Je ne vous apprendrai rien en vous disant que la vie est dure. Elle est particulièrement dure pour une gauche au pouvoir qui ne sait plus très bien quels sont ses combats. Entre un parti socialiste qui en grande majorité se voyait avant les élections rendre la vue aux aveugles et l’ouie aux sourds et qui découvre péniblement qu’une fois la contrainte européenne acceptée il ne lui reste pas véritablement de marge de manœuvre, et une « gauche radicale » qui se voit réduite à un rôle d’imprécation sans grande perspective de peser sur le réel, on ne peut pas dire qu’on soit à la fête.
Et puis, tout à coup, miracle ! On se trouve une « cause », une vraie. Une qui a tout ce qu’on peut demander à une « cause » qui se respecte. Une qui permet de s’ériger en défenseur des valeurs et de la morale et tout ça pour un coût négligeable (1). Tout le contraire du chômage, du mal-logement, de la chute de nos standards éducatifs, de la désindustrialisation, et de toute une série de « causes » qui mériteraient qu’on s’en occupe. Mais pour résoudre ces problèmes, il faudrait affronter des lobbies, convaincre des gens, dire merde à Bruxelles. Alors que pour rendre heureuse une jeune fille kosovare, il suffit de lui offrir des papiers.
C’est à mon avis de cette manière qu’il faut interpréter le monstrueux « buzz » qui a suivi l’expulsion de la famille Dibrani. Un « buzz » qui mérite qu’on s’y penche un peu. D’abord, permettez-moi une question : connaissez-vous le prénom de la mère de la famille ? Du père ? Des frères ou sœurs de Leonarda Dibrani (2) ? Non, bien sur. Ils resteront à jamais des pauvres anonymes dans la planète médias. D’eux, tout le monde s’en fout, y compris les lycéens qui ont manifesté aujourd’hui à Paris pour exiger le retour de Leonarda Dibrani en France avec des écriteaux qui ne parlent que d’elle. Etonnant, n’est ce pas ?
Et bien, pas tant que ça. Notre foire médiatique fonctionne sur la logique de l’émotion. Et pour l’émotion, ce sont les circonstances, le fait divers qu’importe. Ce qui permet à Leonarda Dibrani de devenir une star, ce sont les circonstances de son interpellation. Non pas que ces circonstances aient été particulièrement brutales ou scandaleuses. Mais son interpellation au cours d’une sortie scolaire, tout comme naguère dans une église, permettent d’en faire une « victime », rôle qui de nos jours vous garantit une audience pour le plus grand bénéfice des gens comme Mireille Dumas. Les petits frères et sœurs de Leonarda Dibrani, qui n’ont pas eu sa chance, n’ont qu’à crever la gueule ouverte. D’eux, tout le monde médiatique s’en fout, comme tout le monde se foutait éperdument de l’expulsion de Katchik Kachatryan le 12 octobre dernier, expulsion qui n’est découverte par l’opinion que comme sous-produit médiatique de l’expulsion de Leonarda Dibrani.
Ce qui est révoltant dans cette affaire, c’est l’hypocrisie massive de la bienpensance politique et médiatique. En dehors de quelques honorables exceptions, c’est le cœur des pleureuses sur l’injustice qui aurait été faite à Leonarda Dibrani, et nul ne pleure plus fort que les politiques de gauche. Le président de l’Assemblée Nationale, pourtant gardien du lieu ou se font les lois, va jusqu’à déclarer que « au dessus de la loi, il y a les valeurs ». Mais qu’attend-t-il pour amender la loi et la rendre conforme à ses valeurs ? Pourquoi aucun député n’a encore déposé un projet de loi ouvrant les frontières à tous ceux qui de par le monde ont envie d’étudier en France ? Mais que font donc les députés socialistes et ceux du Front de Gauche, dont les leaders tonnent contre l’expulsion de Leonarda Dibrani ?
Mais non, personne n’ira déposer un tel projet. Ce serait un suicide politique, et non pas comme le pensent certains parce que les français seraient xénophobes, mais parce qu’ils sont profondément réalistes et qu’un tel projet défierait la logique. Les « valeurs », c’est bon pour les déclarations publiques ou pour se faire plaisir. Mais lorsqu’on fait des lois, on est obligé de se coltiner un minimum le réel. Et la réalité est que la France ne pourrait, même si elle le voulait, accueillir toutes les jeunes filles du monde qui ont envie de venir étudier – gratuitement, il faut le dire – en France, et qui sont fort nombreuses. Alors, comme on ne peut les accueillir toutes, on va se donner bonne conscience en se battant pour accueillir l’une d’entre elles. Et si Leonarda Dibrani devait revenir en France – ce qui compte tenu de l’incapacité de nos gouvernants à décider d’une ligne et de s’y tenir est loin d’être improbable – on se retournera dans ses foyers avec la conviction d’avoir remporté une « victoire politique », alors qu’en fait on n’aura fait que régler un cas particulier.
Il y a dans cette affaire un deuxième aspect déplaisant, c’est la manière dont l’affaire est exploitée par les bienpensants pour faire campagne contre Manuel Valls. Ce n’est guère nouveau : avant lui, Nicolas Sarkozy et Charles Pasqua à droite et Jean-Pierre Chèvenement à gauche avaient eu droit aux mêmes honneurs. C’est la croix que doit porter le ministre de l’Intérieur dont le rôle est à l’image de celui des égoutiers : tout le monde admet dans son for intérieur qu’ils font un travail utile et même nécessaire, mais tout le monde change de trottoir pour ne pas les croiser. Les parlementaires font les lois qui restreignent l’accès du territoire, mais poussent des cris d’orfraie lorsque la loi est appliquée, et tout particulièrement lorsqu’elle est appliquée dans des conditions « médiatiques » qui les mettent face à leurs contradictions. Je n’ai aucune amitié particulière pour Valls, mais je ne pense pas qu’il soit sain de permettre à la bienpensance de se fabriquer un diable de confort, un bouc émissaire sur lequel elle pourrait coller ses propres pêchés. Dans le cas d’espèce, le ministre et son administration ne font qu’appliquer les lois votées par la représentation nationale. Si nos députés n’aiment pas la loi, ils n’ont qu’à la changer. S’ils la gardent telle qu’elle est, à eux d’assumer politiquement les conséquences.
Cette affaire montre combien pour la gauche française la pensée du caritatif a remplacé la réflexion politique. La politique, par essence, est une pensée abstraite. Elle ne réfléchit pas à ce qu’on peut doit faire dans le cas de Leonarda Dibrani, mais la règle générale qu’on doit appliquer à une jeune fille abstraite qui inclut en elle toutes les jeunes filles du monde. La pensée caritative pense au contraire le cas particulier, et non la règle générale : je fais la charité à tel individu qui me paraît sympathique, alors que je la refuse à tel autre qui m’est antipathique. Là où la politique parle d’égalité et fait des règles qui s’appliquent à tous, la charité est au contraire par essence inégalitaire et celui qui fait la charité choisit souverainement qui il veut aider et qui il abandonne à la misère (3). Ceux qui clament le retour de Leonarda Dibrani sont incapables de formuler cette demande politiquement, sous forme d’une règle qui s’appliquerait à toutes les jeunes filles comme elle. Et c’est normal, puisqu’une telle règle devrait généraliser une vision qui n’est pas généralisable par nature.
Alors laissons de côté les déclarations larmoyantes et les reportages aux réponses téléphonées, et posons la question politique, la seule qui vaille : doit-on exiger de l’étranger qui souhaite s’installer chez nous de satisfaire certains critères, et si oui, lesquels ?
D’abord, la première question. On peut, bien entendu, décider que tout étranger qui le souhaite doit avoir le droit de s’installer chez nous. Mais cela a de toute évidence un coût. Si ce droit d’installation donne lui-même droit à bénéficier des différentes aides et allocations que notre système social prévoit, il n’y a aucune raison pour que des populations nombreuses qui vivent aujourd’hui dans la misère ne choisissent de s’installer chez nous. S’il se trouve des milliers pour prendre des risques inouïs alors qu’au bout du chemin l’admission n’est pas garantie, imaginez ce que serait le flux si les immigrants potentiels avaient la garantie légale de pouvoir s’installer – et se présenter au guichet des allocations et aides de toute sorte – dès leur arrivée. Ce simple raisonnement montre qu’une admission sans restriction est incompatible avec des dispositifs d’aides sociales généreux. L’ouverture sans restriction entraîne inévitablement la fin des dispositifs de redistribution.
C’est pourquoi personne aujourd’hui – sauf les libertariens les plus extrêmes, ennemis de toute redistribution – n’est prêt à soutenir une doctrine d’ouverture totale des frontières. Tout le monde ou presque accepte donc qu’il faut une ouverture contrôlée, et donc des critères pour décider qui est autorisé à venir, et qui est interdit. Le problème est-il donc de définir ces critères…
Eh bien, pas tout à fait. Avant de définir les critères mettons nous bien d’accord : qu’est ce qu’on fera de celui qui ne satisfait pas ces critères, mais qui essaye tout de même d’imposer sa présence ? Parce que ce n’est pas la peine de définir des critères si c’est ensuite pour s’asseoir dessus lorsqu’il faudra les mettre en œuvre. Or, c’est là que le problème se pose. Tout le monde est d’accord pour dire qu’on ne peut pas prendre tout le monde… mais attention, touche pas à mon voisin, à mon condisciple, à mon collègue qui est si sympathique. Et cela, quelque soient les critères, qu’on accepte in abstracto mais qui seront toujours injustes in concreto.
La politique est apparue le jour où l’on a universalisé l’individu, où l’on a compris que la société avait besoin de règles à portée générale qui s’appliquent à tous les individus parce qu’elles ont été pensées en fonction d’un individu abstrait. Chevènement a eu raison de répondre à Claude Bartolone qu’il est absurde d’opposer la loi et les valeurs. La loi, parce qu’elle est l’expression de la volonté générale, parce qu’elle est votée par des gens qui, on l’espère, ont ces « valeurs » chevillés au corps, est bien l’expression des valeurs de la République. Celui qui invoque les « valeurs » pour violer la loi n’est pas un républicain.
Les questions d’immigration sont difficiles précisément parce que ce sont des questions qui n’ont pas de « bonne » solution, c’est-à-dire, une solution qui permet d’universaliser la règle issue de la pitié que nous pouvons sentir en tant qu’êtres humains pour notre prochain en détresse. Je vais vous confier une expérience personnelle : j’ai eu des amis qui étaient en situation irrégulière en France, et en tant qu’être humain, je les ai aidé à violer la loi. Et lorsque ces amis ont été obligés à quitter le territoire, j’ai beaucoup pleuré. Mais il ne m’est jamais venu à l’idée que leur expulsion fut « injuste » ou « scandaleuse ». Je n’aurais pas craché à la gueule du préfet ou du ministre qui ne font qu’appliquer la loi qu’en tant que citoyen j’ai votée. En tant qu’être humain, je peux regretter ce qu’en tant qu’individu politique je ne peux rejeter. C’est une contradiction inhérente à toute action politique, celle qui fait que l’action politique est fondamentalement tragique. La préservation de la cité nécessite souvent qu’on sacrifie des individus concrets.
Je ne reproche donc pas aux amis et partisans de Leonarda Dibrani d’avoir essayé de retarder son expulsion, ni même de vouloir la faire revenir en France. Ce que je leur reproche, c’est d’invoquer à l’appui de leurs actions les mânes de la République comme si leur combat était politique, alors que c’en est au contraire la négation. La politique n’est pas, ne peut pas être un dîner de gala. C’est au contraire une tragédie. Il est devenu de bon ton de citer ces jours-ci Antigone pour en faire l’icône de la défense des « valeurs » contre la « loi » du tyran Créon. Mais ceux qui citent le récit en oublient la fin : Antigone meurt. Et sa mort est la conséquence inévitable de son acte : si l’on pouvait défier les lois de la cité impunément, l’ordre public serait réduit à néant, et avec lui la politique. Sophocle ne prend pas plus le parti d’Antigone que celui de Créon : il montre une situation ou chaque acteur, contraint par sa propre logique, ne peut qu’aboutir au désastre final. Il ne faut pas confondre Sophocle et Spielberg. La tragédie ne s’achève pas sur une moralité qui nous inviterait à agir de telle ou telle sorte. Elle souligne au contraire l’ambiguïté de situations dans lesquelles tout le monde a raison, ou du moins ses raisons.
Notre establishment politico-médiatique a depuis longtemps perdu ce sens du tragique. A la tragédie, on préfère le drame bourgeois, avec sa vison manichéenne des « bons » qui affrontent les « mauvais » et gagnent à la fin dans un inévitable « happy end ». La tragédie, avec son ambiguïté morale, ne fait plus recette. Et cela déteint sur nos politiques. Ils en arrivent à croire qu’on peut faire de la politique tout en se payant le luxe d’une conscience immaculée. C’est bien entendu faux : faire de la politique implique tôt ou tard de se retrouver à la place de Créon. Si vous n’êtes pas prêt à endosser cette tunique, alors consacrez vous aux œuvres de charité ou au jardinage. Shakespeare a écrit cette formule sublime : « uneasy lies the head that wears the Crown » (« difficile est le sommeil de celui qui porte la couronne », Henry IV, 2ème partie). C’était vrai en 1597, et cela reste tout aussi vrai aujourd’hui.
Descartes
(1) Et qui dit « cause », dit « gauche radicale ». Cela faisait longtemps qu’on ne voyait de telles envolées lyriques. La palme revient certainement à Alexis Corbière, qui écrit sur son blog ce texte au sujet des manifestations lycéennes dont on appréciera la portée politique : «[les jeunes] réclamant qu’aucun élève de France ne soit expulsé au cours de sa scolarité, fut-il arménien ou roms, ils étaient l’honneur de la République, de la France belle et rebelle qui rayonne dans le monde. Bien sûr, aucun de ces milliers de lycéens ne connaît Léonarda et Khatchik, ils n’en ont pas besoin, mais en étant solidaires de leurs deux camarades, ces milliers de lycéens se sont sentis personnellement opprimés et ont donné un contenu concret à l’article 34 de la Constitution de 1793 : « Il y a oppression contre le corps social lorsqu’un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé. » Bravo les jeunes ! ».
On ne sait s’il faut rire ou pleurer. En tout cas, on aimerait savoir ce qu’est une « oppression » pour Corbière, qui de ce point de vue semble s’éloigner assez de l’idée que s’en faisaient les constituants de 1793 qu’il cite à tort et à travers. Est-ce « opprimer » que d’appliquer une loi votée par la représentation nationale, après épuisement de tous les recours juridictionnels ? Le « corps social » serait-il opprimé parce qu’on m’a mis une amende pour excès de vitesse (amende bien entendu totalement injuste, ais-je besoin de le dire ?) ? Quant à l’idée que les lycéens parisiens puissent se sentir « personnellement opprimés »…
(2) Je profite de l’opportunité pour dénoncer cette manipulation des médias qui consiste à mentionner les gens par leur prénom lorsqu’on veut susciter de la sympathie en leur faveur. C’est une vieille technique, qui permet de donner l’illusion qu’une personne parfaitement inconnue devient en quelque sorte un membre de la famille. Ségolène l’avait utilisé à fond pendant sa campagne en faisant oublier le « Royal » qui va avec, tout comme on nous avait rabattu les oreilles avec « Buna et Zyed », les deux adolescents morts dans un poste de transformation EDF à Clichy sous Bois et dont tout le monde connaît les prénoms, mais dont je vous mets au défi – sans regarder google, petits malins – de me citer les noms. Alors pour moi « Leonarda » s’appelle « Leonarda Dibrani ». On n’a pas gardé les cochons ensemble.
(3) Pour illustrer ce point, permettez-moi de citer une anecdote racontée par un commentateur régulier de ce blog, Gerard Couvert: “Lorsque j’étais en 5eme à Yaoundé je me souviens qu’un soir en rentrant d’une soirée (pour blancs et blanchis) j’ai vu l’un de mes camarades de classe assis sous un réverbère un cahier sur les genoux. Le lendemain je lui ai demandé pourquoi il ne faisait pas ses devoirs chez lui ? Je suis né en Afrique, cela faisait donc 11 années que je côtoyais la pauvreté, mais sa réponse me fit prendre conscience de ce que je voyais. J’ai demandé à mes parents de le prendre avec nous le soir, alors mon père -membre du PCF- m’a pris avec lui le soir même et nous avons parcouru toute la ville, y compris des quartiers inhabituels pour moi, partout des enfants ou ado travaillaient à la lumière des candélabres publics, dans l’ombre des jeunes filles faisaient un tout autre travail … “nous allons tous les faire venir à la maison ? je suis ici pour que le Cameroun se développe et qu’ensuite, leurs jeunes frères et sœurs, ou leurs enfants aient l’électricité chez eux, et apprennent normalement leurs leçons.” “Oui mais Anatole je le connais !” m’écriais-je les larmes aux yeux, mon père était bien méchant ; depuis j’ai compris qu’il avait raison, les solutions sont collectives“.
Opposer Loi et Valeur, c’est se mettre dans la position américaine de l’individu nécessairement oppressé par l’état, c’est considérer qu’il y a une sorte d’ordre moral, religieux (!) supérieur à la Loi des hommes, c’est ne plus percevoir que État de droit et droit de l’état son indissociables.
Lorsqu’il y a quelques mois, des millions de français, et ceux-là peu habitués à batte le pavé, sont descendus dans la rue pour réclamer le respect de valeurs anthropologiques ou rituelles ne leur a-t-on pas opposé la Loi !
Ce qui rend la gauche particulièrement odieuse c’est ce manque de rigueur intellectuelle illustré en ce cas par Claude Bartolone.
@Gérard Couvert
[Opposer Loi et Valeur, c’est se mettre dans la position américaine de l’individu nécessairement oppressé par l’état, c’est considérer qu’il y a une sorte d’ordre moral, religieux (!) supérieur à la Loi des hommes, c’est ne plus percevoir que État de droit et droit de l’état son indissociables].
Tout à fait. La référence permanente au personnage d’Antigone, qui précisément invoque une "loi naturelle" supérieure aux lois de la cité n’est à mon avis pas une coïncidence.
Un article impeccable, bravo. Sur l’emploi du prénom, c’est bien vu.
Je vous trouve quand même gentil avec Valls en général : il nous prépare quand même exactement la même stratégie que Sarkozy (lui aussi ministre de l’intérieur d’ailleurs), et on devine à l’avance le scénario : Valls va durcir sa ligne, se faire mettre au ban voire exclure du gouvernement, et ho surprise, il deviendra le candidat idéal pour beaucoup de gens à un poste plus important. Bref il n’est pas non plus un pauvre exécutant qui applique la dure et juste loi, il instrumentalise tout cela pour sa carrière – pas de quoi lui en vouloir d’ailleurs.
@tmm
[Je vous trouve quand même gentil avec Valls en général : il nous prépare quand même exactement la même stratégie que Sarkozy]
J’essaye d’être juste. Quelque soient les travers personnels de Valls – pour qui je n’ai aucune affinité – je n’aime pas les lynchages médiatiques et les fabrications de boucs émissaires. Et dans le cas présent cela me plait d’autant moins que derrière la personne de Valls on cherche à stigmatiser les idées républicaines.
"… détermination du Gouvernement à faire respecter le libre exercice des cultes, qui comptent parmi les fondements de notre Nation …. de la laïcité … l’Islam de paix et de concorde, est partie prenante de notre pays et des valeurs qui le fondent" extrait de l’invraisemblable soumission de Ayrault se déplaçant à la mosquée de Paris.
Indépendamment que, selon moi, l’islam de paix et de concorde n’a jamais existé ailleurs que dans l’imaginaire vicié des bobos et gauchistes, nous apprenons donc que la liberté des cultes fait partie de notre nation (!) et qu’une religion, dogmatique, archaïque, récente en France, est partie prenante de nos valeurs.
Autre exemple de la distorsion morale dont la gauche ne se relèvera pas.
L’islam se revendique lui-même comme un dogme politique, l’intégrer -très artificiellement, et pour ce qu’il n’est pas- dans les "valeurs" de la république c’est soumettre celle-ci, et donc notre Loi.
Si « au dessus de la loi, il y a les valeurs » comme le dit Claude Bartolone, alors le Conseil constitutionnel aurait dû laisser aux maires une clause de conscience leur permettant de ne pas célébrer de mariages homosexuels.
Ainsi tout serait plus simple : on se contenterait d’obéir aux lois qui seraient compatibles avec nos valeurs et vis à vis des autres on prendrait la posture (narcissiquement valorisante) de la "désobéissance civile".
Après tout pourquoi les désirs individuels devraient-ils être jugulés par des institutions forcément oppressives ? Bon d’accord, ça peut rendre le "vivre-ensemble" un peu violent, mais on n’a rien sans rien…
@Mohican
Bonne remarque. Malheureusement, aujourd’hui l’essentiel de l’argumentation est purement ad hoc. On invoque la sacralité de la loi contre le mouvement de "la manif pour tous", on parle de "valeurs supérieures à la loi" quand il s’agit de défendre Leonarda…
BRAVO!!!!!!!!
[aujourd’hui l’essentiel de l’argumentation est purement ad hoc]
Oui. Et il est quand même dommage que le genre de paradoxe relevé par Mohican ne soit pour ainsi dire JAMAIS relevé par les médias, dont c’est quand même le boulot. Leur rigueur intellectuelle est à la hauteur de celle des citoyens vous me direz, mais bon…
Excellent. Peut-être que l’AN pourrait trouver une majorité pour interdire l’arrestation de mineurs sur les lieux de scolarité
@capievic
[Excellent. Peut-être que l’AN pourrait trouver une majorité pour interdire l’arrestation de mineurs sur les lieux de scolarité]
Et pourquoi pas pour les professeurs aussi ? Après tout, si le but est de ne pas traumatiser les enfants…
Bravo et merci pour cet article
mais je suis de l’avis de capievic: ce ne devrait quand même pas être trop compliqué pour notre police d’attendre la sortie ou l’entrée devant le portail de l’établissement pour interpeller qui il faut, élève ou encore plus prof (que l’on interpeller au domicile), sauf évidemment menace imminente.
tu chines…es profs sont français ou en règle avec la loi
@Badaboum
[mais je suis de l’avis de capievic: ce ne devrait quand même pas être trop compliqué pour notre police d’attendre la sortie ou l’entrée devant le portail de l’établissement pour interpeller qui il faut]
D’abord, la police a d’autres choses plus intéressantes à faire que d’attendre patiemment que les délinquants sortent de tel ou tel établissement pour les interpeller. Ensuite, je rappelle que l’interdiction ne s’appliquera pas seulement dans les établissements, mais aussi "dans un contexte scolaire", ce qui exclut aussi les sorties d’école…
@capievic
[tu chines…es profs sont français ou en règle avec la loi]
Pas tous, pas tous…
Merci pour cette pertinente analyse qui offre matière à une réflexion approfondie à la fois sur le traitement médiatique de ce type d‘«événements» et sur la «res publica». Se donner bonne conscience est relativement facile, trouver des solutions collectives et globales nécessite bien autre chose.
C’est bien le problème. Le battage médiatique impose son temps et annule toute possibilité de réflexion sérieuse et véritablement politique sur les questions qui se posent à nous. On s’aperçoit un peu tard que la transparence absolue est le pire ennemi de la politique. Il fut un temps où des commissions de spécialistes bossaient dans l’anonymat le plus complet et produisaient des propositions "techniques" qui étaient ensuite arbitrées par le politique. Aujourd’hui, c’est impossible: comme il faut alimenter la déesse aux cent bouches, les travaux ne peuvent être que publics, avec la manipulation permanente qui s’en suit. On l’a bien vu avec le "débat national sur l’énergie"…
[On s’aperçoit un peu tard que la transparence absolue est le pire ennemi de la politique.]
J’irais même plus loin: le désir de transparence est probablement l’une des caractéristiques les plus patentes des régimes totalitaires. Elle est le signe de l’abolition de la sphère privée, du secret des délibérations et de la liberté de conscience.
En ce moment, j’ai une marotte: j’aime beaucoup parler du livre "1984" de G.Orwell car, loin de caricaturer les régimes communistes, ce livre est une dénonciation du désir de transparence des régimes totalitaires. Big Brother, c’est le règne de la transparence, et la novlangue est là pour faciliter la transparence de la pensée, puisqu’elle est sensée la rendre à la fois univoque et contradictoire ("double-pensée").
Bref, plus que des théories du complot, je trouve que ce désir de transparence est éminent suspect et dangereux pour la démocratie…
@CVT
[Elle est le signe de l’abolition de la sphère privée, du secret des délibérations et de la liberté de conscience.]
Tout à fait. Le secret de la délibération est la meilleure garantie de l’indépendance des jugements. C’est la seule barrière qui permet aux gens de penser en dehors de la pression sociale et médiatique. Lamentablement, ce secret est de plus en plus battu en brèche. Il est inexistant maintenant dans l’administration, qui est tenue de communiquer, depuis la loi CADA, tous les documents préparatoires à une décision. Cela se traduit bien entendu par une raréfaction de ces documents et une baisse significative de leur qualité : qui se risquera à intervenir dans une réunion ou à écrire une note énonçant clairement une pensée anticonformiste sachant que celle-ci peut se trouver à la « une » du « Monde » ?
[En ce moment, j’ai une marotte: j’aime beaucoup parler du livre "1984" de G.Orwell car, loin de caricaturer les régimes communistes, ce livre est une dénonciation du désir de transparence des régimes totalitaires. Big Brother, c’est le règne de la transparence, et la novlangue est là pour faciliter la transparence de la pensée, puisqu’elle est sensée la rendre à la fois univoque et contradictoire ("double-pensée").]
Un livre magnifique dans lequel les libéraux-libertaires ont voulu voir une métaphore des régimes communistes, mais qui est en fait une œuvre littéraire bien plus profonde et moins circonstancielle.
["Les lycéens parisiens personnellement opprimés…"]! lol, mdr, comme disent les jeunes.
Ca me rappelle cette déclaration historique de Renaud disant que "nous sommes tous captifs tant que I. Betancourt ne sera pas libérée". Mais ceci n’est pas anodin, car c’est un effet du mimétisme, lequel joue dans les deux sens: de un à tous et de tous à un.
Et permet les manipulations de masse car c’est un ressort capital -et pas du tout rationnel mais automatique -du comportement humain.
@Albert
[Mais ceci n’est pas anodin, car c’est un effet du mimétisme, lequel joue dans les deux sens: de un à tous et de tous à un.]
Ce mimétisme a une fonction politique: il permet à "l’oppresseur" de se vivre comme "l’opprimé". Renaud, qui a toujours été dans les petits papiers du pouvoir – souvenez vous de son appel "Tonton, laisse pas béton" préparant la réélection de Mitterrand – et vit une vie somme toute fort confortable devient tout à coup "opprimé" parce qu’une femme qu’il ne connaît pas est retenue quelque part dans le monde, pour jouir de tout le prestige et les justifications médiatiques que notre société accorde au statut de "victime"…
Cette inversion des rôles est l’une des caractéristiques les plus marquantes de l’idéologie des classes moyennes, idéologie dont le but premier est d’empêcher qu’apparaisse l’alliance objective entre elles et la bourgeoisie possédante. C’est pourquoi les classes moyennes proclament en permanence leur appartenance au camp des "opprimés" et des "exploités". Le comble de cette position est la nouvelle idéologie du "peuple-classe" qui proclame que la nouvelle lutte des classes se passe entre les bourgeois et un "peuple" constitué – tenez vous bien – par le prolétariat additionné aux classes moyennes…
Bonjour Descartes. Votre papier est très bon aussi je ne le commenterai pas car je n’ai rien à ajouter.
Je vous ferai remarquer que la pensée de gôche est devenue une pensée religieuse. c’est fou les analogies qu’on peut trouver entre la gauche et l’Eglise.
Comme l’église en son temps, la gôche entend exercer un magistère moral sur la société en définissant en termes moraux ce qui est Bien et ce qui est Mal.
Comme l’Eglise, la gauche glisse de plus en plus de la pensée politique rationnelle à l’humanitaire charitable. A Paris, dans le quartier de Saint Lazare vous avez chaque semaine des jeunes en mal de causes battant le pavé à la recherche de donateurs pour des associations diverses et variées. L’Etat Providence se délite et on fait de plus en plus appel aux bons sentiments.
Et maintenant voici cette idée saugrenue, rousseauiste, selon laquelle il faudrait faire de l’école un sanctuaire dans lequel les lois de la République ne s’appliqueraient plus. Le petit caïd en dehors de l’école a toutes les chances d’en demeurer un au sein de l’école. Mais les enseignants s’imaginent surement qu’en fonction des causes qui leur sont chères c’est à eux de décider quand livrer des enfants à la police ou pas.
@Trubli
[Et maintenant voici cette idée saugrenue, rousseauiste, selon laquelle il faudrait faire de l’école un sanctuaire dans lequel les lois de la République ne s’appliqueraient plus. Le petit caïd en dehors de l’école a toutes les chances d’en demeurer un au sein de l’école.]
Et pourtant, quoi de plus pédagogique que de pouvoir constater que le petit caïd se fait interpeller devant ses petits camarades, alors qu’il y a un enseignant présent pour expliquer aux enfants et donner un sens à la chose ? Mais non, il parait que la réalité, même expliquée par un enseignant, est trop "traumatisante"… qu’il faut cacher aux enfants que les petits caïds existent. Mais comme les enfants peuvent voir ces petits caïds exercer leurs talents dans la rue ou dans leur cage d’escalier, je vois mal comment on peut préserver la virginité de nos enfants. Franchement, dès lors que les enfants sont témoins des activités criminelles, je trouve assez pédagogique qu’ils puissent constater de visu que le crime est puni.
Les enseignants sont très contradictoires. D’un côté, ils nous servent le discours que "l’école doit s’ouvrir sur la réalité extérieure". De l’autre, ils prétendent faire comme si la réalité extérieure n’existait pas. Faudrait savoir…
["Les enseignants sont très contradictoires. D’un côté, ils nous servent le discours que "l’école doit s’ouvrir sur la réalité extérieure". De l’autre, ils prétendent faire comme si la réalité extérieure n’existait pas. Faudrait savoir…"]
Comment s’en étonner dans un pays où, de plus en plus, l’oxymore passe pour le summum de l’intelligence?
"En vérité je vous le dis", ce pays devient fou.(logique, après 40 ans de décervelage institutionnel).
@ Trubli
[A Paris, dans le quartier de Saint Lazare vous avez chaque semaine des jeunes en mal de causes battant le pavé à la recherche de donateurs pour des associations diverses et variées]
Ces jeunes ne sont pas en manque de causes, mais en manque d’argent. Ils ne sont même pas directement employés par les ONG qui préfèrent utiliser des entreprises privées pour démarcher les gens. Si je me souviens bien la Cour des comptes avait épinglé ce genre de pratiques.
" Celui qui invoque "les valeurs" pour violer la loi n’est pas républicain" .
Douze mots, une phrase-couperet, terrible, forte comme un rugissement post-mortem de Philippe Séguin.
Un constat qui illustre le naufrage de la plupart "des" gauches françaises.
Quand on songe que désormais les principaux acteurs du FN peuvent ( sans rire, et c’est bien le drame) invoquer le respect de la loi républicaine !
@J. Payen
[Douze mots, une phrase-couperet, terrible, forte comme un rugissement post-mortem de Philippe Séguin.]
Le meilleur des compliments…
[Quand on songe que désormais les principaux acteurs du FN peuvent ( sans rire, et c’est bien le drame) invoquer le respect de la loi républicaine !]
Ceux qui ont laissé au FN le terrain des valeurs républicains porteront une lourde responsabilité devant l’histoire…
Bonjour Descartes,
je crains de ne pas m’associer entièrement aux félicitations adressées à votre article, même si j’en partage 90% du contenu. Sur arsin.fr, j’avais, dans un premier temps, publié l’article d’Edgar, qui contestait la méthode de l’expulsion, et faisait une référence à Antigone que vous reprenez (pour contredire en partie l’usage qu’en fait Edgar). Au final, je pense que oui, les Dibrani devaient être expulsés, non pas parce que c’est une nécessité pour la France (restons très prudents avec les arguments du type « si nous ouvrions nos frontières, nous recevrions toute la misère du monde », car cela met de côté le fait qu’émigrer coûte assez cher, et est donc inaccessible pour la plupart des miséreux de ce monde) mais parce que c’est la loi. Et qu’en l’occurrence, aucun intérêt supérieur de la nation ou des personnes ne justifiait de la violer. Je me demande cependant comment il aurait fallu réagir dans le cas d’une expulsion mettant en danger la vie de l’expulsé, comme c’est déjà arrivé avec un clandestin sri lankais en 2007. Enfin, normalement, l’administration tente d’éviter ces cas. Mais tout est dans le « normalement ».
Ce qui m’amène au point d’achoppement réel. Ce qui m’avait intéressé dans l’article d’Edgar, c’est bien la distinction entre les valeurs et la Loi. Ou plutôt, devrais-je dire, entre la conscience et la Loi (je ne crois pas en l’existence de valeurs objectives), ou entre une perception individuelle de l’intérêt collectif et la Loi. Je ne peux m’associer aux propos que vous reprenez de Chevènement, et à partir desquels vous concluez que :
« Chevènement a eu raison de répondre à Claude Bartolone qu’il est absurde d’opposer la loi et les valeurs. La loi, parce qu’elle est l’expression de la volonté générale, parce qu’elle est votée par des gens qui, on l’espère, ont ces « valeurs » chevillés au corps, est bien l’expression des valeurs de la République. Celui qui invoque les « valeurs » pour violer la loi n’est pas un républicain. »
Le « on l’espère » dans votre phrase révèle que vous-mêmes n’êtes pas totalement convaincu de ce que vous dites. La Loi, même dans un régime républicain fonctionnant au mieux du possible, n’est pas l’expression de la volonté générale, mais sa meilleure approximation. Ce qui, pour le statisticien que je suis, n’est pas la même chose. Les dépositaires, élus ou légalement nommés, de l’expression de la volonté générale peuvent être pris en défaut.
Soit parce que leurs actes seraient totalement contraires à ce que veut la population. Ce qui n’est pas en soi un problème, rien ne m’horripilant plus que de voir des gens sommer un gouvernement d’aligner sa politique sur ce que disent les sondages, et lui nier le droit d’être impopulaire. Mais ça peut devenir un problème si les lois, par exemple électorales, instituent une rupture durable entre gouvernants et volonté majoritaire.
Soit parce que leurs décisions seraient plus ou moins conformes à l’avis du plus grand nombre, mais mèneraient à des conséquences odieuses (ce caractère étant toujours apprécié par les individus, et rarement « objectif ») et surtout durablement et profondément nuisibles à la collectivité.
L’exemple le plus frappant, bien au-delà de la pauvre affaire Leonarda, c’est l’action du général De Gaulle en juin 1940. Le gouvernement Pétain du 16 juin est incontestablement légal, même si l’on peut toujours débattre de la constitutionnalité du régime de Vichy à partir des 10-11 juillet suivants. En refusant l’armistice, dès le mois de juin, De Gaulle et les quelques milliers de premiers Français Libres sont ouvertement en rébellion contre un ordre légal, dont ils estiment les actions contraires à l’intérêt supérieur de la France (ainsi qu’à certaines valeurs, qu’une France vaincue et soumise, fut-ce « légalement », ne pourrait faire respecter). Mais ce n’étaient sans doute pas des républicains. Et pourtant, en plus de la France, ils ont agit à terme dans l’intérêt de la République, en lui rendant sa souveraineté, sans laquelle la question de la légalité du régime n’a plus autant d’importance.
Après, ce en quoi je vous rejoins totalement, dans votre rappel de la mort d’Antigone, c’est que celui qui prend la décision de violer la loi ne peut rejeter la conséquence de son acte. Les Français Libres l’assumaient immédiatement, en étant en guerre avec l’Allemagne nazie et le gouvernement Pétain. Au niveau beaucoup plus médiocre de l’affaire qui nous préoccupe, ou même plus généralement de ceux qui prétendent agir en « Justes » en entravant les expulsions légales d’immigrants, on ne constate même pas cette cohérence. Les Jean Moulin du dimanche veulent croire qu’ils peuvent violer la loi sans que celle-ci ne leur transmette la facture.
Mais, de façon analogue à un système logique qui ne peut éviter de rencontrer des propositions indécidables, il n’existe pas de système politique dont les règles apportent une réponse pertinente à toutes les situations. Et il faut le garder en tête les cas, même si très rares d’après l’expérience historique, où la violation du système est le seul moyen de sauver le système lui-même, ainsi que des enjeux plus importants encore (comme la nation).
@Pablito Waal
[Au final, je pense que oui, les Dibrani devaient être expulsés, non pas parce que c’est une nécessité pour la France (restons très prudents avec les arguments du type « si nous ouvrions nos frontières, nous recevrions toute la misère du monde », car cela met de côté le fait qu’émigrer coûte assez cher, et est donc inaccessible pour la plupart des miséreux de ce monde) mais parce que c’est la loi.]
C’est un raisonnement fallacieux. La « loi » ne tombe pas du ciel, ne naît pas de l’arbitraire d’un dieu capricieux. C’est l’expression d’une nécessité publique. Le législateur n’a pas le droit d’interdire n’importe quoi : « La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société » (article 5, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789). Si la loi ordonne l’expulsion des Dibrani est légitime, alors il faut bien admettre que la présence des Dibrani sur le territoire français soit « nuisible » à la collectivité nationale…
[Je me demande cependant comment il aurait fallu réagir dans le cas d’une expulsion mettant en danger la vie de l’expulsé, comme c’est déjà arrivé avec un clandestin sri lankais en 2007.]
Cela dépend de savoir si l’expulsion en elle-même met en danger la vie de l’expulsé (cas de l’expulsion d’une personne internée dans un service hospitalier, par exemple) ou si c’est l’expulsé qui de lui-même met sa vie en danger pour éviter l’expulsion. Dans le premier cas, la réponse est bien connue et le cas prévu par la loi. Dans le second, c’est en fait une prise d’otages, sauf que le preneur d’otage et l’otage sont la même personne. Céder ne fait qu’encourager ce genre de comportements. On le voit bien à Lampedusa…
[Le « on l’espère » dans votre phrase révèle que vous-mêmes n’êtes pas totalement convaincu de ce que vous dites. La Loi, même dans un régime républicain fonctionnant au mieux du possible, n’est pas l’expression de la volonté générale, mais sa meilleure approximation.]
Exactement mon point. Puisque la loi est la « meilleure approximation » de la volonté générale, il s’ensuit que la vision personnelle qu’on peut avoir de ce qu’est ou ce que devrait être la volonté générale est moins bonne comme approximation. Dès lors, personne n’a le droit de mettre sa vision personnelle, ses « valeurs », au dessus de la loi.
Je n’ai jamais dit que la loi fut ontologiquement le miroir de la volonté générale. Ce que j’ai dit, c’est que la fiction que la loi est l’expression de la volonté générale est indispensable à tout régime républicain. Dès lors qu’on admet institutionnellement que l’individu peut avoir raison contre la loi et qu’il est seul juge de la question, la République devient impossible.
[L’exemple le plus frappant, bien au-delà de la pauvre affaire Leonarda, c’est l’action du général De Gaulle en juin 1940. Le gouvernement Pétain du 16 juin est incontestablement légal, même si l’on peut toujours débattre de la constitutionnalité du régime de Vichy à partir des 10-11 juillet suivants.]
L’exemple est très mal choisi. On ne peut pas déduire d’un exemple « limite », d’une situation dans laquelle les pouvoirs publics avaient cessé de fonctionner normalement des règles ou des normes générales. Si demain un général français se réfugiait à Londres et appellait à la radio les armées de terre, de mer et de l’air à désobéir au pouvoir constitutionnel et à se mettre à ses ordres, il serait traité comme un séditieux, et l’exemple de la France Libre ne lui serait d’aucun secours.
[En refusant l’armistice, dès le mois de juin, De Gaulle et les quelques milliers de premiers
Français Libres sont ouvertement en rébellion contre un ordre légal, dont ils estiment les actions contraires à l’intérêt supérieur de la France (ainsi qu’à certaines valeurs, qu’une France vaincue et soumise, fut-ce « légalement », ne pourrait faire respecter). Mais ce n’étaient sans doute pas des républicains.]
Sans aucun doute. De Gaulle n’était pas particulièrement républicain, et parmi ceux qui l’ont rejoint aux premiers temps de la France Libre, il y en avait pas mal qui étaient monarchistes et affichaient le plus profond mépris pour la République. De Gaulle et ses compagnons étaient certainement dans le vrai, mais ils n’étaient pas « républicains » pour autant. Et De Gaulle n’a d’ailleurs jamais prétendu avoir agi en 1940 au nom de l’intérêt général ou d’une quelconque République. Au contraire : il a toujours prétendu avoir agi au nom de « la France », entité qui ne commence ni ne termine avec la République.
Si l’histoire de la France Libre pose une question, c’est bien celle de ce que devient la République lorsque des circonstances graves et exceptionnelles empêchent le peuple de s’exprimer. Dans une telle situation, les hommes sont bien obligés d’agir en fonction de leurs convictions, puisqu’ils n’ont aucun moyen de connaître la volonté du peuple. Mais ce n’est certainement pas le cas dans l’affaire Dibrani : les pouvoirs publics fonctionnent normalement, les lois sont votées par un Parlement élu, sans proscriptions, qui ne se réunit pas sous la pression des baïonnettes dans une ville de province…
Bonjour Descartes, et merci de votre réponse.
Celle-ci ne me convainc pas de l’idée qu’il n’y a pas d’opposition entre loi et valeurs, ou plutôt les valeurs qu’un individu peut avoir au niveau de sa conscience personnelle, et que le raisonnement basé sur les valeurs ne puisse mener à contredire celui basé sur la loi. Dans mon expression de la loi comme « meilleure approximation » de la volonté générale, vous retenez « meilleure », je retiens surtout « approximation ». Donc avec le risque d’erreur. Toute loi est potentiellement une trahison des valeurs, de l’intérêt collectif et peut être questionnée comme telle par les individus. Quand vous dites « personne n’a le droit de mettre sa vision personnelle, ses « valeurs », au dessus de la loi », vous avez raison littéralement : personne n’a « le droit » d’enfreindre…le Droit. Mais il peut très bien avoir raison du point de vue de l’intérêt collectif, ou par rapport à des intérêts individuels que la loi bafouerait sans rien apporter de bon au niveau collectif.
De ce point de vue, un individu peut avoir raison de violer la loi. Mais il sera sanctionné également, et à juste titre. Car la rationalité du point de vue du législateur et du magistrat n’est pas la même – parce que le point de vue est différent, et les motivations parfois aussi- de la rationalité vue de l’individu particulier, même si celui-ci pense agir pour le bien collectif. Et si l’individu décide d’agir contre la loi, il le fera au nom d’un rapport coût/bénéfice entre ce qu’il a à défendre et ce que la loi lui fait encourir .
Revenons à l’histoire des Dibrani, il me semble que vous inversiez le raisonnement : ce n’est pas parce que la loi ordonne l’expulsion des Dibrani que leur présence est nuisible à la collectivité, mais parce que l’immigration illégale a été jugée nuisible que la loi exige les expulsions d’immigrants illégaux. Et, pour continuer mon raisonnement, je peux parfaitement penser que le législateur s’est trompé. Nous aurions pu considérer que les ressortissants kosovars n’ont pas à être expulsés, que la France en tant que collectivité ne souffre pas de leur présence. Mais la loi a été votée ainsi, pour des raisons qui ne sont pas celles d’un Dieu capricieux mais de législateurs ayant leurs raisons justifiées selon eux par l’intérêt public, les raisons comme les législateurs pouvant changer avec les élections.
Dois-je remettre en cause la loi ? Non, car le désordre public et la nuisance à la collectivité (dont la contradiction portée à la volonté de la majorité des français, partisans des expulsions) qui en résulteraient seraient bien plus dommageables que les contrariétés de cette expulsion pour quelques personnes, la famille en question ou même pour tous ceux qui désapprouveraient les expulsions. Mais c’est bien un raisonnement coût/bénéfice qui est en œuvre ici .
Pour l’exemple de 1940, je refuse globalement cette dichotomie entre « cas ordinaires » et « cas limites », aussi bien au niveau du raisonnement individuel que pour un système politique . Un système de principes, pour un individu comme pour une organisation, doit avant tout reposer sur des buts. Mes buts peuvent être ma conservation, celle de mes proches et du plus grand nombre. Ceux de la République sont la conservation et le développement du corps national. Si je pensais que respecter la Loi devait être un but en soi, parce que « la Loi est la volonté générale », sauf dans des cas « limites » à la définition floue, alors je suis perdu si ces cas se produisent. Si je comprends que le respect de la Loi est un moyen vers des fins supérieures (et qu’il y a donc distinction entre la loi et les valeurs), je peux déduire quand il faut cesser de me conformer aux lois, sans invoquer des « exceptions », invocations qui ne seraient qu’un aveu d’échec de mon système de pensée, insuffisamment complet et prévoyant.
Et dans le cas du mois de Juin 1940, lorsque vous dites qu’ « on ne peut pas déduire d’un exemple « limite », d’une situation dans laquelle les pouvoirs publics avaient cessé de fonctionner normalement des règles ou des normes générales », je dois désapprouver. Il y avait justement un pouvoir public qui fonctionnait toujours : le gouvernement, sans quoi il n’y aurait même pas eu d’armistice. Et c’est justement en situation de guerre, même de débâcle, que le devoir d’obéissance au gouvernement devrait être le plus absolu ! Donc si on ne le fait pas, c’est bien que le cadre légal est défaillant pour l’intérêt collectif. D’autant que l’invasion du territoire métropolitain n’était pas un cas imprévisible pour le législateur d’avant 1940 (cf. 1815 et 1870…).
Le cas que vous invoquez ensuite, d’un général qui appellerait demain à la sédition, est très déplacé, puisque nous ne sommes pas envahis… Actuellement, aucun individu sensé et un minimum attaché à son pays ne prendrait cette décision. Les Français Libres ont fait le calcul coût/bénéfice selon lequel le coût d’être dans l’illégalité, en exil, ou dans la clandestinité, en guerre avec Pétain et Hitler, était inférieur au coût de l’acceptation de la défaite, option insupportable pour eux.
Pour ce qui est du républicanisme des Français Libres, je ne pense pas que vous ayez saisi mon propos : républicains ou pas, le fait est qu’ils ont abouti au rétablissement de la République, une République disposant de sa souveraineté, alors que le dernier gouvernement de la Troisième République (Pétain) s’en démettait, et que ce résultat était prévisible, même pour les résistants issus de l’Action Française ou de la Cagoule. Ces non-républicains ont fait plus de bien à la République que ceux qui ont suivi l’ordre républicain au mois de Juin (à partir de Juillet 1940 il n’y a plus d’ordre républicain)…
Donc, il existe des cas où le salut d’un système exige la violation momentanée de ses règles. La République peut prévoir des lois qui lui permettent d’affronter les situations «extrêmes », et si possible les intégrer à son raisonnement « ordinaire ». Un peu comme la découverte d’un contre-exemple à un théorème doit mener à le remplacer par un théorème plus élaboré, et non à dire que l’ancien théorème est vrai en deçà des Pyrénées et qu’il en faut un autre au-delà, pour les « exceptions ». Et quand malgré tout le système est pris en défaut, le raisonnement individuel prend le relais.
En conclusion, vous dites : « Si l’histoire de la France Libre pose une question, c’est bien celle de ce que devient la République lorsque des circonstances graves et exceptionnelles empêchent le peuple de s’exprimer. » Mais le peuple s’exprime rarement de toutes façons, et pendant l’essentiel du temps, les élus et gouvernants dépositaires de sa volonté agissent en son nom sans le reconsulter. C’est le fonctionnement normal d’une démocratie représentative. En juin 1940, le gouvernement français et l’Assemblée disposaient toujours de la légitimité du vote des français de 1936. Le fait que Pétain ait remplacé Reynaud le 16 juin en catastrophe ne change rien à l’affaire. De ce point de vue, la proposition d’armistice faite à l’Allemagne est techniquement « l’expression de la volonté générale ». Aurait-elle été moins odieuse si c’était le gouvernement Paul Reynaud, formé en mars 1940, donc avant la débâcle, qui avait fait cette proposition ? Et si les parlementaires avaient pu se réunir pour approuver indiscutablement cette offre d’armistice ?
« Dans une telle situation, les hommes sont bien obligés d’agir en fonction de leurs convictions, puisqu’ils n’ont aucun moyen de connaître la volonté du peuple. » Le problème est justement que pour beaucoup de français, à la différence des Français Libres, il n’y a pas eu de possibilités d’agir, même en tant qu’individus, en fonction de leurs convictions, car le coût d’une telle action était bien trop élevé.
@Pablito Waal
[Celle-ci ne me convainc pas de l’idée qu’il n’y a pas d’opposition entre loi et valeurs, ou plutôt les valeurs qu’un individu peut avoir au niveau de sa conscience personnelle, et que le raisonnement basé sur les valeurs ne puisse mener à contredire celui basé sur la loi.]
Je n’ai jamais dit qu’il ne puisse avoir opposition entre la loi et les valeurs de tel ou tel individu (car les « valeurs » sont individuelles, il n’existe pas de « valeurs » descendues du ciel). Ce que j’ai dit, c’est que nul n’a droit de mettre ses « valeurs » au dessus de la loi, et utiliser cette opposition comme prétexte pour prétendre violer la loi impunément. Ce n’est pas tout à fait la même chose. Que votre raisonnement vous mène à être en désaccord avec la loi, c’est normal. Que vous en tiriez prétexte pour ignorer la loi, c’est autre chose.
[Dans mon expression de la loi comme « meilleure approximation » de la volonté générale, vous retenez « meilleure », je retiens surtout « approximation ». Donc avec le risque d’erreur.]
Oui. Mais un risque qui est inférieur à celui qui surgirait si l’on adoptait n’importe quelle des autres « approximations » possibles – par exemple, celle que me suggère mon jugement personnel et mes « valeurs ».
[Mais il peut très bien avoir raison du point de vue de l’intérêt collectif, ou par rapport à des intérêts individuels que la loi bafouerait sans rien apporter de bon au niveau collectif.]
La question de savoir qui a raison et qui a tort ne m’intéresse que marginalement. Ici la question n’était pas de savoir si la loi a raison, mais si l’on doit l’appliquer.
[De ce point de vue, un individu peut avoir raison de violer la loi. Mais il sera sanctionné également, et à juste titre.]
Voilà. C’est exactement ma position. Sauf que je ne parlerait pas de « avoir raison », mais plutôt « avoir ses raisons ».
[Revenons à l’histoire des Dibrani, il me semble que vous inversiez le raisonnement : ce n’est pas parce que la loi ordonne l’expulsion des Dibrani que leur présence est nuisible à la collectivité, mais parce que l’immigration illégale a été jugée nuisible que la loi exige les expulsions d’immigrants illégaux.]
Je n’ai jamais dit que « c’est parce que la loi ordonne l’expulsion des Dibrani que leur présence est nuisible ». Mon raisonnement est bien le votre : la loi interdit ce qui est nuisible, et non l’inverse. Seulement, si la loi l’interdit et qu’elle n’est pas jugée inconstitutionnelle, c’est bien qu’elle respecte le principe selon lequel « la loi ne peut interdire que ce qui est nuisible ». Il s’ensuit, avec une imparable logique, que si la nuisibilité n’est pas une conséquence de la loi, la loi est un signe de nuisibilité…
[Et, pour continuer mon raisonnement, je peux parfaitement penser que le législateur s’est trompé. Nous aurions pu considérer que les ressortissants kosovars n’ont pas à être expulsés, que la France en tant que collectivité ne souffre pas de leur présence.]
Tout à fait. De la même manière que je peux parfaitement penser que le législateur s’est trompé lorsqu’il a interdit l’excision, la vente d’armes ou le meurtre. Tant qu’il ne s’agit de « penser », cela ne pose aucun problème. Mais si j’accorde aux uns le droit d’agir pour empêcher l’expulsion de Leonarda, je ne peux refuser aux autres le droit d’exciser, de trafiquer des armes ou de trucider leur prochain. Quelle règle me permet de décider quelles sont les lois sur lesquelles il est juste d’agir comme si le législateur s’était trompé, et quelles non ?
[Dois-je remettre en cause la loi ? Non, car le désordre public et la nuisance à la collectivité (dont la contradiction portée à la volonté de la majorité des français, partisans des expulsions) qui en résulteraient seraient bien plus dommageables que les contrariétés de cette expulsion pour quelques personnes, la famille en question ou même pour tous ceux qui désapprouveraient les expulsions. Mais c’est bien un raisonnement coût/bénéfice qui est en œuvre ici.]
Je suis d’accord avec vous. Mais c’est d’un « coût/bénéfice » très général qu’il s’agit : il y a un intérêt général des citoyens au maintien de l’ordre public, tant il est vrai qu’un ordre même injuste est toujours préférable au chaos.
[Pour l’exemple de 1940, je refuse globalement cette dichotomie entre « cas ordinaires » et « cas limites », aussi bien au niveau du raisonnement individuel que pour un système politique. Un système de principes, pour un individu comme pour une organisation, doit avant tout reposer sur des buts. Mes buts peuvent être ma conservation, celle de mes proches et du plus grand nombre. Ceux de la République sont la conservation et le développement du corps national. Si je pensais que respecter la Loi devait être un but en soi, parce que « la Loi est la volonté générale », sauf dans des cas « limites » à la définition floue, alors je suis perdu si ces cas se produisent.]
Oui, vous êtes perdu. Et c’est inévitable dès lors que vous admettez le principe de la souveraineté populaire. Tout simplement parce que dans les « cas limites », la volonté du peuple ne peut plus s’exprimer puisque la délibération publique est impossible. Et dans ces cas, il ne reste à chacun qu’à faire ses propres lois. Imaginez-vous la situation d’une île qui serait coupée par une catastrophe quelconque de la métropole. Que doit faire le préfet ? Si une mesure qui relève d’un ministre, du président de la République, du parlement doit être prise pour faire face à la crise, que doit-il faire ? Doit-il s’abstenir d’agir sous prétexte que la « volonté générale » ne peut s’exprimer ? Ou doit-il agir au plus près de ce qu’il estime être la « volonté générale » au risque d’être désavoué lorsque le peuple pourra finalement être consulté ? Voilà tout le dilemme de 1940. L’article 16 de la Constitution tire un peu les conséquences de cette expérience : lorsque les pouvoirs publics ne fonctionnent plus, et ne peuvent donc plus exprimer la « volonté générale », le président a la possibilité d’agir seul.
[Si je comprends que le respect de la Loi est un moyen vers des fins supérieures (et qu’il y a donc distinction entre la loi et les valeurs), je peux déduire quand il faut cesser de me conformer aux lois, sans invoquer des « exceptions », invocations qui ne seraient qu’un aveu d’échec de mon système de pensée, insuffisamment complet et prévoyant.]
Je ne comprends pas très bien votre raisonnement. Comment pouvez vous « déduire » pareille chose sans « invoquer des exceptions » ?
[Et dans le cas du mois de Juin 1940, lorsque vous dites qu’ « on ne peut pas déduire d’un exemple « limite », d’une situation dans laquelle les pouvoirs publics avaient cessé de fonctionner normalement des règles ou des normes générales », je dois désapprouver. Il y avait justement un pouvoir public qui fonctionnait toujours : le gouvernement, sans quoi il n’y aurait même pas eu d’armistice.]
Peut-on raisonnablement dire qu’en juin 1940 le gouvernement « fonctionnait normalement » ? Je ne le pense pas.
[Et c’est justement en situation de guerre, même de débâcle, que le devoir d’obéissance au gouvernement devrait être le plus absolu !]
Au gouvernement légitime, oui. Mais quid d’un gouvernement qui n’a pas les moyens – parce que les pouvoirs publics ne fonctionnent pas normalement – de prouver qu’il représente bien la volonté générale ? Pour reprendre la formule d’un maréchal de Napoléon, « en temps troublés la difficulté ce n’est pas de faire son devoir, mais de le connaître ».
[Donc si on ne le fait pas, c’est bien que le cadre légal est défaillant pour l’intérêt collectif. D’autant que l’invasion du territoire métropolitain n’était pas un cas imprévisible pour le législateur d’avant 1940 (cf. 1815 et 1870…).]
Non, mais contrairement à la constitution de la Vème République, celle de 1871 ne prévoit nullement le fonctionnement des pouvoirs publics en situation exceptionnelle.
[Le cas que vous invoquez ensuite, d’un général qui appellerait demain à la sédition, est très déplacé, puisque nous ne sommes pas envahis…]
Attendez un instant… après avoir consacré plusieurs paragraphes a refuser la théorie des « circonstances exceptionnelles », vous admettez ici que le fait d’être « envahis » modifierait la qualification d’un acte de sédition ? Faudrait savoir…
[Pour ce qui est du républicanisme des Français Libres, je ne pense pas que vous ayez saisi mon propos : républicains ou pas, le fait est qu’ils ont abouti au rétablissement de la République,]
Oui. Mais s’ils avaient été des « bons républicains », ils ne l’auraient pas fait. La grande majorité des « vrais républicains » avaient trop de révérence pour la loi républicaine pour la défier en allant à Londres… C’est l’une de ces étranges ironies de l’Histoire que le rétablissement de la République dans sa souveraineté ait été facilité sinon rendu possible par l’anti-républicanisme des premiers gaullistes.
[Donc, il existe des cas où le salut d’un système exige la violation momentanée de ses règles. La République peut prévoir des lois qui lui permettent d’affronter les situations «extrêmes », et si possible les intégrer à son raisonnement « ordinaire ».]
C’est un peu ce que fait l’article 16 de la Constitution de 1958 – article qui fut d’ailleurs violemment critiqué par bien des républicains « pur jus ». Il n’en reste pas moins que, pour reprendre votre analogie mathématique, aucun système de droit n’est complet. Il existera toujours des « situations limites » où il sera difficile de savoir avec certitude quelle est la « volonté générale ». Et dans ces cas, il ne restera aux acteurs qu’à agir chacun en fonction de ce qu’il pense être l’intérêt général, quitte à violer les lois. Mais cela n’est légitime, je le répète, que dans une situation ou la volonté générale est empêchée de s’exprimer. Ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui.
[En conclusion, vous dites : « Si l’histoire de la France Libre pose une question, c’est bien celle de ce que devient la République lorsque des circonstances graves et exceptionnelles empêchent le peuple de s’exprimer. » Mais le peuple s’exprime rarement de toutes façons, et pendant l’essentiel du temps, les élus et gouvernants dépositaires de sa volonté agissent en son nom sans le reconsulter.]
Ce n’est pas exact. Le peuple s’exprime en permanence. Par l’action des corps intermédiaires (associations, syndicats…), par l’action des partis politiques, par les manifestations, par la presse. Les élus, les ministres reçoivent en permanence des sollicitations des citoyens. Il est vrai qu’en dernière instance ce sont les élus et les gouvernants qui décident. Mais il est faux de croire que cette décision est déconnectée de l’expression populaire.
[C’est le fonctionnement normal d’une démocratie représentative. En juin 1940, le gouvernement français et l’Assemblée disposaient toujours de la légitimité du vote des français de 1936.]
C’est discutable. L’exclusion des députés communistes, par exemple, avait pas mal écorné la prétention à la représentativité… Mais la légitimité formelle n’est pas tout. La démocratie, ce n’est pas seulement les assemblées. Dans le contexte de 1940, les citoyens pouvaient-ils manifester contre l’armistice ? Pouvaient-ils s’exprimer librement dans les journaux ? Pouvaient-ils frapper à la porte de leur député pour lui dire leur sentiment ? Bien sur que non. Dès lors, la question se pose de savoir si l’assemblée représentait bien la « volonté générale »…
[De ce point de vue, la proposition d’armistice faite à l’Allemagne est techniquement « l’expression de la volonté générale ». Aurait-elle été moins odieuse si c’était le gouvernement Paul Reynaud, formé en mars 1940, donc avant la débâcle, qui avait fait cette proposition ? Et si les parlementaires avaient pu se réunir pour approuver indiscutablement cette offre d’armistice ?]
Elle aurait été moins « odieuse » parce qu’elle n’aurait pas existé. Je vous fais remarquer que Reynaud a eu plein d’opportunités pour demander un armistice et ne l’a pas fait. Il a d’ailleurs été forcé à partir par une cabbale précisément parce qu’il était vu comme « belliciste »…
Bonjour Descartes,
J’ai pris un peu de retard, pour vous faire une réponse synthétique. Nous nous demandions initialement s’il était possible de s’opposer à la loi au nom de valeurs s’imposant à la conscience d’individus (valeurs subjectives comme dit précédemment). Ma réponse est que pour chaque personne, il y a une perception de l’intérêt collectif, supérieur à la loi. Il y a aussi, et il me semble avoir été explicite dans ma précédente réponse, une différence entre les buts, les principes, les moyens.
Lorsque je dis que je refuse la dichotomie « situations ordinaires / situations exceptionnelles », c’est pour dire que je cherche un mode de raisonnement et des buts ultimes qui restent les mêmes dans les deux situations. Les contextes changent en permanence ; mon raisonnement pratique, qui peut s’assimiler à une fonction où la réalité présente tient lieu de paramètre, doit rester le même le plus souvent possible.
La loi et le respect que j’y accorde sont des moyens, et non des buts. Il faut donc des buts ultimes, supérieurs aux lois, qui font que je peux choisir d’aller contre la Loi – en assumant la sanction de celle-ci, ou d’avoir à m’exiler comme dans le cas des Français Libres – , sans avoir à me dire que je le fais parce que la situation est « exceptionnelle » (si j’estime que la Loi est généralement mauvaise mais que je n’ai pas les moyens d’y remédier légalement, je peux déduire que je dois être dans l’illégalité régulièrement), mais au contraire parce que je suis en permanence le même raisonnement.
La question de savoir si l’on respecte la loi ou pas n’est donc pas une question de « normalité » contre « exceptions ». La Loi, pour être respectée par le très grand nombre, ne doit pas seulement être l’expression d’une volonté générale plus ou moins librement exprimée, mais aussi émaner d’une recherche d’intérêt collectif crédible et un minimum lucide. D’où le fait qu’on peut discuter certains exemples que vous donnez. Très peu de gens auront envie de justifier celui qui violera la loi pour exciser ou distribuer illégalement des armes – sauf dans certains cas très précis, où il ne m’étonnerait pas que l’opinion approuve des commerçants s’armant illégalement pour faire face à des braquages. Par contre, dans le cas d’une expulsion d’un homme (je reprends l’exemple du premier message) qui se fait expulser vers un pays où il risque manifestement d’être tué (et non de son fait, excluant le cas du chantage), il peut y avoir des gens qui feront entrave à l’expulsion légale. Ces gens doivent accepter que l’Etat réprime leur comportement, s’ils ont fait le calcul que cette sanction est la contrepartie du salut d’une vie. Si l’administration réitère ces cas d’expulsions dangereuses et se heurte à autant d’entraves, soit la loi sera appliquée plus sévèrement, soit des preuves seront réunies au sujet d’un pays particulier, et les magistrats ou préfets, qui comme l’expliquait Eolas récemment sur l’affaire Léonarda, ont une marge de décision, modifieront leur action. Et peut-être même la loi changera au final.
Et plus généralement, même si une décision ou nomination politique est incontestablement votée par la majorité du corps civique, il reste la possibilité que cette décision soit inadmissible même du point de vue de l’intérêt de la collectivité. Pour le cas de la défaite de 1940, on ne saura jamais ce qu’auraient voté les parlementaires réunis au complet, voire les français par référendum, l’avis de Paul Reynaud ne pouvant être extrapolé à celui de la population. Dans le cas d’un armistice correspondant à « la volonté générale », on peut à juste titre refuser d’obtempérer. De Gaulle eut de la chance qu’une telle expression du peuple fut impossible, car cela permit d’écrire dès le 18 juin que l’armistice fut signée par « des gouvernants de rencontre ». Les buts moraux ultimes sont supérieurs non seulement à la loi, mais aussi à la volonté majoritaire.
Le législateur peut essayer de réduire au minimum l’écart potentiel entre buts de protection de l’intérêt collectif et loi en faisant de celle-ci le système le plus prévoyant possible. A ce titre, l’article 16 est une tentative de rationalisation d’une situation dite « exceptionnelle ». L’article en question étend le raisonnement républicain à ces situations en établissant que même lorsqu’elles se produisent, le pouvoir reste entre les mains d’une personne dépositaire du suffrage universel (le Président), confirme les buts qu’il doit rechercher (et donc que le suffrage ne lui donne pas tous les droits), notamment que les « mesures [prises par le chef d’Etat] doivent être inspirées par la volonté d’assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d’accomplir leur mission », et pose les limites temporelles de ce mandat. Donc, l’article 16 instaure le fait que, même dans les situations « exceptionnelles », le raisonnement républicain reste le même.
Mais il y a toujours une friction entre la loi et ce que les individus estiment juste pour le collectif – ou pour un individu si ce n’est pas nuisible au collectif. Raisonner ainsi ne revient pas à tolérer l’excision ou que sais-je encore parce que peu de gens y verront une défense de l’intérêt commun. Et c’est là qu’on en vient à la conclusion pratique de notre débat : la loi s’applique, dans tous les cas, mais il reste à décider si l’on peut, au nom de valeurs subjectives, parfois violer la loi et accepter la sanction, ou toujours la respecter quelles qu’en soient les conséquences. En raison de tout ce qui précède, je suis toujours prêt à envisager la première possibilité, qu’on soit en des temps « exceptionnels » ou pas. Mais la décision finale dépend toujours de la situation, le raisonnement et les buts ultimes, eux, restant invariants.
Bonsoir Descartes,
dans la foulée de cette lamentable affaire dite "Léonarda", voilà encore une bombe larguée par JF Copé: il appelle à réformer le droit du sol, en remettant en cause l’automaticité du droit du sol pour les clandestins.
Et bien, au risque de choquer mes camarades commentateurs qui fréquentent votre blog, je me suis surpris à être d’accord avec lui, du moins quand il dit qu’il faudrait en discuter. C’est une grande première, et ça me fait un choc!
D’ailleurs, pour moi, il ne va pas assez loin car si je suis pour le droit du sol, c’est à une seule condition: que nous retrouvions la maîtrise de nos frontières. Sinon, notre pays devient un aimant à clandestins, notamment de femmes enceintes accouchant sur le sol français. C’est déjà le cas en Guyane et à Mayotte… Bien entendu, je ne nie pas la part de calcul politicien de la déclaration de Copé, mais elle me paraît loin d’être insensée, surtout pour moi qui suis fils d’immigrés. En plus, j’ai complètement retourné ma veste sur cette question en vieillissant.
Je m’explique: il y a 20 ans exactement, les lois Pasqua-Debré reformaient le droit du sol en suspendant l’automaticité du droit du sol pour les enfants d’étrangers REGULIERS nés en France. Pour ces enfants, la nationalité française était acquise de plein droit s’ils faisaient la démarche pour la demander. Deux choses me reviennent en mémoire sur le contexte: à l’origine, ce sont bien les socialistes qui avaient initié ce texte. Oui, ça semble étonnant, mais je me souviens d’une réflexion d’Edith Cresson, premier ministre en 1992, qui avait déclaré qu’elle ne serait pas choquée si un enfant né en France de parents étrangers faisaient une démarche volontaire pour obtenir la nationalité française. Cela faisait suite à l’épiphanie de Rocard et Mitterrand, sur le fait que la France ne pouvait accueillir toute seule toute la misère du monde, et que le fameux seuil de tolérance avait été atteint. L’autre élément important était la mise en application du traité de Maastricht début 1993, avec la mise en place de la libre circulation des personnes à l’intérieur de l’ex-CEE devenue UE. Certes, l’union n’avait que 12 membres, et surtout la citoyenneté européenne avait été instaurée, mais entre pays de niveau de vie relativement homogènes. En clair, avec le recul du temps, j’ai fini par réaliser que les mesures Pasqua-Debré étaient relativement sages et judicieuses, alors qu’à l’époque, je me souviens d’y avoir été férocement hostile.
Tout change, quand en 1998, les socialistes abrogent une grande partie des dispositions de la loi Pasqua-Debré, notamment en rétablissant l’automaticité de la nationalité française pour toute personne née en France. C’est assez drôle de noter à quel point la gauche plurielle a effectué un virage à 180° sur cette question, en profitant de l’image désastreuse de l’évacuation des "sans-papiers" de l’église St Bernard, pour faire abroger ce texte. Les associations de "sans-papiers" (zut! Je vais dire clandestins, ce sera plus clair, et plus proche de la vérité…) ont d’ailleurs commencé à faire florès à ce moment-là. Le contraste était saisissant: là où Rocard et Cresson ont fait preuve de responsabilité, Jospin et ses acolytes ont agi en fonction de leurs convictions libérales-libertaires et anti-républicaines. D’ailleurs, il ne faut pas chercher loi la raison de chute du candidat-premier ministre aux Présidentielles de 2002: l’immigration incontrôlé y aura eu sa part…
Tout ça pour dire que, si ce n’est pas la pierre philosophale, le retour à une disposition de type Pasqua-Debré ne serait pas forcément une mauvaise idée. Il évitera les abus de droits, mais surtout il sera un pas important pour favoriser la cohésion nationale en mettant fin à l’avènement d’une génération de Français que je qualifierais "de papiers", qui détestent leur pays de naissance, et qui s’y comportent en passager clandestin. Je crois surtout que ça aidera à faire prendre conscience aux enfants nés de parents étrangers de ce qu’ils doivent au pays qui les a vu naître, les a nourri et qui s’est occupé de leur parents.
Voilà donc un sujet qui pourra enfin être mis sur la place publique, surtout depuis que les gauchistes pro-immigrationnistes sont en train de perdre de leur emprise sur les esprits, comme l’affaire Léonarda nous en a administré la preuve…
@CVT
[dans la foulée de cette lamentable affaire dite "Léonarda", voilà encore une bombe larguée par JF Copé: il appelle à réformer le droit du sol, en remettant en cause l’automaticité du droit du sol pour les clandestins].
Sur le fond, la mesure ne me parait pas absurde. Elle est quand même difficile à écrire dans le respect des textes internationaux ratifiés par la France, et qui prévoient que tout homme a droit à une nationalité. On peut aussi faire comme les anglais, qui ont deux « niveaux » de nationalité, le « british national » et le « british citizen ». Le problème de la proposition Copé, c’est qu’elle pue la démagogie à plein nez. C’est fou ce que les gens ont de bonnes idées quand ils sont dans l’opposition…
[ En clair, avec le recul du temps, j’ai fini par réaliser que les mesures Pasqua-Debré étaient relativement sages et judicieuses, alors qu’à l’époque, je me souviens d’y avoir été férocement hostile.]
Comme disait je ne sais plus qui – G.B. Shaw, je crois – « celui qui a 20 ans n’est pas révolutionnaire n’a pas de cœur, celui qui à 40 est encore révolutionnaire n’a pas de tête ». Je devais être précoce, car étant moi-même naturalisé j’ai toujours trouvé normal qu’un pays puisse choisir a qui il donne ou refuse la citoyenneté. J’ai toujours été favorable à l’acte volontaire et à la prestation de serment, opposé à la double nationalité, et d’une manière générale à tout ce qui transforme la citoyenneté en une pure commodité administrative.
[ Le problème de la proposition Copé, c’est qu’elle pue la démagogie à plein nez. C’est fou ce que les gens ont de bonnes idées quand ils sont dans l’opposition…]
Ce n’est pas moi qui dirait le contraire! Entre 2002 et 2012, la droite a eu largement le temps de revenir sur l’abrogation de 1998…
Mon propos, c’est que le sujet soit mis sur la table, qu’on en parle enfin! A l’instar du protectionnisme, déguisé sous le vocable de démondialisation par Arnaud Montebourg, si un démagogue parle du sujet, c’est qu’il répond à une attente! Comme la girouette qui tourne en indiquant le sens du vent…
@CVT
[Mon propos, c’est que le sujet soit mis sur la table, qu’on en parle enfin!]
Oui, mais posé comme ça difficile d’aboutir à un vrai débat. Ne nous voilons pas la face, ce qui intéresse Copé, c’est de piquer des voix au FN, pas de lancer un véritable débat. Je partage le point de vue de Guaino publié aujourd’hui dans "Le Monde": il faut une commission de sages qui élabore un texte sérieux, et soumettre ce texte à référendum pour que ce soit un texte véritablement partagé.