Hobbes 1 – Rousseau 0

Lorsque j’étais enfant vivait dans notre immeuble, dans un appartement du rez-de-chaussée un immigré républicain espagnol qui était ami de mes parents. Je l’appelait « oncle Ramon », et il me régalait de ses souvenirs de combattant de la guerre d’Espagne. Combien de fois j’ai entendu ce vieil anarchiste m’expliquer que tout le mal du monde venait des patrons, des généraux, des juges, des flics et des curés. « Tu comprends » – me disait-il – « s’il n’y avait pas tous ces corbeaux, les hommes seraient libres et construiraient un monde fraternel ». Une vision légèrement plus idéaliste que celle de mon père, qui professait avec un pessimisme très juif que « l’homme est peut-être naturellement bon, mais qu’il est encore meilleur quand on le surveille »

Pauvre oncle Ramon. S’il pouvait seulement lire les nouvelles de Bangui, il serait bien déçu. Voilà en effet un pays sans Etat, sans patrons pour exploiter le travail des autres, sans généraux pour vous commander, policiers pour vous arrêter, juges pour vous juger, curés pour vous faire la morale. Voilà un pays où chacun est libre de faire à peu près ce qu’ils veut, comme il veut et quand il veut, sans qu’il y ait autorité ou hiérarchie pour les en empêcher. Et pourtant le moins qu’on puisse dire, c’est que le monde fraternel qu’oncle Ramon entrevoyait ne semble guère se matérialiser.

La situation à Bangui (1) illustre à la perfection combien le rêve anarchiste – et d’une manière plus générale, les idéologies individualistes et anti-institutionnelles – est fondé sur une prémisse fausse, à savoir, que la fraternité, l’empathie, la générosité sont naturelles à l’homme et que ce sont les sociétés aux institutions organisées et hiérarchisées qui les brident et corrompent. Alors que c’est exactement l’inverse : « homo homini lupus » (« l’homme est un loup pour l’homme ») écrivait Plaute, et on ne peut dire que l’observation des sociétés humaines au cours d’une longue histoire lui ait beaucoup donné tort. Le « bon sauvage » de Jean-Jacques Rousseau ou de mon oncle Ramon n’est qu’une vision de philosophe. Dans la réalité, les sauvages – ou les ensauvagés – sont au contraire extrêmement méchants. Et c’est bien la société, à travers des institutions qui permettent d’internaliser des règles de vie commune, qui nous rend meilleurs.

Il y a quelque chose de magique et de mystérieux dans la civilisation. Qu’est ce qui fait qu’avec quelques dizaines de milliers de policiers, moins de un pour cent de la population, on arrive dans un pays comme la France à maintenir l’ordre et la loi ? Qu’est ce qui fait que seule une infime minorité de nos concitoyens résolvent leurs problèmes d’argent en tuant une petite vieille pour lui piquer ses économies ? Pourquoi l’immense majorité d’entre nous serait physiquement incapable de tuer un être humain, au point d’avoir un malaise du seul fait de voir le corps d’une personne gravement blessée ou défigurée (2) ? Cette répugnance devant un corps ensanglanté, ces interdits que seule une infime minorité est capable de remettre en cause, cela n’a rien de naturel. C’est le résultat d’un long, d’un très long conditionnement. C’est le résultat de l’action pendant des siècles de puissantes institutions : la famille, les églises, l’Etat qui ont édicté des interdits qui ont été d’abord familiaux, et qui se sont étendus progressivement jusqu’à devenir universels. Plus une civilisation est primitive, plus le nombre de gens qu’on peut tuer « légitimement » est grand. Plus une civilisation est avancée, plus les situations de violence légitime sont restreintes.

Mais pour que ce progrès s’accomplisse, il faut qu’a un moment de l’histoire les hommes soient prêts à restreindre leur liberté de faire ce qu’ils veulent – et donc de faire le pire – en délégant à une institution – qu’elle soit collective ou personnelle – le pouvoir de les contraindre. Aussi longtemps que chacun conserve la possibilité de tuer son voisin pour lui prendre son bien, pour régler un différend ou tout simplement pour satisfaire son bon plaisir, impossible de sortir du chaos. On est ainsi ramené au « Léviathan » de Hobbes, philosophe que malheureusement on ne lit pas assez en France.

Mais pourquoi les hommes délégueraient-ils leur pouvoir ? Par quelle magie renonceraient-ils à la liberté absolue de faire ce qu’ils veulent pour accepter le joug d’une institution. Eh bien, par intérêt nous dit Hobbes. Dans l’état de nature, nous dit-il, l’homme est peut-être libre, mais sa vie est « misérable, brutale et courte ». Dans une société hiérarchisée, elle est moins libre mais plus agréable, riche et longue. En cédant au Léviathan le droit « naturel » de nous gouverner nous-mêmes, nous mettons fin à « la guerre de tous contre tous ». Et on y gagne : même si le Léviathan n’est pas le meilleur gouvernant, même s’il n’est pas parfaitement juste ou clairvoyant, il vaut généralement mieux que le chaos. Et l’expérience là aussi donne raison à Hobbes : les sociétés ont toujours préféré le despotisme au chaos, et il faut qu’un despote soit vraiment très mauvais pour que cette balance s’inverse.

Ce que Bangui nous enseigne, c’est que le collier du chien vaut presque toujours mieux que la liberté du loup, n’en déplaise à La Fontaine. Et cela est d’autant plus vrai qu’on parle d’une culture politique moins avancée. C’est là le grand paradoxe des projets communautaires voulus par l’anarchisme : il ne peuvent marcher qu’avec des gens éduqués et conditionnés par une société fortement hiérarchisée et institutionnalisée. C’est une chose que d’être anarchiste dans une société riche et éduquée, où l’on les interdits fondamentaux sont si internalisés que les gens s’autolimiteront spontanément dans l’usage des libertés qu’on peut leur accorder. C’est une tout autre chose que de faire le raisonnement anarchiste dans une culture où ces mécanismes d’autolimitation sont faibles ou n’existent pas. Dans une telle société, le moindre relâchement de l’autorité centrale ouvre la porte au désordre général et à la « guerre de tous contre tous ». Prêchez l’évangile libertaire à Paris, et on vous écoutera avec une certaine sympathie. Prêchez-là aux habitants Bangui, et les gens se demanderont qui vous a laissé sortir de l’asile de fous.

La situation à Bangui justifie rétrospectivement l’intervention française au Mali. L’Etat malien était certes faible et/ou corrompu. Mais l’alternative, c’est le retour à l’état de nature. Aussi faible, aussi corrompu soit-il, l’Etat reste dans ces pays la seule digue contre le chaos généralisé. Le pire président, le pire dictateur est encore mieux que la situation ou chacun est libre de tuer son voisin. Et une fois que l’Etat est à terre, une fois que les institutions se sont effondrées, il est extrêmement difficile et coûteux de les remettre en place.

En un siècle on est passé d’un paternalisme colonial sans complexe à l’excès inverse, c'est-à-dire, à la croyance que des cultures très différentes de la notre pouvaient porter des institutions démocratiques importées de notre culture sans avoir fait l’expérience historique qui les soutient chez nous. En fait, nous sous-estimons largement la valeur de cette expérience. Il a fallu des siècles de pratique politique pour que l’Etat se sépare de la personne du Roi. Et encore des siècles pour que le Roi cesse d’être propriétaire du royaume avant de cesser d’être le monarque tout court et de devoir partager le pouvoir avec le peuple. Nos institutions politiques fonctionnent parce que nous avons non seulement accepté mais internalisé leurs règles. S’il fallait mettre un policier derrière chaque citoyen pour s’assurer qu’il ne tue pas son voisin ou lui prend sa propriété, ce serait intenable.

Il est illusoire de penser que des pays qui n’ont ni cette histoire, ni cette expérience, peuvent adopter nos institutions et les faire fonctionner de la même manière que nous. Même les africains « éclairés » comme Senghor, Houphouët-Boigny ou Bourguiba ont très vite compris qu’il fallait adapter les idées qu’ils avaient appris en France à leur contexte. Ils ont tous été des despotes. Des despotes éclairés, certes, mais despotiques quand même. Et il ne pouvait pas en aller autrement. Que s’est-il passé lorsque les puissances occidentales ont « plaqué » sur ces pays leur vision institutionnelle en exigeant des élections libres et tout le barda ? Ce fut la guerre civile. Dans nos « vieux » pays, celui qui perd une élection s’incline et salue le vainqueur. Il n’en est pas toujours allé ainsi, mais au bout de siècles d’expérience, de frondes et de révolutions, cela marche. Mais comment pourrait-on espérer qu’une démocratie « à l’occidentale » marche des pays ou le soir de l’élection et quelque soit le vainqueur, les perdants se réunissent pour contester l’élection et organiser le prochain coup d’Etat ?

Adlai Stevenson notait que « si le pouvoir corrompt, l’impuissance corrompt absolument ». Dans une société qui a une faible cohésion, si un gouvernement fort est un danger, un gouvernement faible est une catastrophe. On peut rire à Paris de la formule qui veut que « la sécurité est la première des libertés », mais pour un centrafricain cette formule semble indiscutable. Le dictateur qui réprime ceux qui le critiquent apparaît infiniment moins menaçant, vu de Bangui, que le gouvernement faible – ou inexistant – qui est incapable d’empêcher que votre voisin vous plante une machette dans le dos parce que votre tête ne lui revient pas. Lorsque les institutions politiques sont faibles, seules subsistent les solidarités « naturelles », celles de la famille ou du clan. Et ceux qui n’appartiennent pas à ces structures deviennent des proies.

On recherche despote. Âmes sensibles s’abstenir.

Descartes

(1) Et Bangui n’est qu’un exemple qui est loin d’être singulier. Il se passe des choses très comparables en Somalie, au Soudan du Sud, dans certaines régions d’Afghanistan, du Pakistan, du Congo…

(2) Il n’est pas inutile de signaler ici combien le défilé des images de corps ensanglantés, blessés ou mutilés dans nos étranges lucarnes aboutit à affaiblir cet interdit fondamental. Chaque soir un adolescent moyennement constituer peut contempler une bonne dizaine de cadavres dans diverses séries américaines.

Ce contenu a été publié dans Uncategorized. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

43 réponses à Hobbes 1 – Rousseau 0

  1. taz dit :

    Oui, mais bon, un dictateur type Hitler, Pol Pot, Mao, Kim ou Staline fait pas mal de dégâts en termes de dizaines de millions de morts.

    Entre le bordel complet artisanal et la dictature industrielle, il y a des modalités intermédiaires…

    • Descartes dit :

      @taz

      [Oui, mais bon, un dictateur type Hitler, Pol Pot, Mao, Kim ou Staline fait pas mal de dégâts en termes de dizaines de millions de morts.]

      Peut-être. Mais dites vous bien que tous ces dictateurs ne sont pas arrivés au pouvoir par hasard. Ils sont arrivés portés par une vague populaire dont l’une des motivations essentielles était bien la peur du chaos. Lorsque l’ordre public est assuré et que les gens ont une assurance raisonnable de ne pas se faire tuer dans la rue et avoir de quoi manger, il est rare que surgisse ce type de personnage…

  2. samuel dit :

    Votre article est dans l’ensemble très intéressant, mis à part les moments où vous faites dire par Rousseau le contraire de ce qu’il a vraiment dit. Rousseau dit que les hommes, quand ils vivent isolés les uns des autres, sont innocents (c’est à dire ni bons ni mauvais). Mais que dès lors qu’ils se réunissent en sociétés, ce qui se passe spontanément, avant que s’améliorent les institutions et l’éducation, est que plus ces sociétés sont grosses, plus elles sont dans l’état de guerre hobbésien. Rousseau s’imagine que l’homme est orinellement isolé, et alors innocent (avant de vivre en grosses sociétés), mais il est d’accord pour dire que la grosse société est originellement hobbésienne. Autre chose d’important, est qu’il est d’accord pour en conclure qu’il y a besoin d’institutions, d’Etat, d’éducation, etc… : c’est faire dire le contraire de ce qu’il a dit a Rousseau, que d’en faire une caution a l’anarchisme… Voir surtout : Discours sur l’origine de l’inégalité.

    • Descartes dit :

      @ samuel

      [Votre article est dans l’ensemble très intéressant, mis à part les moments où vous faites dire par Rousseau le contraire de ce qu’il a vraiment dit. Rousseau dit que les hommes, quand ils vivent isolés les uns des autres, sont innocents (c’est à dire ni bons ni mauvais). Mais que dès lors qu’ils se réunissent en sociétés, ce qui se passe spontanément, avant que s’améliorent les institutions et l’éducation, est que plus ces sociétés sont grosses, plus elles sont dans l’état de guerre hobbésien.]

      Mais c’est précisément le point sur lequel Hobbes et Rousseau différent : pour Hobbes, l’homme se « réunit en société » précisément pour mettre fin à la « guerre de tous contre tous ». Pour Rousseau, la société est la cause de la « guerre hobbesienne », alors que pour Hobbes elle en est le remède, puisque pour « faire société » l’homme doit déléguer son pouvoir de nuire à une autorité unique. Dans ce contexte, il ne faut pas s’étonner que pour Rousseau l’homme dans l’état de nature soit « heureux », alors que pour Hobbes il ne peut au contraire qu’être « malheureux ».

      [Autre chose d’important, est qu’il est d’accord pour en conclure qu’il y a besoin d’institutions, d’Etat, d’éducation, etc… : c’est faire dire le contraire de ce qu’il a dit a Rousseau, que d’en faire une caution a l’anarchisme… Voir surtout : Discours sur l’origine de l’inégalité.]

      C’est très ambigu chez Rousseau. S’il accepte l’idée qu’il faille des institutions dans une société, le fait de caractériser l’état de nature comme un état « heureux » ouvre la porte a bien des interprétations dangereuses. Il y a dans cette nostalgie d’un état originaire ou l’homme parfaitement libre et qui ne fait pas usage de raison un aimant puissant qui a attiré d’abord les romantiques, puis les « libertaires » et autres écologistes radicaux.

    • samuel dit :

      @ Descartes

      [Pour Rousseau, la société est la cause de la « guerre hobbesienne », alors que pour Hobbes elle en est le remède]

      Dans cette phrase, la confusion se situe dans le fait que "société" n’a pas le même sens au début et à la fin.
      Au début, quand Rousseau la voit comme source (de manière spontanée mais non inéluctable), de maux, "société" = le simple fait de vivre ensemble
      A la fin, quand Hobbes la voit comme solution, "société" = Etat.

      Pour Rousseau comme pour Hobbes :
      – la "société", au sens de simple fait de vivre ensemble, est spontanément dans l’état de guerre ; sans bonnes institutions, dans son état spontané, elle est la cause du mal ;
      – il n’est pas question de résoudre ce problème en empêchant aux hommes de vivre ensemble ; la vraie solution est la "société", cette fois au sens d’institutions.

      Vous avez donc peut-être raison, de parler d’une nostalgie de Rousseau pour un état de nature où les hommes vivraient, assez isolément, simplement, et bons et heureux.

      Mais à mon avis vous avez tort de l’opposer à Hobbes sur des points essentiels où, en vérité, il est en accord avec lui (et en opposition aux anarchistes).

    • Descartes dit :

      @samuel

      [Dans cette phrase, la confusion se situe dans le fait que "société" n’a pas le même sens au début et à la fin. Au début, quand Rousseau la voit comme source (de manière spontanée mais non inéluctable), de maux, "société" = le simple fait de vivre ensemble. A la fin, quand Hobbes la voit comme solution, "société" = Etat.]

      Je ne crois pas. Je pense au contraire que pour les deux « société » implique « le fait de vivre ensemble ». Seulement, pour Hobbes on ne peut « vivre ensemble » que si les gens acceptent de déléguer leur pouvoir de nuisance en une institution. Je crois que tu sous-estimes combien la vision de l’état de nature est différente chez Hobbes et chez Rousseau.

      [Vous avez donc peut-être raison, de parler d’une nostalgie de Rousseau pour un état de nature où les hommes vivraient, assez isolément, simplement, et bons et heureux.]

      Tout à fait

      [Mais à mon avis vous avez tort de l’opposer à Hobbes sur des points essentiels où, en vérité, il est en accord avec lui (et en opposition aux anarchistes).]

      Je n’ai pas dit le contraire. Je n’ai jamais dit que Rousseau fut anarchiste. Ce que j’ai dit, c’est que les anarchistes ont repris chez Rousseau un certain nombre d’idées qui se prêtent à des interprétations tendancieuses, et notamment son jusnaturalisme ou sa nostalgie pour un « état de nature » dont par ailleurs il admet lui-même qu’il n’a jamais existé.

    • samuel dit :

      @ Descartes.

      Il y a un assez court texte de Rousseau, que vous connaissez peut-être, dans lequel vous trouverez, à la fois :
      – ce que vous lui faites dire en ayant raison,
      – et peut-être aussi, si cela existe, le contraire de ce que vous lui faites dire en vous trompant.

      Je vous laisse juge de faire la part entre les deux.

      C’est un passage du Manuscrit de Genève (livre I, chap. 2, qu’on peut considérer comme une charnière entre le Discours sur l’inégalité (passage de l’état de nature à l’état de socialité sans bonnes institutions), et le Contrat social (passage de l’état de socialité sans bonnes institutions à un état de socialité heureuse, par de bonnes institutions)). L’intégralité du texte est là :
      fr.wikisource.org/wiki/Page:Rousseau_-_Du_contrat_social_éd._Dreyfus-Brisac.djvu/307

      Le plus intéressant pour nous, c’est le début du texte, et sa fin.

      Le début : « La force de l’homme est tellement proportionnée a ses besoins naturels et a son état primitif, que pour peu que cet état change et que ses besoins augmentent, l’assistance de ses semblables lui devient nécessaire, et, quand enfin ses désirs embrassent toute la nature, le concours de tout le genre humain suffit a peine pour les assouvir. C’est ainsi que les mêmes causes qui nous rendent méchants nous rendent encore esclaves et nous asservissent ,en nous dépravant. Le sentiment de notre faiblesse vient moins de notre nature, que de notre cupidité : nos besoins nous rapprochent, a mesure que nos passions nous divisent, et plus nous devenons ennemis de nos semblables, moins nous pouvons nous passer d’eux […]. De ce nouvel ordre de choses naissent des multitudes de rap- ports sans mesure, sans règle, sans consistance, que les hommes altèrent et changent continuellement, cent travaillant à les détruire pour un qui travaille à les fixer; et comme l’existence relative d’un homme dans l’état de nature dépend de mille autres rapports, qui sont dans un flux continuel, […] la paix et le bonheur ne sont pour lui qu’un éclair; rien n’est permanent que la misère […] ; quand ses sentiments et ses idées pourraient s’élever jusqu’à l’amour de l’ordre et aux notions sublimes de la vertu, il lui serait impossible de faire jamais une application sure de ses principes dans un état de choses qui ne lui laisserait discerner ni le bien, ni le mal, ni l’honnête homme, ni le méchant. »

      La fin : « L’erreur de Hobbes n’est donc pas d’avoir établi l’état de guerre entre les hommes indépendants et devenus sociables, mais d’avoir supposé cet état naturel à l’espèce, et de l’avoir donné pour cause aux vices, dont il est l’effet. Mais quoiqu’il n’y ait point de société naturelle et générale entre les hommes, quoiqu’ils deviennent malheureux et méchants en devenant sociables, quoique les lois de la justice et de l’égalité ne soient rien pour ceux qui vivent à la fois dans la liberté de l’état de nature et soumis aux besoins de l’état social; loin de penser qu’il n’y ait ni vertu ni bonheur pour nous, et que le Ciel nous ait abandonnés sans ressources à la dépravation de l’espèce, efforçons-nous de tirer du mal même le remède qui doit le guérir. Par de nouvelles associations, corrigeons, s’il se peut, le défaut de l’association générale. Que notre violent interlocuteur juge lui-même du succès. Montrons-lui, dans l’art perfectionné, la réparation des maux que l’art commencé fit à la nature. […]. Qu’il voie dans une meilleure constitution des choses le prix des bonnes actions, le châtiment des mauvaises et l’accord aimable de la justice et du bonheur. Eclairons sa raison de nouvelles lumières, échauffons son coeur de nouveaux sentiments, et qu’il apprenne à multiplier son être et sa félicité, en les partageant avec ses semblables […]. Ne doutons point qu’avec une âme forte et un sens droit, cet ennemi du genre humain n’abjure enfin sa haine avec ses erreurs; que la raison, qui l’égarait, ne le ramène a l’humanité; qu’il n’apprenne à préférer à son intérêt apparent son intérêt bien entendu; qu’il ne devienne bon, vertueux, sensible, et, pour tout dire, enfin, d’un brigand féroce qu’il voulait être, le plus ferme appui d’une société bien ordonnée. »

  3. morel dit :

    Je suis l’un des non lecteur de Hobbes. Mon parcours (insistez sur la dernière syllabe) ne me l’a pas permis. C’est ainsi et loin de moi de m’en vanter.
    « Mais pourquoi les hommes délégueraient-ils leur pouvoir ? » Es-ce la présentation de l’auteur lui-même ou celle que vous avez choisie à des fins d’exposition ?
    J’avoue être agacé par ce qui m’apparaît comme un artifice car peut-on parler de choix conscients ? Ma conviction est la primauté de la nécessité : supériorité concrète de la vie en société sur l’individualisme (un être aussi faible que l’homme aurait-il pu survivre sans cela ?) de là découle la naissance des classes par différentialisation technique d’abord, vous connaissez la suite…
    Pas la leçon mais conviction personnelle excluant toute parole d’ « évangile ».
    Au-delà, une fois posée la nécessité de société, celle-ci ne peut exister que par des règles communes. L’individualisme, au-delà de celui salutaire de la libre pensée (exercée toutefois dans un cadre incluant les acquis collectifs de l’humanité, tant matériels qu’ « intellectuels ») ne débouche que sur la régression.
    Plus encore, la supériorité du « contrat » sur les affinités, clans, groupes « ethniques » mais, comme vous le soulignez, cela a une histoire.
    « les sociétés ont toujours préféré le despotisme au chaos » Oui, mais permettez-moi de relativiser ce propos : le « chaos » ne peut être qu’un état transitoire tant s’impose la nécessité d’une règle commune, il peut être porteur d’un progrès ou non : celui occasionné par notre Révolution n’est pas de même nature que cet autre qui a vu la prise de pouvoir par les fascismes (les vrais, pas la caricature gauchiste).

    • Descartes dit :

      @morel

      [Je suis l’un des non lecteur de Hobbes. Mon parcours (insistez sur la dernière syllabe) ne me l’a pas permis. C’est ainsi et loin de moi de m’en vanter.]

      Mais… il n’est jamais trop tard pour bien faire ! Je n’irai pas jusqu’à dire que ça se lit comme un roman, mais il y a d’excellentes traductions et une fois qu’on a pris la tournure de raisonnement, ce n’est pas un texte très difficile.

      [« Mais pourquoi les hommes délégueraient-ils leur pouvoir ? » Es-ce la présentation de l’auteur lui-même ou celle que vous avez choisie à des fins d’exposition ? ]

      C’est un peu « Hobbes pour les nuls ». Mais je ne pense pas avoir trahi la pensée de l’auteur, même si je l’ai un peu outrageusement simplifiée.

      [J’avoue être agacé par ce qui m’apparaît comme un artifice car peut-on parler de choix conscients ? Ma conviction est la primauté de la nécessité :]

      Celle de Hobbes aussi. Reste à savoir si, comme vous le dites, il s’agit d’un choix « conscient » ou au contraire d’un mode de darwinisme social. En d’autres termes, que certains groupes humains ont fait le choix du Leviathan, d’autres pas, et que ceux qui ont fait le mauvais choix n’ont pas survécu pour raconter l’histoire. Cela étant dit, il faut comprendre que Hobbes est un philosophe, pas un anthropologue. Ce qui l’intéresse, c’est la genèse des idées, et non des pratiques. Ce qu’il décrit dans le Léviathan, c’est la mécanique de l’idée se souveraineté. Il ne prétend pas décrire l’origine anthropologique de l’idée en question.

      Personnellement, je ne crois pas à un « choix conscient » du moins à l’origne. La plupart des mammifères sociaux définissent une hiérarchie entre les individus, en fonction de critères qui sont de nature à augmenter les chances de survie du groupe. L’homme a probablement hérité de ce mécanisme. Mais une fois les premières sociétés et les premières institutions constituées, il y eut rapidement une réflexion sur leur efficacité et leur légitimité. A partir de là, on peut parler de choix conscients.

      [Au-delà, une fois posée la nécessité de société, celle-ci ne peut exister que par des règles communes. L’individualisme, au-delà de celui salutaire de la libre pensée (exercée toutefois dans un cadre incluant les acquis collectifs de l’humanité, tant matériels qu’ « intellectuels ») ne débouche que sur la régression.]

      Certes. Mais la question évidente une fois cette constatation faite, c’est « qui fait les règles communes », et accessoirement « qui est en charge de les faire respecter, et avec quels moyens ». C’est là où la réflexion de Hobbes est intéressante. D’abord parce qu’elle est profondément laïque, et au XVII siècle cela n’allait pas de soi. Ensuite, parce qu’elle fonde la légitimité du gouvernement par un raisonnement qui ouvre la voie à l’idée de souveraineté populaire. Enfin, parce qu’elle propose un « contractualisme » qui est plus proche du matérialisme que celui de Rousseau.

      [« les sociétés ont toujours préféré le despotisme au chaos » Oui, mais permettez-moi de relativiser ce propos : le « chaos » ne peut être qu’un état transitoire tant s’impose la nécessité d’une règle commune, il peut être porteur d’un progrès ou non : celui occasionné par notre Révolution n’est pas de même nature que cet autre qui a vu la prise de pouvoir par les fascismes (les vrais, pas la caricature gauchiste).]

      Certes. Mais l’ennui, c’est qu’il est impossible de savoir à priori si dans un contexte donné le chaos annonce le progrès ou au contraire la régression. Cela explique d’ailleurs pourquoi les peuples tendent à être conservateurs, et à se méfier des révolutions. Ils ne font qu’appliquer le vieil adage : « on sait ce qu’on perd, on ne sait pas ce qu’on gagne ». Il faut une situation de crise très profonde, une situation où ce qu’on a à perdre est minime, pour qu’une révolution soit possible. C’est toute la logique de la « situation révolutionnaire » théorisée par Lénine, et rejetée par les gauchistes qui préfèrent penser que la révolution est possible n’importe quand à condition de la vouloir.

      Lénine avait d’ailleurs très bien compris cette aspiration à l’ordre, et c’est pourquoi il entra en conflit très tôt avec l’aile gauchiste du parti Bolchevik et ses idées de "révolution permanente". Pour lui, la révolution n’avait une chance de survivre que si elle arrivait rapidement à organiser et administrer le pays. La formule "le socialisme c’est les soviets plus l’électrification" n’avait pas été lancée au hasard…

    • Descartes dit :

      @samuel

      Merci de ce texte qui illustre, je crois, la différence que je voulais pointer entre Rousseau et Hobbes. Contrairement à Hobbes, Rousseau est un moraliste. Au fonds, il reste proche de la vision commune à la plupart des religions d’un homme "dépravé et asservi" par ses désirs. Dans ce texte, Rousseau décrit presque un homme vivant heureux dans l’état de nature et chassé du paradis terrestre par l’extension de ses désirs. Le contrat social est une sorte de remède à cette "dépravation".

      Hobbes, qui n’est pas un moraliste, renverse la proposition. Pour lui l’état de nature, loin d’être le paradis qu’il faut regretter, c’est un enfer que l’homme a été bien avisé de quitter. Et pour le quitter, il lui faut faire société et donc mettre fin à la guerre de tous contre tous qui caractérise l’état de nature. Rousseau est un idéaliste, et compte sur l’éclairage de la raison pour guérir les maux qu’il attribue au conflit des désirs et des intérêts. Hobbes est plus proche d’une approche matérialiste, et c’est en cela que je le trouve plus proche de mes propres idées.

      Merci en tout cas d’avoir contribué au débat avec ce texte.

    • samuel dit :

      @ Descartes

      Je sens qu’une discussion comme celle-là pourrait être interminable… Mais je ne peux m’empêcher de vous répondre encore, toujours au sujet de Rousseau.

      [Au fonds, il reste proche de la vision commune à la plupart des religions d’un homme "dépravé et asservi" par ses désirs.]
      Ce que vous dites là n’est pas loin de la vérité, à ceci près que R., distingue bons désirs et mauvais désirs. Les morales masochistes condamnent le désir de choses qui rendent heureux sans nous pousser a faire du tort aux autres. R. est seulement contre les mauvais désirs : jalousie, cruauté, cupidité, orgueil… ceux qui poussent a faire du mal… Mais il n’est pas contre les bons désirs.

      [Rousseau est un idéaliste, et compte sur l’éclairage de la raison pour guérir les maux]
      Là dessus, vous avez surement plutôt raison… Mais, pardon de vous sembler naïf, qu’est-ce qui peut guérir les maux a part un usage de la raison aiguillonné par un désir du bien ?

    • Descartes dit :

      @samuel

      [Là dessus, vous avez surement plutôt raison… Mais, pardon de vous sembler naïf, qu’est-ce qui peut guérir les maux a part un usage de la raison aiguillonné par un désir du bien ?]

      Je ne sais pas. Mais rien ne me semble aussi dangereux que le "désir du bien" en la matière. Ce n’est pas par hasard que l’adage nous dit que le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions. Le "bien" est en effet un concept très subjectif, et les gens ont une certaine tendance à construire un "bien" qui au fond ne fait que refléter leurs intérêts…

      J’ajoute personnellement que la question que vous posez a un sens dans la vision rousseauiste, que je ne partage pas, mais pas dans la vision hobbesienne, qui est la mienne. Parce que pour Hobbes, en se mettant en société l’homme résout ses maux, il ne les créé pas.

  4. Marcailloux dit :

    Bonjour,
    Grand merci pour ce billet qui me parait fondamental pour alimenter une réflexion en profondeur, dans le débat qui nous anime, tant individuellement que collectivement.
    [Et l’expérience là aussi donne raison à Hobbes : les sociétés ont toujours préféré le despotisme au chaos, et il faut qu’un despote soit vraiment très mauvais pour que cette balance s’inverse.]
    Nous avons un exemple que vous n’évoquez pas, c’est celui de la Syrie. Bachar el Assad est un tyran impitoyable, mais que soutenir dans une guerre civile, entre une répression féroce et une opposition , qui aboutirait probablement à une théocratie tout aussi néfaste que le régime actuel ?

    [C’est une chose que d’être anarchiste dans une société riche et éduquée, où l’on les interdits fondamentaux sont si internalisés que les gens s’autolimiteront spontanément dans l’usage des libertés qu’on peut leur accorder.]
    "Chassez le naturel, il revient au galop". La parole de Plaute traduit un effet de la nature démontré par la théorie de l’évolution. Je ne suis par aussi persuadé que vous sur " l’internalisation" des interdits. Les gens ne s’autolimitent que parce ce qu’ils ressentent l’opprobre qu’ils encourent ou la menace des forces légales. L’autorégulation naturelle n’existe que dans nos esprits angéliques. C’est vrai des limitations de vitesse sur la route comme de l’avidité sans limite d’accaparer des richesses, avec toutes les étapes variantes ou intermédiaires. Vos gens ne font jamais qu’un pari à la Pascal. Ils évaluent – inconsciemment le plus souvent – ce qu’il y a à gagner et ce qu’il y a à perdre, et agissent en conséquence. Si vous relâchez la pression, vous constatez immédiatement la dérive. Ce qui est a normal devient insensiblement, par une infinité de petites étapes, normal et rentre souvent, à la fin, dans la loi.

    [ Dans nos « vieux » pays, celui qui perd une élection s’incline et salue le vainqueur.]
    Ah bon ? Néanmoins, on constate systématiquement, à chaque élection, une remise en cause insidieuse de l’entière légitimité du vainqueur. Prenons l’exemple de la dernière élection présidentielle, selon l’ancienne majorité, NS aurait gagné si le scrutin avait eu lieu 15 jours plus tard, ce qui en filigrane signifie que FH n’a été légitime que pendant une quinzaine. Des tas d’autres exemples pourraient figurer dans ce sens, et les plus hauts dirigeants politiques induisent dans l’esprit des moins sagaces, une confusion entre légalité et légitimité. Cette forme de manipulation de l’opinion constitue un véritable danger pour l’intégrité de la nation, car elle favorise le primat de la légitimité – toute subjective et individuelle ou communautaire – sur la légalité, règle de vie dans la collectivité nationale. Ne nous étonnons pas qu’il s’ensuive un rejet global de la chose politique, avec pour corollaire une faille ouverte aux tendances anarchistes, extrémistes, intégristes ou communautaires.

    [ Lorsque les institutions politiques sont faibles, seules subsistent les solidarités « naturelles », celles de la famille ou du clan. Et ceux qui n’appartiennent pas à ces structures deviennent des proies.
    On recherche despote. Âmes sensibles s’abstenir.]
    N’est ce pas ce que nous constatons, à une échelle certes limitée, en France. Et, ce que nous pouvons reprocher à notre actuel Président, n’est pas tant sa politique – pas vraiment différente de celle de son prédécesseur au demeurant – que l’image de sa mollesse, de sa volonté de ménager, en toutes circonstances, la chèvre et le choux.
    J’avais un patron – puisque nous en sommes à l’évocation de nos souvenirs de jeunesse – qui avait coutume de dire: "si l’on a un chef, c’est l’ordre – en principe -, si l’on en a deux, c’est la liberté – avec les aléas que cela comporte – et si l’on en a trois, c’est l’anarchie.
    Avec un Etat omniprésent, une Europe envahissante, des pouvoirs connexes actifs et influents ( la télé, Internet, les lobbies,….), on est à trois niveaux de contraintes. Les conditions de l’anarchie sont réunies. Si l’on ajoute la pression économique de la mondialisation que nous avons du mal à intégrer dans notre équation nationale, cela risque d’agiter le spectre du chaos.

    • Descartes dit :

      @Marcailloux

      [Je ne suis par aussi persuadé que vous sur " l’internalisation" des interdits. Les gens ne s’autolimitent que parce ce qu’ils ressentent l’opprobre qu’ils encourent ou la menace des forces légales. L’autorégulation naturelle n’existe que dans nos esprits angéliques.]

      Je ne le crois pas. Le contrôle social et la répression légale jouent certainement un rôle dans le maintien de l’ordre public. Mais si chaque règle devait reposer sur ces deux éléments, on aurait besoin d’un appareil de contrôle monstrueux. En fait, si vous étiez dans le vrai, seules les règles dont l’obéissance peut être constatée par une autre personne seraient respectées, puisque celles que personne ne nous voit violer échappent tant aux forces légales qu’au jugement des autres.

      Pourtant, même lorsque nous sommes seuls dans les toilettes, nous obéissons à des règles. Des règles qui nous sont inculquées depuis notre plus jeune âge, et qui sont tellement internalisées que nous n’avons quelquefois même pas conscience de leur existence. L’immense majorité d’entre nous ne vole pas, ne tue pas, ne viole pas, et pas parce qu’elle craint l’opprobre ou la punition, mais parce que « cela ne se fait pas ».

      [Ah bon ? Néanmoins, on constate systématiquement, à chaque élection, une remise en cause insidieuse de l’entière légitimité du vainqueur. Prenons l’exemple de la dernière élection présidentielle, selon l’ancienne majorité, NS aurait gagné si le scrutin avait eu lieu 15 jours plus tard, ce qui en filigrane signifie que FH n’a été légitime que pendant une quinzaine.]

      N’exagérons pas. Personne dans l’ancienne majorité ne tire une telle conclusion. Autrement, ils devraient tirer les conclusions de cette « illégitimité », à savoir, que les actes signés par le président sont illégitimes, et par conséquence qu’ils doivent être considérés nuls et non avenus. Or, à ma connaissance personne n’a contesté la légitimité des actes signés par François Hollande. Quand les dirigeants de droite s’adressent à Jean-Marc Ayrault, ils l’appellent « monsieur le premier ministre », et quand ils parlent d’Hollande, ils disent « le président ».

      Quelque soient les discours sur le fait de savoir si NS aurait gagné ou pas plus tard, personne ne conteste la légitimité de ceux qui ont été élus à l’heure de gouverner.

      [Des tas d’autres exemples pourraient figurer dans ce sens,]

      Je ne crois pas. Vous seriez en peine de trouver des appels à la désobéissance générale. Or, si l’on conteste la légitimité des autorités élues, c’est la conclusion inéluctable.

      [N’est ce pas ce que nous constatons, à une échelle certes limitée, en France. Et, ce que nous pouvons reprocher à notre actuel Président, n’est pas tant sa politique – pas vraiment différente de celle de son prédécesseur au demeurant – que l’image de sa mollesse, de sa volonté de ménager, en toutes circonstances, la chèvre et le choux.]

      Tout à fait. Croyez que la ressemblance ne m’avait pas échappée. Mon article était autant sur ce qui se passe à Bangui que sur ce qui se passe à Paris. Allez dans les cités populaires, et vous verrez combien le retrait de l’Etat et de ses institutions ne laisse sur le terrain que les solidarités de famille et de clan.

      [Avec un Etat omniprésent,]

      Vous trouvez que notre Etat est « omniprésent » ?

    • Marcailloux dit :

      Bonjour,
      [ L’immense majorité d’entre nous ne vole pas, ne tue pas, ne viole pas, et pas parce qu’elle craint l’opprobre ou la punition, mais parce que « cela ne se fait pas ». ]
      Sans doute oui.
      Néanmoins, ce qui ne se fait pas aujourd’hui se fera peut être demain, à une échelle bien plus importante, initiée par une petite minorité. Et la transgression – et son pouvoir d’attraction – ne se limite pas au vol, au meurtre, au viol.
      Dans la société centrafricaine, entre autres, la majorité des citoyens de ce pays ne volent, ni ne tuent, ni ne violent. Ils en sont plutôt les victimes d’une minorité incontrôlée.
      Le seuil critique de tolérance est rapidement atteint dans n’importe quel pays et il suffit que quelques % de la population se livre à ces exactions ou à ces pratiques abusives pour que la situation de ce pays devienne alarmante.
      J’avais été frappé, dans les années 80, de voir le nombre d’émules que créait la rapacité victorieuse de B.Tapie. Cette mentalité, adoptée par une minorité et appliquée par un tout petit nombre , dans un contexte de dérégulation des activités financières inaugurées par la France, a causé des ravages dont nous sommes aujourd’hui même encore témoins.
      La dynamique de groupe , facilité par les réseaux sociaux, le montre bien, à partir d’un agrégat infime, se développe quelquefois, par amalgame, une masse considérable . Les lobbies de tous poils maîtrisent bien ce phénomène.

      Vous écrivez dans le corps du billet:
      [Voilà un pays où chacun est libre de faire à peu près ce qu’ils veut, comme il veut et quand il veut, sans qu’il y ait autorité ou hiérarchie pour les en empêcher.]
      Comment appréciez vous cette "méga" valse hésitation du chef de l’Etat concernant le problème récurent du "mille feuilles" et du plan de réorganisation administrative de l’Etat lorsqu’il indique que les responsables locaux – je fais simple – doivent se mettre d’accord entre eux pour régler le problème.
      Avons nous affaire à une maîtresse de maison ou à une hôtesse d’accueil?

    • Descartes dit :

      @Marcailloux

      [L’immense majorité d’entre nous ne vole pas, ne tue pas, ne viole pas, et pas parce qu’elle craint l’opprobre ou la punition, mais parce que « cela ne se fait pas ». Sans doute oui.]

      La voilà, l’internalisation. Lorsque quelque chose devient du domaine de l’impensable ou de l’inconcevable, c’est qu’il y a une interdiction interne qui joue au delà de toute répression sociale ou institutionnelle.

      [Néanmoins, ce qui ne se fait pas aujourd’hui se fera peut être demain, à une échelle bien plus importante, initiée par une petite minorité. Et la transgression – et son pouvoir d’attraction – ne se limite pas au vol, au meurtre, au viol.]

      Bien entendu. La règle internalisé ne se transmet pas génétiquement, et le travail est à refaire à chaque génération. C’est pourquoi certaines actions doivent être maintenues dans le domaine de l’impensable. Personnellement, je pense que la banalisation de certains programmes de télévision ou jeux vidéo, admis sous prétexte de « démystification », sont extrêmement dangereux.

      La question de la transgression me paraît aussi intéressante. Je pense que le jeune se construit aussi par la transgression. C’est pourquoi la société doit lui offrir des possibilités de transgression sans danger. Pour cela, certaines interdictions qui peuvent paraître absurdes ou dépassées doivent être symboliquement maintenues, certaines choses doivent être cachées pour pouvoir être dévoilées en secret. Je préfère voir mes enfants aller voir en cachette un film porno que de les voir prendre de l’héroïne. Comme disait Lacan, « là ou tout est permis, rien n’est subversif ». Pour que les jeunes puissent rester « subversifs », mieux vaut garder quelques interdits dont la violation est sans danger…

      [Dans la société centrafricaine, entre autres, la majorité des citoyens de ce pays ne volent, ni ne tuent, ni ne violent. Ils en sont plutôt les victimes d’une minorité incontrôlée.]

      Je ne sais pas. Ce serait intéressant à savoir combien parmi les habitants de bangui tiennent la propriété d’autrui pour sacrée, particulièrement quand autrui n’appartient pas à la même famille/clan/ethnie/communauté que lui. Il semble que les dans les pillages ou les lynchages il y ait un élément de participation populaire qui dépasse de très loin la « minorité incontrôlée ».

      [Le seuil critique de tolérance est rapidement atteint dans n’importe quel pays et il suffit que quelques % de la population se livre à ces exactions ou à ces pratiques abusives pour que la situation de ce pays devienne alarmante.]

      Mais à votre avis, pourquoi alors que chez nous aussi « quelques % » de la population se livrent à toutes sortes d’actes délictueux, le lynchage public à la mode de Bangui reste rare ? Pourquoi les victimes restent peu portées sur l’idée de se faire justice elles mêmes, et font raisonnablement confiance aux institutions pour leur donner leur dû ?

      [J’avais été frappé, dans les années 80, de voir le nombre d’émules que créait la rapacité victorieuse de B.Tapie. Cette mentalité, adoptée par une minorité et appliquée par un tout petit nombre , dans un contexte de dérégulation des activités financières inaugurées par la France, a causé des ravages dont nous sommes aujourd’hui même encore témoins.]

      Oui, mais ces « activités financières » sont pour l’essentiel légales. Et quand ils ont tiré un peu trop sur la corde, ils ont eu de sérieux ennuis. On peut discuter de l’opportunité de cette « dérégulation », mais on peut difficilement reprocher à la « minorité » dont vous parlez de s’être placée en dehors des institutions. Il y a tout de même une nuance entre une situation ou les gens s’affranchissent de toute règle, et la situation où les règles sont mal faites mais les gens y adhèrent.

      [Comment appréciez vous cette "méga" valse hésitation du chef de l’Etat concernant le problème récurent du "mille feuilles" et du plan de réorganisation administrative de l’Etat lorsqu’il indique que les responsables locaux – je fais simple – doivent se mettre d’accord entre eux pour régler le problème.]

      Mais quel est le « problème » exactement ? La réforme de notre administration territoriale est devenue impossible parce que chaque collectivité répond à une pression différente. On ne peut pas toucher la commune, parce que les gens y sont attachées, et qu’on a beau leur dire que c’est coûteux, ils sont toujours prêts à payer pour avoir leur édile de proximité à leur service. On ne peut pas toucher le département parce que c’est la circonscription de base de l’action de l’Etat, et que les gens sont aussi très attachés symboliquement – on l’a vu quand on a essayé de faire disparaître le numéro de département des plaques minéralogiques – autant que sur le plan pratique. On ne peut toucher la région parce que c’est la collectivité euro-compatible et que ce que Bruxelles veut, dieu le veut.

  5. Zeugma dit :

    Le papier est intéressant, mais votre vision de Rousseau est, je trouve, assez caricaturale. L’état de nature chez Rousseau n’est ni un état primitif ni un état auquel nous pourrions revenir un jour, et la comparaison avec Bangui n’est pas si pertinente. La civilisation, la société sont des faits, des réalités qu’on ne peut pas détruire pour revenir à un état qui n’a peut-être jamais existé. Elles ont profondément changé l’Homme, pour le meilleur et pour le pire. Rousseau ne fait que théoriser ce qui est selon lui le meilleur contrat social possible en faisant la synthèse de Locke, trop libéral, qui permettait au citoyen de remettre en question le pouvoir du souverain autant qu’il le voulait, et de Hobbes qui a fondé son système dans une Angleterre à feu et à sang pour défendre le Roi inquiété de tous côtés. Le Leviathan est une stabilisation politique absolutiste qui serait sans doute bienvenue dans les régions que vous citez, mais dire qu’elles mettent en échec Rousseau me paraît très étrange.

    • Descartes dit :

      @Zeugma

      [L’état de nature chez Rousseau n’est ni un état primitif ni un état auquel nous pourrions revenir un jour,]

      Chez Hobbes aussi. Et je n’ai jamais dit le contraire.

      [et la comparaison avec Bangui n’est pas si pertinente.]

      Je ne vois pas à quelle « comparaison » vous faites référence. Je n’ai rien « comparé ». Je pars d’une constatation : l’idéologie « libertaire » nous a expliqué pendant longtemps que l’homme était bon et que la société le rendait mauvais, qu’il était spontanément généreux et solidaire, et que ces vertus ne s’exprimaient pas par la faute des patrons, des flics, des militaires et des curés. Et que l’effondrement de l’Etat ouvrirait la porte au paradis sur terre. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la situation à Bangui nuance très largement cette perception.

      Même si l’on ne peut parler d’état de nature à propos de Bangui, on peut s’interroger sur l’incapacité du pays – et de certains autres – à faire ce pas que Hobbes considère nécessaire à la sortie de l’état de nature, celui de la délégation à une institution de son pouvoir de nuire.

      [La civilisation, la société sont des faits, des réalités qu’on ne peut pas détruire pour revenir à un état qui n’a peut-être jamais existé.]

      Peut-être. Mais Bangui nous montre que la société peut se fragmenter au point que les institutions publiques s’effondrent et que seules subsistent les solidarités familiales et claniques. Même si cela ne suffit pas à revenir à l’état de nature, on peut caractériser cet état comme pré-social.

      [Elles ont profondément changé l’Homme, pour le meilleur et pour le pire.]

      Je ne suis pas sur de comprendre ce que vous voulez dire. Parlez vous d’un « Homme » abstrait (ce que la majuscule semble indiquer) ou des « hommes » concrets ? Parce que les « hommes » concrets n’ont guère changé depuis vingt ou trente mille ans. La civilisation et la société n’ont guère modifié notre génome, et chaque homme qui naît aujourd’hui est génétiquement très proche non seulement de l’homme du temps de Platon, mais aussi de l’homme qui naît à l’autre bout du monde. La « civilisation » ne nous change que par l’éducation.

      [Le Leviathan est une stabilisation politique absolutiste qui serait sans doute bienvenue dans les régions que vous citez, mais dire qu’elles mettent en échec Rousseau me paraît très étrange.]

      Je ne crois pas avoir dit ça…

  6. CVT dit :

    @Descartes,
    je crois que votre nouveau post ne va pas vous valoir des amis :)! En gros, vous expliquez qu’il vaut mieux un ordre injuste (despotique, en l’occurrence) que le désordre. Les droits-de-l’hommistes vont hurler à la lune…
    Vos discussions avec votre oncle Ramon me rappelle souvent celles que j’ai avec mon père, socialiste bons teint (i.e. supporter fanatique du PS), anti-état par conviction et surtout, vaguement anarchiste et libertaire, bref très 68-ard: je suis en désaccord frontal avec toutes ces idées, aujourd’hui. Il n’en a pas toujours été ainsi: quand j’étais plus jeune, j’adhérais également à ces idées, sauf pour les utopies libertaires et anti-étatistes, que j’ai toujours détestées car pour moi, elles souvent synonymes du règne de la loi du plus fort, quoiqu’en disent les anarchistes.
    Bref, il y a toujours eu quelque chose qui résistait à l’attrait de l’anarchisme. Et d’ailleurs, les mots ont un sens: au grand désarroi des libertaires, le terme d’anarchie, qui au départ signifiait absence de pouvoir supérieur, est devenu en français synonyme d’anomie et de désordre. Et c’est normal car, jusqu’à ce jour, c’est ainsi que finissent les sociétés anarchistes, qui d’ailleurs ne durent jamais. Ce sont les raisons qui ont fait, que bien qu’à gauche (oui, je sais, c’est galvaudé, mais je ne vois pas comment je pourrais me définir politiquement), je suis un féroce contempteur des idées anarchistes, et surtout plus encore aujourd’hui que l’hédonisme libéral-libertaire triomphe à l’Elysée, et en occident en général. Effectivement, il faut combattre les idées libertaires car elles sont furieusement irresponsables car totalement irréalistes, sauf à renoncer à la civilisation. C’est très exactement ce qu’il se passe dans bien des pays d’Afrique, où le tribalisme tient lieu de ciment bien plus que les états…

    • Descartes dit :

      @CVT

      [je crois que votre nouveau post ne va pas vous valoir des amis :)! En gros, vous expliquez qu’il vaut mieux un ordre injuste (despotique, en l’occurrence) que le désordre. Les droits-de-l’hommistes vont hurler à la lune…]

      Et pas qu’eux… cependant, je pense que la question de l’attachement à l’ordre est essentielle. Sans cette réflexion, il est impossible de comprendre pourquoi les peuples sont si passifs devant les crises, pourquoi les révolutions sont l’exception et la continuité est la règle. C’est aussi avec ce raisonnement qu’on peut comprendre par exemple l’écart entre le nombre de gens qui pensent que l’Euro est une catastrophe, et le nombre de gens qui se disent partisans de son abandon. On n’aime pas l’Euro, mais on a peur de ce qui pourrait se passer si on en sortait…

      Désolé de revenir à ma marotte, mais si l’on veut avoir la moindre possibilité de changer quelque chose un jour, il faut convaincre les citoyens de sa capacité d’organiser une transition ordonnée. Les discours « révolutionnaires » font très joli dans les meetings, mais il ne faut jamais oublié qu’en politique le but est de rassurer, pas d’inquiéter. Vouloir faire peur, c’est un signe d’immaturité politique. Suivez mon regard…

    • BolchoKek dit :

      >je pense que la question de l’attachement à l’ordre est essentielle. Sans cette réflexion, il est impossible de comprendre pourquoi les peuples sont si passifs devant les crises, pourquoi les révolutions sont l’exception et la continuité est la règle.<
      A mon avis, si nos journalistes comprenaient ça, ils comprendraient pourquoi les russes votent pour Poutine, et particulièrement pourquoi un tiers de l’électorat communiste sous Eltsine s’est rabattu… Mais ce n’est qu’un exemple.

    • Descartes dit :

      @Bolchokek

      Bien entendu. Poutine est populaire parce qu’il apparaît, après l’anarchie et le n’importe quoi de l’ère Eltsine – à propos, n’est ce pas curieux de voir comment les oligarques qui se sont partagés le pays sous le règne d’Eltsine deviennent pour les médias occidentaux les nouveaux martyrs ? – comme quelqu’un capable de maintenir l’ordre. Un ordre qui n’est peut-être pas idéal, qui n’est même pas juste, mais qui a au moins l’avantage de rendre le monde prévisible.

    • BolchoKek dit :

      >à propos, n’est ce pas curieux de voir comment les oligarques qui se sont partagés le pays sous le règne d’Eltsine deviennent pour les médias occidentaux les nouveaux martyrs ?<
      Et comment… j’aimerais bien savoir de quoi parlent nos journalistes lorsqu’ils parlent de "l’opposition au régime de Vladimir Poutine", opposition qui apparemment se contente des droits des gays et de quelques millionnaires mis sur la touche. Les communistes ? Ils ont à maintes occasions montré que les questions "sociétales" leur étaient indifférentes. Les sociaux-démocrates ? Ils sont un peu plus sensibles à tout cela, mais restent discrets. Jirinovski ? C’est un homme qui souhaite vitrifier le moyen-orient et qui compare sa femme à son chien.
      Il reste peu de place dans l’opinion à cette opposition "démocrate" tant rêvée. Quand généralement on parle de "l’opposition" en Russie, on parle en fait de groupes très minoritaires.

  7. Jean-François dit :

    Bonjour Descartes,

    [La situation à Bangui illustre à la perfection combien le rêve anarchiste – et d’une manière plus générale, les idéologies individualistes et anti-institutionnelles – est fondé sur une prémisse fausse, à savoir, que la fraternité, l’empathie, la générosité sont naturelles à l’homme et que ce sont les sociétés aux institutions organisées et hiérarchisées qui les brident et corrompent.]

    Il me semble que cette affirmation est un peu forte. Je ne sais pas précisément comment est défini le « rêve anarchiste » (je ne suis pas du tout anarchiste), mais il est possible que ce soit bien les sociétés aux institutions organisées et hiérarchisées qui brident et corrompent. L’exemple de Bangui n’est pas suffisant pour montrer le contraire, puisque les individus concernés ont déjà été bridés et corrompus. Il est peut-être possible que des sociétés sans institution organisée et hiérarchisée fonctionnent, il est même possible que cela ait existé, mais que l’on n’en ait pas de trace. Peut-être parce que ces sociétés hypothétiques, n’étant pas guerrières par définition, ont tout simplement été détruites par d’autres. Je ne dis pas pour autant que cela me paraît vraisemblable…

    • Descartes dit :

      @ Jean-François

      [Il me semble que cette affirmation est un peu forte. Je ne sais pas précisément comment est défini le « rêve anarchiste » (je ne suis pas du tout anarchiste),]

      Au-delà des conflits et des différences entre les différents courants de l’anarchisme, j’oserai caractériser le « rêve anarchiste » comme celui d’une société ou l’homme n’est soumis a aucune règle qu’il n’ait librement acceptée. Cela exclu bien entendu qu’il soit soumis aux règles édictées par les institutions : l’Etat, les églises, la famille, l’école…

      [mais il est possible que ce soit bien les sociétés aux institutions organisées et hiérarchisées qui brident et corrompent. L’exemple de Bangui n’est pas suffisant pour montrer le contraire, puisque les individus concernés ont déjà été bridés et corrompus.]

      Avec ce genre de raisonnement, on aboutit à un paradoxe : le « rêve anarchiste » reste possible, mais ne peut marcher que si les gens ne sont pas auparavant « bridés et corrompus » par un autre système. Donc, le « rêve anarchiste » n’est possible que dans une société créée ex-nihilo comme société anarchiste par des gens qui n’auraient pas de passé qui les conditionne. Cela la condamne à être une utopie.

      Ce n’est pas tout à fait ce que disent les anarchistes en général, et que j’ai illustré avec l’exemple de mon oncle Ramon. Lui soutenait que le fait de faire tomber l’Etat et les autres institutions qui « brident » les hommes était suffisant. Que libérés de la pression des institutions, l’homme découvrirait spontanément la fraternité. Le moins qu’on puisse dire c’est que les évènements de Bangui montrent que ce n’est pas aussi simple.

      [Il est peut-être possible que des sociétés sans institution organisée et hiérarchisée fonctionnent, il est même possible que cela ait existé, mais que l’on n’en ait pas de trace.]

      Que ces sociétés n’aient pas laissé de traces devrait poser quelques questions, non ?

      [Peut-être parce que ces sociétés hypothétiques, n’étant pas guerrières par définition, ont tout simplement été détruites par d’autres.]

      Peut-être. Mais comme disait mongénéral, on ne fait de la politique qu’avec des réalités. Un système politique qui n’est pas capable de se défendre des agressions externes n’est pas une option viable dans le monde réel.

  8. Jibal dit :

    Je souscris totalement à votre analyse.

    Cependant, je tique un peu sur:

    [Et encore des siècles pour que le Roi cesse d’être propriétaire du royaume avant de cesser d’être le monarque tout court et de devoir partager le pouvoir avec le peuple.]

    C’est bizarre mais je n’ai pas vraiment le sentiment que nous en soyons encore là, en France, avec son régime présidentiel si particulier…
    …A moins que par "partager le pouvoir avec le peuple" vous entendiez ce moment furtif où, tous les 5 ans, le peuple a le pouvoir de choisir son monarque quinquennal ?

    • Descartes dit :

      @Jibal

      [C’est bizarre mais je n’ai pas vraiment le sentiment que nous en soyons encore là, en France, avec son régime présidentiel si particulier… A moins que par "partager le pouvoir avec le peuple" vous entendiez ce moment furtif où, tous les 5 ans, le peuple a le pouvoir de choisir son monarque quinquennal ?]

      Non, j’entends aussi le « moment furtif » ou le peuple a voté à 83% des votants et 66% des inscrits (la participation étant elle de 81%), ce qui vous me l’accorderez n’est pas rien, pour une constitution qui décide qu’on élira un chef de l’Etat pour sept ans (devenus cinq lors de la réforme constitutionnelle du 2 octobre 2000) et qu’entre deux élections celui-ci aura délégation d’un certain nombre de pouvoirs.

      Je veux bien qu’on dise un peu n’importe quoi sur le « régime présidentiel si particulier ». Mais le fait est que c’est le régime que les français, dans leur immense majorité, ont voulu et – j’ajoute – continuent à vouloir. Le peuple n’a pas seulement le pouvoir de « choisir son monarque quinquennal », il a aussi le pouvoir de décider s’il doit y avoir un « monarque », et combien il doit durer. Nous ne sommes pas dans une logique de « partage du pouvoir entre le roi et le peuple » (comme ce pouvait être le cas à la fin de l’ancien régime, ou dans le système britannique du XVII et XVIII siècles, mais dans un système où le peuple a la plénitude de la souveraineté, qu’il ne « partage » avec personne. C’est le peuple qui décide de déléguer certains pouvoirs, c’est le peuple qui décide pendant combien de temps, et c’est le peuple qui choisit le délégué.

      Après, on peut discuter le système. Vous préféreriez peut-être un système de démocratie directe ou chaque décision serait prise par le vote des citoyens. Ou un système parlementaire ou le premier ministre serait chef de l’exécutif et responsable devant une assemblée dont les membres seraient élus pour un temps donné, ou peut être pour une durée illimitée et révocables à tout moment… personnellement, je trouve que le système de la Vème République n’est pas si mauvais que ça. En tout cas, j’attends toujours qu’on me propose mieux…

    • Marcailloux dit :

      Bonjour,
      [ C’est le peuple qui décide de déléguer certains pouvoirs, c’est le peuple qui décide pendant combien de temps, et c’est le peuple qui choisit le délégué.]
      A la lecture de cette phrase, je mesure l’impérative nécessité d’une formation citoyenne solide pour nos compatriotes qui bénéficient – malgré tous les reproches que l’on peut exprimer – d’un système politique somme toutes, parmi les plus avancés sur le plan de la démocratie.
      Malheureusement, je crains que cette formation, cette autoformation en général, ne soit pas à la hauteur. Et je me demande si, dans les difficultés que nous rencontrons, cette dimension du paysage politique français, où la représentation par les élus est constamment critiquée et désavouée, n’a pas, en grande partie, pour origine, cette carence d’éducation.
      Celle ci laisse une voie royale (sans jeux de mot) à tous les populismes et démagogies, à tous les clientélismes et autres avatars de la chose politique.
      La responsabilité implique la compétence, et celle ci exige un minimum de connaissances assimilées, ce qui nécessite un effort individuel.
      De plus, est ce possible dans une démocratie libérale, où de multiples courants s’affrontent, est ce envisageable pour la France avec sa myriade de structures et échelons de la représentation auxquels correspondent, bien sur, d’innombrables élus dont le principal objectif est trop souvent celui de leur réélection qui se forge sur une relative indifférence, ignorance ou naïveté des électeurs.
      p.s.: il y avait lundi soir sur la chaîne " Histoire"

    • Descartes dit :

      @marcailloux

      [A la lecture de cette phrase, je mesure l’impérative nécessité d’une formation citoyenne solide pour nos compatriotes qui bénéficient – malgré tous les reproches que l’on peut exprimer – d’un système politique somme toutes, parmi les plus avancés sur le plan de la démocratie.]

      Oui, tout à fait. Mais surtout, je pense qu’il faut dissiper un malentendu : il est aujourd’hui de bon ton, surtout dans la gauche « radicale » mais aussi dans la « bienpensante » de broder sur le thème « notre démocratie marche mal » au prétexte que les gens ne participent pas de bout en bout aux décisions. Avec comme corollaire évident les délires sur la démocratie directe, le tirage au sort des représentants, et autres du même calibre.

      Toute société avancée repose sur la division du travail. Et cette vérité qui touche tous les domaines d’activité touche aussi la politique. Le citoyen est le souverain. Il peut choisir de participer aux décisions en s’engageant dans un parti politique, en étant candidat à une fonction élective, en exerçant une charge publique. Mais il peut aussi choisir de déléguer ce travail a d’autres, soit parce qu’il les estime plus compétents, soit parce qu’il n’a pas envie de se taper le boulot. Le propre de la démocratie est de laisser aussi au citoyen ce choix. Et le fait que beaucoup de citoyens préfèrent déléguer n’est pas un signe que la démocratie fonctionne mal, au contraire. C’est le signe que les citoyens s’estiment représentés par leurs élus.

      Bien entendu, il y a ce jeu pervers par lequel les citoyens délèguent pour ensuite se laver les mains des décisions prises ou des actes faits en leur nom en prétendant qu’elles sont prises ou exécutés par d’autres. C’est ça aussi la démocratie : on vote des représentants dont on sait qu’ils feront des lois restreignant l’immigration, mais on s’indigne quand ces lois sont appliquées. A mon sens, c’est là que réside le véritable problème des régimes de délégation : qu’ils permettent aux citoyens de ne pas prendre la responsabilité des décisions qu’ils ont pourtant voulu.

      [Et je me demande si, dans les difficultés que nous rencontrons, cette dimension du paysage politique français, où la représentation par les élus est constamment critiquée et désavouée, n’a pas, en grande partie, pour origine, cette carence d’éducation.]

      Non, je ne le crois pas. Le problème, c’est que l’électeur veut des politiques dont il n’est pas prêt à assumer la responsabilité. Les mêmes qui vous expliqueront qu’il faut de la mixité sociale dans les écoles sont les premiers à envoyer leurs enfants dans le privé ou faire des pieds et des mains pour échapper à la carte scolaire parce que dans leur école de quartier il y a une proportion importante de gens « issus de la diversité »… On vote pour des gens dont on sait par avance qu’ils feront des politiques d’austérité, mais on déclare « insupportable » le chômage de masse. La délégation nous permet de faire ces politiques sans en assumer la charge morale. Ce sont nos représentants qui l’assument, et qui reçoivent les tomates alors qu’ils font des choses qui au fond arrangent ceux-là mêmes qui les lancent.

      [La responsabilité implique la compétence, et celle ci exige un minimum de connaissances assimilées, ce qui nécessite un effort individuel.]

      Oui, mais voilà, les gens n’ont pas envie de faire cet effort. Et comme ils sont souverains, je vois mal comment on pourrait les y obliger.

      [p.s.: il y avait lundi soir sur la chaîne " Histoire"]
      Quelque chose a du se passer, ton commentaire est arrivé incomplet.

    • Marcailloux dit :

      Bonjour,
      [Et je me demande si, dans les difficultés que nous rencontrons, cette dimension du paysage politique français, où la représentation par les élus est constamment critiquée et désavouée, n’a pas, en grande partie, pour origine, cette carence d’éducation.]
      Votre réponse:
      [ Non, je ne le crois pas. Le problème, c’est que l’électeur veut des politiques dont il n’est pas prêt à assumer la responsabilité]
      Je ne vois pas où vous pouvez ne pas être d’accord
      Vous noterez que je n’ai pas employé le terme d’apprentissage, ou de formation, mais celui d’éducation, qui vise à préparer un sujet – le citoyen – en vue de l’exercice de sa responsabilité face au pouvoir qui lui est confié.
      Et cette éducation implique, outre la connaissance minimum du fonctionnement des institutions, la nécessité d’atteindre un certain niveau de lucidité et de logique. En un mot trivial, on ne peut vouloir le beurre et l’argent du beurre. Et c’est cette conviction assimilée par le citoyen qui le rendra responsable à part entière.
      Nos représentants politiques ont beaucoup trop joué de cette carence des citoyens, illustrée par cette cynique parole de C. Pasqua: " les promesses n’engagent que ceux qui les croient ".
      L’éducation sert avant tout, dans ce contexte, à limiter le plus possible la naïveté des électeurs.

      [p.s.: il y avait lundi soir sur la chaîne " Histoire"]
      Quelque chose a du se passer, ton commentaire est arrivé incomplet.]
      C’est la "faute" à mon jeune chien ! au moment où je terminais pas un petit p.s., il est venu me faire un câlin qui m’a fait poster le commentaire avant de terminer ma phrase.
      Je voulais simplement évoquer une émission sur la dimension éducative de l’action du P.C. au lendemain de la Libération. Il y avait dans l’expression et le regard des militants interviewés une telle ferveur que c’en était émouvant.
      Je regrette de ne pas avoir eu la chance, il y a environ 60 ans de ne pas y avoir eu accès.

    • Descartes dit :

      @marcailloux

      [Et cette éducation implique, outre la connaissance minimum du fonctionnement des institutions, la nécessité d’atteindre un certain niveau de lucidité et de logique. En un mot trivial, on ne peut vouloir le beurre et l’argent du beurre. Et c’est cette conviction assimilée par le citoyen qui le rendra responsable à part entière.]

      Vous faites à mon avis trop confiance à l’éducation… non, ce n’est pas la conviction qui rend les gens responsables, c’est la nécessité. Si on peut élire des gens pour qu’ils conduisent la politique qui sert nos intérêts égoïstes tout en évitant d’endosser la culpabilité qui vient avec cet égoïsme en prétendant que « c’est la faute des politiques », on aurait tort de se gêner.

      Cette forme d’irresponsabilité est consubstantielle à tout système représentatif. J’aurais tendance d’ailleurs à dire que c’est ce qui fait sa force. En permettant cet exutoire, il nous rend moraux. Car ne vous faites pas d’illusion : si nous devions assumer nous-mêmes, sans intermédiaires, les politiques que nous voulons, nous les ferions quand même. Mais en plus, nous devrions devenir immoraux pour pouvoir les supporter. Quand il n’y a plus de police pour expulser les roms, les gens se font justice eux-mêmes… et c’est souvent bien pire.

      Le représentant n’est pas seulement un délégué. C’est là qu’à mon avis la « gauche radicale » se trompe avec ses idées de mandat impératif et de révocabilité à tout moment. Le représentant a aussi une fonction maïeutique. Il est là pour concilier ce que ses mandants prétendent vouloir et ce que ses mandants veulent réellement.

      [Nos représentants politiques ont beaucoup trop joué de cette carence des citoyens, illustrée par cette cynique parole de C. Pasqua: " les promesses n’engagent que ceux qui les croient ".
      L’éducation sert avant tout, dans ce contexte, à limiter le plus possible la naïveté des électeurs.]

      A votre avis, quel pourcentage d’électeurs croit vraiment aux engagements des candidats aux élections politiques ? Pensez-vous que ce pourcentage ait beaucoup changé au cours du dernier demi-siècle ? Soyons sérieux : personne n’est « naïve ». Quand un garçon promet à sa fiancée de lui décrocher la lune, ni elle ni lui n’y croient un instant que ce sera fait. Et de la même manière, les promesses électorales font partie d’un rituel de séduction. Personne ne les prend au sérieux. Et ceux qui se prétendent « déçus » de tel ou tel homme politique se foutent du monde. Ils n’ont pas voulu savoir, c’est tout.

      [Je voulais simplement évoquer une émission sur la dimension éducative de l’action du P.C. au lendemain de la Libération. Il y avait dans l’expression et le regard des militants interviewés une telle ferveur que c’en était émouvant.]

      C’est un joli nom, camarade…

      [Je regrette de ne pas avoir eu la chance, il y a environ 60 ans de ne pas y avoir eu accès.]

      Je n’ai pas non plus eu accès au lendemain de la Libération, mais cela restait très beau jusqu’aux années 1970. Après…

    • Jibal dit :

      [Non, j’entends aussi le « moment furtif » ou le peuple a voté à 83% des votants et 66% des inscrits (la participation étant elle de 81%), ce qui vous me l’accorderez n’est pas rien]
      Je vous l’accorde, ce n’est pas rien.
      Cependant ce fut non seulement un moment furtif mais qui, de plus, date un peu,
      J’entends par là que la situation politique actuelle a quand même un peu changé depuis 1958.

      [Je veux bien qu’on dise un peu n’importe quoi sur le « régime présidentiel si particulier »]
      Qui est ce "on" qui dit un peu n’importe quoi ?
      Pour ma part je me suis contenté de le qualifier de "si particulier" ce qui est factuellement le cas quand on le compare aux autres régimes présidentiels de la planète… Me l’accorderez-vous ?

      [Mais le fait est que c’est le régime que les français, dans leur immense majorité, ont voulu et – j’ajoute – continuent à vouloir.]
      J’admire vos certitudes quant au "continuent à vouloir".
      Permettez-moi cependant, en l’absence de preuve concrète de ce désir persistant, de ne pas nécessairement les partager…

      [Le peuple n’a pas seulement le pouvoir de « choisir son monarque quinquennal », il a aussi le pouvoir de décider s’il doit y avoir un « monarque », et combien il doit durer.]

      Voulez-vous dire qu’avec les institutions établies par la Vème République, le peuple pourrait donc décider de ne pas avoir de "monarque" et/ou de choisir d’interrompre son mandat ?
      J’avoue ne pas comprendre cette phrase.

      [Après, on peut discuter le système. Vous préféreriez peut-être un système de démocratie directe ou chaque décision serait prise par le vote des citoyens. Ou un système parlementaire ou le premier ministre serait chef de l’exécutif et responsable devant une assemblée dont les membres seraient élus pour un temps donné, ou peut être pour une durée illimitée et révocables à tout moment… personnellement, je trouve que le système de la Vème République n’est pas si mauvais que ça. En tout cas, j’attends toujours qu’on me propose mieux…]

      Pour ce qui me concerne, estimant ne pas disposer de suffisamment d’informations irréfutables, je n’ai aucune certitude sur ce qui serait bien ou mal pour le peuple ou sur que ce même peuple veut ou ne veut pas.
      Bon, allez, j’avoue quand même que j’aime assez l’idée de mandat révocable que vous évoquez mais je ne sais pas si cela "marcherait".

      Toutefois, comme vous, je ne pense pas que le système de la Vème République soit si mauvais que ça.
      J’ai simplement l’impression qu’il fut taillé "sur mesure" pour un homme comme le Général De Gaulle et dans les conditions politiques de son temps.
      Je crois qu’il ne convient plus à présent pour des hommes comme nos présidents actuels (que je considère comme des gestionnaires complètements dépourvus de la vision et du caractère de MonGénéral) et dans des conditions où leur liberté de manœuvre est fort limitée (en particulier, "grâce" à l’Europe).

    • Descartes dit :

      @Jibal

      [Pour ma part je me suis contenté de le qualifier de "si particulier" ce qui est factuellement le cas quand on le compare aux autres régimes présidentiels de la planète… Me l’accorderez-vous ?]

      Volontiers. Mais c’est une tautologie : pratiquement tous les régimes politiques sont « particuliers »…

      [J’admire vos certitudes quant au "continuent à vouloir". Permettez-moi cependant, en l’absence de preuve concrète de ce désir persistant, de ne pas nécessairement les partager…]

      Les « preuves concrètes » sont pourtant assez abondantes. Il y a d’abord le comportement des partis politiques, qui sont les organisations qui connaissent le mieux leurs électeurs. Si la proposition de réformer profondément le système hérité de la constitution de 1958 attirait les électeurs, tous les partis mettraient cette proposition dans leur programme. Or, à ma connaissance, aucun des partis de gouvernement ne prend à son bord une telle proposition. Il y a ensuite le comportement des électeurs : alors que la participation électorale diminue continûment pour l’ensemble des élection politiques, seule l’élection présidentielle échappe à cette règle.

      [Voulez-vous dire qu’avec les institutions établies par la Vème République, le peuple pourrait donc décider de ne pas avoir de "monarque" et/ou de choisir d’interrompre son mandat ?]

      Tout à fait. Il lui suffit de voter une réforme constitutionnelle.

      [Bon, allez, j’avoue quand même que j’aime assez l’idée de mandat révocable que vous évoquez mais je ne sais pas si cela "marcherait".]

      Je ne sais pas ce que vous entendez par « marcher ». Le problème du mandat révocable (et plus généralement du mandat impératif) est qu’il change la conception même que l’on a de la représentation. Dans le système représentatif de l’élection pour un mandat limité et irrévocable, l’homme politique n’est pas un simple agent des électeurs. Ceux-ci lui accordent le mandat de légiférer en leur nom, mais d’une manière autonome. Le mandat impératif implique que le représentant n’a aucune autonomie, il n’est qu’un agent, un porteur de messages.

      [J’ai simplement l’impression qu’il fut taillé "sur mesure" pour un homme comme le Général De Gaulle et dans les conditions politiques de son temps.]

      C’est vrai. D’ailleurs, il y a un abus de langage à parler de Vème République pour désigner le régime que nous avons aujourd’hui, comme si nos institutions fonctionnaient aujourd’hui de la même manière qu’en 1962. En fait, la Vème République « gaullienne » est morte un jour de 1986, lorsque François Mitterrand décida de rester à l’Elysée alors que sa majorité avait été battu lors des élections législatives. Si la constitution de la Vème donne au président un rôle pré-éminent, ce rôle a une contrepartie : l’obligation pour le président de remettre son mandat en jeu en permanence devant le peuple. Dès qu’il existe un doute sur la confiance du peuple, le président doit se retirer. Lorsque Mitterrand décide de rester malgré le désaveu évident de sa politique, il modifie profondément l’esprit des institutions. Le président ne tient plus sa légitimité d’une confrontation constante avec le peuple, mais de son élection. A partir de là, il est évident que la longueur de son mandat et les pouvoirs qu’il détient sont excessifs. Le choix Mitterrandien fut donc logiquement suivi de toute une série de réformes constitutionnelles qui à chaque fois ont affaibli un peu plus l’exécutif, et qui nous font insensiblement retourner vers la IVème République, l’instabilité en moins…

      [Je crois qu’il ne convient plus à présent pour des hommes comme nos présidents actuels (que je considère comme des gestionnaires complètements dépourvus de la vision et du caractère de MonGénéral) et dans des conditions où leur liberté de manœuvre est fort limitée (en particulier, "grâce" à l’Europe).]

      C’est en partie vrai. Mais je serais tenté de citer ici la phrase de Juvénal : « quand on n’aime pas ce qui est possible, il faut désirer ce qui n’est pas possible ». Aujourd’hui, la priorité est de grandir nos dirigeants pour les adapter aux institutions, et non rapetisser nos institutions pour les adapter à nos dirigeants. Même si Hollande est un nain, je préfère garder une fonction présidentielle taillée pour un géant. Parce que je n’ai pas perdu tout espoir qu’un géant puisse se présenter un jour…

  9. vent2sable dit :

    @Descartes
    En lisant votre article, je me disais : « mais à qui peut bien s’adresser cette démonstration, existe-t-il encore dans notre pays, des individus ou des groupes, qui militent pour l’avènement de l’anarchie ? »
    Mais en relisant mieux, j’ai compris le vrai message :
    [Il est illusoire de penser que des pays qui n’ont ni cette histoire, ni cette expérience, peuvent adopter nos institutions et les faire fonctionner de la même manière que nous. Même les africains « éclairés » comme Senghor, Houphouët-Boigny ou Bourguiba ont très vite compris qu’il fallait adapter les idées qu’ils avaient appris en France à leur contexte. Ils ont tous été des despotes.]
    En clair, selon vous, "ces gens là" ne sont pas encore mûrs pour la démocratie, ils « méritent » un despote.
    Pour appuyez votre démonstration vous évoquez trois dirigeants africains post coloniaux.
    Pensez vous que le choix de ces trois personnages de devenir des despotes, tienne :
    1/ de leur prise de conscience d’un manque de maturité de leur peuple
    2/ d’un goût pour le pouvoir absolu qui grandit avec le temps
    3/ de la sénilité qui s’installe avec l’âge.
    Si on prend le cas de Bourguiba, il était devenu sénile quand Ben Alli l’a destitué. Ben Alli lui même a fait les beaux jours de son pays, avant que sa « charmante » épouse et sa famille tentaculaire ne s’approprient par des moyens mafieux toutes les branches actives de l’économie du pays. Sans cette dérive mafieuse, qui sait s’il ne serait pas toujours le président élu.
    Quant à Poutine, il surfe depuis son avènement sur le goût immodéré des Russes pour la sécurité et l’espoir de grandeur que leur apporte un Tsar. Il semble néanmoins que tous les Russes ne goûtent pas avec le même plaisir l’honneur d’être dirigé par ce despote bien peu éclairé. Pensez aux territoires russes d’Asie centrale.
    Je constate par ailleurs que vous avez une représentation l’anarchie très personnelle.
    Dans le cas d’Eltsine, plutôt que d’anarchie, mieux vaudrait parler de pagaille suite à l’effondrement d’un système totalitaire. Et dans le cas de Bangui, plutôt que d’anarchie, mieux vaudrait parler d’abandon, de vacance du pouvoir, d’ambitions de pays voisins, de rancœurs ethniques et religieuses.
    Il n’y a pas de projet anarchique dans ces deux cas.
    Pour Bangui, à défaut de jouir d’une « vraie démocratie », que vous semblez leur refuser, croisons les doigts pour que ce peuple sans ressources retrouve la paix que lui propose sa nouvelle présidente.
    Et pour La Tunisie de feu Bourguiba et de feu Ben Alli, après trois ans d’un chemin difficile, les Tunisiens viennent de se voter une constitution. Ils ont tenu tête aux pressions financières des monarchies sunnites du Golf, tout en affirmant leur identité arabo-musulmane, qui les différencie de l’Europe.
    Comme quoi, le pire n’est jamais sûr.

    • Descartes dit :

      @vent2sable

      [En lisant votre article, je me disais : « mais à qui peut bien s’adresser cette démonstration, existe-t-il encore dans notre pays, des individus ou des groupes, qui militent pour l’avènement de l’anarchie ? »]

      Formellement, les « anarchistes » qui se reconnaissent comme tels sont relativement rares. Par contre, ceux qui sans revendiquer l’héritage anarchiste défendent des opinions qui aboutissent au même résultat sont assez nombreux. La tradition anarcho-syndicaliste, par exemple, reste assez forte dans notre pays. Vous trouverez des courants « libertaires » puissants dans l’ensemble de la « gauche radicale »… Prenez par exemple le slogan du PCF « lutte contre toutes les dominations, contre toutes les aliénations ». Parler d’une société ou il n’y aurait aucune « aliénation » est une idée éminemment « anarchiste ».

      [Mais en relisant mieux, j’ai compris le vrai message :]

      Je tremble… chaque fois que vous commencez comme ça, il s’avère qu’en fait vous avez compris de travers… et mes craintes se confirment en lisant ce qui suit :

      [« Il est illusoire de penser que des pays qui n’ont ni cette histoire, ni cette expérience, peuvent adopter nos institutions et les faire fonctionner de la même manière que nous. Même les africains « éclairés » comme Senghor, Houphouët-Boigny ou Bourguiba ont très vite compris qu’il fallait adapter les idées qu’ils avaient appris en France à leur contexte. Ils ont tous été des despotes ». En clair, selon vous, "ces gens là" ne sont pas encore mûrs pour la démocratie, ils « méritent » un despote.]

      Je ne sais pas très bien d’où vous avez tirer cette idée. « Mériter » implique une notion morale. On « mérite » une récompense quand on a bien fait, et on « mérite » une punition lorsqu’on a mal fait. Moi, je ne rentre pas dans ce débat-là. Est-ce que les romains « méritaient » l’empire, les Francs la royauté, les français de 1789 la République ? Franchement, je ne crois pas que la question se pose en ces termes. La question est plutôt de savoir si à un moment donné de son histoire un peuple a le capital culturel qui permet à l’empire, à la royauté ou à la République de fonctionner.

      Or, il me semble assez évident au vu de l’expérience que « ces gens là » n’ont pas le capital culturel, c’est à dire l’ensemble d’expériences, de règles, de disciplines, de représentations mentales qui permet à une démocratie à l’occidentale de fonctionner. Ce n’est pas là un jugement de valeur. Pourquoi la démocratie à l’occidentale serait elle le « bien » vers lequel toutes les civilisations devraient tendre ? Mais le fait est que ceux qui ont essayé d’importer ce système politique en Afrique se sont cassé très rapidement les dents. Ou bien ils ont dérivé vers une forme de despotisme qui n’est d’ailleurs pas non plus un despotisme « à l’occidentale », mais qui est une forme spécifiquement locale.

      [Pour appuyez votre démonstration vous évoquez trois dirigeants africains post coloniaux.]

      Il est difficile de trouver des exemples de dirigeants qui aient essayé d’implanter des régimes démocratiques avant la colonisation. Mais si vous en connaissez, je serai ravi de les prendre en considération.

      [Pensez vous que le choix de ces trois personnages de devenir des despotes, tienne :
      1/ de leur prise de conscience d’un manque de maturité de leur peuple
      2/ d’un goût pour le pouvoir absolu qui grandit avec le temps
      3/ de la sénilité qui s’installe avec l’âge.]

      Je pense que c’est le 1/ qui domine. Ni Bourguiba, ni Houphouët, ni Senghor n’ont attendu le vieil âge pour construire des régimes plus proches du despotisme éclairé avec un vernis paternaliste que de la démocratie. Cela n’exclue pas qu’il y ait un peu du 2/ et du 3/ le temps aidant. Mais c’est surtout le 1/ qui les a guidé. S’ils n’avaient pas pris cet élément en compte, ils n’auraient pas duré assez pour connaître les autres facteurs…

      [Si on prend le cas de Bourguiba, il était devenu sénile quand Ben Alli l’a destitué.]

      Oui. Mais il est devenu un despote bien avant d’être sénile. Dès le départ, en fait…

      [Quant à Poutine, il surfe depuis son avènement sur le goût immodéré des Russes pour la sécurité et l’espoir de grandeur que leur apporte un Tsar.]

      Pourquoi parlez-vous d’un « goût immodéré » ? Dans un pays ou le désordre s’est traduit très fréquemment par des guerres civiles ou par des catastrophes de proportions difficiles d’imaginer chez nous, je trouve que l’attitude des russes est au contraire fort rationnelle.

      [Il semble néanmoins que tous les Russes ne goûtent pas avec le même plaisir l’honneur d’être dirigé par ce despote bien peu éclairé. Pensez aux territoires russes d’Asie centrale.]

      Pourriez-vous être plus spécifique ? A quel « territoire russe d’Asie centrale » faites vous référence ?

      [Dans le cas d’Eltsine, plutôt que d’anarchie, mieux vaudrait parler de pagaille suite à l’effondrement d’un système totalitaire. Et dans le cas de Bangui, plutôt que d’anarchie, mieux vaudrait parler d’abandon, de vacance du pouvoir, d’ambitions de pays voisins, de rancœurs ethniques et religieuses.]

      J’avoue que la différence entre « anarchie » et « pagaille » m’échappe un peu. Je parle de situations où les structures qui dans nos sociétés assurent l’obéissance à la loi n’assurent plus leur rôle et ou par conséquent chacun est libre de faire un peu ce qu’il veut. Quant à l’idée que le gouvernement de Gorbatchev était « totalitaire »… je vous laisse la responsabilité de vos dires.

      [Il n’y a pas de projet anarchique dans ces deux cas.]

      Non. Il y a l’anarchie. Et contrairement à ce que beaucoup d’anarchistes – le mot à la mode est plutôt « libertaire » – pensent, ce n’est pas parce que les gens peuvent faire librement ce qu’ils veulent qu’ils font de bonnes choses.

      [Pour Bangui, à défaut de jouir d’une « vraie démocratie », que vous semblez leur refuser,]

      Moi, je ne leur « refuse » rien du tout. Je me contente de constater qu’ils ne semblent pas très intéressés dans l’instauration d’une « vraie démocratie », et que chaque fois que les occidentaux ont essayé de mettre une en place, dès qu’on lui laisse les mains libres elle dérive rapidement vers un système ou le clan du président pille le pays et les autres clans complotent sa destitution.

      [croisons les doigts pour que ce peuple sans ressources retrouve la paix que lui propose sa nouvelle présidente.]

      Si votre seul refuge est la prière…

      [Et pour La Tunisie de feu Bourguiba et de feu Ben Alli, après trois ans d’un chemin difficile, les Tunisiens viennent de se voter une constitution. Ils ont tenu tête aux pressions financières des monarchies sunnites du Golf, tout en affirmant leur identité arabo-musulmane, qui les différencie de l’Europe.]

      On verra ce que cela donnera dans le long terme. La Tunisie a eu la chance d’avoir un despote éclairé – Bourguiba – qui a fait un véritable investissement dans l’éducation de son peuple pour le sortir du corset « arabo-musulman », et c’est pourquoi j’ai tendance à être plus optimiste que pour les autres pays d’Afrique. Mais il y a une certaine distance de la coupe aux lèvres, et les bienpensants occidentaux ont une certaine tendance à s’enthousiasmer un peu vite. Par exemple, avez-vous lu le texte du projet de Constitution ? Malgré tout ce qu’on peut entendre, elle reste une constitution marquée par la référence religieuse. Ainsi, par exemple, le préambule déclare que la constitution est écrite « sur la base des enseignements de l’Islam », il précise l’appartenance de la Tunisie à « la nation arabe et musulmane » et la dernière phrase précise que la constitution est édictée « par la grâce de dieu ». L’article 1er fait de l’Islam la religion de l’Etat, l’article 6 fait de l’Etat « le garant de la religion » et « le gardien du sacré ». L’article 57 précise que les députés prêtent serment avec une formule qui commence par « Je jure par Dieu Tout-puissant de servir la nation loyalement (…) » ce qui semble exclure les agnostiques, qui ne peuvent pas en conscience prononcer un tel serment. L’article 73 précise que les candidats à la présidence doivent être « de religion musulmane ». L’article 88 impose aux membres du gouvernement un serment « par Dieu Tout-puissant », ce qui là encore semble exclure les agnostiques. L’article 141 interdit à toute révision constitutionnelle de mettre en cause « l’Islam en tant que religion d’Etat »…

    • BJ dit :

      " la Vème République « gaullienne » est morte un jour de 1986, lorsque François Mitterrand décida de rester à l’Elysée alors que sa majorité avait été battu lors des élections législatives "

      Cela fait plusieurs fois que je lis cette réflexion dans votre blog, et elle me surprend. J’aurais tendance à penser le contraire, que c’est la possibilité d’une cohabitation qui fait (ou plutôt faisait jusqu’en 2000) la force et la stabilité de notre constitution. Car enfin, cela n’a pas empêché la majorité élue de gouverner, en opposition à Mitterrand, sans que celui-ci puisse s’y opposer (il a signé les décrets d’application des lois votées par la majorité issue des urnes). Cela a même redonné une fonction au premier ministre – celle de chef du gouvernement – dont on ne voit pas très bien à quoi il sert quand il n’y a pas cohabitation. A l’inverse, cela a bien montré que les pouvoirs du Président de la République sont limités en ce qui concerne la politique intérieure du pays, et démystifie la légende de "monarque" élu. "Monarque" qui a d’ailleurs été reconduit deux ans plus tard, preuve que si les Français ont voulu un changement de politique, ils ne souhaitaient pas forcément changer de Président, et qu’il n’a donc pas eu tort en ne démissionnant pas. A la limite, une démission aurait pu être comprise comme une désertion, une rupture d’un engagement pris pour 7 ans. En conclusion, je pense que c’est plutôt en un certain jour de 2000 – avec la synchronisation du mandat présidentiel à 5 ans – que la cinquième est morte. D’un autre côté, pour permettre l’élection d’un homme "normal", c’était indispensable 😉

    • Descartes dit :

      @BJ

      [Cela fait plusieurs fois que je lis cette réflexion dans votre blog, et elle me surprend. J’aurais tendance à penser le contraire, que c’est la possibilité d’une cohabitation qui fait (ou plutôt faisait jusqu’en 2000) la force et la stabilité de notre constitution.]

      Pourquoi ? Si en 1986 François Mitterrand avait tiré les conclusions du rejet par le peuple de sa politique et avait démissionné, la « stabilité de notre constitution » n’aurait en rien souffert. On aurait organisé des élections présidentielles, et un autre président aurait été élu avec sept ans devant lui et un mandat pour conduire une politique. Au lieu de quoi on a eu deux ans de crocs-en-jambe et de calculs politiciens.

      L’esprit de la Vème République, c’est la diarchie. C’est un gouvernement qui certes détermine et conduit la politique de la nation sous le contrôle de la représentation nationale, mais qui n’en est pas issu. Rien, dans la constitution de la Vème République, n’oblige le gouvernement à demander et obtenir la confiance de l’Assemblée Nationale. C’est le président qui nomme – et en esprit révoque – le gouvernement. Et le président n’est responsable que devant le peuple.

      C’est cette logique que la cohabitation a détruite. Du fait de la cohabitation, la responsabilité devant le peuple disparaît, puisque celui qui « détermine et conduit la politique de la nation » n’est responsable que devant l’Assemblée, et que celui qui est responsable devant le peuple n’a plus aucun pouvoir. La cohabitation rétablit le régime des partis, et on l’a bien vu lors de la constitution du gouvernement Jospin, lorsque des décisions capitales de politique publique – la fermeture de Superphénix, pour ne donner qu’un exemple – ont été prises pour acheter les voix nécessaires à la constitution d’une majorité.

      [Car enfin, cela n’a pas empêché la majorité élue de gouverner, en opposition à Mitterrand, sans que celui-ci puisse s’y opposer (il a signé les décrets d’application des lois votées par la majorité issue des urnes).]

      C’est une vision très idéalisée de la première cohabitation. Mitterrand n’a pas signé les décrets d’application et n’avait pas à le faire (puisque seul le premier ministre et les ministres signent les décrets réglementaires). Mitterrand a plusieurs fois refusé de signer les décrets de nomination soumis par le gouvernement, ainsi que les ordonnances. Mais ce n’est pas là le problème. Le gouvernement Chirac a « gouverné » au milieu des crocs-en-jambe permanents posés par le président, sous la menace permanente d’une dissolution, et sans pouvoir utiliser les outils constitutionnels pour discipliner l’assemblée (par exemple le 49-3 ou le référendum) puisque ceux-ci nécessitent l’accord du président. S’il n’y a pas eu discontinuité du pouvoir, on ne peut pas dire que le gouvernement Chirac de 1986-88 ait pu gouverner dans l’esprit de la constitution de 1958.

      [Cela a même redonné une fonction au premier ministre – celle de chef du gouvernement – dont on ne voit pas très bien à quoi il sert quand il n’y a pas cohabitation.]

      « Président du Conseil » serait à mon avis plus proche de la réalité… et encore, si le retour vers la IVème République n’a pas été plus visible, c’est parce que le système électoral majoritaire à donné aux gouvernements de cohabitations des majorités relativement stables.

      [A l’inverse, cela a bien montré que les pouvoirs du Président de la République sont limités en ce qui concerne la politique intérieure du pays, et démystifie la légende de "monarque" élu.]

      J’ai du mal à vous suivre. D’un côté, vous récusez mon idée que la cohabitation a tué la Vème République. D’un autre, vous affirmez qu’elle a « démystifié » ce qui constitue précisément le mythe qui constitue la clé de voûte de la Vème république… faudrait savoir !

      Le président de la République a bien été le « monarque élu » aussi longtemps qu’il a accepté la règle du jeu, qui est que toute mise en cause du peuple français de la politique de son gouvernement est interprétée comme une mise en cause du président, au point que celui-ci ne peut demeurer une fois que le peuple consulté sur une question politique lui refuse sa confiance. Lorsque Mitterrand a refusé d’appliquer cette règle, non écrite certes mais consubstantielle aux institutions de la Vème République, celle-ci est morte pour laisser la place à une IVème République bis.

      ["Monarque" qui a d’ailleurs été reconduit deux ans plus tard, preuve que si les Français ont voulu un changement de politique, ils ne souhaitaient pas forcément changer de Président, et qu’il n’a donc pas eu tort en ne démissionnant pas.]

      La réélection de Mitterrand en 1988 ne « prouve » rien de tel. Déduire du vote des français en 1988 ce qu’était leur désir en 1986 me semble un raisonnement à rebours. La seule manière de savoir si les français souhaitaient la démission de Mitterrand en 1986 était de le leur demander, et c’est ce qu’aurait fait De Gaulle. Mitterrand lui, à préféré ne pas leur poser la question. Ce qui semble indiquer que lui au moins n’était pas persuadé que les français étaient prêts à renouveler son bail à l’Elysée.

      [A la limite, une démission aurait pu être comprise comme une désertion, une rupture d’un engagement pris pour 7 ans.]

      Votre commentaire correspond à une logique IVème République, ou la fonction présidentielle se réduite à être le garant du fonctionnement des institutions, et n’implique en rien un mandat politique. Mais sous la Vème, l’engagement pris par le président pour sept ans, ce n’est pas d’occuper un fauteuil, c’est de conduire une politique. Dès lors que les français lui refusent les moyens de conduire cette politique, sa permanence n’a plus aucun sens.

      [En conclusion, je pense que c’est plutôt en un certain jour de 2000 – avec la synchronisation du mandat présidentiel à 5 ans – que la cinquième est morte. D’un autre côté, pour permettre l’élection d’un homme "normal", c’était indispensable ;-)]

      Je n’ai pas très bien compris en quoi le septennat aurait rendu impossible l’élection d’un homme « normal ». Ce serait plutôt la « démythification » de la fonction présidentielle qui a permis cette élection, et vous avez vous-même attribué la « démythification » en question à la cohabitation…

  10. marc.malesherbes dit :

    Bonjour,
    bravo pour votre billet très éclairant.

    J’ai une question sur les solidarités claniques.
    Les solidarités claniques ne sont elles pas les premières organisations en société, avec leurs institutions (par exemple l’initiation, les hommes en armes, la justice, les croyances …) ?
    Le problème est le caractère relativement "primitif" de cette organisation sociale, qui ne permet pas d’agréger de grands groupes, et qui donc se voie "absorbée" par des organisations plus "évoluées" et "performantes" comme les "villes" "les états" (voir le moyen orient et la constitution des premières "villes-état").

    L’Afrique avait déjà connu, avant la colonisation, la constitution de "royaumes". Ne faut-il pas recommencer par là la construction de sociétés dépassant le clanisme ? Au moins dans les zones concernées ? Et dans les zones qui en étaient restés au clanisme, revenir à cette forme de solidarité ? Certes cela provoquera de "petites" guerres incessantes peu coûteuse en vies*. Mais cela n’est-il pas la voie de l’apprentissage ? Et compte tenu de la démographie africaine, cela ne serait guère un problème.

    * quand on voit se qui se passe en RDC (république démocratique du Congo), on peut difficilement faire pire.

    • Descartes dit :

      @marc.malesherbes

      [J’ai une question sur les solidarités claniques. Les solidarités claniques ne sont elles pas les premières organisations en société, avec leurs institutions (par exemple l’initiation, les hommes en armes, la justice, les croyances …) ?]

      Oui. Disons que le clan apparaît comme extension de la famille. Le clan est un groupe dont les membres se considèrent descendre d’un ancêtre commun, qui peut être réel ou fictif. Il s’ensuit que les membres d’un clan ont tous des liens de sang, et que le clan est une structure rigide (on ne peut ni rentrer, ni sortir). C’est donc, après la famille, la structure sociale la plus ancienne.

      [Le problème est le caractère relativement "primitif" de cette organisation sociale, qui ne permet pas d’agréger de grands groupes,]

      Ce n’est pas le cas. En fait, le clan a subsisté dans certaines sociétés et même coexisté avec des sociétés relativement évoluées. En Ecosse, l’organisation clanique a été dominante dans la politique écossaise jusqu’au XVIIIème siècle. En Italie du sud, la société reste clanique jusqu’à nos jours.

      [et qui donc se voie "absorbée" par des organisations plus "évoluées" et "performantes" comme les "villes" "les états" (voir le moyen orient et la constitution des premières "villes-état").]

      Pas nécessairement. Jusqu’au XVIIIème siècle il existait dans beaucoup de villes ce qu’on appelait les « lignages urbains » : un nombre réduit de familles auxquelles étaient réservés toutes les magistratures civiles. C’était le cas par exemple à Bruxelles, et le système a perduré jusqu’à la Revolution française.

      [L’Afrique avait déjà connu, avant la colonisation, la constitution de "royaumes". Ne faut-il pas recommencer par là la construction de sociétés dépassant le clanisme ? Au moins dans les zones concernées ? Et dans les zones qui en étaient restés au clanisme, revenir à cette forme de solidarité ? Certes cela provoquera de "petites" guerres incessantes peu coûteuse en vies*.]

      De facto, c’est ce qui arrive. Beaucoup de pays africains sont en fait des systèmes qui sont à la frontière entre système clanique et système ethnique. Lorsqu’un homme arrive au pouvoir, c’est en fait son clan/ethnie qui confisque l’ensemble des postes, des privilèges, des richesses. Cela arrive parce qu’il existe des règles de solidarité entre membres du clan/ethnie dont son exclus ceux qui n’appartiennent pas. Mais tu est extrêmement optimiste en pensant que cela ne produira que des « petites guerres ». Les conflits claniques/ethniques peuvent être très meurtriers…

    • marc.malesherbes dit :

      Bonjour,

      vous écrivez:
      "On découvre brusquement que si le comique ne payait pas ses amendes, c’est parce que personne en fait n’avait actionné les leviers de la procédure pénale"

      Il me semblerait intéressant d’en savoir plus. Pourquoi ces leviers n’ont-ils pas été actionnés ?
      Il est quand même difficile de penser à une simple défaillance. Pour une simple excès de vitesse, de quelques dizaine d’euros, que j’avais "oublié" de payer, j’ai rapidement été menacé par l’huissier de saisir tous mes meubles, et personne ne s’est inquiété de savoir si j’étais solvable ou non.

      Je prend donc pour hypothèse qu’il ne s’agit pas d’une simple défaillance. Avez-vous une explication ?

      nb: en ce qui me concerne, le plus probable me paraît être que dans le monde médiatique, monde associé aux politiques, on ne se fait pas de misères, sauf quand on est vraiment obligé à la suite d’un scandale public monté sur le devant de la scène pour une raison ou une autre. D’autant que le comique en question, ancien antiraciste patenté, a du avoir pas mal d’amitiés et de soutiens dans les milieux de la bienpensance.

    • Descartes dit :

      @marc.malesherbes

      [Je prend donc pour hypothèse qu’il ne s’agit pas d’une simple défaillance. Avez-vous une explication ?]

      Non. Du moins aucune que je puisse fonder sur des faits. Mon impression est que dans cette affaire comme dans d’autres affaires « sensibles », on suit la ligne du moindre risque. Lorsqu’il s’agit de personnalités médiatiques, les fonctionnaires sont souvent très prudents, et ils n’ont pas tort. Agir contre une personnalité, c’est prendre le risque d’un scandale public, sans être sur que votre hiérarchie vous couvrira. A quoi bon chercher des ennuis ? La conséquence est que les personnalités médiatiques bénéficient d’une certaine impunité, sauf lorsqu’il y a une véritable volonté politique.

      Si Dieudonné n’a pas été contraint de payer ses amendes, c’est parce qu’il n’y avait pour les politiques aucun intérêt à le faire. Et dans ces conditions, l’administration attend. Lorsque tout à coup l’affaire Dieudonné est devenue intéressante pour le pouvoir, tout à coup et comme par miracle la machine se met en marche…

  11. Je ne suis pas tout à fait d’accord pour dire que l’anarchie signifie la pagaille. Dans le langage courant, il est vrai que les termes sont devenus synonymes. Mais pour les penseurs anarchistes du XIX°, l’anarchie n’impliquait pas le chaos, au contraire. C’est Proudhon je crois qui écrit que l’anarchie, c’est "l’ordre sans le pouvoir". En fait beaucoup d’anarchistes essayaient de concevoir une société ordonnée mais sans le "Léviathan" de Hobbes justement. Un exercice intellectuel qui ne me paraît pas inutile. On peut toujours essayer de réfléchir à d’autres modes de régulation de la société et de l’économie que l’intervention de l’Etat.

    Au sortir de l’adolescence, l’anarchie a suscité chez moi un vif intérêt. Non point l’anarchie libertaire, qui n’est qu’une variante du gauchisme, mais l’anarchie en tant que système fondé sur une stricte autodiscipline. Il me semblait qu’un tel système mettait en valeur la responsabilité individuelle. Ayant un peu réfléchi sur la question, j’en arrivais à deux conclusions: 1) l’anarchie ne pouvait fonctionner qu’au sein de communautés restreintes, sans quoi la démocratie directe est impossible; 2) une société égalitaire fondée sur l’autodiscipline suppose une très longue phase de formation, et je pensais que, finalement, la majorité politique ne pouvait guère survenir avant 30 ans, le temps que l’individu ait reçu une formation intellectuelle et technique poussée et intériorisé toutes les règles de vie en société pour devenir "autonome" au sens premier. L’anarchie de mon point de vue revêtait ainsi une dimension ascétique et initiatique. Ensuite, reprenant finalement en partie les idées fédéralistes de Proudhon, j’imaginais que chaque communauté autonome échangeait ses surplus avec les autres communautés (bien que dans mon idée, l’autarcie était l’idéal), et que les diverses communautés se regroupaient en fédérations pour la défense, l’entretien des voies de communication, la construction de grands aménagements… Au sommet, des instances fédérales minimales seraient chargées de régler les contentieux entre communautés. Bien sûr, j’ai compris depuis qu’un tel système n’est pas viable, peut-être surtout parce que tout le monde n’a pas le goût des responsabilités. De plus, un système social très égalitaire peut difficilement s’accommoder d’une société à haut développement technologique, où l’ensemble des compétences ne peut être détenu par tout un chacun. L’anarchie, telle que je la pensais, ne serait finalement possible que pour une société rurale, pas trop évoluée, dans laquelle un individu peut maîtriser l’essentiel des technologies. D’ailleurs, je dois avouer que mon projet anarchiste était empreint d’un certain "retour à la terre" plutôt réactionnaire.

    Malgré tout, et même si les idées et projets de Proudhon ont été sévèrement critiqués par Marx, je pense que l’idéologie anarchiste mérite mieux que la caricature qui en est souvent faite. On cite souvent de Proudhon la phrase célèbre: "la propriété, c’est le vol", mais on oublie qu’in fine, Proudhon est favorable à la propriété en ce qu’elle permet d’être libre. En fait, Proudhon est un anticollectiviste, qui rêve surtout d’une société de petits producteurs indépendants et associés. Je me demande même s’il n’y a pas un petit côté poujadiste chez Proudhon (ou proudhonien chez Poujade…).

    • Descartes dit :

      @nationalistejacobin

      [Je ne suis pas tout à fait d’accord pour dire que l’anarchie signifie la pagaille. Dans le langage courant, il est vrai que les termes sont devenus synonymes. Mais pour les penseurs anarchistes du XIX°, l’anarchie n’impliquait pas le chaos, au contraire. C’est Proudhon je crois qui écrit que l’anarchie, c’est "l’ordre sans le pouvoir".]

      Tout a fait d’accord. Le problème que je voulais souligner est qu’on ne voit pas par quelle magie cet « ordre sans le pouvoir » pourrait surgir. En d’autres termes, comment un système ou chacun est libre de faire ce qu’il veut pourrait s’ordonner spontanément. Les arguments des penseurs anarchistes tournent toujours autour d’une vision idéaliste d’un homme qui serait naturellement bon – à partir d’une lecture superficielle de Rousseau – et qui une fois débarrassé de la corruption du pouvoir irait spontanément vers une fraternité universelle. C’est cet idéalisme qui leur a valu la critique des marxistes, pour lesquels on ne peut imaginer une organisation sociale en l’absence d’une base matérielle. Le moins qu’on puisse dire est que les rares expérimentés dans la matière n’ont pas donné un résultat probant. Hobbes et Marx semblent avoir mieux compris la nature humaine que Proudhon.

      [En fait beaucoup d’anarchistes essayaient de concevoir une société ordonnée mais sans le "Léviathan" de Hobbes justement. Un exercice intellectuel qui ne me paraît pas inutile.]

      Oui… à condition qu’il parte d’une critique de Hobbes. On ne peut imaginer une société ordonnée sans le Léviathan sans expliquer pourquoi Hobbes avait tort…

      [On peut toujours essayer de réfléchir à d’autres modes de régulation de la société et de l’économie que l’intervention de l’Etat.]

      On peut toujours. Mais le moins qu’on puisse dire c’est que toutes ces réflexions se heurtent toujours au même problème. A savoir : sans un Etat en qui tous délèguent leur pouvoir de nuire, qu’est ce qui empêchera les hommes de se nuire les uns les autres ? Ce problème posé par Hobbes il y a quatre siècles n’a pour le moment reçu d’autre réponse que celle qu’il avait proposé…

      [mais l’anarchie en tant que système fondé sur une stricte autodiscipline.]

      Mais quel est le moteur de cette « autodiscipline » ? Pourquoi respecter les règles alors qu’on aurait tout intérêt à ne pas le faire ? Ce genre de vision repose, comme vous le dites, dans un élément « ascétique et initiatique ». Seulement, les seuls ascétismes qui ont historiquement fonctionné sont fondés sur une transcendance. Il vous faut un dieu qui donne un sens à vos sacrifices. Quel serait le « dieu » de la communauté anarchiste ?

      [Bien sûr, j’ai compris depuis qu’un tel système n’est pas viable, peut-être surtout parce que tout le monde n’a pas le goût des responsabilités.]

      Il n’est surtout pas viable parce qu’il repose sur l’idée que les personnes et les communautés puissent faire abstraction de leurs intérêts. Et même si l’on pouvait aboutir à ce résultat par on ne sait quelle lobotomie, je ne suis pas sur que j’aurais envie de vivre dans une telle société, ou chacun est censé sacrifier ses intérêts pour cette abstraction qu’est « la communauté » sans possibilité de choix. C’est finalement « l’esprit de la ruche »…

      [Malgré tout, et même si les idées et projets de Proudhon ont été sévèrement critiqués par Marx, je pense que l’idéologie anarchiste mérite mieux que la caricature qui en est souvent faite.]

      Ouais bof… Personnellement, je suis du côté de Marx.

      [On cite souvent de Proudhon la phrase célèbre: "la propriété, c’est le vol", mais on oublie qu’in fine, Proudhon est favorable à la propriété en ce qu’elle permet d’être libre. En fait, Proudhon est un anticollectiviste, qui rêve surtout d’une société de petits producteurs indépendants et associés. Je me demande même s’il n’y a pas un petit côté poujadiste chez Proudhon (ou proudhonien chez Poujade…).]

      Certainement….

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *