Bye Bye Bayrou !

“La tribune de l’Assemblée me fait penser à un puits: quand un seau (sot) descend, un autre remonte, mais la vérité n’y sort jamais” (André Dupin, ancien président de l’Assemblée nationale)

François Bayrou quitte donc, sans peine ni gloire, un poste auquel il n’aurait jamais dû être nommé. Six mois à Matignon ont suffi à convaincre tout le monde – y compris ses propres partisans – qu’il avait chaussé des bottes trop grandes pour lui. Oui, je sais, il n’est pas digne de tirer sur les ambulances et encore moins sur les corbillards, mais pour une fois je vais faire exception à cette sage règle en y consacrant un paragraphe. Il ne mérite guère plus.

J’avais dit tout le mal que je pensais du personnage lors de sa nomination, et les faits ne m’ont pas démenti. François Bayrou, c’est l’incarnation de ce qu’il y a de pire dans notre monde politique, ou pourtant les horreurs ne manquent pas. C’est un homme stupide, borné, rigide, incapable d’avoir pensée originale, d’embrasser une idée nouvelle. Un notable provincial confit dans des certitudes du « bon sens » dignes du XIXème siècle. Un homme sans parole est sans mémoire. Un homme surtout qui a fait toute sa carrière non en suscitant l’adhésion, mais en jouant sur la menace comme un vulgaire maître chanteur. C’est ainsi qu’il a imposé sa nomination à un Macron sceptique – à juste titre – et c’est ainsi qu’il a tenté de se maintenir en essayant de convaincre l’opinion que son départ causerait une crise financière.  Il ne laissera derrière lui que six mois de procrastination. Le mieux qu’il peut espérer de l’histoire, c’est l’oubli.

Adieu monsieur Bayrou, entrez donc monsieur Lecornu. Avec Sebastien Lecornu, arrive à Matignon un politicien jeune, et tout à fait conforme à ce qu’est devenu le « cursus honorum » politique ces dernières années : issu d’un milieu modeste, il fait des études incomplètes (il ne terminera pas son master en droit) pendant qu’il milite à l’UMP. A 19 ans, il devient attaché parlementaire du député de l’Eure Frank Gillard. A 22 ans, il entre dans le cabinet de Bruno Le Maire (au gouvernement Fillon, aux Affaires européennes, puis à l’Agriculture). Il sera secrétaire national de l’UMP en 2013, maire de Vernon en 2014 et président du conseil départemental de l’Eure en 2015. En 2017 il a son premier poste ministériel (secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’environnement), et n’a pas quitté le gouvernement depuis. Autrement dit, un politicien dont la politique est l’unique métier, qui n’a jamais connu que ce milieu, qui n’a jamais connu l’expérience de travail et eu à supporter un patron sur le dos, bref, dont l’expérience vitale est limitée au monde feutré de la politique, locale puis nationale. En ce sens, il a un petit avantage par rapport à un Attal, dont toute la vie s’est déroulée dans deux arrondissements parisiens. Son expérience locale – l’Eure n’est pas la France – suffira-t-elle à faire la différence ?

Son positionnement idéologique est tout aussi flexible – il paraît que c’est aujourd’hui une qualité. Alors que dans certaines circonstances il s’est déclaré « plutôt gaulliste, séguiniste », dans d’autres il s’est présenté comme « libéral et européen », ce qui semble pour le moins contradictoire. Cette contradiction laisse penser à un politicien sans véritables convictions, ou du moins capable de les mettre en veilleuse lorsque l’opportunité politique l’exige. Une flexibilité qui le prépare à gouverner avec une assemblée divisée, en tout cas mieux que le principisme d’un Barnier ou l’entêtement orgueilleux d’un Bayrou.

Mais l’essentiel n’est pas là. En 2024, les électeurs ont envoyé un message : ils voulaient une rupture avec la politique poursuivie par Emmanuel Macron depuis 2017. Certes, ils ne veulent pas tous la même rupture, et aucune politique alternative n’a emporté la majorité. Mais il est clair que celle voulue par le président de la République et poursuivie depuis son élection était rejetée par la population. Depuis cette date, Macron s’entête pourtant contre vents et marées, suivi en cela par le « bloc central », à vouloir continuer comme si de rien n’était sur la même voie, quitte à pervertir l’esprit des institutions – comme on l’a vu lors du débat des propositions de loi abrogeant la réforme des retraites lors des niches parlementaires LFI et RN. Avec Barnier, il avait nommé une personnalité qui ne lui était pas totalement inféodée et entrouvert donc la porte à une remise en cause. Mais très vite cette porte s’est refermée, avec un gouvernement où l’essentiel des postes ministériels était détenu par des fidèles du président et un projet budgétaire qui ne faisait que prolonger en pire les turpitudes antérieures. Avec Bayrou, qui avait soutenu le président et sa politique de manière acritique depuis 2017, il n’y eut jamais la moindre ambigüité : rien de ce qui avait été fait depuis 2017 ne serait remis en cause, et la suite serait dans l’exacte continuité de la doxa macroniste.

C’est cet entêtement, plus que la composition de l’Assemblée nationale, qui conduit au blocage. Les commentateurs macronistes louent « l’esprit de compromis » qui, paraît-il, règne chez nos voisins européens. Mais pour eux, « compromis » veut dire que les autres acceptent de soutenir leur projet sans changements. Pour ne donner qu’un exemple, je me souviens d’une séquence d’un rare comique involontaire sur l’une des chaînes d’information continue, mettant face à face un député socialiste et un député macroniste. Ce dernier déclarait qu’il était tout à fait prêt à négocier largement pour trouver un accord avec les socialistes. Le journaliste commence alors à l’interroger : « négocier sur les retraites, par exemple ? ». Réponse : « il n’en est pas question ». Sur les économies budgétaires ? « La situation est catastrophique, on ne peut rien céder ». Sur la taxe Zucman ? « Ce serait inacceptable ». Et l’échange s’est poursuivi, avec à chaque proposition d’un sujet de négociation, une négative. Autrement dit, le « on est prêt à tout négocier » doit s’entendre en fait comme « tout, sauf ce qui vous intéresse ». Dans ces conditions, on ne peut qu’aller au blocage.

Cette fausse ouverture ne peut qu’exaspérer les oppositions. Les socialistes y ont cru – ou fait semblant d’y croire – lorsqu’ils ont laissé passer le budget 2025 en échange du « conclave », et ont eu toutes les raisons de le regretter. De déclaration en déclaration primo-ministérielle, il est vite devenu évident que rien n’était négociable. De l’autre côté de l’échiquier, le RN a envoyé une lettre listant ses « lignes rouges », et n’a même pas eu de réponse. Bayrou atteint le comble du ridicule en prétendant qu’il n’a pu rien discuter parce que les oppositions étaient « en vacances ». Le fait est donc évident : avec Bayrou comme avec Barnier, aucun changement de cap n’était possible.

Est-ce qu’avec Lecornu on peut sortir de cet entêtement ? Sur le papier, il part bien mieux que ses prédécesseurs. Il n’a certainement pas la raideur aristocratique d’un Barnier, et ce n’est pas un crétin façon Bayrou. Il a la confiance personnelle du président de la République, et cela lui permet probablement de lui dire quelques vérités que ni Barnier ni Bayrou ne pouvaient lui dire sans se voir désigner comme traîtres à la cause. Ayant une longue carrière devant lui, c’est peut-être aussi de son intérêt de « tuer le père » – ou du moins de se démarquer de lui – alors que le macronisme est en train de se dissoudre. Son extrême discrétion depuis qu’il est ministre des Armées, ses contacts à peine dissimulés – de nos jours, quand on dîne, on sait que cela finira par se savoir dans les gazettes – avec les dirigeants du RN, ce RN dont Macron a fait son diable de confort, montrent une certaine conscience de l’épuisement politique du macronisme.

Natasha Polony – l’une des meilleures commentatrices dans notre espace médiatique – a exposé cette semaine une remarque fort pertinente. Dans une chronique, elle signale combien notre classe politique s’est habituée à conduire des politiques « minoritaires ». Non pas « minoritaires » dans l’Assemblée, mais « minoritaires » dans le pays. Selon elle, l’esprit de la Vème République est là : dans la volonté des chefs de l’exécutif à chercher à convaincre et à faire des choix prudents qui permettent de compter avec le soutien, ou du moins la bienveillance, d’une majorité de Français. Je ne peux qu’être d’accord avec elle. Si la Constitution donne au président de la République des instruments puissants pour imposer sa volonté, le moins qu’on puisse dire est que de De Gaulle à Chirac, les présidents successifs ont été très prudents dans leur usage, reculant en général lorsqu’ils sentaient que la majorité de l’opinion ne les suivait pas. De Gaulle a préféré partir dès lors qu’il avait échoué à rallier à sa proposition un soutien majoritaire. Mitterand préféra retirer le projet de loi « Savary » lorsqu’il sentit que « le grand service public unifié de l’éducation nationale » – pourtant une promesse inscrite dans son programme électoral – soulevait une résistance sinon majoritaire au moins très considérable, et cela alors qu’il avait une majorité à l’Assemblée lui permettant largement de passer en force. Chirac retira le CPE, qu’il avait pourtant réussi à faire voter, lorsqu’il vit que cela suscitait une opposition très large dans l’opinion. A contrario, Georges Pompidou et Valery Giscard d’Estaing avaient tous deux exprimé clairement leur rejet à titre personnel de la peine de mort, et le second était allé jusqu’à estimer que le législateur devait se saisir de la question de son abolition, mais ont compris qu’un puissant courant d’opinion tenait à la maintenir et qu’il n’était pas question donc d’imposer un changement avant que l’opinion n’évolue et sans un mandat clair. Il fallut attendre 1981 pour que cette évolution se fasse : même si les sondages continuent à montrer qu’une majorité est favorable, personne ne sort dans la rue pour protester lorsque le parlement vote son abolition.

Le point d’inflexion se situe probablement sous la présidence Sarkozy, avec la ratification du traité de Lisbonne, qui reprenait – sans leur donner le caractère constitutionnel de l’original – une bonne partie des dispositions contenues dans le projet de traité constitutionnel européen, largement rejeté par les Français en 2005. Dans cette affaire, la classe politique – la droite au pouvoir, mais aussi une partie de la gauche dans l’opposition, qui a joint ses voix pour atteindre la majorité requise – a imposé une décision fondamentale et qu’elle savait pertinemment être minoritaire. Cette logique qui suppose que le président sait ce qui est bon pour le pays et peut l’imposer au citoyen, sans prendre la peine de le convaincre ni même à l’écouter, s’est depuis accentuée à chaque présidence. Et avec Macron, on a atteint des niveaux surréalistes : notre président semble sincèrement convaincu que, dès lors qu’il peut juridiquement faire quelque chose, qu’il existe quelque part dans la Constitution un levier qui lui permet de passer en force, il est politiquement légitime à le faire. Et cette croyance semble partagée par l’ensemble de la classe politique – il n’y a qu’à rappeler l’utilisation abusive de la motion de rejet, adoptée par les députés pourtant favorables au texte pour éviter le débat à l’Assemblée nationale (1), détournement évident de procédure utilisé en décembre 2023 pour la loi immigration, et encore récemment pour faire adopter la loi Duplomb.

Cette logique dégrade profondément les institutions. La constitution de 1958 donne certes au chef de l’exécutif des instruments très puissants, presque dictatoriaux dans certains cas. Mais ces instruments lui sont conférés à la condition d’en faire un usage prudent. Si les rédacteurs de la constitution ont agi ainsi, c’est parce qu’ils avaient confiance dans les élites politiques pour les utiliser avec sagesse, et dans le peuple Français, peuple politique s’il en est, pour se révolter dans le cas contraire. Le cas de l’article 16 de la constitution – celui qui permet au chef de l’Etat d’exercer les pleins pouvoirs pour une période limitée – est un bon exemple. En 1958 une partie de la classe politique avait crié à la dictature – s’attirant la réponse humoristique de mongénéral que tout le monde connaît (« ce n’est pas à mon âge que je vais commencer une carrière de dictateur »). Les faits leur ont donné tort : l’article 16 ne fut utilisé qu’une fois, en 1961, pour faire face au « putsch d’Alger », et dans une situation ou le pays était profondément divisé, on peut difficilement accuser  l’exécutif d’avoir abusé des pouvoirs extraordinaires pour imposer des mesures « minoritaires ». En 1968, alors que la situation aurait pu justifier aux yeux de certains le recours aux pleins pouvoirs, De Gaulle a laissé les institutions fonctionner, et s’il interrompt leur fonctionnement normal avec la dissolution de juin 1968, ce n’est pas pour imposer une politique « minoritaire » mais au contraire, pour demander au peuple son soutien. On imagine mal Giscard, Mitterrand, Chirac, ou même Sarkozy ou Hollande faire appel à l’article 16 en dehors de circonstances absolument critiques et avec un large consensus derrière eux. Mais lorsqu’il s’agit de Macron, la spéculation semble permise puisqu’il suffit de faire une petite recherche pour trouver de nombreux articles dans des journaux tout à fait sérieux qui évoquent cette possibilité (2). Et l’évoquent non pas comme un instrument pour appliquer des mesures indispensables au maintien de l’ordre public – mesures qui compteraient certainement avec un large soutien populaire – mais pour faire approuver la loi de finances !

La démocratie, cela ne consiste pas seulement à élire des représentants tous les cinq ans. C’est aussi – je dirais surtout – un dialogue permanent entre représentants et représentés. Les citoyens ne signent pas le soir de l’élection un chèque en blanc, ni même un mandat pour appliquer un programme. Et le fait d’avoir été élu ne confère pas une légitimité par défaut pour appliquer une mesure dont les Français ne veulent pas. C’est l’oubli de ces sages principes qui nous a conduit à la situation de blocage où nous sommes, avec d’un côté un président barricadé à l’Elysée dans la certitude de savoir ce qui est bon pour nous et – ce qui est pire – sa conviction qu’il a une pleine légitimité pour l’imposer, et de l’autre côté un ensemble de dirigeants politiques qui, s’ils étaient à sa place, feraient probablement la même chose. Car ne nous trompons pas, cette habitude des gouvernements « minoritaires » au sens ou l’entend Natacha Polony ne s’arrête pas aux portes de l’Elysée, c’est devenu un capital commun de notre classe politique. François Bayrou n’y échappait pas. Enfermé dans la conviction d’avoir raison contre tout le monde, s’inventant des soutiens qu’il n’avait pas – qui peut imaginer un instant que des jeunes lui auraient écrit, comme il le prétend, pour le féliciter de ses discours sur la dette – il ne pouvait pas aller chercher dans le pays la majorité qui lui manquait à l’Assemblée. Dès lors, les oppositions pouvaient le censurer en se sachant soutenues par leurs électeurs. Et c’est exactement ce qui s’est passé.

Sur le perron de Matignon, lors de la cérémonie de passation de pouvoir, notre nouveau Premier ministre a prononcé un discours très bref – moins de cinq minutes. Un discours constitué pour l’essentiel par des politesses envers son prédécesseur qui constituent une figure imposée, mais qui contenait une phrase dissonante, adressée à François Bayrou et, par élévation, au président de la République : « mais je le dis aussi, il va falloir des ruptures, et pas que sur la forme, et pas que dans la méthode. Des ruptures aussi sur le fond ». Ces mots ne valent pas engagement, mais témoignent à mon sens d’une prise de conscience. Pour le reste, on va vite savoir quelles sont les limites de l’exercice. On saura assez vite si notre nouveau Premier ministre est prêt à la « rupture » dont il parle, condition sine qua non pour surmonter l’abîme de méfiance laissé par son prédécesseur, ou bien si ce n’est qu’une tentative de nous vendre le même produit avec une nouvelle étiquette.

Descartes

(1) Pour ceux pour qui cette allusion serait obscure, il faut rappeler la procédure parlementaire. Une proposition ou projet de loi est déposé devant l’une des deux assemblées, qui l’examine, l’amende, puis envoie le texte ainsi amendé à l’autre assemblée. C’est ce qu’on appelle la « navette ». Au bout d’un certain nombre d’examens (deux dans chaque assemblée, sauf si la procédure d’urgence est demandée, auquel cas il n’y a plus qu’une) le gouvernement peut constater que, les chambres ne se mettant pas d’accord, une « commission mixte paritaire » (CMP) doit se réunir. Celle-ci doit élaborer un texte de compromis entre les textes votés par les deux assemblées. Si ce compromis n’est pas trouvé, on dit que la CMP « a échoué » et la navette reprend. Si un compromis est trouvé, celui-ci est présenté devant les deux assemblées qui doivent le voter dans l’état, aucun amendement – sauf ceux soutenus par le gouvernement – n’étant admis.

La « motion de rejet préalable » peut être déposée au début du débat sur le texte dans chaque assemblée. En principe, elle sert pour marquer le refus de l’assemblée concernée d’examiner le texte, et c’est en fait un appel au gouvernement à le retirer. Mais du fait de la manière dont le règlement est rédigé, ce vote permet de renvoyer le texte à l’autre assemblée sans qu’aucun amendement ne soit discuté. C’est donc un instrument très efficace pour contrer l’obstruction parlementaire – qui s’est généralisée ces dernières années, avec le dépôt de centaines et même de milliers d’amendements souvent loufoques ou identiques les uns aux autres – mais rend le processus d’amendement parlementaire inopérant.

(2) Voir par exemple « Le Point » du 5 décembre 2024, qui qualifie le recours à l’article 16 par le président Macron de « scénario extrême, mais qui reste une possibilité en cas de blocage politique majeur ».

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6 réponses à Bye Bye Bayrou !

  1. Lhaa Francis dit :

         Vous tirez sur le corbillard. Vous craignez qu’il ressuscite, comme le barbu de Nazareth ? Perso, entre le maire de Tulle et le maire de Pau…….

    • Descartes dit :

      @ Lhaa Francis

      [Perso, entre le maire de Tulle et le maire de Pau…]

      Quand même… dieu – s’il existe – sait que je n’ai aucune tendresse pour l’ancien maire de Tulle. On peut lui reprocher de ne pas avoir de colonne vertébrale, d’avoir toujours suivi la ligne de moindre résistance, c’est à dire d’avoir fait la politique du chien crevé au fil de l’eau. On peut aussi lui reprocher de n’avoir pas pris la mesure de sa fonction, d’être resté un magouilleur de couloir, de ne pas avoir de parole. Mais on ne peut dire de lui que c’est un imbécile borné.

  2. Spinoza dit :

    Bonjour Descartes,

    Vous faites ici un constat que je partage : le détournement de l’esprit des institutions de la Vème République permet aux dirigeants actuels d’imposer une politique “minoritaire” au pays.

    Or, j’ai retenu de nos discussions précédentes que vous rejetez les RIC ou autres référendums révocatoires, et que vous n’êtes pas favorable à ce qu’on touche aux dispositions de la Constitution relatives au fonctionnement des pouvoirs publics (ou alors très peu).

    Dans ces conditions, quelle solution reste-t-il pour mettre fin à ce problème ? Faut-il se contenter de le déplorer et attendre des dirigeants plus « vertueux » ? Mais vous le dites vous-même, cette tendance à vouloir passer en force dès que c’est juridiquement possible semble aujourd’hui largement répandue dans la classe politique.
     

    • Descartes dit :

      @ Spinoza

      [Or, j’ai retenu de nos discussions précédentes que vous rejetez les RIC ou autres référendums révocatoires, et que vous n’êtes pas favorable à ce qu’on touche aux dispositions de la Constitution relatives au fonctionnement des pouvoirs publics (ou alors très peu).]

      Oui, je suis contre les dispositifs comme le RIC ou le référendum révocatoire, pour les mêmes raisons que je rejette toute tentation de démocratie directe. Pour moi, la démocratie est par essence « représentative », d’une part parce qu’elle nécessite une forme de maïeutique, et d’autre part parce que la complexité d’un Etat moderne implique nécessairement une forme de division du travail. Pour résumer ma position, je dirais que pour moi l’élément qui caractérise une démocratie c’est la responsabilité de ceux qui exercent le pouvoir. Et on ne peut être tenu pour responsable de ce qu’on ne contrôle pas. Seul un pouvoir fort, ayant les moyens de mettre en œuvre ses choix, peut être « responsable ».

      Je soutiens que la démocratie prend forme dans le dialogue entre le peuple et ses mandataires. Que ceux-ci aient recours au référendum A LEUR INITIATIVE pour confirmer une orientation ou un mandat, cela me paraît très utile. Mais un tel référendum doit être restreint à des questions qui sont à la fois essentielles, avec un nombre d’options très limitées, et relativement peu techniques : on peut soumettre à référendum une réforme de la Constitution, une modification du territoire national, la ratification d’un traité particulièrement important. Mais je ne pense pas qu’on gagnerait à faire voter le Code de la Sécurité Sociale par référendum.

      Je ne suis pas contre qu’on modifie le fonctionnement des pouvoirs publics, mais alors dans un sens de retour vers l’esprit de la Vème République : suppression de la QPC, retour au septennat…

      [Dans ces conditions, quelle solution reste-t-il pour mettre fin à ce problème ? Faut-il se contenter de le déplorer et attendre des dirigeants plus « vertueux » ? Mais vous le dites vous-même, cette tendance à vouloir passer en force dès que c’est juridiquement possible semble aujourd’hui largement répandue dans la classe politique.]

      Ce n’est pas un problème qu’on peut résoudre en changeant les institutions, mais une question de rapport de forces. En 1958, l’ensemble des groupes sociaux était représenté au forum public : pour ce qui concerne les couches populaires, outre le « parti de la classe ouvrière » leur poids était loin d’être négligeable chez les socialistes et les gaullistes, sans compter avec la puissance des organisations syndicales. On ne pouvait donc pas l’ignorer, et les élites politiques avaient conscience de la nécessité d’avoir ces gens-là à bord.

      A partir de la fin des années 1970, les couches populaires sont progressivement marginalisées, au fur et à mesure que la mondialisation les rend moins indispensables au fonctionnement du capitalisme français. Le bloc dominant s’est donc progressivement habitué à gouverner sans eux, sans même chercher leur adhésion puisqu’on pouvait s’en passer. C’est par ce processus que se forme cette logique de « gouvernement minoritaire ». Et cela a marché jusqu’à ce que les partis populistes, qui ont redonné une représentation aux couches populaires, rentrent dans le paysage.

  3. Vincent dit :

    [qui contenait une phrase dissonante, adressée à François Bayrou et, par élévation, au président de la République : « mais je le dis aussi, il va falloir des ruptures, et pas que sur la forme, et pas que dans la méthode. Des ruptures aussi sur le fond ». ]

    Je n’y vois rien d’autre qu’une réponse au RN, qui avait dit qu’il censurerait s’il n’y avait pas de rupture…
    Et ça ne mange pas de pain de parler de rupture tant qu’on n’a pas dit ce qu’on allait rompre.
     
    Si on voulait être ironique, on pourrait même dire qu’un projet de “rupture” est un certain manque d’ambition par rapport au projet de “révolution” que portait Macron lors de son élection…

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [« qui contenait une phrase dissonante, adressée à François Bayrou et, par élévation, au président de la République : « mais je le dis aussi, il va falloir des ruptures, et pas que sur la forme, et pas que dans la méthode. Des ruptures aussi sur le fond ». » Je n’y vois rien d’autre qu’une réponse au RN, qui avait dit qu’il censurerait s’il n’y avait pas de rupture…]

      Lorsque vous regardez bien le langage corporel de Lecornu quand il prononce cette phrase, il est assez clair qu’il s’adresse à son prédécesseur et, par élévation, à ceux qui l’ont soutenu. Si le but était de contenter le RN, il n’était pas besoin du « mais je le dis aussi », qui met clairement la question de la « rupture » en contraste avec l’action de Bayrou, pas plus qu’il n’était nécessaire d’entrer dans les distinctions entre la forme, la méthode et le fond…

      [Et ça ne mange pas de pain de parler de rupture tant qu’on n’a pas dit ce qu’on allait rompre.]

      Pour le moment, on a que des mots. Mais les mots ont aussi leur importance. Ni Barnier, ni Bayrou n’ont utilisé ce langage. Il est clair, et le « mais je le dis aussi » enfonce le clou, que Lecornu ne se place pas dans la continuité de ses prédécesseurs ni même celle de Macron. C’est un début.

      [Si on voulait être ironique, on pourrait même dire qu’un projet de “rupture” est un certain manque d’ambition par rapport au projet de “révolution” que portait Macron lors de son élection…]

      Ca dépend « rupture » avec quoi. Lecornu n’est pas – du moins pas encore – président de la République. Il n’a ni l’autorité ni la majorité qui lui permettraient de tout changer. S’il arrive déjà à enterrer le macronisme, ce sera un exploit.

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