Grâce à un ami bien introduit dans ces milieux – comme quoi je ne suis pas sectaire – j’ai pu discuter avec quelques jeunes « black blocs ». La discussion m’a rappelé irrésistiblement le livre que Pablo Giussani avait écrit sur « Montoneros », le mouvement de guérilla urbaine péroniste qui a secoué l’Argentine à partir de la fin des années 1960, qui entra en conflit violent avec la droite péroniste à partir du retour de Péron au pouvoir en 1974 et fut éliminé par la dictature militaire qui a pris le pouvoir en 1976. Un mouvement composé essentiellement par des enfants des classes moyennes et supérieures devenus péronistes en réaction adolescente à l’anti-péronisme forcené de leurs parents, et qui opéra une sorte de synthèse entre le catholicisme le plus réactionnaire et le guévarisme pour aboutir à un projet de « socialisme national » que certains mauvais esprits ont plutôt qualifié de « socialisme nazional ».
Dans ses écrits, Giussani aborde l’opposition entre le rebelle et le révolutionnaire. Pour lui, le révolutionnaire est une personne qui se fixe pour objectif de changer le monde, et qui pour cela est prêt à embrasser la lutte révolutionnaire quelle que soit la forme qu’elle prenne, y compris lorsqu’il s’agit des tâches les plus obscures. Le rebelle, lui, n’a d’autre volonté que de se montrer dans une version héroïque et romancée de lui-même. Et il conclut que pour le révolutionnaire la fin justifie les moyens ; alors que pour le rebelle, c’est le moyen qui justifie la fin. Le révolutionnaire a recours à la violence si la révolution l’exige. Le rebelle veut la violence d’abord, et s’invente une révolution à faire après. Le révolutionnaire s’inscrit dans une mission qui le dépasse, le rebelle s’intéresse d’abord à lui.
Pour les jeunes avec qui j’ai pu discuter, une fois le vocabulaire « révolutionnaire », d’ailleurs bien mal maîtrisé, mis de côté, reste une fascination esthétique par la violence qui caractérise le rebelle. Cette impression de liberté absolue dans une situation où aucune règle ne s’applique, où tout est permis. Où tout ce qui vous entoure est à vous puisque vous avez le pouvoir de le détruire. Cette adrénaline que certains allaient autrefois chercher dans l’engagement dans la Légion, l’entrainement et les contraintes en moins. Car contrairement aux légionnaires, la plupart de ces jeunes ont de bons emplois qui leur assurent entre deux manifestations un confort matériel autrement plus intéressant que celui de la caserne.
Mais surtout, le débat m’a conforté dans une opinion que j’ai déjà eu l’occasion de défendre sur ce blog, à savoir, que la détestation dont fait l’objet la police aujourd’hui tient moins à son comportement et à son organisation qu’à sa fonction essentielle, qui rentre violemment en contradiction avec l’idéologie dominante « libérale-libertaire ». Comment une société pourrait-elle diffuser un modèle de comportement bâti autour de la toute-puissance de l’individu, et ne pas pousser à détester les institutions qui ont par essence la mission de mettre des limites à cette toute-puissance ?
Première constatation : la montée du rejet et de la violence envers les policiers touche l’ensemble de l’espace occidental. En Angleterre, le pays où le « bobby » désarmé pratiquait une police de proximité, fleurissent les inscriptions ACAB (« all cops are bastards », en français « tous les flics sont des salauds »). Dans les pays scandinaves, donnés en exemple d’une société du « care », les manifestations deviennent de plus en plus violentes et la police renonce à aller dans certains quartiers pour éviter les incidents. Pourtant, ces pays ont fait des choix très différents en matière d’organisation et de doctrine policière. Force est donc de constater qu’il y a un phénomène bien plus global que l’utilisation de telle ou telle arme, la politique de proximité ou les choix en matière de maintien de l’ordre. Et qui fait voler en éclat l’argument qui fait de la détestation de la police la conséquence de son comportement ou des choix de politique répressive.
Deuxième constatation : Cette augmentation de la violence ne touche pas seulement les policiers. Les enseignants font souvent l’expérience : du parent d’élève qui réagit à coups de poing à la mauvaise note de son petit chéri à l’adolescent qui menace l’enseignant au couteau ou le frappe en réaction à une sanction disciplinaire ou même une remarque, à l’heure de prendre des exemples on n’a que l’embarras du choix. Les médecins quittent certains quartiers, effrayés par les agressions de patients mécontentés par une prescription à leurs yeux insuffisante ou le refus de donner un arrêt de travail inutile. Même les pompiers, dont le racisme et la violence à l’égard du public, à supposer qu’ils existent, ont peu de chances de se manifester, font l’objet de guet-apens et de caillassages lorsqu’ils viennent éteindre les incendies allumés dans des poubelles ou des voitures. Et cette violence n’est pas limitée aux personnes en position d’autorité. Elle peut toucher n’importe lequel d’entre nous : on frappe la personne qui fait remarquer à celui qui monte dans les transports qu’il faut porter le masque ou qu’on ne met pas les pieds sur la banquette, le voisin qui vient demander qu’on baisse la musique ou qu’on n’entrepose pas ses ordures sur le palier.
Quel est le point commun entre ces violences ? Dans tous les cas, celui qui la subit a eu l’outrecuidance de prétendre mettre une limite à la toute-puissance de l’agresseur. Qui a donné le droit au policier de me dire à quelle vitesse je dois conduire, à l’instituteur pour dire à mon enfant de ne pas sortir son portable en classe, au médecin de refuser de me donner dix jours d’arrêt de travail pour pouvoir partir au ski, au pompier de venir interrompre notre fête autour d’un bon feu de voiture ? De quel droit vient ce voisin me rappeler la règle commune ? Pour l’idéologie dominante tous ces gens sont illégitimes – et méritent donc d’être remis à leur place – parce que la règle sous-jacente est elle-même illégitime. Si l’idéologie proclame le droit de chacun à « jouir sans entraves », alors ceux qui représentent ces « entraves » sont par définition des oppresseurs. La violence contre eux n’est pas seulement permise, elle est anoblie sous les oripeaux de la défense des droits et libertés de l’individu et la lutte contre l’oppression.
La « police de proximité » ? Pourquoi pas. Mais est-ce que cette « proximité » implique qu’on n’arrêtera plus les délinquants au prétexte qu’ils sont devenus des « proches » ? Qu’on fermera les yeux sur les infractions au prétexte de proximité avec les auteurs ? Si c’est le cas, alors le policier trahit sa mission. Et dans le cas contraire, il sera toujours aussi détesté. Parce que ce qu’on déteste vraiment dans le policier – mais aussi dans l’enseignant, le juge, le médecin, le pompier, le voisin – ce n’est pas qu’il est raciste ou violent, c’est qu’il nous ramène à la règle à laquelle nous n’avons pas envie d’obéir.
C’est pourquoi toutes ces manifestations contre les « violences policières » ne sont qu’un prétexte. Lorsqu’on crie dans la rue « tout le monde déteste la police », il faut en fait comprendre « tout le monde déteste la loi ». Pour ceux qui tiennent ce discours, toute violence – même celle exercée pour remettre à la justice un voyou qui résiste à l’arrestation – exercée par la police est « excessive », parce que toute atteinte à la toute-puissance de l’individu est en soi un excès. Il ne s’agit plus dans le discours de la gauche de substituer à l’ordre social injuste un ordre social plus juste, mais de proclamer au contraire la toute-puissance de l’individu. Toute-puissance qui se manifeste, comme le signalait déjà Nietzche, d’abord dans la capacité illimitée à détruire.
La gauche d’hier rappelait avec Lacordaire « qu’entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Et un militant et dirigeant aussi important que Georges Cogniot déclarait que « le parti communiste est un parti d’ordre, d’un ordre différent, mais un parti d’ordre ». Mais ça, c’était avant… quand elle n’était pas encore devenue « libérale-libertaire ». Aujourd’hui, le rebelle a remplacé le révolutionnaire.
Descartes
@Descartes
Excellent article. Pourriez vous nous en dire plus sur ces entretiens ? Sur ce qu’ils ont expliqué ?
@ Vincent
[Excellent article. Pourriez vous nous en dire plus sur ces entretiens ? Sur ce qu’ils ont expliqué ?]
Que voulez-vous que je vous dise ? En fait, ils ressemblent beaucoup aux “enragés” de mai 1968 – avec une nuance importante: en mai 1968, la classe ouvrière était encore une force structurante, tant sur le plan intellectuel que sur le plan économique. Ce n’est plus le cas. Les “enragés” de mai 1968 ne pouvaient pas l’ignorer, et tenaient donc un discours où la défense de la classe ouvrière tenait une place importante même si les “victimes” commençaient déjà à la remplacer. Les “black blocs” que j’ai entendu n’ont pas ce genre de pudeurs. Le discours des “enragés” d’aujourd’hui est moins structuré autour d’un projet alternatif que de la condamnation des institutions, qui étant illégitimes sont par définition dignes d’être détruites.
[En Angleterre, le pays où le « bobby » désarmé pratiquait une police de proximité, fleurissent les inscriptions ACAB (« all cops are bastards », en français « tous les flics sont des salauds »). Dans les pays scandinaves, donnés en exemple d’une société du « care », les manifestations deviennent de plus en plus violentes et la police renonce à aller dans certains quartiers pour éviter les incidents. Pourtant, ces pays ont fait des choix très différents en matière d’organisation et de doctrine policière. Force est donc de constater qu’il y a un phénomène bien plus global que l’utilisation de telle ou telle arme, la politique de proximité ou les choix en matière de maintien de l’ordre. Et qui fait voler en éclat l’argument qui fait de la détestation de la police la conséquence de son comportement ou des choix de politique répressive.Deuxième constatation : Cette augmentation de la violence ne touche pas seulement les policiers. Les enseignants font souvent l’expérience : du parent d’élève qui réagit à coups de poing à la mauvaise note de son petit chéri à l’adolescent qui menace l’enseignant au couteau ou le frappe en réaction à une sanction disciplinaire ou même une remarque, à l’heure de prendre des exemples on n’a que l’embarras du choix. Les médecins quittent certains quartiers, effrayés par les agressions de patients mécontentés par une prescription à leurs yeux insuffisante ou le refus de donner un arrêt de travail inutile. ]..
Pour prolonger ce thème et illustrer l’ idée suivante , au sujet des contrôles (spécificité hexagonale) sans justification,(apparemment ils ne sont pas légaux ailleurs où il faut une infraction sur zone pour les justifier) appelés aussi ‘au faciès’ puisqu’ils sont pratiqués dans les quartiers ghettos pauvres non blanc, ils semblent dégénérer en affrontements, très souvent,alors pourquoi les maintenir ?
N’y a t il pas une volonté stratégique , pour discréditer la France aux yeux de ses plus jeunes habitants , y maintenir un climat d’émeutes un peu comme Otto Abbetz ambassadeur Nazi à Paris,fin francophile,qui manipulait les gens pour mieux anéantir l’estime de soi national ,compromettre l’avenir de la résistance et piéger d’avance toute réaction de groupe citoyenne ?
@ Luc
[Pour prolonger ce thème et illustrer l’idée suivante, au sujet des contrôles (spécificité hexagonale) sans justification, (apparemment ils ne sont pas légaux ailleurs où il faut une infraction sur zone pour les justifier) appelés aussi ‘au faciès’ puisqu’ils sont pratiqués dans les quartiers ghettos pauvres non blanc, ils semblent dégénérer en affrontements, très souvent, alors pourquoi les maintenir ?]
Parce que, contrairement aux autres pays (Grande Bretagne, Allemagne, Italie, Espagne) notre police ne peut pas compter sur la surveillance sociale. En Grande Bretagne, si vous cassez le phare d’une voiture en faisant une marche arrière, vous pouvez être sûr que le « bobby » local recevra un rapport de votre voisin qui vous a vu le faire, y compris avec le numéro de la plaque. En Allemagne ou en Espagne, on n’hésitera pas à reporter à la police l’apparition dans l’immeuble d’une personne inconnue.
[N’y a-t-il pas une volonté stratégique , pour discréditer la France aux yeux de ses plus jeunes habitants,]
Encore un Grand Komplot ?
[Encore un Grand Komplot ? ]
Peut-être: https://www.causeur.fr/une-time-avec-assa-traore-188615
@ xc
Il n’y a là aucun “complot”. Chaque pays cherche bien évidement à développer chez les autres des réseaux d’influence. Du temps ou la France n’était pas une province allemande, le réseau des Alliances françaises dans le monde subventionnait aussi des actions culturelles et visait à former des élites francophiles en Amérique latine, en Afrique, en Asie et au Moyen Orient. Les américains font exactement la même chose, seulement, contrairement à nous ils se donnent les moyens de leur politique.
Pensez vous sincérement qu’Otto Abetz,Hitler,les organisateurs de l’opération Barberousse ou de l’incendie du Reichstag n’étaient pas des comploteurs?
https://books.google.fr/books/about/Juin_40_la_n%C3%A9gociation_secr%C3%A8te.html?id=KJRsM4Gmd7kC&printsec=frontcover&source=kp_read_button&redir_esc=y#v=onepage&q&f=false
@ luc
[Pensez-vous sincèrement qu’Otto Abetz, Hitler, les organisateurs de l’opération Barberousse ou de l’incendie du Reichstag n’étaient pas des comploteurs ?]
Les auteurs de l’incendie du Reichtag oui, puisqu’il s’agissait d’une opération illégale tendant à tromper l’opinion quant à sa vraie nature. Mais l’opération Barbarossa n’est nullement un « complot », c’est une opération militaire dont on a cherché normalement à préserver le secret. J’ai l’impression que vous faites de tout acte concerté et secret un « complot ». Avec ce critère, effectivement, il y a des complots partout. « Secret » n’est pas synonyme de « complot ».
Bonjour Descartes,
Tout d’abord merci pour ce billet qui fait visiblement suite aux commentaires du précédent “Justice nulle part… pour la police !”, c’est toujorus un plaisir de vous lire.
Lorsque vous écrivez :
[Et cette violence n’est pas limitée aux personnes en position d’autorité. Elle peut toucher n’importe quel d’entre nous : on frappe la personne qui fait remarquer à celui qui monte dans les transports qu’il faut porter le masque ou qu’on ne met pas les pieds sur la banquette, le voisin qui vient demander qu’on baisse la musique ou qu’on n’entrepose pas ses ordures sur le palier.
Quel est le point commun entre ces violences ? Dans tous les cas, celui qui la subit a eu l’outrecuidance de prétendre mettre une limite à la toute-puissance de l’agresseur. Qui a donné le droit au policier de me dire à quelle vitesse je dois conduire, à l’instituteur pour dire à mon enfant de ne pas sortir son portable en classe, au médecin de refuser de me donner dix jours d’arrêt de travail pour pouvoir partir au ski, au pompier de venir interrompre notre fête autour d’un bon feu de voiture ? Quel droit à ce voisin de me rappeler la règle commune ?]
La “règle” fait elle spécifiquement référence à la loi, ou est ce que vous incluez aussi les règles de sociabilité non écrites? Certains des exemples sont ambigus, pour le cas de l’instituteur par exemple on peut considérer le règlement intérieur de l’établissement scolaire comme une prolongation de la loi ou bien comme de la politesse élémentaire.
Si je pose cette question c’est que cette idéologie libérale-libertaire tend à s’écraser sur certaines de ses contradictions en mélengeant la loi et les régles. On a ainsi vu fleurir des campagnes de pubs dans les transport en commun pour lutter contre le “harcèlement de rue”, ce qui est ironique pour deux raisons :
– Ceux-là même qui nous chante la liberté individuelle, celle des “victimes” en particulier, veulent maintenant inciter les gens à exercer une pression les uns sur les autres. Ces campagnes de pubs incitent en effet explicitement les témoins à intervenir pour s’opposer à “l’agresseur”.
– Il y a un glissement sémantique qui est effectué pour judiciariser ce problème qui serait, je pense, mieux réglé uniquement par la pression sociale, à moins de mettre un policier à chaque coin de rue… Le terme de “harcèlement” implique en effet une notion de répétition de la part de “l’agresseur”, alors que l’acte est en général ponctuel. Parler d’incivilité conviendrait mieux, mais quoi qu’il en soit quand on réalise qu’on a besoin d’être protégé de nos semblables on rappelle illico la loi à la rescousse.
J’ai pensé un moment que ce genre de contradiction allait freiner le mouvement idéologique et puis j’ai vu ces vidéos ou des antifas, habitués des slogans style ACAB, couraient se réfugier dans les jupes de la Police quand qu’ils croisaient des manifestants d’extrème droite. Cela m’a rendu moins optimiste.
Une autre question sans rapport avec le billet. Je suis actuellement en train de lire les articles de votre blog dans l’ordre chronologique, et surtout leurs commentaires. Si je souhaite intervenir avec une question ou une remarque sur l’un d’eux, recommandez vous de le faire sur l’article ancien en question ou de faire un hors-sujet sur un article récent?
Merci.
@Fabien
[Tout d’abord merci pour ce billet qui fait visiblement suite aux commentaires du précédent “Justice nulle part… pour la police !”, c’est toujorus un plaisir de vous lire.]
Oui, il m’arrive de temps en temps d’avoir envie de préciser un sujet qui sort de la discussion… et c’est bien le cas ici.
[La “règle” fait elle spécifiquement référence à la loi, ou est-ce que vous incluez aussi les règles de sociabilité non écrites ? Certains des exemples sont ambigus, pour le cas de l’instituteur par exemple on peut considérer le règlement intérieur de l’établissement scolaire comme une prolongation de la loi ou bien comme de la politesse élémentaire.]
J’inclus, bien entendu, les règles de sociabilité non écrites dès lors qu’elles font partie d’un consensus social, et donc extérieures à l’individu qui est appelé à les respecter. Pour le dire autrement, je fais une distinction entre les règles qui sont extérieures à l’individu et indépendantes de sa volonté, et celles qu’il se fait lui-même.
[Si je pose cette question c’est que cette idéologie libérale-libertaire tend à s’écraser sur certaines de ses contradictions en mélangeant la loi et les règles.]
Oui et non. L’idéologie « libérale-libertaire » s’est curieusement marié avec un néo-puritanisme ou chacun rejette à la foi la règle pour soi et considère avoir le droit de faire la règle pour les autres. On rejette toute prétention de la société à limiter votre liberté, mais on passe son temps à vouloir limiter la liberté du voisin, de celui qui ne pense pas comme vous. Le féminisme « de genre » ou l’écologisme sont les deux exemples les plus extrêmes : sous la prétention de construire un monde de liberté, on prononce en permanence des règles et interdits nouveaux.
[Une autre question sans rapport avec le billet. Je suis actuellement en train de lire les articles de votre blog dans l’ordre chronologique, et surtout leurs commentaires. Si je souhaite intervenir avec une question ou une remarque sur l’un d’eux, recommandez-vous de le faire sur l’article ancien en question ou de faire un hors-sujet sur un article récent?]
Dans les deux cas, vous aurez une réponse de moi et votre commentaire sera mieux placé pour les lecteurs qui font des recherches. Mais si vous souhaitez lancer un débat avec les autres commentateurs, un hors sujet sur un article récent est plus opportun.
Bonjour,
Je vous prend au mot: par un hors-sujet.
Il y a quelques temps un de vos correspondants nous a signalé un livre :”Le ménage à trois de la lutte des classes”. C’est un thème duquel, jusqu’à lors, je ne connaissais que deux adeptes : vous et moi. Nous sommes peut-être au moins quatre, sinon plus! J’ai lu ce livre, d’inspiration marxiste sans aucun doute. J’en partage diverses réflexions. Mais ses conclusions (chapitre 9, principalement) me paraissent inquiétantes et partielles. Je pense, quant à moi, que leurs perspectives effrayantes doivent conduire à approfondir la question (je tâche de m’y employer, égoïstement, pour ma tranquillité: c’est difficile!). C’est pourquoi votre opinion, si d’aventure vous avez lu ce livre, m’intéresserait beaucoup. Merci d’avance, quelle que soit votre réponse: je m’en accommoderai, car l’idée de 3ème classe est aventureuse et on a droit à ne pas la partager, ou à la prendre en compte de différentes manières…
@ Alain Brachet
[C’est pourquoi votre opinion, si d’aventure vous avez lu ce livre, m’intéresserait beaucoup.]
C’est dans ma liste de livres à lire… malheureusement fort longue!
Dans la Sainte Famille (Saint MAX), Marx posait déjà la différence claire entre le révolutionnaire (“changer le monde”) et le révolté (“se changer lui-même”). Bel effort que d’avoir échangé avec des “blacks blocs” (le nom anglais est déjà tout un programme), ces macronistes qui s’ignorent.
Continuez le bon travail sur ce bloc ! Cordialement.
@ Olivier Rolland
[Dans la Sainte Famille (Saint MAX), Marx posait déjà la différence claire entre le révolutionnaire (“changer le monde”) et le révolté (“se changer lui-même”).]
Tout à fait. Ce que Marx n’avait pas vu venir est combien la possibilité de prise et de diffusion quasi illimitée des images allait encourager les penchants exhibitionnistes des “rebelles”. L’anarchiste qui posait une bombe en 1870 n’avait pas beaucoup de chance de voir sa photo dans les gazettes sauf à trouver un roi ou un président à faire sauter. Aujourd’hui, vous pouvez partager avec le reste du monde les films de vous même lançant un cocktail Molotov sans trop de frais.
Toute puissance versus impuissance, ou son corollaire ?
Vous avez 4 heures…
Ayant vécu le passage de l’Ecole de la République pure et “dure” (quel heureux temps!), à l’effondrement
total de mon petit lycée de petite ville, après mai 68, mauvais profs restant mauvais ( impuissance ) : n’ayant
pas investi leur poste, se faire dire maverdave -restons polie – se retrouver avec une salle au 3/4 vide, les lycéens
préférant fumer, boire un coup, se faire un joint dans le jardin de l’établissement, ne les dérangeaient pas ; après avoir
vécu la main de fer dans un gant de velours, les grandes gueules avaient pris le dessus : la toute-puissance de
l’adolescence pouvait s’épanouir librement .
Les trés bons professeurs déjà chenus ont pris une retraite anticipée ;
les meilleurs se sont souvenus opportunément d’une thèse laissée sous le coude à reprendre d’urgence.
Ils avaient compris que le pouvoir de transmettre le meilleur d’eux-même leur était retiré (fin des Hussards noirs);
bref, les grands chapeaux à plumes avaient pris le pouvoir, et rivalisaient de réformes abracadabrantesques
…finies les maths archaïques et dépassées, passons à A *B Truc C …la Grande Révolution Française,
étudiée dans les règles de l’Art en 3° fut revisitée en 2° : terreur, terreur et encore terreur, une honte, d’où Lénine,
Staline, le goulag etc …
Tout était cul par dessus tête.
La proviseur rad-soc.bonteint et athée a même été vue à la messe : terrible choc!
Néanmoins, quelques jeunes trés bons profs sont restés, rusant avec l’ennemi : ils étaient entrés en Résistance
: leur matière s’y prêtait peut-être mieux.
Seuls les enfants d’enseignants, et ceux placés manu militari dans le privé s’en sont bien sortis
. ( d’où je pense à cette histoire de classe intermédiaire, qui m’interroge )
Pour les autres, manque définitif de méthode, concepts, et ne parlons pas du fameux rasoir !…
N’ayant pas les outils, je ne fais que passer. Je baguenaude depuis quelques jours; Le fil avec
l’enseignant m’intéresse beaucoup : je le pense excellent, trés trés fâché et pas du tout facho.
“Force est donc de constater qu’il y a un phénomène bien plus global que l’utilisation de telle ou telle arme, la politique de proximité ou les choix en matière de maintien de l’ordre.”
D’accord. La police française a un bilan bien moindre en matière de violence que l’américaine, mais elle n’est pas plus respectée. (Elle l’est peut-être moins précisément parce que perçue comme moins violente. En somme, la police française est en retard.)
“Même les pompiers, dont le racisme et la violence à l’égard du public, à supposer qu’ils existent, ont peu de chances de se manifester, font l’objet de guet-apens et de caillassages lorsqu’ils viennent éteindre les incendies allumés dans des poubelles ou des voitures.”
Là, il me semble qu’on a plutôt affaire au calcul des bandes délinquantes qui nettoient leur territoire de toute casquette officielle et ne veulent voir que les leurs. Ils prennent appui sur une délégitimation profonde de l’état, qui n’est pas réductible à un trait idéologique “Lili”. Après tout, cet état d’esprit règne depuis longtemps, et il y a une montée à la fois globale et récente de cette violence. Cela devrait suggérer des déterminants eux aussi globaux et récents, et la crise globale que nous traversons, crise sans horizon qui plus est, me paraît un meilleur candidat que l’esprit soixante-huitard qui a cinquante ans. (Bien sûr, il n’y a pas exclusion entre les deux.)
Quant à la distinction du révolutionnaire et du rebelle,sans vouloir être discourtois envers Pablo Giussani elle me semble celle de deux “idéaux-types” assez difficiles à manier. Combien de révolutionnaires ont-ils commencé en rebelles? Et combien d’autres se sont-ils dégradés en rebelles? la distinction peut-elle avoir une autre valeur opérationnelle que la condamnation du désigné rebelle?
@ GEO
[Là, il me semble qu’on a plutôt affaire au calcul des bandes délinquantes qui nettoient leur territoire de toute casquette officielle et ne veulent voir que les leurs. Ils prennent appui sur une délégitimation profonde de l’état, qui n’est pas réductible à un trait idéologique “Lili”. Après tout, cet état d’esprit règne depuis longtemps, et il y a une montée à la fois globale et récente de cette violence.]
Ça n’a rien de « nouveau ». On voit cette remontée depuis la fin des années 1970. Rappelez-vous des « blousons noirs » et autres « autonomes ». Rappelez-vous aussi des expériences violentes à gauche comme Action Directe, les Brigades Rouges ou la RAF en Allemagne. Mouvements qui au-delà de leurs propres militants ont reçu un soutien implicite ou explicite d’une bonne partie de la gauche militante – communistes exclus. Et le fait que les communistes ne soient pas montés sur ce bateau n’a rien d’une coïncidence : ce sont les seuls à gauche pour qui l’idéologie « LiLi » était anathème.
[Cela devrait suggérer des déterminants eux aussi globaux et récents, et la crise globale que nous traversons, crise sans horizon qui plus est, me paraît un meilleur candidat que l’esprit soixante-huitard qui a cinquante ans. (Bien sûr, il n’y a pas exclusion entre les deux.)]
Mais comment expliquez-vous que la violence ne vienne pas des couches sociales qui sont les plus affectées par cette « crise globale » ? Qu’elle vienne soit du lumpenprolétariat – qui vit largement des dispositifs publics – soit des classes intermédiaires ?
[Quant à la distinction du révolutionnaire et du rebelle, sans vouloir être discourtois envers Pablo Giussani elle me semble celle de deux “idéaux-types” assez difficiles à manier. Combien de révolutionnaires ont-ils commencé en rebelles ? Et combien d’autres se sont-ils dégradés en rebelles ?]
Je ne sais pas. J’avoue que je trouve assez peu de cas de passage de l’une à l’autre catégorie. Mais peut-être pourriez-vous proposer quelques exemples ?
[la distinction peut-elle avoir une autre valeur opérationnelle que la condamnation du désigné rebelle?]
Personnellement, je m’intéresse moins aux individus qu’aux structures. La rébellion comme catégorie m’intéresse plus que le rebelle.
[ que la violence ne vienne pas des couches sociales qui sont les plus affectées par cette « crise globale »]
C’est pas le lumpenproletariat justement ? Certes il y a les aides sociales, mais elles sont progressivement remise en cause. Rajoutons une école publique qui ne fonctionne plus, et un chômage de masse…
Mais en effet la spécificité des GJ c’était d’avoir ramener des gens qui pensent qu’ils perdent le peu qu’ils ont, et que la perte s’accélère avec Macron. Et je voie aussi que ce sont eux qui ont déserté les manifs de gilets jaunes pour leur majorité aujourd’hui…
Autre point complémentaire : et les couches intermédiaires, et les ouvriers/employés, et le “lumpen” sont tous dans une mentalité de rejet de l’organisation militante (que je sais incompatible avec l’individualisme, car il suppose qu’on ne puisse pas militer pour exactement ce que nous voulons défendre). On l’a vu avec les gilets jaunes (la force du mouvement c’était de passer sous silences les divergences, au lieu d’offrir un cadre dans lequel elles s’expriment et donnent naissance à une synthèse défendu par tous). Et cette casse de l’organisation touche les partis. La casse en manifestation, adhérer au black bloc, c’est peut être une conséquence du rejet de l’organisation ? (on adhère littéralement a un moyen de lutte, pas à sa finalité… ) ?
@ Yoann
[Autre point complémentaire : et les couches intermédiaires, et les ouvriers/employés, et le “lumpen” sont tous dans une mentalité de rejet de l’organisation militante (que je sais incompatible avec l’individualisme, car il suppose qu’on ne puisse pas militer pour exactement ce que nous voulons défendre).]
Les couches populaires sont, comme tout le monde, sujettes à l’influence de l’idéologie dominante. Et l’idéologie militante est aujourd’hui ultra-individualiste. Dans ce cadre, toute soumission à une règle de discipline collective est vite qualifiée de « embrigadement », tout compromis, toute concession au nom d’un objectif commun apparaît comme une capitulation. L’individu véritablement « libre » est celui qui n’accepte aucune sujétion, aucun compromis. Et il est clair que dans ces conditions aucune « organisation militante » ne peut se développer. On se souvient de la plaisanterie au sujet des trotskystes : « un trotskyste est un parti, à deux c’est la scission ».
A ce propos je ne peux manquer de rappeler la chanson de Ferrat :
En groupe en ligue en procession
Depuis deux cents générations
Si j’ai souvent commis des fautes
Qu’on me donne tort ou raison
De grèves en révolutions
Je n’ai fait que penser aux autres
(…)
On peut me dire sans rémission
Qu’en groupe en ligue en procession
On a l’intelligence bête
Je n’ai qu’une consolation
C’est qu’on peut être seul et con
Et que dans ce cas on le reste
Cette chanson, qui date de 1967, doit être replacée dans son contexte : c’est une réponse à la chanson de Brassens, « le pluriel », qui annonçait des lendemains qui sont notre aujourd’hui :
Dieu que de processions, de monomes, de groupes
Que de rassemblements, de cortèges divers
Que de ligues, que de cliques, que de meut’s, que de troupes
Pour un tel inventaire il faudrait un Prévert
Le pluriel ne vaut rien à l’homme et sitôt qu’on
Est plus de quatre on est une bande de cons
Bande à part, sacrebleu, c’est ma règle et j’y tiens
Parmi les cris des loups on n’entend pas le mien
[On l’a vu avec les gilets jaunes (la force du mouvement c’était de passer sous silences les divergences, au lieu d’offrir un cadre dans lequel elles s’expriment et donnent naissance à une synthèse défendu par tous).]
La « force du mouvement » ou sa faiblesse ? Le fait de passer sous silence les divergences, plus que la force du mouvement, était la condition de son existence. Parce que dès lors qu’on parle des divergences, l’idéologie dominante nous pousse à rejeter tout compromis, et condamne donc toute action commune. Si les structures qui permettaient de faire la synthèse dialectique des désaccords ont disparu, c’est aussi parce qu’elles sont vomies par l’idéologie dominante qui a fait du mot « compromis » un mot sale.
[La casse en manifestation, adhérer au black bloc, c’est peut être une conséquence du rejet de l’organisation ? (on adhère littéralement a un moyen de lutte, pas à sa finalité… ) ?]
Ca va plus loin. Le “rejet de toute organisation” fait en fait disparaître la finalité, qui devient un élément accessoire. La violence devient un sport, une activité qui n’a pour but le plaisir qu’elle procure à son pratiquant. Le but transcendant – la défense des pauvres, la lutte contre les injustices – n’est plus qu’un prétexte.
@Descartes,
[c’est une réponse à la chanson de Brassens, « le pluriel », qui annonçait des lendemains qui sont notre aujourd’hui ]
J’ai grandi avec un père qui adorait Brassens, et j’aime beaucoup le style de ses chansons, très accessibles quoique rengorgeant de références littéraires… Un vrai chef d’oeuvre d’écriture.
Toutefois, dès mon plus jeune âge, je comprenais mal l’engouement de ses thuréféraires pour son côté anarchiste et ultra-individualiste, et en vieillissant, je me suis aperçu que j’aurais été fier de fait partie des “braves gens” qu’il fustigeait à longueur de temps dans ses chansons.
Ses idées libertaires ont toujours un vrai sujet de dispute avec mon paternel, qui a toujours été séduit par la pensée de Proudhon: moi, je l’ai en horreur!!! Pour ma part, je suis plutôt hobbésien, et Marx me paraît plus pertinent que le philosophe français😊; mais en tant vrai “socialiste” (au sens de celui qui était, à l’origine, “anti-individualiste”), je considère l’abolition de l’Etat comme un retour à l’état de nature, donc une régression.
Par conséquent, selon moi, pour une société décente, toute idée dite libertaire est à combattre, tant dans sa version de “gauche” avec les anarcho-communistes, ou de droite avec les “libertariens”!!! Pour ainsi dire, l’expression “société libertaire” est un oxymore…
Tout ceci pour dire que d’un certain côté, Brassens était l’ennemi de classe des travailleurs, certes sympathique car l’une des faces aimables du lumpenprolériat. Il était même le précurseur de nos artistes d’aujourd’hui, prescripteurs d’opinion et grands “rebelles” anti-flics devant l’éternel: il serait vraiment fier d’eux😬😈…
Au passage, votre citation me donne un argument de poids dans ma querelle avec mon père, surtout à chaque fois que je lui dis que la France d’aujourd’hui est celle dont Brassens rêvait…
Heureux le poète languedocien, mort bien avant d’avoir à vivre les inconvénients d’un rêve devenu réalité…
@ CVT
[J’ai grandi avec un père qui adorait Brassens, et j’aime beaucoup le style de ses chansons, très accessibles quoique rengorgeant de références littéraires… Un vrai chef d’œuvre d’écriture.]
J’adore Brassens. Comme vous, je suis toujours impressionné par le fait qu’il ait réussi à marier la chanson populaire avec des références qui viennent de la culture la plus haute et la plus raffinée, de François Villon à Victor Hugo en passant par la mythologie gréco-latine, avec un vocabulaire étendu (« la vénus callipyge »). Mais son anarchisme naïf est à replacer à son époque. Brassens écrivait dans une France encore solidement campée sur ses institutions. Se moquer des juges, des militaires, des gendarmes ou des professeurs dans ce contexte n’a plus du tout la même signification lorsque ces textes sont lus un demi-siècle plus tard, où les institutions tanguent et le lien social est en déroute. C’est un peu la même chose avec Prévert : « l’oiseau lyre » n’a pas la même résonnance dans l’école de 1950 et celle de 2020.
Le péché d’anachronisme est l’un des pires qu’on puisse commettre lorsqu’on analyse un texte. Brassens ou Prévert étaient des « libéraux-libertaires » dans un pays ou ce courant était ultra-minoritaire et relevait presque d’un snobisme intellectuel, d’une manière pour l’artiste d’être anticonformiste, de faire scandale. Ce discours n’a pas du tout le même sens dans une société ou cette idéologie est devenue dominante, où les gens qui le 14 juillet restent dans leur lit douillet sont devenus majoritaires, et où c’est celui qui porte un drapeau ce jour-là que tout le monde ira voir pendu.
[Toutefois, dès mon plus jeune âge, je comprenais mal l’engouement de ses thuréféraires pour son côté anarchiste et ultra-individualiste, et en vieillissant, je me suis aperçu que j’aurais été fier de fait partie des “braves gens” qu’il fustigeait à longueur de temps dans ses chansons.]
D’accord. Mais encore une fois, vous n’écoutez pas ces textes du même endroit où ils ont été écrits…
[Par conséquent, selon moi, pour une société décente, toute idée dite libertaire est à combattre, tant dans sa version de “gauche” avec les anarcho-communistes, ou de droite avec les “libertariens”!!! Pour ainsi dire, l’expression “société libertaire” est un oxymore…]
L’idéologie libertaire est une utopie, et comme toute utopie elle a un côté monstrueux. Elle suppose que chaque individu soit totalement libre, et en même temps suffisamment aliéné pour n’utiliser cette liberté qu’à bon escient. En d’autres termes, c’est la disparition de toute discipline extérieure par internalisation de cette discipline. Le remplacement de la censure par l’autocensure. C’est tout le problème posé par Burgess dans « Orange mécanique ». Un homme qui pourrait agir sans contrainte mais serait rendu incapable de faire autre chose que le bien serait-il toujours libre ?
[Tout ceci pour dire que d’un certain côté, Brassens était l’ennemi de classe des travailleurs, certes sympathique car l’une des faces aimables du lumpenprolériat. Il était même le précurseur de nos artistes d’aujourd’hui, prescripteurs d’opinion et grands “rebelles” anti-flics devant l’éternel : il serait vraiment fier d’eux…]
Disons que son discours annonçait les transformations qui allaient venir à partir des années 1970. Je ne le ferai pas le précurseur de nos « artistes » d’aujourd’hui, d’une part parce qu’il était d’une autre qualité, et d’autre part parce qu’il ne se posait justement pas en prescripteur. Contrairement à eux, il n’avait aucune prétention de dire aux autres comment ils devaient agir, au contraire. Il insiste à chaque fois sur le fait que ses choix éthiques sont les siens, et n’ont aucun caractère universel.
[Au passage, votre citation me donne un argument de poids dans ma querelle avec mon père, surtout à chaque fois que je lui dis que la France d’aujourd’hui est celle dont Brassens rêvait…]
En beaucoup moins cultivée !!!
” Au passage, votre citation me donne un argument de poids dans ma querelle
avec mon père, surtout à chaque fois que je lui dis que la France d’aujourd’hui
est celle dont Brassens rêvait…”
En aurait-il rêvé ?
Dans une société en cours de reconstruction, mais largement corsetée,
il était d’utilité publique ! et totalement dans la veine française depuis
au moins la Renaissance …et même depuis le Moyen-Age,
si l’on pense aux Troubadours du Pays d’Oc : il avait aussi composé de
bien délicates chansons.
Ayant un peu de “bouteille” et sentant bien son public, il enchaînait parfois
ses grivoises sans coup férir, déclenchant l’hilarité de la salle ce qui le mettait
en joie ( le bruit courut même qu’une jeune femme, à Bobino, faillit accoucher de rire).
Il a fait généreusement découvrir nos magnifiques poètes ( nos Hussards noirs
ayant semé en nous une certaine curiosité : il n’y avait plus qu’à tirer le fil) :
“Dictes moy ou, n’en quel pays,
Est Flora la belle Rommaine,
Archipiades, ne Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine;
Echo parlant quant bruyt on maine
Dessus rivière ou sus estan,
Qui beaulté ot trop plus qu’humaine.
Mais ou sont les neiges d’antan? …”
François Villon
poète “maudit” et compagnon d’écorcheurs, soldats mercenaires errants de la
Guerre de 100 ans …
” Freres humains qui après nous vivez,
N’ayez les cuers contre nous endurcis …”
——————————-
“Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu’à mon âge
Vous ne vaudrez guères mieux.
…..
Peut-être que je serai vieille,
Répond Marquise, cependant
J’ai vingt-six ans, mon vieux Corneille,
Et je t’emmerde en attendant.”
stances de Corneille / Tristan Bernard
—————————————
” Gastibelza, l’homme à la carabine
chantait ainsi:
Quelqu’un a-t-il connu Doña Sabine ?
Quelqu’un d’ici ?
Dansez, chantez, villageois la nuit gagne
Le Mont Falu.
Le vent qui vient à travers la montagne me rendra fou !…”
inspiré d’un poème de Victor Hugo
…” Or la belle à peine cloîtrée,
Amour en son coeur s’installa.
Un fier brigand de la contrée
Vint alors et dit: ” me voilà!”
Quelquefois les brigands surpassent
En audace les chevaliers.-
Enfants, voici des boeufs qui passent,
Cachez vos rouges tabliers!…”
La légende de la nonne – Victor Hugo
Plus tard, en tirant le fil, nous avons découvertVictor Hugo, ce géant , royaliste, puis républicain, opposé au coup d’état de Louis
Napoléon, exilé, “les châtiments” ( tout-à-fait audibles depuis que les destructeurs
sont de nouveau à l’oeuvre), son retour d’exil, n’ayant pas soutenu les communards
, mais s’étant battu à la chambre pour leur retour de déportation, ami de Louise Michel ;
ayant probablement aidé à sauver la République : voyant Mac Mahon avancer ses pions,
se rendant compte qu’une génération passée, la mémoire du coup d’Etat avait disparu : publie
le magistral “Histoire d’un crime;Déposition d’un témoin”:trés grosse vente, et prise de
conscience de la population …( Travaux de Jean-Marc Hovasse )
Brassens c’est une faible part, mais une digne prolongation, du souffle de la Liberté
dans notre Pays à travers les siècles .
@ Rienpasmoins
[”Au passage, votre citation me donne un argument de poids dans ma querelle avec mon père, surtout à chaque fois que je lui dis que la France d’aujourd’hui est celle dont Brassens rêvait…” En aurait-il rêvé ?]
Probablement pas. La singularité de Brassens, c’est qu’il n’est pas à vrai dire militant. Il revendique ses préférences, mais ne prétend pas les généraliser. Quand il chante « le jour du 14 juillet/je reste dans mon lit douillet/la musique qui marche au pas/cela ne me regarde pas », il n’appelle pas à abolir la fête du 14 juillet ou le défilé militaire. Il est dans la logique « moi je fais ce que je veux, et si les autres veulent marcher au pas, c’est leur affaire ». Il se moque des magistrats dans « Gare au gorille », mais il n’appelle pas à l’abolition de la magistrature. On ne peut pas dire que Brassens « rêve » d’une société particulière. Contrairement à un Prévert – ou plus tard à un Renaud – qui chargent épée à la main contre les institutions, Brassens se contente de parler des rapports entre les individus.
[Dans une société en cours de reconstruction, mais largement corsetée, il était d’utilité publique ! et totalement dans la veine française depuis au moins la Renaissance …et même depuis le Moyen-Age,
si l’on pense aux Troubadours du Pays d’Oc : il avait aussi composé de bien délicates chansons.]
« D’utilité publique » je ne dirais pas. Son « utilité » était celle du poète, et c’était sans doute un grand poète, capable d’associer dans un style faussement populaire des références culturelles du plus haut niveau. C’est déjà beaucoup. Mais ce n’est ni un Prévert, ni un Aragon.
[Brassens c’est une faible part, mais une digne prolongation, du souffle de la Liberté dans notre Pays à travers les siècles.]
Oui, mais aussi du mauvais usage que nous autres Gaulois nous faisons de la liberté que nous avons chèrement conquise…
Merci, M.Descartes, si mon message était par malheur arrivé chez vous, de le passer à la trappe !
aucun intérêt.
mais je prends plaisir à lire votre blog, découvert depuis peu .
c’est costaud pour moi, mais il vaut mieux lire trop haut, il en restera toujours quelque chose …
Dans le cas de la Suede, je connais quelqu un qui habite a Malmö. Les endroits ou la police ne va plus sont correlé avec les endroits où habitent une forte immigration moyenne orientale/africaine. Pas vraiment des rebelles avec des parents bourgeois mais comme a Marseille de la racaille qui ne connais que la loi du plus fort.
Votre texte pêche sur le fait que vous ne voulez pas evoquer le fait que les agresseurs sont pour l immense majorité “issus de l immigration” comme en dit en novlangue. C est pas un cadre qui va frapper un medecin qui refuse un arret de complaisance pour partir au ski comme vous l ecrivez mais un “zy-va” qui voudra partir en Thailande.
PS: ne me faites pas dire ce que je n ai pas dit. Je ne crois pas qu on puisse arreter l immigration ni meme que ca soit souhaitable. Par contre il y a un type d immigration qu on devrait arreter d urgence (et comme les pays d origine n en veulent pas, on devrait les reeducquer par le travail comme le faisait Staline ou Mao)
@ cdg
Dans le cas de la Suède, je connais quelqu’un qui habite a Malmö. Les endroits où la police ne va plus sont corrélé avec les endroits où habitent une forte immigration moyenne orientale/africaine. Pas vraiment des rebelles avec des parents bourgeois mais comme a Marseille de la racaille qui ne connais que la loi du plus fort. Votre texte pêche sur le fait que vous ne voulez pas évoquer le fait que les agresseurs sont pour l’immense majorité “issus de l’immigration” comme en dit en novlangue.]
La raison est très simple : la violence des rapports humains a toujours été plus importante au fur et à mesure qu’on descend l’échelle sociale, tout simplement parce que les riches ont des moyens de faire valoir leur volonté et leurs droits sans recours à la violence dont les pauvres ne disposent pas n’ont pas. Il n’est donc pas étonnant qu’on trouve plus de violence dans les cités ouvrières – qu’elles soient peuplées par des Français « de souche » ou issus de l’immigration – que dans les beaux quartiers. Et je ne parle même pas du lumpenprolétariat, pour qui la violence est un moyen d’extraire les ressources minimales nécessaires à la survie. Cette « violences des pauvres » est compréhensible, à défaut d’être justifiable.
Ce qui est plus surprenant, c’est la violence de ceux qui disposent des commandes de la société, de ceux qui n’ont pas besoin de cette violence pour s’assurer du respect de leurs droits et d’un niveau de vie enviable. En d’autres termes, ce que je voulais souligner dans mon article est la violence GRATUITE, celle qui n’a d’autre finalité qu’une affirmation de soi et du rejet des institutions. Et dans ce domaine, on peut se demander quels sont les groupes les mieux représentés…
[Ce n’est pas un cadre qui va frapper un médecin qui refuse un arrêt de complaisance pour partir au ski comme vous l’écrivez mais un “zy-va” qui voudra partir en Thailande.]
Figurez-vous que l’exemple du médecin frappé et un cas réel qui m’a été raconté par un ami médecin. Et je vous assure que l’attaquant n’avait rien d’un « zy-va »…
“tout simplement parce que les riches ont des moyens de faire valoir leur volonté et leurs droits sans recours à la violence dont les pauvres ne disposent pas n’ont pas”
Vous avez plus de moyen de faire valoir votre point de vue en fonction de votre position sociale. Qui n est pas forcement liee l epaisseur de votre portefeuille. Prenez par ex un macon ayant monté son entreprise de BTP. Bien que prospere il n aura que peu de relation qui lui permettront des passe droit (faire sauter un PV, mettre son fils dans une “bonne” ecole …) Par contre la secretaire du sous prefet qui touche 10 fois moins pourra le faire sans trop de probleme (soit parce qu elle connait son interlocuteur, soit en demandant a son patron soit en tentant le bluff)
Vous oubliez aussi un parametre : l education. Ca explique par ex pourquoi l immigration asiatique ne bastonne pas les prof contrairement a celle qui nous vient du sud. Ou tout simplement le rapport enfant/adulte. gamin il ne me serait jamias venu a l idee de discuter l ordre d un adulte (ni meme d appeler ceux ci par leur prenom et de les tutoyer). Chose courante de nos jours
Apres il y a probablement un durcicement de la societe lié a notre déclin economique (meme si on vit en general mieux qu il y a 20-30 ans du point de vue materiel les perspectives ne sont plus rejouissantes: les gens pensent que demain sera pire qu aujourd hui et que leur enfants vivront plus mal qu eux)
Ca doit expliquer des phenomenes comme de menacer le pere noel: https://www.lanouvellerepublique.fr/blois/a-blois-le-pere-noel-a-donne-sa-demission ou les tireurs fous aux USA (les armes etaient aussi en vente libre il y a 30 ans mais ce phenomene n existait pas)
@ cdg
[“tout simplement parce que les riches ont des moyens de faire valoir leur volonté et leurs droits sans recours à la violence dont les pauvres ne disposent pas n’ont pas” Vous avez plus de moyen de faire valoir votre point de vue en fonction de votre position sociale. Qui n’est pas forcement liée à l’épaisseur de votre portefeuille.]
C’est discutable. Un portefeuille épais ne vous donnera pas l’éloquence pour vous défendre devant un tribunal, mais vous permet de louer les services du plus éloquent des avocats. En remplaçant tous les rapports sociaux par le « paiement au comptant », le capitalisme tend à réduire tout rapport à un rapport économique. Si l’argent ne peut pas tout, c’est parce que certaines structures venues de l’ère pré-capitaliste arrivent mal que mal à survivre. Jusqu’à quand ?
[Prenez par ex un maçon ayant monté son entreprise de BTP. Bien que prospère il n’aura que peu de relation qui lui permettront des passe-droit (faire sauter un PV, mettre son fils dans une “bonne” ecole …)]
Mais s’il est « prospère », pourquoi faire sauter les PV alors qu’il peut les payer ? Vous noterez que les PV sont fixes et indépendants de la fortune de celui à qui ils sont infligés. Pour un ouvrier, un PV pour mauvais stationnement est un problème sérieux. Pour un « ancien maçon ayant sa propre entreprise prospère de BTP », c’est à peine une petite gêne. Ici, la taille du portefeuille pèse particulièrement lourdement…
Bien sûr, il y a encore dans notre société des choses qui ne s’achètent pas, qui sont liés à un statut social ou professionnel, à une investiture, à une lignée même. Mais elles deviennent de plus en plus rares.
[Par contre la secrétaire du sous-préfet qui touche 10 fois moins pourra le faire sans trop de problème (soit parce qu’elle connait son interlocuteur, soit en demandant à son patron soit en tentant le bluff)]
Oui, de la même manière que l’agent EDF a l’électricité quasi-gratuite ou l’ouvrier de Renault la possibilité d’acheter une voiture avec une sérieuse décote. Mais vous noterez que ces petits « à cotés » liés au statut professionnel sont aujourd’hui impitoyablement chassés.
[Vous oubliez aussi un paramètre : l’éducation. Ça explique par ex pourquoi l’immigration asiatique ne bastonne pas les prof contrairement à celle qui nous vient du sud. Ou tout simplement le rapport enfant/adulte. Gamin il ne me serait jamais venu à l’idée de discuter l’ordre d’un adulte (ni même d’appeler ceux-ci par leur prénom et de les tutoyer). Chose courante de nos jours.]
Je ne saisis pas le rapport avec la grosseur du portefeuille. Vous ne contesterez tout de même pas que plus le portefeuille est gros, plus vous pouvez vous permettre de faire éduquer vos gamins y compris dans les valeurs que vous défendez ici. C’est dans les collèges de cité qu’on tutoie l’adulte. Dans les internats privés de Versailles, c’est toujours « monsieur » qui a cours.
[Apres il y a probablement un durcissement de la société lié à notre déclin économique (même si on vit en général mieux qu’il y a 20-30 ans du point de vue matériel les perspectives ne sont plus réjouissantes : les gens pensent que demain sera pire qu’aujourd’hui et que leur enfants vivront plus mal qu’eux)]
Je pense que vous vous trouvez le mauvais coupable. Ce n’est pas le « déclin économique » qui est en cause : notre PIB aujourd’hui est largement supérieur à celui d’il y a 20-30 ans, et la croissance moyenne reste positive même si elle est faible par rapport aux « trente glorieuses ». Il n’y a donc aucune raison macroéconomique pour que nos enfants vivent moins bien que nous. Non, si la société s’est « durcie », ce n’est pas du fait d’un « déclin économique » mais d’un changement dans la répartition de la valeur produite. C’est parce qu’une part de plus en plus importante de cette valeur est confisqué par un groupe social – les classes intermédiaires – de plus en plus réduit que la société se « durcit », et qu’un nombre croissant de Français ont comme perspective une dégradation de leur niveau de vie.
Et je ne parle pas seulement de la valeur en termes purement monétaires. Des biens publics comme la sécurité – dans toutes ses composantes : sécurité de l’emploi, sécurité dans la rue, sécurité dans les rapports sociaux – ou l’éducation sont là aussi confisqués par une minorité.
Pour alimenter le débat, une conférence. Avec deux invités : “Laurent Bigot, ancien sous-préfet et Bertrand Cavallier, général de gendarmerie ayant quitté le service actif, ancien commandant du Centre national d’entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier”.
Une critique constructive et vu du terrain.
Quand une partie, me semble-t-il, assez importante de la population a le sentiment d’un besoin de “quelque chose de solide” dans ce ballet d’électrons libres qui s’agitent en tout sens ( Armée et encore armée : Gendarmerie ; Pompiers ), on s’inquiète : c’est trop leur demander : ils sont ” à l’os”; et la République démocratique française, au sens historique, ne peut pas marcher sur une jambe .
Je m’interroge: n’est-ce pas du au hiatus de plus en plus grand entre Autorité statutaire et Autorité de compétence ?
“…Mais si vous étiez duc sans être honnête homme, je vous ferais encore justice; car en vous rendant les devoirs extérieurs que l’ordre des hommes a attaché à votre naissance, je ne manquerais pas d’avoir pour vous le mépris intérieur que mériterait la bassesse de votre esprit.”/ Pascal / Discours sur la condition des grands.
@ Rienpasmoins
[Je m’interroge: n’est-ce pas dû au hiatus de plus en plus grand entre Autorité statutaire et Autorité de compétence ?]
Oui et non. Il est certain que dans une société démocratique la confiance est un élément essentiel de l’autorité. On obéit aux règles parce que ce sont les règles, certes. Mais on obéit aussi parce qu’on imagine que les gens qui les ont faites y ont réfléchi, qu’ils sont compétents, et que les règles en question sont donc la meilleure façon d’atteindre le but recherché. Quand on a l’impression que l’autorité ne sait pas où elle va et n’a pas les moyens de le savoir, l’autorité se dégrade.
Mais la compétence n’est pas tout : à côté du procès en incompétence, il y a le procès d’intention. Prenez l’affaire de la chloroquine : le procès qui est fait aux opposants à Raoult n’est pas un procès en incompétence, mais en intention. On ne les accuse pas d’être des médecins incompétents, mais de refuser un remède bon marché et efficace pour servir le Grand Komplot comprenant l’industrie pharmaceutique, Bill Gates, Georges Soros et dieu sait qui encore.
@Descartes
Je ne pensais pas à l’affaire Raoult : un homme probablement bon dans sa partie, qui, à l’aide de journalistes ne comprenant rien, a été saisi d’hubris … à partir de là, méfiance : les réanimateurs au lit du patient, et qui, avec les équipes soignantes, se coltinent la mort au quotidien, me paraissent beaucoup plus fiables : si, comme tous les soignants, mais plus que la base parce qu’ils doivent davantage intellectualiser , ils peuvent se prendre pour dieu ( toute-puissance) : “je l’ai guéri”, avec ma technique, la science, les outils, et l’équipe pointue alentours etc, certes; puis, avec mes savoirs, ma technique etc …”il est mort quand même” (sentiment d’ impuissance) : ça calme tout-de-suite.
Je pense que compte tenu de l’état désastreux de l’hôpital public, le première phase Covid a été gérée au mieux, grâce au sens aigu des responsabilités des personnels hospitaliers.
Je pense à bien avant : crise des gilets jaunes, traitée avec grand mépris par les bien-en-cour, et qui pourtant signifiait quelque chose de profond, contre-réforme des retraites, etc …et scission de la société comme jamais, depuis 2007 : ce n’était peut-être pas visible pour 35 pour 100 des personnes, mais pour les autres, c’est trés net : le grand décrochage est là, même si signes annonciateurs avant.( les contre-réformes ayant commencées bien avant ; mais une certaine inertie – bienfaitrice – de la machine faisait que c’était moins visible.)
@ Rienpasmoins
[Je ne pensais pas à l’affaire Raoult : un homme probablement bon dans sa partie, qui, à l’aide de journalistes ne comprenant rien, a été saisi d’hubris…]
Ou bien un cynique qui a bien compris qu’être un bon scientifique vous amène au mieux la reconnaissance discrète de vos pairs, mais que devenir un gourou médiatique vous amène la célébrité, l’argent, les puissants appuis… Je ne crois pas que Raoult soit aussi innocent que vous le pensez, qu’il soit une victime du destin. La manière dont il a organisé depuis des années les publications de son institut de manière à manipuler les systèmes d’évaluation en sa faveur font penser que chez lui peu de choses sont improvisées…
[à partir de là, méfiance : les réanimateurs au lit du patient, et qui, avec les équipes soignantes, se coltinent la mort au quotidien, me paraissent beaucoup plus fiables : si, comme tous les soignants, mais plus que la base parce qu’ils doivent davantage intellectualiser , ils peuvent se prendre pour dieu ( toute-puissance) : “je l’ai guéri”, avec ma technique, la science, les outils, et l’équipe pointue alentours etc, certes; puis, avec mes savoirs, ma technique etc …”il est mort quand même” (sentiment d’ impuissance) : ça calme tout-de-suite.]
C’est parce que le médecin est soumis à ces pressions qu’il existe une institution médicale, qui protège celui qui soigne autant des pressions venues du dehors que de ses propres fantômes. Le problème apparaît quand le médecin se met en dehors de cette institution. Et le problème ne touche pas que les médecins…
[Je pense que compte tenu de l’état désastreux de l’hôpital public, le première phase Covid a été gérée au mieux, grâce au sens aigu des responsabilités des personnels hospitaliers.]
Probablement. Il y a aura des retours d’expérience, et pas mal de choses pourront certainement être améliorées. Mais dans l’ensemble, je ne pense pas que notre système ait eu à rougir, notamment si l’on tient compte des moyens que nous sommes collectivement prêts à donner à nos hôpitaux. Parce qu’il ne faudrait pas oublier que « l’état désastreux » auquel vous faites référence a été organisé par nos gouvernants élus dans l’indifférence générale. Il n’est pas inutile de rappeler de temps en temps aux citoyens qu’on ne peut voter pour avoir moins d’impôts et moins de fonctionnaires, et ensuite se plaindre lorsque les services se dégradent et les masques manquent…
(Il n’est pas inutile de rappeler de temps en temps aux citoyens qu’on ne peut voter pour avoir moins d’impôts et moins de fonctionnaires, et ensuite se plaindre lorsque les services se dégradent et les masques manquent…)
C’est vrai, d’ailleurs, je ne vote plus, à mon grand regret.
@ Rienpasmoins
[C’est vrai, d’ailleurs, je ne vote plus, à mon grand regret.]
Vous faites erreur: en n’allant pas voter, vous votez en fait pour celui qui gagne…
@ Rienpasmoins
[C’est vrai, d’ailleurs, je ne vote plus, à mon grand regret.]
Le meilleur moyen de ne pas regretter, c’est de voter 😉
Bonjour. 3 choses rapidement à propos de ce remarquable article (comme toujours) :1- La dérive Libérale Libertaite n’est pas l’exclusivité de la Gauche. Madelin, Macron, Cohn Bendit pour n’en citer que quelques uns en sont aussi.Pour Macron & Co, cela les amènent à une sorte de schizophrènie. Une situation de pompier incendiaire, illustrant qu’ils sont auteurs d’un monde qu’ils deviennent incapables de maitriser.2- Cet article montre aussi une des manières où nous allons vers la Barbarie. D’ailleurs le point 1 est le signe d’une civilisation décadente comme le soulignait Aimé Césaire.3- Une réflexion plus personnelle. On peut être révolté car l’injustice vous étouffe tant qu’il est devenu impossible de maitriser ses émotions. C’était mon cas étant plus jeune, cela ne m’ayant pas empêché de rejoindre une organisation révolutionnaire. Mais cela m’a toujours nuit dans mon expression à l’oral.Merci encore pour vos articles que je ne mnque pas de citer en référence.
@ Luc Laforets
[Bonjour. 3 choses rapidement à propos de ce remarquable article (comme toujours)]
Merci ! Un encouragement, ca fait toujours plaisir.
[La dérive Libérale Libertaire n’est pas l’exclusivité de la Gauche. Madelin, Macron, Cohn Bendit pour n’en citer que quelques-uns en sont aussi.]
Pardon, mais vous allez un peu vite en besogne. Madelin était effectivement un libéral assumé, et par certains aspects « libertaire ». Mais il n’a jamais représenté qu’un courant très marginal à droite. Et lorsqu’il a essayé de mettre ses idées en œuvre en tant que ministre, il n’a pas tenu longtemps. En France, l’électorat de droite tend à être conservateur et son « libéralisme » en matière économique est fort superficiel…
Pour ce qui concerne Cohn-Bendit et Macron, tous deux viennent bien de la « gauche ». Cohn-Bendit a été la coqueluche de la gauche depuis mai 1968, et Macron a été le secrétaire général de la présidence puis ministre sous un gouvernement « de gauche », et une bonne partie de ses collaborateurs et ministres ont eu des responsabilités de premier plan au PS. Je sens que vous allez me disputer le sens du mot « gauche ». Mais ce mot n’a aujourd’hui aucun sens autre qu’un sens historique. On est « de gauche » parce qu’on est héritier de ce qu’on appelait « la gauche » quand cette appellation avait encore un sens idéologique. Mais prétendre donner à cette expression un sens idéologique aujourd’hui reviendrait à réduire le concept à une expression minimale.
[Cet article montre aussi une des manières où nous allons vers la Barbarie.]
Par certains côtés, nous y sommes déjà. Du moins si l’on considère comme Hobbes que la sortie de la barbarie – qu’on peut assimiler à l’état de nature – se fait par le sacrifice par chaque individu de son « pouvoir de nuire » par la violence au profit d’une institution, l’Etat.
[Une réflexion plus personnelle. On peut être révolté car l’injustice vous étouffe tant qu’il est devenu impossible de maitriser ses émotions. C’était mon cas étant plus jeune, cela ne m’ayant pas empêché de rejoindre une organisation révolutionnaire. Mais cela m’a toujours nuit dans mon expression à l’oral. Merci encore pour vos articles que je ne manque pas de citer en référence.]
Les anglais ont une très belle formule : « don’t speak in anger, for you will make the best speech you will ever regret » (« ne parlez jamais sous le coup de la colère, car vous ferez le meilleur discours qu’il vous sera donné de regretter »). L’indignation, c’est la solution de facilité : elle satisfait moralement et ne coûte pas grande chose.
[Pour ce qui concerne Cohn-Bendit et Macron, tous deux viennent bien de la « gauche ». Cohn-Bendit a été la coqueluche de la gauche depuis mai 1968, et Macron a été le secrétaire général de la présidence puis ministre sous un gouvernement « de gauche », et une bonne partie de ses collaborateurs et ministres ont eu des responsabilités de premier plan au PS]
J’ai d’ailleurs appris récemment de la bouche même de Chevènement que Macron avait fait partie de l’un de ses comités de soutien pour l’élection présidentielle de 2002.
[L’indignation, c’est la solution de facilité : elle satisfait moralement et ne coûte pas grande chose.]
Aujourd’hui, l’indignation c’est surtout la manifestation de l’impuissance de l’individu face à un monde qui n’obéit pas à ses désirs, le symptôme d’un refus d’abandonner l’illusion de la toute puissance infantile. Une anecdote à ce sujet: cette semaine, une de mes élèves était révoltée et au bord de la crise de larmes quand j’ai abordé le fait que les rôles masculins et féminins dans les sociétés obéissent à certaines normes sociales. Présenter le fait qu’il existe des modèles masculins et féminins propres à toute société lui paraissait insoutenable…
Je me rappelle aussi qu’il y a 10 ans, j’avais déjà détesté l’enthousiasme autour de l’opuscule de Stéphane Hessel, “Indignez-vous”, qui prétendait que chacun devait se trouver une indignation personnelle. Il me semblait déjà à l’époque qu’il y avait plutôt trop d’indignation et pas assez de constructions collectives à même de sublimer cette indignation en actions de transformation sociale. Les choses n’ont fait qu’empirer depuis, et l’idée de s’engager dans un processus collectif n’a franchement plus la cote. Dans le documentaire “De Gaulle, bâtisseur”, on voit un Ministre de l’après-guerre prononcer ces mots: “L’Etat a le droit de demander à tous les citoyens leur obéissance, leur travail, leur vie, et aussi leur fortune.” Une toute autre époque!
@ Patriote Albert
[J’ai d’ailleurs appris récemment de la bouche même de Chevènement que Macron avait fait partie de l’un de ses comités de soutien pour l’élection présidentielle de 2002.]
C’est très possible. Macron avait à l’époque 20 ans, la campagne de Chevènement avait le vent en poupe, et on peut penser que pour quelqu’un de curieux c’était une expérience intéressante. Mais il ne semble pas avoir marqué cette campagne par ses contributions…
[Aujourd’hui, l’indignation c’est surtout la manifestation de l’impuissance de l’individu face à un monde qui n’obéit pas à ses désirs, le symptôme d’un refus d’abandonner l’illusion de la toute-puissance infantile.]
On peut le voir comme ça. Mais je penche pour une autre interprétation : l’indignation est surtout un substitut pour l’action. On « s’indigne » non pas parce qu’on ne PEUT changer les choses, mais parce qu’on ne VEUT pas les changer. On a ainsi le beurre et l’argent du beurre : on profite des injustices de la société sans pour autant devoir en assumer la responsabilité. Un peu comme ces classes intermédiaires qui ayant de superbes appartements s’indignent du sort fait aux SDF mais n’ont aucune intention d’en accueillir un dans leur chambre d’amis.
[Une anecdote à ce sujet : cette semaine, une de mes élèves était révoltée et au bord de la crise de larmes quand j’ai abordé le fait que les rôles masculins et féminins dans les sociétés obéissent à certaines normes sociales. Présenter le fait qu’il existe des modèles masculins et féminins propres à toute société lui paraissait insoutenable…]
Mais étais-ce là de l’indignation ? Je parlerais plutôt de « frustration », c’est-à-dire, d’une réalité qui refuse de céder à nos désirs. Et effectivement, dans nos sociétés, beaucoup de gens sont incapables d’élaborer la moindre frustration, d’accepter que le monde est comme il est, et non comme ils pensent qu’il devrait être. J’ai le cas tous les jours dans ma vie professionnelle, avec des collaborateurs qui listent chaque jour les injustices et brimades – imaginaires – dont ils ont été victimes depuis leur début de carrière, et à qui je dois expliquer que c’est la vie, et que tout le monde ne peut avoir une promotion chaque année et devenir président de la République.
[Je me rappelle aussi qu’il y a 10 ans, j’avais déjà détesté l’enthousiasme autour de l’opuscule de Stéphane Hessel, “Indignez-vous”, qui prétendait que chacun devait se trouver une indignation personnelle. Il me semblait déjà à l’époque qu’il y avait plutôt trop d’indignation et pas assez de constructions collectives à même de sublimer cette indignation en actions de transformation sociale.]
Tout à fait. Là ou Hessel voulait faire de l’indignation le moteur de l’action, la réalité montre que la première devient un substitut de la seconde. L’indignation ne pousse pas à agir, elle sert de justificatif moral pour ne pas agir. Comme disait un personnage infantile de bande dessinée en entendant que des millions d’enfants mourraient de faim dans le monde. « C’est un scandale ! Vas-y, dis toi aussi « c’est un scandale » comme ça on peut partir jouer tranquilles ».
[Les choses n’ont fait qu’empirer depuis, et l’idée de s’engager dans un processus collectif n’a franchement plus la cote. Dans le documentaire “De Gaulle, bâtisseur”, on voit un Ministre de l’après-guerre prononcer ces mots: “L’Etat a le droit de demander à tous les citoyens leur obéissance, leur travail, leur vie, et aussi leur fortune.” Une toute autre époque !]
En effet, en effet…
[On peut le voir comme ça. Mais je penche pour une autre interprétation : l’indignation est surtout un substitut pour l’action. On « s’indigne » non pas parce qu’on ne PEUT changer les choses, mais parce qu’on ne VEUT pas les changer. On a ainsi le beurre et l’argent du beurre : on profite des injustices de la société sans pour autant devoir en assumer la responsabilité. Un peu comme ces classes intermédiaires qui ayant de superbes appartements s’indignent du sort fait aux SDF mais n’ont aucune intention d’en accueillir un dans leur chambre d’amis.]
https://www.monde-diplomatique.fr/2019/09/BREVILLE/60336
Mon article favoris du Diplo.
@ Yoann
[Mon article favoris du Diplo.]
Lisez attentivement l’article que vous proposez. Quel est son message ? “derrière la lutte contre la corruption se cache la volonté des puissants de taper sur les leaders populaires”. Pourquoi pas. Seulement, un certain nombre de “leaders populaires” (Lula da Silva, Cristina Kirchner, Mélenchon) utilisent ce genre d’argument pour s’autoriser des actes de corruption ou des opérations financières que la loi et la morale reprouvent. Si Lula s’est fait payer un appartement avec de l’argent public, si Cristina Kirchner a organisé un système de corruption massive qui aboutissait dans ses poches, si Mélenchon a utilisé l’argent remboursé par l’Etat pour payer les campagnes électorales pour enrichir sa compagne de l’époque, alors ces gens méritent d’être condamnés, et peu importe qu’ils soient “du bon côté”.
Ce que l’article soutient est une véritable aberration: on peut pardonner à ceux qui sont “des notres” des comportements qu’on condamne chez “les autres”. Au PCF, les élus et dirigeants qui mettaient la main dans la caisse étaient impitoyablement chassés. De toute évidence, la gauche “moderne” n’a pas ces pudeurs…
[ Au PCF, les élus et dirigeants qui mettaient la main dans la caisse étaient impitoyablement chassés]
Pas sur que ce soit le texte que j’ai lu… Plutôt de se concentrer sur des demandes concrètes.
@ Yoann Kerbrat
[Pas sur que ce soit le texte que j’ai lu… Plutôt de se concentrer sur des demandes concrètes.]
Pas compris ce commentaire…
Bonjour.Je vois que tout deux vous “intellectualisez” beaucoup l’indignation que j’évoquais.Je suis d’accord avec vous bien entendu lorsque cette indigation est “permanente”, réfléchie, à froid. C’est effectivement qu’un jeu dans ce cas. Une fausse indignation, calculée, pour “faire bien”, pour pouvoir se mentir et se laver les mains des conséquences de cette modalité de ne pas agir.A bien y réfléchir, c’est même une des raisons de l’impossibilité de la “vraie démocratie”. Le peuple adoptant collectivement cette attitude infantile, précisement pour pouvoir rejeter sur des “responsables” les problèmes résultants de ce qu’il désirant tant 6 mois plus tôt.
Toutefois, lorsque j’évoquais ma propre indignation, c’était véritablement une émotion. Temporaire, mais profonde. Provenant par exemple de ne pas être en mesure de trouver les mots pour répondre à un “beau parleur” disant des choses ineptes. L’indignation (vraie) venait dans ce cas de ce qui était énoncé, sachant au fond de moi, pour l’avoir vécu dans ma chair, que la chose défendue par ce “beau parleur” allait à l’encontre du but recherché, ou disons pour aller vite du Bien.Merci encore.
@ Luc Laforets
[Bonjour. Je vois que tout deux vous “intellectualisez” beaucoup l’indignation que j’évoquais. Je suis d’accord avec vous bien entendu lorsque cette indignation est “permanente”, réfléchie, à froid. C’est effectivement qu’un jeu dans ce cas. Une fausse indignation, calculée, pour “faire bien”, pour pouvoir se mentir et se laver les mains des conséquences de cette modalité de ne pas agir.]
Le charme de l’être humain, c’est justement qu’il a un inconscient. Et qu’il peut donc agir dans le sens de ses intérêts sans même se rendre compte. Bien sûr, l’immense majorité des « indignés » n’intellectualise pas cette indignation. Mais en même temps, cette indignation n’apparaît pas par hasard. On ne s’indigne pas de tout, seulement de certaines choses et à certaines occasions. Prenons l’indignation devant la misère des SDF. Pourquoi croyez-vous qu’on s’indigne beaucoup plus lors des fêtes de noël que le reste de l’année ? En quoi leur situation est plus digne d’indignation fin décembre que début janvier ? Ne serait-ce parce que notre inconscient se sent coupable de jouir de sa dinde et de son foie gras alors que des gens vivent dans la rue ? Une fois les fêtes passées, notre inconscient n’exige plus d’être calmé par une saine indignation…
[A bien y réfléchir, c’est même une des raisons de l’impossibilité de la “vraie démocratie”. Le peuple adoptant collectivement cette attitude infantile, précisément pour pouvoir rejeter sur des “responsables” les problèmes résultants de ce qu’il désirant tant 6 mois plus tôt.]
Cela dépend ce que vous appelez une « vraie démocratie ». Si par là vous entendez une démocratie directe, je suis d’accord avec vous. La fonction du représentant est aussi d’être le bouc émissaire qui, en prenant en charge les responsabilités, permet aux électeurs de se laver les mains.
[Et l’idéologie militante est aujourd’hui ultra-individualiste.]
Il me semble que l’ultra-individualisme, si les mots ont un sens devrait conduire soit à l’arrivisme banal, soit à l’activité criminelle au plein sens du mot, qui est comme un arrivisme illégal, en tout cas au refus horrifié de tout militantisme. Pensez-vous vraiment que la participation au “black block”, par exemple, puisse être ramenée à une forme d’arrivisme ?
L’arrivisme politique existe bien sûr, mais l’activisme “Black Block” ne semble rien promettre. Je ne vois aucune vedette politique émerger de tout ça, tel un Cohn-bendit des barricades de mai.
Pour éviter toute confusion, je précis que je n’ai aucune sympathie pour ce type de groupes.L’empire de l’ultra-individualisme me paraît simplement insuffisant à en rendre compte.
Je crois qu’on doit accorder au militant violent dont nous parlons une sorte de nostalgie de la communauté, qu’il croit rejoindre par le seul fait de la violence. Il agit en somme comme si, comme ce fut le cas pendant l’occupation, on pouvait penser qu’il n’y a plus de légitimité. Alors la violence même la plus désordonnée et stérile vaut du moins manifeste. De là son attirance pour la description du monde comme totalitaire. L’ultra-individualiste est pour moi celui qui n’est pas touché d’une telle nostalgie, et qui joue ses cartes.
@ Geo
[Il me semble que l’ultra-individualisme, si les mots ont un sens devrait conduire soit à l’arrivisme banal, soit à l’activité criminelle au plein sens du mot, qui est comme un arrivisme illégal, en tout cas au refus horrifié de tout militantisme. Pensez-vous vraiment que la participation au “black block”, par exemple, puisse être ramenée à une forme d’arrivisme ?]
Chez un cynique, l’ultra-individualisme peut conduire à un arrivisme décomplexé. Mais les vrais cyniques sont extrêmement rares. Peu de gens son capables d’assumer psychologiquement leur égoïsme, parce qu’on n’efface pas impunément vingt siècles de tradition judéo-chrétienne, ni même deux siècles d’idéologie républicaine. Alors, les gens ont besoin d’une idéologie qui leur permette de déguiser leurs intérêts sous l’apparence de l’intérêt général, de s’acheter une bonne conscience par des actes en apparence désintéressés.
Les « blacks blocs » avec qui j’ai discuté font de la violence politique une question ludique, un moyen de se donner des sensations fortes, un sport extrême comme pourrait être l’alpinisme ou la course automobile. L’objectif politique n’est qu’un prétexte, un vernis idéologique qui transforme ce plaisir personnel en intérêt général.
[L’arrivisme politique existe bien sûr, mais l’activisme “Black Block” ne semble rien promettre. Je ne vois aucune vedette politique émerger de tout ça, tel un Cohn-bendit des barricades de mai.]
Non, bien sûr. Si l’objectif est « d’arriver », il y a d’autre voies bien plus efficaces. Le but des « blacks blocs » n’est pas d’y arriver (beaucoup y sont déjà) mais de se faire plaisir.
[Je crois qu’on doit accorder au militant violent dont nous parlons une sorte de nostalgie de la communauté, qu’il croit rejoindre par le seul fait de la violence.]
Certainement : on se donne l’illusion d’appartenir à une collectivité sans en payer le prix, tout comme on se donne l’illusion de changer le monde sans que rien ne change…
[Il agit en somme comme si, comme ce fut le cas pendant l’occupation, on pouvait penser qu’il n’y a plus de légitimité. Alors la violence même la plus désordonnée et stérile vaut du moins mani]feste.]
Sauf que, justement, pendant l’occupation on n’a pas vu fleurir une « violence désordonnée et stérile ». Au contraire : on a vu une violence organisée et réflechie. Il faut d’ailleurs relire aujourd’hui l’histoire des débats qui ont traversé la Résistance quant à la légitimité et aux limites d’usage de la violence pour voir à quel point le choix de la violence fut un choix contraint, et non un choix ludique. La Résistance contestait la légitimité de Vichy au nom d’une légitimité collective supérieure, celle de la nation française. Les « black blocs » contestent la légitimité des institutions au nom de leur désir personnel.
C’est comme tous ces collectes au sortir des caisses du supermarchés par des associations “caritatives” : Restaus du cœur, Banque alimentaire, Téléthon…
Ça prend que 2 après-midi par an, ça donne bonne conscience, et ça coute moins cher que d’augmenter les impôts !
Personnellement, je donne apporter ma modeste contribution au soutien des bénévoles, car mieux vaut des bénévoles à temps très partiel que pas de bénévoles du tout. Mais je n’ai pas réussi à comprendre pourquoi solliciter des dons en nature (sauf DLC proche) qui font le bonheur des commerçants, plutôt qu’en argent, ce qui permettrait la négociation de contrats de gros plus rentables.
” pendant l’occupation on n’a pas vu fleurir une « violence désordonnée et stérile ». Au contraire : on a vu une violence organisée et réflechie.”
Disons que les black blocs n auraint pas fait long feu face a une dictature. L organisation etait necessaire si vous vouliez survivre a la repression.
Mais il ne faut pas enjoliver la periode. Il y avait aussi des reglements de comptes personnels qui profitaient de la situation pour avoir une coloration “politique” sans parler du recyclage de criminels (ex les Guereni a Marseille)
@ cdg
[Mais il ne faut pas enjoliver la periode. Il y avait aussi des reglements de comptes personnels qui profitaient de la situation pour avoir une coloration “politique” sans parler du recyclage de criminels (ex les Guereni a Marseille)]
Certainement. Mais au delà des cas particuliers, il est difficile de nier que la résistance est allée dans la violence a reculons, et qu’il y eut de très sérieux débats dans les directions sur la question de savoir quelles étaient les violences légitimes ou non. Chez les communistes, qui sont ceux qui se sont le plus tôt convertis à l’usage de la violence, la problématique de la violence légitime s’est posée à un niveau remarquable: ainsi, était-il légitime de tuer un soldat allemand du rang, qui était probablement un ouvrier mobilisé et non un nazi convaincu ? Ou fallait-il ne viser que les officiers ?
Compte tenu de la violence de l’époque, on peut dire que la résistance fut remarquablement peu violente, notamment lors de la Libération.
@Geo
Bonsoir monsieur,
[Il agit en somme comme si, comme ce fut le cas pendant l’occupation, on pouvait penser qu’il n’y a plus de légitimité. Alors la violence même la plus désordonnée et stérile vaut du moins manifeste.]
Permettez-moi de vous contredire. Comme le souligne notre hôte, la violence fut organisée et réfléchie. J’irai même plus loin : elle a même été rare. Je ne sais plus quel historien disait justement qu’il ne faut pas s’imaginer les résistants faisant sauter vingt ponts par nuit, une mitraillette dans chaque main. Ce qui fait l’honneur, et non la gloire, de la Résistance, ce fut justement le travail pénible auquel la plupart des résistants des mouvements — et presque tous ceux des réseaux — ont dû se livrer. Du renseignement. Ni plus, ni moins. Éventuellement de la propagande. Pas d’action, sinon la crainte de se faire arrêter, ou le devoir de semer un éventuel flic en filature.
Ce n’est qu’à la fin de la guerre que l’action armée prend de l’ampleur, parce qu’elle a désormais un intérêt stratégique — et du coup la France Libre, mais aussi nos alliés, sont prêts à financer, armer, commander des opérations violentes, qui n’étaient en général jusque là le fait que d’individus isolés, ou mis à l’écart par leurs groupes en raison de leur violence.
Je mets à part la tactique communiste de la cocotte-minute : on tue l’envahisseur pour qu’il se venge, et faire voir au grand jour le prix à payer de la soumission, dans la mesure où là encore, cette violence est réfléchie, et ne dépend pas du bon vouloir du partisan.
À vrai dire, quand on lit les mémoires de résistants, en-dehors des figures de proue, le regret le plus courant, c’est justement d’avoir si peu donné dans la violence. Le sabotage, l’assaut, l’élimination, c’est l’exception plutôt que la règle. Même Cordier disait que la grande ombre de sa vie, c’était de ne pas avoir tué de boches.
En espérant vous avoir convaincu que les Résistants ressemblaient plutôt aux militants qu’aux rebelles encagoulés,
Cordialement
Je m’autorise un hors-sujet qui me tient à coeur:
La démission de Michelle Rubirola, maire de Marseille, signe-t-elle l’incapacité de la gauche “plurielle” à gouverner ? Le Printemps Marseillais a peut-être pris les électeurs marseillais pour des cons, mais peut-être aussi eux-mêmes y croyaient-ils ? Toujours est-il que nous voilà face à une combinazione comme on les a souvent connues à Marseille. On ne voit pas la rupture avec le système tant dénoncé… Ou est-ce de l’amateurisme ? J’ai peine à y croire, connaissant certains initiateurs du projet. Pas des enfants de choeur ! Pas des perdreaux de l’année ! Il semblerait que Payan soit le “baron noir” de Marseille. Les déçus (j’ai failli dire les cocus) vont défiler sur les ondes. En outre, je ne suis pas certain que le Printemps Marseillais garde la mairie dans les jours qui viennent. Quelle qu’en soit l’issue actuelle, à terme, ça nous promet une droite pour le moins décomplexée à de futures élections.
Ce hors-sujet mis à part, mes félicitations pour votre post qui met comme souvent les choses au point. Est-ce que d’une certaine façon le mythe de “Marseille la rebelle” ne vient-il pas émailler votre théorie ?
@ Paul
[Je m’autorise un hors-sujet qui me tient à coeur:]
Je vous en prie… même si je pense faire un papier sur le sujet.
[La démission de Michelle Rubirola, maire de Marseille, signe-t-elle l’incapacité de la gauche “plurielle” à gouverner ? Le Printemps Marseillais a peut-être pris les électeurs marseillais pour des cons, mais peut-être aussi eux-mêmes y croyaient-ils ? Toujours est-il que nous voilà face à une combinazione comme on les a souvent connues à Marseille.]
Franchement, ce qui m’étonne le plus est que vous en soyez étonné. Gouverner, on ne le dira jamais assez, est un METIER. C’est un métier qui S’APPREND. C’est un métier qui nécessite un véritable ENGAGEMENT sur la durée. Quand Sarkozy disait qu’il pensait à la présidence tous les jours en se rasant, il avait tout à fait raison : pour accéder à des hautes responsabilités, il faut se préparer, y réfléchir longtemps, certains diront toute une vie. Il faut être très naïf pour imaginer qu’on peut sortir un médecin de 60 ans sans expérience politique de son cabinet et en faire un « maire instantané » qui exerce véritablement ses responsabilités politiques.
A partir de là, il était évident que Rubirola – comme tous les politiques issus de la « société civile » qui accèdent à des hautes responsabilités – ne pouvait être qu’une façade. Derrière cette façade, deux possibilités : soit l’apparition d’un groupe assez fort pour confisquer le pouvoir à son profit, soit une guerre permanente entre factions de poids équivalent et un « lotissement » du pouvoir. A Marseille, les réseaux politico-mafieux liés au PS étant toujours aussi puissants, il était assez facile de voir de quel côté la balance pencherait. La gauche « plurielle » aura donc le fonctionnement devenu classique à Marseille : le « capo di tutti capi » Payan distribuera entre les différents groupes de cette « gauche plurielle » prébendes et postes en échange de leur fidélité à l’heure de voter au conseil municipal. Samia Ghali est déjà allée à la soupe, et d’autres suivront. La féodalité dans toute sa splendeur.
L’incapacité de la « gauche plurielle » à gouverner n’a pas attendu Marseille pour être démontrée. Le chapitre Rubirola ne fait que mettre en évidence combien le leurre de la « société civile » sert à cacher le réel aux électeurs et à les manipuler.
[On ne voit pas la rupture avec le système tant dénoncé… Ou est-ce de l’amateurisme ? J’ai peine à y croire, connaissant certains initiateurs du projet. Pas des enfants de choeur ! Pas des perdreaux de l’année !]
Les deux mon général. Il y a là-dedans des amateurs qui veulent croire, et veulent croire tellement fort qu’ils sont capables de s’auto-convaincre que « cette fois-ci, ce sera différent ». Et il y a d’autres, souvent aux postes dirigeants, dont les objectifs sont très clairs : s’asseoir à la table et avoir leur part du gâteau quel qu’en soit le prix.
[Il semblerait que Payan soit le “baron noir” de Marseille. Les déçus (j’ai failli dire les cocus) vont défiler sur les ondes. En outre, je ne suis pas certain que le Printemps Marseillais garde la mairie dans les jours qui viennent.]
Vous croyez que Payan, bien assis à la mairie, n’a pas les moyens de payer assez pour obtenir les voix de l’ensemble des groupuscules ? Vous oubliez que, comme disait Napoléon, « tout homme a son prix ». Et celui des militants de la « gauche plurielle » n’est pas très haut.
[Quelle qu’en soit l’issue actuelle, à terme, ça nous promet une droite pour le moins décomplexée à de futures élections.]
Quelle différence cela ferait ?
[Ce hors-sujet mis à part, mes félicitations pour votre post qui met comme souvent les choses au point. Est-ce que d’une certaine façon le mythe de “Marseille la rebelle” ne vient-il pas émailler votre théorie ?]
Le mythe de « Marseille la rebelle » résume la résistance des féodalités locales à la loi républicaine. « Marseille la rebelle » lutte pour le maintien de rapports clientélistes, du copinage, d’une logique où tout est la faute à quelqu’un d’autre. Que la gauche ait fait depuis quelques années de cette forme de « rébellion » un drapeau de lutte me surprendra toujours…
Hors Sujet:
Il s’agit simplement de répercuter un hommage.
https://www.causeur.fr/coralie-delaume-souveraine-de-sa-vie-188696
@ GEO
Hommage largement mérité!
Cette nouvelle m’a vraiment attristée la semaine dernière.Je pense que c’est elle qui avait du un jour partager sur sa page facebook un lien vers votre blog Descartes, et qui me l’a donc fait découvrir.Venant d’une famille de gauche, quand je suis devenu majeur j’ai bêtement voté Hollande en 2012. A la fin de mes études en 2017, après les années Valls, j’ai voté Mélenchon… Avec votre blog, les articles de Coralie Delaume m’ont permis de beaucoup mieux comprendre la politique et de mieux me situer. Je travaille dans un groupe aérospatial français sur des sujets liés à la dissuasion, et sur d’autres liés à la coopération spatiale européenne. Les analyses de Coralie Delaume sur les relations européennes et l’économie, en complément des vôtres sur la politique, l’industrie, les sciences ou le rôle de l’état, m’aide vraiment à faire évoluer mes opinions.
Bon du coup je ne sais vraiment plus pour qui je pourrai voter maintenant. Mais je comprends bien mieux ce qui n’allait pas dans mes choix politiques des dernières élections !
Je n’aurai donc jamais l’occasion de remercier Mme Delaume pour son travail. Ici je tiens donc à vous remercier profondément Descartes pour tout votre travail. J’espère que nous pourrons continuer longtemps à vous lire, tant je trouve finalement assez rare de trouver des travaux d’une qualité égalable aux vôtres ou à ceux de Mme Delaume pour mieux comprendre un monde dont on sent bien que les bouleversements, les évolutions et la complexité ne vont pas aller en ralentissant…
@ bb78
[Cette nouvelle m’a vraiment attristée la semaine dernière. Je pense que c’est elle qui avait dû un jour partager sur sa page facebook un lien vers votre blog Descartes, et qui me l’a donc fait découvrir.]
Je ne savais pas qu’elle s’intéressait à mon humble production. J’aurais été honoré de l’apprendre, c’était quelqu’un que je respectais beaucoup, pour son intelligence et pour son engagement.
[Venant d’une famille de gauche, quand je suis devenu majeur j’ai bêtement voté Hollande en 2012.]
Pléonasme ! Pléonasme ! On ne saurait voter Hollande autrement que « bêtement » 😉
Plus sérieusement, je comprends tout à fait votre point. Quand on est éduqué dans une certaine tradition politique, il y a des choses qu’on tient pour évidentes sans se poser de questions. Il faut du temps pour prendre de la distance, pour arriver à se réinterroger sur ce genre d’évidence.
[Bon du coup je ne sais vraiment plus pour qui je pourrai voter maintenant. Mais je comprends bien mieux ce qui n’allait pas dans mes choix politiques des dernières élections !]
Votre perplexité est partagée par grand nombre – sinon la majorité – de nos concitoyens ! Et je ne sais pas si Coralie Delaume serait aujourd’hui en mesure de vous aider. Moi, en tout cas, j’avoue mes limitations : si l’élection avait lieu aujourd’hui, je ne sais pas quel bulletin je choisirais. Si le PCF se décidait enfin à présenter un candidat, je pense qu’il aurait ma faveur. Non que je me fasse de grandes illusions sur ce qu’est devenu le PCF, mais parce qu’un bon résultat des communistes ferait plaisir à des gens que je tiens pour très estimables, et ferait grincer les dents de gens que je n’estime guère !
[Je n’aurai donc jamais l’occasion de remercier Mme Delaume pour son travail. Ici je tiens donc à vous remercier profondément Descartes pour tout votre travail.]
Je suis très touché par vos encouragements, et par le fait d’être mis au niveau de Coralie Delaume, ce que je ne mérite probablement pas.
Excellent billet.
Cette distinction entre révolutionnaire et rebelle me rappelle la distinction que font Joseph Heath et Andrew Potter entre dissidence/dissension et déviance sociale dans leur livre “Révolte consommée. Le mythe de la contre-culture” publié cette année en français aux éditions l’échappée (j’en recommande chaudement la lecture). Autrement dit, une distinction entre “la protestation sociale” et “le comportement antisocial”.
Juste un extrait :
“la critique contre-culturelle empêche de faire la distinction entre la “bonne” répression – l’application de règles favorisant une coopération bénéfique pour tous – et la “mauvaise” répression – la violence gratuite infligée aux faibles et aux plus démunis.” (p. 156)
@CVT
“Tout ceci pour dire que d’un certain côté, Brassens était l’ennemi de classe des travailleurs, certes sympathique car l’une des faces aimables du lumpenprolériat. Il était même le précurseur de nos artistes d’aujourd’hui, prescripteurs d’opinion et grands “rebelles” anti-flics devant l’éternel: il serait vraiment fier d’eux…”
Je peux m;inscrire en faux lorsque vous dites que Brassens était “un ennemi de classe des travailleurs”. Comme expliquez-vous que dans les ateliers, Brassens était chanter par…les travailleurs dans 70-80? Nombres de mes collègues connaissaient nombres de ses paroles, beaucoup moins que Prévert d’ailleurs! Pour rappel, dans cette entreprise, usine d’armement, la CGT représentait 70% des voix aux élections avec un taux de participation de + 80%. Nous le considérions comme un anar pacifiste, bien sympathique.
@ Tous,
Les attaques faites à la police, par ce qu’il est appelé la gauche, pour faire simple, je dirai que c’est du …GAUCHISME!
Tant qu’au Black bloc, ce sont les idiots”utiles” pour discréditer tous mouvements sociaux et manifestations. Les Français et les ouvriers en particulier, n’aiment pas la violence et le désordre. D’ailleurs, vous avez vu Melenchon ou Martinez les condamner ou nous dire qui ils étaient, de quelle sociale, ils appartenaient ou encore faire une analyse politique de leurs agissements. Non!
Et comme disait, Descartes, “A qui profite le crime? La question est là!
@ DUDU87
[Je peux m’inscrire en faux lorsque vous dites que Brassens était “un ennemi de classe des travailleurs”. Comme expliquez-vous que dans les ateliers, Brassens était chanter par…les travailleurs dans 70-80 ?]
L’un n’empêche pas l’autre… c’est la logique même de l’aliénation par laquelle la classe ouvrière fait sienne l’idéologie dominante, qui est l’idéologie de la classe dominante. La classe ouvrière a été poussée à adopter des logiques individualistes, anti-institutionnelles qui n’étaient pas dans son intérêt, mais dans l’intérêt des classes dominantes. La petite musique des chanteurs plus ou moins « libertaires » a fait partie de cette campagne. Chez certains c’est à peine déguisé (Renaud, Ferré) chez d’autres c’est beaucoup plus ambigu (Brassens, Lavilliers). Le fait que les ouvriers aient repris leurs chansons dans les ateliers ne change rien à l’affaire.
Bien entendu, lorsqu’on parle « d’ennemi de classe », on sort de l’aspect individuel. Brassens reste à titre individuel une personne tout à fait respectable et un immense artiste, même si l’idéologie qu’il a propagée par ses chansons est, sur le plan politique, dans la droite ligne de l’idéologie dominante.
[Nous le considérions comme un anar pacifiste, bien sympathique.]
La sympathie ou l’antipathie ne sont pas des catégories politiques. J’ai connu des hommes de droite sympathiques et humains et des communistes franchement insupportables. Le fait est que cet « anarchisme bien sympathique » à titre personnel a eu des effets délétères au niveau social.
@DUDU87,
[Je peux m;inscrire en faux lorsque vous dites que Brassens était “un ennemi de classe des travailleurs”. Comme expliquez-vous que dans les ateliers, Brassens était chanter par…les travailleurs dans 70-80? Nombres de mes collègues connaissaient nombres de ses paroles, beaucoup moins que Prévert d’ailleurs! Pour rappel, dans cette entreprise, usine d’armement, la CGT représentait 70% des voix aux élections avec un taux de participation de + 80%. Nous le considérions comme un anar pacifiste, bien sympathique.]
N’empêche que Brassens passe son temps, dans ses chansons, à défendre les “voleurs de pomme” contre les “croquants”, qui sont eux des travailleurs!!! Il y a énormément de morceaux dans lesquels le poète sétois (il préférait cétois😬) fustigeait les “braves gens”, qui étaient plus souvent des travailleurs que des bourgeois!!! Comme défenseur de la classe ouvrière, Brassens se posait là😈…
Comme le soulignait l’hôte de ce blog, dans une société aussi solidement corsetée que la France des Trentes Glorieuses, être un “anar sympa” avait un côté d'”idiot du village” ou “fou du roi”, et ne manquait de panache. Mais il y a aussi un autre aspect qui m’a toujours profondément dérangé dans l’anarchisme de Brassens, et qui était le revers de la médaille de son idéologie: son incivisme absolu, et l’indifférence à l’égard du sort de ses concitoyens. A titre d’illustration, son comportement durant l’Occupation: avec d’autres pacifistes, il a écrit plusieurs libelles fustigeant à équidistance les Anglais et les Allemands; sans compter qu’il s’est porté volontaire pour aller travailler dans les usines allemandes, alors que le STO a été l’unes des causes principales du grossissement des rangs de la Résistance…
@ CVT
[N’empêche que Brassens passe son temps, dans ses chansons, à défendre les “voleurs de pomme” contre les “croquants”, qui sont eux des travailleurs !!! Il y a énormément de morceaux dans lesquels le poète sétois (il préférait cétois😬) fustigeait les “braves gens”, qui étaient plus souvent des travailleurs que des bourgeois !!! Comme défenseur de la classe ouvrière, Brassens se posait là😈…]
Sans aucun doute : « Quand je vois un voleur malchanceux/poursuivi par un cul terreux/j’mets la patte et pourquoi le taire/le cul terreux se r’trouve par terre ». Brassens ne fait que se faire l’écho ici de cette fascination petit-bourgeoise pour le marginal idéalisé. Le « voleur de pommes » – le parasite – devient une sorte de héros romantique qui affronte les conventions, le « cul-terreux » – c’est-à-dire, le travailleur qui produit de la valeur – le symbole du conformisme bête. Plus tard, le « cul terreux » deviendra sous la plume des soixante-huitards « le beauf », et Renaud prendra la défense non plus les « voleurs de pommes » mais les trafiquants de cannabis.
Cela n’enlève en rien à Brassens ses qualités de grand poète populaire, et l’on trouve dans ses chansons beaucoup de choses très belles et très justes. Mais son positionnement politique, désolé de le dire, ne fait guère de lui un défenseur des « travailleurs ». Ferrat, Ogeret ont pris la défense de la classe ouvrière. Brassens, non.
[Comme le soulignait l’hôte de ce blog, dans une société aussi solidement corsetée que la France des Trente Glorieuses, être un “anar sympa” avait un côté d’”idiot du village” ou “fou du roi”, et ne manquait de panache.]
Oui, il faut insister sur ce point qui pour moi est celui qui fait que le massacre de Charlie Hebdo n’est pas seulement un drame, mais une tragédie au sens classique du terme. Dans une société structurée, avec des institutions solides, on pouvait s’imaginer de jouer sans dommage les « fous du roi », de donner des coups de pied aux « masses de granit » qui ancraient la société, et qu’on imaginait à tort trop solides pour s’émouvoir. Ce que ces gentils « fous du roi » n’ont pas vu, c’est que ce faisant ils contribuaient à éroder les piliers de la maison. Que cette idéologie dissolvante, qu’on pouvait regarder dans les années 1970 avec la sympathie qu’on réserve aux rêveurs et aux fous, était en train de devenir dominante. Que ce « corsé solide » que ces gens ont tant raillé était ce qui permettait de garantir leur liberté de chanter, d’écrire, de caricaturer. Charlie Hebdo a été victime de forces qu’il a contribué – sans le comprendre vraiment – à libérer. Et c’est une grande ironie que Cabu ait été tué par deux membres de ces minorités qu’il avait tant contribué à défendre, et enterré au son du bourdon de Notre-Dame.
[Mais il y a aussi un autre aspect qui m’a toujours profondément dérangé dans l’anarchisme de Brassens, et qui était le revers de la médaille de son idéologie : son incivisme absolu, et l’indifférence à l’égard du sort de ses concitoyens.]
Brassens, dans son œuvre, est certainement « incivique » parce que pour lui il n’y a pas de « société », il n’y a que des individus. Ce n’est pas qu’il soit indifférent au sort de ses concitoyens, c’est que la notion même de « citoyen » – c’est-à-dire, d’un individu caractérisé par l’appartenance à une collectivité – n’existe pas pour lui. Dans ses poèmes, ce sont les individus qui l’intéressent – et ses portraits sont souvent d’une grande tendresse qui exclut tout égoïsme. En ce sens, le dialogue entre le Brassens du « le pluriel » et le Ferrat de « en groupe en ligue en procession » pose très bien le problème.
[A titre d’illustration, son comportement durant l’Occupation : avec d’autres pacifistes, il a écrit plusieurs libelles fustigeant à équidistance les Anglais et les Allemands; sans compter qu’il s’est porté volontaire pour aller travailler dans les usines allemandes, alors que le STO a été l’une des causes principales du grossissement des rangs de la Résistance…]
Là, vous poussez un peu trop loin. Si Brassens a bien été en Allemagne au titre du STO, je ne connais pas d’élément qui permettent de dire qu’il a « été volontaire ». Parisien, n’étant en contact avec aucun réseau, il ne lui était pas facile de se cacher une fois la convocation venue. Je ne connaissais pas non plus ses écrits « fustigeant à équidistance les Anglais et les Allemands » – il y a une chanson qui se moque de ceux qui continuent l’affrontement entre « les tommys et les teutons », mais elle fait référence à 1914-18 et non 1939-45.
@ Descartes,
[Charlie Hebdo a été victime de forces qu’il a contribué – sans le comprendre vraiment – à libérer.]
Ce qui renvoie assez justement à la formule que vous citez régulièrement: “quand les dieux veulent nous punir, ils exaucent nos vœux”. Eh bien, nous y sommes: la société que voulait Charlie Hebdo est là, sous nos yeux. J’ai découvert récemment, car je l’ignorais, que Charlie avait en son temps fait campagne pour l’interdiction du FN, une mesure pas très démocratique. Si on fait le bilan, on s’aperçoit que Charlie Hebdo et toute cette gauche libertaire a soutenu l’immigration sans voir qu’elle allait de pair avec l’islamisation, tout en n’hésitant pas à réclamer des lois pour faire taire ses ennemis politiques. Je commence à me demander si j’ai eu raison de me déplacer au lendemain de la tuerie de janvier 2015…
@ nationaliste-ethniciste
[Ce qui renvoie assez justement à la formule que vous citez régulièrement: “quand les dieux veulent nous punir, ils exaucent nos vœux”. Eh bien, nous y sommes: la société que voulait Charlie Hebdo est là, sous nos yeux.]
C’est là une question très intéressante. Lorsque ces « gentils anarchistes » revendiquaient la fin de la « société corsetée » et la liberté pour l’individu de faire ce qui lui plaisait, revendiquaient-ils ces possibilités pour eux-mêmes ou pour l’ensemble de la société ? Quand Brassens parle de « rester dans son lit douillet » le 14 juillet, pense-t-il a son propre plaisir, ou s’imagine-t-il une société ou TOUT LE MONDE resterait dans son lit le jour de la fête nationale ?
Personnellement, j’ai toujours trouvé chez les libertaires une conception aristocratique d’eux-mêmes. Ceux qu’ils revendiquent, ils le revendiquent pour eux. Je ne crois pas un instant qu’ils « rêvent » d’une société ou ces droits seraient étendus à tout le monde, ou tout le monde les exercerait. En ce sens, notre société n’est pas celle que voulait Charlie Hebdo, tout simplement parce que Charlie ne « voulait » aucune société particulière. Je dirais que ce qu’on a, c’est la société qui rend possible la « liberté » dont Charlie se revendiquait.
[Si on fait le bilan, on s’aperçoit que Charlie Hebdo et toute cette gauche libertaire a soutenu l’immigration sans voir qu’elle allait de pair avec l’islamisation, tout en n’hésitant pas à réclamer des lois pour faire taire ses ennemis politiques.]
Certainement. Mais par inconscience plus que par volonté de mal faire. Vous me direz que le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions… je rétorquerai au catholique que vous êtes le « pardonez-les, seigneur, ils ne savent pas ce qu’ils font »…
[Je commence à me demander si j’ai eu raison de me déplacer au lendemain de la tuerie de janvier 2015…]
Oui, vous – et les millions qui sont sortis, moi y compris – avez eu raison. Parce qu’on n’est pas sorti défendre Charlie Hebdo, on est sortis défendre un principe. Personnellement, je n’ai jamais été un lecteur de Charlie. Je n’aime pas ce genre d’humour, pas plus que je n’aime pas l’arrogance intellectuelle de ces personnalités persuadées qu’elles détiennent la vérité et que tous ceux qui ne partagent pas leur point de vue sont des idiots (je fais une exception pour Cabu, que j’ai toujours trouvé génial comme dessinateur, et bien plus profond que les autres « Charlie »). Mais autant je n’aime pas Charlie, autant je veux vivre dans une société où Charlie peut publier librement et sans crainte. Et c’est cela que je – et je pense vous aussi – suis sorti défendre en janvier 2015.
@ Descartes,
[Quand Brassens parle de « rester dans son lit douillet » le 14 juillet, pense-t-il a son propre plaisir, ou s’imagine-t-il une société ou TOUT LE MONDE resterait dans son lit le jour de la fête nationale ?]
Je ne sais pas trop. Qu’en pensez-vous? Pour être “anticonformiste”, il faut bien qu’il y ait, quelque part, des conformistes. En même temps, les conformistes sont des imbéciles obtus, des rabat-joie qui rendent le monde moins “sympa”, donc on peut se demander s’il ne serait pas souhaitable que l’anticonformisme devienne la règle afin que nous soyons tous heureux et libres… C’est un peu ce qui est arrivé, mais le hic, c’est qu’en écoutant France Culture, j’ai l’impression que l’anticonformisme est devenu une nouvelle forme de conformisme, en plus détestable, parce que le conformisme d’antan, la “morale bourgeoise” avait quand même, selon moi, le mérite d’avoir conscience de fabriquer des conventions et de les considérer comme telles, avec sans doute une bonne dose d’hypocrisie, mais aussi avec un brin d’humour. Le nouveau conformisme se prend beaucoup trop au sérieux…
Quant à Brassens… J’avoue que je ne comprends pas l’engouement pour ce chanteur. Il a de beaux textes, mais pour moi, musicalement et vocalement, ça ne casse pas trois pattes à un canard. J’ai essayé d’écouter, mais je n’éprouve aucune émotion. Clairement, je préfère Ferrat, qui me met les larmes aux yeux, et parce que son horizon est beaucoup plus vaste, lui qui nous emmène au Chili (“la complainte de Pablo Neruda”), en Espagne (“Maria”, la plus belle chanson qui soit sur la guerre d’Espagne) en passant par “Ma France” et “la Commune” qui ont un souffle épique. Et lui aussi se moque du conformisme bourgeois (“une femme honnête”) sans en faire une obsession. Le problème de Brassens, c’est qu’il n’y a chez lui aucune transcendance, rien qui dépasse sa petite personne. Ferrat, même si sa vision n’est pas tout à fait la mienne, propose à travers son répertoire un récit d’une toute autre ampleur. Je ne veux pas faire de psychologie de comptoir, mais j’y vois quand même la différence entre le provincial sétois qui traverse la guerre sans trop de dommage (certes, il subit le STO en 43, mais avant il a publié des poèmes sans être inquiété) et le fils d’un immigré juif de Russie qui ne reviendra pas de déportation. Le rapport au tragique n’est pas tout à fait le même.
Les collègues sont généralement fans de Brassens, moi il me laisse de marbre. Par contre lorsque je dis que j’aime bien Reggiani, on me regarde avec de grands yeux, alors que je trouve beaucoup de ses chansons très belles (bon, OK, ce n’est pas lui qui les écrivait) et parfois énigmatiques (j’ai écouté “les loups sont entrés dans Paris” des dizaines de fois, et les références du texte m’échappent encore, malgré les interprétations plus ou moins officielles).
[je rétorquerai au catholique que vous êtes le « pardonez-les, seigneur, ils ne savent pas ce qu’ils font »]
Errare humanum est, perseverare diabolicum…
[Personnellement, je n’ai jamais été un lecteur de Charlie. Je n’aime pas ce genre d’humour]
Vous m’étonnez. J’avais cru comprendre que vous étiez ami avec un membre de la rédaction de Charlie et que vous appréciiez “l’esprit Charlie”, au-delà des divergences politiques.
[Mais autant je n’aime pas Charlie, autant je veux vivre dans une société où Charlie peut publier librement et sans crainte.]
D’accord avec vous, mais à condition que Valeurs Actuelles puissent en faire autant lorsqu’elles moquent la vision racialisée et victimaire d’une Danièle Obono…
@ nationaliste-ethniciste
[« Quand Brassens parle de « rester dans son lit douillet » le 14 juillet, pense-t-il a son propre plaisir, ou s’imagine-t-il une société ou TOUT LE MONDE resterait dans son lit le jour de la fête nationale ? » Je ne sais pas trop. Qu’en pensez-vous ?]
Mon sentiment est que Brassens, comme Ferré ou Renaud, appartiennent à cette espèce des « libertaires aristocratiques ». Leur anarchisme se réduit à un « je n’aime pas qu’on m’emmerde », ou tout au plus « je n’aime pas qu’on emmerde mes copains ». Mais cela s’arrête là, et ne va jamais jusqu’à une réflexion universelle, qui étendrait les libertés qu’ils demandent pour eux à « la foule sans visage », à ce peuple pour lequel ils ont le plus grand mépris. Pensez à la chanson de Renaud « Hexagone ». Comment la résumer autrement que sous la forme « tous des cons, sauf moi et mes copains » ? Chez Brassens il y a plus d’humour, de bienveillance et de distance – et une autre qualité d’écriture aussi – que chez Renaud, moins de grandiloquence que chez Ferré, mais la racine idéologique est la même, celle d’une idéologie libertaire qui en fait n’est qu’une justification à la toute-puissance individuelle.
[Pour être “anticonformiste”, il faut bien qu’il y ait, quelque part, des conformistes. En même temps, les conformistes sont des imbéciles obtus, des rabat-joie qui rendent le monde moins “sympa”, donc on peut se demander s’il ne serait pas souhaitable que l’anticonformisme devienne la règle afin que nous soyons tous heureux et libres… C’est un peu ce qui est arrivé, mais le hic, c’est qu’en écoutant France Culture, j’ai l’impression que l’anticonformisme est devenu une nouvelle forme de conformisme,]
Tout à fait. C’est Chevènemnt je crois qui avait surpris un journaliste qui lui demandait ce qu’il n’aimait pas chez Cohn-Bendit en répondant « son conformisme ». Pour une idéologie dominante qui exalte la toute-puissance individuelle, « l’anticonformisme » devient le nouveau conformiste. Et le simple fait de refuser cette toute-puissance est sujet de scandale. Pourquoi croyez-vous que les personnages scandaleux d’aujourd’hui soient les Zemmour, les Finkielkraut, les Guaino ?
On pourrait dire que tout cela est purement conventionnel, qu’en fin de compte c’est une question de mode. Ce n’est pas aussi simple. J’ai toujours trouvé excellente la formule de Lacan : « là ou tout est permis, rien n’est subversif ». Les conformismes à l’ancienne, qui se fondaient sur un système de règles et de traditions, permettaient d’alimenter des « subversions » qui alimentaient une marche en avant. Un système dont le conformisme est de tout permettre est incapable d’avancer, parce que toute subversion est immédiatement métabolisée dans le système.
[Quant à Brassens… J’avoue que je ne comprends pas l’engouement pour ce chanteur. Il a de beaux textes, mais pour moi, musicalement et vocalement, ça ne casse pas trois pattes à un canard.]
Si vous essayez de les jouer à la guitare, vous comprenez que musicalement c’est un peu plus compliqué que ça n’a l’air. Mais c’est surtout le texte qui chez Brassens est intéressant. Autant pour les textes dont il est l’auteur, que le choix des textes qu’il a mis en musique. Pensez à « Les passantes », ce beau poème de d’Antoine Paul, ou bien « La femme d’Hector »… d’ailleurs magnifiquement changée par Barbara.
Cela étant dit, Brassens n’est pas pour moi le plus grand chanteur ou poète de sa génération. Brel, Barbara, Reggiani, Ferrat sont infiniment plus émouvants, plus délicats, plus émouvants.
[J’ai essayé d’écouter, mais je n’éprouve aucune émotion. Clairement, je préfère Ferrat, qui me met les larmes aux yeux, et parce que son horizon est beaucoup plus vaste, lui qui nous emmène au Chili (“la complainte de Pablo Neruda”), en Espagne (“Maria”, la plus belle chanson qui soit sur la guerre d’Espagne) en passant par “Ma France” et “la Commune” qui ont un souffle épique. Et lui aussi se moque du conformisme bourgeois (“une femme honnête”) sans en faire une obsession.]
Vous oubliez « On ne voit pas le temps passer », qui appartient à la meilleure tradition de la chanson réaliste française, et qui arrive à faire passer un message féministe sans ostentation, sans hystérie, sans excès…
[Le problème de Brassens, c’est qu’il n’y a chez lui aucune transcendance, rien qui dépasse sa petite personne. Ferrat, même si sa vision n’est pas tout à fait la mienne, propose à travers son répertoire un récit d’une toute autre ampleur. Je ne veux pas faire de psychologie de comptoir, mais j’y vois quand même la différence entre le provincial sétois qui traverse la guerre sans trop de dommage (certes, il subit le STO en 43, mais avant il a publié des poèmes sans être inquiété) et le fils d’un immigré juif de Russie qui ne reviendra pas de déportation. Le rapport au tragique n’est pas tout à fait le même.]
Je partage tout à fait votre lecture. Brassens est un chanteur profondément provincial. Il n’y a chez lui ni peinture sociale comme les chanteurs réalistes, ni épopée. Il raconte ses petites histoires, avec beaucoup de talent certes, et cela s’arrête là. Ferrat, lui, s’inscrit à la fois dans la chanson réaliste (« ma môme », « on ne voit pas le temps passer ») avec sa peinture sociale, et dans l’épique de « Ma France » ou de « Potemkine ».
[Par contre lorsque je dis que j’aime bien Reggiani, on me regarde avec de grands yeux, alors que je trouve beaucoup de ses chansons très belles (bon, OK, ce n’est pas lui qui les écrivait) et parfois énigmatiques (j’ai écouté “les loups sont entrés dans Paris” des dizaines de fois, et les références du texte m’échappent encore, malgré les interprétations plus ou moins officielles).]
Reggiani a écrit de très belles choses, mais il pâtit un peu du même problème que Brel ou Barbara : ils sont trop dramatiques pour notre époque qui n’aime que le divertissement…
[« Personnellement, je n’ai jamais été un lecteur de Charlie. Je n’aime pas ce genre d’humour ». Vous m’étonnez. J’avais cru comprendre que vous étiez ami avec un membre de la rédaction de Charlie et que vous appréciiez “l’esprit Charlie”, au-delà des divergences politiques.]
Et bien, vous avez mal compris. J’avais un ami très cher dans la rédaction de Charlie. Mais j’ai beaucoup d’amis avec lesquels j’ai de grands désaccords. Et je n’apprécie pas particulièrement l’esprit « Charlie » : j’aime l’humour fondé sur l’intelligence et la subtilité. Je ne pense pas que montrer des couilles et des trous du cul à tout bout de champ soit indispensable ou apporte quelque chose à l’argument. A Charlie, j’aimais beaucoup Cabu justement parce que je l’ai trouvé toujours d’une grande subtilité. Je n’aimais pas Choron ou Reiser.
[D’accord avec vous, mais à condition que Valeurs Actuelles puissent en faire autant lorsqu’elles moquent la vision racialisée et victimaire d’une Danièle Obono…]
Tout à fait. J’ai trouvé cette histoire franchement honteuse. Je trouve détestable cette nouvelle inquisition qui trouve du « racisme » partout, même là où il n’y en a pas. L’ucronie publiée par Valeurs Actuelles était à mon sens dans les limites de la satire. L’affaire du juge de ligne roumain qui sans penser à mal a utilisé le mot « noir » et provoqué ce qu’il faut bien appeler une crise d’hystérie collective est encore plus horripilante.
@Descartes,
[« je n’aime pas qu’on emmerde mes copains »]
Genre “Touche pas à mon pote”?😬
@ CVT
[Genre “Touche pas à mon pote”?]
Je n’avais pas fait le lien… mais il s’impose, non ?
@Descartes et N-E
[L’ucronie publiée par Valeurs Actuelles était à mon sens dans les limites de la satire. L’affaire du juge de ligne roumain qui sans penser à mal a utilisé le mot « noir » et provoqué ce qu’il faut bien appeler une crise d’hystérie collective est encore plus horripilante.]
Le problème vient du fait qu’on a vécu avec ces deux pantalonnades un merveilleux exemple de stalino-mao-pol-potisme: l’autocritique et l’autoflagellation publique! C’est digne des Gardes Rouges du Grand Timonier!
Je ne supporte plus ces mises au pilori publique et autres exercices de contrition🤮. La rédaction de Valeurs Actuelles n’aurait jamais dû s’excuser, quitte à prendre le risque d’un nième procès en racisme! Une simple audition aurait permis de démontrer,au pire, la maladresse des rédacteurs de l’article. Pour moi, ils n’ont rien écrit de mal, sauf à choquer les indignés professoniels!!
On m’avait prévenu sur les dictatures, mais je ne croyais pas que j’en verrais une dans mon propre pays: leurs premières cibles, ce sont l’humour et la caricature😱🥶…
@ CVT
[On m’avait prévenu sur les dictatures, mais je ne croyais pas que j’en verrais une dans mon propre pays : leurs premières cibles, ce sont l’humour et la caricature…]
Tout à fait. Le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo pose des questions qui vont bien plus loin que la question de l’islamisme. Il ne faudrait pas oublier qu’avant d’être physiquement massacrée par les frères Kouachi, la rédaction de Charlie avait été symboliquement massacrée par les frères Plenel sous les accusations de « racisme », « d’islamophobie » et autres joyeusetés. Oui, la première victime de tous les régimes totalitaires, c’est le sens de l’humour. Et dans notre présent, il n’y a pas que les islamistes qui en manquent…
A la fin de sa vie, Gérard Oury notait qu’il lui aurait été impossible de réaliser “Rabbi Jacob” dans les années 1990, tant ce film (qui est autant une satyre bienveillante des traditions juives qu’un hymne à la tolérance) aurait provoqué des “offenses” de toutes sortes. Et malheureusement, on en est là.
@Louis:
[Permettez-moi de vous contredire. Comme le souligne notre hôte, la violence fut organisée et réfléchie.]
Je ne dit pas qu’elle ne l’a pas été, mais que dans le cas contraire elle eut gardé valeur de manifeste dans le contexte de dissolution de la légitimité. C’est différent.
[En espérant vous avoir convaincu que les Résistants ressemblaient plutôt aux militants qu’aux rebelles encagoulés]
Vous prêchez un convaincu. J’aime votre insistance sur l’action de renseignement, très importante à l’époque même si peu spectaculaire.
Salutations.
@GEO
Je ne suis pas sûr de comprendre ce que vous entendez par “garder valeur de manifeste”. Pourriez-vous m’éclairer ?
C’est que cette action m’a beaucoup appris. J’ai commencé à lire des mémoires de résistants à l’âge des enthousiasmes lyriques d’adolescent. C’était l’idée de lire le récit de coups de main et d’actions d’éclat qui m’attirait, et quelle claque ce fut ! Un travail ingrat, pénible et sans gloire, mais un travail, enfin, qui a sauvé la France.
Salutations.
Hors sujet aussi…
J’aime bien regarder les sites militants avec lesquels je ne suis pas totalement en accord. Un des meilleurs est à mon sens Reporterre. Ils ont réalisé un travail de recensement des contestations locales contre les projets inutiles. C’est assez instructif, je trouve :
https://reporterre.net/Carte-des-luttes-des-contestations-locales-toujours-plus-vives
(*) Remarque n°1 :
Il y a des choses qui frappent quand on regarde globalement la carte :
– la faible densité de projets inutiles dans la “diagonale du vide”, et sa quasi absence dans le Nord de la France ; une forte coïncidence avec les régions désindustrialisées
– au contraire, la forte densité en région parisienne, dans le Lyonnais / Grenoblois, et Bretagne / région Nantaise. Une forte coincidence avec les régions qui votent écolo
(*) Remarque n°2
Les articles qui sont proposés sur le même sujet :
– Reporterre sur France Inter : collectifs en lutte et batailles victorieuses
– La lutte contre un projet destructeur, mode d’emploi
– La lutte paie : mine de rien, les écologistes remportent de nombreuses victoires
– Zad, recours juridiques, médias… Quelles tactiques pour peaufiner une lutte locale ?
Il s’agit bien ici de militer pour s’opposer, pour bloquer, etc. Rien que du négatif, et pas de positif.
(*) Remarque n°3 :
J’ai pris le temps de regarder à quoi correspondaient ces projets inutiles. Et de les classer (en ne prenant que ceux que j’ai été étonnés de voir sur cette liste) :
rocade / déviation / contournement : 13
centrale éolienne : 8
usine de méthanisation : 7
Projet autoroutier (bretelle, élargissement, raccordement…) : 7
Ecoquartier : 5
extension d’aéroport /allongement de piste / modernisation : 5
projet hydraulique (barrage, déviation de cours d’eau, hydroélectricité) : 5
Incinérateur : 4
Contre la disparition d’un train : 4
extension de port maritime : 3
contre la construction d’une ligne de train : 2 (ligne ferroviaire Paris / Normandie ; LGV PACA)
photovoltaïque : 2
Usine à pellets : 2 (permet la production d’énergie de type biomasse)
Pont : 2
centrale à biomasse 2
contournement routier d’une zone naturelle
Usine de laine de roche (permet l’isolation des batiments)
port fluvial (à priori logistique ; permet de réduire le trafic routier)
enfouissement d’autoroute
aménagement de gare ferroviaire
parc écotechnologique (dédié aux ENR)
sculpture artistique
aqueduc
centrale à gaz
projet de développement d’un moyen de transport alternatif et propre (hyperloop)
centre de traitement des déchets
usine de bioéthanol
Lutte contre les algues vertes
Projet d’aménagement pour préserver le caractère naturel d’une vallée (Vallée de la Vilaine)
Que peut on en déduire :
1°) Je n’ai certes pas tout cité, mais il y a très peu de projets industriels non cités ci dessus. L’essentiel de ceux qui ne sont pas cités sont des projets commerciaux (supermarchés, ZAC, entrepôts Amazon, etc.), agricoles (extension d’exploitations existantes) ou d’urbanisme.
2°) Si on regarde ce qui reste, on arrive sur, pour l’essentiel, des projets qui résultent des politiques écolos.
Dans mon top 8 :
– rocade / déviation / contournement : la politique menée dans toutes les villes est de “chasser” les voitures des centre villes. Et donc, assez logiquement, fleurissent les projets de contournement
– centrale éolienne : no comment
– usine de méthanisation : no comment
– Projet autoroutier (bretelle, élargissement, raccordement…) : idem supra, le plus souvent, il s’agit de décharger des villes
– Ecoquartier : no comment
– extension d’aéroport /allongement de piste / modernisation : résulte du choix de geler la construction de nouveaux aéroports
– projet hydraulique : résulte soit de mesures d’adaptation au changement climatique, soit de production hydroélectrique…
– Incinérateur : permet de produire de l’énergie ou de la chaleur tout en limitant l’espace occupé par les déchets, et les kilomètres de camions parcourus jusqu’au centre d’enfouissement.
J’avoue avoir été “sur le cul” de voir une usine de laine de roche sur cette liste, là où le seul dénominateur commun aux écolos est habituellement d’être d’accord sur la nécessaire isolation thermique des logements…
Je serais bien curieux de rencontrer quelqu’un du site Reporterre, prêt à défendre la légitimité de chacune des “luttes”, tout en m’expliquant quelle politique écologique il veut pour le pays. Ce que l’on doit déduire de la liste des “projets inutiles” est que sont inutiles :
– le développement des transports (routiers, ferroviaires, fluviaux, et aériens),
– l’isolation des logements (puisque la fabrication d’isolant est inutile),
– la production électrique (nucléaire, gaz, éolien, photovoltaïque, et hydroélectrique sont sur la liste),
– l’incinération des déchets, et également non aux décharges sauvages (il y en a 1 dans la liste), et non aux projets de centres de tri et de centres d’enfouissement),
– les nouvelles lignes électriques (il y a un projet de transformateur électrique et un d’interconnexion dans la liste),
– le biogaz et le bioéthanol
– les extractions de gaz naturel du sous-sol (il y en a aussi dans la liste).
Ce qui me désole, c’est que ce type de “pensée” politique puisse avoir le vent en poupe. On peut se disputer entre un libéral à la Madelin, un communiste canal historique, un royaliste, un catho tradi, etc. Mais là, il n’y a tellement aucune colonne vertébrale qu’ils ne se rendent même pas compte à quel point ça part complètement dans le n’importe quoi…
@ Vincent
[J’aime bien regarder les sites militants avec lesquels je ne suis pas totalement en accord. Un des meilleurs est à mon sens Reporterre. Ils ont réalisé un travail de recensement des contestations locales contre les projets inutiles. C’est assez instructif, je trouve :]
Je pense que ce qui est le plus instructif, c’est qu’on puisse trouver chez Reporterre ou ailleurs des recensements des « projets inutiles », mais nulle par une liste des « projets utiles ». Parce qu’on peut supposer qu’il y a quelque part des projets utiles, dont la réalisation permet d’améliorer la vie des gens à des coûts raisonnables, n’est-ce pas ? Et pourtant, personne ne semble intéressé à les identifier, à les classer, à comprendre comment on en est arrivé à les construire. Pourtant, pour celui qui veut changer les choses l’analyse de ce qui marche est aussi important que celui des choses qui ne marchent pas…
C’est cela qui est le plus intéressant dans la vision de Reporterre. Quand l’article que vous citez parle de « victoires », il fait référence exclusivement aux situations ou la lutte a permis de bloquer un « projet inutile », jamais aux situations ou le combat a permis la réalisation d’un « projet utile ». Curieux, n’est-ce pas ?
[Il s’agit bien ici de militer pour s’opposer, pour bloquer, etc. Rien que du négatif, et pas de positif.]
Oui, mais cela tient au fait que pour ces gens-là, la formule « projet inutile » est presque tautologique. TOUT projet d’aménagement, quel qu’il soit, est par définition INUTILE. Leur raisonnement est le raisonnement commun à tous les réactionnaires : nous vivons dans le meilleur des mondes possibles, et toute tentative de faire du nouveau ne peut aboutir qu’à empirer les choses. Le seul projet admissible, c’est celui qui nous fait revenir en arrière : le démantèlement d’une usine, l’arasement d’un barrage…
[2°) Si on regarde ce qui reste, on arrive sur, pour l’essentiel, des projets qui résultent des politiques écolos.]
C’est le serpent du mythe qui a force de tout dévorer finit par dévorer sa queue, et donc de se dévorer lui-même. A force d’être contre tout, on finit par s’opposer aux projets qui vont dans votre sens. Encore une fois, il faut comprendre que beaucoup d’écologistes s’opposent aux projets d’aménagements parce qu’ils s’opposent à l’idée même d’aménagement, sans que le but concret de l’aménagement en question ait la moindre importance. Quand bien même l’aménagement aurait pour objet de protéger la nature, il serait mauvais.
[J’avoue avoir été “sur le cul” de voir une usine de laine de roche sur cette liste, là où le seul dénominateur commun aux écolos est habituellement d’être d’accord sur la nécessaire isolation thermique des logements…]
Votre étonnement montre que quelque part dans les tréfonds de votre âme vous arriviez à croire que les écologistes sont progressistes. Sortez-vous cette idée de la tête : au-delà des discours, l’écologisme est un discours profondément, intimement réactionnaire au sens étymologique du terme. Les écologistes peuvent en surface militer pour la voiture électrique, les biocarburants ou les éoliennes. Mais au fond d’eux-mêmes, ils pensent que ces solutions ne sont que des pis-aller, des concessions à faire à l’envie de consommation d’une humanité qui n’a pas encore vu la Lumière. Le véritable idéalécologiste, c’est celui d’un homme qui vivrait « en communion avec la nature », sans voiture (électrique ou non), sans carburants, sans électricité. Bref, l’homme des cavernes ou tout au plus celui du village médiéval, avant le début de l’économie marchande et de la révolution industrielle.
[Ce qui me désole, c’est que ce type de “pensée” politique puisse avoir le vent en poupe. On peut se disputer entre un libéral à la Madelin, un communiste canal historique, un royaliste, un catho tradi, etc. Mais là, il n’y a tellement aucune colonne vertébrale qu’ils ne se rendent même pas compte à quel point ça part complètement dans le n’importe quoi…]
C’est le propre de tous les mouvements qui surgissent en réaction à la modernité par la recherche d’une forme de « pureté » originelle. Par certains côtés, nous vivons le contrecoup de la guerre froide : parce que le communisme avait repris le drapeau de la modernité, la lutte contre le communisme s’est souvent transformée en une lutte contre celle-ci. Parce que le communisme se prétendait « scientifique », il a fallu dévaluer la science en général. Parce que le communisme était athée, on a soutenu les radicalismes religieux. Parce que le communisme valorisait la rationalité, il a fallu soutenir l’irrationnel. Aujourd’hui, le communisme a disparu comme force politique, mais les mécanismes toxiques qu’on avait mis en place pour le contenir, eux, demeurent à travers les radicalismes obscurantistes, qu’ils soient religieux, écologistes ou post-modernes…
Que de pertinentes observations et réflexions, merci ! Apparemment trop de gens n’auront retenu qu’une seule phrase du discours de Camus lors de la réception de son prix Nobel, phrase qu’ils auront, en outre, mal contextualisée :
” Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. “
Joyeux passage solsticial et bonne continuation !
@Descartes
[Votre étonnement montre que quelque part dans les tréfonds de votre âme vous arriviez à croire que les écologistes sont progressistes. Sortez-vous cette idée de la tête : au-delà des discours, l’écologisme est un discours profondément, intimement réactionnaire au sens étymologique du terme. (…) Le véritable idéalécologiste, c’est celui d’un homme qui vivrait « en communion avec la nature », sans voiture (électrique ou non), sans carburants, sans électricité. Bref, l’homme des cavernes ou tout au plus celui du village médiéval, avant le début de l’économie marchande et de la révolution industrielle.]
Certains survivalistes ou autres marginaux souhaitent peut-être la disparition de l’humanité pour assouvir leur rêve de revenir à l’âge de pierre (ou à la rigueur à l’antiquité, les technologies agricoles ou de transport n’ayant pas évolué entre l’antiquité et le moyen âge). Mais vous ne m’enlèverez pas de l’esprit que tous les écologistes ne sont pas réactionnaires à ce point. Les soutiens de sites comme Reporterre sont nombreux, puissants, et ne peuvent se résumer à une bande l’illuminés survivalistes (j’espère que les intéressés me pardonneront le mot d’illuminés, qui est sans doute excessif).
Si on admet, comme je le fais, que les écologistes fédèrent bien au delà de l’univers des survivalistes, il faut bien admettre l’une de ces deux alternatives :
– les écologistes, dans leur majorité, aspireraient philosophiquement à vivre comme au moyen âge, mais vivent une contradiction interne en refusant à titre individuel d’aller vivre au fond des bois,
– les écologistes, dans leur majorité, ne souhaitent pas revenir au moyen-âge, mais renoncent à toute cohérence intellectuelle, en refusant également tout ce qui permet de ne pas retourner au moyen âge.
Dans les deux cas, ils vivent une incohérence : soit une incohérence entre leur souhait politique et leur mode de vie au quotidien. Soit une contradiction interne à leur pensée, avec un gros problème de cohérence interne.
Je suis assez indulgent avec les personnes qui font preuves d’incohérence entre leur mode de vie et leur idéologie (ainsi, on peut être philosophiquement pour la collectivisation des moyens de production, et essayer de faire fortune avec les règles telles qu’elles existent). Mais pas avec la seconde catégorie, dont la pensée elle même n’a pas de cohérence interne.
Malheureusement, des discussions que j’ai eu avec des écolos de cette tendance, aucun ne semble soupconner que leurs politiques amèrerait à devoir modifier son mode de vie autrement que de manière marginale.
Beaucoup sont même convaincus qu’ils ont déjà adopté le mode de vie post-transition, simplement parcequ’ils consomment des produits bio, vont travailler en vélo, sont abonnés à un fournisseur d’électricité verte, et prennent des douches au lieu de prendre des bains…
C’est un problème de défaut de raisonnement, à mon sens. Pas un problème de volonté de retour au moyen âge.
@ Vincent
[Certains survivalistes ou autres marginaux souhaitent peut-être la disparition de l’humanité pour assouvir leur rêve de revenir à l’âge de pierre (ou à la rigueur à l’antiquité, les technologies agricoles ou de transport n’ayant pas évolué entre l’antiquité et le moyen âge). Mais vous ne m’enlèverez pas de l’esprit que tous les écologistes ne sont pas réactionnaires à ce point.]
Explicitement, non. Mais implicitement, je persiste et signe, oui. Le problème, c’est que même les écologistes qui disent ne pas vouloir retourner à l’antiquité proposent comme idéal un mode de production qui nous ramène à l’antiquité. Prenons l’exemple des « circuits courts ». On peut imaginer qu’on mange des tomates cultivés dans un rayon de cinquante kilomètres de votre maison (à condition bien entendu de ne les consommer qu’en saison ou en conserve). Mais est-ce possible d’imaginer que chacun de nous utilise des ordinateurs, des machines à laver, des téléphones portables, des voitures ou des carburants produits dans un rayon de cinquante kilomètres ? Non, bien entendu. En matière industrielle, la productivité est intimement liée à la concentration des moyens et donc à la production de masse. Si l’on faisait fabriquer notre téléphone portable par un artisan local, il serait tellement cher que nous ne pourrions plus nous l’offrir.
Les écologistes ne disent pas tous qu’ils veulent revenir à l’antiquité. Mais ils disent qu’ils veulent revenir au circuit court, à la production artisanale… et cela implique comme conséquence le retour à l’antiquité !
[Les soutiens de sites comme Reporterre sont nombreux, puissants, et ne peuvent se résumer à une bande l’illuminés survivalistes (j’espère que les intéressés me pardonneront le mot d’illuminés, qui est sans doute excessif). Si on admet, comme je le fais, que les écologistes fédèrent bien au delà de l’univers des survivalistes, il faut bien admettre l’une de ces deux alternatives :
– les écologistes, dans leur majorité, aspireraient philosophiquement à vivre comme au moyen âge, mais vivent une contradiction interne en refusant à titre individuel d’aller vivre au fond des bois,
– les écologistes, dans leur majorité, ne souhaitent pas revenir au moyen-âge, mais renoncent à toute cohérence intellectuelle, en refusant également tout ce qui permet de ne pas retourner au moyen âge.]
Vous avez oublié une troisième possibilité. Que le discours écologiste ne soit qu’un discours d’intention et non de réalité. En d’autres termes, que le but du discours écologiste soit de permettre à des gens de communier autour d’une utopie que personne ne souhaite vraiment voir réaliser, mais qui leur permet de se donner bonne conscience. Les écologistes veulent vivre comme au moyen-âge, non pas le moyen-âge réel, mais un moyen âge idéalisé. Un moyen âge où l’on tire l’eau du puits, on mange les légumes du jardin, on achète chez l’artisan et on connaît tout le monde dans le village, mais sans les pestes, les famines et les chasses aux sorcières. Que cette utopie soit impossible n’est pas un problème, puisqu’il ne s’agit pas de la réaliser.
[Malheureusement, des discussions que j’ai eu avec des écolos de cette tendance, aucun ne semble soupçonner que leurs politiques amènerait à devoir modifier son mode de vie autrement que de manière marginale.]
Je pense qu’au contraire, ils sont parfaitement conscients de ce problème. Et c’est pourquoi ils font tout ce qu’ils peuvent pour ne jamais se trouver en situation de devoir mettre en œuvre leurs politiques. Pour moi, les écologistes n’arriveront jamais au pouvoir non parce qu’ils ne le peuvent pas, mais parce qu’ils ne le veulent pas. Les guerres civiles permanentes qui agitent le monde écologiste en sont pour moi la meilleure illustration. Si ces gens-là voulaient gouverner, ils trouveraient des compromis. S’ils ne les trouvent pas, c’est parce qu’au fond ils ne tiennent pas à se confronter à la réalité, à se trouver en situation de rendre EFFECTIVES ces politiques.
@louis
Par “garder valeur de manifeste”, j’entends simplement qu’on pose que sa propre violence manifeste l’illégitimité du pouvoir, ou de telle institution. Quand les anarchistes ont théorisé la “propagande par le fait”, ils avaient une idée de ce genre.
L’idée vaut ce qu’elle vaut, mais il n’est pas surprenant qu’elle réapparaisse même en dehors de l’anarchisme en des moments de crise de légitimité. La particularité “Black bloc”, proche des anarchistes sur ce point, c’est de n’avoir pas besoin d’un effondrement comme celui de 40 pour estimer qu’on est à une telle crise.
Je soupçonne chez certains l’incapacité à donner une réalité à la légitimité parce qu’elle n’est pas un fait positif comme la loi, fixée dans des textes. Ils sont peut être le versant contestataire de l’attitude dite “positivisme juridique” par certains auteurs. Pour ceux-ci les textes existent seuls et doivent régner parce qu’ils sont la loi, sans référence à une légitimité. Donc simplement régner de fait. C’est affaire de police.
Pour nos athlètes de rue, il n’existe que les textes et pas de légitimité, tout au plus la légitimation, par principe idéologique et faussaire, du pouvoir. Reconnaitre une légitimité quelconque, ce serait d’une certaine façon retomber dans l’esprit religieux, on ne les y prendra pas.
Salutations.
@ Geo
[Par “garder valeur de manifeste”, j’entends simplement qu’on pose que sa propre violence manifeste l’illégitimité du pouvoir, ou de telle institution. Quand les anarchistes ont théorisé la “propagande par le fait”, ils avaient une idée de ce genre.]
Je pense que vous faites un petit contresens. La « propagande par le fait » ne visait pas tant à manifester « l’illégitimité du pouvoir » que sa faiblesse. En d’autres termes, c’était un moyen de mettre en évidence l’incapacité du pouvoir de contrôler le mouvement contestataire, et à ce titre un encouragement à l’action. C’est moins une question de « légitimité » qu’une question de « possibilité » : la bombe ne démontre pas que le pouvoir est illégitime, elle montre qu’il est possible de lui porter des coups.
On voit d’ailleurs aujourd’hui le prolongement de cette idée. Ceux qui aujourd’hui défendent le recours à la violence parlent de l’inutilité des « promenades Bastille-Nation », et du fait que la violence permet effectivement de se faire entendre. La question de la légitimité n’est même pas abordée.
[L’idée vaut ce qu’elle vaut, mais il n’est pas surprenant qu’elle réapparaisse même en dehors de l’anarchisme en des moments de crise de légitimité. La particularité “Black bloc”, proche des anarchistes sur ce point, c’est de n’avoir pas besoin d’un effondrement comme celui de 40 pour estimer qu’on est à une telle crise.]
Pardon, mais où voyez-vous une « crise de légitimité » ? L’immense majorité de nos concitoyens obéit aux lois et règlements. Seule une petite minorité conteste le fait que les lois votées par le Parlement ou les décrets faits par le gouvernement doivent être exécutés. L’essentiel de nos concitoyens confie ses enfants à l’école, leur santé aux hôpitaux, déclare ses impôts et les paye. Comment concilier une telle discipline avec cette « crise de légitimité » dont on nous rabat les oreilles ?
Il faut faire attention de ne pas se faire intoxiquer par les discours médiatiques – ou par nos propres désirs de voir une réalité autre que celle qui est. Le leitmotiv de la « crise de légitimité » est propagé par tous ceux qui veulent faire la peau à l’esprit de la Vème République (qu’on pourrait résumer en parlant d’un régime ou le gouvernant a de véritables pouvoirs et donc une véritable responsabilité) pour revenir aux régimes d’impuissance et donc d’irresponsabilité qui ont si bien montré leur efficacité en 1940 et en 1958.
On peut parler d’une « crise de confiance » qui touche une bonne partie de nos institutions. Mais la confiance et la légitimité sont deux choses très différentes.
[Je soupçonne chez certains l’incapacité à donner une réalité à la légitimité parce qu’elle n’est pas un fait positif comme la loi, fixée dans des textes. Ils sont peut être le versant contestataire de l’attitude dite “positivisme juridique” par certains auteurs. Pour ceux-ci les textes existent seuls et doivent régner parce qu’ils sont la loi, sans référence à une légitimité. Donc simplement régner de fait. C’est affaire de police.]
Je ne vois pas le rapport avec le positivisme juridique. Attribuer à ce courant l’idée que les textes « doivent régner » est un contresens : les positivistes estiment que le droit doit étudier les règles telles qu’elles sont écrites et appliquées, et exclure tout jugement de valeur, de ce qui « doit » ou « ne doit pas » être. En d’autres termes, la question de savoir s’il faut ou non appliquer la loi est pour eux exclue du champ du droit.
[Pour nos athlètes de rue, il n’existe que les textes et pas de légitimité, tout au plus la légitimation, par principe idéologique et faussaire, du pouvoir. Reconnaitre une légitimité quelconque, ce serait d’une certaine façon retomber dans l’esprit religieux, on ne les y prendra pas.]
Je pense que vous leur faites bien d’honneur. Je pense que pour « nos athlètes de rue », il existe bien une légitimité, celle du « parce que je veux ». Le désir individuel est la seule légitimité. Si j’ai envie de taper sur un policier, si j’ai envie de mettre le feu à un magasin – après l’avoir pillé – l’acte devient légitime par la simple raison qu’il est désiré.
[Je pense que pour « nos athlètes de rue », il existe bien une légitimité, celle du « parce que je veux ». Le désir individuel est la seule légitimité. Si j’ai envie de taper sur un policier, si j’ai envie de mettre le feu à un magasin – après l’avoir pillé – l’acte devient légitime par la simple raison qu’il est désiré.]
Mais on ne voit pas très bien la différence entre cette légitimité et pas de légitimité du tout. On revient au cynisme intégral dont vous signaliez plus haut la difficulté (même si plus esthétique qu’arriviste dans ce cas). Quelle supériorité leur resterait-il sur le type qui s’éclate en ratonnant?
Or ils tiennent beaucoup à cette supériorité. Je crois cela sans les avoir interrogés, il est vrai.
Mais je n’imagine pas l’un d’eux dire qu’un raciste a le droit à se divertir par le lynchage s’il en a l’opportunité, ce qui serait être logique avec la légitimation par le seul désir.
@ Geo
[« Je pense que pour « nos athlètes de rue », il existe bien une légitimité, celle du « parce que je veux ». Le désir individuel est la seule légitimité. Si j’ai envie de taper sur un policier, si j’ai envie de mettre le feu à un magasin – après l’avoir pillé – l’acte devient légitime par la simple raison qu’il est désiré. » Mais on ne voit pas très bien la différence entre cette légitimité et pas de légitimité du tout.]
La différence se trouve dans la construction idéologique qui est derrière, et qui permet de présenter cet acte de pur égoïsme comme un acte libérateur non seulement pour celui qui le commet, mais pour l’ensemble de la société. Le slogan « jouir sans entraves » peut paraître du pur égoïsme si on le regarde hors de son contexte. Mais pour ceux qui le proclamaient, cette « jouissance sans entraves » de chacun contribuait à la construction d’une société meilleure, débarrassée des conventions, des hypocrisies et des aliénations sociales. C’est cet appareil théorique qui permet de transformer subjectivement un voyou en « révolutionnaire ».
[On revient au cynisme intégral dont vous signaliez plus haut la difficulté (même si plus esthétique qu’arriviste dans ce cas). Quelle supériorité leur resterait-il sur le type qui s’éclate en ratonnant ?]
La « ratonnade », dans sa forme classique, ne se présente pas comme un acte militant. C’est l’éruption violente d’un conflit entre deux communautés pour l’occupation d’un terrain réel ou symbolique. Ceux qui y participent ont d’ailleurs généralement conscience de mal faire – c’est pourquoi elles sont souvent le fait de personnes fortement alcoolisées. Elle est en général secrète, et ne prend que très rarement un caractère d’exhibition esthétique. La supériorité du « black bloc » réside précisément dans cette vocation esthétique et exhibitionniste. Le « black bloc » est un artiste de la violence.
@Descartes @National.e @ …
Cette Europe là, oui !
“…A ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas…”
https://www.videomusicalis.com/eu/component/melomania/video/20401-ell-cant-dels-ocells?Itemid=130&filter_autor=155
variation instrumentale :
El Cant dels Ocells – Pau Terol i Gerard Marsal – YouTube
Victoria de les Angeles :
https://www.youtube.com/watch?v=RZKYpQnkqdc&list=RDRZKYpQnkqdc&start_radio=1&t=179
@ Rienspasmoins
[Cette Europe là, oui ! “…A ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas…”]
Je rappelle que ce blog est un lieu d’échange et de débats, et pas un lieu ou défiler sa “playlist”…
Joyeux Noël à toute la communauté Descartes et bien sûr à notre hôte.
Malgré toutes les petites misères, souvent très relatives que chacun peut subir ou imaginer, saluons comme il se doit, par simple objectivité, l’immense chance et félicité de vivre dans notre beau pays.