Pitié pour nos décideurs !

"Je ne sais pas qui aurait gagné cette bataille, mais je sais qui l'aurait perdue" (Joffre)

Ainsi, il n’y aura pas de Grade Braderie cette année à Lille. Martine Aubry l’a ainsi décidé, déclarant qu’il lui était impossible de sécuriser le périmètre de la manifestation, et ajoutant que « s’il devait y avoir un massacre comme celui de Nice je ne me le pardonnerait jamais ». La Grande Braderie rejoint ainsi la longue liste de festivals, de concerts, de feux d’artifice et de manifestations de toutes sortes qui ont été annulées au nom de la protection des populations face à la « menace terroriste ».

Disons-le tout net : si nous acceptons cet argument, alors nous et nos descendants devrons vivre dans un monde très différent de celui auquel nous étions habitués. Car ce n’est pas une parenthèse qui s’ouvre, c’est une nouveau système de rapports qui se construit sous nos yeux. Il ne faut pas se voiler la face : on n’arrivera jamais à sécuriser complètement la Grande Braderie de Lille. Comme on n’arrivera jamais à sécuriser la Fête de l’Humanité, les terrasses des cafés de France, les concerts de rock, la sortie des écoles. Faut-il tout annuler ? Si l’on continue comme ça, nous vivrons bientôt barricadés dans nos maisons transformés en bunkers et irons acheter le pain en voiture blindée accompagnés de deux gardes du corps. Trois jours après les attentats de Charlie Hebdo, nous sommes sortis dans la rue par millions. Imagine-t-on le carnage qu’aurait pu faire un terroriste en tirant sur cette manifestation ? Ou un camion fou fonçant sur la foule ? Aurions nous du nous abstenir au nom de ce terrifiant « principe de précaution » social qui est en train de nous étouffer ?

Rétrospectivement, on ne peut que constater la profondeur du traumatisme provoqué par le massacre de la rédaction de l’hebdomadaire anticonformiste. Un choc si profond que pendant quelques semaines on a pu mettre de côté tout ce qu’il y a de détestable dans cette société postmoderne dans laquelle il nous est donné de vivre. Pendant quelques jours, nous avons cessé de cracher sur nos institutions. Nous avons admis que nos autorités, nos policiers, nos gendarmes faisaient leur boulot avec compétence et dévouement. Nous avons mis nos symboles nationaux aux fenêtres. Nous avons laissé de côté notre aversion au risque. Nous sommes sortis dans la rue par millions pour défendre le droit à l’irrévérence, à l’irrespect, au « politiquement incorrect ». Mais ce traumatisme n’eut qu’un temps : au fur et à mesure des attentats, on a renoué avec ce détestable sport français qu’est la chasse au bouc émissaire et le dénigrement systématique des institutions et de ceux qui sont en charge. Le pompon fut Nice, avec un échange d’accusations par presse interposée entre les services de l’Intérieur et ceux des collectivités locales, le tout dans un cadre de récupération politique.

Les français ont un rapport torturé avec leurs institutions et avec leurs gouvernants. Alors que les anglo-saxons partent de l’hypothèse que les institutions humaines sont faillibles et limitées, les français continuent à les investir de la toute puissance. Comment sinon expliquer que toute catastrophe doive nécessairement trouver son explication dans leur défaillance ? Une attaque terroriste pointe à une défaillance des services de sécurité. Un accident médicamenteux à la défaillance du système de pharmacovigilance. Les mauvais résultats des élèves à la défaillance de l’école. L’accident de la route est nécessairement accompagné du cortège des voisins qui vous diront « on a dit à la mairie que le carrefour était dangereux, mais le maire n’a rien fait ». Nous sommes presque par essence les victimes de l’incompétence des autres. Et cette accusation n’a besoin du moindre début de preuve : comme dans tout raisonnement complotiste, le simple soupçon suffit. S’il y a dans notre monde la douleur, la maladie, la mort, c’est que quelqu’un n’a pas fait correctement son boulot.

Cette logique du soupçon systématique a eu ses bons côtés : se sachant surveillés par une opinion qui ne fait pas de cadeaux nos gestionnaires publics ont tendance à être sur les dents et à chercher par tous les moyens à mettre leur service au dessus des critiques. Voltaire s’en moquait d’ailleurs dans « Candide » : « Dans ce pays-ci, il est bon de tuer de temps en temps un amiral pour encourager les autres ». Si les services publics en France sont d’une rare qualité, c’est aussi parce que ceux qui les gèrent savent ne pas pouvoir compter sur la résignation des français comme c’est le cas dans d’autres pays où la tendance est d’accepter l’inacceptable sous prétexte que « les gens font ce qu’ils peuvent ». Mais lorsque la logique du soupçon dépasse une certaine limite, elle devient totalement paralysante. La logique exposée par Voltaire s’en moquait d’ailleurs dans « Candide » – « Dans ce pays-ci, il est bon de tuer de temps en temps un amiral pour encourager les autres » – a des limites. Car si certains iront qualifier de lâche la décision de Martine Aubry d’annuler la Grande Braderie dans sa ville, d’autres n’y verront qu’une compréhensible prudence. Et ils auront raison : jamais dans notre histoire récente le rapport coût/risque de la décision publique n’a été aussi défavorable que maintenant. Pour le dire simplement, tout décideur public sait, lorsqu’il prend une décision qui implique un certain niveau de risque – et c’est le cas de toute décision d’une certaine importance – que si ça se passe bien personne ne reconnaîtra son travail, mais que si par malheur le risque se réalise il sera traîné dans la boue et les crachats. Mettez un médicament sur le marché qui sauve des milliers de vies et personne ne se souviendra de votre nom. Mais si ce médicament provoque quelques accidents médicamenteux, alors vous pouvez être sur de faire la une des journaux. Construisez un barrage et vous serez oublié, mais si le barrage a une fissure vous aurez les honneurs du Canard Enchainé. La sentence de Joffre reste toujours d’actualité : « je ne sais pas qui a gagné cette bataille, mais je sais qui l’aurait perdue ».

Il fut un temps où l’on rendait hommage aux grands hommes. Les grands préfets comme Haussmann ou Poubelle ont vu leur nom immortalisé par un boulevard pour le premier, par le nom même de l’objet qu’il avait inventé pour le second. Et à défaut de la reconnaissance de la foule, il pouvait au moins compter sur celle des élites. Mais quel est le destin d’un serviteur public aujourd’hui ? Il lui reste à choisir entre la honte – si par malheur un accident arrive pendant son mandat – et l’oubli. Un chef d’entreprise qui prend des risques sait que si ça rate il perdra son argent, mais que si ça marche il en gagnera beaucoup. Pour le décideur public, la récompense de la prise de risques est nulle. Et la sanction, bien plus lourde. Pensez par exemple au programme électronucléaire qui fournit depuis 30 ans presque 80% de notre électricité. Seriez-vous capable de dire qui sont ceux qui ont décidé et conduit ce programme, et comment ont-ils été récompensés de ce qui est une incontestable réussite ? Par contre, si cela n’avait pas marché, s’il y avait eu des ratés ou – pire encore – un accident nucléaire, leurs noms auraient été livrés en pâture à la foule accusés de la dernière incompétence…

Bien sur, les stratégies de minimisation du risque personnel dépendent de la situation. Souvent, ils conduisent à ne rien faire. En effet, il est souvent plus dangereux de faire quelque chose que de s’abstenir. La faute d’action est toujours plus facile à invoquer et plus lourdement punie que celle d’abstention. Si j’autorise un médicament, et celui cause un accident médicamenteux, il est facile de m’accuser. Si je refuse l’autorisation, ceux dont les vies auraient pu être sauvées par celui-ci auront beaucoup plus de mal à mettre en jeu ma responsabilité. Mais dans d’autres cas, l’inaction comporte de gros risques. L’exemple de l’épidémie de grippe H1N1 est un cas d’école. La ministre de la santé de l’époque se trouvait dans le dilemme suivant : Soit elle dépensait des milliards pour acheter des vaccins qui avaient de grandes chances de ne pas servir, soit elle ne faisait rien prenait le faible risque d’être traînée dans la boue pour avoir par son incompétence assassiné quelques milliers de malades. La ministre en question avait bien compris qu’elle avait à choisir entre une grosse probabilité d’être traînée dans la boue pour quelques milliards mal dépensés et une petite probabilité d’être traînée dans la boue pour assassinat. Et elle a choisi le risque politiquement plus faible, sachant que plaie d’argent n’est pas mortelle mais qu’un mort peut gâcher votre carrière. Maintenant, combien de vies auraient pu être sauvées si les sommes consacrées à l’achat du vaccin H1N1 avaient été consacrées à d’autres besoins médicaux ? Cette question, qui dans un système rationnel devrait être la seule posée, n’a dans le cas d’espèce aucune importance…

Il est d’ailleurs piquant de constater que dans un pays où tout le monde est intimement persuadé de bien faire son travail – posez la question autour de vous, combien de gens vous trouverez pour admettre qu’ils font mal leur boulot ? – on soit aussi intimement persuadé qu’on est le seul à bien le faire. Il est grand temps de se battre contre cette dérive qui nous conduit à l’individu-île, se méfiant de tout et de tous. Cela passe par l’admission qu’il existe dans ce monde des risques, que ces risques peuvent être réduits mais pas annulés, et qu’il peut donc se produire des accidents et des massacres alors même que tout le monde a bien fait son travail. Il nous faut aussi comprendre que l’erreur humaine existe, et qu’il est stupide de l’assimiler à une faute. Le meilleur chirurgien, le plus professionnel et le plus attentif, commettra un jour une erreur qui aura peut-être des conséquences graves. Et c’est inévitable. Cela fait partie de la tragédie de la condition humaine. Et que faut-il faire le jour ou cet accident se produira – parce qu’il se produira un jour, qu’on le veuille ou pas ? Désigner ce bon chirurgien à la vindicte publique ? Détruire sa carrière ? L’empêcher désormais de mettre ses talents au service de la société ? C’est absurde. Notre intérêt à tous est que la personne en question puisse continuer à exercer, en tirant les leçons de son erreur. Et pour cela, il faut que ceux qui font l’opinion poussent ceux qui subissent les conséquences de son erreur les acceptent comme faisant partie de cette tragédie, au lieu de les exciter à faire des procès et exiger des têtes.

Il faut être conscient qu’exciter la méfiance publique a un coût, et que la confiance est une valeur sociale de premier plan. Une société aussi complexe que la notre fonctionne beaucoup mieux lorsque les citoyens sont convaincus jusqu’à preuve contraire que le train va arriver à l’heure. Que l’employé des postes à qui nous confions une lettre va la distribuer, et non la jeter à la poubelle. Que le policier qui patrouille notre rue a l’intention d’appliquer la loi, et non de provoquer une bavure. Que le nouveau médicament que le pharmacien nous vend est bon pour notre santé. Et cette confiance est justifiée parce que la plupart des trains arrivent à l’heure, l’immense majorité des lettres sont distribués, la quasi-totalité des actions de la police sont justifiées, les médicaments que nous prenons nous guérissent. Si nous laissons la méfiance s’installer, alors les employés des postes refuseront nos lettres dès qu’elles présentent une anomalie, les policiers s’abstiendront d’intervenir dès qu’il y a le moindre risque et les pharmaciens refuseront de vendre les derniers médicaments « pour ne pas avoir d’ennuis ».

Nous avons besoin de décideurs capables de prendre des risques calculés. Pas de décideurs que la peur de l’opinion médiatique paralyse au point de ne plus rien faire. Or, c’est exactement ce que nous avons aujourd’hui. D’une Martine Aubry qui annule la Braderie aux préfets qui laissent détruire des biens publics de peur de se retrouver avec un Remi Fraisse sur les bras. Sans compter les policiers qui, de leur propre aveu n’osent interpeller les délinquants dans certains contextes de peur d’une « bavure ». Si nous voulons que nos décideurs décident, que nos agents publics exécutent les décisions, alors il faut créer un contexte de bienveillance, une logique dans lequel le travail bien fait est récompensé – quelqu’en soient les résultats d’ailleurs. Car il faut à chaque fois rappeler – et se rappeler – que l’obligation du décideur public, comme celle du chirurgien, est une obligation de moyens, et non de résultats. Personne ne peut garantir que grâce à sa politique il n’y aura plus d’attentats, qu’il n’y aura pas de bavure, que « la courbe du chômage s’inversera ». Le décideur n’est ni omniscient, ni tout-puissant. Les résultats de son action dépendent de sa compétence et de son ardeur à la tâche, certes, mais aussi d’un ensemble d’éléments qu’il ne peut pas contrôler, de données qu’il ne peut pas connaître. Ne pas reconnaître ce fait revient à obliger nos décideurs publics à jouer à la roulette russe à chaque décision. Pas étonnant dans ces conditions qu’ils refusent d’en prendre… ou de les endosser.

Descartes

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59 réponses à Pitié pour nos décideurs !

  1. luc dit :

    Au contraire de ‘la braderie de Lille’,capitulation éhontée de Martine Aubry devant les islamistes une fois de plus,,rendant hommage à la fête de l’HUMA !
    Elle aura lieu ! Les organisateurs en Interne,dans le PCF,mobilisent les militants,font appels à des vigiles pour continuer cette traditionnelle rentrée politique française.
    Et cela malgré les suicidaires,rêvant d’augmenter leur suicide par une filiation artificielle à Daesch trop heureux d’officialiser ces suicidaires comme militants(cf:excellent article précédant de Descartes).
    Vive la fête de l’Huma!
    Vive la France!

  2. cdg dit :

    Bien que d accord avec le debut de votre texte (annuler des manifestations pour cause de risque terroriste est debile) je suis plus sceptique avec la suite. Etes vous sur que ” nos gestionnaires publics ont tendance à être sur les dents et à chercher par tous les moyens à mettre leur service au dessus des critiques” ?
    On a vu avec le mediator (ou maintenant un cas similaire avec un medicament de Sanofi) que le systeme a au contraire tout fait pour etouffer le scandale.
    Ca me rappelle ce que j ai lu sur un livre sur la police de Staline et dans une moindre mesure vecu dans une grosse entreprise francaise. Vous avez un dogme officiel. Si vous trouvez quelque chose, votre role n est pas d en trouver la cause reelle mais de trouver une explication conforme au dogme. S ecarter du dogme est risquer la disgrace (et la mort dans le cas stalinien)
    Helas, on en est la en France. Si vous etes un decideur de l education nationale et vous dites que le systeme va mal (difficulter de recruter des professeurs malgre un chomage massif, % de bachelier en hausse contante mais niveau scolaire lui en baisse …) vous vous faites saquer. Si vous etes general de gendarmerie et que vous dites qu il ne sert a rien d arreter des criminels car l immense majorite est liberee aussi sec, vous vous faites mettre a la retraite ….

    Decider c est peser le pour et le contre a un instant t et la decision peut en effet etre stupide a avec le recul (pour prendre des exemples qui font aujourd hui l unanimité, la ligne maginot, l algerie francaise ou le protectionnisme en 1929 ont ete des erreurs).
    Decider c est prendre un risque (et ne rien faire c est aussi decider). Et ce risque qu il faut l assumer. Et dire que le decideur public ne sera pas recompensé est quand meme un peu faux. Il ne fera certes pas fortune comme Steve Jobs mais aura promotion voir honneur et medailles et dans certains cas une carriere politique

    PS:
    1) il y aussi une facon de se mettre a l abri, impliquer un maximum de personne et diluer les responsablilites. Comme ca si ca tourne mal, vous pourrez impliquer des tas de gens (qui vont donc etre contraint de vous defendre pour ne pas etre mouillé a leur tour) et la dilution permet de dire, je suis pas responsable de tout mais juste du petit bout là
    2) je trouve assez triste qu un pays qui a certains moment n a pas hesite a voir des milliers de ses enfants mourir (par ex lors de guerres) se met a capituler devant des pertes quand meme begnines (meme un jour calme en 14-18 faisait plus de 200 morts )

    • Descartes dit :

      @ cdg

      [Bien que d accord avec le debut de votre texte (annuler des manifestations pour cause de risque terroriste est debile) je suis plus sceptique avec la suite. Etes vous sur que ” nos gestionnaires publics ont tendance à être sur les dents et à chercher par tous les moyens à mettre leur service au dessus des critiques” ?]

      Oui, je le pense, et c’est le résultat de longues années d’expérience et d’observation dans différents services publics. Posez-vous d’ailleurs la question : pensez-vous que nous aurions des services publics parmi les meilleurs du monde – et je mets le « parmi » par acquit de conscience – si les gens qui y travaillent n’étaient pas « sur les dents » ?

      Pour avoir travaillé pas mal à l’étranger – et avec des étrangers – je peux vous dire que je ne connais pas un autre pays où les gestionnaires publics soient aussi sensibles à la perception des usagers de leur professionnalisme, et où ils vivent autant comme un échec personnel la mauvaise qualité du service rendu.

      [On a vu avec le médiator (ou maintenant un cas similaire avec un médicament de Sanofi) que le système a au contraire tout fait pour étouffer le scandale.]

      D’abord, ni Servier ni Sanofi ne sont des organismes publics…

      [Ca me rappelle ce que j ai lu sur un livre sur la police de Staline et dans une moindre mesure vécu dans une grosse entreprise française.]

      Mon propos concernait les décideurs publics. Pas les entreprises, qui ont une logique très différente.

      [Hélas, on en est la en France. Si vous êtes un décideur de l’éducation nationale et vous dites que le système va mal (difficulté de recruter des professeurs malgré un chômage massif, % de bachelier en hausse constante mais niveau scolaire lui en baisse …) vous vous faites saquer.]

      D’où tirez-vous ça ? Pratiquement tous les ministres qui se sont succédés Rue de Grenelle ont dit que « le système va mal », et à ma connaissance personne ne les a « sacqués ». Mais mon propos concerne moins ce que les gens DISENT que ce que les gens FONT. Que pour des raisons de communication on ne puisse pas dire certaines choses – et en particulier noircir le bilan de celui qui est au dessus de vous – je peux le comprendre. Mais on n’a pas besoin de dire que le système va mal pour faire quelque chose pour qu’il aille mieux. C’est la paralysie dans l’action qui m’inquiète, bien plus que les discours.

      [Décider c’est peser le pour et le contre a un instant t et la décision peut en effet être stupide avec le recul (pour prendre des exemples qui font aujourd’hui l unanimité, la ligne Maginot, l’Algérie Française ou le protectionnisme en 1929 ont été des erreurs).]

      La question est : est-il juste de punir des gens pour des décisions qui paraissaient parfaitement justifiées à l’époque et qui ne se révèlent des erreurs que bien plus tard ?

      [Décider c’est prendre un risque (et ne rien faire c’est aussi décider). Et ce risque qu’il faut l assumer. Et dire que le décideur public ne sera pas récompensé est quand même un peu faux. Il ne fera certes pas fortune comme Steve Jobs mais aura promotion voir honneur et médailles et dans certains cas une carrière politique.]

      Je ne dis pas le contraire. Mais le rapport entre le risque qu’on prend et la récompense qu’on peut espérer est particulièrement défavorable aujourd’hui pour un décideur public. Vous ne trouverez pas beaucoup de gens qui accepteront le risque de voir leur carrière brisée et leur nom et celui de leur famille trainé dans la boue en sachant que le mieux qu’ils peuvent espérer est une médaille qu’on donne par ailleurs à n’importe quel chanteur de variétés.

  3. CVT dit :

    Décidément, Martine Aubry est bien la fille de Jacques Delors: le sens de l’Etat, le courage et la fermeté des convictions ne l’ont jamais étouffée…

    Vous avez parfaitement raison d’insister sur l’attitude de nos “chers compatriotes”, et d’ailleurs, je vous trouve bien indulgent ; pour ma part, je partage entièrement l’avis de De Gaulle sur le fait que les Français ne sont pas adultes parce qu’ils n’aiment pas l’Etat, mais qu’ils attendent tout de lui. Pour moi, c’est probablement l’aspect le plus déplaisant de la mentalité française: je n’ai pas vu un tel incivisme dans les autres pays OCCIDENTAUX que j’ai pu visiter (on se rapproche des pays africains, en fait…).
    Est-ce que cet égoïsme français (je ne vois pas d’autre mot…) est un fait de génération, ou est-il intrinsèque? Je pose cette question, car en d’autres temps plus troublés de notre histoire, il m’avait semblé que les Français étaient beaucoup plus civiques et collectifs qu’aujourd’hui…

    • Descartes dit :

      @CVT

      [Décidément, Martine Aubry est bien la fille de Jacques Delors: le sens de l’Etat, le courage et la fermeté des convictions ne l’ont jamais étouffée…]

      Possible, mais dans le cas d’espèce on ne saurait la blâmer. Elle n’a aucune raison de prendre des risques que ses concitoyens ne sont pas prêts à assumer.

      [Pour moi, c’est probablement l’aspect le plus déplaisant de la mentalité française: je n’ai pas vu un tel incivisme dans les autres pays OCCIDENTAUX que j’ai pu visiter (on se rapproche des pays africains, en fait…).]

      Dans d’autres pays, l’incivisme prend d’autres formes mais croyez-moi, ce n’est guère mieux que chez nous…

    • CVT dit :

      @Descartes,
      [Dans d’autres pays, l’incivisme prend d’autres formes mais croyez-moi, ce n’est guère mieux que chez nous…]

      Vous pourriez donner des exemples? Parce qu’ayant vécu en Belgique et à Londres (je ne dis pas “Royaume-Uni” car la capitale britannique est trop différente du reste du pays, en terme de mentalité, comme l’a démontré l’épisode du Brexit…), franchement je n’ai pas vu le manque de considération pour les autres que j’ai pu observer en France: resquille, discourtoisie, manque de respect pour les biens et services publics (ah, le poujadisme anti-fonctionnaire…).

    • Descartes dit :

      @ CVT

      [« Dans d’autres pays, l’incivisme prend d’autres formes mais croyez-moi, ce n’est guère mieux que chez nous… » Vous pourriez donner des exemples?]

      L’exemple le plus extrême que je puisse donner est l’usage des armes aux Etats-Unis, où l’égoïsme est poussé à une extrémité telle que chaque individu est persuadé que sa sécurité personnelle vaut bien le risque de tuer un innocent. Difficile d’imaginer un plus grand “égoïsme” social…

  4. PIerre Feuille Ciseaux dit :

    Le principe de précaution appliqué aux loisirs , à la vie culturelle et même intellectuelle (ne pas offenser pour ne pas provoquer)…
    Et c’est un phénomène pas que français , il y a un esprit d’austérité qui règne en Europe et ailleurs , pas toujours infondé écologiquement parlant , mais qui ne semble pas savoir prendre le sens de la mesure , mesure du risque , mesure de l’interdit , mesure du plaisir , notre société est tendue à force de passer d’un extrême à l’autre.

    • Descartes dit :

      @ Pierre feuille ciseaux

      [Le principe de précaution appliqué aux loisirs , à la vie culturelle et même intellectuelle (ne pas offenser pour ne pas provoquer)… Et c’est un phénomène pas que français,]

      Justement. Cette aversion paralysante au risque n’est pas une tradition française. Elle est plutôt caractéristique de la philosophie allemande. Elle a été importée chez nous par le biais de l’écologie « millénariste ».

    • CVT dit :

      @Descartes,
      [Justement. Cette aversion paralysante au risque n’est pas une tradition française. ]
      Mon commentaire sera un peu hors-sujet, mais il complète quelque peu la remarque de PFC.

      Maintenant, vous m’avez aussi rappelé pourquoi je suis content d’être Français: dans notre pays, jusqu’à très récemment (on va dire avant la vague “politically correct” issue de l’anti-racisme), nous ne recherchions pas forcément ce détestable consensus mou, qui visait à ne pas offenser à contenter et rassurer tout le monde, et nous étions capables de confronter les divergences d’opinion et d’intérêt les plus violentes, même de façon véhémente, mais sans pour autant que ça finisse en guerre civile!

      C’est vrai que ce temps semble révolu, à cause de la domination dans les médias de vos chères “classes moyennes”, qui sont particulièrement narcissiques, donc susceptibles et sensibles à l’offense, et qui vivent comme une attaque personnelle un désaccord ou une divergence d’opinion. Mais ce n’est qu’une apparence parce qu’au fond, les Français, peuple de culture, aiment la confrontation d’idées, et ils renonceront difficilement à cette liberté d’opinion et de s’opposer…

    • Descartes dit :

      @ CVT

      [Maintenant, vous m’avez aussi rappelé pourquoi je suis content d’être Français: dans notre pays, jusqu’à très récemment (on va dire avant la vague “politically correct” issue de l’anti-racisme), nous ne recherchions pas forcément ce détestable consensus mou, qui visait à ne pas offenser à contenter et rassurer tout le monde, et nous étions capables de confronter les divergences d’opinion et d’intérêt les plus violentes, même de façon véhémente, mais sans pour autant que ça finisse en guerre civile!]

      Tout à fait. Le propre d’une véritable démocratie est justement la possibilité de confrontation – même violente – de positions différentes sans pour autant que soit mis en cause les institutions qui permettent le fonctionnement de la société. Le contraire de la démocratie, c’est la logique du consensus forcé ou rien qui sorte de la règle n’est exprimable. D’autant plus que dans une société aussi complexe que la notre un tel consensus n’étant pas possible sur l’ensemble de la société cela conduit à un fractionnement en groupes à l’intérieur desquels ce consensus existe, et qui s’isolent progressivement les uns des autres.

      [Mais ce n’est qu’une apparence parce qu’au fond, les Français, peuple de culture, aiment la confrontation d’idées, et ils renonceront difficilement à cette liberté d’opinion et de s’opposer…]

      C’est un mouvement pendulaire, très bien décrit par Alain-Gérard Slama. Périodiquement, les français se lassent de cette opposition permanente et rêvent d’une « unité » impossible, telle que pouvait l’offrir la « Révolution nationale »…

  5. xc dit :

    Contrairement à Luc, je ne qualifierais pas l’annulation de la braderie de Lille de “capitulation”. La sécurisation des lieux était impossible. Des terroristes s’en seraient donné à coeur-joie avec tous les modes opératoires déjà utilisés par eux dans notre pays et quelques autres. Le pire est qu’il y aurait probablement eu plus de victimes du fait des mouvements de foule que par le fait direct des terroristes. Les autorités auraient beau avoir prévenu par avance les participants qu’ils venaient à leurs risques et périls, tout le pays leur aurait reproché tout de même d’avoir créé un faux sentiment de sécurité en autorisant cette manifestation. Par comparaison, la fête de l’Humanité me semble plus aisée à sécuriser du fait de la présence de nombreux militants et de la surveillance discrète qu’ils pourront exercer.

    Je volerai également au secours de mme Bachelot. Il faut se souvenir que l’OMS était particulièrement alarmiste au sujet de l’épidémie de H1N1. Ce n’est qu’une fois l’épidémie passée sans trop de dégâts que l’on a entendu les critiques de ceux qui savaient tout dès le début. Les mêmes, peut-être bien, que ceux qui auraient traité la ministre de tous les noms d’oiseaux si elle s’était contentée d’attendre que ça passe.

    Sur le fond du billet, je suis d’accord avec vous, mais n’est-ce pas aussi la faute des politiques si nous attendons trop d’eux? Par exemple, quand ils promettent de “réformer les traités européens” plutôt que de le proposer seulement à nos partenaires, ou encore “nettoyer au Karcher” les banlieues.

    Une petite remarque de détail pour terminer: “…jamais dans notre histoire récente le rapport coût/risque de la décision publique…”. Ne serait-ce pas plutôt “bénéfice/risque” ?

    • Descartes dit :

      @ xc

      [Contrairement à Luc, je ne qualifierais pas l’annulation de la braderie de Lille de “capitulation”. La sécurisation des lieux était impossible.]

      Certes. Mais tout aussi impossible est la sécurisation des écoles, des collèges, des lycées, des centres aérés, des colonies de vacances. Qu’est ce qu’on fait ? Va-t-on confiner les enfants à la maison ? Dès lors que la sécurisation est impossible, il faut choisir entre s’enfermer chez soi et accepter le risque. Nous acceptons un risque chaque fois que nous allumons une cigarette, chaque fois que nous montons dans une voiture. Pourquoi est-ce si difficile d’accepter le risque d’un attentat à la braderie ?

      [Par comparaison, la fête de l’Humanité me semble plus aisée à sécuriser du fait de la présence de nombreux militants et de la surveillance discrète qu’ils pourront exercer.]

      Et que feront ces « nombreux militants » si l’un des camions qui circulent dans la fête – pour amener les boissons, pour monter les stands – fonce dans la foule ? Il n’y a pas de « sécurisation » qui tienne.

      [Je volerai également au secours de mme Bachelot. Il faut se souvenir que l’OMS était particulièrement alarmiste au sujet de l’épidémie de H1N1. Ce n’est qu’une fois l’épidémie passée sans trop de dégâts que l’on a entendu les critiques de ceux qui savaient tout dès le début. Les mêmes, peut-être bien, que ceux qui auraient traité la ministre de tous les noms d’oiseaux si elle s’était contentée d’attendre que ça passe.]

      Les experts de l’OMS peut-être. Mais au ministère de la santé, les experts étaient plutôt sur la logique de ne pas en faire des tonnes. Bachelot ne les a pas suivis parce qu’elle avait en tête ce qui s’était passé lors de la canicule, ou le ministre de la santé avait été sacrifié à l’opinion publique. Et on ne peut pas vraiment la blâmer…

      [Sur le fond du billet, je suis d’accord avec vous, mais n’est-ce pas aussi la faute des politiques si nous attendons trop d’eux? Par exemple, quand ils promettent de “réformer les traités européens” plutôt que de le proposer seulement à nos partenaires, ou encore “nettoyer au Karcher” les banlieues.]

      Les promesses électorales relèvent du mécanisme de séduction. Un peu comme un jeune homme promet à sa Dulcinée de lui décrocher la lune avec l’espoir d’avoir un baiser. Personne ne s’attend à ce que ces promesses soient tenues.

      [Une petite remarque de détail pour terminer: “…jamais dans notre histoire récente le rapport coût/risque de la décision publique…”. Ne serait-ce pas plutôt “bénéfice/risque” ?]

      Non, c’est bien un calcul « coût/risque ». Le critère ici n’est pas le bénéfice qu’on peut tirer comparé au risque, parce qu’on sait d’avance que le bénéfice est faible : si le dispositif de sécurité avait évité le massacre de Nice, personne ne l’aurait su et ni Estrosi ni Cazeneuve n’aurait tiré aucun bénéfice. Le critère de choix est bien le coût comparé à la taille du risque. Bachelot avait le choix entre la solution à un milliard avec un risque politique limité, et la solution a quelques millions avec un risque énorme.

    • Marcailloux dit :

      @ Descartes,
      Bonjour,
      ( . . . .Personne ne s’attend à ce que ces promesses soient tenues.)
      Ah ! ! ! vous le croyez vraiment ? Alors comment expliquez vous la rancoeur d’une partie des électeurs de Hollande qui lui reprochent de ne pas tenir ses promesses ? Comme à peu près tous les politiques, Sarkosy en premier, qui de nouveau n’hésite pas à promettre l’impossible pour être réélu.
      Ne prenons pas les Français pour plus lucides qu’ils ne sont. Et puis cela va contre vos affirmations réitérées comme quoi les gens ont comme caractéristique principale le besoin de croire ( j’espère ne pas interpréter à contresens vos propos)

    • Descartes dit :

      @ Marcailloux

      [« (..) Personne ne s’attend à ce que ces promesses soient tenues. » Ah ! ! ! vous le croyez vraiment ? Alors comment expliquez vous la rancoeur d’une partie des électeurs de Hollande qui lui reprochent de ne pas tenir ses promesses ?]

      Je l’explique comme faisant partie des jérémiades de tous les amoureux déçus. Combien de Juliettes devenues des mégères aigries ont reproché à leur Roméos de maris de leur avoir promis de décrocher pour elles la lune avant le mariage et de ne pas l’avoir fait ?

      Je me souviendrai toujours du sketch où Thierry Le Luron – oui, je sais, ça date – faisait une imitation de Mitterrand. Et à la question « monsieur le président, vos élécteurs sont déçus et vous reprochent de ne pas avoir tenu vos promesses. Que leur répondez vous ? », Le Luron répondait après quelques secondes de réflexion « Je leur réponds… qu’ils n’avaient qu’à réfléchir avant ! ».

      [Comme à peu près tous les politiques, Sarkosy en premier, qui de nouveau n’hésite pas à promettre l’impossible pour être réélu.]

      Oui, mais ça date au moins de l’époque de Périclès. Pensez-vous vraiment que les électeurs n’ont toujours pas compris, après vingt-cinq siècles de politique, comment ça marche ?

      [Ne prenons pas les Français pour plus lucides qu’ils ne sont.]

      Certes, mais il ne faut pas les prendre non plus pour des imbéciles. Les gens savent parfaitement que les hommes politiques ne tiendront pas leurs promesses. Ils savent même que quelques unes de ces promesses sont intenables. Mais ces promesses rentrent dans la logique de la séduction. On les profère non pas pour que l’électeur croire qu’elles seront tenues, mais pour indiquer à l’électeur qu’on pense à lui, qu’on est sensible à ses préoccupations. Il ne faut pas y voir plus que ça. D’ailleurs, vous noterez que les électeurs ne semblent pas tenir rigueur à leurs hommes politiques de ne pas tenir leurs promesses. Mitterrand a été réélu malgré le « tournant » de 1983, et Chirac malgré un reniement quasi-total de ses promesses de 1995…

      [Et puis cela va contre vos affirmations réitérées comme quoi les gens ont comme caractéristique principale le besoin de croire (j’espère ne pas interpréter à contresens vos propos)]

      Un peu. Je n’ai jamais dit que les gens aient « besoin de croire » en général. J’ai dit qu’ils ont ENVIE de croire en certaines choses, parce que cette croyance leur permet par exemple de s’exonérer de toute culpabilité, de justifier leurs actes ou de présenter leurs intérêts particuliers comme étant ceux de tous. Mais je ne pense pas que les promesses électorales rentrent dans cette catégorie.

    • Marcailloux dit :

      @ Descartes,
      Bonsoir
      (Je n’ai jamais dit que les gens aient « besoin de croire » en général. J’ai dit qu’ils ont ENVIE de croire en certaines choses, parce que cette croyance leur permet par exemple de s’exonérer de toute culpabilité, de justifier leurs actes ou de présenter leurs intérêts particuliers comme étant ceux de tous.)
      En effet, factuellement votre précision est tout à fait justifiée. Cependant, si j’ai opéré ce glissement sémantique – un peu inconsciemment – c’est que cette envie, poussée à l’extrème par une frustration endémique, bien française, est devenue un besoin, de la même façon qu’un souffrant désire d’abord, a envie d’être soulagé et ensuite ne peut plus se passer de son médicament. Les cas les plus fréquents sont probablement l’insomnie et les états de blues qui aboutissent à une consommation continue de somnifères ou d’antidépresseurs.
      En politique, les Français pensent souffrir à défaut de souffrir réellement – du moins pour une grande majorité – et ils “consomment” de la promesse-illusion comme d’autres consomment des calmants, du tabac ou de l’alcool, souhaitant voir sauver le pays mais rechignant à descendre la poubelle.
      Je me demande si notre société socialiste jusqu’au cou ( 57 % du PIB en dépenses publiques) ne génère pas cette léthargie, savamment entretenue par les élites politiques qui y trouvent finalement leur compte, se chargeant ici ou là de jeter en pature quelques boucs émissaires ou victimes expiatoires de phénomènes mondiaux qui les dépassent.
      Cette affaire du burkini en est un exemple flagrant. Qu’ont fait les pouvoir successifs pour enrayer l’action de l’UOIF ?
      Qui a permis que des établissements scolaires proches de cette mouvance soient, semble-t-il, conventionnés avec l’Etat ?
      Voila de vraies questions qui relèguent cette affaire de chiffons aux affaires des comères.

    • Descartes dit :

      @ Marcailloux

      [Je me demande si notre société socialiste jusqu’au cou ( 57 % du PIB en dépenses publiques)]

      Je ne comprends pas très bien cette remarque. Pour vous, le socialisme commence à quel niveau de dépense publique ?

      Le socialisme est un mode de production où les grands moyens de production et d’échange sont socialisés. Ce qui, vous n’aurez pas manqué de le noter, n’est pas le cas – et de loin – dans notre beau pays. Vous savez par ailleurs que le pourcentage de la dépense publique ne veut rien dire : dans beaucoup de cas, la caisse publique n’est chez nous qu’un intermédiaire de paiement, payant des services privés à notre place sans avoir son mot à dire sur le choix de ces services. Le cas de la médecine est de ce point de vue assez révélateur.

      [Cette affaire du burkini en est un exemple flagrant. Qu’ont fait les pouvoir successifs pour enrayer l’action de l’UOIF ? Qui a permis que des établissements scolaires proches de cette mouvance soient, semble-t-il, conventionnés avec l’Etat ?]

      L’Etat n’a pas à « enrayer » l’action d’une association légalement constituée. Soit l’UOIF fait quelque chose d’illégal, et alors on l’interdit, soit son action est légale, et alors l’Etat n’a pas à s’ériger en censeur de son action. Même chose avec les écoles « de cette mouvance » : si elles sont conformes à la réglementation, et dans ce cas il n’y a aucune raison de leur refuser le conventionnement.

    • Marcailloux dit :

      @Descartes,
      Bonjour,

      (Je ne comprends pas très bien cette remarque. Pour vous, le socialisme commence à quel niveau de dépense publique ?)

      Précision : « jusqu’au cou » ne se veux pas, dans mon esprit, péjoratif, mais simplement « de manière nette »
      Maintenant, je n’aurai pas l’imprudence, de vous donner un chiffre – qui serait torpillé immédiatement – déterminant à quel niveau se situe le socialisme, d’autant que la définition même de ce terme prête de plus en plus à discussion
      Cependant, pour moi, dès qu’un état administre ou gère au delà des fonctions régaliennes couramment admises, il entre dans une démarche de type socialiste.
      En France, l’ensemble du budget des ministères régaliens représente environ 60 Mds d’€ c’est à dire moins de 3% du PIB (env. 2200 Mds d’€ en 2016).
      Or, l’Etat gère ou contrôle plus ou moins fortement près de 20 fois plus ce que pourrait être un état libéral tel que le définirait Adam Smith entre autres, ainsi que les libéraux de tous poils actuels.
      Cette main mise des pouvoirs publics doit avoir pour objectif une meilleure répartition des richesses dans le sens de l’égalité des prestations. Et je n’y vois pas de quoi m’en offusquer.
      Simplement, une société qui surprotège tend à infantiliser ses citoyens, qui insensiblement trouvent naturel de jouir de droits en croissance perpétuelle et s’indignent spontanément à tout rappel sur les devoirs qu’implique la vie en société. Ne serait-ce que celui de respecter strictement les lois.
      Et l’infantilisation est la porte ouverte à la recherche de boucs émissaires.
      Dans ce que je constate de notre beau pays – et là je me permets de reprendre vos termes que je partage – nous pâtissons, non pas de ce que vous érigez comme une opposition entre la classe moyenne et la classe populaire, mais d’une fracture grandissante entre deux franges de la société française, l’une exposée plus que la moyenne et l’autre préservée plus que la décence ne le justifie.
      Il y a sans doute une relative superposition des deux distinctions, et l’opposition entre exposition et préservation me semble plus parlante que moyen et populaire.

      (Soit l’UOIF fait quelque chose d’illégal, et alors on l’interdit, soit son action est légale, et alors l’Etat n’a pas à s’ériger en censeur de son action)

      Selon Flamina Venner, à plusieurs reprises, des dirigeants de l’UOIF ont repris publiquement la devise des Frères musulmans : «Le Coran est notre Constitution». Ce n’est peut-être pas illégal, mais en tout cas c’est subversif, et si j’en crois l’affirmation de N. Dupont-Aignan, une loi de 1903 permet de condamner des personnes en intelligence avec l’ennemi. N’est ce pas le cas pour certains de ses dirigeants ayant prôné le jihad en Syrie.
      Nous avons des services capables, sinon désireux ou mandatés, de faire la preuve d’agissements totalement illégaux, encore faut-il le vouloir en période d’incertitude électorale.
      Vous savez aussi bien que moi que lorsque l’on cherche, on trouve. Surtout lorsque l’on cherche dans le cadre de forte suspicion.
      Mais fermer les yeux n’est-il pas un moyen électoraliste dans la panoplie de nos candidats ?.

    • BolchoKek dit :

      @ Descartes

      >Je ne comprends pas très bien cette remarque. Pour vous, le socialisme commence à quel niveau de dépense publique ?

      Le socialisme est un mode de production où les grands moyens de production et d’échange sont socialisés.< Je pense que c’est en fait un point assez important du débat politique sur le modèle économique de nos jours. On a réduit, depuis quelques décennies, la question de l’intervention de l’État dans l’économie à tel point que bien des gens, en toute bonne foi, reprennent l’idée que ce qui définit la nature de l’action de l’État dans l’économie est l’imposition et la dépense. On a réduit la question de la politique économique à la question fiscale. Par exemple je me souviens de Zemmour, pensant tordre le cou à l’idée que l’économie sous de Gaulle était partiellement socialisée, mentionnant les faibles taux d’imposition de cette époque par rapport à aujourd’hui. Même à lui, le point échappait..
      Je pense que cette histoire de “socialisme=dépense publique=impôts” est la plus belle imposture que les “libéraux” ont réussi à implanter dans les esprits.
      Il est par ailleurs amusant de noter qu’autant dans le modèle de société proposé par les plus anarcho-libertaires des libéraux que par les plus collectivistes des communistes, la notion d’impôt est vouée à disparaître, soit balayée dans un cas par l’absolu développement du marché qui rend tout service public inefficient, soit par le fait que l’État contrôle l’économie de toute façon et n’a pas besoin de prélever sur les ménages…

    • Descartes dit :

      @ marcailloux

      [Cependant, pour moi, dès qu’un état administre ou gère au delà des fonctions régaliennes couramment admises, il entre dans une démarche de type socialiste.]

      Une vision aussi générale transforme tous les états aujourd’hui existants en « socialistes ». Je ne connais pas un seul état en effet dont l’action se limite aujourd’hui aux matières régaliennes. J’ajoute que vous semblez confondre « dépense publique » et « dépense de l’Etat ». Si la dépense publique dépasse les 50% du PIB, les dépenses de l’Etat (hors charge de la dette et remboursements/dégrèvements) n’en représentent que 16%. Il ne faut donc pas exagérer le poids de l’Etat.

      [En France, l’ensemble du budget des ministères régaliens représente environ 60 Mds d’€ c’est à dire moins de 3% du PIB (env. 2200 Mds d’€ en 2016).]

      Je ne sais pas d’où vous sortez vos chiffres. Si je prend la loi de finances pour 2016, je trouve les missions régaliennes suivantes : « actions extérieures » (3,2 Md), « administration générale et territoriale » (2,5 Md), « anciens combattants » (2,6 Md), « défense » (39,7 Md), « direction de l’action du gouvernement » (1,3 Md), « gestion des finances publiques » (10,9 Md), « immigration et asile » (0,8 Md), « justice » (8,2 Md), « sécurité » (18,7 Md), soit un total de 88 Md€. Ce qui sur un budget de 260 Md (budget des missions hors remboursement de dette et hors dégrèvements/remboursements) représente tout de même autour du tiers.

      [Or, l’Etat gère ou contrôle plus ou moins fortement près de 20 fois plus ce que pourrait être un état libéral tel que le définirait Adam Smith entre autres, ainsi que les libéraux de tous poils actuels.]

      Pour les libéraux classiques, l’Etat devait se limiter aux fonctions strictement régaliennes et laisser tout le reste à la « main invisible du marché » ou à défaut à la charité chrétienne. Mais il n’a pas indiqué des chiffres. D’où sort ce « 20 fois plus » ?

      [Cette main mise des pouvoirs publics doit avoir pour objectif une meilleure répartition des richesses dans le sens de l’égalité des prestations. Et je n’y vois pas de quoi m’en offusquer.]

      La question n’est pas de s’en offusquer, mais d’être rigoureux. Ce n’est pas parce que l’Etat sort du domaine régalien qu’on va vers le « socialisme », ou qu’il a un comportement « socialiste ». Le socialisme – du moins dans son acception marxiste – est un mode d’organisation de la PRODUCTION des richesses. Cela n’a rien avec le poids de l’Etat.

      [Simplement, une société qui surprotège tend à infantiliser ses citoyens, qui insensiblement trouvent naturel de jouir de droits en croissance perpétuelle et s’indignent spontanément à tout rappel sur les devoirs qu’implique la vie en société. Ne serait-ce que celui de respecter strictement les lois.]

      Mais ne croyez pas que cette « infantilisation » tient à la place de l’Etat. Les américains sont bien plus « infantiles » alors que l’Etat chez eux est très « régalien ».

      [Dans ce que je constate de notre beau pays – et là je me permets de reprendre vos termes que je partage – nous pâtissons, non pas de ce que vous érigez comme une opposition entre la classe moyenne et la classe populaire, mais d’une fracture grandissante entre deux franges de la société française, l’une exposée plus que la moyenne et l’autre préservée plus que la décence ne le justifie.]

      Mais « exposée » à quoi, précisément ?

      [Selon Flamina Venner, à plusieurs reprises, des dirigeants de l’UOIF ont repris publiquement la devise des Frères musulmans : «Le Coran est notre Constitution». Ce n’est peut-être pas illégal, mais en tout cas c’est subversif,]

      L’Etat est sujet au principe de légalité. Il ne peut « entraver l’action » d’une organisation au seul prétexte qu’elle serait « subversive ».

      [et si j’en crois l’affirmation de N. Dupont-Aignan, une loi de 1903 permet de condamner des personnes en intelligence avec l’ennemi. N’est ce pas le cas pour certains de ses dirigeants ayant prôné le jihad en Syrie.]

      En quoi le fait de prôner le jihad en Syrie serait un signe « d’intelligence avec l’ennemi » ? Sauf à ce que ce prône incluse explicitement l’appel à combattre les troupes françaises, on voit mal en quoi « l’intelligence avec l’ennemi » serait constituée.

    • Descartes dit :

      @ BolchoKek

      [Je pense que c’est en fait un point assez important du débat politique sur le modèle économique de nos jours. On a réduit, depuis quelques décennies, la question de l’intervention de l’État dans l’économie à tel point que bien des gens, en toute bonne foi, reprennent l’idée que ce qui définit la nature de l’action de l’État dans l’économie est l’imposition et la dépense. On a réduit la question de la politique économique à la question fiscale.]

      Tout à fait. Et la gauche a beaucoup contribué à cette dérive en oubliant presque totalement dans sa réflexion la question de la production de richesses, pour se concentrer exclusivement sur la redistribution. On trouve des centaines d’écrits sur la réforme fiscale, sur les différents avatars du « revenu à vie », mais presque rien sur la manière dont on organise et régule la production, dont on s’assure que le capital aille aux activités les plus intéressantes socialement. Et cette absence de réflexion se translate facilement au rôle de l’Etat, conçu comme un grand redistributeur laissant la question de la production à d’autres.

      [Je pense que cette histoire de “socialisme=dépense publique=impôts” est la plus belle imposture que les “libéraux” ont réussi à implanter dans les esprits.]

      Malheureusement, ces libéraux ont eu pas mal de socialistes et même des communistes comme complices… quand est la dernière fois que le PCF a mis les questions de politique économique et industrielle en tête de ses préoccupations ?

  6. luc dit :

    Désolé pour ces fautes ,trop d impatience..Pour votre texte:’grande braderie´,pour le mien ‘rendons’.Si possible ,merci de rectifier et aussi pour votre activité si précieuse sur votre blog..
    Sarkozy ne se positionne t il pas comme le décideur le plus mature à droite?Mélenchon de même dans la mouvance néo communiste? Leurs parcours ne sont ils pas quasi parfaits avant leurs intronisation?

  7. Pierrot dit :

    Bonjour Descartes,

    Je m’écarte du sujet de ce billet, mais l’actualité commande.

    Je viens de prendre connaissance de la décision du conseil d’Etat sur les arrêts anti-burkini, décision que je regrette profondément. Pour autant l’argumentaire des avocats de la commune de Villeneuve-Loubet n’était guère probant, invoquant l’attentat de Nice et ne parlant pas de la distinction sphère publique/sphère privée propre à la laïcité.

    La réaction des pays anglo-saxons est également désagréable mais là je fais appel à votre connaissance de l’un d’entre-eux : l’Angleterre. Là-bas c’est la liberté de l’individu qui est sacralisé, mais sommes-nous obligés là-bas de vivre avec des gens ne partageant pas nos us et coutumes ? En France certains musulmans demandent de vivre comme au pays mais on me force à les avoir comme voisin (on peut y échapper, mais ça devient de plus en plus dur si on le souhaite véritablement, vivre-ensemble et mixité obligent…), au moins en Angleterre je peux me séparer d’eux. Dès lors l’acceptation du burkini par les Anglos-Saxons ne serait pas si surprenante : quand on vit dans une société en tuyaux d’orgue, on peut se foutre de ce que font les autres communautés… Merci de me dire si ma vision de non mixité a vraiment court en Angleterre ou s’il s’agit d’une observation erronée.

    Plus globalement en France une part non négligeable du PIB est redistribué : dois-je continuer à me sentir inconditionnellement solidaire de gens qui, par leur accoutrement, me crachent à la figure que nous n’appartenons pas au même monde ? Au moins en Angleterre les musulmans, et plus globalement chaque communauté, se finance elle-même.

    Merci de m’éclairer,

    Cdt.

    • Descartes dit :

      @ Pierrot

      [Je viens de prendre connaissance de la décision du conseil d’Etat sur les arrêts anti-burkini, décision que je regrette profondément. Pour autant l’argumentaire des avocats de la commune de Villeneuve-Loubet n’était guère probant, invoquant l’attentat de Nice et ne parlant pas de la distinction sphère publique/sphère privée propre à la laïcité.]

      Je pense qu’il faut arrêter de faire du juge l’arbitre des questions de société. Le Conseil d’Etat juge la légalité des actes. Pas leur opportunité politique. Les arrêtés « anti-burkini » posent – et tout le monde le savait par avance – un problème de légalité qui n’a rien à voir avec la question sociétale qui est derrière, à savoir, celle des pouvoirs des maires. Dans sa décision, le Conseil ne fait que rappeler que les maires n’ont pas le pouvoir de restreindre les libertés protégées par la loi sauf dans le cas bien précis d’une menace sur l’ordre public pris dans son sens le plus étroit. Pour aller plus loin, il faut un acte législatif. Point à la ligne. Le Conseil ne s’est pas exprimé sur la question de savoir si l’interdiction de la burkini était juste ou injuste, conforme ou non à la Constitution.

      Par ailleurs je pense que, comme souvent en France, le problème est mal posé. Les maires n’avaient pas à fonder leur décision sur la question de la laïcité, d’invoquer dans leurs défenses les « droits de la femme ». L’affaire de la « burkini » n’a rien à voir ni avec l’un, ni avec l’autre. La question à poser est celle du « séparatisme » social d’une communauté. Doit on permettre à une communauté de lever des barrières dans l’espace public lui permettant de s’isoler ? Parce que, in fine, c’est là où se situe le problème. Par l’usage de signes, de symboles, par l’imposition de pratiques particulières on assure de rester « entre soi ». Bien sur, beaucoup de groupes sociaux l’ont toujours fait. Mais seulement dans la sphère privée, l’espace public étant par consensus partagé et la sphère publique inviolable. C’est cela qui est nouveau dans les revendications « communautaristes ». Pour la première fois depuis la fin du XIXème siècle la République cède devant les pressions pour « partitionner » la sphère publique, prélude à la demande d’un véritable « statut personnel ».

      [La réaction des pays anglo-saxons est également désagréable mais là je fais appel à votre connaissance de l’un d’entre-eux : l’Angleterre.]

      Franchement, les réactions des anglo-saxons, je m’en fous. Je ne vois pas que leur modèle « multiculturel », celui d’un « développement séparé » des différentes communautés – en d’autres temps cela s’appelait « apartheid » – ait produit une société plus libre, plus égalitaire et plus harmonieuse que notre modèle d’uniformité de la sphère publique. Au contraire : cela a produit des sociétés obsédés par la question raciale.

      [Merci de me dire si ma vision de non mixité a vraiment court en Angleterre ou s’il s’agit d’une observation erronée.]

      Votre vision est parfaitement exacte. Lorsque les « communautés » – et accessoirement les classes sociales – sont strictement séparées par des barrières sociales quasi-infranchissables, on peut être indifférent à ce qui se passe dans la communauté d’à côté. Quand une plage est réservée aux musulmans et une autre aux catholiques, tout le monde se fout de savoir si dans la première les femmes portent le burkini et dans la seconde des habits de moine.

      [Plus globalement en France une part non négligeable du PIB est redistribué : dois-je continuer à me sentir inconditionnellement solidaire de gens qui, par leur accoutrement, me crachent à la figure que nous n’appartenons pas au même monde ? Au moins en Angleterre les musulmans, et plus globalement chaque communauté, se finance elle-même.]

      C’est bien cela le problème. La solidarité inconditionnelle qui caractérise la nation – du moins telle que nous l’entendons – implique une certaine communauté d’expériences. Le « séparatisme » contient en germe le fractionnement de la nation. Pourquoi accepterions nous de payer des impôts pour aider des gens auxquels rien ne nous lie – et qui d’ailleurs manifestent leur volonté de ne pas être liés à nous ?

    • Antoine dit :

      Bonjour à tous,

      à ce sujet, un peu de détente avec ce post Facebook qui propose un “échange de populations” entre la France et l’Algérie. Le dessin est excellent :
      https://www.facebook.com/Athes411/posts/1070466923068838:0

    • Descartes dit :

      @ Antoine

      Ce n’est pas très gentil…

    • Carnot dit :

      @ Descartes

      [Je pense qu’il faut arrêter de faire du juge l’arbitre des questions de société. Le Conseil d’Etat juge la légalité des actes. Pas leur opportunité politique. Les arrêtés « anti-burkini » posent – et tout le monde le savait par avance – un problème de légalité qui n’a rien à voir avec la question sociétale qui est derrière, à savoir, celle des pouvoirs des maires. Dans sa décision, le Conseil ne fait que rappeler que les maires n’ont pas le pouvoir de restreindre les libertés protégées par la loi sauf dans le cas bien précis d’une menace sur l’ordre public pris dans son sens le plus étroit. Pour aller plus loin, il faut un acte législatif. Point à la ligne. Le Conseil ne s’est pas exprimé sur la question de savoir si l’interdiction de la burkini était juste ou injuste, conforme ou non à la Constitution.]

      Je suis d’accord, j’avais cru comprendre dans un premier temps que vous estimiez légaux ces arrêtés et j’attendais d’avoir un peu de temps pour faire part de mon désaccord. C’est une question complexe, je partage totalement votre préoccupation concernant les manifestations de séparatisme social dans lesquelles « s’illustrent » une partie des Français musulmans, mais la question de savoir ce que le droit peut faire pour y remédier est une question complexe.

      A mon sens il est tout à fait normal que le Conseil d’Etat ait annulé l’arrêté, celui-ci n’avait pas de base juridique dans la jurisprudence du juge sur l’ordre public et sa rédaction était fantaisiste (interdire les tenues « contraires aux bonnes mœurs et au principe de laïcité » ça veut dire quoi exactement ?), la seule chose qui aurait pu justifier un tel arrêté était un risque bien identifié de trouble – matériel – à l’ordre public, qui ne semblait pas exister en l’espèce. Je suis d’autant plus satisfait de cette décision qu’étant fortement critique de la tendance actuelle des juges à s’ériger en législateur, sa prudence est plus que bienvenue.

      Cependant le burkini n’en est pas moins insupportable pour une société républicaine puisqu’il incarne la volonté de ségréguer chaque espace social entre les « communautés » jusqu’à ce que la Nation ne soit plus qu’un vain mot. Mais que faire alors ? L’interdire en tant que tel serait à mon avis problématique car d’une part contraire à la tradition libérale de l’Etat de droit et d’autre part probablement inconstitutionnel. Surtout, pourquoi le burkini et pas l’abaya, vêtement qui se répand de plus en plus et qui incarne, dans l’espace public, une volonté de sécession au moins équivalente ?

      A mon sens il faut mener une réflexion approfondie, déjà ouverte à l’occasion de la loi de 2010, sur l’extension de la notion d’ordre public à une dimension « immatérielle », celle des « exigences minimales de la vie en commun », qui permettrait de considérer que certains comportements, même ne portant pas atteinte matériellement à la sécurité, la salubrité et la tranquillité publique, sont constitutifs en eux-mêmes d’un trouble car leurs auteurs se placent volontairement en s’y livrant en rupture avec les règles informelles de la vie en commun. Cependant il ne faut pas dissimuler qu’une telle évolution, outre qu’elle marquerait une rupture avec la tradition « libérale » de la jurisprudence serait particulièrement glissante. Il ne faut pas que le juge se mettent à interdire tout et n’importe quoi en considérant x ou y comportement comme antisociaux.

      A mon avis, il serait bon que le législateur se saisissent de la question et envisage donc une loi qui définisse une nouvelle dimension à l’ordre public en disposant par exemple que « Les manifestations provocatrices d’appartenance religieuse, si elles sont particulièrement caractérisées et en tenant compte des circonstances particulières de temps et de lieu, peuvent être de nature à constituer un trouble à l’ordre public qu’il appartient alors à l’autorité de police administrative de prévenir, en adoptant les mesures nécessaires, adaptées et proportionnées. »

      Une telle loi devrait impérativement s’accompagner d’un exposé des motifs détaillé et rédigé avec attention qui permettrait à la fois de bien expliquer l’esprit de la loi et de guider le juge dans son application qui, comme toujours en matière d’ordre public sera affaire de cas d’espèce. Mais pour prendre un exemple, elle devrait à mon avis offrir une base juridique suffisante pour interdire les prières en public dont j’ai été par exemple le témoins entre les rangées de la BPI au centre Georges Pompidou et qui sont pour moi l’exemple type de manifestations religieuses qui ne devraient pas avoir leur place dans l’espace public. Pour le burkini une telle loi permettrait, non une interdiction générale et absolue mais que le juge dispose de davantage de marges de manœuvres pour éventuellement valider une interdiction si le contexte le justifie.

    • Descartes dit :

      @ Carnot

      [Je suis d’accord, j’avais cru comprendre dans un premier temps que vous estimiez légaux ces arrêtés et j’attendais d’avoir un peu de temps pour faire part de mon désaccord.]

      Je me suis peut-être mal exprimé. J’estime « légale » sur le principe l’interdiction du burkini. Contrairement à ce qu’on répète bêtement partout, aucune disposition légale ou constitutionnelle ne s’oppose à ce qu’on règlemente les tenues dans l’espace public. Après tout, on interdit bien les gens de se promener a poil dans la rue, et à ma connaissance une telle tenue ne porte en rien atteinte à l’ordre public matériel. Elle ne menace ni la salubrité, ni la sécurité publique. Et quand à la tranquillité, je ne vois pas en quoi nous montrer comme les dieux nous ont fait serait plus « offensant » que de se montrer couvert des pieds à la tête.

      Mais je ne m’étais pas prononcé – n’ayant pas le texte des arrêtés sous les yeux – sur leur légalité formelle. A mon avis, ils sont mal motivés. L’idée d’une tenue « contraire à la laïcité » n’a ni queue ni tête.

      [C’est une question complexe, je partage totalement votre préoccupation concernant les manifestations de séparatisme social dans lesquelles « s’illustrent » une partie des Français musulmans, mais la question de savoir ce que le droit peut faire pour y remédier est une question complexe.]

      Je crains que votre fréquentation des juristes administratifs n’ait corrompu votre jugement. Je vais être iconoclaste – du moins du point de vue des juristes d’aujourd’hui. Le droit n’est pas là pour défendre des principes intangibles qui nous auraient été donnés par les dieux au cours d’on ne sait pas très bien quelle cérémonie. Non, le droit est là pour permettre aux sociétés humaines de mieux fonctionner. Et c’est pourquoi le droit doit s’adapter aux réalités, et pas l’inverse. S’il se présente un danger qui menace la société, le travail des juristes est de trouver le cadre dans lequel la société peut combattre ce danger en faisant un minimum de dégâts. Et non de s’asseoir sur son cul et dire « c’est impossible » parce que tel ou tel principe sacré nous en empêche. On l’a d’ailleurs vu mille fois dans notre histoire : lorsque les institutions refusent de s’adapter aux réalités, elles finissent par être emportées par elle. S’il n’existe pas de cadre juridique permettant de faire face, et bien on fait face hors cadre juridique, avec un coût social bien plus grand.

      [A mon sens il est tout à fait normal que le Conseil d’Etat ait annulé l’arrêté,]

      Soyons précis : le CE n’a pas « annulé l’arrêté ». Le CE a suspendu l’arrêté en référé, en attendant un jugement sur le fond.

      [celui-ci n’avait pas de base juridique dans la jurisprudence du juge sur l’ordre public et sa rédaction était fantaisiste (interdire les tenues « contraires aux bonnes mœurs et au principe de laïcité » ça veut dire quoi exactement ?),]

      La référence à la laïcité est absurde, je vous l’accorde. Sur la question des « bonnes mœurs »… je suis plus réservé. On peut considérer que les « bonnes mœurs » sont définis par ce que le citoyen moyen est prêt à admettre en termes de comportement. L’idée qu’on exige dans l’espace public un comportement conforme aux « bonnes mœurs » n’est donc pas si absurde que ça. Pendant très longtemps, le juge n’a pas eu à se pencher sur la question parce que l’observance des « bonnes mœurs » était laissée à la pression sociale. Mais dans la logique individualiste qui prime aujourd’hui, où chacun « fait ce qu’il lui plait » et personne ne se considère légitime pour lui faire une remarque, la question des « bonnes mœurs » devient une question de police administrative, et donc sera de plus en plus devant le juge.

      [la seule chose qui aurait pu justifier un tel arrêté était un risque bien identifié de trouble – matériel – à l’ordre public, qui ne semblait pas exister en l’espèce.]

      Voyons si je comprends bien. Si les gens présents dans la plage avaient commencé à jeter des pierres sur les femmes en burkini, l’arrêté aurait été justifié puisque l’ordre public matériel était menacé. Mais parce que les gens refusent de prendre sur eux de faire respecter les règles de convivialité communément acceptées éventuellement par la violence, l’arrêté est illégal ? Vous rendez-vous compte que cette interprétation ne peut qu’encourager les gens à prendre la justice dans leurs mains ?

      Il y a là à mon avis une interprétation très dangereuse de la notion d’ordre public. Imaginons que la tenue des femmes en question ait provoqué des réactions violentes des passants. Quel aurait été le devoir de l’Etat ? Interdire le burkini ? Ou détacher des policiers pour protéger ces femmes afin qu’elles puissent continuer à se baigner en burkini, puisque ce faisant elles exercent une liberté garantie par la loi et la Constitution ? Au fond, la grande question posée ici est le pouvoir des institutions d’imposer des comportements dans l’espace public.

      [Cependant le burkini n’en est pas moins insupportable pour une société républicaine puisqu’il incarne la volonté de ségréguer chaque espace social entre les « communautés » jusqu’à ce que la Nation ne soit plus qu’un vain mot. Mais que faire alors ? L’interdire en tant que tel serait à mon avis problématique car d’une part contraire à la tradition libérale de l’Etat de droit et d’autre part probablement inconstitutionnel.]

      Encore une fois, je ne vois pas pourquoi ce serait « inconstitutionnel ». Il faut arrêter de faire dire à la Constitution ce qu’elle ne dit pas. La Constitution ne garantit pas le droit de s’habiller comme on veut dans l’espace public. Les lois interdisant de se balader à poil, ou de porter des insignes ou des uniformes évoquant le IIIème Reich n’ont jamais été jugées inconstitutionnelles, que je sache. Et pourtant, je ne vois pas en quoi le fait de porter une croix gammée au bras menacerait l’ordre public « matériel » plus que la burkini. On interdit le port de la croix gammée parce que pour des raisons historiques un tel port pourrait être jugé provocateur et offensant par la population. On interdit la nudité publique pour des raisons similaires. Et bien, si l’on conclut que le burkini est ressenti par une partie importante de la population comme provocateur et offensant, il n’y a aucune raison pour que son interdiction soit inconstitutionnelle. Seulement, il faut arrêter de chercher à fonder une telle interdiction sur la « dignité de la femme » ou sur la « laïcité ».

      [Surtout, pourquoi le burkini et pas l’abaya, vêtement qui se répand de plus en plus et qui incarne, dans l’espace public, une volonté de sécession au moins équivalente ?]

      Il faut être précis : on n’interdit pas une TENUE, on interdit un SYMBOLE. Si l’abaya est demain perçue par la population comme l’emblème d’une volonté séparatiste, alors il faudra se poser la question.

      [A mon sens il faut mener une réflexion approfondie, déjà ouverte à l’occasion de la loi de 2010, sur l’extension de la notion d’ordre public à une dimension « immatérielle », celle des « exigences minimales de la vie en commun », qui permettrait de considérer que certains comportements, même ne portant pas atteinte matériellement à la sécurité, la salubrité et la tranquillité publique, sont constitutifs en eux-mêmes d’un trouble car leurs auteurs se placent volontairement en s’y livrant en rupture avec les règles informelles de la vie en commun.]

      Tout à fait. Il fut un temps où cet « ordre public immatériel » était l’affaire de la collectivité, et non du juge. Le jeune qui ne cédait pas son siège à un ancien, la personne qui ne disait pas « bonjour » en rentrant dans un commerce se faisait reprendre sous le regard réprobateur des autres. Aujourd’hui, l’hyper-individualisme fait que peu de gens osent le faire, d’une part parce qu’ils ne se sentent pas la légitimité, d’autre part parce qu’ils savent ne pas pouvoir compter sur les autres pour les soutenir dans leur démarche. Au contraire, la logique est que chacun fait ce qu’il lui plait, et les gens prennent parti contre l’institution. On le voit bien lorsque les passagers prennent fait et cause pour les resquilleurs du métro ou dans les trains. Et dans ce contexte, comme je l’ai dit plus haut, de plus en plus d’affaires concernant cet « ordre public immatériel » arriveront devant le juge. Qui ne pourra pas éternellement rester sourd aux demandes de la société.

      [Cependant il ne faut pas dissimuler qu’une telle évolution, outre qu’elle marquerait une rupture avec la tradition « libérale » de la jurisprudence serait particulièrement glissante. Il ne faut pas que le juge se mettent à interdire tout et n’importe quoi en considérant x ou y comportement comme antisociaux.]

      C’est regrettable, mais dans la mesure où la société refuse de se constituer en gardienne de certains principes de coexistence, cette tâche revient à l’Etat. C’est regrettable, parce que les règles sociales sont moins rigides et plus évolutives que le droit, mais c’est malheureusement un fait.

      [A mon avis, il serait bon que le législateur se saisissent de la question et envisage donc une loi qui définisse une nouvelle dimension à l’ordre public en disposant par exemple que « Les manifestations provocatrices d’appartenance religieuse, si elles sont particulièrement caractérisées et en tenant compte des circonstances particulières de temps et de lieu, peuvent être de nature à constituer un trouble à l’ordre public qu’il appartient alors à l’autorité de police administrative de prévenir, en adoptant les mesures nécessaires, adaptées et proportionnées. »]

      Malheureusement, ce n’est pas aussi simple. La provocation est généralement dans l’œil du spectateur plus que dans l’intention de l’acteur. On est ici dans le domaine du subjectif, et c’est bien là le problème. Ce n’est d’ailleurs pas un problème nouveau : la loi oblige à une tenue « décente » et laisse au juge d’interpréter en fonction du contexte social ce qui constitue la « décence » à un instant donné. Pour que votre loi ait un sens, il faut que donner un sens juridique général au mot « provocation », et laisser ensuite les juges élaborer une doctrine sur ce qui constitue ou non une provocation…

    • Carnot dit :

      [Je crains que votre fréquentation des juristes administratifs n’ait corrompu votre jugement.]

      Haha, vous avez probablement raison ! Mais je vous rassure les cours de Bernard Stirn ne sont pas très convaincants sur ce plan, je suis immunisé depuis longtemps au mantra adorant le CE et la CEDH pour leur suprême sagesse dans l’extension infinie de la protection des droits fondamentaux des individus.

      [On l’a d’ailleurs vu mille fois dans notre histoire : lorsque les institutions refusent de s’adapter aux réalités, elles finissent par être emportées par elle. S’il n’existe pas de cadre juridique permettant de faire face, et bien on fait face hors cadre juridique, avec un coût social bien plus grand.]

      Vous savez – nous en avons déjà parlé à propos de l’article 16 – que je suis très sensible à ce type d’argument. Oui il ne faut pas faire du fétichisme juridique et oublier que « les lois sont faites pour les hommes et non les hommes pour les lois ». Cela ne nous dispense cependant pas, et c’était mon point, de bien réfléchir et d’encadrer les évolutions majeures du droit.

      [Soyons précis : le CE n’a pas « annulé l’arrêté ». Le CE a suspendu l’arrêté en référé, en attendant un jugement sur le fond.]

      C’est juste, cependant comme il s’agissait d’un référé-liberté il n’est pas assorti de l’obligation de déposer un recours au fond donc dans cette affaire précise c’est terminé. Mais vous avez raison d’autres recours au fond ont été déposés contre d’autres arrêtés de même nature, et on devrait avoir une « vraie décision », susceptible de faire jurisprudence celle-là, d’ici un an. Mais comme je le disais je pense qu’il appartient au législateur d’entériner l’évolution de l’esprit-même de la notion d’ordre public, j’espère donc que la décision du CE sera hostile à ses interdictions ce qui saisira implicitement le législateur s’il souhaite aller plus loin.

      [Pendant très longtemps, le juge n’a pas eu à se pencher sur la question parce que l’observance des « bonnes mœurs » était laissée à la pression sociale. Mais dans la logique individualiste qui prime aujourd’hui, où chacun « fait ce qu’il lui plait » et personne ne se considère légitime pour lui faire une remarque, la question des « bonnes mœurs » devient une question de police administrative, et donc sera de plus en plus devant le juge. ]

      Tout à fait d’accord. Mais encore une fois je pense que la représentation nationale doit adopter une loi afin de marquer cette évolution, de l’encadrer, et d’accroître la légitimité du juge dans ce nouveau contexte.

      [Voyons si je comprends bien. Si les gens présents dans la plage avaient commencé à jeter des pierres sur les femmes en burkini, l’arrêté aurait été justifié puisque l’ordre public matériel était menacé. Mais parce que les gens refusent de prendre sur eux de faire respecter les règles de convivialité communément acceptées éventuellement par la violence, l’arrêté est illégal ? Vous rendez-vous compte que cette interprétation ne peut qu’encourager les gens à prendre la justice dans leurs mains ?]

      Bien entendu, et croyez-le bien je ne m’en satisfais pas. Mais la conception traditionnelle de l’ordre public repose bien sur ce genre de logique, on peut ainsi interdire une manifestation parfaitement légitime si une contre-manifestation violente a été prévue et que l’Etat ne s’estime pas en mesure de garantir la sécurité des personnes mais si cela porte atteinte au droit de manifestations de personnes qui n’ont commis aucune faute.

      Mais nous sommes d’accord sur le fond, l’Etat doit répondre à la demande sociale et faire respecter les règles de la vie en commun sans quoi c’est la porte ouverte aux comportements « justiciers » de la part des individus. Le droit doit donc évoluer. Reste à savoir comment.

      [Encore une fois, je ne vois pas pourquoi ce serait « inconstitutionnel ». Il faut arrêter de faire dire à la Constitution ce qu’elle ne dit pas. La Constitution ne garantit pas le droit de s’habiller comme on veut dans l’espace public. Les lois interdisant de se balader à poil, ou de porter des insignes ou des uniformes évoquant le IIIème Reich n’ont jamais été jugées inconstitutionnelles, que je sache.]

      Pour être tout à fait précis ces dispositions n’ont jamais été examinée par le Conseil constitutionnel, mais il est évident qu’elles seraient estimées conforme si elles lui étaient présentées en QPC. Simplement étant donné la jurisprudence du Conseil constitutionnel aujourd’hui je pense qu’il n’est pas évident de savoir quelle serait sa position s’il était saisi d’une loi portant une interdiction générale et absolue du burkini, je crains qu’il ne se fonde sur la liberté individuelle et la liberté religieuse pour la censurer. Je précise par ailleurs qu’à mon avis ce n’est absolument pas au Conseil constitutionnel de faire ça et que je serais défavorable à une telle décision. Mais elle est loin d’être impossible.

      [Il faut être précis : on n’interdit pas une TENUE, on interdit un SYMBOLE. Si l’abaya est demain perçue par la population comme l’emblème d’une volonté séparatiste, alors il faudra se poser la question.]

      A mon avis elle l’est justement, demandez à n’importe quel Français s’il ne se sent pas mal à l’aise et confronté au séparatisme social face à une abaya dans le métro vous aurez exactement le même genre de réaction qu’à propos du burkini, s’il n’y a pas de débat c’est seulement parce qu’aucun maire n’a pris sur lui de l’interdire. Là où je voulais en venir ce n’était pas à écarter l’interdiction du burkini mais à souligner que l’interdire dans la loi en tant que tel nous condamnerait à adopter demain une autre loi pour interdire un autre symbole puis un troisième. C’est pourquoi je propose une solution qui donne une large place au juge à travers une notion souple qui puisse s’adapter aux circonstances, celle de « manifestation provocatrice d’appartenance religieuse méconnaissant les exigences minimales de la vie en commun » dont le législateur ferait explicitement un trouble à l’ordre public. Dans ce contexte, conformément à l’esprit de la notion d’ordre public, j’envisageais de définir l’idée de « provocation » de façon souple – sur le modèle de la « décence » en effet – et de laisser le juge adapter sa jurisprudence aux besoins sociaux.

      Je crois qu’en réalité nous sommes largement d’accord sur le fond, disons que je veux entourer de plus de solennité que vous la rupture avec une pratique juridique classique non « parce que les dieux nous l’ont donné » mais parce que je pense que cela mérite un véritable débat démocratique pour expliquer et légitimer l’action de l’administration et du juge.

    • Descartes dit :

      @ Carnot

      [Vous savez – nous en avons déjà parlé à propos de l’article 16 – que je suis très sensible à ce type d’argument.]

      C’est exactement à cet échange que je pensais, figurez-vous…

      [Oui il ne faut pas faire du fétichisme juridique et oublier que « les lois sont faites pour les hommes et non les hommes pour les lois ». Cela ne nous dispense cependant pas, et c’était mon point, de bien réfléchir et d’encadrer les évolutions majeures du droit.]

      Tout à fait. Mais le grand pêché des juristes aujourd’hui est leur manque d’imagination. La source jurisprudentielle, c’est bien jusqu’à un certain point. Mais aujourd’hui elle aboutit à apporter des rustines en permanence à un édifice branlant. Mieux vaut accepter que nous avons quelques problèmes tout à fait nouveaux, et que ces problèmes nouveaux ont besoin d’un droit nouveau fait de manière systématique, et non à coups de décisions oraculaires du juge ou du Conseil constitutionnel. Par exemple, il n’est pas normal que les rapports entre le droit français et le droit européen soient réglés par des décisions du Conseil d’Etat ou du Conseil constitutionnel, et non par une disposition constitutionnelle explicite.

      [Mais comme je le disais je pense qu’il appartient au législateur d’entériner l’évolution de l’esprit-même de la notion d’ordre public, j’espère donc que la décision du CE sera hostile à ses interdictions ce qui saisira implicitement le législateur s’il souhaite aller plus loin.]

      Nous sommes d’accord. C’est un peu ce que j’ai écrit plus haut : la lâcheté des politiques nous conduit au gouvernement des juges…

      [Tout à fait d’accord. Mais encore une fois je pense que la représentation nationale doit adopter une loi afin de marquer cette évolution, de l’encadrer, et d’accroître la légitimité du juge dans ce nouveau contexte.]

      Je ne suis pas persuadé qu’accroître la légitimité du juge pour régler des conflits qui devraient relever du contrôle social soit une bonne idée. Ce serait entériner comme inévitable l’idée d’une juridicisation de la société, et donc d’une rigidité des rapports humains. Je préfère une société ou quand le chien de mon voisin me gêne, je le dis courtoisement au voisin et celui-ci se sent obligé de faire taire son animal parce que cela rentre dans les règles de bon voisinage, plutôt qu’une société ou je suis conduit à demander le juge de nous départager.

      [Bien entendu, et croyez-le bien je ne m’en satisfais pas. Mais la conception traditionnelle de l’ordre public repose bien sur ce genre de logique,]

      Certes. Mais cette conception de l’ordre public a été forgée à une époque ou le contrôle social était encore très puissant, ou certaines choses ne se faisaient pas non pas parce qu’elles étaient interdites, mais parce qu’elles ne se faisaient pas, tout simplement. C’est pourquoi, je vous suis sur ce point, cette conception de l’ordre public a besoin d’évoluer.

      [Simplement étant donné la jurisprudence du Conseil constitutionnel aujourd’hui je pense qu’il n’est pas évident de savoir quelle serait sa position s’il était saisi d’une loi portant une interdiction générale et absolue du burkini, je crains qu’il ne se fonde sur la liberté individuelle et la liberté religieuse pour la censurer.]

      Je pense qu’il serait très intéressant de faire une telle loi, bien écrite, ne serait que pour la tester devant le Conseil, et d’essayer d’établir une jurisprudence qui ferait des éléments de la « sociabilité » un bien public constitutionnellement protégé. Mais je suis d’accord avec vous qu’il serait bien mieux de porter cette idée dans une réforme constitutionnelle plutôt que de s’en remettre aux juges pour faire le sale boulot.

      [C’est pourquoi je propose une solution qui donne une large place au juge à travers une notion souple qui puisse s’adapter aux circonstances, celle de « manifestation provocatrice d’appartenance religieuse méconnaissant les exigences minimales de la vie en commun » dont le législateur ferait explicitement un trouble à l’ordre public. Dans ce contexte, conformément à l’esprit de la notion d’ordre public, j’envisageais de définir l’idée de « provocation » de façon souple – sur le modèle de la « décence » en effet – et de laisser le juge adapter sa jurisprudence aux besoins sociaux.]

      Je suis d’accord, sauf sur un point : pourquoi singulariser la « manifestation provocatrice d’appartenance religieuse » par rapport aux autres « manifestations provocatrices » ?

  8. dsk dit :

    J’ai une idée : dans le cadre de ce blog, mettons rapidement sur pied une nouvelle religion, qui nous ferait obligation de nous promener en maillot de bain l’été dans tous les lieux publics. Le Conseil d’État devrait normalement nous y aider, au nom de sa désormais fameuse jurisprudence “burkini”. Il en irait bien, en effet, de notre “liberté d’aller et venir, liberté de conscience et liberté personnelle”, ou alors c’est que je n’y comprends plus rien. Quoi qu’il en soit, si tel n’était pas le cas, je me ferai un grand plaisir de me rendre au Conseil d’État, afin d’y plaider notre cause en maillot de bain.

    • Descartes dit :

      @ dsk

      Bonne idée. D’ailleurs, dans la logique du Conseil d’Etat je me demande si le règlement intérieur d’un lycée par exemple peut vous interdire d’y aller en maillot de bain. Après tout, il a fallu une loi pour le voile…

    • François dit :

      @ Descartes & dsk
      En continuant le raisonnement jusqu’à l’absurde, on peut dire que les lois anti discriminatoires sont profondément liberticides. Comme on peut le voir avec la récente affaire du restaurant de Tremblay-en-France, au nom de quoi le restaurateur devrait-il être obligé de servir des femmes voilées ? C’est son commerce privé, il est chez lui, libre de servir qui il veut et de tenir les propos qu’il souhaite.
      On voit bien la dissymétrie qui se dessine: d’un côté on exige du restaurateur un certain respect qui n’est pas demandé aux femmes voilées.
      Je suis en train de terminer la lecture du dernier livre de Jacques Sapir “Démocratie Laïcité Souveraineté”. Je crois que l’on ne peut retenir meilleure définition de la laïcité qui est celle de la séparation de la sphère privée et de la sphère publique, la séparation de l’église et de l’état n’étant qu’une conséquence de la laïcité et non la laïcité elle-même. La sphère privée, pour simplifier étant le lieu où l’on est pas comptable devant la société et libre d’avoir les croyances que l’on souhaite, tandis que la sphère publique est le lieu où l’on est comptable devant la société et prié d’avoir une attitude rationnelle, car seule une attitude rationnelle permet un fonctionnement serein de la société.
      Ainsi, si l’on a décidé de voter des lois qui sanctionnent la discrimination selon la couleur de peau ou la religion, c’est parce-que l’on a jugé que ces dernières relèvent de la sphère privée et que dans la sphère publique on juge les personnes selon leurs mérites, mais à partir du moment où l’on met sa différence en bandoulière il ne faut pas s’étonner qu’autrui nous juge sur cette dernière. Personne ne peut se plaindre que lors d’un processus de recrutement, on ne retienne pas sa candidature s’il a marqué sa religion sur son CV.
      Il n’est pas étonnant que les anglo-saxons soient incapable de comprendre le concept de laïcité, car bien que de culture libérale le concept de séparation de la sphère privée et publique est inexistant comme on a pu le voir avec l’affaire Lewinsky.

    • François dit :

      J’oubliais un petit détail : s’il est permis en France d’avoir une université d’été interdite aux personnes qui ne sont pas victimes du “racisme d’état”, au nom de quoi serait-il interdit à un restaurateur d’autoriser l’accès à son fond de commerce qu’aux personnes qui n’en pas victimes ?

    • Françoise dit :

      Effectivement, vous n’avez rien compris et votre humour est déplacé.
      Cela dit, vous avez raison, la loi 2004 est une aberration de la laïcité “à la française” en ce qu’elle interdit de montrer son appartenance religieuse dans un espace “sanctuarisé”, l’école de la République.
      Vous vouliez peut-être sanctuariser les plages?
      Si je peux, à la limite, comprendre le risque de prosélytisme à l’école qui limite la liberté individuelle, des femmes habillées sur une plage sont moins susceptibles de faire des émules.

    • xc dit :

      Certaines communes balnéaires interdisent les maillots de bain, ou les torses nus pour les hommes (tolérance pour les ouvriers sur les chantiers), en centre-ville. A la plage, si le spectacle ne vous plait pas, vous pouvez regarder ailleurs. En centre-ville, c’est plus difficile. J’ignore si de tels arrêtés ont donné lieu à du contentieux.

    • Descartes dit :

      @ François

      [En continuant le raisonnement jusqu’à l’absurde, on peut dire que les lois anti discriminatoires sont profondément liberticides. Comme on peut le voir avec la récente affaire du restaurant de Tremblay-en-France, au nom de quoi le restaurateur devrait-il être obligé de servir des femmes voilées ? C’est son commerce privé, il est chez lui, libre de servir qui il veut et de tenir les propos qu’il souhaite.]

      Sur ce point, je ne vous suis pas. Donner aux commerçants le pouvoir de refuser leur service à un client sans justification reviendrait à leur donner un pouvoir exorbitant. Pensez ce que pourrait être dans un village le fait de se fâcher avec le seul épicier, l’unique garagiste, le seul quincailler si ces gens avaient le pouvoir de décider de ne plus vous vendre. Non, il faut raison garder. On ne peut pas laisser les gens individuellement juges de ce qui est permis ou interdit. C’est à la loi de trancher.

      [Je suis en train de terminer la lecture du dernier livre de Jacques Sapir “Démocratie Laïcité Souveraineté”. Je crois que l’on ne peut retenir meilleure définition de la laïcité qui est celle de la séparation de la sphère privée et de la sphère publique, la séparation de l’église et de l’état n’étant qu’une conséquence de la laïcité et non la laïcité elle-même.]

      C’est la définition que je retiens (pour qu’elle soit complète, il faut rajouter que la religion fait partie de la sphère privée). On peut la formuler d’une autre manière : c’est l’indifférence absolue des institutions aux croyances.

    • dsk dit :

      @ François

      [“En continuant le raisonnement jusqu’à l’absurde, on peut dire que les lois anti discriminatoires sont profondément liberticides. Comme on peut le voir avec la récente affaire du restaurant de Tremblay-en-France, au nom de quoi le restaurateur devrait-il être obligé de servir des femmes voilées ? C’est son commerce privé, il est chez lui, libre de servir qui il veut et de tenir les propos qu’il souhaite.”]

      En l’état actuel de notre droit, je pense que c’est plaidable. Il suffirait au restaurateur de dire qu’il adhère à une religion qui lui fait interdiction de servir des femmes voilées. Il en irait alors de sa “liberté de conscience et liberté personnelle”, voire même, de sa “liberté d’aller et venir” entre la cuisine et les tables de son restaurant;-)

    • François dit :

      @ Descartes
      [Donner aux commerçants le pouvoir de refuser leur service à un client sans justification reviendrait à leur donner un pouvoir exorbitant]
      Vous avez dans ce cas là une vision encore républicaine de la liberté qui consiste à dire que pour qu’elle soit vraiment effective, il faut qu’il y ait un état qui arbitre les cas de figure où les rapports de force sont trop déséquilibrés.
      Dans la vision libérale libertaire que j’ai poussé jusqu’à l’absurde, l’état ne devrait pas avoir à dicter de norme commune. Hors les lois anti-discrimination visent à ériger une norme commune.
      Toutefois, être le seul épicier d’un village n’interdit pas pour autant que le client lui doit un minimum de respect. Suis-je obligé de servir un client qui pour me dire bonjour me fait un doigt d’honneur, sachant que le voile pour moi est assimilable à un doigt d’honneur ?

      À y réfléchir, plus qu’une question de religion, il s’agit d’une question de décence commune qui n’est pas respectée par une partie de la population. Une société condamnant seulement les agressions physiques et verbales ainsi que les destructions de biens publics, mais autorise tout autre comportement n’est pas tenable. Normalement, l’état n’a pas à légiférer concernant les us et coutumes pour un fonctionnement normal de la société. Toutefois il arrive qu’il soit obligé de le faire par exemple en interdisant le port de certaines tenues comme celle de Waffen-SS. Il est de mon avis que le voile, surtout compte tenu de la situation actuelle est assimilable à une tenue de Waffen-SS.

      À tous ceux qui crient que les mesures contre le burkini sont antidémocratiques, il faut leur rappeler le dicton selon lequel, en démocratie, tout ce qui n’est pas interdit est autorisé, en dictature tout ce qui n’est pas autorisé est interdit et dans un état totalitaire tout ce qui n’est pas interdit est obligatoire.

      Nous en arrivons à un climat particulièrement malsain, faisant augmenter l’exaspération et le ressentiment des Français quand on sait que ce week-end une université d’été a été interdite aux blancs et que les premiers qui dénoncent l’attitude du restaurateur sont les participants de cette université.

      Un autre problème est l’attitude des juges dans l’affaire du Burkini. Je suis d’accord pour dire que les portes du tribunal doivent être fermées quand il s’agit de juger et qu’il ne faut pas outrepasser les lois pour faire plaisir à la foule. Mais les juges ont toujours une marge d’interprétation et ils sont sensés rendre la justice au nom du peuple français. Or cette fois-ci, ils ont eu une interprétation restreinte du trouble à l’ordre public, réduite à la seule sécurité alors qu’il auraient pu en avoir une interprétation plus large comprenant également les “bonnes mœurs”. Ici, le peuple français, par l’intermédiaire de son premier ministre a notifié que le burkini ne fait pas parti des bonnes mœurs françaises et le Conseil d’État n’en a pas tenu compte dans sa décision. Cela ne fait qu’affaiblir la confiance que les français ont dans l’état de droit.

    • Descartes dit :

      @ François

      [J’oubliais un petit détail : s’il est permis en France d’avoir une université d’été interdite aux personnes qui ne sont pas victimes du “racisme d’état”, au nom de quoi serait-il interdit à un restaurateur d’autoriser l’accès à son fond de commerce qu’aux personnes qui n’en pas victimes ?]

      La volonté du législateur est de ne pas permettre aux personnes privées ayant un certain pouvoir économique de l’utiliser arbitrairement pour pénaliser les gens ou les groupes qui n’ont pas l’heur de leur plaire. C’est pourquoi les discriminations – définies aux articles 225-1 et 225-1-1 du Code Pénal – ne sont punies que lorsqu’elles aboutissent à provoquer un dommage économique: refuser la fourniture d’un bien ou d’un service ; entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque ; refuser d’embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne. Mais en dehors de ces cas, une personne privée peut parfaitement “discriminer” sans avoir à se justifier.

      C’est pourquoi on peut parfaitement restreindre l’accès à une réunion privée – comme cette “université d’été” – sur la base de critères discriminatoires, alors qu’on ne peut refuser de servir un client dans un magasin sur cette même base.

    • Baruch dit :

      @Descartes et dsk
      A propos d’interdictions vestimentaires dans les règlement intérieur des lycées.
      Lors des questions autour du voile dans les lycées laïques nous avions proposé de tourner la difficulté en mettant un article dans le règlement intérieur demandant à tous les élèves d’assister tête nue aux cours, sans mentionner de référence ni à la religion ni au sexe, d’après les juristes consultés pour la rédaction de l’article celui-ci aurait été attaquable car les institutions de l’Etat doivent “garantir” l’exercice des cultes. Se couvrir le chef est une prescription religieuse pour certains individus.
      En revanche il était précisé dans certains articles que les élèves devaient venir “en tenue correcte et décente”, sans être par trop dénudés, avec des blouses pour les cours de chimie et des tenues réservées au sport pendant les heures d’EPS, bref, les élèves ne pouvaient venir dans n’importe quel accoutrement, ni encore moins en maillots de bain dans l’enceinte du lycée.
      Quand j’étais lycéenne (Paris, lycée de jeunes filles public) une dame Proviseur nouvellement nommée dans ce lycée prestigieux, avait interdit les pantalons, en hiver et en cas de gel ils n’auraient été autorisés que sous (!) une jupe. Bien entendu la deuxième semaine de la rentrée nous étions toutes en pantalon et cela passa à la trappe .
      Ce n’est pas récent que les tenues lycéennes sont contrôlées: après c’est une rapport de force ou bien la soumission consentie aux règles.

    • Descartes dit :

      @ Françoise

      [Effectivement, vous n’avez rien compris et votre humour est déplacé.]

      Ce que j’aime le plus chez vous, c’est votre manière particulièrement avenante et agréable d’amorcer le débat. Bon, on a bien compris maintenant: vous avez toujours raison et tous les autres ont toujours tort. Dans ces conditions, est-ce que cela sert à quelque chose de prolonger l’échange ?

    • Descartes dit :

      @xc

      La question n’est pas de savoir si vous pouvez “regarder ailleurs”, mais de savoir s’il est normal que vous soyez obligé de détourner votre regard pour avoir la paix.

    • Descartes dit :

      @ dsk

      [En l’état actuel de notre droit, je pense que c’est plaidable. Il suffirait au restaurateur de dire qu’il adhère à une religion qui lui fait interdiction de servir des femmes voilées.]

      Vous faites de l’humour, mais votre remarque est pleine de sens. Il y a une jurisprudence qui s’est constituée et qui insidieusement met les libertés religieuses au dessus de toutes les autres. En d’autres termes, on aurait parfaitement le droit de réglementer les tenues, les manifestations publiques, de restreindre la liberté de manifestation ou celle d’aller et venir lorsque l’ordre public au sens large l’exige, sauf dans le cas ou l’on toucherait à la sacro-sainte liberté du culte.

      Et effectivement, comme l’Etat ne reconnaît aucun culte – et que par conséquence tout culte est par définition égal à tout autre – pour protéger une activité de toute action de l’Etat il suffit de la transformer en activité cultuelle. Dieudonné aurait du y penser : au lieu de se déclarer humoriste et organiser des spectacles, il aurait du se déclarer prêtre d’une nouvelle religion et organiser des offices. Il aurait alors été intouchable. Dites dans un théâtre que « l’homosexualité est une abomination », ou « les homosexuels devraient être mis à mort » et vous serez poursuivi et condamné. Par contre, lisez le lévitique dans une église (« Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination » (Lv 18:22) et « Si un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, ils ont fait tous deux une chose abominable; ils seront punis de mort: leur sang retombera sur eux » (Lv 20:13), par exemple), et vous ne craignez rien, la liberté de culte vous protège.

      Je crois que je vais réactiver mon église personnelle, l’église des adorateurs de Bacchus. « Et Bacchus a dit : le culte que vous me rendrez sera d’aller dans les estaminets et de boire sans limite et sans payer ». Pensez-vous que le Conseil d’Etat me donnera raison lorsque je refuserai de payer l’adition au nom de la liberté du culte ?

    • Descartes dit :

      @ François

      [Vous avez dans ce cas là une vision encore républicaine de la liberté qui consiste à dire que pour qu’elle soit vraiment effective, il faut qu’il y ait un état qui arbitre les cas de figure où les rapports de force sont trop déséquilibrés.]

      Il y a rien de particulièrement « républicain » là dedans. C’est au contraire une vision très classique, déjà présente dans Hobbes, où la violence légitime est concentrée dans les mains d’un seul acteur pour mettre fin à la « guerre de tous contre tous » qui résulte nécessairement d’une société fondée sur le rapport de forces pur.

      [Dans la vision libérale libertaire que j’ai poussé jusqu’à l’absurde, l’état ne devrait pas avoir à dicter de norme commune.]

      Mais si l’Etat ne dicte pas la norme commune, à quoi sert-il ? L’Etat n’a aucune fonction en dehors de celle de faire appliquer des normes. S’il n’a pas le pouvoir de les dicter, d’où viennent-elles ?

      [Toutefois, être le seul épicier d’un village n’interdit pas pour autant que le client lui doit un minimum de respect. Suis-je obligé de servir un client qui pour me dire bonjour me fait un doigt d’honneur, sachant que le voile pour moi est assimilable à un doigt d’honneur ?]

      Vous évoquez ici la question qui apparaît dans les échanges avec d’autres intervenants. Celle des normes qui n’ont pas un caractère réglementaire, mais qui font partie de ce que j’appelle une sociabilité. Pendant des siècles, cette sociabilité à fixé d’une manière certes flexible mais ferme un très grand nombre de règles, dont la transgression comportait une pénalité sociale. On avait le droit de s’habiller, de se comporter comme on voulait, mais certains comportements étaient « mal vus », d’autres pouvaient détruire votre réputation. Et dans une société villageoise ou vous aviez plus ou moins besoin de vos voisins, la « réputation » était d’une grande valeur.

      Alors oui, bien sur, vous êtes obligé lorsque vous êtes un commerçant de servir le client, même s’il vous manque le respect. Mais vous n’êtes pas obligé de servir tous les clients de la même manière. Car si le commerçant est tenu d’assurer le service minimum, il n’est pas – et en pratique c’est le cas – tenu par le principe d’égalité comme le serait une administration. Il n’est pas obligé d’être courtois avec le client. Il n’est pas obligé de se mettre en quatre pour l’accueillir. Il n’est pas obligé de lui donner les petits « extras » qu’on réserve habituellement aux « bons clients ». Il n’est même pas obligé de pratiquer les mêmes prix…

      [Or cette fois-ci, ils ont eu une interprétation restreinte du trouble à l’ordre public, réduite à la seule sécurité alors qu’il auraient pu en avoir une interprétation plus large comprenant également les “bonnes mœurs”.]

      Je comprends la frilosité des juges à s’aventurer sur ce terrain, qui ferait d’eux les censeurs des « mœurs », un peu comme ils ont du le faire sur la question de la « décence ». Le terrain est particulièrement glissant dans une société où l’hyper-individualisme conduit à penser que chacun doit être totalement libre de ses comportements.

    • dsk dit :

      @ Françoise

      [“Vous vouliez peut-être sanctuariser les plages?”]

      Je me suis peut-être mal exprimé. Croyez bien que je n’ai rien, personnellement, contre le burkini. Pour moi, celles qui le portent ne sont rien d’autre que de petites coquines, qui viennent se repaître du spectacle d’hommes à moitié nus sur la plage, tout en se servant du burkini comme alibi religieux. Au fond, on pourrait peut-être y voir une forme d’intégration de certaines femmes musulmanes au mode de vie libéral occidental, et je ne serais pas surpris, du reste, qu’elles se laissent assez facilement draguer. Non, ce que je voulais exprimer, c’était une simple critique d’ordre juridique. Selon moi, en effet, les arrêtés ne mettaient nullement en cause la “liberté d’aller et venir”, puisqu’ils ne faisaient interdiction à personne de se rendre à la plage. C’était leur propre religion qui interdisait, en réalité, à ces femmes de s’y rendre autrement qu’en burkini. A moins de reconnaître aux prescriptions religieuses une force obligatoire supérieure à celle des règlements, ce qui me paraît, pour le moins, radicalement contraire au principe de laïcité.

    • Marcailloux dit :

      @ Descartes,
      Bonjour,
      (« Et Bacchus a dit : le culte que vous me rendrez sera d’aller dans les estaminets et de boire sans limite et sans payer »)
      Que Jupiter entrave, dans sa grande sagesse, un tel débordement. L’intérêt général pâtirait beaucoup des propos incohérents que vous formuleriez alors.

    • Descartes dit :

      @ Baruch

      [Lors des questions autour du voile dans les lycées laïques nous avions proposé de tourner la difficulté en mettant un article dans le règlement intérieur demandant à tous les élèves d’assister tête nue aux cours, sans mentionner de référence ni à la religion ni au sexe, d’après les juristes consultés pour la rédaction de l’article celui-ci aurait été attaquable car les institutions de l’Etat doivent “garantir” l’exercice des cultes. Se couvrir le chef est une prescription religieuse pour certains individus.]

      Je trouve vos experts d’une grande timidité. La « liberté du culte » n’a rien à voir avec les tenues qu’on porte en classe. Si on suivait ce raisonnement, l’enfant musulman devrait pouvoir faire ses cinq prières quotidiennes en classe ? Pourquoi pourrait-on lui interdire la prière quotidienne et non le port d’un vêtement particulier ? Et si je pousse plus loin le raisonnement, certaines religions interdisent de se chausser. Doit-on admettre que les enfants qui pratiquent ces religions aillent pieds nus ? Au nom de la liberté de culte ? Non. La liberté de culte implique que chacun puisse disposer de lieux réservés à cet effet pour pouvoir pratiquer les rites de sa religion – et encore, dans la mesure où ceux-ci ne sont pas contraires à l’ordre public. Elle n’implique pas qu’on puisse célébrer le culte en tout lieu et à tout moment. Et qu’est ce qu’on fait s’ils pratiquent une religion qui les oblige à porter un maillot de bain à l’école ? Et s’ils adorent Bacchus, peuvent-ils boire de l’alcool à la cantine ? Tout ça est clairement ridicule. Je me demande d’ailleurs comment on en est arrivé à considérer que toute activité à vague connotation religieuse fait partie du « culte ». Porter la kippa ne fait pas partie du « culte » juif, sauf lorsqu’elle est portée à la synagogue.

      [En revanche il était précisé dans certains articles que les élèves devaient venir “en tenue correcte et décente”, sans être par trop dénudés, avec des blouses pour les cours de chimie et des tenues réservées au sport pendant les heures d’EPS, bref, les élèves ne pouvaient venir dans n’importe quel accoutrement, ni encore moins en maillots de bain dans l’enceinte du lycée.]

      Je suis surpris. On n’a pas le pouvoir d’exiger que la tête soit nue, mais on a le droit d’exiger que le corps soit couvert ?

      [Quand j’étais lycéenne (Paris, lycée de jeunes filles public) une dame Proviseur nouvellement nommée dans ce lycée prestigieux, avait interdit les pantalons, en hiver et en cas de gel ils n’auraient été autorisés que sous (!) une jupe. Bien entendu la deuxième semaine de la rentrée nous étions toutes en pantalon et cela passa à la trappe.]

      Je ne vous félicite pas… Ce que vous avez fait, c’est exactement ce qu’essayent de faire les jeunes filles voilées : faire plier l’institution sous le poids du nombre.

    • Descartes dit :

      @ Marcailloux

      [Que Jupiter entrave, dans sa grande sagesse, un tel débordement. L’intérêt général pâtirait beaucoup des propos incohérents que vous formuleriez alors.]

      Mais non, mais non… Bacchus accorde à ses adorateurs fidèles la grâce de ne dire que des choses pleines de sagesse sous l’emprise de la dive bouteille…

    • @ Descartes,

      “Je crois que je vais réactiver mon église personnelle, l’église des adorateurs de Bacchus.”
      Je souhaite adhérer à votre église, si vous le permettez. Vous aurez bien besoin de quelqu’un pour vous aider au divin service… du vin.

    • Descartes dit :

      @ nationaliste-ethniciste

      [Je souhaite adhérer à votre église, si vous le permettez. Vous aurez bien besoin de quelqu’un pour vous aider au divin service… du vin.]

      Je vous préviens, le denier du culte y est salé. Après tout, il faut bien entretenir le Pape que je suis…

  9. morel dit :

    Le problème posé par ces manifestations obscurantistes communautaristes est redoutable. Faut-il multiplier les règlements, arrêtés, lois à chaque nouvelle provocation dont la rédaction relève parfois de l’équilibrisme juridique ?

    Il a fallu de longs mois, d’auditions, de séances, de réflexion, d’analyse pour produire la loi sur l’interdiction des signes religieux à l’école pour faire reculer la montée du voile dans ce domaine (et accessoirement quelques kippas et turbans sikhs). Loi sans doute bien « calibrée » respectant le principe de neutralité dans un organisme public ….pour le voir se démultiplier dans la rue.

    Interdisons le burkini, elles peuvent se baigner vêtues de « l’armure islamique » qu’on voit parfois dans les rues, légale actuellement. Difficile de solutionner alors. Où sera la limite ? Comment barrer la route à l’inacceptable en faisant une juste part des choses ?

    J’ai apprécié les arrêtés « burkini » en tant qu’écho des réactions légitimes des citoyens (et sans doute à ce titre les mairies sont le premier degré de proximité) mais cela ne pouvait faire règle générale.
    Comment faire puisque s’enhardissant avec ce laisser, faire laisser passer dont la règle s’est étendue d’abord au domaine économique, des « fronts » s’ouvrent à tout propos : auto-écoles non mixtes à Villefranche-sur-Saône, concession publique de supermarché en région parisienne qui ne vend que du hallal et vide de ses rayons l’alcool et le porc ( à chaque fois «l’argument » hypocrite moi je fais du commerce, je réponds à ma clientèle- en oubliant pour l’auto-école son tweet appelant ses « sœurs » et se concluant par « hamdulillah » (Crôa ! Crôa !). Et ce n’est, hélas, pas fini.

    Il faudrait pouvoir arriver à un règlement global de ces questions qui nous ramènent à la même mais comment ?

    • Descartes dit :

      @ morel

      [Le problème posé par ces manifestations obscurantistes communautaristes est redoutable. Faut-il multiplier les règlements, arrêtés, lois à chaque nouvelle provocation dont la rédaction relève parfois de l’équilibrisme juridique ?]

      J’essaye de répondre à cette question dans mon prochain papier… alors je n’en dirai pas plus.

    • Antoine dit :

      Bonjour Morel,

      Sapir répond à ces questions dans son dernier billet. Il est d’avis que, le Conseil d’Etat ayant en quelque sorte validé dans le canevas légal actuel le port du burkini, il va falloir légiférer.

      http://russeurope.hypotheses.org/5207

      Extrait :

      « Ces motifs laissent à penser qu’une loi pourrait donc être prise, condamnant le port de vêtements qui constituent, dans le contexte actuel, de véritables manifestes politico-religieux. Cela n’implique pas d’aller au-delà. La loi, tout comme la tradition républicaine, tolère les signes d’appartenance religieux que l’on qualifiera de « discrets » tout comme elle distingue les habits des ministres des cultes de ceux du tout venant. Si une loi devait donc être prise, il conviendrait qu’elle respecte cette tradition.

      Le point important est donc qu’« il n’y a pas de parti politique du royaume de Dieu ». Nous voyons bien à quel point c’est aujourd’hui une idée fondamentale. Cette idée doit se traduire dans le droit. Elle signifie à la fois que l’on ne peut prétendre fonder un projet politique sur une religion, et que la démarche du croyant, quel qu’il soit, est une démarche individuelle, et de ce point de vue elle doit être impérativement respectée, mais qu’elle ne s’inscrit pas dans le monde de l’action politique qui est celui de l’action collective. C’est ici une des fondations de la laïcité. Cependant, comment devons-nous réagir face à des gens qui, eux, ne pensent pas ainsi ? […] »

    • morel dit :

      @ Antoine

      Bonjour Antoine,

      Le texte de Sapir est intéressant par ses rappels sur l’arsenal d’encadrement juridique existant de l’activité religieuse qui ne fait que souligner au choix, la mauvaise volonté de les appliquer ou l’amnésie des responsables (ex : prières de rues autorisées de fait par M. Vaillant maire d’arrondissement).
      La fin de son texte me semble plus relever d’un raisonnement philosophique contre lequel je n’ai rien à formuler mais qui ne saurait fournir en soi une réponse concrète à ces problèmes multiformes.

      Légiférer ? Pourquoi pas mais quel texte ? Parler de burkini aussi ? Citer toutes les tenues que pourraient imaginer ces communautaristes ?
      Ma question, c’est aussi comment donner un coup d’arrêt généralisé à ces gens qui nous défient et j’avoue ne pas savoir.

    • Descartes dit :

      @ morel

      [Ma question, c’est aussi comment donner un coup d’arrêt généralisé à ces gens qui nous défient et j’avoue ne pas savoir.]

      Il n’y a pas de solution miracle. Ce qui s’en rapproche le plus est un combat décidé contre tous les “séparatismes” articulé avec une véritable pression pour l’assimilation. Mais ce programme sera immédiatement saboté par les “classes moyennes”, qui sont celles qui auront à en payer le coût…

  10. luc dit :

    Avant de juger les décideurs,ne serait il pas plus rationnel de s’informer sur la nature réelle de leurs décisions?
    Ainsi,Chevénement est présenté comme étant partisan d’un financement public des oeuvres islamiques,’non cultuelles’ mais ‘culturelles’.
    Un véritable tohu bohu médiatique brouille le contenu des missions de chevénement,non?
    Avant de le critiquer ne serait il pas plus rationnel d’attendre la nature exacte de ses propositions?

  11. Anne Iversaire dit :

    Bonjour Descartes,

    un avis sur cet extrait du discours de rentrée de notre ministre de l’EN ?

    “L’école idéalisée de la troisième république était-elle juste ? Capable de transmettre un attachement sincère aux valeurs républicaines, comme l’histoire l’a montré en 1940 ? Tout cela n’est pas sérieux (…)”

    Voir : http://www.education.gouv.fr/cid105815/rentree-2016-discours-de-najat-vallaud-belkacem.html

    • Descartes dit :

      @ Anne Iversaire

      [un avis sur cet extrait du discours de rentrée de notre ministre de l’EN ?]

      “Pardonnez-là, seigneur, elle ne sait pas ce qu’elle dit”
      En tout cas, la lecture de ce loooong discours est utile pour mieux comprendre le niveau de vacuité de la réflexion de la ministre. Quelqu’un aurait du lui expliquer la différence entre une tribune ministérielle et celle d’un meeting politique: un ministre parlant officiellement en cette capacité ne devrait pas s’abaisser à attaquer personnellement des membres de l’opposition.

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