité de produire globalement autant qu’on consomme globalement ? Si l’on est d’accord, alors on peut commencer la discussion sur la répartition des cordes et des pendus. Mais pour moi c’est le consensus au moins sur ce besoin d’équilibre global qu’il faut atteindre. Sans cela, aucun débat rationnel n’est possible.

     
    Je pense que ce concensus est impossible. Les classes intermédiaires métropolitaines sont celles-là même qui ont lutté de toutes leur forces pour chasser toute activité productive du pays, et qui continuent à le faire au gré de leur appropriation de nouveaux territoires en ruralité. Celles-là même qui, pouvant s’offrir le privilège de ne pas avoir de voiture pour vivre au quotidien et d’acheter leurs légumes au marché bio, se permettent de prêcher la décroissance au bon peuple. Cette classe a réussi à verrouiller toute dynamique favorable à la productivité par la création d’un monstre normatif qui couplé aux actions militantes et associatives empêche toute reprise véritable de l’activité de production sur le territoire. L’usine est moche, pue, pollue, pas de ça chez nous. Il faudra vraiment un cataclysme pour que ces gens-là changent d’avis. En revanche une partie de la bourgeoisie, celle “enracinée” aux territoires, et chez qui la mémoire de la France puissance industrielle est encore présente, peut se montrer davantage favorable à prendre des mesures en faveur de la production.
     

    Il est d’ailleurs remarquable qu’il ait fallu quarante ans de désindustrialisation et de destruction de notre appareil productif pour qu’on découvre le problème. Quarante ans pendant lesquels la question de la production n’a jamais été considérée comme une question sérieuse.

     
    Vous rigolez, c’était une chose très sérieuse: c’était le Mal.
     

    Je laisse de côté ici la problématique de l’illusion monétaire, c’est-à-dire, le fait que les patrimoines sont en grande partie constitués non pas de biens réels, mais de papier censé représenter ces biens. Prélever une partie du patrimoine pour financer l’Etat, cela revient à transformer ces papiers en biens réels. Mais la conversion ne peut se faire à la valeur nominale : on sait que le patrimoine financier dépasse d’un ordre de grandeur au moins le total des biens réels disponibles…

     
    Sans compter que ce patrimoine, lorsqu’il est constitué de biens réels, nécessitera d’être liquidé pour rendre l’argent disponible, si je ne dis pas de bêtises. On peut ne pas aimer Bernard Arnault, et trouver que sa fortune est démesurée, mais serait il souhaitable de liquider LVMH auprès de fonds étrangers pour payer la dette publique ?
     

    • Descartes dit :

      @ P2R

      [Quand même.. Rien que dans la politique “écologique” (je mets des guillemets parce qu’en fait de politique écologique, il s’agit d’une politique de soumission aux lobbies, militants et ONG de la cause écolo) on peut trouver des dizaines de milliards d’argent public dont la réorientation vers le remboursement de la dette ne changerait certainement pas le quotidien des Français…]

      Je pensais plutôt à des réservoirs d’économies dans l’activité de l’Etat lui-même. Je suis d’accord que sur les subventions on pourrait faire des économies relativement importantes. On a dépensé 100 Md€ pour doter le pays d’un parc de production solaire et éolien qui produit 8% du total de notre électricité, et une bonne partie de cet argent est allé enrichir des opérateurs privés. Même si on voulait avoir un parc solaire et éolien, on aurait confié la construction de celui-ci à un monopole public et on aurait eu pour beaucoup moins cher. Même chose pour certaines primes à la « rénovation énergétique » qui sont en fait devenues des subventions pour maintenir en vie certaines professions…

      [Tiens, pour revenir à l’écologie, savez-vous quelle est l’efficacité en termes d’économies d’énergie de la politique de rénovation des logements ? Je vous le donne en mille: nulle voire négative. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Ester Duflo, nobel d’économie pas spécialement suspecte d’être hostile aux politiques de “gauche”…]

      Je crois que vous faites erreur. Il est tout à fait exact que la politique de renovation thermique n’économise guère du point de vue des émissions de CO2, et cela pour une raison simple : la plupart des « passoires thermiques » rénovées sont chauffées à l’électricité, et dans notre pays l’électricité est largement décarbonée. Mais du point de vue des économies d’énergie, le bilan est positif.

      [On y échappait aussi grâce à la qualité de la formation de nos travailleurs, notre réseau logistique et notre énergie bon marché, qui, bien que relativement marginaux par rapport au coût du travail, nous donnaient tout de même un avantage comparatif en Europe. Sauf que là aussi tout s’effrite, et que les dégâts sont désormais manifestes. Si on ajoute à ça l’instabilité politique, c’est la fin des haricots.]

      C’est à cet élément que je pensais lorsque j’écrivais qu’on évitait la baisse soit en empruntant, soit en consommant le trésor accumulé pendant les « trente glorieuses ». La formation de nos travailleurs, notre réseau logistique, nos infrastructures énergétiques font partie de ce trésor…

      [Sur le principe, la taxe Zucman était assez habile: un impôt sur le revenu dont le montant plancher est calculé sur le patrimoine pour corriger le tout-haut du spectre fiscal, là où la courbe de progressivité de l’IR s’effondre. Le problème restant la concurrence fiscale – y compris au sein de l’UE.]

      C’est pourquoi ce type de taxation, aussi habile soit elle, ne peut fonctionner dans un système de libre circulation des biens et des capitaux. Dès lors que vous taxez, vous baissez le rendement du capital, et le capital se déplacera là où le rendement est maximum.

      [Je pense que ce consensus est impossible. Les classes intermédiaires métropolitaines sont celles-là même qui ont lutté de toutes leur forces pour chasser toute activité productive du pays, et qui continuent à le faire au gré de leur appropriation de nouveaux territoires en ruralité.]

      Il ne faut pas trop pousser. Les classes intermédiaires métropolitaines sont relativement insensibles aux problématiques de production. Elles sont par contre très sensibles aux problématiques d’environnement, de cadre de vie. Or, toute activité productive industrielle ou agricole implique des effets sur ces domaines. C’est donc par le biais de la lutte contre les nuisances que les classes intermédiaires ont fini par « chasser toute activité productive »…

      [En revanche une partie de la bourgeoisie, celle “enracinée” aux territoires, et chez qui la mémoire de la France puissance industrielle est encore présente, peut se montrer davantage favorable à prendre des mesures en faveur de la production.]

      Malheureusement, cette bourgeoisie pèse très peu face à la bourgeoisie financière.

      [Sans compter que ce patrimoine, lorsqu’il est constitué de biens réels, nécessitera d’être liquidé pour rendre l’argent disponible, si je ne dis pas de bêtises.]

      S’il est constitué de biens réels, il n’est pas nécessaire de le « liquider », il est déjà liquide…

      • P2R dit :

        @ Descartes
         
        [Je pensais plutôt à des réservoirs d’économies dans l’activité de l’Etat lui-même. Je suis d’accord que sur les subventions on pourrait faire des économies relativement importantes. On a dépensé 100 Md€ pour doter le pays d’un parc de production (…) Même chose pour certaines primes à la « rénovation énergétique » qui sont en fait devenues des subventions pour maintenir en vie certaines professions…]

         
        Ceci étant dit, on voit qu’au moment de couper dans ces dépenses, c’est, comme vous le décrivez par ailleurs la politique de l’emploi qui remonte à la surface: quand les Republicains ont publié leur tribune pour une suspension des subventions aux ENR, c’est la question de la mise en dangers de centaines de milliers d’emplois qui a été brandie en premier.
         

        [Tiens, pour revenir à l’écologie, savez-vous quelle est l’efficacité en termes d’économies d’énergie de la politique de rénovation des logements ? Je vous le donne en mille: nulle voire négative. // Je crois que vous faites erreur. Il est tout à fait exact que la politique de renovation thermique n’économise guère du point de vue des émissions de CO2, et cela pour une raison simple : la plupart des « passoires thermiques » rénovées sont chauffées à l’électricité, et dans notre pays l’électricité est largement décarbonée. Mais du point de vue des économies d’énergie, le bilan est positif.]
         

        Nullement. Et c’est ce que démontre Ester Duflo dans son cours au collège de France, en s’appuyant sur les politiques de rénovation énergétiques menées aux USA et en Grande Bretagne, où l’effet rebond annule très rapidement toutes les économies d’énergie. Et c’est très compréhensible, si vous avez déjà vécu ou connu quelqu’un qui vit dans une passoire énergétique: quand votre logement est ouvert aux 4 vents, vous chauffez non pas en fonction d’une température globale à atteindre mais en fonction de votre BUDGET. Et bien souvent votre budget ne vous permet de chauffer péniblement qu’une ou deux pièces.
         
        Lorsque votre logement est rénové, vous pouvez pour le même budget chauffer l’intégralité de votre logement à une température confortable. Pour le même budget, autrement dit pour la même dépense énergétique. AL rénovation thermique représente alors un gain de confort et un gain sanitaire, mais aucunement, ou de manière très marginale un gain énergétique.
         
        Ceci est d’autant plus vrai qu’une rénovation énergétique, pour atteindre un degré d’efficacité significatif, doit être menée globalement à son terme (et pas faire à moitié ou aux deux tiers), et dans les règles de l’art. Ce qui, comme vous le devinez, lorsque les travaux sont payés par des subventions, n’est que très rarement le cas.
         

         
        [Il ne faut pas trop pousser. Les classes intermédiaires métropolitaines sont relativement insensibles aux problématiques de production. Elles sont par contre très sensibles aux problématiques d’environnement, de cadre de vie. Or, toute activité productive industrielle ou agricole implique des effets sur ces domaines. C’est donc par le biais de la lutte contre les nuisances que les classes intermédiaires ont fini par « chasser toute activité productive »…]

         
        Je ne suis pas d’accord. L’attaque contre l’idée de production et à fortiori de productivité n’est pas seulement un corrolaire d’une pensée écologiste. Pour une partie non négligeable de ces classes intermédiaires, l’activité productive est décrite comme aliénante par nature. Comme socialement nocive. Ce n’est pas un hasard si ces classes sont en faveur d’un revenu universel, et que leur idéal est un monde sans travail. L’héritage d’un marxisme mal digéré que le PCF a pris grand soin de nourrir, il me semble.
         

        [Malheureusement, cette bourgeoisie pèse très peu face à la bourgeoisie financière.]

         
        Elle pèse peu en terme de pouvoir et de finances, mais elle a le mérite d’exister PArce que malgré tout ce que vous décrivez, il reste quand même dans ce pays des gens qui se lancent dans des activités productives, en dépits des inombrables batons mis dans les roues de la moindre initiative industrielle. Et il me semble important, voir crucial, de ne pas les assimilé à cette fameuse bourgeoisie financière.
         
        L’autre jour vous me parliez de la difficulté que des gens de gauche pouvaient avoir à intégrer un mouvement souverainiste créé par des gens de droite en raison de la différence de “langage”. Je crois que vous devez prendre garde à ne pas recréer symétriquement la même barrière: pour des gens issus de la droite et qui souhaitent s’investir dans la reconquête de la souveraineté nationale, il est aussi difficile d’entendre pérorer sur une bourgeoisie indifférenciée qui serait la plaie du pays.
         
         

        [Sans compter que ce patrimoine, lorsqu’il est constitué de biens réels, nécessitera d’être liquidé pour rendre l’argent disponible, si je ne dis pas de bêtises. // S’il est constitué de biens réels, il n’est pas nécessaire de le « liquider », il est déjà liquide…]

         
        Imaginons que l’Etat décide de prendre X millions d’euros du patrimoine de M. Arnault pour payer la dette française, ou abonder au fonctionnement de l’Etat. Ces millions qui vont être saisis ne sont pas du cash. Ce sont par exemple des titres de propriété de vignobles du Champenois ou des actions de Vuitton. Pour rendre ces millions utilisables, il va bien falloir vendre ces terres et ces actions. A qui ? A un investisseur Chinois ? Est-ce vraiment une bonne opération ?
         
         

        • Descartes dit :

          @ P2R

          [Ceci étant dit, on voit qu’au moment de couper dans ces dépenses, c’est, comme vous le décrivez par ailleurs la politique de l’emploi qui remonte à la surface: quand les Republicains ont publié leur tribune pour une suspension des subventions aux ENR, c’est la question de la mise en dangers de centaines de milliers d’emplois qui a été brandie en premier.]

          Tout à fait. Il y a un paquet de politiques publiques dont l’utilité s’est révélée pour le moins douteuse (par exemple, le contrôle technique des véhicules particuliers) mais qu’on n’ose pas toucher parce qu’elles ont fabriqué une corporation professionnelle qui en vit, et qu’une suppression laisserait ces gens-là à la rue.

          [Nullement. Et c’est ce que démontre Ester Duflo dans son cours au collège de France, en s’appuyant sur les politiques de rénovation énergétiques menées aux USA et en Grande Bretagne, où l’effet rebond annule très rapidement toutes les économies d’énergie. (…)]

          Merci de cette information. Je connaissais bien entendu l’effet rebond, mais jusqu’ici tout le monde prétendait que cet effet était négligeable comparé aux économies effectuées. J’ignorais que Duflo avait obtenu un résultat différent.

          [« Il ne faut pas trop pousser. Les classes intermédiaires métropolitaines sont relativement insensibles aux problématiques de production. Elles sont par contre très sensibles aux problématiques d’environnement, de cadre de vie. Or, toute activité productive industrielle ou agricole implique des effets sur ces domaines. C’est donc par le biais de la lutte contre les nuisances que les classes intermédiaires ont fini par « chasser toute activité productive »… » Je ne suis pas d’accord. L’attaque contre l’idée de production et à fortiori de productivité n’est pas seulement un corolaire d’une pensée écologiste. Pour une partie non négligeable de ces classes intermédiaires, l’activité productive est décrite comme aliénante par nature. Comme socialement nocive. Ce n’est pas un hasard si ces classes sont en faveur d’un revenu universel, et que leur idéal est un monde sans travail. L’héritage d’un marxisme mal digéré que le PCF a pris grand soin de nourrir, il me semble.]

          Là, je pense que vous mélangez plusieurs choses. Je ne pense pas que l’idéologie dominante fasse de « l’activité productive » en tant que telle une source d’aliénation. C’est plutôt le travail qui est ainsi qualifié, héritage d’un marxisme mal digéré par les gauchistes, et que le PCF a pendant très longtemps combattu – pensez par exemple a l’affrontement entre les étudiants venus à Billancourt « détruire les machines du capital » et les ouvriers cégétistes qui leur ont barré la route en 1968.

          Là encore, c’est par rebond que l’activité productive se trouve dévalorisée : puisque le travail est la seule source de valeur, dévaloriser le travail conduit assez naturellement à dévaloriser la production, qui en est le fruit.

          [« Malheureusement, cette bourgeoisie pèse très peu face à la bourgeoisie financière. » Elle pèse peu en terme de pouvoir et de finances, mais elle a le mérite d’exister]

          Tout à fait. Vous noterez que j’avais commencé ma phrase par le mot « malheureusement »…

          [L’autre jour vous me parliez de la difficulté que des gens de gauche pouvaient avoir à intégrer un mouvement souverainiste créé par des gens de droite en raison de la différence de “langage”. Je crois que vous devez prendre garde à ne pas recréer symétriquement la même barrière: pour des gens issus de la droite et qui souhaitent s’investir dans la reconquête de la souveraineté nationale, il est aussi difficile d’entendre pérorer sur une bourgeoisie indifférenciée qui serait la plaie du pays.]

          Je le comprends parfaitement. La possibilité de coopération entre souverainistes de droite et souverainistes de gauche passe par la compréhension mutuelle des difficultés de l’autre camp à accepter un langage commun, ce qui suppose que chacun mette un minimum d’eau dans son vin. Communistes et gaullistes ont su le faire pendant la guerre, et le fruit de cette bonne volonté réciproque fut le CNR et son programme. Après la guerre, ils ont eu beaucoup plus de difficultés, et c’est pourquoi le « gaullo-communisme » est resté une convergence de fait, sans véritable traduction politique.

          [Imaginons que l’Etat décide de prendre X millions d’euros du patrimoine de M. Arnault pour payer la dette française, ou abonder au fonctionnement de l’Etat. Ces millions qui vont être saisis ne sont pas du cash. Ce sont par exemple des titres de propriété de vignobles du Champenois ou des actions de Vuitton. Pour rendre ces millions utilisables, il va bien falloir vendre ces terres et ces actions. A qui ? A un investisseur Chinois ? Est-ce vraiment une bonne opération ?]

          Ou peut-être à M. Arnault, qui les achètera avec son revenu. N’oubliez pas que le stock est en fait l’accumulation d’un flux… Il reste aussi la possibilité que l’Etat garde les titres de propriété des vignes du Champenois ou des actions Vuitton, et paye la dette non avec le capital, mais avec le revenu de celui-ci. Mais la question que vous posez est celle de l’illusion monétaire à laquelle j’ai consacré déjà plusieurs commentaires. Il faut bien comprendre que le patrimoine des ultra-riches est en grande majorité constitué non pas de biens réels, mais de morceaux de papier avec des chiffres dessus, et que la conversion de ces papiers en biens ou en monnaie pose un problème bien réel.

  3. Bruno dit :

    Bonjour Descartes et merci pour ce papier.
    [Mais cela ne sera possible que si l’on met des barrières à la « concurrence libre et non faussée », parce qu’aussi longtemps que cette concurrence sera effective, la pression pour baisser le prix du travail sera dominante et condamnera à l’échec toute politique qui aurait un autre objectif.]
    Comment selon vous pourrions nous trouver des marges de manœuvre dans le cadre de l’UE?
    Par ailleurs, pour ce qui est de l’endettement, je comprends votre discours mais les nouvelles générations ne l’entendent pas de cette oreille. Pour mes collègues les plus jeunes, la dette c’est un peu de l’argent magique et on peut y recourir sans limite vu qu’on est “la France” et qu’on dans le fond, tout le monde sait qu’on ne la remboursera jamais complètement… Aussi, il y a le sujet des “riches” et des entreprises. Pour les entreprises, vous l’avez déjà fort bien expliqué, si on les taxe trop, hop, ça part en Irlande ou ailleurs… Pour les riches toutefois, je ne suis pas certain d’avoir bien saisi ce que vous indiquez pour les revenus. Pourriez vous repréciser ? Merci

    • Descartes dit :

      @ Bruno

      [Comment selon vous pourrions-nous trouver des marges de manœuvre dans le cadre de l’UE ?]

      Tant qu’on reste dans le cadre de l’UE, ce ne peut être qu’un rapport de forces permanente. Autrement dit, il faut vivre nos rapports avec l’UE comme un combat, ou tous les coups sont permis : placer des fonctionnaires patriotes dans les institutions européennes (comme le faisaient les Anglais et le font toujours les Allemands), travailler avec les autres états qui ont nos mêmes intérêts pour constituer des majorités ou à la limite des minorités de blocage, et surtout ne pas hésiter à dire « non », à casser une négociation, à faire la mauvaise tête. Vous n’imaginez pas comment, dans les négociations européennes, nos représentants sont paralysés par la peur de paraître des « mauvais européens »… quant aux fonctionnaires qu’on envoie dans la structure bruxelloise, ce sont souvent des eurolâtres qui deviennent vite plus européens que français.

      Après, lorsqu’on n’arrive pas à Bruxelles à imposer nos vues, il reste toujours l’obstruction et la désobéissance. Là encore, si c’est bien fait, ça marche…

      [Par ailleurs, pour ce qui est de l’endettement, je comprends votre discours mais les nouvelles générations ne l’entendent pas de cette oreille. Pour mes collègues les plus jeunes, la dette c’est un peu de l’argent magique et on peut y recourir sans limite vu qu’on est “la France” et qu’on dans le fond, tout le monde sait qu’on ne la remboursera jamais complètement…]

      Il y a dans cette position une part de « après moi, le déluge », mais une part d’expérience. Après tout, ces générations ont toute leur vie entendu le discours « la France est en faillite », sans avoir jamais vu rien venir. Ce qui a marché ces trente dernières années va bien marcher quelques années encore…

      [Pour les riches toutefois, je ne suis pas certain d’avoir bien saisi ce que vous indiquez pour les revenus. Pourriez-vous repréciser ? Merci]

      Mon point est que la taxation du patrimoine et par nature une mesure qui ne peut être que temporaire. Si je taxe le patrimoine, je taxe un stock. Une fois le stock épuisé, il n’y aura plus rien à taxer. C’est donc le revenu qu’il faut taxer. Le problème est que la taxation du revenu des plus riches revient à réduire le rendement du capital, et dans un contexte de libre circulation cela pousse donc les riches à placer leur capital ailleurs.

  4. Bob dit :

    @ Descartes
     
    [Je sais que certains me répondront qu’il suffit de « taxer les riches »]
     
    Suffir, non, mais le message envoyé en le faisant me parait aller dans le bon sens. Que penser du refus chez nous de la taxe dite “Zucman” ?
     
    https://www.franceinfo.fr/economie/budget/budget-2026-sept-prix-nobel-exhortent-la-france-a-adopter-un-impot-sur-les-ultra-riches_7362753.html
     
    [Il faut au contraire une politique de rapatriement ou de développement d’activités très sélective, se concentrant sur les activités à forte valeur et des activités fortement capitalistiques et des activités stratégiques. Des activités qui très souvent ont besoin de capitaux importants, de connaissances et savoir-faire de pointe, d’infrastructures de qualité, d’institutions d’enseignement et de recherche fortes.]
     
    Des exemples de telles activités ?

    • Descartes dit :

      @ Bob

      [« Je sais que certains me répondront qu’il suffit de « taxer les riches » » Suffir, non, mais le message envoyé en le faisant me parait aller dans le bon sens. Que penser du refus chez nous de la taxe dite “Zucman” ? (…)]

      Le sénat l’a rejeté certainement pour des mauvaises raisons. Mais l’article que vous citez en référence se réfère à une tribune de sept prix nobel qui proposent en fait une taxe mondiale, justement pour éviter le risque d’expatriation du capital. Imposer en France la taxe Zucman, c’est prendre ce risque.

      [« Il faut au contraire une politique de rapatriement ou de développement d’activités très sélective, (…) » Des exemples de telles activités ?]

      Les technologies nucléaires, les technologies de l’armement, la chimie de base et la chimie fine, la machine-outil et la robotique, l’électronique, les activités du calcul et du numérique, les aciers fins, la mécanique de précision…

  5. Cording1 dit :

    Il y a une idée qui semble vous échapper mais qui a fait florès dans le milieu dirigeant des années 1990 celle d’un pays sans usines ni industrie une activité “sale” dont seuls les autres pays du monde dont les sous-développées devraient avoir à notre place pour leur développement économique. L’avenir “radieux” étant une société de services ou de R&D. Même ces derniers ont été liquidés comme à Sanofi sous l’autel de la rentabilité financière à court terme.
    De mémoire elle a été développée notamment pas Serge Tchuruk un des nombreux liquidateurs de notre industrie par sa promotion du “fabless” en 2001. Ce qu’il a pratiqué dans toutes les entreprises qu’il a dirigé depuis ce temps. Elle a été largement promue dans les cercles dirigeants pas seulement d’entreprises. 

    • Descartes dit :

      @ Cording1

      [Il y a une idée qui semble vous échapper mais qui a fait florès dans le milieu dirigeant des années 1990 celle d’un pays sans usines ni industrie une activité “sale” dont seuls les autres pays du monde dont les sous-développées devraient avoir à notre place pour leur développement économique

      Pourquoi dites-vous que cette idée « m’échappe » ?

  6. Simon dit :

     [L’idée qu’il y aurait dans la dépense publique du gras miraculeux, des masses considérables qu’on pourrait récupérer sans que le niveau de vie des Français s’en ressente est une idée fausse – ou alors il faudrait poursuivre comme criminels tous les hommes politiques qui, ces trente dernières années, ont permis que subsistent ces dépenses inutiles, voire les ont créées, et comme incompétents tous ceux qui nous ont promis de les réduire et ne l’ont pas fait.]
    Oui et non. Sur le sujet de la politique énergétique, je suis certain que vous voyez comme on peut s’éviter une energiewende à quelques centaines de milliards, et comment on aurait pu en éviter les prémices à 100 milliards. Et que vous avez des envies de poursuite sur les responsables. 
     
    Sur l’éducation, je ne pense qu’on puisse avoir beaucoup moins de profs. Mais je pense qu’à même nombre de profs, on peut avoir de bien meilleurs résultats (la discipline ne coûte pas cher, le rétablissement des anciens programmes non plus, et brûler un rectorat a des vertus festives et citoyennes).
    La dépense publique peut être beaucoup plus efficace, si l’on se pose sérieusement la question “comment faire pour que chaque euro supplémentaire ait une efficacité maximale”. 
    La politique énergétique est un bon exemple, notamment parce que les mesures à prendre sont faciles à justifier et dépendent peu d’une idéologie (venant de bord opposés, nous pouvons arriver très facilement à un consensus technique, qui est probablement déjà atteint à 90%). Le meilleur exemple est le marché de l’électricité : nous pouvons démontrer, sur une base d’économie classique, que c’est une ânerie, surtout en France. Et pourtant cela a été fait. Entre criminels et incompétents, je vous laisse juger 🙂 je mise sur du je m’en foutisme chez nos dirigeants (oh, c’est technique, et puis c’est à 15 ans), et sur de la paresse intellectuelle chez les hauts fonctionnaires, notamment bruxellois (oh, ça a marché sur les telecoms, j’vois pas pourquoi ça marcherait pas ici)

    • Descartes dit :

      @ Simon

      [« L’idée qu’il y aurait dans la dépense publique du gras miraculeux, des masses considérables qu’on pourrait récupérer sans que le niveau de vie des Français s’en ressente est une idée fausse – ou alors il faudrait poursuivre comme criminels tous les hommes politiques qui, ces trente dernières années, ont permis que subsistent ces dépenses inutiles, voire les ont créées, et comme incompétents tous ceux qui nous ont promis de les réduire et ne l’ont pas fait. » Oui et non. Sur le sujet de la politique énergétique, je suis certain que vous voyez comme on peut s’éviter une energiewende à quelques centaines de milliards, et comment on aurait pu en éviter les prémices à 100 milliards. Et que vous avez des envies de poursuite sur les responsables.]

      Je vous accorde volontiers le point. En fait, lorsque j’écrivais « dépense publique », je pensais au fonctionnement du secteur public plus qu’à la politique de subventions. Suite aux commentaires de plusieurs contributeurs, j’ai amendé mont texte dans ce sens.

      [Sur l’éducation, je ne pense qu’on puisse avoir beaucoup moins de profs. Mais je pense qu’à même nombre de profs, on peut avoir de bien meilleurs résultats (la discipline ne coûte pas cher, le rétablissement des anciens programmes non plus, et brûler un rectorat a des vertus festives et citoyennes).]

      Je suis d’accord avec vous, je ne pense pas que le problème fondamental de l’éducation nationale (ou des universités, d’ailleurs) soit celui des moyens. Il faut faire travailler plus les élèves, leur exiger plus, et pour cela on n’a pas besoin de plus de professeurs.

      [La dépense publique peut être beaucoup plus efficace, si l’on se pose sérieusement la question “comment faire pour que chaque euro supplémentaire ait une efficacité maximale”.]

      Je suis d’accord, bien entendu. Mais contrairement à ce que vous semblez penser, cette question, les hauts fonctionnaires se la posent en permanence. Cela fait quand même trente ans qu’on leur demande de maintenir le niveau de service avec de moins en moins de moyens, alors…

      [La politique énergétique est un bon exemple, notamment parce que les mesures à prendre sont faciles à justifier et dépendent peu d’une idéologie (venant de bord opposés, nous pouvons arriver très facilement à un consensus technique, qui est probablement déjà atteint à 90%). Le meilleur exemple est le marché de l’électricité : nous pouvons démontrer, sur une base d’économie classique, que c’est une ânerie, surtout en France. Et pourtant cela a été fait.]

      Oui, mais cela a été fait au nom d’une idéologie dominante, et non parce que l’on ne s’est pas posé la question de l’efficacité de chaque euro dépensé.

      [Entre criminels et incompétents, je vous laisse juger 🙂]

      Ni l’un, ni l’autre. Je vous répondrai avec la formule empruntée à Terry Pratchett : « ils font le mal non parce qu’ils disent « oui », mais parce qu’ils ne disent pas « non ». Ils sont mauvais sans la moindre once d’imagination ». Le problème est que pour les politiques l’objectif n’est pas d’avoir une politique énergétique rationnelle, mais de se faire réélire.

      • Simon dit :

        Cher Descartes, 
        Je constate donc un accord à 100% sur les points précédents (je n’avais pas précisé que j’approuvais l’idée, ou plutôt le constat, qu’il faut une production forte, mais il est clair que oui).
        J’ai un léger doute sur l’engagement de l’administration publique ou d’entreprises publiques à bien investir, vous citiez vous-même les services de communication dans un autre article. Et je constate au travail que malgré la pénurie budgétaire et tous les comités d’investissement, dans l’ensemble, on se retrouve souvent dans de l’anti-Pareto, 80% du coût pour 20% du résultat.
        Pour avoir un point de désaccord : 
        [ Imaginer qu’il suffit de baisser la productivité pour atteindre le plein emploi est une absurdité. Ou plutôt non : c’est raisonnable, à condition d’accepter une baisse massive du niveau de vie. Et pourtant, beaucoup à gauche y croient encore…]
        Je ne pense pas que cela soit absurde. A vrai dire, je n’ai pas d’idées très claires sur la production, si ce n’est que les politiques actuelles sont folles, et forment un tout (in)cohérent  : ma préférée est celle consistant à importer massivement des africains illettrés pour faire livreur Uber Eat [j’habite à Paris à côté d’un foyer malien, mes propos sont caricaturaux donc vérifiés chaque jour], de façon à éviter à des cadres produits des slides de descendre faire les courses ou au restaurant; peut-être que sans cette immigration la production de slides perdrait quelques pour-cent.
        Toutefois, on pourrait imaginer une économie à deux ou trois vitesses, une partie productive et possiblement compétitive, avec les secteurs que vous citiez dans une réponse. Des TGV, des avions, des voitures, de la chimie lourde et fine, du nucléaire, de la recherche en fusion, etc. 
        Une partie non-productive en termes marchands mais productive en termes de services qui auraient été vendables, avec par exemple la santé, l’éducation. Que cela soit non-marchand n’implique pas que cela ne doive pas être optimisés et rationalisé.
        Une troisième partie, non-productive en termes marchands, non-productive en termes de services vendables, mais nécessaire au bon fonctionnement et à la pérennité de la société, la partie régalienne.
        Et, ce qui va être le point de désaccord, une quatrième partie, non-productive en termes marchands, non-productive en termes de services vendables, non-nécessaire au bon fonctionnement de la société mais avec une certaine utilité, qui pourrait être subventionnée dans un but d’emploi et de bien-être, ainsi que de maintien de l’ordre social (ne pas payer des gens à ne rien faire, mais assurer un revenu contre un travail). Un peu les héritiers des anciens ateliers de charité de l’ancien régime, ou des ateliers nationaux de la seconde république. Cela existe déjà un petit peu, par exemple les ESAT (ex-CAT). Cela pourrait être largement étendu, pour créer des réservoirs d’emplois, destinés à occuper les gens, tarissables si nécessaires en cas de pénurie de main d’œuvre. Les secteurs concernés pourraient être un petit peu les services (modèle japonais, avec un préretraité en gants blancs tendant la valise à l’aéroport), un petit peu l’agriculture (par exemple en finançant du travail à la main là où il permet un gain de qualité ou de moindre pollution, d’une productivité réelle mais non rentable; il est hors de question de faucher du blé à la main alors que les moissonneuses existent). Et surtout des secteurs qui ne produisent rien de marchands mais qui sont agréables. Par exemple, la rénovation des villages et des églises. Cela participe à un beau cadre de vie, crée des vrais emplois (au sens où le travailleur est fatigué en fin de journée et voit son ouvrage, au contraire de creuser des trous et de les reboucher). Si un jour il faut rénover les logements pour économiser du fioul et améliorer le bilan carbone et la balance commerciale, ces rénovations rentables doivent passer en premier. Mais une telle politique permettrait un chômage faible et un gain non-marchand mais réel, de beaux villages. 
        Bien sûr, l’assignation d’une activité à l’une ou l’autre des catégories comporte une part d’arbitraire (la sécurité, c’est du commercial comme un vigile, du commercialisable comme probablement le travail de la police, du régalien comme un militaire ou de l’amélioration non-nécessaire? sans doute un peu des quatre). Et j’ai l’impression que l’erreur de la gauche est de mélanger la catégorie 1, productive, et la catégorie 4, atelier de charité. Un haut-fourneau vétuste donc produisant des aciers médiocres, non-rentable donc largement subventionné, avec de nombreux accidents du travail, ce n’est pas un optimum. Mais j’ai l’impression que la droite oublie l’existence de la 4è catégorie ou la méprise, alors que cette catégorie permettrait peut être de concilier des objectifs à première vue inconciliables.

        • Descartes dit :

          @ Simon

          [J’ai un léger doute sur l’engagement de l’administration publique ou d’entreprises publiques à bien investir, vous citiez vous-même les services de communication dans un autre article. Et je constate au travail que malgré la pénurie budgétaire et tous les comités d’investissement, dans l’ensemble, on se retrouve souvent dans de l’anti-Pareto, 80% du coût pour 20% du résultat.]

          Cela dépend de qui est le décisionnaire. Lorsque la décision porte sur un sujet très politique, la décision est très fréquemment sous-optimale, parce que le politicien fait, sauf rares et honorables exceptions, ses choix en fonction de critères qui n’ont aucune raison de suivre la règle de Pareto. Qu’il le fasse pour satisfaire la demande de l’opinion ou pour améliorer ses chances de réélection. Lorsque le choix concerne des sujets qui intéresse peu l’opinion, on la laisse souvent à des techniciens qui, eux, sont beaucoup plus sensibles à la question de l’efficacité. Ainsi, par exemple, EDF a fait pendant très longtemps dans son coin une partie de la politique énergétique de la France, et l’a fait très efficacement. Lorsque cette politique a été « repolitisée », ce fut le désastre.

          [« Imaginer qu’il suffit de baisser la productivité pour atteindre le plein emploi est une absurdité. Ou plutôt non : c’est raisonnable, à condition d’accepter une baisse massive du niveau de vie. Et pourtant, beaucoup à gauche y croient encore… » Je ne pense pas que cela soit absurde. A vrai dire, je n’ai pas d’idées très claires sur la production, si ce n’est que les politiques actuelles sont folles, et forment un tout (in)cohérent : ma préférée est celle consistant à importer massivement des africains illettrés pour faire livreur Uber Eat [j’habite à Paris à côté d’un foyer malien, mes propos sont caricaturaux donc vérifiés chaque jour], de façon à éviter à des cadres produits des slides de descendre faire les courses ou au restaurant; peut-être que sans cette immigration la production de slides perdrait quelques pour-cent.]

          Si l’on importait des livreurs Uber Eats afin d’augmenter la productivité des cadres, cela aurait une certaine rationalité. Mais je ne pense pas que ce soit le cas. Au fur et à mesure que les activités économiques se délocalisent, il a fallu trouver de l’emploi pour tous ceux qui habitent en France. Et pour ce faire, on a encouragé – oui, je dis bien, encouragé, parce que la création du statut d’auto-entrepreneur est un encouragement explicite à ce modèle – l’apparition de toutes sortes d’activités de service – les seules qui soient difficilement délocalisables – dont la productivité est extrêmement faible. Et bien sûr, ce sont les populations les moins formées, les plus éloignées de l’emploi « formel », qui s’engagent dans ces activités. On « n’importe pas massivement des Africains », ils viennent tout seuls, attirés par la possibilité d’exercer dans ces services, qu’une classe intermédiaire peut se payer… grâce à l’emprunt.

          [Toutefois, on pourrait imaginer une économie à deux ou trois vitesses, une partie productive et possiblement compétitive, avec les secteurs que vous citiez dans une réponse. Des TGV, des avions, des voitures, de la chimie lourde et fine, du nucléaire, de la recherche en fusion, etc.
          Une partie non-productive en termes marchands mais productive en termes de services qui auraient été vendables, avec par exemple la santé, l’éducation. (…) Une troisième partie, non-productive en termes marchands, non-productive en termes de services vendables, mais nécessaire au bon fonctionnement et à la pérennité de la société, la partie régalienne (…) Et, ce qui va être le point de désaccord, une quatrième partie, non-productive en termes marchands, non-productive en termes de services vendables, non-nécessaire au bon fonctionnement de la société mais avec une certaine utilité, (…).]

          A la lecture de ces paragraphes, je me rends compte qu’il y a une incompréhension entre nous sur un point fondamental. Quand je parle de « productivité », ce n’est pas la nature du bien que je vise, mais la « productivité du travail », c’est-à-dire, la quantité de travail nécessaire pour produire une unité de valeur. L’utilité du bien produit, le fait qu’il rentre ou non dans un circuit marchand, n’a rien à voir dans l’affaire.

          Il y a des activités dont la productivité n’a pas progressé depuis des siècles. Même avec les méthodes modernes et le matériel pédagogique de pointe, un instituteur « produit » aujourd’hui à peu près autant qu’il y a un demi-siècle. Un livreur de pizza aujourd’hui, avec son vélo, ne « produit » pas beaucoup plus que les commis livreurs d’épicerie du début du XXème siècle. Alors qu’une usine automobile aura multiplié le produit par unité de main d’œuvre de deux ordres de grandeur sur la même période. Cela ne veut pas dire qu’un instituteur soit inutile. Mais comme l’accroissement du niveau de vie est intimement lié à la productivité, le niveau de vie d’une société ne peut s’accroitre que s’il est « tiré » par des activités dans lesquelles les gains de productivité sont importants. C’est pourquoi une « économie de services » est souvent une économie qui croît relativement peu, parce que c’est dans le secteur des services que les gains de productivité sont les plus difficiles.

          Pour répondre au reste de votre commentaire, je ne suis pas contre le fait qu’on finance des activités faiblement productives, mais qui rendent la vie plus agréable – de la cuisine artisanale à la restauration de nos monuments ou l’embellissement de nos villes ou villages. Ce que je dis, c’est que si l’on veut pouvoir se payer tout ça sans s’endetter, il faut qu’il y ait derrière un secteur à la très forte productivité qui permette de dégager des marges suffisantes, et une consommation suffisamment modérée pour ne pas dévorer ces marges.

          • Simon dit :

            Merci pour ces précisions, j’avais effectivement mélangé deux notions différentes de la productivité. Et entièrement d’accord sur le fait que si on veut rendre soutenable l’embellissement de notre pays, il faut de l’industrie et des secteurs à forte marge, et une consommation assez limitée pour en réaffecter une partie. Des places jolies et des centrales nucléaires, ça me va 🙂

  7. Serval dit :

    La distinction entre stocks et flux, comme la définition différenciant revenus et patrimoine, sont toujours des rappels utiles. Toutefois, j’ai l’impression que votre papier, parlant d’un stock épuisable sous l’effet de la taxation, néglige le fait que les biens immobiliers comme les valeurs mobilières génèrent des revenus conséquents pour leurs détenteurs, susceptibles eux-mêmes d’accroître leur propre patrimoine dans la mesure ou l’intégralité de ces revenus sont épargnés et ne non pas utilisés pour des dépenses de consommation.
    A part ça, excellent papier, même si je pense que la question monétaire aurait mérité un petit paragraphe.

    • Descartes dit :

      @ Serval

      [Toutefois, j’ai l’impression que votre papier, parlant d’un stock épuisable sous l’effet de la taxation, néglige le fait que les biens immobiliers comme les valeurs mobilières génèrent des revenus conséquents pour leurs détenteurs, susceptibles eux-mêmes d’accroître leur propre patrimoine dans la mesure ou l’intégralité de ces revenus sont épargnés et ne non pas utilisés pour des dépenses de consommation.]

      Je ne néglige pas ce point. Ma réponse est que plutôt que de taxer le patrimoine, il faut taxer les flux qui l’alimentent. Plus vous taxez ces flux, et moins ce patrimoine s’accroit. Ensuite, on peut taxer la partie de ce patrimoine qui est thésaurisée ou investie à l’étranger, pour encourager justement ceux qui ont ces patrimoines à investir en France.

      [A part ça, excellent papier, même si je pense que la question monétaire aurait mérité un petit paragraphe.]

      J’en avais beaucoup parlé dans des papiers anciens, et j’ai toujours peur de me répéter… déjà que j’ai tendance à radoter…

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