Ainsi, la loi constitutionnelle modifiant l’article 34 de la Constitution a été voté. Désormais, cet article contient l’alinéa suivant : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. ». Ce vote a suscité dans la presse toute sorte de commentaires dithyrambiques. Par ce vote, la France devient paraît-il le premier état à inscrire dans sa constitution l’interruption volontaire de grossesse. Ce faisant, notre pays serait fidèle nous dit-on à son rôle de phare de l’humanité, donnant au monde entier l’exemple à suivre.
Admettons. Mais ce texte est aussi historique pour une raison qui semble avoir échappé à beaucoup de ces commentateurs. En effet, pour la première fois dans l’histoire de notre droit constitutionnel on introduit dans le texte suprême une disposition restreignant explicitement un droit à une catégorie essentialisée, à savoir, « la femme ».
Certains d’entre vous me rétorqueront que c’était déjà le cas. Ainsi, par exemple, la Constitution de 1946 dit, dans son préambule, que « (la nation) garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». N’est-ce pas là une énumération de catégories ? Oui, mais il y a deux différences fondamentales avec le cas qui nous occupe. D’une part, les catégories ne figurent là qu’à titre d’exemple : la phrase commence par l’universalité : « (la nation) garantit à tous ». Puis procède par le biais d’un « notamment », à donner des exemples. Le droit en question n’est donc pas restreint à une catégorie, mais reste garanti à l’ensemble de la population. Et d’autre part, aucune des catégories qui y figurent n’est une « essence », toutes sont des états : on n’est pas « enfant », « mère » ou « vieux travailleur » toute sa vie.
Autre exemple, toujours pris dans la Constitution de 1946 : « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ». Là encore, ce paragraphe qui semble toucher une catégorie – les handicapés – est rédigé sous une forme universalisante, en commençant par « tout être humain ». Car là encore, il ne s’agit pas de catégories essentialisées : n’importe quel « être humain » peut un jour où l’autre se retrouver dans cette situation.
La disposition votée par le congrès cette semaine est très différente. La rédaction souligne le fait qu’elle protège une liberté réservée exclusivement à une une catégorie définie par son essence « la femme », à laquelle la moitié des êtres humains n’a aucune chance de pouvoir s’identifier. Et l’utilisation dans la formule de l’expression « la femme » plutôt que « les femmes » renforce encore cette idée, puisque le singulier renforce l’idée d’abstraction.
Vous me direz que seule une femme a des chances d’exercer effectivement la « liberté garantie d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». Ce n’est pas tout à fait le cas: une personne transgenre ou non binaire peut parfaitement se trouver dans cette situation (1) sans compter sur les progrès de la médecine… Mais ce n’est pas là le problème : même lorsqu’il s’agit d’un droit dont l’exercice n’est effectivement possible que par une section de la population, le constituant s’était jusqu’ici toujours attaché à une rédaction « universaliste » des dispositions constitutionnelles, considérant que le fait qu’une personne soit privée de la possibilité d’exercer concrètement un droit n’implique pas qu’elle n’en dispose pas in abstracto de ce même droit. Ainsi, par exemple, on considère la « liberté de parole » comme un droit universel, quand bien même les muets en sont privés de facto de son exercice. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui a valeur constitutionnelle, proclame que « tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Là encore, on a écrit « tout citoyen », et non « les citoyens qui savent lire et écrire et qui ont usage de la parole ».
On aurait pu parfaitement rédiger l’amendement constitutionnel concernant l’interruption volontaire de grossesse sous une forme universaliste. Par exemple, en écrivant que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté personnelle garantie d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». On a jugé nécessaire de préciser que cette « liberté » n’était « garantie » que « à la femme » et seulement à elle. On pourrait se demander pourquoi. Malheureusement, la réponse n’est pas évidente : lors du débat à l’Assemblée, je n’ai trouvé aucun législateur pour soulever cette question subtile. Il est possible que lors de l’examen du projet par le Conseil d’Etat la question ait été soulevée, mais les délibérations de ce vénérable organisme sont secrètes.
Cependant, le choix n’est pas neutre. Il ouvre la voie – qu’on verra certainement exploiter dans les prochaines années – à des réformes constitutionnelles qui, jetant aux orties l’idée même d’universalité des droits, consacreront des droits différentiés aux différentes « communautés essentielles ». Car si l’on peut aujourd’hui introduire dans la Constitution une disposition « garantissant » une liberté « à la femme » et à elle seule, pourquoi ne pourrait-on y introduire demain une disposition « garantissant » demain des droits particuliers aux nés à tel ou tel endroit, ou de tels ou tels parents, par exemple ? La gauche, qui de par son histoire fut la gardienne de l’universalisme, ne semble pas avoir perçu ce danger toute à son enthousiasme d’avoir gravé dans le marbre constitutionnel une liberté que personne aujourd’hui ne conteste.
On a insisté sur l’importance symbolique du vote du congrès. Et précisément parce qu’il a un poids symbolique important, on ne devrait pas négliger les termes mêmes de ce qui a été voté. On y a mis « la femme » dans le texte probablement parce que les lobbies des « féministes de genre », qui sont farouchement anti-universalistes et importent chez nous la vision communautariste américaine, tenaient absolument à ce que cela apparaisse comme un « droit des femmes ». Et parce que nos politiques, de gré ou de force, se plient à ce « politiquement correct » venu d’outre-Atlantique. Les rares politiques qui ont une réflexion personnelle sur la question sont soit trop terrorisés par ce lobby pour investir leur capital politique dans une résistance qu’ils savent coûteuse.
Seulement voilà : ce faisant, ceux qui ont voté ce texte – par conviction ou par lâcheté – ouvrent une brèche dans la doctrine juridique universaliste qui jusqu’ici a toujours prédominé en droit français. Plusieurs intervenants lors du débat parlementaire ont parlé de « consacrer un droit humain ». Comment peut-on parler de « droit humain », alors que la moitié de l’humanité – les hommes de sexe masculin – en sont exclus par la rédaction du texte ?
Descartes
(1) Dans sa grande sagesse – et ne craignant pas le ridicule – la commission des lois de l’Assemblée a jugé nécessaire de consulter le Conseil d’Etat à ce sujet. Qui n’a pas peur de créer un monstre juridique en répondant que « le caractère personnel de la liberté reconnue, que le Conseil constitutionnel rattache à la liberté personnelle, rend nécessaire d’en désigner le bénéficiaire, c’est-à-dire la femme. Il résulte de l’objet même de cette liberté et conformément à l’intention du Gouvernement qu’elle doit être entendue comme bénéficiant à toute personne ayant débuté une grossesse, sans considération tenant à l’état civil, l’âge, la nationalité et la situation au regard du séjour en France ». Autrement dit, les transgenres qui sont considérés comme des hommes de sexe masculin par l’état civil – et qui auraient bataillé pendant des années pour être ainsi reconnus – se verraient appliquée une disposition prévue pour « la femme ». Autrement dit, il y aurait deux types d’hommes de sexe masculin : ceux qui peuvent être gestants, et les autres… On nage en plein délire.
Je crois, cher ami et camarade, que vous oubliez une dimension du problème : cette rédaction exclut de la décision l’homme, c’est à dire le conjoint.
Alors que la décision, toujours pénible, cruelle, d’une IVG pourrait être celle d’un couple, on dénie (constitutionnellement !) au père potentiel le droit à sa part dans le choix.
On déclare que la femme (“mon corps, mon choix”…) est seule “propriétaire” du foetus qu’elle porte.
C’est à tout le moins discutable, éthiquement, socialement, politiquement.
@ Gugus69
[Je crois, cher ami et camarade, que vous oubliez une dimension du problème : cette rédaction exclut de la décision l’homme, c’est à dire le conjoint. Alors que la décision, toujours pénible, cruelle, d’une IVG pourrait être celle d’un couple, on dénie (constitutionnellement !) au père potentiel le droit à sa part dans le choix.]
La question est très complexe. En fait, l’idée que « on fait un enfant à deux » a beaucoup reculé ces dernières années. La dernière digue a sauté avec la « PMA pour toutes », qui effectivement efface le père du processus reproductif. La question n’a pas été soumise au débat public à ma connaissance, mais elle a été évoquée devant les tribunaux, et à chaque fois les juges ont estimé que le fœtus était une « extension » du corps de la mère. Ce qui est jusqu’à un certain point cohérent avec le fait que le fœtus n’est pas une personne.
[C’est à tout le moins discutable, éthiquement, socialement, politiquement.]
Tout à fait. Mais cette discussion n’aura pas lieu… parce que ouvrir le débat publiquement sur cette question conduirait à réviser un certain nombre de dogmes.
Cette question -pertinente au demeurant- a été abordée dans le fameux discours de Simone Veil de 1974.
En théorie, vous avez parfaitement raison. En pratique, la prise en compte juridique de cette réalité amène à des complications insolubles.
Le communautarisme était déjà entré dans la Constitution notamment pour la Nouvelle-Calédonie avec le titre XIII qui accorde des pouvoirs particuliers à un territoire français.
@ Glarrious
[Le communautarisme était déjà entré dans la Constitution notamment pour la Nouvelle-Calédonie avec le titre XIII qui accorde des pouvoirs particuliers à un territoire français.]
Le fait d’établir dans la Constitution des règles différentes pour tel ou tel territoire n’est pas une question de “communautarisme”, dans la mesure où tout citoyen français installé dans le territoire bénéficie automatiquement de ces règles. La seule disposition du titre XIII qui peut être regardée comme “communautariste” est celle qui restreint le corps électoral, puisqu’elle exclut effectivement certains citoyens du vote. Mais il faut relativiser: le titre XIII indique dans son titre même qu’il s’agit de dispositions transitoires…
“Et parce que nos politiques, de gré ou de force, se plient à ce « politiquement correct » venu d’outre-Atlantique.”
Vous ne croyez pas si bien dire : on a dit que la Présidente de l’Assemblée Nationale, Mme Braun-Pivet, était opposée à cette opération constitutionnelle, et que donc, elle a tourné casaque. On lui a posé la question. Et qu’a t elle répondu ? Qu’elle avait effectivement changé d’avis suite à ce qui s’est passé aux USA, certains Etats ayant voté là bas, contre l’IVG. Bien entendu, la structure d’Etat de la France n’a rien à voir avec celle des USA, et cela aurait du clore la tentative de comparaison. C’est bien navrant de constater qu’une aussi haute femme politique mène ses actions politiques et prenne ses décisions à l’aune (idéologique) de ce qui se passe dans le pays “étalon”, le pays “maître”… On aurait préféré, quelle que soit sa conviction, qu’elle exprime une position purement nationale, issue de sa réflexion personnelle et éthique, plutôt que de se positionner en fonction de ce qui se passe au Texas ou en Californie.
@ Sami
[C’est bien navrant de constater qu’une aussi haute femme politique mène ses actions politiques et
prenne ses décisions à l’aune (idéologique) de ce qui se passe dans le pays “étalon”, le pays “maître”…]
C’est un point commun à l’ensemble de nos élites, avec de très rares et honorables exceptions. Jusque dans des détails insoupçonnés : ainsi par exemple sur le site du « Monde » on trouve une section spéciale « élection présidentielle américaine », alors qu’on ne trouve pas de section consacrée aux élections européennes – dont le journal nous explique pourtant qu’elles sont absolument vitales pour notre avenir…
[On aurait préféré, quelle que soit sa conviction, qu’elle exprime une position purement nationale, issue de sa réflexion personnelle et éthique, plutôt que de se positionner en fonction de ce qui se passe au Texas ou en Californie.]
Eddy Mitchell se demandait avec humour « ou sont mes racines, Nashville ou Belleville ? ». Nos hommes politiques, eux, ont choisi.
encore un article très intéressant et bien vu. Merci.
nb: un bel exemple de ce que malgré de profonds désaccords politiques, même quelqu’un qui est pour moi un “horrible pro-russe” “toujours bienveillant pour l’affreuse idéologie communiste présente et passée” peut m’éclairer sur d’autres sujets. Et même sur ces sujets peut me donner à réfléchir (ex: Manouchian).
” La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. ».”
J’ai un soucis avec cette phrase.
C’est une phrase qu’on pourrait qualifier de typiquement néolibérale
1/D’une part le choix est renvoyé à un individu (la femme). On pourrait s’interroger sur ce qu’est cet individu nommé: la femme. Il y a des femmes, des hommes, des enfants et des sociétés humaines.
Ce terme est impropre la femme qu’est-ce. Est-ce Eve? Est-ce un sujet abstrait fantasmé ou non?
2/Ce n’est pas seulement le fait que les femmes seules doivent régler le soucis de l’IVG comme le fait assez justement remarquer un de vos commentateurs ci-dessus. L’IVG devient l’affaire de la femme, de la femme seule. Elle a ce choix et cette contrainte sur ces épaules. Votre commentateur fait remarquer qu’un enfant se fait toujours à deux (aux dernières nouvelles) et que le géniteur (mâle) à lui aussi son mot à dire.
Ainsi, il semble que la loi renvoie un individu nommé ” la femme” à un choix ardue qu’elle devra prendre dans son infini solitude de sujet neolibéral.
3/ Il y a la première partie de la phrase qui fait référence à la loi. ” La loi détermine les conditions dans lesquelles…” Que dit la loi sur cette question? Des centres IVG sont-ils obligatoires à raison de tant par département comme les CH de psychiatrie? La clause de conscience des médecins a-t’elle été abrogée? etc… La loi concrètement détermine l’application de ce droit. Soit comme toute chose. Cependant si il n’y a pas de moyen derrière ce droit devient lettre morte.
Un peu comme pour le travail. Il y a un droit au travail des citoyen dans la constitution si je ne me trompe? A combien le chômage déjà?
4/ On parle de “liberté garantie” et non de droit garantie. Pourquoi? Le droit encadre la liberté. On parle donc d’un individu libre et non faussé comme le marché?
Pour résumer je vous invite (et d’autres) à la réflexion sur le sujet de la loi (la femme), l’abstraction en général, sur le neolibéralisme et le lien entre tout cela.
@ SCIPIO
[1/D’une part le choix est renvoyé à un individu (la femme). On pourrait s’interroger sur ce qu’est cet individu nommé : la femme. Il y a des femmes, des hommes, des enfants et des sociétés humaines.
Ce terme est impropre la femme qu’est-ce. Est-ce Eve ? Est-ce un sujet abstrait fantasmé ou non ?]
L’utilisation du singulier abstrait n’est pas, en effet, le fruit d’une coïncidence. Comme cela est expliqué dans l’exposé des motifs de la loi, la volonté des auteurs du texte est de faire de la liberté d’avoir recours à l’IVG une liberté PERSONNELLE. Vous noterez quand même que l’utilisation de ce singulier abstrait n’est pas nouvelle. On trouve ainsi dans le préambule de la constitution de 1946 la formule « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme. » ou bien « Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. ».
[2/Ce n’est pas seulement le fait que les femmes seules doivent régler le soucis de l’IVG comme le fait assez justement remarquer un de vos commentateurs ci-dessus. L’IVG devient l’affaire de la femme, de la femme seule. Elle a ce choix et cette contrainte sur ces épaules. Votre commentateur fait remarquer qu’un enfant se fait toujours à deux (aux dernières nouvelles) et que le géniteur (mâle) à lui aussi son mot à dire.]
Beh non, justement. Le fœtus – qui n’est pas encore un « enfant » – est considéré comme une extension du corps de la mère, quand bien même il n’existerait pas sans l’intervention du père. Et dans ces conditions, le géniteur mâle n’a pas son mot à dire. C’est une constante d’ailleurs de l’évolution du droit et des pratiques ces dernières années que d’effacer le rôle du père, la « PMA pour toutes » étant à ce propos emblématique.
On peut regretter cette évolution, qui aboutit en fait à affaiblir la protection dont l’enfant bénéficie. Parce qu’il ne faut pas s’y tromper : si la femme seule décide si elle aura ou non des enfants, il est normal qu’elle assume la pleine et entière responsabilité de ce choix. Mais il semble difficile de revenir là-dessus. Compte tenu des effets biologiques qu’une grossesse a sur le corps de la femme, il semble assez peu réaliste d’imposer à celle-ci une grossesse non acceptée.
[Ainsi, il semble que la loi renvoie un individu nommé ” la femme” à un choix ardue qu’elle devra prendre dans son infini solitude de sujet neolibéral.]
Il n’y a rien de « néolibéral » là-dedans. C’est un principe universel : toute « liberté » implique en contrepartie une responsabilité.
[3/ Il y a la première partie de la phrase qui fait référence à la loi. ” La loi détermine les conditions dans lesquelles…” Que dit la loi sur cette question? Des centres IVG sont-ils obligatoires à raison de tant par département comme les CH de psychiatrie? La clause de conscience des médecins a-t’elle été abrogée? etc… La loi concrètement détermine l’application de ce droit. Soit comme toute chose. Cependant si il n’y a pas de moyen derrière ce droit devient lettre morte.]
La rédaction, qui peut paraître bizarre, tient à la décision d’inscrire cette nouvelle « liberté » dans l’article 34 de la Constitution, qui est l’article qui établit la liste des matières qui ne peuvent être réglées par la loi – toutes les autres étant du domaine réglementaire, c’est-à-dire, peuvent être réglées par un acte du pouvoir exécutif, décret ou arrêté. On aurait pu inscrire « la liberté d’avoir recours à l’IVG » en modifiant par exemple le préambule, c’est-à-dire là où les droits et libertés sont évoquées, mais les néoféministes s’y sont opposées, craignant que cela ne réduise le poids normatif de la chose, compte tenu de l’interprétation plutôt générale qui est faite du préambule (pensez par exemple à « l’obligation de travailler et le droit d’obtenir un emploi »…). On a donc choisi une voie détournée en l’inscrivant à l’article 34, et en évoquant au passage une « liberté d’avoir recours à l’IVG » dans une phrase qui en principe ne ferait que placer la réglementation de cette liberté dans le cadre de la loi.
C’est une règle générale du droit français que les droits et libertés ne sont pas absolus, mais s’exercent « dans le cadre des lois qui les réglementent ». Cela étant dit, dès lors qu’il existe une « liberté » la loi ne peut y apporter des restrictions que dans la mesure où celles-ci sont proportionnés et justifiées par un intérêt public. La nouvelle rédaction limite les possibilités du législateur de faire des normes qui rendent l’exercice de cette liberté impossible. Mais cela n’implique pas de sa part une obligation de prévoir les moyens de rendre l’exercice de cette liberté possible. Le fait que vous et moi disposions de la liberté de publier n’implique pas que l’Etat doive mettre une imprimerie à notre disposition. C’est toute la différence entre une « liberté » et un « droit ».
[4/ On parle de “liberté garantie” et non de droit garanti. Pourquoi ?]
Pour la raison que j’ai évoquée plus haut. Un « droit » implique que l’Etat doit faire quelque chose pour vous permettre de l’exercer. Une « liberté » implique simplement que l’Etat ne vous mette pas des bâtons dans les roues. Ainsi, la « liberté de parole » n’oblige pas l’Etat à vous donner une tribune, mais le « droit à l’éducation » implique que l’Etat construise des écoles.
Je suis étonné que vous ne vous soyez focalisé QUE sur cet aspect, de forme (si ce n’est de détail) de la réforme constitutionnelle.
Voici ce qui me gène :
1°) Montesquieu disait : “Il est parfois nécessaire de changer certaines lois mais le cas est rare, et lorsqu’il arrive, il ne faut y toucher que d’une main tremblante.”
Quand on parle de la constitution, c’est à dire le cadre qui régit les lois, c’est bien pire encore. Il faut réfléchir à 2 fois à la signification réelle de ce que l’on vote, à sa portée, etc. Ici, il me semble qu’il s’agit d’une simple mesure d’affichage pour montrer son modernisme et créer des débats “à pas cher”. C’est scandaleux. Personne n’a su démontrer, ni en quoi il y avait des menaces, ni en quoi cette disposition constitutionnelle garantissait quoi que ce soit.
En effet :
– vu qu’on s’autorise à modifier la constitution pour un oui ou un non, si un jour un parti anti IVG gagnait les élections et avait une majorité, il pourrait engager une modification constitutionnelle inverse,
– le texte de la Loi ne garantit rien du tout : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. ». Rien n’empêche, dans la lettre du texte, de dire que la liberté de l’IVG est garantie aux femmes dans un délai de 4 semaines et en cas de viol uniquement. Ce qui revient -de facto- à supprimer le droit à l’IVG dans le cadre de ce texte (*)
2°) Une autre citation, de la constitution de 1793 :
“Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures.”
C’est du bon sens : nous ne sommes ni meilleurs, ni moins bons, que nos ancêtres ou nos successeurs.
Quel est le sens de ce texte : empêcher nos petits enfants de revenir sur un principe dont nous avons décidé qu’il était bon pour nous.
Pourtant, nous nous autorisons, depuis quelques décennies, à “déconstruire” systématiquement tout ce que nous avons hérité des générations antérieures.
Autrement dit, les générations actuellement au pouvoir sont d’accord pour dire, à la fois, qu’il faut jeter à la poubelle tout ce qui vient des anciens. Mais qu’il faut empêcher nos descendants de modifier en quoi que ce soit les principes que nous jugeons bons.
Coïncidence ou pas : c’est le même bord politique, ce sont les mêmes personnes, qui :
– Sont les plus motrices dans leur volonté de “déconstruire”, de casser ce qui a été fait par nos ancêtres, comme si, par définition, tout ce qu’ils faisaient était ringard et à jeter…
– Et en même temps, via des modifications de la constitutions, des traité internationaux, etc. veulent prendre des engagements qui seront opposables à nos successeurs, pour qu’eux même ne puissent pas modifier les orientations que nous prenons.
Cette attitude intellectuelle -dont la modification constitutionnelle n’est qu’un exemple paroxystique- est moralement indéfendable.
3°) La Constitution a vocation à fixer les règles de fonctionnement de l’État, et, parmi ces règles, quelques valeurs fondamentales sans lesquelles cet État n’aurait plus aucun sens : égalité des droits à la naissance, etc.
Écrire une valeur dans la constitution, c’est la proclamer comme principe fondamental sans lequel la société française n’aurait plus de sens. Que l’égalité des droits, le droit de propriété, la liberté d’expression, la liberté de culte, etc. en fassent partie, c’est logique.
Mais qu’est ce que cela signifie, affirmer que le droit à l’avortement fait partie d’un des socles fondamentaux de la société ? D’un point de vue philosophique ? C’est sur ce terrain là qu’il faudrait que le débat puisse avoir lieu.
Mais ici, motus. Personne ne sait répondre à cette question…
4°) L’IVG, en 1974, a été autorisée jusqu’à 10 semaines uniquement. Puis, il y a une quinzaine d’années, jusqu’à 12 semaines, et, tout récemment, jusqu’à 14 semaines.
Encore aujourd’hui, il n’y a pas de liberté de pratiquer une IVG à 15 semaines. Si l’avortement est un droit fondamental, pourquoi le serait il à 14 semaines et pas à 15 ? Ou à 20 ? Voire à 28 ? Est ce que la date de 14 semaines a quelque chose de fondamental ? Sachant qu’il y a encore quelques années, c’était interdit à 14 semaines…
Si une Loi voulait revenir sur un délai de 10 semaines, voire réinstaurer, comme dans la Loi Veil, une obligation de présenter les alternatives et un délai de réflexion, est ce que ce serait constitutionnel ?
Vu la rédaction du texte, en principe, on peut faire absolument ce que l’on veut. La réalité est que le législateur compte ici sur le Conseil Constitutionnel pour censurer toute Loi qui serait un retour en arrière, comme par exemple une réduction du délai ou la remise en place d’un délai de réflexion.
Je suis convaincu que, si une Assemblée votait en 2027 pour revenir à la Loi Veil de 1974, à la lettre près, celle ci serait censurée au nom du dispositif constitutionnel qui vient d’être voté. Autrement dit, faute d’être capable de définir précisément ce que l’IVG a de fondamental (et ils seraient bien en peine de le faire), le législateur introduit juste une disposition qui permettra au CC de censurer encore des Lois sur la base de l’opinion politique de ses membres.
Voilà ce qui m’énerve le plus dans ce projet constitutionnel.
Les deux autres sujets sont effectivement :
– comme vous le décrivez parfaitement, “la femme”, qui n’a rien à faire là,
– l’argumentaire ressassé en permanence sur le “droit à disposer de son corps”.
Voilà ce qu’on peut lire, par exemple, sur le site des services de l’Etat dans le Rhône :
Il faut relire le discours de Simone Veil de 1974 : le droit à l’IVG a été décidé pour répondre à des situations de détresse, malgré le fait, non contesté, qu’il s’agissait d’une décision lourde, complexe, et dramatique. On est passé à l’argument du “droit à disposer de son corps”, comme si une IVG était une simple verrue à enlever. Il s’agit de nier l’existence d’une question éthique, pour éviter le débat. Mais s’il n’y a aucun dilemme éthique, pourquoi mettre une limite à 14 semaines ?
https://www.rhone.gouv.fr/Actions-de-l-Etat/Droit-des-femmes-et-egalite/Droit-de-disposer-de-son-corps-Sante/IVG#:~:text=Interruption%20volontaire%20de%20grossesse%20(IVG)&text=Seule%20la%20femme%20concern%C3%A9e%20peut,les%20femmes%20et%20les%20hommes.
@ Vincent
[Je suis étonné que vous ne vous soyez focalisé QUE sur cet aspect, de forme (si ce n’est de détail) de la réforme constitutionnelle.]
Il y a beaucoup d’autres choses qui me gênent, mais j’essaye dans mes papiers d’adopter un angle original, qui ne soit pas celui évoqué par les médias…
[1°) Montesquieu disait : “Il est parfois nécessaire de changer certaines lois mais le cas est rare, et lorsqu’il arrive, il ne faut y toucher que d’une main tremblante.” Quand on parle de la constitution, c’est à dire le cadre qui régit les lois, c’est bien pire encore. Il faut réfléchir à 2 fois à la signification réelle de ce que l’on vote, à sa portée, etc. Ici, il me semble qu’il s’agit d’une simple mesure d’affichage pour montrer son modernisme et créer des débats “à pas cher”. C’est scandaleux.]
Vous avez parfaitement raison. Ici, le politique cache son incapacité à changer les choses en changeant les textes – pire, en présentant ce changement sous les traits d’une conquête « historique ». En pratique, cela ne changera absolument rien : la liberté de recourir à l’IVG est non seulement solidement implantée dans notre droit, mais fait l’objet d’un consensus politique qui va aujourd’hui de l’extrême droite à l’extrême gauche.
[– vu qu’on s’autorise à modifier la constitution pour un oui ou un non, si un jour un parti anti IVG gagnait les élections et avait une majorité, il pourrait engager une modification constitutionnelle inverse,]
Pas tout à fait. La modification de la constitution, même si elle est devenue aujourd’hui relativement fréquente, n’est pas aussi simple que celle d’une loi ordinaire. Il vous faut une majorité pour voter le texte dans les mêmes termes à l’Assemblée et au Sénat, et ensuite soit une majorité des trois cinquièmes au Congrès réunissant les deux chambres, soit une majorité dans un référendum. On peut donc en théorie revenir en arrière, mais il ne suffit pas à une majorité de « gagner les élections » pour pouvoir modifier la constitution.
[– le texte de la Loi ne garantit rien du tout : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. ». Rien n’empêche, dans la lettre du texte, de dire que la liberté de l’IVG est garantie aux femmes dans un délai de 4 semaines et en cas de viol uniquement. Ce qui revient -de facto- à supprimer le droit à l’IVG dans le cadre de ce texte (*)]
Sauf qu’une telle restriction serait probablement contraire à la Constitution. Car dès lors qu’il existe une liberté constitutionnelle, les lois qui la réglementent ne peuvent y apporter des restrictions que lorsque celles-ci poursuivent un but d’intérêt public impératif, et que la restriction est strictement proportionnée au but à atteindre. Ainsi, par exemple, le droit de grève est garanti par la Constitution, mais on a pu le restreindre pour certaines catégories (les policiers ou les militaires) et prévoir une obligation de service minimum pour certains services publics. Mais une loi qui limiterait la durée des grèves à une heure pour toutes les professions serait déclarée certainement contraire à la Constitution.
[2°) Une autre citation, de la constitution de 1793 : “Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures.” C’est du bon sens : nous ne sommes ni meilleurs, ni moins bons, que nos ancêtres ou nos successeurs.]
Ce n’est pas une question de « meilleurs ou moins bons ». Le principe ici proclamé est simplement une conséquence du principe de souveraineté : si le peuple est souverain, alors il n’est pas assujetti qu’aux règles qu’il fait lui-même. Rien ne peut donc le forcer a se soumettre aux règles faites par ses ancêtres.
[Quel est le sens de ce texte : empêcher nos petits enfants de revenir sur un principe dont nous avons décidé qu’il était bon pour nous.]
C’est certainement l’intention d’une partie de nos élites. C’est d’ailleurs assez conforme avec le mouvement d’ensemble de ces quarante dernières années, qui ont vu nos élites chercher à protéger les décisions de l’influence – jugée néfaste pour la « bonne gouvernance » – du suffrage universel. On l’a vu avec la délégation de pouvoirs de plus en plus considérables à des « autorités indépendantes » (c’est-à-dire, indépendantes du citoyen) ou aux institutions supranationales. On l’a aussi vu avec des traités de plus en plus intrusifs dont les dispositions s’imposent au droit interne. Et finalement, on le voit avec la constitutionnalisation de plus en plus courante de dispositions qui n’ont pas grand-chose à faire dans une constitution.
[Pourtant, nous nous autorisons, depuis quelques décennies, à “déconstruire” systématiquement tout ce que nous avons hérité des générations antérieures.
Autrement dit, les générations actuellement au pouvoir sont d’accord pour dire, à la fois, qu’il faut jeter à la poubelle tout ce qui vient des anciens. Mais qu’il faut empêcher nos descendants de modifier en quoi que ce soit les principes que nous jugeons bons.]
Je n’y avais pas pensé, mais effectivement, la contradiction est assez piquante…
[3°) La Constitution a vocation à fixer les règles de fonctionnement de l’État, et, parmi ces règles, quelques valeurs fondamentales sans lesquelles cet État n’aurait plus aucun sens : égalité des droits à la naissance, etc. Écrire une valeur dans la constitution, c’est la proclamer comme principe fondamental sans lequel la société française n’aurait plus de sens. Que l’égalité des droits, le droit de propriété, la liberté d’expression, la liberté de culte, etc. en fassent partie, c’est logique.
Mais qu’est ce que cela signifie, affirmer que le droit à l’avortement fait partie d’un des socles fondamentaux de la société ? D’un point de vue philosophique ? C’est sur ce terrain là qu’il faudrait que le débat puisse avoir lieu.]
Je suis tout à fait d’accord avec vous. La Constitution est la clé de voute du système normatif, et à ce titre doit contenir tout ce qui est considéré indispensable à l’élaboration et l’exécution des normes. Ainsi, elle contient les droit et libertés indispensables à l’exercice de la souveraineté, et l’organisation des pouvoirs publics. Elle contient aussi les principes fondamentaux qui sous-tendent l’organisation sociale. C’est la doctrine qui a présidé la réflexion constitutionnelle depuis les Lumières. Mais ces derniers temps, la constitutionnalisation est vue comme une manière de « protéger » certaines normes de toute contestation démocratique. Alors, on empile toutes sortes de « droits » et « libertés », au point que quelquefois on se retrouve avec des textes qui sont de véritables catalogues : ainsi, la constitution de « l’état plurinational de Bolivie » de 2009 contient 411 articles (sans compter les dispositions transitoires), là où les Etats-Unis se contentent de 24 articles plus les 12 de la déclaration des droits…
[4°) L’IVG, en 1974, a été autorisée jusqu’à 10 semaines uniquement. Puis, il y a une quinzaine d’années, jusqu’à 12 semaines, et, tout récemment, jusqu’à 14 semaines. Encore aujourd’hui, il n’y a pas de liberté de pratiquer une IVG à 15 semaines. Si l’avortement est un droit fondamental, pourquoi le serait-il à 14 semaines et pas à 15 ? Ou à 20 ? Voire à 28 ? Est-ce que la date de 14 semaines a quelque chose de fondamental ? Sachant qu’il y a encore quelques années, c’était interdit à 14 semaines…]
La question ici porte sur quelque chose de très complexe, qui est de déterminer à partir de combien de mois de gestation le fœtus, qui en droit est une « chose », devient une personne humaine, avec tous les droits attachés à ce statut. Bien entendu, la réponse à cette question ne peut résulter que d’une convention, puisqu’il n’existe pas de critère objectif permettant d’y répondre. Suivant un faisceau d’arguments – battement indépendant du cœur, formation des organes de perception, etc. – on a inscrit dans la loi que le fœtus cesse d’être une chose et devient une personne à la fin de la 14ème semaine. A partir de là, l’interruption volontaire de grossesse reviendrait à supprimer une personne humaine, et devient donc un crime.
[Si une Loi voulait revenir sur un délai de 10 semaines, voire réinstaurer, comme dans la Loi Veil, une obligation de présenter les alternatives et un délai de réflexion, est ce que ce serait constitutionnel ?
Vu la rédaction du texte, en principe, on peut faire absolument ce que l’on veut.]
Non, pas vraiment. Une loi ramenant le délai à 10 semaines pourrait être conforme à la constitution si ses auteurs pouvaient démontrer de façon convaincante qu’une telle réduction sert un objectif d’intérêt public, et que la mesure est proportionnée à l’intérêt de cet objectif. Dans l’état actuel de la science, je ne pense pas qu’on puisse faire une telle démonstration, et la loi en question serait probablement jugée contraire à la constitution, car portant une atteinte disproportionnée à une liberté constitutionnelle. Par contre, une loi instaurant un délai de réflexion ne serait probablement pas contraire à la constitution, puisque le délai n’empêche pas l’exercice effectif du droit en question.
[– l’argumentaire ressassé en permanence sur le “droit à disposer de son corps”.]
Cet argument est en effet l’une de ces bizarreries que les soixante-huitards et leurs héritiers répètent sans jamais se poser des questions quant aux conséquences d’un tel « droit ». C’est encore pire avec ceux – et surtout celles – qui répètent que « notre corps nous appartient », sans se souvenir que parmi les droits attachés à la propriété il y a celui d’aliéner. Si « votre corps vous appartient », alors qu’est ce qui vous empêche de vendre vos organes ou votre sang, par exemple ? Doit-on considérer la loi du 21 juillet 1952, qui interdit la marchandisation du sang ou du corps humain porte atteinte au « droit de disposer de son corps » ? Si l’on croit les défenseurs de ce droit, oui…
[Il faut relire le discours de Simone Veil de 1974 : le droit à l’IVG a été décidé pour répondre à des situations de détresse, malgré le fait, non contesté, qu’il s’agissait d’une décision lourde, complexe, et dramatique. On est passé à l’argument du “droit à disposer de son corps”, comme si une IVG était une simple verrue à enlever. Il s’agit de nier l’existence d’une question éthique, pour éviter le débat. Mais s’il n’y a aucun dilemme éthique, pourquoi mettre une limite à 14 semaines ?]
Tout à fait. Le culte dont fait l’objet Simone Veil de la part des néoféministes occulte la prudence de sa position sur la question – et par ailleurs le fait que celui qui prit le principal risque politique de la légalisation de l’avortement n’était pas le ministre qui défendait la loi, mais le président de la République qui avait mis son poids dans la balance, un certain Valéry Giscard d’Estaing. Mais bon, imaginer que les femmes doivent leur suprême conquête à un homme – qui plus est, un grand bourgeois avec des prétentions aristocratiques – vous n’y pensez pas! On notera d’ailleurs que le projet était porté non pas par le ministre de la justice, mais par le ministre de la santé, ce qui montre que c’était perçu comme une mesure sanitaire, et non une question de droits civils. Enfin, le discours de Simone Veil n’occulte en rien le dilemme éthique, et le fait que l’IVG n’est pas un geste banal, mais une décision tragique. Tout ce contexte s’est perdu dans la réécriture de l’histoire par ceux qui veulent faire de Veil une sorte de Sandrine Rousseau avant l’heure. Ce que Veil n’était certainement pas !
Moi, c’est moins votre “femme” (auriez-vous préféré “toute personne à utérus” ?) qui me gène dans cette prétendue constitutionnalisation de l’IVG que le rappel que c’est “la loi qui en détermine les conditions”.
« La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté, etc. »
Or une future assemblée anti-IVG pourrait décider demain par une loi de modifier les actuelles conditions de l’accès à l’IVG (pour n’en “garantir”, par exemple, “la liberté” que dans la semaine ou la quinzaine suivant une aménorrhée, ce qui rendrait la plupart des IVG quasiment impossibles, vus les délais).
Pour le reste, je m’étonne qu’on se glorifie tellement d’avoir prétendument constitutionnalisé la liberté de disposer d’une assistance médicale ou médicamenteuse pour mettre fin à une forme de vie se développant dans un utérus et pas la liberté même de tout humain de pouvoir bénéficier d’une assistance médicamenteuse ou médicale en vue de mettre fin à sa propre vie (notamment lorsqu’on estimerait que celle-ci serait serait devenue pathologiquement invivable).
@ Claustaire
[Moi, c’est moins votre “femme” (auriez-vous préféré “toute personne à utérus” ?) (…)]
Vous ne m’avez pas compris. La question n’est pas de choisir une formulation différente pour la même catégorie, mais de ne pas faire mention de catégorie. J’aurais plutôt écrit « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse », sans mention de catégorie. Ou bien, si l’on peut encore marteler le clou, on pourrait écrire « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à toute personne d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». C’est ce que j’expliquais dans mon papier : la conception française des droits fait que ceux-ci sont inhérents à la personne humaine, et sont donc par conséquent universels. Ils ne sont donc pas conditionnés à la possibilité effective de les exercer. Les muets ont le droit à la parole, et les analphabètes d’écrire, au même titre que les autres. Et la loi n’a pas à prévoir d’exception dans leur cas.
[(…) qui me gène dans cette prétendue constitutionnalisation de l’IVG que le rappel que c’est “la loi qui en détermine les conditions”. « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté, etc. » Or une future assemblée anti-IVG pourrait décider demain par une loi de modifier les actuelles conditions de l’accès à l’IVG (pour n’en “garantir”, par exemple, “la liberté” que dans la semaine ou la quinzaine suivant une aménorrhée, ce qui rendrait la plupart des IVG quasiment impossibles, vus les délais).]
Pas tout à fait. Dès lors qu’il existe une « liberté » garantie par la Constitution, le législateur ne peut y apporter des restrictions que si celles-ci poursuivent un but d’intérêt public, et qu’elles sont strictement proportionnées. Ce qui est tout de même assez restrictif. On voit mal quel « but d’intérêt public » nécessiterait absolument de restreindre le délai à la semaine…
Quant à la rédaction adoptée, elle est la conséquence du choix d’inscrire cette nouvelle « liberté » dans l’article 34, qui est l’article qui précise quelles sont les matières qui relèvent de la loi. La difficulté est que la Constitution de 1958 n’a pas d’article dédié aux droits et libertés, ceux-ci étant contenus par voie de renvoi dans la Déclaration de 1789 et le préambule de la constitution de 1946. Il fallait donc soit créer un article dédié, ce qui paraissait tout à fait excessif, soit passer par la voie détournée de reconnaître ce « droit » comme incidente dans l’article 34.
[Pour le reste, je m’étonne qu’on se glorifie tellement d’avoir prétendument constitutionnalisé la liberté de disposer d’une assistance médicale ou médicamenteuse pour mettre fin à une forme de vie se développant dans un utérus et pas la liberté même de tout humain de pouvoir bénéficier d’une assistance médicamenteuse ou médicale en vue de mettre fin à sa propre vie (notamment lorsqu’on estimerait que celle-ci serait serait devenue pathologiquement invivable).]
Je ne pense pas qu’on puisse mettre les deux choses en parallèle. Le choix d’interrompre une grossesse est un choix dans l’intérêt des parents. Le fœtus n’a pas de voix au chapitre. Si vous voulez vraiment faire un parallèle, alors il s’agirait de permettre aux proches d’une personne de mettre fin à sa vie en fonction de leurs intérêts et sans lui demander son avis. Est-ce cela que vous voulez ?
La différence, vous l’avez compris, est que le fœtus, même s’il est vivant, n’est pas une personne, sujet de droits. Alors qu’une personne âgée, même malade, même inconsciente, reste une personne. Et que changer cela peut nous entraîner dans des dérives très dangereuses…
le titre de votre billet « IVG: le communautarisme rentre dans la Constitution. » est prémonitoire : le projet pour la Corse le mentionne explicitement.
Ceci dit, de grands pays ont un communautarisme tout à fait explicite comme la Russie avec la reconnaissance des différents peuples de la Fédération de Russie. Et à un moindre degré les USA, le Canada, la Grande Bretagne, la Belgique … Et cela semble bien marcher, ou du moins plutôt mieux que chez nous.
Votre avis ?
@ marc.malesherbes
[le titre de votre billet « IVG: le communautarisme rentre dans la Constitution. » est prémonitoire : le projet pour la Corse le mentionne explicitement.]
Ce n’est guère surprenant. La tentation communautariste a toujours existé, mais les gouvernements ont en général eu la sagesse d’y résister. Aujourd’hui, le gouvernement est à la dérive, et cela donne un pouvoir de pression énorme à ceux qui ont les moyens de déclencher des actions à fort retentissement médiatique, et aucun scrupule à les utiliser. Darmanin est prêt à casser la République pour éviter tout désordre qui pourrait contrarier ses ambitions personnelles, et ce n’est pas Attal ou Macron, pour qui la République est un vague mot qui fait bien dans les discours, qui le contrediront.
[Ceci dit, de grands pays ont un communautarisme tout à fait explicite comme la Russie avec la reconnaissance des différents peuples de la Fédération de Russie. Et à un moindre degré les USA, le Canada, la Grande Bretagne, la Belgique … Et cela semble bien marcher, ou du moins plutôt mieux que chez nous.]
J’aimerais bien que vous m’indiquiez les indicateurs qui vous permettent de dire que « cela semble bien marcher ». Si l’indicateur est la paix publique, vous avez certainement raison : les systèmes tribaux, ou chacun est soumis à la discipline de fer de sa communauté et où chacun, qu’il s’agisse de sa sphère privée ou publique, est soumis au contrôle et à la sanction de ses voisins, y compris par les moyens les plus violents, sont extrêmement efficaces pour maintenir l’ordre. L’ordre des cimetières, certes, mais ordre tout de même.
Maintenant, si vous aspirez à une société plus libre, ou chacun a le choix de s’installer ou il veut et de vivre comme il l’entend dans les limites que pose une loi commune, alors je ne suis pas sûr que les modèles russe, américain, canadien, britannique ou belge fonctionnent mieux que le notre. Mais je serais curieux de connaître vos critères.
Pour aborder l’un de vos exemples, en Belgique, le jeu des « communautés » flamande et wallonne paralyse l’ensemble des institutions démocratiques et transforme la politique belge en une confrontation permanente de rancœurs et de doléances qui empêche tout projet national de se manifester. Et je ne vous parle même pas des autres communautés : une petite promenade à Molenbeek s’impose, pour voir combien ce modèle « marche plutôt mieux » que le nôtre.
@ Descartes,
Bonjour,
[Maintenant, si vous aspirez à une société plus libre, ou chacun a le choix de s’installer ou il veut et de vivre comme il l’entend dans les limites que pose une loi commune, alors je ne suis pas sûr que les modèles russe, américain, canadien, britannique ou belge fonctionnent mieux que le notre.]
Mais pourquoi faudrait-il aspirer à une “société plus libre”? Qu’est-ce que nous a apporté la “société plus libre”? La chienlit.
Non, je le répète, il faut aspirer à une société plus homogène, culturellement et ethniquement, où les gens sont prévisibles parce qu’ils ont les mêmes références, le même “univers mental”, un passé commun. Et ce n’est pas du tout la même chose. Or pour obtenir cette homogénéité, on ne peut pas vivre dans “une société libre” parce que la loi commune ne peut pas, à elle seule, créer cette homogénéité. Il faudrait mettre une telle pression sur les minorités que cela, de fait, porte atteinte à la liberté de “vivre comme on l’entend”. Parce que la loi commune, surtout si elle s’appuie sur cette idée néfaste de liberté, ne peut pas interdire telle religion, telle pratique vestimentaire ou alimentaire, telle philosophie.
La décence commune, ça ne se vote pas au Parlement. Et comme il n’y a aucun consensus pour mettre la pression sur les minorités – en fait, la pression s’exerce de plus en plus sur la majorité, qui, il est vrai se réduit d’année en année – il ne faut pas se voiler la face sur le désastre qui nous attend.
@ Carloman
[« Maintenant, si vous aspirez à une société plus libre, ou chacun a le choix de s’installer ou il veut et de vivre comme il l’entend dans les limites que pose une loi commune, alors je ne suis pas sûr que les modèles russe, américain, canadien, britannique ou belge fonctionnent mieux que le notre. » Mais pourquoi faudrait-il aspirer à une “société plus libre” ?]
Je ne dis pas « qu’il faut ». Je dis « si ». Libre à vous de ne pas aspirer à une société plus libre. Cela étant dit, il faut être cohérent. On ne peut pas vouloir d’un côté une société sans sphère privée, et d’autre part vouloir mener sa vie comme on l’entend.
[Qu’est-ce que nous a apporté la “société plus libre” ? La chienlit.]
Déjà, cela nous a apporte la possibilité de choisir notre conjoint, plutôt que de devoir partager notre vie avec une personne choisie par la « communauté » en fonction des règles traditionnelles. Cela nous a apporté de pouvoir choisir notre métier, au lieu d’hériter celui de nos parents. Cela nous a apporté de ne plus être obligés d’aller chaque jour à un temple rendre hommage à un dieu auquel on n’y croit pas. Rien que cela mérite qu’on supporte un certain degré de « chienlit »…
[Non, je le répète, il faut aspirer à une société plus homogène, culturellement et ethniquement, où les gens sont prévisibles parce qu’ils ont les mêmes références, le même “univers mental”, un passé commun. Et ce n’est pas du tout la même chose.]
Je suis tout à fait d’accord. Je défends d’ailleurs, vous le savez, une politique active d’assimilation qui, pour moi, est une manière de rétablir une homogénéité culturelle, de donner à tous le même « univers mental », de faire leur un « passe commun » fusse-t-il symbolique.
[Or pour obtenir cette homogénéité, on ne peut pas vivre dans “une société libre” parce que la loi commune ne peut pas, à elle seule, créer cette homogénéité. Il faudrait mettre une telle pression sur les minorités que cela, de fait, porte atteinte à la liberté de “vivre comme on l’entend”. Parce que la loi commune, surtout si elle s’appuie sur cette idée néfaste de liberté, ne peut pas interdire telle religion, telle pratique vestimentaire ou alimentaire, telle philosophie.]
Je ne suis pas d’accord. Pour moi, une société libre repose sur la séparation entre la sphère privée, où vous pouvez « vivre comme vous l’entendez », et la sphère publique, dans laquelle vos comportements sont soumis à la loi commune. Et je ne suis pas de ceux qui pensent que la sphère publique doit être réduite à sa plus simple expression. Non, il n’y a pas de liberté sans loi, parce que c’est la loi qui empêche aux autres d’empiéter sur votre liberté. Il est donc parfaitement légitime d’exercer une « pression sur les minorités » si cette pression est nécessaire pour garantir les libertés de tous. Si « telle pratique religieuse, vestimentaire ou philosophique » devient un risque pour la liberté de tous, il est parfaitement légitime de l’interdire.
Je pense que vous m’attribuez une vision « libertaire » qui n’est pas la mienne. J’aspire à vivre dans une société « plus libre » que les sociétés tribales, mais cela n’implique pas une extension indéfinie de la sphère privée ou l’écrasement de la sphère publique.
[Et comme il n’y a aucun consensus pour mettre la pression sur les minorités – en fait, la pression s’exerce de plus en plus sur la majorité, qui, il est vrai se réduit d’année en année – il ne faut pas se voiler la face sur le désastre qui nous attend.]
Je vais finir par penser que vous peignez tout en noir avec l’objectif d’être agréablement surpris quand la catastrophe que vous prédisez manquera de se réaliser… 😉
@ Descartes,
[Je vais finir par penser que vous peignez tout en noir avec l’objectif d’être agréablement surpris quand la catastrophe que vous prédisez manquera de se réaliser… 😉]
Vous croyez? Je me promène dans la rue, j’écoute les politiques, les “intellectuels”, je lis des articles de presse, des comptes-rendus de travaux universitaires. Le désastre, je le mesure tous les jours.
Le décalage vient du fait que ce que vous appelez “France” et “nation” n’a rien à voir avec ce que je mets derrière ces mots.
@ Carloman
[Vous croyez? Je me promène dans la rue, j’écoute les politiques, les “intellectuels”, je lis des articles de presse, des comptes-rendus de travaux universitaires. Le désastre, je le mesure tous les jours.]
Comme vous pouviez le remarquer au « smiley », mon commentaire était ironique. Je ne partage pas totalement votre pessimisme, mais cela n’implique pas que je ne sois pas inquiet par la tournure que prennent les choses.
[Le décalage vient du fait que ce que vous appelez “France” et “nation” n’a rien à voir avec ce que je mets derrière ces mots.]
Je pense que vous exagérez lorsque vous écrive « rien à voir ». Nous avons certainement nos différences. Il y a probablement beaucoup d’éléments communs dans ce que nous mettons derrière les mots « France » ou « Nation », même si nous ne donnons pas forcément à tous ces éléments le même poids. Probablement parce que nos histoires personnelles sont très différentes, et que les choses qui nous attachent à ce pays que nous aimons tous les deux ne sont pas tout à fait les mêmes. La terre a pour vous une importance qu’elle n’a pas pour moi, alors que je suis peut-être plus attaché aux grands ouvrages que vous…
@ Descartes,
[Probablement parce que nos histoires personnelles sont très différentes, et que les choses qui nous attachent à ce pays que nous aimons tous les deux ne sont pas tout à fait les mêmes.]
Possible. Mais il faut se poser la question: parlons-nous du même pays? Je n’en suis plus très sûr.
Mais ce n’est pas qu’une question d’histoire personnelle, c’est aussi une question de position sociale. On ne voit certainement pas “la France” de la même façon lorsqu’on travaille au contact des cercles dirigeants de la capitale, que lorsqu’on est un fonctionnaire lambda habitant une petite ville de province. On n’a pas les mêmes problèmes, les mêmes inquiétudes, les mêmes aspirations.
[alors que je suis peut-être plus attaché aux grands ouvrages que vous]
Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par là?
@ Carloman
[« Probablement parce que nos histoires personnelles sont très différentes, et que les choses qui nous attachent à ce pays que nous aimons tous les deux ne sont pas tout à fait les mêmes. » Possible. Mais il faut se poser la question : parlons-nous du même pays ? Je n’en suis plus très sûr.]
Je pense que nous parlons du même pays, mais pas de la même manière. De la même façon que deux hommes amoureux de la même femme ne mettront pas en exergue chez elle les mêmes qualités et les mêmes défauts. L’un parlera de sa beauté, l’autre de son intelligence, l’un de sa douceur, l’autre de sa ténacité, l’un de ses performances au lit, l’autre de sa cuisine… pourtant ils parlent de la même femme.
[Mais ce n’est pas qu’une question d’histoire personnelle, c’est aussi une question de position sociale. On ne voit certainement pas “la France” de la même façon lorsqu’on travaille au contact des cercles dirigeants de la capitale, que lorsqu’on est un fonctionnaire lambda habitant une petite ville de province. On n’a pas les mêmes problèmes, les mêmes inquiétudes, les mêmes aspirations.]
Cela fait partie pour moi de « l’histoire personnelle ». Car la vision que l’on peut avoir de « la France » ne tient pas seulement à la position sociale et aux contacts qu’on peut avoir AUJOURD’HUI, mais aussi ceux qu’on a pu avoir dans le passé, et surtout dans les années de formation. La vision que je peux avoir de la France s’est probablement construite dans les deux premières décennies de ma vie, et à l’époque je peux vous assurer que « les cercles dirigeants de la capitale » étaient pour moi un univers lointain et inconnu. La réalité que j’ai perçu de la France était celle de l’hôtel pour étrangers, puis de la cité. Et aussi celle d’un pays ou le travail, l’effort, l’étude pouvaient permettre à un étranger de franchir les barrières et, un jour, de travailler en contact « avec les cercles dirigeants ». C’est cette expérience de jeunesse, bien plus que celle d’aujourd’hui, qui a modelé ma vision du pays. Je ne connais pas votre parcours, mais j’imagine que vous aussi vous aviez à 25 ans une vision de « la France » qui n’a pas beaucoup changé depuis.
[« alors que je suis peut-être plus attaché aux grands ouvrages que vous » Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par là ?]
J’ai l’impression que votre vision de « la France » est plus liée au territoire, au paysage, à une forme de sociabilité, qu’aux réalisations humaines. Personnellement, je suis plus sensible à ces dernières : un barrage, le Concorde, le Code civil… quand je pense à ces choses, je m’identifie bien plus avec l’effort collectif qu’il a fallu pour les réaliser et à la fierté de ceux qui l’ont fait que lorsque je contemple un paysage, fut-ce le plus beau… Mais je voulais là pointer une différence entre nos perceptions, et non faire un jugement de valeur.
[ Mais il faut relativiser: le titre XIII indique dans son titre même qu’il s’agit de dispositions transitoires…]
Pourtant cela fait plus de 30 ans que ces dispositions sont présentes alors quels intérêts de les maintenir transitoires ?
J’insiste car c’est à travers le titre XIII que le communautarisme est rentré dans la Constitution, avec une tentative fin 90’s d’entrer le particularisme corse dans le texte et réitérer actuellement dont d’autres attendent aussi leurs tours comme les autonomistes bretons.
@ Glarrious
[« Mais il faut relativiser: le titre XIII indique dans son titre même qu’il s’agit de dispositions transitoires… » Pourtant cela fait plus de 30 ans que ces dispositions sont présentes alors quels intérêts de les maintenir transitoires ?]
Derrière ces « dispositions transitoires » se cache la décision de faire sortir à terme la Nouvelle Calédonie de la République. Depuis les accords Pisani, le monde politique juge que la situation dans le territoire évoluera fatalement vers l’indépendance. La logique des référendums à répétition est l’illustration de cette décision : on s’est dit qu’à force de faire un référendum par an, on finirait bien par aboutir à une victoire des indépendantistes – une fois suffit – et on pourrait régler l’affaire. Les divisions des indépendantistes et la ténacité des caldoches – sans compter avec les difficultés de la société exploitant les mines de nickel – a fait que tout ça se prolonge…
Au-delà, il faut se poser des questions sur les collectivités d’outre-mer de l’article 74 de la Constitution. Sont-elles dans la République ? Ou s’agit-il de « nations » séparées sous un régime de protectorat qui ne dit pas son nom ? Leurs habitants sont-ils des citoyens français, tenus à la « solidarité inconditionnelle et impersonnelle » avec l’ensemble de leurs concitoyens, où sont-ils liés par un pur rapport contractuel avec la France ?
[J’insiste car c’est à travers le titre XIII que le communautarisme est rentré dans la Constitution, avec une tentative fin 90’s d’entrer le particularisme corse dans le texte et réitérer actuellement dont d’autres attendent aussi leurs tours comme les autonomistes bretons]
Je ne partage pas votre vision du titre XIII. Mais la tentative de mettre le « peuple corse » dans la loi – dynamitée par le Conseil constitutionnel – et les tentatives jospiniennes d’accepter une constitutionnalisation du « peuple corse » sont bien dans le projet de communautariser le droit français…
On voit bien où tout cela conduit: il a suffi qu’on parle de constitutionnaliser la “spécificité corse” pour que les bretons se reveillent. Et ils ont parfaitement raison: en quoi la situation de la Corse est “spécifique” par rapport à celle de la Bretagne ou de la Savoie ? Parce que c’est une île ? Franchement, avec les moyens de communication qui existent aujourd’hui, on ne peut soutenir que la Corse soit coupée du monde. Si l’autonomie est une bonne idée pour les Corses, pourquoi pas pour les Bretons, les Basques… ou la région Ile de France ? Et c’est là que les problèmes commencent, parce que si les Corses, les Bretons ou les Basques sont “débiteurs nets” au niveau des flux avec le reste de la France, l’Ile de France est largement excédentaire. Et si on lui donne l’autonomie, elle pourrait se dire qu’elle aurait tout intérêt à ne plus payer pour les autres…
@ Descartes
****Et c’est là que les problèmes commencent, parce que si les Corses, les Bretons ou les Basques sont “débiteurs nets” au niveau des flux avec le reste de la France, l’Ile de France est largement excédentaire. Et si on lui donne l’autonomie, elle pourrait se dire qu’elle aurait tout intérêt à ne plus payer pour les autres…***
Je crois que vous avez raison, c’est parfaitement illustré avec le modèle Espagnol.
Les catalans ont déjà une large autonomie, mais ils veulent l’indépendance car c’est une région très riche qui ne veut plus être solidaire des régions plus pauvre comme l’Andalousie (cela se manifeste d’ailleurs par un certain racisme envers les Andalous jugés comme “inférieurs” par de nombreux catalans).
Mais c’est un problème complexe qui nécessite beaucoup de diplomatie, on le voit avec la guerre en Ukraine. Si les autorités Ukrainiennes avaient mieux traité les minorités russophones de l’Est, ne serait-ce que en maintenant au Russe son statut de langue régionale, il n’y aurait probablement pas eu de conflit avec la Russie
@ Manchego
[Je crois que vous avez raison, c’est parfaitement illustré avec le modèle Espagnol. Les catalans ont déjà une large autonomie, mais ils veulent l’indépendance car c’est une région très riche qui ne veut plus être solidaire des régions plus pauvre comme l’Andalousie (cela se manifeste d’ailleurs par un certain racisme envers les Andalous jugés comme “inférieurs” par de nombreux catalans).]
Tout à fait. C’est le problème de tous les états communautaires : il est très difficile de créer une solidarité forte entre les différentes communautés sans que les communautés les plus riches refusent de payer pour les autres. Le modèle centralisé à la française permet ces solidarités parce qu’il y a un équilibre réel : les régions riches payent pour les pauvres, mais en échange elles pèsent plus lourd dans les décisions qui concernent tout le monde. Dans le modèle communautaire, le déséquilibre est bien plus évident parce que les régions riches payent sans avoir voix au chapitre…
[Mais c’est un problème complexe qui nécessite beaucoup de diplomatie, on le voit avec la guerre en Ukraine. Si les autorités Ukrainiennes avaient mieux traité les minorités russophones de l’Est, ne serait-ce que en maintenant au Russe son statut de langue régionale, il n’y aurait probablement pas eu de conflit avec la Russie]
Cela suppose que c’est là la cause du conflit. Je ne le pense pas : le conflit est arrivé parce que pour Moscou l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN/UE, qui mettrait les chars américains et surtout les écoutes américaines aux portes de la Russie est inacceptable. Il est probable que le conflit aurait pris une autre forme si le gouvernement de Kiev avait mieux traité les régions russophones, mais je ne pense pas que cela aurait suffi.
@ Descartes
***Cela suppose que c’est là la cause du conflit. Je ne le pense pas : le conflit est arrivé parce que pour Moscou l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN/UE, qui mettrait les chars américains et surtout les écoutes américaines aux portes de la Russie est inacceptable.***
Ce conflit est manifestement multi-factoriel, mais il a commencé il y a plus de 10 ans, avec des mouvements séparatistes hostiles au pouvoir de Kiev (reprise de la Crimée et guerre du Dombass).
Les accords de Minsk n’ont pas été respectés par l’Ukraine, ce qui a envenimé les choses…
L’éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’OTAN/UE (qui n’était pas acquise avant le 24/02/1922, faute d’unanimité des états membres) a sans aucun doute exacerbé le conflit, mais il était déjà là….
@ Manchego
[Ce conflit est manifestement multi-factoriel, mais il a commencé il y a plus de 10 ans, avec des mouvements séparatistes hostiles au pouvoir de Kiev (reprise de la Crimée et guerre du Dombass).]
Penser que ce conflit a été provoqué par la question des séparatismes, c’est comme penser que la première guerre mondiale a été provoquée par l’assassinat de l’archiduc François Ferdinand. Les pays ne vont pas à la guerre pour quelques kilomètres carrés ou quelques habitants de plus. Ces questions peuvent être des déclencheurs ou des prétextes, mais pour que cela conduise à la guerre il faut qu’il y ait derrière un intérêt stratégique de plus haute importance. Si, comme cela avait été oralement promis à la fin des années 1980, la dissolution du pacte de Varsovie avait abouti à la création d’une ceinture d’états « neutres » isolant la Russie de l’OTAN, les Russes se seraient probablement accommodés d’une Ukraine incluant la Crimée et maltraitant ses minorités russophones.
[L’éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’OTAN/UE (qui n’était pas acquise avant le 24/02/1922, faute d’unanimité des états membres) a sans aucun doute exacerbé le conflit, mais il était déjà là….]
Arrêtez… l’Ukraine avait déjà signé des accords de pré-adhésion à l’UE et avec l’OTAN, et on sait ce qui est arrivé aux pays de l’Est qui ont signé ce type d’accord : même si leur adhésion formelle prend un certain temps, ils finissent par être intégrés dans l’espace euro-atlantique. Quant à « l’unanimité », vous plaisantez : il aurait suffi que les américains fassent les gros yeux et tout le monde se serait couché.
@ Descartes
[Ce conflit est manifestement multi-factoriel, mais il a commencé il y a plus de 10 ans, avec des mouvements séparatistes hostiles au pouvoir de Kiev (reprise de la Crimée et guerre du Dombass).] [Penser que ce conflit a été provoqué par la question des séparatismes, c’est comme penser que la première guerre mondiale a été provoquée par l’assassinat de l’archiduc François Ferdinand. Les pays ne vont pas à la guerre pour quelques kilomètres carrés ou quelques habitants de plus. Ces questions peuvent être des déclencheurs ou des prétextes, mais pour que cela conduise à la guerre il faut qu’il y ait derrière un intérêt stratégique de plus haute importance.]
Les russes sont peut-être moins cyniques que vous ne le pensez. En 2008, ils sont bien intervenus militairement pour soutenir l’indépendance de l’Ossétie du sud. Or je ne vois pas très bien quel aurait été son “intérêt stratégique de la plus haute importance”.
@ dsk
[Les russes sont peut-être moins cyniques que vous ne le pensez. En 2008, ils sont bien intervenus militairement pour soutenir l’indépendance de l’Ossétie du sud. Or je ne vois pas très bien quel aurait été son “intérêt stratégique de la plus haute importance”.]
Cela paraît assez évident, et la ressemblance avec la situation ukrainienne est d’ailleurs frappante. Cela s’inscrit dans le souci constant de la Russie de ne pas avoir de puissance adhérant à une allilance hostile à ses frontières. Les Russes ont donc régulièrement soutenu les mouvements séparatistes susceptibles d’affaiblir leurs voisins hostiles, et sont intervenus militairement chaque fois que le risque de basculement s’est précisé. Lorsque les Russes interviennent en 2008, la Georgie est gouvernée par Mikheil Saakachvili, celui-là même qui a formulé une demande d’adhésion à l’OTAN.
@Descartes
[Cela suppose que c’est là la cause du conflit. Je ne le pense pas : le conflit est arrivé parce que pour Moscou l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN/UE, qui mettrait les chars américains et surtout les écoutes américaines aux portes de la Russie est inacceptable.]
Je me rappelle de quelqu’un qui au début du conflit disait qu’il ne fallait pas écouter les racontars comme quoi cela allait précipiter l’entrée de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN. Résultat des courses ? Avant même la fin du conflit en Ukraine (qui selon ma modeste opinion de profane se terminera à la coréenne, càd un cessez-le feu accompagné d’une zone démilitarisée, ainsi que l’arriment irrémédiable des territoires non occupés de l’Ukraine aux USA), la Russie se retrouve avec 1340km supplémentaires de frontière otanienne, Saint-Pétersbourg cernée sur ses deux rives.
Si je ne goute guère que l’on se soit scié un bras (économique) pour l’Ukraine, suis pour le moins sceptique quant aux récentes déclarations de celui qui paraît-il nous fait office de Jupiter terrestre, il n’en reste pas moins que ma position sur une invasion de l’Ukraine par la Russie (à laquelle je ne croyais pas) est la même que celle qui prévalait jusqu’au 24 février 2022 à 5h30 (heure de Moscou) : une faute doublée d’une erreur. Et avec, entre autres, la chevauchée des Walkyries (drôle d’ironie que de faire appel à une compagnie de mercenaires qui porte le nom de cet illustre compositeur allemand, quand on a pour but de guerre officiel de « dénazifier » l’Ukraine) de juin 2023, permettez moi d’avoir quelques doutes sur une rationalité hors pair de Vladimir Vladimirovitch Poutine, qui ferait que son invasion de l’Ukraine ne repose que sur la seule nécessité de sécuriser un glacis pour la Russie. Il y a comme un parfum de Sudètes dans l’air…
Enfin bref, c’est injuste, mais comme disait l’autre, c’est pas ma guerre, telle est ma position sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
@ François
[Je me rappelle de quelqu’un qui au début du conflit disait qu’il ne fallait pas écouter les racontars comme quoi cela allait précipiter l’entrée de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN.]
J’assume mon erreur. Comme quoi, on ne surestime jamais assez la stupidité humaine.
[Résultat des courses ? Avant même la fin du conflit en Ukraine (qui selon ma modeste opinion de profane se terminera à la coréenne, càd un cessez-le feu accompagné d’une zone démilitarisée, ainsi que l’arriment irrémédiable des territoires non occupés de l’Ukraine aux USA), la Russie se retrouve avec 1340km supplémentaires de frontière otanienne, Saint-Pétersbourg cernée sur ses deux rives.]
N’exagérons rien. La Finlande était formellement neutre, mais la neutralité n’était déjà plus ce qu’elle était, et cela bien avant le début de « l’opération spéciale » en Ukraine. En réalité, la neutralité effective n’a duré qu’aussi longtemps que l’URSS était là. Elle a pris progressivement fin après la chute du mur. Le meilleur exemple est l’adhésion de la Finlande à l’Union européenne après le référendum de 1993, qui arrime le pays au bloc otanien, compte tenu de l’organisation de la « défense européenne ». En 1994, la Finlande signe un accord de partenariat avec l’OTAN dans le cadre du « partenariat pour la paix ». Dans ce cadre, les armées finlandaises sont interopérables avec celles de l’OTAN, ce qui permet de participer à ce pays aux interventions de l’OTAN au Kossovo, en Irak et en Afghanistan. Je ne suis donc pas sûr que l’adhésion de la Finlande change significativement les choses.
[il n’en reste pas moins que ma position sur une invasion de l’Ukraine par la Russie (à laquelle je ne croyais pas) est la même que celle qui prévalait jusqu’au 24 février 2022 à 5h30 (heure de Moscou) : une faute doublée d’une erreur.]
Mais quelles étaient les options ? Laisser l’Ukraine réjoindre l’OTAN et l’UE, avec la perspective de voir ensuite d’autres états frontaliers faire de même ? Car il faut bien voir cet aspect : si la Russie n’est pas capable de faire respecter ses « lignes rouges » en Ukraine, pourquoi le ferait-elle ailleurs ?
[permettez moi d’avoir quelques doutes sur une rationalité hors pair de Vladimir Vladimirovitch Poutine,]
Pauvre Poutine… la moitié du temps c’est un dictateur froid ultra-rationnel qui ne se laisse guider que par les rapports de force, l’autre moitié c’est un sentimental prêt à mettre son pays en danger dans l’espoir de récupérer quelques provinces russophones…
[qui ferait que son invasion de l’Ukraine ne repose que sur la seule nécessité de sécuriser un glacis pour la Russie. Il y a comme un parfum de Sudètes dans l’air…]
Pas tout à fait. Lorsque Hitler réclame les Sudètes, l’ensemble de la bourgeoisie européenne est tout à fait d’accord pour lui donner, et les Américains ne voient pas cela d’un mauvais œil. Les seuls à s’engager à l’époque du côté du gouvernement tchécoslovaque sont… les soviétiques. Il ne vous échappera pas je pense que la même classe dominante qui aujourd’hui soutient l’Ukraine est celle-là même qui en son temps applaudit au démembrement de la Tchécoslovaquie…
@Descartes
[J’assume mon erreur.]
Eh bien je salue votre honnêteté intellectuelle.
[N’exagérons rien. La Finlande était formellement neutre, mais la neutralité n’était déjà plus ce qu’elle était, et cela bien avant le début de « l’opération spéciale » en Ukraine.]
Eh bien maintenant, ils pourront se permettre d’avoir les coudées franches, notamment pour ce qui est du déploiement de troupes au sol, voire de bombinettes…
[Mais quelles étaient les options ? Laisser l’Ukraine réjoindre l’OTAN et l’UE, avec la perspective de voir ensuite d’autres états frontaliers faire de même ?]
Deux remarques. D’une, êtes vous certain qu’empêcher l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN est le seul but de guerre de Poutine ? De deux, n’avez vous pas l’impression que ses agissements depuis 2014 (et à plus forte raison depuis depuis 2022) n’ont pas accentué la volonté des Ukrainiens de se jeter dans les bras des occidentaux ?
J’ajoute par ailleurs que s’il est plus que discutable que « l’opération militaire spéciale » réduise les menaces externes de la Russie, les menaces internes elles, ont grandement augmenté depuis.
[Car il faut bien voir cet aspect : si la Russie n’est pas capable de faire respecter ses « lignes rouges » en Ukraine, pourquoi le ferait-elle ailleurs ?]
Peut-être fallait-il mieux s’y prendre quand l’URSS/la Russie avait l’opportunité diplomatique pour faire respecter ses lignes rouges, plutôt que d’essayer de le faire maintenant par la force. Je crains hélas Descartes, que les promesses orales de diplomates, du moment qu’elles ne sont pas dûment consignées dans un traité, n’ont guère plus de valeur que celles d’un ivrogne. Moins de valeur en tous cas que celles du mémorandum de Budapest (et qui contenait une « finlandisation » a minima de l’Ukraine, en interdisant les pressions économiques pour infléchir ses positions politiques) signé par la Russie, dans lequel elle s’engage à respecter la souveraineté de l’Ukraine.
Et puis disons le clairement : dans leur intérêt, les états baltes ont parfaitement eu raison d’intégrer l’OTAN (non pas que je considère que ce soit une bonne chose pour la France d’appartenir à cette alliance). On ne peut à posteriori pas en vouloir à l’Ukraine de souhaiter s’aligner sur le camp occidental (et accessoirement d’avoir renoncé à son arsenal nucléaire), puisque si elle était membre de l’OTAN avant 2022, jamais elle ne se serait faite envahir.
[Pauvre Poutine… la moitié du temps (…)]
Que certains considèrent qu’il n’est qu’un calculateur froid n’enlève rien au fait que j’ai grandement réévalué à la baisse sa rationalité depuis le 24 février 2022.
[Pas tout à fait. Lorsque Hitler réclame les Sudètes, l’ensemble de la bourgeoisie européenne est tout à fait d’accord pour lui donner (…)]
Si vous voulez. Mais cela n’enlève rien au fait que la Russie joue des minorités russophones, et que ça ne date pas du détachement forcé du Kosovo de la Serbie par l’OTAN. Les Moldaves en savent quelque chose.
[Il ne vous échappera pas je pense que la même classe dominante qui aujourd’hui soutient l’Ukraine est celle-là même qui en son temps applaudit au démembrement de la Tchécoslovaquie…]
Je crois qu’il ne reste plus grand monde parmi ceux qui soutenaient le démembrement de la Tchécoslovaquie. À la place, on peut dire que la même classe qui soutenait les sécessionnistes du Kosovo (et maintenant de Taïwan (même si j’ai plus de sympathie pour la République de Chine que pour la République Populaire de Chine, je suis obligé d’admettre que la seconde est parfaitement dans son droit pour exercer sa souveraineté sur l’île de Formose)), s’oppose aux sécessionnistes du Donbass.
@ François
[« N’exagérons rien. La Finlande était formellement neutre, mais la neutralité n’était déjà plus ce qu’elle était, et cela bien avant le début de « l’opération spéciale » en Ukraine. » Eh bien maintenant, ils pourront se permettre d’avoir les coudées franches, notamment pour ce qui est du déploiement de troupes au sol, voire de bombinettes…]
Je ne pense pas que cela ait la même importance stratégique que l’Ukraine, compte tenu des intérêts russes dans la mer noire.
[« Mais quelles étaient les options ? Laisser l’Ukraine réjoindre l’OTAN et l’UE, avec la perspective de voir ensuite d’autres états frontaliers faire de même ? » Deux remarques. D’une, êtes-vous certain qu’empêcher l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN est le seul but de guerre de Poutine ?]
On n’est jamais sûr de rien. Mais je pense que mon raisonnement repose sur un faisceau de présomptions solides. D’un côté, je constate que le système OTAN/UE a mis le paquet pour s’annexer l’Ukraine, allant jusqu’à intervenir en sous-main pour renverser un gouvernement jugé pas assez pro-européen – et surtout pas assez anti-russe. En appliquant la vieille maxime de Sun-Tzu, « mon point vital est le point vital de mon ennemi », j’en déduit que la question a été jugée des deux côtés de la plus haute importance. Ensuite, on peut constater que la Russie a plusieurs fois affirmé que l’adhésion de l’Ukraine au système OTAN/UE était une ligne rouge, et proposé différentes solutions de neutralisation. Enfin, je ne vois pas d’autre explication raisonnable sans aller chercher des constructions compliquées. Et vous savez combien je suis attaché au rasoir d’Occam…
[De deux, n’avez-vous pas l’impression que ses agissements depuis 2014 (et à plus forte raison depuis depuis 2022) n’ont pas accentué la volonté des Ukrainiens de se jeter dans les bras des occidentaux ?]
Je ne doute pas que les agissements américains dans les années 1960 aient tout fait pour jeter le régime cubain dans les bras des soviétiques. Il n’empêche que les américains ont fait de l’installation des missiles nucléaires dans l’île une « ligne rouge », et que les missiles n’ont pas été installés. Le but de la politique internationale n’est pas de se faire des amis, mais de faire avancer vos intérêts.
Quant à la volonté des cercles dirigeants Ukrainiens – parler ici des « Ukrainiens » en général me paraît relativement risqué, il ne faudrait pas oublier que le président Ianoukovitch, qui avait refusé la signature du traité liant son pays à l’UE a été élu démocratiquement et renversé par un mouvement des classes intermédiaires aidé de l’extérieur – de « se jeter dans les bras des occidentaux », c’est une pure question d’intérêt, qui n’a rien à voir avec la guerre. C’est sur le marché européen que les magnats de la volaille ou du blé ukrainien aspirent à écouler leur production.
[J’ajoute par ailleurs que s’il est plus que discutable que « l’opération militaire spéciale » réduise les menaces externes de la Russie, les menaces internes elles, ont grandement augmenté depuis.]
Vous pensez à quoi ? Je ne vois pas de quelles « menaces internes » il s’agit…
[« Car il faut bien voir cet aspect : si la Russie n’est pas capable de faire respecter ses « lignes rouges » en Ukraine, pourquoi le ferait-elle ailleurs ? » Peut-être fallait-il mieux s’y prendre quand l’URSS/la Russie avait l’opportunité diplomatique pour faire respecter ses lignes rouges, plutôt que d’essayer de le faire maintenant par la force.]
Si vous voulez dire que Gorbatchev a négocié comme un pied, je serai tout à fait d’accord avec vous. L’angélisme de Gorby, sa croyance naïve dans le fait que l’Occident pratique ce qu’il prêche – sans compter la pression irrésistible des classes intermédiaires de l’URSS prêtes à tout brader pour pouvoir manger du McDonalds et chausser des jeans – ne sont pas pour rien dans le désastre actuel.
[Je crains hélas Descartes, que les promesses orales de diplomates, du moment qu’elles ne sont pas dûment consignées dans un traité, n’ont guère plus de valeur que celles d’un ivrogne. Moins de valeur en tous cas que celles du mémorandum de Budapest (et qui contenait une « finlandisation » a minima de l’Ukraine, en interdisant les pressions économiques pour infléchir ses positions politiques) signé par la Russie, dans lequel elle s’engage à respecter la souveraineté de l’Ukraine.]
Je ne vois pas très bien de quelle « finlandisation » vous parlez. Les mémorandums de Budapest ne garantissent nullement la neutralité de l’Ukraine, qui reste libre d’adhérer à l’alliance militaire de son choix. Quant à la non intervention dans les positions politiques de l’Ukraine, le coup d’état dit « Euromaïdan » a bien montré la manière dont le système OTAN/UE interprétait les mémorandums de Budapest. A moins que vous estimiez que l’offre d’accès au marché européen ne constitue pas une « pression économique » ?
[Et puis disons-le clairement : dans leur intérêt, les états baltes ont parfaitement eu raison d’intégrer l’OTAN (non pas que je considère que ce soit une bonne chose pour la France d’appartenir à cette alliance).]
Possible, même si personnellement je ne vois pas très bien ce que cela leur apporte. Mais cet « intérêt » se mesure aussi à l’aune de la réaction de leur adversaire. Si la Russie avait proclamé urbi et orbi que l’adhésion des états baltes était une « ligne rouge » et que sa matérialisation conduirait à une guerre comme celle que nous voyons en Ukraine, les états baltes auraient bien fait de reconsidérer la question. Prenez le cas de Cuba en 1962 : leur intérêt sans aucun doute était d’avoir sur leur territoire des missiles nucléaires pour prévenir toute attaque américaine. Il n’empêche que lorsque les Américains ont fait comprendre que c’était là une « ligne rouge », la question a été réexaminée et les missiles retirés.
[On ne peut à posteriori pas en vouloir à l’Ukraine de souhaiter s’aligner sur le camp occidental (et accessoirement d’avoir renoncé à son arsenal nucléaire), puisque si elle était membre de l’OTAN avant 2022, jamais elle ne se serait faite envahir.]
Moi, je n’en « veut » à personne. Je pense qu’on ne fait de la politique qu’avec les réalités. Quand on traverse une « ligne rouge », il faut s’attendre à payer le prix. Quant à savoir si elle aurait pu se faire envahir si elle était membre de l’OTAN… je ne tirerais pas des conclusions trop vite. Je vous rappelle que le traité qui fonde l’OTAN n’implique nullement une intervention AUTOMATIQUE en faveur du pays attaqué. Il n’est pas inutile de rappeler le texte de l’article 5 du traité, délicieux par son ambiguïté – à l’époque, on savait écrire…
« Article 5 : Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles
survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée
contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque
se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou
collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les
parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres
parties, TELLE ACTION QU’ELLE JUGERA NECESSAIRE, y compris l’emploi de la force armée, pour
rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord. » (c’est moi qui souligne)
Pour ce qui concerne l’Ukraine, tous les dirigeants occidentaux vous diront qu’ils ont pris toutes les actions qu’elles ont jugé nécessaires. Autrement dit, l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN n’aurait changé grande chose…
[« Pas tout à fait. Lorsque Hitler réclame les Sudètes, l’ensemble de la bourgeoisie européenne est tout à fait d’accord pour lui donner (…) » Si vous voulez. Mais cela n’enlève rien au fait que la Russie joue des minorités russophones, et que ça ne date pas du détachement forcé du Kosovo de la Serbie par l’OTAN. Les Moldaves en savent quelque chose.]
Peut-être, mais si vous invoquez l’exemple des Sudètes, vous amenez de l’au à mon moulin. Parce que la crise de 1938 n’a pas pour CAUSE les Sudètes. Ce n’était là qu’un prétexte. Et c’était là bien mon point : le but de guerre de Poutine n’est pas de récupérer des territoires russophones, ce n’est là qu’un prétexte. Son véritable but stratégique, au-delà de la neutralisation de l’Ukraine elle-même, c’est de maintenir une crédibilité internationale : quand vous fixez une « ligne rouge », vous êtes tenu sous peine de perdre toute crédibilité à punir celui qui la traverse.
[« Il ne vous échappera pas je pense que la même classe dominante qui aujourd’hui soutient l’Ukraine est celle-là même qui en son temps applaudit au démembrement de la Tchécoslovaquie… » Je crois qu’il ne reste plus grand monde parmi ceux qui soutenaient le démembrement de la Tchécoslovaquie.]
Si vous parlez d’individus, c’est certain. Si vous parlez de classes, par contre…
@Descartes
[Je ne pense pas que cela ait la même importance stratégique que l’Ukraine, compte tenu des intérêts russes dans la mer noire.]
Saint-Pétersbourg est pris en tenaille, et puis bon, c’est quand même un pari dangereux de tout miser sur la mer Noire puisque sa seule sortie est le détroit du Bosphore, être à la merci de la Turquie Otanienne.
[On n’est jamais sûr de rien. Mais je pense que mon raisonnement repose sur un faisceau de présomptions solides.]
Et bien moi, je m’en tiens aux buts de guerre officiels de la Russie, à savoir : neutralité, démilitarisation, « dénazification » (la paille, la poutre…), bref livrer les couilles de l’Ukraine sur un plateau (sans oublier les propos de délégitimation de l’état ukrainien). On notera que les territoires occupés sont annexés à la Russie, et donc n’ont plus vocation à servir de monnaie d’échange en vue d’une d’un accord de paix avec une neutralisation de l’Ukraine. L’invasion de l’Ukraine par la Russie est donc de fait une guerre expansionniste.
[Il n’empêche que les américains ont fait de l’installation des missiles nucléaires dans l’île une « ligne rouge », et que les missiles n’ont pas été installés.]
Et bien si la crise de Cuba s’était terminée en apocalypse thermonucléaire, cela aurait été entièrement de la faute des Américains. En l’absence de traité règlementant l’installation des armes atomiques, les Soviétiques étaient parfaitement dans leur droit d’installer des missiles balistiques à proximité des USA, sachant surtout que les Américains avaient fait de même en Turquie.
Que voulez vous dire par là Descartes ? Que si demain, le Mexique jugerait opportun de nouer une alliance militaire avec la Russie (et soyons fou, que le Canada jugerait de même), alors les USA seraient dans leur droit d’envahir préventivement ces états pour les dissuader de nouer une telle alliance ?
[Vous pensez à quoi ? Je ne vois pas de quelles « menaces internes » il s’agit…]
La chevauchée des Walkyries de juin dernier me semble indiquer qu’il y a quelque chose de pourri dans le fonctionnement institutionnel de la Russie, qui ressemble à une féodalisation de la Russie. À la fin de la guerre, Kadyrov adressera la facture. Ajoutons à cela la fuite des cerveaux, ainsi que la mort (au bas mot) de milliers conscrits, alors que la démographie de la Russie n’est pas mirobolante. Rappelons nous des conséquences fatales qu’a eu l’invasion de l’Afghanistan pour l’URSS, pour un bilan humain bien moindre…
N’oublions pas que les sanctions économiques occidentales ont pour conséquence une dépendance accrue de la Russie à la Chine. Or celle-ci considère que la page des traité inégaux n’est pas refermée, notamment en ce qui concerne la Sibérie orientale (n’oublions pas non plus qu’URSS et RPC se sont faites la guerre en 1969 sur de différent territorial).
[sans compter la pression irrésistible des classes intermédiaires de l’URSS prêtes à tout brader pour pouvoir manger du McDonalds et chausser des jeans – ne sont pas pour rien dans le désastre actuel]
Des gopniks (avec leurs fameux survêtements Adidas) à l’intelligentsia, tout le monde en URSS avait des yeux de Chimène pour l’occident.
[Je ne vois pas très bien de quelle « finlandisation » vous parlez. Les mémorandums de Budapest ne garantissent nullement la neutralité de l’Ukraine, qui reste libre d’adhérer à l’alliance militaire de son choix.]
a minima j’ai précisé, car le mémorandum de de Budapest interdit la pression économique pour infléchir la politique de l’Ukraine
[A moins que vous estimiez que l’offre d’accès au marché européen ne constitue pas une « pression économique » ?]
Les évènements de Maïdan, ont eu pour origine la renonciation de signer un accord d’association avec l’UE, notamment sous pression russe par les livraisons de gaz. Balle au centre.
Soyons lucides, tant du côté russe qu’occidental, aucune partie n’a respecté cette partie du mémorandum de Budapest, se livrant à une bataille d’influence par oligarques interposés.
Et puis la ligne fracture politique de l’Ukraine avant recouvre les frontières entre les empires russe et austro-hongrois.
[Possible, même si personnellement je ne vois pas très bien ce que cela leur apporte. Mais cet « intérêt » se mesure aussi à l’aune de la réaction de leur adversaire.]
Ben disons que pour les états baltes alors que l’URSS avait reconnu leur indépendance par les traités de Moscou, de Riga et de Tartu, (notons par ailleurs que ces territoires furent cédés à l’Allemagne lors de la paix de Brest-Litovsk, et que les révolutionnaires bolchéviques proclamèrent le droit des peuples à disposer d’eux même), ça ne l’empêcha pas de les réannexer. La proclamation diplomatique ne suffisant donc pas avec la Russie, il faut donc avoir des garanties militaires.
[Il n’est pas inutile de rappeler le texte de l’article 5 du traité, délicieux par son ambiguïté – à l’époque, on savait écrire…]
Certes. Mais je crois que les USA se devraient de riposter énergétiquement si un pays de l’Otan était attaqué, car s’ils ne le feraient pas, ils perdraient toute crédibilité, notamment en ce qui concerne leurs accords avec les pays du pacifique, avec pour conséquence un accès des SNLE chinois aux eaux profondes…
[Peut-être, mais si vous invoquez l’exemple des Sudètes, vous amenez de l’au à mon moulin. Parce que la crise de 1938 n’a pas pour CAUSE les Sudètes. Ce n’était là qu’un prétexte.]
Protection des minorités germanophones, dans un cas, russophones dans l’autre, dans les deux cas il ne s’agit en effet que de prétextes « d’impérialistes revanchards » (pour reprendre l’expression de l’essayiste Philippe Fabry) qui cherchent à reconstituer leurs empires déchus, en 1918 pour l’un, en 1991 pour l’autre.
Je crains Descartes que vous fassiez preuve de naïveté en pensant que Poutine est quelqu’un de pondéré et rationnel, qui ne cherche qu’à légitimement protéger ses frontières. Je le croyais aussi jusqu’au 24 février 2022, mais j’ai réévalué ma position depuis le concernant, considérant que ni avant, ni après cette date, il ne peut parvenir à cette fin par la guerre.
[Si vous parlez d’individus, c’est certain. Si vous parlez de classes, par contre…]
Je doute fort que la bourgeoisie de 1938 ait grand chose à voir avec celle de 2024.
@ François
[« Je ne pense pas que cela ait la même importance stratégique que l’Ukraine, compte tenu des intérêts russes dans la mer noire. » Saint-Pétersbourg est pris en tenaille, et puis bon, c’est quand même un pari dangereux de tout miser sur la mer Noire puisque sa seule sortie est le détroit du Bosphore, être à la merci de la Turquie Otanienne.]
Le contrôle de la mer Baltique n’apporte à la Russie aucun avantage : les pays côtiers lui sont irrémédiablement hostiles, et la fraction du commerce russe passant par cette voie est minime. Le pourtour de la mer noire, au contraire, contient des régions qui ne sont pas hostiles à la Russie, et une partie importante de son commerce passe par là… Cela fait d’ailleurs des années que les analystes de la CIA soutiennent cette position, vous n’allez tout de même pas me dire qu’ils ont tous tort, non ?
[Et bien moi, je m’en tiens aux buts de guerre officiels de la Russie,]
En 1938 c’est ce que firent Daladier et Chamberlain. Les résultats ont été décevants…
[à savoir : neutralité, démilitarisation, « dénazification » (la paille, la poutre…),]
Pardon, mais la poutre est bien dans les yeux des Ukrainiens. On rend publiquement hommage en Ukraine à un homme qui fut l’allié des nazis, un certain Stepan Bandera. Je ne connais pas qu’on rende hommage à un tel hommage dans la Russie poutinienne. Il faut rappeler ce simple fait : par antisoviétisme, par anticommunisme, on honore aujourd’hui dans beaucoup de pays d’Europe orientale des personnages qui, en leur temps, ont fricoté avec les nazis. De ce point de vue, Poutine n’a pas tout à fait tort.
[bref livrer les couilles de l’Ukraine sur un plateau (sans oublier les propos de délégitimation de l’état ukrainien).]
En 1945, l’Autriche fut neutralisée, démilitarisée et dénazifiée. Je ne suis pas persuadé que les Autrichiens aient vu cela comme une livraison de « leurs couilles sur un plateau », pour utiliser votre image.
[On notera que les territoires occupés sont annexés à la Russie, et donc n’ont plus vocation à servir de monnaie d’échange en vue d’une d’un accord de paix avec une neutralisation de l’Ukraine.]
Je ne vois pas pourquoi. Ce qu’une loi fait, une autre peut le défaire. Je ne doute pas que si dans une négociation le changement du statut de ces régions permet d’obtenir des concessions importantes pour lui dans un autre domaine, l’annexion pourrait être révisée. Ce ne serait pas la première fois qu’une région annexée sera renégociée dans la région…
[L’invasion de l’Ukraine par la Russie est donc de fait une guerre expansionniste.]
Ah bon ? L’annexion de l’Alsace-Moselle par la France en 1918 fait de la guerre de 1914-18 une « guerre expansionniste » de la France ?
[« Il n’empêche que les américains ont fait de l’installation des missiles nucléaires dans l’île une « ligne rouge », et que les missiles n’ont pas été installés. » Et bien si la crise de Cuba s’était terminée en apocalypse thermonucléaire, cela aurait été entièrement de la faute des Américains. En l’absence de traité règlementant l’installation des armes atomiques, les Soviétiques étaient parfaitement dans leur droit d’installer des missiles balistiques à proximité des USA, sachant surtout que les Américains avaient fait de même en Turquie.]
Le fait de savoir à qui était la faute aurait été une maigre consolation pour les survivants de l’apocalypse nucléaire. Plutôt que de faire respecter leur « droit », les Soviétiques et les Américains ont cherché une solution à la fois acceptable par toutes les parties et réduisant le nombre de morts. Si les Ukrainiens avaient fait la même chose, au lieu de suivre les conseils de tous ceux qui déclarent les guerres mais qui n’y vont pas, on n’en serait pas là.
[Que voulez-vous dire par là Descartes ? Que si demain, le Mexique jugerait opportun de nouer une alliance militaire avec la Russie (et soyons fou, que le Canada jugerait de même), alors les USA seraient dans leur droit d’envahir préventivement ces états pour les dissuader de nouer une telle alliance ?]
Je ne sais pas s’ils seraient dans leur droit, mais ils le feraient certainement. Et l’Europe regarderait convenablement ailleurs. Pour beaucoup moins que ça les américains sont intervenus en Amérique Centrale pour renverser le président Bosch, en Amérique du Sud pour renverser Allende. Et le fait qu’ils n’en aient pas le droit n’a pas changé grande chose. Personne n’a même songé à leur imposer des sanctions économiques, ou les exclure des jeux olympiques.
[« Vous pensez à quoi ? Je ne vois pas de quelles « menaces internes » il s’agit… » La chevauchée des Walkyries de juin dernier me semble indiquer qu’il y a quelque chose de pourri dans le fonctionnement institutionnel de la Russie, qui ressemble à une féodalisation de la Russie. À la fin de la guerre, Kadyrov adressera la facture.]
On peut certainement parler de « féodalisation ». Une « féodalisation » voulue par les occidentaux après la chute du Mur, et qui connut ses meilleures heures sous Eltsine. Poutine est de ce point de vue une sorte de Louis XI, qui a beaucoup fait pour centraliser le pouvoir et mettre au pas les grands barons, dont certains d’ailleurs ont trouvé refuge et soutien en occident (pensez à Boris Berezovski, par exemple). Mais si Poutine a beaucoup fait pour stabiliser le régime et centraliser le pouvoir, l’édifice institutionnel reste très fragile. C’est un fait. Ajoutons que ce n’est guère mieux en Ukraine, où la réalité du pouvoir est dans les mains des oligarques. Sans l’argent et les médias de Ihor Kolomoïski, Zelenski ne serait pas président.
[Ajoutons à cela la fuite des cerveaux, ainsi que la mort (au bas mot) de milliers conscrits, alors que la démographie de la Russie n’est pas mirobolante.]
La fuite des cerveaux ? Je ne vois pas très bien sur quoi vous vous appuyez pour tirer cette conclusion. Quant aux « milliers de conscrits », on nous a raconté que ce pauvre Poutine était forcé d’aller les chercher dans les prisons, ce qui rend la perte assez relative… A moins que les médias nous aient menti ?
Je ne pense pas que la question de la démographie soit un argument. On sait que les guerres provoquent presque toujours un sursaut démographique qui comble assez rapidement les pertes.
[Rappelons-nous des conséquences fatales qu’a eu l’invasion de l’Afghanistan pour l’URSS, pour un bilan humain bien moindre…]
Quelles ont été ces « conséquences fatales » ? Pourriez-vous être plus précis ?
[N’oublions pas que les sanctions économiques occidentales ont pour conséquence une dépendance accrue de la Russie à la Chine. Or celle-ci considère que la page des traité inégaux n’est pas refermée, notamment en ce qui concerne la Sibérie orientale (n’oublions pas non plus qu’URSS et RPC se sont faites la guerre en 1969 sur de différend territorial).]
Je ne vois pas la Chine rouvrir ce contentieux. La Chine a un ennemi qui s’est déclaré comme tel, les Etats-Unis. Elle n’a donc aucun intérêt à ouvrir un deuxième front, d’autant plus que les régions auxquelles elle pourrait prétendre par la révision des anciens traités – la Manchourie – ne lui rapporteraient pas grande chose en termes stratégiques. Le monde a changé, et l’extension territoriale n’est plus un objectif prioritaire.
[« A moins que vous estimiez que l’offre d’accès au marché européen ne constitue pas une « pression économique » ? » Les évènements de Maïdan, ont eu pour origine la renonciation de signer un accord d’association avec l’UE, notamment sous pression russe par les livraisons de gaz. Balle au centre.]
Pas vraiment : le fait d’avoir proposé cet accord d’association, n’est-ce pas là une « pression économique » ?
[« Possible, même si personnellement je ne vois pas très bien ce que cela leur apporte. Mais cet « intérêt » se mesure aussi à l’aune de la réaction de leur adversaire. » Ben disons que pour les états baltes alors que l’URSS avait reconnu leur indépendance par les traités de Moscou, de Riga et de Tartu, (notons par ailleurs que ces territoires furent cédés à l’Allemagne lors de la paix de Brest-Litovsk, et que les révolutionnaires bolchéviques proclamèrent le droit des peuples à disposer d’eux même), ça ne l’empêcha pas de les réannexer.]
Les arguments sont spécieux. Les bolchéviques ont cédé les pays baltes à l’Allemagne par le traité de Brest-Litovsk, et reconnu leur indépendance lors des traités de Tartu, de Riga et de Moscou de la même manière que la France avait cédé l’Alsace-Moselle à l’Allemagne par le traité de Francfort. Autrement dit, l’annexion des pays baltes en 1939 est tout aussi « légale » que celle de l’Alsace-Lorraine par la France après 1918. Cela fait bien longtemps qu’on sait ce que valent les traités imposés par la force des armes…
[La proclamation diplomatique ne suffisant donc pas avec la Russie, il faut donc avoir des garanties militaires.]
Vous y croyez, vous, aux « garanties » fournies par l’OTAN ?
[« Il n’est pas inutile de rappeler le texte de l’article 5 du traité, délicieux par son ambiguïté – à l’époque, on savait écrire… » Certes. Mais je crois que les USA se devraient de riposter énergétiquement si un pays de l’Otan était attaqué, car s’ils ne le feraient pas, ils perdraient toute crédibilité, notamment en ce qui concerne leurs accords avec les pays du pacifique, avec pour conséquence un accès des SNLE chinois aux eaux profondes…]
Possible, mais ce sain principe s’applique aussi à de nombreux pays qui ne sont pas dans l’OTAN et qui pourtant bénéficient d’un soutien inconditionnel des Américains sans avoir à se soumettre aux contraintes du traité. Je vous rappelle aussi que le cas s’est présenté d’un pays de l’OTAN attaquant un autre pays de l’OTAN…
[« Peut-être, mais si vous invoquez l’exemple des Sudètes, vous amenez de l’eau à mon moulin. Parce que la crise de 1938 n’a pas pour CAUSE les Sudètes. Ce n’était là qu’un prétexte. » Protection des minorités germanophones, dans un cas, russophones dans l’autre, dans les deux cas il ne s’agit en effet que de prétextes « d’impérialistes revanchards » (pour reprendre l’expression de l’essayiste Philippe Fabry) qui cherchent à reconstituer leurs empires déchus, en 1918 pour l’un, en 1991 pour l’autre.]
Curieusement, vous n’incluez jamais dans cet « impérialisme révanchard » la question de l’Alsace-Moselle… j’aimerais bien savoir pourquoi !
[Je crains Descartes que vous fassiez preuve de naïveté en pensant que Poutine est quelqu’un de pondéré et rationnel, qui ne cherche qu’à légitimement protéger ses frontières.]
J’accorde ce bénéfice non seulement à Poutine, mais à l’ensemble des dirigeants du monde. Je trouve personnellement que l’argument de la « folie » est beaucoup trop commode, puisque dès lors qu’on déclare quelqu’un « fou » ce n’est plus la peine de chercher la cohérence derrière ses actions. Je pars donc de l’hypothèse que les dirigeants sont rationnels, et qu’il faut chercher la rationnalité qui se cache derrière leurs actions.
[Je le croyais aussi jusqu’au 24 février 2022, mais j’ai réévalué ma position depuis le concernant, considérant que ni avant, ni après cette date, il ne peut parvenir à cette fin par la guerre.]
Ce n’est pas parce qu’on commet une erreur qu’on est « irrationnel ». Et je ne suis pas non plus persuadé qu’il y ait erreur. La guerre n’est pas terminée, et on ne sait pas à quel équilibre elle aboutira. Mais Poutine a au moins emporté une victoire, celle de la crédibilité. On sait maintenant au-delà de tout doute raisonnable que lorsqu’il pointe une « ligne rouge », il est prêt d’aller jusqu’au bout pour la faire respecter. Il a aussi réussi à prouver que l’économie russe est bien plus forte que ce qu’on le croyait, et que l’arme des sanctions n’est pas une arme efficace.
[« Si vous parlez d’individus, c’est certain. Si vous parlez de classes, par contre… » Je doute fort que la bourgeoisie de 1938 ait grand-chose à voir avec celle de 2024.]
Pourtant, quand on regarde bien, on trouve pas mal de noms qui se répètent…
@Descartes
[Le pourtour de la mer noire, au contraire, contient des régions qui ne sont pas hostiles à la Russie, et une partie importante de son commerce passe par là…]
J’aimerais bien savoir quels y sont les pays non hostiles à la Russie. L’Ukraine ? Non. La Géorgie ? Non. La Roumanie ? Non. La Bulgarie ? Non.
Reste la Turquie qui mène un double jeu, et dont la Russie est à la merci, un claquement de doigts suffisant à transformer la mer Noire en lac.
[Cela fait d’ailleurs des années que les analystes de la CIA soutiennent cette position, vous n’allez tout de même pas me dire qu’ils ont tous tort, non ?]
Je ne sais pas. Je sais que la Russie possède d’autres façades maritimes (pacifique entre autres avec un accès direct aux eaux profondes), dont une qui va devenir particulièrement stratégique avec la fonte de la banquise arctique. Bref, établir une marine de guerre (en cours de liquidation au demeurant) autre que côtière en mer Noire pour la Russie ne me semble pas particulièrement pertinent.
[[Et bien moi, je m’en tiens aux buts de guerre officiels de la Russie,]
En 1938 c’est ce que firent Daladier et Chamberlain. Les résultats ont été décevants…]
Et que fait-on de Mein Kampf ?
[Pardon, mais la poutre est bien dans les yeux des Ukrainiens.]
Ben voyons. Je rappelle juste que la fameuse compagnie de mercenaire sur laquelle il s’appuyait porte le nom très évocateur de Wagner (sa filiale africaine portant désormais le nom très rommelien « Africa Corps »), et que l’un des fondateurs de cette compagnie, le très regretté Dimitri Outkine portait des tatouages nazis.
Celui qui monte au cocotier doit avoir le cul propre, si vous préférez.
[En 1945, l’Autriche fut neutralisée, démilitarisée et dénazifiée. Je ne suis pas persuadé que les Autrichiens aient vu cela comme une livraison de « leurs couilles sur un plateau », pour utiliser votre image.]
Je rappelle juste que de nombreux Autrichiens se sont rendus coupables d’exactions durant la guerre expansionniste menée par le IIIe Reich. Quelle est la guerre expansionniste menée par l’Ukraine avec son lot d’exactions ?
Bien entendu que ce fut pour l’Autriche une livraison de couilles sur un plateau, même si de toutes façons elle n’était plus très virile après 1918, même si elle chercha par la suite à se poser en victime des nazis.
[Je ne vois pas pourquoi. Ce qu’une loi fait, une autre peut le défaire. Je ne doute pas que si dans une négociation le changement du statut de ces régions permet d’obtenir des concessions importantes pour lui dans un autre domaine, l’annexion pourrait être révisée.]
Pourquoi s’empresser de formellement les annexer s’ils ont vocation à être restitués ? Devoir se séparer de territoires (avec ses citoyens) dans un traité de paix où l’on est gagnant limite la portée d’une victoire.
[Ah bon ? L’annexion de l’Alsace-Moselle par la France en 1918 fait de la guerre de 1914-18 une « guerre expansionniste » de la France ?]
On fera remarquer que c’est l’Allemagne qui déclara la guerre à la France et non l’inverse, donc vae victis à celui qui déclenche la guerre et la perd.
[Si les Ukrainiens avaient fait la même chose, au lieu de suivre les conseils de tous ceux qui déclarent les guerres mais qui n’y vont pas, on n’en serait pas là.]
Dites plutôt si les Ukrainiens avaient baissé leur froc.
[Je ne sais pas s’ils seraient dans leur droit, mais ils le feraient certainement.]
Et savez vous si les russes sont actuellement dans leur droit ?
[Et l’Europe regarderait convenablement ailleurs.]
Ça n’est pas à moi que vous allez apprendre que les européistes sont adeptes du deux poids deux mesures, aillant par ailleurs convenablement regardé ailleurs à propos du récent nettoyage ethnique des Arméniens du Haut-Karabagh mené par les Azéris.
[Poutine est de ce point de vue une sorte de Louis XI, qui a beaucoup fait pour centraliser le pouvoir et mettre au pas les grands barons, dont certains d’ailleurs ont trouvé refuge et soutien en occident (pensez à Boris Berezovski, par exemple).]
Est-ce que Wagner existait déjà en 1999 ?
[Sans l’argent et les médias de Ihor Kolomoïski, Zelenski ne serait pas président.]
Sans l’argent et les médias de Rinat Akhmetov, Viktor Ianoukovytch n’aurait jamais été président.
[La fuite des cerveaux ? Je ne vois pas très bien sur quoi vous vous appuyez pour tirer cette conclusion.]
https://www.lesechos.fr/monde/europe/russie-lexode-massif-destabilise-lactivite-economique-1962821
[Poutine était forcé d’aller les chercher dans les prisons, ce qui rend la perte assez relative…]
C’était le très regretté Prigojine qui était allé faire son marché dans les taules de toutes les Russies.
[Quelles ont été ces « conséquences fatales » ? Pourriez-vous être plus précis ?]
Ben la chute de l’URSS (même si ça n’est pas la seule, rajoutons y parmi tant d’autres, la symptomatique du pourrissement du régime soviétique, catastrophe nucléaire de Tchernobyl). C’est qu’une guerre perdue, qui s’enlise, à plus forte raison quand elle se fait à l’extérieur suscite forcément un mécontentement de la population. Et dans un régime autoritaire, où le peuple n’a pas de prise sur les élites au pouvoir, ce mécontentent passe par le renversement du régime.
[On sait que les guerres provoquent presque toujours un sursaut démographique qui comble assez rapidement les pertes.]
C’est discutable. Après les guerres de la Révolution et de l’Empire (qui ne sont que la continuité de ce que certains historiens appellent la « seconde guerre de Cent ans »), la France est rentrée dans un hiver démographique, lui faisant perdre sa seconde place des pays les plus peuplés d’Europe. Même la victoire de 1918 n’engendra pas de sursaut démographique, d’où la législation draconienne de l’entre deux guerres contre le contrôle des naissances.
[Je ne vois pas la Chine rouvrir ce contentieux. La Chine a un ennemi qui s’est déclaré comme tel, les Etats-Unis. Elle n’a donc aucun intérêt à ouvrir un deuxième front.]
Bien entendu que la Chine sait avoir le sens des priorités, mais ça n’est pas pour autant qu’elle n’a pas cette problématique dans un coin de sa tête. En tous cas, il y a de nombreux immigrés chinois qui s’y installent…
[Pas vraiment : le fait d’avoir proposé cet accord d’association, n’est-ce pas là une « pression économique » ?]
Tout autant que faire du chantage sur la livraison de gaz.
[(…) Cela fait bien longtemps qu’on sait ce que valent les traités imposés par la force des armes…]
Vous voulez dire que si demain Poutine obtenait par la force des armes un traité neutralisant l’Ukraine, alors il n’aurait guère plus de valeur que la paix de Brest-Litovsk ? Et puis bon, ça n’est pas non plus comme si les bolchéviques n’avaient proclamé pas le droit des peuples à disposer d’eux mêmes.
[[La proclamation diplomatique ne suffisant donc pas avec la Russie, il faut donc avoir des garanties militaires.]
Vous y croyez, vous, aux « garanties » fournies par l’OTAN ?]
Bien plus que l’absence de garanties.
[Je vous rappelle aussi que le cas s’est présenté d’un pays de l’OTAN attaquant un autre pays de l’OTAN…]
Faites vous référence à Chypre ? À ma connaissance, elle n’est pas membre de l’OTAN, et lors de l’opération Attila, les Turcs ont bien pris soin de ne pas attaquer les bases militaires souveraines britanniques d’Akrotiri et Dhekelia.
[Curieusement, vous n’incluez jamais dans cet « impérialisme révanchard » la question de l’Alsace-Moselle… j’aimerais bien savoir pourquoi !]
Bah comme dit plus haut, ça n’est pas la France qui déclara la guerre à l’Allemagne. Un butin de guerre bien légitime au regard des dégâts infligés sur son territoire par l’ennemi.
[J’accorde ce bénéfice non seulement à Poutine, mais à l’ensemble des dirigeants du monde. Je trouve personnellement que l’argument de la « folie » est beaucoup trop commode (…)]
Personnellement, je n’ai aucun problème pour dire que Biden est un vieillard sénile, et Macron un pervers narcissique (sous coke), bref, des individus dont la rationalité laisse à désirer, tout comme feu le poivrot Elstine.
[Il a aussi réussi à prouver que l’économie russe est bien plus forte que ce qu’on le croyait, et que l’arme des sanctions n’est pas une arme efficace.]
Comme le disait Bismarck, la Russie n’est jamais aussi forte ni aussi faible qu’on le croit.
[Et je ne suis pas non plus persuadé qu’il y ait erreur. La guerre n’est pas terminée, et on ne sait pas à quel équilibre elle aboutira.]
Même en admettant que Poutine parvienne à ses buts de guerre, les Ukrainiens haïront les Russes sur des décennies, profitant de sa moindre faiblesse pour se venger.
[Pourtant, quand on regarde bien, on trouve pas mal de noms qui se répètent…]
Laval ? Daladier ? Herriot ?
@ François
[« Le pourtour de la mer noire, au contraire, contient des régions qui ne sont pas hostiles à la Russie, et une partie importante de son commerce passe par là… » J’aimerais bien savoir quels y sont les pays non hostiles à la Russie. L’Ukraine ? Non. La Géorgie ? Non. La Roumanie ? Non. La Bulgarie ? Non.]
Vous allez un peu vite, il me semble, en confondant « pays » et « gouvernement ». Prenez la Bulgarie, par exemple. Même si les gouvernements bulgares ce dernier temps sont eurolâtres – et ont intérêt à l’être, compte tenu de leurs besoins en subventions et la tendance de Bruxelles à attacher ces aides aux positions politiques des gouvernements – la population bulgare est plutôt russophile. C’est aussi vrai pour la Georgie.
[Reste la Turquie qui mène un double jeu, et dont la Russie est à la merci, un claquement de doigts suffisant à transformer la mer Noire en lac.]
Pas tout à fait. Les détroits sont gouvernés par des accords internationaux sur la liberté de navigation, et les pays riverains ne font pas ce qu’ils veulent.
[« « Et bien moi, je m’en tiens aux buts de guerre officiels de la Russie, » » « En 1938 c’est ce que firent Daladier et Chamberlain. Les résultats ont été décevants… » Et que fait-on de Mein Kampf ?]
Mein Kampf est un texte de 1925. Déduire de Mein Kampf les « buts de guerre officiels de l’Allemagne » en 1938, c’set un peu comme lire les buts de guerre de Poutine dans ses écrits de 2010.
[« Pardon, mais la poutre est bien dans les yeux des Ukrainiens. » Ben voyons. Je rappelle juste que la fameuse compagnie de mercenaire sur laquelle il s’appuyait porte le nom très évocateur de Wagner (sa filiale africaine portant désormais le nom très rommelien « Africa Corps »), et que l’un des fondateurs de cette compagnie, le très regretté Dimitri Outkine portait des tatouages nazis.]
Cela rappelle trois remarques. La première, c’est qu’il y a une différence de niveau entre le fait de chanter des chants nazis ou de se tatouer des croix gammées aujourd’hui, comme peut le faire un Outkine, et de diriger une organisation qui collaborait avec les einsatzgruppen en 1941-43 comme le fit Bandera. La deuxième, c’est que tous les états ont recours pour les besoins de la guerre à des gens fort peu recommandables. J’ai chez moi un exemplaire d’un cahier de chants de la Légion Etrangère de 1950, où l’on peut trouver des pièces du répertoire des armées blanches, franquistes et même de la Wehrmacht. Mais une chose est d’utiliser ces personnes, et une autre de leur rendre hommage public. Il n’y a pas, à ma connaissance, de monument à Moscou rendant hommage au « regretté Dimitri Outkine », alors qu’il y en a bien un qui rend hommage à Bandera, monument qui est d’ailleurs le lieu d’un hommage national annuel. Et finalement, question tatouages et symboles nazis, le « bataillon Azov » n’a rien à envier à Wagner…
[« En 1945, l’Autriche fut neutralisée, démilitarisée et dénazifiée. Je ne suis pas persuadé que les Autrichiens aient vu cela comme une livraison de « leurs couilles sur un plateau », pour utiliser votre image. » Je rappelle juste que de nombreux Autrichiens se sont rendus coupables d’exactions durant la guerre expansionniste menée par le IIIe Reich. Quelle est la guerre expansionniste menée par l’Ukraine avec son lot d’exactions ?]
A ma connaissance, l’Autriche n’a jamais participé à « une guerre expansionniste avec son lot d’exactions », et elle a été quand même « neutralisée ».
[« Je ne vois pas pourquoi. Ce qu’une loi fait, une autre peut le défaire. Je ne doute pas que si dans une négociation le changement du statut de ces régions permet d’obtenir des concessions importantes pour lui dans un autre domaine, l’annexion pourrait être révisée. » Pourquoi s’empresser de formellement les annexer s’ils ont vocation à être restitués ? Devoir se séparer de territoires (avec ses citoyens) dans un traité de paix où l’on est gagnant limite la portée d’une victoire.]
Je ne connais pas assez la politique intérieure russe pour répondre à votre question. La seule chose que je sais, c’est qu’en politique internationale les « annexions définitives » n’existent pas, et que de nombreuses annexions annoncées a grand renfort publicitaire ont ensuite été rénégociées…
[« Ah bon ? L’annexion de l’Alsace-Moselle par la France en 1918 fait de la guerre de 1914-18 une « guerre expansionniste » de la France ? » On fera remarquer que c’est l’Allemagne qui déclara la guerre à la France et non l’inverse, donc vae victis à celui qui déclenche la guerre et la perd.]
Pardon, mais une guerre est moins « expansionniste » du fait que c’est l’autre qui prend l’initiative de la déclarer ? Là, vous pinaillez pour occulter un problème dans votre argumentation : transformer toute guerre a visée territoriale en « guerre expansionniste » est ignorer que dans beaucoup de guerres l’enjeu est un territoire disputé, pour lequel la légitimité de la possession ne fait pas consensus. Vous n’acceptez les « visions expansionnistes » de la France en 1914-18 parce que vous estimez par avance que ses revendications sur l’Alsace-Moselle étaient légitimes, et à l’inverse vous voyez de « l’expansionnisme » chez Poutine parce que vous estimez ses revendications sur des provinces aujourd’hui ukrainiennes comme illégitimes. « L’expansionnisme » est donc dans l’œil de celui qui regarde, et non une catégorie objective.
[« Si les Ukrainiens avaient fait la même chose, au lieu de suivre les conseils de tous ceux qui déclarent les guerres mais qui n’y vont pas, on n’en serait pas là. » Dites plutôt si les Ukrainiens avaient baissé leur froc.]
Moi, je suis comme mongénéral : je ne fais de la politique qu’avec des réalités. Je n’estime pas que les cubains aient « baissé leur froc » en 1962. Ils ont simplement tiré les conséquences d’un rapport de forces et tiré le meilleur parti de cette situation. L’Ukraine, comme Cuba, vit à l’interface entre les sphères d’influence de deux puissances. Dans cette situation, il y a des luxes qui se payent cher. C’est peut-être très injuste, mais c’est comme ça. Et prendre en considération ce fait n’est pas « baisser son froc », c’est du réalisme.
[« Je ne sais pas s’ils seraient dans leur droit, mais ils le feraient certainement. » Et savez-vous si les russes sont actuellement dans leur droit ?]
J’avoue que la question ne m’intéresse que très marginalement. Les Américains ont violé le droit international en attaquant l’Irak, l’OTAN en bombardant Belgrade, et je n’ai pas l’impression que cela ait perturbé grand monde. Alors la question de savoir si la Russie respecte aujourd’hui les textes doit être posée à l’aune de ces précédents. Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre.
[« Poutine est de ce point de vue une sorte de Louis XI, qui a beaucoup fait pour centraliser le pouvoir et mettre au pas les grands barons, dont certains d’ailleurs ont trouvé refuge et soutien en occident (pensez à Boris Berezovski, par exemple). » Est-ce que Wagner existait déjà en 1999 ?]
Je ne vois pas très bien ce que le groupe Wagner vient faire là-dedans. La privatisation progressive des activités militaires est venue avec la vague néolibérale des années 1990, et on l’a vu dans des pays aussi « respectables » que les Etats-Unis, qui sont d’ailleurs les premiers utilisateurs de sociétés militaires privées. Les sociétés « Executive Outcomes » d’Afrique du Sud ou « Sandline » en Grande-Bretagne fournissent ce type de services depuis les années 1990. La société américaine MPRI a fourni quelque 7000 hommes à la Croatie pendant les guerres de Yougoslavie, et ne parlons même pas de l’Irak, où divers sous-traitants d’activités militaires ont envoyé jusqu’à 130.000 hommes, qui bénéficiaient d’ailleurs d’une immunité complète, habituellement réservée aux membres des armées régulières. Diriez-vous pour autant que les Etats-Unis se sont « féodalisés » ?
J’ajoute que les armées régulières ne sont pas une garantie. Prenez par exemple l’Amérique Latine, où les différentes factions des armées régulières défendent leur pré carré et prennent périodiquement le pouvoir…
[« Sans l’argent et les médias de Ihor Kolomoïski, Zelenski ne serait pas président. » Sans l’argent et les médias de Rinat Akhmetov, Viktor Ianoukovytch n’aurait jamais été président.]
C’était bien mon point : en Ukraine, la réalité du pouvoir est à la main des oligarques. Merci de m’en donner acte…
[« La fuite des cerveaux ? Je ne vois pas très bien sur quoi vous vous appuyez pour tirer cette conclusion. » https://www.lesechos.fr/monde/europe/russie-lexode-massif-destabilise-lactivite-economique-1962821%5D
L’article en question, outre qu’il est orienté au-delà du raisonnable pour un article qui se prétend académique, ne contient aucun chiffre qui permette d’accréditer une « fuite de cerveaux » liée à la guerre en Ukraine. On a l’impression au contraire d’une continuité depuis le debut du siècle dans le déplacement vers l’occident, non pas des « cerveaux », mais des gens qui ont de l’argent (ce n’est pas tout à fait la même chose…).
[« Poutine était forcé d’aller les chercher dans les prisons, ce qui rend la perte assez relative… » C’était le très regretté Prigojine qui était allé faire son marché dans les taules de toutes les Russies.]
Leur mort, loin de constituer une perte pour la société russe, pourrait donc constituer un gain…
[« Quelles ont été ces « conséquences fatales » ? Pourriez-vous être plus précis ? » Ben la chute de l’URSS (même si ça n’est pas la seule, rajoutons y parmi tant d’autres, la symptomatique du pourrissement du régime soviétique, catastrophe nucléaire de Tchernobyl).]
La catastrophe nucléaire de Tchernobyl serait une « conséquence » de l’intervention en Afghanistan ? Franchement, celle-là je ne l’avais pas dans les radars… Soyons sérieux : ni la chute de l’URSS ni la catastrophe de Tchernobyl ne sont les « conséquences fatales » de l’intervention en Afghanistan. Que ce soit du point de vue social, économique ou politique, l’intervention en Afghanistan est un phénomène relativement mineur, si on le compare par exemple à ce que fut la guerre du Vietnam pour les Américains ou la guerre d’Algérie pour la France. La chute du régime soviétique tient essentiellement à l’inefficacité du système économique, et surtout à son incapacité à satisfaire les intérêts des nouvelles classes intermédiaires qui ont pris le pouvoir sous Gorbatchev. Je vous mets au défi de m’indiquer par quel mécanisme la défaite en Afghanistan aurait provoqué la chute de l’URSS…
[« On sait que les guerres provoquent presque toujours un sursaut démographique qui comble assez rapidement les pertes. » C’est discutable. Après les guerres de la Révolution et de l’Empire (qui ne sont que la continuité de ce que certains historiens appellent la « seconde guerre de Cent ans »), la France est rentrée dans un hiver démographique, lui faisant perdre sa seconde place des pays les plus peuplés d’Europe. Même la victoire de 1918 n’engendra pas de sursaut démographique, d’où la législation draconienne de l’entre-deux guerres contre le contrôle des naissances.]
Ce n’est pas ce que disent les chiffres. En 1789, la France comptait 28,6 Mh. Malgré les guerres de la Révolution et de l’Empire, elle ne descendra jamais sous ce chiffre et atteint 32,7 Mh en 1816. Après la première guerre mondiale, la récupération est un peu plus lente : en 1915 la France a 40 Mh, elle dépassera ce chiffre en 1924, six ans après la fin de la guerre. Même chose pour la seconde guerre mondiale : la France avait 40,6 Mh en 1940, elle dépasse ce chiffre à nouveau en 1947. Je pense donc que ma remarque « les guerres provoquent un sursaut démographique qui comble rapidement les pertes » est justifiée.
[« Pas vraiment : le fait d’avoir proposé cet accord d’association, n’est-ce pas là une « pression économique » ? » Tout autant que faire du chantage sur la livraison de gaz.]
Donc, personne n’a respecté les mémorandums de Budapest. CQFD
[« (…) Cela fait bien longtemps qu’on sait ce que valent les traités imposés par la force des armes… » Vous voulez dire que si demain Poutine obtenait par la force des armes un traité neutralisant l’Ukraine, alors il n’aurait guère plus de valeur que la paix de Brest-Litovsk ?]
« Plus de valeur » vis-à-vis de qui ? Si Poutine obtenait un traité neutralisant l’Ukraine, ce traité ne lui aurait probablement pas été « imposé par la force des armes ». Et je ne doute pas que du coté ukrainien, un tel traité lui était « imposé par la force des armes », le gouvernement ukrainien n’hésiterait pas à le déchirer dès que le rapport de forces le permettrait.
[Et puis bon, ça n’est pas non plus comme si les bolchéviques n’avaient proclamé pas le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.]
Reste à savoir ce qu’est un « peuple ». Est-ce qu’un référendum d’autodétermination ou les habitants de l’Ile de France proclameraient leur indépendance serait valable du point de vue de ce principe sacré ?
[« Je vous rappelle aussi que le cas s’est présenté d’un pays de l’OTAN attaquant un autre pays de l’OTAN… » Faites-vous référence à Chypre ?]
Non, je fais référence au conflit entre la Grèce et la Turquie, qui sont tous deux membres de l’OTAN.
[« Il a aussi réussi à prouver que l’économie russe est bien plus forte que ce qu’on le croyait, et que l’arme des sanctions n’est pas une arme efficace. » Comme le disait Bismarck, la Russie n’est jamais aussi forte ni aussi faible qu’on le croit.]
Tout à fait. Ce qui reste étonnant, c’est que les dirigeants occidentaux continuent à faire la même erreur malgré cet avertissement…
[« Et je ne suis pas non plus persuadé qu’il y ait erreur. La guerre n’est pas terminée, et on ne sait pas à quel équilibre elle aboutira. » Même en admettant que Poutine parvienne à ses buts de guerre, les Ukrainiens haïront les Russes sur des décennies, profitant de sa moindre faiblesse pour se venger.]
Oderint dum metuant.
[« Pourtant, quand on regarde bien, on trouve pas mal de noms qui se répètent… » Laval ? Daladier ? Herriot ?]
Plutôt Rotschild, Schneider, Peugeot, Michelin… je vous rappelle que la remarque faisait référence à la bourgeoisie, et non aux politiciens.
Bon bah maintenant c’est la guerre civile en Nouvelle-Calédonie.
[ Derrière ces « dispositions transitoires » se cache la décision de faire sortir à terme la Nouvelle Calédonie de la République. Depuis les accords Pisani, le monde politique juge que la situation dans le territoire évoluera fatalement vers l’indépendance. La logique des référendums à répétition est l’illustration de cette décision : on s’est dit qu’à force de faire un référendum par an, on finirait bien par aboutir à une victoire des indépendantistes – une fois suffit – et on pourrait régler l’affaire. Les divisions des indépendantistes et la ténacité des caldoches – sans compter avec les difficultés de la société exploitant les mines de nickel – a fait que tout ça se prolonge…]
La réforme sur la révision de la Constitution pour régler le problème “du corps électoral spécial” a mis la N-C en feu de la part des sécessionnistes kanaks. Le politique politique semble avoir fait des erreurs de jugements. Les 3 référendums ont donné une victoire du non. Avec ça le gouvernement veut régler le problème en réformant le droit de vote qui est gelé pour une partie des français.
[ Au-delà, il faut se poser des questions sur les collectivités d’outre-mer de l’article 74 de la Constitution. Sont-elles dans la République ? Ou s’agit-il de « nations » séparées sous un régime de protectorat qui ne dit pas son nom ? Leurs habitants sont-ils des citoyens français, tenus à la « solidarité inconditionnelle et impersonnelle » avec l’ensemble de leurs concitoyens, où sont-ils liés par un pur rapport contractuel avec la France ?]
Je vais vous donner ma vision des choses. Je suis un jacobin rabique, les collectivités d’outre-mer sont des citoyens français, “tenus à la « solidarité inconditionnelle et impersonnelle” avec l’ensemble de leurs concitoyens car je suis admiratif du modèle français et de son histoire, un état fort et central où nous sommes français dans chaque point du pays que ce soit au nord, au sud, à l’est, l’ouest, en métropole et en outre-mer en effet rare sont les pays dans le monde qui peuvent se targuer de ce modèle et d’en faire une grande puissance même si depuis quelques décennies ce modèle a pris de sacré coups et je suis triste de voir la France se morcelé. Alors j’essaye de ne pas rester indifférents au sort de mes compatriotes en N-C, à Mayotte ou dans la France périphérique.
Par ailleurs à cet événement je veux ajouter une mention spéciale à la gauche en générale. Leurs positionnements relèvent de l’hypocrisie la plus crasse au point que cela relève presque du génie. Ils ont repris MOTS POUR MOTS tout le discours identitaire de l’extrême-droite pour dénoncer la politique de Macron, sur “recolonisation”, “le peuple autochtone”, “le grand remplacent” à ce sujet Renaud Camus (le théoricien du grand remplacement) a tweet une boutade à l’encontre de Mme Obono (député LFI) ce qui prêt beaucoup à rire.
@ Glarrious
[Bon bah maintenant c’est la guerre civile en Nouvelle-Calédonie.]
On retrouve là une logique qui devrait nous être familière, parce qu’elle se reproduit dans tous les domaines. Nos gouvernants sont dans une logique purement réactive. C’est-à-dire, tant qu’un problème reste confiné et ne touche pas l’opinion, on le laisse pourrir dans son coin. Et on ne se sent obligé de définir une politique que lorsque tout explose. Ainsi, on a laissé vieillir notre parc nucléaire sans rien faire, et on se réveille le jour où il faut préparer le pays aux coupures d’électricité. On laisse le trafic de drogue s’installer dans les cités, et on se réveille quand les fusillades commencent à se multiplier. On laisse le pays se désindustrialiser, et il faut une pandémie pour découvrir qu’on n’est pas capable de fabriquer de l’aspirine. Et en Nouvelle Calédonie, il faut une explosion pour découvrir qu’on n’a aucune doctrine précise sur ce que devrait être l’évolution du territoire.
[La réforme sur la révision de la Constitution pour régler le problème “du corps électoral spécial” a mis la N-C en feu de la part des sécessionnistes kanaks. Le politique semble avoir fait des erreurs de jugements.]
C’est surtout que, pour citer Sénèque, « il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va ». Lorsqu’on a une idée précise de ce à quoi on veut aboutir, on se donne les moyens d’y aller. Mais lorsqu’on ne sait pas, et qu’on réagit en fonction des pressions de tel ou tel groupe, des demandes de tel ou tel élu, tôt ou tard on va au désastre. Je ne sais pas si la revendication d’actualiser le corps électoral était juste ou injuste, mais je ne vois pas très bien dans quel projet elle s’inscrit.
[Les 3 référendums ont donné une victoire du non. Avec ça le gouvernement veut régler le problème en réformant le droit de vote qui est gelé pour une partie des français.]
Mais ça ne « règle » rien. L’actualisation du corps électoral ne peut qu’éloigner la perspective d’une indépendance. Le problème est qu’on ne sait pas ce qu’on veut. Accepte-t-on l’idée que le rejet de l’indépendance est définitif, et qu’il faut donc trouver un statut qui permette une coexistence pas trop mauvaise entre les différentes communautés ? Veut-on aller plus loin et entamer une « assimilation intérieure » qui mettrait fin à l’approche communautaire ? Préfère-t-on passer par-dessus le vote et accorder une indépendance quitte à rapatrier les caldoches ? Au lieu de fixer une ligne, les gouvernements successifs ont cherché à maintenir un ordre précaire en accordant des concessions d’opportunité aux uns et aux autres. Il arrive un moment où cela ne suffit plus.
[Je vais vous donner ma vision des choses. Je suis un jacobin rabique, les collectivités d’outre-mer sont des citoyens français, “tenus à la « solidarité inconditionnelle et impersonnelle” avec l’ensemble de leurs concitoyens car je suis admiratif du modèle français et de son histoire, un état fort et central où nous sommes français dans chaque point du pays que ce soit au nord, au sud, à l’est, l’ouest, en métropole et en outre-mer en effet rare sont les pays dans le monde qui peuvent se targuer de ce modèle et d’en faire une grande puissance même si depuis quelques décennies ce modèle a pris de sacré coups et je suis triste de voir la France se morcelé. Alors j’essaye de ne pas rester indifférents au sort de mes compatriotes en N-C, à Mayotte ou dans la France périphérique.]
Je partage tout à fait cette position. Mais il faut alors aller au bout de la démarche, et faire le travail d’assimilation intérieure. Le modèle français a été possible parce qu’il sous tendait une forme de promotion sociale au mérite. Tant que l’école des kanaks ne sera pas l’école des caldoches, tant que le kanak n’aura pas les mêmes chances d’accéder aux emplois et dignités, on aura un grave problème.
[Par ailleurs à cet événement je veux ajouter une mention spéciale à la gauche en générale. Leurs positionnements relèvent de l’hypocrisie la plus crasse au point que cela relève presque du génie. Ils ont repris MOTS POUR MOTS tout le discours identitaire de l’extrême-droite pour dénoncer la politique de Macron, sur “recolonisation”, “le peuple autochtone”, “le grand remplacent” à ce sujet Renaud Camus (le théoricien du grand remplacement) a tweet une boutade à l’encontre de Mme Obono]
Vous allez me gâcher mon dimanche…
Oui, quand j’entends les discours de la gauche, j’ai la honte au front. Même si beaucoup de gens vous diront que j’ai depuis longtemps cessé d’être « de gauche » (certains me classeront même à l’extrême droite, c’est dire…), on ne choisit pas sa famille. Quand je vois le niveau du discours de la gauche sur cette question, j’ai envie de pleurer. On a jeté à la rivière l’universalisme républicain, et on ne cherche même pas à le cacher. En Nouvelle Calédonie, le principe d’autodétermination des peuples et la souveraineté nationale sont devenues autodétermination des races et souveraineté des ethnies, parce que les « peuples » et les « nations » ne se définissent plus qu’en fonction de critères ethno-raciaux. Le paradoxe, c’est que cette gauche ne se rend pas compte – parce qu’elle a oublié Kant – que les principes qu’elle invoque en Nouvelle Calédonie pourraient être généralisés au reste de la France, et que cela aboutit à légitimer les théories du « grand remplacement » ou pire, celles des racistes et des identitaires les plus extrêmes. Car s’il est juste de geler le corps électoral calédonien pour empêcher les « estrangers » de participer aux décisions, pourquoi ne serait-il pas juste de faire la même chose en France métropolitaine ? Quelle est la logique lorsqu’on demande le droit de vote pour les immigrés en France après quelques années de résidence, mais qu’on refuse ce même droit à ceux qui se sont installés depuis quelques années en Nouvelle Calédonie ?
La gauche n’arrive pas à élaborer cette contradiction. Le « nationalisme », « l’identité » (y compris fondé sur l’ethnicité), c’est mal. Mais seulement lorsque c’est chez nous. Quand il s’agit des « peuples opprimés », c’est au contraire à encourager chaleureusement.
@Descartes,
Ça fait un bout de temps que je me pose la question du comportement inadmissible de la gauche à propose de la chose jugée.
Dans le cas de la Nouvelle-Calédonie, quoi qu’on pense du résultat des référendums d’auto-détermination, trois résultats négatifs impliquent que la cause est désormais entendue. Et pourtant, les perdants et leurs soutiens gauchistes (pratiquement tout la gauche, en fait…) refusent d’admettre le verdict des urnes, ressortant une réthorique du XIXè siècle sur la colonisation française de l’île!!! Même aux pires heures de l’agitation kanak au milieu des années 80, je ne souviens pas avoir entendu les indépendantistes/séparatistes utiliser ce vocabulaire!
Concernant la chose jugée, la gauche a exactement le même comportement lorsqu’elle soutient inconditionnellement la smala Traoré dans sa vendetta contre la France: elle refuse le verdict de non-lieu à l’encontre des gendarmes ayant procédé à l’arrestation d’Adama Traoré, qui a tragiquement conduit à sa mort. Elle conteste la chose jugée dès qu’elle ne va pas dans son sens, alors ce jugement est l’aboutissement de huit années de procédures judiciaires!!!
Par son refus d’accepter la chose jugée, dans ces deux cas, la gauche mine les pactes démocratique et républicain: la démocratie est plombée car si la minorité refuse d’accepter le résultat d’une décision ayant respecté toutes les procédures contradictoires, c’est le triomphe de l’arbitraire; et la res publica est sapée parce que l’intérêt général est prisonnier de comportements partisans, pour ne pas dire tyranniques….
@ CVT
[Ça fait un bout de temps que je me pose la question du comportement inadmissible de la gauche à propose de la chose jugée.]
La « chose jugée » désigne une décision de justice devenue définitive. Le terme ne s’applique pas à une décision politique, fût-elle acquise par référendum. Il ne faudrait pas non plus attribuer ce « comportement inadmissible » à la seule gauche. La droite a, elle aussi, une tendance signalée à s’asseoir sur les décisions les plus solennelles. Pensez par exemple au référendum de 2005…
Les « trois référendums » prévus par les accords de Nouméa étaient déjà, dès le départ, une bizarrerie. D’abord, parce qu’elle créait une asymétrie évidente : il suffisait aux indépendantistes de gagner un seul vote pour l’emporter, alors qu’il fallait aux loyalistes gagner les trois votes pour voir leur position retenue. Cette logique du « si la réponse est oui, on l’applique, si la réponse est non, on revote » est en elle-même contraire à la logique républicaine, qui implique que toutes les voix ont le même poids. Ensuite, parce que si le résultat du scrutin représente la volonté populaire, alors on ne peut demander à revoter une proposition identique à la proposition rejetée sans que les circonstances n’aient changé dans l’intervalle, à moins de considérer que le peuple est une girouette, qui votera demain dans les mêmes circonstances le contraire de ce qu’il a voté aujourd’hui.
[Concernant la chose jugée, la gauche a exactement le même comportement lorsqu’elle soutient inconditionnellement la smala Traoré dans sa vendetta contre la France : elle refuse le verdict de non-lieu à l’encontre des gendarmes ayant procédé à l’arrestation d’Adama Traoré, qui a tragiquement conduit à sa mort. Elle conteste la chose jugée dès qu’elle ne va pas dans son sens, alors ce jugement est l’aboutissement de huit années de procédures judiciaires !!!]
Pour moi, dans l’affaire Traoré le problème n’est pas tant la contestation de la chose jugée que la contestation de la réalité, la création d’une « réalité alternative ». Pour Mélenchon & Co, la vérité n’a guère d’importance. Ce qui importe, c’est le récit. Et la smala Traoré, avec Assa Traoré dans le rôle de la passionaria, est parfaitement fonctionnelle à ce récit qui diabolise l’Etat à travers de sa police, coupable de « racisme systémique ». Alors, peu importe ce que peuvent dire les témoins ou les juges. Comme disait Mark Twain, « un mensonge bien raconté est indestructible ».
Le problème n’est donc pas tant le « refus d’accepter le résultat d’une décision ayant respecté toutes les procédures contradictoires », mais le refus d’accepter le réel, et la fabrication concomitante de “réalités alternatives”. Un refus qui va bien plus loin que les résultats d’une procédure contradictoire, mais qui vont jusqu’au refus des résultats de la méthode scientifique. Pensez au discours de LFI sur le nucléaire, ou celui tenu par Mélenchon sur les miracles du Pr Raoult au début de la pandémie.
C’est donc bien pire qu’une simple contestation des institutions républicaines. C’est une contestation du fondement même de la pensée cartésienne, qui fonde la politique depuis le début de l’ère moderne…
@ Descartes et Glarrious
[Je partage tout à fait cette position. Mais il faut alors aller au bout de la démarche, et faire le travail d’assimilation intérieure. Le modèle français a été possible parce qu’il sous tendait une forme de promotion sociale au mérite. Tant que l’école des kanaks ne sera pas l’école des caldoches, tant que le kanak n’aura pas les mêmes chances d’accéder aux emplois et dignités, on aura un grave problème.]
Je suis d’accord avec vous sur ce point, mais il ne faut pas non-plus faire dans le misérabilisme. Aujourd’hui, être Kanak, ou d’ailleus faire partie de toute autre minorité, constitue à court et moyen terme bien davantage une rente qu’un handicap. Regardez les sacrifices financiers consentis pour implanter des usines de raffinement du Nickel sur l’île, laors que l’exportation du minerais brut était infiniment plus rentable: a t’on eu les mêmes égards pour les habitants du nord-est de la France ? Faire que les Kanaks partagent l’école des Caldoches nécessite d’exercer une violence, violence à l’égard des Caldoches qui se verront concurrencés dans les professions intellectuelles, mais violence aussi auprès des Kanaks qui se verront contraints de renoncer au statut de victime/minorité opprimée et de tous les dividendes y afférant. Et cela sans même parler de la violence nécessaire pour rompre une structure sociale traditionnelle fort peu compatible avec la République. Espérer faire accepter de renoncer à une rente financière et SURTOUT morale de confort pour une promesse d’ascension sociale méritocratique, qui par définition laissera toujours une partie de la population – les moins travailleurs, les moins intellectuellement favorisés par la nature – sur le carreau, excusez-moi, mais c’est battu d’avance. Seul un Etat fort, déterminé voir autoritaire (et ce n’est pas forcément péjoratif de mon point de vue) pourrait accomplir une telle révolution, et probablement pas sans passer par un bain de sang, ou en tout cas sans laisser entendre qu’il y est prêt.
[Par ailleurs à cet événement je veux ajouter une mention spéciale à la gauche en générale. Leurs positionnements relèvent de l’hypocrisie la plus crasse // En Nouvelle Calédonie, le principe d’autodétermination des peuples et la souveraineté nationale sont devenues autodétermination des races et souveraineté des ethnies (…) parce que les « peuples » et les « nations » ne se définissent plus qu’en fonction de critères ethno-raciaux. Le paradoxe, c’est que cette gauche ne se rend pas compte que les principes qu’elle invoque en Nouvelle Calédonie pourraient être généralisés au reste de la France, et que cela aboutit à légitimer les théories du « grand remplacement » (…) Quelle est la logique lorsqu’on demande le droit de vote pour les immigrés en France après quelques années de résidence, mais qu’on refuse ce même droit à ceux qui se sont installés depuis quelques années en Nouvelle Calédonie ?
La gauche n’arrive pas à élaborer cette contradiction.]
Excusez-moi, mais la gauche élabore parfaitement cette contradiction, qui n’en est d’ailleurs une que parce que vous regardez leur position à travers un angle qui n’est pas le leur, à savoir celui du “privilège blanc”. Pour la gauche, et j’inclus dans la gauche le centrisme libéral, l’homme blanc occidental est coupable, point. Le discours de la haine de soi n’est pas qu’un colifichet destiné à détourner l’attention. Il y a une veritable pulsion de mort au sein de nos sociétés qui font du “grand remplacement” de l’homme blanc, y compris au sein de son habitat géographique traditionnel, non pas une menace, non pas une chimère, mais un futur désirable.
Encore une fois je ne peux que vous conseiller plus que chaudement la lecture du livre de Yonnet “Voyage au coeur du malaise Français” , qui retrace la mutation du discours de gauche, parfaitement illustré par les prises de position de SOS racisme depuis le début des années 80, autour de la thématique du racisme (passage du discours universaliste au discours essentialiste “soyons fiers de nos racines et de nos différences”, fortement imprégné d’une vision idéaliste du type “bon sauvage”) et de l’immigration (phénomène que la gauche a d’abord nié – c’est une goutte d’eau dans l’océan ! – puis reconnu avec mauvaise foi – Nous sommes tous des immigrés ! – avant d’en faire un avenir désirable – une chance pour la France ! – et surtout inéluctable – de toute façon, l’Afrique n’aura pas d’autre choix que de venir et nous de les accueillir ! -). Actuellement nous en sommes même au stade de la pénitence: nous avons colonisé, il est juste que nous soyons colonisés en retour. On retrouve très largement cette approche moralisatrice et cette tendance à l’autoflagellation dans le discours écologique, où l’occident est la cause de tous les maux du monde. A travers ce prisme, il n’est nulle raison de s’étonner que ceux qui prônent un privilège ethnique pour les Kanaks en NC soient les mêmes qui vouent aux gémonies la tentation traditionnaliste hexagonale: l’ennemi est le même ici et là-bas, et au diable les détails.
@ P2R
[Je suis d’accord avec vous sur ce point, mais il ne faut pas non-plus faire dans le misérabilisme. Aujourd’hui, être Kanak, ou d’ailleurs faire partie de toute autre minorité, constitue à court et moyen terme bien davantage une rente qu’un handicap. Regardez les sacrifices financiers consentis pour implanter des usines de raffinement du Nickel sur l’île, alors que l’exportation du minerais brut était infiniment plus rentable : a t’on eu les mêmes égards pour les habitants du nord-est de la France ?]
La question est intéressante. Le fait est que le niveau de vie des Kanaks est plus faible en moyenne que celui des autres « communautés ». Mais cela n’implique pas nécessairement qu’ils aient moins d’opportunités. On sait qu’historiquement certaines communautés ont un bagage culturel qui permet à leurs membres de profiter pleinement des opportunités qui leurs sont offertes, et d’autres ont au contraire des traditions et des coutumes qui les pénalisent. Pensez aux juifs ashkénazes arrivés en France dans les années 1900-1930, et dont la plupart ont été ouvriers. Une génération plus tard, les ouvriers juifs se comptent avec les doigts de la main. Et pourtant, on ne peut pas dire qu’ils aient été traités différemment des autres…
Je ne suis pas un expert, mais j’ai l’impression que les mouvements indépendantistes, qui autrefois adhéraient à une vision moderniste de la décolonisation, se sont repliés sur une logique ethniciste qui insiste sur le retour à la « coutume » et à la « tradition » et qui rejette l’assimilation. Et c’est logique : un pouvoir communautaire ne peut se perpétuer qu’en isolant ses membres, qu’en les empêchant de s’intégrer à une collectivité plus vaste. On voit exactement la même chose en métropole, avec le séparatisme communautaire dans les cités. Dans ces conditions, même l’égalité d’opportunités échoue à produire une égalité dans les faits.
[Faire que les Kanaks partagent l’école des Caldoches nécessite d’exercer une violence, violence à l’égard des Caldoches qui se verront concurrencés dans les professions intellectuelles, mais violence aussi auprès des Kanaks qui se verront contraints de renoncer au statut de victime/minorité opprimée et de tous les dividendes y afférant. Et cela sans même parler de la violence nécessaire pour rompre une structure sociale traditionnelle fort peu compatible avec la République.]
Oui. L’assimilation est toujours une forme de violence. Mais quelles sont les alternatives ? La violence intercommunautaire, dont nous voyons un exemple aujourd’hui. Ou bien un processus d’expulsion comme celui qui a suivi l’indépendance algérienne. L’assimilation intérieure impulsée par la IIIème République ne se fit pas sans violence, et on se souvient de innombrables récits qui évoquent les coups de règle où les punitions réservées à ceux qui parlaient patois à l’école. Mais il y a violence et violence. L’assimilation intérieure a marché parce que la violence était finalement modérée, et parce que la carotte était suffisamment désirable pour faire oublier le bâton. Il est clair que si l’on ne force pas les caldoches à accepter la concurrence, on ne pourra pas convaincre les Kanaks d’entrer dans la course…
[Espérer faire accepter de renoncer à une rente financière et SURTOUT morale de confort pour une promesse d’ascension sociale méritocratique, qui par définition laissera toujours une partie de la population – les moins travailleurs, les moins intellectuellement favorisés par la nature – sur le carreau, excusez-moi, mais c’est battu d’avance. Seul un Etat fort, déterminé voir autoritaire (et ce n’est pas forcément péjoratif de mon point de vue) pourrait accomplir une telle révolution, et probablement pas sans passer par un bain de sang, ou en tout cas sans laisser entendre qu’il y est prêt.]
La IIIème République a réussi l’assimilation intérieure, et on peut difficilement qualifier son régime de « autoritaire » ou d’avoir menacé d’un « bain de sang ». Mais je vous accorde que pour que cela marche il faut un Etat fort et décidé, et surtout, un Etat qui ait un projet clair et qui l’assume. Pour moi, c’est cela le principal problème. Quel est l’avenir que voudrait l’Etat français pour la Calédonie ? La réponse est qu’il n’en sait rien, et cela depuis longtemps. Les gouvernement successifs sont dans la logique de faire négocier Kanaks et Caldoches, et ensuite de bénir – ou non – leur accord, et non de proposer un projet à lui – qui aurait une certaine cohérence avec un projet global pour l’outre-mer français.
C’est d’ailleurs la même chose en Afrique. Est-ce que vous avez vu nos derniers gouvernements définir clairement quels sont les objectifs de la France en Afrique ? Et je vous parle d’objectifs politiques, pas d’un vague bavardage sur la coopération et les droits de l’homme…
[Excusez-moi, mais la gauche élabore parfaitement cette contradiction, qui n’en est d’ailleurs une que parce que vous regardez leur position à travers un angle qui n’est pas le leur, à savoir celui du “privilège blanc”. Pour la gauche, et j’inclus dans la gauche le centrisme libéral, l’homme blanc occidental est coupable, point.]
Oui. Mais on « n’élabore » pas une contradiction en niant son existence. La gauche érige in abstracto l’indifférence juridique à la race, à la préférence sexuelle ou religieuse, en principe universel. Pour elle, toute discrimination fondée sur ces éléments est illégitime. Et puis, devant un cas pratique, elle prend une position qui contredit frontalement le principe en question. Il y a là une contradiction, qui ne peut être dépassée en décrétant que « l’homme blanc occidental est coupable, point ». Il faut aller un peu plus loin : soit la « culpabilité de l’homme blanc » est suffisante pour l’exclure de l’universalité humaine – mais cela aurait des conséquences intellectuelles que la gauche n’est pas prête à assumer – soit on renonce aux principes universels – et là encore cela revient à un saut dans l’inconnu.
[Le discours de la haine de soi n’est pas qu’un colifichet destiné à détourner l’attention. Il y a une véritable pulsion de mort au sein de nos sociétés qui font du “grand remplacement” de l’homme blanc, y compris au sein de son habitat géographique traditionnel, non pas une menace, non pas une chimère, mais un futur désirable.]
Cette « pulsion de mort » a toujours existé dans notre pays, en particulier dans les classes privilégiées qui ont abondamment utilisé cette ressource pour culpabiliser le reste de la société. Mais elle était largement compensée par une « pulsion de vie ». Ce qui rend notre présent dangereux, c’est plus l’extinction relative de cette « pulsion de vie ». Nous avons chaque fois plus de mal à imaginer un projet collectif désirable. Et du coup, nous nous résignons à une situation où il n’y a plus d’avenir qu’individuel.
[Encore une fois je ne peux que vous conseiller plus que chaudement la lecture du livre de Yonnet “Voyage au coeur du malaise Français” ,]
Je le met dans ma liste de lectures…
@ Descartes
[ Oui. L’assimilation est toujours une forme de violence. L’assimilation intérieure impulsée par la IIIème République ne se fit pas sans violence, et on se souvient de innombrables récits qui évoquent les coups de règle où les punitions réservées à ceux qui parlaient patois à l’école. Mais il y a violence et violence. L’assimilation intérieure a marché parce que la violence était finalement modérée, et parce que la carotte était suffisamment désirable pour faire oublier le bâton]
La comparaison avec la IIIe république me semble hasardeuse. Au début du XXe siècle, l’idéologie victimaire n’existe pas, et tous les territoires ont une mémoire aiguisée des épisodes de guerre civile du passé, et en particulier de la chouannerie dans les territoires catholiques de l’ouest de la France. Les familles, les communautés sont encore pleinement conscientes de ce que peut représenter une opposition frontale à l’Etat. C’est ce souvenir, bien plus que les “coups de règle sur les doigts”, qui rends l’assimilation possible.
Aujourd’hui le monde occidental a fait de l’idéologie victimaire sa boussole, du communautarisme son idéal. Essayons de réprimer les récalcitrants kanaks “quoi qu’il en coute” et nous serions mis au ban du monde, cloué au pilori par nos “amis” occidentaux (s’ils ne viennent pas carrément “libérer” les Kanaks) et regardés avec un sourire moqueur par nos “ennemis” du sud global à qui nous avons fait tant de leçons de morales par le passé.
[Mais je vous accorde que pour que cela marche il faut un Etat fort et décidé, et surtout, un Etat qui ait un projet clair et qui l’assume. Pour moi, c’est cela le principal problème. ]
Que voulez-vous, la notion de projet collectif n’est plus à la mode, et n’est pas prête d’y revenir. Le grand mystère pour moi, c’est surtout de savoir pourquoi le gouvernement s’attache à maintenir l’illusion d’être attaché au maintient de la NC dans le territoire.
[C’est d’ailleurs la même chose en Afrique. Est-ce que vous avez vu nos derniers gouvernements définir clairement quels sont les objectifs de la France en Afrique ? Et je vous parle d’objectifs politiques, pas d’un vague bavardage sur la coopération et les droits de l’homme…]
Mais pourquoi voulez-vous donc qu’un gouvernement, je dirais même qu’une société aussi individualiste, aussi peu consciente des enjeux historiques, aussi peu disposée à prendre son propre destin en main porte un projet de cette nature ? Le projet du gouvernement tient en un mot: consommation. Point. Une fois qu’on a dit ça, on a tout dit. Le reste c’est du théâtre, de la communication, voire du guignol.
[Oui. Mais on « n’élabore » pas une contradiction en niant son existence. ]
La gauche ne fait pas que nier l’existence de cette contradiction. Elle nie l’existence de la logique et de la rationalité, voire même du réel, pour lui substituer morale et pensée magique. La gauche est handicapée mentalement. S’interroger de la raison pour laquelle elle n’arrive pas à résoudre une contradiction qu’elle n’est plus à même de percevoir ne mène nulle part.
[La gauche érige in abstracto l’indifférence juridique à la race, à la préférence sexuelle ou religieuse, en principe universel. Pour elle, toute discrimination fondée sur ces éléments est illégitime.]
Vous me faites rire jaune. Sérieusement, vous retardez, mon cher. Cela fait bien 40 ans que la gauche a jeté ces principes aux orties ! Vous me faites penser à ces gens qui continuent de voir le RN à travers le spectre du FN de JMLP.
[ Il faut aller un peu plus loin : soit la « culpabilité de l’homme blanc » est suffisante pour l’exclure de l’universalité humaine – mais cela aurait des conséquences intellectuelles que la gauche n’est pas prête à assumer – soit on renonce aux principes universels – et là encore cela revient à un saut dans l’inconnu.]
La première proposition contient la seconde. Je crois que le schéma mental d’une partie de nos élites est bel et bien celui-ci, et il est d’ailleurs de plus en plus souvent énoncé comme tel: écoutez la gauche se réjouir de la baisse de natalité en occident, écoutez-la parallèlement se féliciter de la disparition de la culture occidentale, voire d’en nier l’existence, voyez-là faire la place aux communautés ethniques, voyez la promouvoir la discrimination positive, les réunions non-mixtes, la dénonciation d’un privilège blanc. Ecoutez-la lapider médiatiquement l’homme blanc qui a sorti une blague graveleuse et absoudre par son silence la communauté qui commet des crimes d’honneur. La gauche est au contraire tout à fait prête à assumer que l’homme blanc soit exclu de l’universalité humaine afin de payer sa dette de millénaires d’oppression envers les bons sauvages.
[Cette « pulsion de mort » a toujours existé dans notre pays, en particulier dans les classes privilégiées qui ont abondamment utilisé cette ressource pour culpabiliser le reste de la société. Mais elle était largement compensée par une « pulsion de vie ». Ce qui rend notre présent dangereux, c’est plus l’extinction relative de cette « pulsion de vie ».]
Je pense que c’est ce que Todd décrit quand il parle d’avènement du nihilisme dans nos sociétés occidentales. J’avoue que j’ai peu d’arguments à opposer à cette thèse, hélas.
[Nous avons chaque fois plus de mal à imaginer un projet collectif désirable. Et du coup, nous nous résignons à une situation où il n’y a plus d’avenir qu’individuel.]
J’aurais plutôt eu tendance à inverser la causalité entre individualisme et absence de projet collectif, mais vous avez raison: l’un nourrit l’autre, ce qui permet de concevoir que seul une rupture majeure provoquée par un élément extérieur à notre société serait capable de rompre ce cercle vicieux.
@ P2R
[La comparaison avec la IIIe république me semble hasardeuse. Au début du XXe siècle, l’idéologie victimaire n’existe pas, et tous les territoires ont une mémoire aiguisée des épisodes de guerre civile du passé, et en particulier de la chouannerie dans les territoires catholiques de l’ouest de la France.]
L’idéologie victimaire a toujours existé. Dans les régions les plus cléricales, l’Eglise la tradition du « martyre » des religieux et des royalistes sous la Révolution et plus tard sous la Commune. Ailleurs, ce seront les « régionalistes » de tout poil qui cultiveront l’image de peuples victimes d’un « génocide culturel ». La grande différence, c’est que face aux « victimismes » réactionnaires on trouvait un camp progressiste sur de lui, convaincu de conduire le bon combat, et donc insensible au sentiment de culpabilité. Les républicains à la Jules Ferry n’étaient pas disposés à se frapper la poitrine ou à demander pardon pour la répression des vendéens ou l’exclusion des patois des cours de récréation.
[Les familles, les communautés sont encore pleinement conscientes de ce que peut représenter une opposition frontale à l’Etat. C’est ce souvenir, bien plus que les “coups de règle sur les doigts”, qui rends l’assimilation possible.]
Il faut nuancer. Si l’opposition frontale à l’Etat n’a pas été admise, les gouvernements qui se sont succédés depuis la Révolution ont souvent négocie devant des oppositions pacifiques lorsqu’elles étaient massives. L’Etat jacobin a été historiquement beaucoup plus flexible qu’on le dit, et les préfets ont souvent fermé les yeux devant certaines spécificités locales. Si la majorité des paysans s’était opposé pacifiquement à l’assimilation intérieure, elle n’aurait certainement pas réussi.
Je pense au contraire qu’on a beaucoup à apprendre de l’assimilation intérieure de la fin du XIXème. Prenez par exemple la question des langues régionales. La République a interdit leur usage à l’école, quitte à utiliser des méthodes coercitives. Mais elle n’a jamais interdit son usage au café ou à la maison. Et pourtant, en une génération les « patois » ont pratiquement cessé d’être utilisés dans la sociabilité courante. Autrement dit, une fois que les gens ont fait l’effort – contraints et forcés – d’apprendre le français, ils l’ont adopté y compris dans la vie intime. Preuve s’il en fallait une que ce n’est pas seulement le souvenir « de ce que peut représenter une opposition frontale à l’Etat » qui a permis le succès de l’expérience.
[Aujourd’hui le monde occidental a fait de l’idéologie victimaire sa boussole, du communautarisme son idéal. Essayons de réprimer les récalcitrants kanaks “quoi qu’il en coute” et nous serions mis au ban du monde, cloué au pilori par nos “amis” occidentaux (s’ils ne viennent pas carrément “libérer” les Kanaks) et regardés avec un sourire moqueur par nos “ennemis” du sud global à qui nous avons fait tant de leçons de morales par le passé.]
Pourtant, c’est exactement ce que les israéliens font depuis plus d’un demi-siècle, et on ne voit pas que nos « amis » occidentaux soient prêts à voler au secours des Palestiniens. Ne surestimez pas le pouvoir de l’idéologie. Oui, l’idéologie victimaire – et surtout la culpabilité de l’homme blanc – sont aujourd’hui dominantes. Mais l’idéologie s’efface quand les intérêts sont en jeu. S’il est impossible aujourd’hui de réprimer les récalcitrants kanaks, c’est surtout parce que les élites françaises ne voient plus aucun intérêt à conserver ces « poussières d’empire », et ne sont donc pas prêtes à en assumer le coût politique. Pour nos élites, l’avenir se joue dans les métropoles. Elles seraient même soulagées si on les débarrassait de la « France périphérique ». Alors, l’outre-mer, vous n’y pensez pas…
Ce qui me frappe dans cette crise, c’est de constater que nos élites n’ont aucun projet pour l’outre-mer français. Leur position est purement réactive, leur idéal est de trouver un accord entre les différentes communautés qu’on pourrait bénir à Paris. Si l’on veut être rationnel, la question n’est pas de savoir ce que veulent les Kanaks, ce que veulent les Caldoches, et si on peut trouver un compromis. La question est de savoir ce que NOUS, Français, nous voulons. Après tout, c’est nous qui payons les musiciens, alors c’est à nous de choisir la musique. Et une fois que NOUS aurons décidé ce que NOUS voulons pour la Nouvelle Calédonie, il sera temps de discuter avec Kanaks et Caldoches pour trouver un compromis sur NOS bases. Est-ce que l’avenir de l’Ile-de-France est à décider par les seuls franciliens ? Non. Alors pourquoi voulez-vous que ce soit le cas pour les autres régions ?
[Que voulez-vous, la notion de projet collectif n’est plus à la mode, et n’est pas prête d’y revenir. Le grand mystère pour moi, c’est surtout de savoir pourquoi le gouvernement s’attache à maintenir l’illusion d’être attaché au maintien de la NC dans le territoire.]
Parce que personne ne veut laisser son nom dans l’histoire comme ayant dilapidé le patrimoine hérité de nos ancêtres. Ca fait mauvais genre.
[Mais pourquoi voulez-vous donc qu’un gouvernement, je dirais même qu’une société aussi individualiste, aussi peu consciente des enjeux historiques, aussi peu disposée à prendre son propre destin en main porte un projet de cette nature ? Le projet du gouvernement tient en un mot: consommation. Point. Une fois qu’on a dit ça, on a tout dit. Le reste c’est du théâtre, de la communication, voire du guignol.]
Nous sommes bien d’accord. Ma question était essentiellement rhétorique…
[La gauche ne fait pas que nier l’existence de cette contradiction. Elle nie l’existence de la logique et de la rationalité, voire même du réel, pour lui substituer morale et pensée magique. La gauche est handicapée mentalement. S’interroger de la raison pour laquelle elle n’arrive pas à résoudre une contradiction qu’elle n’est plus à même de percevoir ne mène nulle part.]
Pour la raison que j’ai expliqué, je pense au contraire que cette interrogation est fondamentale pour comprendre comment la gauche est arrivée là où elle est. Avec le matérialisme marxiste, la gauche avait un avantage fondamental, celui de disposer d’un outil puissant d’analyse rationnelle du réel. C’est cet avantage qui a permis à la gauche de conserver pendant de longues années une forme d’hégémonie intellectuelle. La rupture de la gauche avec le marxisme s’est largement traduite par un retour la pensée magique…
[« La gauche érige in abstracto l’indifférence juridique à la race, à la préférence sexuelle ou religieuse, en principe universel. Pour elle, toute discrimination fondée sur ces éléments est illégitime. » Vous me faites rire jaune. Sérieusement, vous retardez, mon cher. Cela fait bien 40 ans que la gauche a jeté
ces principes aux orties !]
Pouvez-vous m’indiquer un texte émanant de n’importe quel parti politique de gauche « jettant ce principe aux orties » formellement ? Je pense que vous aurez du mal. Le problème est justement que la gauche N’A PAS jeté le principe aux orties. Le principe est toujours là, mais sans l’assumer formellement elle s’autorise à l’oublier quand cela l’arrange. Autrement dit, « on fait comme si », et cette dualité empêche de penser rationnellement les choses. Vous avez un exemple encore plus extraordinaire avec la question de la présomption d’innocence. La gauche n’a jamais formellement renié ce principe, qui est l’un des piliers fondamentaux du droit moderne. Mais d’un autre côté, elle décrète qu’il faut en toute circonstance « croire la parole des femmes » lorsque celles-ci dénoncent un homme. Il est donc impossible d’ouvrir une discussion rationnelle, parce que le principe général est toujours là, et coexiste avec l’exception.
[La première proposition contient la seconde. Je crois que le schéma mental d’une partie de nos élites est bel et bien celui-ci, et il est d’ailleurs de plus en plus souvent énoncé comme tel: écoutez la gauche se réjouir de la baisse de natalité en occident, écoutez-la parallèlement se féliciter de la disparition de la culture occidentale, voire d’en nier l’existence, voyez-là faire la place aux communautés ethniques, voyez la promouvoir la discrimination positive, les réunions non-mixtes, la dénonciation d’un privilège blanc. Ecoutez-la lapider médiatiquement l’homme blanc qui a sorti une blague graveleuse et absoudre par son silence la communauté qui commet des crimes d’honneur. La gauche est au contraire tout à fait prête à assumer que l’homme blanc soit exclu de l’universalité humaine afin de payer sa dette de millénaires d’oppression envers les bons sauvages.]
Mais si, comme vous le dites, la gauche est prête à assumer le reniement de l’universalité… pourquoi persiste-t-elle à s’en réclamer ? Pourquoi ne trouve-t-on personne parmi les idéologues de LFI pour acter formellement la rupture avec l’universalisme des Lumières, alors que cette rupture est évidente dans leur pratique politique ? A mon sens, le problème est justement que la gauche a fait des choix politiques qu’elle n’est pas prête à assumer idéologiquement. Et c’est pourquoi le débat à gauche prend un ton surréaliste, avec des gens qui défendent bec et ongles une idéologie qu’ils sont les premiers à renier dans la pratique.
[« Nous avons chaque fois plus de mal à imaginer un projet collectif désirable. Et du coup, nous nous résignons à une situation où il n’y a plus d’avenir qu’individuel. » J’aurais plutôt eu tendance à inverser la causalité entre individualisme et absence de projet collectif,]
Il me semble plus juste de dire qu’il y aune dialectique entre les deux. Cependant, je pense qu’il faut souligner un paramètre nouveau dans la pensée occidentale, qui est le manque d’imagination. Depuis la plus haute antiquité, l’homme a élaboré des utopies, a rêvé de mondes possibles différents du monde réel. Ce qui caractérise notre temps, c’est le manque d’imagination. On a du mal à imaginer autre chose que ce que nous avons sous les yeux. Regardez la campagne européenne : les eurosceptiques n’imaginent pas de sortir de l’Euro ou de l’UE, les partisans de « l’autre Europe » sont incapables de peindre l’Europe qu’ils voudraient.
J’avais lu quelque part que nous sommes dans la civilisation de l’image, et que le propre de l’image est de laisser très peu de place à l’imagination. Quand on lit « le seigneur des anneaux », chacun a la possibilité de créer une image mentale à partir de la description, et ces images sont toutes différentes. Mais quand on accède à l’œuvre à travers le film, cette capacité de création n’existe plus, nous sommes tous ramenés à une image unique. Et ce fait atrophie lentement notre imagination. La preuve en est d’ailleurs que ce qui était autrefois suggéré par le cinéma est aujourd’hui lourdement explicite…
@ Descartes
[Essayons de réprimer les récalcitrants kanaks “quoi qu’il en coute” et nous serions mis au ban du monde // c’est exactement ce que les israéliens font depuis plus d’un demi-siècle, et on ne voit pas que nos « amis » occidentaux soient prêts à voler au secours des Palestiniens.]
Je ne sais pas si cette comparaison est pertinente. L’état d’Israël, suite aux événements de la IIe guerre, ont bénéficié d’une carte blanche qu’ils ont exploité au maximum. Nous ne sommes pas dans cette situation. De même, dans l’imaginaire collectif majoritaire, les Palestiniens sont des arabes musulmans terroristes, les Kanaks sont des “bons sauvages”.. je suppose que vu de l’exterieur, le niveau d’empathie envers les uns ou les autres risquerait de diverger sévèrement.
[S’il est impossible aujourd’hui de réprimer les récalcitrants kanaks, c’est surtout parce que les élites françaises ne voient plus aucun intérêt à conserver ces « poussières d’empire », et ne sont donc pas prêtes à en assumer le coût politique. Pour nos élites, l’avenir se joue dans les métropoles. Elles seraient même soulagées si on les débarrassait de la « France périphérique ». Alors, l’outre-mer, vous n’y pensez pas…]
Hélas..
[Ce qui me frappe dans cette crise, c’est de constater que nos élites n’ont aucun projet pour l’outre-mer français. Leur position est purement réactive]
L’absence de projet et la réaction à retardement sont la signature de l’action politique de 15 dernières années au bas mot. Gilets jaunes, crise sanitaire, nucléaire, industrie, éducation.. Ce qui est étonnant c’est que vous en soyez encore frappé, si je puis me permettre.
[Si l’on veut être rationnel, la question n’est pas de savoir ce que veulent les Kanaks, ce que veulent les Caldoches, et si on peut trouver un compromis. La question est de savoir ce que NOUS, Français, nous voulons.]
Infâme colonialiste ! Vous rôtirez en enfer !
[Le grand mystère pour moi, c’est surtout de savoir pourquoi le gouvernement s’attache à maintenir l’illusion d’être attaché au maintien de la NC dans le territoire. // Parce que personne ne veut laisser son nom dans l’histoire comme ayant dilapidé le patrimoine hérité de nos ancêtres. Ca fait mauvais genre.]
Pourtant, on pourrait croire que du point de vue de la classe dominante, la conjoncture “droit-de-l’hommiste” (le droit des peuples à disposer d’eux mêmes, la mouvance décoloniale..) actuelle pourrait fournir le pretexte idéal pour se libérer des “poids morts” de l’héritage colonial. Je pense que la seule raison pour laquelle le pas n’est pas franchi, c’est la trouille de nos dirigeants à l’idée de devoir gérer l’après (le rapatriement des blancs, le potentiel effet domino, etc). Se séparer des territoires ultra-marins (indépendament de ce que l’on pense de la pertinence de ce choix) serait une décision politique forte et concrète, donc par définition innaccessible au pouvoir en place. D’où la tentative précédnte de faire porter la responsabilité de la décision par les populations locales via référendums., je suppose.
[Je pense au contraire que cette interrogation est fondamentale pour comprendre comment la gauche est arrivée là où elle est. Avec le matérialisme marxiste, la gauche avait un avantage fondamental, celui de disposer d’un outil puissant d’analyse rationnelle du réel. ]
Que voulez-vous.. En tant que citoyen, vous avez beau avoir un “outil puissant d’analyse rationnelle du réel” qui vous prévient des conséquences funestes du libre-échange sur la durée, il n’est pas facile de résister à la tentation de cueillir tout de suite le fruit défendu qu’offrait la mondialisation. Il y a eu un temps avant que les dégâts sociaux consécutifs à l’ouverture du marché ne deviennent un problème majeur supplantant à l’échelle nationale les bénéfices immédiats de l’avènement du libre échange, y compris pour les classes populaires.
Pendant cet intervalle, l’idéologie marxiste a cessé d’être favorable aux intérêts du bloc de gauche, d’où la disparition de l’offre politique marxiste, et de la gauche tout court d’ailleurs, au sens idéologique du terme. Les idées de gauche se retrouvant momentanément frappées d’obsolescence, le camp de gauche s’est rabattu sur d’autres axes leur permettant de justifier son existence politique: les droits de l’homme, les luttes sociétales, etc. Tout ceci est bien connu.
Le décrochage avec le réel vient du fait que la gauche a toujours refusé de faire l’inventaire de ses fautes, trahisons et compromissions passées, et on peut le comprendre, d’une certaine manière: qui revoterait pour un personnel politique avouant être à l’origine d’un demi siècle de déclin de la Nation ? Rien d’étonnant alors à ce que la “gauche” préfère continuer de s’étioler gentiment mais confortablement dans sa petite bulle de réalité parallèle, en noyant ses échecs cuisants dans la moraline et le déni.
[Pouvez-vous m’indiquer un texte émanant de n’importe quel parti politique de gauche « jettant ce principe aux orties » formellement ? Je pense que vous aurez du mal. Le problème est justement que la gauche N’A PAS jeté le principe aux orties. Le principe est toujours là, mais sans l’assumer formellement elle s’autorise à l’oublier quand cela l’arrange]
Sur ce point je vais rejoindre une discussion que nous avions eu sur le sens des mots: mon point est que la grande habileté de la gauche a été de changer sa position idéologique non pas en changeant les termes, mais en changeant le sens des termes. Ainsi la laïcité devient l’obligation de tolérer l’expression publique de toutes les religions, ainsi les Droits de l’Homme deviennent le droit des communautés, ainsi la Fraternité devient une question du rapport de l’autre à moi et non-plus de moi à l’autre, ainsi l’Egalité devient l’équité, ainsi la Liberté devient la sacralisation des droits de l’individu.
Ce tour de passe-passe sémantique permet évidemment de retourner sa veste quand la position est difficile à tenir. Harlem Désir était passé maitre dans cet art au temps de SOS. Mais le fond lui ne bouge pas.
[Vous avez un exemple encore plus extraordinaire avec la question de la présomption d’innocence. La gauche n’a jamais formellement renié ce principe, qui est l’un des piliers fondamentaux du droit moderne. Mais d’un autre côté, elle décrète qu’il faut en toute circonstance « croire la parole des femmes » lorsque celles-ci dénoncent un homme.]
Vous me donnez ici sans le vouloir le parfait exemple d’une rupture d’universalité assumée. Vous apportez de l’eau à mon moulin.
[Mais si, comme vous le dites, la gauche est prête à assumer le reniement de l’universalité… pourquoi persiste-t-elle à s’en réclamer ? Pourquoi ne trouve-t-on personne parmi les idéologues de LFI pour acter formellement la rupture avec l’universalisme des Lumières, alors que cette rupture est évidente dans leur pratique politique ?]
Avez-vous un exemple de discours ou de publication LFI ou EELV datant de moins de 5 ans et se réclamant de l’universalisme des Lumières ? Je serais curieux de voir cela. En tout cas, dans les études décoloniales dont ils sont friands, l’universalisme est clairement décrit comme une doctrine occidentale à déconstruire. Et se réclamer de l’universalisme irait manifestement à l’encontre de la ligne communautariste qu’ils suivent avec constance depuis plusieurs années.
[Cependant, je pense qu’il faut souligner un paramètre nouveau dans la pensée occidentale, qui est le manque d’imagination. Depuis la plus haute antiquité, l’homme a élaboré des utopies, a rêvé de mondes possibles différents du monde réel.]
Je pense que les expériences du IIIe Reich et du Stalinisme, deux tentatives utopistes radicales, ont mis durablement du plomb dans l’aile de la pensée utopique, au point de faire de “la fin de l’histoire” la seule utopie politique connue de la fin du siècle.
Après il ne faut pas être Franco-centré. D’autres utopies existent et se développent: discutez avec un américain proche des idées de la Silicon Valley, vous serez frappé de voir à quel point leur vision du futur est imaginative et “positive” (et terrifiante).
[On a du mal à imaginer autre chose que ce que nous avons sous les yeux. Regardez la campagne européenne : les eurosceptiques n’imaginent pas de sortir de l’Euro ou de l’UE, les partisans de « l’autre Europe » sont incapables de peindre l’Europe qu’ils voudraient.]
Une touche d’optimisme: je crois que nous sommes en train de sortir de cette période. Lentement mais sûrement. La guerre d’Ukraine, le Brexit, la bascule vers des gouvernements dits “populistes” de bon nombre de démocraties, l’avènement d’un sud global sont autant de rappels au fait que le champ des possibles ne se réduit pas à la théorie de la “fin de l’histoire”. Petit à petit nous repensons le monde. Regardez la ligne éditoriale du Figaro par exemple: qui eut-crû il y a 10 ou 15 ans que ce journal accueillerait avec bienveillance des chroniques vigoureusement souverainistes, des entretiens avec des chercheurs d’obédience marxiste, des manifestes universalistes radicaux ?
Ce qui doit vous attrister c’est que c’est par la droite que reviennent ces thèmes autrefois marqueurs de gauche. Peut-être le sujet d’un article sur votre blog un de ces jours, si vous avez une analyse du phénomène ?
[J’avais lu quelque part que nous sommes dans la civilisation de l’image, et que le propre de l’image est de laisser très peu de place à l’imagination. (…) Et ce fait atrophie lentement notre imagination. La preuve en est d’ailleurs que ce qui était autrefois suggéré par le cinéma est aujourd’hui lourdement explicite…]
Je ne sais pas. Il est tentant d’adhérer à cette thèse, mais ce serait oublier que chaque nouveau format, s’il permet potentiellement de s’approcher davantage du réel, est avant tout soumis à l’usage qu’en fait l’artiste. Le fait qu’aujourd’hui un film qui laisse le spectateur “dans le flou” en lui laissant le loisir d’imaginer une partie de l’histoire, et qui prenne le risque de le décrocher ne trouve pas de financements n’a que peu à voir avec la nature du média utilisé, en l’occurence l’image. Bien davantage que l’image, c’est la bêtification des scenarii, la simplification des schémas narratifs, le recours à des formules toutes faites ( = dont la rentabilité financière est assurée) pour faire rire, peur ou pleurer qui atrophient le cerveau des spectateurs. Et d’ailleurs, ce phénomène dépasse largement le domaine de l’image: les succès d’édition type 50 nuances de Grey ou les thrillers type Guillaume Musso ne font pas vraiment dans la surprise, l’ellipse et la finesse, et je ne vous parle même pas de la musique pop type JUL, PNL ou Aya Nakamura, où on ne parle que de deal, de fumer du shit ou de rapports sentimentaux niveau CM2.
@ P2R
[« Ce qui me frappe dans cette crise, c’est de constater que nos élites n’ont aucun projet pour l’outre-mer français. Leur position est purement réactive » L’absence de projet et la réaction à retardement sont la signature de l’action politique de 15 dernières années au bas mot. Gilets jaunes, crise sanitaire, nucléaire, industrie, éducation… Ce qui est étonnant c’est que vous en soyez encore frappé, si je puis me permettre.]
J’ai dit « frappé », pas « surpris ». Oui, il s’agit d’une dérive ancienne, qui commence au début des années 1990. Maastricht est peut-être le dernier « grand projet » porté au niveau politique. Après, on s’est de plus en plus contenté de réagir.
[« Si l’on veut être rationnel, la question n’est pas de savoir ce que veulent les Kanaks, ce que veulent les Caldoches, et si on peut trouver un compromis. La question est de savoir ce que NOUS, Français, nous voulons. » Infâme colonialiste ! Vous rôtirez en enfer !]
Enfin, soyons rationnels : les Kanaks ne pensent qu’à leurs intérêts, les Caldoches de même. Pourquoi faudrait-il que nous pensions toujours aux problèmes des autres ?
[Pourtant, on pourrait croire que du point de vue de la classe dominante, la conjoncture “droit-de-l’hommiste” (le droit des peuples à disposer d’eux mêmes, la mouvance décoloniale..) actuelle pourrait fournir le pretexte idéal pour se libérer des “poids morts” de l’héritage colonial.]
Sauf que, pour que ça marche dans une perspective droit-de-l’hommiste, il faudrait que les « poids morts » votent pour l’indépendance. C’était bien ce que les socialistes ont tenté en Nouvelle Calédonie avec les accords de Nouméa : organiser un référendum, et pour plus de sécurité, en prévoir trois. L’idée était que les indépendantistes arriveraient au moins à en gagner un ! Hélas, trois fois hélas (pour eux), les calédoniens ont été une majorité à dire « non ». Et on est ramenés à la case départ.
L’ère de la décolonisation est finie. Les « colonisés » aujourd’hui ne craignent qu’une chose, que la métropole les abandonne à leur sort. L’idéal aujourd’hui, c’est l’autonomie : la métropole fait le chèque, et on décide localement comment on le dépense. Regardez Mayotte : si aujourd’hui vous faisiez un référendum aux Comores offrant un rattachement à la France, à votre avis, quel serait le résultat ?
[Je pense que la seule raison pour laquelle le pas n’est pas franchi, c’est la trouille de nos dirigeants à l’idée de devoir gérer l’après (le rapatriement des blancs, le potentiel effet domino, etc). Se séparer des territoires ultra-marins (indépendamment de ce que l’on pense de la pertinence de ce choix) serait une décision politique forte et concrète, donc par définition inaccessible au pouvoir en place. D’où la tentative précédente de faire porter la responsabilité de la décision par les populations locales via référendums, je suppose.]
Il y a de ça aussi, je suppose. Cela étant dit, tous les outre-mers ne se valent pas…
[Que voulez-vous.. En tant que citoyen, vous avez beau avoir un “outil puissant d’analyse rationnelle du réel” qui vous prévient des conséquences funestes du libre-échange sur la durée, il n’est pas facile de résister à la tentation de cueillir tout de suite le fruit défendu qu’offrait la mondialisation. Il y a eu un temps avant que les dégâts sociaux consécutifs à l’ouverture du marché ne deviennent un problème majeur supplantant à l’échelle nationale les bénéfices immédiats de l’avènement du libre-échange, y compris pour les classes populaires.]
Certes. Mais tant que la gauche disposait de cet instrument, il y avait au moins des penseurs pour prévenir des risques qu’il y avait à toucher au fruit en question. Même si cela n’a pas empêché la gauche de s’engouffrer dans la brèche néolibérale, au moins il y avait une réflexion qui permettait de construire des alternatives. Aujourd’hui, il n’y a rien.
[Pendant cet intervalle, l’idéologie marxiste a cessé d’être favorable aux intérêts du bloc de gauche, d’où la disparition de l’offre politique marxiste, et de la gauche tout court d’ailleurs, au sens idéologique du terme. Les idées de gauche se retrouvant momentanément frappées d’obsolescence, le camp de gauche s’est rabattu sur d’autres axes leur permettant de justifier son existence politique: les droits de l’homme, les luttes sociétales, etc. Tout ceci est bien connu.]
Je pense que l’explication se trouve du côté des classes intermédiaires, qui se sont converties au néolibéralisme au fur et à mesure que leurs intérêts ont cessé d’être proches de ceux des couches populaires et ont au contraire convergé avec ceux de la bourgeoisie. Et qui dit d’autres intérêts, dit un autre discours idéologique pour les justifier.
[Sur ce point je vais rejoindre une discussion que nous avions eu sur le sens des mots: mon point est que la grande habileté de la gauche a été de changer sa position idéologique non pas en changeant les termes, mais en changeant le sens des termes. Ainsi la laïcité devient l’obligation de tolérer l’expression publique de toutes les religions, ainsi les Droits de l’Homme deviennent le droit des communautés, ainsi la Fraternité devient une question du rapport de l’autre à moi et non-plus de moi à l’autre, ainsi l’Egalité devient l’équité, ainsi la Liberté devient la sacralisation des droits de l’individu. Ce tour de passe-passe sémantique permet évidemment de retourner sa veste quand la position est difficile à tenir. Harlem Désir était passé maitre dans cet art au temps de SOS. Mais le fond lui ne bouge pas.]
Il y a certainement du vrai dans ce que vous décrivez. Il y a une certaine tendance de la gauche à modifier le sens des mots pour pouvoir couvrir par un drapeau prestigieux forgé en d’autres époques ses intérêts du jour. Mais au-delà du vocabulaire, je pense qu’il y a aussi des contradictions permanentes entre des principes affirmés et la pratique. Ainsi, par exemple, la gauche continue à proclamer son attachement à la présomption d’innocence, tout en affirmant par ailleurs qu’il faut « croire à la parole des femmes », même en l’absence de toute preuve. Il n’y a pas là un changement sémantique. Ce que la gauche entend par « présomption d’innocence » n’a guère changé. Il y a tout simplement une contradiction.
[« Vous avez un exemple encore plus extraordinaire avec la question de la présomption d’innocence. La gauche n’a jamais formellement renié ce principe, qui est l’un des piliers fondamentaux du droit moderne. Mais d’un autre côté, elle décrète qu’il faut en toute circonstance « croire la parole des femmes » lorsque celles-ci dénoncent un homme. » Vous me donnez ici sans le vouloir le parfait exemple d’une rupture d’universalité assumée. Vous apportez de l’eau à mon moulin.]
Mais non ! Justement, la rupture n’est pas ASSUMEE, puisque personne n’accepte formellement l’idée qu’on renonce à la présomption d’innocence. On continue a affirmer ce principe comme étant universel… tout en soutenant une pratique qui le contredit.
[« Mais si, comme vous le dites, la gauche est prête à assumer le reniement de l’universalité… pourquoi persiste-t-elle à s’en réclamer ? Pourquoi ne trouve-t-on personne parmi les idéologues de LFI pour acter formellement la rupture avec l’universalisme des Lumières, alors que cette rupture est évidente dans leur pratique politique ? » Avez-vous un exemple de discours ou de publication LFI ou EELV datant de moins de 5 ans et se réclamant de l’universalisme des Lumières ?]
Mais il suffit de faire une recherche sur le réseau pour trouver des exemples. Ainsi, cette formule prononcée pendant un meeting électoral en 2019 : « Fiers et fières de notre passé commun, celui des humanistes, celui des Lumières, celui de la Grande Révolution, celui de Jaurès, voilà ce que sont les Insoumises et les Insoumis. Voilà qui nous sommes. ». Un autre exemple, celui-ci datant de 2021, dans l’intervention de Mélenchon après la proclamation des résultats des élections régionales : « Et ce sera une fois de plus, insoumis, notre contribution à l’histoire de la République, de la France et à notre adhésion la plus profonde, la plus chaleureuse à ceux qui ont fait l’esprit, ceux qui ont fait l’identité profonde, la République, les lumières, l’humanisme. »
[En tout cas, dans les études décoloniales dont ils sont friands, l’universalisme est clairement décrit comme une doctrine occidentale à déconstruire. Et se réclamer de l’universalisme irait manifestement à l’encontre de la ligne communautariste qu’ils suivent avec constance depuis plusieurs années.]
Si on voulait être cohérent et éviter les contradictions, oui. Mais comme je vous le disait plus haut, une bonne partie de la gauche ne voit aucun inconvénient à soutenir un principe général d’un côté et un discours qui le contredit de l’autre.
[« Cependant, je pense qu’il faut souligner un paramètre nouveau dans la pensée occidentale, qui est le manque d’imagination. Depuis la plus haute antiquité, l’homme a élaboré des utopies, a rêvé de mondes possibles différents du monde réel. » Je pense que les expériences du IIIe Reich et du Stalinisme, deux tentatives utopistes radicales, ont mis durablement du plomb dans l’aile de la pensée utopique, au point de faire de “la fin de l’histoire” la seule utopie politique connue de la fin du siècle.]
Pourtant, il y eut d’autres utopies après celle-là. Pensez aux utopies communautaires ou anticonsuméristes des années 1960, ou l’utopie européenne dans les années 1980-90. La plupart des utopies, lorsqu’elles ont été portées par des mouvements révolutionnaires, peuvent être associées à des massacres et des violences. La « cité de dieu » chrétienne a eu son inquisition, la révolution française sa terreur. Et cela n’a jamais « plombé » l’imagination des gens. Non, je pense que Orwell avait raison : la bourgeoisie a compris que pour se maintenir indéfiniment au pouvoir, il fallait imposer l’idée que le capitalisme est la fin de l’histoire, qu’il n’y a pas d’alternative possible.
[Après il ne faut pas être Franco-centré. D’autres utopies existent et se développent: discutez avec un américain proche des idées de la Silicon Valley, vous serez frappé de voir à quel point leur vision du futur est imaginative et “positive” (et terrifiante).]
Une vision futuriste n’est pas nécessairement une « utopie ». J’ai pas mal discuté avec ce type de personne, et ils me décrivent un monde ou la technologie permet de faire des choses incroyables… mais c’est toujours un monde capitaliste. Autrement dit, les technologies sont différentes, mais les rapports qui régulent la production et la distribution des biens sont toujours les mêmes.
[« On a du mal à imaginer autre chose que ce que nous avons sous les yeux. Regardez la campagne européenne : les eurosceptiques n’imaginent pas de sortir de l’Euro ou de l’UE, les partisans de « l’autre Europe » sont incapables de peindre l’Europe qu’ils voudraient. » Une touche d’optimisme: je crois que nous sommes en train de sortir de cette période. Lentement mais sûrement.]
Si seulement vous pouviez avoir raison…
[La guerre d’Ukraine, le Brexit, la bascule vers des gouvernements dits “populistes” de bon nombre de démocraties, l’avènement d’un sud global sont autant de rappels au fait que le champ des possibles ne se réduit pas à la théorie de la “fin de l’histoire”. Petit à petit nous repensons le monde. Regardez la ligne éditoriale du Figaro par exemple: qui eut-crû il y a 10 ou 15 ans que ce journal accueillerait avec bienveillance des chroniques vigoureusement souverainistes, des entretiens avec des chercheurs d’obédience marxiste, des manifestes universalistes radicaux ?]
Personne, en effet. Oui, on peut voir des signes d’épuisement du modèle néolibéral. Mais pour le moment, je suis frappé par la difficulté qu’ont nos élites à penser en dehors du cadre de la pensée unique.
[Ce qui doit vous attrister c’est que c’est par la droite que reviennent ces thèmes autrefois marqueurs de gauche. Peut-être le sujet d’un article sur votre blog un de ces jours, si vous avez une analyse du phénomène ?]
Ca ne m’attriste pas particulièrement, non. Je n’ai jamais été de ceux qui donnaient aux termes « droite » et « gauche » un sens quasi-mystique, au point d’imaginer qu’il n’y avait de l’intelligence que dans un camp, ou bien qu’une politique servant les intérêts de la bourgeoisie devenait tout à coup « progressiste » du moment où elle était conduite par des gens se réclamant de « la gauche ». Je me souviens que dans les années 1970 pour les gauchistes et certains socialistes le PCF était un parti désespérément raciste, sexiste et partisan de la collaboration de classe, bref « droitier »…
Plus que de voir certains drapeaux repris par la droite, ce qui m’attriste est de penser que le PCF les a laissé tomber, et cela malgré les combats acharnés de beaucoup de communistes, parmi lesquels je me colmpte. Que de temps et d’opportunités perdues…
[Je ne sais pas. Il est tentant d’adhérer à cette thèse, mais ce serait oublier que chaque nouveau format, s’il permet potentiellement de s’approcher davantage du réel, est avant tout soumis à l’usage qu’en fait l’artiste. Le fait qu’aujourd’hui un film qui laisse le spectateur “dans le flou” en lui laissant le loisir d’imaginer une partie de l’histoire, et qui prenne le risque de le décrocher ne trouve pas de financements n’a que peu à voir avec la nature du média utilisé, en l’occurence l’image.]
Je ne sais pas. Mais il me semble qu’il y a une éducation du spectateur. Les gens qui regardaient les films dans les années 1920-1960 avaient une culture essentiellement littéraire. Ils avaient donc une capacité à « remplir les blancs », à construire des images mentales à partir d’une suggestion ou d’une description. Je ne me souviens plus du nom du film où un couple fait l’amour, mais la seule chose qu’on voit à l’image c’est la main de l’actrice (Jeanne Moreau ?) qui serre et se crispe sur le drap en soie… la scène ne montre en fait rien d’explicite, tout son érotisme dépend de la capacité du spectateur à reconstruire mentalement ce qu’on ne montre pas. Je ne sais pas si une génération qui ne lit pas, éduquée exclusivement avec l’image, a les instruments pour faire automatiquement et sans effort cette reconstruction…
[Bien davantage que l’image, c’est la bêtification des scenarii, la simplification des schémas narratifs, le recours à des formules toutes faites ( = dont la rentabilité financière est assurée) pour faire rire, peur ou pleurer qui atrophient le cerveau des spectateurs.]
Certes. Mais je crains que ce soit un processus dialectique. Des spectateurs qui n’ont que la culture de l’image ont besoin que tout soit explicite, et cette exigence conduit à une simplification a outrance et à une pédagogie lourdingue.
[Et d’ailleurs, ce phénomène dépasse largement le domaine de l’image: les succès d’édition type 50 nuances de Grey ou les thrillers type Guillaume Musso ne font pas vraiment dans la surprise, l’ellipse et la finesse, et je ne vous parle même pas de la musique pop type JUL, PNL ou Aya Nakamura, où on ne parle que de deal, de fumer du shit ou de rapports sentimentaux niveau CM2.]
Vrai. Mais il est difficile de faire du subtil quand on s’adresse à un public qui ne comprend que ce qui est explicite. Raconter à un public sans imagination, il n’y a rien de plus difficile. C’est je pense pour cela qu’on voit de plus en plus de livres ou de films centrés sur les tourments intérieurs des personnages, et de moins en moins de films qui racontent une histoire. Et ne parlons même pas de deuxième degré : un film comme « Rabbi Jacob » ou « La vie de Brian » seraient impossibles aujourd’hui…
@ Descartes
[Mais non ! Justement, la rupture n’est pas ASSUMEE, puisque personne n’accepte formellement l’idée qu’on renonce à la présomption d’innocence. On continue a affirmer ce principe comme étant universel… tout en soutenant une pratique qui le contredit.]
Je lis les choses autrement: la gauche ASSUME que la présomption d’innoncence n’est pas indiquée quand c’est une FEMME qui accuse, alors qu’elle l’est quand c’est un HOMME. En cela elle assume clairement une rupture de l’UNIVERSALITE du droit, puisque selon que vous soyez homme ou femme, le principe de droit qui vous est appliqué diffère.
@ P2R
[« Mais non ! Justement, la rupture n’est pas ASSUMEE, puisque personne n’accepte formellement l’idée qu’on renonce à la présomption d’innocence. On continue a affirmer ce principe comme étant universel… tout en soutenant une pratique qui le contredit. » Je lis les choses autrement: la gauche ASSUME que la présomption d’innoncence n’est pas indiquée quand c’est une FEMME qui accuse,]
Est-ce que vous pourriez me montrer un seul texte où il est assumé de manière explicite que la présomption d’innocence n’a pas un caractère universel, et en particulier ne s’applique pas lorsqu’une femme accuse ? Je pense que vous n’en trouverez pas. A chaque fois, on réaffirme au contraire que le principe de la présomption d’innocence est universel… c’est seulement d’une manière IMPLICITE qu’on accepte d’en faire exception.
[En cela elle assume clairement une rupture de l’UNIVERSALITE du droit, puisque selon que vous soyez homme ou femme, le principe de droit qui vous est appliqué diffère.]
Non, justement. Le fait qu’on affirme « croire à la parole des femmes » contredit implicitement le principe de présomption d’innocence. Mais l’implicite ne devient jamais explicite, parce qu’on n’est pas prêt à en assumer les conséquences. C’est ainsi que les dragons de vertu de la commission contre les violences sexistes de EELV disent “croire à la parole des femmes dans le respect de la présomption d’innocence”, ce qui est une absurdité.
Cher Descartes,
Ce billet est certainement à mettre en relation avec le sujet du précédent.
Car à bien y songer, cette constitutionnalisation du droit à l’IVG célébrée comme une fête, une “grande victoire des femmes”, n’est-ce pas tout ce qui reste de la révolution sexuelle et de 68, une fois le voile de l’idéologie soulevé par la crise ?
Une logique individualiste, nihiliste et mortifère qui fait une réjouissance et un absolu de ce que les soviétiques en 1920 comme le gouvernement Chirac en 1975 en l’adoptant concevaient comme une triste nécessité.
Un droit au passage parfaitement en adéquation avec la logique néo-écolo-malthusienne qui touche une bonne partie des nouvelles générations.
Bien à vous,
@ Denis Weill
[Une logique individualiste, nihiliste et mortifère qui fait une réjouissance et un absolu de ce que les soviétiques en 1920 comme le gouvernement Chirac en 1975 en l’adoptant concevaient comme une triste nécessité.]
Effectivement. On assiste à une inversion complète des valeurs. Ce qui était une tragédie devient une fête, ce qui était autrefois un plaisir devient un crime. Triste époque…
@Descartes @Carloman
[ J’ai l’impression que votre vision de « la France » est plus liée au territoire, au paysage, à une forme de sociabilité, qu’aux réalisations humaines. Personnellement, je suis plus sensible à ces dernières : un barrage, le Concorde, le Code civil… quand je pense à ces choses, je m’identifie bien plus avec l’effort collectif qu’il a fallu pour les réaliser et à la fierté de ceux qui l’ont fait que lorsque je contemple un paysage, fut-ce le plus beau… Mais je voulais là pointer une différence entre nos perceptions, et non faire un jugement de valeur.]
Alors je ne veux pas parler à la place de @Carloman mais quand on fait un petit tour sur son blog il est sensible sur ces deux visions de la France, il y a sur le bandeau une tour de refroidissement d’une centrale nucléaire, un monument en hommage aux poilus. Donc vous n’avez pas -je pense- une certaine différence de perceptions de la France.
@ Glarrious
[Alors je ne veux pas parler à la place de @Carloman mais quand on fait un petit tour sur son blog il est sensible sur ces deux visions de la France, il y a sur le bandeau une tour de refroidissement d’une centrale nucléaire, un monument en hommage aux poilus. Donc vous n’avez pas -je pense- une certaine différence de perceptions de la France.]
Je ne dis pas que Carloman soit insensible à ces éléments, mais je pense qu’il ne leur donne peut-être pas le même poids que moi. Pour le dire autrement, la figure de la nation est pour moi « le souvenir des grandes choses faites ensemble, et le désir d’en accomplir de nouvelles ». Une formule qui ne laisse finalement que peu de place au rapport à la terre. Je pense qu’il y a chez Carloman un bien plus grand attachement au territoire. Et ce n’est pas illogique : je viens d’une tradition d’immigration multiple, et pour trouver un paysan dans ma généalogie il faut revenir en arrière au moins cinq générations. Je ne connais pas l’histoire familiale de Carloman, mais j’ai cru comprendre que dans sa famille cette mémoire est encore très présente.
@ Descartes & Glarrious,
[mais j’imagine que vous aussi vous aviez à 25 ans une vision de « la France » qui n’a pas beaucoup changé depuis.]
Quand j’avais 25 ans, j’étais encore plein d’illusions. Je n’avais pas compris les changements profonds et irréversibles que ce pays avait subis et qui ont fini par me le rendre étranger. J’avais encore l’impression que la “France éternelle” était solide. Au moins, maintenant, je ne me fais plus d’illusion.
[J’ai l’impression que votre vision de « la France » est plus liée au territoire, au paysage, à une forme de sociabilité, qu’aux réalisations humaines.]
Ce que vous dites là n’est pas complètement faux, mais mérite d’être nuancé. Oui, vous avez raison, du fait de mon histoire personnelle – j’y reviendrai – je suis très attaché au territoire, à l’idée de patrie, de “terre des ancêtres”. Mais, et cela a de l’importance, le paysage est pour moi une réalisation humaine, le fruit d’un travail séculaire, d’une alchimie entre une population et l’espace qu’elle occupe et qu’elle aménage. Un paysage naturel peut m’impressionner et m’émouvoir, mais le fait qu’il soit français, norvégien ou iranien importe peu. Ce que j’aime dans le paysage français, c’est la “patte” de l’homme: les champs cultivés, les fermes, les villages et leurs églises. Derrière le paysage, je vois la réalisation humaine. Je me souviens lors de vacances en Picardie avoir été saisi lorsque apparut à l’horizon la butte de Laon couronnée par ses remparts et sa cathédrale gothique. Sans le travail de l’homme, ce paysage aurait beaucoup moins de charme…
L’honnêteté m’oblige à le dire: j’ai une inclination certaine pour les vieilles pierres, les châteaux, les églises, les villes et villages “de caractère”. Mais je ne suis pas pour autant allergique à la modernité. Les zones industrielles ne me dérangent pas, et je ne suis pas de ceux qui pensent que les tours d’une centrale nucléaire gâchent le paysage.
[Personnellement, je suis plus sensible à ces dernières : un barrage, le Concorde, le Code civil…]
Moi j’aime les ponts, et pas que les vieux. Je trouve que la France est un pays où l’on bâtit de beaux ponts. Le viaduc de Millau est, je trouve, une merveille. Et ce que j’apprécie par dessus tout, c’est le mariage du savoir-faire technique et d’une certaine recherche de l’esthétique. Je trouve ça très français pour le coup. Et je pense que ça peut s’appliquer aussi au Concorde: cet avion n’était pas seulement une prouesse technique, c’était un bel avion, avec une ligne élégante, de belles proportions (même si bien sûr il y avait sans doute derrière un rapport avec l’aérodynamisme).
[Mais je voulais là pointer une différence entre nos perceptions, et non faire un jugement de valeur.]
Rassurez-vous, je ne l’avais pas pris pour une critique.
La différence majeure, me semble-t-il, concerne la réalité humaine que nous mettons derrière le concept de nation: une vision essentiellement politique et volontariste chez vous, une vision plus ethnico-culturelle de mon côté (en lien d’ailleurs avec le rapport au territoire: dans ma conception, l’homme façonne le territoire, mais le territoire façonne aussi l’homme, d’où il découle que les populations ne sont pas interchangeables).
[Je ne connais pas l’histoire familiale de Carloman, mais j’ai cru comprendre que dans sa famille cette mémoire est encore très présente.]
Ce n’est pas faux. Si on remonte à mes arrière-grands-parents, la plupart était ou avait été cultivateurs (on n’employait peu le mot “paysan”, jugé un peu péjoratif, à la fin du XIX° et au début du XX° siècle). Ma grand-mère maternelle a quitté la campagne après la guerre, et si elle a passé l’essentiel du restant de sa vie en ville, travaillant à l’usine comme ouvrière, il est vrai qu’elle est toujours restée attachée à la terre, une paysanne dans l’âme. Dès qu’elle en eut les moyens, elle s’acheta un lopin de terre dans son village d’origine, là où étaient enterrés ses parents, et elle y passait l’essentiel de ses congés (quand elle travaillait) puis une bonne partie des étés lorsque sonna l’heure de la retraite, s’évadant ainsi de son HLM. Et enfant, j’allais y passer quelques jours chaque été, pendant bien des années.
@ Carloman
[« mais j’imagine que vous aussi vous aviez à 25 ans une vision de « la France » qui n’a pas beaucoup changé depuis. » Quand j’avais 25 ans, j’étais encore plein d’illusions. Je n’avais pas compris les changements profonds et irréversibles que ce pays avait subis et qui ont fini par me le rendre étranger.]
Ce n’était pas là le point. Quelque soit le pessimisme ou l’optimisme que vous pouvez avoir vis-à-vis de l’avenir de notre pays, vous avez un rapport avec celui-ci qui vous est particulier. Ce rapport, c’était là mon point, se construit pendant les années de formation. Et il est rare qu’on change ensuite. Pour citer Bloch, ceux qui sont émus à 25 ans par la fête de la fédération ou le baptême de Clovis le sont en général à 75 ans aussi…
[J’avais encore l’impression que la “France éternelle” était solide. Au moins, maintenant, je ne me fais plus d’illusion.]
Je partage. Et au fond, je pense que votre évolution est celle normale de l’être humain. A 18 ans, je croyais les institutions solides et inamovibles. De la même manière qu’à cet âge on pense que nos parents sont tout-puissants et qu’ils seront toujours là pour vous protéger. Et puis on vieillit… et on se rend compte combien sont vraies les paroles d’Aragon : « rien n’est acquis à l’homme… ». C’est peut-être pour cela que les jeunes luttent pour refaire le monde, et les adultes pour l’empêcher de se défaire.
Nous n’en avons pas tout à fait conscience, je pense, mais nous avons vécu ces quarante dernières années une révolution. Une révolution sans la prise du palais d’Hiver ou la guillotine sur la place de la Concorde, une révolution « soft » si vous voulez, mais révolution quand même. Une révolution qui a modifié les rapports sociaux aussi profondément que la révolution française l’avait fait. Seulement, il y a une différence fondamentale : les révolutions à l’ancienne étaient elles-mêmes instituantes. Leur ambition était de remplacer les institutions anciennes par des institutions nouvelles. Ce qui est particulier à la révolution néolibérale, c’est qu’elle fondamentalement des-instituante. Son ambition est d’effacer les institutions anciennes et les remplacer par le marché, par la « concurrence libre et non faussée » de tous contre tous. Personnellement, je pense qu’il s’agit d’un moment de l’histoire, que comme toutes les périodes « ultra-libérales », cette tendance se fracassera tôt ou tard sur ses contradictions – comme ce fut le cas en 1929. Et cela ouvrira une période de ré-institutionnalisation ou l’on renouera avec un passé idéalisé pour l’occasion, comme le fit la Renaissance.
[« J’ai l’impression que votre vision de « la France » est plus liée au territoire, au paysage, à une forme de sociabilité, qu’aux réalisations humaines. » Ce que vous dites là n’est pas complètement faux, mais mérite d’être nuancé. Oui, vous avez raison, du fait de mon histoire personnelle – j’y reviendrai – je suis très attaché au territoire, à l’idée de patrie, de “terre des ancêtres”.]
C’était bien mon point lorsque je parlais de l’histoire personnelle, et de l’influence que cela peut avoir dans les rapports qu’on établit avec une collectivité nationale. Personnellement, je ne peux pas être attaché à une « terre des ancêtres », pour la simple raison que mes « ancêtres » sont éparpillés un peu partout au gré des migrations successives. Si vous me demandez où se trouve la « terre de mes ancêtres », je serais incapable de vous le dire. Je vous dirai plus : dans ma famille, on ne va jamais dans les cimetières. On honore les morts à la maison. Mes parents ne savaient pas où sont enterrés leurs grands-parents, et j’ignore où sont enterrés les miens – mes parents ne s’y rendaient jamais.
[Mais, et cela a de l’importance, le paysage est pour moi une réalisation humaine, le fruit d’un travail séculaire, d’une alchimie entre une population et l’espace qu’elle occupe et qu’elle aménage.]
Oui. Mais s’il est le témoin d’une histoire, il n’est pas le fruit d’une volonté. Contrairement aux ouvrages, qui ont été pensés pour être là.
[Ce que j’aime dans le paysage français, c’est la “patte” de l’homme : les champs cultivés, les fermes, les villages et leurs églises. Derrière le paysage, je vois la réalisation humaine. Je me souviens lors de vacances en Picardie avoir été saisi lorsque apparut à l’horizon la butte de Laon couronnée par ses remparts et sa cathédrale gothique. Sans le travail de l’homme, ce paysage aurait beaucoup moins de charme…]
Je partage. Le paysage « sauvage » me laisse souvent indifférent, alors que l’ouvrage humain évoque les travaux, les rêves, les souffrances de ceux qui l’ont bâti.
[« Personnellement, je suis plus sensible à ces dernières : un barrage, le Concorde, le Code civil… » Moi j’aime les ponts, et pas que les vieux. Je trouve que la France est un pays où l’on bâtit de beaux ponts. Le viaduc de Millau est, je trouve, une merveille. Et ce que j’apprécie par-dessus tout, c’est le mariage du savoir-faire technique et d’une certaine recherche de l’esthétique. Je trouve ça très français pour le coup. Et je pense que ça peut s’appliquer aussi au Concorde: cet avion n’était pas seulement une prouesse technique, c’était un bel avion, avec une ligne élégante, de belles proportions (même si bien sûr il y avait sans doute derrière un rapport avec l’aérodynamisme).]
Je suis d’accord avec vous. C’est vrai pour les ponts, mais c’est aussi vrai pour d’autres réalisations. Et pas seulement des réalisations « techniques » : ceux qui ont rédigé le Code civil ou le Code pénal ne se sont pas contentés d’une réflexion pratique : il y a dans sa rédaction un évident souci de beauté littéraire.
[La différence majeure, me semble-t-il, concerne la réalité humaine que nous mettons derrière le concept de nation: une vision essentiellement politique et volontariste chez vous, une vision plus ethnico-culturelle de mon côté (en lien d’ailleurs avec le rapport au territoire: dans ma conception, l’homme façonne le territoire, mais le territoire façonne aussi l’homme, d’où il découle que les populations ne sont pas interchangeables).]
Je pense que vous avez bien résumé ici nos positions respectives, qui tiennent assez trivialement de nos expériences de vie. Comment pourrais-je me sentir pleinement français si l’on admet comme vous le faites « que le territoire façonne l’homme » et que « les populations ne sont pas interchangeables » ? Et pourtant, c’est le cas… ce qui m’amène à être plus nuancé que vous : sous certaines conditions, les populations sont interchangeables. Reste à s’entendre sur le fait de savoir quelles sont ces conditions, et surtout si elles tiennent à une volonté sociale ou individuelle.
Pour revenir à votre question originale, nous n’avons probablement pas la même vision de ce qui fait la nation, même si nous pouvons coïncider sur beaucoup d’aspects. Nous sommes cependant d’accord sur un point, et c’est cet accord qui nous permet je pense de participer au même combat : nous pensons tous deux qu’il existe une collectivité nationale, dont les intérêts transcendent les individus, qui porte une histoire et des institutions, et que cela mérite d’être transmis.
@ Descartes,
[Quelque soit le pessimisme ou l’optimisme que vous pouvez avoir vis-à-vis de l’avenir de notre pays, vous avez un rapport avec celui-ci qui vous est particulier. Ce rapport, c’était là mon point, se construit pendant les années de formation. Et il est rare qu’on change ensuite.]
Je me permettrai de nuancer. Dans les grandes lignes, vous avez raison. Mais il y a un point fondamental, quand même, sur lequel j’ai évolué: le rapport à l’héritage des Lumières. A 25 ans, ma position était peu ou prou la vôtre. Aujourd’hui, j’avoue avoir une vision plus ambivalente. Je ne rejette pas totalement l’héritage des Lumières, parce que je me refuse à toute vision idyllique de la société d’Ancien Régime, et je me rappelle d’où je viens, étant issu de la paysannerie, de ce tiers état qui n’était rien. Mais d’un autre côté, votre vision matérialiste de l’histoire m’amène à m’interroger: l’idéologie des Lumières, l’ascension de la bourgeoisie et l’émergence du capitalisme ne constituent pas une coïncidence. Et je maintiens que les Lumières sont produits par une bourgeoisie qui veut faire sauter les entraves afin de “libérer les forces productives”. Ce faisant, on a quand même mis le doigt dans un engrenage qui nous conduit à aujourd’hui, c’est-à-dire à un approfondissement du capitalisme qui génère une anomie terrifiante.
Je ne prétends pas que la Révolution de 1789 n’était pas nécessaire ni souhaitable. Je dis que de révolution en révolution, la bourgeoisie a conduit nos sociétés dans le mur, au nom du marché, de la liberté d’entreprendre, de la concurrence libre et non faussée. Alors vous me direz que Voltaire et alii avaient pensé à des garde-fous, et que la société néolibérale n’est pas celle qu’ils auraient voulue. Mais Voltaire et les autres étaient encore sous l’influence de très puissantes valeurs aristocratiques, valeurs qu’ils ont cependant contribué – consciemment ou inconsciemment, je ne sais – à affaiblir pour qu’advienne le monde nouveau. Car c’est un point fondamental, que vous rappelez d’ailleurs régulièrement en citant Marx: pour que le capitalisme puisse se développer, il lui fallait détruire les vieilles valeurs aristocratiques. Or quel est l’intérêt de la bourgeoisie depuis le XVIII° siècle sinon l’essor du capitalisme?
[Nous n’en avons pas tout à fait conscience, je pense, mais nous avons vécu ces quarante dernières années une révolution. Une révolution sans la prise du palais d’Hiver ou la guillotine sur la place de la Concorde, une révolution « soft » si vous voulez, mais révolution quand même. Une révolution qui a modifié les rapports sociaux aussi profondément que la révolution française l’avait fait.]
Je souscris totalement à ce que vous écrivez. Et personnellement, je n’avais rien compris, ce qui fait qu’outre le sentiment d’impuissance face au changement, j’ai la désagréable sensation d’être un imbécile. Je m’étais focalisé, il est vrai, sur la question de l’immigration, de l’islam, etc. Je me rends bien compte que ce n’est qu’un aspect du problème – même si pour moi cela reste un problème très important. Le problème essentiel est que l’état de déliquescence de la société ne permet plus de concevoir et de mettre en oeuvre une politique qui règlerait les questions identitaires aussi bien que les autres. Nos dirigeants ont l’apparence du pouvoir, mais en fait ils n’ont qu’une influence très limitée sur le cours des choses.
[Personnellement, je ne peux pas être attaché à une « terre des ancêtres », pour la simple raison que mes « ancêtres » sont éparpillés un peu partout au gré des migrations successives. Si vous me demandez où se trouve la « terre de mes ancêtres », je serais incapable de vous le dire. Je vous dirai plus : dans ma famille, on ne va jamais dans les cimetières. On honore les morts à la maison. Mes parents ne savaient pas où sont enterrés leurs grands-parents, et j’ignore où sont enterrés les miens – mes parents ne s’y rendaient jamais.]
Je comprends. Je ne porte aucun jugement, parce que je suppose que les exils successifs tiennent pour une part à des contraintes et à des tragédies. Maintenant, si demain la France devait être peuplée en majorité de gens ayant une expérience comme la vôtre, ou bien de gens ayant pour l’essentiel leurs racines sur d’autres territoires, je crains qu’on perde quand même une dimension importante de l’identité française. J’ai un peu de mal à imaginer une nation ayant un rapport ténu à son territoire, mais ce n’est que mon opinion.
[Mais s’il est le témoin d’une histoire, il n’est pas le fruit d’une volonté.]
Un paysage évolue sous l’action des hommes. Je suis hostile à toute “muséification” systématique des paysages. Le patrimoine est à mes yeux très important, mais il faut choisir avec grand soin ce qu’on veut patrimonialiser, car tout ne peut pas l’être. Il faut laisser la place pour de nouvelles réalisations.
[Comment pourrais-je me sentir pleinement français si l’on admet comme vous le faites « que le territoire façonne l’homme » et que « les populations ne sont pas interchangeables » ?]
En fréquentant des gens qui ont un rapport plus fort avec le territoire, et qui vous feront prendre conscience de son importance… Encore faut-il que ces gens existent. En faisant le choix, aussi, peut-être, de vous ancrer quelque part en France, et peut-être de faire de cet endroit un espace fondateur pour votre lignée. Je pense à Jean Ferrat, dont le parcours, pour ce que j’en sais, a quelques similitudes avec le vôtre. N’a-t-il pas compris dans sa chanson “la Montagne” (et d’autres) cet attachement au territoire? N’a-t-il pas fini lui-même par s’enraciner dans un village ardéchois? Peut-être vous faut-il trouver votre Ardèche…
[et c’est cet accord qui nous permet je pense de participer au même combat]
Je serais malhonnête de prétendre aujourd’hui participer à un quelconque combat. J’avoue me borner à un rôle de spectateur.
@ Carloman
[Mais il y a un point fondamental, quand même, sur lequel j’ai évolué: le rapport à l’héritage des Lumières. A 25 ans, ma position était peu ou prou la vôtre. Aujourd’hui, j’avoue avoir une vision plus ambivalente. Je ne rejette pas totalement l’héritage des Lumières, parce que je me refuse à toute vision idyllique de la société d’Ancien Régime, et je me rappelle d’où je viens, étant issu de la paysannerie, de ce tiers état qui n’était rien. Mais d’un autre côté, votre vision matérialiste de l’histoire m’amène à m’interroger : l’idéologie des Lumières, l’ascension de la bourgeoisie et l’émergence du capitalisme ne constituent pas une coïncidence. Et je maintiens que les Lumières sont produits par une bourgeoisie qui veut faire sauter les entraves afin de “libérer les forces productives”. Ce faisant, on a quand même mis le doigt dans un engrenage qui nous conduit à aujourd’hui, c’est-à-dire à un approfondissement du capitalisme qui génère une anomie terrifiante.]
Que l’idéologie des lumières ait été l’outil de la prise du pouvoir de la bourgeoisie – et donc du développement du capitalisme – c’est une évidence. Mais peut-on reprocher à un outil l’usage qui en est fait ? Je ne le pense pas. La philosophie des Lumières était et reste un outil libérateur. Et on peut le voir dans l’usage qui en est fait. Quand la bourgeoisie était dans une logique progressiste pour l’ensemble de la société, quand en libérant des forces productives que le régime féodal tenait sous le boisseau elle a amélioré la vie de l’ensemble de la société, elle revendiquait l’héritage des Lumières. Aujourd’hui que cette étape est terminée, elle ne le revendique plus. Pis, elle le rejette. Et cela devrait dissiper en partie votre ambiguïté vis-à-vis de l’héritage des Lumières : si ceux qui favorisent aujourd’hui l’anomie rejettent cet héritage, il doit bien y avoir une raison.
[Je dis que de révolution en révolution, la bourgeoisie a conduit nos sociétés dans le mur, au nom du marché, de la liberté d’entreprendre, de la concurrence libre et non faussée. Alors vous me direz que Voltaire et alii avaient pensé à des garde-fous, et que la société néolibérale n’est pas celle qu’ils auraient voulue. Mais Voltaire et les autres étaient encore sous l’influence de très puissantes valeurs aristocratiques, valeurs qu’ils ont cependant contribué – consciemment ou inconsciemment, je ne sais – à affaiblir pour qu’advienne le monde nouveau. Car c’est un point fondamental, que vous rappelez d’ailleurs régulièrement en citant Marx : pour que le capitalisme puisse se développer, il lui fallait détruire les vieilles valeurs aristocratiques. Or quel est l’intérêt de la bourgeoisie depuis le XVIII° siècle sinon l’essor du capitalisme ?]
Vous parlez comme si l’on avait un choix. Mais le fait est qu’on ne l’a pas : la prise du pouvoir par la bourgeoisie, l’instauration du capitalisme puis son approfondissement – et finalement sa chute sous le poids de ses propres contradictions – sont inscrits dans l’histoire. On peut tout au plus jouer sur les formes que ces transformations prendront. A tout prendre, je préfère la vision d’un Voltaire ou d’un Diderot à la vision puritaine du capitalisme anglosaxon.
[Et personnellement, je n’avais rien compris, ce qui fait qu’outre le sentiment d’impuissance face au changement, j’ai la désagréable sensation d’être un imbécile. Je m’étais focalisé, il est vrai, sur la question de l’immigration, de l’islam, etc. Je me rends bien compte que ce n’est qu’un aspect du problème – même si pour moi cela reste un problème très important.]
Comme vous l’imaginez, je suis ravi d’entendre ça. Non pas d’entendre votre impression d’être un imbécile, je vous rassure. Vous n’avez rien à vous reprocher d’ailleurs, très rares sont ceux qui s’en sont aperçu à ce moment-là, et leurs alertes orales ou écrites – je pense par exemple à Michel Clouscard – ont été généralement ignorées. Non, je suis ravi de voir que vous inscrivez la question de l’identité et de l’immigration dans un problème plus vaste en faisant le lien avec les transformations matérielles.
[Le problème essentiel est que l’état de déliquescence de la société ne permet plus de concevoir et de mettre en œuvre une politique qui règlerait les questions identitaires aussi bien que les autres. Nos dirigeants ont l’apparence du pouvoir, mais en fait ils n’ont qu’une influence très limitée sur le cours des choses.]
Aujourd’hui oui, parce que le rapport de forces totalement déséquilibré en faveur des classes dominantes. Mais cela va changer. La question est « quand ? ».
[« Comment pourrais-je me sentir pleinement français si l’on admet comme vous le faites « que le territoire façonne l’homme » et que « les populations ne sont pas interchangeables » ? » En fréquentant des gens qui ont un rapport plus fort avec le territoire, et qui vous feront prendre conscience de son importance… Encore faut-il que ces gens existent.]
Pour ça, je vous rassure, j’ai eu ma dose… et je vous avoue que cela a eu un effet plus négatif qu’autre chose. On finit par avoir l’impression que les gens qui sont attachés à leur « terroir » le sont pour de très mauvaises raisons…
[En faisant le choix, aussi, peut-être, de vous ancrer quelque part en France, et peut-être de faire de cet endroit un espace fondateur pour votre lignée.]
On ne se refait pas : non seulement je viens d’une famille errante, mais mon métier m’a amené à être errant en France. J’ai été affecté dans le nord, dans l’est, dans le sud, dans l’outre-mer, à l’étranger, en Ile de France…
[Je pense à Jean Ferrat, dont le parcours, pour ce que j’en sais, a quelques similitudes avec le vôtre. N’a-t-il pas compris dans sa chanson “la Montagne” (et d’autres) cet attachement au territoire ? N’a-t-il pas fini lui-même par s’enraciner dans un village ardéchois ? Peut-être vous faut-il trouver votre Ardèche…]
Mon Ardèche, c’est Paris…
« C’est Paris ce théâtre d’ombres que je porte
Mon Paris qu’on ne peut tout à fait m’avoir pris
Pas plus qu’on ne peut prendre à des lèvres leur cri
Que n’aura-t-il fallu pour m’en mettre à la porte
Arrachez-moi le coeur vous y verrez Paris
C’est de ce Paris-là que j’ai fait mes poèmes
Mes mots sont la couleur étrange de ces toits
La gorge des pigeons y roucoule et chatoie
J’ai plus écrit de toi Paris que de moi-même
Et plus que de vieillir souffert d’être sans toi
Paris s’éveille et moi pour retrouver ses mythes
Qui nous brûlaient les sens dans notre obscurité
Je metrrai dans mes mains mon visage irrité
Que renaisse le chant que les oiseaux imitent
Et qui répond « Paris » quand on dit « Liberté » !
[« et c’est cet accord qui nous permet je pense de participer au même combat » Je serais malhonnête de prétendre aujourd’hui participer à un quelconque combat. J’avoue me borner à un rôle de spectateur.]
Vous n’avez pas le choix, vous êtes dans la tranchée, et dans la tranchée il n’y a pas de spectateurs. Je veux bien admettre que vous ne soyez pas un militant. Mais chaque fois que vous montez en chaire, vous allez au combat… et bientôt, il faudra mettre casque et gilet pare-balles !
@ Descartes,
[Vous parlez comme si l’on avait un choix. Mais le fait est qu’on ne l’a pas : la prise du pouvoir par la bourgeoisie, l’instauration du capitalisme puis son approfondissement – et finalement sa chute sous le poids de ses propres contradictions – sont inscrits dans l’histoire.]
Puisque tout est écrit et puisqu’on n’a pas le choix, autant faire contre mauvaise fortune bon coeur et se contenter des quelques joies que nous procure l’existence.
Les gens qui réfléchissent et qui militent perdent leur temps. Laissons l’histoire suivre son cours.
[Et cela devrait dissiper en partie votre ambiguïté vis-à-vis de l’héritage des Lumières : si ceux qui favorisent aujourd’hui l’anomie rejettent cet héritage, il doit bien y avoir une raison.]
Je ne dirais pas qu’ils le rejettent, je dirais qu’ils cherchent à le dépasser. Après tout, on peut toujours arguer que des principes posés il y a plus de deux siècles méritent d’être rééxaminés. Pourquoi la pensée des Lumières constituerait-elle le cadre indépassable de notre réflexion?
[Non, je suis ravi de voir que vous inscrivez la question de l’identité et de l’immigration dans un problème plus vaste en faisant le lien avec les transformations matérielles.]
Je suis navré de ne pas partager votre ravissement. Parce qu’à partir du moment où le problème devient “global”, il n’y a plus aucune solution envisageable dans un horizon temporel raisonnable. On le voit avec l’immigration justement, et une succession de lois, depuis des années, qui ne change rien ou presque. Tout le monde s’est à peu près résigné au fait qu’on ne peut rien faire, et qu’on ne fera rien. Je vous prie de m’excuser mais, entre comprendre que les problèmes sont insolubles en l’état et être convaincu qu’une solution, même imparfaite, est possible, je ne sais pas lequel est le plus réjouissant…
[Pour ça, je vous rassure, j’ai eu ma dose… et je vous avoue que cela a eu un effet plus négatif qu’autre chose. On finit par avoir l’impression que les gens qui sont attachés à leur « terroir » le sont pour de très mauvaises raisons…]
Croyez bien que je suis désolé si j’ai pu contribuer, à travers nos échanges, à entretenir ce sentiment.
Cela étant, et pardon de pinailler, mais “terroir” et “territoire”, ce n’est pas tout à fait la même chose. Personnellement, j’éprouve un attachement pour le territoire français, au-delà des seules zones géographiques où ma famille est/a été implantée. Je me méfie, vous le savez, du repli sur les “petites patries locales”.
[On ne se refait pas : non seulement je viens d’une famille errante, mais mon métier m’a amené à être errant en France.]
Encore une fois je ne juge pas. Mais peut-on fonder une nation avec uniquement des gens errants? Je ne le crois pas.
[Mon Ardèche, c’est Paris…]
J’avoue que ce point est pour moi incompréhensible. Paris est devenue une métropole mondiale dont la population est un concentré du monde entier, et dont le caractère “national” ne saute pas aux yeux – toutes les affiches ou presque sont en globish. Si je voulais provoquer, je dirais même que c’est – presque – ce qui fait le charme de Paris, on a l’impression (pour un provincial venu d’une ville moyenne) d’être à l’étranger…
[Vous n’avez pas le choix, vous êtes dans la tranchée, et dans la tranchée il n’y a pas de spectateurs.]
Il y a toujours eu des planqués vous savez…
[Mais chaque fois que vous montez en chaire, vous allez au combat…]
Mais je ne suis ni prêtre, ni prédicateur, je suis fonctionnaire et je dis ce que mes supérieurs m’ordonnent de dire. J’avoue qu’avec le temps, et les assassinats d’enseignants aidant, je suis devenu lâche. Pour ne rien vous cacher, j’espère d’ailleurs obtenir un poste encore moins exposé. Tout ce que je demande aujourd’hui, c’est de pouvoir boire ma bière et regarder mes séries télé en toute quiétude, comme tout le monde. La marche du monde, ce n’est plus mon affaire.
Je regarde avec étonnement et curiosité votre combat, mais ce n’est pas le mien.
@ Carloman
[« Vous parlez comme si l’on avait un choix. Mais le fait est qu’on ne l’a pas : la prise du pouvoir par la bourgeoisie, l’instauration du capitalisme puis son approfondissement – et finalement sa chute sous le poids de ses propres contradictions – sont inscrits dans l’histoire. » Puisque tout est écrit et puisqu’on n’a pas le choix, autant faire contre mauvaise fortune bon cœur et se contenter des quelques joies que nous procure l’existence.]
Avec vous, c’est soit chauve soit avec trois perruques. Non, TOUT n’est pas écrit. Les grandes transformations du mode de production sont inscrites dans l’histoire, mais la forme qu’elles prennent et le calendrier dépendent de l’action des hommes… consciente ou inconsciente d’ailleurs. Pour citer Marx, « les hommes font l’histoire, mais ne savent pas l’histoire qu’ils font ».
[Les gens qui réfléchissent et qui militent perdent leur temps.]
Je ne suis pas d’accord. D’abord, parce que le militantisme est une sociabilité. Ensuite, parce que le militantisme, si vous l’assumez sérieusement, vous oblige à réflechir…
[« Et cela devrait dissiper en partie votre ambiguïté vis-à-vis de l’héritage des Lumières : si ceux qui favorisent aujourd’hui l’anomie rejettent cet héritage, il doit bien y avoir une raison. » Je ne dirais pas qu’ils le rejettent, je dirais qu’ils cherchent à le dépasser.]
Pourriez-vous illustrer cette opinion ? Moi, je vois des exemples sans nombre de rejet de l’ensemble de l’héritage des Lumières : de l’héritage rationaliste, remis en cause par les postmodernes et par toute sorte de mouvements écologistes, spiritualistes, new âge ; de l’universalité de la pensée humaine contestée en permanence par les communautaristes, féministes et racialistes de tout bord ; de l’humanisme remis en cause par la droite libertaire et la gauche écologique… tous ces gens là n’aspirent nullement à « dépasser » l’héritage des Lumières – ce qui impliquerait de vouloir aller plus loin dans la même direction. Non, ces gens là veulent repartir dans la direction opposée…
[Après tout, on peut toujours arguer que des principes posés il y a plus de deux siècles méritent d’être réexaminées. Pourquoi la pensée des Lumières constituerait-elle le cadre indépassable de notre réflexion ?]
Je n’ai rien contre ce « réexamen ». Vous noterez que c’est d’ailleurs ce que les marxistes ont fait, lorsqu’ils ont révélé que derrière les idéaux des Lumières il faut voir un rapport de classe. Mais réexaminer ne veut pas dire rejeter. Lorsqu’on affirme qu’un blanc représentant un personnage noir sur scène est coupable « d’appropriation culturelle », ce n’est pas une « réexamen » du principe d’universalité, c’est son rejet.
[Parce qu’à partir du moment où le problème devient “global”, il n’y a plus aucune solution envisageable dans un horizon temporel raisonnable.]
Pas nécessairement. Les transformations globales peuvent être très rapides… Dès lors que les rapports matériels créent un rapport de force favorable, la rupture peut être immédiate. Combien de temps a-t-il fallu à la Révolution pour balayer des structures vieilles de plusieurs siècles ?
[On le voit avec l’immigration justement, et une succession de lois, depuis des années, qui ne change rien ou presque. Tout le monde s’est à peu près résigné au fait qu’on ne peut rien faire, et qu’on ne fera rien.]
Je ne suis pas d’accord. Si on ne fait rien, ce n’est pas parce que « on ne PEUT rien faire », mais parce que « on ne VEUT rien faire ». Et la succession de lois à laquelle vous faites référence n’a pas pour finalité de changer quoi que ce soit, mais de donner à l’opinion l’impression qu’on fait quelque chose. C’est à cela que je fais allusion lorsque j’inscris la question de l’immigration dans une logique plus globale. Le fait est qu’il y a des classes sociales qui ont intérêt à ce que la main d’œuvre immigrée soit disponible, et qui n’ont aucun intérêt à ce – ou du moins ne sont pas prêts à payer pour – que ces immigrés s’assimilent. Et ces classes sont aujourd’hui dominantes. Le reste n’est que la conséquence logique.
Maintenant, les choses peuvent changer. Sur ces questions, le rapport de forces est en train de changer. On finit par s’apercevoir que le coût social de l’immigration non assimilée devient très important, peut-être même plus que les coûts d’assimilation…
[« Pour ça, je vous rassure, j’ai eu ma dose… et je vous avoue que cela a eu un effet plus négatif qu’autre chose. On finit par avoir l’impression que les gens qui sont attachés à leur « terroir » le sont pour de très mauvaises raisons… » Croyez bien que je suis désolé si j’ai pu contribuer, à travers nos échanges, à entretenir ce sentiment.]
Je vous rassure, ce n’est pas le cas. Vous évoquez d’ailleurs très rarement votre « terroir », je serais incapable de dire où se trouvent vos origines.
[Cela étant, et pardon de pinailler, mais “terroir” et “territoire”, ce n’est pas tout à fait la même chose. Personnellement, j’éprouve un attachement pour le territoire français, au-delà des seules zones géographiques où ma famille est/a été implantée. Je me méfie, vous le savez, du repli sur les “petites patries locales”.]
Je vous en donne acte bien volontiers.
[« On ne se refait pas : non seulement je viens d’une famille errante, mais mon métier m’a amené à être errant en France. » Encore une fois je ne juge pas. Mais peut-on fonder une nation avec uniquement des gens errants? Je ne le crois pas.]
Israël ? 😉 Je me souviens de la formule du préfet dans le film « la dette » : « il y a deux types d’héros, ceux qui partent reconnaître et conquérir des terres lointaines, et ceux qui restent garder la maison. Nous sommes ceux qui gardent la maison ».
[« Mon Ardèche, c’est Paris… » J’avoue que ce point est pour moi incompréhensible. Paris est devenue une métropole mondiale dont la population est un concentré du monde entier, et dont le caractère “national” ne saute pas aux yeux – toutes les affiches ou presque sont en globish. Si je voulais provoquer, je dirais même que c’est – presque – ce qui fait le charme de Paris, on a l’impression (pour un provincial venu d’une ville moyenne) d’être à l’étranger…]
Vous dites cela parce que vous n’êtes pas parisien. Derrière la « métropole », vous avez la ville secrète…
[« Mais chaque fois que vous montez en chaire, vous allez au combat… » Mais je ne suis ni prêtre, ni prédicateur, je suis fonctionnaire et je dis ce que mes supérieurs m’ordonnent de dire.]
Un fonctionnaire n’est pas un automate. S’il est tenu à l’obéissance hiérarchique, il a la possibilité dans certaines limites de défendre ses convictions. Et c’est encore plus vrai des enseignants, qui ont cette « liberté pédagogique »… Je suis persuadé que le contenu de vos cours n’est pas tout à fait le même que celui d’un collègue qui ne partagerait votre vision de l’histoire…
[J’avoue qu’avec le temps, et les assassinats d’enseignants aidant, je suis devenu lâche.]
Ne vous flagellez pas. Le mot « prudent » me semble plus adapté…
[Pour ne rien vous cacher, j’espère d’ailleurs obtenir un poste encore moins exposé. Tout ce que je demande aujourd’hui, c’est de pouvoir boire ma bière et regarder mes séries télé en toute quiétude, comme tout le monde. La marche du monde, ce n’est plus mon affaire.]
Je ne remettrai pas en question votre parole, mais si ce que vous dites est vrai, je trouve cela très triste.
@Descartes @dsk
[ Cela paraît assez évident, et la ressemblance avec la situation ukrainienne est d’ailleurs frappante. Cela s’inscrit dans le souci constant de la Russie de ne pas avoir de puissance adhérant à une alliance hostile à ses frontières. Les Russes ont donc régulièrement soutenu les mouvements séparatistes susceptibles d’affaiblir leurs voisins hostiles, et sont intervenus militairement chaque fois que le risque de basculement s’est précisé. Lorsque les Russes interviennent en 2008, la Géorgie est gouvernée par Mikheil Saakachvili, celui-là même qui a formulé une demande d’adhésion à l’OTAN.]
Concernant la ressemblance de la situation dans l’Histoire on peut prendre l’exemple de Cuba en 1962. Un danger près des frontières américaines avec l’installation, effective, de missiles soviétiques à conduit au blocus du pays jusqu’à avoir des garanties de sécurités pour les USA et qui ont été obtenus. Bizarrement on refuse aux russes ce qu’on a accordé aux américains. Deux poids deux mesures des plus insupportables.
@ Glarrious
[Concernant la ressemblance de la situation dans l’Histoire on peut prendre l’exemple de Cuba en 1962. Un danger près des frontières américaines avec l’installation, effective, de missiles soviétiques à conduit au blocus du pays jusqu’à avoir des garanties de sécurités pour les USA et qui ont été obtenus. Bizarrement on refuse aux russes ce qu’on a accordé aux américains. Deux poids deux mesures des plus insupportables.]
Heureusement, en 1962 tant à Moscou qu’à Washington c’était l’école « réaliste » qui était aux commandes. La diplomatie était une affaire d’intérêts, et non de morale. A l’époque, les américains avançaient leurs missiles en Turquie, les soviétiques installent les leurs à Cuba. Les Américains entendent que c’est là une ligne rouge et le disent sans ambiguïté. Les soviétiques l’acceptent, et on négocie. A la fin, les soviétiques retirent leurs missiles, les américains les leurs, et la sécurité de Cuba se trouve garantie par un accord secret. Et il n’y aura pas eu de guerre. Parce que chacun dans l’affaire a bien compris – et admis comme légitime – le souci de l’autre.
La guerre en Ukraine a eu lieu parce que le camp occidental se refuse à accepter que la Russie a des raisons légitimes de craindre pour sa sécurité devant l’avance de l’OTAN. Normal : l’OTAN, n’est-elle pas le camp du « bien » ? Cette vision moralisante fait qu’on ne peut pas comprendre l’inquiétude de l’autre, forcément illégitime puisque nos intentions sont nobles et nos méthodes irréprochables.
@Descartes et aux autres lecteurs
Je me permet un hors sujet sur la guerre d’Ukraine, sujet abordé ici et là mais sur lequel j’aimerais avoir votre opinion et celle des lecteurs de ce blog.
Je voudrais traiter ici de la récente réthorique agressive de notre président, et par la tenue de propos “escalatoires”, puisque c’est le nouveau mot à la mode, propos réitérés et assumés, qui s’ils sont suivis d’effet, nous mettent directement sur la voie de la confrontation directe avec la Russie.
Dans un premier temps j’ai pensé immaturité, hubris, inconscience, paroles en l’air. Mais on doit toujours se méfier avant de fair un procès en irrationnalité à un responsable politique en exercice. Alors, selon l’approche matérialiste-réaliste qui fait école sur ce blog, je me suis interrogé: qu’est-ce qui représente, aux yeux de notre président, une menace si grande qu’elle nécessite d’envisager d’engager nos forces armées face à une puissance nucléaire dans un pays dont, excusez ma franchise, tout le monde se bat les reins en réalité. Pour les beaux yeux des ukrainiens ? impossible. Pour stopper une invasion Russe qui “ne s’arrêterait pas à l’Ukraine” ? Personne ne peut croire cela, et quand bien même, il suffirait alors de mettre des troupes aux frontières des pays limitrophes (comme cela se fait depuis le début de la guerre).
Et puis, j’ai tiqué lorsque notre premier ministre, à l’assemblée nationale, s’est abaissé à un degré de manichéisme que l’on pensait réservé à nos chers amerloques, et que LePen a je trouve parfaitement résumé: soit vous êtes avec Macron, soit vous êtes avec Poutine. Je crois que cette formule révèle la vrai peur du macronisme, et au-delà du “cercle de la raison”. Pour nos élites, la guerre en Ukraine n’est que le front “chaud” d’une guerre civilisationnelle transnationale, celle qui oppose, grossièrement, les élites mondialisées et libre-échangistes (les “anywhere”) aux conservateurs à tendance souverainiste voire nationaliste (les “somewhere”). Je pense que ce rapport de force qui traverse toute la société occidentale inquiète beaucoup plus qu’on ne veut le dire les classe dirigeantes. Le moment historique que pourrait constituer le retour d’un Trump aux USA combiné à une victoire Russe en Ukraine pourrait tout à fait être un premier clou dans le cerceuil du néolibéralisme (sans nullement remettre en cause l’hégémonie du capitalisme).
La question est la suivante: est-ce que, pour le bloc dominant, une victoire de la Russie en ukraine représente un risque existentiel par effet domino au travers des couches populaires des différents pays occidentaux ? Je ne suis pas sûr d’avoir la réponse à cete question. Mais si elles estiment que c’est le cas, alors oui, il y a un risque que nous soyons entraînés dans une confrontation directe avec la Russie.
@ P2R
[Je me permet un hors sujet sur la guerre d’Ukraine, sujet abordé ici et là mais sur lequel j’aimerais avoir votre opinion et celle des lecteurs de ce blog.]
Comme je le dis, je parle peu de l’Ukraine parce que je n’ai pas beaucoup d’information. Rien de ce qui est publié aujourd’hui – que cela vienne du côté russe ou du côté occidental – n’est fiable, et on peut chaque jour vérifier l’axiome churchillien, « la première victime dans toutes les guerres est la vérité ». On ne peut se faire une opinion que sur la déduction rationnelle à partir de certaines constantes historiques de la politique russe et occidentale, et du bon usage du rasoir d’Occam. Mais puisque vous me demandez mon opinion…
[Je voudrais traiter ici de la récente rhétorique agressive de notre président, et par la tenue de propos “escalatoires”, puisque c’est le nouveau mot à la mode, propos réitérés et assumés, qui s’ils sont suivis d’effet, nous mettent directement sur la voie de la confrontation directe avec la Russie.]
Je pense qu’il y a deux éléments à prendre en compte. Depuis quelques semaines, on peut détecter dans le discours médiatique – en France mais aussi dans la communication de l’UE et dans le monde anglosaxon – une note d’urgence qui contraste très fortement avec l’optimisme béat du printemps dernier, quand l’ensemble de la bienpensance expliquait que la « contre-offensive » ukrainienne allait foutre la pâtée aux Russes et récupérer même la Crimée. Cela me conduit à penser que la situation sur le terrain est bien plus critique pour les ukrainiens que ce que les reportages complaisants nous laissaient croire.
Après, il ne faut pas oublier que Macron est dans son for intérieur un acteur. Pour lui, les paroles ont une existence propre, détachée de la réalité matérielle. Je ne pense pas qu’il ait imaginé un instant que ses propos pourraient être suivis d’un quelconque effet sur le terrain. Ils sont surtout pensés en termes de récit, d’image. Surtout dans un contexte électoral, ou le camp de la bienpensance joue sans vergogne à faire du RN « le parti de l’étranger » (sous entendu, de Poutine). C’est d’ailleurs drôle de voir les eurolâtres jouer sur la corde chauvine conte un parti qui incarne précisément une forme de nationalisme…
[Dans un premier temps j’ai pensé immaturité, hubris, inconscience, paroles en l’air. Mais on doit toujours se méfier avant de fair un procès en irrationnalité à un responsable politique en exercice.]
Tout à fait. Mais derrière la sortie de Macron il y a une profonde rationalité. Simplement, c’est la rationalité du théâtre. Pour Macron, l’essentiel c’est le récit. Que ce récit ait ou non un rapport avec le réel est finalement secondaire. Souvenez-vous de la photo publiée le 20 mars par l’Elysée ou l’on voit Macron en boxeur, muscles apparents…
[Alors, selon l’approche matérialiste-réaliste qui fait école sur ce blog, je me suis interrogé: qu’est-ce qui représente, aux yeux de notre président, une menace si grande qu’elle nécessite d’envisager d’engager nos forces armées face à une puissance nucléaire dans un pays dont, excusez ma franchise, tout le monde se bat les reins en réalité. Pour les beaux yeux des ukrainiens ? impossible.]
Mais vous croyez vraiment que Macron a la moindre intention d’engager nos forces armées dans une telle aventure ? Pas plus que l’acteur proclamant « un cheval, un cheval, mon royaume pour un cheval » ne s’attend à ce qu’on lui en donne un. Macron se met en scène comme le président de la fermeté, alors que ses comparses européens et américains sont une bande de couilles molles. Il y a deux ans, il jouait l’inverse : il était le président gaullien résistant la pression de tous ces va-t’en guerre. Qu’est ce qui a changé ? Que dans trois mois il y a une élection européenne, que son candidat traine lamentablement dans les sondages, et qu’il voit une possibilité de portraiturer le RN en « parti de Poutine ». Il ne faut pas à mon avis chercher plus loin. Toujours ce satané rasoir d’Occam…
Pour confirmer cette hypothèse, il faudra suivre le discours macronien après les élections. On verra alors si l’audace présidentielle est lié au contexte électoral ou bien s’il y a autre chose derrière.
[Et puis, j’ai tiqué lorsque notre premier ministre, à l’assemblée nationale, s’est abaissé à un degré de manichéisme que l’on pensait réservé à nos chers amerloques, et que Le Pen a je trouve parfaitement résumé : soit vous êtes avec Macron, soit vous êtes avec Poutine. Je crois que cette formule révèle la vraie peur du macronisme, et au-delà du “cercle de la raison”. Pour nos élites, la guerre en Ukraine n’est que le front “chaud” d’une guerre civilisationnelle transnationale, celle qui oppose, grossièrement, les élites mondialisées et libre-échangistes (les “anywhere”) aux conservateurs à tendance souverainiste voire nationaliste (les “somewhere”).]
C’est tentant d’y voir une telle généralisation. Il est clair que lorsque l’on regarde la ligne de fracture entre pro- et anti-russes, celle-ci recouvre assez bien le partage entre les « anywhere » et les « somewhere ». Mais s’agit-il là d’une simple coïncidence, ou faut-il voir une causalité ? Je pense surtout que le positionnement des uns et des autres illustre le rapport qu’on entretien avec l’imperium américain. Du côté de l’Ukraine, vous avez tous ceux qui sont persuadés qu’il n’y a pas de salut hors de la vassalisation aux Etats-Unis, du côté de la Russie ceux qui croient encore à la possibilité d’une politique nationale autonome.
[Je pense que ce rapport de force qui traverse toute la société occidentale inquiète beaucoup plus qu’on ne veut le dire les classe dirigeantes. Le moment historique que pourrait constituer le retour d’un Trump aux USA combiné à une victoire Russe en Ukraine pourrait tout à fait être un premier clou dans le cercueil du néolibéralisme (sans nullement remettre en cause l’hégémonie du capitalisme).]
Il est clair que la logique néolibérale se trouve aujourd’hui en recul. On le voit dans le dépérissement de l’OMC, dont les structures sont paralysées. On le voit au niveau de l’UE, avec des pays qui ont tendance de plus en plus à prendre des mesures illégales vis-à-vis du droit européen (comme les mesures protectionnistes prises par la Pologne ou la Slovaquie) sans que la Commission réagisse. On le voit au niveau des Etats-Unis, que ce soit avec la politique de relance unilatérale de Biden ou le discours clairement protectionniste de Trump. Une victoire de la Russie qui mettrait en échec une tentative d’extension vers l’Est du système UE/OTAN apporterait effectivement un message fort, tout comme une victoire de Trump qui n’a jamais caché les limites de son engagement dans l’OTAN.
[La question est la suivante : est-ce que, pour le bloc dominant, une victoire de la Russie en ukraine représente un risque existentiel par effet domino au travers des couches populaires des différents pays occidentaux ? Je ne suis pas sûr d’avoir la réponse à cette question. Mais si elles estiment que c’est le cas, alors oui, il y a un risque que nous soyons entraînés dans une confrontation directe avec la Russie.]
Le risque existe bien sûr, mais il est très faible. Et paradoxalement, je pense qu’il se réduit avec le temps, parce que passée la sidération initiale qui accompagne tout acte de grande violence l’opinion commence à réfléchir, et du coup les discours propagandistes perdent beaucoup de leur efficacité. En mars 2022 certains pouvaient se laisser emporter par l’idée que si les chars russes entraient à Kiev aujourd’hui, ils seraient a Varsovie le lendemain et à Paris le surlendemain. Aujourd’hui, le discours sur la « menace existentielle » ne suscite guère que de l’indifférence. Et on le voit bien : alors qu’on a fait donner l’artillerie lourde sur le mode « le RN est le parti de Poutine », les indicateurs électoraux ne bougent pas – ou plutôt, ils bougent dans le mauvais sens. Il y a aussi l’effet de l’économie : avec la fin du « quoi qu’il en coute » et l’inflation, il va falloir serrer la vis. Et l’effet sur l’opinion des milliards déversés sur l’Ukraine alors qu’il va falloir couper dans le budget des hôpitaux, dans les allocations chômage, dans les retraites, risque d’être compliqué à gérer. On n’est pas en 1914, et le peuple enthousiaste ne crie guère « à Moscou ». Difficile d’imaginer un gouvernement mettant en œuvre une politique belliciste aujourd’hui envers la Russie.
Pour le dire autrement, je pense que le problème des élites politiques aujourd’hui se résume en une simple phrase : « comment sortir de ce merdier sans perdre la face ». Et là, plusieurs stratégies sont possibles. Quand Macron propose d’envoyer des troupes ou de lancer un méga-emprunt pour aider l’Ukraine, sachant que ces mesures n’ont aucune chance d’être acceptées par nos alliés, est qu’il ne s’ouvre pas la porte au récit « moi j’étais prêt à faire ce qu’il fallait pour que l’Ukraine gagne, mais personne ne m’a suivi » ? Peut-être. On peut se demander si on ne va pas assister dans les semaines et les mois qui viennent à la multiplication de palinodies de ce genre.
Il y a d’ailleurs une phrase dans l’intervention de Macron que personne n’a soulevée, mais qui est à mon avis très révélatrice. C’est la dernière phrase de son discours lors de la conférence de presse : « Ceci redit notre détermination à tous plus encore qu’hier, quelques jours après les deux ans du début de cette agression russe, de soutenir l’Ukraine, de permettre justement à l’Ukraine de négocier dans les meilleures conditions la paix et le retour à sa souveraineté pleine et entière et à son intégrité territoriale (…) ». L’objectif n’est plus la victoire totale, mais de permettre à l’Ukraine de « négocier dans les meilleures conditions ». On vise donc une négociation, ce qui suppose des concessions mutuelles. On est redevenu réaliste…
@ P2R
[“Je me permet un hors sujet sur la guerre d’Ukraine, sujet abordé ici et là mais sur lequel j’aimerais avoir votre opinion et celle des lecteurs de ce blog.”]
Je me pose, à vrai dire, les mêmes questions que vous. Je pense qu’il est effectivement difficile de ne pas voir dans ce conflit une manifestation de celui, plus global, opposant les “anywhere” et les “somewhere”, comme vous dîtes.
@ Descartes
[“Mais derrière la sortie de Macron il y a une profonde rationalité. Simplement, c’est la rationalité du théâtre. Pour Macron, l’essentiel c’est le récit. Que ce récit ait ou non un rapport avec le réel est finalement secondaire. Souvenez-vous de la photo publiée le 20 mars par l’Elysée ou l’on voit Macron en boxeur, muscles apparents…”]
Que ne dirait-on pas, et les macronistes en premier, si Poutine avait publié ce genre de photo ?
@ dsk
[« Mais derrière la sortie de Macron il y a une profonde rationalité. Simplement, c’est la rationalité du théâtre. Pour Macron, l’essentiel c’est le récit. Que ce récit ait ou non un rapport avec le réel est finalement secondaire. Souvenez-vous de la photo publiée le 20 mars par l’Elysée ou l’on voit Macron en boxeur, muscles apparents… » Que ne dirait-on pas, et les macronistes en premier, si Poutine avait publié ce genre de photo ?]
Justement, c’est là que se trouve l’élément le plus intéressant dans cette affaire. Poutine a déjà publié des photos de ce type, que ce soit avec son judogui et sa ceinture noire de judo, sur un cheval torse nu ou pratiquant des sports de plein air. Là aussi, c’est la création d’une image, mais d’une image qui a un rapport avec quelque chose. Poutine, dans la vie réelle, est un sportif accompli, un homme qui pratique l’activité physique depuis sa jeunesse et qui en fait un élément de son image.
Macron, c’est un peu le contraire. Il s’est bâti une image sur ses capacités intellectuelles, et non sur ses capacités physiques. On sait que c’est un spectateur assidu au théâtre, qu’il a fait du théâtre lui-même, qu’il a été le secrétaire d’un célèbre philosophe, qu’il aspirait à rentrer à l’école normale. On n’a jamais su qu’il fut un pratiquant régulier d’un sport, qu’il ait eu la vocation d’entrer à l’INSEP. Son engouement pour la boxe, si tant est qu’il soit réel – ce dont on peut douter – est récent.
Pour le dire autrement, la photo de Poutine chassant l’ours est dans la continuité du personnage, alors que la photo de Macron en boxeur est une inflexion du sien. Et la question qui se pose inévitablement et celle de savoir pourquoi il choisit de changer de taquet, et qui le lui a conseillé. Certains disent que dans la logique de montrer qu’il n’est pas une « mauviette », un « coq en pâte », il se cherche une image « virile ». C’est un étrange pari : De Gaulle ou Mitterrand avaient l’image de présidents forts tout en assumant leurs penchants pour l’intellect. Et on les imagine mal montrant leurs muscles par photo interposée – je ne pense pas qu’il y ait d’ailleurs dans la communication de l’un et de l’autre beaucoup de photos les montrant ne serait-ce que les bras nus.
Si on veut faire un peu de psychologie de comptoir, on peut se demander si cette tentative de construire une image « viriliste » ne révèle chez macron une insécurité, une peur de ne pas être assez « viril ». Et aussi une forme de compétition sexuelle avec Poutine, sur le mode « c’est moi qui a la plus grosse ». Cela est cohérent avec ce qu’on sait de la psyché de notre président, et notamment son besoin permanent de prouver sa légitimité.
@ Descartes
[“Si on veut faire un peu de psychologie de comptoir, on peut se demander si cette tentative de construire une image « viriliste » ne révèle chez macron une insécurité, une peur de ne pas être assez « viril ».”]
Une peur tout à fait justifiée…
[“Et aussi une forme de compétition sexuelle avec Poutine, sur le mode « c’est moi qui a la plus grosse ». Cela est cohérent avec ce qu’on sait de la psyché de notre président, et notamment son besoin permanent de prouver sa légitimité.”]
L’aspect “compétition avec Poutine” me semble assez évident effectivement. J’utiliserais en revanche le mot “obscène” plutôt que “sexuelle”. Quant à son “besoin permanent de prouver sa légitimité”, je ne sais si c’est ce que vous voulez dire exactement, mais je dirais qu’il me paraît bien, en tout cas, faire sans cesse des efforts désespérés pour se hisser à la hauteur de son rôle, au sens théâtral du terme.
Pour ce qui est de sa “psyché”, que je ne pourrais sans doute appréhender qu’au travers du prisme subjectif de la mienne, ma théorie est qu’il serait avant tout ce que j’appellerais un “conformiste conscient”, se demandant toujours, au moment de prendre une position, laquelle se situerait du bon côté du rapport de force. Un “fayot compulsif”, si vous préférez, au point qu’il aurait été, d’ailleurs, jusqu’à épouser sa prof… Jusqu’ici, cette stratégie, il faut bien le dire, lui avait formidablement réussi, si ce n’est qu’avec Poutine, il se retrouve à présent face à la possible victoire de celui qui lui avait paru, de prime abord, être du mauvais côté du rapport de force. Le voici donc désormais nu, seul, sans appui, et dans une situation de danger qu’il n’avait encore jamais connu jusqu’ici, ce que son portrait en boxeur exprimerait alors de façon sans doute largement inconsciente…
@ dsk
[« Si on veut faire un peu de psychologie de comptoir, on peut se demander si cette tentative de construire une image « viriliste » ne révèle chez macron une insécurité, une peur de ne pas être assez « viril ». » Une peur tout à fait justifiée…]
Que Macron ne soit pas un modèle de virilité, c’est un fait. Mais pourquoi en avoir peur ? Personne ne lui demande de gagner un match de boxe contre Poutine ou d’emporter la première place au concours de Mr Univers.
[Quant à son “besoin permanent de prouver sa légitimité”, je ne sais si c’est ce que vous voulez dire exactement, mais je dirais qu’il me paraît bien, en tout cas, faire sans cesse des efforts désespérés pour se hisser à la hauteur de son rôle, au sens théâtral du terme.]
Depuis son élection en 2017, Macron réagit à chaque difficulté par une surenchère d’autoritarisme souvent très théâtrale – souvenez-vous du « qu’ils viennent me chercher » dans l’affaire Benalla – comme s’il craignait que la moindre concession, le moindre recul, le conduisent à perdre le contrôle de la situation. C’est là une réaction caractéristique des chefs qui ont des doutes sur leur propre légitimité – et sur leur capacité à l’établir. Un De Gaulle, un Mitterrand, un Chirac même n’hésitaient pas à reculer lorsqu’ils percevaient que le rapport de forces leur était défavorable, et n’ont pas perdu leur autorité pour autant. Macron me semble terrifié à l’idée de devoir négocier…
[Pour ce qui est de sa “psyché”, que je ne pourrais sans doute appréhender qu’au travers du prisme subjectif de la mienne, ma théorie est qu’il serait avant tout ce que j’appellerais un “conformiste conscient”, se demandant toujours, au moment de prendre une position, laquelle se situerait du bon côté du rapport de force. Un “fayot compulsif”, si vous préférez, au point qu’il aurait été, d’ailleurs, jusqu’à épouser sa prof…]
Macron est bien plus ambigu que cela. D’un côté, c’est un « conformiste conscient », qui se met toujours du côté du manche. Mais de l’autre côté, il aspire à apparaître comme un anticonformiste, ce qui le conduit à des attitudes de bravache pour se donner une image d’homme fort imperméable aux pressions extérieures. Je pense que c’est ce besoin de se distinguer qui l’a conduit à être « seul contre tous » en affirmant qu’il ne fallait pas humilier Poutine, et le conduit à être « seul contre tous » en assumant au contraire une position extrême avec son discours sur l’envoi des troupes.
@ Descartes
[“« Si on veut faire un peu de psychologie de comptoir, on peut se demander si cette tentative de construire une image « viriliste » ne révèle chez macron une insécurité, une peur de ne pas être assez « viril ». » Une peur tout à fait justifiée…] [“Que Macron ne soit pas un modèle de virilité, c’est un fait. Mais pourquoi en avoir peur ? Personne ne lui demande de gagner un match de boxe contre Poutine ou d’emporter la première place au concours de Mr Univers.”]
Ni vous ni moi, certes. Mais son électorat ? N’attend-t-il pas de lui qu’il ne change rien, surtout, au fond des choses, et se contente de donner l’image superficielle d’un “homme d’action” ? Vous me direz qu’il n’y a rien là de féministe, mais Macron peut sans doute désormais se le permettre, ayant fait inscrire l’IVG dans la constitution…
[“Depuis son élection en 2017, Macron réagit à chaque difficulté par une surenchère d’autoritarisme souvent très théâtrale – souvenez-vous du « qu’ils viennent me chercher » dans l’affaire Benalla – comme s’il craignait que la moindre concession, le moindre recul, le conduisent à perdre le contrôle de la situation. C’est là une réaction caractéristique des chefs qui ont des doutes sur leur propre légitimité – et sur leur capacité à l’établir. Un De Gaulle, un Mitterrand, un Chirac même n’hésitaient pas à reculer lorsqu’ils percevaient que le rapport de forces leur était défavorable, et n’ont pas perdu leur autorité pour autant. Macron me semble terrifié à l’idée de devoir négocier…”]
Eh bien je trouve que tout cela s’accorde assez bien avec son côté “fayot compulsif”. Macron, en effet, n’est pas en lui-même un chef, il est essentiellement quelqu’un qui veut plaire au chef. Etant incapable, dès lors, de s’imposer naturellement, il éprouve toujours le besoin, à la moindre difficulté, de s’appuyer sur cette autorité extérieure, en quelque sorte, que serait celle que lui confère la constitution.
[“Macron est bien plus ambigu que cela. D’un côté, c’est un « conformiste conscient », qui se met toujours du côté du manche. Mais de l’autre côté, il aspire à apparaître comme un anticonformiste, ce qui le conduit à des attitudes de bravache pour se donner une image d’homme fort imperméable aux pressions extérieures. Je pense que c’est ce besoin de se distinguer qui l’a conduit à être « seul contre tous » en affirmant qu’il ne fallait pas humilier Poutine, et le conduit à être « seul contre tous » en assumant au contraire une position extrême avec son discours sur l’envoi des troupes.”]
Je ne suis pas sûr que sa première attitude ait été si “bravache”. Je note que face au tollé provoqué par ses déclarations dans certains milieux, il n’a pas insisté et est très vite revenu à des positions plus orthodoxes sur la nécessité de bouter les russes hors d’Ukraine, Crimée comprise, ce en quoi il faudrait alors m’expliquer en quoi ce ne serait pas les “humilier”. Quant à sa nouvelle “position extrême”, je pense comme vous, me semble-t-il, que ce n’est qu’une manière de se défausser de sa responsabilité dans la probable future défaite de l’Ukraine.
@ dsk
[« Que Macron ne soit pas un modèle de virilité, c’est un fait. Mais pourquoi en avoir peur ? Personne ne lui demande de gagner un match de boxe contre Poutine ou d’emporter la première place au concours de Mr Univers. » Ni vous ni moi, certes. Mais son électorat ?]
Je ne sais pas si l’électorat macronien est très « viriliste ». Il est quelquefois difficile de s’orienter dans le labyrinthe des représentations de nos classes dominantes. D’un côté, vous avez l’idéologie bobo-woke qui exalte le côté « féminin » et honnit tout ce qui peut sembler « masculiniste », au point de se battre pour le sexe des côtelettes. D’un autre, les bobos se précipitent dans les salles de gym pour faire de la boxe et pouvoir exhiber de beaux biscotos. Difficile de se retrouver là dedans.
Puisqu’on fait de la psychologie, j’ai presque envie de voir dans la photo de Macron un symptôme du retour du refoulé. Après des années de bourrage de crâne néoféministe et LGBTQI+, pendant lesquels chacun était invité à renier le masculin qui était en lui, le balancier commence à revenir… et on voit apparaître des figures qui revendiquent leur masculinité sans honte – Trump et Poutine sont des bons exemples.
On peut d’ailleurs citer un autre symptôme intéressant : la guerre d’Ukraine est une guerre d’hommes. L’armée ukrainienne ne mobilise pas les femmes, et seuls les hommes sont tenus par la loi de ne pas quitter le territoire et de se tenir à disposition pour une éventuelle mobilisation. Curieusement, ce fait n’a pas fait l’objet de commentaires dans nos médias, pas une seule féministe n’a suggéré qu’il y avait là un moyen pour les ukrainiens pour trouver les troupes qui leur manquent cruellement… Autrement dit, nos médias font la promotion du « modèle de société » ukrainien, qui en termes de « perspective de genre » se trouve être un modèle traditionnaliste où l’homme va dans les tranchées pendant que la femme soigne les enfants à l’arrière.
[N’attend-t-il pas de lui qu’il ne change rien, surtout, au fond des choses, et se contente de donner l’image superficielle d’un “homme d’action” ?]
Non, je ne crois pas. C’est peut-être le cas de la partie de son électorat la plus âgée – et encore – mais certainement pas du reste. L’électorat de Macron compte sur lui pour changer beaucoup de choses, et d’abord, pour finir le travail de liquidation de l’héritage du CNR que les socialistes ont mené – avec l’appui occasionnel de la droite – depuis quarante ans. Si Macron a finalement changé peu de choses, c’est moins parce que son électorat ne veut pas de changement que parce que son électorat est fragmenté, et que chaque chapelle veut un changement différent. A l’intérieur de son électorat, vous avez le conflit des jeunes avec les vieux, des métropolitains et les provinciaux, des rigoristes et des dépensiers. Et comme la stratégie de Macron repose sur le fait de dire « oui » à tout le monde, la paralysie est inévitable.
[Eh bien je trouve que tout cela s’accorde assez bien avec son côté “fayot compulsif”. Macron, en effet, n’est pas en lui-même un chef, il est essentiellement quelqu’un qui veut plaire au chef.]
Je ne crois pas qu’on puisse dire ça. Macron ne cherche pas à plaire, il cherche à séduire, à plier les autres à sa volonté. En ce sens, il est un vrai « chef ». Vous noterez que s’il a su se faire soutenir par beaucoup d’hommes de pouvoir – grands patrons, hommes d’influence, hommes politiques – il n’a envers eux aucune loyauté. Il n’a pas hésité au contraire à les trahir ou à les ignorer – pensez à celui qui lui a tout donné, François Hollande. Ce n’est pas le profil d’un « fayot ». Je pense qu’il faut penser ici à un autre mécanisme : Macron, à chaque pas de sa carrière politique, est arrivé par la séduction, et non par « ses vertus et ses talents ». Or, la séduction n’est pas, contrairement à la compétence, une source de légitimité dans une société qui reste, au moins intellectuellement, méritocratique. Le syndrome de l’imposteur n’est donc jamais très loin.
@ Descartes
[“On peut d’ailleurs citer un autre symptôme intéressant : la guerre d’Ukraine est une guerre d’hommes. L’armée ukrainienne ne mobilise pas les femmes, et seuls les hommes sont tenus par la loi de ne pas quitter le territoire et de se tenir à disposition pour une éventuelle mobilisation. Curieusement, ce fait n’a pas fait l’objet de commentaires dans nos médias, pas une seule féministe n’a suggéré qu’il y avait là un moyen pour les ukrainiens pour trouver les troupes qui leur manquent cruellement…”]
Sans aller jusque là, je n’ai pas non plus le souvenir d’une féministe ayant réclamé la parité chez les plombiers, maçons, éboueurs, garagistes etc. Il faut croire qu’il y a un moment où le réel s’impose à l’idéologie…
[“Autrement dit, nos médias font la promotion du « modèle de société » ukrainien, qui en termes de « perspective de genre » se trouve être un modèle traditionnaliste où l’homme va dans les tranchées pendant que la femme soigne les enfants à l’arrière.”]
Comme vous le disiez plus haut : “Il est quelquefois difficile de s’orienter dans le labyrinthe des représentations de nos classes dominantes”. Je note que l’extrême droite, d’ailleurs, qui fait office de grand croquemitaine chez nous, ne semble en rien déranger nos médias quand il s’agit de l’Ukraine…
[“N’attend-t-il pas de lui qu’il ne change rien, surtout, au fond des choses, et se contente de donner l’image superficielle d’un “homme d’action” ?] [” Non, je ne crois pas. C’est peut-être le cas de la partie de son électorat la plus âgée – et encore – mais certainement pas du reste. L’électorat de Macron compte sur lui pour changer beaucoup de choses, et d’abord, pour finir le travail de liquidation de l’héritage du CNR que les socialistes ont mené – avec l’appui occasionnel de la droite – depuis quarante ans. “]
Je n’en suis pas certain. Ce que vous décrivez là, me semble-t-il, correspondrait plutôt à un certain électorat de “Les Républicains”, celui de Fillon en 2017. Celui de Macron, ne l’oublions pas, est plutôt issu du centre et de la gauche. Il ne souhaite donc pas une confrontation directe et agressive avec le monde du travail. Simplement, périodiquement, il s’aperçoit à son corps défendant que tel ou tel avantage social doit absolument être supprimé, sous peine de rendre les déficits “intenables”.
[“Si Macron a finalement changé peu de choses, c’est moins parce que son électorat ne veut pas de changement que parce que son électorat est fragmenté, et que chaque chapelle veut un changement différent. A l’intérieur de son électorat, vous avez le conflit des jeunes avec les vieux, des métropolitains et les provinciaux, des rigoristes et des dépensiers. Et comme la stratégie de Macron repose sur le fait de dire « oui » à tout le monde, la paralysie est inévitable.”]
La stratégie, vous êtes sûr ? N’est-ce pas plutôt, tout simplement, sa faiblesse ? Un vrai chef, justement, c’est quelqu’un qui sait dire non, c’est bien connu.
[“Je ne crois pas qu’on puisse dire ça. Macron ne cherche pas à plaire, il cherche à séduire, à plier les autres à sa volonté. En ce sens, il est un vrai « chef ».”]
Il y a une nette différence, me semble-t-il, entre “séduire” et “plier les autres à sa volonté”, qui implique l’emploi d’une contrainte.
[“Vous noterez que s’il a su se faire soutenir par beaucoup d’hommes de pouvoir – grands patrons, hommes d’influence, hommes politiques – il n’a envers eux aucune loyauté. Il n’a pas hésité au contraire à les trahir ou à les ignorer – pensez à celui qui lui a tout donné, François Hollande. Ce n’est pas le profil d’un « fayot ».”]
Je ne vois pas très bien en quoi. Pour vous, un “fayot” serait nécessairement quelqu’un de loyal ?
@ dsk
[Sans aller jusque-là, je n’ai pas non plus le souvenir d’une féministe ayant réclamé la parité chez les plombiers, maçons, éboueurs, garagistes etc. Il faut croire qu’il y a un moment où le réel s’impose à l’idéologie…]
Le phénomène est plutôt l’inverse. Non seulement on trouve peu de femmes candidates pour les métiers manuels – y compris ceux qui demandent une haute qualification, comme c’est par exemple le cas de la soudure -, mais on en trouve de moins en moins d’hommes qui aspirent à ces métiers…
[« L’électorat de Macron compte sur lui pour changer beaucoup de choses, et d’abord, pour finir le travail de liquidation de l’héritage du CNR que les socialistes ont mené – avec l’appui occasionnel de la droite – depuis quarante ans. » Je n’en suis pas certain. Ce que vous décrivez là, me semble-t-il, correspondrait plutôt à un certain électorat de “Les Républicains”, celui de Fillon en 2017.]
Mais où est-il, aujourd’hui, cet électorat ? Si LR est en difficulté, c’est aussi parce que cet électorat a migré chez Macron. Macron a capté l’électorat « libéral-libertaire » à gauche comme à droite. D’une certaine manière 2017 a réglé le débat interne tant au PS comme à LR entre les « conservateurs », tenants du gaullisme ou du socialisme traditionnel, et les néolibéraux. Les uns sont restés, les autres sont partis chez Macron.
[Celui de Macron, ne l’oublions pas, est plutôt issu du centre et de la gauche. Il ne souhaite donc pas une confrontation directe et agressive avec le monde du travail.]
Je ne suis pas persuadé. Après tout, c’est une première ministre macroniste « issue de la gauche » qui fait passer la réforme des retraites, et un premier ministre macroniste « issu de la gauche » qui maintenant fait de la réforme de l’assurance chômage son cheval de bataille sociale. Je pense que les électeurs macronistes « issus de la gauche » ne sont pas finalement très différents de ces personnages…
[« Si Macron a finalement changé peu de choses, c’est moins parce que son électorat ne veut pas de changement que parce que son électorat est fragmenté, et que chaque chapelle veut un changement différent. A l’intérieur de son électorat, vous avez le conflit des jeunes avec les vieux, des métropolitains et les provinciaux, des rigoristes et des dépensiers. Et comme la stratégie de Macron repose sur le fait de dire « oui » à tout le monde, la paralysie est inévitable. » La stratégie, vous êtes sûr ? N’est-ce pas plutôt, tout simplement, sa faiblesse ? Un vrai chef, justement, c’est quelqu’un qui sait dire non, c’est bien connu.]
Macron sait parfaitement dire « non ». Et lorsqu’on touche un sujet sur lequel il a un véritable engagement – sa permanence au pouvoir, par exemple – il est d’une fermeté totale. Pensez à la loi sur les retraites, qu’il a fait voter au forceps alors qu’elle n’avait plus aucun rapport avec son idée originale – et pas bête du tout – d’un système à points. Renoncer à la logique de son projet ne lui posait aucun problème. Mais un renoncement qui aurait remis en cause son autorité, si.
C’est pourquoi il faut parler de stratégie dans le choix macronien de dire « oui » à tout le monde lorsque le désaccord porte sur les orientations politiques. Macron sait parfaitement dire « non », mais réserve son « non » au sujet qui lui tient vraiment à cœur : la conquête et la conservation du pouvoir.
[« Je ne crois pas qu’on puisse dire ça. Macron ne cherche pas à plaire, il cherche à séduire, à plier les autres à sa volonté. En ce sens, il est un vrai « chef ». » Il y a une nette différence, me semble-t-il, entre “séduire” et “plier les autres à sa volonté”, qui implique l’emploi d’une contrainte.]
Je ne suis pas d’accord. La séduction peut être un instrument pour « plier les autres à sa volonté ». Les exemples ne manquent pas dans l’histoire de grands personnages qui ont cédé à la flatterie… qui n’est que l’un des instruments de la séduction.
[« Vous noterez que s’il a su se faire soutenir par beaucoup d’hommes de pouvoir – grands patrons, hommes d’influence, hommes politiques – il n’a envers eux aucune loyauté. Il n’a pas hésité au contraire à les trahir ou à les ignorer – pensez à celui qui lui a tout donné, François Hollande. Ce n’est pas le profil d’un « fayot ». » Je ne vois pas très bien en quoi. Pour vous, un “fayot” serait nécessairement quelqu’un de loyal ?]
Le fayottage implique à mon sens une forme de loyauté. Le fayot n’est pas un simple flatteur…
@ Descartes
[“Le phénomène est plutôt l’inverse. Non seulement on trouve peu de femmes candidates pour les métiers manuels – y compris ceux qui demandent une haute qualification, comme c’est par exemple le cas de la soudure -, mais on en trouve de moins en moins d’hommes qui aspirent à ces métiers…”]
Normal. C’est le principe ” A salaire égal travail égal” en quelque sorte…
[“Ce que vous décrivez là, me semble-t-il, correspondrait plutôt à un certain électorat de “Les Républicains”, celui de Fillon en 2017.] [“Mais où est-il, aujourd’hui, cet électorat ? Si LR est en difficulté, c’est aussi parce que cet électorat a migré chez Macron.”]
Sans doute, mais une fois chez Macron, ils doivent alors composer avec ceux issus de la “gauche” et du “centre” à l’égard desquels ils sont tout de même minoritaires.
[“[Celui de Macron, ne l’oublions pas, est plutôt issu du centre et de la gauche. Il ne souhaite donc pas une confrontation directe et agressive avec le monde du travail.] [“Je ne suis pas persuadé. Après tout, c’est une première ministre macroniste « issue de la gauche » qui fait passer la réforme des retraites, et un premier ministre macroniste « issu de la gauche » qui maintenant fait de la réforme de l’assurance chômage son cheval de bataille sociale. Je pense que les électeurs macronistes « issus de la gauche » ne sont pas finalement très différents de ces personnages…”]
Certes. Je dirais qu’ils poursuivent le même but mais diffèrent sur la méthode. Les macronistes, tout comme les ex-socialistes, présentent généralement leurs “réformes” comme imposées par de subites contraintes extérieures. C’est en cela qu’ils peuvent être vus, formellement je vous l’accorde, comme essentiellement conservateurs.
[“Macron sait parfaitement dire « non ». Et lorsqu’on touche un sujet sur lequel il a un véritable engagement – sa permanence au pouvoir, par exemple – il est d’une fermeté totale. Pensez à la loi sur les retraites, qu’il a fait voter au forceps alors qu’elle n’avait plus aucun rapport avec son idée originale – et pas bête du tout – d’un système à points. Renoncer à la logique de son projet ne lui posait aucun problème. Mais un renoncement qui aurait remis en cause son autorité, si.”]
Macron sait parfaitement dire non à son opposition, certes, mais il n’en est pas le chef. Son “autorité”, quant à elle, n’est censée s’exercer que sur ses troupes. Or, à celles-ci, si je vous ai bien compris, il dit toujours oui.
[“Je ne suis pas d’accord. La séduction peut être un instrument pour « plier les autres à sa volonté ». Les exemples ne manquent pas dans l’histoire de grands personnages qui ont cédé à la flatterie… qui n’est que l’un des instruments de la séduction.”]
Je n’en suis pas convaincu. Je dirais que la flatterie consisterait plutôt à tendre à autrui un miroir dans lequel il se séduirait lui-même. Le flatteur se rend ainsi indispensable au flatté car il est humain de vouloir se sentir aimé et apprécié. Mais le flatteur en lui-même est transparent, il ne “séduit” pas.
[“Je ne vois pas très bien en quoi. Pour vous, un “fayot” serait nécessairement quelqu’un de loyal ?] [“Le fayottage implique à mon sens une forme de loyauté. Le fayot n’est pas un simple flatteur…”]
Une loyauté tant que le chef est chef. Mais lorsqu’il ne l’est plus, tel Hollande à la fin de son “règne” qui avait perdu toute “autorité” sur ses troupes ? On ne peut être un “fayot” qu’avec un chef, il me semble.
@ dsk
[« Mais où est-il, aujourd’hui, cet électorat ? Si LR est en difficulté, c’est aussi parce que cet électorat a migré chez Macron. » Sans doute, mais une fois chez Macron, ils doivent alors composer avec ceux issus de la “gauche” et du “centre” à l’égard desquels ils sont tout de même minoritaires.]
« Composition » toute relative. Il est vrai qu’entre la droite filloniste et la gauche rocardo-deloriste il y a des différences de vocabulaire. Mais les différences s’effacent en matière de politique économique et sociale. Entre Attal et Le Maire, on ne voit pas vraiment la différence.
[« Je ne suis pas persuadé. Après tout, c’est une première ministre macroniste « issue de la gauche » qui fait passer la réforme des retraites, et un premier ministre macroniste « issu de la gauche » qui maintenant fait de la réforme de l’assurance chômage son cheval de bataille sociale. Je pense que les électeurs macronistes « issus de la gauche » ne sont pas finalement très différents de ces personnages… » Certes. Je dirais qu’ils poursuivent le même but mais diffèrent sur la méthode. Les macronistes, tout comme les ex-socialistes, présentent généralement leurs “réformes” comme imposées par de subites contraintes extérieures.]
C’est ce que j’appelais « les différences de langage »…
[Macron sait parfaitement dire non à son opposition, certes, mais il n’en est pas le chef. Son “autorité”, quant à elle, n’est censée s’exercer que sur ses troupes. Or, à celles-ci, si je vous ai bien compris, il dit toujours oui.]
Vous m’avez mal compris. Macron dit « oui » à tout le monde lorsqu’il s’agit des politiques à mener, sujet qui ne l’intéresse que marginalement. Par contre, il sait très bien dire « non » à ses troupes quand c’est un sujet qui le touche, par exemple, son propre pouvoir. Quand ses troupes ont demandé la tête de tel ou tel ministre, il a su leur dire « non », au-delà du raisonnable.
@ Descartes
[Depuis quelques semaines, on peut détecter dans le discours médiatique (…) une note d’urgence qui contraste très fortement avec l’optimisme béat du printemps dernier]
ça saute aux yeux. En témoigne ce rapport de l’institut Montaigne relayé par Les Echos. On aurait jamais vu sortir un truc pareil ne serait-ce qu’il y a deux mois de cela.
https://www.lesechos.fr/monde/europe/quatre-scenarios-pour-la-fin-de-la-guerre-en-ukraine-2084000
(On note au passage que le scénario “gris-clair” est probablement le pire des 4, mais bon…)
[Après, il ne faut pas oublier que Macron est dans son for intérieur un acteur. Pour lui, les paroles ont une existence propre, détachée de la réalité matérielle. Je ne pense pas qu’il ait imaginé un instant que ses propos pourraient être suivis d’un quelconque effet sur le terrain. Ils sont surtout pensés en termes de récit, d’image]
Je ne sais pas. Je l’espère, mais il me fait quand même peur, parce que tout acteur qu’il soit, la mécanique de la guerre peut le dépasser. Ou pire, il peut finir par s’y croire. Il n’y a à ce sujet pas de meilleur exemple que Zelensky: Russes comme Américains étaient probablement convaincus avant le lancement des hostilités que l’acteur Zelensky prendrait ses cliques et ses claques aux premiers coups de feu. Preuve en sont d’une part les soldats russes descendant sur Kiev avec les uniformes de parade, et d’autre part les USA évacuant leurs troupes au sol avant l’invasion (rien de moins qu’un feu vert à la Russie) et proposant d’exfiltrer Zelensky dès le début des hostilités. Résultat, plusieurs centaines de milliers de morts, probablement pour rien. Rien de pire qu’un acteur qui commence à confondre la scène et le réel..
[Surtout dans un contexte électoral, ou le camp de la bienpensance joue sans vergogne à faire du RN « le parti de l’étranger » (sous entendu, de Poutine). C’est d’ailleurs drôle de voir les eurolâtres jouer sur la corde chauvine contre un parti qui incarne précisément une forme de nationalisme…]
Je ne crois pas que les eurolâtres jouent la corde du chauvinisme. Au contraire. Dans les discours de la majorité, ce qui revient c’est la menace contre les “valeurs occidentales” (comprendre anglo-saxonnes), contre l’idée d’une Europe libérale, contre le “droit des peuples à disposer d’eux-mêmes”. Autrement dit contre des valeurs qui sont l’antithèse de ce qui fait la France en tant que nation. Le drame, c’est que dans le bloc dominant, on est probablement convaincu de l’inverse, à savoir que la France doit être un pays libéral, protecteur des droits des minorités et engagé dans le “camp du bien” contre les forces du mal..
[Tout à fait. Mais derrière la sortie de Macron il y a une profonde rationalité. Simplement, c’est la rationalité du théâtre. Pour Macron, l’essentiel c’est le récit. Que ce récit ait ou non un rapport avec le réel est finalement secondaire. Souvenez-vous de la photo publiée le 20 mars par l’Elysée ou l’on voit Macron en boxeur, muscles apparents…]
Si je comprends bien, vous pensez que si demain la Russie perce en direction de Kiev ou d’Odessa, Macron regardera en l’air en se tournant les pouces ? Il y a un problème dans cette hypothèse, c’est que notre président, comme tout acteur qui se respecte, est profondément narcissique. Pensez-vous qu’il acceptera alors de perdre la face ? J’aimerais en être convaincu.
[Mais vous croyez vraiment que Macron a la moindre intention d’engager nos forces armées dans une telle aventure ? (…) Macron se met en scène comme le président de la fermeté, alors que ses comparses européens et américains sont une bande de couilles molles. Il y a deux ans, il jouait l’inverse : il était le président gaullien résistant la pression de tous ces va-t’en guerre. ]
Je voudrais quand même souligner que Macron, tout acteur qu’il soit, est conforté dans ses propos non-seulement par l’opinion dominante mais aussi par son chef d’Etat major. On a longtemps glosé dans les médias sur l’isolement de Poutine, qui ferait de lui un homme dangereux vivant dans une réalité parallèle, mais je crains qu’en terme de tour d’ivoire mentale associée à un phénomène de cour où ne subsistent que les macroniens purs et durs, notre président soit un specimen hors compétition.
[Qu’est ce qui a changé ? Que dans trois mois il y a une élection européenne, que son candidat traine lamentablement dans les sondages, et qu’il voit une possibilité de portraiturer le RN en « parti de Poutine ». Il ne faut pas à mon avis chercher plus loin. Toujours ce satané rasoir d’Occam…]
Ce qui a surtout changé, comme vous le dites, c’est qu’on est passé d’un contexte de contre-offensive Ukrainienne “la fleur au fusil” où on allait voir ce qu’on allait voir, avec l’Oncle Sam en soutient, et que ces débiles de Russes qui étaient trop cons pour mettre du carburant dans leurs tanks allaient retourner vite fait chez maman, contexte dans lequel on pouvait se permettre de jouer les bons seigneurs (vous vous rappelez, il fallait “ne pas humilier la Russie”, quelle condescendance !), à une situation de retraite foireuse, de doutes sur la motivation de la société civile Ukrainienne à vouloir se battre jusqu’au dernier, de blocage de fonds aux USA. Ce qui a changé c’est tout simplement que la Russie est en train de gagner la guerre sur le terrain, et surtout que les partis “populistes” dont les valeurs sont bien plus proches de la vision conservatrice Russe (réelle ou fantasmée) que de celle de leurs élites nationales mondialisées sont également sur le point de renverser la table: Trump aux USA évidemment, mais également chez nous. Ca vaut ce que ça vaut, mais selon un sondage commandé par LR, en cas de dissolution, le RN pourrait accrocher la majorité ABSOLUE à l’assemblée.
Quel est le regard des classes dominantes sur ce phénomène – je ne parle pas uniquement de Macron, qui le jour où il sera débarqué, repartira dans les sphères de la finance, mais de l’ensemble des cercles de pouvoir socio-libéraux – ? Là est la question fondamentale à laquelle je n’ai pas de réponse. A quel point l’accession de Trump puis LePen au pouvoir (au niveau national) serait, pour nos élites, un phénomène redoutable susceptible de pousser le bloc dominant à des mesures et manœuvres d’un autre niveau que l’habituelle propagande en forme de soupe tiède qui a fonctionné jusque-là ?
Peut-être qu’elle n’y accordent pas tant d’importance, auquel cas on peut se rassurer en se disant que la macronie ne fait que de la rhétorique électorale de bas-étage en assimilant les électeurs du RN à une cinquième colonne Russe en France. Mais je n’y mettrai pas ma main à couper. Malheureusement. Et je ne serais qu’à moitié surpris qu’il arrive malheur à Trump.
[C’est tentant d’y voir une telle généralisation. Il est clair que lorsque l’on regarde la ligne de fracture entre pro- et anti-russes, celle-ci recouvre assez bien le partage entre les « anywhere » et les « somewhere ». Mais s’agit-il là d’une simple coïncidence, ou faut-il voir une causalité ? Je pense surtout que le positionnement des uns et des autres illustre le rapport qu’on entretient avec l’imperium américain. Du côté de l’Ukraine, vous avez tous ceux qui sont persuadés qu’il n’y a pas de salut hors de la vassalisation aux Etats-Unis, du côté de la Russie ceux qui croient encore à la possibilité d’une politique nationale autonome.]
Il est délicat de raisonner en termes de rapport aux USA actuellement, dans le sens où il existe en amérique deux visions antagonistes de la société, qui ont pénétré le tissu social Français de manière égale, et sans se mélanger. Vous avez ainsi d’un côté la culture élitiste tendance bio-woke-libérale métropolitaine, et de l’autre la culture “redneck” périphérique tendance burger-country-bowling. En d’autre termes, la culture des somewhere est largement autant imprégnée d’américanisme que celle des anywhere, bien que de manière très différente. Leur rapport avec l”imperium américain” serait très différent selon que les USA seraient dirigés par un Trump ou un Biden.
Au-delà de cette constatation, on repère des constantes parmis les “somewhere” du monde entier: ils sont pour la préservation d’un schéma familial traditionnel, ils restent, parallèlement à l’adoption plus ou moins superficielle de coutumes américaines, “enracinés” à leur terroir, il occupent des emplois plutôt peu qualifiés et pénibles, leur qualité de vie dépends de la qualité des services publiques accessibles. Pour cette catégorie sociale, l’image de la Russie reste celle d’un pays productif (a priori confirmé par la conversion efficace de l’économie Russe en économie de guerre), attaché à ses racines, porteur des vertus d’effort et d’abnégation. Je ne pense pas que ce tropisme “russo-bienveillant” des somewhere soit une coïncidence. D’ailleurs, aux USA aussi l’opinion sur la guerre d’Ukraine recoupe également à la perfection le clivage anywhere/somewhere.
[Il est clair que la logique néolibérale se trouve aujourd’hui en recul. On le voit dans le dépérissement de l’OMC, dont les structures sont paralysées. On le voit au niveau de l’UE, avec des pays qui ont tendance de plus en plus à prendre des mesures illégales vis-à-vis du droit européen (comme les mesures protectionnistes prises par la Pologne ou la Slovaquie) sans que la Commission réagisse. On le voit au niveau des Etats-Unis, que ce soit avec la politique de relance unilatérale de Biden ou le discours clairement protectionniste de Trump. Une victoire de la Russie qui mettrait en échec une tentative d’extension vers l’Est du système UE/OTAN apporterait effectivement un message fort, tout comme une victoire de Trump qui n’a jamais caché les limites de son engagement dans l’OTAN.]
Je pense que ce n’est que le début d’une révolution qui est peut-être plus profonde encore que la remise en cause du néolibéralisme. Je suis en particulier très curieux de suivre le développement de l’IA dans les prochaines années, non pas en raison de fantasmes techno-apocalyptiques mais parce que son avènement pourrait bien enfoncer un coin entre la bourgeoisie et les classes intermédiaires. En effet, l’IA générative n’est rien de moins que l’équivalent de la robotisation dans l’industrie appliquée au tertiaire, voire même à certaines professions intellectuelles: regardez la grève des scénaristes à Hollywood..
[En mars 2022 certains pouvaient se laisser emporter par l’idée que si les chars russes entraient à Kiev aujourd’hui, ils seraient a Varsovie le lendemain et à Paris le surlendemain. Aujourd’hui, le discours sur la « menace existentielle » ne suscite guère que de l’indifférence. Et on le voit bien : alors qu’on a fait donner l’artillerie lourde sur le mode « le RN est le parti de Poutine », les indicateurs électoraux ne bougent pas – ou plutôt, ils bougent dans le mauvais sens.]
Encore une fois je pense que personne de sensé n’a jamais craint que les Russes arrivent à Paris, mais en revanche, je crois que parmi les classes dominantes, nombreux sont ceux qui considèrent les élus RN comme une menace tout à fait équivalente en termes de danger et de nature à celle des chars Russes. Je ne veux pas dire par là que nos élites craignent réellement que le RN inféoderait la France à la Russie, mais son succès marquerait une bascule idéologique en faveur du conservatisme, aujourd’hui grimé en Grande Méchante Russie, hier et demain en Grand Méchant Trump.
Quand au fait que malgré le tir au canon sur le RN l’opinion ne bouge pas d’un pouce, n’est-ce pas justement ce point qui risque d’amener nos dirigeants à paniquer et radicaliser encore leur position ? Après tout, ce ne serait pas la première fois qu’un pays entre en guerre pour préserver le pouvoir de sa classe dominante à l’échelle nationale..
[Pour le dire autrement, je pense que le problème des élites politiques aujourd’hui se résume en une simple phrase : « comment sortir de ce merdier sans perdre la face ».]
Peut-être. Mais mon point étant que la menace supposée extérieure de la Russie est en réalité le faux-nez dont le bloc dominant affuble une menace intérieure bien réelle pour ses intérêts m’invite à la prudence: “sortir du merdier sans perdre la face” ne règlera aucun problème d’équilibre politique national. Si les élections présidentielles étaient dans un an, je serais tranquille, nos dirigeants pourraient se contenter de faire trainer jusqu’à la fin de mandat avant de refiler le bébé au suivant. Mais c’est encore loin, ce qui sous-entends des initiatives à prendre..
[L’objectif n’est plus la victoire totale, mais de permettre à l’Ukraine de « négocier dans les meilleures conditions (la paix et le retour à sa souveraineté pleine et entière et à son intégrité territoriale)». On vise donc une négociation, ce qui suppose des concessions mutuelles. On est redevenu réaliste…]
Certes. Encore faudrait-il que l’Ukraine soit en position de négocier..
Une des questions derrière tout ça est de savoir de qui Zelensky est l’otage. De son peuple ? j’aimerais le croire. De la portion la plus nationaliste de son peuple ? En partie, certainement. D’une puissance étrangère ? Ce n’est pas exclu. La fin en eau de boudin des négociations d’Istanbul laisse quand même perplexe à ce sujet..
@ P2E
[« Depuis quelques semaines, on peut détecter dans le discours médiatique (…) une note d’urgence qui contraste très fortement avec l’optimisme béat du printemps dernier » ça saute aux yeux. En témoigne ce rapport de l’institut Montaigne relayé par Les Echos. On n’aurait jamais vu sortir un truc pareil ne serait-ce qu’il y a deux mois de cela. (…)]
Effectivement. Il y a quelques semaines, on aurait parlé de défaitisme. La solution « grise » paraît d’ailleurs être là pour ne pas désespérer Billancourt…
[Je ne sais pas. Je l’espère, mais il me fait quand même peur, parce que tout acteur qu’il soit, la mécanique de la guerre peut le dépasser. Ou pire, il peut finir par s’y croire.]
Je n’essayais pas de vous rassurer. Avoir un président qui vit la réalité comme une ficiton de théâtre, c’est sans doute extrêmement dangereux, même si c’est moins dangereux qu’avoir un président fou au point de vouloir REELLEMENT envoyer des troupes françaises en Ukraine. Ce qui est un peu rassurant quand même, c’est la réaction de l’ensemble des européens et des américains : personne n’a pris au sérieux une telle hypothèse.
[Je ne crois pas que les eurolâtres jouent la corde du chauvinisme. Au contraire. Dans les discours de la majorité, ce qui revient c’est la menace contre les “valeurs occidentales” (comprendre anglo-saxonnes), contre l’idée d’une Europe libérale, contre le “droit des peuples à disposer d’eux-mêmes”.]
Mais justement, le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » était il n’y a pas si longtemps dénoncé comme « chauvin ». Souvenez-vous du « il ne peut y avoir de décision démocratique contraire aux traités européens ». Aujourd’hui les eurolâtres soutiennent le chauvinisme en Ukraine et le dénonce à Paris…
[« Tout à fait. Mais derrière la sortie de Macron il y a une profonde rationalité. Simplement, c’est la rationalité du théâtre. Pour Macron, l’essentiel c’est le récit. Que ce récit ait ou non un rapport avec le réel est finalement secondaire. Souvenez-vous de la photo publiée le 20 mars par l’Elysée ou l’on voit Macron en boxeur, muscles apparents… » Si je comprends bien, vous pensez que si demain la Russie perce en direction de Kiev ou d’Odessa, Macron regardera en l’air en se tournant les pouces ?]
Non, je pense qu’il prendra au contraire le micro pour expliquer urbi et orbi que « si seulement on avait fait ce que j’avais dit, on n’en serait pas là ». Autrement dit, la proposition d’envoyer des troupes au sol est une forme d’assurance-vie gratuite. Il sait bien que cela ne changera rien dans les faits. Si la guerre tourne bien, alors personne ne s’en souviendra ; si cela tourne mal, il pourra toujours attribuer le désastre au refus des autres de reprendre sa bonne idée.
[Il y a un problème dans cette hypothèse, c’est que notre président, comme tout acteur qui se respecte, est profondément narcissique. Pensez-vous qu’il acceptera alors de perdre la face ? J’aimerais en être convaincu.]
Mais c’est justement la beauté de l’affaire : vous ne perdez jamais la face en proposant une solution extrême dont vous savez qu’elle ne sera pas retenue. Cela vous dispense de prendre toute responsabilité, puisque vous pourrez toujours dire « si seulement on m’avait écouté… ». Je suis sûr que si vous réfléchissez un peu, vous trouverez dans votre milieu professionnel pas mal d’exemples de ce type de comportement…
[Quel est le regard des classes dominantes sur ce phénomène – je ne parle pas uniquement de Macron, qui le jour où il sera débarqué, repartira dans les sphères de la finance, mais de l’ensemble des cercles de pouvoir socio-libéraux – ? Là est la question fondamentale à laquelle je n’ai pas de réponse. A quel point l’accession de Trump puis Le Pen au pouvoir (au niveau national) serait, pour nos élites, un phénomène redoutable susceptible de pousser le bloc dominant à des mesures et manœuvres d’un autre niveau que l’habituelle propagande en forme de soupe tiède qui a fonctionné jusque-là ?]
Excellentes questions, pour lesquelles je n’ai pas véritablement de réponse. Nous vivons le temps des révolutions, comme disait l’autre…
[Il est délicat de raisonner en termes de rapport aux USA actuellement, dans le sens où il existe en Amérique deux visions antagonistes de la société, qui ont pénétré le tissu social Français de manière égale, et sans se mélanger.]
Je pensais aux « rapports aux USA » au sens de ceux qui pensent qu’il faut au monde un gendarme et qu’on a intérêt à être de son côté, quitte à sacrifier notre indépendance. Ensuite, le fait de savoir quelle est la politique de ce gendarme, c’est une autre affaire. On a des americanolâtres plutôt bio-woke-libéraux et des americanolâtres plutôt néocon-militaire. La culture « redneck » pose plus de problème parce que les « rednecks » tendent à être isolationnistes, et refusent donc de jouer le rôle de gendarme du monde que les américanolâtres leur demandent de jouer.
[Leur rapport avec l”imperium américain” serait très différent selon que les USA seraient dirigés par un Trump ou un Biden.]
Oui, surtout parce qu’avec Trump, il n’y aurait plus d’impérium…
[Je pense que ce n’est que le début d’une révolution qui est peut-être plus profonde encore que la remise en cause du néolibéralisme. Je suis en particulier très curieux de suivre le développement de l’IA dans les prochaines années, non pas en raison de fantasmes techno-apocalyptiques mais parce que son avènement pourrait bien enfoncer un coin entre la bourgeoisie et les classes intermédiaires. En effet, l’IA générative n’est rien de moins que l’équivalent de la robotisation dans l’industrie appliquée au tertiaire, voire même à certaines professions intellectuelles : regardez la grève des scénaristes à Hollywood…]
Je partage. Je ne pense pas qu’on verra dans les prochaines années une machine capable de pensée créative. Mais les métiers qui consiste à retrouver les choses déjà pensées risquent de subir une cure d’amaigrissement sévère. Et cela inclut beaucoup de métiers des « cols blancs »…
[Encore une fois je pense que personne de sensé n’a jamais craint que les Russes arrivent à Paris, mais en revanche, je crois que parmi les classes dominantes, nombreux sont ceux qui considèrent les élus RN comme une menace tout à fait équivalente en termes de danger et de nature à celle des chars Russes. Je ne veux pas dire par là que nos élites craignent réellement que le RN inféoderait la France à la Russie, mais son succès marquerait une bascule idéologique en faveur du conservatisme, aujourd’hui grimé en Grande Méchante Russie, hier et demain en Grand Méchant Trump.]
En effet… pour la vision néolibérale, les conservateurs souverainistes sont presque plus dangereux que les chars russes… je n’avais pas vu le problème sous cet angle, mais effectivement cela pourrait expliquer certaines réactions.
[Peut-être. Mais mon point étant que la menace supposée extérieure de la Russie est en réalité le faux-nez dont le bloc dominant affuble une menace intérieure bien réelle pour ses intérêts m’invite à la prudence: “sortir du merdier sans perdre la face” ne règlera aucun problème d’équilibre politique national.]
Certes, mais perdre la face pourrait compromettre très sérieusement la situation.
[Certes. Encore faudrait-il que l’Ukraine soit en position de négocier…]
C’est le dilemme dans toutes les guerres : les deux adversaires n’acceptent de négocier que lorsqu’ils sont en position de force. Et comme à chaque instant il n’y en a qu’un qui soit dans cette situation, la négociation est impossible.
[Une des questions derrière tout ça est de savoir de qui Zelensky est l’otage. De son peuple ? j’aimerais le croire. De la portion la plus nationaliste de son peuple ? En partie, certainement. D’une puissance étrangère ? Ce n’est pas exclu. La fin en eau de boudin des négociations d’Istanbul laisse quand même perplexe à ce sujet…]
On connaît finalement assez mal la politique intérieure ukrainienne et les différentes forces en présence. Difficile donc de savoir quels sont les jeux de pouvoir à l’intérieur du pouvoir ukrainien et de ses coulisses. On a vu Zelenski renvoyer un commandant en chef particulièrement capable et respecté, mais dont la popularité devenait un danger. Il ne faut pas par ailleurs oublier que Zelenski est un acteur, sans formation politique, administrative, économique ou militaire. On peut donc en déduire qu’il s’appuie sur des conseillers. Qui sont ces conseillers ? On ne le sait pas. Par exemple, qui a conseillé les choix tactiques de la « contre-offensive » ? Les militaires ukrainiens ? Les stratèges de l’OTAN ?
@ P2R dit : @Descartes et aux autres lecteurs
puisque vous demandez l’avis des lecteurs de ce blog …
je fais partie de ceux qui se sentent solidaires des Ukrainiens, et qui sont profondément hostiles à la politique de Poutine et à la réalité de son régime.
la posture de Macron, que je juge théâtrale et contre productive, me paraît destinée, en vue des Européennes, à un électorat de sensibilité similaire à la mienne. Je ne sais si cela marchera.
J’attends de voir, mais le plus probable est que je m’abstienne, sauf s’il surgit une liste qui amalgame les thèmes de Zemmour et de Glucksmann, genre les socio-démocrates du Danemark.
vous écrivez : « une victoire de la Russie en Ukraine représente-t-elle un risque existentiel pour le bloc dominant ? »
Certes non, mais dans ce cas, il est fort probable que la Russie poursuive son avancée en Moldavie, et peut-être dans les pays baltes. Il faut voir que les armées occidentales seraient incapables de tenir plus de 15j de combats faute de munitions. Tout ce qu’on raconte sur l’OTAN invincible n’est que du bourrage de crâne.
Mais là encore, cela ne mettra pas en cause le bloc dominant … il renouera avec la Russie dominante, et fera ses affaires.
@ marc.malesherbes
[J’attends de voir, mais le plus probable est que je m’abstienne, sauf s’il surgit une liste qui amalgame les thèmes de Zemmour et de Glucksmann, genre les socio-démocrates du Danemark.]
J’imagine mal Glucksmann défendre autre chose que le conformisme le plus plat avec les logiques eurolâtres. Il a tous les défauts des socialistes, et aucune de leurs qualités.
[Certes non, mais dans ce cas, il est fort probable que la Russie poursuive son avancée en Moldavie, et peut-être dans les pays baltes.]
« Fort probable » ? Comment faites-vous pour évaluer cette « probabilité » ? Il ne faut pas confondre réalité et fantasme. L’expérience ne va pas dans ce sens. Lorsque ses voisins ont proclamé leur neutralité, l’URSS l’a strictement respectée : ce fut le cas en Suède, ce fut le cas en Finlande, ce fut le cas en Autriche. Ses victoires militaires ne l’ont pas encouragé à aller plus loin : lorsque la Russie est intervenue en Tchecoslovaquie en 1968 ou en Hongrie en 1956, la passivité de l’Occident n’a pas conduit l’URSS a attaquer l’Autriche ou l’Allemagne.
[Il faut voir que les armées occidentales seraient incapables de tenir plus de 15j de combats faute de munitions. Tout ce qu’on raconte sur l’OTAN invincible n’est que du bourrage de crâne.]
Tout ce qu’on raconte sur « les armées occidentales incapables de tenir plus de 15j », c’est aussi du bourrage de crane de la part du complexe militaro-industriel qui voit dans cette affaire une excellente opportunité d’augmentation des crédits et des commandes. Là encore, les précédents sont éclairants. Pendant toute la guerre froide les services occidentaux ont systématiquement surestimé – quelquefois jusqu’au ridicule – la puissance du Pacte de Varsovie. Pourquoi changer une stratégie qui marche ?
[Il y a d’ailleurs une phrase dans l’intervention de Macron que personne n’a soulevée, mais qui est à mon avis très révélatrice…]
Il y a une autre évolution dans le discours du Président que personne, à ma grande surprise, n’a relevé : pendant toute l’année 2023, il déclarait à qui voulait l’entendre qu’il fallait que “la Russie perde la guerre”.
Aujourd’hui, il proclame qu’il “ne faut pas que la Russie gagne la guerre”…
@ Carloman @ Descartes : j’ai bien aimé lire vos échanges ci-dessus. Puissent-ils vous avoir donné autant à réfléchir, voire à vous émouvoir, qu’à ceux qui les auront lus 🙂
Pour ma part, j’ai bien apprécié le désespoir (sic) de qui pense avoir renoncé au combat et rester “planqué dans la tranchée”, en même temps qu’il consacre du temps à monter au front dialogique des échanges, arguments et objections.
Intéressant aussi de voir échanger un marxiste et un zemmourien se retrouvant pour se saluer respectueusement sur une passerelle (d’identitaires) devenant pont (de souverainistes) et s’expliquer sur les notions de “terroirs et de territoire”, pendant que l’humanité (prédatrice, donc capitaliste, puisque nulle autre n’est dans ses gènes) court à sa fin.
Hommage aux combattants, même si quelque VAE VICTIS est sans doute ce qui nous reste de plus réaliste à partager.
@ Claustaire
[Intéressant aussi de voir échanger un marxiste et un zemmourien se retrouvant pour se saluer respectueusement]
Peut être parce que ce qui nous unit est bien plus fort que ce qui nous sépare. Je ne parle pas seulement de l’amour pour ce pays, qui est l’autre nom de la conscience que nous avons de tout ce qu’il nous a donné et de la dette que nous avons envers lui – et je ne pense pas trahir la pensée de Carloman en disant cela. Mais je parle aussi du goût pour l’échange, de la curiosité pour l’autre, l’intérêt pour l’histoire qui nous a fait.
Je vais vous dire un secret. J’aime les gens. Et pas seulement ceux qui partagent mes idées. J’aime écouter les gens, les observer, essayer de les comprendre. Il y en a des bons et des mauvais, des idiots et des intelligents, des gentils et des insupportables, mais dès lors qu’on arrive à établir une communication, on voit que derrière chacun il y a une histoire qui mélange le tragique et le comique. Toute ma vie j’ai aimé discuter avec les gens. Dans mes années militantes, j’adorais faire le porte-à-porte, discuter avec une mère de famille, puis avec un légionnaire facho, un ouvrier communiste, un enseignant socialiste, un chômeur dépolitisé, une publicitaire gauchiste… comme disait le poète, “toute la vie passe devant la vitre de la fenêtre. Et la mort passe aussi…” (“toda la vida pasa ante el cristal de mi ventana. Y la muerte, tambien pasa”). Et dans ces discussions, on trouve quelquefois des gens particulièrement intéressants, parce que même s’ils sont très différents de moi, leur vision du monde fait résonner chez moi quelque chose. Carloman est de ceux-là.
Cela fait maintenant plus de dix ans que nous échangeons. Ces échanges nous ont fait évoluer l’un et l’autre – il suffit de relire nos échanges anciens pour s’en apercevoir. Je pense que nous y avons gagné tous les deux. Et cela ne serait pas possible si, au lieu de maintenir une courtoisie dans nos échanges, nous avions appliqué le protocole habituel des réseaux sociaux: n’écouter que ceux qui nous ressemblent, et cracher sur le reste.
Je vais vous dire un autre secret, et au passage rendre hommage a Carloman: c’est grâce à nos échanges que j’ai réalisé pourquoi pendant si longtemps la bienpensance a expliqué que “on ne discute pas avec un facho, on le combat”. Pourtant, le fait que le discours anti FN soit porté par les mêmes qui portaient le discours anti-PCF aurait du nous mettre la puce à l’oreille. Je réalise maintenant que pour le bloc dominant le discours du FN était dangereux pour les mêmes raisons que le discours du PCF était dangereux. Parce qu’il dérangeait l’ordre magnifique du discours “libéral-libertaire”, et mettait sur la table les problèmes des couches populaires que les classes dominantes ne voulaient surtout pas voir. Ce n’est pas par hasard si le “beauf” de Cabu est un ouvrier, qui d’ailleurs pourrait être aussi bien communiste que frontiste. Ce n’est pas non plus un hasard si, chaque fois que le peuple a été consulté par référendum sur les européennes, on a trouvé le PCF et le FN dans le même camp… Pour comprendre cette mystification, il fallait discuter avec les “fachos”. Si on l’avait fait avant, peut-être que le PCF ne serait pas dans l’état où il est.
[pendant que l’humanité (prédatrice, donc capitaliste, puisque nulle autre n’est dans ses gènes) court à sa fin.]
J’ai une bien plus haute idée de ce qu’est l’humanité. Et j’ai confiance dans sa capacité de mettre sous contrôle ses instincts prédateurs. Déja le capitalisme fait de ce point de vue mieux que le féodalisme…
@ Claustaire et @ Descartes
Je me demande ce que vous entendez par « instincts prédateurs de l’humanité », pouvez-vous développer cela s’il vous plaît ?
@ Descartes
Pourquoi penses-tu que le capitalisme fait mieux que le féodalisme de ce point de vue ? La question ne me paraît pas du tout évidente, et je serais curieux de savoir ce que tu avais en tête en écrivant cela.
@ Erwan
[Pourquoi penses-tu que le capitalisme fait mieux que le féodalisme de ce point de vue ? La question ne me paraît pas du tout évidente, et je serais curieux de savoir ce que tu avais en tête en écrivant cela.]
Parce que le capitalisme repose sur une autolimitation des « instincts prédateurs » des classes dominantes beaucoup plus forte que celle des sociétés féodales. Quelque soit la brutalité et la violence des formes sous lesquelles s’exprime le rapport de force dans les sociétés capitalistes, on est à des années lumières de la brutalité et la violence des rapports dans ls sociétés féodales. Pensez aux péages seigneuriaux, imposés par celui qui étaient suffisamment puissants pour contrôler une route, un fleuve, un pont. Péages qui n’étaient la contrepartie d’aucun service, qui n’étaient que la manifestation brutale d’un rapport de forces. Vous ne trouverez pas d’équivalent dans une société capitaliste avancée.
@ Descartes,
[Et dans ces discussions, on trouve quelquefois des gens particulièrement intéressants, parce que même s’ils sont très différents de moi, leur vision du monde fait résonner chez moi quelque chose. Carloman est de ceux-là.]
Permettez-moi de vous dire que ce compliment – je le prends comme tel – me touche beaucoup.
@ Carloman
[Permettez-moi de vous dire que ce compliment – je le prends comme tel – me touche beaucoup.]
Je l’ai écrit sans flagornerie aucune. J’avais d’ailleurs eu l’occasion de vous dire auparavant combien nos échanges, malgré nos désaccords, m’ont ouvert les yeux sur un certain nombre de choses.Et je ne désespère pas de vous le dire un jour personnellement!
@ Claustaire,
Merci de votre retour.
Je voudrais simplement, non pas m’insurger contre, mais nuancer le qualificatif de “zemmourien” que vous m’attribuez. J’ai en effet voté pour Eric Zemmour, je l’ai beaucoup écouté, et j’avoue que cet homme a su faire vibrer en moi la fibre patriotique. Ses inquiétudes identitaires rejoignent les miennes, c’est évident. Je ne renie pas mon admiration pour cet homme, pour son courage, pour sa culture et son talent de débatteur. Je n’aime pas brûler ce que j’ai adoré.
Je crains néanmoins que Zemmour ait fait des choix regrettables, notamment en s’entourant de la frange la plus libérale (au sens économique du terme) du RN et des LR: les Peltier, Maréchal, Bay, Collard… Son colbertisme des débuts a laissé place au discours classique “pro-entrepreneurs” et anti-Etat. C’est à mon avis la limite du projet d’ “union des droites” qui se fait trop souvent autour du logiciel libéral.
Et accessoirement, je ne partage pas le discours zemmourien sur l’actualité israélo-palestinienne.
Alors nationaliste d’accord, identitaire, sans doute. Mais “zemmourien”, cela me paraît discutable.
[en même temps qu’il consacre du temps à monter au front dialogique des échanges, arguments et objections.]
Oui enfin, une contribution occasionnelle à un débat sur un blog, confortablement à l’abri d’un pseudo, ce n’est pas “mener un combat”, soyons honnête.
Désolé d’avoir dû avoir recours à des étiquettes pour évoquer certaines de vos adhésions ou positions. Nous savons bien que chacun de nous présente assez de facettes, réflexions, positions, sensibilités, etc. qui ne pourraient jamais se satisfaire d’UNE étiquette. Peut-être devrait-on d’ailleurs plutôt nous imaginer couverts de post-it les plus divers et parfois surcollés si l’on voulait pouvoir suivre l’évolution de nos réflexions et convictions.
Quant au désespoir (compréhensible, et, pour ma part, partagé) sur l’évolution de nos sociétés (et peut-être de notre espèce qui ne renonce pas à mettre en danger son propre biotope tout en sachant que sa manière de vivre, consommer et profiter le détruit), je voulais juste noter qu’il ne vous empêche pas de vous bouger, ne serait-ce que pour venir discuter ou objecter dans le genre d’échanges que vous permet ce blog ou le vôtre.
Désespérer à plusieurs donne parfois l’énergie de se bouger. De mon côté, j’ai renoncé à alimenter mon blog, faute d’avoir jamais eu trace de lecteurs ou commentaires. [ https://claustaire.home.blog/author/claustaire/ ]
Sur la question de l’humanité prédatrice (l’homme est un mammifère prédateur, dont la vision, comme celle de tous les prédateurs, est surtout sensible à ce qui bouge dans le champ de vision), il me faudrait un trop long développement pour avoir ici l’énergie à y consacrer.
Je voulais juste rappeler que son aptitude à la prédation, à l’aubaine, et à la spéculation n’a pas attendu le stade capitaliste de son évolution pour être à l’oeuvre, lui être le plus souvent profitable à moyen terme même si parfois à plus long terme cela peut lui être très nuisible.
@ claustaire
[Désespérer à plusieurs donne parfois l’énergie de se bouger. De mon côté, j’ai renoncé à alimenter mon blog, faute d’avoir jamais eu trace de lecteurs ou commentaires.]
Ne désespérez pas, par expérience je vous dis que cela prend quelque temps jusqu’à l’arrivée du premier commentaire. Et puis, il faut faire un peu de pub… c’est la première fois que vous citez votre blog ici, je pense !
[Sur la question de l’humanité prédatrice (l’homme est un mammifère prédateur, dont la vision, comme celle de tous les prédateurs, est surtout sensible à ce qui bouge dans le champ de vision), il me faudrait un trop long développement pour avoir ici l’énergie à y consacrer.]
Faire de l’homme moderne un « prédateur » me paraît une énorme simplification. Ce la fait bien longtemps que la « prédation » ne joue un rôle minime dans notre subsistance. Aujourd’hui, l’essentiel de ce que nous consommons vient de la culture, de l’élevage, de la manufacture. La chasse n’est plus qu’un passe-temps, et même pour les produits de la mer la pèche naturelle cède de plus en plus le pas à l’élevage. Si les éléphants ou les rhinocéros sont en voie d’extinction, ce n’est pas parce que nous en mangeons trop.
L’homme est d’abord et avant tout un PRODUCTEUR. Il ne serait jamais arrivé là où il est s’il s’était contenté – comme le font la plupart des animaux – d’utiliser les ressources naturellement à sa disposition. Si l’on s’était contentés de la chasse et la cueillette, on n’aurait jamais dégagé les surplus qui ont permis de bâtir des monuments, écrire des livres ou composer des concertos.
[Je voulais juste rappeler que son aptitude à la prédation, à l’aubaine, et à la spéculation n’a pas attendu le stade capitaliste de son évolution pour être à l’oeuvre, lui être le plus souvent profitable à moyen terme même si parfois à plus long terme cela peut lui être très nuisible.]
La tendance à réduire l’effort existe chez tous les prédateurs. N’importe quel lion vous le dira : a quoi bon se fatiguer à chasser, si on peut s’approprier la proie d’un lion plus faible que soi ? La chasse est la première activité qui puisse être assimilée à du travail. Le lion, pour manger, a besoin de dépenser de l’énergie à courir derrière sa proie, tandis que la gazelle se contente de brouter l’herbe là où elle pousse. Le lion doit « fabriquer » sa nourriture, la gazelle la trouve servie. On voit mal comment un ruminant aurait pu évoluer pour donner un être intelligent…
L’Homme est tout de même un prédateur, un sacré prédateur même, le summum de la prédation : il “prédate” sa propre espèce, parfois juste par perversion, par instinct destructeur ! A un point d’hystérie tel qu’il entrevoit même gaillardement, la possibilité de tout détruire, tout : j’en connais qui parlent de “leurs” missiles nucléaires avec délectation et extase, en bavant de plaisir, et en escomptant “détruire l’autre avant qu’il ne bouge un cil” ! hé hé… Ca me rappelle un roman de San Antonio, dans lequel Bérrurier mange, mange, mange, de plus en plus, mange tout ce qui est à sa portée, mange ce qui est encore plus loin, puis, n’ayant plus rien à manger, il se mangea lui-même ! 😀 PS : mais je suis d’accord, il est “producteur”. C’est en rapport avec sa capacité “divine” de créer. Il a un sacré cerveau, unique et d’une inimaginable complexité…
@ Sami
[L’Homme est tout de même un prédateur, un sacré prédateur même, le summum de la prédation : il “prédate” sa propre espèce, parfois juste par perversion, par instinct destructeur !]
Ah bon ? L’homme mange la chair humaine ?
Mal nommer les choses, c’est rajouter au malheur du monde. C’est quoi un « prédateur » pour vous ? Chez beaucoup d’animaux, le dominant – mâle ou femelle, selon les espèces – est le premier servi à l’heure de dévorer une proie ou de s’approprier l’herbe la plus goûteuse. Si le dominant est un mâle, il exerce une exclusivité sur les femelles du groupe. Est-ce là une « prédation », pour vous ? Dans ce cas, l’homme est loin d’être le seul qui « prédate » sa propre espèce…
Il faut revenir au sens des mots. La prédation est l’acte de capturer. Un « prédateur » est, au sens stricte du mot, un animal qui capture des proies pour les dévorer (et exclut donc les espèces qui charognards, par exemple, qui sont bien carnivores mais ne capturent pas leurs proies). Et donc, au sens stricte, au fur et à mesure que l’homme s’est éloigné de l’état de nature, il est de moins en moins un « prédateur ». Aujourd’hui, l’essentiel de ce que nous « dévorons » provient de l’agriculture et de l’élevage, et ce que nous « capturons » ne représente qu’une faible part.
Quant à cette idée que l’homme aurait un « instinct destructeur »… je me demande d’où elle peut bien venir. Un tel « instinct » est clairement contraire à la logique évolutionniste : en détruisant inutilement des ressources, une espèce réduit ses chances de survie et donc de propagation de ses gènes. Sauf à croire que nos « instincts » viennent de Dieu et non de l’évolution…
[A un point d’hystérie tel qu’il entrevoit même gaillardement, la possibilité de tout détruire, tout : j’en connais qui parlent de “leurs” missiles nucléaires avec délectation et extase, en bavant de plaisir, et en escomptant “détruire l’autre avant qu’il ne bouge un cil” ! hé hé…]
Je ne vois pas très bien le rapport avec la prédation. Je perçois par contre un écho du discours anti-humaniste, cette petite musique culpabilisante qui place chacun d’entre nous dans une sorte de culpabilité permanente. On doit s’excuser d’appartenir à une espèce aussi destructrice, comme on doit s’excuser d’être un mâle (tous des violeurs), d’être blanc (tous des racistes), et ainsi de suite. Pardonnez moi si je refuse de me frapper la poitrine en chœur.
Contrairement à ce que vous croyez, le monde animal n’est pas gouverné par la fraternité. Chez les loups, la meute défend son territoire et chasse les intrus. Chez les cerfs, on se bat – quelquefois à mort – pour le contrôle des femelles. La différence avec les hommes est que notre intelligence a donné à nos confrontations une capacité destructrice beaucoup plus importante… mais aussi qu’elle nous a donné les moyens d’établir des traités, des règles et des contraintes qui limitent sérieusement ces destructions.
[Ca me rappelle un roman de San Antonio, dans lequel Bérrurier mange, mange, mange, de plus en plus, mange tout ce qui est à sa portée, mange ce qui est encore plus loin, puis, n’ayant plus rien à manger, il se mangea lui-même !]
Les mythes de ce type sont très anciens. Ovide parle d’Érysichthon, fils du roi de Thessalie, qui pour avoir sciemment coupé un chêne sacré dédié à Déméter, est condamné par la déesse à une faim insatiable et qui finit par se dévorer lui-même. Ce mythe fait, selon certains spécialistes, partie des mythes agraires : la figure de Erysichton (dont le nom composé signifie « qui fend la terre ») est associée à celle du laboureur, dans une société ou le labourage était perçu comme une « violence faite à la terre », et où l’agriculture était encore fortement liée au défrichage. Comme vous voyez, les écolo-réactionnaires n’ont rien inventé : tout progrès humain a été diabolisé par des réactionnaires nostalgiques de l’état antérieur…
Je ne conteste pas, bien sûr, le sens exact et précis du mot « prédateur ». Mais nous savons bien que les mots vivent, voyagent, mutent, sans nécessairement produire du malheur. La polysémie s’en mêlant… Et de ce fait, aujourd’hui, le mot prédateur désigne aussi une entité destructrice, pour aller vite. Le fameux film, « Le Prédateur », en est un exemple populaire connu. Ce sens est très courant, on le croise partout.
Mais cela dit, l’homme est bel et bien un sacré prédateur (celui de notre ère disposant juste de moyens bien plus énormes que dans le passé). Il ne détruit certes plus pour remplir son estomac, mais il le fait pour nourrir voracement son hubris. On dira que c’est le sens figuré… Il détruit jusqu’à l’unique planète dont il dispose, pour nourrir sa faim de profits, de consumérisme, de productivisme fanatique.
L’homme ne se contente pas d’obéir à ses instincts (de reproduction, de conservation, de domination…), il les transcende jusqu’à créer, à l’insu de lui-même, un instinct destructeur (les exemples sont si nombreux). Et tant pis pour la transmission des gènes…
D’où vient cet instinct destructeur ? Peut-être un dévoiement de son instinct de domination. C’est que l’homme est plus ou moins sorti de la carapace de l’évolution : il connaît l’évolution, l’étudie, l’observe « de l’extérieur », et tente même de la contrôler ; par exemple, la fascination pour les technologies du trans humanisme et autres cyber neurologie. On en est aux balbutiement, mais je gage que ça va aller vite !
« Je perçois par contre un écho du discours anti-humaniste »…
Je pense en toute humilité que vous percevez faux, et que vous extrapolez inutilement vers des concepts « wokistes » qui me sont absolument étranger. Perso, je ne demande à personne de s’excuser, de quoi que ce soit (c’est un autre sujet, cela dit). Pour ma part, j’ai une vision de l’histoire (en toute modestie car je ne suis pas un expert) de type marxiste, et surtout pas sociétal. Donc, en ce qui me concerne, vous pouvez absolument NE PAS vous frapper la poitrine. No problema amigo…
Parler de l’instinct destructeur de l’homme, ne signifie absolument pas que l’homme ne soit QUE ça ! Il est aussi, comme vous le dites, producteur. Il est AUSSI créateur, de beauté, d’amour, de connaissances, de spiritualité, de fraternité, etc etc… Heureusement, d’ailleurs ! Une médaille et deux faces, qui s’équilibrent tant bien que mal. Parce que sinon, s’il n’avait que son côté « sombre », ça fait longtemps que nous aurions disparu de la galaxie en bonne et due forme.
@ Sami
[Je ne conteste pas, bien sûr, le sens exact et précis du mot « prédateur ». Mais nous savons bien que les mots vivent, voyagent, mutent, sans nécessairement produire du malheur.]
Oui, lorsqu’il s’agit de littérature, non, lorsqu’il s’agit d’un domaine du savoir. Le mot « parallèle » pour un mathématicien veut dire aujourd’hui la même chose que du temps d’Euclides. Quand vous faites de l’homme un « prédateur », s’agit-il de connaissance ou de littérature ? Si j’ai répondu à votre commentaire, c’est parce que je réagis à cette sorte de moraline antihumaniste genre « l’homme est un loup pour l’homme »…
[Mais cela dit, l’homme est bel et bien un sacré prédateur (celui de notre ère disposant juste de moyens bien plus énormes que dans le passé). Il ne détruit certes plus pour remplir son estomac, mais il le fait pour nourrir voracement son hubris.]
Peut-être… mais il construit voracement pour la même raison. Pensez aux beaux paysages de notre pays, qui sont pour la plupart le produit du travail humain, et je ne parle même pas des monuments et des œuvres d’art qui le parsèment. Je sais bien qu’aujourd’hui il est de bon ton de penser – jets de soupe à l’appui – que conserver le grand hamster d’Alsace est plus important que sauvegarder le musée du Louvre. Personnellement, je n’adhère pas à cette vision, je le répète, antihumaniste. D’ailleurs, vous noterez que les êtres humains sont les SEULS dans toute la création à s’intéresser au sort du grand hamster en question. Toutes les autres espèces – hamster compris – s’en foutent. Parce que nous sommes la seule espèce capable de PENSER cette disparition.
[On dira que c’est le sens figuré… Il détruit jusqu’à l’unique planète dont il dispose, pour nourrir sa faim de profits, de consumérisme, de productivisme fanatique.]
Avez-vous songé à une carrière ecclésiastique ?
[L’homme ne se contente pas d’obéir à ses instincts (de reproduction, de conservation, de domination…), il les transcende jusqu’à créer, à l’insu de lui-même, un instinct destructeur (les exemples sont si nombreux). Et tant pis pour la transmission des gènes…]
Doit-on le regretter ? Pensez-vous que ce serait mieux si l’homme obéissait simplement à ses instincts ? Vous voyez bien comment ce discours moralisant arrive rapidement à une conclusion qui ne peut être qu’anti-humaniste. D’ailleurs, cela veut dire quoi « créer un instinct » ? Un instinct, c’est un comportement inscrit qui se transmet génétiquement. Il ne peut donc être que la conséquence de la sélection naturelle. Comment expliquez-vous qu’un comportement puisse être sélectionné alors qu’il est contraire à la « transmission des gènes » ?
[D’où vient cet instinct destructeur ? Peut-être un dévoiement de son instinct de domination. C’est que l’homme est plus ou moins sorti de la carapace de l’évolution : il connaît l’évolution, l’étudie, l’observe « de l’extérieur », et tente même de la contrôler ;]
Là encore, vous décrivez en termes apocalyptiques ce qui n’est que le processus d’hominisation. Vous semblez donc regretter le temps ou nous n’étions pas « sortis de la carapace de l’évolution ». Parce que ne nous trompons pas : c’est bien la volonté de dominer le monde plutôt que d’être dominé par lui qui est le moteur fondamental du l’évolution de l’humanité. Un homme qui ne tenterait pas de contrôler le monde qui l’entoure serait resté à se gratter le cul sur la branche d’un arbre. Mais contrairement à ce que vous pensez, cet « instinct de domination » est bien favorable à la transmission de nos gènes. Sans lui, nous serions quelques milliers, et non quelques milliards.
[par exemple, la fascination pour les technologies du trans humanisme et autres cyber neurologie. On en est aux balbutiement, mais je gage que ça va aller vite !]
La fascination dont vous parlez n’a rien de nouveau. Pensez aux nombreux mythes antiques où un mortel reçoit de la main des dieux des pouvoirs extraordinaires, quelquefois même l’immortalité. Sans parler des histoires de magiciens capables de se téléporter, de se rendre invisibles, de changer leur forme. La seule différence, c’est que nous avons aujourd’hui les moyens de réaliser certaines de ces transformations. Et pourquoi pas ? Notre organisme est fait pour mourir vers quarante ans, une fois le cycle de la reproduction achevé. Grâce à des moyens artificiels, nous avons sinon la vie éternelle, au moins une vie nettement plus longue. Songeriez-vous à vous en plaindre ? Banniriez-vous les lunettes au motif que la nature nous a fait myopes ?
Maintenant, je vous pose la question. Pensez-vous que l’homme devrait se soumettre aux desseins des dieux (que vous l’appeliez Yahvé ou Nature, cela ne change rien) ? Que l’homme devrait rester sagement à sa place, manger ce que les dieux ont décidé qu’il mange, vivre le nombre d’années que les dieux ont décidé qu’il vive, n’utiliser que les outils que les dieux lui ont donné, et ainsi de suite ? Si vous répondez « oui », alors mon commentaire sur l’anti-humanisme tient. Si vous répondez « non », vous ne pouvez décemment pas maudire l’homme pour vouloir contrôler son environnement.
[Je pense en toute humilité que vous percevez faux, et que vous extrapolez inutilement vers des concepts « wokistes » qui me sont absolument étranger. Perso, je ne demande à personne de s’excuser, de quoi que ce soit (c’est un autre sujet, cela dit). Pour ma part, j’ai une vision de l’histoire (en toute modestie car je ne suis pas un expert) de type marxiste, et surtout pas sociétal.]
Pourtant, le discours que vous tenez plus haut est profondément anti-matérialiste. Je doute que le cher Karl souscrirait à l’idée que le moteur de l’évolution humaine soit son « hubris » et non de son intérêt. Le matérialisme marxiste admet le principe fondamental de la théorie de l’évolution, qui veut que si une espèce prospère c’est parce qu’elle est bien adaptée à son environnement. Je ne sais pas si vous avez une vision de l’histoire marxiste, mais votre discours n’a rien de matérialiste : c’est le discours moralisant qui nous vient de l’antiquité : celui qui condamne Prometée pour avoir donné aux hommes les moyens de défier les dieux.
[Il est aussi, comme vous le dites, producteur.]
Je n’ai pas dit qu’il était « aussi » producteur, j’ai dit qu’il était ESSENTIELLEMENT producteur. Parce que c’est cette capacité à produire qui a sorti l’homme de sa condition animale et en a fait une espèce à part. Aucune civilisation ne s’est bâtie sur la chasse et la cueillette. Il a fallu le passage à l’agriculture et l’élevage pour dégager un surplus suffisant pour permettre au processus d’accumulation de démarrer.
“Prenez par exemple la question des langues régionales. La République a interdit leur usage à l’école, quitte à utiliser des méthodes coercitives. Mais elle n’a jamais interdit son usage au café ou à la maison. Et pourtant, en une génération les « patois » ont pratiquement cessé d’être utilisés dans la sociabilité courante.”
S’il est possible à un soi-disant grand admirateur de Pinochet d’intervenir dans votre discussion d’experts. et de sachants. Vous vous trompez complètement, Mona Ozouf, spécialiste de l’histoire de l’école, écrit dans son ouvrage “Composition française” qu’après avoir étudié des milliers de textes, elle n’en a trouvé aucun qui mentionne explicitement l’interdiction des parlers locaux. D’ailleurs son père, Yann Sohier, instituteur militant de la langue bretonne qui enseignait le breton fut inspecté et ne fut pas sanctionné. Pourquoi ? Parce que tout simplement, il suivait le programme en mathématiques comme en français et que ses élèves étaient au niveau. En fait il eut plus de réactions hostiles de la part des parents de ses élèves que de son administration : ils ne comprenaient pas pourquoi il perdait son temps à leur apprendre une langue que leurs enfants connaissaient déjà, pour eux, on allait à l’école pour apprendre le français, langue de prestige. Quand vous dites d’autre part que les langues régionales ont été marginalisées en une génération, vous rêves. C’est surtout à partir de la Seconde Guerre mondiale que les langues régionales ont été sérieusement marginalisées avec l’introduction dans tous les foyers des médias de masse en français, radio puis télévision.
D’autre part vous qui décrivez une IIIe République en lutte constante contre les régionalismes, pouvez-vous me citer une seule grande crise menaçant le régime qui soit due à des revendications régionalistes ? Au contraire, la IIIe République, régime notabiliaire avec un Sénat représentant surtout les petites communes cédait assez facilement aux revendications locales, la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat ne fut pas appliquée en Algérie et les Alsaciens ont pu garder sans trop de problèmes leurs lois spécifiques sur le Concordat, la sécurité sociale, le droit de la chasse et même leur jour férié supplémentaire. Et pour enfoncer le clou, la seule ville qui fut privée pendant un siècle du droit d’élire son maire, ce n’est ni Marseille, ni Toulouse, ni Strasbourg ni Rennes mais bien Paris, preuve que le régime se méfiait bien plus de son centre que de ses périphéries.
[« Prenez par exemple la question des langues régionales. La République a interdit leur usage à l’école, quitte à utiliser des méthodes coercitives. Mais elle n’a jamais interdit son usage au café ou à la maison. Et pourtant, en une génération les « patois » ont pratiquement cessé d’être utilisés dans la sociabilité courante. » S’il est possible à un soi-disant grand admirateur de Pinochet d’intervenir dans votre discussion d’experts et de sachants.]
« Experts » ? « Sachants » ? Je n’ai pas une telle prétention. C’est tout au plus une discussion entre des gens qui s’intéressent à la question et ont un peu lu sur la question.
[Vous vous trompez complètement,]
Là, par contre, je reconnais le grand admirateur de Pinochet…
[Mona Ozouf, spécialiste de l’histoire de l’école, écrit dans son ouvrage “Composition française” qu’après avoir étudié des milliers de textes, elle n’en a trouvé aucun qui mentionne explicitement l’interdiction des parlers locaux.]
Elle n’a pas du consulter les bons textes, alors. Sans trop me fouler, j’ai trouvé une « loi sur l’enseignement en français » de 1851 dont l’article 30 dit : « il est strictement interdit de parler patois pendant les cours ou les pauses ». On trouve aussi l’article 14 du règlement intérieur type des écoles primaires de 1880 : « Le français sera seul en usage dans l’école ». A cela s’ajoutent des règlements locaux antérieurs. Ainsi par exemple, un règlement pris par le comité d’arrondissement de Cahors le 29 janvier 1835 prescrit dans son article 1er : « le dialecte patois est interdit dans les écoles primaires de l’arrondissement de Cahors ; les instituteurs ne l’emploieront jamais et veilleront sévèrement à ce que les élèves n’en fassent pas usage ». Et je pourrais continuer à empiler les citations.
[D’ailleurs son père, Yann Sohier, instituteur militant de la langue bretonne qui enseignait le breton fut inspecté et ne fut pas sanctionné.]
Il enseignait LE breton ou il enseignait EN breton ? Qu’il ait enseigné le breton dans ses heures libres, pourquoi pas, aucun règlement à ma connaissance ne l’interdisait. Mais l’enseignait-il à l’école et dans l’horaire scolaire ? Faisait-il ses cours en breton ? Je demande à voir. Mona Ouzouf ne peut d’ailleurs raconter cela que par oui-dire, puisque son père est mort quand elle avait quatre ans.
[Pourquoi ? Parce que tout simplement, il suivait le programme en mathématiques comme en français et que ses élèves étaient au niveau. En fait il eut plus de réactions hostiles de la part des parents de ses élèves que de son administration : ils ne comprenaient pas pourquoi il perdait son temps à leur apprendre une langue que leurs enfants connaissaient déjà, pour eux, on allait à l’école pour apprendre le français, langue de prestige.]
Pourtant, le fait est qu’en deux générations le breton a disparu comme langue véhiculaire. Il faut croire que ces enfants « qui savaient déjà » le breton n’ont pas transmis cette langue à leurs enfants, et ne l’ont pas parlée à la maison.
[Quand vous dites d’autre part que les langues régionales ont été marginalisées en une génération, vous rêves. C’est surtout à partir de la Seconde Guerre mondiale que les langues régionales ont été sérieusement marginalisées avec l’introduction dans tous les foyers des médias de masse en français, radio puis télévision.]
Je pense que c’est vous qui « rêvez ». Le français s’impose comme langue véhiculaire au tournant du XXème siècle, grâce à l’école, mais aussi aux brassages liés à la conscription et au premier exode rural. Déjà en 1914 dans l’armée les ordres sont donnés en Français, et les soldats d’origines diverses sont mélangés dans des unités commandées par des officiers qui ne parlent qu’en français.
[D’autre part vous qui décrivez une IIIe République en lutte constante contre les régionalismes, pouvez-vous me citer une seule grande crise menaçant le régime qui soit due à des revendications régionalistes ?]
Je ne vous décris pas une « IIIème République en lutte constante contre les régionalismes ». Je vous décris au contraire une IIIème République qui a si efficacement combattu les régionalismes qu’elle n’a finalement pas eu à faire face qu’à la résistance sourde de certaines élites régionales, laïques ou cléricales. En fait, quand la IIIème République arrive, les grandes batailles contre les régionalismes ont déjà eu lieu. Elles commencent avec la centralisation monarchique, puis avec la Révolution et l’Empire. L’œuvre de la IIIème République, ce fut la pacification par assimilation des vaincus…
[Au contraire, la IIIe République, régime notabiliaire avec un Sénat représentant surtout les petites communes cédait assez facilement aux revendications locales,]
Le sénat avait surtout un pouvoir d’obstruction, mais rares sont les grandes politiques publiques qui sont sorties de l’enceinte sénatoriale. C’est surtout à l’Assemblée, beaucoup plus « parisienne », que résidait le pouvoir. Et si le régime ne cherchait pas le conflit avec le niveau local, et était prêt à toutes sortes de concession symboliques, il n’a jamais renoncé à garder un contrôle absolu sur les décisions locales. Je vous rappelle qu’avant 1983, les préfets avaient un droit de véto sur l’ensemble des décisions des communes et des départements, alors que les régions n’étaient que des établissements publics de l’Etat.
[la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat ne fut pas appliquée en Algérie]
Vous exagérez. La loi de 1905 fait l’objet pour l’Algérie d’un décret d’application le 27 septembre 1907. Si la loi de séparation fut largement interprétée pour tenir compte des spécificités de la situation algérienne – et on voit mal comment il aurait pu en aller autrement, compte tenu des spécificités du droit applicable en Algérie, et notamment de la question du « statut personnel » – il est excessif de dire qu’elle « ne fut pas appliquée en Algérie ».
[et les Alsaciens ont pu garder sans trop de problèmes leurs lois spécifiques sur le Concordat, la sécurité sociale, le droit de la chasse et même leur jour férié supplémentaire.]
Au-delà de la volonté assimilatrice de la IIIème République, il faut tenir compte des réalités politiques. Les conditions traumatiques dans lesquelles l’Alsace-Moselle avait été arrachée puis reprise par la France n’invitaient pas à ajouter une uniformisation autoritaire qui aurait apparu aux habitants comme une punition supplémentaire. Mais on n’a guère cédé aux « revendications régionalistes » : si l’Alsace-Moselle a gardé le régime concordataire ou de sécurité sociale particulier, l’ensemble des institutions politiques ont été alignées avec celles du reste du pays, tout comme l’éducation. Et le régime social alsacien s’applique à tout citoyen français qui s’installe sur le territoire d’Alsace-Moselle, et pas seulement aux « alsaciens de souche ».