Les barbares sont à nos portes. Je ne parle bien entendu pas du FN, pas plus que des islamistes et autres intégristes de tout poil. Non. Nous sommes menacés par une barbarie bien plus insidieuse mais beaucoup plus dangereuse. Celle qui dérive de la superficialité et de l’ignorance de nos soi-disant « élites » (1). Bien entendu, on a tous tendance l’âge aidant à tomber dans le travers du « c’était mieux avant ». Je ne sais pas. Peut-être que les politiciens et les « maîtres à penser » de la génération précédente n’étaient finalement pas plus savants que ceux d’aujourd’hui. Mais en tout cas, ils faisaient au moins un petit effort pour cacher leur inculture.
Vous voulez une illustration ? Et bien… prenons l’intervention d’André Vallini, qui assume les hautes fonctions de secrétaire d’Etat à la réforme territoriale, à faite dans la matinale de France Inter mercredi dernier. Répondant au démographe Hervé Le Bras qui lui signalait combien la réforme proposée par François Hollande faisait violence aux hiérarchies démographiques et urbaines, Vallini eut ce mot – que je cite de mémoire : « la démographie, l’histoire, c’est très joli, mais moi le passé ne m’intéresse pas, moi je m’occupe de la France du XXIème siècle ».
Comment un homme politique qui prétend réformer la manière dont le territoire français est organisé peut dire pareille chose ? Comment pourrait-on imaginer un instant qu’on puisse imposer à la France une organisation territoriale en faisant abstraction de la longue histoire qui, de la romanité au moyen-âge, de la renaissance à la Révolution, de l’Empire à la troisième République, de la Libération au traité de Lisbonne, ont façonné nos territoires et les institutions qui leur sont attachées ? La remarque de Vallini, c’est l’idée que l’on peut ignorer tout ce qui s’est passé avant nous ou, pour le dire autrement, que l’histoire commence avec nous. C’est là le début de la véritable barbarie.
Les cimetières sont pleins des gens qui pensaient pouvoir faire « table rase » du passé, et que le passé a dépassé. L’erreur de tous ces gens, c’est de ne pas comprendre que si nous voyons plus loin que les générations qui nous ont précédé, c’est que nous sommes assis sur leurs épaules. Et que vouloir en descendre nous condamne à tout recommencer. Par bonheur, l’histoire s’impose à nous malgré tous les efforts pour essayer de l’écarter. La Révolution et l’Empire voulaient faire du nouveau en créant départements et préfets, elles n’ont fait que réaliser la vision que Richelieu et Louis XIV avaient caressé, mais qu’ils n’avaient pas eu les moyens de réaliser. La Révolution de 1917 a rapidement buté sur le fait que le peuple russe avait besoin à la tête de l’Etat d’une figure symbolique toute-puissante, à la fois paternelle et terrible. Chaque peuple se construit les institutions qui correspondent à son histoire et à son fonctionnement social, et il est très présomptueux de croire qu’on peut les modifier arbitrairement en pensant exclusivement « au XXIème siècle ».
Cela ne veut pas dire pour autant qu’on ne puisse pas réfléchir à des améliorations de notre organisation administrative et démocratique des territoires. Mais cette réflexion implique, avant de se demander ce que l’on veut obtenir, de regarder le système tel qu’il est. Car ce qui existe a généralement une très bonne raison d’exister. Si l’on a créé tout un « mille-feuilles » de collectivités aux compétences enchevêtrés, ce n’est pas parce que nos prédécesseurs étaient plus bêtes que nous – même si chaque génération veut croire qu’elle est plus intelligente que la précédente – mais parce que cette organisation remplit un certain nombre de fonctions. Avant de toucher à quoi que ce soit, il faut comprendre ce fonctionnement.
Pour commencer, il faut éviter une confusion très courante, celle qui existe entre une collectivité territoriale et une circonscription administrative. Qu’est ce que c’est qu’une circonscription administrative ? C’est un territoire délimité à l’intérieur duquel une autorité administrative donnée exerce son autorité. Ainsi, par exemple, une académie est la circonscription administrative à l’intérieur de laquelle s’exerce l’autorité d’un recteur. Mais une académie n’est pas une collectivité territoriale. La différence entre la circonscription administrative et la collectivité territoriale est la nature de l’autorité dont elle est le siège. Dans la circonscription, cette autorité est nommée dans le cadre d’une hiérarchie administrative, dans la collectivité elle est directement issue du suffrage universel (2). Dans la division territoriale s’imposent donc deux logiques différentes : celle la représentation politique, et celle de l’administration. D’un côté, il s’agit de diviser le territoire de manière à former des unités permettant la bonne représentation des citoyens dans la prise des décisions qui les concernent, dans l’autre, de diviser le territoire dans des unités dimensionnées pour permettre sa bonne administration.
Mais il ne faut pas oublier une autre constante de notre histoire – en fait, de l’histoire européenne – qui est celle de la lutte permanente entre le pouvoir central et les « grands » locaux, entre le tsar et les boyards, l’Empereur et les électeurs, le Roi let les princes. Dans chaque pays, cette lutte s’est manifestée d’une manière différente. En Angleterre, ce sont les Barons qui apparaissent comme les défenseurs des droits du sujet – on ne disait pas encore citoyen – contre l’arbitraire d’un pouvoir central souvent exercé d’ailleurs de et par un étranger. En France, au contraire, la nation se constitue autour d’un Etat central qui se fait le défenseur de l’homme commun contre la rapacité et l’incompétence des « grands » locaux. Et c’est pourquoi le découpage territorial français opéré par la Révolution et l’Empire mais inspiré des structures préexistantes a cherché à assurer un maillage administratif serré du territoire permettant au citoyen d’accéder directement aux représentants de l’Etat central sans avoir à passer par des corps intermédiaires.
La commune et le département sont les héritiers de cette logique. Prenons la commune d’abord : sa légitimité repose sur une logique de voisinage : la commune est une sorte de copropriété dont le maire est le syndic. Les citoyens communaux sont avant tout des voisins, et la commune gère les conflits et les travaux qui relèvent du voisinage. Cette fonction est si naturelle qu’elle existe partout dans le monde, et depuis des temps fort anciens (3). Mais en France la commune a une particularité : si le maire est un officier municipal, c’est aussi un agent de l’Etat central soumis à la discipline des fonctionnaires. S’il administre librement sa commune dans les domaines qui relèvent du municipal, il est soumis à une discipline stricte en ce qui concerne les fonctions qui lui sont délégués par l’Etat : en tant qu’officier d’Etat civil, en tant qu’officier de police judiciaire, il n’a aucune liberté.
Le département, c’est la même logique sous une forme différente. Ici, les fonctions relevant de l’Etat et celles laissées aux représentants du suffrage universel sont séparées, les premières étant dans les mains d’un préfet nommé par le pouvoir central et représentant l’Etat dans le département, les secondes dans celles d’un président de conseil général désigné et contrôlé par une assemblée élue.
On voit dans ces deux collectivités la logique du système français. Elles sont administrées par des autorités issues du suffrage local, mais l’Etat central est présent dans un maillage serré de fonctionnaires investis de larges pouvoirs de contrôle sur ces « notables ». Des fonctionnaires venus « de l’extérieur » et n’ayant aucun intérêt au niveau local, auxquels le citoyen a un accès immédiat. C’est cette logique qui a permis d’empêcher – ou du moins d’entraver – la constitution de féodalités locales et de favoriser le brassage des populations en assurant à chaque citoyen les mêmes droits quelque soit le point du territoire où il se trouve. On comprend alors pourquoi les « notables » n’ont pas tari d’efforts depuis 1789 pour affaiblir le contrôle de l’Etat et reconstituer les féodalités à leur profit. De ce point de vue, les lois de décentralisation » de 1983 – impulsées par Gaston Deferre, grand féodal du sud – ont marqué le début d’un long processus de destruction du modèle jacobin que je viens de décrire. Même si l’on renonce assez vite à l’idée de supprimer les préfets – rappelons que c’était l’une des propositions du président Mitterrand – on fait ce qu’il faut pour contenter les potentats locaux. Avec les résultats qu’on pouvait prévoir : les deux décennies qui suivent sont marqués par les scandales de surendettement, par la multiplication du clientélisme et le recours à des « bureaux d’étude » plus ou moins opaques pour faire passer de l’argent public dans les poches privées.
Comme toute révolution – ou plutôt contre-révolution, dans le cas d’espèce – la « décentralisation » avait besoin d’une idéologie. Cette idéologie, ce fut la « proximité ». En 1983, les partisans du retour à la féodalité nous ont expliqué longuement qu’il fallait « rapprocher la décision du citoyen ». En donnant plus de pouvoir aux maires, on allait rendre le système plus démocratique et plus attentif aux besoins du citoyen que si les décisions étaient prises par un fonctionnaire venu de l’extérieur. Seulement, les partisans de cette théorie ont oublié que si les élus locaux sont plus sensibles aux besoins des électeurs, ils sont aussi plus exposés aux pressions des lobbies et aux tentations corruptrices des intérêts économiques.
Mais surtout, on a caché aux citoyens le fait qu’il s’agissait d’un dispositif à double détente. Une fois les pouvoirs de l’Etat dilués dans 36000 communes, on pourrait commencer un processus de concentration de ces pouvoirs non pas dans les mains de l’Etat, mais dans les mains des « potentats » locaux. On n’avait pas fini de redonner du pouvoir aux communes qu’on s’inquiétait déjà de leur nombre, et qu’on cherchait à les regrouper dans des structures intercommunales consacrant le pouvoir des « grands élus ». On n’avait pas fini de donner des pouvoirs aux conseils généraux que déjà on trouvait les départements trop nombreux et qu’on favorisait le transfert de ces pouvoirs à une nouvelle collectivité, la région, dont le président devenait un véritable « prince » capable de négocier directement avec l’Europe par-dessus la tête de l’Etat.
La décentralisation initiée en 1982-83 a donné aux féodaux le pouvoir tout en les dispensant de prendre la moindre responsabilité. Car si ces potentats peuvent dépenser en grand – et se constituer ainsi des clientèles – ils n’ont pas à assumer l’impopularité du prélèvement. C’est l’Etat – ce pelé, ce galeux – qui s’en charge et qui assume donc la responsabilité. Car c’est là une autre caractéristique essentielle de notre découpage territorial : nos collectivités territoriales dépensent d’abord et avant tout des dotations servies par le trésor national, qui représentent selon les collectivités entre trois-quarts et neuf-dixièmes de la dépense. La dépense financée par leur fiscalité propre est donc largement minoritaire.
Avant 1982, nous avions un système cohérent fondé sur deux types de collectivités – la commune et le département – qui étaient aussi des circonscriptions d’action administrative de l’Etat. Les régions n’étaient, elles, que des établissements publics permettant une coordination entre les différents départements lorsque cela semblait nécessaire. Ces collectivités avaient une légitimité propre, celle de la proximité pour le premier, celle de l’accès direct aux représentants de l’Etat pour le second. Une légitimité fondée sur des véritables besoins, et dont on peut encore aujourd’hui constater la vitalité dans le refus des citoyens de les voir disparaître – il n’est pas inutile de rappeler ici que tous les référendums locaux pour la fusion de départements se sont jusqu’ici soldés par des échecs, et que toutes les tentatives de réduire le nombre de communes par fusion ont rencontré un succès mitigé. Depuis 1983, on a rajouté à ces collectivités de base toute une quantité de collectivités ou quasi-collectivités qui ont rendu le système incompréhensible : pays, communautés de communes, communautés d’agglomération, métropoles, régions. Dont on notera qu’aucune n’emporte une véritable légitimité populaire : la meilleure preuve en est qu’on peut les constituer, les dissoudre ou en modifier les frontières dans la plus parfaite indifférence des citoyens, qui lorsqu’il sont informés ne se posent qu’une seule question : « est ce qu’il faudra payer plus d’impôts ».
De toutes ces collectivités d’opérette, la plus notable est la région. Créée en 1972 en tant que circonscription administrative à laquelle est attaché un établissement public de coopération, elle est transformée en collectivité territoriale par les lois de décentralisation de 1982-83. Elle illustre à la perfection l’hypocrisie derrière l’argument de la « proximité ». Supposée « rapprocher la décision des citoyens » en reprenant des compétences de l’Etat et en les exerçant plus démocratiquement que ne le ferait un préfet, elle se constitue très vite en féodalité, cherchant non pas à rapprocher les décisions des citoyens, mais au contraire à les en éloigner en reprenant à son compte les compétences des communes et des départements. Cette reprise en main, dont on voit aujourd’hui la consécration, montre quelle est la logique implicite derrière la décentralisation. Loin de diluer le pouvoir central au plus près des citoyens, elle aboutit au contraire à le concentrer dans les mains de vingt-deux – et bientôt quatorze – grands potentats.
Et comment justifie-t-on cette « révolution » ? Par l’invocation du principe sacré des « économies », qui semble avoir substitué celui de la « proximité ». Economies que personne n’arrive vraiment à justifier. Tout simplement parce qu’elles sont négligeables. Les régions actuelles sont déjà assez grosses pour que les gains d’échelle suite à la fusion soient négligeables (4). Une région qui gère 200 collèges ne serait pas plus économique que deux départements qui en gèrent 100 chacun. Et le fait de transférer l’aide sociale des départements aux régions ne fera disparaître aucune dépense : il faudra toujours verser les mêmes sommes aux mêmes ayant-droit, et installer des délégations pour permettre à ceux-ci d’accéder au service. Parce que personne n’imagine que les titulaires du RSA vont faire 400 km pour se rendre à la capitale de région lorsqu’ils ont une difficulté. La seule économie, ce sera celle des frais de fonctionnement des assemblées élues supprimées. Et encore : on peut supposer que pour permettre une représentation convenable, il faudra augmenter l’effectif de l’assemblée « fusionnée ». Cela fera quelques millions d’économies tout au plus. Pas de quoi pavoiser. Mais à supposer même qu’on puisse ainsi faire des économies… il n’est pas inutile de s’interroger sur la légitimité de celles-ci. Même si on peut économiser de l’argent en fusionnant des communes, est-ce pour autant la bonne solution ? Après tout, ce sont les citoyens qui payent les impôts et qui jugent leurs besoins. Et si les citoyens sont prêts à payer pour avoir un édile proche d’eux qui s’occupe de leurs problèmes, de quel droit va-t-on leur dire qu’on leur supprime parce qu’il est plus « économique » de gérer ces affaires par internet ?
Je me répète : la réforme régionale telle qu’elle est proposée est une deuxième phase de la décentralisation, très différente de la première. En 1983, il s’agissait, avec le prétexte de « rapprocher le pouvoir des citoyens » de faire plaisir aux comtes et vicomtes qui constituent les féodalités municipales. En 2014, il s’agit au contraire de reconcentrer le pouvoir dans les mains des ducs et des princes qui constituent les féodalités régionales . Avec les métropoles, on transfère les compétences de proximité des maires vers un niveau plus haut et donc plus éloigné. Même chose avec la fusion des régions et la « dévitalisation » des départements. On assiste à une logique de recentralisation, non pas au bénéfice de l’Etat, mais contre lui, par la création d’unités territoriales de grande taille pouvant lui disputer le pouvoir. C’est la logique des « régions euro-compatibles » dans toute sa beauté. On va donc « dévitaliser » les structures de proximité, ayant une légitimité démocratique et historique et un rapport direct de coopération avec l’Etat, pour transférer le pouvoir à des structures lointaines, peu légitimes et construites en opposition à ce dernier.
On le voit, chez nous la Fronde reprend dès que le pouvoir central montre sa faiblesse. Et la manière dont la proposition de réforme des régions s’est construite le montre bien. On nous annonce une « réforme fondamentale » qui « changera la manière dont la France est gouvernée pour des décennies », et à la fin, comment cette réforme se construit-elle ? Dans des négociations d’antichambre avec les « grands » du royaume, le Duc de Bretagne refusant que sa région soit confondue avec celle du Duc des Pays de Loire dont les territoires étaient convoités à son tour par la Princesse du Poitou, pendant que la Princesse du Nord refusant de prendre en charge les pauvres de Picardie, et ainsi de suite. Avez-vous entendu dans ce débat des considérations sur la bonne administration des territoires ? Des arguments tenant à la cohérence des bassins d’emploi et d’activité économique ? Des propositions fondées sur l’identité historique ou politique (5) ? Bien sur que non. Les négociations obscures qui ont abouti au découpage hollandien n’ont rien à voir avec un débat républicain. Elles poussent l’analogie féodale jusqu’au ridicule. Il ne manque plus qu’une proposition de mariage de Ségolène Royal à Jacques Auxiette pour sceller l’union du Poitou-Charentes et des Pays de la Loire…
Oui, notre mille-feuilles a besoin de réforme. Mais d’une vraie réforme, qui lui redonne la cohérence perdue dans les décentralisations successives de l’après 1983. Une réforme respectueuse de notre histoire, qui viserait a améliorer l’administration et la représentation de nos concitoyens, et non à satisfaire la folie des grandeurs des « notables » locaux qui les conduit à chercher à chasser l’Etat des territoires. La commune doit rester le fondement d’une représentation de proximité, ce qui n’empêche pas de créer des structures qui permettent aux communes de travailler ensemble et de mutualiser des services lorsque la géographie et l’histoire locale le permettent. Le département doit rester la circonscription de base pour l’action de l’Etat, et le statut des conseils généraux doit être aménagé pour les rendre véritablement représentatifs des intérêts locaux, notamment dans les départements urbains. Les régions, dont l’utilité est fort discutable, pourraient être supprimées en tant que collectivités territoriales, et devenir des simples circonscriptions administratives pour couper toute velléité de se constituer en principautés.
Bien préparé, le mille-feuilles est une pâtisserie absolument délicieuse. Dommage que celui qu’on nous prépare soit aussi indigeste…
Descartes
(1) Et j’insiste sur le « soi-disant ». Je ne parle pas des véritables élites, celles qui font fonctionner dans l’indifférence générale nos administrations, nos entreprises, nos universités. Je parle de ces fausses élites qui trustent les postes de décision et les porte-voix médiatiques. Celles qui empêchent les véritables élites de travailler.
(2) La confusion vient en partie du fait que certaines unités sont en même temps circonscription administrative et collectivité territoriale. Ainsi, par exemple, le département est la circonscription administrative de base de l’action de l’Etat sous l’autorité du préfet, mais c’est aussi une collectivité territoriale qui s’administre sous l’autorité du Conseil général. C’est encore plus confus pour la commune, puisque le maire exerce certaines compétences – l’Etat civil, par exemple – en tant que délégué de l’Etat alors qu’il en exerce d’autres – celles d’organisation de la vie communale – en tant qu’élu.
(3) Et ne vous laissez pas tromper par ceux qui vous racontent que chez nos voisins les communes sont moins nombreuses. Pour arriver à ce résultat, on appelle « commune » les structures intermédiaires – équivalentes à nos intercommunalités – telles que les « cities » ou « boroughs » en Angleterre, en oubliant qu’il existe des structures élues plus petites, les « parishes » (paroisses) qui remplissent la fonction de proximité.
(4) Il n’est pas inutile de tuer ici quelques idées fausses. On nous bassine en permanence avec l’exemple allemand, mais on oublie souvent que les Länder allemands sont souvent plus petits que les régions françaises. Ainsi, si l’on prend les surfaces, l’Allemagne compte quatre Länder – Sarre, Berlin, Hambourg, Brême – plus petits que la plus petite des régions métropolitaines françaises ( l’Alsace, 8000 km2), alors que la plus grande des régions métropolitaines françaises ( Midi-Pyrenées, 47000 km2) n’est dépassée que par un seul Länd allemand, la Bavière. Si l’on prend la population, on retrouve des résultats semblables : la région métropolitaine la moins peuplée (Limousin, 700.000 hab) dépasse le Länd le moins peuplé (Brême, 660.000 hab) alors que la région la plus peuplée (Ile de France, 11 M) n’est dépassé que par deux Länder allemands (Bavière, Rhénanie-Westphalie), et cela alors que la population allemande est de 20% supérieur à la française…
(5) On remarquera combien ce débat montre l’artificialité des « identités régionales ». La réforme proposée voit disparaître la région Alsace, l’une des celles dont on peut dire qu’elle a une véritable « personnalité » en termes culturels, linguistique et même juridique, puisqu’elle a conservé un « droit local », témoignage d’une histoire mouvementée. Les franc-comtois ne doivent pas être si différents des bourguignons, puisqu’ils peuvent faire région commune. Et ainsi de suite. Je me souviens avoir beaucoup rigolé en voyant une affiche ou l’on pouvait lire « Région PACA, mon identité ». L’indifférence avec laquelle la population accueille ce découpage montre combien ces gesticulations sont ridicules. A propos, ce serait quoi le gentilé pour la « région PACA » ?
Bonjour Descartes !
Merci pour cet article.
Premièrement je suis troublé par le fait que cette réforme soit annoncée au lendemain d’une débâcle électorale !
En quoi la réforme territoriale répond-elle au message adressé par les Français ? En rien ! Cela ne va pas réduire le chômage. Cela ne va changer la construction européenne. J’ai l’impression qu’il fallait trouver quelque chose pour occuper le terrain médiatique et que le parti socialiste n’avait rien d’autre à proposer.
Ensuite, vous avez raison de souligner que la logique de ces regroupements n’est pas claire. Et en plus il n’y a pas de grande concertation nationale.
C’est le retour des baronnies !
Je ne sais pas pourquoi cet article n’a qu’un commentaire. Tu sais, je ne commente que lorsque j’ai quelque chose à redire – le plus souvent des points de détail, mais je vais faire une exception, car je crois que c’est un de tes meilleurs articles.
Tu arrives à faire une "clef de bras" simultanée à deux discours que l’on entend très souvent : premièrement, comme tu l’écris, les idées du type qu’a tenu Vallini, une France qui serait différente du passé : c’est à dire, si l’on pousse le raisonnement, une France qui serait chaque jour nouvelle en tout, et dans ces conditions, il faudrait trouver un modèle de "gouvernance" technocratique partout applicable, choisi selon son "efficience". Étant donné le tropisme germanique marqué de notre classe politique*, nous essayons de refaire l’Allemagne, comme si les modèles politique et économique allemands étaient hors-sol et applicables et souhaitables partout.
Deuxièmement, tu renforce l’argumentation contre la disparition du département, toujours en te référant à l’histoire : c’est à mon avis le point le plus important. Bien souvent, je suis assez déçu par les tracts que je lis, les discours que j’entends à ce sujet ; non pas que je sois en désaccord avec les arguments, mais c’est bien souvent incomplet. Ça tourne autour des arguments "les départements c’est le social" ou "les départements c’est les traditions" ou encore "les départements c’est la république". En fait, tu donnes une profondeur historique au sujet, et tu rends en même temps l’Histoire terriblement actuelle, notamment en écrivant :
>C’est cette logique qui a permis d’empêcher – ou du moins d’entraver – la constitution de féodalités locales et de favoriser le brassage des populations en assurant à chaque citoyen les mêmes droits quelque soit le point du territoire où il se trouve. On comprend alors pourquoi les « notables » n’ont pas tari d’efforts depuis 1789 pour affaiblir le contrôle de l’Etat et reconstituer les féodalités à leur profit. De ce point de vue, les lois de décentralisation » de 1983 – impulsées par Gaston Deferre, grand féodal du sud – ont marqué le début d’un long processus de destruction du modèle jacobin que je viens de décrire. <
On relie les dimensions sociale, administrative, politique par l’histoire. Je ne sais pas dans quelle fédération tu militais, mais tu as du laisser des marques…
*Je me souviens du scandale qu’avait provoqué en France Montebourg lorsqu’il avait comparé Merkel à Bismarck, provoquant même une réponse de Sarkozy en conférence de presse. La condamnation de "germanophobie" était tombée de partout. Sauf que les allemands eux-mêmes n’avaient rien trouvé à redire : même Martin Schulz – c’est dire – n’avait même pas compris pourquoi il y avait polémique.
@ BolchoKek
[Je ne sais pas pourquoi cet article n’a qu’un commentaire.]
Je ne sais pas… quelquefois c’est comme ça, un article tombe à plat. Je ne sais pas, peut-être que le sujet n’intéresse personne…
[Tu arrives à faire une "clef de bras" simultanée à deux discours que l’on entend très souvent : premièrement, comme tu l’écris, les idées du type qu’a tenu Vallini, une France qui serait différente du passé : c’est à dire, si l’on pousse le raisonnement, une France qui serait chaque jour nouvelle en tout, et dans ces conditions, il faudrait trouver un modèle de "gouvernance" technocratique partout applicable, choisi selon son "efficience". Étant donné le tropisme germanique marqué de notre classe politique*, nous essayons de refaire l’Allemagne, comme si les modèles politique et économique allemands étaient hors-sol et applicables et souhaitables partout.]
Oui. Et j’avoue que je suis effrayé par la légèreté avec laquelle nos hommes politiques traitent des institutions qu’il a fallu beaucoup de temps, d’argent et de sang pour construire. Ce n’est pas que nos élites méprisent l’histoire, ils la méconnaissent. Et du coup, ils ont l’impression d’avoir inventé quelque chose de nouveau alors qu’ils ne font que répéter des arguments qui étaient déjà vieux en 1792. Cela touche tous les partis : il n’y a qu’à voir l’usage qui est fait du mot « inédit » au PCF. Toute situation est « inédite », et par conséquence irréductible à une expérience historique.
[On relie les dimensions sociale, administrative, politique par l’histoire.]
Oui. Pour moi, on ne peut faire de la politique sans se référer en permanence à l’histoire. C’est à mon avis la grande erreur des partis politiques aujourd’hui, et en particulier dans la gauche dite radicale : croire qu’on peut faire de la politique à coup de « propositions » ou de « revendications » sans les inscrire dans une histoire longue, celle du passée où elles sont nées et celle de l’avenir qu’elles sont censées préparer. « Votez pour moi et je vous donnerai telle ou telle chose », c’est le degré zéro de la politique.
[Je ne sais pas dans quelle fédération tu militais, mais tu as du laisser des marques…]
Oh… pas tant que ça. D’abord parce que les petits jeux de pouvoir au niveau fédéral entre « rénovateurs », « réfondateurs », « élus », « apparatchiks » et autres tribus m’ont toujours profondément ennuyé, et que du coup j’ai toujours été jugé trop « indépendant » et « incontrôlable » pour que l’une de ces tribus daigne me coopter au comité fédéral. J’avoue que je n’ai jamais fait des pieds et des mains pour y rentrer non plus. J’étais beaucoup plus intéressé par le travail dans ma section d’entreprise – qui malheureusement s’est cassée la gueule après mon départ – et ma cellule locale, fort active mais qui pour des raisons de géographie électorale n’avait aucune chance d’avoir un élu. J’ai trouvé toujours plus intéressants les débats avec les collègues au boulot ou avec les citoyens dans un porte-à-porte ou sur les marchés que les interminables réunions organisées par les apparatchiks de la fédération, espèces de magnétophones humains répétant inlassablement la bonne parole de leur « tribu » respective, et toujours à l’affût d’un poste ou d’un mandat.
Je ne mettais les pieds dans la Fédération que lors des conférences fédérales précédant les congrès. J’y ai fait quelques interventions qui ont laissé des traces dans les mémoires de quelques jeunes adhérents qui se souviennent encore. Il m’est arrivé même de présider une ou deux fois, les diverses « tribus » ayant besoin de quelqu’un de « neutre » capable de diriger une séance. Mais de là à « laisser des marques »…
Bonjour
Pour moi cette réforme est un peu bâclée. D’abord il n’y pas eu de vrai débat ni de rappel concernant l’histoire des régions en France. Il n’y a pas eu de questionnement bien profond sur ce que doit être une région au niveau administratif, géographique et économique, ni sur ce que doivent être ses compétences.
A mon sens il ne faut pas faire cette économie : http://www.blogactualite.org/2014/06/le-redecoupage-regional-en-france-12.html
Alors certes il faut économiser et c’est tout à fait louable, mais les régions sont elles les coupables ?
@ Vin
[Pour moi cette réforme est un peu bâclée. D’abord il n’y pas eu de vrai débat ni de rappel concernant l’histoire des régions en France. Il n’y a pas eu de questionnement bien profond sur ce que doit être une région au niveau administratif, géographique et économique, ni sur ce que doivent être ses compétences.]
Bien entendu. Mais à votre avis, pourquoi on ne fait pas ce travail ? Pourquoi le gouvernement – et le précédent c’était pareil – persiste en annoncer des mesures sans prendre le temps d’une véritable réflexion ?
Le problème est en fait très profond. Nous avons une élite politique pour qui l’annonce est tout, et la politique n’est rien.. On annonce une politique non parce qu’on pense qu’elle permettra au pays de mieux fonctionner, mais parce qu’on pense qu’elle fera plaisir à tel ou tel secteur de l’électorat. Et une fois annoncée, on réalise les problèmes et on se débrouille. Croyez-vous que quelqu’un se soit posé la question d’évaluer les conséquences économiques, sociales, technologiques de la réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique à 50% ? Bien sur que non. Hollande l’a promis parce qu’il fallait une annonce pour faire plaisir à une catégorie de son électorat. Et maintenant qu’il découvre l’étendue des dégâts potentiels, il cherche désespérément un moyen de vider son annonce de son contenu sans faire hurler les écologistes.
Avec les régions, c’est pareil. Il fallait à Hollande annoncer une « grande réforme » pour essayer de redonner vie à son quinquennat moribond. On annonce donc une « grande réforme ». Le but n’est pas que ça marche mieux, c’est de faire une annonce tonitruante tout en mécontentant un minimum de gens – surtout parmi les élus.
[Alors certes il faut économiser et c’est tout à fait louable, mais les régions sont elles les coupables ?]
Le problème des régions – en tant que collectivités territoriales, s’entend – est qu’elles ne servent à rien. La démocratie municipale a un sens, parce qu’il existe un « intérêt général » relatif à l’aménagement du cadre de vie de proximité, dont le conseil municipal est le représentant. La démocratie départementale a un sens, parce que le département est construit autour d’une « capitale » et de son arrière pays, et qu’il y a un « intérêt général » qui résulte de l’organisation de cet espace, d’autant plus que le département étant la circonscription d’action de l’Etat, les élus départementaux sont les représentants de la population devant les représentants de l’Etat central. Mais il n’existe pas de « intérêt général » distinct au niveau régional. Les régions sont trop grandes pour cela. Quel est l’intérêt commun qui lie le Niçois à l’Avignonnais, et qui serait différent de celui du Nîmois ?
Dès lors qu’il n’y a pas d’intérêt général régional, la démocratie régionale tourne à vide. Les élus régionaux ne portent aucun « intérêt général », ils ne sont qu’une addition d’intérêts particuliers – ceux de leurs communes, de leurs départements. Dans ces conditions, un préfet ferait aussi bien qu’un président élu.
Bonjour Descartes,
Bien qu’on ne puisse attribuer une intention délibérée (peut-être n’est-ce qu’un effet de la place prise par le spectacle dans le politique), toujours est-il que je constate depuis le début du mandat de F. Hollande que la plupart de ses réformes vont dans le sens de la destruction de ce qui fait institution. Tout va objectivement dans le sens de l’idéologie libérale: abolition des frontières, amoindrissement de l’autorité, indistinction ou non-reconnaissance de l’asymétrie. Les prétextes frisent l’angélisme. Pendant ce temps, les inégalités progressent là où sont mis à mal les mécanismes de solidarité. Aucun discours idéologique sensé être celui d’une gauche républicaine ne peut soutenir de telles prises de risques. Je trouve en outre que ça va très vite en ce moment.
J’apprécie ton discours, de manière générale, je le retrouve chez des personnalités politiques comme Chevènement ou Guaino, aussi chez Finkielkraut, mais quelle portée a actuellement ce discours, si aucune structure ne le soutient? Tu me diras que je fais l’impasse sur le FN, je ne fais simplement pas confiance à son patrimoine génétique. J’ose espérer qu’à terme, une analyse pertinente soit faite du politique de son suicide. Je ne pense pas être le seul à m’être abstenu plutôt que de voter FN, alors que je l’estimais comme le seul vote utile aux européennes.
Si je reviens au "mille-feuille" en préparation et notamment à ce pouvoir qui serait donné aux régions, j’y vois ce fonctionnement "horizontal" allergique à toute référence hiérarchique qui fasse autorité. Où trouvera-t-on l’organisation culturelle de l’autorité? Notre époque a tendance non seulement à se passer du père, mais tout autant à ne plus vouloir s’en servir. Dans ces conditions, quid du pacte qui nous fait vivre ensemble dans nos différences?
@ Paul
[Bien qu’on ne puisse attribuer une intention délibérée (peut-être n’est-ce qu’un effet de la place prise par le spectacle dans le politique), toujours est-il que je constate depuis le début du mandat de F. Hollande que la plupart de ses réformes vont dans le sens de la destruction de ce qui fait institution.]
Vous attribuez à ce pauvre Hollande une transformation qui en fait a commencé bien avant lui. Le rejet de l’institution – non pas d’une institution précise, mais de l’institution comme catégorie – est en fait une constante de l’idéologie élaborée à gauche à partir de la fin des années 1960. Pour être schématique, cette idéologie théorise l’opposition entre ce qui est institué et la liberté de l’individu. L’institué apparaît comme un ensemble de règles figées, rigides, tatillonnes, qui empêchent les individus d’exprimer leur créativité et leur liberté. Abattre l’institution est donc la condition nécessaire de l’émancipation. Rappelez-vous les textes de Louis Althusser sur l’école, cette « structure répressive de l’Etat »…
Cette idéologie n’apparaît pas par hasard. Elle est l’instrument de la prise de pouvoir par les classes moyennes. Car les classes moyennes ont quelques problèmes avec les institutions. Pour commencer, la plupart de nos institutions ont été construites dans le tête-à-tête entre bourgeois et prolétaires. Elles ne sont guère adaptées aux goûts et aspirations des classes moyennes. Et les classes moyennes sont trop jeunes pour construire leurs propres institutions : pour le moment, leur pouvoir est construit sur un pouvoir de négociation individuel, et non collectif. C’est pourquoi, alors que prolétaires et bourgeois tendent à construire des institutions, les classes moyennes tendent au contraire à s’en méfier. On peut imaginer que, le temps passant, les classes moyennes s’institueront elles mêmes comme classe, et auront alors une pensée institutionnelle propre. Mais pour le moment, elles ont au contraire le réflexe individualiste et anti-institutionnel.
[Aucun discours idéologique sensé être celui d’une gauche républicaine ne peut soutenir de telles prises de risques. Je trouve en outre que ça va très vite en ce moment.]
La gauche n’a plus de discours. En dehors de l’incantation misérabiliste sur « les pauvres, les exclus », rien ne distingue le discours dit « de gauche » du discours de droite. Et c’est normal : des gens de bonne volonté, on en trouve dans tous les camps. Sans une idéologie qui leur donne une cohérence, on en reste là.
[J’apprécie ton discours, de manière générale, je le retrouve chez des personnalités politiques comme Chevènement ou Guaino, aussi chez Finkielkraut, mais quelle portée a actuellement ce discours, si aucune structure ne le soutient?]
L’histoire est une affaire de long terme. Ceux qui maintiennent ce discours vivant sèment pour l’avenir, un avenir qu’ils ne verront peut-être pas. Ce discours n’a peut-être aucune portée aujourd’hui – quoique Guaino et Chevènement sont respectés à défaut d’être suivis, et cela veut dire quelque chose – mais aucune grande idée ne s’est imposée d’elle-même. Il a fallu une crise profonde pour qu’on aille la chercher au magasin des accessoires.
[Tu me diras que je fais l’impasse sur le FN, je ne fais simplement pas confiance à son patrimoine génétique. J’ose espérer qu’à terme, une analyse pertinente soit faite du politique de son suicide. Je ne pense pas être le seul à m’être abstenu plutôt que de voter FN, alors que je l’estimais comme le seul vote utile aux européennes.]
Si j’en juge par les débats sur ce blog et d’autres, tu n’est certainement pas le seul. Mais je partage ton sentiment : le FN ne porte certainement pas – du moins pas encore – un discours progressiste. Sa seule qualité, c’est d’avoir capté l’électorat qui peut seul porter un tel programme. Il y a donc à mon sens deux espoirs possibles : le premier, est qu’apparaisse un mouvement susceptible de regagner l’électorat populaire à un projet progressiste. Le second, c’est que la dialectique entre un parti et son électorat fasse du FN ce parti progressiste. Et si la deuxième hypothèse semble improbable, la première me semble aujourd’hui plus improbable encore.
[Si je reviens au "mille-feuille" en préparation et notamment à ce pouvoir qui serait donné aux régions, j’y vois ce fonctionnement "horizontal" allergique à toute référence hiérarchique qui fasse autorité.]
Je ne crois pas qu’il faille chercher dans cette réforme des intentions qui n’y sont pas. La réforme constitue en fait un retour en arrière sur la décentralisation. On met en fait les collectivités plus petites – les communes, les départements – sous la tutelle renforcée de collectivités plus grandes – la métropole, la région. Mais c’est une récentralisation qui se fait au bénéfice des grands notables, et non de l’Etat.
Bonjour
Article remarquable par sa profondeur et sa synthèse institutionnelle et historique
Je partage beaucoup de cette analyse
Je nuancerais simplement la critique institutionnelle qui invalide le siégions au regard des départements
Ceux ci sont en effet en majorité tout aussi "a-démocratique" que les régions
Je salue le constat sur ce qui est pour moi l’échec majeur de la décentralisation à savoir une supposée réussite de la gestion de proximité, financée par l’Etat prélever d’impôt redistribuer de mane et scieur de la branche sur laquelle s’appuyait la république.
En opacifiant le prélèvement fiscal et en dispensant les féodaux locaux de toute responsabilité on a créé une illusion que la crise actuelle révèle cruellement. Au final le développement de la décentralisation a été une accentuation rapide ( en 30 ans au regard de deux milles ans d’histoire institutionnelle) de l’égalité et du progrès de territoires
Merci vraiment.
@ TLM
[Article remarquable par sa profondeur et sa synthèse institutionnelle et historique. Je partage beaucoup de cette analyse.]
Merci de votre gentillesse. Cela m’encourage à continuer le travail…
[Je nuancerais simplement la critique institutionnelle qui invalide le régions au regard des départements. Ceux ci sont en effet en majorité tout aussi "a-démocratique" que les régions.]
Je n’ai pas abordé dans mon papier la question de savoir s’il y a des collectivités « plus » ou « moins » démocratiques. A mon avis, ce n’est pas le véritable problème. La demande de « démocratie » locale chez nos concitoyens n’est pas aussi forte qu’on le croit. Elle est en fait beaucoup moins forte que la demande d’efficacité. Si l’école de vos enfants fonctionne dans un beau bâtiment, si les rues sont propres, les monuments entretenus, les parcs et jardins agréables, les impôts locaux raisonnables, est-ce important de savoir si le maire est un tyran ? Après tout, les préfets ont un légitimité locale incontestable, on leur reconnaît sans mégoter leur dévouement à la chose publique, on s’adresse à eux lorsqu’il y a un problème… et ils ne sont pas élus. Quant aux maires, on a vu des personnages despotiques – comme Georges Frêche – être reconduits systématiquement dans leurs fonctions par des électeurs qui voulaient avant tout un maire qui gère correctement leur ville.
Ma question, plutôt que la « démocratie », était celle de la légitimité. A mon sens, certaines collectivités ont une véritable légitimité aux yeux des citoyens, alors que d’autres ne sont que des entités administratives. La commune et le département ont cette légitimité. Demandez à quelqu’un d’où il vient, et il vous répondra en vous donnant le nom de la ville ou du village où il est né. Demandez-lui où il habite, et il vous dira quelquefois « dans le 93 ». Demandez-lui où il passe ses vacances, et il vous dira « en Ardèche » ou « dans l’Aveyron ». Personne ne vous dira « je suis né dans telle intercommunalité », ou bien « je passe mes vacances en Poitou-Charentes ». Vous me direz que ce n’est pas le cas pour certaines régions : on dira « je viens de Bretagne » ou « d’Alsace ». Mais dans ce cas, ce n’est pas à la région en tant que collectivité locale qu’on pense. Un Nantais vous dira « je suis breton », alors que Nantes n’est pas dans la « région Bretagne ».
[En opacifiant le prélèvement fiscal et en dispensant les féodaux locaux de toute responsabilité on a créé une illusion que la crise actuelle révèle cruellement.]
Bien entendu. Mais si l’on veut la décentralisation sans toucher à la péréquation, on peut difficilement faire autre chose. Si chaque collectivité ne pouvait dépenser que ce qu’elle prélève, on se trouverait dans une situation de concurrence fiscale dans laquelle les collectivités auraient intérêt à attirer les riches et rejeter les pauvres. Une ville comme Neuilly-sur-Seine pourrait se doter des meilleurs services sociaux – alors que seule une quantité infime d’habitants en a besoin – alors qu’une ville comme Clichy ou Saint-Denis serait rapidement en faillite. Dès lors que vous introduisez un péréquation entre collectivités, cela suppose de prélever sur certaines pour en donner à d’autres…
[Au final le développement de la décentralisation a été une accentuation rapide ( en 30 ans au regard de deux milles ans d’histoire institutionnelle) de l’égalité et du progrès de territoires]
Je dirais plutôt le contraire. La décentralisation a accentué au contraire l’inégalité entre territoires, avec une compétition pour attirer les investisseurs qui finalement a appauvri l’ensemble du système.
Bonjour Descartes,
Si j’interviens sur ce billet d’opinion relativement ancien, mais toujours d’actualité, ce n’est pas en tant que gourmand amateur de pâtisseries mais comme citoyen engagé à gauche. Du coup, vu qu’il me semble que l’on est dans le même camp politiquement parlant et que celui-ci est attaché à l’idée de fraternité humaine, je me permettrais de te tutoyer lorsque je m’adresse à toi et espère que tu en feras de même.
Je ne suis pas aussi tranché que toi en ce qui concerne la décentralisation. Je ne pense pas que celle-ci est la cause des souffrances actuelles de notre pays (par analogie, je ne pense pas non plus que le jacobinisme, au sens politique qu’on lui donne, ne le soit), mais bien le libéralisme économique et les politiques d’austérité qui s’imposent du sommet de l’Etat à la plus petite des communes de France. La décentralisation n’est pas naturellement porteuse de libéralisme et d’austérité: d’ailleurs, le capitalisme français s’est développé dans le cadre d’un Etat centralisé, donc je pense pas que l’on puisse tirer un trait d’égalité aussi simplement entre décentralisation et libéralisme d’un côté et centralisme et antilibéralisme de l’autre. Ma conviction est que la décentralisation est porteuse d’opportunités démocratiques nouvelles comme d’opportunités régressives, la balance de la classe dirigeante penchant d’un côté ou de l’autre en fonction des rapports de force dans la société. La décentralisation a commencé en 1982 et peu de temps après le gouvernement de gauche a viré à tribord, transformant ce qui aurait pu être une avancée démocratique en arme de destruction massive de l’ensemble des conquêtes démocratiques et sociales du peuple français depuis la Révolution. Il me semble donc que ce qui menace la République démocratique et sociale française, ce ne sont pas ni le jacobinisme, ni la décentralisation, mais bien le libéralisme, européen et national.
D’autant plus que lorsque qu’elles sont dirigées par des forces de transformation sociale, les politiques publiques qu’elles conduisent constituent parfois d’utiles boucliers contre la précarité dans laquelle se trouvent de plus en plus de français, de par précisément leur possibilité de s’administrer librement. D’ailleurs ce n’est pas anodin que l’acte III de décentralisation prévoit de transformer les communes, en prenant le soin de les vider de leur contenu démocratique, en métropoles ou intercommunalités gigantesques et de supprimer les départements au profit de super-régions, d’échelle européenne.
Par l’opinion que j’exprime, je ne cherche pas imposer les contours d’opinions essentiellement de gauche et antilibérales, mais plutôt une certaine position de gauche, que je confronte à d’autres positions de gauche afin que nous inscrivions nos débats et désaccords dans une appartenance à une famille politique commune.
Fraternellement.
@ thomas
[Si j’interviens sur ce billet d’opinion relativement ancien, mais toujours d’actualité, ce n’est pas en tant que gourmand amateur de pâtisseries mais comme citoyen engagé à gauche. Du coup, vu qu’il me semble que l’on est dans le même camp politiquement parlant et que celui-ci est attaché à l’idée de fraternité humaine, je me permettrais de te tutoyer lorsque je m’adresse à toi et espère que tu en feras de même.]
Tu peux me tutoyer, et je ferais de même. Ici on est à la bonne franquette. Mais cela n’a rien à voir avec le « camp » dans lequel on est. J’aurais la même courtoisie pour quelqu’un engagé à droite. Je refuse ici tout sectarisme, et je vais même te confier un secret : beaucoup de gens qui lisent ce blog me cataloguent plutôt « à droite », voire « de droite extrême » (dixit un militant du PG).
[Je ne suis pas aussi tranché que toi en ce qui concerne la décentralisation. Je ne pense pas que celle-ci est la cause des souffrances actuelles de notre pays (par analogie, je ne pense pas non plus que le jacobinisme, au sens politique qu’on lui donne, ne le soit), mais bien le libéralisme économique et les politiques d’austérité qui s’imposent du sommet de l’Etat à la plus petite des communes de France.]
Il est toujours dangereux de globaliser les problèmes. Non, la décentralisation n’est pas « la » cause des souffrances de notre pays. La situation de notre pays est le produit de multiples causes, et ni moi ni personne n’en a jamais fait de la décentralisation la cause unique de tous nos malheurs. Il n’empêche que le « libéralisme économique » a beaucoup plus de mal à s’imposer dans un Etat centralisé que dans un système où les décisions étant décentralisées on peut mettre les territoires en concurrence les uns par rapport aux autres. Quant aux « politiques d’austérité », j’aimerais bien que vous précisiez ce que vous entendez par là. « Austérité » est devenu un mot-valise qui sert un peu pour tout et n’importe quoi.
[La décentralisation n’est pas naturellement porteuse de libéralisme et d’austérité: d’ailleurs, le capitalisme français s’est développé dans le cadre d’un Etat centralisé, donc je pense pas que l’on puisse tirer un trait d’égalité aussi simplement entre décentralisation et libéralisme d’un côté et centralisme et antilibéralisme de l’autre.]
Le capitalisme qui s’est développé dans le cadre de l’Etat centralisé était bien moins « libéral » que celui qui s’est imposé dans les années 1980. Oui, la décentralisation est « porteuse de libéralisme » parce qu’elle met en concurrence les territoires entre eux. Il n’y a qu’à voir comment les régions se battent pour attirer les activités économiques à coup de subventions et de baisses d’impôts pour faire mieux que la région voisine…
[Ma conviction est que la décentralisation est porteuse d’opportunités démocratiques nouvelles comme d’opportunités régressives, la balance de la classe dirigeante penchant d’un côté ou de l’autre en fonction des rapports de force dans la société.]
Il faut regarder l’histoire longue. En France, le pouvoir local a toujours été celui des notables et des féodalités. Si l’histoire de la France est l’histoire de la centralisation, c’est parce que les sujets ont bien compris que la justice d’un roi lointain était bien plus fiable et moins rapace que celle rendue par les féodaux en fonction des intérêts et des rapports de force locaux. Et chaque fois qu’en France on a cherché à affaiblir l’Etat central et à redonner des pouvoirs au local, on n’a fait qu’alimenter le pouvoir des « notables », bien moins démocratique et bien plus corrompu que le pouvoir central. Après, on peut gloser à l’infini sur les « opportunités démocratiques », mais la pratique montre que ces opportunités théoriques ne se réalisent jamais. Il n’y a qu’à voir le désastre, trente ans après la décentralisation mitterrandienne.
[Il me semble donc que ce qui menace la République démocratique et sociale française, ce ne sont pas ni le jacobinisme, ni la décentralisation, mais bien le libéralisme, européen et national.]
A votre avis, pourquoi le « libéralisme européen et national » a été le plus puissant des défenseurs de la décentralisation ? Pensez-vous que ce soit une coïncidence ?
[D’autant plus que lorsque qu’elles sont dirigées par des forces de transformation sociale, les politiques publiques qu’elles conduisent constituent parfois d’utiles boucliers contre la précarité dans laquelle se trouvent de plus en plus de français, de par précisément leur possibilité de s’administrer librement.]
Pourriez-vous donner quelques exemples ?
[Par l’opinion que j’exprime, je ne cherche pas imposer les contours d’opinions essentiellement de gauche et antilibérales, mais plutôt une certaine position de gauche, que je confronte à d’autres positions de gauche afin que nous inscrivions nos débats et désaccords dans une appartenance à une famille politique commune.]
Encore une fois, ma réponse ne serait pas différence si vous vous considériez « de droite ». Cette idée de la gauche comme « famille politique commune » me laisse fortement sceptique